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Séquences La revue de cinéma

Théorème de Théoreme (Teorema), Italie, 1968, 100 minutes Élie Castiel

Numéro 197, juillet–août 1998

URI : https://id.erudit.org/iderudit/49201ac

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Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

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Citer ce compte rendu Castiel, É. (1998). Compte rendu de [Théorème de Pier Paolo Pasolini / Théoreme (Teorema), Italie, 1968, 100 minutes]. Séquences, (197), 21–21.

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OREME de Pier Paolo Pasolini

Blow Up de Michelangelo Antonioni, La Curée Car la religiosité du cinéaste ttanscende de de Roger Vadim et Les Poupées (Bambole) de loin la simple foi, mettant de l'avant, parfois Dino Risi, Luigi Comencini, Franco Rossi et même excessivement, une âme au-delà du mys­ Mauro Bolognini. ticisme (c'est particulièrement évident dans Cinq fragments composent la trame narra­ L'Évangile selon Saint-Mathieu). Mais aussi tive de Théorème: une famille bourgeoise mila­ parce que le cri qui étouffe le poète de l'incan­ naise comprenant le père, la mère, le fils, la fille tation est aussi frémissant que celui du crucifié. et la bonne. Une sotte d'ange exterminateur beau Auteur sacrilège, blasphématoire, désespéré et et intelligent s'introduit dans cette famille fixée suicidaire, Pasolini se tient perpétuellement sur dans le temps et dans un espace clos. Le jeune la corde raide des transgressions, autant esthéti­ homme séduit chacun des membres et ayant ques qu'intellectuelles. accompli sa mission, disparaît comme par en­ À ce propos, l'exégète par excellence du ci­ chantement. néaste, le Canadien Marc Gervais, propose une Avec ce film nodal, en forme de parabole, vision quasi-gnostique de l'œuvre pasolinienne Pasolini souligne l'importance et la dualité de en attribuant à l'auteur une connaissance subli­ multiples significations: l'intrus est-il messager du minale des choses divines. Il décrit la vision du diable ou sauveur descendu sur Terre? Quoi qu'il réalisateur comme «déchirée, contradictoire, en soit, son bref passage dans cette famille encla­ marquée par une sorte d'hystérie apocalyptique vée dans son propre confort suscite maintes réac­ mais qui, pat les moyens de l'art, cherche sans tions: la bonne devient sainte; le fils se donne cesse le lieu et l'instant de la réconciliation». furieusement à la peinture; la fille tombe dans Ainsi, la qualité d'un tel film se concrétise un mysticisme paralytique; la mète s'abandonne par l'exceptionnel usage d'un style cinématogra­ à la recherche éperdue de sexe; le père se dé­ phique fondé sur l'application de certains élé­ pouille de ses possessions, autant terrestres que ments plastiques (musique, poétique) et méta­ e pense que je suis mal compris de certains physiques, après s'être laissé séduire par les ten­ phoriques (décor, couleur, atmosphère). Œuvre J secteurs de la critique française parce que tations de sa propre homosexualité latente. Il intemporelle, Théorème est un film excitant cette critique française a le culte du laïcisme.» s'agit là d'une histoire qui frise le drame de pour l'esprit, tant les préoccupations de Pasolini (Entrevue avec Pier Paolo Pasolini, Jeune cinéma, mœurs bourgeois et qui, pour l'époque (nous face au monde qui l'entoute peuvent se résumer n°53) sommes à la fin des années 60, en pleine révo­ en une profonde intetrogation sur le sens même lution sexuelle), n'a tien de particulièrement de l'existence. La mort sordide de Piet Paolo Pasolini, tué scandaleux. Le spectateur est mal à l'aise devant ce film par un voyou dans un terrain vague de la ban­ Acquitté par le Président du Tribunal qui se ambigu qui favorise le choc psychologique lieue romaine, ajoute une marque radicale, tragi­ dit atteint de «bouleversement essentiellement comme catalyseur de toute révélation. Et même que et scandaleuse à cette autéole de poète mau- idéologique et mystique» plutôt que sexuel, Pa­ le sexe n'est jamais montré pour lui-même, mais "dit qui imprègne toute son œuvre. solini devra néanmoins affronter une certaine au contraire, toujours envisagé dans ses rapports Et Théorème arrivait, partout où il était pré­ critique, parfois un peu malcommode face à son avec les interdits, autant sociaux que religieux, senté, précédé du parfum du scandale. Théorème. François Chevassu, dans La Revue du dont Pasolini montre les mécanismes ambiva­ Ce qui ne l'empêche pas d'être primé à Ve­ cinéma, déclare que «la solution de ce théorème lents. Q nise par l'OCIC (Office catholique international ne me paraît pas tellement probante. Je trouve Élie Castiel du cinéma). Ironie du sort, ce sont les Catholi­ même la démonstration un peu dalienne et ques (notamment italiens) et le Vatican qui s'en j'avoue que ce film n'est, pour moi, ni clair, ni THEOREME (Teorema) prennent au film, menaçant d'en détruire le convaincant, qu'il me semble trahir une fâcheuse Italie 1968.100 minutes — Réal.: Pier Paolo Pasolini — Scén.: négatif. Son auteur risque d'ailleurs quelques confusion de pensée... Je confesse humblement Pier Paolo Pasolini — Photo: Giuseppe Ruzzolini — Mont: Nino Baragli — Mus.: Mozart (Requiem), — mois de détention à la suite de la plainte d'un avoir eu l'impression de m'être fait posséder par Dec: Luciano Puccini — Int.: Terence Stamp (le visiteur), Laura avocat pusillanime et moraliste. Après avoir vu le un illusionniste mondain». Autant la conviction Betti (Emilia), (Lucia), (Paolo), film, il se dit offusqué par le caractère explicite­ du critique relève d'une subjectivité franche et Anne Wiasemsky (Odette), Andres Jose Cruz (Pietro), (le messager) — Prod.: Franco Rossellini, Manolo ment sexuel qu'il dégage. Ce même homme de raisonnée, autant on peut y déceler ce que Paso­ Bolognini. loi avait auparavant engagé une action contre lini appelle le culte du laïcisme.

No 197 «Juillet/Août 1998 21