N°011- 012 NUMERO SPECIAL - SEPTEMBRE 2014 journées du Patrimoine Région de Bruxelles-Capitale

D o s s i e r HISTOIRE ET MéMOIRE

p L U s Expérience photographique internationale des Monuments

Une pUBLicAtion De BrUXeLLes DéVeLoppeMent UrBAin Monuments aux morts et aux héros de la patrie ossier L’héritage d commémoratif des deux guerres mondiales à Bruxelles

Benoît MIHAIL Conservateur du Musée de la Police intégrée

Monument à la Gloire de l’Infanterie belge, place Poelaert à Bruxelles, 1935 (A. de Ville de Goyet, 2013 © SPRB). Le patrimoine commémoratif lié aux deux guerres mondiales est particulièrement riche en région bruxelloise. D’une part, chaque commune possède au moins un monument aux morts – soldats, déportés et civils exécutés – d’autre part, la fonction de capitale de Bruxelles explique la présence de nombreux monuments thématiques liés à une profession ou un héros de la guerre. La qualité des monuments est à l’image de la diversité des talents qui les ont réalisés. Si le style reste souvent marqué par la tradition académique, certains se distinguent par leur force expressive ou une interaction réussie avec leur environnement, ce qui n’apparaît plus toujours aujourd’hui, à cause des nombreux bouleversements urbanistiques postérieurs.

Les monuments aux morts occupent n’a, en terme de traces de commé- dance ont leur mémorial dès 1838. une place particulière dans l’histoire moration, rien à envier ni aux autres Après la guerre franco-prussienne du patrimoine. Longtemps dédaignés capitales, ni à des villes d’ampleur de 1870, le cimetière de Bruxelles se par les amateurs d’art, en raison de comparable, comme Anvers ou Lille, couvre d’imposants monuments aux leur appartenance à une esthétique qui ont pourtant subi la guerre de soldats français, allemands et même académique jugée dépassée, ils doi- manière plus directe. Véritable mi- britanniques (les soldats de 1815), vent leur salut à leur valeur sym- roir de la complexité de la vie sociale comme si notre petit pays neutre bolique, qui reprend tout son sens belge, la région bruxelloise accueille voulait ménager chaque puissance lorsque la Grande Guerre connaît un une concentration exceptionnelle de voisine. Le même lieu s’enrichit, en regain d’intérêt, à partir des années monuments liés à un territoire, un 1906, du monument aux Victimes du 1970. Ainsi, en France, les pionniers régiment, une profession ou un as- devoir, belle œuvre classique d’Émile du renouvellement historiographique pect particulier du conflit.À vrai dire, Lambot et Victor Rousseau, qui de ce conflit terrible, Antoine Prost la richesse de ce patrimoine est telle, annonce déjà maintes réalisations et Annette Becker, les présentent qu’il ne saurait être question dans d’après 1914-1918. Si le concept de comme les témoins matériels du les pages qui suivent de proposer da- monument aux morts paraît forte- traumatisme subi par toutes les vantage qu’une synthèse permettant ment attaché à ce conflit, il le doit à couches de la société après 1918 1. de mieux comprendre l’état d’esprit la proportion démesurée du sacri- Le regard porté est parfois davan- de ceux qui ont vécu la guerre puis fice consenti. Que représentent tout tage teinté d’ironie, en particulier ont voulu honorer ceux qui y ont lais- à coup les héros du XIXe siècle dès dans le milieu artistique : le men- sé la vie. Par souci de cohérence, le lors que la nation entière a souffert suel Charlie publie, sous la plume du propos intégrera également la pro- pendant plus de quatre ans avant de Belge Jean-Marie De Busscher, des blématique de la commémoration recouvrer sa liberté ? La nécessité chroniques acides dédiées à « l’art après la Seconde Guerre, en souli- de graver dans la mémoire collec- patrioticotumélaire », tandis que le gnant aussi bien les similitudes que tive – au sens propre – le souvenir de dessinateur Jacques Tardi évoque les différences entre les hommages l’invasion s’impose dès 1914, avec la avec un humour noir les cérémo- de pierre liés aux deux conflits. multiplication des médailles consa- nies commémoratives dans la bande crées aux cités martyres ou aux dessinée Adèle Blanc-Sec, éditée par grands faits d’armes belges. Leur Casterman. Le souvenir de la Grande production reprend à la fin du conflit Guerre et nombre de statuaires se font La recherche belge suit ce mouve- connaître grâce à elles 3. ment avec un peu de retard, mais Rappelons d’abord que le monument sans négliger la place particulière aux morts n’est pas né après 1918. En L’impulsion donnée à la production 2 qu’occupe Bruxelles . Car celle-ci Belgique, les martyrs de l’indépen- de monuments urbains remonte Bruxelles Patrimoines n °011-012 – NUMERO S P E C IAL - SE TEM B RE 2014 Journées du Patrimoine

077 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

Pour l’élite politique et artistique, cet hommage immatériel et provi- soire prime sur le reste : les efforts financiers doivent se concentrer sur la reconstruction du pays, sachant qu’il existe de toute façon déjà suf- fisamment de monuments publics. « La grande guerre n’était pas ter- minée que déjà, de tous les coins du pays, escomptant la victoire, des gens adroits, mais bien intentionnés, personnages officieux, sinon offi- ciels, songèrent immédiatement au grand devoir de magnifier l’héroïsme de nos morts », critique L’Émulation, l’organe de la Société centrale des Architectes, au début des années 1920. Dix ans plus tard, une autre revue professionnelle, La Cité, de- mande à connaître « 1° le nombre de monuments construits depuis 1918 ; 2° la jolie dépense que tout cela représente ; 3° le nombre de lo- gements sains qu’il eut été possible de construire avec ces fonds impo- sants » 5. Les membres éminents de la Commission des Monuments et des Sites, qui doit être consultée pour tout projet d’art urbain, et les fonctionnaires de l’administration des Beaux-Arts, qui dispose d’un budget pour en subsidier, ont une opinion similaire. C’est sans comp- ter avec la volonté d’airain de la po- pulation meurtrie et le dynamisme des anciens combattants qui, dès leur retour, tâchent de pérenniser au Fig. 1 maximum le souvenir de la guerre en Monument La Brabançonne, place Surlet de Chokier à Bruxelles, 1930 s’adressant au niveau de pouvoir qui (A. de Ville de Goyet, 2013 © SPRB). leur est le plus proche : la commune.

aux fêtes de la libération. À l’occa- firmière britannique fusillée en 1915 sion de la « Joyeuse Entrée » du roi pour « espionnage ». Bien que cette La commune au cœur des Albert Ier, le 22 novembre 1918, la Ville image ait fait le tour du monde, il n’y commémorations de Bruxelles fait réaliser quelques aura pas de version définitive, ni de groupes sculptés provisoires qui ex- cette œuvre, ni des autres – à l’excep- L’adoption du suffrage universel en priment déjà tous les sentiments de tion de La Brabançonne, de Charles 1919 encourage les élus à soute- la commémoration : la célébration Samuel, allégorie de la patrie victo- nir l’enthousiasme des nouveaux des héros, le deuil des disparus et rieuse installée, en 1930 seulement, électeurs, ne fût-ce que de manière la haine de l’envahisseur. De nom- place Surlet de Choquier (fig. 1). C’est formelle puisque l’administration se breuses cartes postales sont consa- que le monument n’est pas une fin en contente souvent d’avaliser un pro- crées à ces monuments éphémères, soi, mais une manière parmi d’autres jet privé et, éventuellement, de lui en particulier celui d', l’in- de rendre hommage 4. octroyer un subside – tout comme

078 Fig. 2 Fig. 3 Monument aux Morts de Ganshoren, avenue Monument aux Morts de Saint-Josse-ten-Noode, angle de la rue du Méridien et de la place du Cimetière, 1920 (photo de l’auteur). Quételet, 1920 (photo de l’auteur).

l’État ou la province dans certains de Ganshoren (Jean Lecroart, 1920), tions esthétiques au second plan, au cas. Pour le reste, le financement est une sorte de pyramide sur- grand dam des critiques d’art. Dans s’opère par souscription publique montée d’une victoire et flanquée à L’Émulation, la revue des architectes, après constitution d’un comité. Bals, la base d’un relief figurant un soldat Albert Roosenboom se montre par campagnes de presse, vente de mé- de profil (fig. 2).A u fil des ans, on voit exemple très sévère pour le monu- dailles ou de jouets aident à complé- apparaître sur les cartes et images ment de Saint-Josse-ten-Noode, ter les sommes nécessaires. qui le représentent, une couronne dû au ciseau du vétéran Guillaume de lauriers, l’inscription « à nos hé- Charlier (fig. 3) : « il est déplorable de ros /aan onze helden » et, enfin, un constater le mauvais goût de l’édilité Sur la place publique : la médaillon en bronze du roi Albert Ier. bourgeoise d’un grand faubourg de glorification des héros Quels que soient la forme adoptée Bruxelles qui a permis, en souvenir ou les accessoires représentés, l’es- de ses morts, l’érection, à l’entrée de Peut-être parce qu’ils ont encore sentiel est que le message soit clair, son territoire, d’un bronze informe, gardé un esprit villageois, avec un un message rappelé à Ganshoren dont le moins qu’on puisse dire c’est fort sentiment de communauté, les par le major van Rolleghem dans qu’il fait presque regretter le groupe faubourgs ruraux ouvrent la marche son discours d’inauguration : « En boche sur bacs de pompe qui désho- par des réalisations plutôt modestes. leur élevant un monument, nous norait autrefois la place ». Le groupe Le mémorial de Koekelberg est une les ferons revivre parmi nous, eux, a, en effet, pour particularité d’avoir simple plaque apposée sur la maison dont la pensée se reportait toujours été construit à la place du Monument communale (Pierre De Soete, 1920), vers leur village et vers ceux qu’ils aux Eaux du Bocq, construit par « un tandis que celui d’Auderghem est un aimaient. Dans ce souvenir durable, Boche », c’est-à-dire le sculpteur petit édicule en pierre. À Jette (Léon auquel les braves ont droit, leurs Kemmerich condamné pour colla- Vogelaar, 1923), il est inauguré par familles attristées trouveront une boration. Indépendamment de cette le roi lui-même avant que les deux consolation, la jeunesse, une leçon triste anecdote, il faut préciser que figures allégoriques prévues pour magnifique ; l’étranger qui passe, la Charlier y a mis beaucoup d’énergie, l’encadrer ne soient placées ; elles marque du culte et du respect dont commençant ses recherches dès ne le seront apparemment jamais. le peuple belge entoure la mémoire 1915. Cette œuvre d’inspiration sym- En fait, le programme du monument des Morts pour la Patrie » 6. boliste, aujourd’hui écrasée au pied aux morts est par définition modu- d’un immeuble, a même perdu son lable en fonction des besoins ou des La dimension pédagogique est si do- inscription d’origine, permettant

moyens. Un des plus anciens, celui minante qu’elle fait passer les ambi- de comprendre la métaphore de la Bruxelles Patrimoines n °011-012 – NUMERO S P E C IAL - SE TEM B RE 2014 Journées du Patrimoine

079 mOnumenTs auX mOrTs eT auX hÉrOs De la paTrIe

similaire, avec deux murs en équerre et, au milieu, une sorte d’estrade ac- cessible par des escaliers. son inau- guration donne lieu à un petit quipro- quo. en effet, une bordure de gazon a été malencontreusement rajoutée entre la première marche du monu- ment et le bord de celui-ci, de sorte qu’il faut tirer un tapis rouge sur l’herbe pour permettre à la princesse marie-José de monter sans salir ses souliers (fi g. 7) !9

DAns Les ciMetières : Le recUeiLLeMent

fig. 4a fig. 4b certaines communes, comme , monument aux héros ucclois morts Détail du précédent (photo de l’auteur). saint-gilles ou , ont pour la patrie, square des héros à uccle choisi de placer leur monument aux (photo de l’auteur). morts dans le cimetière. d’autres, plus nombreuses, y possèdent un deuxième mémorial, complémen- Patrie qui pleure le soldat mort à ses vement commémoratif qui n’a pas taire de celui situé au cœur de l’es- pieds : « ce sang était le sien : elle besoin d’innover pour transmettre pace public. il s’agit alors de mettre eut même agonie et ses maux furent son message 8 . en valeur ce qu’on appelle la pelouse ceux dont on vous tortura. martyrs, d’honneur, réservée aux militaires. dormez en paix dans la nuit infi nie, Par ailleurs, les commanditaires veil- certes, il n’y a pas eu de combats à elle veille et se souviendra » 7 . lent toujours à offrir au monument Bruxelles, mais de nombreux soldats un écrin digne de sa vocation. celui y ont été soignés et y sont morts, n’en déplaise à leurs détracteurs, de Woluwe-saint-Pierre, émouvante surtout lors de l’invasion de 1914. les monuments des communes création de marcel Wolfers et de J. de plus, depuis 1921 les corps iden- bruxelloises recourent à des artis- Hendrickx, est établi en 1923, bou- tifi és des combattants et des dépor- tes reconnus ou prometteurs de la levard du souverain, en contrebas tés peuvent être rapatriés vers leur capitale, et tous sont attentifs à la d’un hôpital de guerre installé dans commune de naissance. ixelles inau- qualité du résultat. aucun, en re- l’ancienne villa Parmentier – il sera gure ainsi sa pelouse un dimanche vanche, ne vise à bousculer les tra- déplacé au cimetière 40 ans plus tard de juillet 1923. au centre se trouve ditions ou plutôt la tradition, celle (fi g. 5a et 5b). en 1926, ixelles en- un petit cénotaphe contre lequel, ce apprise à l’académie et qui sied le lève la statue du géologue alphonse jour-là, des jeunes fi lles vêtues de mieux, pense-t-on alors, à l’expres- renard pour redessiner l’espace blanc viennent s’appuyer pour faire sion de la contrition. « la tradition entre les deux étangs, rebaptisé offi ce de pleureuses. autour du carré gréco-romaine n’est pas morte pour square du souvenir, en fonction d’un des tombes veillent quatre immenses nous. c’est la religion de nos pères, monument destiné à servir de fond soldats, en bronze ceux-là. chacun et les barbares qui, pour se sous- aux cérémonies. accessible en mon- se veut à l’image d’un soldat type : traire à son emprise, recourent aux tant quelques marches, un long mur « paysan robuste des flandres, plus odieux blasphèmes, lui rendent fl anqué de deux groupes sculptés de mineur nerveux et énergique du encore hommage par leur ardeur de marcel rau et précédé d’une grande Hainaut, étudiant plus délicat du négation désespérée. » consacrées déesse casquée de charles samuel Brabant, métallurgiste vigoureux du au monument d’uccle (léandre reprend le nom des victimes, dont pays de liège, symbolisant si simple- grandmoulin et charles van Hoey, celui de miss cavell (fi g. 6a et 6b). ment l’union de tous les Belges sans 1925 et 1948) (fi g. 4a et 4b), ces lignes à molenbeek-saint-Jean, georges distinction de langue ni de race, pour du peintre et écrivain Pol stiévenart vandevoorde et lucien françois réali- la défense de notre chère Patrie, du résument l’état d’esprit de ce mou- sent la même année une œuvre assez droit et de l’Humanité » 10 .

080 fig. 5a fig. 5b monument aux morts de monument aux morts de Woluwe-saint-pierre à son emplacement initial. carte postale Woluwe-saint-pierre, cimetière (coll. universiteitsbibliotheek Gent). communal, chaussée de stockel, 1923 (photo de l’auteur).

fig. 6a fig. 6b monument aux morts d’Ixelles, square du Détail du précédent, sculpture de marcel souvenir, 1926 (photo de l’auteur). rau (photo de l’auteur). bruXelles paTrImOInes bruXelles paTrImOInes n°011-012 – numerO specIal - sepTembre 2014 Journées du patrimoine

081 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

Saint-Jean, le monument aux morts est tout ce qui subsiste de l’ancien stade du Daring, inauguré en 1920.

Quelques monuments profes- sionnels sortent du lot. Celui des Gardes forestiers (fig. 11), à Uccle, satisfait même le critique Albert Roosenboom, déjà cité, enthousiaste devant « les quelques pierres frustes du mémorial, d’aspect druidique, élevé dans la forêt de Soignes » conçu par Richard Viandier, un peintre paysagiste local (1920). Il s’agit en fait d’une évocation d’un cromlech, en- ceinte de pierres levées de l’époque mégalithique. Un autre, plus clas- Fig. 7 sique (Victor Voets, 1925) (fig. 12), est Monument aux Morts de Molenbeek-Saint-Jean, square des Libérateurs, 1925. le produit d’une collaboration entre la Inauguration par la princesse Marie-José (© KIK-IRPA, cliché E15841). commune d’Anderlecht et le syndicat de l’Union foraine belge. En effet, au moment de la déclaration de guerre, la foire de Bruxelles bat son plein et Les réalisations d’Auderghem (Joseph de monument aux morts thématique. les jeunes gens qui y travaillent par- Baudoin, 1923) et de Saint-Josse- Car dans la société belge en deuil, la tent directement au front. Le monu- ten-Noode (Eugène Dhuicque, 1925) paroisse, l’école, le syndicat profes- ment aux Forains représente donc relèvent plutôt de l’aménagement sionnel, le régiment auxquels les le « Pierrot héroïque » qui tombe le architectural, puisqu’il s’agit d’une combattants ont appartenu entre- masque pour saisir l’épée. Le même tour-lanterne dans l’esprit des cime- prennent aussi de contribuer à « em- Voets réalise en 1931, avec l’archi- tières irlandais (fig. 8).U n même sen- bellir » l’espace public, au grand dam tecte Georges Hano, celui consacré timent mystique se dégage de l’œuvre des esthètes et des avant-gardistes. aux Colombophiles morts pour la du sculpteur Fernand Gysen à Jette Il s’agit autant d’affirmer une identité patrie. Au milieu d’une structure (fig. 9). Habilement mise en perspec- collective que de rendre hommage très similaire trône la statue d’une tive au milieu du champ des morts, aux disparus. Le monument reli- femme à la poitrine dénudée – la elle est constituée d’un groupe de gieux reste assez marginal dans Patrie reconnaissante. Sur sa main trois figures hiératiques posé sur un l’agglomération. Outre l’inquiétant apparaît un des volatiles qui ont servi socle géométrique (1927). Enfin, c’est soldat qui monte la garde à l’arrière à transporter des messages sur le dans le cadre bucolique de son cime- de l’église de la Trinité à Ixelles et front, d’où l’autre nom donné à ce tière à Evere que la Ville de Bruxelles Saint-Gilles (Henri Holemans, 1921) monument, celui de Pigeon-Soldat réalise plusieurs monuments aux (fig. 10), on signalera le groupe dé- (fig. 13). morts, dont un immense portique dié au Sacré-Cœur de Jésus pour la monumental de style égyptisant (voir Victoire, à l’église Saint-Lambert de l'article de Marcel M. Celis sur ce ci- Woluwe, témoin d’un art démonstra- Les monuments militaires metière p.121). tif qui a survécu à l’agrandissement du sanctuaire en 1938. On trouve Ces mémoriaux dédiés à un groupe davantage d’hommages rendus par spécifique ont, somme toute, un Les monuments une profession ou une école, princi- caractère militaire puisque les hé- thématiques, ou palement des plaques murales. Les ros célébrés sont morts au com- l’hommage sélectif cercles sportifs sont également très bat (sauf certains gardes forestiers engagés dans la commémoration : tués sous l’occupation). On peut, Les lieux publics et privés de la capi- leurs membres étant par définition par conséquent, les rapprocher des tale regorgent d’un autre modèle de souvent jeunes, ils ont payé un lourd mémoriaux dédiés à l’armée elle- mémorial que l’on pourra qualifier tribut à la guerre. À Molenbeek- même. Ici aussi, certains projets

082 fig. 8 monument aux morts d’auderghem, cimetière communal, avenue Jean Van horenbeeck, 1925 (photo de l’auteur).

fig. 9 monument aux morts de Jette, cimetière communal, boulevard de smet de naeyer, 1927. Inauguration (© KIK-Irpa, cliché e15771).

fig. 10 monument aux morts de la paroisse de la sainte-Trinité, angle des rues africaine et de l’aqueduc à Ixelles/saint-Gilles, 1922 (photo de l’auteur).

fig. 11 monument aux forestiers, sentier du Grasdelle à uccle (forêt de soignes), 1922 (photo de l’auteur). 8 9

10 11 bruXelles paTrImOInes bruXelles paTrImOInes n°011-012 – numerO specIal - sepTembre 2014 Journées du patrimoine

083 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

Fig. 12 Fig. 13 Fig. 14 Monument aux Forains, square de l’Aviation Monument aux Colombophiles, dit aussi Monument de l’Artillerie, boulevard à Anderlecht, 1924 (photo de l’auteur). au Pigeon-Soldat, square des Blindés Louis Schmidt à Etterbeek, 1925 (disparu) à Bruxelles, 1931 (photo de l’auteur). (coll. Musée de la Police intégrée).

s’apparentent plus à une simple ment à la porte Louise où sa statue inauguré en mai 1934 par le nouveau plaque murale, parfois loin de l’es- devient une icône du quartier. Elle roi, Léopold III. De part et d’autre de pace public comme le mémorial au en sera malheureusement chassée l’arcade, deux murs incurvés pré- Régiment des Guides, situé à l’in- en 1957, au profit de l’extrémité de sentent un relief narratif montrant la térieur de la première caserne de l’avenue Franklin Roosevelt 11. manipulation des petits mortiers (les cavalerie d’Etterbeek. À l’inverse, fameux crapouillots) par les soldats c’est au beau milieu du boulevard, Les monuments militaires pos- des tranchées. Aujourd’hui, l’arcade devant la caserne Rolin contiguë, térieurs présentent un caractère n’existe plus mais les éléments que le monument à l’Artillerie et aux moins poétique. Le monument au sculptés sont toujours là. Canonniers est installé en 1925. Cet Génie de Charles Samuel et Joseph immense obélisque polychrome, Van Neck (fig. 16) est une évocation L’exemple ultime de monument surmonté d’une statue de sainte très sobre de l’Antiquité : au centre, militaire de cette époque est celui Barbe (patronne des artilleurs) par un éphèbe de marbre blanc tient une dédié à l’infanterie, la composante Jules Lagae, est inauguré en grande épée ; il a pour seule compagnie des de l’armée qui a payé le plus lourd pompe par Albert Ier (fig. 14), aperçu trophées militaires. Le sujet abor- tribut à la guerre – près de trois- par de nombreux passagers du tram, dé – le génie établit les ponts ou les quarts des morts. Lancé en 1932, un puis démantelé au départ de l’armée positions fortifiées – justifie-t-il le concours débouche sur une kyrielle – la caserne est elle-même rasée. choix d’un traitement aussi rigou- de projets. La plupart se distinguent Le moins martial des monuments reux ou faut-il y voir l’expression du par leur caractère très architectural militaires est, sans conteste, celui glissement de l’art académique vers et un style classique monumental, à des Aviateurs et Aérostiers (1926), un néoclassicisme épuré ? Installée l’exception du projet d’Henri Lacoste financé par l'Aéro-club de Belgique place Sainctelette en 1928, l’œuvre (fig. 18), avec son motif de faisceau (fig. 15). Son sculpteur, Pierre de occupe désormais un des côtés du romain que l’auteur réutilise pour Soete, a longuement observé les oi- square Vergote à Schaerbeek. La le mémorial aux Bâtonniers de la seaux afin de traduire la posture de rigueur prend la forme d’une vic- guerre, installé en 1937 dans le la déesse ailée qui emmène avec elle toire ailée entourée d’une sorte Palais de Justice. Le jury choisit l’aviateur mort au combat. Contraint d’arc de triomphe moderne dans le projet le plus chargé, celui du de renoncer à installer l’œuvre sur la le cas du monument aux Artilleurs scul­pteur Édouard Vereycken et de place Poelaert, avec l’horizon pour de tranchée à Etterbeek (Maurice l’architecte Antoine De Mol, deux toile de fond, il reçoit un emplace- Waucquez, 1934) (fig. 17a et 17b), blessés de guerre anversois. Il est

084 Fig. 15 Monument aux Aviateurs et Aérostiers tombés pendant la guerre, avenue Franklin Roosevelt (anciennement place Louise) à Bruxelles, 1926 (A. de Ville de Goyet, 2013 © SPRB). quelque peu remodelé avant d’être bronze (fig. 19a) qui se déploie au- n’y en aura pas non plus à Paris ou finalement construit en 1935 non tour du pied de cet obélisque nous Berlin 13 –, mais d’inhumer un Soldat pas à l’emplacement prévu, la place documente sur la plupart des objets inconnu en un lieu prestigieux, afin Quételet, mais place Poelaert, où il emportés par les soldats – même le qu’il puisse susciter le chagrin et la atrimoine se trouve toujours. La presse ne se chien de trait y figure. À la base du fierté de toutes les familles du pays. contente pas de critiquer ce choix, monument, quatre figures en pierre Le cadre de la Colonne du Congrès, elle lui reproche aussi son style représentent l’infanterie belge dans construite en 1859 par l’architecte chargé. Mais les commanditaires son uniforme de 1914, lorsque la Poelaert, constitue le choix consen- se sont-ils souciés d’art urbain ? Il mode militaire rimait avec panache suel du gouvernement et des as- est intéressant à ce propos de lire la (fig. 19b). Elles font la garde d’une sociations d’anciens combattants. lettre envoyée à La Nation Belge par fausse crypte où repose la dépouille Inaugurée le 11 novembre 1922, la un des membres du jury, le général factice d’un de leurs camarades. tombe du soldat ou « jass » inconnu De Kempeneer. Selon lui, l’œuvre Une référence à un autre soldat, un (surnom des militaires belges, à sélectionnée n’est certes pas la vrai celui-là, qui repose à quelques cause de leur veste) est un tel suc- plus moderne mais elle constitue arrêts de tramway. cès que la date finit par s’imposer le meilleur reflet de l’infanterie : en tant qu’anniversaire officiel de la « l’homme le plus simple, comme la guerre, au détriment des autres (le plus humble femme du peuple, veuve Le culte des grands 4 août pour l’invasion et le 22 no- ou non de combattant, n’en appro- hommes d’armes vembre pour le retour du roi). Les chera pas sans un sentiment de re- anciens s’y recueillent ; les familles cueillement et de respect à l’égard Car dans une société si forte- amènent leurs enfants (fig. 20). En de ceux qui ont porté le lourd fardeau ment tournée vers le souvenir de 1923, le roi d’Égypte fait déposer dévolu à la Reine et à la Martyre des la guerre, la notion de monument devant la tombe une réduction de champs de bataille » 12. D’où l’im- aux morts se conjugue aussi au l’arc de triomphe de Louxor, comme pression d’accumulation qui frappe singulier. Quel meilleur enseigne- hommage d’une nation nouvelle-

le spectateur (voir fig. page 76). La ment pour les jeunes générations ment indépendante à une autre un t r i m oi nes n °011-012 – NUMER O SPEC I AL - SEP T EMBRE 2014 Journées du P a partie supérieure rappelle les lan- que le courage et le sacrifice d’un peu plus ancienne et qui a combattu ternes des morts des cimetières, si seul homme ? C’est en tout cas durement pour rester libre. L’urne ce n’est qu’elle est coiffée par une l’avis de l’État belge qui choisit non de la flamme du souvenir est ins-

gigantesque couronne. Le groupe en d’élever un monument national – il tallée quelques mois plus tard. B ru x elles P

085 mOnumenTs auX mOrTs eT auX hÉrOs De la paTrIe

fig. 16 monument au Génie, square Vergote à schaerbeek (photo de l’auteur).

fig. 17a monument aux artilleurs de tranchée, square princesse Jean de mérode à etterbeek 1934 (a. de Ville de Goyet, 2013 © sprb).

fig. 17b le monument aux artilleurs de tranchée dans son état originel, lors de l’inauguration du 6 mai 1934 (© KIK-Irpa, cliché e15176).

16 17 a

aucun monument réalisé par la suite ne parviendra à détrôner la valeur symbolique de cette simple tombe, qui cristallise l’esprit pa- triote d’après guerre, y compris aux yeux de ses adversaires. c’est ici, par exemple, que l’anarchiste ita- lien de rosa tente en vain d’assas- siner le prince umberto, héritier de la couronne d’italie, en 1929 ; trois ans plus tard, le cinéaste Henri storck, pionnier du documentaire moderne, détourne la symbolique du même lieu dans son terrible pam- phlet Histoire du soldat inconnu , qui dénonce l’hypocrisie de la commé- 17b moration. il écrira plus tard : « le symbole du citoyen anonyme c’était bien ce pauvre soldat inconnu, issu du bas peuple, et qui avait donné son sang pour défendre sa patrie. maintenant était venu le temps des marchands de canon, grâce à la politique des grands pays. mais le pauvre soldat inconnu, assassiné comme une bête, on ne cessait de lui rendre des honneurs, on l’enterrait en grande pompe… » 14 . storck aurait pu aussi ironiser sur ce paradoxe que Bruxelles n’a pas de statue au soldat inconnu, mais possède un monument au « poilu inconnu tombé sur le sol belge » (d’après le surnom donné aux militaires français). né d’une initiative

086 fig. 18 concours pour le monument à la Gloire de l’Infanterie belge à bruxelles, projet d’henri lacoste. photo parue dans l’Émulation, 1933, p. 74.

fig. 19a Détail du monument à la Gloire de l’Infanterie belge à bruxelles : grenadier et chasseur à pied de 1914 (photo de l’auteur).

fig. 19b autre détail du même monument : les soldats belges victorieux de 1918 (photo de l’auteur).

fig. 20 Visite de la tombe du soldat inconnu à la colonne du congrès. extrait de « la patrie belge 1830-1930 », le Soir, 1929, p. 7.

19a 19b 20 bruXelles paTrImOInes bruXelles paTrImOInes n°011-012 – numerO specIal - sepTembre 2014 Journées du patrimoine

087 mOnumenTs auX mOrTs eT auX hÉrOs De la paTrIe

fig. 21 fig. 22 monument au soldat français inconnu tombé sur le sol belge, parvis notre-Dame plaque commémorative en hommage au à bruxelles-laeken, 1927 (photo de l’auteur). maréchal foch, avenue maréchal foch 98 à schaerbeek, 1939 (photo de l’auteur).

privée franco-belge, avec le soutien tenir le fort de loncin jusqu’au bout, Illustré , est l’œuvre d’edmond de fi nancier des pouvoirs publics, il se ce qui lui valut de passer le reste de valériola (fi g. 23), en 1936. debout concrétise en 1926 à l’entrée du cime- la guerre en captivité en allemagne), sur un socle géométrique, l’homme tière de laeken, juste à côté de l’église reçoit des funérailles nationales en regarde au loin, une paire de jumel- royale. il s’agit d’un bloc très vertical 1920, mais pas de monument, sinon les dans les mains. le second projet du sculpteur mathieu desmaré, avec un petit mémorial de Jean canneel est le résultat, deux ans plus tard, un groupe principal – quatre poilus sur une façade à etterbeek. le maré- de la collaboration entre eugène de portant un cercueil – posé sur un chal foch, commandant en chef des Bremaecker pour le buste et deux immense socle d’où émergent, à la forces alliées, fait aussi l’objet d’une autres sculpteurs (Julien Berchmans base, des personnages en deuil vêtus plaque commémorative due à sylvain et lucien Hoffman) pour les reliefs à l’antique (fi g. 21). norga (fi g. 22) – elle est fi nancée consacrés aux faits d’armes du géné- par un comité du quartier 15 . Bref, il ral, la retraite d’anvers et l’ouverture les héros de guerre identifi és ne bé- semble plus approprié de donner aux des écluses de l’Yser. l’architecte de néfi cient pas d’hommages aussi spec- grands hommes le nom d’une voie la ville, françois malfait, réalise le taculaires, peut-être parce que la plu- publique que de leur construire un socle imposant. les diffi cultés pour part ne sont pas de la région. Prosper monument. leur trouver un emplacement tradui- devos, « l’écrivain soldat » tombé dès sent le manque d’enthousiasme des octobre 1914, constitue une exception dans les années 1930, la peur de édiles ; Bernheim échoue le long de puisqu’il naît à Bruxelles et travaille l’antimilitarisme semble réveiller les l’étang du square marie-louise tandis pour la commune d’anderlecht . et velléités d’honorer les grands sol- que dossin (fi g. 24), dont la situation à c’est ici, dans le parc astrid, que l’on dats dans l’espace public, mais l’entrée de l’abbaye de la cambre dé- trouve un joli petit monument à son avec un succès mitigé. deux géné- plaît à la commission des monuments nom, signé Hebbelynck et de valériola raux bénéfi cient alors d’un monu- et des sites, fi nit par y rester faute (1922). mort à l’âge de 24 ans après ment commémoratif : Bernheim, d’un lieu d’accueil alternatif sur la avoir publié un seul roman, devos est etterbeekois atypique célèbre pour commune d’ixelles. l’exemple ultime surtout honoré en tant qu’enfant du sa bravoure au combat, et dossin de du ralentissement du mouvement pays et symbole du tribut payé par le saint-georges, un liégeois mort à commémoratif reste le cas du roi monde des arts et des lettres. le gé- ixelles. la statue du premier, « due albert ier , « le grand-prêtre de ce néral leman, qui symbolise, quant à à l’initiative de quelques volontaires culte où la gloire du pays et l’affi r- lui, la résistance de liège (il a choisi de de guerre », nous explique le Patriote mation de l’existence collective se

088 Fig. 23 Monument au lieutenant-général Bernheim, square Marie-Louise à Bruxelles, 1936 (photo de l’auteur).

Fig. 24 Monument au lieutenant-général baron Dossin de Saint-Georges, jardins de l’abbaye de la Cambre à Ixelles, 1938

(photo de l’auteur). Bruxelles Patrimoines n °011-012 – NUMERO S P E C IAL - SE TEM B RE 2014 Journées du Patrimoine

089 mOnumenTs auX mOrTs eT auX hÉrOs De la paTrIe

25 27 26

fig. 25 monument au roi albert Ier , angle des rues des cèdres et du Gruyer à Watermael-boitsfort, 1938 (photo de l’auteur).

fig. 26 monument de la reconnaissance britannique à la nation belge, place poelaert à bruxelles, 1923 (photo de l’auteur).

fig. 27 monument à edith cavell et marie Depage, angle des rues edith cavell et marie Depage à uccle, 1920 (photo de l’auteur).

mêlent toujours, en Belgique, à la Les feMMes et Les Héros statues fi gées l’une, du tommy « » mort, à l’horreur et au martyre », a ciViLs (surnom du soldat britannique) et écrit laurence van Ypersele 16 . on le l’autre, de son frère d’arme belge, retrouve un peu partout en effi gie, la dernière forme de commémora- qui donnent une coloration très mi- ou en buste sur le monument que tion de la grande guerre concerne litaire au résultat. l’auteur, charles lui consacre Watermael-Boitsfort les populations civiles, même si les sargeant Jagger, est d’ailleurs lui- (thomas vincotte, geo van uytvanck illustrations en sont plus rares et même un héros de guerre (fi g. 26). et rob Berlaimont) en 1938 (fi g. 25), occultées par l’omniprésence du mi- lorsqu’il n’y avait plus de soldats mais le projet d’un grand mémorial litaire dans le culte du souvenir. en té- pour les protéger, les habitants des au roi-chevalier à Bruxelles s’éter- moigne la confusion qui existe autour localités envahies ont parfois subi des nise et est interrompu par la seconde du monument britannique de la place massacres épouvantables auxquels guerre. Poelaert (1923), hommage non pas à Bruxelles a eu la chance d’échapper. il l’armée de sa majesté mais à l’aide n’y a donc pas ici de mémorial à cette que la population belge lui a apportée. tragédie, sauf à prendre en compte les bas-reliefs narrant cette histoire le tableau pour le moins monumen- entourent cependant deux immenses tal – 5 m sur 3 – exposé au musée

090 fig. 28 monument à Gabrielle petit, place saint-Jean à bruxelles, 1923. photo de l’inauguration. extrait de « la patrie belge 1830-1930 », le Soir, 1929, p. 145.

fig. 29 monument aux fusillés, place des carabiniers à schaerbeek, 1929 (disparu) (© KIK-Irpa, cliché b204476).

de l’armée jusqu’à ce que le ministre coupables d’avoir aidé à l’exfi ltration d’armand Bonnetain commandée le fasse retirer en 1930, de peur de de militaires, d’avoir renseigné les par l’école en 1919, avec l’inscription créer un incident diplomatique : Les alliés sur les mouvements de trou- « 1915 / Remember». ! on les retrouve Horreurs de la Guerre , mieux connu pes ou encore d’avoir commis des l’année suivante avec le beau petit sous le titre Les Mains Coupées , actes de destruction. 35 civils sont monument de Paul dubois (fi g. 27) d’après une légende (fausse) selon ainsi exécutés, d’autres lourdement sur leur lieu de travail (reconstruit laquelle l’armée allemande coupait condamnés. plus tard pour devenir la clinique les mains des enfants dans les vil- Parmi ces résistants se trouvent des cavell). ici, pas de portraits mais deux lages dévastés 17 . les monuments femmes et ce sont elles qui vont faire allégories drapées à l’antique pointant commémoratifs prennent néanmoins l’objet des hommages les plus ap- le doigt sur une inscription en lettres une coloration accusatrice lorsqu’ils puyés. nous connaissons déjà la no- d’or qui reprend leur nom, la date sont consacrés à un drame auquel toriété d’edith cavell. dans l’après- et une mention vengeresse : « pas- cette fois, la capitale n’a pas échappé : guerre, son nom est souvent associé sant, dis-le à tes enfants : ils les ont l’exécution des « patriotes », c’est-à- à celui de marie depage, la trésorière tuées ». en vérité, marie depage est dire les résistants. Qualifi és d’espions de l’école d’infi rmières qu’elle dirige. une victime indirecte de la guerre ; elle

par les allemands, ils se sont rendus on les voit sur une médaille célèbre meurt dans le naufrage du lusitania, bruXelles paTrImOInes n°011-012 – numerO specIal - sepTembre 2014 Journées du patrimoine

091 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

L’Enclos des Fusillés, récits et gravures multiplient les le cimetière-monument anecdotes, comme celle sur ce mys- térieux soldat Rammler, un Allemand L’Enclos des Fusillés, classé depuis enterré au milieu des Belges. Pendant 1983, est un lieu à part à Bruxelles. la seconde occupation, les Allemands Certaines des pages les plus sombres détruisent le mémorial et reprennent de notre histoire y ont été écrites et on les exécutions, en plus grand nombre n’a cessé de rendre hommage à ses cette fois (261 tombes). De fausses victimes. Toutefois, le bouleversement maisonnettes sont construites pour du paysage urbain l’a rendu difficile à tromper les bombardiers alliés comprendre. quant à la nature véritable du site. À la Libération, les hommages re- L’armée allemande de 1914 a fait commencent ; on décide cette fois de preuve d’esprit méthodique en choi- laisser les tombes en place et le lieu sissant pour lieu d’exécution… la devient un véritable cimetière des vic- plaine d’exercice de tir de la garde times civiles de la guerre – les résis- civique, à Schaerbeek, appelée le tants. Plus tard est érigée une petite Tir national. Dès la fin des hostilités, stèle au prisonnier politique inconnu, Soldats devant la tombe de Miss Cavell au habitants, touristes et hautes per- avec une urne ramenée des camps de Tir national à Schaerbeek. Photo non datée (coll. Hiltermann). sonnalités viennent se recueillir sur concentration. les tombes des 35 civils exécutés, à côté desquelles un petit mémorial est En 1963, les bâtiments du Tir national, prend en passant devant le monument érigé en 1919. La même année, les entre le cimetière et la voie publique, aux Fusillés situé le long du boule- dépouilles sont exhumées et rendues sont rasés pour faire place au nouveau vard qu’il évoque le sort de femmes aux familles ou bien déposées au ci- complexe de radio-télévision. Si l’En- et d’hommes froidement exécutés metière de la Ville, où un « mur des clos des Fusillés n’est pas menacé, quelques centaines de mètres plus fusillés » est construit en 1929. Mais il se retrouve complètement enclavé loin, dans un lieu à l’abri de la fureur le site continue à nourrir l’imaginaire : et sorti de son contexte. Qui com- de la ville ?

le fameux paquebot torpillé par les espionnage quelques mois après (mais non attestée) : « Je leur mon- Allemands, au retour d’une tournée Cavell. Seule femme à bénéficier de trerai comment une femme belge sait de collecte de fonds aux États-Unis, funérailles nationales en 1919, cette mourir ». au profit de l’hôpital que son mari, le jeune Tournaisienne domiciliée à docteur Antoine Depage, dirige à La Molenbeek-Saint-Jean se retrouve La femme belge est encore pré- Panne avec l’aide de la reine Élisabeth. statufiée à Bruxelles quatre ans plus sente, mais entourée d’hommes, À noter que lui-même est honoré à tard, à l’instigation de la puissante sur une statue-colonne dans l’es- deux reprises, sous forme de buste Ligue des Patriotes. Nous sommes prit de celle du cimetière de Jette, à l’hôpital Saint-Pierre et d’un petit alors à l’apogée de la fièvre commé- installée en hommage aux victimes mémorial à l’ancienne clinique de la morative ; le sculpteur est un maître sur le site même de l’exécution, le Croix-Rouge de la place Brugmann reconnu, Égide Rombaux, et l’empla- Tir national (Amédée Hamoir, 1929) à Ixelles. Les deux sont l’œuvre de cement, la place Saint-Jean non loin (fig. 29). Cette œuvre disparaît au Godefroid Devreese, en 1926 et 1928, de la Grand-Place, garantit la visibilité retour des Allemands en 1940, qui avec la collaboration de l’architecte de l’œuvre. Celle-ci a un caractère ico- la détruisent en même temps que des bâtiments, Jean-Baptiste Dewin. nique, et finit par remplacer la photo celle, très vindicative, consacrée au de la jeune héroïne dans les manuels Schaerbeekois Philippe Baucq, un Dans le domaine de la résistance scolaires et les cartes en tout genre 18. compagnon d’infortune d’Edith Cavell, civile, aucune figure n’égale ce- Elle regarde vers le ciel et fait mine sur la place de Jamblinne de Meux : pendant Gabrielle Petit (fig. 28), d’avancer, en écho à l’inscription qui un cadavre couché devant un grand « la Grande Fusillée », arrêtée pour rappelle son exclamation célèbre mur orné d’une sorte de variante

092 Fig. 30 Monument aux Patriotes saint-gillois 40-45, place Antoine Delporte à Saint-Gilles, non daté (photo de l’auteur).

Fig. 31 Monument aux Morts de Forest, chaussée de Neerstalle, 1922 et 1949 (photo de l’auteur).

Fig. 32 Monument aux Morts d’Anderlecht, cimetière communal, avenue des

Millepertuis, 1954 (photo de l’auteur). Bruxelles Patrimoines n °011-012 – NUMERO S P E C IAL - SE TEM B RE 2014 Journées du Patrimoine

093 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

Fig. 33 Fig. 34 Monument aux Morts de Jette, cimetière communal, boulevard de Smet de Naeyer, Monument au cardinal Mercier, Fernand Gysen, 1927 (photo de l’auteur). place Sainte-Gudule à Bruxelles, 1954 (photo de l’auteur).

de la Marseillaise de Rude (sculp- temps où seuls les soldats du front et qu’à Woluwe-Saint-Lambert, la statue teur P. Vandekerkhove / architectes­ une poignée de « patriotes » ont droit est déplacée au square de Broqueville G. Heuchenne et G. Hendrickx, 1924)19. aux honneurs. Sur la forme, les mo- et enrichie d’un hémicycle. Lorsqu’un numents suivent l’évolution du goût monument spécifique voit le jour, sa – toujours plus de simplicité – sans se place est au cimetière, qui est d’ail- La commémoration risquer à trop d’audace. En revanche, leurs souvent déplacé dans cette pé- après 1945 la nécessité de leur existence appa- riode de croissance démographique raît de moins en moins évidente, car et urbanistique. Ainsi, Anderlecht crée La nouvelle guerre ne marque pas l’hommage aux morts privilégie dé- un nouveau mémorial (Jos De Decker) une rupture nette dans le culte du sormais les formes plus abstraites : au cimetière du Vogelzang inauguré souvenir. En novembre 1940, la po- apposition d’une plaque explicative ou en 1954 (fig. 32).À Jette, le champ des pulation brave l’interdiction de rendre changement de nom de rue. Bref, des morts ne bouge pas mais il s’enrichit hommage au Soldat inconnu. Bientôt, mots plutôt que des images. d’un autre monument bien dans l’air dans la clandestinité, Gabrielle Petit du temps puisqu’il rend hommage tant inspire une nouvelle génération de aux fusillés (une sculpture en ronde patriotes : les résistants. Du coup, à La continuité de la bosse au centre) qu’aux victimes du la libération, la commémoration re- commémoration de la travail obligatoire et de la déportation prend son cours, avec quelques réa- Grande Guerre (deux reliefs latéraux) (fig. 33). justements. Sur le fond, le panel des héros s’élargit. En témoigne une pe- Sur le plan local, les communes se La continuité des commémorations tite borne commémorative de Jean contentent en général d’ajouter les entre les deux guerres apparaît aus- Canneel (fig. 30) près de la prison à noms de 40-45 sur le monument aux si dans la concrétisation tardive de Saint-Gilles. Bavarde en termes d’ins- morts, quitte à procéder à quelques grands projets liés à la première. Celui cription, elle nous apprend que les adaptations. Uccle, Forest et Woluwe- d’un monument au Roi-Chevalier s’est anciens de 1914 rendent hommage à Saint-Lambert font même appel au intégré à celui du Mont des Arts, avec ceux de 1940, et que ceux-ci se décli- sculpteur original pour compléter leur une bibliothèque (l’Albertine), qui pré- nent en prisonniers politiques, dépor- œuvre, ce qui donne à celle-ci une voit un emplacement pour une statue tés, réfractaires (au travail obligatoire nouvelle jeunesse : à Forest, Victor équestre, réalisée pendant la guerre en Allemagne), résistants, combat- Rousseau rajoute sur les côtés deux par Alfred Courtens et finalement tants et prisonniers de guerre. Fini le édicules avec un buste (fig. 31), tandis installée en 1951 sur un socle de

094 Fig. 35 Fig. 36 Monument à Adolphe Max, boulevard du Centenaire à Bruxelles-Laeken, 1958 Monument à la Cavalerie, square (photo de l’auteur). Léopold II à Woluwe-Saint-Pierre, 1961 (photo de l’auteur).

Fig. 37 Fig. 38 Monument à la Brigade Piron, Monument au baron Jean de Selys parc des Muses à Molenbeek-Saint-Jean, 1964 Longchamps, devant le n° 453 avenue (photo de l’auteur). Louise à Bruxelles, 1993 (photo de l’auteur). Bruxelles Patrimoines n °011-012 – NUMERO S P E C IAL - SE TEM B RE 2014 Journées du Patrimoine

095 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

Fig. 39 Fig. 40 Fig. 41 Monument au maréchal Montgomery, Monument des Fusillés, place des Détail du monument à Louis Schmidt, square Montgomery à Woluwe-Saint-Pierre, Carabiniers à Schaerbeek, 1956. Couverture place du Roi Vainqueur à Etterbeek, 1947 1980 (photo de l’auteur). du Patriote Illustré du 24 juin 1956. (photo de l’auteur).

l’architecte du site, Jules Ghobert. De velles réalisations en hommage sorte. Les autres statues aux grands facture classique, l’œuvre reste un bel aux faits militaires. Leur typologie hommes de la Seconde Guerre re- exemple d’intégration harmonieuse se partage entre l’obélisque déco- lèvent de l’hommage international : à l’environnement, au contraire de la ré (monument aux Armées d’Oc- Winston Churchill à Uccle (1967), là statue plus tardive encore du cardinal cupation à Saint-Josse-ten-Noode, où les Anglais entrent dans la ville en Mercier : celle-ci est installée devant 1947 ou à la Cavalerie (fig. 36) à 1944, et Montgomery (fig. 39), dans la cathédrale des Saints-Michel-et- Woluwe-Saint-Pierre, 1961) et la son battle-dress caractéristique, au Gudule 30 ans après la mort de l’inté- stèle. L’œuvre la plus parlante pour rond-point qui porte son nom (1980). ressé en 1926 (fig. 34).L ’artiste, Égide la Seconde Guerre est celle, signée Les deux sont l’œuvre du Croate Rombaux, étant lui-même décédé Paul Boedts, consacrée à la Brigade Oscar Nemon (formé à l’Académie depuis 1942 ! Enfin, l’année de l’Expo Piron, du nom de l’officier qui, au de Bruxelles) et existent en différen- 58, la Ville de Bruxelles inaugure, sur sein de l’Armée britannique, partici- tes versions un peu partout dans le l’avenue de l’Exposition universelle pa à la libération de la Belgique en monde. justement, un monument au bourg- 1944 et suivit les troupes alliées en mestre Adolphe Max, mort en 1939 Allemagne. Bref, celui qui redonna À côté de ces hommages sages, (fig. 35). De style classique moderne fierté aux militaires belges en fai- les rares tentatives plus modernes (Fernand Debonnaires et Augustin sant des vaincus, des vainqueurs. paraissent presque incongrues. Le Bernard), l’œuvre comporte une ins- Pas de décor ni d’inscription, sinon problème principal étant qu’à défaut cription reprenant une phrase célèbre la mention « Brigade Piron » et celle d’être démonstratif, un monument prononcée à l’arrivée des troupes alle- de deux victoires (fig. 37), sur ce long commémoratif risque de ne pas être mandes en 1914, un procédé repris en mur nu installé en 1964 dans le parc compris : Molenbeek-Saint-Jean cé- 1965 pour le mémorial à Charles de des Muses à Molenbeek-Saint-Jean, lèbre en 1968 le cinquantenaire de Broqueville, le chef du gouvernement commune de naissance de Jean- la « Joyeuse Entrée » du roi Albert Ier belge du Havre, le long de l’avenue Baptiste Piron. Le même artiste réa- – la Grande Guerre encore – avec qui porte son nom à Woluwe-Saint- lise en 1993 pour l’avenue Louise la une statue très stylisée de Robert Lambert. statue au baron de Sélys Lonchamps Delnest démontée depuis dans (fig. 38), qui a mitraillé de son avion l’indifférence générale. Bruxelles Le lien avec l’immédiat avant-guerre la façade de la gestapo, un demi- ne possède à vrai dire qu’un seul ressort également des choix esthé- siècle plus tôt. L’aviateur est pra- exemple vraiment audacieux dans tiques opérés pour les rares nou- tiquement le seul héros célébré de la sa forme : l’immense Phoenix 44

096 fig. 42 monument aux cheminots, gare centrale, bruxelles, 1954 (photo de l’auteur).

fig. 43 monument de l’armée secrète, dit enclos des colonels, square frère-Orban, 1957, auteur inconnu (autrefois place du Grand sablon) (photo de l’auteur).

fig. 44 Détail de l’intérieur du mémorial national des martyrs juifs de belgique, square des martyrs juifs à anderlecht, 1970

(a. de Ville de Goyet, 2014 © sprb). bruXelles paTrImOInes n°011-012 – numerO specIal - sepTembre 2014 Journées du patrimoine

097 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

d’Olivier Strebelle avenue Louise, La commune d’Etterbeek choisit Déportation à Paris (Georges-Henri une commande de la Royal Belgo- la place du Roi Vainqueur comme Pingusson, 1962), l’union des dépor- British Union pour les 50 ans de la cadre au monument ambitieux, dans tés juifs de Belgique se lance dans libération de la ville par les troupes le style classique des années 1930, un projet similaire qui se concrétise à britanniques. L’œuvre est publiée dédié au bourgmestre Louis Schmidt Anderlecht en 1970 (fig. 44). À la fois dans le livre 500 chefs-d’œuvre de (fig. 41), mort en déportation (Jules œuvre d’art et lieu de recueillement, l’art belge 20, mais s’agit-il finalement Bernaerts et Henri Derée, 1947). À ce travail d’André Godart rompt avec d’un monument commémoratif ou … noter qu’il faut attendre 1976 pour la tradition du monument-objet si d’un Strebelle ? qu’on ajoute, à côté, une stèle dédiée présente en Belgique. Ce n’est pas à la mémoire de tous les résistants le cas des expressions plus récentes de la commune. À Anderlecht, c’est de l’hommage aux victimes civiles, Les monuments une ancienne résistante, Madeleine comme l’élégante stèle consacrée au de la rupture : l’hommage Forani, qui réalise en 1952 une statue génocide arménien de 1915, à Ixelles à la résistance et d’Albert Ier, tandis qu’à Jette, un buste (Isabelle Jakhian, 1996), ou le mo- aux victimes du souverain est placé la même an- nument Ravensbruck, du nom d’un née dans le parc Paul Garcet, élu lo- camp de prisonniers pour femmes, Consensus et continuité ne sont cal mort au camp de Dachau en 1945. à Woluwe-Saint-Lambert (Thérèse plus de mise dès lors qu’on évoque Du coup, l’étonnant grand monument Chotteau et Thierry Gonze, 2005) la question des victimes civiles, en aux Cheminots (par Debonnaires) (fig. 45). Installé dans un ancien ci- particulier des résistants, bien plus (fig. 42) installé dans la gareC entrale, metière devenu parc Georges-Henri, nombreux que les militaires belges en 1952 également, à la demande de celui-ci exploite cependant bien le impliqués dans la guerre. Certes, les l’association nationale des résistants caractère méditatif du lieu. fusillés du Tir national (fig. 40) ont un du chemin de fer, fait figure de cas nouveau monument, classique et poi- isolé et quelque peu anachronique. gnant à la fois (Georges Vandevoorde, Au final, il n’existe qu’une seule ten- Pour conclure 1956), qui est inauguré par le jeune tative de réaliser un monument à la roi et le cardinal Van Roey, sorte gloire de la résistance qui soit à la Les monuments commémoratifs de de Cardinal Mercier de la Seconde fois cohérent sur le fond et original la Grande Guerre figurent toujours Guerre. Mais l’hommage vient après dans la forme : l’Enclos des Colonels dans l’espace public, mais leur sens la Question royale qui laisse une frac- (fig. 43). Son nom vient des treize a changé. Beaucoup ont été altérés ture profonde dans la société belge 21. chefs de l’Armée secrète qui ont per- ou déplacés au gré des incessants Ainsi, depuis 1945, les mouvements du la vie sous l’Occupation. Il s’agit travaux urbanistiques d’une agglo- de résistance se déchirent en diffé- d’une sorte de temple végétal consti- mération en perpétuelle expansion. rentes factions, les communistes (le tué d’une couronne d’arbustes en- Ceux des unités militaires ont tous Front de l’Indépendance) et les ca- tourée d’une bordure en pierre avec, perdu le lien avec les soldats qui ont tholiques (l’Armée secrète) se taillant au milieu, comme un puits fermé déserté la ville. « Ils sont morts pour la part du lion. Et personne ne par- comportant une inscription. Inauguré la défense des foyers et l’honneur du vient à imposer un culte du souve- par le roi Baudouin en 1957, il quitte peuple belge », peut-on lire sur le nir acceptable par tous. Ce contexte 30 ans plus tard son emplacement mur de l’escalier d’honneur, en tra- n’encourage guère les grandes du Grand Sablon pour rejoindre le versant le complexe d’habitations et commémorations, ni la construction square Frère-Orban. de bureaux installé dans l’ancienne de monuments. Dans le cas du Front caserne des Grenadiers, rue des de l’Indépendance, par exemple, le Une ultime variante de l’hommage Petits Carmes (fig. 46a et 46b). Le principal lieu de mémoire est le mu- aux morts de la guerre apparaît une passant saisit-il vraiment la portée sée national de la Résistance, créé en génération plus tard, lorsque les émotionnelle du message ? Peu 1972 à Anderlecht 22. tensions se sont enfin calmées et importe après tout. Les Bruxellois que les mentalités ont évolué. Car d’aujourd’hui se sont appropriés ces En matière de sculpture, les homma- les familles des victimes des camps monuments sans toujours les com- ges existants sont ponctuels ou de concentration doivent se battre prendre, quitte à n’y voir qu’un élé- indirects. De plus, la nostalgie de longtemps avant que la société n’ac- ment de mobilier urbain. l’union sacrée d’après la Grande cepte de regarder en face la barba- Guerre n’est jamais loin, car les ré- rie nazie dans toute son horreur. Peu Certes, des cérémonies continuent férences au roi Albert Ier abondent. après l’ouverture du mémorial de la d’être organisées chaque année, avec

098 Fig. 45 Monument Ravensbruck, parc Georges-Henri à Woluwe-Saint-Lambert, 2000 (photo de l’auteur).

Fig. 46a et 46b Détail du mémorial des Grenadiers à la caserne Prince Albert, rue des Petits Carmes, Albert Brichart, 1921-1932-1937 : à gauche, l'uniforme jusque 1914 ; à droite, l'uniforme après 1916 (photo de l'auteur). atrimoine t r i m oi nes n °011-012 – NUMER O SPEC I AL - SEP T EMBRE 2014 Journées du P a B ru x elles P

099 Monuments aux morts et aux héros de la patrie

même un certain faste pour les plus flamand David van Reybrouck s’inté- importantes, comme l’hommage au resse pour sa part à la naissance d’un Soldat inconnu. Mais dans une so- autre monument célèbre, celui de ciété où il n’y a pratiquement plus Gabrielle Petit à Bruxelles et à l’hy- d’anciens combattants, la fonction pothétique personnalité de la jeune de passeur de mémoire est ap- femme qui servit de modèle. Dans les pelée à évoluer ou disparaître. C’est deux cas, l’intérêt pour la valeur ar- d’ailleurs le défi relevé par l’Insti- tistique des œuvres cède le pas à la tut des Vétérans – Institut national curiosité quant au contexte de leur des Invalides de Guerre, Anciens naissance. Preuve que cent ans après Combattants et Victimes de Guerre la guerre, elles apparaissent encore (IV-INIG), qui ambitionne de se subs- porteuses d’un message que l’on tituer progressivement aux associa- cherche à décrypter. Les réalisations tions patriotiques dans le travail de postérieures à la Seconde Guerre sensibilisation à la commémoration restent en revanche toujours un sujet des conflits dans lesquelles sont ou d’interrogation et de débat. Il se peut ont été impliqués des citoyens belges. que la typologie du monument ne s’y L’IV-INIG n’est pas la seule à se préoc- prête pas ou appartienne à un autre cuper de l’avenir des monuments temps (celui de la Première Guerre). aux morts. Ainsi, certains auteurs de Il se peut aussi qu’il faille attendre 100 fiction y ont consacré des pages sti- ans, c’est-à-dire 2040, pour pouvoir mulantes et souvent ironiques sur le les assimiler et les comprendre… décalage entre le message originel de l’œuvre et ce qu’il en advient lorsque les commanditaires ne sont plus là. Dans L’Architecte du désastre (2005), l’écrivain Xavier Hanotte raconte, à sa manière, le destin malheureux du mo- nument consacré au premier usage des gaz chimiques à Steenstraete, dynamité par les Allemands en 1941 ; dans Slagschaduw (2007), le publiciste

100 NOTES Monuments dedicated to the country’s fallen and heroes 1. PROST, A., « Les monuments aux 12. « Le monument de l’Infanterie », Commemorative heritage of the morts. Culte républicain ? Culte L’Émulation, 1933, p. 69. civique ? Culte patriotique ? », dans De nombreux textes et photos de two world wars in NORA, P. (dir.) Les Lieux de Mémoire, projets sont repris dans ce dossier. I, Gallimard, Paris, 1984, p. 195-224 ; The Brussels Capital Region host 13. JULIEN, J., Paris, Berlin. BECKER, A., Les Monuments aux morts, an abundance of commemorative mémoire de la Grande Guerre, Errance, La mémoire de la guerre 1914-1933, Paris, 1988. P.U.R., Rennes, 2009. monuments relating to the two world wars. Every municipality owns 2. Voir surtout LECLERC, C., « Les 14. Citation reprise sur le site Monuments aux morts ou la ville hé- http://fondshenristorck.be at least one monument to the fallen: roïque », dans DEROM, P. (dir.), 15. Il existe bien un buste à son nom the fact that Brussels is the capital Les Sculptures de Bruxelles, à l’entrée du cimetière de Laeken, of explains the presence Antwerpen, Pandora, 2000, p. 185-206 mais il est réalisé en 1951 seule- of many monuments dedicated et CLAISSE, S., Du soldat inconnu aux ment. monuments commémoratifs belges to a warhero or commemorating de la guerre 14-18, Académie royale 16. VAN YPERSELE, L., « Roi et Nation. a corporation. Municipal de Belgique, Bruxelles, 2013. La représentation de la monarchie Merci à Ode Goossens pour avoir pendant l’entre-deux-guerres », monuments are mostly situated in mis toute sa documentation à notre Cahiers d’Histoire du Temps Présent, public squares, but several have disposition. 1997, n° 3, p. 22. also added memorials to their 3. LEFEBURE, Ch., La frappe en Belgique 17. FRÉDÉRIC, F., « Les ‘mains cemeteries which pay tribute to occupée, Van Oest, Paris – Bruxelles, coupées’ : le tableau, la légende et the fallen. Thematic monuments 1923. l’histoire », Revue Belge d’Histoire Militaire, 2005, n° 3, p. 35-61. are often found in the vicinity of the 4. ENGELEN, L. et STERCKX, M., L’article développe également le barracks. And, the most famous « Remembering Edith and Gabrielle. rôle de mémorial de la guerre monument of all - the Tomb of the Picture postcards of monuments as rempli par ce musée. portable lieux de mémoire », dans Unknown Soldier - is in fact an VANDERMEULEN, B. et VEYS, D. (dir.), 18. DE SCHAEPDRIJVER, S., « Brussel : addition to the Congress Column. het monument voor Gabrielle Imaging history : photography after the fact, ASP, Bruxelles, 2011, p. 87-103. Petit », België, een parcours van herinnering, I, Bert Bakker, The monuments also reflects the 5. ROOSENBOOM, A., « Les Monuments Amsterdam, 2008, p. 221-32. various degrees of talent of those atrimoine commémoratifs et l’art », L’Émulation, 1921, p. 8 ; « Enfantillages », La Cité, 19. Voir REMEMBER, « Le monument who created them. While many have 1931, p. 153. Philippe Baucq », L’Émulation, a traditional, academic style, some 1924, p. 121-3. Un nouveau 6. « Ganshoren honore ses héros de mémorial est installé en 1974 au are marked by a vivid expressive la grande Guerre », National Illustré, Parc Josaphat, dans une version force or by a particularly pleasing 23 mai 1920, p. 164. tronquée par rapport au projet de interaction with their environment. l’artiste, Jacques Nisot. 7. Histoire racontée en détail dans DELABAYE, M., Autour et alentour 20. DE GEEST, J., 500 chefs-d’œuvre The commemoration of the First d’une maison communale centenaire de l’art belge, Racines, Bruxelles, 1911-2011, Les Amis du Square Armand 2006, p. 384. World War is interlinked with the Steurs, Saint-Josse, p. 50-64. Second World War. The latter pays 21. Sur cette époque particulière et 8. STIEVENART, P., « Léandre ses paradoxes, lire CONWAY, M., tribute to its fallen and its heroes Grandmoulin auteur du Monument aux The Sorrows of Belgium. Liberation in a more toned down and varied Morts d’Uccle », Uccle au temps jadis. and Political Reconstruction, way. The main difference lies in Recueil historique et folklorique illustré, 1944-1947, O.U.P., Oxford, 2012. 1925, p. 156. the abscence of a coherent, global 22. Pour les hommages liés à vision, as had been the case after 9. HEBBELYNCK, G., « Aux morts de 1940-45, voir KESTELOOT, Ch., Molenbeek-Saint-Jean », L’Émulation, « Toponymie et mémoire de la se- 1918. As it is each resistance 1925, p. 178. conde guerre mondiale. Les noms movement commemorated their de rue à Bruxelles », Revue belge own and it did not always take the 10. Aux héros qui reposent au cimetière d’Histoire contemporaine, 2012, d’Ixelles, 1923, p. 13-14. n° 2, p. 108-137. form of a memorial. 11. À noter qu’il existe d’autres monuments aux Aviateurs de la guerre : celui de l’ancien aérodrome t r i m oi nes n °011-012 – NUMER O SPEC I AL - SEP T EMBRE 2014 Journées du P

d’Evere (1936), qui est désormais a au cimetière de Bruxelles et celui à côté du Hall de l’Air du musée de l’armée au Cinquantenaire, sans compter celui des Aviateurs belges

de la RAF, au Heysel. B ru x elles P

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