UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Permanences et évolutions des figures de . Les discours médiatiques des derniers mois de présidence.

Cécile Rémusat Date de soutenance : 31 août 2007 Directrice de mémoire : Mme Isabelle GARCIN- MARROU, maître de conférences en Communication

jury: M. Max SANIER, maître de conférences en Communication

Table des matières

Remerciement . . 6 Introduction . . 7 La figure de l’homme . . 13 Figure du vieil homme . . 13 Figure du vieil homme dépassé . . 14 L’anniversaire de Jacques Chirac . . 15 Figure du père et du mari . . 22 Le mari . . 22 Le père et le grand-père . . 26 Figure de l’homme sympathique . . 30 Une idée communément admise, une figure médiatique persistante . . 30 L’exemple du Salon de l’agriculture : la figure « populiste » de Jacques Chirac . . 32 Conclusion partielle . . 36 La figure du politique . . 38 Le candidat ? . . 38 Le Figaro . . 39 Le Monde . . 39 Libération . . 40 Comparaison . . 41 Le politique qui existe en opposition à un autre . . 42 Dans la presse, une figure récurrente . . 43 Dans la presse satirique . . 48 Conclusion partielle . . 50 La figure du président . . 52 Le Président en exercice . . 52 Le Monde . . 53 Le Figaro . . 54 Libération . . 55 Comparaison . . 55 Le Président coupable . . 56 Le Monde . . 57 Le Figaro . . 58 Libération . . 59 Comparaison . . 60 Le Président en fin de règne . . 61 Le Monde . . 61 Le Figaro . . 62 Libération . . 63 Comparaison . . 64 Conclusion partielle . . 65 Conclusion . . 68 Bibliographie . . 73 Ouvrages . . 73 Revues . . 73 Documentaires . . 73 Bande dessinée . . 73 Emission télévisée . . 73 Hebdomadaire . . 74 Interviews . . 74 Corpus . . 75 Le Monde . . 75 Le Figaro . . 75 Libération . . 75 Annexes . . 77 Annexe 1 . . 77 Annexe 2 . . 85 Annexe 3 . . 86 Annexe 4 . . 88 Annexe 5 . . 89 Annexe 6 . . 90 Annexe 7 . . 91 Annexe 8 . . 92 Annexe 9 . . 93 Annexe 10 . . 94 Annexe 11 . . 94 Annexe 12 . . 95 Annexe 13 . . 96 Annexe 14 . . 98 Annexe 15 . . 99 Annexe 16 . . 100 Annexe 17 . . 102 Annexe 18 . . 103 Annexe 19 . . 105 Chirac profite des ses vœux pour mettre en garde Sarkozy . . 105 Annexe 20 . . 106 Annexe 21 . . 107 Annexe 22 . . 108 Annexe 23 . . 108 Annexe 24 . . 110 Annexe 25 . . 111 Annexe 26 . . 113 Annexe 27 . . 115 Annexe 28 . . 116 Annexe 29 . . 118 Annexe 30 . . 118 Annexe 31 . . 120 Annexe 32 . . 121 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Remerciement Je tiens à remercier Madame Isabelle Garcin-Marrou qui a toujours trouvé le temps de répondre à mes questions, et qui a su me guider dans ce travail. Je voudrais aussi remercier Monsieur Max Sanier qui a accepté de faire partie de ce jury. Un grand merci à ces deux professeurs pour leur aide et leurs précieux conseils tout au long de mon parcours à l’Institut d’Etudes Politiques.

6 REMUSAT Cécile_2007 Introduction

Introduction

Cette année 2007 marque la fin de la présidence de Jacques Chirac, débutée en 1995. Cette grande figure politique a déjà fait couler beaucoup d’encre en quarante années de carrière, dont douze années passées au pouvoir (annexe1). Les ouvrages consacrés à ce personnage incontournable dans l’histoire contemporaine française ne manquent pas, tout comme les commentaires sur son bilan en tant que président. La personnalité de Jacques Chirac recouvre ainsi de multiples identités évoquées dans les médias. Il s’agit ici d’étudier les permanences et les évolutions de ces figures durant les derniers mois de son mandat. Car Jacques Chirac est un homme politique, un président, mais aussi un homme dont la longue carrière s’achève à soixante-quatorze ans. Ce départ annoncé rythme l’information au cours des derniers mois de sa présidence, dans un contexte de lutte pour sa succession. Cette lutte politique, engagée notamment entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal débute officiellement dès la fin de l’année 2006, période où débute ce travail d’analyse. L’investiture de Ségolène Royal par le parti socialiste, le 16 novembre 2006 marque le point de départ précis de recueil des données. Dans le contexte préélectoral, Jacques Chirac laisse planer le doute sur ses intentions pour 2007, se plaçant ainsi comme un candidat potentiel, même si cette candidature semble finalement improbable pour les observateurs politiques. La présidence de Jacques Chirac semble en effet toucher à sa fin depuis la succession d’échecs politiques et de crises: l’échec électoral massif de la droite aux élections régionales, en mars 2004, le non au référendum sur le projet de constitution européenne, en mai 2005, la crise des banlieues, entre octobre et novembre 2005, et celle du CPE en mars 2006. Autant de remises en cause du gouvernement et du président de la République, qui apparaît dépassé et en décalage avec les inquiétudes d’une partie de la population, notamment les jeunes. C’est ainsi que les rétrospectives sur sa carrière, nombreuses durant la période étudiée, ne manquent pas de rappeler sa rencontre avec des jeunes avant le référendum sur la constitution européenne. Dans cet exercice d’un nouveau genre, le président, apparu en « décalage », disait alors « ne pas comprendre » leur peur de l’avenir1. Malgré ces échecs, malgré les critiques et les doutes, Jacques Chirac choisit de garder pour lui ses intentions jusqu’au tout dernier instant. Il ne se prononcera qu’en mars 2007, soit quelques semaines avant le premier tour. Cette ambiguïté dans la parole se retrouve dans les figures évoquées par les médias quand ils évoquent le président de la République. Les interrogations demeurent à chaque visite officielle, avec la même remarque : est-ce la dernière ? Il en va ainsi de ses « derniers » vœux à la presse ou de « sa dernière rencontre -Afrique ». C’est aussi à cette période que resurgissent des figures apparues dans le passé, ou qu’émergent de nouvelles. Il s’agit de s’interroger sur l’apparition de ces identités, permanentes ou en évolution, et leur explication dans le contexte politique.

1 Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 2006 REMUSAT Cécile_2007 7 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Ces identités sont inhérentes au statut de Jacques Chirac, à la fois homme et chef de l’Etat. Par sa fonction, il représente symboliquement la France. Ernst Kantorowicz 2évoque la dualité de l’homme et du dirigeant en l’appliquant aux souverains. Dans « Les Deux Corps du Roi », il distingue un corps naturel et un corps politique. L’objet de cette étude repose en partie sur cette vision de Jacques Chirac, à la fois homme et homme d’Etat. Une nuance est cependant apportée avec une distinction entre la figure de l’homme politique et celle du président. Car le statut d’homme politique apparaît comme un point intermédiaire entre celui de président de la République et celui de simple citoyen. En effet, l’homme politique est sujet à des luttes, des oppositions, ainsi qu’à des doutes et des remises en question. Le président, se doit, en théorie, d’incarner un peuple dans son ensemble, et se place au dessus des luttes pour le pouvoir, puisqu’il possède ce pouvoir. Quant à l’homme, il est celui qui se définit comme simple être humain, mû par des passions, et qui n’existe pas par ce qu’il représente mais par ce qu’il est en essence. Il s’agit ainsi de se pencher sur le corps naturel de Jacques Chirac, évoqué dans les médias, puis sur son corps politique. L’émergence de la figure de l’homme dans les discours médiatiques sur un dirigeant politique existe depuis quelques années, ce qui motive aussi l’analyse de cette identité. Dominique Mehl 3évoque ainsi une « psychologisation du discours public, du jeu social et politique et de l’homme publique. » Il s’agit ainsi de comprendre comment les médias abordent la vie privée d’un homme public, et dans quel but. Il s’agit aussi de savoir si cette intrusion d’une figure plus personnelle se fait en contradiction avec les autres, plus professionnelles, et si cette figure profite ou non à l’homme public. Il est important d’analyser dans quel contexte émerge cette identité nouvelle, inhabituelle, qui place Jacques Chirac dans un autre registre que celui du président ou de l’homme politique : il apparaît comme un mari, un père, un grand-père, avec des traits de caractère reconnus. Jacques Chirac apparaît dans la posture du chef de famille de façon assez rare. La médiatisation de sa femme, Bernadette, lors notamment de l’opération « pièces jaunes », qui se tient chaque année, rend présente, de façon implicite, la figure du mari. Cette figure s’affirme surtout quand le président Chirac est évoqué par sa femme. Et c’est ce qui se produit à la fin de son mandat. Par les paroles de , la figure du mari devient de plus en plus présente. La figure du père est un aspect très mystérieux de Jacques Chirac, qui ne se montre jamais avec ses deux filles. Sa cadette, Claude, le suit dans ses déplacements et s’occupe de toute la communication du président, mais leurs relations apparaissent alors très professionnelles, d’autant plus que Claude, pourtant la plus exposée des deux filles de Jacques Chirac, demeure elle-même loin des médias. Quant à sa fille aînée, Laurence, de santé fragile, elle n’apparaît jamais en public. La figure du père concernant Jacques Chirac, quand elle resurgit, apparaît alors comme douloureuse ; une certaine pudeur et un grand silence entourent donc cette figure. Pourtant, là encore, Jacques Chirac parle de sa paternité et d’une certaine culpabilité avant de quitter l’Elysée. La situation est à peine différente pour la figure du grand-père. Jacques Chirac a un seul petit-fils, Martin. Même si celui-ci a toujours, comme le reste de la famille, été éloigné des médias, Jacques Chirac n’hésite pas, là non plus, à le présenter en public, à ses côtés. Les deux autres identités apparaissent incontournables de fait.

2 Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957 3 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996 8 REMUSAT Cécile_2007 Introduction

Celle de l’homme politique se distingue par deux figures récurrentes dans les médias durant ces derniers mois de présidence : une opposition constante à Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, et un doute permanent sur l’annonce officielle de son départ, ou, de façon très peu probable, de sa candidature. Cette opposition politique, voire personnelle à un autre acteur ainsi que ce statut de candidat potentiel ne peuvent pas être traités dans le cadre de la figure du président. La figure du candidat potentiel s’impose peu à peu par le silence du président. A de nombreuses reprises, Jacques Chirac aurait eu l’occasion de préciser ses intentions pour 2007 mais s’en est abstenu, multipliant les sous-entendus et suscitant le doute. Par exemple, lors du dernier sommet France-Afrique, Jacques Chirac déclare : « c’est mon dernier sommet…pour cette année ! » Malgré ou à cause de ces incertitudes, les médias ne manquent pas de le décrire en opposition à Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît comme le double de Jacques Chirac, en plus jeune. Leurs carrières, leurs ambitions respectives, leurs parcours sont, pour les observateurs, des plus comparables. La dernière identité, la figure du président, fait partie des figures permanentes en douze ans de magistrature suprême. Elle recouvre ainsi de multiples réalités pendant la période étudiée : un président en exercice, qui demeure à la tête de l’Etat même dans un contexte préélectoral, et doit remplir ses fonctions de représentant de la France lors de voyages officiels. La figure du président en fin de règne apparaît elle aussi : Jacques Chirac, même s’il est toujours le chef de l’Etat, ne semble plus détenir le pouvoir pour longtemps. Une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques entend prendre la relève. A ces deux identités se joint une troisième, déjà préexistante depuis plusieurs années, mais qui resurgit peu avant la fin de son mandat: celle du président coupable. En effet, pendant la présidence de Jacques Chirac, des « affaires » retiennent l’attention des médias. Depuis les années 1990, le nom de Jacques Chirac est régulièrement évoqué dans huit affaires judiciaires impliquant notamment la Mairie de . La plupart de ces affaires sont déjà jugées (certains de ses proches collaborateurs comme Michel Roussin, Yvonne Caseta ou Alain Juppé ont été condamnés), classées sans suite ou sont en cours. Durant son mandat de Président de la République, Jacques Chirac refuse de témoigner devant la justice et de se rendre aux convocations des juges, invoquant le statut pénal de sa fonction et l’immunité présidentielle qui en découle. Le 16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat) celle-ci arrive à son terme et ce retour au statut de simple citoyen fait resurgir dans la presse la figure du politicien malhonnête qui va enfin devoir rendre des comptes. Méthode d’analyse

L’objectif est de confronter trois quotidiens : Le Monde, le Figaro et Libération et de s’interroger sur les permanences dans leur traitement d’une information, leurs similitudes, leurs différences. Ces trois quotidiens nationaux reflètent trois lignes éditoriales distinctes, ainsi que trois positionnements politiques. Le Monde serait plutôt de centre gauche, le Figaro, de centre-droit, et Libération serait le journal le plus à gauche des trois. Il s’agit de vérifier si ces positionnements politiques connus influent sur la manière de traiter l’actualité de Jacques Chirac : les figures abordées sont-elles les mêmes pour un sujet identique ? Sont-elles variées ? Les qualificatifs pour désigner Jacques Chirac sont- ils propres à un quotidien ?

REMUSAT Cécile_2007 9 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Il s’agit d’étudier trois articles par thème et de les comparer. Issus des trois quotidiens étudiés, les trois papiers choisis traitent toujours du même événement, afin de faire ressortir les différences entre leur traitement de l’information. L’objectif consiste à observer comment le Monde, le Figaro et Libération couvrent un même événement, afin de mettre en exergue leurs similitudes, et leurs différences. Après l’étude de chaque article, l’analyse se concentre sur leur comparaison, en développant notamment quelles autres figures sont présentes hormis celle initialement étudiée. Avant de procéder à une comparaison des trois quotidien, qui peut faire apparaître de nouvelles figures, chaque article est analysé. Dans cette analyse préliminaire, il s’agit de se concentrer sur la figure premièrement évoquée, afin de voir de quelle façon cette figure apparaît dans chacun des trois quotidiens. Il s’agit ainsi d’étudier de façon particulière les qualificatifs, les attributions de paroles, les citations choisies et leur recontextualisation par le média. L’angle de l’article demeure capital, ainsi que la volonté ou non du médias de faire ressortir la figure supposée. Les événements sur lesquels portent les articles étudiés sont sélectionnés selon leur pertinence en rapport avec le thème étudié. La figure de l’homme : Pour évoquer la figure du vieil homme, il s’agit de privilégier une étude des articles concernant le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac, qui a lieu le 29 novembre 2006. Pour la figure du mari, l’étude porte sur l’écho médiatique de l’émission « Vivement Dimanche », consacrée à Bernadette Chirac, diffusée le 11 février 2007. La figure du grand-père, assez rare, transparaît de façon évidente avec l’apparition publique du petit-fils du président, lors d’une visite officielle, le 3 avril 2007. Dans le cadre de l’identité plus « populiste » et « sympathique » de Jacques Chirac, aucun événement ne relève objectivement de ce registre, soumis à la subjectivité de chacun. Mais une manifestation annuelle permet d’aborder cette dimension de l’identité de Jacques Chirac : la Salon de l’Agriculture, qui se tient le 5 mars 2007. Il s’agit donc de se concentrer sur le côté « populaire » de l’homme d’Etat, relayé ou non par les médias, et sa façon d’aborder les hommes. La figure de l’homme politique : Elle recoupe deux dimensions : le candidat potentiel aux élections présidentielles et le politique qui existe en opposition à Nicolas Sarkozy. La presse évoque pendant cette période la possibilité d’une candidature de Jacques Chirac. Même très peu probables, celle-ci doit rester envisageable du fait du silence du principal intéressé, jusqu’au tout dernier instant. Pour étudier cette figure du candidat potentiel, il s’agit d’étudier le traitement médiatique de ses vœux aux Français, le 31 décembre 2006, pendant lesquels il donne des orientations d’avenir, tel un futur candidat, sans annoncer son retrait de la vie politique. La figure de Jacques Chirac en opposition à un autre homme politique aurait pu recouvrir de multiples facettes, Jacques Chirac ne manquant pas d’opposants. Mais de façon très claire, durant la période étudiée, les médias se concentrent sur les tensions qui existeraient entre lui et une personne précise : Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

10 REMUSAT Cécile_2007 Introduction

Cette opposition pourrait prendre trois dimensions car elle concerne à la fois deux hommes qui se connaissent depuis des années, ainsi qu’un président et son ministre. La juste mesure entre les deux étant une opposition entre deux hommes politiques. Tout comme d’autres figures de Jacques Chirac énoncées dans les médias, celle-ci semble difficile à concentrer autour d’un unique événement. Car cette figure ressort dans la majorité des articles consacrés à Jacques Chirac durant les derniers mois de son mandat. Mais le discours médiatique semble avoir stigmatisé cette opposition de façon accentuée après les vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, le 3 janvier 2007. Ce discours à son équipe gouvernementale lui aurait permis, selon la presse, d’adresser directement des avertissements à Nicolas Sarkozy. D’un discours apparemment destiné à plusieurs destinataires, les trois quotidiens étudiés retiennent ainsi surtout un message à l’attention d’un seul homme. La figure du président : Elle se distingue en trois catégories : le président en exercice, le président coupable, et le président en fin de règne. La figure du président en exercice demeure le point de base de chacun des articles consacrés à Jacques Chirac lors de déplacements officiels. L’un d’entre eux retient particulièrement l’attention : son hommage aux Justes de France, le 18 janvier 2007. Cet événement sert de base à l’étude de cette figure car il se produit au moment même où les médias n’hésitent pas à présenter jacques Chirac sous les traits de l’homme politique, candidat ou s’opposant à un autre. Mais dans cette période de trouble des identités, la figure du président demeure présente. Le président coupable est une figure qui ressort le 11 avril 2007 dans les médias, à la sortie d’un article du Canard Enchaîné, selon lequel Jacques Chirac aurait passé un accord secret avec Nicolas Sarkozy afin d’échapper à la justice à la fin de son mandat. Le président en fin de règne est une figure récurrente durant les derniers mois du mandat de Jacques Chirac, mais trouve un large échos dans la presse le 11 mars 2007, lorsque le président annonce finalement ses intentions pour les prochaines élections. Les derniers doutes sur sa candidature disparus, Jacques Chirac disparaît peu à peu de la scène médiatique, avec un dernier adieu peu avant la passation de pouvoir au nouveau président Sarkozy. Une conclusion partielle vient clore chacune des trois parties. Ces conclusions ne visent pas à reprendre les analyses précédentes en les confrontant une nouvelle fois. Il s’agit plutôt d’une ouverture à partir d’un ou plusieurs ouvrages pour aborder sous un angle différent la figure choisie. Il s’agit alors parfois de sortir de l’analyse purement médiatique. Pour la figure de l’homme, cette conclusion porte sur la construction d’une identité personnelle du politique par les médias. Brigitte le Grignou et Erik Neveu4 évoquent un dévoilement des affects dans « Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée » . Mais il s’agit aussi de démontrer que l’homme politique maîtrise la construction de ces identités, comme le montre Dominique Mehl, dans « La télévision de 5 l’intimité » .

4 Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée 5 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996 REMUSAT Cécile_2007 11 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Pour la figure du politique, l’ouverture s’effectue grâce à une étude d’ Annie Collovald dans la revue « Actes de la recherche en sciences sociales » 6portant sur les outils biographiques du politique. On voit ainsi comment se construit l’identité de l’homme politique, entre parcours professionnel et données plus personnelles. Pour la figure du président, la conclusion partielle se base sur une comparaison de trois fins de règne présidentiel. Le point de vue de l’historien Henri Amouroux7 permet d’aborder de façon plus critique celui du journaliste, remettant en perspective les figures évoquées par les médias.

6 Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988 7 Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007 12 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

La figure de l’homme

Jacques Chirac est certes le cinquième président de la cinquième République, mais il n’est plus réduit à sa seule fonction politique depuis de nombreuses années. Un recadrage identitaire s’opère en effet lors de sa première élection au poste de président, en 1995. Ce recadrage s’effectue précisément durant la campagne de 1995 qui l’opposait à Edouard Balladur, présenté comme favori. La personnalité de Jacques Chirac est alors mise en avant dans certains médias, pour expliquer d’une façon plus psychologique son parcours politique. Si ce type d’analyse débute de façon parodique dans les « Guignols de L’info », il est ensuite repris dans certains papiers comme ceux de Ghislaine Ottenheimer au « Nouvel Economiste », ou de Pascale Nivelle à « Libération ». Dès lors, la personnalisation de ce politique se répand, comme le soulignent Annie Collovald et Erik Neveu : « l’intimité de Jacques Chirac va être exploitée alors qu’auparavant il n’était qu’un personnage public sans 8 vie privée » .

Cette figure de Jacques Chirac en tant qu’« homme » est peut-être plus que jamais présente dans les discours médiatiques durant ses derniers mois de présidence. Jacques Chirac fait ainsi figure de vieil homme, mais aussi figure de père, de mari, et de grand- père. Le nom de Jacques Chirac est en outre associé depuis ses premières années de présidence à un adjectif laudatif employé autant par ses amis que par ses ennemis politiques (notamment les ministres socialistes durant la cohabitation de 1997-2002) 9: Jacques Chirac serait un homme « sympathique ». Une sympathie qui se traduit par l’image devenue commune depuis 1995 de Jacques Chirac proche du peuple. L’émergence de cette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et Erik Neveu10 serait alors née de la représentation purement fictive qu’en auraient fait les Guignols de l’Info pendant la campagne présidentielle de 1995.

Figure du vieil homme

Ernst Kantorowicz formule, à partir du cas de Frédéric II de Hohenstaufen, sa théorie des « deux corps du roi »11 : le corps mortel, sujet aux vicissitudes et aux injures de la vie, et le corps immortel, corps glorieux qui survit à l’enveloppe charnelle. Il s’agit ici de s’intéresser au corps mortel de Jacques Chirac, aujourd’hui âgé de soixante-quatorze ans, et au traitement médiatique de sa personne autour d’une identité apparue avec le temps, celle du vieil homme. Les médias font-ils état de cette figure identitaire, et dans quelle mesure ?

8 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, septembre 1996, p-110. 9 Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 2006 10 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, 1996, p-104 11 Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957 REMUSAT Cécile_2007 13 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Figure du vieil homme dépassé Jacques Chirac a traversé plus de quarante années de vie politique française. Déjà durant la campagne de 1995, Lionel Jospin le qualifiait de « vieilli, usé, fatigué ». Jacques Chirac fait maintenant figure d’ancien, ou de « vieux lion », comme l’évoque le titre du documentaire de Patrick Rotman, en octobre 2006, consacré à celui qui était encore le président de la République. Un président en fin de règne. Un homme qui fait partie de ce que l’on appelle le troisième âge, ce que n’hésitent pas à souligner certains médias au moment où apparaît une nouvelle génération de politiques. Ainsi, Franz-Olivier Giesbert n’hésite pas à décrire le vieil homme qu’est devenu Jacques Chirac : « avec tous ses kilos perdus, il ressemble de nouveau au jeune homme qu’il était, le grand échalas à lunettes aux airs d’oiseau de proie. Sauf qu’il a une moitié de siècle en plus sur ses épaules et que des lambeaux de peau pendent sous son menton comme du linge à sécher. Sauf, surtout, qu’il ne cesse de se ménager. Il quitte précipitamment les déjeuners pour aller « piquer un roupillon » et même s’il a encore de 12 l’allant, marche souvent à pas comptés, comme un futur petit vieux » . Précisons encore que le récit se fait au présent, ou au passé, mais le futur de Jacques Chirac n’est évoqué qu’à travers l’éventualité de sa mort et du souvenir qu’il laissera de lui. De même, l’émission satirique « Les Guignols de l’info » met en scène le vieux président, proche de la retraite. Qu’il soit en pantoufles, devant sa télévision, en compagnie de sa femme, Bernadette, ou qu’il dise à celle-ci « non, pas cette année », quand elle ôte son peignoir. Il n’est ainsi pas épargné par la figure du vieil homme aux habitudes tranquilles, ayant perdu sa vitalité de jeune homme. La marionnette même a évolué avec le temps : sont apparus verrues, poches sous les yeux, double menton, ainsi que de profondes et inévitables rides.13 14 Pierre Péan lutte contre ces représentations dans son livre « L’inconnu de l’Elysée » : « Chirac a été, est de son temps […] Malgré sa longévité politique, ce sentiment viscéral sur l’égalité des cultures a fait de lui un président parfaitement adapté à son temps».Cette défense farouche du président Chirac, présente tout au long du livre, s’étend à l’homme: « Jacques Chirac n’a certes pas vingt ans, mais il est en pleine forme, physique et mentale ». Pourtant, Pierre Péan semble seul à vouloir atténuer une figure qui s’impose avec le temps. Car ces insistances sur l’âge de Jacques Chirac se font alors que celui-ci laisse encore planer le doute sur une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2007. Tandis que les principaux prétendants sont tous quinquagénaires, Jacques Chirac fait figure de vieil homme dépassé. Jacques Chirac ne peut pas maîtriser les commentaires sur une vérité aussi indiscutable que son âge. Selon les observateurs, ses soixante-quatorze ans pèsent lourd dans ses chances de remporter un troisième scrutin présidentiel consécutif. L’insistance des médias sur la figure du vieil homme ne va donc pas dans le sens d’une nouvelle candidature probable de Jacques Chirac. La figure du vieil homme renvoie à l’image de la retraite, de la fin de l’action, même en politique. L’ancien doit ainsi laisser la place aux plus jeunes. C’est pourquoi la figure de l’homme, tout simplement, semble prendre une part importante dans le traitement médiatique du président de la République. Car une

12 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-401. 13 Les Guignols de l’info, Canal +, 2006 14 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007. 14 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

fois cette fonction symbolique disparue, il ne restera que Jacques Chirac le simple citoyen. Le corps naturel survivra ainsi au corps symbolique. Malgré tout, cette mise en évidence de son âge avancé se fait moins dans la presse écrite que dans la presse télévisuelle. Cet état de fait se confirme dans les discours médiatiques sur le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac.

L’anniversaire de Jacques Chirac Jacques Chirac fête ses soixante-quatorze ans le 29 novembre 2006. Il s’agit alors de son dernier anniversaire en tant que président en fonction. Du côté médiatique, il s’agit de s’interroger sur la façon dont les trois journaux étudiés abordent cet événement : vont-ils insister sur l’âge avancé du président ? L’information aurait pu être minime, personnalisée, et faire l’objet d’un court article, comme l’annonce celui que le Monde fait paraître la veille du jour J, intitulé « 74, l’âge du président ». Ce papier, assez court pour être cité dans son intégralité, donne un aperçu de ce qu’aurait pu être la couverture médiatique de cet anniversaire. « Mercredi 29 novembre, Jacques Chirac fêtera ses 74 ans, après plus de onze années passées à l'Elysée. Ce jour-là, le chef de l'Etat sera à Riga, en Lettonie, pour un sommet de l'OTAN. Le traditionnel pot amical avec ses collaborateurs aura donc lieu le lendemain. Le cadeau : lié aux arts premiers, comme chaque année ? "Ce sera comme d'habitude", confirme-t-on à l'Elysée. Cette fois-là est pourtant particulière. Elle sera sans doute la dernière du genre. Et puis les temps changent : dans la campagne présidentielle qui vient, les principaux candidats, à droite, à gauche ou au centre, sont quinquagénaires. Et l'investiture triomphale de Ségolène Royal, au PS, a donné un coup de vieux à tout le monde. Mais, pour une fois, Nicolas Sarkozy n'en a pas rajouté : il a promis qu'il n'annoncerait pas sa candidature le 29. » L’originalité de cette date réside selon ce papier dans le fait qu’il s’agit du dernier anniversaire du président Chirac pendant ses fonctions : «Cette fois-là est pourtant particulière. Elle sera sans doute la dernière du genre ». Le journaliste ne manque pas de rappeler les informations habituelles, telles que le cadeau d’anniversaire ou la tenue du « pot amical », sans toutefois omettre de rappeler, comme l’indique le titre, le nouvel âge du président, « 74 ans ». Un âge qui semble faire de Jacques Chirac un homme d’un autre temps (« les temps changent » ) par opposition à celui des nouveaux acteurs de la vie politique, pour la plupart, « quinquagénaires ». Comme tout le monde, Jacques Chirac prend alors « un coup de vieux » à travers ces quelques lignes, qui renforcent la figure du vieil homme désormais applicable au président français.

Mais celui-ci va finalement bénéficier d’une couverture médiatique quelque peu différente le jour même de son anniversaire ou le lendemain (Le Monde publie le 30 novembre un long papier au ton très différent). En effet, la presse a de quoi rebondir sur du nouveau, grâce à la crise diplomatique que cet anniversaire aurait pu provoquer. Une crise qui déplace l’attention (du moins pour le Monde et le Figaro) depuis « l’âge du président » jusqu’à « l’anniversaire du président ».

REMUSAT Cécile_2007 15 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Car Jacques Chirac se trouve alors au sommet de l’OTAN, à Riga, en Lettonie. Or, son « ami » 15 Vladimir Poutine, le président russe, entend venir lui présenter ses vœux, ce qui n’est pas du goût de certains dirigeants est-européens ou de George W. Bush. Car d’une part cette visite imprévue serait la première d’un président russe dans l’un des trois pays baltes, avec lesquels les relations ne sont pas des plus amicales, depuis leur indépendance en 1991. Et d’autre part, elle risquerait d’éclipser le véritable événement, le sommet de l’OTAN, dont la Russie ne fait pas partie.

Par conséquent, l’anniversaire de Jacques Chirac se retrouve au cœur de l’actualité du jour, mais cette fois, dans les pages internationales. Pour autant, chaque quotidien traite l’événement à sa manière, notamment le Monde et le Figaro, qu’il semble opportun de comparer puisque les deux quotidiens choisissent de traiter cet anniversaire sous l’angle de la crise diplomatique. Libération, en revanche, se distingue, évoquant davantage le « faux 16 suspense » sur les intentions de Jacques Chirac pour les présidentielles de 2007. C’est donc ainsi que titrent le Monde , le Figaro et Libération, le 29 novembre 2006 (et le 30 novembre 2006 pour Le Monde ): Le Monde, le 30 novembre 2006 : « Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversaire de Jacques Chirac » (annexe 2) Le Figaro, le 29 novembre 2006 : « un anniversaire très diplomatique pour Chirac » (annexe 3) Libération, le 29 novembre 2006 : « 74 ans aujourd'hui, et après? » (annexe 4)

Le Monde Le Monde revient sur l’anniversaire de Jacques Chirac et garde une certaine distance tout au long de l’article, traitant l’information sous l’angle des interrogations qu’elle suscite chez les délégations, comme un point de vue extérieur, en quelque sorte depuis les « coulisses ». Ont ainsi la parole : « Les délégations » qui s’interrogent. « Les représentants des pays est-européens » qui s’indignent. « Des représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui « soupçonnent » Jacques Chirac de « russophilie ». « La présidence française » qui offre« la réponse officielle ». « Le Kremlin » qui regrette que la rencontre n’ait pu avoir lieu. Une « source américaine » selon laquelle l’affaire est minimisée. « George Bush » qui a fait une déclaration, peu applaudie du côté français, à l’intention de l’Ukraine et de la Géorgie, concernant leur éventuelle entrée dans l’OTAN. « Les diplomates français », sur la portée « diplomatique et symbolique » de la visite. Ces intervenants, en majorité critiques ou en opposition envers Jacques Chirac, sont directement cités, exceptés « les délégations » qui s’interrogent et « Les représentants des

15 Expression employée dans les articles du Figaro, « un anniversaire très diplomatique pour Chirac », paru le 29 novembre 2006, et de Libération, paru le même jour, « 74 ans aujourd’hui, et après ? ». 16 Expression employée dans l’article de Libération. 16 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

pays est-européens » qui s’indignent. Pourtant, ils sont les premiers évoqués, juste avant les « représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui soupçonnent Jacques Chirac de « russophilie ».Dès les premiers paragraphes la critique s’impose par la parole donnée aux détracteurs qui « s'indignaient » , ou soupçonnaient (« Jacques Chirac était soupçonné » de « complaisance » et de « faire cavalier seul » .) « Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de pays est-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le but de voler la vedette à un sommet de l'OTAN, au moment où le Kremlin est mis en cause pour sa politique énergétique agressive, et pour son rôle éventuel dans l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres. Jacques Chirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à l'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de faire cavalier seul au sein de l'Alliance. » La seconde partie de l’article donne certes la parole aux défenseurs de cette visite, mais d’une façon plus prudente. Les citations directes sont ainsi plus nombreuses, plaçant le journal comme simple messager et le tenant à distance des propos tenus. « La réponse officielle est tombée mardi, dans la soirée. La présidence française annonçait qu'un « projet de dîner » informel, qui aurait réuni mercredi à Riga M. Chirac, M. Poutine et la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, n'avait « pas pu se concrétiser, pour des raisons pratiques et logistiques ». Le Kremlin commentait de son côté que la rencontre n'aurait « malheureusement » pas lieu. » Et le journal insiste sur le mystère qui entoure l’annulation de la visite, laissant entendre que les excuses diplomatiques ne peuvent laisser dupe : « Les raisons de l'annulation restaient, mercredi, assez mystérieuses, ni l'Elysée ni le Kremlin ne souhaitant s'étendre sur les causes de cette confusion » . Mais finalement, même si les présidents français et russe sont mis en parallèle dans leurs explications et leurs motivations, les critiques ne sont pas tant dirigées contre Jacques Chirac que contre Vladimir Poutine, sur lequel débute et se termine l’article. Sont ainsi tout d’abord rappelés « sa politique énergétique agressive, […] son rôle éventuel dans l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres ». Tandis que la chute de l’article concerne sur un ton apparemment dubitatif (cf. les points de suspension) l’intention du président russe de lever l’embargo sur les vins moldaves. Paradoxalement, Jacques Chirac ne constitue donc pas le point central de l’article du Monde consacré à son dîner d’anniversaire. Il ne semble exister ici qu’en duo avec Vladimir Poutine, comme en témoignent le titre ou même l’interrogation qui sert de point de départ : « Jacques Chirac allait-il marquer, mercredi 29 novembre, son 74e anniversaire en dînant à Riga en compagnie de Vladimir Poutine ? » C’est donc bel et bien le président russe et son hypothétique visite qui semblent faire de l’anniversaire de Jacques Chirac un véritable événement. Un tel article personnalise peu Jacques Chirac (d’où une moindre insistance sur son âge)et donne davantage de relief à sa fonction présidentielle.

Le Figaro Il en va de même pour le Figaro, mais avec d’une part une personnalisation plus présente. Les expressions pour évoquer Jacques Chirac sont ainsi plus nombreuses et diversifiées REMUSAT Cécile_2007 17 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Tandis que le Monde évoque « Jacques Chirac » à deux reprises, ou « M.Chirac », ou encore, d’une façon plus distanciée, « la présidence française »-soit trois expressions en tout pour quatre utilisations- le Figaro en emploie quatre différentes, pour huit évocations. « Jacques Chirac » revient ainsi quatre fois, « le président français », deux fois, tandis que se font plus exceptionnels des termes plus familiers, comme « Chirac », ou plus conventionnels, comme « le président de la République ». On note ainsi que seule une expression se retrouve commune aux deux papiers : « Jacques Chirac », pourtant deux fois plus employée dans le Figaro, qui a tendance à davantage personnaliser cet article. D’autre part, le Figaro se concentre davantage sur le déroulement de la crise, mettant en scène les différents acteurs. La parole est ainsi donnée aux intervenants suivants : De façon directe (citation): « Le Kremlin » « Le porte-parole adjoint du Kremlin, Dimitri Peskov » « Vaira Kike-Freiberga », la présidente lettone « L’Elysée » « Jacques Chirac » « Des responsables de l’Alliance atlantique » « Le porte-parole de l’Elysée, Jérôme Bonnafont » De façon indirecte (discours indirect) : « Vladimir Poutine » « Des responsables de l’alliance »

La répartition de la parole apparaît plus en faveur de Jacques Chirac que dans l’article précédemment analysé, à la fois dans sa répartition et dans son ordonnancement. Les critiques opérées par certains responsables de l’Alliance sont ainsi reléguées en toute fin d’article. Dès lors, même si certains termes retenus sont semblables à ceux de l’article du Monde ( « cavalier seul » ), ils sont ici cités entre guillemets. Ces citations, nombreuses, mettent ainsi la même distance entre le Figaro et les détracteurs de Jacques Chirac qu’entre le Monde et les explications officielles de l’Elysée, comme vu précédemment. Ainsi, quand le Monde incorpore à son article des arguments critiques de la visite de Vladimir Poutine, il le fait le plus souvent en ses propres termes, faisant siens les arguments évoqués par des responsables de l’Alliance. A l’inverse, le Figaro place ces arguments à distance en les faisant apparaître comme une pensée individuelle : Le Monde : « Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de pays est-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le but de voler la vedette à un sommet de l'OTAN » Le Figaro : « « On ne va parler que de ça. Tout le reste va passer au second plan », s'inquiétaient des responsables de l'Alliance atlantique […]» Le Monde : « Jacques Chirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à l'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de faire cavalier seul au sein de l'Alliance. » Le Figaro : « […] en reprochant à la France de faire « cavalier seul et d'avoir « fait beaucoup d'obstruction sur les dossiers à l'ordre du jour ». Certains y voyaient même « une véritable provocation », tant vis- à-vis des autres pays baltes, tenus à l'écart, que des nouveaux pays membres de l'Otan et de l'Union européenne. »

18 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

Ces paragraphes consacrés aux critiques concernant la visite de Vladimir Poutine à Jacques Chirac ne sont pas placés de la même façon dans les deux articles : le Monde les place en tête tandis que le Figaro les cite en dernière partie d’article. Le Figaro ouvre quant à lui son papier sur la fidélité de Jacques Chirac en amitié, qualifiant Vladimir Poutine d’ « ami bien encombrant » . La hiérarchisation diffère donc entre les deux journaux. Cette dimension «amicale » de la rencontre entre Jacques Chirac et Vladimir Poutine (présente avec la photo des deux chefs d’Etat illustrant l’article) est absente dans l’article du Monde, alors que le Figaro, par des termes comme « ami » ou « amitié», confère une portée plus humaine à cet événement. Il en va de même avec la personnalisation des intervenants cités dans l’article. La présidente lettone devient ainsi « Vaira Kike-Freiberga »,le porte- parole du Kremlin, « Dimitri Peskov » et le porte-parole de l’Elysée, « Jérôme Bonnafont ». Comme vu plus haut, Jacques Chirac, lui non plus, n’est pas réduit à sa fonction, puisque son nom est cité cinq fois, quand sa fonction présidentielle n’est évoquée que trois fois. En outre, si le Monde met en valeur les critiques envers cet hypothétique dîner et envers la visite de Vladimir Poutine, le Figaro établit plutôt les rebondissements dont celle-ci a fait l’objet, comme en témoigne l’accumulation des indices temporels dans la narration de l’article : « hier soir », « dès dimanche », « ensuite », « initialement », « dans un premier temps », « hier, en définitive ». Cette narration des faits aboutit à la mise au second plan de toute critique, ainsi que du personnage contesté de Vladimir Poutine, point central de l’article du Monde. En effet, quand ce dernier titre «Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversaire de Jacques Chirac », le Figaro, lui, n’évoque que le président français : « Un anniversaire très diplomatique pour Chirac ». Ces détails semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle le Figaro, journal plus axé à droite que le Monde, montre un peu plus d’indulgence à l’égard du président Chirac. Cette indulgence apparaît à travers la hiérarchisation des paroles et des informations concernant un événement délicat pour le président français. Et pourtant, cette « indulgence » passe aussi par une plus grande personnalisation, au risque de mentionner de façon plus appuyée la vieillesse de l’homme. Car le statut de « doyen » de Jacques Chirac n’est pas oublié, contrairement au Monde, qui se contente de citer son âge sans le commenter (du moins dans l’article du 30 novembre). Le Figaro consacre ainsi le dernier paragraphe de son papier à la seule personne de Jacques Chirac, en rappelant une fois encore sa fidélité en amitié (qui encadre l’article puisqu’elle est citée en première et dernière ligne) : « Né le 29 novembre 1932, le président français est l'un des doyens des dirigeants de ce monde et, avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l'un des plus anciens en exercice. À cinq mois seulement de la fin de son mandat, c'eût été prendre un risque que de s'afficher avec le maître du Kremlin. Mais Jacques Chirac n'en a cure. Il répète depuis toujours qu'« il ne faut pas humilier la Russie ». « À ma connaissance, la Russie est un pays ami », fait valoir le porte- parole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont. Et d'ailleurs, ajoute-t-il, « le président de la République parle de tout avec le président Poutine ». »

Libération

REMUSAT Cécile_2007 19 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Le journal Libération se distingue de ses deux concurrents en adoptant un point de vue décentré pour traiter l’anniversaire du président. La visite de Vladimir Poutine n’est ainsi placée qu’au rang d’anecdote, de façon presque insignifiante. Le journal peut dès lors se concentrer sur les intentions de Jacques Chirac pour les présidentielles de 2007. Deux figures sont intimement liées dans cet article, celles de l’homme, étudiée ici, et celle du politique, analysée plus tard. Car son âge (qui relève de la dimension humaine) et ses mandats successifs (qui relèvent de la dimension politique) font douter d’une nouvelle candidature. Dans un premier temps, l’article de Libération traite de la contestée visite de Vladimir Poutine, pour mieux l’ignorer ensuite. Cet épisode, point central des deux précédents articles étudiés, est ainsi relégué au rang d’anecdote, évoqué en seulement quelques lignes. Avec un ton nettement plus décalé que le Monde et le Figaro, Libération donne rapidement les principaux faits avant de recentrer son papier sur la personne du président. « Persuadé qu'il s'agit de la der de ders pour son «ami Jacques», le Russe Poutine a même tenté de s'inviter aux agapes, alors que son pays n'est pas membre de l'Otan et qu'un leader russe n'est jamais bienvenu dans un Etat balte. Embarrassé, l'Elysée avait expliqué que Poutine avait «exprimé le souhait de venir rencontrer le Président pour lui présenter ses vœux». Finalement, le Kremlin a annoncé hier soir que Poutine ne se rendrait «malheureusement» pas à Riga, «compte tenu de l'impossibilité de coordonner les emplois du temps» ». Dans un second temps, le journal se concentre donc sur les intentions de Jacques Chirac pour les élections présidentielles de 2007, recentrant l’attention de son public sur les affaires intérieures et sur les échéances électorales de 2007. Car celles-ci s’invitent dans le titre, qui s’interroge sur l’avenir, « 74 ans aujourd’hui, et après ? », ainsi que dans le chapô, qui donne d’emblée le ton de l’article. « Alors qu'il fête son anniversaire au sommet de l'Otan, à Riga, Chirac feint toujours de s'interroger sur sa présence à la présidentielle » Le papier de Libération va ainsi à l’essentiel et se focalise sur la personne du président Chirac qui vit ses derniers mois de mandat, comme s’il vivait aussi avec cet anniversaire ses derniers mois d’existence. Certaines expressions témoignent de cette ambiance de fin de vie : « la der de ders », « tournée d'adieux », « derniers mois de mandat », « bilan ».

Dans le même temps, Jacques Chirac est présenté comme un homme qui, malgré son âge et la fin proche de son mandat, n’a pas fini de faire parler de lui. L’article se base sur les propos qu’il suscite de toute part. Interviennent ainsi des personnalités de l’entourage de Jacques Chirac: « Les très rares fidèles » « Des proches, comme François Baroin ou Philippe Douste-Blazy » « Nicolas Sarkozy »par les propos de « l’un de ses bras droit » « Bernadette Chirac » « Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy et ex-avocat du chef de l'Etat » Par ces interventions, notamment celle de Bernadette Chirac et de proches, la figure de l’homme s’impose à l’esprit, et se confond avec celle du politique qui souhaite exister jusqu’à la fin. Comme si Jacques Chirac refusait de disparaître, au sens propre et figuré.

20 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

Ici, la figure du vieil homme n’est pas synonyme de déchéance, bien au contraire. Jacques Chirac apparaît comme celui, « très offensif » qui a « des malices plein son sac » , « a occupé le terrain » et « cherché à peser sur les débats de la présidentielle » en « tourmentant » Nicolas Sarkozy. La confirmation étant donnée par Bernadette : « mon mari n'est pas gâteux». En effet, si l’âge du président est rappelé à titre d’information en ouverture, il n’est pas commenté, comme dans l’article du Figaro rappelant que son âge faisait de Jacques Chirac un « doyen ». Libération , au contraire, met l’accent sur les « malices » de Jacques Chirac. La figure du vieil homme ressemble ici davantage à celle du « vieux singe » que du vieux sage ou du vieillard grabataire.

Comparaison

L’anniversaire de Jacques Chirac pourrait marquer un tournant dans le traitement médiatique du président, à l’approche de la fin de son mandat. Il est certain que ce pas de plus dans le troisième âge ne passe pas inaperçu dans un contexte de lutte préélectorale. Mais seul Libération aborde l’avenir à partir de cet épisode. Le Figaro et le Monde ont une approche plus factuelle. Le passé composé et l’imparfait, temps du récit, sont ainsi plus présents dans ces deux derniers quotidiens, quand Libération emploie aussi beaucoup le présent, dans une démarche plus analytique, ainsi que le futur à travers certaines citations sur l’avenir de Jacques Chirac. La figure du vieil homme n’est finalement pas la plus avancée à l’occasion de l’anniversaire de Jacques Chirac. Elle est parfois supplantée par celle du président qui doit éviter une crise diplomatique.

Les trois titres étudiés traitent de différentes façons les diverses figures identitaires de Jacques Chirac. Ainsi apparaît-il davantage comme le président dans l’article du Monde, la figure de l’homme étant plus présente dans l’article du Figaro, mais surtout, dans celui de Libération. Et pourtant, cette figure ne transparaît pas de la même manière dans ces deux quotidiens puisque le Figaro, même s’il met l’accent sur l’âge avancé du président, semble aussi plus indulgent vis à vis de ce dernier. Le journal n’évoque d’ailleurs à aucun moment la fin de son mandat. Le Figaro et le Monde se rejoignent sur ce point : les deux quotidiens évoquent l’anniversaire de Jacques Chirac comme un épisode du présent, alors que cet anniversaire est un prétexte pour aborder l’avenir dans l’article de Libération. Libération, qui ne dresse en rien le portrait d’un homme en déclin. Le journal insiste en effet sur la malice du président plus que sur son âge. Et la photo illustrant l’article montre un Jacques Chirac souriant devant son gâteau d’anniversaire (légende : « Jacques Chirac et son gâteau, mercredi à Riga »). L’homme n’apparaît donc pas vieux, mais simplement sur le départ, prêt à livrer sa dernière bataille. Cette mise à l’écart de la figure du vieil homme au profit d’une identité plus politique permet peut-être à ce journal de gauche de susciter peu de sentiments chez ses lecteurs à l’égard de Jacques Chirac. En le représentant comme celui qui entend bel et bien exister jusqu’au bout, « comme un général sans armée, prêt à un baroud d’honneur », l’article de Libération suscite l’amusement du lecteur, au mieux, son respect, mais pas sa compassion.

REMUSAT Cécile_2007 21 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Figure du père et du mari

Jacques Chirac a toujours évité d’exposer sa vie personnelle, comme il l’explique à Pierre 17 Péan dans « l’inconnu de l’Elysée » . Cette discrétion, à l’opposé de la nouvelle « peopolisation » du politique, se traduit par une figure du père et du mari plutôt absente des médias. Les seules images de Jacques Chirac avec sa fille Claude demeurent ainsi celles du président en action, puisque Claude Rey Chirac est la conseillère en communication de son père. Et même ces instants sont assez rares, Claude Chirac désirant rester dans l’ombre. Le mystère est encore plus grand autour de la fille aînée de Jacques Chirac, Laurence. Jacques Chirac est aussi le père adoptif d’une vietnamienne, Anh Dao Traxel. Mais là encore la vie privée du président demeure plutôt secrète. Bernadette Chirac, quand à elle, fait partie de la scène publique, en tant que première dame de France, et connaît une forte médiatisation lors de l’opération annuelle « Pièces Jaunes ». Pour autant, les médias font assez rarement référence à la figure du mari pour définir Jacques Chirac. Certes, la vie personnelle du président est évoquée à partir de 1995, dans 18 une « psychologisation […] de l’homme publique » , mais cette identité du président est- elle permanente d’un média à un autre, ou diffère-t-elle selon le type de presse ? Les articles étudiés dans lesquels se retrouvent la figure du père ou du mari sont issus de différents supports, mais très peu de la presse quotidienne nationale.

Le mari L’exemple le plus probant de cette figure durant les derniers mois de présidence de Jacques Chirac est l’émission de Michel Drucker du 11 février 2007, consacrée à Bernadette Chirac. Dans « Vivement dimanche » et « Vivement dimanche prochain », le président Chirac est évoqué et présenté comme le mari de Bernadette, ce qui constitue une grande première. Bernadette Chirac tient donc la vedette et révèle quelques éléments de sa vie avec le président. Ce dernier ne prend finalement la parole que dans un entretien d’une vingtaine de minutes avec Michel Drucker, durant lequel il s’exprime en tant que mari, et non en tant qu’homme public. Le calendrier joue pour beaucoup dans cette intervention télévisée non officielle, puisque la fin du mandat approche avec les élections présidentielles. Jusqu’à ce jour, Jacques Chirac ne s’est pas prononcé sur ses intentions. Et c’est dans « Vivement 19 dimanche » qu’il évoque pour la première fois « l’après » , comme ne manque pas de le souligner la presse avant même la diffusion. L’émission de Michel Drucker fait écho au livre de Pierre Péan, « L’inconnu de l’Elysée » 20 , paru le 14 février 2007, soit presque au même moment. Cet ouvrage se base sur des entretiens de l’auteur avec le président de la République, entre l’été 2006 et le début de l’année 2007. Il s’agit pour Pierre Péan de mettre l’accent sur d’autres aspects de Jacques Chirac, des aspects inconnus. D’où le titre. L’auteur évoque ainsi de façon tout à fait subjective le côté « humain » du Président et entend répondre aux précédents ouvrages, plus critiques, envers Jacques Chirac. Sont ainsi cités puis contrés les arguments ou les 17 Pierre PEAN, « L’inconnu du l’Elysée », Fayard, 2007 18 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996 19 Cf. le titre du Figaro du 9 février 2007, « Jacques Chirac commence à évoquer l’après » 20 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007 22 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

dénonciations parus dans « Le Résident de la République », de Jean-Marie Colombani, « La Tragédie du Président », de Franz-Olivier Giesbert, ou encore « L’Homme qui ne s’aimait pas », du même auteur. Il semble opportun de signaler la proximité entre « L’inconnu de l’Elysée » et « Vivement dimanche », qui se complètent dans le temps et leur support, en donnant une même image de Jacques Chirac. Ainsi, Pierre Péan, lui aussi, laisse la parole à Bernadette Chirac (les interventions de cet ouvrage étant uniquement celles de proches du président ou du président lui-même, contrairement au livre de Frantz-Olivier Giesbert). Les courtes interventions de Bernadette Chirac contribuent à susciter une certaine émotion. Par exemple, lorsqu’elle évoque la mort de la mère de son époux : « il était alors Ministre de l’Agriculture. A la fin de l’été 1973, ma belle-mère, très malade, était à Bity. Mon mari est venu passer 24 heures avec nous. Puis il repart pour Paris, mais, peu après, sa mère meurt. Je réussis à le joindre et lui dis : « c’est fini ! - Déjà ! » me répond-il. Ce «déjà »je l’entendrai jusqu’à la fin de mes jours… » A l’évocation de ce décès, le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir de la peine pour le Président, pour ce fils qui vient de perdre sa mère, pour cet homme qui apprend la terrible nouvelle de la bouche de sa femme. Pleine d’empathie, l’émission de Michel Drucker va dans le même sens. Elle n’a aucune portée critique et évite les sujets qui dérangent : par exemple, la rencontre entre Jacques et Bernadette Chirac à Sciences Po est longuement évoquée, ainsi que leurs études, mais il n’est pas précisé que Bernadette Chirac n’a pas obtenu son diplôme, comme le rappelle le Monde. L’émission, plus encore que l’ouvrage de Pierre Péan du fait de l’image, permet de rendre visible une figure jusque là peu exploitée de Jacques Chirac, notamment dans la presse quotidienne nationale. Et ces confidences présidentielles ne passent pas inaperçues dans le contexte pré-électoral. Le Monde, le Figaro et Libération se font l’écho de cet événement médiatique inhabituel. Pour autant, les trois quotidiens, bien qu’ils traitent le sujet sous trois angles bien différents, ont un point commun : ils ne s’attardent pas sur une figure ultra personnalisée de Jacques Chirac, si ce n’est pour en démontrer « la mise en 21 scène » . Sont ainsi étudiés les trois articles suivants : Le Monde du 13 février 2007 :« Les confidences très encadrées du couple Chirac » (annexe 6) Le Figaro du 9 février 2007 :« Jacques Chirac commence à évoquer l’après » (annexe 7) Libération du 8 février 2007 :« Chirac fait un pas vers la non-candidature » (annexe 8)

Le Monde Le Monde est celui des trois quotidiens qui accorde le plus de place à cette figure « maritale » de Jacques Chirac. Bernadette se voit qualifiée en fonction de Jacques Chirac (« son épouse ») et, plus inhabituel, la réciproque s’applique au président, qui devient « son époux » ou « son mari ». Mais si le quotidien, reprend la rhétorique de l’émission de Michel Drucker, c’est pour mieux la mettre à distance. Ainsi, le journal ne manque pas de faire le parallèle avec le livre de Pierre Péan, pour cette « mise en scène du mandat de Jacques Chirac » où « le hasard n’avait aucune place », avec « beaucoup de non- dits ». Le Monde met alors un brin d’ironie dans son affirmation « du solide les Chirac : cinquante et un an de mariage». 21 Cf. l’article du Monde, paru le 13 février 2007, intitulé « Les confidences très encadrées du couple Chirac ». REMUSAT Cécile_2007 23 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Le quotidien ne manque pas de retranscrire les propos du couple Chirac, de façon plus détaillée que le Figaro et Libération, mais tout en les mettant à distance par le discours indirect et les citations. Ce procédé rappelle celui employé dans l’article sur l’anniversaire de Jacques Chirac à Riga. Chaque propos fait ainsi l’objet d’une construction critique. Par exemple, le journal ne manque pas de rappeler les détails omis par les Chirac sur certains points. « Alors qu'il « n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », comme le dit Mme Chirac, le président a raconté combien il avait été « impressionné », à Sciences Po, par cette jeune fille qui avait pris d'emblée deux exposés. « Elle m'a beaucoup aidé à préparer le concours de sortie », a-t-il souligné. BREVET DE PERSÉVÉRANCE Ce qu'il n'a évidemment pas révélé et que Bernadette Chirac cache soigneusement, c'est qu'elle n'a pas obtenu son diplôme. ». [..] « Le président s'est beaucoup émerveillé, à la télévision, du fait que son épouse lui ait prédit la présence du Front national au second tour, en 2002. Ignorait-il vraiment que c'est Laurence Parisot, alors simplement patronne de l'IFOP, qui avait averti son épouse, dont elle est une protégée ? » Et le journal enchaîne sur « d'autres non-dits » , comme la façon dont Jacques Chirac a vécu l’anorexie de sa fille aînée. Le quotidien entend ainsi interpeller le téléspectateur, devenu le lecteur « invité à comparer ». Pour cela, le Monde semble finalement orienter son lectorat vers le livre de Pierre Péan, à qui Jacques Chirac «en dit bien davantage ». Sont ainsi cités les passages de l’ouvrage consacrés aux infidélités du président, qu’il « fait mine de « découvrir » ». Le Monde termine donc avec une ironie cinglante par déconstruire la figure du gentil mari présente dans « Vivement dimanche ».

Le Figaro Le Figaro accorde moins de place à l’analyse de l’émission de Michel Drucker, évoquée en trois paragraphes en tout début d’article. Le terme « analyse » n’est d’ailleurs pas approprié puisque le quotidien se contente de retranscrire certains passages de l’émission en se concentrant sur l’information politique : « pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera plu au pouvoir ».

Le président apparaît alors comme celui qui « se confie » à Michel Drucker, tandis que Bernadette parle « avec émotion ».Le registre émotionnel est donc activé ici, et renforcé par les nombreux extraits choisis du dialogue. Contrairement au Monde, le Figaro se contente de citer Jacques et Bernadette Chirac sans ajouter de commentaire critique. A peine est- il précisé que l’émission est « préenregistrée ». Les citations sont en outre choisies avec soin, apparemment pour illustrer : Soit la figure paternelle d’un homme qui a le sentiment d’avoir été fidèle à ses convictions pour la France et les Français : « Je me suis investi totalement dans ma mission que je m'étais assignée au service des Français. Alors on peut l'approuver, la critiquer, peu importe, mais j'ai toujours essayé d'agir pour les Français et pour l'idée que je me faisais de la France » Soit l’émotion d’une femme qui doit quitter la maison dans laquelle elle a vécu durant douze ans : 24 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

« Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que l'Élysée lui « manquera beaucoup ». « Mais je m'adapterai. Il faut bien accepter ce que le destin décide. » » Cette évocation du destin s’ajoute à la désormais célèbre phrase de Jacques Chirac qui ouvre l’article : « il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la mort ». Par conséquent, la mort et le destin ouvrent et ferment cette parenthèse du Figaro consacrée à la prestation des Chirac dans « Vivement dimanche ». Le journal confère ainsi une dimension presque spirituelle à la figure de Jacques Chirac, contrairement à la vision plus terre à terre du Monde où Jacques Chirac apparaît comme le mari trompeur, l’homme qui a eu des faiblesses. A l’opposé, le Figaro le présente, par les extraits choisis, comme le vieux sage, retranscrivant parfaitement l’ambiance du plateau de « Vivement dimanche ». En effet, c’est exactement cette image qu’a mise en scène Jacques Chirac lors de son entretien avec Michel Drucker. Comme dans le livre de Pierre Péan, il est apparu calme, serein, portant un regard plein de bienveillance sur ses proches et admettant ses erreurs passées. Loin du discours politique habituel, comme s’il ne cherchait à convaincre personne. Bernadette, de son côté, vante les qualités de son mari, excuse ses défauts et verse presque une larme devant sa reconnaissance affichée. Mais comme le souligne le Monde, cette mise en scène n’a pas lieu à n’importe quel moment, au hasard du calendrier. Il aura fallu attendre la fin de son mandat présidentiel pour que Jacques Chirac s’exprime ainsi. Une personnalisation qui pose les bases de son retour à la vie civile comme simple citoyen, et un moyen de faire parler de lui quand les médias se concentrent sur les figures émergentes de la politique française, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.

Libération Libération ne dénonce pas. Le journal préfère ignorer la dimension très personnelle de l’émission pour se concentrer, comme le Figaro, sur l’information politique. Le quotidien s’interroge : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? » Les papiers du Figaro et de Libération sont à mettre en parallèle puisque les deux quotidiens ne consacrent que quelques lignes à cette émission, choisissent le même angle d’approche (l’évocation de l’après par Jacques Chirac) et les mêmes extraits principaux, notamment les deux précédemment cités, repris à l’identique dans Libération : Il avoue ne pas être « quelqu’un qui vit dans le culte d’un passé». «Je me suis investi totalement dans la mission que je m’étais assigné au service des Français. On peut l’approuver, la critiquer, peu importe. J’ai toujours essayé d’agir pour les Français. Si je n’ai plus de responsabilités de cette nature, eh bien, j’essaierais de servir la France d’une autre manière », dit-il. Michel Drucker poursuit l’entretien et lui demande s’il y a une vie après la politique. Chirac répond sans détour. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la mort .» Libération semble alors jouer sur le registre de l’émotion, au même titre que le Figaro. Par exemple, le Figaro précise que « Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que l'Élysée lui « manquera beaucoup ».

REMUSAT Cécile_2007 25 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Et Libération déclare que « Bernadette Chirac revient alors au bord des larmes et avoue que « cette maison [l'Elysée] me manquera beaucoup, mais je m’adapterai, il faut bien accepter ce que le destin décide ». » L’expression « au bord des larmes » va encore plus loin que la simple « émotion » dont parle le Figaro. Mais le ton de Libération peut alors paraître empreint d’ironie, contrairement au papier de son concurrent. L’information politique est ainsi traitée avec distance et humour par Libération, qui s’interroge en tout début d’article :" Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? » , contrairement au Figaro, où le ton employé s’avère plus précautionneux et dramatique : « LE JOUR où... Pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera plus au pouvoir. »

Comparaison La figure de l’homme est présente dans les trois papiers qui concernent cette émission. Le Monde se penche sur le couple et la vie de famille du président, tout comme le Figaro et Libération, qui ne peuvent que rebondir sur les confidences de Bernadette Chirac. Mais l’analyse démontre que le registre de l’émotion semble plus présent dans le papier du Figaro, quand la critique et l’analyse prédominent dans le papier du Monde et l’ironie, dans celui de Libération. Mais l’émergence d’autres figures par le Figaro et Libération nuancent quelque peu ce constat : le Figaro développe ainsi celle du politique en opposition à un autre et du président en fin de règne, cette dernière figure étant reprise par Libération. Le Figaro évoque ainsi les derniers déplacements du chef de l’Etat, comme son « ultime sommet France-Afrique » , tandis que Libération cherche dans les propos de Jacques Chirac la réponse à la question : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? » Cette remise en perspective du sujet par deux quotidiens opposés dans leur ligne politique surprend. Ils exploitent ainsi les mêmes informations, pour se poser la même question : qu’en est-il de l’avenir de Jacques Chirac ? Or, cet avenir semble dépendre d’un autre homme politique pour le Figaro, qui est le seul des trois quotidiens à relever, par de multiples allusion, l’opposition entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy : « A droite, Nicolas Sarkozy occupe tout l'espace » « le sarkozyste François Fillon veut « tourner la page » des années Chirac » « Le chef de l'État soutiendra-t-il formellement le président de l'UMP, alors que leurs relations restent tendues ? » Cette figure procure une dimension différente à l’article du Figaro en comparaison de celui de Libération. Le Figaro transforme ainsi la succession de Jacques Chirac en lutte, soulignant que « Jacques Chirac n'est pas homme à renoncer facilement au pouvoir ». La figure de l’homme ne prend pas alors la seule dimension familiale, mais semble influencer la figure du politique. L’opposition à Nicolas Sarkozy et le goût du pouvoir apparaissent comme faisant partie intégrante du personnage. C’est pourquoi des trois quotidiens, le Figaro est celui qui développe le plus cette identité personnalisée de Jacques Chirac.

Le père et le grand-père La figure paternelle de Jacques Chirac est peu mise en avant dans les médias en général, Jacques Chirac protégeant beaucoup sa vie privée. Mais à quelques semaines de la fin 26 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

de son mandat, c’est le président lui même qui s’affiche aux côté de son petit fils, Martin. Une mise en scène familiale reprise par les quotidiens, notamment avec le cliché, rare, du petit garçon. Mais l’identité de Jacques Chirac en tant que père et grand-père transparaît davantage, et de façon plus ponctuelle, dans un autre type de presse, plus orientée « people ». Quatre couvertures de Paris Match lui ont ainsi été consacrées : en 1996, « Chirac, grand-père heureux », 1997, « Chirac, vacances au bout du monde avec son petit-fils Martin, un an et demi », 2000, « Le président grand-père » et 2007, « Chirac, l’adieu à l’Elysée ». Dans ce dernier numéro, Jacques Chirac a choisi de mettre en scène sa vie privée, comme le souligne le Monde, le 19 novembre 2006, dans un article intitulé « Chirac intime »: « RARES sont les apparitions photographiques de Martin Rey-Chirac, fils de Claude Chirac et de l'ancien judoka Thierry Rey, avec son très célèbre grand- père. Pourquoi maintenant ? A cinq mois de la fin de son second mandat, Jacques Chirac a accepté pour le 3 000e numéro de Paris Match, sorti le 16 novembre, la présence d'un photographe, Benoît Gysemberg, pendant une semaine, à l'Elysée. Montrer le président au travail, raconter à quel point il est encore dans l'action, tel est l'angle de ce reportage qui n'a pu que ravir l'Elysée. Avis à ceux qui l'avaient, voilà quelques mois, jugé absent. Et puis, comme le dit la comptine, « Dimanche matin, l'empereur et le petit prince... » se sont promenés dans les jardins. » En effet, Paris-Match22 lui consacre sa « une » du 15 mars 2007 (et non en novembre), un cliché le représentant de dos avec son petit fils dans les jardins de l’Elysée. Les deux silhouettes semblent ainsi s’éloigner ensemble vers une nouvelle vie pour Jacques Chirac (« Avec son petit-fils Martin, en route vers l’avenir » titre le journal). Le ton de l’article va dans ce sens : « grâce à son petit-fils, qui aura bientôt 11 ans, Jacques Chirac redécouvre le plaisir de regarder le monde à hauteur d’enfant. Dans quelques mois, il pourra savourer pleinement le fait d’être grand-père. » L’article évoque ainsi les derniers instants d’une famille. « Bernadette se prépare désormais à affronter l’avenir avec panache. Pour le première fois depuis 1974, loin des lambris dorés, elle va s’installer dans un appartement qu’elle décorera entièrement à son goût.. Certes, le couple présidentiel en possède déjà un rue de Seine, mais depuis plusieurs années, c’est Claude qui vit là avec leur petit-fils, Martin. » Le fait de nommer les proches du président Chirac par leurs prénoms (Bernadette, Claude, Martin), ainsi que l’utilisation du présent, leur confère immédiatement une dimension plus humaine. L’utilisation du temps présent fait naître une certaine proximité entre le lecteur et les personages évoqués,tout en rendant le récit plus percutant, plus vrai. Cet article met ainsi l’accent sur le lien véridique et sincère qui unit Jacques Chirac à sa famille, notamment à son petit-fils : « quand Martin est là, le président s’efface devant le grand-père ». Et bien ème que les photos aient été prises en novembre 2006, le papier ne sort pas pour le 3000 numéro de Paris-Match, comme le prédit le Monde, mais pour le numéro 3017, en mars. Cette parution a lieu à peine trois semaines avant que le petit-fils de Jacques Chirac ne fasse la « une » du Parisien, le 4 avril, alors que son grand-père l’avait emmené à sa visite du premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine, à Bayonne. Ces deux événements où Jacques Chirac se montre en compagnie de son petit-fils ne sont pas le fruit du hasard, à quelques semaines de son départ de l’Elysée. Comme dans l’émission 22 Paris-Match, numéro 3017 du 15 mars 2007 REMUSAT Cécile_2007 27 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

de Michel Drucker, Jacques Chirac cultive ainsi l’image d’un homme sage, presque d’un « ancien » au sens noble du terme. Cette apparition du président accompagné de son petit fils à Bayonne est citée dans le Monde Libération et le Figaro , mais de façon diverse, dans les trois articles suivants : Le Monde du 8 avril 2007 : «Dans la famille Chirac, le petit-fils » (annexe 9) Le Figaro du 4 avril 2007 : «Le grand-père Chirac et le petit fils Martin » (annexe 10) Libération du 4 avril 2007 : « A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac » (annexe 11)

Le Figaro Le Figaro choisit ainsi de faire paraître la photo de Martin Rey Chirac, avec son grand-père en arrière plan. Mais seule une légende complète le cliché :« Fait exceptionnel : pour sa dernière visite aux Armées, Jacques Chirac était accompagné de son petit-fils, Martin. » La visite est quant à elle relatée dans un papier sans évoquer la présence du petit garçon. Le quotidien ne s’attarde donc pas sur la dimension familiale de cette visite, même s’il reconnaît son caractère « exceptionnel » ,en faisant une information à part.

Le Monde Il n’en va pas de même pour le Monde, qui mêle dans son court papier la visite présidentielle et la présence de Martin Rey Chirac : « À UN MOIS ET DEMI de la fin de son mandat, Jacques Chirac a invité son petit- fils Martin à l'accompagner, mardi 3 avril, au premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Cet exercice fréquent, qu'il affectionne, s'est transformé en événement : Martin Rey-Chirac a été abondamment photographié et Le Parisien a choisi de mettre son portrait en « une » dans son édition du 4 avril. Une photo où le jeune garçon, qui a eu 11 ans le 22 mars, est très reconnaissable, pour les rares journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir. » Selon cet extrait, c’est bel et bien la présence du petit-fils de Jacques Chirac qui fait « événement », du fait de son caractère inhabituel. Il est ainsi précisé que « rares [sont les] journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir.», ou encore, qu’il s’agit d’une « première ». Le quotidien revient ainsi sur un épisode du passé où le petit garçon avait là aussi été photographié, rappelant que cette démarche avait alors été qualifiée « d’utilisation politique et de communication ». Une critique qui pourrait s’appliquer une fois encore. Pourtant, le journal n’aborde pas cette visite de façon critique, puisque selon le journaliste, « le contexte n'est, aujourd'hui, plus le même. Jacques Chirac s'est fait plaisir et Martin aussi. » Cette allusion au « plaisir » de Jacques Chirac et de son petit-fils rend la figure de l‘homme prédominante sur celle du président en exercice, pourtant développée ensuite. Mais c’est toujours sur le registre de l’émotion que joue le Monde. Le quotidien évoque ainsi la visite à travers les yeux de l’enfant : « Un souvenir sûrement exceptionnel pour un garçon de 11 ans »

28 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

Cependant, l’ironie et l’analyse refont surface en toute fin d’article, soulignant qu’ « outre le simple plaisir qu'ont pu éprouver le grand-père et le petit-fils, il s'agissait de montrer qu'il y avait vraiment « une vie après la politique » pour Jacques Chirac ». Et l’ironie, teinté d’humour, a le dernier mot, évoquant Claude Chirac, la mère de Martin et conseillère en communication de son père : « Comme sa mère, Claude Chirac ne peut que mesurer le poids que représente une vie cachée et surprotégée pour un enfant de cet âge. Cette contrainte s'allège. Les journalistes politiques peuvent bien penser qu'avoir choisi le département de François Bayrou, les Pyrénées-Atlantiques, n'est pas un hasard. Elle va encore les trouver tordus ! » Cette exclamation finale évoque les significations politiques que pourrait avoir cette visite : la présence de Jacques Chirac sur les terres d’un candidat aux élections présidentielles, autre que Nicolas Sarkozy, marque la figure du politique en opposition à un autre.

Libération Quant à Libération, le journal ne fait qu’évoquer rapidement et sobrement la présence du petit-fils Chirac, pour mieux centrer son article sur la visite présidentielle : « Pour la première fois dans un déplacement officiel, le président de la République avait emmené avec lui son petit-fils. Le jeune Martin, fils de Claude, n'a pas perdu une miette du spectacle mis en scène par le commandement des opérations spéciales (COS) ». Le reste de l’article est consacré à la description de la manifestation, insistant sur le « « passage de témoin » de Jacques Chirac à son successeur ». Libération semble ainsi refuser toute personnalisation du président, pour ne s’en tenir qu’à ses seules fonctions présidentielles.

Comparaison La figure du grand-père se fond ainsi avec celle du président en exercice puisque Jacques Chirac fait d’une visite officielle une visite familiale. Il est intéressant de noter que le Figaro ne s’attarde pas sur cette figure, préférant seulement illustrer une photo par une simple légende. Ce n’est pas le cas du Monde, qui évoque cette visite familiale comme le début d’une nouvelle vie pour Jacques Chirac. Par cette visite, la figure du président laisserait la place à celle du grand-père, avec un message : il y aurait « une vie après la politique ».Ces termes font échos à l’émission de Michel Drucker consacrée à Bernadette Chirac. Cependant, Libération choisit de ne pas développer cette figure paternelle, mais plutôt celle du président en fin de règne. Cette visite prend alors des allures de « testament militaire » et de «Passage de témoin». Cette démarche confirme une tendance, déjà observée lors de l’anniversaire de Jacques Chirac, selon laquelle Libération n’entend pas traiter l’information telle qu’elle se présente. La présence de Martin Chirac n’occupe ainsi que quelques lignes, et le journaliste détache de cette figure familiale la figure du président, sur laquelle porte son travail. La figure de Jacques Chirac « grand-père » n’est pas fréquente. Il est néanmoins saisissant de voir que cette identité resurgit en toute fin de son mandat, provoquée par le président lui-même : il accepte de se faire photographier en compagnie de son petit-fils et emmène ce dernier en voyage officiel. Une telle personnalisation ressemble fort à une redéfinition de l’identité de Jacques Chirac par lui même au moment où il va changer de statut.

REMUSAT Cécile_2007 29 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Figure de l’homme sympathique

Une figure plutôt positive poursuit Jacques Chirac :celle d’un président sympathique. De façon très subjective, le président Chirac a la réputation d’être « humain », « sympathique », et « proche des gens ». Ces qualificatifs reviennent dans tous les ouvrages qui lui sont consacrés, y compris les plus critiques. Car si une qualité est reconnue à Jacques Chirac, c’est bien sa sociabilité, sa façon de serrer des centaines de mains en une journée, et finalement, une sorte de simplicité. Cette figure de Jacques Chirac se retrouve chaque année dans une manifestation à laquelle il aura laissé son emprunte : le Salon de l’agriculture.

Une idée communément admise, une figure médiatique persistante Dans son ouvrage, Franz-Olivier Giesbert reconnaît, anecdotes à l’appui, les qualités humaines de Jacques Chirac, qu’il n’épargne pourtant en rien tout au long du livre23 : « si son chemin a souvent croisé celui des Français, c’est parce qu’il ne se la joue pas et aime les gens, surtout quand ils sont de peu ou de rien ». Sur ce point, Franz-Olivier Giesbert et pierre Péan se retrouvent. Ce dernier explique le phénomène de façon presque scientifique. La chaleur que dégagerait Jacques Chirac serait le signe de ses talents de guérisseur. Talents que reconnaît en partie Jacques Chirac durant l’un de ses entretiens avec l’auteur24. « J’ai des ancêtres dont on prétendait un peu qu’ils étaient guérisseurs. Enfin, ce qui est sûr, c’est que mon grand-père, mon père et moi sommes doués d’une sorte de sensibilité à l’état de santé des gens, sans plus. Je tente de leur remonter le moral…notamment à ceux qui sont atteints d’un cancer. En usant simplement de ma voix… » Pierre Péan creuse ainsi la piste de l’homme qui aime les autres, au point de pouvoir les guérir : « De lui même il m’a parlé de l’amour qu’il recherchait et de l’importance du contact par les mains […] Vous savez, on apprend toujours quelque chose quand on serre la main des gens. On n’apprend pas toujours quelque chose quand on les écoute, mais on apprend toujours quelque chose en lisant dans leur regard ou en leur serrant la main ». Avec ou sans le point de vue de Jacques Chirac sur sa passion des autres, cette figure de l’homme sympathique souffre ainsi de peu de contradiction. Lionel Jospin, durant la cohabitation, se plaint même des éloges de ses ministres socialistes à l’égard du président. Un article du Figaro qui retrace la carrière de Jacques Chirac, revient sur ce point25. « "Il nous serrait la main avec un grand sourire, comme si nous étions l'équipe de France qui venait de gagner la Coupe du monde de foot", se souvient un ministre socialiste. Never explain, never complain, c'est le côté reine d'Angleterre de Chirac. Et il n'est pas exclu que, sur le lot, il en trouve certains sympathiques,

23 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-10. 24 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-105 25 Article du Figaro, « Une présidence sans cesse perdue et reconquise », paru le 12 mars 2007 30 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

ou animés d'idées qui ne sont pas pour lui déplaire. Ceux-là, il les emmène en voyage, comme Bernard Kouchner, Claude Allègre ou Jean-Pierre Chevènement. A tel point que l'austère Jospin s'agace : "Arrêtez de dire que Chirac est sympa." » Dans son documentaire, Patrick Rotman interroge l’un de ces anciens ministres socialistes, qui affirme avoir été « séduit » dès sa première rencontre avec le chef de l’Etat. Les gens qui l’ont côtoyé témoignent tous de son attention à leur égard, de son souci de se tenir informé du moindre événement comme un mariage, un décès, une naissance, sur lequel il leur adresse « un petit mot gentil ». Dans un entretien sur son documentaire26, Patrick Rotman s’exprime sur cet aspect de Jacques Chirac : « Je crois que Chirac n’est pas quelqu’un qu’on déteste vraiment. Même ceux à qui il a fait des tours pendables reconnaissent en lui un homme chaleureux, sympathique, généreux […]Au fond, Chirac est un bon bougre, il est populaire, au sens qu’il vient du peuple, il a un contact simple, il est près des gens. Bien sûr, c’est parfois factice, automatique, un peu calculé, mais enfin il a le goût des autres. On est loin de Balladur faisant campagne avec des gants. » Cette référence à la campagne de 1995, opposant les deux hommes, permet de comprendre l’émergence de cette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et Erik Neveu.27 Cette identité de Jacques Chirac désormais présente dans les médias serait née de la représentation purement fictive qu’en auraient faite les Guignols de l’Info pendant la campagne présidentielle de 1995. « on est passé d’un travail de projection sur les acteurs politiques des représentations que s’en font les scénaristes à un travail d’intégration dans les personnages des enjeux politiques du moment. La truculence de la marionnette Chirac à la fin 1994 relevait de l’imagination propre des réalisateurs, sommés de faire rire avec des caricatures. […] Mais avec le retour vers la réalité de la campagne, cette identité chiraquienne prend une toute autre résonance. Elle devient la marque assumée du candidat gaulliste dont la stratégie de communication se fonde, une fois la campagne lancée, sur la proximité affichée avec les gens ordinaires sur les lieux mêmes de leur vie. Dès lors, cette identité « populiste » devient, que les réalisateurs des « Guignols » le veuillent ou non, un enjeu politique dans la concurrence qui lie Jacques Chirac à ses adversaires. » Dès lors, Jacques Chirac semble proche du peuple, y compris par son côté « bon vivant ». Il est ainsi représenté comme un homme de la terre, appréciant le bon vin, et la caricaturale tête de veau (en couverture de la BD de Bruno Gaccio). Annie Collovald et Erik Neveu évoquent ainsi un exercice dans lequel Jacques Chirac est passé maître, la visite du salon de l’agriculture. Déjà en 1995, il se distingue de son concurrent, beaucoup moins à l’aise sur le terrain agricole. er « La visite au Salon de l’agriculture le 1 mars en est une illustration exemplaire. Comme le commente PPD, il y a « ceux qui connaissent », tel J.Chirac très à l’aise

26 Entretien avec Patrick Rotman, réalisé par Christophe Kechroud-Gibassier pour France 2, octobre 2006 27 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, 1996, p-104 REMUSAT Cécile_2007 31 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

au milieu des animaux de ferme, et « ceux qui découvrent », tel E.Balladur qui, l’air dégoûté et invoquant Dieu, cède aux injonctions de toucher le cochon et caresse…une poule. »

L’exemple du Salon de l’agriculture : la figure « populiste » de Jacques Chirac Le Monde du 6 mars 2007 : «Adieu, veaux, vaches cochons ! » (annexe 12) Le Figaro du 5 mars 2007 : «Les adieux de Chirac au Salon de l’agriculture» (annexe 13 ) Libération du 5 mars 2007 : « Chirac passe hors-champ» (annexe 14)

Le Monde Le Monde revient sur un « rituel maintenu [et] immuable » alors que Jacques Chirac est sur le point de terminer son mandat. Le titre « Adieu veaux, vaches, cochon ! » annonce donc sur un ton humoristique la figure du président en fin de règne, figure reprise par les deux autres articles. Les exclamations et notes d’humour ne manquent pas, comme l’association entre le retour de Jacques Chirac au Salon de l’agriculture, et des volailles, absentes l’année précédente pour cause de grippe aviaire. Le Monde éclaire d’emblée le lecteur sur la dimension médiatique de cette visite, « moment obligé dans tous les journaux télévisés » , puisqu’elle reflète un rendez-vous annuel qui risque fort de connaître sa dernière édition pour le président Chirac. Un grand nombre de citations permettent de cerner l’ambiance, entre les remarques des agriculteurs et les réponses complices de Jacques Chirac, ou ses silences concernant sa carrière politique. « « C'est mon dernier Salon et, pour vous, en tant que président, probablement aussi », lui a lancé un agriculteur de la Mayenne, bientôt retraité. Jacques Chirac n'a pas relevé l'allusion. « Comment ça va ? », a-t-il demandé à un autre. « Pas trop bien, j'ai eu un petit accident vasculaire cérébral. C'est l'âge », a répondu l'intéressé. « Et tu me dis ça à moi ! », a commenté le président en souriant. » Par la juxtaposition de ces deux courts échanges avec des agriculteurs, le journaliste met en évidence un double jeu de Jacques Chirac : le silence répond aux remarques politiques, et un mot complice, avec le tutoiement, fait échos aux autres. La phrase de Jacques Chirac évoquant implicitement son propre accident vasculaire cérébral, sur le ton de l’humour, et avec la familiarité du tutoiement (« Et tu me dis ça à moi ! ») donne le ton de cet article. Le président apparaît à la fois comme un homme dépassé, âgé, sur le départ, mais aussi comme celui qui marque « une volonté obstinée de faire comme si » : faire comme s’il était intime avec cette personne, faire comme si cet accident n’était pas si grave. Il évoque donc cet épisode sur le ton de l’humour à un moment où son âge fait l’objet de nombreux commentaires. Le journaliste entreprend alors, comme ses concurrents, de décrire la visite présidentielle. La figure de l’homme sympathique prend le dessus, sous plusieurs aspects. Tout d’abord, la chaleur humaine de Jacques Chirac et sa disponibilité, sa proximité avec le public :

32 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

« Jacques Chirac multiplie les « Bonjour ! » à la cantonade au milieu d'une cohue indescriptible. Il est toujours prêt à serrer une main, embrasser un enfant, poser pour une photo. » Puis son côté plus « terrien », proche des bêtes : « On l'a vu aux côtés de Titine, la vache limousine, et d'Aladin, le taureau gascon. Il a fait l'éloge des vaches du Limousin, « la meilleure race », a-t-il dit. Il a caressé un mouton des Pyrénées au front orné d'un superbe pompon, pris un chevreau dans ses bras. » Enfin, la figure de l’homme réside aussi dans la capacité du président à paraître plus terre à terre que d’autres, plus humain dans ses faiblesses. En l’occurrence, les plaisirs de la table. « Et puis surtout, il mange. De la charcuterie, de préférence. Foin du régime ! Et il boit aussi. Une succession invraisemblable. Un verre de cidre suivi d'un lait fraise, d'un vin blanc et d'une bière. Cela a quelque chose de l'antique cérémonial au cours duquel le roi de France mangeait et buvait en public. Si le souverain a bon appétit, c'est que tout va bien. Les Bourbons étaient réputés pour leur coup de fourchette. » Cet aspect de Jacques Chirac fait de lui un homme comme les autres, mû par les plaisirs de la bonne chair, contrairement à Ségolène Royal, « qui a interdit qu'on la filme ou la photographie quand elle mange » Elle aurait donc « encore quelques leçons à prendre », commente le journaliste, plaçant Jacques Chirac comme l’expert en communication et simplicité. Mais dans le même temps, cette propension à s’adonner aux plaisirs de la table fait de lui l’incarnation du « souverain » qui mange et boit plus que de raison par opposition au peuple. Aussi cette figure de l’homme populaire et populiste, l’homme simple jusque dans ses habitudes alimentaires, ne sert pas obligatoirement celle de l’homme sympathique, notamment si l’on se réfère à l’une des « affaires » dans lesqelles serait impliqué Jacques Chirac : « les frais de bouche ».

Le Figaro Le Figaro résume la longue visite du chef de l’Etat au salon de l’agriculture dans un papier d’ambiance destiné à rendre compte des faits et gestes de Jacques Chirac pendant le dernier Salon de son mandat. Le récit se fait au présent, dans l’ordre chronologique, avec des détails, comme l’heure précise de son arrivée ( «8h45 ») , le calme qui règne encore à cette heure matinale (« quelques familles sont déjà là mais les allées du Salon sont encore largement praticables »), ou encore « la chaleur suffocante ». Le lecteur apprend même les petits noms des vaches flattées par le président_« le voilà en train de flatter Titine, la vache représentée sur l'affiche du salon, ou encore Sucrette, Tisane ou Erika »_ ainsi que le détail du menu du jour, composé de « cidre »et de « mimolette » et des cadeaux reçus (« les corbeilles de fruits, les bouteilles et les livres de photo »). Ces détails semblent concourir à l’image d’un homme à l’aise dans l’exercice, dans un emploi du temps bien rôdé, fait de petites habitudes, contrairement à son ministre, Dominique Busserau, « qui a souffert et piétiné pendant toute la matinée aux côtés de Chirac ». Car Jacques Chirac a l’habitude de ce grand Salon, qu’il fréquente « comme chaque année depuis trente ans ». Et toujours sous l’angle des habitudes et des gestes répétés depuis des années, le Figaro décrit l’exercice obligé auquel se livre le chef de l’Etat.

REMUSAT Cécile_2007 33 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

« Il a rempli son contrat avec un plaisir visible : serrage de mains, déclarations de soutien au monde agricole, plaidoyer pour l'environnement, innombrables poses de photos, signature d'autographes, commentaires avisés sur les bêtes, sans oublier la dégustation à la chaîne de produits régionaux. » L’énumération a valeur de répétition, comme si chacun de ces gestes était devenu commun et ne méritait plus de commentaires. Seule une remarque sur ce « contrat » : il aurait était rempli « avec un plaisir visible ». La figure de l’homme sympathique ne souffre donc ici d’aucune restriction puisque Jacques Chirac prendrait « plaisir » à se mêler à la foule.

Libération Le papier de Libération se déroule dans le même sens que celui du Figaro : la visite de Jacques Chirac y apparaît dans ses moindres détails, heures comprises là aussi, et au temps présent. Mais cet article se divise aussi en trois parties dont les intertitres donnent le ton : « Poids des ans », « Traite du matin », « Noisettes et gigot ». L’angle choisi évoque la figure du président en fin de règne qui effectue sa dernière visite officielle au Salon de l’agriculture. Le titre, « Chirac passe hors champs » ainsi que le premier intertitre « poids des ans », font référence au prochain départ de Jacques Chirac, dont l’âge commencerait à constituer un handicap pour de nouvelles ambition présidentielles. Mais comme le précise l’article, « le président est là pour causer bestiaux […], pas pour parler de son avenir personnel. » C’est ainsi que les verbes d’esquive se multiplient : tandis que le président passe de stand en stand, il « ne répond pas et s’en va », « ne dit mot », n’hésitant pas à « filer » pour fuir les questions insistantes. C’est ainsi, qu’après avoir éclairé le lecteur sur les non-dits de cette visite, l’article se penche plus explicitement sur la façon dont Jacques Chirac a su se faire apprécier, et même aimer, des agriculteurs. Contrairement au Figaro, Libération n’évoque pas un « plaisir évident » à aller au devant des autres,mais plutôt « des gestes incertains de vieux comédien fatigué » . Ainsi retrouve- t-on le champ lexical de la comédie : Jacques Chirac veut « jouer jusqu’au bout [un] rôle», « déclame », possède « son répertoire » et « ses admirateurs ». Pour cela, « sa geste […] est réglée comme la traite du matin », précise le journaliste, éclairant le lecteur sur son second intertitre. Là encore la spontanéité ou le plaisir n’ont pas leur place dans ce qui est décrit comme un rituel bien précis avec des actions préparées et ordonnées : « s’approcher », « saluer », « jauger », sans oublier la « Chirac Touch, cette façon inimitable de poser par petits mouvements brefs de la main bien à plat sur les naseaux du bovin ». Toute l’ironie du papier, ajoutée à un certain humour trouvent leur point culminant dans cette expression. Le dernier intertitre fait référence à la grande quantité de nourriture offerte au président pendant sa visite. Des cadeaux en hommage à celui qui se retrouve « en terrain conquis ». Le journaliste traite la même information que son homologue du Figaro, mais d’une façon tout à fait opposée. Ainsi, quand le Figaro précise les prénoms des vaches flattées par le président, accentuant la figure de l’homme simple, Libération ne manque pas d’énumérer tous les mets dégustés ou offerts à Jacques Chirac : « un sac de noisettes par un représentant de Cancon, «capitale de la noisette», un jambon d'Espagne, un plateau de viande avec gigot et volaille, une bière blanche, des gâteaux en veux-tu en voilà. »

34 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

Ces détails font échos à sa réputation de « bon vivant », voire, de « grand gosier» 28, comme le qualifie Franz-Olivier Giesbert.

Comparaison Les trois articles étudiés entreprennent de décrire la visite présidentielle, jusque dans ses moindres détails. Chacun précise ainsi que Jacques Chirac a passé plus de quatre heures dans les allées du Salon. Le récit se fait au présent dans Libération et le Figaro, faisant coïncider le temps de l’énoncé avec celui de l’énonciation,et au passé composé dans le Monde, même si celui-ci emploie aussi le présent. Cette narration a pour but de plonger le lecteur dans l’ambiance du Salon et de le rendre témoin de la scène décrite par le journaliste. Le lecteur voit ainsi à travers les yeux du narrateur Jacques Chirac déambulant dans les allées, goûtant les produits du terroir, et flattant les vaches. Mais la dimension critique de chaque article diffère. Le Figaro évoque ainsi le « plaisir évident » de Jacques Chirac à accomplir ces gestes de sympathie, et met en relief la figure de l’homme proche du peuple. Libération prête au contraire au chef de l’Etat un grand talent d’acteur. La figure du politique, fin stratège, dépasse aisément celle de l’homme chaleureux. Le Monde, quant à lui, joue sur les deux tableaux. Dans cet article, Jacques Chirac semble à mi chemin entre la figure de l’homme, sympathique, et celle du politique, plus stratégique. Il évite ainsi les questions liées à ses intentions pour 2007, mais n’hésite pas à plaisanter sur sa santé avec un homme qui a souffert, comme lui, d’un accident vasculaire cérébral. Le lecteur hésite ainsi à le considérer comme le président ou comme un égal, soumis aux aléas de la vie. Malgré tout, le Monde tend plutôt à traiter l’information dans le même sens ou presque que Libération. En effet, certaines citations sont les mêmes, les tons ironique et humoristique se rejoignent, et le Monde, comme Libération, recontextualise l’information pour le lecteur. Il précise ainsi la signification politique, sur les écrans, de Jacques Chirac au Salon : « en quelque sorte l'affirmation, par l'image, qu'il est toujours dans le paysage » . Et comme Libération , le Monde démontre la mise en scène par le politique de sa prestation du jour. L’article précise ainsi que Jacques Chirac se devait de critiquer la politique européenne en matière agricole : « rien n'a manqué, pas même la polémique de rigueur avec Bruxelles. » Le Figaro , au contraire, se contente, à grand renfort de citations, d’évoquer ce discours présidentiel : « Devant les représentants du monde agricole, le président prendra tout de même le temps de défendre une « agriculture soucieuse de l'environnement » ». Sur ce point, Libération se montre presque plus neutre que le Monde : « il s'est quand même fendu en passant d'un plaidoyer pour la politique agricole commune européenne et d'une attaque frontale contre le commissaire au Commerce Peter Mandelson, accusé de faire preuve de faiblesse dans les négociations sur le commerce international». Le Monde tente ainsi de donner à ses lecteurs les clefs pour comprendre un discours médiatique auquel lui-même participe. C’est ainsi que se termine le papier : « tout était fait pour donner l'impression que le visiteur était éternel » . On l’a vu, la figure de l’homme sympathique semblait secondaire au regard des médias, qui évoquent surtout cette dernière visite présidentielle après trente années consacrées à l’exercice. Mais devant le mutisme de Jacques Chirac sur son avenir politique, et par conséquent, devant le manque d’information nouvelle, la description de la journée prend

28 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-27 REMUSAT Cécile_2007 35 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

le dessus, même si les journaux ne manquent pas d’évoquer les figures du politique et du président. Et sur ce point, le Figaro diffère de ses concurrents. Le quotidien présente ainsi Jacques Chirac comme un président encore en exercice, malgré son prochain départ. Son intervention contre Bruxelles fait l’objet d’un certain développement, avec en point final une affirmation de son ministre de l’Agriculture, « Jusqu'au bout, il va faire le boulot » . A l’inverse, le Monde et Libération tendent à évoquer la figure du président en fin de règne. Pour le Monde , la visite doit seulement donner l’illusion de l’éternité, et pour Libération , « le poids des ans et sa fin de règne » sont explicitement mentionnés. Les trois quotidiens font aussi état de la figure du candidat potentiel mais improbable, répétant le mystère qui entoure Jacques Chirac du fait de son silence. Chacun reprend ainsi les questions sans réponse adressées au président. Mais dans le Figaro, cette dernière figure est évoquée de façon plus subtile que dans le papier de Libération. Quand celui-ci évoque le refus de Jacques Chirac de parler de « son avenir personnel », le Figaro énonce un silence présidentiel sur « la politique intérieure ». En outre, quand Libération ouvre son papier sur chaque question éludée par Jacques Chirac, le Figaro n’évoque ce mutisme qu’en milieu d’article. La figure de l’homme sympathique se traduit aussi par la simplicité de Jacques Chirac et par son appétit. Loin de l’homme politique distant, Jacques Chirac goûte les produits offerts les uns après les autres. Un appétit qui ne manque pas de passer pour de la gloutonnerie dans certains médias : « Et puis surtout, il mange » précise le Monde , qui, avec Libération et ne manque pas d’énumérer les nombreux produits dégustés, avec des expressions quantitatives fortes telles que « en veux-tu en voilà ». Le Figaro présente plutôt ces mets comme des «cadeaux», et n’insiste pas sur cet aspect du président. Malgré ces nuances, la presse quotidienne nationale ne juge pas l’appétit de Jacques Chirac aussi sévèrement que Franz-Olivier Giesbert29. Ce dernier trouve une explication d’ordre psychologique à ce qu’il qualifie de « gloutonnerie » et va jusqu’à comparer Jacques Chirac à un « ogre », détaillant durant deux pages ses habitudes alimentaires. « Du matin au soir il est tourmenté par un vertige compulsif qu’il comble en s’empiffrant, comme s’il avait à nourri une armée de ténias. Jamais il ne semble repu.[…] La faim de Chirac est peut-être biologique. Elle est aussi existentielle, voire métaphysique. Elle entend dévorer le monde entier. Rares sont les personnages publics qui, dans l’Histoire de France, auront fait une telle consommation de sandwichs, de concepts, de campagnes électorales ou de chargés de mission. Il les mastique, il les digère et les évacue, tant il est vrai que tout s’en va toujours par le bas, sur cette terre. » La figure de l’homme sympathique souffre de cette représentation mais les trois quotidiens étudiés abordent cet aspect de Jacques Chirac de façon plus délicate.

Conclusion partielle

29 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-27 36 REMUSAT Cécile_2007 La figure de l’homme

La figure de l’homme concernant Jacques Chirac s’impose alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions présidentielles. Et si elle est plus implicite dans le Monde, Libération et, dans une moindre mesure, le Figaro, elle se perçoit de façon plus évidente dans la presse magazine et télévisuelle, excepté quand cette figure se retrouve dans un événement plus politique, comme la visite du Salon de l’agriculture. Mais à cette occasion, c’est le silence de Jacques Chirac sur ses intentions pour 2007 qui laisse la place à un traitement plus personnalisé. Les médias se concentrent ainsi sur la sympathie, réelle ou simulée, dont fait preuve chaque année le président envers les agriculteurs et le public. Brigitte le Grignou et Erik Neveu30 soulignent que « l’homme politique n’est plus seulement l‘avocat de son parti. Il est requis de produire une mise en scène plus élaborée de son personnage, d’afficher les signes d’un équilibre, d’une aisance personnelle ». On assiste ainsi à une « familiarisation » de la représentation politique. Le « je » a une nouvelle dimension, avec un certain dévoilement des affects. Le récit de son septennat par Valery Giscard d’Estaing, dans ses mémoires, en est un bon exemple, tout comme la personnalisation de Jacques Chirac durant les derniers mois de son mandat. Mais même si ce dévoilement des affects se fait parfois à l’insu de l’homme politique, celui-ci, comme l’affirme Dominique Mehl31, a une parfaite maîtrise de lui même, au point que l’espace psychologique de l’homme politique ne surgit qu’exceptionnellement. D’autant qu’il existe une certaine convenance des prestations médiatiques, avec le respect du secret de la vie privée, contrairement aux tabloïds anglais. Ainsi, le dévoilement de la vie privée de Jacques Chirac, qui aboutit à une redéfinition de son identité, en insistant sur son aspect « humain », se fait aussi selon sa volonté. C’est ainsi qu’il accepte de se dévoiler lors de l’émission de Michel Drucker, Vivement Dimanche, ou de se faire photographier avec Martin, son petit-fils, dans Paris Match, avant de l’emmener en visite officielle. Il en va de même avec ses témoignages, rares et par conséquent précieux. En se confiant à Pierre Péan dans un livre paru seulement quelques semaines avant la fin de son mandat, puis à Michel Drucker, Jacques Chirac va dans ce sens. Le mois de mars est ainsi le mois des révélations du président. Et comme le souligne Dominique Mehl dans « La Télévision de l’intimité », « le témoignage dans l’espace public crée un état de sensibilité, car il ne se discute pas ».

30 Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée , 31 Dominique MEHL, La télévision de l’intimité, Seuil, 1996 REMUSAT Cécile_2007 37 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

La figure du politique

La figure de l’homme politique se situe entre celle de l’homme et celle de l’homme d’Etat. Car avant d’être président, Jacques Chirac est surtout « un animal politique » comme aiment à l’appeler certains observateurs. Cette figure intermédiaire ne figure pas dans la classification de Kantorowicz, dans « Les Deux corps du roi », qui distingue un corps politique d’un corps naturel. Car l’homme politique représente les deux à la fois. Il n’est pas celui qui détient le pouvoir, au dessus de tous les autres, mais il porte malgré tout en lui un symbole, par son rôle dans l’exercice de la démocratie. Le politique cherche ainsi à représenter des idées, des personnes, pour devenir leur porte-parole et faire carrière. Jacques Chirac s’inscrirait dans cette démarche s’il décidait de se présenter à nouveau à une élection. Comme lui-même le disait à François Mitterrand lors de leur face à face pendant la campagne présidentielle de 1988, «vous n’êtes pas le président, et je ne suis pas le premier ministre. Nous sommes deux candidats ». L’homme politique, contrairement au président, doit affronter ses semblables. Il n’existe pas comme le symbole de tout un pays et ne dispose pas de l’autorité suprême due à la fonction de président. C’est pourquoi un homme politique, contrairement au président, défend les idées d’un parti contre un autre, et se place souvent en opposition à d’autres hommes ou femmes politiques. Cette opposition à d’autres est récurrente dans la carrière de Jacques Chirac depuis ses débuts en politique. Et la fin de son mandat ne fait pas exception : les médias décrivent ainsi une opposition permanente avec Nicolas Sarkozy. Celle-ci prend une double dimension : il s’agit d’un affrontement entre un président et son ambitieux ministre, autour de différence de points de vue, et d’un conflit de génération. Laissant de côté l’aspect générationnel, qui relève davantage de la figure de l’homme, déjà étudiée, il s’agit ici de se concentrer sur la dimension politique du conflit. Jacques Chirac reconnaît ne pas avoir les mêmes idées que Nicolas Sarkozy sur certains sujets, mais minimise les propos tenus dans les médias (« en ce qui concerne mes relations avec Nicolas Sarkozy, tellement de choses fausses ont été dites et écrites ! ») 32 Cependant, il ne manque pas de rappeler son ministre à l’ordre à certaines occasions, devant son ambition, déclarée très tôt.

Le candidat ?

La campagne de 2007 se jouera entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. C’est du moins ce qu’annoncent la plupart des observateurs politiques fin 2006. Jacques Chirac fait alors figure de président devant laisser la plage aux nouvelles générations. Son soixante-quatorzième anniversaire, au mois de novembre n’est ainsi pas passé inaperçu, en comparaison du jeune âge des candidats. Pourtant, le président Chirac est plus que jamais actif et tarde à

32 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-488 38 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

exprimer ses intentions pour l’élection présidentielle de 2007. Les médias se doivent donc de s’interroger sur la probabilité, même mince, d’une nouvelle candidature. Et si le président lui-même demeure muet sur le sujet, d’autres n’hésitent pas à donner leur avis. Certains de ses « proches » ou de ceux qui le connaissent le mieux expriment leur opinion, comme Alain Juppé, le 9 janvier, ou Edouard Balladur. Selon eux, une nouvelle candidature serait hautement improbable. Ses adversaires politiques font généralement la même remarque, à l’exception de Jean Marie le Pen, qui affirme que Jacques Chirac ferait un « bon candidat ». Mais dans le même temps, il affirme aussi qu’il sera au second tour contre Ségolène Royal. Jacques Chirac entretient ces spéculations par son silence. Aussi, quand il adresse ses vœux aux Français le 31 décembre 2006, les médias cherchent un début de réponse. Le journaliste du Figaro le résume bien dans son article : « chacun guettera la petite phrase susceptible de lever un coin du voile sur les intentions de Jacques Chirac pour 2007. Car ses vœux du 31 décembre n'ont pas permis d'en savoir plus. » er Le Monde du 1 janvier 2007 : «Lors des derniers vœux du quinquennat, M.Chirac a fixé cinq « enjeux majeurs » de la campagne 2007 » (annexe 15 ) Le Figaro du 2 janvier 2007 : « Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat » (annexe16 ) er Libération du 1 janvier 2007 : « Chirac en fausse vraie campagne» (annexe 17)

Le Figaro Le Figaro adopte, comme à son habitude, une position apparemment neutre. Le titre résume ainsi une information retenue par tous les quotidiens : Jacques Chirac entend jouer un rôle dans la campagne. Le papier indique ainsi que quelles que soient les intentions de Jacques Chirac pour la campagne présidentielle, il n‘en sera pas absent, bien au contraire. Un message en parfait accord avec le discours du président. Le quotidien s’interroge malgré tout sur ses intentions, après « des vœux du 31 décembre [qui] n'ont pas permis d'en savoir plus.» Comme Le Monde et Libération, le Figaro relève le bilan dressé par Jacques Chirac, et pose la question : « Mais un bilan pour préparer sa retraite ou, au contraire, pour servir de socle à une nouvelle candidature ? » Des propos issus de « son entourage », suivent directement la question, à laquelle ils semblent implicitement répondre : « Dans sa carrière, Jacques Chirac « a participé à beaucoup de tournois du grand chelem, et il en a gagné beaucoup » » Littéralement, l’entourage de Jacques Chirac souligne ainsi sa combativité (le Monde le qualifie d’ailleurs de « combatif » dans son article quand le Figaro préfère l’adjectif « offensif ») et son envie de gagner, ce qui ne va pas dans le sens d’un renoncement à ses fonctions présidentielles. Le Figaro ne se prononce donc pas, préférant donner la parole à d’autres. Et ceux là appartiennent au camp chiraquien. Il apparaît donc logique que, à l’image de leur président, ces derniers laissent planer le doute.

Le Monde

REMUSAT Cécile_2007 39 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Le Monde adopte, à l’image du Figaro, une position apparemment neutre, donnant un axe plutôt présidentiel à son article. En d’autres termes, il s’agit pour le quotidien de se concentrer davantage sur le contenu du discours de Jacques Chirac et sur les orientations concrètes qu’il donne, et moins sur son éventuelle candidature. Malgré tout, le Monde n’omet pas d’évoquer, comme ses concurrents, les intentions secrètes du président Chirac pour les élections présidentielles, affirmant que « le président voulait échapper à l'exercice attendu du bilan et plus encore à l'évocation de son avenir personnel. » Mais en soulignant cela, le quotidien prouve que si tel était son but, le président ne l’a pas atteint. Comme le Figaro, le Monde choisit de laisser s’exprimer sur le sujet « un très proche ». Mais contrairement à son concurrent, le Monde choisit une phrase qui n’était pas destinée aux médias, mais au président lui même : « "En janvier, tu diras aux Français que tu as fait tout ce que tu pouvais pour eux et puis tu annonceras que tu laisses la place", lui avait conseillé un très proche quand il était au creux de la vague, au printemps 2006. » Cette phrase ne résume pas le réalité, puisque Jacques Chirac n’a rien dit de ses intentions, mais il est vrai qu’il a esquissé un « bilan express », comme le fait remarquer le journaliste. La première partie de ces propos invérifiables étant à moitié vérifiée, la seconde partie n’en paraît que plus plausible. Le Monde laisse ainsi entendre, par ce « très proche », que Jacques Chirac ne se représenterait pas et « laisserait la place ». Et le journal laisse libre cours à d’autres opinions, de l’opposition cette fois : celle de Julien Dray, porte-parole du PS, et celle de Jean-Marie Le Pen, président du Front national. Pour le premier, « il est "clair" que M. Chirac ne postulera plus à la magistrature suprême ». Pour le second, « il était plus commode de croire que c'était un discours de candidat. » affirme le journal, laissant entendre que Jean-Marie Le Pen ne croit pas en une nouvelle candidature de son adversaire de 2002, même s’il préfère dire le contraire.

Libération

Contrairement à ses deux concurrents, Libération évoque ouvertement le « faux suspens » autour de cette candidature et titre : « Chirac en fausse vraie campagne ». Le chapô de l’article donne le ton : « En campagne... sans être candidat, tel est le tour de force auquel s¹est essayé Jaques Chirac en présentant ses douzièmes - et très probablement derniers - vœux aux Français dimanche soir. » Le quotidien prend clairement position en soulignant que le président « a marqué son intention de peser sur les thèmes de la campagne présidentielle, plutôt que de se placer en futur candidat » . Pour Libération, comme pour le Figaro et Le Monde, les vœux de Jacques Chirac sont un bilan, contrairement à ce qui avait été annoncé par l’Elysée. Mais Libération adopte une position claire sur une nouvelle candidature de Jacques Chirac : elle est des plus improbables. « voilà qu'à 74 ans, au terme de deux mandats à l'Elysée, il voit poindre une élection présidentielle à laquelle il ne sera pas en mesure de concourir, pour la première fois depuis 25 ans. » « tout en faisant mine de cultiver un faux suspense sur son propre devenir, Chirac a surtout affiché sa volonté de peser sur la campagne présidentielle qui s¹ouvre. »

40 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

Le journalémet même un jugement sur la pertinence des propos de Julien Dray, le porte- parole du PS, qui « ne s'y est pas trompé en jugeant que ces vœux constituent une ‘déclaration de quelqu'un qui, vraisemblablement, ne sera plus candidat en 2007’.» Libération rappelle avec humour dans un jeu de mots que « Jacques Chirac est une sorte de candidat à perpétuité, prétendant à tout et tout le temps » ce qui explique, pour le quotidien, son envie de peser encore, sans pour autant se présenter, lors de la campagne présidentielle de 2007. Le mot « perpétuité », emprunté au vocabulaire judiciaire, semble faire allusion aux démêlés passés ou futurs de Jacques Chirac avec la justice. Dans cet article, la figure du vieil homme clôt cet article. Selon Libération, la réaction positive de Nicolas Sarkozy, dont les partisans auraient « loué le discours du chef de l’Etat », démontre qu’il serait prêt à « faciliter une paisible sortie de scène de l’ancien ». Le quotidien ne manque d’ailleurs pas de rappeler l’âge du président et sa longue « carrière », d’homme politique, « quarante ans », et de candidat aux présidentielles, « 25 ans ». Le journal prend ainsi position pour une non candidature de Jacques Chirac, en partie expliquée par l’âge du président. Celui-ci apparaît comme l’homme d’expérience, dont l’heure est venue de se retirer. Mais le journal prévient : le « faux-suspens » que souhaite entretenir Jacques Chirac ne trompe pas Libération.

Comparaison

Libération est ainsi le seul quotidien à se prononcer directement sur la « fausse vraie campagne » de Jacques Chirac. Il explique ainsi au lecteur que cette ambiguïté créée par Jacques Chirac n’a d’autre but que de retarder encore le moment de sa sortie. Celui-ci, par son silence, entend alimenter les suppositions. Et, en effet, les médias semblent s’interroger. Car les vœux de Jacques Chirac aux Français surprennent: il dresse en partie un bilan de son mandat et donne surtout des orientations pour les cinq années à venir. La question est alors posée : Jacques Chirac parle-t-il pour un candidat qui prendrait sa suite ou pour lui même ? Les reportages et articles ne manquent pas, après une période plutôt calme en matière de traitement médiatique pour le Président de la République. Un sondage mené pour France Inter révèle le 4 janvier que quatre français sur cinq seraient contre une nouvelle candidature de Jacques Chirac. Mais les sondages démontrent un certain intérêt et le président revient presque sur le devant de la scène, au même titre ou presque que Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal. Les vœux de Jacques Chirac sont d’ailleurs placés dans les dossiers « présidentielles ». Le 5 janvier, dans un article intitulé « Un discours entre testament, programme de campagne et liste d'exigences » , le Figaro exprime ce questionnement : « UNE SALVE de propositions, des orientations à long terme, un point sur la place de la France dans le monde... Les vœux de Jacques Chirac ont désorienté les « forces vives » qui ne savaient décidément plus hier si le chef de l'État avait lu son testament, présenté son programme de campagne ou établi les conditions de son soutien au candidat de la majorité. »

Un doute que ne partage qu’à moitié le Monde. Contrairement à Libération, il évoque le doute sur les intentions de Jacques Chirac, qui ne s’est pas encore exprimé officiellement, mais contrairement au Figaro, le Monde laisse entendre que ces doutes ne sont pas fondés. La figure du candidat potentiel se nuance donc selon le quotidien.

REMUSAT Cécile_2007 41 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Jusqu’au dernier instant, Jacques Chirac joue avec les médias, dans tous les sens du terme. C’est ainsi qu’un rire communicatif s’empare du groupe de 400 journalistes lors des vœux du président à la presse, le 9 janvier. A la question « serez-vous candidat ? », le président, bronzé, presque charmeur, sourit, et laisse tomber « je vais y réfléchir ». Jacques Chirac ne peut donc renoncer facilement à son image de candidat perpétuel. Mais une autre figure vient détrôner celle-ci. Car tandis que les médias s’interrogent sur cette éventuelle candidature, il s’agit surtout pour eux de comparer l’improbable candidat Chirac à l’incontournable candidat Sarkozy. Le Monde et le Figaro se retrouvent alors sur un point. Dans leurs papiers sur les vœux énigmatiques du président, les deux y ont trouvé de quoi « couper l’herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy », illustrant la figure du président opposé à son ministre. D’autres figures sont ainsi présentes dans chacun des articles. Le président en exercice semble une figure incontournable pour les trois quotidiens puisque le discours de Jacques Chirac est avant tout une allocution présidentielle. Les trois quotidiens ne manquent d’ailleurs pas de rappeler les enjeux fixés par Jacques Chirac. Le Monde rappelle son désir de voir « un gouvernement au travail », lui conférant même un rôle d’arbitre dans la prochaine élection avec la distribution « de bons et de mauvais points aux candidats ». Comme le Monde, le Figaro rappelle les exigences de débat de Jacques Chirac, ses recommandations, et détaille son emploi du temps chargé, accentuant ainsi cette figure du président en exercice bien davantage que les deux autres quotidiens. Libération va moins dans ce sens puisque le quotidien explique que cette figure du président toujours actif et souhaitant « peser sur le débat » correspond à l’image que souhaite renvoyer Jacques Chirac. Cette figure apparaît donc comme artificielle dans Libération, qui met davantage l’accent sur le président en fin de règne. La figure du vieil homme est aussi présente implicitement avec le rappel de l’âge du président et l’évocation de sa longue carrière politique. Une dernière figure transparaît dans les trois papiers, mais de façon tout à fait implicite pour certains: celle du président en opposition à son ministre. Les échos des partisans de Nicolas Sarkozy à ce discours étaient plutôt positifs, soulignent le Monde et Libération. Mais en soulignant l’approbation du camp sarkozyste aux propos de Jacques Chirac, les quotidiens soulignent par là leur aspect inattendu. Ils supposent donc une opposition latente qui est peut-être sur le point de s’apaiser grâce à des positions stratégiques : « Comme si Nicolas Sarkozy […] était prêt, pour faciliter une paisible sortie de scène de l¹ancien, à se grimer un temps, lui l¹apôtre de la «rupture» tous azimuts, en candidat de la continuité chiraquienne. » précise Libération. Quant au Monde, il qualifie avec ironie de «très oecuménique » la réaction de l’UMP. Le Figaro, au contraire, évoque cette figure plus explicitement, grâce à une expression très claire : Jacques Chirac aurait « coupé l'herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy » .

Le politique qui existe en opposition à un autre

Un homme politique existe souvent en opposition à un autre, comme la droite existe en opposition à la gauche. Jacques Chirac a, de nombreuses fois, fait figure d’adversaire, 42 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

contre François Mitterrand, Jean-Marie le Pen, Edouard Balladur, Lionel Jospin ou d’autres. A quelques mois de la fin de son mandat, il voit se dresser contre lui un nouvel opposant : son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. L’ambition de ce dernier, souvent qualifié de « fils» de Jacques Chirac33, du fait de la similitude de leurs parcours politiques, se révèle rapidement, dès le début du second mandat du président. Nicolas Sarkozy a lui aussi commencé sa carrière politique très jeune, en 1974, quand il adhère à l’UDR. Conquerrant la mairie de Neuilly en 1983, à 28 ans, comme Jacques Chirac avait conquis celle de Paris. Député à 34 ans et ministre pour la première fois à 38 ans, Nicolas Sarkozy n’hésite pas, comme Jacques Chirac en son temps, à faire des choix politiques parfois qualifiés d’acte de « trahison » ou de « lâchage » 34, comme son soutien à Edouard Balladur en 1995 dans sa candidature à l’Elysée, contre Jacques Chirac. Et Nicolas Sarkozy, à l’image de l’idée que certains se font de Jacques Chirac, fait preuve d’une grande ambition. Secrétaire générale du RPR en 1998, dont il devient président par intérim en 1999, puis, élu par le Congrès le 28 novembre 2004, il termine à la tête de l’UMP, le parti créé par Jacques Chirac et destiné à Alain Juppé. Il passe par deux ministères entre 2002 et 2007 : les Finances, qu’il occupe neuf mois, et surtout, l’Intérieur. Mais son principal objectif, il ne le cache pas, demeure la magistrature suprême. Son opposition frontale à Jacques Chirac débute en novembre 2003 lorsque, lors de l’une de ses émissions, Alain Duhamel lui demande, si, comme Laurent Fabius, il lui arrive de penser à la présidentielle en se rasant. Ce à quoi Nicolas Sarkozy répond : « pas simplement quand je me rase ». Tous ces éléments laissent Franz-Olivier Giesbert affirmer que Nicolas Sarkozy « est un avatar de Jacques Chirac. En plus jeune et avec moins de complexes. » 35

Dans la presse, une figure récurrente Dans la plupart des articles consacrés à jacques Chirac apparaît le nom de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. La rivalité qui oppose les deux hommes est une figure devenue permanente dans la presse, notamment depuis que Nicolas Sarkozy ne cache plus ses intentions présidentielles. Une fois déclaré officiellement candidat (le jour de l’anniversaire de Jacques Chirac), il doit jouer sur deux fronts : apparaître comme le prochain président de la République tout en remplissant son rôle de ministre. Et la presse ne manque pas une occasion de rappeler que ces ambitions déplaisent au président actuel, jusqu’au soutien de celui-ci, le 21 mars 2007. Un soutien qui s’est fait attendre, comme le fait remarquer 36 Libération quelques jours auparavant : « Du côté de Chirac, Sarkozy ne voit toujours rien venir ». Jacques Chirac ne s’est en effet jamais prononcé en faveur de Nicolas Sarkozy jusqu’au 21 mars. C’est ainsi qu’il ne se déplace pas au Congrès de l’UMP, le 14 janvier 2007, où Nicolas Sarkozy est sacré candidat à l’élection présidentielle. La presse ne manque pas de souligner cette absence, et Jacques Chirac demeure silencieux. Mais il s’exprime tout de

33 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-54 34 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-351 35 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-242 36 Libération, le 10 mars 2007 REMUSAT Cécile_2007 43 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

même sur le sujet dans l’un de ses entretiens avec Pierre Péan37,dont l’ouvrage paraît un mois plus tard. «Pourquoi n’avez-vous pas envoyé au Congrès de l’UMP un message de soutien ? C’est une question de principe. Du jour où j’ai été élu président, j’ai estimé que ma fonction ne me permettrait pas de participer directement ou indirectement à la vie partisane, et d’autant moins s’agissant d’une réunion à vocation électorale.» Quant à l’émotion que suscite chez lui l’investiture de Nicolas Sarkozy, trente ans après lui- même au RPR, comme le fait remarquer Pierre Péan, Jacques Chirac répond avec sérénité : «J’ai voulu la création de l’Union pour un mouvement populaire afin de rassembler le maximum de Françaises et de Français.[...]Donc, si le Congrès d’aujourd’hui a pu contribuer à renforcer l’adhésion des Français à une certaine idée de la France et de son avenir, c’est une très bonne chose ». Malgré les réponses politiquement très correctes de Jacques Chirac, même Pierre Péan suppose une opposition avec son ministre. Il rappelle ainsi à Jacques Chirac le « décalage certain » entre leurs propositions, ce que reconnaît le président de façon diplomatique : « si vous regardez de près, il y a beaucoup de points de convergence, mais il y a aussi des différences de sensibilité, notamment sur la vision du monde, même si je 38 note-et c’est une bonne chose-des évolutions de sa part. »

Cette opposition entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, même atténuée dans les propos du président, est une constante depuis plusieurs mois dans les médias. C’est ainsi que Charlie Hebdo titre, le 25 décembre 2007 : « Tous les escrocs se rallient à Sarko, sauf moi ! ». Leur opposition donne aussi lieu à des analyses d’ordre plus psychologique : « il y a, encore aujourd’hui, trop de passion entre Chirac et Sarkozy pour que leurs relations aient été seulement formelles pendant la petite vingtaine d’années où ils se sont fréquentés. Quoi qu’ils en disent, ces deux-là se sont aimés. Ils se sont même trop aimés pour ne point se 39 haïr quand l’amitié s’en est allée. »

Pierre Bourdieu évoque une approche personnalisée du pouvoir et de son exercice dans une étude sur les souverains qui favorisent leurs proches et inversement : « Le pouvoir repose sur des relations personnelles et des relations affectives socialement instituées comme la fidélité, l'«amour», la «créance», et activement entretenues, notamment par les «largesses». » 40. Cette analyse pourrait se transposer à la politique actuelle et éclairer l’affirmation de Franz-Olivier Giesbert. Après avoir été proche de Nicolas Sarkozy durant les premières années de sa carrière politique (« pendant la petite vingtaine d’années où ils se sont fréquentés »), Jacques Chirac lui aurait retiré sa confiance, « ses largesses », après sa « trahison » de 1995 et devant ses ambitions précoces et par conséquent presque irrespectueuses pour un président en place.

37 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-482 38 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-484 39 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-55 40 Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97, mars 1993, p-49-62 44 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

L’opposition de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, les phrases comme « je décide, il 41 exécute », seraient donc liées à l’affect de Jacques Chirac. Certains médias prêtent donc une véritable relation affective à Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, bien que l’un et l’autre s’en défendent.

Un exemple de cette opposition se retrouve dans les vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, le 3 janvier. Le Monde, le Figaro et Libération reviennent sur cette traditionnelle intervention. Le Monde, le 3 janvier 2007 : «Chirac profite de ses vœux pour mettre en garde Sarkozy » (annexe 19) Le Figaro, le 3 janvier 2007 : «La mise en garde de Chirac aux ministres » (annexe 20) Libération , le 3 janvier 2007 : «Les vœux venimeux de Chirac à Sarko » (annexe 21)

Le Monde Le quotidien consacre un papier assez court à cette intervention mais totalement orienté vers sa mise en garde à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Il se base sur une longue citation pour illustrer son analyse selon laquelle « cette déclaration semblait viser en particulier Nicolas Sarkozy » : « "Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s'annonce. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l'expression de votre engagement et de vos convictions, a dit M. Chirac en réponse aux vœux du gouvernement. Mais il vous faudra le faire dans le cadre d'un principe clair : cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale." » « Le chef de l'Etat a aussi dénoncé "la tentation de la table rase", semblant à nouveau s'en prendre implicitement au candidat Sarkozy, chantre de la "rupture tranquille". » Par deux fois, le quotidien emploie le verbe « sembler », qui avec l’adverbe « implicitement », dénotent une volonté de garder une certaine distance avec ce qui est affirmé. En effet, Jacques Chirac ne cite pas directement le nom de son ministre de l’Intérieur. Le quotidien marque davantage l’opposition avec Nicolas Sarkozy en évoquant Dominique de Villepin, qui lui avait été préféré par le président Chirac au poste de premier ministre. Ainsi, après avoir fait état de la mise en garde implicite de jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, le Monde souligne que le chef de l’Etat « a salué l'action du gouvernement dirigé par Dominique de Villepin en disant aux ministres qu'ils avaient "toutes les raisons d'être fiers de l'action [qu'ils mènent] sous l'autorité du premier ministre" . »

Le Figaro Dans un court article, Le Figaro évoque une « mise en garde », à l’image du Monde. Mais pour le Figaro, celle ci s’adresse « aux ministres », aux « troupes » de Jacques Chirac, et enfin, à Nicolas Sarkozy. « Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli" ». Puis, comme son concurrent, le Figaro termine sur les intentions de Jacques Chirac, toujours aussi mystérieuses. Mais contrairement au Monde, le Figaro évoque aussi les 41 Entretien de Jacques Chirac avec la presse télévisée, le 14 juillet 2004 REMUSAT Cécile_2007 45 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

orientations données par Jacques Chirac à ses ministres, le terme « mobilisation totale » n’étant pas seulement destiné à Nicolas Sarkozy. Ainsi l’opposition entre le chef de l’Etat et son ministre de l’intérieur est moins marquée dans ce papier –les félicitations à Dominique de Villepin ne sont pas soulignées- et se fond parmi d’autres informations.

Libération Le papier de Libération, plus complet, va dans le même sens que celui du Monde, mais de façon encore plus prononcée. Le quotidien ne prend pas les mêmes précautions, et qualifie de « venimeux » les vœux de Jacques Chirac. Ceux-ci sont d’ailleurs directement adressés, pour le quotidien, à « Sarko », diminutif familier de Sarkozy. Ce titre donne le ton de l’article, qui vise, à l’image du journal, à dépasser les discours de convenance. Il fait état de deux hommes qui se connaissent bien (d’où le diminutif) et ne s’apprécient pas. La mise en garde évoquée par les deux autres quotidiens devient ainsi une « mise en demeure » très claire. La dimension très personnelle de la relation entre les deux hommes apparaît avec des expressions comme « faire la leçon » ou « admonestation ». Jacques Chirac fait ici figure d’aîné et semble rappeler à l’ordre « Nicolas » : « Bonne année Nicolas ! Jacques Chirac ne s’est pas privé de faire la leçon à son ministre de l’Intérieur . De plus, l’emploi du passif rend Jacques Chirac maître de la situation et Nicolas Sarkozy, qui « a été mis en garde », apparaît une fois encore comme un élève rappelé à l’ordre.

L’article laisse aussi entendre que Jacques Chirac se serait « adressé » à Nicolas Sarkozy en personne pour lui adresser cette mise en garde : « Après les figures imposées comme celle de demander « une mobilisation totale » de ses ministres, le chef de l’Etat s’est plus particulièrement adressé à Nicolas Sarkozy, présent lors de la réception à l’Elysée. A la veille de la campagne électorale, l’indubitable candidat de l’UMP – parce qu’unique postulant à l’investiture de son parti – à la présidentielle a été mis en garde: « Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s’annonce, a expliqué le président de la République. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l’expression de votre engagement et de vos convictions. » Cependant, a-t-il martelé, « il vous faudra le faire dans le cadre d’un principe clair: cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s’exercer au détriment de votre mission gouvernementale Voilà donc le ministre de l’Intérieur quasiment sommé de choisir entre candidat officiel ou membre du gouvernement..» Par la façon dont le journaliste tourne sa phrase, le lecteur peut avoir l’impression que Jacques Chirac se tourne vers Nicolas Sarkozy et que le « vous » ne s’adresse qu’à lui seul. Le lecteur a ainsi l’impression d’assister à la scène. L’utilisation du passé composé («a expliqué », « a-t-il martelé ») contribue à faire apparaître le récit comme celui d’événements certains. Le journaliste prend dès lors une certaine liberté dans cet article, comme en témoignent certains qualificatifs comme « Sarko » pour Sarkozy et « porte-flingue numéro un » pour Brice Hortefeux.

46 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

Mais Libération est aussi celui des trois quotidiens qui va plus loin que cette apparente mise en garde à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Car même si celle-ci occupe une place de premier plan dans ce papier, le journaliste ne manque pas de développer d’autres informations, comme la nouvelle feuille de route fixée aux ministres et les « trois priorités » de Jacques Chirac. Comme si, à l’image de Jacques Chirac pour ses ministres, Libération ne voulait pas que ses lecteurs « se laissent distraire par un événement aussi banal qu’une campagne présidentielle ».

Comparaison

Par conséquent, le traitement médiatique de cette intervention semble se faire de façon crescendo suivant le quotidien. Libération fait un papier très offensif, n’hésitant pas à dépasser quelque peu la réalité en sous-entendant que Jacques Chirac s’est adressé directement à Nicolas Sarkozy. Le Monde va dans le même sens mais en précisant que le message, certainement adressé à Nicolas Sarkozy, ne le nomme pas directement. Quant au Figaro, s’il reconnaît que l’avertissement de Jacques Chirac s’adresse en priorité à son ministre de l’Intérieur, il titre malgré tout sur un avertissement collectif. L’engagement des journaux diffère donc. Malgré tout, même si Libération est celui des trois quotidiens qui pousse le plus loin la confrontation entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, il ne lui accorde pas pour autant la même place prépondérante que le Monde ou le Figaro. Ces deux derniers, focalisant leurs papiers sur cette mise en garde à un ministre, ne développent que rapidement d’autres informations. Parmi celles-ci, les orientations que Jacques Chirac indique pour les derniers mois de son mandat. Libération est ainsi le quotidien qui évoque la figure du président en exercice contrairement aux deux autres. Ce point semble important dans le sens où l’analyse précédente, concernant les vœux de Jacques Chirac aux Français, prouve que dans ce cas antérieur, le Figaro était celui des trois quotidiens à mettre le plus en avant cette figure. La différence réside dans le fait que Libération n’accentue pas la figure du président en exercice pour effacer celle du président en fin de règne, comme le Figaro dans les articles précédemment étudiés. Libération n’omet tout simplement pas d’évoquer ici cette figure, incontournable dans les faits puisqu’il s’agit d’un discours officiel à l’attention d’un gouvernement. Cette différence apparaît forte en comparaison des deux autres quotidiens qui choisissent de se concentrer ici uniquement ou presque sur l’opposition à Nicolas Sarkozy. Là encore, le journal Libération ne traite pas l’information de la façon attendue dans le sens où il se distingue de ses deux concurrents. Il apparaît ainsi qu’une figure peut apparaître dans un journal plutôt qu’un autre en fonction du contexte. Ici, le fait de présenter Jacques Chirac en opposition à Nicolas Sarkozy, mais dans le même temps, comme le président en exercice, déplace l’attention du lecteur. Celui-ci a, dans un même article, deux angles d’approche. L’opposition à Nicolas Sarkozy ne supplante pas la fonction présidentielle de Jacques Chirac. Lequel, selon le journal, attend de ses ministres, « qu’ils [ne] se laissent [pas] distraire par un événement aussi banal qu’une campagne présidentielle » .

REMUSAT Cécile_2007 47 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Le papier de Libération semble, comme vu précédemment, chercher à ne pas perdre de vue l’essentiel alors que l’on serait tenté, par l’actualité du jour ou, dans ce cas, par une simple phrase ambiguë, de se laisser entraîner vers une autre vérité. Jacques Chirac est ainsi conscient, quand il s’adresse à ses ministres, que ses mots seront interprétés par les médias comme étant directement adressés à Nicolas Sarkozy. Et le journal ne semble pas vouloir aller dans ce sens, déjouant ce qui pourrait apparaître comme un calcul politique.

Une dernière figure apparaît enfin: celle du candidat potentiel. Mais cette figure est absente de Libération, qui s’est concentré sur la double figure de l’opposition à Nicolas Sarkozy et du président en exercice. En revanche, le Monde et le Figaro font implicitement allusion aux doutes sur les intentions de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle : « Jacques Chirac a aussi prévenu qu'il comptait, "en liberté et en responsabilité", s'exprimer avant les élections pour "fixer les enjeux et éclairer le choix des Français", comme il l'avait fait dans ses vœux le 31 décembre » précise le Figaro. Le Monde reprend des termes identiques, éclairant ces derniers d’une précision : « le président, […] n’a pas encore annoncé s'il envisageait un troisième mandat. » Cette précision place l’information dans une dimension différente : cela concerne la figure du candidat potentiel. Mais cette figure, si elle constitue l’ouverture en fin de ces deux articles, demeure mineure en comparaison de celle qui place Jacques Chirac en opposition à son ministre.

Les vœux de Jacques Chirac à la presse, le 9 janvier, donnent à nouveau lieu à une opposition avec Nicolas Sarkozy. En effet, ce dernier a décidé d’avancer ses propres vœux d’une journée. Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac apparaissent alors rivaux dans l’occupation de l’espace médiatique, la presse devant couvrir ces deux interventions le même jour. Il s’agit d’une évolution dans l’attention des médias due au suspens que Jacques Chirac laisse planer sur une éventuelle candidature. Jusqu’au mois de janvier, cette attention était monopolisée sur son ministre de l’Intérieur et la candidate socialiste, Ségolène Royale. Le CSA a d’ailleurs averti certaines chaînes de télévision du risque d’une bipolarisation du débat médiatique. Mais depuis les vœux mystérieux de Jacques Chirac, les médias, n‘ayant aucune certitude quant à ses intentions, se doivent de suivre le président. C’est ainsi que pour ses vœux à la presse, Jacques Chirac fait encore la une. Cette opposition, même si elle ne disparaît pas totalement, s’atténue quand Jacques Chirac apporte officiellement son soutien à Nicolas Sarkozy, quelques jours après avoir annoncé, le 12 mars, qu’il ne se représenterait pas. A partir de cet instant, les médias se désintéressent peu à peu de Jacques Chirac et de la « guerre » qui l’opposerait à son ancien ministre.

Dans la presse satirique On l’a vu, Jacques Chirac, quand il apparaît dans les pages consacrées à l’élection présidentielle, n’apparaît que comme « l’anti-Sarkozy ». Il n’existe presque plus par lui même. Cette opposition se retrouve dans la presse satirique, mais de façon diverse. Cette rivalité avec Nicolas Sarkozy semble alors isoler Jacques Chirac, tout en lui redonnant vie et motivation.

48 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

Une envie de vaincre l’ennemi qui aurait déjà relancé Jacques Chirac en politique après la « trahison » 42 d’Edouard Balladur en 1995, qui avait décidé de se présenter à l’élection présidentielle : « il est en effet prêt à tout braver. Le cabales. Le dédain. Le ridicule Une 43 rage sans borne bout en lui, la rage d’en découdre avec ce Premier ministre parjure ». Cet épisode aurait finalement rendu service à Jacques Chirac à l’époque, le rendant plus combatif après une période difficile. Edouard Balladur, en s’opposant à Jacques Chirac lui aurait « rendu service » selon Charles Pasqua44. De la même façon, en l’attaquant sur son âge en 2002, le qualifiant de «fatigué, vieilli, usé », Lionel Jospin aurait « réveillé » le président45. De l’opposition avec un autre naîtrait donc la force de Jacques Chirac. Cette image se retrouve plus ou moins dans la presse satirique. 46 Dans la Bande Dessinée de Bruno Gaccio, « la Success story du président » , Jacques Chirac apparaît supérieur à Nicolas Sarkozy : celui que Nicolas Sarkozy voudrait être sur tous les plans, objet de sa jalousie maladive. « Chirac et Sarkozy se détestent, c’est communément admis. […]La bataille que se livrent ces deux-là c’est une bataille éternelle : celle du grand contre le petit. Du brillant contre le blafard. Du gars facile avec les filles contre celui qui rame pour rouler une pelle […] c’est la bataille du moche contre le beau. Le grand qui en jette contre le petit qui en chie.[…]Sarkozy incarne, comme personne avant lui, la revanche des médiocres. » Et dans les Guignols de l’info, début janvier, la marionnette de Jacques Chirac entend bien déclarer la guerre à celle de Nicolas Sarkozy. En témoigne le lexique guerrier : « J’ai fait donner ce qu’on appelle l’artillerie lourde. Ca va cogner ! Mes troupes sont prêtes, elles sont affamées, ça va saigner ! […]Que du lourd ![…] Là on gagne déjà ! Un point pour nous ! Et ça a même pas commencé ! Non, on les attaque au mental là ![…] c’est la stratégie de l’encerclement ![…] A l’attaque Jean-Louis ! » Malgré tout, cette figure du président offensif ne résiste pas à celle du vieux fou excentrique et solitaire. Ainsi la marionnette de PPD insiste sur ses soutiens, très rares : « - PPDA : euh… on voudrait savoir qui vous soutient, c’est-à-dire qu’ils sont 300 000 en face ! - J.C : et ben on est pareil…moins les 100 000. - PPDA :c’est-à-dire ? - J.C :on est trois. » La haine que Jacques Chirac voue à Sarkozy lui fait perdre tout sens des réalités. C’est le message que font passer les Guignols de l’info à travers ces scènes satiriques. La presse quotidienne d’information ne va pas aussi loin mais il est vrai que la figure du président en contradiction directe avec son ministre de l’Intérieur est représentée de façon permanente. Cette opposition permet à Jacques Chirac de continuer à exister sur la scène politique, jusqu’au jour où celui-ci doit s’effacer devant son ex-ministre et futur successeur.

42 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-345 43 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-131 44 Patrick ROTMAN, Chirac le vieux lion, documentaire, octobre 2006 45 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-295 46 Bruno GACCIO, La Succes Story du président, éditions Hoëbeke, Paris, 2006, p-50 REMUSAT Cécile_2007 49 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Conclusion partielle

Annie Collovald présente deux instruments qui fournissent des renseignements biographiques sur des personnalités politiques : le Bérard-Quélin et le Who’s who. Elle affirme que « la représentation de l’homme politique résulte de la rencontre qui s’opère entre des principes de construction [les règles et la vision sociales qui sont propres à des instances de publication] et les propriétés spécifiques qui le caractérisent.[…]Son identité est donc une identité construite et redéfinie à chaque fois dans les différentes instances qui 47 la publient » Le Bérard-Quélin dresse ainsi un portrait de la personnalité publique de l’homme publique, alors que le Who’s who établit une biographie personnalisée, qui a davantage trait à l’homme et à la personne privée. L’homme s’efface ainsi devant le politique ou inversement selon l’outil choisi. La figure de Jacques Chirac en tant qu’homme politique pourrait alors se retrouver dans ces deux ouvrages biographiques puisque cette figure se situe entre celle de l’homme et celle du président, entre le corps naturel et le corps symbolique. Une étude compare ainsi les deux portraits de Jacques Chirac dans ces deux annuaires, afin de démontrer les « stratégies identitaires que mettent en œuvre les acteurs politiques ». Il en ressort une complexité croissante du travail de présentation de soi de l’homme politique qui doit s’adapter au « complexe de personnages politiques qu’il est amené à incarner ». La force spécifique de l’homme politique apparaît donc comme « le résultat d’une opération de « production de soi » consistant à rassembler, à homogénéiser, et à rendre cohérentes, sous une « marque » identitaire unifié et suffisamment identifiable, les multiples définitions de lui-même. Plus que la manifestation d’une identité « véritable », le travail de « personnalisation de soi » est un produit complexe destiné à servir de moyen dans la lutte politique. »

L’homme politique forge ainsi sa propre identité dans une démarche stratégique, et les médias contribuent à cette identité, la renforcent ou en créent de nouvelles. La figure du candidat est voulue par Jacques Chirac. Il se met en scène pour susciter le doute parmi les médias, le public, pour provoquer des questionnements et continuer d’exister sur la scène politique. Les médias ne sont pas dupes de cette construction identitaire mais ne peuvent que la nuancer fortement sans la nier totalement. La réponse ne peut venir que de Jacques Chirac lui-même. Il met ainsi fin, quand il le choisit, à l’image du candidat perpétuel, de l’homme politique assoiffé de pouvoir. En revanche, la figure d’un homme politique en opposition à un autre, tout aussi récurrente que celle du candidat, prend une forme nouvelle avec l’image de Nicolas Sarkozy contre Jacques Chirac. Ce dernier semble perpétuellement remis en cause par son cadet, tandis que, par le passé, il faisait figure de « challenger ». Même lors de la cohabitation avec Lionel Jospin, la lutte entre les deux hommes semble presque plus courtoise. A l’approche du scrutin électoral, la figure de Jacques Chirac en tant qu’homme politique, existe en grande partie grâce à ce dernier combat entre deux hommes que présentent les médias. Cette lutte le fait apparaître à la fois comme le président en exercice, qui entend le rester jusqu’au bout, comme l’homme politique qui détient l’expérience et assoit sa position dominante face à son ambitieux dauphin ; mais l’opposition constante à Nicolas Sarkozy peut aussi affaiblir la position de Jacques Chirac, sans cesse remis en cause par la notion de 47 Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988 50 REMUSAT Cécile_2007 La figure du politique

rupture avancée par son ministre. Nicolas Sarkozy apparaît donc comme celui qui pousse tout simplement Jacques Chirac vers la sortie.

REMUSAT Cécile_2007 51 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

La figure du président

Jacques Chirac doit remplir ses fonctions de président de la République Française jusqu’au 16 mai. Et le traitement médiatique autour de sa personne a beau décliner de nombreuses figures en raison du contexte électoral, il n’en demeure pas moins que Jacques Chirac est encore au pouvoir. Loin de la figure de l’homme, au dessus de celle du politique, la figure du président, fonction hautement symbolique, se décline elle aussi de diverses manières. De façon conventionnelle, les médias se doivent de retranscrire la figure du président en exercice, présente dans chaque sortie ou visite officielle. Mais d’autres, plus inhabituelles, se greffent à l’image du président de la République : la figure du président coupable, qui rattrape Jacques Chirac pendant et à la fin de son mandat, ainsi que la figure du président en fin de règne qui vient contrer celle du candidat potentiel à l’approche des éléctions.

Le Président en exercice

Jacques Chirac se doit de continuer à remplir ses fonctions malgré le contexte politique agité autour de lui. Demeurant très discret sur ses intentions, comme vu précédemment, il fait preuve d’une grande activité durant les derniers mois de son mandat. Ces visites officielles peuvent donner lieu à la déclinaison d’autres figures que celles du président en exercice, mais les médias se doivent, dans ces moments là, de considérer avant tout Jacques Chirac comme le président de la République Française. Car lors d’un voyage ou d’une action présidentiels, ce n’est pas l’homme qui s’exprime, mais le dirigeant d’un pays, élu par un peuple. Jacques Chirac réunit ainsi dans sa personne le symbole de la France. Il représente à lui seul un pays tout entier et ses mots ont une portée historique Il en va ainsi d’une série de discours prononcés par Jacques Chirac sur le travail de mémoire, dont le dernier est prononcé quelques semaines avant la fin de son mandat. Le 16 juillet 1995, nouvellement élu, il reconnaît la responsabilité de l'État dans la déportation des Juifs de France. C’est aussi sous son mandat qu’une journée commémorative est consacrée à l’abolition de l’esclavage, comme une journée d’hommage national l’est aux Harkis. C’est ainsi qu’est abordé l’hommage rendu aux Justes de France, le 18 janvier 2007. Il semble important de noter que Pierre Péan48 termine son ouvrage sur Jacques Chirac par le texte de l’allocution présidentielle, conférant cette dimension symbolique et historique à l’homme auquel il vient alors de consacrer un livre. Le Monde, le Figaro et Libération reviennent sur cet événement dans les trois articles suivants : Le Monde, le 18 janvier 2007 : «Jacques Chirac invite les Justes au Panthéon et invite la France à regarder son histoire « en face »» (annexe 24)

48 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-495-501 52 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

Le Figaro , le 18 janvier 2007 : «En rendant hommage aux Justes France, Chirac parachève le travail national de mémoire » (annexe 25) Libération, le 18 janvier 2007 : «Les Justes de France honorés au Panthéon» (annexe 26)

Le Monde Le Monde revient en détail sur cette journée tout en précisant le contexte dans lequel elle se déroule. La parole de Jacques Chirac est très présente dans cet article et la figure du président en exercice apparaît par cette parole à laquelle une grande importance semble accordée, ainsi que par la place que semble prendre ici Jacques Chirac dans l’Histoire. L’accent est mis sur son action en faveur du « travail de mémoire ». L’hommage est présenté comme celui « de la nation » et comme l’achèvement d’une action débutée en 1995. Le Monde rappelle ainsi la dimension historique d’un discours qui, à ce moment là, « avait fait date », en détaillant les multiples interventions de Jacques Chirac sur le sujet. De nombreuses citations jalonnent ainsi l’article pour rappeler les propos tenus par le président ces dernières années. Par cette présence verbale, la figure présidentielle s’impose, même si le Monde présente d’emblée un adjuvant dans l’hommage rendu aux Justes : Simone Veil. Elle a proposé la première cet hommage, et le président « a immédiatement accepté » précise le quotidien. Cette action présidentielle semble ici inséparable de la vision que se fait Jacques Chirac de l’identité des Français qui doivent assumer la totalité de leur Histoire. Des expressions marquent la volonté et le ressenti d’un homme, qui par son statut de président, accomplit une démarche devenue nationale (« il veut », « à ses yeux », il « voit ») La figure du président semble alors être en lien étroit avec celle de l’homme. Cette action en faveur des Justes marque aussi pour le Mondela fin d’un « combat », parlant même de « croisade » : « la boucle historique est bouclée, et le combat pour les valeurs, jusqu’au bout, livré ». Par ces termes, offensifs, Jacques Chirac apparaît comme un président actif, souhaitant faire respecter des valeurs, des idées qui lui tiendraient à cœur. Une représentation assez inhabituelle, loin de l’immobilisme qui lui est souvent reproché . L’emploi de l’imparfait (« M. Chirac devait évoquer », « devait-il avancer ») marque cependant un processus qui n’est pas clôt, comme en témoigne la dernière phrase, qui ouvre sur l’avenir : «le travail de mémoire sur la colonisation reste, lui, à achever. » Malgré tout, ce travail de mémoire apparaît, tout au long du papier, comme un point positif de son bilan, et le présent se mêle au passé, comme pour souligner la complexité du problème : parler au présent d’un passé comun pour mieux aborder l’avenir. Le Monde place Jacques Chirac comme le défenseur des victimes de l’Histoire en l’opposant à Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, qui préside alors un groupe d’extrême droite au Parlement européen tandis que celui ci est divisé sur une éventuelle législation commune contre le négationnisme. En juxtaposition à BrunoGollnisch, « actuellement jugé pour « contestation de l’existence de crime contre l’humanité », le Mondeévoque Jacques Chirac, qui « devait avoir des mots très durs contre le négationnisme, ce « cancer de la pensée » ». La parole de Jacques Chirac apparaît sans conteste la parole la plus juste en opposition à celle d’un homme poursuivi par la justice. Les marques d’ironie concernant les discours du président sont ainsi totalement absentes ou presque. REMUSAT Cécile_2007 53 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

La seule modération apportée par la journaliste concerne une citation, « regarder la France au fond des yeux », que Jacques Chirac aurait empruntée à Valéry Giscard d’Estaing. Mais le quotidien précise qu’ « on fait semblant de croire, à l’Elysée, qu’il n’y a « pas pensé » ». La stratégie de l’homme politique refait alors surface dans la démarche présidentielle, désirant en quelque sorte s’attribuer le mérite d’un autre et retirer les bénéfices d’une action antérieure. Cette mise en perspective du jeu politique replace la figure présidentielle dans le temps présent après avoir évoqué la dimension historique de l’action et son lien avec l’homme qu’est Jacques Chirac.

Le Figaro Le Figaro entreprend de retracer l’action présidentielle sur le travail de mémoire depuis 1995 plus que de décrire la journée d’hommage aux Justes. Celle-ci est évoquée en tout début d’article, au présent, rendant l’émotion plus vive : « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante. Ce soir, dans la crypte du Panthéon, Jacques Chirac rend un hommage solennel aux Justes de France. » Mais le papier dévie ensuite sur les actions passées du président, comme un flash- back. L’évocation de la journée du 18 janvier 2007 permet finalement au quotidien de dresser une sorte de bilan de Jacques Chirac sur son action antérieure pour reconnaître le passé de la France. Le ton se fait ainsi narratif et laudatif, mais le récit, toujours au présent, demeure percutant : « tout a commencé le 16 juillet 1995. Ce jour- là, le président nouvellement élu accomplit un acte fort, un de ceux qu’on aime à appeler « fondateur » », précisant que cette action « rompt » avec celle de ses prédécesseurs, « de Charles de Gaulle à François Mitterrand » qui avaient jusque là refuser d’assumer les fautes de Vichy. Jacques Chirac apparaît ainsi comme le président du renouveau celui dont l’action a marqué un tournant dans l’Histoire. « C’est le discours que l’on n’attendait plus ». Ces propos tenus par le président du Crif de l’époque font échos aux propos du journaliste. Le Figaro accorde ainsi davantage d’importance que le Monde aux réactions suscitées par les actes de Jacques Chirac sur ce thème. Un membre de l’opposition est ainsi cité, certainement pas choisi au hard : Ségolène Royal, qui avait alors qualifié le discours d’ « irréprochable ». L’utilisation de cette reconnaissance ancienne prend toute sa dimension, à l’heure où Ségolène Royal est devenue une figure incontournable du parti socialiste puisqu’elle le représente aux élections présidentielles de 2007. Ce sont au contraire les représentants de la droite gaulliste qui apparaissent en opposition au chef de l’Etat, laissant apparaître celui ci comme le président novateur et ouvert. Mais à ces commentaires d’hommes du passé, comme Philippe Séguin, qualifié de « gardien de la flamme gaulliste » répondent les nombreuses actions de Jacques Chirac. Sont ainsi énumérés ses discours sur l’esclavage, dont l’abolition est dorénavant commémorée, sur le rôle des Harkis, sur « la répression sanglante par l’armée française dune insurrection à Madagascar », ainsi que sur la revalorisation des pensions des anciens combattants de l’empire colonial français après la sortie du film « Indigènes » . Cette action prend ainsi la forme d’un « bilan » et la figure du président en exercice précède donc celle du président en fin de règne.

54 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

Libération Libération se concentre sur la seule figure du président en exercice contrairement aux deux autres quotidiens. Libération se place dans une démarche didactique, rappelant au lecteur les grandes dates de l’Histoire et le nombre de victimes de la seconde Guerre Mondiale. Ces données chiffrées permettent au journal de mettre en évidence le nombre de vies sauvées en France grâce aux Justes, lesquels sont le véritable centre du papier. Le titre ne fait d’ailleurs pas état de Jacques Chirac contrairement à ceux du Figaro et du Monde : « Les Justes de France honorés au Panthéon » La figure du président en exercice semble donc la seule abordée car le sujet traité par le journaliste n’est pas Jacques Chirac. Le « chef de l’Etat », comme le désigne alors sobrement le journal, apparaît aux côtés d’adjuvants, comme Simone Veil, ou Dominique de Villepin, dans ce qui touche à l’organisation de la cérémonie. Le quotidien passe ainsi en revue les événements attendus, comme la projection de deux film d’Agnès Varda. Le ton didactique se transforme ainsi en ton narratif et descriptif. Très peu de citations rythment ces lignes mais toutes proviennent de Jacques Chirac ou de Simone Veil. Le ton de l’article apparaît donc neutre, sans l’ironie qui caractérise parfois les papiers de Libération. Pour le sujet, grave, le quotidien semble vouloir insister sur la dimension héroïque de certains Français pendant l’une des périodes les plus troubles de l’Histoire du pays. La politique intérieure s’efface au profit d’une vision élargie. La dernière phrase, citation de Jacques Chirac, conclut ainsi : « Le président de la République se recueillera ensuite en compagnie de Simone Veil dans la crypte devant la plaque rendant hommage aux Justes et aux anonymes, ces hommes et femmes qui « ont incarné l’honne ur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité». »

Comparaison Les trois quotidiens traitent le sujet en lui insufflant une dimension historique. Mais celle- ci prend diverses formes . Quand il s’agit pour le Figaro de rappeler l’action accomplie par Jacques Chirac sur le travail de mémoire, dans une ébauche de bilan, le Monde reconnaît aussi cet aspect positif de son mandat, allant jusqu’à le placer comme défenseur de certaines valeurs. Les deux quotidiens se retrouvent dans le traitement de cette information dans le sens où la figure de Jacques Chirac comme le président en exercice est très présente, à la fois par son action passée et par son action présente. Mais en se penchant ainsi sur un aspect de politique intérieure, du fait du contexte politique, rythmé par la prochaine campagne présidentielle, les deux quotidiens évoquent aussi d’autres figures de Jacques Chirac. Il en va ainsi du président en fin de règne. Le Monde parle d’achèvement (« Le chef de l’Etat achève ainsi le travail de mémoire qu’il a engagé dès 1995 »), de « cette fin de quinquennat », d’un combat « jusqu’au bout livré », et d’un « travail de mémoire sur la colonisation [qui] reste, lui, à achever », comme une ouverture sur la succession de Jacques

REMUSAT Cécile_2007 55 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Chirac. Le quotidien reprend aussi la même image que le Figaro : « la boucle historique est bouclée ». Le Figaro, en effet, reprend cette expression « pour Jacques Chirac, la boucle, ainsi est bouclée », rappelant que pour lui, « l’heure du bilan » a sonné. La fin de règne clôt finalement l’article par une citation saluant l’action de Jacques Chirac, comme le Figaro en emploie parfois. « « Ce qu'a fait Jacques Chirac pour que cette période qui ne passe pas puisse enfin passer, c'est de reconnaître que la France a fait des choses horribles, mais qu'elle a aussi fait des choses formidables », résume Frédéric Salat-Baroux. » Une autre figure se retrouve, de façon plus implicite, dans les deux articles du Figaro et Le Monde : celle de l’homme politique en opposition à un autre. Nicolas Sarkozy est ainsi évoqué dans les deux quotidiens pour un sujet dont il n’est pas l’acteur. Le Monde cite ainsi la réaction d’un « chiraquien et désormais sarkozyste » tandis que le Figaro rappelle que Jacques Chirac prend le « risque d’être accusé par Nicolas Sarkozy de surfer sur l’émotion ». Cette présence, même infime, de Nicolas Sarkozy dans un article où le président de la République apparaît surtout comme le président en exercice déplace le centre du sujet en fonction d’événements en lien avec la politique intérieure. Comme si chaque information ne prenait tout son sens qu’en fonction des échéances électorales.

Libération choisit de traiter le sujet différemment. Le quotidien se concentre sur les Justes de France, n’évoquant ainsi Jacques Chirac qu’en tant qu’acteur. Son rôle étant celui d’un président de la République en exercice, c’est bien cette figure qui domine d’un bout à l’autre de l’article. D’autres acteurs apparaissent aussi tels Dominique de Villepin ou Simone Veil. Cette dernière apparaît aussi dans le papier du Monde, du fait de son rôle dans l’hommage rendu aux Justes. Mais son nom est absent du papier du Figaro, comme si Jacques Chirac devait retirer, seul, le bénéfice de cette action. Libération met donc à l’écart la politique intérieure en lien avec l’élection présidentielle et par conséquent les figures de Jacques Chirac qui y ont trait comme celle du président en fin de règne par exemple. Seul le président en exercice semble ici jouer un rôle, sans commentaire de la part du journaliste, qui entreprend avant tout une démarche explicative.

Le Président coupable

La presse satirique évoque librement les aspects plus sombres de Jacques Chirac, son implication dans des « affaires ». Le « super menteur » des Guignols de l’info est resté au goût du jour depuis la création de ce personnage, pour les présidentielles de 2002. Même si le surnom a disparu, les Guignols n’hésitent pas, aujourd’hui encore, à présenter Jacques Chirac comme l’homme qui veut échapper à la justice après la fin de son mandat. Une scène satirique fait ainsi allusion à la prochaine sortie de Jacques Chirac en évoquant la série télévisée Prison Break, dans laquelle le héros tente de s’évader de prison avec son frère. Pour cela, il s’est fait tatouer le plan de la prison sur le corps. Dans cette scène satirique, c’est Bernadette Chirac qui s’est dessiné le plan de l’Elysée dans le dos et parle à son mari de leur future évasion, afin d’échapper à la justice. Jacques Chirac, lui,

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évoque plutôt un départ discret vers le Canada, à l’image d’Alain Juppé quand celui ci avait été condamné à l’inéligibilité. Cette représentation du président coupable est récurrente dans les médias satiriques et les ouvrages critiques. L’un d’entre eux s’intitule par exemple « Chirac et les 40 menteurs » 49. L’auteur présente son livre de la façon suivante : "Après le règne de François Mitterrand, marqué par la corruption des hommes et l'avilissement des mœurs de la République, comme des millions de Français j'avais vu en Jacques Chirac et sa majorité de droite les possibles sauveurs d'une France affaiblie, si ce n'est déshonorée par tant de vilenies. En France, les allées du pouvoir seraient-elles la propriété du diable ? Aujourd'hui, rien n'a changé et - pire encore ! - tout s'est aggravé, le chef de l'État s'étant perdu de réputation dans la tourbe des "affaires". Voir son nom régulièrement cité dans les cabinets des juges d'instruction et les prétoires ne le trouble guère. Moi, si ! Cocu, certes, mais pas content ! Mystère d'une justice atteinte d'une conjonctivite aiguë... quand il lui faut braquer son regard sur le premier magistrat de France. Alors, disons la vérité : tout aura été fait pour sauver le Président Jacques Chirac, chef des armées, preux général qui abandonne ses hommes de l'ombre sur le champ de bataille et se met aux abris... pendant qu'ils passent sous la mitraille. Trop, c'est trop ! L'heure est enfin venue d'ouvrir, un à un, les dossiers noirs des années Chirac. Et de montrer comment ce clone de François Mitterrand a dépassé son maître." Cette figure du président menteur ressort difficilement dans la presse si aucune information ne vient la réactiver. Mais un événement, au mois d’avril 2007, place au premier plan les menaces juridiques qui pourraient gêner Jacques Chirac après la fin de son mandat, une fois son immunité présidentielle perdue. La presse quotidienne nationale s’empare ainsi des révélations faites par le Canard Enchaîné du 11 avril 2007 : Jacques Chirac aurait passé un accord avec Nicolas Sarkozy pour échapper à la justice. Le Monde, le 13 avril 2007 : «Tu me vois dire à Chirac « tu me soutiens je t’amnistie » ?» (annexe 27) Le Figaro, le 11 avril 2007 : «L’Elysée dénonce le « procédé scandaleux » du Canard » (annexe 28) Libération, le 12 avril 2007 : «L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac» (annexe 29)

Le Monde Le Monde préfère traiter le sujet avec humour, affirmant que « les deux hommes étaient pour une fois parfaitement d’accord sur l'interprétation de l'article paru le matin même dans Le Canard enchaîné , racontant les arrangements entre eux si le président était poursuivi par la justice à l'issue de son mandat : un mauvais coup destiné à leur nuire. » Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac font ici figure de duo, prêts à s’unir contre ce « mauvais coup ». Le quotidien explique ainsi en quelques lignes les révélations du Canard Enchaîné et donne la parole à ceux qui se disent victimes.

49 Jean MONTALDO, Chirac et les 40 menteurs, Albin-Michel, 2006 REMUSAT Cécile_2007 57 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Ainsi s’expriment « un vieux compagnon du président », « proche de M.Chirac », « un sarkozyste », et Nicolas Sarkozy, lui même. Celui-ci aurait demandé à un ami : "Tu me vois dire à Chirac : "Tu me soutiens, je t'amnistie" ?" . Le Monde retranscrit ainsi au présent, les rendant plus percutantes, des paroles attribuées à Nicolas Sarkozy sur sa relation à Jacques Chirac, dont « les gens ne savent rien ». Ces interventions au discours direct sembleraient servir ceux qui se disent victimes, puisqu’ils monopolisent les parole dans ce papier. Pourtant, le choix des citations par la journaliste peut faire l’objet d’une double signification. Ainsi le lecteur est-il tenté de ne pas croire ce qui est dit quand les propos tenus semblent exagérés. Le vieux compagnon de Jacques Chirac indique ainsi que "cela n'a évidemment pas l'ombre du début d'une réalité"et que"Ça énerve tout le monde. Si on était capable de s'énerver. » Le journal précise qu’ « il y voit la main de magistrats et de journalistes ». Cette personne, anonyme, pourrait perdre toute crédibilité, du point de vue d’un certain lectorat, en défendant l’honnêteté d’hommes politiques face aux manipulations de magistrats et de journalistes. Il en va de même avec la seconde partie de l’article, où ce même interlocuteur refuse de comparer Jacques Chirac à Stavisky. : « Il y a un juge à Nanterre qui se posera la question de convoquer l'ancien président. Mais il n'est tout de même pas le Stavisky de son époque. » Le quotidien rebondit sur cette comparaison involontaire en précisant l’identité de « Stavisky, escroc des années 1930, [qui] avait bénéficié de hautes protections pour voir son procès indéfiniment reporté et avait fini "suicidé" . » Le lecteur est ainsi implicitement invité à remarquer les similitudes entre ce personnage et Jacques Chirac, tel que le présente le Canard Enchaîné. De plus, l’entente de circonstance entre le président et son ministre de l’Intérieur est vite remise en cause en toute fin d’article, puisque la journaliste relève les différences de point de vue entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy sur leur vision de l’extrême droite : « champion de la lutte contre l'extrémisme, M. Chirac ne peut que désapprouver toute compromission. » Cet article ne prend finalement aucune position claire, se contentant de rapporter des faits relatés par le Canard Enchaîné. Mais par sa façon d’éclairer certaines citations, choisies avec soin, ce qui devait apparaître comme des propos indignés prend une autre dimension. La plaidoirie en faveur de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy fait ainsi naître un certain doute chez le lecteur. C’est ainsi qu’au titre, sous forme de question, (« tu me vois dire à Chirac : « tu me soutiens je t’amnistie ? » ») la réponse qui vient à l’esprit n’est pas forcément « non ».

Le Figaro Le Figaro se place explicitement du point de vue de la défense, citant les termes de l‘Elysée pour désigner un « procédé scandaleux ».Le ton indigné est repris à plusieurs reprises «Procédé scandaleux et inacceptable», «allégations totalement infondées et mensongères», «qui sont strictement sans fondement, [et] n'appellent aucun commentaire». Contrairement au papier du Monde, ces termes n’appellent pas de contradiction, notamment quand cette réaction de l’Elysée se voit qualifiée de « fait rare » car elle intervient « à deux reprises ». L’accent est donc mis sur l’indignation émanant du siège de la présidence de la République française. Le fait de citer l’Elysée n’a ainsi pas la même portée que des réactions plus personnelles, comme dans le Monde. Quand ce dernier donne la

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parole à des anonymes, qualifiés de « vieux compagnon » ou de « proche », le Figaro retranscrit une réaction officielle, dans laquelle chaque mot est pesé. Le journal explique cependant plus longuement l’article du Canard Enchaîné, soulignant aussi qu’il s’appuie sur « un article du Figaro qui évoque les discussions régulières entre le chef de l’Etat et Nicolas Sarkozy à propos de «emplois fictifs de la Ville de Paris et de l'éventuelle implication de Jacques Chirac». »

Cette thèse du Canard Enchaîné, pourtant développée, se voit pourtant encerclée de réactions critiques, qui ouvrent et viennent clore l’article. « Les affirmations du Canard ont déclenché une tempête de réactions à gauche et au centre. De son côté, Nicolas Sarkozy a vivement critiqué cet article, «grotesque, blessant, mensonger». Xavier Bertrand, l’un des porte-paroles du candidat, a quant à lui accusé l'hebdomadaire satirique de «tirer la campagne vers le bas». » Ces réactions, nombreuses et appuyées, semblent étouffer la thèse défendue par le journal satirique.

Libération Libération aborde l’article avec une habituelle petite phrase d’accroche : « c 'est pratique, la lenteur de la justice. » Par l’ouverture et la chute de son article, le papier de Libération semble d’emblée s’opposer à celui du Figaro. C’est ainsi que cette phrase d’accroche, saisissante et pleine de promesses pour la suite de l’article, s’oppose à celle du Figaro, qui choisit une citation : « procédé scandaleux et inacceptable ». Le deux suscitent l’interrogation du lecteur : pourquoi la lenteur de la justice serait-elle pratique alors que chacun la dénonce ? Qu’est ce qui s’avère scandaleux et inacceptable ? Mais ces deux interrogations appellent des réponses différentes. L’article du Figaro, on l’a vu, aborde le sujet du point de vue officiel. Libération semble vouloir, une fois de plus, aller du côté officieux. La chute va dans le même sens : quand le Figaro termine à nouveau avec une citation accusant le Canard Enchaîné de « tirer la campagne vers le bas », Libération prévient : « l'autocensure de certains juges, surtout si Nicolas Sarkozy est élu, pourrait aussi suffire à laisser les affaires Chirac mourir de leur belle mort. » Les affaires prennent ainsi le nom de Jacques Chirac, ne distinguant plus le président des faits qui lui seraient reprochés s’il ne bénéficiait pas de l’immunité de sa fonction. L’article, assez court, s’applique dès lors à développer l’argumentation du Canard Enchaîné, détaillant la façon dont Nicolas Sarkozy s’y prendrait, une fois élu président, pour « amnistier » Jacques Chirac. Et si cette argumentation se passe au conditionnel, temps de la supposition, le titre, épuré de tout verbe, demeure plus ambigu : « L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac ». Un titre teinté d’injustice pour le lecteur, simple citoyen, puisque Nicolas Sarkozy s’est prononcé contre toute amnistie présidentielle. Jacques Chirac apparaît dès lors comme un privilégié, à l’image de son statut protégé. Ainsi, tout comme le Figaro encercle le procédé de réactions critiques, Libération procède de même mais de façon inverse : le journaliste fait part de la réaction indignée de

REMUSAT Cécile_2007 59 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

l’Elysée, mais celle-ci, réduite, fait suite au développement critique du Canard Enchaîné et précède une réaction non moins critique de l’opposition : François Bayrou et le PS.

Comparaison La place des mots dans un papier semble dès lors primordiale pour susciter différentes réactions du lecteur. Celui-ci tend à retenir davantage l’accroche et la chute d’un papier. Le titre doit aussi l’inciter à lire l’article. Il sait dès lors la tonalité que celui-ci aura. Par leur grande différence de traitement, Libération et le Figaro ne visent évidemment pas le même lectorat. Le Figaro s’oriente vers une vision assez consensuelle, officielle, quand Libération apparaît davantage critique. L’ironie jour un rôle majeur dans la rédaction des papiers de Libération, voir du Monde, ce qui n’est pas le cas du Figaro. Celui-ci relate l’information dans sa forme la plus pure. Il la sélectionne aussi dans sa façon de la présenter mais tout en développant certains points essentiels. La figure du président coupable ressort ainsi de façon différente dans la presse quotidienne nationale. La notion de culpabilité est d’ailleurs absente, les notions de doute et de manœuvre politique lui étant préférées. Cette affaire met fin à la figure permanente de l’opposition entre deux hommes politiques et la nuance fortement tout en la rappelant. Le Monde souligne ainsi que « les deux hommes étaient pour une fois parfaitement d'accord », insistant sur le caractère inhabituel d’un tel consensus. Le Figaro quant à lui, affiche une photo ambiguë : les deux hommes se serrent la main, souriants, mais ne se regardent pas franchement dans les yeux. Cette image résume parfaitement la thèse soutenue par le Canard Enchaîné :Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy seraient capables de s’entendre sur un point s’ils y trouvent chacun leur intérêt, mais cette entente n’aurait rien de sincère. En revanche, si la photo du Figaro va dans le même sens que la thèse du journal satirique, il n’en va pas de même avec le papier qui suit. Libération préfère parler de « deal » pour évoquer cet arrangement présumé, soulignant la notion de promesse et d’échange. Les relations entre les deux hommes ne sont dès lors plus évoquées comme des divergences personnelles. Celles-ci s’effacent devant les calculs politiques. Le figure du président en fin de règne semble tout aussi présente que celle du président coupable puisque cette éventuelle culpabilité ne pourrait resurgir qu’avec la fin de l’immunité présidentielle. La possible élection de Nicolas Sarkozy vient encore ajouter à cette figure, comme le prédécesseur s’efface devant son successeur. C’est ainsi que la figure du président candidat n’est plus. Les réactions, nombreuses, de Nicolas Sarkozy dans le papier du Monde, son assurance d’obtenir le soutien de Jacques Chirac, réduisent à néant la figure du candidat, disparue quelques jours plus tôt avec l’annonce de Jacques Chirac de ne pas se représenter. En revanche, cette figure se fait plus discrète dans l’article du Figaro, par une focalisation sur le présent. L’emploi du conditionnel pour aborder l’avenir signifie que ce temps n’est pas encore arrivé : « En échange du soutien du chef de l’Etat, le candidat de l’UMP se serait engagé, s’il est élu, à faire le nécessaire pour lui éviter d’être confronté à la justice. »

60 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

Libération évoque la « belle mort »des affaires concernant Jacques Chirac. Cette expression pourrait tout aussi bien renvoyer à la propre mort de Jacques Chirac : celle, symbolique du président et celle, physique, de l’homme. Il mourrait ainsi de sa « belle mort », sans avoir connu « l’humiliation de finir sa carrière politique dans le bureau d'un juge. »

Le Président en fin de règne

« Son règne arrive à son couchant ». C’est ainsique Franz-Olivier Giesbert50 évoque la présidence de Jacques Chirac. Une fin de règne aux allures de bataille médiatique pour Alain Duhamel, qui, dans une chronique parue le 11 octobre 2006, parle de « l’ultime image » 51 que souhaite laisser Jacques Chirac : celle qu'il voudrait imprimer dans l'esprit des Français au moment de quitter le palais de l'Elysée. Cette dernière image du président Chirac se retrouve le 11 mars 2007 sur les chaînes de télévision : il annonce alors son intention de ne pas briguer un troisième mandat. Dans une allocution, rédigée par ses soins selon ses collaborateurs, Jacques Chirac revient sur sa présidence, sans oublier d’adresser des « messages » aux Français pour l’avenir. Cette intervention télévisée est bien entendu relayée dans la presse les jours suivants. Le Monde du 13 mars 2007 : « Une déclaration d’amour et cinq recommandations à la France et aux Français» (annexe 30) Le Figaro du 12 mars 2007 : « Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat » (annexe 31 ) Libération du 12 mars 2007 : « Chirac, derniers feux plein d’amour » (annexe 32) Les titres du Monde et de Libération se rejoignent avec l’emprunt du terme « amour », teinté d’ironie. Le Figaro, en revanche, demeure assez neutre en donnant l’information sous une forme épurée : Jacques Chirac ne se représentera pas à la présidence.

Le Monde Le Monde parle d’ « amour » et de « recommandations », comme si Jacques Chirac avait joué un rôle : celui de père des Français, prêt à livrer un dernier testament. Le journal tente comme à son habitude de recontextualiser l’intervention présidentielle et la mise en scène dont elle fait l’objet. « ON A VU d'abord, fait très inhabituel, le président assis à son bureau en train d'écrire. Cette image furtive, comme volée, était destinée à faire comprendre aux téléspectateurs que le président de la République qui allait les quitter avait mis beaucoup de lui-même dans son allocution. […]On a vu ensuite M. Chirac venir s'incruster sur un fond de drapeau européen et tricolore, rendu ondoyant par la magie de l'image de synthèse. Une autre nouveauté, message subliminal de modernité.»

50 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-9 51 Alain DUHAMEL, chronique intitulée « Chirac : l’ultime image », parue dans Libération, le 11 octobre 2006 REMUSAT Cécile_2007 61 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Ainsi le Monde évoque-t-il avec ironie les procédés employés pour cet ultime message présidentiel, dont la presse annonçait le contenu depuis plusieurs semaines. Le Monde titrait même la veille de cette intervention « Après 40 ans de vie politique, M.Chirac ne briguera pas un troisième mandat ». Le quotidien souligne, à l’appui de citations, la « déclaration d’amour à la France et aux Français » de Jacques Chirac, qu’il temporise : « Aimer son pays, c'est le moins, pour celui qui préside à son destin ». Pourtant, le Monde reconnaît une forme de sincérité, rare cependant, de la part du président : « mais M. Chirac l'a dit avec une certaine force, lui qui fut si souvent accusé de n'aimer que le pouvoir ». A l’image de l’intervention présidentielle, l’article ne consacre que très peu d’espace au « mea culpa » de Jacques Chirac, insistant bien davantage sur son « plaidoyer » et sur les points dont il est « fier », pour mieux les nuancer : « Sur la réforme des retraites, votée en 2003 mais qu'il faudra bientôt remettre sur le métier. Sur l'insécurité et la délinquance, assumant ainsi le bilan de Nicolas Sarkozy, bien que les violences aux personnes aient augmenté de près de 14 % depuis 2002 » Cet article se veut donc plutôt narratif et descriptif, utilisant jusqu’au passé simple, avec un brin d’ironie concernant ce « dernier exercice d'énarque, en deux temps et cinq mouvements ». Comme une petite musique dont Jacques Chirac aurait souhaité bercer les Français avant de quitter l’Elysée.

Le Figaro Le Figaro est celui des trois quotidiens qui se contente d’un ton assez descriptif, comme l’annonce le titre. Les citations, très nombreuses, constituent le corps de ce papier. Le journaliste introduit ainsi les principales déclarations de Jacques Chirac, comme en témoignent les multiples verbes introducteurs : Jacques Chirac a « dit », « indiqué », « exalté », « lancé », « appelé », « prévenu », « ajouté », « souligné », « insisté » et « conclu ». Le journaliste n‘apporte que trois commentaires. Le premier porte sur un « avertissement » que Jacques Chirac aurait adressé à Nicolas Sarkozy sur la défense du modèle français en affirmant que « Ce nouveau monde, il faut le prendre à bras-le- corps », mais « sans jamais brader notre modèle français » Le second porte sur l’action internationale de jacques Chirac, jugée par le journaliste comme « un point fort de son bilan ». Et le dernier commentaire journalistiqueconcerne la « déclaration d'amour à la France et aux Français » , qualifiée avec une certaine ironie de « Séquence émotion » . Hormis ces trois aspects, seules les citations rythment le papier, déclinant les messages adressé par Jacques Chirac aux Français. La parole est donc entièrement donnée au président ou presque. Celui-ci apparaît d’ailleurs de face, souriant, l’œil pétillant, devant le drapeau français, sur un cliché coloré et assez flatteur. Pourtant, même si les citations apparaissent nombreuses, elles n’en sont pas moins choisies. Le mea culpa de Jacques Chirac, évoqué dans Le Monde et Libération , n’a pas sa place dans le Figaro . Il n’est alors pas fait mention de la seule phrase de regret que les deux autres quotidiens ne manquent pourtant pas de retranscrire :

62 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

Libération : « Tout juste a-t-il regretté ne pas avoir «bousculé davantage les conservatismes et les égoïsmes pour répondre plus vite aux difficultés que connaissent certains d'entre vous» » Le Monde : « La faute en revient « aux conservatismes et aux égoïsmes », que le chef de l'Etat aurait « voulu, bien sûr, bousculer davantage » » Le seul « mea culpa » qu’évoque le Figaro concerne celui du vendredi précédent, afin de mieux introduire une énième citation sur les recommandations du président: « Chirac qui, vendredi, à l'occasion de son dernier Conseil européen à Bruxelles, a fait son mea culpa après l'échec du référendum en mai 2005, a estimé qu'il était « vital de poursuivre la construction européenne » . »

Les propos choisis dans l’article du Figaro sont davantage axés sur l’émotion du président, son amour pour la France, sa volonté d’agir pour elle, et ses messages aux Français. Contrairement au Monde, le Figaro ne nuance en rien les propos tenus, puisque les propos sélectionnés ne peuvent pas être discutés objectivement. En effet, il n’est pas fait état du bilan de Jacques Chirac, mais plutôt de l’idée qu’il se fait de la France et de l’avenir. Aucune donnée objective, aucun chiffre, ne peuvent contrer de telles affirmations : « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit » « Nous avons tant d'atouts. Nous ne devons pas craindre les évolutions du monde. Ce nouveau monde, il faut le prendre à bras-le-corps » « Face au risque d'un choc des civilisations, face à la montée des extrémismes religieux, la France doit défendre la tolérance, le dialogue et le respect entre les hommes et entre les cultures »

Libération Libération, contrairement au Figaro, ne fait pas l’économie de nombreux commentaires, pour la plupart, teintés d’une cinglante ironie, d’ores et déjà présente dans le titre, encore une fois dépourvu de tout verbe : « Chirac, derniers feux plein d’amour ». Jacques Chirac est ainsi « lyrique » quand il dit adieu aux Français « de son inimitable voix saccadée », « en les noyant sous des flots d’amour ». La photo qui illustre l’article est elle aussi en opposition à celle du Figaro, puisque le cliché de Jacques Chirac, de profil, l’air préoccupé, fait ressortir un visage crispé au teint gris. Quand la photo du Figaro montrait un président souriant et regardant les Français dans les yeux, de face, celle de Libération, au cadrage resseré, fait davantage état d’un homme au regard tourmenté, fatigué, préoccupé, rongé par des pensées éloignées du bien être d’un peuple tout entier. La subjectivité pourrait pousser à croire que Jacques Chirac, qui regarde vers la droite, soit devant lui, s’inquiète à cet instant précis de son propre avenir. En revanche, certaines similitudes existent entre l’article de Libération et celui du Monde. Comme le Monde, Libération revient sur la posture physique de Jacques Chirac au moment de son allocution : « d ebout, sur fond de drapeau tricolore ». Autre point commun : les deux quotidiens donnent une trame semblable à leur papier présentant tout d’abord la scène et la posture de Jacques Chirac, puis un rapide bilan

REMUSAT Cécile_2007 63 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

et le report à plus tard de ses « choix personnels », avant d’évoquer la fierté de Jacques Chirac et ses messages aux Français. Libération insiste davantage que le Monde sur les « messages » adressés aux Français, les regroupant, comme le Figaro, sous le terme de « testament ». Et comme le Monde, Libération nuance aussi les points du bilan de Jacques Chirac que celui-ci évoque avec fierté. Il les met à distance avec l’utilisation de guillemets : « il s'est targué d'avoir conduit des «réformes importantes» (retraites, handicapés, personnes âgées dépendantes...), d'avoir fait «reculer la délinquance» et, tout aussi discutable, d'avoir ramené le chômage à son taux le plus bas «depuis un quart de siècle» » En outre, Libération demeure le seul des trois quotidiens à citer des réactions à cette allocution, notamment celles, plutôt inattendues, de Jean-Marie le Pen et de George W. Bush. « Une pluie de réactions plutôt positives en France ont accompagné la déclaration du chef de l'Etat, hormis du côté de Jean-Marie Le Pen, qui s'est réjoui de «perdre son pire ennemi». Quant à George W. Bush, son adversaire de l'extérieur, il a souhaité quelques minutes à peine après le speech présidentiel «ce qu'il y a de meilleur» à Jacques Chirac ». Cette évocation d’acteurs extérieurs au président, sur le plan idéologique et géographique, décentre le sujet de la seule personne de Jacques Chirac. Car il ne s’agit pas seulement du départ d’un homme, mais de celui d’un président français. En effet, le traitement médiatique de cette allocution, même teinté d’ironie, aurait aussi tendance à souligner l’adieu d’un homme à un peuple, effaçant quelque peu la figure du président. Libération ne fait pas exception en qualifiant Jacques Chirac d’ « ému et visiblement tendu », pour « cette ultime causerie les yeux dans les yeux avec les Français ». Le quotidien laisse d’ailleurs entendre que Jacques Chirac, « débarrassé de toute contingence électorale », a cessé de mentir : « il s'est posé en antilibéral, écologiste, pacifiste et humaniste abhorrant l'extrémisme de droite. Du Chirac qui veut rester, pour l'histoire, sur un profil gauche au moment de quitter la scène, après avoir adopté de multiples postures depuis 1967 ». C’est pourquoi l’intervention, en fin d’article, de Jean-Marie le Pen et George W.Bush, permettent de recadrer ce départ dans son contexte politique et historique. Le Monde s’y prend différemment, personnalise encore la figure du président avec l’évocation du départ de François Mitterrand : « Cela avait peu à voir avec les adieux de son prédécesseur, qui, lors de ses vœux du 31 décembre, avait assuré aux Français : « Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas. » » Le Figaro, dans la continuité de son article, laisse pour terminer, la parole à Jacques Chirac, dans une dernière phrase sur son amour pour un grand pays : « Pas un instant, vous n'avez cessé d'habiter mon cœur et mon esprit. Pas une minute, je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique. Cette France que j'aime autant que je vous aime » et qui « n'a pas fini d'étonner le monde ». Comme il a été dit précédemment, la phrase finale d’un article compte dans l’appréciation du lecteur. Or, le lectorat du Figaro termine ici sur une note dépourvue d’information mais très chargée en émotion. La figure de l’homme sympathique clôt ainsi cet article consacré aux adieux du président.

Comparaison

64 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

Par conséquent, les trois quotidiens accordent la même importance au discours d’adieu de Jacques Chirac, lui consacrant chacun un article de taille. Pourtant, le Figaro se distingue par un manque d’analyse dans un article qui se contente de retranscrire certains propos de Jacques Chirac. Le Monde et Libération ne manquent pas d’apporter certains commentaires, par ailleurs assez proches. Mais ces trois articles ont deux points communs. Ils se concentrent sur la dimension personnelle que Jacques Chirac a conféré à son discours, choisissant d’atténuer sa dimension historique et politique. La figure de l’homme ressort ainsi dans le traitement médiatique des adieux du chef de l’Etat, qui sonnent comme les derniers mots d’un homme à un peuple. Concernant la dimension politique, les trois journaux ne manquent pas de placer Jacques Chirac en opposition à Nicolas Sarkozy, faisant renaître la figure de leur lutte éternelle. Les trois quotidiens retiennent ainsi un avertissement à son encontre. Le Figaro : « Comme en signe d'avertissement à Nicolas Sarkozy qui en propose l'adaptation après l'avoir jugé obsolète » Le Monde : « « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre ! », s'est exclamé M. Chirac, alors que Nicolas Sarkozy a suscité un tollé en proposant la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. » Libération : « dans une mise en garde à Sarkozy, il a appelé à ne «jamais brader notre modèle français» »

Conclusion partielle

Le 16 mai, Jacques Chirac quitte l’Elysée. Il perd alors la dimension symbolique acquise douze ans plus tôt avec le titre de président de la République. La figure du président en exercice n’est plus. La figure du président en fin de règne disparaît après avoir atteint son paroxysme lors des dernières semaines de son mandat. Mais la figure du président coupable peut perdurer. Henri Amouroux, journaliste et historien, revient sur la fin de règne de Jacques Chirac, qu’il compare à celles de Charles de Gaulle et François Mitterrand.52Car les trois personnage ont un point commun : ils ont tous été présidents de la cinquième République, réélus pour un second mandat. Ils ont résidé à l’Elysée pendant plus de dix ans et mis en scène leur départ. Henri Amouroux a établi les histoires parallèles mais si différentes de ces "trois fins de règne". Charles de Gaulle se retire dans la grandeur du silence après avoir averti les Français : « il s’éloigne après avoir laissé une note sèche : "Je quitte aujourd’hui mes fonctions", et les Français, jusqu’à sa mort, n’entendront plus parler de celui qui ne leur parle plus. » François Mitterrand, lui, conserve le pouvoir tant qu’il le peut. Il ne songe pas à démissionner comme l'aurait fait de Gaulle même lors des jours les plus sombres. « Avec lui, il n’est jamais question de départ. Le peuple peut lui dire "non", il accepte la cohabitation qui aurait fait horreur à de Gaulle. La conquête de l’Elysée ayant été le combat de sa vie, les sautes d’humeur des électeurs sont impuissantes à lui faire abandonner ce

52 Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007 REMUSAT Cécile_2007 65 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

pouvoir qu’il a tant convoité. Il n’était pas de Gaulle, qui se savait prédestiné. Rien ne lui avait été accordé par avance sauf une prodigieuse confiance en soi, une immense capacité de secrets, de mensonges, de ruses, un grand courage aussi, car la fin de son règne ne commence-t-elle pas, injustement, quelques mois après le sacre du 10 mai, lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer qu’il dominera quatorze ans durant, alors que les médecins lui donnaient trois ans de survie. Cette lutte contre le mal qu’il s’efforce non d’étouffer, mais d’en ralentir les progrès par un redoublement d’activité, n’est pas sans pathétique comme cette cérémonie des aveux au cours de laquelle, à la fin du règne, au confessionnal chez Péan, à l’instruction chez Elkabbach, il reconnaît tout son passé trouble et fourbe de pauvre pêcheur. Injurié après son passage chez Elkabbach, il quitte l’Elysée, quelques mois plus tard, sous les lauriers de journalistes sans mémoire... seul président de la République auquel, de son vivant, il aura été donné de respirer voluptueusement ces gerbes d’éloges qui ne vont qu’aux morts. » Après deux septennats - ce que nul n'a réussi avant lui, et ce que nul n'aura la possibilité d'accomplir après lui –il accueille son successeur, Jacques Chirac. Ce dernier, réélu en 2002 avec 82,8% des voix, quand il n’obtenu que 19,8 % au premier tour, laisse planer jusqu'au dernier moment le doute sur ses intentions. Pour Amouroux, il est encore trop tôt pour le juger, n’ayant pas encore le recul nécessaire, « le nez toujours collé sur la vitre » 53 . Il s’interroge : « Pour Jacques Chirac, quelle fin de règne ? Il y a quelques mois, le président était accablé sous les livres et les articles moquant tous une fin de règne gâtée, gâchée, empoisonnée par les "affaires" qui ont cerné l’Elysée jusqu’à menacer son occupant de poursuites judiciaires. Il semble -comme pour Mitterrand d’ailleurs- que l’on soit entré dans une période d’apaisement de la part de ceux qui étaient les plus acharnés à vouloir pourchasser le chef de l’Etat. Voyant cadenassé tout ce qui pouvait l’être, afin de protéger Jacques Chirac après son départ, n’ayant pas grand peine à deviner que le président veut devenir le défenseur du destin de la planète après avoir assez mal défendu celui des Français, beaucoup, au moment de juger, paraissant tentés par la zone grise de l’indulgence. Mais l’histoire n’a pas encore prononcé son verdict. Sans doute, regrettera-t-elle tant de chances gâchées. Il avait tout pour être un grand président. Même le peuple, après la fastueuse élection de 2002, lorsqu’il triomphe avec ces 82% providentiels, qui lui auraient permis, peut-être, d’échapper au train-train gouvernemental habituel, de faire du de Gaulle, et de saisir l’extraordinaire occasion qui lui était donnée pour s’inscrire dans l’histoire en général... brouillon révolutionnaire. »

La figure du président ne disparaît pas totalement. Jacques Chirac restera, comme François Mitterrand et Charles de Gaulle, un acteur de l’Histoire. Amouroux regrette alors que les observateurs « cèdent beaucoup trop au journalisme », dans le sens où ils se concentrent sur des événements forts de l’instant présent sans s’interroger sur leurs significations rééelle dans le déroulement de l’Histoire. C’est ainsi que la figure du président coupable sera certainement la plus présente lors des prochains mois, avec la fin de l’immunité de Jacques Chirac. Mais pour le journaliste-historien, « ce ne sont pas les affaires qui resteront dans l’Histoire, mais l’Irak ». Cet avis permet de nuancer la dimension médiatique des derniers mois de présidence de Jacques Chirac, en soulignant que les figures retenues et déclinées par les médias le sont dans un laps de temps très court. Ces figures, motivées selon un point de vue journalistique, sont dénoncées par l’Historien.

53 Canalacadémie.com, interview d’Henri Amouroux sur son ouvrage Trois fins de règne. 66 REMUSAT Cécile_2007 La figure du président

REMUSAT Cécile_2007 67 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Conclusion

Annie collovald écrit dans les années 198054 : « il y a autant d’identités publiques d’un homme politique que d’instances de publication. » Il existerait donc un « répertoire des « lieux » de fabrication et de diffusion de l’identité d’un homme politique ; désormais, les émissions télévisées, radiophoniques, les interviews, les imitations, tout ce qu’on appelle les médias, participent directement au fonctionnement du jeu qu’ils ont contribué, en partie, à transformer par leur apparition et l’usage politique qui en a été fait ». Cela est peut-être plus vrai aujourd’hui qu’hier du fait des nouveaux moyens de communication. Il est ici question de dégager des identités de Jacques Chirac à travers les figures évoquées par trois quotidiens durant les derniers mois de son mandat. Ces figures apparaissent à la fois complémentaires et contradictoires. La figure du vieil homme entre en contradiction avec celle du président puisqu’un président, censé incarner un symbole et diriger un pays, ne peut pas faire preuve de faiblesse, physique ou mentale. Après la maladie de François Mitterrand qui a passé quatorze ans au pouvoir, et les douze années de présidence de Jacques Chirac, l’émergence de figures politiques plus jeunes semble accueillie avec enthousiasme par les médias. La figure du vieil homme n’est pas avancée en ces termes dans les quotidiens étudiés, mais de nombreuses allusions soulignent la longue carrière de Jacques Chirac et son âge avancé tout au long des derniers mois de présidence. Les articles qui lui sont consacrés font souvent état de sa grande expérience, mais impliquant qu’il est temps, pour lui, de se retirer. L’émergence de nouvelles personnalités politiques, quinquagénaires, comme Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal dans la course à la présidence, rendent plus aiguë le différentiel de génération. Dans la presse satirique cependant, la figure du vieil homme, presque sénile, est très présente, rendant tout à fait improbable une nouvelle candidature de Jacques Chirac. Car cette figure est activée dans une période de doutes sur ses intentions pour 2007. On peut se demander si l’insistance sur l’âge du président aurait été la même dans le cas où celui- ci aurait annoncé dès le début sa retraite politique. Les figures du père, du mari et du grand père ne rentrent pas obligatoirement en contradiction avec celles du politique et du président, mais déplacent le sens d’un événement et sa portée politique. La venue du petit fils de Jacques Chirac à une sortie officielle, ou le témoignage de Bernadette Chirac sur sa vie de couple permettent au président de faire émerger une nouvelle identité. Le vieil homme se transforme ainsi en vieux sage, en grand-père attentif, en mari reconnaissant et en père meurtri par la maladie de sa fille. Ces éléments apparaissent tous durant les dernières semaines qui précèdent les élections présidentielles, ce qui ne doit rien au hasard. Le livre de Pierre Péan sort ainsi le 14 février, soit quelques jours seulement avant la diffusion de l’émission de Michel Drucker. Cette figure de l’homme est voulue par Jacques Chirac : par ces confessions inhabituelles et rares, par des apparitions avec son petit-fils, il réactive des identités préexistantes mais qu’il avait jusqu’alors ignorées.

54 Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988 68 REMUSAT Cécile_2007 Conclusion

Cela n’empêche pourtant pas les trois quotidiens , notamment le Monde et Libération, de rendre toujours présente, de façon plus ou moins explicite, la figure du vieil homme, moins flatteuse, quand il s’agit d’évoquer les prochaines élections. Le Figaro, lui, est plus indulgent vis à vis de Jacques Chirac concernant cette figure. En outre, le Monde et Libération ne manquent pas de remettre l’émergence de la figure de l’homme dans le contexte politique. Mais si le Monde emploie le plus souvent l’ironie, jouant sur deux registres, Libération choisit parfois d’ignorer une information pour se concentrer sur une autre, moins personnalisée. La visite aux armées de Jacques Chirac et son petit fils en est un bon exemple. Libération mentionne à peine la présence du petit garçon, tandis que le Monde choisit d’en faire le point central de son papier. L’ironie et l’ analyse le distinguent certes de celui du Figaro, mais pas autant que la posture critique de Libération.

Ainsi, quand Jacques Chirac choisit de mettre en scène son départ, seul le Figaro ne semble pas conférer de portée vraiment critique aux événements. Mais le Monde et surtout Libération ne laissent pas cet acteur politique susciter à l’envi des figures qui lui seraient plus profitables pour asseoir sa popularité, à un tournant de sa carrière, comme la figure de l’homme sympathique. Car la figure de l’homme apparaît parfois contradictoire avec celle du président, à la fois par le corps naturel qui s’oppose au corps symbolique, mais aussi dans certaines significations. La figure de l’homme sympathique s’oppose ainsi à celle du président coupable, dans la mesure où culpabilité, mensonge, calcul et chaleur humaine ne semblent pas pouvoir s’appliquer à la même personne. Et comme l’analyse l’a démontré, la figure du président coupable est davantage développée dans le Monde et Libération, quand celle l’homme sympathique a trouvé un certain échos dans le Figaro . Quant aux figures de l’homme politique et du président, elles se complètent puisque l’homme politique en opposition à un autre, figure récurrente, repose aussi sur les statuts de Nicolas Sarkozy, ministre, et de Jacques Chirac, président. Par leur dimension symbolique, les deux hommes suscitent l’intérêt. Car leur opposition représente une lutte personnelle ainsi qu’une lutte pour le pouvoir. Malgré tout, cette lutte symbolique prend fin quand le président au pouvoir s’efface et laisse la place à son successeur, qui s’avère justement être son ancien ministre. Cette opposition est la figure la plus récurrente dans les trois quotidiens étudiés. Elle se retrouve le plus souvent dans le Figaro. En supposant à de multiples reprises l’opposition entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, le Figaro renvoie une image préexistante de Jacques Chirac, celle de l’homme politique en opposition à un autre. Nicolas Sarkozy apparaît ainsi comme un stimulant pour le président, qui semble vouloir continuer d’exister face à son ambitieux ministre. Ce face à face de deux personnalités ne manque pas dans la presse. Par cette sorte de reflet politique, Jacques Chirac demeure présent et la figure du président en fin de règne se voit nuancée par celle de l’homme politique, du président en exercice, toujours actif et prêt à se défendre. Si le Monde et Libération activent eux aussi cette figure, il en ressort certes parfois une domination de Jacques Chirac sur Nicolas Sarkozy, mais aussi une perpetuelle remise en cause du premier par le second. Dans ce cas, la figure de l’opposition peut déservir Jacques Chirac, réactiver la figure du vieil homme et du président en fin de règne. Mais cette figure n’est pas aussi récurrente dans les papiers de Libération que dans ceux du Monde et du Figaro. Libération cherche en effet une certaine distance vis à vis de certaines figures, comme pour ne pas perdre de vue l’essentiel. Le quotidien semble REMUSAT Cécile_2007 69 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

chercher à dépasser les discours de convenance, avec un vocabulaire parfois familier et direct. Quand Libération utilise la personnalisation, ce n’est pas sans y conférer une portée critique. C’est ainsi que lors des vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, son opposition à Nicolas Sarkozy est évoquée et développée, de façon presque crue, mais sans négliger le reste de l’information. Les vœux « venimeux » de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy prennent aussi la forme d’orientations données à ses ministres, dans un cadre plus large. Dans le traitement de cet événement, Libération se distingue de ses deux concurrents. Ces derniers présentent certes cette opposition de façon plus conventionnelle, mais ils en font l’information majeure de leurs articles. De la même façon, tandis que le Monde et le Figaro évoquent cette opposition concernant l’hommage rendu par Jacques Chirac aux Justes de France, Libération ne convoque que la figure du président en exercice, ne déviant en rien du sujet initialement traité. Libération semble alors vouloir se positionner à contre-courant de ses concurrents, ne procédant pas à un traitement uniforme de l’information en rebondissant sur l’information que le politique crée. Il évite de traiter ce qui fait événement si celui-ci s’éloigne des problèmes structurels. C’est ainsi que l’anniversaire de Jacques Chirac et l’émission de Michel Drucker, n’apparaissent pas comme des événements. Ces épisodes permettent simplement à Libération de faire ressortir les informations essentielles à la compréhension de la politique française. Chaque quotidien semble, dans sa façon d’écrire et agencer les articles, répondre aux attentes de son public. Le Figaro, de centre-droit, s’en tient ainsi la plupart du temps à la version officielle du gouvernement, étouffant presque les réactions d’opposition par leur positionnement dans l’article. Les figures concernant Jacques Chirac sont souvent positives et personnalisées, les moins flatteuses se voyant nuancées par la distribution des paroles ou des qualificatifs. Ce sont d’ailleurs des phrases ou citations allant dans le sens du gouvernement ou de l’émotion qui viennent clore les articles, loin de représenter des ouvertures critiques. Libération, au contraire, ne va pas dans le sens du consensus et semble chercher à révéler la face cachée des événements, en retirant toutes les significations possibles. Les oppositions les plus intattendues et les plus virulentes apparaissent en force et l’ironie ne manque pas de recadrer la version officielle dans un contexte de calcul politique. Le Monde, de centre-gauche, se situe entre ces deux lignes éditoriales, parfois plus proche de l’un ou de l’autre. Proche de Libération par la dimension critique de certains articles, il se rapproche du Figaro par le choix des thèmes traités et par l’émergence de certaines figures, comme celle de l’homme. Comme Libération, il procède à des recontextualisations, mettant à jour des mises en scènes politiques ou des stratégies de communication. Les deux quotidiens offrent ainsi un aperçu de la mise en scène des allocutions présidentielles par une description du décors et sa signification dans l’intervention.

De façon générale, la critique est plus virulente dans Libération, et bien plus modérée dans le Figaro, qui se contente souvent de relater des faits. Le Monde se rapproche parfois de Libération, mais dans une moindre mesure. La figure de Jacques Chirac y est traitée avec plus de respect, alors que Libération n’hésite pas à ironiser sur le chef de l’Etat et à employer des qualificatifs très familiers. Au contraire, le Figaro évoque Jacques Chirac, d’un point de vue plus proche et indulgent, déviant parfois vers la focalisation interne.

70 REMUSAT Cécile_2007 Conclusion

Le Monde semble donc avoir un soucis d’éclairer quand le Figaro semble vouloir se faire le témoin des derniers mois de présidence de Jacques Chirac. C’est ainsi que, dans une dimension plus analytique, le Monde, remet généralement les citations dans leur contexte quand celui-ci peut les éclairer. Par exemple, quand Jean-Marie le Pen déclare qu’il croit en une nouvelle candidature de jacques Chirac, le Monde souligne ainsi qu’il est plus « commode » pour lui de le croire, laissant entendre l’intérêt qu ‘aurait Le Pen à faire mine de croire en cette candidature même s’il n’en est rien. Il apparaît aussi important d’observer la structure des analyses, les termes en début et fin d’article. Le Monde et Libération terminent ainsi souvent sur des interrogations, des marques d’ironie. Les chutes évoquent une ouverture sur l’avenir, en l’occurrence les prochaines élections. Au contraire, le Figaro conclut sur des faits présents ou passés, dans une approche toujours factuelle. Les interrogations sont absentes, contrairement aux citations sur Jacques Chirac. Celles-ci s’avèrent d’ailleurs rarement critiques. La figure du candidat, de l’homme politique en opposition à un autre, du président en exercice et du président en fin de règne disparaissent avec les événement. Le candidat n’est plus quand Jacques Chirac annonce, tardivement, ses intentions. Avec cette décision, l’affrontement avec Nicolas Sarkozy s’évanouit, et avec lui la figure du politique en opposition un autre. A partir de cette période, le traitement médiatique de Jacques Chirac se réduit au strict minimum. La figure du président en exercice meurt le jour de la fin de son mandat. Il perd la dimension symbolique du chef d’Etat. Comme le précise Pierre Bourdieu55, qui éclaire la théorie des deux corps du roi de Kantorowicz, « selon la logique de la «bulle spéculative» chère aux économistes, un souverain est fondé à se croire roi parce que les autres croient (au moins dans une certaine mesure) qu'il est roi, chacun devant compter avec le fait que les autres comptent avec le fait qu'il est le roi ». Et Jaques Chirac perd cette position suprême le jour où lui succède Nicolas Sarkozy. Le symbole lié à sa fonction prend fin avec celle-ci. Jacques Chirac quitte l’Elysée comme il quitte la présidence. La fin du mandat de jacques Chirac marque donc une mort symbolique , la fin de l’un des deux corps du roi décrits par Kantorowicz. Son salut de la main, le jour de son départ de l’Elysée, devient simplement le salut d’un homme à d’autres, et non plus le salut d’un président à son peuple. Il est le premier, comme le font remarquer les médias, à choisir de quitter le pouvoir et de laisser la place. Charles de Gaulle a perdu le référendum qu’il souhaitait gagner, Georges Pompidou est décédé, Valéry Giscard d’Estaing a échoué aux élections, et François Mitterrand était trop malade pour se représenter. Le 16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat) l’immunité de jacques Chirac arrive à son terme et ce retour au statut de simple citoyen fait resurgir dans la presse la figure du politicien malhonnête. Le 19 juillet 2007, Jacques Chirac est entendu par la justice dans ses bureaux de la rue de Lille. Cette audition porterait sur l'affaire des emplois fictifs du RPR. Du président intouchable, Jacques Chirac devient le président coupable qui devra répondre devant la justice. Il redevient un homme comme les autres, avec une exception : le souvenir qu il laissera. Car le symbole de la fonction demeure, même si Jacques Chirac n’est plus celui qui la remplit. Un ancien président de la République, même s’il perd toute immunité, garde ce titre honorifique. C’est ainsi que subsistent deux figures et qu’en apparaît une nouvelle.

55 Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en sciences sociale, 96-97, mars 1993 REMUSAT Cécile_2007 71 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Le président coupable demeure une figure d’actualité puisqu’un mois à peine après la fin de son mandat Jacques Chirac est entendu par des juges. A l’opposé, la figure de l’homme perdure elle aussi puisque Jacques Chirac est débarrassé de son corps symbolique. Les figures de père, grand-père mari, si inhabituelles du temps de sa présidence, deviennent la seule identité du simple citoyen qu’il est redevenu. Une identité qu’il a lui même réactivée avant la fin de son mandat. Et une nouvelle figure apparaît : celle du président du passé. Comme ses prédécesseurs, Jacques Chirac entre dans l’Histoire. Dès lors, le tâche reviendra aux Historiens, avec la distance et la méthode de leur discipline, de se pencher sur d’autres figures de Jacques Chirac.

72 REMUSAT Cécile_2007 Bibliographie

Bibliographie

Ouvrages

Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007 Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006 Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996 Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007

Revues

Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988 Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, septembre 1996 Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97, mars1993 Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957

Documentaires

Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire,octobre 2006 Karl ZERO, Michel ROYER, Dans la peau de Jacques Chirac , mai 2006

Bande dessinée

Bruno GACCIO, La Succes Story du président, éditions Hoëbeke, Paris, 2006

Emission télévisée REMUSAT Cécile_2007 73 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Les Guignols de l’info, Canal +, 2006

Hebdomadaire

Paris-Match, numéro 3017 du 15 mars 2007

Interviews

Entretien avec Patrick Rotman, réalisé par Christophe Kechroud-Gibassier pour France 2, octobre 2006 Canalacadémie.com, interview d’Henri Amouroux sur son ouvrage Trois fins de règne, consulté le 7 août 2007

74 REMUSAT Cécile_2007 Corpus

Corpus

Le Monde

« Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversaire de Jacques Chirac », 30 novembre 2006 « Les confidences très encadrées du couple Chirac »,13 février 2007 «Dans la famille Chirac, le petit-fils », 8 avril 2007 «Adieu, veaux, vaches cochons ! », 6 mars 2007 «Lors des derniers vœux du quinquennat, M.Chirac a fixé cinq « enjeux majeurs » de er la campagne 2007 »,1 janvier 2007 «Chirac profite de ses vœux pour mettre en garde Sarkozy »,3 janvier 2007 «Jacques Chirac invite les Justes au Panthéon et invite la France à regarder son histoire « en face »», 18 janvier 2007 «Tu me vois dire à Chirac « tu me soutiens je t’amnistie » ?», 13 avril 2007 « Une déclaration d’amour et cinq recommandations à la France et aux Français», 13 mars 2007

Le Figaro

« Un anniversaire très diplomatique pour Chirac », 29 novembre 2006 « Jacques Chirac commence à évoquer l’après », 9 février 2007 «Le grand-père Chirac et le petit fils Martin », 4 avril 2007 «Les adieux de Chirac au Salon de l’agriculture», 5 mars 2007 « Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat », 2 janvier 2007 «La mise en garde de Chirac aux ministres », le 3 janvier 2007 «En rendant hommage aux Justes France, Chirac parachève le travail national de mémoire », 18 janvier 2007 «L’Elysée dénonce le « procédé scandaleux » du Canard »,11 avril 2007 « Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat », 12 mars 2007

Libération

« 74 ans aujourd'hui, et après? », 29 novembre 2006

REMUSAT Cécile_2007 75 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

« Chirac fait un pas vers la non-candidature » 8 février 2007 « A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac »,4 avril 2007 « Chirac passe hors-champ», 5 mars 2007 er « Chirac en fausse vraie campagne», 1 janvier 2007 «Les vœux venimeux de Chirac à Sarko »,3 janvier 2007 «Les Justes de France honorés au Panthéon» ,18 janvier 2007 «L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac» ,12 avril 2007 « Chirac, derniers feux plein d’amour », 12 mars 2007

76 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

Annexes

Annexe 1

Biographie de jacques chirac Jacques René Chirac, né le 29 novembre 1932 à Paris, est un homme d'État français, qui exerce les fonctions de Président de la République française depuis le 17 mai 1995. Il a été Premier ministre de 1974 à 1976 et de 1986 à 1988. Débuts (1932-1967) Né le 29 novembre 1932 à Paris, Jacques René Chirac est le fils d'Abel François Chirac (1893-1968), administrateur de société, et de Marie-Louise Valette (1902-1973), femme au foyer. Tous deux proviennent de familles de paysans — même si ses deux grands-pères sont instituteurs — de Sainte-Féréole, en Corrèze. Fils unique, il étudie à Paris au lycée Carnot puis entre au lycée Louis-le-Grand. Après son baccalauréat, il fait une campagne de trois mois comme matelot sur un navire charbonnier. Il intègre en 1951 l'Institut d'études politiques de Paris, où il rencontre sa futre épouse, et dont il est diplômé en 1954. Durant cette période, brièvement, il milite dans la mouvance du Parti communiste, vend L'Humanité rue de Vaugirard, et participe au moins à une réunion de cellule communiste. Il signe en 1950 l'Appel de Stockholm, contre l'armement nucléaire, d'inspiration communiste, ce qui lui vaudra d'être interrogé lorsqu'il demandera son premier visa pour les États-Unis, pays pour lequel il nourrit une réelle admiration. Il suit durant l'été 1953 la « Summer school » de Harvard, à Boston. Ses fiançailles avec Bernadette Chodron de Courcel sont célébrées le 17 octobre 1953. À l'automne 1954, il est reçu à l'ENA, avant d'être classé premier à l'École de la Cavalerie (i.e. les blindés) de Saumur. On lui refuse cependant le grade d'officier en raison de son passé communisant et il faut l'intervention des relations de la famille de sa fiancée pour l'obtenir. Il en ressort sous-lieutenant de cavalerie. En 1954, il soutient une thèse de géographie économique à l'Institut d'études politiques de Paris, intitulée Le port de La Nouvelle-Orléans, dirigée par le professeur Jean Chardonnet. Le 16 mars 1956, il épouse Bernadette, malgré les doutes de la famille de celle-ci face au jeune homme issu d'une famille de paysans, et a avec elle deux filles, Laurence (1958) et Claude (1962). Juste après son mariage, de 1956 à 1957, il effectue son service militaire. En tant que jeune diplômé prometteur, il aurait pu éviter de faire la guerre d'Algérie (pendant 18 mois), mais il se porte volontaire et est affecté 2e Chasseur d'Afrique (il est en poste à Souk-el- Barba). Il est libéré de son service le 3 juin 1957. Jacques Chirac explique qu'il n'est devenu gaulliste qu'en 1958, et qu'en 1947, il a pris sa carte du Rassemblement du peuple français « sans savoir ce [qu'il] faisait ». Il rejoint en 1957 l'École nationale d'administration dans la promotion Vauban, dont il sort dixième en 1959, celle-ci étant détachée en Algérie par Charles de Gaulle entre le 17 avril 1959 et avril 1960. Jacques Chirac est détaché en tant que « renfort administratif », auprès du directeur général de l'Agriculture en Algérie, Jacques Pélissier.

REMUSAT Cécile_2007 77 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

À son retour en France métropolitaine, Jacques Chirac est nommé auditeur à la Cour des comptes et devient maître de conférences à l'Institut d'études politiques. En juin 1962, il devient chargé de mission (pour la « construction, les travaux publics, et les transports ») auprès du secrétariat général du gouvernement Pompidou, puis au cabinet du Premier ministre. Un an plus tard, il est conseiller référendaire à la Cour des comptes. En 1965, il est élu conseiller municipal de Sainte-Féréole, en Corrèze, berceau de la famille Chirac, sans qu'il se soit présenté. Un an plus tard, Georges Pompidou l'envoie en Corrèze arracher la circonscription d'Ussel (Corrèze) à l'opposition. Bénéficiant du soutien de Marcel Dassault et de son journal, menant une campagne acharnée, il bat son adversaire du Parti communiste français de justesse, dans un bastion du parti. Ministères (1967-1976) Moins d'un mois plus tard le 8 mai 1967, Jacques Chirac — surnommé « mon bulldozer » par Georges Pompidou — est nommé secrétaire d'État à l'Emploi, dans le gouvernement Pompidou (et servira encore dans tous les gouvernements successifs, dirigés par Maurice Couve de Murville, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer jusqu'en 1974). L'une de ses premières réalisations est la création de l'Agence nationale pour l'emploi. Durant mai 1968, il joue un rôle important lors des Accords de Grenelle. Aussitôt après mai 68, il est nommé secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances, chapeauté par le jeune ministre Valéry Giscard d'Estaing. Les deux hommes se méfient l'un de l'autre tout en travaillant ensemble : Jacques Chirac n'est pas mis dans la confidence de la dévaluation du franc, en 1969. En 1971 il devient ministre chargé des relations avec le Parlement, puis, le 5 juillet 1972, il est nommé ministre de l'Agriculture et du Développement rural, dans le gouvernement Messmer, où il se fait remarquer en obtenant massivement les voix des agriculteurs. En novembre 1973, soutenu par le Président, il revient sur des décisions de Valéry Giscard d'Estaing, alors en voyage. En mars 1974, probablement à la suite de l'affaire des écoutes du Canard enchaîné, il « échange » son poste avec celui de Raymond Marcellin, jusque-là ministre de l'Intérieur. À la mort de Georges Pompidou, peu de temps après, il choisit de soutenir Pierre Messmer, un temps candidat, puis Valéry Giscard d'Estaing contre le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Il rallie contre ce dernier 43 députés et contribue ainsi largement à la victoire de Valéry Giscard d'Estaing à l'élection présidentielle. Il bénéficie aussi d'une bonne connaissance du terrain et des élus locaux acquis en moins de deux ans au ministère de l'Agriculture, et surtout de sa position dans un ministère « stratégique » où il a la haute main sur les préfets, les Renseignements généraux, etc. Le 27 mai 1974, en raison de son rôle décisif dans son élection, Valéry Giscard d'Estaing nomme Jacques Chirac Premier ministre. Il conserve l'appui de l'Union pour la défense de la République (qui ne compte que cinq ministres) dont il devient le secrétaire général, sans même en avoir été membre. À Matignon, il instaure un style détendu et studieux, tout en débutant un bras de fer avec le Président. Jacques Chirac se voit imposer par le président un grand nombre de ministres qu'il n'apprécie pas. C'est notamment le cas de Michel Poniatowski et Jean-Jacques Servan- Schreiber, tous deux fermement anti-gaullistes. Jacques Chirac se débarrasse rapidement du co-fondateur de L'Express sur la question des essais nucléaires. « JJSS » y est opposé et le fait savoir, ce qui le pousse à la démission. Pour le remplacer, Valéry Giscard d'Estaing impose à Jacques Chirac le second co-fondateur de L'Express en la personne de Françoise Giroud, qui devient secrétaire d'État.

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Les réformes entreprises par Valéry Giscard d'Estaing surprennent puis agacent les gaullistes, comme la majorité à 18 ans, la loi sur l'avortement, l’extension de la couverture de sécurité sociale,ou la « poignée de main » à des détenus en prison. L'UDR n’apprécie pas des mesures qui vont à l'encontre des idéaux de l'électorat de droite. Les deux conseillers personnels de Jacques Chirac, Pierre Juillet et Marie-France Garaud, le poussent à la rupture avec Valéry Giscard d'Estaing. Le 11 janvier 1976, le Président effectue un remaniement ministériel contre l'avis du Premier ministre, qui dénonce le pouvoir exercé par Valéry Giscard d'Estaing et demande une refonte complète de sa politique. Après une rencontre au fort de Brégançon, Jacques Chirac décide de démissionner de son poste, geste qu'il annonce le 25 août 1976. Il déclare à la télévision : « Je ne dispose pas des moyens que j’estime aujourd'hui nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin ». Jacques Chirac aurait affirmé à Valéry Giscard d'Estaing « qu'il voulait quitter la vie politique […] et qu'il s'interrogeait sur sa vie, et qu'il parlait même de monter une galerie d'art ». Maire de Paris, vers l'Élysée (1976-1995) Après avoir annoncé sa candidature au poste de Maire de Paris, il crée le Rassemblement pour la République. Ce parti gaulliste reprend les bases de l'UDR et Jacques Chirac en devient le président. Le 20 mars 1977, malgré l'opposition de Raymond Barre qui soutient Michel d’Ornano, il devient le premier maire de Paris. Ce poste, nouvellement créé,représente quinze milliards de francs de budget, 40 000 fonctionnaires. C'est un tremplin électoral de première importance. En vue des élections présidentielles de 1981, Jacques Chirac fait du RPR une puissante machine politique, toujours dans la majorité et, avec 150 députés,plus importante que l'Union pour la démocratie française (parti créé en 1978 pour soutenir l'action du Président). Le 26 novembre 1978, Jacques Chirac est victime d'un accident sur une route de Corrèze et est transporté à l'hôpital Cochin à Paris. De là, il lance l'« Appel de Cochin » qui dénonce le « parti de l'étranger », c'est-à-dire l'UDF. En 1979, il échoue aux élections européennes, sa liste ne recueillant que 16,3 % des voix, derrière les 27,6 % de Simone Veil, tête de liste de l'UDF. Lors des élections présidentielles, il fait campagne sur le sujet de la réduction des impôts — suivant l'exemple de Ronald Reagan — obtient 18 % des voix au 1er tour, et se retrouve largement distancé par Valéry Giscard d'Estaing (28 %) et François Mitterrand (26 %), qui remporte le second tour. Il annonce que « personnellement » il votera pour le chef de l'UDF. Ses militants retiennent le peu de conviction du message. Selon Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre et Christian Bonnet, la permanence du RPR conseille de voter pour François Mitterrand entre les deux tours. La stratégie de Jacques Chirac aurait été de faire élire François Mitterrand puis d'essayer d'obtenir une nouvelle fois la majorité au parlement, François Mitterrand étant obligé de dissoudre la chambre issue de 1978. La présence de ministres communistes créerait chez les français,aurait-t-il pensé, un sentiment de peur comparable à celui de mai 1968, ce qui provoquerait un nouveau raz-de-marée gaulliste. Pierre Messmer confirme cette version des faits. Jacques Chirac rencontre François Mitterrand par l'intermédiaire d'Edith Cresson. Le candidat socialiste est élu. Affaibli par sa défaite, le RPR ne remporte que 83 sièges aux élections législatives. Jacques Chirac est l'un des rares de son camp à voter pour l'abrogation de la peine de mort (contre l'avis de la majorité des français). Il devient cependant de plus en plus populaire chez les électeurs de droite comme maire de Paris, notamment en développant une politique de transports en commun, en venant en aide aux personnes âgées, aux handicapés et aux REMUSAT Cécile_2007 79 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

mères célibataires, tout en incitant les entreprises à rester dans la ville mais en organisant la destruction des quartiers populaires . En 1983, il est réélu en remportant la totalité des vingt arrondissements. Il devient le chef de l'opposition. En mars 1986, lors des élections législatives à la proportionnelle, l'union RPR-UDF obtient de justesse la majorité et survient la première « cohabitation ». Jacques Chirac, chef de la majorité, devient Premier ministre. La cohabitation est l'occasion d'une opposition permanente entre le Premier ministre et le Président. François Mitterrand. Ce dernier critique ouvertement l'action de son Premier ministre, se pose en président impartial. Il refuse de signer des ordonnances et Jacques Chirac doit recourir à l'article 49 alinéa 3. La stratégie du Président favorise la lassitude de l'opinion vis-à-vis de la méthode et des réformes du gouvernement, et le Premier ministre doit se résoudre à en abandonner certaines. Il réussit à freiner la progression du chômage, mais pas à la stopper. Il paye également la défiance de la jeunesse, à laquelle son ministre Alain Devaquet s'est heurté en novembre 1986 et l'image de son ministre Charles Pasqua, populaire à droite mais détesté à gauche. Ce dernier négocie en secret la libération des otages du Liban. La version officielle, commune dans les affaires de prise d'otages, est qu'il n'y a pas eu de rançon ; on accuse le Premier ministre d'avoir vendu la technologie nucléaire française à l'Iran et de vouloir manipuler l'opinion publique. Confronté à la remontée spectaculaire de François Mitterrand dans les sondages, Jacques Chirac se lance dans une tournée dans toute la France pour expliquer sa politique. Au premier tour, il obtient seulement 19,9 % et est talonné à droite par Raymond Barre qui en attire 16,5 %, et se trouve largement distancé par François Mitterrand et ses 34,1 %. Selon Éric Zemmour, il rencontre Jean-Marie Le Pen à deux reprises chez le général De Bénouville durant l'entre-tour, par l'entremise de Charles Pasqua. Jacques Chirac le nie ; depuis cette date, Jean-Marie Le Pen nourrit une rancune pour Jacques Chirac. Il affronte le Président sortant lors d'un débat télévisé rugueux, durant lequel François Mitterrand affirme « dans les yeux » qu'il n'était pas au courant des tractations pour libérer les otages. Jacques Chirac subit une défaite au second tour en n'obtenant que 45,98 % des voix. Son camp est démoralisé, et sa femme va jusqu'à affirmer : « les Français n'aiment pas mon mari ». De nouveau dans l'opposition, il reste maire de Paris, réélu triomphalement en 1989 et travaille à se maintenir en tête de l'opposition. En 1991, il déclare qu'il est « absolument hostile au plan Delors tendant à instituer en Europe une monnaie unique ». Passionné par les arts premiers tout comme par les Indiens d'Amérique, il écrit au roi d'Espagne pour expliquer son refus de participer aux commémorations en mémoire du génocide de ce peuple. Face aux grandes difficultés du gouvernement de gauche, il participe à la campagne législative de 1993 qui voit la victoire écrasante de la droite. Échaudé par l'expérience précédente, il préfère rester en retrait et laisse Édouard Balladur devenir Premier ministre, formant ainsi la seconde cohabitation. L'accord tacite entre les deux hommes est simple : à Édouard Balladur Matignon, à Jacques Chirac l'Élysée en 1995. Cependant Édouard Balladur, au vu de sa popularité, décide de se présenter aux élections présidentielles : les partisans du président du RPR crient à la trahison, d'autant que le Premier ministre entraîne avec lui une partie des élus dont Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua. Philippe Seguin, un temps hésitant, se lance dans la bataille auprès du candidat « légitime » et devient avec Alain Juppé et Alain Madelin un des principaux soutiens de Jacques Chirac. Celui-ci entame une campagne dynamique et centrée sur le thème de la « fracture sociale ». Jacques Chirac réussit à devancer Édouard Balladur au premier tour, avant de remporter le second face à Lionel Jospin, candidat des socialistes, avec 52,64 % des voix : il devient président de la République. 80 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

Premier mandat de président de la République (1995-2002) À son arrivée à l'Élysée, le 17 mai, il nomme Alain Juppé Premier ministre. Ce dernier met l'accent sur la lutte contre le déficit de l'État afin de respecter le pacte de stabilité de l'Union européenne et d'assurer l'arrivée de l'Euro. Le 17 juillet 1995 à l'occasion du 53e anniversaire de la rafle du vélodrome d'hiver, il reconnait « la faute collective » de la France et déclare : « ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État français ». Dès juillet 1995, une de ses toutes premières décisions est d'effectuer une ultime campagne d'essais nucléaires avant la signature du TICE, afin de permettre au CEA de développer son programme Simulation. Cette décision, arrivée au moment du cinquantenaire des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, provoque un tollé, en particulier en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Japon, aux États-Unis et dans les milieux écologistes, sans qu'il cède. La politique internationale de la France change subitement en Yougoslavie, où le Président ordonne des représailles suite au meurtre de soldats français, conjointes avec l'OTAN, qui met fin à la guerre civile. Il mène parallèlement une politique qui le rapproche des pays arabes tout en travaillant au processus de paix dans le conflit israélo-palestinien. La France rejoint le commandement intégré de l'OTAN. De plus en plus impopulaire, le gouvernement d'Alain Juppé doit affronter des grèves massives durant l'hiver 1995-1996, dues à la réforme des retraites du privé et au gel du salaire des fonctionnaires. Devant l'essoufflement de sa majorité, il risque une dissolution, attendue par beaucoup et probablement conseillée par Dominique de Villepin, de l'Assemblée nationale le 21 avril 1997, soit onze mois avant la date prévue. Pris de court, ni son parti ni son électorat ne comprennent son geste tandis que l'opposition crie à la manœuvre. Les élections qui suivent voient la victoire de la gauche plurielle, menée par Lionel Jospin. Jacques Chirac nomme ce dernier Premier ministre. La troisième cohabitation est bien plus longue que les précédentes, puisqu'elle dure cinq ans. Le Président et le Premier ministre tentent de parler d'une seule voix dans le cadre de l'Union européenne ou de la politique étrangère, se rendant ensemble aux sommets européens (comme lors des deux autres cohabitations), même si des passes d'armes verbales surviennent parfois entre les deux hommes. C'est à cette époque qu'éclatent les affaires politico-financières au sujet du RPR et de la mairie de Paris (dont l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris). Le 21 septembre 2000, est publié dans le journal Le Monde un aveu posthume de Jean-Claude Méry, promoteur et financier occulte du RPR, lequel accuse Jacques Chirac, alors maire de Paris, d'avoir été au cœur du système. Le RPR (tout comme l'UDF, le PS et le PC) est accusé d'avoir alimenté son budget à l'aide de commissions versées par des entreprises du bâtiment auxquelles la région Île-de-France a confié en contrepartie d'importants travaux publics. Jacques Chirac était alors le président du RPR. Il était également maire de Paris lors des faits de l'affaire des faux électeurs du Ve arrondissement. Une enquête a lieu dans le cadre du financement de voyages en avion à caractère privé de l'ancien maire. Bertrand Delanoë, nouveau maire de Paris, ignorant ces premières accusations, rend public durant la campagne présidentielle de 2002 un rapport détaillant les 2,13 millions d'euros (soit 700 euros par jour) dépensés en « frais de bouche » par Jacques Chirac et sa femme entre 1987 et 1995 ; un non-lieu pour prescription est prononcé par le juge d'instruction Philippe Courroye en 2003.

REMUSAT Cécile_2007 81 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

À l'initiative d'un député socialiste, Arnaud Montebourg, trente députés (dix-neuf PS, quatre Verts, quatre radicaux, deux PCF et un MDC) déposent une motion demandant la traduction de Jacques Chirac devant la Haute cour. La motion est rejetée. Dans une décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel, présidé alors par Roland Dumas, confirme au président son immunité telle qu'elle est définie dans la constitution. Le 24 septembre 2000 la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans est adoptée par un référendum marqué par une abstention record. Le gouvernement de Lionel Jospin connaît une popularité importante, marquée par la loi des 35 heures, la baisse du chômage et la reprise économique mondiale de la fin du siècle. Partant favori, le Premier ministre décide de rétablir le calendrier initial des élections (la présidentielle avant les législatives) et surtout obtient du Président, d'abord très réticent, qu'il propose la modification de la Constitution pour transformer le septennat en quinquennat. Face à la pression de ses soutiens, les sondages lui étant peu favorables, il décide d'annoncer plus tôt que prévu sa candidature pour les élections de 2002, à Avignon, devançant ainsi Lionel Jospin. S'appuyant sur la jeune garde des députés RPR, il favorise la formation progressive d'un nouveau parti qui doit voir la fusion du RPR, de l'UDF et de Démocratie Libérale : l'Union pour une majorité présidentielle. Les futurs éléments de ce nouveau parti (que l'UDF, dirigée par François Bayrou, refuse de rejoindre) développent les thèmes de la sécurité et de la baisse des impôts. Après un début de campagne mitigé, Jacques Chirac profite de certaines erreurs de Lionel Jospin, qui l’avait qualifié de «président vieilli et usé ». Fort de sa grande expérience des campagnes présidentielles, Jacques Chirac mène alors une campagne dynamique, notamment sur les thèmes de la baisse des impôts (promesse de baisse de 33 % de l'impôt sur le revenu) et de l'insécurité, très largement relayé et diffusé par les médias (les Guignols de l'info de Canal + accusent TF1 et son journal de 13h d'amplifier le mouvement ; la gauche parle de « sentiment d'insécurité ») qui multiplient le temps d'audience sur le sujet et celui de la violence urbaine. Lionel Jospin voit dans le même temps sa campagne s'essouffler. Le 21 avril, c'est la surprise, « comme un coup de tonnerre » : Lionel Jospin est battu dès le premier tour. Jacques Chirac, arrivé en tête avec 19,88 % (le plus faible score pour un président sortant) se voit opposé à Jean-Marie Le Pen. Souvent décrit comme un antiraciste viscéral, assuré de l'emporter, il décide de refuser de débattre avec son adversaire, déclarant que « face à l'intolérance et à la haine, il n'y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible ». Il laisse la gauche et la jeunesse manifester en appelant à voter pour lui (le slogan de ses opposants les plus farouches est « Votez escroc, pas facho »), et demeure président avec un score sans commune mesure : 82,21 %. Second mandat de président de la République (depuis 2002) Lionel Jospin lui ayant aussitôt remis sa démission, il nomme un membre de Démocratie libérale, Jean-Pierre Raffarin comme Premier ministre, lequel gouverne par ordonnances pendant quelques semaines : l'UMP, alors créée, remporte largement les élections législatives suivantes, et obtient la majorité absolue à l'Assemblée Nationale, avec 365 des sièges. Jacques Chirac peut à nouveau s'appuyer sur cette majorité parlementaire. Il s'appuie aussi sur un groupe de députés UDF réduit à 30 membres, et nomme un seul ministre de ce parti, Gilles de Robien, député-maire d'Amiens. Jean-Pierre Raffarin entame la mise en œuvre de certaines des promesses de la campagne : baisse de l'impôt sur le revenu et multiplication d'actions ciblées contre la délinquance, avec son très médiatique et populaire ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, 82 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

et conte l'insécurité routière, avec le ministre des transports Gilles de Robien. Viendront ensuite l'assouplissement des 35 heures, la réforme des retraites et de la sécurité sociale, la décentralisation. La situation internationale, marquée par l'attentat du 11 septembre, voit l'intensification de la politique étrangère du président des États-Unis, George W. Bush. Si Jacques Chirac l'avait soutenu lors de l'intervention en Afghanistan, il n’e va pas de même pour l’Irak. Jacques Chirac place la France, aux côtés de l'Allemagne dirigée par Gerhard Schröder, la Russie dirigée par Vladimir Poutine et la Chine Populaire de Hu Jintao, comme l'opposante principale des États-Unis contre l'invasion de l'Irak. Épaulé par son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, il obtient que les États-Unis passent par l'ONU avant toute intervention. Profitant d'un large consensus national sur la question, Jacques Chirac se fait le chantre d'un « monde multipolaire ». Soutenu par les opinions publiques européennes mais seulement par quelques dirigeants (le belge Guy Verhofstadt et l'allemand Gerhard Schröder), il s'oppose aux États-Unis, soutenu par huit gouvernements ouest-européens (dont la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne) et dix pays est-européens et laisse entendre qu'il utilisera son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies "quelles que soient les circonstances". Cette annonce lui vaut une campagne hostile, notamment dans une partie des médias anglo-saxons (The Sun titre alors « Chirac is a worm » — « Chirac est un ver »). Les relations avec les États-Unis deviennent plus que tendues, ne commençant à se normaliser qu'à partir de la commémoration du débarquement en Normandie, quinze mois plus tard. Au lendemain d'une défaite massive aux élections cantonales et régionales de 2004 (2O des 22 régions de France métropolitaine passent ou repassent à gauche), il nomme Nicolas Sarkozy ministre d'État, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie : la plupart des éditorialistes politiques (dont ceux du Canard enchaîné, du Nouvel observateur et de l'Express) y voient un moyen de contrer sa popularité toujours aussi forte (contrairement à celle du Premier ministre, au plus bas dans les sondages). Face aux ambitions présidentielles affichées par Nicolas Sarkozy, il le met en demeure, lors de son allocution du 14 juillet 2004, de choisir entre son fauteuil et le poste de président de l'UMP. En novembre, Nicolas Sarkozy est élu président du parti et quitte son ministère, alors confié à Hervé Gaymard. En février 2005, celui-ci est contraint à la démission suite à un scandale très médiatisé et est remplacé par le PDG de France Télécom, Thierry Breton. Pour impliquer les Français dans la Constitution européenne, Jacques Chirac décide qu'un référendum sera organisé pour la ratification de celle-ci, à organiser au plus vite afin de remporter le scrutin. Désormais favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il voit une partie de sa majorité s'opposer à cette perspective, ce qui vient brouiller les cartes du référendum : le 17 décembre 2004, les vingt-cinq décident l'ouverture de négociations avec la Turquie. Le projet de directive Bolkestein détourne une partie de l'inquiétude sociale grandissante sur l'Europe, malgré les tentatives de désamorçage du président. Et Jaques Chirac apparaît comme déconnecté des attentes sociales, notamment des jeunes, lors d'un débat télévisé bien encadré, le 14 avril 2005 sur TF1. Dans un contexte de quasi- unanimmité en faveur du "oui" des partis de gouvernement et des médias, les sondages s'inversent trois fois, le débat enflamme les Français et mobilise les médias jusqu'au jour du référendum. Le 29 mai 2005, après une campagne marquée par l'implication personnelle du président, le « non » l'emporte avec 54,87 % des voix et avec une forte participation de 69,74 %. Le surlendemain, Jean-Pierre Raffarin démissionne ; Jacques Chirac annonce son remplacement par un duo formé par Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy : l'un comme Premier ministre, l'autre comme ministre d'État, rejoignant le ministère de l'Intérieur. La presse se déchaîne contre le peu de changement des membres du gouvernement mais est intriguée par la « cohabitation » des deux (on parle de « vice-premier Ministre »).

REMUSAT Cécile_2007 83 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Jacques Chirac entame alors un bras de fer avec Tony Blair (qui prend la présidence de l'Union), sur le budget de l'Union. Cette confrontation s'étend à la candidature de Paris et Londres pour les Jeux Olympiques d'été de 2012 où les deux hommes s'impliquent personnellement. Les Français partent favoris et espèrent contrer la morosité qui s'abat sur le pays, mais, le 6 juillet, Londres est choisie par le CIO. Le 4 octobre 2005, lors d'un sommet franco-italien, Jacques Chirac reproche à la Commission européenne de ne pas lutter contre des licenciements chez Hewlett-Packard, ce qui fait réagir le président de la Commission qui qualifie cette accusation de « démagogie », estimant que le sujet est du domaine national. Depuis le référendum, les sondages de popularité le concernant sont au plus bas et ne remontent que lentement. Le 2 septembre 2005, il est hospitalisé à l'hôpital militaire du Val- de-Grâce, pour un accident vasculaire cérébral. Il en sort le 9 septembre 2005, mais ne doit pas prendre l'avion pendant quelques semaines. Le premier ministre Dominique de Villepin représente alors la France au sommet de l'ONU le 13 septembre 2005. Il peine à masquer la rivalité qui l'oppose à Nicolas Sarkozy. Fin 2005, selon un sondage, 1 % des Français souhaitent que Jacques Chirac soit le candidat de l'UMP à l'élection présidentielle de 2007. La plupart des éditorialistes affirment que Jacques Chirac ne se représentera pas en 2007; Jacques Chirac demande au début de l'année 2006 à Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, « de la retenue » en attendant que la question de sa succession vienne à l'ordre du jour. À partir de la fin du mois d'octobre 2005, suite à la mort de deux jeunes à Clichy- sous-Bois électrocutés en se réfugiant dans un transformateur EDF, puis à des déclarations du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, les actes de violence se multiplient les nuits suivantes, les médias finissant par parler d'émeutes, se propageant dans de nombreuses banlieues en France (des milliers de voitures sont brûlées, des entreprises et bâtiments publics sont détruits). Le 8 novembre, Jacques Chirac décrète en Conseil des ministres l'état d'urgence (qui sera levé environ 2 mois plus tard, le 4 janvier 2006), les préfets pouvant déclarer le couvre-feu dans toute ou partie du territoire. Jacques Chirac s'adresse pour la première fois sur ces émeutes en banlieues directement aux Français via la télévision et la radio le lundi 14 novembre, regardé par plus de vingt millions de télespectateurs. En visite le 19 janvier 2006 à l'Île Longue, base opérationnelle des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français, Jacques Chirac y réaffirme les principes de la politique de dissuasion nucléaire française, marquant une inflexion de la doctrine nucléaire du pays : ne plus raisonner « du faible au fort » mais « du fort au fou », dans une période marquée par le terrorisme et les ambitions nucléaires de pays comme l'Iran et la Corée du Nord. Si les États-Unis et le Royaume-Uni réagissent positivement à cette annonce, la classe politique allemande s'inquiète de cette position, alors que l'Iran proteste. Après le Contrat nouvelle embauche (CNE), Dominique de Villepin décide, au début de l'année 2006, de lancer un nouveau contrat de travail similaire, pour les jeunes, baptisé Contrat première embauche (CPE). La mobilisation syndicale et étudiante contre ce projet en particulier, et contre la dite loi pour l'égalité des chances plus généralement, se met lentement en place mais finit par prendre des proportions très importantes, et le Premier ministre est mis en difficulté. Jacques Chirac prend plusieurs fois la parole pour le soutenir, mais n'intervient pas avant le 31 mars, où, dans une allocution devant 21 millions de téléspectateurs, il annonce la promulgation de la loi qui contenait le CPE mais demande de ne pas appliquer cette mesure en attendant une nouvelle loi sur le sujet, confiant le dossier à l'UMP, ce qui fait dire à un proche de Nicolas Sarkozy : « en réalité, le CPE est bel et bien suspendu, mais on ne le dit pas pour ne pas vexer Villepin ». La presse se montre très critique sur ces demi-mesures et le 10 avril, le Premier ministre annonce

84 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

le remplacement rapide du CPE par une autre loi. L'affaire Clearstream vient ensuite bousculer l'emploi du temps du gouvernement. Dominique de Villepin, mais aussi Jacques Chirac, sont soupçonnés par la presse d'avoir commandité des enquêtes confidentielles sur des hommes politiques français, entre lesquels Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Chevènement et Alain Madelin, qui ont été accusés anonymement et faussement d'avoir profité de rétrocommissions en marge de l'affaire des frégates de Taiwan. Nicolas Sarkozy porte plainte contre X en janvier 2006 pour « dénonciation calomnieuse », rapidement rejoint par une série d'autres personnalités françaises. Enfin, le Canard enchaîné affirme dans son édition du 10 mai 2006 que le procès-verbal du général Rondot, membre de la DGSE, indiquait aussi que Jacques Chirac aurait détenu un compte de 300 millions de francs (45 millions d'euros) au Japon, à la Tokyo Sowa Bank appartenant à Soichi Osada, un ami de Jacques Chirac (fait chevalier de la Légion d'honneur en 1994), arrêté en 2000 au Japon pour faillite frauduleuse. Jacques Chirac nie aussitôt détenir tout compte au Japon, affirmant que le Canard faisant référence à une enquête ouverte par la DGSE en 2000 (juste avant la présidentielle) au sujet de comptes supposés qu'il aurait détenus au Japon, enquête qui elle-même aurait été ouverte sur la base d'un article dans la presse japonaise. Le mandat de Jacques Chirac se termine le 17 mai 2007.Le premier ministre lui remet la démission de son gouvernement le 15 mai 2007 à la veille de la passation de pouvoir entre le président sortant et Nicolas Sarkozy, nouvellement élu. Il semble qu’il entende désormais se consacrer à une fondation pour le développement durable et le dialogue des cultures. Celle ci devrait être fondée à l'automne 2007. Comme tous les anciens Présidents de la République, il est désormais membre de droit à vie du Conseil Constitutionnel. Jacques Chirac, ne bénéficiant plus de l’immunité présidentielle, devrait aussi être entendu par les juges concernant certaines affaire sur lesquelles il n’y a pas encore prescription.

Annexe 2

Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l'anniversaire de Jacques Chirac Le Monde, le 30 novembre 2006 Rarement un hypothétique dîner d'anniversaire aura été autant commenté par les diplomates ! Alors que l'OTAN tenait à Riga, en Lettonie, son premier sommet dans un pays de l'ex-Union soviétique, avec comme thème principal l'Afghanistan, les délégations bruissaient d'interrogations sur un autre sujet : Jacques Chirac allait-il marquer, mercredi 29 novembre, son 74e anniversaire en dînant à Riga en compagnie de Vladimir Poutine ? Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de pays est- européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le but de voler la vedette à un sommet de l'OTAN, au moment où le Kremlin est mis en cause pour sa politique énergétique agressive, et pour son rôle éventuel dans l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres.

REMUSAT Cécile_2007 85 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Jacques Chirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à l'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de faire cavalier seul au sein de l'Alliance. La réponse officielle est tombée mardi, dans la soirée. La présidence française annonçait qu'un « projet de dîner » informel, qui aurait réuni mercredi à Riga M. Chirac, M. Poutine et la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, n'avait « pas pu se concrétiser, pour des raisons pratiques et logistiques ». Le Kremlin commentait de son côté que la rencontre n'aurait « malheureusement » pas lieu. L'Elysée avait souligné, dans la journée, que l'idée du dîner d'anniversaire émanait de la partie russe, mais que les modalités devaient encore en être précisées. Entre-temps, l'information filtrait qu'un visa letton avait bien été délivré au président russe. Les raisons de l'annulation restaient, mercredi, assez mystérieuses, ni l'Elysée ni le Kremlin ne souhaitant s'étendre sur les causes de cette confusion. De source américaine, on cherchait à minimiser l'affaire, indiquant qu'un dîner d'anniversaire ne concernait « en rien les enjeux du sommet de l'OTAN ». George Bush a déclaré à Riga que la porte de l'OTAN restait ouverte pour des pays comme l'Ukraine et la Géorgie, une position qui ne suscite guère d'enthousiasme côté français. Les diplomates français entendaient conférer une portée « diplomatique et symbolique » à l'éventuel dîner, soulignant que M. Poutine aurait ainsi effectué la première visite d'un président russe dans un Etat balte depuis les indépendances en 1991. En 2005, M. Chirac avait plaidé auprès de Mme Vike-Freiberga pour qu'elle accepte d'assister à Moscou aux cérémonies du 9-Mai commémorant la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les responsables baltes demandaient en vain que M. Poutine dénonce le pacte Ribbentrop- Molotov. Mardi, le président russe participait en Biélorussie à un sommet de la Communauté des Etats indépendants (CEI), au cours duquel il tentait de manifester une ligne plus conciliante à l'égard de certaines Républiques ex-soviétiques, en annonçant notamment une levée de l'embargo russe sur les vins moldaves... Natalie Nougayrède

Annexe 3

Un anniversaire très diplomatique pour Chirac Le Figaro, le 29 novembre 2006 Après les protestations américaines, Vladimir Poutine a annoncé qu'il renonçait e à un dîner prévu ce soir à l'occasion du 74 anniversaire de Jacques Chirac.

Jacques Chirac et Vladimir Poutine lors de leur dernière rencontre à Paris, le 23 septembre. (AP/P.Kovarick)

86 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

JACQUES Chirac est fidèle en amitié. Mais c'est avec un ami bien encombrant, Vladimir e Poutine, qu'il avait prévu de fêter, ce soir, son 74 anniversaire, à Riga, où se tient le sommet de l'Otan. Mais hier soir, le Kremlin a finalement annoncé que le président russe ne serait « malheureusement » pas de la fête. Le porte-parole adjoint du Kremlin, Dimitri Peskov, a précisé à Moscou que des discussions avaient bien eu lieu en vue d'un tel déplacement. « Mais compte tenu, malheureusement, de l'impossibilité de coordonner les emplois du temps des chefs d'État, cette visite n'aura finalement pas lieu », a-t-il déclaré, en des termes très diplomatiques. Il faut dire que l'éventualité de ce dîner à trois - puisque la présidente lettone Vaira Kike-Freiberga devait être au nombre des convives - a, dès dimanche, provoqué l'ire du président américain, George Bush. Embarrassée par l'ampleur prise par cette affaire, la présidente lettone aurait ensuite hésité à délivrer un visa à Vladimir Poutine, achevant de froisser la susceptibilité des Russes.

Initialement, Vaira Kike-Freiberga avait en effet prévu de faire un geste à un moment ou à un autre, pour « souhaiter, avec les chefs d'État et de gouvernement présents, un bon anniversaire » au président français. Le sommet devait se conclure par un déjeuner offert à ses hôtes par la présidente lettone. Mais l'annonce du dîner Chirac-Poutine est venue perturber ce bel ordonnancement.

Selon des responsables de l'Alliance, le président de la République aurait, dans un premier temps, souhaité fêter son anniversaire dans un restaurant arménien de Riga, avec ses plus proches partenaires européens et son homologue russe, mais sans Tony Blair ni George W. Bush. Apprenant cela, le président américain serait intervenu pour contrecarrer ce projet. L'Élysée présentait hier une version bien différente : « Le président Poutine a exprimé le souhait de venir rencontrer le président de la République pour lui présenter ses voeux, comme il lui est arrivé de le faire avec d'autres chefs d'État et de gouvernement » et « l'idée a été lancée par la Russie d'un dîner à trois dont la présidente de Lettonie serait l'hôte. »

Côté français, on se plaisait à souligner que ce dîner d'anniversaire avait en définitive vocation à être un dîner de travail chargé d'une réelle « signification diplomatique ». L'occasion d'évoquer à trois l'avenir de l'Otan et ses relations avec la Russie, l'unité et la sécurité de l'Europe. L'Élysée insistant sur le fait que la venue de Poutine à Riga serait une grande première, « la première visite d'un président russe dans l'un des trois pays baltes ».

«Ne pas humilier la Russie»

La Lettonie, qui a acquis l'indépendance en 1991 après l'effondrement de l'empire soviétique, a avec la Russie des relations certes difficiles, mais toutefois meilleures que celles qu'entretiennent la Lituanie et l'Estonie avec l'ancienne puissance occupante. En dépit du refus de Poutine de s'excuser pour l'annexion soviétique des Pays baltes, la présidente Vike-Freiberga avait fait le voyage de Moscou, le 9 mai 2005, pour célébrer l'anniversaire de la victoire de 1945 sur les nazis.

REMUSAT Cécile_2007 87 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Cette annulation de dernière minute n'est pas pour déplaire à tout le monde. Dans les couloirs du sommet de Riga, l'invitation de Poutine avait jeté un froid certain. Aucun dirigeant de la trentaine de pays partenaires de l'Otan, n'avait été convié à Riga et, d'une certaine manière, Poutine s'invitait en force. « On ne va parler que de ça. Tout le reste va passer au second plan », s'inquiétaient des responsables de l'Alliance atlantique en reprochant à la France de faire « cavalier seul » et d'avoir « fait beaucoup d'obstruction sur les dossiers à l'ordre du jour » (voir ci-dessous). Certains y voyaient même « une véritable provocation », tant vis-à-vis des autres pays baltes, tenus à l'écart, que des nouveaux pays membres de l'Otan et de l'Union européenne.

En France, Jacques Chirac, privé de dîner d'anniversaire, pourrait faire l'économie d'une polémique supplémentaire. Déjà en septembre, le chef de l'État avait été critiqué pour avoir remis à Poutine les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Car le pouvoir russe est dans l'oeil du cyclone, après l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa et l'empoisonnement à Londres de l'ex-agent russe Alexandre Litvinenko qui, avant de mourir, a accusé Vladimir Poutine de l'avoir fait assassiner.

Né le 29 novembre 1932, le président français est l'un des doyens des dirigeants de ce monde et, avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l'un des plus anciens en exercice. À cinq mois seulement de la fin de son mandat, s'eût été prendre un risque que de s'afficher avec le maître du Kremlin. Mais Jacques Chirac n'en a cure. Il répète depuis toujours qu'« il ne faut pas humilier la Russie ». « À ma connaissance, la Russie est un pays ami », fait valoir le porte-parole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont. Et d'ailleurs, ajoute-t-il, « le président de la République parle de tout avec le président Poutine ». Philippe Goulliaud (Avec Alexandrine Bouilhet à Riga).

Annexe 4

74 ans aujourd'hui, et après? Libération, le 29 novembre 2006 Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Jacques Chirac et son gâteau, mercredi à Riga. REUTERS Alors qu'il fête son anniversaire au sommet de l'Otan, à Riga, Chirac feint toujours de s'interroger sur sa présence à la présidentielle.

Jacques Chirac a 74 ans aujourd'hui, et des malices plein son sac pour nuire à ses adversaires. A Riga (Lettonie), où il participe depuis hier au sommet de l'Otan, un parterre de chefs d'Etat (dont Bush) a prévu de lui souhaiter son anniversaire. Persuadé qu'il s'agit de la der de ders pour son «ami Jacques», le Russe Poutine a même tenté de s'inviter aux agapes, alors que son pays n'est pas membre de l'Otan et qu'un leader russe n'est jamais bienvenu dans un Etat balte. Embarrassé, l'Elysée avait expliqué que Poutine avait «exprimé le souhait de venir rencontrer le Président pour lui présenter 88 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

ses voeux». Finalement, le Kremlin a annoncé hier soir que Poutine ne se rendrait «malheureusement» pas à Riga, «compte tenu de l'impossibilité de coordonner les emplois du temps». En dehors de ce gros raout international, Jacques Chirac n'aura plus guère que le Conseil européen de décembre à Bruxelles pour parachever une tournée d'adieux à ses pairs entamée depuis un an. Pour ses derniers mois de mandat, le chef de l'Etat veut surtout se concentrer sur les affaires franco-françaises. Très offensif depuis septembre, il a occupé le terrain sur ses grands thèmes de prédilection (cohésion nationale, défense des grandes valeurs républicaines...) et a cherché à peser sur les débats de la présidentielle. Il s'en est surtout pris à Sarkozy et à sa «rupture», en accusant le patron de l'UMP de vouloir tirer un trait sur «l'identité française» à travers ses remises en cause des institutions de la Ve République ou du modèle social actuel. Dans le même temps, il a commencé à mettre en scène son bilan (zones franches, lutte contre les discriminations...), tout en laissant ses proches ménager un faux suspense sur ses intentions. Lui même a répété qu'il se prononcerait au cours du premier trimestre 2007 sur une éventuelle candidature. Les très rares fidèles qui affirment avoir abordé le sujet avec lui évoquent une déclaration autour de «fin février, début mars». Aucun n'envisage sérieusement la tentation d'un nouveau mandat. Des proches, comme François Baroin ou Philippe Douste-Blazy, n'y croient pas. Pas plus que Sarkozy, dont un des bras droit assure que «Chirac s'évitera l'humiliation d'un premier tour à moins de 10 %». Combative à Paris lorsqu'elle souligne que son «mari n'est pas gâteux», Bernadette Chirac a dit à plusieurs élus de Corrèze que Sarkozy était le «candidat légitime» de la majorité. Pour autant, Chirac n'a certainement pas fini de tourmenter Sarkozy. De manière non concertée, voire rivale, Michèle Alliot-Marie et Dominique de Villepin se sont chargés de contester les projets du patron de l'UMP sur le fond. Mais au grand désespoir de membres de cabinets ministériels ou de conseillers de l'Elysée et de Matignon, aucun préparatif de bataille ne se met en place chez les chiraquiens. Le chef de l'Etat, lui, n'est pas encore directement descendu dans l'arène, comme il l'avait fait le 14 Juillet 2004 avec son fameux «je décide, il exécute» adressé à Sarkozy. Son souci est de laisser le jeu le plus ouvert aussi tard que possible. «Le dernier des chiraquiens, c'est Chirac lui-même, confiait récemment Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy et ex-avocat du chef de l'Etat. S'il a la moindre opportunité de pouvoir se représenter en profitant d'une crise internationale ou d'un faux pas de notre candidat, il ira.» Comme un général sans armée, prêt à un baroud d'honneur ? Antoine Guiral

Annexe 5

Le Canard enchaîné, 6 décembre 2006 Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

REMUSAT Cécile_2007 89 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Annexe 6

Les confidences très encadrées du couple Chirac Le Monde, le 13 février 2007 Invitée de l'émission « Vivement dimanche » sur France 2, le 11 février, l'épouse du chef de l'Etat a fait moins de révélations sur sa vie privée que son époux dans le livre de Pierre Péan. La mise en scène de la fin du mandat de Jacques Chirac passait par sa vie privée, dimanche 11 février, sur France 2, lors d'un entretien avec le chef de l'Etat diffusé dans un « Vivement dimanche » consacré à son épouse, Bernadette. Le hasard n'y avait aucune place. Il y eut beaucoup de non-dits dans ces trois heures de télévision. « Je ne porte aucun jugement, sur personne », a assuré le chef de l'Etat à Michel Drucker, mais avec ce déni le téléspectateur était invité à comparer. Du solide, les Chirac : cinquante et un ans de mariage. Alors qu'il « n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », comme le dit Mme Chirac, le président a raconté combien il avait été « impressionné », à Sciences Po, par cette jeune fille qui avait pris d'emblée deux exposés. « Ell e m'a beaucoup aidé à préparer le concours de sortie », a-t-il souligné. BREVET DE PERSÉVÉRANCE Ce qu'il n'a évidemment pas révélé et que Bernadette Chirac cache soigneusement, c'est qu'elle n'a pas obtenu son diplôme. Interrogée voilà deux ans par Le Monde, via son entourage, sur ce fait, Mme Chirac n'avait pas répondu. Elle s'était contentée de faire retirer la mention « diplômée de l'Institut d'études politiques » de sa biographie officielle sur le site Web de l'Elysée. Encore un mystère à percer... Elle a en revanche son brevet de persévérance, de dévouement « aux autres », à sa famille, ainsi que « le grand mérite » d'avoir déchargé son mari des soucis du quotidien, pour qu'il puisse mener sa carrière. Tout en conduisant la sienne en Corrèze. Et en apportant à Jacques Chirac une partie de l'électorat de droite, ce qui n'était pas dit non plus. Le président s'est beaucoup émerveillé, à la télévision, du fait que son épouse lui ait prédit la présence du Front national au second tour, en 2002. Ignorait-il vraiment que c'est Laurence Parisot, alors simplement patronne de l'IFOP, qui avait averti son épouse, dont elle est une protégée ? Il y eut d'autres non-dits. Si Mme Chirac a depuis longtemps parlé du drame qu'a représenté dans leur vie l'anorexie de leur fille aînée, Laurence, M. Chirac est resté allusif sur ce sujet à la télévision. Sinon pour souligner que son épouse avait porté principalement cette épreuve. Il n'a pas raconté, par pudeur, ce dont d'autres ont été témoins : ses retards réguliers à des réunions pour aller déjeuner avec sa fille déjà étudiante - qui, sans lui, avait décrété qu'elle ne mangerait pas. Il en dit bien davantage à Pierre Péan dans L'Inconnu de l'Elysée ( Le Monde daté 11-12 février) sur sa fille et sur sa vie sentimentale : « Votre femme en parle. Elle écrit : «Les femmes, ça galopait... «», souligne Péan. « Elle exagère ! », rétorque M. Chirac, qui fait mine de « découvrir » une liaison qu'il eut quand il était premier ministre entre 1974 et 1976. « Possible... Mais ce n'est pas une chose qui m'a beaucoup marqué... Je ne conteste pas. Les aventures amoureuses n'ont pas joué un rôle déterminant dans ma vie. Il y en a que j'ai bien aimées, aussi discrètement que possible... » « Il est tout à fait clair que je n'ai jamais imaginé de quitter ma femme. C'est tout à fait clair... », affirme M. Chirac à Pierre Péan, qui raconte. « Et après un silence il ne conteste

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plus du tout, en revanche, que «cela ait existé». » Désormais sereine, Bernadette a pu choisir pour final de l'émission la chanson d'Edith Piaf : Non, je ne regrette rien. Béatrice Gurrey

Annexe 7

Jacques Chirac commence à évoquer l'après Le Figaro, le 09 février 2007

La fenêtre de tir qui aurait permis à Jacques Chirac de se lancer dans une nouvelle candidature à la présidentielle ne s'est jamais ouverte, Nicolas Sarkozy ayant occupé tout l'espace. Soriano/Le Figaro.

Pour France 2, le chef de l'État parle du « jour où (il) n'aura plus de responsabilités ». LE JOUR où... Pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera plus au pouvoir. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu'à la mort » , confie-t-il, dans une interview que diffusera France 2, dimanche, dans le cadre de l'émission « Vivement dimanche », dont Bernadette Chirac est l'invitée. Dans cet entretien d'une vingtaine de minutes, le président de la République, généralement avare de confidences intimes, évoque, en termes très élogieux, son épouse, leur rencontre, leur vie familiale et la place qu'elle a occupée tout au long de sa carrière. En toute fin d'interview, Michel Drucker lui demande ce qu'il fera le jour où il quittera la vie politique et l'Élysée. « Le jour où je n'aurai plus de responsabilités de cette nature, eh bien j'essaierai de servir la France, les Français, d'une autre manière » , répond-il. Le chef de l'État souligne qu'il n'est pas « quelqu'un qui vit dans le culte d'un passé ». « Je me suis investi totalement dans ma mission que je m'étais assignée au service des Français. Alors on peut l'approuver, la critiquer, peu importe, mais j'ai toujours essayé d'agir pour les Français et pour l'idée que je me faisais de la France » , dit-il. Au cours de l'émission, préenregistrée, Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que l'Élysée lui « manquera beaucoup ». « Mais je m'adapterai. Il faut bien accepter ce que le destin décide. » «Réponse intemporelle» Teintés de fatalisme, les propos présidentiels ont alimenté les spéculations sur son retrait prochain (lire ci-dessous) . Au point que l'Élysée s'est employé à en minimiser la portée. Il s'agit d' « une réponse intemporelle » à une question tout aussi « intemporelle » de Michel Drucker, affirme l'entourage du président. « Ça n'apporte aucune indication sur ce que sera son choix. Il aurait pu répondre la même chose il y a dix ans. » Désireux de conserver jusqu'au terme de son mandat la plénitude de ses pouvoirs, Jacques Chirac avait, jusque-là, toujours répété qu'il ne ferait connaître ses intentions qu'au cours du premier trimestre. Même si l'éventualité d'une nouvelle candidature apparaît depuis longtemps comme une hypothèse d'école, certains, comme Raymond Barre, la jugent toujours possible. « Jacques Chirac n'est pas homme à renoncer facilement au pouvoir » REMUSAT Cécile_2007 91 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

, a déclaré cette semaine l'ancien premier ministre dans le JDD . « Je ne serais pas étonné qu'il soit, une fois encore, candidat, s'il pense qu'il a la moindre chance d'être élu. » Mais, à droite, Nicolas Sarkozy occupe tout l'espace. Depuis des mois, les ministres, les parlementaires et les ténors de l'UMP ont rallié sa candidature, y compris Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin. Dans ce contexte, la fenêtre de tir qui aurait permis au président de la République de se lancer dans une nouvelle candidature ne s'est jamais ouverte. Le moment où Jacques Chirac officialisera son choix et la manière qu'il choisira pour le dire sont très attendus. « Ce que dira le président sera très fort et c'est quelque chose qui est de nature à agir de manière déterminante » , pronostique Jean-Pierre Raffarin, alors qu'à l'inverse, le sarkozyste François Fillon veut « tourner la page » des années Chirac et n'attend rien de sa prise de position. Le chef de l'État soutiendra-t-il formellement le président de l'UMP, alors que leurs relations restent tendues ? Fidèle chiraquien, le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, lui conseille de n'en rien faire. « Je souhaite qu'un président sortant, quel qu'il soit, ne se prononce pas sur le nom de son successeur. » Même si le probable futur président du Conseil constitutionnel reconnaît le risque qu'on dise que Jacques Chirac, une fois encore, « favorise l'autre camp ». La semaine prochaine, jeudi 15 et vendredi 16 février, Jacques Chirac retrouvera ses pairs africains à Cannes, pour un ultime sommet France-Afrique. Le 19 février, le Parlement est convoqué en Congrès à Versailles pour adopter trois réformes constitutionnelles qui lui tiennent à coeur. Après cette date, plus rien ne devrait s'opposer à ce qu'il annonce aux Français la décision à laquelle tout le monde s'attend... Philippe Goulliaud

Annexe 8

Chirac fait un pas vers la non-candidature Libération, le 8 février 2007 Dans une interview, par Michel Drucker, que France 2 diffusera dimanche, le président de la République évoque ouvertement sa retraite politique. Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? Dans une interview réalisée par Michel Drucker qui doit être diffusée dimanche après-midi sur France 2, le président laisse entendre qu’il renoncera à se présenter à l’élection présidentielle et s’apprête à quitter la politique. L’information est dévoilée jeudi par Le Parisien qui a assisté à l’enregistrement de l’émission Vivement dimanche consacrée à Bernadette Chirac. Interrogé par Drucker, son mari se lance dans une confession. Il avoue ne pas être « quelqu’un qui vit dans le culte d’un passé». «Je me suis investi totalement dans la mission que je m’étais assigné au service des Français. On peut l’approuver, la critiquer, peu importe. J’ai toujours essayé d’agir pour les Français. Si je n’ai plus de responsabilités de cette nature, eh bien, j’essaierais de servir la France d’une autre manière », dit-il. Michel Drucker poursuit l’entretien et lui demande s’il y a une vie après la politique. Chirac répond sans détour. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la mort .» Bernadette Chirac revient alors au bord des larmes et avoue que « cette maison

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[l'Elysée] me manquera beaucoup, mais je m’adapterai, il faut bien accepter ce que le destin décide ». Selon Le Parisien, le chef de l’Etat qui avait plusieurs fois renvoyé l’annonce de sa décision « dévoilera ses intentions après la tenue du Congrès qui réunira députés et sénateurs à Versailles le 19 février».

Alexis Danjon (avec agences)

Annexe 9

Dans la famille Chirac, le petit-fils Le Monde, le 8 avril 2007 UN MOIS ET DEMI de la fin de son mandat, Jacques Chirac a invité son petit-fils Martin à l'accompagner, mardi 3 avril, au premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Cet exercice fréquent, qu'il affectionne, s'est transformé en événement : Martin Rey-Chirac a été abondamment photographié et Le Parisien a choisi de mettre son portrait en « une » dans son édition du 4 avril. Une photo où le jeune garçon, qui a eu 11 ans le 22 mars, est très reconnaissable, pour les rares journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir. Il figure au premier plan, regardant l'objectif, tandis que derrière lui le chef de l'Etat observe un équipement militaire, au côté de la ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, vue de dos. Martin Rey-Chirac est également photographié en pages intérieures, entre son grand-père et un parachutiste. Cette « première » a eu lieu le plus simplement du monde, après des années de cache-cache compliqué ( Le Monde du 20 novembre 2006). Alors que Claude Chirac et son ancien compagnon, Thierry Rey, avaient toujours protégé l'image de leur fils, qui n'était pas photographié, était « flouté », ou vu de dos, ils ont décidé de concert que la fin du mandat présidentiel autorisait plus de liberté. Martin n'était apparu qu'à de très rares exceptions dans les journaux, comme après la dissolution de 1997, dans une série de photos parues dans Paris Match et intitulées « Tendre cohabitation ». Il y avait lieu alors de parler d'utilisation politique et de communication. « UNE VIE APRÈS LA POLITIQUE » Le contexte n'est, aujourd'hui, plus le même. Jacques Chirac s'est fait plaisir et Martin aussi. Le rôle de chef des armées, qui lui est dévolu par l'article 15 de la Constitution, est l'un de ceux auxquels il attache le plus d'importance. C'est dans cette fonction qu'il a choisi de se montrer à son petit-fils, ravi d'assister aux démonstrations spectaculaires des forces spéciales. Des commandos d'élite, appuyés par des hélicoptères, ont procédé à la simulation du sauvetage d'un otage. Un souvenir sûrement exceptionnel pour un garçon de 11 ans. « Il était très important pour son grand-père qu'il voie de jeunes Français au service de la sécurité et de la paix » , souligne-t-on à l'Elysée. Ce déplacement du chef de l'Etat ne comportait guère d'autre nouveauté que la présence de Martin. M. Chirac a réaffirmé à Bayonne ce qu'il a dit ou écrit à de nombreuses reprises, dans une campagne où les questions de défense, pourtant capitales, n'ont guère

REMUSAT Cécile_2007 93 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

de place. « Si la France baissait sa garde, elle ne serait plus maîtresse de la sécurité et donc de son destin. Un tel choix serait aussi naïf qu'irresponsable » , a-t-il rappelé aux candidats qui auraient l'intention de réduire le budget des armées. Suivi principalement par les journalistes chargés de la défense, et non par les accrédités politiques, ce déplacement n'a donné lieu aux photos de Martin que par le bon réflexe du Parisien. Aucun photographe n'a été empêché de mitrailler le présidentiel petit-fils. Claude Chirac n'a en rien exigé que ces photos, disponibles sur les sites de toutes les agences, soient floutées. A partir du moment où ce voyage, très officiel, avait été décidé avec son accord et celui de Thierry Rey, elle aurait jugé hypocrite de ne pas en assumer toutes les conséquences. S'il est impropre de parler d'utilisation politique, ce comportement nouveau relève de motivations plurielles. Outre le simple plaisir qu'ont pu éprouver le grand-père et le petit- fils, il s'agissait de montrer qu'il y avait vraiment « une vie après la politique » pour Jacques Chirac. Comme sa mère, Claude Chirac ne peut que mesurer le poids que représente une vie cachée et surprotégée pour un enfant de cet âge. Cette contrainte s'allège. Les journalistes politiques peuvent bien penser qu'avoir choisi le département de François Bayrou, les Pyrénées-Atlantiques, n'est pas un hasard. Elle va encore les trouver tordus ! Béatrice Gurrey

Annexe 10

Le grand-père Chirac et le petit-fils Martin Le Figaro, le 4 avril 2007 Fait exceptionnel : pour sa dernière visite aux Armées , Jacques Chirac était accompagné de son petit-fils, Martin. Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon Photo AFP/Kovarik

Annexe 11

A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac Libération, le 4 avril 2007 Le chef des armées a défendu le maintien des crédits à l'avenir. Fermez le ban ! Jacques Chirac a effectué hier sa dernière visite aux armées, à un mois de son départ de l'Elysée. Une cérémonie conçue «sans pathos», selon son entourage, mais qui a permis à l'ancien officier de cavalerie de délivrer son testament militaire. Il l'a fait à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), au cours d'un hommage aux très discrètes forces spéciales.

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Pour la première fois dans un déplacement officiel, le président de la République avait emmené avec lui son petit-fils. Le jeune Martin, fils de Claude, n'a pas perdu une miette du spectacle mis en scène par le commandement des opérations spéciales (COS). Dans les douves de la forteresse de Vauban, les hommes du 1er régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMa) simulaient une action de contre-terrorisme avec la libération d'un otage : assaut d'un baraquement à la manière musclée du GIGN, tireurs d'élite soigneusement dissimulés et «extraction» finale du commando suspendu comme une grappe sous un hélicoptère... «Passage de témoin». Séquence action réussie, mais c'était également pour effectuer un «passage de témoin» à son successeur que le chef de l'Etat et des armées avait fait le voyage de Bayonne. Et, au passage, pour saluer l'action de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, régionale de l'étape. «Dans un monde dangereux, ce serait folie de relâcher notre effort et notre vigilance , a averti le président sortant. La France doit assurer elle-même sa sécurité et continuer à assumer pleinement ses responsabilités dans le monde. Si la France baissait la garde, elle ne serait plus maîtresse de sa sécurité et donc de son destin. Un tel choix serait aussi naïf qu'irresponsable.» Et pour que les choses soient bien claires, il a réaffirmé que «les crédits de défense ne sauraient être une variable d'ajustement de notre politique budgétaire» . Pas touche donc aux crédits militaires, que Nicolas Sarkozy comme Ségolène Royal ont tous les deux promis de ne pas baisser s'ils sont élus. Le chef de l'Etat redoute toutefois que son successeur ne soit tenté de réduire la voilure en matière nucléaire pour financer l'armée conventionnelle. Si la candidate du PS fortement inspirée par Jean-Pierre Chevènement s'est engagée à ne rien y toucher, celui de l'UMP a été beaucoup plus laconique, alors que François Bayrou évoque régulièrement les vertus du désarmement nucléaire. «La capacité qui doit toujours être la nôtre de moderniser en permanence nos forces de dissuasion est un des enjeux essentiels des années qui viennent», a-t-il martelé, rappelant que «le premier instrument de notre crédibilité, c'est notre force de dissuasion» . Centrafrique. Les forces spéciales n'ont, elles, guère de souci à se faire pour leur avenir. Pas une opération ne se déroule sans qu'elles ne soient engagées en priorité, comme elles l'ont encore été début mars, à l'occasion d'une action parachutiste en Centrafrique. Fort de 3 000 hommes, le commandement des opérations spéciales a été créé en 1992, par Pierre Joxe, alors ministre (PS) de la Défense. Le COS vient de connaître son véritable baptême du feu avec un engagement de plus de trois ans en Afghanistan, qui s'est achevé fin 2006. Participant à la traque des talibans, les forces spéciales ont eu sept morts et douze blessés au cours de l'opération Arès. Le COS regroupe des unités appartenant aux trois armées (terre, air, mer), comme l'illustrait le camaïeu de bérets rouges, verts, noirs et bleus du détachement que Jacques Chirac a passé hier en revue. Pour la dernière fois. Jean-Dominique MERC

Annexe 12

Adieu, veaux, vaches, cochons! Le Monde, le 6 mars 2007

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LES VOLAILLES sont de retour ! Elles avaient été écartées l'an dernier pour cause de grippe aviaire. Elles étaient là, ce week-end, au Salon de l'agriculture. Jacques Chirac aussi. C'était le moment obligé dans tous les journaux télévisés. Jacques Chirac flattant le museau d'une vache, c'est en quelque sorte l'affirmation, par l'image, qu'il est toujours dans le paysage. Le président n'a pas lésiné sur son temps. Quatre heures un quart, porte de Versailles, pour visiter veaux, vaches, cochons ! Aucun candidat à l'Elysée n'en a fait autant. « C'est mon dernier Salon et, pour vous, en tant que président, probablement aussi », lui a lancé un agriculteur de la Mayenne, bientôt retraité. Jacques Chirac n'a pas relevé l'allusion. « Comment ça va ? », a-t-il demandé à un autre. « Pas trop bien, j'ai eu un petit accident vasculaire cérébral. C'est l'âge », a répondu l'intéressé. « Et tu me dis ça à moi ! », a commenté le président en souriant. Il y avait de la nostalgie dans l'air. Mais aussi une volonté obstinée de faire comme si. Le rituel a donc été maintenu, immuable. Jacques Chirac multiplie les « Bonjour ! » à la cantonade au milieu d'une cohue indescriptible. Il est toujours prêt à serrer une main, embrasser un enfant, poser pour une photo. On l'a vu aux côtés de Titine, la vache limousine, et d'Aladin, le taureau gascon. Il a fait l'éloge des vaches du Limousin, « la meilleure race », a-t-il dit. Il a caressé un mouton des Pyrénées au front orné d'un superbe pompon, pris un chevreau dans ses bras. Et puis surtout, il mange. De la charcuterie, de préférence. Foin du régime ! Et il boit aussi. Une succession invraisemblable. Un verre de cidre suivi d'un lait fraise, d'un vin blanc et d'une bière. Cela a quelque chose de l'antique cérémonial au cours duquel le roi de France mangeait et buvait en public. Si le souverain a bon appétit, c'est que tout va bien. Les Bourbons étaient réputés pour leur coup de fourchette. Ségolène, qui a interdit qu'on la filme ou la photographie quand elle mange, a encore quelques leçons à prendre malgré son patronyme. Tout cela pour quoi, en définitive ? Pour se rassurer, sans doute. Jacques Chirac n'a omis qu'une seule fois en trente ans de visiter le Salon de l'agriculture. « Il est capital que la France conserve sa place de grande nation agricole dans le monde », a-t-il dit. Rien n'a manqué, pas même la polémique de rigueur avec Bruxelles. Peter Mandelson, commissaire européen au commerce, accusé de céder trop facilement aux pressions extérieures alors que les Américains restent inflexibles, a été montré du doigt. C'était une cérémonie des adieux au monde paysan. Mais tout était fait pour donner l'impression que le visiteur était éternel. Dominique Dhombres

Annexe 13

Les adieux de Chirac au Salon de l'agriculture Le Figaro, le 5 mars 2007 Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

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S'il a encore apprécié produits du terroir et marques de sympathie, le chef de l'État a aussi défendu une « agriculture soucieuse de l'environnement ». Kovarick/AFP

S'il a encore apprécié produits du terroir et marques de sympathie, le chef de l'État a aussi défendu une « agriculture soucieuse de l'environnement ». Kovarick/AFP. Durant les quatre heures de sa visite, le chef de l'État s'est interdit la moindre allusion à la campagne présidentielle. C'ÉTAIT le dernier salon de sa mandature et sans doute, son dernier en tant que président de la république : comme chaque année depuis trente ans - 1979 excepté - Jacques Chirac s'est rendu au Salon de l'agriculture, entouré d'une nuée de caméras. Pendant quatre longues heures, dans une cohue indescriptible, il a rempli son contrat avec un plaisir visible : serrage de mains, déclarations de soutien au monde agricole, plaidoyer pour l'environnement, innombrables poses de photos, signature d'autographes, commentaires avisés sur les bêtes, sans oublier la dégustation à la chaîne de produits régionaux. Il est 8 heures 45 lorsque le chef de l'État arrive à la porte de Versailles. Quelques familles sont déjà là, mais les allées du Salon sont encore largement praticables. Le président en profite pour s'arrêter dans le hall 1, celui où sont présentés les animaux. Dans une chaleur suffocante, le voilà en train de flatter Titine, la vache représentée sur l'affiche du salon, ou encore Sucrette, Tisane ou Erika. Un quart d'heure plus tard, le salon se remplit et l'exercice devient de plus en plus contraint ; Commence alors pour le président le vrai parcours du combattant. Chacun veut l'attirer sur son stand, lui monter ses enfants, lui faire écouter une chanson, goûter son fromage ou son cidre. Les gardes du corps sont en sueur et repoussent autant que faire ce peut ceux qui veulent le toucher. «Représentez-vous» Par deux fois, il faut évacuer un badaud trop insistant. À 9 heures 45, il a déjà avalé un verre de cidre, mangé de la mimolette et caressé deux dizaines de bêtes. À chaque stand, on lui offre des cadeaux : son entourage finit par crouler sous les corbeilles de fruits, les bouteilles et les livres de photos. « Représentez-vous », lui suggèrent plusieurs passants, sous les cris de « Chirac ! Chirac ! » . Des journalistes lui demandent s'il est « enfin entré en campagne ». Peine perdue. Jacques Chirac esquive ces demandes avec un petit sourire, ou feint de ne pas les entendre. On guette la phrase à double sens sur son avenir proche ou sur la campagne électorale, on espère un bon mot sur ce vin que Nicolas Sarkozy ne semblait pas apprécier jusqu'à ces derniers jours. Mais non. En quatre heures de visite, il ne parlera pas de politique intérieure, et se contentera de messages de sympathie. Devant les représentants du monde agricole, le président prendra tout de même le temps de défendre une « agriculture soucieuse de l'environnement » - un des « grands défis si l'on veut éviter une planète au bord de l'asphyxie » - et de fustiger l'attitude américaine au sein de l'OMC. « Je suis profondément choqué par certaines attitudes qui sont prises par le commissaire européen Peter Mandelson », lance-t-il, prônant une « fermeté de roc de la part de l'Union européenne » dans ces négociations. « Jusqu'au bout, il va faire le boulot », traduit le ministre de l'Agriculture, Dominique Bussereau, qui a souffert et piétiné pendant toute la matinée aux côtés de Chirac.

REMUSAT Cécile_2007 97 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Après Jacques Chirac, tous les aspirants à sa succession sont attendus cette semaine dans les travées de la Porte de Versailles. François Bayrou, Philippe de Villiers et Jean- Marie Le Pen s'y rendront demain, Frédéric Nihous (CPNT) et Nicolas Dupont-Aignan mercredi, Nicolas Sarkozy jeudi. Ségolène Royal est également attendue, mais la date de sa venue n'est pas encore connue. La candidate socialiste n'est cependant pas la favorite des agriculteurs. 10 % seulement envisagent de voter pour elle au premier tour, selon un sondage Ifop- JDD . Leurs deux candidats préférés sont Nicolas Sarkozy (32 %) et François Bayrou (26 %). Au second tour, 73 % des agriculteurs voteraient pour le président de l'UMP contre 27 % pour la candidate du PS. Claire Bommelaer

Annexe 14

Chirac passe hors-champs Libération, le 5 mars 2007 Il a rendu samedi sa dernière visite de Président au Salon de l'agriculture. «C 'est mon dernier salon. Et vous en tant que Président probablement aussi», glisse un éleveur mayennais habitué de l'événement depuis 1972. Jacques Chirac, qui a samedi arpenté pendant quatre heures et quart la même durée qu'en 2006 -, les allées du Salon de l'agriculture, ne répond pas et s'en va goûter du reblochon sur le stand de la Haute- Savoie. «Ne pensez-vous pas que, sans vous, l'agriculture sera orpheline ?», s'inquiète un visiteur devant le stand des vaches landaises. «Elle sera toujours à la première place dans l'économie française», assure le Président avant de filer. Au stand «Le porc, il nous surprend encore et encore», le chef de l'Etat se voit offrir deux cochons chinois en bronze. Il goûte du jambon cru et boit un verre de blanc: «Avec du jambon comme celui-là, vous allez vous représenter», lui glisse un interlocuteur. Jacques Chirac ne dit mot. Le Président est là pour causer bestiaux, faire la bise aux femmes, donner du «Salut, salut» aux enfants, s'excuser auprès d'une jeune fille dans la cohue «Je vous ai marché sur le pied» et prendre la pose au milieu des familles, pas pour parler de son avenir personnel. Même les «Chirac, Président» e ntendus à plusieurs reprises dans les allées, ou les suppliques du genre «Monsieur Chirac, représentez-vous», n'ont pas perturbé un chef de l'Etat soucieux de jouer jusqu'au bout le rôle qu'il joue dans les campagnes françaises depuis trente ans. Poids des ans. Certes son répertoire a vieilli depuis la première visite en 1973 du ministre de l'Agriculture de Pompidou. Mais Jacques Chirac a toujours ses inconditionnels quand il déclame parfois avec des gestes incertains de vieux comédien fatigué son amour des agriculteurs. Ses admirateurs ont plus souvent son âge ou celui de son petit-fils que celui de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal. Mais samedi, il n'a rien laissé transparaître de ses intentions face à tous ceux qui lui rappelaient le poids des ans et sa fin de règne. Dès 8 h 30, Dominique Bussereau avait sonné les trois coups de la geste chiraquienne alors que cornait au loin le convoi présidentiel: «Il incarne la France des territoires. Quelles que soient les opinions des agriculteurs, il a toujours été à leurs côtés. Je ne sais pas si c'est son dernier salon en tant que chef de l'Etat mais je suis sûr qu'il reviendra», indiquait l'actuel ministre de l'Agriculture.

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Traite du matin. A peine sorti de voiture, Chirac remercie, félicite, embrasse. Sa geste dans les allées du hall 1 (celui de l'élevage) est réglée comme la traite du matin. S'approcher des hommes et des bêtes tout sourire, saluer les premiers et jauger les secondes. Très important le poids de la salers ou de la limousine. Et puis il y a la «Chirac Touch», cette façon inimitable de poser par petits mouvements brefs la main bien à plat sur les naseaux du bovin. Il s'est quand même fendu en passant d'un plaidoyer pour la politique agricole commune européenne et d'une attaque frontale contre le commissaire au Commerce Peter Mandelson, accusé de faire preuve de faiblesse dans les négociations sur le commerce international. Prônant une «fermeté de roc», il a enjoint de «ne pas accepter les tentations de certains, notamment de la Commission européenne, de céder dans le domaine de l'OMC». Noisettes et gigot. Pendant ce temps, les policiers qui veillent sur sa sécurité se chargent des victuailles offertes tout au long du parcours présidentiel, un sac de noisettes par un représentant de Cancon, «capitale de la noisette», un jambon d'Espagne, un plateau de viande avec gigot et volaille, une bière blanche, des gâteaux en veux-tu en voilà. Un membre du service d'ordre confie: «Avec lui, le Salon de l'agriculture, c'est facile, il est en terrain conquis. Ça risque d'être un peu plus compliqué pour Ségolène Royal.» Jacky Durand

Annexe 15

Lors des derniers vœux du quinquennat, M. Chirac a fixé cinq "enjeux majeurs" de la campagne 2007 Le Monde, le 1er janvier 2007 Pour saluer l'année 2007, "particulièrement importante pour l'avenir de notre pays", Jacques Chirac a présenté aux Français, lors de ses vœux télévisés du dimanche 31 décembre 2006, les cinq "enjeux majeurs" qui doivent, à ses yeux, marquer la campagne présidentielle : les valeurs de la République, le progrès économique et social, l'aide au développement, l'Europe, l'environnement. Il a aussi annoncé une loi sur le "droit au logement opposable". Le ton était très personnel - "j'aime passionnément la France", "je me bats", "j'aurai une double exigence" - et le chef de l'Etat est apparu combatif. Hâlé par son traditionnel séjour au Maroc, sans lunettes contrairement aux voeux précédents, M. Chirac avait choisi de parler sur fond de drapeau tricolore - et non devant une fenêtre laissant apercevoir la verdure, comme c'était le cas depuis la cohabitation de 1997. Une façon de célébrer des noces de douze ans, souvent agitées, avec la France ? Pour cette dernière édition des voeux après un septennat et un quinquennat, le président voulait échapper à l'exercice attendu du bilan et plus encore à l'évocation de son avenir personnel. "En janvier, tu diras aux Français que tu as fait tout ce que tu pouvais pour eux et puis tu annonceras que tu laisses la place", lui avait conseillé un très proche quand il était au creux de la vague, au printemps 2006. MISES EN GARDE

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S'il s'est gardé de suivre cet avis, M. Chirac n'a pas tout à fait esquivé l'inventaire. "Bien sûr, je voudrais que les choses avancent plus vite et qu'elles avancent mieux", a-t- il regretté. Mais il a aussitôt souligné la baisse du chômage, la réforme des retraites et de la Sécurité sociale, le "doublement du nombre de logements sociaux depuis 2002" et les résultats obtenus par rapport aux trois chantiers prioritaires du 14 juillet 2002, la sécurité routière, le cancer et le handicap. Sans s'appesantir sur ce bilan express. L'important, c'est d'avoir un gouvernement "au travail" jusqu'au bout et une campagne faite de "débats ouverts, démocratiques et responsables" : "Je m'y engagerai pleinement", a- t-il assuré. Cela a donc commencé dimanche soir, avec des recommandations aux Français et la distribution de bons et de mauvais points aux candidats. "N'écoutez pas les apprentis sorciers de l'extrémisme", a-t-il demandé à ses compatriotes, semblant renvoyer dos à dos l'extrême droite et l'extrême gauche, mais visant implicitement surtout le Front national. "Gardez-vous des idéologies, des illusions, du retour aux recettes qui ne marchent pas", a recommandé le président, pointant à la fois la réduction continue du temps de travail et le libéralisme. "Ne cherchons pas à imiter", a-t-il préconisé pour défendre le modèle français. "C'est le travail, c'est la formation, c'est la recherche, qui font la force des économies modernes", a-t-il expliqué, souhaitant voir dans la participation "un véritable projet de société". Dans le domaine social, M. Chirac veut "mettre en place un véritable droit au logement opposable". Le futur candidat de l'UMP et toujours ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, est ainsi mis sous surveillance : son travail gouvernemental ne doit pas pâtir de sa campagne ; le chef de l'Etat note le virage à gauche du président de l'UMP depuis son discours de Périgueux, le 12 octobre 2006, mais lui coupe l'herbe sous le pied en mettant en oeuvre une mesure, le droit au logement, qu'il y avait évoquée. Sur l'immigration, sujet de prédilection de M. Sarkozy pour combattre l'extrême droite en montrant sa fermeté, le président préfère évoquer l'aide au développement, à la fois "exigence morale essentielle", mais aussi moyen "de prévenir l'afflux à nos frontières de tous ceux qui quittent leur pays parce qu'ils n'ont plus d'espoir". M. Chirac s'est montré très bref sur l'Europe, ayant évacué l'entrée de la Roumanie er et de la Bulgarie dans l'Union européenne au 1 janvier par un message de bienvenue télévisé, diffusé dans les deux pays concernés. Il est vrai que l'élargissement mal préparé de l'Europe lui avait pour partie coûté l'échec au référendum de 2005. Il a été plus à l'aise sur l'écologie, dont il a fait un thème important de sa présidence. Acquise à M. Sarkozy, l'UMP, très oecuménique, s'est félicitée par diverses voix de l'intervention présidentielle. Pour le porte-parole du PS, Julien Dray, il est "clair" que M. Chirac ne postulera plus à la magistrature suprême. Pour le président du Front national, Jean-Marie Le Pen, seul président de parti qui ait réagi, il était plus commode de croire que c'était un discours de candidat. Béatrice Gurrey

Annexe 16

Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat Le Figaro, le 02 janvier 2007 100 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

Lors de ses voeux, Jacques Chirac a visé la gauche et dénoncé le « retour aux recettes qui ne marchent pas » en matière économique. France 2

France 2.Lors de ses voeux, Jacques Chirac a visé la gauche et dénoncé le « retour aux recettes qui ne marchent pas » en matière économique. Le président de la République va distiller son message pendant les deux premières semaines de l'année. Avant le congrès de l'UMP qui, le 14 janvier, désignera Nicolas Sarkozy comme candidat à l'Élysée. C'EST le temps du président. Comme chaque année, pendant les deux premières semaines de janvier, le chef de l'État multiplie les discours à l'occasion du Nouvel An. Cette année, dans cette succession d'interventions devant des publics très divers (hauts fonctionnaires, syndicats, patronat, mairie de Paris, autorités religieuses et militaires), chacun guettera la petite phrase susceptible de lever un coin du voile sur les intentions de Jacques Chirac pour 2007. Car ses voeux du 31 décembre n'ont pas permis d'en savoir plus. Certes, son discours, contrairement à ce qu'avait promis l'Élysée, avait aussi une allure de bilan, notamment sur le chômage, la croissance et les trois chantiers du quinquennat (sécurité routière, cancer, handicapés). Mais un bilan pour préparer sa retraite ou, au contraire, pour servir de socle à une nouvelle candidature ? Dans sa carrière, Jacques Chirac « a participé à beaucoup de tournois du grand chelem, et il en a gagné beaucoup » , souligne-t-on dans son entourage. Quel que soit son choix, le président a clairement manifesté sa volonté de peser sur cette élection. Avec « une double exigence » : que le gouvernement continue à gouverner jusqu'au bout et que la campagne donne lieu à « des débats ouverts, démocratiques et responsables ». Gare aux «apprentis sorciers de l'extrémisme» Et il a défini « cinq enjeux essentiels » pour la France de demain : rassemblement autour des valeurs républicaines, progrès économique et social, présence de la France dans le monde, relance de la construction européenne, protection de l'environnement (voir nos éditions d'hier ). Une façon, souligne un de ses partisans, « d'élever un débat présidentiel qui, pour le moment, se limite à une bataille d'images ». Dans son allocution, Jacques Chirac, très offensif, n'a pas manifesté de préférence pour tel ou tel candidat. Visant Jean-Marie Le Pen, son adversaire du second tour en 2002, il a mis en garde contre « les apprentis sorciers de l'extrémisme » . Visant la gauche, il a dénoncé le « retour aux recettes qui ne marchent pas » en matière économique. En pressant le gouvernement d' « avancer dans les toutes prochaines semaines » vers la mise en place d'un droit au logement opposable, il a coupé l'herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy qui l'a inscrit à son programme. Enfin, c'est à « l'action résolue du premier ministre et de son gouvernement » qu'il a rendu hommage. Le coup d'envoi des cérémonies de voeux aura lieu demain matin, dans la cour d'honneur de l'Élysée, avec le salut au drapeau, premier acte officiel du chef de l'État en 2007. Après le rituel petit-déjeuner chez le ministre de l'Intérieur, Place Beauvau, Dominique de Villepin et le gouvernement gagneront à pied le palais présidentiel voisin, pour le premier Conseil des ministres de l'année. Qu'on imagine lourd d'arrière-pensées. Dans l'après-midi,

REMUSAT Cécile_2007 101 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Pierre Mazeaud viendra à son tour présenter les voeux du Conseil constitutionnel. Pour la dernière fois, car son mandat arrive à échéance en février. Jeudi après-midi, devant les bureaux du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Conseil économique et social, Jacques Chirac évoquera le calendrier parlementaire. Trois réformes de la Constitution, nécessitant la réunion du Congrès à Versailles, sont à l'ordre du jour : statut pénal du chef de l'État, corps électoral en Nouvelle-Calédonie, abolition de la peine de mort. Trois réformes sur lesquelles la majorité grogne. Cette année, ce sont les voeux à la presse qui fermeront cette séquence, le 11 janvier. Les voeux en Corrèze, traditionnellement les derniers, ont été avancés d'une semaine, le samedi 6 janvier, et non le 13. L'image de Jacques et Bernadette Chirac au côté du maire de Tulle, François Hollande, aurait détonné, à la veille du sacre de Nicolas Sarkozy par l'UMP, le 14 janvier... Philippe Goulliaud

Annexe 17

Chirac en fausse vraie campagne er Libération, le 1 janvier 2007

REUTERS Durant ses voeux, le Président a marqué son intention de peser sur les thèmes de la campagne présidentielle, plutôt que de se placer en futur candidat. En campagne... sans être candidat, tel est le tour de force auquel s¹est essayé Jaques Chirac en présentant ses douzièmes - et très probablement derniers - voeux aux Français dimanche soir. Depuis quarante ans qu'il est entré dans la vie politique, Jacques Chirac est 102 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

une sorte de candidat à perpétuité, prétendant à tout et tout le temps. Et voilà qu'à 74 ans, au terme de deux mandats à l'Elysée, il voit poindre une élection présidentielle à laquelle il ne sera pas en mesure de concourir, pour la première fois depuis 25 ans. 1981, 1988, 1995 et 2002, il n'a manqué aucun des quatre derniers scrutins élyséens. Raison pour laquelle, tout en faisant mine de cultiver un faux suspense sur son propre devenir, Chirac a surtout affiché sa volonté de peser sur la campagne présidentielle qui s¹ouvre. Plaidant pour des «débats ouverts, démocratiques et responsables», il a mis en garde les électeurs contre «les apprentis sorciers de l'extrémisme», façon de réveiller le souvenir des 82 % de voix obtenus miraculeusement face à Le Pen par le Chirac rassembleur du 5 mai 2002. De même s¹est-il exprimé devant les drapeaux français et européen, pour bien souligner, selon son entourage, «la nécessité d'un rassemblement autour des valeurs républicaines». Citant l'écologie comme enjeu majeur, le chef de l¹Etat a rappelé que la France organisera en février une conférence internationale pour la création d'une organisation mondiale de l'environnement. De même a-t-il été incité par la mobilisation en cours autour du problème des SDF à se montrer offensif en matière de logement. Ainsi Jacques Chirac a-t-il exhorté le gouvernement à «mettre en place un véritable droit au logement opposable, c'est-à-dire faire du droit au logement une réalité». L'exercice consistant à afficher cette volonté d¹en découdre sans disposer des moyens politiques de passer à l¹acte est toutefois délicat à mener jusqu'au bout lorsqu'on est si près de la retraite. C'est ainsi qu¹en rendant hommage à l'action du gouvernement Villepin dans la lutte contre le chômage, comme en soulignant les résultats obtenus sur le terrain de ses trois «grands chantiers» (lutte contre le cancer, sécurité routière et insertion des handicapés dans la société), le Président sortant a, bien qu'il s'en défende, dressé son bilan. Le porte-parole du PS, Julien Dray, ne s'y est pas trompé en jugeant que ces voeux constituent une «déclaration de quelqu'un qui, vraisemblablement, ne sera plus candidat en 2007». A l'inverse, Jean-Marie Le Pen a cru entendre, lui, «des voeux de futur candidat». Quant aux sarkozystes, ils ont loué le discours du chef de l'Etat. Et certains se sont même escrimés, à l¹instar du sénateur UMP des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, à souligner «les similitudes entre les positions de Nicolas Sarkozy, de l'UMP et celles du chef de l'Etat» sur le «droit opposable au logement», «la valeur du travail», ou le «combat écologique». Comme si Nicolas Sarkozy avait finalement le sens des convenances et qu'il était prêt, pour faciliter une paisible sortie de scène de l¹ancien, à se grimer un temps, lui l¹apôtre de la «rupture» tous azimuts, en candidat de la continuité chiraquienne. Renaud Dely

Annexe 18

er Les vœux du président Chirac, le 1 janvier 2007 Mes Chers Compatriotes de métropole, d'outre-mer, de l'étranger,

A la veille de l'année 2007, qui sera particulièrement importante pour l'avenir de notre pays, j'adresse, du fond du cœur, à chacune et à chacun d'entre vous mes vœux les plus chaleureux. REMUSAT Cécile_2007 103 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Et je pense d'abord à toutes celles et à tous ceux qui sont victimes de la solitude, de la maladie, de la détresse. Je veux aussi saluer avec respect et reconnaissance nos soldats qui défendent, partout dans le monde, la paix et les valeurs de la France. Ensemble, depuis que j'ai l'honneur de vous servir et de vous représenter, nous vivons des changements considérables. Une économie mondiale en pleine expansion. Une concurrence de plus en plus vive mais qui nous ouvre aussi des opportunités nouvelles. La révolution de l'Internet, qui transforme notre façon de communiquer, de travailler, de vivre en société. Un monde où la surexploitation des ressources naturelles dérègle le climat et mettra en danger l'humanité, si nous ne réagissons pas dès maintenant. Un monde qui n'a jamais été aussi riche et aussi pauvre à la fois. Un monde marqué par le 11-Septembre, le terrorisme, la guerre en Irak, la crise au Proche-Orient, la tentation absurde et irresponsable du choc des civilisations et des cultures. Parce que j'aime passionnément la France, je me bats pour qu'elle prenne toute sa place dans ce nouveau monde tout en restant fidèle à elle-même. Je me bats pour que chaque Français, pour que chaque jeune en particulier, ait sa chance, où qu'il vive et quelles que soient ses origines. Bien sûr, je voudrais que les choses avancent plus vite, et qu'elles avancent mieux pour chacun d'entre vous. Mais grâce à votre talent, grâce à votre travail, la France s'affirme. Avec l'action résolue du Premier ministre et de son gouvernement, le chômage baisse fortement : déjà 360 000 chômeurs de moins. La croissance est là et elle est solide. Nos retraites, notre sécurité sociale se réforment et c'est la garantie de leur avenir. Le nombre de logements sociaux nouveaux chaque année a doublé depuis 2002. Nos regards et nos comportements évoluent heureusement vis-à-vis des personnes handicapées, des victimes du cancer, des victimes de la violence routière. Grâce à votre mobilisation, près de 9 000 vies ont été sauvées sur les routes de France. D'ici aux élections, j'aurai une double exigence : que le Gouvernement soit au travail, à votre service, pour la sécurité, pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat et que ces mois soient aussi des moments de débats ouverts, démocratiques et responsables et je m'y engagerai pleinement. Je voudrais vous dire ce soir quels en sont, à mes yeux, les enjeux majeurs. Le premier, c'est l'unité et le rassemblement autour des valeurs qui font la France : la liberté, l'humanisme, le respect, et notamment le respect de la diversité et des différences, la laïcité, le combat contre le racisme, l'antisémitisme, le communautarisme. N'écoutez pas les apprentis sorciers de l'extrémisme. La France est forte, la France est belle quand elle sait, tout à la fois, faire respecter ses règles et tendre la main. Le deuxième enjeu, c'est évidemment le progrès économique et social. Je sais les souffrances et les difficultés auxquelles certains d'entre vous sont confrontés. Je connais vos attentes pour ce qui concerne les salaires et le pouvoir d'achat, c'est-à-dire la juste récompense de votre travail. Mais gardez-vous cependant des idéologies, des illusions, du retour aux recettes qui ne marchent pas. C'est le travail, c'est la formation, c'est la recherche qui font la force des économies modernes. En donnant toute sa place au dialogue social, des réformes importantes sont devant nous : pour aller beaucoup plus loin dans la baisse du chômage, pour faire de la participation un véritable projet de société, pour donner plus de puissance à nos entreprises, pour mettre en place un véritable droit au

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logement opposable, c'est-à-dire faire du droit au logement une réalité. Et je demande au Gouvernement d'avancer sur ce point dans les toutes prochaines semaines. Le troisième enjeu, c'est de bien mesurer que la France a des responsabilités particulières dans le monde. La vocation de la France et son honneur, c'est d'affirmer sa voix avec force et avec indépendance pour la paix et pour la justice. C'est aussi son intérêt. Ainsi, agir comme nous le faisons, pour le développement des pays les plus pauvres, c'est, bien sûr, répondre à une exigence morale essentielle. Mais c'est également prévenir l'afflux à nos frontières de tous ceux qui quittent leur pays parce qu'ils n'ont plus d'espoir. Le quatrième enjeu, c'est l'Europe. Depuis un an et demi, nous avons choisi de faire progresser l'Europe des projets : la recherche, l'énergie, la sécurité, l'immigration. N'oublions jamais que l'Europe, c'est la garantie de la paix et de la démocratie sur notre continent. C'est donc notre avenir. Le 50e anniversaire du Traité de Rome, le 25 mars prochain, nous offre l'occasion de donner un nouveau souffle à la construction européenne : pour une Europe politique, pour une Europe de l'ambition économique et du progrès social, pour une Europe qui nous protège. La France y prendra naturellement toute sa part. Enfin, il y a l'enjeu écologique. C'est un enjeu immédiat. Un enjeu politique. La France est le premier pays au monde à avoir inscrit en 2005 une Charte de l'environnement dans sa Constitution. En février, elle accueillera une conférence internationale pour accélérer la marche vers une Organisation Mondiale de l'Environnement. Mais c'est aussi chez nous que ce combat se gagne, par le changement en profondeur de nos comportements et de nos politiques. C'est une exigence et c'est une chance. Avec la nécessité d'inventer une économie respectueuse de l'environnement, c'est une nouvelle révolution industrielle qui est devant nous, celle du développement durable. Elle sera source de croissance et d'emplois et la France a tous les atouts pour en être le champion. Mes Chers Compatriotes, Oui, nous pouvons être fiers d'être Français ! Poursuivons notre effort de modernisation. Ne cherchons pas à imiter. Soyons nous-mêmes. Au printemps prochain, vous aurez à faire des choix décisifs. Faites vivre intensément vos convictions. Vous êtes le peuple souverain. La France a besoin de chacune et de chacun d'entre vous. Elle compte sur vous. Vive la République ! Vive la France !

Annexe 19

Chirac profite des ses vœux pour mettre en garde Sarkozy Le Monde, le 3 janvier 2007 Le président Jacques Chirac a profité, mercredi 3 janvier, de son traditionnel message de vœux au gouvernement pour demander aux ministres "une mobilisation totale", les mettant en garde contre le risque de délaisser leur activité gouvernementale au profit de leur engagement dans la campagne électorale. Cette déclaration semblait viser en particulier Nicolas Sarkozy, candidat de l'UMP à l'élection présidentielle et actuel ministre de l'intérieur. "Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s'annonce. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l'expression de votre engagement et de vos convictions, a dit M. Chirac en réponse aux vœux du gouvernement. REMUSAT Cécile_2007 105 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Mais il vous faudra le faire dans le cadre d'un principe clair : cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale." "LA TENTATION DE LA TABLE RASE" Le chef de l'Etat a aussi dénoncé "la tentation de la table rase", semblant à nouveau s'en prendre implicitement au candidat Sarkozy, chantre de la "rupture tranquille". "Dans un temps où, par la force des choses, la caricature pourrait gagner sur la raison et la tentation de la table rase sur le respect du travail accompli, sachez revendiquer et porter haut votre action", a-t-il dit après avoir défendu son bilan économique et social. Il a salué l'action du gouvernement dirigé par Dominique de Villepin en disant aux ministres qu'ils avaient "toutes les raisons d'être fiers de l'action [qu'ils mènent] sous l'autorité du premier ministre". Jacques Chirac a prévenu qu'il comptait s'exprimer avant l'élection présidentielle pour "fixer les enjeux et éclairer le choix des Français». "Je le ferai en responsabilité, guidé par une seule ambition : l'intérêt des Français", a déclaré le président, qui n'a pas encore annoncé s'il envisageait un troisième mandat.

Annexe 20

La mise en garde de Chirac aux ministres Le Figaro, le 3 janvier 2007

Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli". KOVARIK / AFP

Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli". KOVARIK / AFP. Jacques Chirac prévient ses ministres que leur engagement dans la campagne électorale ne doit pas se faire au détriment de leur activité gouvernementale, et attend d'eux une "mobilisation totale". Pour les derniers vœux gouvernementaux de son mandat, Jacques Chirac a rappelé ses troupes à l’ordre. "Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s'annonce. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l'expression de votre engagement et de vos convictions", leur explique-t-il. Avant de préciser sa mise en garde : "Cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale." "La tentation de la table-rase" dénoncée Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la tentation de la table rase sur le respect du travail accompli". "Dans un temps où, par la force des choses, la caricature pourrait gagner sur la raison, sachez revendiquer et porter haut votre action", exige-t-il.

106 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

Il fixe par ailleurs trois priorités à ses ministres : une "mobilisation totale" pour la sécurité, contre le chômage et "pour aider les plus démunis", les incitant en particulier à avancer "rapidement dans leur travail sur le droit au logement opposable". Jacques Chirac a aussi prévenu qu'il comptait, "en liberté et en responsabilité", s'exprimer avant les élections pour "fixer les enjeux et éclairer le choix des Français", comme il l'avait fait dans ses vœux le 31 décembre. lefigaro.fr (avec AFP)

Annexe 21

Les vœux venimeux de Chirac à Sarko Libération, le 3 janvier 2007 Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Mercredi, à l'Elysée. REUTERS Lors de la traditionnelle cérémonie à l'Elysée, le président de la République a demandé à ce que le débat électoral ne s'exerce pas «au détriment» de la fonction de ministre. Une mise en demeure à destination de Nicolas Sarkozy. Bonne année Nicolas! Jacques Chirac ne s’est pas privé de faire la leçon à son ministre de l’Intérieur, mercredi matin, en recevant les traditionnels vœux du gouvernement. Après les figures imposées comme celle de demander « une mobilisation totale » de ses ministres, le chef de l’Etat s’est plus particulièrement adressé à Nicolas Sarkozy, présent lors de la réception à l’Elysée. A la veille de la campagne électorale, l’indubitable candidat de l’UMP – parce qu’unique postulant à l’investiture de son parti – à la présidentielle a été mis en garde: « Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s’annonce, a expliqué le président de la République. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l’expression de votre engagement et de vos convictions. » Cependant, a-t-il martelé, « il vous faudra le faire dans le cadre d’un principe clair: cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s’exercer au détriment de votre mission gouvernementale. » Voilà donc le ministre de l’Intérieur quasiment sommé de choisir entre candidat officiel ou membre du gouvernement. A plein temps. Aussitôt après cette admonestation, le porte- flingue numéro un de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, s’est employé à expliquer sur RTL que son mentor a « largement » la « capacité » à assumer ces deux statuts. « Nous sommes au XXIe siècle, pas dans la seconde moitié du XIXe, à l’époque où les ministres de l’Intérieur et les préfets organisaient les candidatures et désignaient les vainqueurs », a assuré le ministre délégué aux Collectivités locales. Pour bien se faire comprendre, Jacques Chirac en a rajouté une louche sur la tonalité de la campagne que devra mener Nicolas Sarkozy: « Dans un temps où, par la force des choses, la caricature pourrait gagner sur la raison et la tentation de la “table rase” sur le respect du travail accompli, sachez revendiquer et porter haut votre action. » Autrement dit, la « rupture tranquille » prônée par le président de l’UMP devra se faire… dans la continuité de la politique gouvernementale.

REMUSAT Cécile_2007 107 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

Pour ne pas qu’ils se laissent distraire par un événement aussi banal qu’une campagne présidentielle, le chef de l’Etat a donc fixé une nouvelle feuille de route à ses ministres. D’abord qu’ils s’engagent totalement pour la sécurité, contre le chômage et « pour aider les plus démunis ». Avec une mention particulière pour la mise en œuvre « rapidement » du droit au logement opposable. Un sujet sur lequel Dominique de Villepin s’est engagé, promettant de « jeter les bases » d’un tel droit avant l’élection présidentielle. De fait, un projet de loi dont le Premier ministre doit dessiner les grandes lignes mercredi après-midi pourrait être soumis au Sénat à la fin du mois et en février à l’Assemblée nationale, avant la fin de la session parlementaire, le 23 février. Tout à sa volonté de mettre ses ministres au travail, Jacques Chirac leur a fixé « trois priorités ». D’abord le vote au Parlement des textes sur la prévention de la délinquance, la réforme de la justice, la parité en politique, la modernisation du dialogue social ou la protection de l’enfance. Il a également souhaité que la Constitution soit révisée pour adopter la réforme du statut pénal du chef de l’Etat, le texte sur la Nouvelle-Calédonie et celui sur l’abolition de la peine de mort. Seconde priorité définie par le président de la République: « L’essentiel des décrets d’application des lois votées depuis 2002 doit être pris. » Il a annoncé qu’un Conseil des ministres sera consacré au mois de mars « à faire le bilan du respect » par tous les ministres de cette « exigence ». Enfin, il a demandé aux ministres « un engagement personnel » pour préparer les trois grandes conférences internationales prévues: la conférence sur la reconstruction du Liban fin janvier, celle sur l’environnement début février et le sommet Afrique-France, fin février. Pascal Virot

Annexe 22

Une de Charlie Hebdo, le 25 décembre 2007 Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 23

L’empire contre-attaque Les « Guignols de l’info », fin janvier 2007 PPDA :voilà je suis donc avec Jacques Chirac. Monsieur le Président, vous n’irez pas à l’investiture de Nicolas Sarkozy samedi, on parle d’une contre- attaque terrible de votre part. Chirac : oui, j’ai fait donner ce qu’on appelle l’artillerie lourde. Ca va cogner ! Mes troupes sont prêtes, elles sont affamées, ça va saigner ! PPDA : mm…Vous pouvez nous rappeler brièvement l’ensemble de vos troupes ? J.C : mais je ne veux pas embêter les français avec un catalogue interminable de noms comme Jean Louis Borloo, ou encore Dominique de Villepin ! 108 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

PPDA :et ? J.C :et d’autres ! PPDA :mais qui ? J.C :je vous trouve bien curieux ! PPDA : euh… on voudrait savoir qui vous soutient, c’est-à-dire qu’ils sont 300 000 en face ! J.C : et ben on est pareil…moins les 100 000. PPDA :c’est-à-dire ? J.C :on est trois. PPDA :c’est pas beaucoup ! J.C :ouai mais que des gars de haut niveau ! Que du lourd ! Président de l’Assemblée nationale, déjà, Premier Ministre, et…le Président de la République ! Je sais pas si vous vous rendez compte, mais le Président de la République me soutient ! J’aime pas la ramener mais ça en jette non ? PPDA :c’est ridicule ! Sarkozy, lui, prévoit 300 000 personnes, des milliers de bouteilles de champagne … J.C :et alors ? Avec Jean-Louis samedi après midi, on a fait quarante litres de sangria, et on les a sifflés à deux ! PPDA :c’est bien ça ? J.C :j’en sais rien, mais chez Sarkozy, ça m’étonnerait qu’ils boivent 20 litres chacun. Là on gagne déjà ! Un point pour nous ! Et ça a même pas commencé ! Non, on les attaque au mental là ! PPDA :oui. Monsieur de Villepin ne pic..ne boit pas avec vous ? J.C :ahaha ! Non, c’est la stratégie de l’encerclement ! Nous les attaquons au mental avec Jean-Louis et Dominique les attaque au portefeuille ! PPDA :Bon, expliquez nous parce que là… J.C :Ben Dominique se rend au Congrès, mais sans voter ! Il va juste déjeuner ! PPDA :Ah oui… J.C :Un vote en moins et trois repas en plus, économiquement pour sarkozy, ce n’est pas tenable ! PPDA :Trois repas ? Chirac :Oui. On a demandé à Villepin de s’empiffrer. Deux jours qu’il mange pas il a une dalle !En plus on a un plan secret. Il n’y va pas seul au déjeuner ! PPDA :Ha. Et il y va avec qui ? J.C :Une gastro ! PPDA :une gastro ? J.C :Une gastro entérite oui ! J’ai acheté le virus sur e.Bay. Un truc foudroyant ! Si Dominique éternue samedi, dimanche c’est 20 militant sur le carreau!

REMUSAT Cécile_2007 109 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

PPDA : Monsieur Chirac, pourquoi vous n’admettez pas que Sarkozy a gagné ? Il vous a piqué votre parti, il a tous les militants et les députés avec lui, et 80% du gouvernement ! Pourquoi vous n’abdiquez pas ?! J.C :Parce que je vais gagner ! (d’un ton qui signifie que c’est une évidence, pas un ton agressif) PPDA : 80% des Français ne veulent pas que vous vous présentiez ! J.C :J’ai fait 18,7 en 2002 au 1er tour. Nous allons gagner ! Jean-Louis Borloo (qui entre sur le plateau) : Hé Jacques ! J’ai déjà le sucre gratos pour la sangria de dimanche. J.C : Parfait ! A l’attaque Jean-Louis ! PPDA : Ah il faut avouer que c’est quand il est ridicule qu’il nous surprend le plus et il nous a toujours surpris !

Annexe 24

Jacques Chirac fait entrer les Justes au Panthéon et invite la France à regarder son histoire "en face" Le Monde, le 18 janvier 2007 Après André Malraux en 1996 et Alexandre Dumas en 2002, Jacques Chirac fait entrer les Justes de France au Panthéon, à Paris, jeudi 18 janvier. Cet hommage solennel de la nation aux Français qui ont sauvé des milliers de juifs pendant la seconde guerre mondiale lui a été proposé, il y a un peu plus d'un an, par Simone Veil, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah - et immédiatement accepté par le président.

Le chef de l'Etat achève ainsi le travail de mémoire qu'il a engagé dès 1995, en reconnaissant pour la première fois " les fautes commises par l'Etat", à l'occasion de l'anniversaire de la rafle du Vélodrome d'hiver du 16 juillet 1942, au cours de laquelle 12 884 juifs furent arrêtés, avant d'être exterminés pour la plupart dans les camps nazis. " La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable", avait lancé M. Chirac. Le discours avait fait date. Aujourd'hui, " il tourne définitivement la page de Vichy", commentent ses conseillers. En cette fin de quinquennat, après des voeux où le président a beaucoup parlé de la France et de son avenir, il ne situe pas son message dans la repentance. Il veut exalter la fierté d'une histoire commune, dont les Justes, notamment, ont montré le chemin : "Vous (les Justes) incarnez la France dans ce qu'elle a de plus universel, dans la fidélité aux principes qui la constituent. Grâce à vous, grâce à d'autres héros à travers les siècles, nous pouvons regarder la France au fond des yeux et notre histoire en face", devait déclarer M. Chirac. Une citation qui ne doit rien au hasard, car il connaît ses classiques. C'est l'ancien candidat Valéry Giscard d'Estaing, qui voulait, lui aussi, en 1974 "regarder la France au fond des yeux". On fait semblant de croire, à l'Elysée, qu'il n'y a "pas pensé". C'est une histoire assumée en totalité, le travail de mémoire ayant été accompli, que M. Chirac devait évoquer à travers l'exemple des Justes : " Parfois, on y voit des moments 110 REMUSAT Cécile_2007 Annexes

profondément obscurs. Mais on y voit aussi le meilleur et le plus glorieux. Notre histoire, il faut la prendre comme un bloc. Elle est notre héritage, elle est notre identité." Sur cette identité historique, et malgré les crises permanentes ou ponctuelles traversées par le pays, se construisent, à ses yeux, l'avenir et la fierté d'être français. "C'est à partir (de l'histoire) et en traçant de nouveaux chemins que nous pouvons nous engager, la tête haute, dans les voies de l'avenir. Oui, nous pouvons être fiers de notre histoire ! Oui, nous pouvons être fiers d'être Français !", devait-il avancer, cohérent avec sa croisade contre le pessimisme et la thèse du déclin. A travers ces héros ordinaires qui pensaient, toutes origines et milieux confondus, n'accomplir que leur devoir, M. Chirac voit enfin un message universel : "A un moment où montent l'individualisme et la tentation des antagonismes, ce que nous devons voir, dans le miroir que nous tend le visage de chaque être humain, ce n'est pas sa différence, mais ce qu'il y a d'universel en lui", devait-il souligner. A l'heure aussi où les Européens se divisent sur l'opportunité d'une législation commune contre le négationnisme, et où se crée, au Parlement européen, un groupe d'extrême droite, présidé par Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, actuellement jugé pour "contestation de l'existence de crime contre l'humanité", M. Chirac devait avoir des mots très durs contre le négationnisme, ce "cancer de la pensée". Ce projet législatif européen, soutenu par les Allemands, n'a, pour l'instant, suscité qu'une réaction prudente du nouveau président du Parti populaire européen, Joseph Daul (UMP), chiraquien et désormais sarkozyste, qui dit devoir " consulter ses vingt-sept délégations nationales". Pour M. Chirac, la boucle historique est bouclée et le combat pour les valeurs, jusqu'au bout, livré. L'hommage aux Justes protestants du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), celui solennel de la nation au capitaine Dreyfus, celui aux anciens combattants africains et maghrébins jalonnent ce parcours. Tout comme l'évocation de Pétain, "vainqueur de Verdun" et porteur du "déshonneur de la collaboration", ou la reconnaissance de la "tache indélébile" que fut l'esclavage. Le travail de mémoire sur la colonisation, reste, lui, à achever. Béatrice Gurrey

Annexe 25

En rendant hommage aux Justes de France, Chirac parachève le travail national de mémoire Le Figaro, le 18 janvier 2007

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante. Ce soir, dans la crypte du Panthéon, Jacques Chirac rend un hommage solennel aux Justes de France. Le chef de l'État va dévoiler une plaque sur laquelle on pourra lire : « Bravant les risques encourus, ils ont incarné l'honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d'humanité. » Les Justes parmi les Nations, ce sont ces héros de l'ombre qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, ont hébergé, caché et sauvé des Juifs de la mort. L'État d'Israël les a reconnus officiellement et ils sont honorés dans le cadre du Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem. En France, cette distinction a été décernée à 2 725 personnes, dont 240 sont encore en vie. Le village auvergnat du Chambon-sur-Lignon, au coeur d'une terre protestante, occupe

REMUSAT Cécile_2007 111 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

une place à part : le titre lui a été attribuée collectivement, pour la bravoure de ses 3 000 habitants qui, pendant la guerre, ont caché entre 3 000 et 5 000 Juifs. « Dans les moments les plus effroyables de l'histoire de France, l'État s'est effondré, les élites se sont effondrées, mais la Nation française, dans ce qu'elle a de plus profond, a été là », souligne Frédéric Salat-Baroux, le secrétaire général de l'Élysée. Pour Jacques Chirac, la boucle ainsi est bouclée. Depuis son élection, en 1995, il a porté une attention toute particulière au travail de mémoire sur les pages les plus contestées de l'histoire de France. Au nom de la cohésion sociale et de l'unité nationale. Tout a commencé le 16 juillet 1995. Ce jour-là, le président de la République, nouvellement élu, accomplit un acte fort, un de ceux qu'on aime à appeler « fondateurs », en reconnaissant la responsabilité de l'État dans la déportation des Juifs de France. De Charles de Gaulle à François Mitterrand, il rompt ainsi avec la thèse défendue par tous ses prédécesseurs qui, dans un contexte historique hérité de l'après-guerre, niaient cette responsabilité. « La France, patrie des Lumières et des droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux », déclare le chef de l'État, dans un discours commémorant la grande rafle du Vel'd'Hiv. Un discours aussitôt salué par les représentants de la communauté juive. « C'est le discours que l'on n'attendait plus », se réjouit Henri Hajdenberg, alors président du Crif. Jacques Chirac « sait mieux que les hommes de la génération de Vichy ce que représente pour l'histoire de la France le fait de s'être associé à des crimes contre e l'humanité », explique M Serge Klarsfeld, le chasseur de nazis. C'est un discours « irréprochable », commente Ségolène Royal, se démarquant - déjà - de la position officiellement exprimée par certains dirigeants socialistes. À l'opposé, gaullistes historiques et mitterrandistes de stricte obédience se rejoignent dans leur volonté de maintenir une différenciation entre « l'État illégitime de Vichy, personnalisé par Pétain », et « la République française, personnalisée par le général de Gaulle à Londres », selon les propos du fabiusien Claude Bartolone. « Non, Vichy n'était pas la France », proclament, rageurs, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, les anciens conseillers de Georges Pompidou et de Jacques Chirac. Dans ce discours où il dénonce « une faute collective », le président de la République prend soin d'exalter « une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie », une France qui n'a « jamais été à Vichy ». Pourtant certains lui reprochent de s'être livré à un exercice de repentance. Un exercice qui, selon eux, flatterait les communautés identitaires. Preuve qu'il est difficile de regarder avec sérénité les années sombres de l'histoire récente, la polémique resurgit lors du procès Papon, à l'automne 1997. Gardien de la flamme gaulliste, Philippe Séguin s'inquiète alors d'un « néorévisionnisme » qui assimilerait Vichy à la France. En mettant en garde contre le risque que le procès Papon serve de « prétexte à deux procès, celui du général de Gaulle et du gaullisme, et celui de la France ». Le thème de la repentance refait régulièrement surface, notamment, lors des débats sur le passé colonial de la France et ses relations avec l'Algérie. Pour l'Élysée, c'est « une problématique aberrante ». C'est dans un souci de « préparer l'avenir » que Chirac appelle les Français à « tourner la page sans oublier », à « assumer leur histoire », sans pour autant « s'autoflageller ». Et cette doctrine s'applique à l'esclavage, dont l'abolition est désormais commémorée tous les 10 mai, au rôle de Pétain, le vainqueur de Verdun, mais aussi celui qui a « couvert de sa gloire le déshonneur de la collaboration ». Elle s'applique aussi aux harkis en faveur desquels est instituée « une journée d'hommage national », le 25 septembre, ou encore au « caractère inacceptable » des « événements

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de 1947 », répression sanglante par l'armée française d'une insurrection à Madagascar. Au moment où venait de sortir Indigènes, film à succès avec en vedette Jamel Debbouze, le président de la République a décidé la revalorisation des pensions des anciens combattants de l'empire colonial français. Au risque d'être accusé par Nicolas Sarkozy de surfer sur l'émotion. À l'heure du bilan, l'Élysée veut croire que ce travail sur l'Histoire et la mémoire, notamment sur la période de l'Occupation, sera inscrit à l'actif du président de la République. « Ce qu'a fait Jacques Chirac pour que cette période qui ne passe pas puisse enfin passer, c'est de reconnaître que la France a fait des choses horribles, mais qu'elle a aussi fait des choses formidables », résume Frédéric Salat-Baroux. Philippe Goulliaud

Annexe 26

Les Justes de France honorés au Panthéon Libération, le 18 janvier 2007

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Jacques Chirac et Simone Veil (à droite), présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah à Chambon-sur-Lignon en 2004. REUTERS Jacques Chirac rend jeudi au Panthéon l'hommage de la Nation aux 2.700 Justes de France et aux héros anonymes qui ont sauvé des milliers de juifs de la mort pendant la seconde Guerre Mondiale. La date du 18 janvier n’a pas été choisie au hasard: elle correspond à l’entrée des troupes soviétiques dans le camp d’Auschwitz,en 1945. Jacques Chirac rendra hommage jeudi aux quelque 2.700 «Justes de France» et aux héros anonymes qui ont sauvés des milliers de juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. La cérémonie se déroulera à partir de 18 heures au Panthéon. « Pendant la guerre, c’est en France que l’on a été le plus fraternel .» Simone Veil, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, soulignait par ces propos, lors de la présentation de la cérémonie le 22 décembre, l’élan solidaire en France, qui a permis de sauver la vie de milliers de juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. Ainsi, quand 90% des juifs polonais furent exterminés, 80% des Hollandais et des Grecs, la proportion en France, aussi horrible fut-elle, est de 30%. Sur les 300.000 Juifs habitant en France au début de la

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guerre, 75.721 furent déportés (seulement 2.560 survécurent). Les autres furent sauvés par des milliers de Français, leur délivrant des faux-papiers ou les aidants à passer en Suisse, pays neutre. Près de 2.725 Français sont reconnus comme Juste aujourd’hui, et des dossiers restent à instruire. Nombreux sont ceux qui n’avaient pas demandé le moindre titre. Parmi ces Justes, le village cévenol du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) a été honoré pour avoir caché des milliers de juifs, le seul à avoir reçu ce titre collectivement avec un village des Pays-Bas. Avec cette cérémonie, le chef de l’Etat veut mettre l’accent sur le caractère toujours actuel du combat contre l’extrémisme et « le côté lumineux » de la France –après avoir reconnu ses « zones d’ombre », comme la déportation des juifs ou la tragédie de l’esclavage. De très nombreux ministres, dont Dominique de Villepin, seront présents, ainsi que Simone Veil et les 250 Justes survivants accompagnés de leurs familles. La cérémonie se tiendra à partir de 18 heures, dans la nef du Panthéon qui honore les grands hommes. La réalisatrice Agnès Varda présentera deux films de neuf minutes, un en noir et blanc, l’autre en couleur, qui seront retransmis sur quatre grands écrans. L’ensemble vocal Accentus interprétera l’œuvre Figure humaine du compositeur Francis Poulenc sur des textes du poète Paul Eluard, dont le fameux Liberté . Le président de la République se recueillera ensuite en compagnie de Simone Veil dans la crypte devant la plaque rendant hommage aux Justes et aux anonymes, ces hommes et femmes qui « ont incarné l’honne ur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité». Par A.D. (avec agences)

Annexe 27

"Tu me vois dire à Chirac : "Tu me soutiens, je t'amnistie" ?" Le Monde, le 13 avril 2007 Pour recevoir Nicolas Sarkozy, mercredi 11 avril, pendant plus d'une heure, Jacques Chirac avait fait servir, avec à propos, du pâté de campagne. Signe, paraît-il, que l'état d'esprit est bon sur le baromètre chiraquien. Les deux hommes étaient pour une fois parfaitement d'accord, sur l'interprétation de l'article paru le matin même dans Le Canard enchaîné, racontant les arrangements entre eux si le président était poursuivi par la justice à l'issue de son mandat : un mauvais coup destiné à leur nuire.

Selon l'hebdomadaire satirique, M. Sarkozy, s'il était élu, ferait prendre une disposition législative rendant caduques les trop longues instructions judiciaires. "Cela n'a évidemment pas l'ombre du début d'une réalité", assure un vieux compagnon du président. "Ça énerve tout le monde. Si on était capable de s'énerver. C'est un coup qui vient à point nommé pour les embarrasser", ajoute-t-il. Il y voit la main de magistrats et de journalistes. "STAVISKY"

REMUSAT Cécile_2007 115 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

"Il y a un juge à Nanterre qui se posera la question de convoquer l'ancien président. Mais il n'est tout de même pas le Stavisky de son époque. Il est assez paisible là-dessus et je pense qu'il aura réponse à tout", juge ce proche de M. Chirac. Stavisky, escroc des années 1930, avait bénéficié de hautes protections pour voir son procès indéfiniment reporté et avait fini "suicidé". Devant ses proches, M. Sarkozy s'est montré très énervé par les révélations du Canard. "Ce n'est pas comme cela qu'on se parle avec Chirac. Les gens ne savent rien de nos relations. C'est ridicule", a-t-il pesté. "Tu me vois dire à Chirac : "Tu me soutiens, je t'amnistie" ?", a demandé le candidat de l'UMP à un ami. "Il est furieux et cherche le responsable. Il veut savoir qui est allé raconter des trucs pareils", confie un sarkozyste. Pour le reste, le candidat de l'UMP juge que le soutien du président à sa campagne est clair et net. "Il est dans un bon état d'esprit. Il a tourné une page et il est tout à fait serein avec moi", a assuré M. Sarkozy à quelques proches. L'Elysée s'est cependant abstenu de tout commentaire, vendredi 13 avril, après l'imbroglio entre M. Sarkozy et le Front national. Champion de la lutte contre l'extrémisme, M. Chirac ne peut que désapprouver toute compromission. Et il y a peu de doute sur le fait qu'il s'exprimera entre les deux tours. Béatrice Gurrey

Annexe 28

L'Elysée dénonce le "procédé scandaleux" du Canard Le Figaro, le 11 avril 2007 AFP, Reuters

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La présidence a démenti par deux fois les informations du Canard Enchaîné, qui évoque un accord secret entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, pour éviter au chef de l'Etat de faire face à la justice. «Procédé scandaleux et inacceptable», «allégations totalement infondées et mensongères»... Fait rare, l'Elysée a réagi à deux reprises mercredi aux allégations du Canard Enchaîné, «qui sont strictement sans fondement, [et] n'appellent aucun commentaire». En cause : un article où l’hebdomadaire affirme qu’un accord a été passé entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac. En échange du soutien du chef de l’Etat, le candidat de l’UMP se serait engagé, s’il est élu, à faire le nécessaire pour lui éviter d’être confronté à la justice.

Selon les informations du Canard, qui cite un «familier du chef de l’Etat», Nicolas Sarkozy a refusé l’idée d’une amnistie spécifique. Il aurait en revanche envisagé d’intégrer au projet de loi destiné à renforcer la lutte contre la délinquance un article spécifique. Selon un «chiraquien» cité par l’hebdomadaire, ce texte «imposera aux juges de clore leurs dossiers dans des délais très stricts […], pas plus d’une dizaine d’années», pour les délits. Pour appuyer sa thèse, le journal satirique cite également un article du Figaro, qui évoque les discussions régulières entre le chef de l’Etat et Nicolas Sarkozy à propos des «emplois fictifs de la Ville de Paris et de l'éventuelle implication de Jacques Chirac».

Trois «affaires» concernées ?

Une réforme des délais d’instruction, réclamée par la Cour européenne des Droits de l’Homme, permettrait à Jacques Chirac d’éviter trois affaires qui remontent à plus d’une REMUSAT Cécile_2007 117 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

décennie : l’emploi fictif d’une secrétaire au RPR ; les fausses factures présumées de l’imprimerie municipale Sempap ; et d’autres salariés «fantômes» de la mairie de Paris. Les affirmations du Canard ont déclenché une tempête de réactions à gauche et au centre. De son côté, Nicolas Sarkozy a vivement critiqué cet article, «grotesque, blessant, mensonger». Xavier Bertrand, l’un des porte-paroles du candidat, a quant à lui accusé l'hebdomadaire satirique de «tirer la campagne vers le bas».

Annexe 29

L'amnistie, cadeau d'adieu à Chirac Libération, le 12 avril 2007 Selon «le Canard», Sarkozy se serait engagé à enterrer des affaires impliquant le Président. C'est pratique, la lenteur de la justice. Souvent, on peut en profiter pour laisser des dossiers s'enterrer. Et parfois, on peut critiquer ce rythme d'escargot et décider d'arrêter une instruction. A en croire le Canard enchaîné de mercredi, Nicolas Sarkozy aurait choisi la seconde voie pour contraindre quelques juges à mettre au panier trois encombrants et poussiéreux dossiers concernant Jacques Chirac. Le candidat UMP et le chef de l'Etat auraient conclu, il y a quelques semaines, un deal consistant à éviter au Président l'humiliation de finir sa carrière politique dans le bureau d'un juge. S'il était élu, Nicolas Sarkozy ferait voter dès l'été un projet de loi visant à réformer l'ordonnance de 1945 sur les mineurs. Glissé dans ce texte, un article obligerait les magistrats à clore leurs enquêtes dans un délai de dix ans après les faits, et à carrément annuler les dossiers trop anciens. Ce qui est le cas de trois affaires touchant Jacques Chirac : celle sur les fausses factures de la Sempap, une ancienne imprimerie de la mairie de Paris ; celle des chargés de mission payés par la mairie alors qu'ils travaillaient pour le RPR ; et celle des emplois fictifs du RPR qui a valu à Alain Juppé un an d'inéligibilité. Dans cette dernière affaire, une trace matérielle impliquant Chirac existe, ce qui nourrit l'hypothèse d'une convocation une fois l'Elysée quitté et le statut pénal protecteur envolé. «Ce sont des allégations strictement sans fondement, n'appelant de notre part aucun commentaire», a répliqué hier l'Elysée au sujet d'un éventuel accord avec Nicolas Sarkozy. «Grotesque», commente ce dernier (lire aussi page 2). «Si c'est vrai, c'est évidemment inacceptable», a commenté François Bayrou, sautant sur l'occasion pour promettre «une justice indépendante» s'il est élu. Le PS a demandé à «chaque candidat» de «s'engager sans ambiguïté à ne pas étouffer, entraver ou amnistier aucune affaire judiciaire en cours». Mais l'autocensure de certains juges, surtout si Nicolas Sarkozy est élu, pourrait aussi suffire à laisser les affaires Chirac mourir de leur belle mort. Fabrice Tassel

Annexe 30

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Une déclaration d'amour et cinq recommandations à la France et aux Français Le monde, le 13 mars 2007 ON A VU d'abord, fait très inhabituel, le président assis à son bureau en train d'écrire. Cette image furtive, comme volée, était destinée à faire comprendre aux téléspectateurs que le président de la République qui allait les quitter avait mis beaucoup de lui-même dans son allocution. Car, sur la nature de sa décision, il n'y eut guère de surprise, dimanche 11 mars, à 20 heures : « Je ne solliciterai pas vos suffrages pour un nouveau mandat. » Pas plus qu'il ne fallait s'attendre, ce soir-là, au soutien de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, qui le réclamait encore, le matin même, dans Le Journal du dimanche. « S'agissant des échéances électorales, j'aurai l'occasion d'exprimer mes choix personnels », s'est borné à dire le chef de l'Etat. On a vu ensuite M. Chirac venir s'incruster sur un fond de drapeau européen et tricolore, rendu ondoyant par la magie de l'image de synthèse. Une autre nouveauté, message subliminal de modernité. Puis est venu le temps d'un rapide bilan, suivi de cinq recommandations pour l'avenir : combattre l'extrémisme, préserver le modèle français, poursuivre la construction européenne, favoriser le développement, inventer une croissance écologique. Avec, pour fil conducteur, une déclaration d'amour à la France et aux Français, déjà esquissée lors de ses voeux du mois de janvier : « La France, mes chers compatriotes, je l'aime passionnément », a-t-il dit. Aimer son pays, c'est le moins, pour celui qui préside à son destin, mais M. Chirac l'a dit avec une certaine force, lui qui fut si souvent accusé de n'aimer que le pouvoir : « Pas un instant vous n'avez cessé d'habiter mon coeur et mon esprit », a-t-il assuré à ses « chers compatriotes ». Il fallait pourtant bien s'adonner au mea culpa, après douze années de pouvoir, où la France a reculé, comme le montrent la plupart des indicateurs économiques. La faute en revient « aux conservatismes et aux égoïsmes », que le chef de l'Etat aurait « voulu, bien sûr, bousculer davantage ». Ce fut tout pour son acte de contrition, que M. Chirac avait déjà prononcé, sur la question européenne, lors du dernier conseil à Bruxelles, le 9 mars. « FIER » Pour le reste, il s'est dit « fier » du travail accompli avec les Français. Sur la réforme des retraites, votée en 2003 mais qu'il faudra bientôt remettre sur le métier. Sur l'insécurité et la délinquance, assumant ainsi le bilan de Nicolas Sarkozy, bien que les violences aux personnes aient augmenté de près de 14 % depuis 2002. M. Chirac s'est dit « fier surtout d'avoir montré que contre le chômage, il n'y a pas de fatalité ». En cela, il s'est volontairement distingué de son prédécesseur, François Mitterrand, qui avait maladroitement soupiré, le 14 juillet 1993 : « En matière de lutte contre le chômage, on a tout essayé. » Le chef de l'Etat a pu s'enorgueillir que le taux de chômage de la France soit « au plus bas depuis un quart de siècle », soit 8,6 %. Selon Eurostat, la France se situait, en janvier, au treizième rang dans l'Europe des Quinze, derrière la Grèce et l'Espagne. Mais c'est surtout sur les valeurs de la République, combat du quinquennat, que le chef de l'Etat a voulu insister, comme le principe de laïcité, réaffirmé dans la loi sur le voile en 2004. « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre ! », s'est exclamé M. Chirac, alors que Nicolas Sarkozy a suscité un tollé en proposant la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Défendre les valeurs, a souligné M. Chirac, c'est aussi défendre la paix - un mot qu'il a prononcé deux fois - sans faire plus d'allusion à ce qui reste le temps fort de son second mandat, le non à la guerre en Irak.

REMUSAT Cécile_2007 119 Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

M. Chirac s'est aussi acharné à défendre le « modèle français », de même qu'il a continué à combattre la thèse du déclin de la France, qu'il exècre. Ce plaidoyer, qui vise en particulier la préservation du système de protection sociale, a souvent été fustigé par le candidat de l'UMP, qui dit, lui, juger en fonction des résultats : à savoir un chômage trop élevé. Ce fut, malgré la déclaration d'amour à la France et aux Français, malgré la forte personnalité du président, un dernier exercice d'énarque, en deux temps et cinq mouvements. Cela avait peu à voir avec les adieux de son prédécesseur, qui, lors de ses voeux du 31 décembre, avait assuré aux Français : « Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas. » Béatrice Gurrey

Annexe 31

Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat Le Figaro, le 12 mars 2007

Le président de la République a adressé plusieurs messages aux Français en forme de testament politique. « JE NE solliciterai pas vos suffrages pour un nouveau mandat. » Hier soir, c'est avec « beaucoup d'émotion » , « avec au coeur l'amour et la fierté de la France » que Jacques Chirac s'est adressé aux Français pour leur faire part de ce choix. « Au terme du mandat que vous m'avez confié, le moment sera venu pour moi de vous servir autrement » , a-t-il dit dans une allocution radiotélévisée. « D'une manière différente, mais avec un enthousiasme intact et la même passion d'agir pour vous, je continuerai à mener les combats qui sont les nôtres, les combats de toute ma vie, pour la justice, pour le progrès, pour la paix, pour la grandeur de la France. »

Jacques Chirac a indiqué qu'il aurait ultérieurement « l'occasion d'exprimer (ses) choix personnels » pour la présidentielle. Hier, après avoir défendu son bilan, notamment la restauration des valeurs républicaines et la laïcité, il a préféré adresser « plusieurs messages » aux Français en forme de testament politique. « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit » , a-t-il dit . Il a également exalté « le beau combat de la France » pour « l'unité » et « la cohésion ». « Oui, nos valeurs ont un sens ! Oui, la France est riche de sa diversité ! Oui, l'honneur de la politique, c'est d'agir d'abord pour l'égalité des chances ! » , a-t-il lancé. Jacques Chirac a appelé les Français à « toujours croire en (eux) et en la France » . « Nous avons tant d'atouts. Nous ne devons pas craindre les évolutions du monde. Ce nouveau monde, il faut le prendre à bras-le-corps », mais « sans jamais brader notre modèle français » , a-t-il prévenu. Comme en signe d'avertissement à Nicolas Sarkozy qui

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en propose l'adaptation après l'avoir jugé obsolète. Chirac qui, vendredi, à l'occasion de son dernier Conseil européen à Bruxelles, a fait son mea culpa après l'échec du référendum en mai 2005, a estimé qu'il était « vital de poursuivre la construction européenne » . « La France doit affirmer l'exigence d'une Europe puissance. D'une Europe politique. D'une Europe qui garantisse notre modèle social » , a-t-il ajouté. « La France a des responsabilités particulières » Alors que son action internationale est un point fort de son bilan, il a souligné que « la France n'est pas un pays comme les autres » et qu'elle a « des responsabilités particulières » . « Face au risque d'un choc des civilisations, face à la montée des extrémismes religieux, la France doit défendre la tolérance, le dialogue et le respect entre les hommes et entre les cultures » . Il a également insisté sur « le devoir de la France » , « peser de tout son poids » pour l'aide au développement et mener « la révolution écologique qui s'engage » . Séquence émotion, Jacques Chirac a conclu par une déclaration d'amour à la France et aux Français : « Pas un instant, vous n'avez cessé d'habiter mon coeur et mon esprit. Pas une minute, je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique. Cette France que j'aime autant que je vous aime » et qui « n'a pas fini d'étonner le monde ».

Philippe Goulliaud

Annexe 32

Chirac, derniers feux plein d'amour Libération, le12 mars 2007

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Il a annoncé hier qu'il ne briguerait pas de nouveau mandat et a, lyrique, dit adieu à «cette France que j'aime autant que je vous aime». Voilà, c'est fini. Jacques Chirac s'en va. Pour la première fois depuis 1981, il ne sollicitera pas les suffrages à l'élection présidentielle. Debout, sur fond de drapeau tricolore, il l'a annoncé hier soir de son inimitable voix saccadée à ses «chers compatriotes», en les noyant sous des flots d'amour. «Cette France que j'aime autant que je vous aime. Cette France riche de sa jeunesse, forte de son histoire, de sa diversité, assoiffée de justice et d'envie d'agir. Cette France qui, croyez-moi, n'a pas fini d'étonner le monde», a-t-il lancé en guise de conclusion de quarante années de vie politique. Dans une allocution courte et écrite de sa propre plume, le chef de l'Etat s'est efforcé de dresser un rapide bilan de son action, mais surtout de délivrer une série de «messages» d'avenir. A 74 ans et débarrassé de toute contingence électorale, il s'est posé en antilibéral, écologiste, pacifiste et humaniste abhorrant l'extrémisme de droite. Du Chirac qui veut rester, pour l'histoire, sur un profil gauche au moment de quitter la scène, après avoir adopté de multiples postures depuis 1967, du rad-soc au libéral, en passant par l'étatiste et le compassionnel voulant réduire la «fracture sociale». Emu et tendu. Sans surprise, il a indiqué, hier, qu'il aurait plus tard l' «occasion d'exprimer [ses] choix personnels». Pour un éventuel soutien, Nicolas Sarkozy va devoir encore patienter (lire page 3). Emu et visiblement tendu lorsqu'il est apparu sur les écrans pour cette ultime causerie les yeux dans les yeux avec les Français, le président de la République a assuré qu'il ne se retirerait pas tout à fait : «Je continuerai à mener [...] les combats de toute ma vie, pour la justice, pour le progrès, pour la paix, pour la grandeur de la France.» Sous quelle forme ? Mystère.

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Content de lui, Jacques Chirac s'est dit à six reprises «fier» de son action à la tête de la France. Tout juste a-t-il regretté ne pas avoir «bousculé davantage les conservatismes et les égoïsmes pour répondre plus vite aux difficultés que connaissent certains d'entre vous». Pour le reste, il s'est targué d'avoir conduit des «réformes importantes» (retraites, handicapés, personnes âgées dépendantes...), d'avoir fait «reculer la délinquance» et, tout aussi discutable, d'avoir ramené le chômage à son taux le plus bas «depuis un quart de siècle». «Pire ennemi». Mais il a surtout livré un testament sous forme de «messages». Le plus important est à ses yeux la lutte contre l' «extrémisme, le racisme, l'antisémitisme». «Tout dans l'âme de la France dit non à l'extrémisme» , a-t-il lancé. Il a également invité les Français à croire en eux sans «craindre les évolutions du monde» . Et, dans une mise en garde à Sarkozy, il a appelé à ne «jamais brader notre modèle français». Sur l'Europe, son plus gros échec, il a plaidé pour la poursuite de sa construction et pour qu'elle soit une puissance «politique». Le quatrième message du président de la République a été consacré aux «responsabilités particulières de la France» : dialogue entre les cultures et les civilisations, tolérance «face à la montée des extrémismes notamment religieux», paix... Enfin, le Chirac écologiste a appelé à une «révolution dans nos esprits tout autant qu'à l'échelle mondiale», faute de quoi «nous courons à la catastrophe». Une pluie de réactions plutôt positives en France ont accompagné la déclaration du chef de l'Etat, hormis du côté de Jean-Marie Le Pen, qui s'est réjoui de «perdre son pire ennemi». Quant à George W. Bush, son adversaire de l'extérieur, il a souhaité quelques minutes à peine après le speech présidentiel «ce qu'il y a de meilleur» à Jacques Chirac. Antoine Guiral

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