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CHANSQN DE GESTE ET MERALDIQUE Le probleme du patronage de Jehan 111 d'Abernon, sire de Stoke. L'essor d'Qlivier et Fierahras en Angleterre Nommage i Gérard J. Brault.

Pendant des sihcles, un domaine de lhistoire est pratiquement occuE té: les armoiries. Selon d'aucuns, I'héraldique ne peut aboutir qu'a I'histoire géuéalogique et nobiliaire. Cependant, depuis quelques années ou décennies, le chemin bané a été rouvert. Cette science qui demeu- rait marginalisée par les préjugés rationalistes a été réhabilitée; Michel Pastoureau en tete a compris que "l'héraldique est une véritable scien- ce auxiliaire de l'histoire politique et littéraire" l. Une nouvelle image de I'essor de en Angleterre se pro- file dans le miroir de I'hkraldique. 11 se dessine un transfeit du mythe et du blason de ou d'olivier & de jeunes guerriers européens. Pour tenter de faire voir ee que nous énoncons en quelques mots allusifs, nous aurons recours aux manuscrits de Hanovre et du fonds Egerton de la British Library, dans Pespoir de déconvrir hrigine du blason fondamental et des brisures de POlivier de leurs 'Gestes de Fierabras'. Pour ménager le 'suspense', nous ne lhverons qu'ultérieure- ment le voile sur la découverte de nos demiers chapitres.

1. Michel Pastoisreau, L'kermine et la sinople. ECudcs d'hkraldique médiéu~le,Le Léopard dSOr, Paris, 1982, 51-52. Nous sommes A Laon. Pour se laver des calomnies des quatre 61s du ganelonide Ripeu, Yvon, le fils de , entre en lice pour combattre les quatre champions. Son préceptenr dans i'art de la chevalerie, Roland, lui octroie alors son blason. De snrcroit, il lui en fournit la description et Sexplication morale, avant de l'embrasser:

"Et si deffens mes armes,'Y~oon, par amisté; Voy cel lyon vermeil en cel escu doré: Quant en bataille suis, et je I'y ay porté, Pour mieux valoir .les ay en mon cuer figuré: Ly escus d'or demonstre richesse et nobleté, . .Et ü lions aussi forche et grande fierté: C'est aussi que tu dois respandre sans pité 'Ls sanc tes anemis au branc d'achier lettrél" Dont li a le viziere un petit soubslevé, Si le prist par Ie Ievre, si fort li a tyré Pour petit qu'il n'en a le cler sanc amené. "Souviengne toy de moyi", dist Rolant I'aduré. Dont se party de la, a Dieu l'a command62. (Renaud de' Montauban,. ms. "R"; ,w:'24728-24740.)

-Dans sa Chanson de RoZund allemande, :le pretre Conrad. . avait déji décrit. . .le 'blason de Roland: "or a; ¡ion". Plus tard, dips 'le beai -mi: nuscrit de Saint-Gall de la ;han& du ~tricker,une miniakre reiré- sente aussi ce blason: dOr au lion rampa& contremhnt de pe3es.s. La ~aute-~ormandi'eirésente:un cas' semblabie 'A llenad ae "Mon- tadban. 'En rcisok de leur pe

. . 2. Phíli~peVerelst. ~enaudde Montn

4. A. de Mandach, Naissance et déueloppemant de lo chanson de gcste en Europe: VI, Chnnson de Rolond. Les trortsfert~de mytke dnns b mande occidental st oriental, Droz, Geneve, 1990, ch. XII.5 [sous presse]. ainsi son surnom de 'Lion et i'asseyant dans son idée qu'ü était une réincaruation de Roland dans sa lutte contre les Slaves athées, tout en justifiant son intéret pour une Chamon de Roland allemande lui, dans la traduction-adaptation du pretre Conradl N'oublions pas que leur grand-pere déja, Geoffroi le Bel, comte d'Anjou, est peut-&re con- sidéré comme un "nouveau Roland". 11 convient de signaler que selou Michel Pastoureau, i'écu or aux six lions de gueules conservé est pos- térieur a la mort de Geoffroi le Be1 en 11516. La popularité du transfeit de mythe et de blason rolandiens des modeles de chevalerie ne se manifeste pas seulement en France, mais aussi en Italie, aux Pays-Bas du Sud et en Angleterre. Prenons té- moin le cas des Rossi de Padoue. Ces seigneurs padouans parviennent, au prix d'une témérité insensée, sortir indemnes de violents affron- tements avec les puissants Guarneri assistés des Lupini. Ayant échappé A la mort, les Rossi adoptent le blasou de Roland au champ d'argent (t) chargé d'un lion de gueules O.

Vers 1297: Jean, sire de Gavre, se distingue hriilamment au couri dúne bataille. Son seigneur, le comte de Flandre, le récompense en lui atribuant le blason de Roland: d'argent au lion rampant contremont de gueules, avec endenture de sable (fig. 1). 1297: Jean de Gavre tombe au champ d'honneur, pendant la guerre de 1297. Gillebert de Outre décrit le combat acharné et compose un distique sa gloire:

Hic miles dictus Jrohannes] de Gavere ictus Qui prius invictus Rolandi gessit amictus.

Ici, le chevalier cité Jean de Gavere fut tué Lui qui jusqu'ici invaincu Portait le bltison de Rdand

5. Lettre de David Crauch du 13 avnl 1988, 1; A. de Mandach, Encote du nouoemi d propor de la date ct de la stnicture ds lo 'Chnnson de Rolond" allemande, in Edch KGhler, éd., "Actes du lVB Congres international de la SociAtB Rencesvals" (Heidelberg, 1967), Winter, Heidelberg, 1969, 106-116, en particulier 113-115. 6. Giovanni Fabris, La nawca di Giovanni di Nono, "Bolletino del Museo Civicc di Psdo"a", N.S. X-XI (1934-19391, 7-9; A. de Mandach, Sur les traces de In cheuille ouurier. de Y'Entrée d%spagneW: C(ovnnn4 di Nono, in Giinter Holtus, Henning Krauss, Peter Wunderii, hds., Testi, cotesti e contcsti de1 hancoitoliano, "Primo colloquia. Bad Homburg/Francoforte. 13-16 aprile 1987. In rnemariarn Alberto Limentani", Winter, Heidelberg, 1989, ch. 6, 58-60; idem, L"%nt,ée d'EspogneW: six niiteurs en qdte fin personnoge, "Shidi MedievalT', N.S. 28 (1988), ch. 10 [saus pressel. L'Hktoire des sires de Gawe, rédigée en 1455 pour le Bktard de Wavrin, le célebre mé&ne, en fait état, un anchtre de Jean, sire Guillau- me ou Gui de Gavre, s'était déji distingué lors de la prise de la ville de "Luiserne", sur la foi &une variante d'un Gui de Bmrgogw aujour- d'hui perdu, de sorte que Roland lui octroya son propre blason, ici également "d'argent au lion rampant contremont de gueules". En con- traste avec la tradition séculaire, le lion est cependant orienté vers la droite (senestre) l. Nous sommes maintenant daus SAngleterre des rois Edouard I" (12721307) et de ses successeurs homonymes. Entichés de romans de la Table Ronde et de chansons de geste i la gloire de Charlemagne e de ses preux, ces rois encouragent la mascarade arthurienne et "caro- lingienne" dans leurs livres et leurs tournois.

Consultons le manuscrit de la 'Geste de Fierabras' anglo-normande conservée il Hanovre. C'est un 'recueil factice', composé d'abord d'une Destruction de Rmde la dite 'Version Jaune' fierabrasienne (ff. 1-24) comportant 1507 vers et 33 dessins b la plume, coloriés apres coup, du temps d'Edouard P8.Suit une Chanron de Fierabras (ff. 25100) englobant aujourd'hui 5 800 vers environ et 70 dessins. Les blasons, les décors, les enluminures et les costumes de ce manuscrit s'inspirent uette- ment de ceux de la Destluction plus ancienne, qui précbde dans le re- cueil factice, mais Partiste 'm" sihcle est, de surcrolt, pleiu d'humour. Ce texte a été écrit en Cornouailles (ou au Pays de Galles), car il rem- place le -u- par le -w-. En outre, il introduit des graphies de type anglais ("Kencloyne" pour "Coloigne" au v. 52). Ce texte appartient i la version la plus tardive ('Bleue') g.

7. Leieune et Stiennon, ap. cit., 1, 348351; pl. LIV. 8. A. de Mandach. Noissance et dkvelom>ernsnt... : V, Lo Geste de Fierabros. Le ieu du réel et de l'inuraisemblable. Aoec te- inédits, Droz, Gendve, 1987 (PRF, CLXXVII), 9-13 (4' colonne); 88.90; 169 n* 10-HD. 9. Ibid., 1334 (4' colonne); 91-93; 174 n" 37-HF; Hi1ka.de Mandsch, Bds., Chnn- son de Fiarabras. Ms. N.578 de Hanoore. Avec oariontes des monuscGts Escorial, Poris-A, Votican e: Didot,Louvain, Pr4-Publicotions de NeecMtel, n' 1, 1981, chez PBditeur, CH-3065 Habstetten/Beme. Lejeune et Stiennan, op. cit., 1, 236; 11, pl. 174-182. ' ' Examinons le f. 90r du Fierahas: ~livier,'?i cheval, pique surkon adversaire Fierabras, également monté, un bouclier azur au poing, au cbevron d'argent chargé de trae croisettes pattées or. Nous avons éta: bli des points decomparaison entre ce blason et ceux d'un chevalier du comté du Surrey (au sud de Londres), sire Jeban 111 d'Abcrnon, seigneur de Stoke d'Abemon des 1327, ainsi que fin domaine en Cornouailles. L'église paroissiale de St. Mary of Stoke GAbernon ren- ferme I'effigie de ce chevalier en taiile-douce colorée. On la faisait remonter autrefois A.1277, mais en 1975, Goodall a établi qu'elle date de 1330-1340 environ (fig. 2). En 1987 enfin, C. Blair a démontré de maniere convaincante que la mort de Jehan 111 d'Abernon se situe en- tre 1335 et 1350 lo. Or Peffigie de ce cbevalier présente deux variantes de blason: le bouclier présente &azur au cbevron d'or, alors que le blason placé ?i la droite de la t&te du seigneur (représentant son gonfanon) comporte la m&me arme, mais chargée de troiscróisettes'pattées 07. Or la premiere variante représente le blason traditionnel et béréditaire de l'a m&on d'Abernon, depuis Jehan 1" d'Abemon, mort en 1277 environ If, témoin, la Herald's Roll (HE) datée par Gérard J. Brault de 1270-1279. Son 61s et héritier Jeban 11 d'Abernon, mort en 1327, porte le meme blason dans la Dering Roll (A) qui remonte non plus ti 1275 (Humphery- Smitb), mais ?i 1280 environ, sur la foi de BrauIt; ce blason figure aussi dans la Saint George's Roll (E), datée de 1285 environu. 10. J. G. Waller and L. A. B., &n&ental Brosses (retninted with correctiona

, - nnd ddditions by J. A. Goodall), London, 1975, xi; C. Blair, in Jonsthan Alexander, Paul Binski, éds., Age of Chioalry: Art in Phntagenet 1200-1400, Roya1 Aca- demy of Arts, London, 1987, 295. Selon une aimable mmmunication de Ian Short, Birbeck Colleg.9, Uoiversity af Londan, la taille-douce comporte une inscription en angloi normand, en paitie effacke aujouid'hui. 11. C. Moor, Knightr af Edmard I, Harleian Society, London, 1929-1932, 5 vols., 1:2; Cecil R. HumpherySmith, Angfo-Norman Amiory, Norfhgate: Family History, 1973, 119. 27: idem. Aneh-Norman Armorv TILO. London, 1984, 8, 236; Thomar D. Trem- lett.'~ukh S. ion&. éds.. Rolb ot~rmsof Hennr III. Societv of Antisuaries, Lon- don, 1957, 22. 12. HE: Cambridge, Fitzwilliam Museum, ms. 297, n* 185; A: Londres, ~Uep tion privée de SU Anthony Wagner (*"c. Phillipr ms. 31' 146). no 249; E: Londres, British Library, ms. Harley 6' 589, ff. 15-U); cf. dates Iégdiement différentes dans: Sir Anthony Wagner, A Cotologue of English Medieool RolIs of Ams, Society af Anti- quaries, Londres, 1950; mais pour HE et A, cf. Gérard J. Brault, Heralds and Co- pyists: Ths Relotionshtp Between Three Thirteenth-Century Rolla of Ams, "Antiquaries JournaP', 53 (1973), 244-262; idem, Early Blozon. Hsraldic Tenn;nology in the Twelfth and Thirteenth Centuries, with Specinl Referente to Arthudan Literature, Oxford, 1972; idem, Eight Thirteenth Century Rolb of Arms in French and Anglo-Nomon Blaíon, Pennsylvania State Universlty Press, State College, Pennsylvania, 1973; idem, aimable letke du 12 octobre 1988, 1,S. Pra 2.- Sire Jehehia iii d'Abn Fm. 3. -Le roi Anhnr er ler non. hia& m tsiUe chevdislim de In Tsble Rondo dwoc eolode (St Msrg of Sto- cndozmis lar leur naWe IR* ke d'hm). -un da Bnit de Waír.,.. mr F.- 3028, f. 48r. Pho- to sdfirh Lhry). 14 ANDRÉ DE AWAB

Qaant au fils de Jehan 11, Jehan 111 d'Abemon, iI (avere que du vivant de son pere, ?isavoir jusqu'en 1327, il porte azur au chevron der, avec en plus une brisure: un lambel d'argent, et cela, selon la First Dunstable Rol1 (L) de 13W; et la Parliamentay Roll (N) de 1312 environ 13. Apres 1327, il arbore le blason traditionnel de la fa- mille, azur au chevron d'or dans sonbouclier, avec comme variante, la meme arme chargée de trois croisettes pattées, comme dans le gon- fanon de la taille-douce et dans le f.. 90 du Fierabras de Hanovre, qui mérite désormais le nom de Fierabras de Hanovre d'Abernon. Jehan 111 aura acquis la Destruction de. Rome de Hanovre (dernier tiers du m" siede) et Faura combiuée avec une Chciyon de Fierabras exé- cutée ?ison intention, añn de posséder une 'Geste de Fierabrag com- plete. Le blason d'Abernon et ses variantes, assortis des autres blasons anglo-normands parant le ms. de Hanovre, mériteraient sans nul doute , . une étude plus exhaustive.

Le ms. 3028 du fonds Qerton de la Britisb Lihrary est un ensem- ble anglo-normand homog&ne sur les héros de :la chevalerie des cours des rois Aithur et ~harlemagne.11 est daté de juillet 1338 A juin 1339. Les ff. 1-6(lv livrent un beau Roman de Brut de Wace, négligé A tort ?i ce jour par les éditeys et les critiques. Suit un diptyque littéraire de la 'Geste de Fierabrg: auxff. 64v-83v figurent les 950 vers de la Destruction de Rome, aux ff. 84r-118v, les 1775 vers du Fierabras. Les 118 admirables miniatures sont toutes pourvues dún cadre de couleur pourpre, les quatre coins étant orn6s de sautoirs. Souvent, le dessin dbpasse le cadre. Le pourpre domine partout, ?i cBté du vert pomme (6.3);. Lejeune et Stiennon reproduisent en couleurs le f. 93r, mon- trant "les,prisonniers Roland et Olivier saiués par le sultan Balan qui jubiie de les avqir cmime captifs, de prSi . . 13. Ibid., 1; HumpheiySmith, op. cit.; 1,984, 8, 236; aimables cornmunie?tions de T; Di Mathew, W$dsortHerald, ct Thomai.Woadcock, Somerset Herald; leMe de pomas Woodcock du 13 octbbje ,1988 (ni&Ciillege of Ams, Queen Victoria Street, London EC4V 4BT). Citons, pour rnemqire, la Fitm*lliorn Rol1 (FW), n" 185, qui remonte cepadant B 1536 environ (HumpbeiySmith, op. cit., 1984, 236), qui donne égslement azur B chevron E6i patir, le blason d'Abernon. Signatons en otitre que dans A (Dering Roll), le patronyme est travesti sous la forme de "Cbambemon". L'artiste est un professionnel hors pak qui se concentre sur Pessen- tiel. Ponr nombre de détails, il s'inspire visiblement de la 'Geste de Fierabras' de Hanovre, mais il est plus sophistiqué, plus ironiquel 14. Pour l'éditeur Brandin et son disciple Underwood, les textes ajoutés A la fin, daus la mheécriture, font remonter le manuscrit i I'exercice fis- cal de juillet 1338 juin 1339 et indiquent qu'il fut écrit en Comouailles (ou alors peut-&re dan5 le Devon voisin)! Avec son jumeau littéraire, le Sowdon of Babylone anglais, ce diptyque littéraire appartient A la 'Version Rose' (une adaptation dramatique et théatrale amusante de la 'Version Jaune'), connue uniquement par la Destruction également anglo- nomande du ms. de Hanovre écrit également en Cornouailles (ou alors au Pays de Galles) 16. Donnons un exemple de la touche de I'ar- tiste GEgerton: Sil {inspire nettement du blason fleurdelysé de Char- lemagne de Hanovre, il renonce toutefois A I'ordonnance losangée. Les ff. 87r et 90r comprenuent des miniatures présentant Olivier portant un écu d!azur eu chevron d'or chargé de trois fleurs de lys (figs. 4 et 5). Cet écu est ngoureusement identique A celui d'olivier. dans le Fierabrq d'Hanovre aux ff. 71v, 731 et 801. Or d'Abernon a oscillé entre deux variantes de meubles dans son blason: la triple croi- sette pattée or et la triple fleur de lys. Au cours du m"sibcle dé$, il est courant de remplacer les meubles traditionnels du blason par des fleurs de lys. Donnons un exemple: Aimeri VI, vicomte de Thouars (Poitou), remplace son écu cbasgé de huit merlettes et dún franc-canton par huit flenrs de lys et un franc- canton (1218-1223). 01 son fils Airneri VI1 et les branches cadettes oscillent entre les huit oiseam et les huit fleurs de Zysf Selon Michel Pastoureau, les fleurs de lys prennent une vogue pro- digieuse dans diverses régions du continent, et notamment dans les comtés du centre de I'Angleterre (dont le Surrey fait partie, bien qu'en périphérie) la. Cette vogue va s'intensifiant au m" sibcle, sous I'impact de la reine Isabelle de France, I'épouse GEdouard 11 et régente d'An- gleterre jusqu'en 1330. D'Abernon s'y sera conformé et aura, lui aussi, si nous ne nous abusons, oscillé entre tradition et demier cri.

14. Mandach, La Geste de Fierdbras, or> cit., 9-24 (3* colonne), 90-91, 170 nDB 12-Eg, Iza-Eg D et 12b Eg F.; Lejeune et Stiennon, op. cit., 1, 236b, pl. XXI; 11, pl. 183-187; Louis Brandin, Lo "'Destniction de Row" et "Fierobras", m. Eger- ton 3028, Musée Britannlqtie, "Romani$', 64 (1938), 18-100 [hdition]. 15. Mandach, Lo Cesre de Fierabras, op. cit., 88-92, 170. 16. Partoureau, op. cit., 172; 163. 16 Ah" DE MANDACH

Le dessin du f. 881 méxite lui aussi i'attention. Ayant perdu son cheval, Olivier combat A pied, i'épée. au poing.. A notre surprise, son. écu offre ici azur au chevron d'or, sans aucun meuble (fig. 6)l Voici. retrouvé ici le blason traditionnel de Jehan Y, Jean 11 et Jean 111: d'Ahernon, celui que reproduisent les rouleaux d'armes de la fin. du. xm' sihcle. Si les variantes avec triple croisette pattée ou fleur de lys. or ne figurent pas dans ces rouleaux, c'est tout simplement qu'aucun, rouleau dkrmes du. XIV" sihcle postérieur A 1312 n'est conservé!

Nous voici arrivés au terme de notre examen des variantes du bla- son d'Abemon. 11 est évident que le ms. Egerton 3028, avec ses textes arthurien et fierabrasiens, a été exécuté en 1XB/tl339 pour sire Jehan 111 d'Abernon par un rédacteur de Cornouailles. Sa geste. ii Ia gloire 4d'Oli- vier devrait donc s'appeler désormais Geste de Fierabras Egerton d'A- beínon. Jehan 111 a commandé le manuscrit avant de s'éteindre,de sorte qu'ik a vécu jusqu'en été 1338 au moins. Humphery-Smith. date^ sa mort. d'avant 1350, nous i'avons relevé.

4. EDOUARD111, MONARQUE AU SANC WLPÉTIEN ET CAROLINGIEN,NOUVEAU "CHARLEMAGNE~?JEHAN 111 D'ABERNON, SON NOUVEL ''OUVIER"?

Les miniatures blasounées d'Egerton ont inspiré A Rita Lejeune et Jacques Stiennon des remarques iutéressantes: ils se sont demandes sil ne s'agissait pas d'une concession de i'artiste aux vues ambitieuses de la famille commanditaire du manuscrit, famille qui aurait voulu dé- montrer qu'elle descendait de celle d'olivier 17. Cette explication est tout A fait plausible. On peut toutefois envisager d'autres solutions. Les faits d'armes viennent, petit A petit, A &re récompensés par Poctroi de blasons, notre premier chapihe a permis de s'en rendre compte. Les toumois-mascarades A coloration "carolingienne" ne renforcent-iIs pas cette tendance? Nlmporte-t-il pas de célébrer la fete de saint Char- lemagne, le 28 janvier, la Pentecote et la Saint-Jean, par des "car(le)-

17. tejeune et Stiennon, op. cit., 1, 237s; cf. Brault, EDTIY Bld~on, op. cit., 19-23; idem, lettre prbcjtée: 9 see no problem here as the phenomenan o£ heraldic flattery in well known. One eithcr "sed the same ams or differenced tbem by chnnging the tincture or by adding or changing a eharge!' Cf. Mnrtin de Riquer, Manual de herdldica española, Barcelona, 1942. Interessante intervention de M. de Riquer A l'isrue da noke communication, sur la tendance connue de varier les meuhles des blasons. Fio. 5. - Olirier blesre Ficiabra, .u cBr6 (mr. Epnon 3028. f. 90r).

Fie. 6. - Aynt pcidu son chcril, Oli.

18. A. da ~endaeh,Le rdb du thkatre don8 une ri~uuetle conception de I'kvo!

a .,-..., fait baptiser et a rendu les reliques du Christ A lzglise, ce n'est sure- ment pas un hasard. Mais cela fait encore partie des phalanges de réalités au statut indécisl

Sire Jeban 111 d'Abeinoii s'est donc fait élaborer deux 'Gestes de Fierabras' anglo-normandes dans des manuscrits ornés des diverses va- riantes de son blason. La premiere, celle de Hanovre, relativement longue et de type continental, aura suscité en lui Pidée de forger une version plus dramatique, plus amusante, fondée sur la 'Version Jaune' (archaique) dont dépend déjA sa Destruction de Row conservée aujourd'hui A Hanovre. C'est ainsi que le diptyque littéraire Ege~toii ania vu le jour. Nous dénommerons désormais cette geste la Geste de Fierabras Egerton 8Abernon ~(fig.7).

5. SIRE JEFIAN111 D'ABERNONET LA VOGUE FIERABRASIENNE DANS LES PLES BRITANMQUES

Des I'époque de Jehan 111 d'Abernon, la 'Geste de Fierabras connait un essor prodigieux dans les Iles Britanniques, A comrnencer par PAn- gleterre: elle est diffusée en anglais, en latin et en irlandais. L'anglo- normand en tant que langue parlée et écrite perd graduellement de son souffle. La francophobie, stimulée par la guerre de Cent Ans, fait rage. C'est ainsi que s'enfilent les perles dún collier prestigieux de 'Ro- mances' [poemes métriques anglais anx schémas de rythme et de rime complexes et variés]. Un Fierabrm de type 'bleu' de Hanovre d'Aber- non est traduit en anglais et inséré daus la 'Geste de Charlemagne' anglaise dite 'Auchinleck-Fillingham'. Le Sir Firumbrm nous est con- servé dans le ms. Fillingham du xve siecle, A la British Library. Vers 1357-1377, le nom évocateur franqais de "Fer-A-Bras" est rempla- cé par une appellation plus suggestive en Angleterre, celle de "Folti- bras". La 'Version Bleue de Hanovre d'Abernou est combinée avec la 'Version Rose' Egerton d'Abernon pour aboutir, pour la premiere moi- tié de la chanson, A une vcrsion contaminée: on pense offrir ainsi un miroir plus fidele de la réalité historique du temps de Charlemagne et de Rolaud au mesiecle. Le travail est fastidieux, et Pon se borne alors suivre la 'Version Bleue' Hanovre d'Abernon (fig. 7). Selon Marcns Konick, ce nouveau Fierabrm a été composé en Cor- nouailles (ou alors dans le Devon), dans la région biitonnique (Cornouai- lles-Devon-Pays de Galles) qui úi présidé h la naissance des deux Fiera- bras d'Aheruou (Hanovre et Egerton). Alors que le ms. Egerton va rester en Cornonailles jusqn'h la date de sa vente en 1920 au British Museum 2', la nouvelle version contaminée anglaise sera recueillie par le grand celticiste de la premiere heure, Edward Lluyd, qui la donnera h YAshmolean Museum d'Oxford dont il est alors le couservateur. 11 s'agit du Finimbrm Ashmole 33, conservé aujourd'hui h la Bodléienne 22. La 'Version Bleue' du type Hanovre d'Abernon, pr8nant le nom de "Fortihras" connait nn nouvel essor, en Irlande: traduit d'abord en prose latine, il est alors rendu en irlandais (huit manuscrits couservés) 23. Le modele de la Geste de Fierabras Egeíton ZAbernon est traduit en anglais, dans des rythmes et schémas métriqnes variés et raffinés, avec le nom de Sowdon of Babylonz*. Dans de nomhreux cas, le traducteur est heauconp plus consciencieux et plus conscient des effets humoristi- ques que le rédactenr du texte-frbre Egerton.

En terre britonnique, dans son comté de Shrewsbury au Pays de Galles, John Talhot choisit les denx Fierabrm ZAbernon, Hanovre -'Version Bleue9- et Egerton -'Version Rase'- (ou des textes voi- sins) pour forger un Fierabrm plus proche de ce que I'on considere ators comme la vérité historique, et I'integre anx ff. 70r-85r de SAntho- logie chevaleresque de Marguerite d'Anjou, un cadeau h Soccasion de

21. Brandin, op. cit., 18 et n. 1. Le ms. Egerton fut recueilli en Cornaiiailles par Narcissus Luttrcll (1637.1732). La majeure partie de sa bib1iothAque pasra sa mort au Manor de Pendarvei, A Treslothian (au sud de Camborne). En 1823, le botaniste Jack Stackhouse hérita ce manoir. Enfin, le 10 iuillet 1920, son descendant John Stnckhouse-Pendarves vendit le manuscrit su British Museum. Le manuscrit de Ha- novre, au contraire, qi~ittal'Anp1eteri.e sour Charles 11. II est attesté en 1665 sous la cote Nov[uml 73 dans la bib1iotht)que de Johann Friedrich, duc de Brunswick et de Lunebourg (E. Bodemaiin, Dfc Hondschriften der Koniglichen Oeffenclichen Bibliothek zu Hnnnover; Hannover, 1867, 100). 11 est permls de supposer que le duc en fit I'ac- qubition lon de son ~éiour& Londres pour le couronnernent de Charles 11, quelques andes plits t8t. en 1660: la belle-swr de Johann Friednch, Sophie von der Pfalz- Lunebourg, était la prnpre cousine gemaine du nouveau roi d'Ang1eter.e. 22. A. de Mandach, Lo Geste de Fierabros, op. cit., 170 SS., 173: n" 13-Ash 1 et Aqh 11, 28-Ash 1, 29-Ash 11. 23. Ibid., 172 sr., non 19-'TC-27-TC-DK. 24. Ibid., 7-24. 2' colonne. 90 ss., 169 su., n"V1-S, lla-SD, llh-SP; cf. 12Eg: 7-24. 3" cnlonne: idem, The Evolution of the Motter of Fiei~brus: Preaent State Of Reseúrch, in Hens-Erich Keller, Romonce Epfi. Essoys on o mediecol ltternrv aenre, Medieval Inrtihite Publications, Wertmn Michigan Univcrsiw, Palamazoo, Michigan, 1987 ("Studies in Medieval Culture", XXIV), 129-139, esp. 131, 135. 8. 7.- -L'Avolution des tenter fierebrarienr dsns les ¶les Botanniquer et dan. le. Pays Sud. ses noces avec Henri VI. Ce remarquable ouvrage est exécuté en 1444- 1445 dans l'atelier de Jean Wauquelin A Mons, sous le patronage de Jean de Croy, qui avait iencontré Talbot an mariage de la reine A Tours le 1" mai 1444. Outre les deux Fierabrm ZAbernon, Talbot a pent-&re également recours A la version du prieuré de Douvres de l'abbaye Saint-Augustin de Canterbury. La vaste biblioth&que de ce monastere fournit d'autres modeles de brancbes de l'Anthologie de la reine, en particulier deux prototypes utilisés pour SAspremont (surtout celui de Cheltenham-Edouard Y). Dans la suite, le Fierabrm du brouillon de SAnthologie, resté A Mons, sera manié par David Aubert A Hesdin pour Créqui et Philippe le Bonl 28. Nmernbre 1485. William Caxton, un protégé de Marguerite d'York (la veuve de Charles le Téméraire), A Bmges puis A Londres, choisit précisément le Fierabras pour en donner hne des premieres impressions jamais exécutées dans les fles Britanniques 26. Ainsi, l'amour que vouait A Olivier sire Jehan d'Abemon du Surrey et de Cornouailles allait de- venir, par le biais de Fierabrm, un véritable fleuve de passionl 11 convient de souligner, en conclusion, l'importance du phénomene du "transfert de mythe" dans le domaine rolandien. Nous l'avons vu A l'oeuvre dans les cas des maisons de Montauban, de Tancarville et de Marécbal, de Gavre et d'Abernon. Inspiré par le cadre prestigiew de ce 'transfert de mythe', sire Jehan 111 sera parti d'une Destruction de Rome préexistante pour commander deux 'Gestes de Fierabras' ornées

25. A. de Msndach, A Royo1 Wedding-Present in the Mokins: Talhnt'~ Chiualcic Anthology (Roya1 15 E VI) for Qucen Mergaret of Anjou, ond the Laval-Middleton Antlwlogy of Nottingham, ^Nottingham Mediaeval Studies", XVIII (1974). 56-76; idem, L'Anthologie cheooleresque de Marguerite d'Aniou (R. M. Royzl 15 E VI) et les offl- cines Saint-Augustin de Canterburg, Ienn Wnuquelin de Mons et Douid Aiibert de Hesdin, "Actes du VI' Gng&s internationel de la Cac5ét8 Rencesvals", Aix-eii-Provence et Editions Cbampion, Pans, 1974, 315-350: idem, Chanron d'Arlswemolt, op. cit. (19751, 50-52, 154 no 1EL1; idem, La Geste de Fierobrns, op. cit., 171 n" 13a-L et 15-L; Lejeune et Stiennon, ap. cit., 1, 2SOa-23% ot surto~tpl. en couleurí. David Aubert: Manda&, Ln Geste de Fierabras, op. cit., lfi9 a' 9-DA; 185 no 124-DA. La dassification des textes publiée dans cet oumage se fonde encore en banne partie sur celle de Mehnert. Elle repose sur nos rccherches antérieures au 4 février 1985 (date de I'envoi du texte stia Editions DIOZ). Les progds ultérieurn se reflitent dan$ cette dhide et dans le tableau de la fig. 7. 26. Ibid., 1, 92, 147, 149, 178 no 71-JB-Caxtan. Le titre de Canton, avec accent sur "Charles the Grete" s'inspire probablement de son modele précis, I'édition du Fiero- bras en prose de Jehan Bagnynn, publiée en juillet 1484 par Guillaume Le Roy de Lyon (sortie de presse le 5 juillct 1484?), avec planche en pleine page au f. 6v de "Cbarlemagne en majerté": ibid., 176 nos 45-4%-JB-Le Roy-juillet, exemplaiies b. Londres et 3s Lyon tdétail inéditl. de miniatures metbant en lumi&re le blason héréditaire de sa famille et ses nouvelles variantes. Fortune, qui a pendant des sikcles tant ceuvré pour la 'Geste de Fierabras' des deux cdtés de la Manche, l'a quasiment abandonnée jusqu'd une date récente. Cependant, aujourd'hui, elle a chargé I'héral- dique d'insuffler ?I une 'Geste de Fierabras' poussiéreuse et immobile, sang et conleur. En un mot, I'héraldique nous ouvre un nouvel accks A la iittérature médiévale, appelant tous les jeux de lumikre dans la couleur de ses blasons.