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Pour ceux qui s’y mettent, le processus est à peu près toujours le même. Un jeune découvre une vidéo sur Internet, il apprend seul à refaire les gestes et chorégraphies, avec des tutoriels parfois postés à l’autre bout du monde. Puis il se filme à son tour en train de danser dans sa chambre et poste la vidéo sur Youtube. Avec le temps et l’aisance, vient le besoin de plus d’espace : il va alors dans son salon, puis dans son jardin, puis dans l’espace public. Dans ce passage à la représentation publique, il y a quelque chose d’assez fascinant à observer les arrière-plans des vidéos : une chambre d’ado, le parking d’une zone périurbaine ennuyeuse, un petit village belge ou une Le web propage tout, même les gestes. banlieue américaine. Souvent, d’ailleurs, Inventer des mouvements, se filmer en des endroits vides d’institutions train de les exécuter puis partager ces culturelles. vidéos, c’est participer à une sorte de (LA)HORDE ola géante, aussi mondiale qu’éphémère. À côté de phénomènes viraux, comme le dab ou le mannequin challenge, émerge un phénomène plus durable : la dissémination de gestes chorégraphiques, autour desquels se constituent de véritables communautés. POST-INTERNET C’est ce qu’explore (LA)HORDE, un collectif au confluent de la danse, des À côté du , il existe une diversité Texte — Catherine Pétillon arts visuels et de la performance. À son de hard — tekstyle, Hakken...— origine, trois artistes : Marine Brutti, plus ou moins aériennes, rapides ou Jonathan Debrouwer et Arthur Harel. variées. Le collectif (LA)HORDE a Pour se constituer une culture commune, rassemblé ces vidéos de danse sur une ils se nourrissent des mêmes influences, plateforme numérique, lancée en 2017. Ils livres, spectacles... et de Youtube. C’est en font aussi des installations, comme l’an là qu’ils ont découvert le jumpstyle. dernier à La Gaîté Lyrique, où le jumpstyle Au départ c’est un genre de musique avait empli une salle à 360°. électronique, développé dans les clubs Ces nouvelles manières de mettre en d’Europe du Nord, comme en Belgique ou scène le geste, (LA)HORDE les nomme aux Pays-Bas. « danses post-Internet ».

archives C’est aussi une danse urbaine très Par ce terme, emprunté à l’art dynamique, avec de petits pas sautés, sur contemporain, ils ne désignent pas des beats saccadés. Et surtout un rythme seulement une inspiration venue des très soutenu — autour des 140 bpm réseaux. Mais aussi une implication (battements par minute). Au point que différente du corps. Si l’accès à des chaque session ne dure qu’une vingtaine milliards d’images transforme la question de secondes. Et ceux qui le pratiquent de la représentation, alors qu’est-ce que du geste ont en général un bon cœur et moins de cela signifie-t-il pour la danse, s’interroge 25 ans. le collectif. Car ces danses sont pensées pour l’écran. Il faut danser de profil pour PRIVÉ / PUBLIC être sûr de bien montrer tous les gestes. Il faut toujours rester dans le cadre, sans Le jumpstyle, c’est avant tout une danse mouvement de caméra nécessaire. de salon. Au sens propre. Ou plutôt de Si l’apprentissage de nouveaux pas se chambre. fait d’abord grâce à de nombreuses (LA)HORDE, archives du geste 28 (LA)HORDE, archives du geste 29

répétitions solitaires et des tutos trouvés manière collective les « danses post- en ligne, la suite se fait en groupe. Internet ». Ces danseurs autodidactes créent une Mais on peut aussi regarder cette communauté mondiale. Partie d’un plateforme comme une manière de épicentre en Belgique et Hollande, répertorier des mouvements, d’archiver celle-ci a vite essaimé en Ukraine, au de nouveaux gestes. Alors que la danse Canada, en Malaisie... Et ce qu’observe et les chorégraphies font l’objet de (LA)HORDE, c’est la manière dont chaque politiques d’archivage numérique, ces culture amène sa spécificité, dans une vidéos constituent une mémoire de ce sorte d’esperanto du geste. Chez les qui n’est pas toujours conservé par les danseurs de jumpstyle des pays de l’Est, institutions. Une mémoire vivante, et en ils voient l’influence des russes : mouvement. Avec ces « danses post- davantage de pirouettes, une meilleure Internet », un geste, une fois en ligne, tenue du buste....En Californie, les continue à être partagé, transformé. pointes, qui ont déjà rencontré le hip- À exister. hop, apparaissent aussi dans le jumpstyle.

EN LIGNE / HORS LIGNE

Autre caractéristique du processus, le va- et-vient entre ce qui se passe en ligne et hors ligne. Les danseurs commencent par se filmer eux-mêmes pour s’affronter lors de compétitions virtuelles. Mais certains

se retrouvent physiquement dans des championnats, où des ligues s’affrontent lors de battles, sortes de concours de performances. Avec quelques-uns de ces danseurs, (LA)HORDE mène aussi un travail chorégraphique, en plateau. Ils font monter pour la première fois sur scène ces habitués de Youtube. Comme avec To da Bone, spectacle créé en 2017 avec des danseurs venus d’Ukraine de Hongrie, du Canada, dont l’intro avait été présenté lors du concours Danse élargie au Théâtre de la Ville à Paris en 2016. Ce travail, tout comme leur plateforme numérique, constituent une tentative de définir de (LA)HORDE, movement archives 30 (LA)HORDE, movement archives 31

PRIVATE / PUBLIC

Strictly speaking, jumpstyle is a ballroom . Or rather a bedroom dance. For those who get into it, the process is almost always the same. First, young people discover jumpstyle videos on the Internet and learn how to imitate the moves and choreography on their own, sometimes through tutorials posted from

the other side of the globe. Then they film themselves dancing in their bedroom and post the video on YouTube. With time and increasing ability comes the need for more space: first the living (LA)HORDE room, then the backyard, then the public sphere. In the transition to public performance, it is fascinating to observe the backdrops in videos: a teenager’s

The web propagates everything, even gestures. People who invent dance moves, record themselves performing them, and then share these videos online are, in a way, doing The Wave on a huge scale, both global and fleeting. In addition to viral trends such as the dab and the bedroom, a parking lot in a dreary peri- Mannequin Challenge, a more lasting urban area, a small Belgian village, or an Original text — Catherine Pétillon phenomenon has emerged: the online American suburb. Often, incidentally, Translation — Lynda Stringer dissemination of dances around which areas devoid of cultural institutions. communities have formed. (LA)HORDE, a collective at the crossroads POST-INTERNET of dance, visual arts, and performance art, explores this world. Its three Besides jumpstyle, there are various founding members are artists: Marine other hardstyle dances—like tekstyle and hakken—that are more or less bouncy, fast, or varied. (LA)HORDE gathers these dance videos on a digital platform launched in 2017. The collective also mounts related installations, including an exhibition last year at La Gaité Lyrique, where movement Brutti, Jonathan Debrouwer, and Arthur jumpstyle filled 360 degrees of a room. Harel. To build a shared culture, they (LA)HORDE uses the term “post-Internet sought inspiration in the same influences, dance” to describe these new ways books, performances… and YouTube. That of staging movement. Borrowed from was where they discovered jumpstyle. In contemporary art, the term refers not the beginning, it was an electronic music only to inspiration from social networks, genre that developed in the nightclubs of but also to different ways of involving the archives Western Europe, in particular in Belgium body. The collective raises the following and the Netherlands. question: if access to billions of images is It is also a very energetic urban dance transforming representation, what does featuring small hopping steps over that mean for dance? For these dances choppy beats. And, especially, a very are intended for the screen. For example, brisk tempo—around 140 beats per the dancers are filmed in profile so that minute (bpm)—to the point that every all the choreography can be fully seen session only lasts about twenty seconds. and they always stay in the frame so that And those who dance it generally have a the camera does not have to be shifted healthy heart and are under age 25. unnecessarily. (LA)HORDE, movement archives 32 (LA)HORDE, movement archives 33

choreography, these videos are records of things that are not always preserved by institutions. They are also living—and moving—memories. In “post-Internet dance,” a gesture, once online, continues to be shared and transformed. Continues to exist. While new dance steps are first learned through repeated solitary practice and tutorials found online, the next stage involves a group. Self-taught dancers have created a global community. Starting from its epicenter in Belgium and the Netherlands, this community swiftly spread to places like Ukraine, Canada, and Malaysia. And (LA)HORDE has observed how each culture brings its specificity, in a sort of gestural Esperanto. They see, for example, the influence of Russian in jumpstyle dancers from Eastern European countries: more pirouettes, better posture. In California, dancing on tiptoes, which has already been incorporated into hip-hop, also occurs in jumpstyle.

ONLINE / OFFLINE

The process is also characterized by the back-and-forth between what happens on and off line. Dancers start by filming themselves to confront each other in virtual competitions. Some of them actually meet in physical tournaments where leagues face off in performance contests called battles.

(LA)HORDE also does choreographic work with some of these dancers in a studio. They showcase these YouTubers on stage for the first time.

An example is To da Bone, a show created in 2017 with dancers from Ukraine, Hungary, and Canada. The intro for it was presented during the “Danse élargie” competition at the Théâtre de la Ville in Paris in 2016. Like the digital platform, this work seeks to define “post-Internet dance” in a collective manner. The platform can also be viewed as a means of identifying and archiving new dance moves and choreography. While digital archival policies cover dance and