Université Lumière Lyon 2

Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Roxane SIFFER Sous la Direction de Mme Sophie PAPAEFTHYMIOU Août-Septembre 2010

Table des matières

Remerciements . . 5 Introduction. . . 6 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE . . 20 SECTION PREMIERE : Genèse et collaborations du couple fondateur : Zola-Bruneau . . 20 A°) L’acte de naissance du naturalisme : la rencontre d’Emile Zola et d’ . . 20 B°) L’œuvre singulière d’Alfred Bruneau . . 26 SECTION DEUXIEME : La confusion entre le naturalisme et les Dreyfusards . . 33 A°) D’une coopération artistique à l’engagement politique : l’affaire Dreyfus en toile de fond . . 33 B°) La prise de position de Bruneau en faveur de Zola . . 37 SECTION TROISIEME : L’Affaire Dreyfus : une affaire politique dans les coulisses de l’opéra . . 38 A°)Le combat naturaliste sur la scène lyrique : le prolongement du combat dreyfusard . . 38 B°)Triomphes et de défaites du naturalisme musical . . 40 C°) Un répertoire trop figé historiquement: du mépris à l’oubli . . 43 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS . . 46 SECTION PREMIERE : Les difficultés techniques et l’absence de réelle identité musicale . . 46 A°) L’influence du wagnérisme: un héritage romantique indubitable . . 46 B°) Style et registres de langue du naturalisme: la négation des canons de l’opéra lyrique . . 50 SECTION SECONDE : Les élites de l’univers musical réservées à l’égard du naturalisme lyrique . . 59 A°) Des journaux hostiles à l’avènement d’un genre “profane” sur la scène lyrique: . . 59 B°) Les directeurs des théâtres lyriques nationaux, majoritairement hostiles aux opéras naturalistes . . 63 SECTION TROISIEME : La réception du naturalisme dans l’opinion publique: un succès mitigé à travers les époques . . 66 A°) L’opéra naturaliste et l’expérience du miroir370 . . 66 B°) La souveraineté du public . . 69 C°) Une définition figée du lyrisme par la bourgeoisie : la difficile démocratisation de l’opéra . . 72 Conclusion . . 74 Bibliographie . . 80 Ouvrages et Correspondances . . 80 Articles de presse. . . 83 Annexes . . 85 ANNEXE 1 : L’Attaque du Moulin à l’Opéra de Metz (2010) . . 85 ANNEXE 2 : Les Dix Ouvrages les plus joués à l’Opéra-Comique dans la première moitié du vingtième siècle . . 86 ANNEXE 3 : Les Dix Ouvrages les plus représentés à l’Opéra de entre 1875 et 1962 . . 87 ANNEXE 4 : Les programmations des théâtres lyriques en France à la fin du XXe siècle . . 87 ANNEXE 5 : Degas peignant le ballet à l’Opéra de Paris . . 87 ANNEXE 6 : MIMI PINSON de Musset . . 88 ANNEXE 7 : Thérèse Raquin . . 90 ANNEXE 8 : Caricature d’Emile Zola . . 91 ANNEXE 9 : Détail des Pistes audios . . 91 ANNEXE 10 : Hommage d’Anatole France à Emile Zola . . 92 ANNEXE 11 : Repères historiques . . 92 Chronologie de l'affaire Dreyfus . . 92 Chronologie de la Commune de Paris (1871) . . 102 Remerciements

Remerciements Je souhaiterais remercier Madame PAPAEFTHYMIOU, enseignante et responsable du séminaire « Art, Politique et Management », pour son aide, sa patience et ses conseils durant la rédaction du mémoire. Je souhaiterais également remercier Monsieur Bruno BENOIT pour avoir accepté d’être jury pour mon mémoire. Je tiens tout particulièrement à remercier la réactivité et la précision des informations apportées par Monsieur Georges STAROBINSKI, professeur de musique. Je tiens également à remercier Madame Solange FOURNIER, ma professeure de solfège, pour sa patience, ses ressources musicales et son aide pour l’étude des livrets d’opéras. J’adresse mes remerciements à Monsieur Alain PAGES, président de l’association des Cahiers Naturalistes, pour ses conseils et ses pistes bibliographiques. Je remercie également Monsieur Alain BONDOUX pour son érudition et l’ensemble de ses références cinématographiques liées à l’univers de Zola. Je souhaite également remercier Monsieur Pierre COHEN-BACRIE pour ses informations relatives à l’affaire Dreyfus. Je souhaiterais également remercier mes proches et plus particulièrement mes parents, mon frère et mes sœurs, mon petit-ami, qui m’ont assuré de leur soutien durant la rédaction de ce mémoire. Je souhaiterais remercier mes amis pour leur indéfectible soutien. Enfin, je souhaiterais également remercier l’Institution des Chartreux, son personnel pour son soutien durant mes recherches et plus particulièrement Mademoiselle Marine LACHENAULT, doctorante de l’université de Lyon II, pour ses mots d’encouragement et ses conseils.

Siffer Roxane - 2010 5 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Introduction.

“Toute œuvre d'art survivante est amputée, et d'abord de son temps” 1 André Malraux Nul n’aurait pu imaginer que Louise2de Gustave Charpentier, avec la simplicité de sa mélodie, la sobriété de sa prose, puisse demeurer un grand classique, aujourd’hui inscrit à l’agenda de l’Opéra de Strasbourg pour la saison 2010. L’opéra Bastille l’a programmé deux ans plus tôt et l’engouement du Tout-Paris pour cet opéra naturaliste, que d’aucuns ont souvent considéré comme un outrage au lyrisme, de par sa négation des codes classiques, a permis de vérifier la pérennité et le timide réveil de ce courant musical. L’Opéra Théâtre de Metz a également inscrit L’Attaque du moulin3, opéra naturaliste, composé par Alfred Bruneau, d’après le livret de Louis Gallet4, à son agenda 2009-20105. Bien que les plus grands opéras naturalistes aient bénéficié d’une aura et d’un succès traversant les âges, le nombre de mises en scène demeure lacunaire aux côtés des grands opéras classiques. Stéphane Wolff dans son ouvrage Un demi-siècle d’opéra-comique, 1900-19506, établit une liste des ouvrages les plus représentés sur la scène de l’Opéra- Comique durant la première moitié du XXème siècle7. Il met en exergue le succès des opéras naturalistes sur la scène de l’Opéra-Comique, durant cette période. Cependant, dans son ouvrage L’Opéra au Palais Garnier, 1875-19628, Stéphane Wolff met l’accent sur la domination de Wagner, Gounod et Meyerbeer sur la scène de l’Opéra de Paris9. Dès lors, la scène de l’Opéra-comique est longtemps apparue comme étant l’antichambre des opéras naturalistes en France, durant la première moitié du XXème siècle. La seconde moitié du vingtième siècle témoigne du divorce irrémédiable entre le public et le répertoire naturaliste. En 1994, Le Monde10 publie une liste des dix ouvrages les plus joués à l’Opéra de Paris entre 1980 et 1993, largement dominée par Wolfgang Amadeus Mozart avec La Flûte enchantée (39 fois), Les Noces de Figaro (32 fois), Giacomo Puccini avec Tosca (32 fois) ou encore Giuseppe Verdi avec La Traviata (25 fois). En septembre

1 MALRAUX André, Les Voix du Silence, 1951. 2 Louise de Gustave Charpentier est un roman musical en quatre actes, crée à l’Opéra Comique le 9 février 1900. 3 L’Attaque du Moulin, drame lyrique en quatre actes, crée en 1893, composé par Alfred Bruneau et tiré du roman d’Emile Zola. 4 Louis Gallet (1835-1898) est un librettiste et auteur dramatique français. Il a collaboré avec de grands noms de la musique tels que Georges Bizet, Camille de Saint-Saëns, Charles Gounod ou Alfred Bruneau. 5 Annexe 1 : Affiche de L’Attaque du Moulin. 6 WOLFF Stéphane, Un demi-siècle d’opéra-comique, 1900-1950, Paris, A.Bonne, 1953. 7 Annexe 2 « Les ouvrages les plus joués à l’Opéra-Comique entre 1900 et 1950 en fonction du nombre de représentations ». 8 WOLFF Stéphane, L’Opéra au Palais Garnier 1875-1962, Paris, 1962. 9 Annexe 3 « Les ouvrages les plus représentés à l’Opéra de Paris entre 1875 et 1962 ». 10 Le Monde, 3 février 1994, p.2 6 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

2000, Opéra International11publie les résultats de son sondage « Des dix plus grands opéras de l’histoire » auprès de son lectorat. Don Giovanni de Mozart, Tristan et Isolde de Wagner et Norma de Bellini, occupent les trois premières places du classement mais aucun opéra naturaliste ne figure au classement. Enfin, au regard des programmations des opéras lyriques en France, à la fin du XXème siècle12, la prédominance de Mozart, Verdi et Puccini illustre la désaffection du public et du monde culturel français pour le répertoire naturaliste. Le lyrisme occupe une place fondamentale dans le paysage de l’opéra français. On entend par « lyrisme13 », l’art vocal ou « l’art du chant », assimilé à l’opéra. Le lyrisme désigne également une part du mélos instrumental qui préfère évoquer le passé, la confidence, inspiré par la poésie et fondé sur l’exaltation des sentiments du poète ou du musicien. Le nombre d’intégrales consacrées au mouvement naturaliste et à ses compositeurs concoure à la faible diffusion de ces opéras. Jean-Louis Dutronc dans L’Avant-Scène Opéra, de mai 2000, évalue à six le nombre d’intégrales de Louise de Charpentier14. La presse et la critique musicale françaises contribuent très largement à ce mouvement de fond en faveur de Mozart, Bach et Beethoven et aux dépens des compositeurs naturalistes tels que Bruneau ou Charpentier, du fait du très faible nombre d’articles qui leur sont consacrés. Le naturalisme musical que Libération traite volontiers de « daté »15 et Le Monde de « dépassé »16 apparaît comme pictural et caravagesque aux yeux des critiques et du grand public. Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, les opéras naturalistes ont notamment été vilipendés par les défenseurs de l’école symboliste, influencée par le modèle wagnérien. Le vingtième siècle et plus encore le dix-neuvième siècle témoignent du retrait voire de la disparition d’une partie des opéras naturalistes17 et donc d’une part de l’héritage musical français. Incompris ou ignorés du grand public, les opéras naturalistes souffrent de leur ancrage historique et thématique, dans la France industrieuse et laborieuse du dix-neuvième siècle. Les raisons d’un tel désamour sont à rechercher dans les sources mêmes de ce mouvement artistique. D’abord littéraire, puis théâtral et musical, le naturalisme est le fruit d’un cheminement intellectuel, historique, idéologique et un projet esthétique à part entière dont il convient d’étudier la genèse et les caractéristiques « Le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur18 » Emile Zola La première difficulté de notre démarche est de définir la nature terminologique du « Naturalisme ». Comme l’a souligné le grand historien Lucien Febvre dans son ouvrage Combats pour l’histoire19 les étiquettes classificatrices ont le défaut d’être de « grandes

11 Opéra International est un mensuel particulièrement apprécié des professionnels et mélomanes. En l’occurrence le numéro 249 du mois de septembre 2000 avait pour objectif de sonder le lectorat plutôt initié voire spécialiste. 12 Annexe 4 « Les programmations des théâtres lyriques en France à la fin du XXe siècle ». 13 Lyrisme vient du nom “lyre”, instrument de musique qui accompagnait la poésie chantée. 14 DUTRONC J.-L, « Discographie comparée », « Louise », L’Avant-Scène Opéra, n°197, mai 2000, pp. 90-93. 15 Libération, 25 juin 1998, p. 43. 16 Le Monde, 20 septembre 1996, p. 2. 17 Parmi les opéras ayant disparu, on peut notamment citer Le Rêve (première œuvre naturaliste). Par disparition on entend d’abord l’absence d’enregistrement et de représentation, deux conditions nécessaires à la survie d’une œuvre. 18 ZOLA Emile, Thérèse Raquin, 1867. 19 FEVBRE Lucien, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin ,1992. Siffer Roxane - 2010 7 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

machines à empêcher de comprendre », en simplifiant la réalité et en offrant une vision trop globale de la littérature. Le naturalisme a d’abord sa place dans une réflexion sur l’esthétique romanesque comme dans une histoire de la littérature. Du point de vue purement esthétique, le naturalisme fait référence à une méthode de perception et d’analyse du monde réel. Zola énumère d’ailleurs, trois caractéristiques qui selon lui définissent le roman naturaliste20 : « Le premier caractère du roman naturaliste, dont Madame Bovary est le type, est la reproduction exacte de la vie, l’absence de tout élément romanesque (…) « Fatalement, le romancier tue les héros, s’il n’accepte que le train de vie de l’existence commune. (…) La beauté de l’œuvre n’est plus dans le grandissement d’un personnage, qui cesse d’être un avare, un gourmand, un paillard, pour devenir l’avarice, la gourmandise, la paillardise elles-mêmes ; elle est dans les peintures où tous les détails occupent leur place, et rien que cette place. (…) « J’insisterai enfin sur un troisième caractère. Le romancier naturaliste affecte de disparaître complètement derrière l’action qu’il raconte. Il est le metteur en scène caché du drame, (…) pour laisser à son œuvre son unité impersonnelle, son caractère de procès- verbal écrit à jamais sur le marbre. » Le roman naturaliste est donc un roman expérimental et cet idéal scientifique implique un grand nombre de sources et d’informations pour l’écrivain. Les lectures21, des enquêtes22, les dossiers23 permettent au romancier naturaliste de documenter ses écrits. Dès lors, le naturalisme est indissociable du contexte scientifique et intellectuel qui l’entoure au XIXe siècle24. Avant d’être un romancier, le naturaliste est un savant qui étudie la nature. D’ailleurs, en Anglais et en Allemand, le mot naturalisme est d’ailleurs synonyme de matérialisme et de panthéisme. Le naturalisme remet en cause toute forme d’idéalisation ou de dogme religieux. Le Bescherelle souligne l’apport de Zola dans la définition esthétique du naturalisme en 1887, en évoquant « l’école littéraire et artistique qui a pour but de reproduire exactement la nature et rejette l’idéal ». En effet, de nombreux romanciers lassés par l’esprit du romantisme se tournent vers Auguste Comte25 et sa doctrine formulée dans

20 ZOLA Emile, Les Romanciers Naturalistes, 1881. 21 Ces lectures sont souvent des thèmes d’inspiration. Zola a notamment puisé ses sources pour et la Bête humaine dans Germinie Lacerteux des frères Goncourt. Flaubert se plonge quant à lui dans une course épuisante avec l’érudition pour la rédaction de Bouvard et Pécuchet. Dans sa lettre du 18 août 1872 à Mme Roger des Grenettes, Flaubert déplore : « Il va me falloir étudier beaucoup de choses que j’ignore : la chimie, la médecine, l’agriculture (…) mais il faut être fou et triplement frénétique pour entreprendre un pareil bouquin ! ». 22 Flaubert est allé à Tunis pour Salammbô (1862), Zola se rend à Anzin pour Germinal (1885) ou encore aux Halles pour composer (1873). 23 On peut citer les Carnets de Flaubert aujourd’hui conservés à la Bibliothèque historique de la ville de Paris. 24 Le terme « naturaliste » est apparu dans les écrits de Montaigne au XVIe siècle : « Je ne suis pas bon naturaliste et scay guiere par quels ressorts la peur agit en nous ». DE MONTAIGNE Michel, « De la peur », Essais, I, XVIII, Paris, Garnier Frères, 1962, t. 1, p. 75. Au XVIIIe, Diderot considère que les naturalistes doivent observer la nature et n’avoir qu’elle comme religion. 25 Auguste Comte (1798-1857) est le père du positivisme. Les connaissances s’expliquent par l’expérience ; l’état positiviste succède à l’état métaphysique et théologique. Comte s’intéresse aux évènements en eux-mêmes, les lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude » (cf. cours I) 8 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

son Cours de philosophie positive (1830-1842), où il prône l’importance du progrès et des lois intellectuelles capables d’expliquer des phénomènes naturels26. Du point de vue de la filiation, Zola rattache le naturalisme au XVIIIe siècle et plus particulièrement à Diderot27 qu’il considère comme « l’inventeur des méthodes d’observation et d’expérimentation appliquées à la littérature ». Cette dimension philosophique du naturalisme désigne donc un système de pensée matérialiste, rejetant toute forme d’idéalisme : « On appelle idéalistes ces philosophes qui, n’ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent au dedans d’eux-mêmes, n’admettent pas autre chose : système extravagant qui ne pouvait, ce me semble, devoir sa naissance qu’à des aveugles ; système qui, à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous28 ». Zola célèbre également Balzac et Stendhal dans l’évolution menant au naturalisme en tant qu’initiateurs du réalisme dans le roman : « Stendhal fut le premier fils de Diderot. (…) Ensuite parut Balzac, ce génie tumultueux et qui eut si souvent l’inconscience de sa vraie besogne. (…) Il travaille à la même évolution que Stendhal : c’est un observateur, c’est un expérimentateur, qui a pris le titre de docteur ès sciences sociales et humaine29 ». Cependant Zola se défend d’avoir inventé le mot naturalisme, dans un article au Figaro le 17 janvier 1881 : « Mon Dieu ! Oui je n’ai rien inventé, pas même le mot naturalisme, qui se trouve dans Montaigne, avec le sens que nous lui donnons aujourd’hui. (…) Si je n’ai pas inventé le mot, j’ai encore moins inventé la chose30 ». Cependant, Zola faussement modeste, souhaite imposer une nouvelle école dans le champ littéraire en y proposant ses propres codes et canons esthétiques. Nous avons préalablement développé les trois dimensions du terme naturalisme : scientifique, philosophique et littéraire. En se référant à l’un ou l’autre des sens du terme naturalisme, Zola apparaît soit comme un révolutionnaire ou comme l’usufruitier d’un héritage intellectuel. « Le récit naturaliste est le roman des énergies bloquées31 » Gaillard L’hérédité est aussi apparue comme étant une donnée importante des romans naturalistes, à l’exemple de l’arbre généalogique des Rougon-Macquart, établi par Zola. Les

26 Emile Littré incarne cet idéal positiviste dans la rédaction de son Dictionnaire (1863-1877) et Hachette lance des ouvrages de vulgarisation de la science dont des manuels scolaires et des dictionnaires. 27 ZOLA Emile, Le naturalisme, Une Campagne, 1882. 28 DIDEROT Denis, Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, 1749. 29 ZOLA Emile, Le naturalisme, Une Campagne, 1882. 30 MITTERAND Henri, Emile Zola, Œuvres complètes, Cercle du livre précieux, 15 vol., 1962-1969, t. 14, Chroniques et polémiques (II), 1969, pp. 507-511. 31 Expression de François Gaillard pour évoquer En Rade de Huysmans, lors du colloque « Le naturalisme » en 1978 à Cerisy. Cette expression replacée dans le contexte de l’œuvre, souligne le poids de l’hérédité et des déterminismes sociaux, obstacles à toute évolution sociale, aux yeux des naturalistes. Siffer Roxane - 2010 9 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

théories évolutionnistes32 de Darwin ont fortement influencé les romanciers naturalistes, en expliquant que les espèces vivantes évoluent en fonction du milieu dans lequel elles vivent, du fait de la sélection naturelle et de la transmission héréditaire des caractères requis. Taine, a quant à lui essayé de souligner le lien de causalité existant entre les individus et les expériences sociales ou historiques qu’ils ont vécues : « Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre33 ». Zola reprend cette formule controversée dans la deuxième édition de Thérèse Raquin (1868). L’hérédité limite la liberté humaine d’où l’importance prise par la philosophie d’Arthur Schopenhauer. Dans son ouvrage Le Monde comme volonté et comme représentation, publié en Français à partir de 1876, Arthur Schopenhauer considère que l’homme mène une existence vaine dans la mesure où il mène une lutte contre les forces naturelles, contre lesquelles il ne peut rien. Enfin, la médecine vient justifier l’œuvre romanesque. Le pessimisme du philosophe est palpable dans l’œuvre de Maupassant ou de Huysmans. « L’anatomiste impitoyable qui fouilleles gens jusqu’aux entrailles34 » Emile Zola à propos de Jules Michelet35 La médecine apparaît également comme une caution et un appui solide aux romans naturalistes. Le Roman expérimental (1874) de Zola, est largement inspiré de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865) de Claude Bernard : « Ce livre, d’un savant dont l’autorité est décisive, va me servir de base solide. (…) Ce ne sera donc qu’une compilation de textes car je compte, sur tous les points, me retrancher derrière Claude Bernard ». Il ajoute : « Le plus souvent, il me suffira de remplacer le mot médecin par le mot romancier pour rendre ma pensée plus claire et lui apporter la rigueur d’une pensée scientifique36 ». La place du médecin est d’ailleurs symptomatique du rôle de la science, aux yeux des écrivains naturalistes. Sainte-Beuve souligne que « Fils et frère de médecins distinguées, Monsieur Gustave Flaubert tient la plume comme d’autres le scalpel. Anatomistes et physiologistes, je vous retrouve partout37 ». L’écrivain-médecin n’a aucun préjugé et aborde des sujets jusqu’alors prohibés par la littérature. Zola décrit notamment les manifestations du delirium tremens de Coupeau38 et sa pantomime caricaturale face aux méfaits de l’alcoolisme. Les perversions sexuelles et les pulsions criminelles apparaissent comme des topoï du naturalisme à l’exemple de Germinie Lacerteux des frères Goncourt. Les naturalistes présentent une image caravagesque et fataliste des bas-fonds de la société en insistant sur le poids de l’héritage et l’hérédité39. Cependant, cette peinture pessimiste du monde souligne l’importance aux yeux des

32 DARWIN Charles, De l’origine des espèces, 1859. 33 TAINE Hippolyte, Histoire de la littérature anglaise, 1864. 34 ZOLA Emile, « Correspondance littéraire », Le Salut public, 23 juillet 1866, Livres d’hier et d’aujourd’hui, Œuvres complètes, op. cit. , p. 569. 35 Edmond Michelet (1798-1874) grand historien français. En l’occurrence, Zola fait référence à sa méthode historique pour son œuvre Louis XIV, afin d’assimiler le naturaliste et ses prédécesseurs à des anatomistes. 36 ZOLA Emile, Le Roman expérimental, Œuvres coplètes, t. 10, Œuvres critiques (I), op. cit. , p.1175. 37 SAINTE-BEUVE Ch.-A, « Madame Bovary », Le Moniteur, 4 mai 1857. 38 Coupeau est un ouvrier zingueur dans l’Assommoir de Zola. 39 L’influence de Max Nordau (1849-1923) à travers son ouvrage Dégénérescence (1892). 10 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

naturalistes, d’expliciter la réalité et les maux dont souffrent les hommes de petite condition, afin d’y apporter un palliatif. « Ut pictura poesis » Horace « La poésie est comme la peinture», célèbre formule d’Horace, a été instrumentalisée par les réalistes à la fin du XVIIIe siècle. En effet, ceux-ci entendent imiter le peintre, en plaçant des personnages, en variant les points de vue, en composant des tableaux ou en alternant premiers plans et arrières plans. En achetant Médan en 1878, Zola ajoute une tour carrée qu’il transforme en atelier de travail, dont les dimensions et la configuration rappellent celles d’un atelier de peintre. Ce geste symbolique prouve l’extrême connivence des romanciers naturalistes et des peintres de leur temps40 dont Huysmans évoque les similitudes dans L’Actualité de Bruxelles41 : « Nous sommes des hommes qui croyons qu’un écrivain, aussi bien qu’un peintre, doit être de son temps ; nous sommes des artistes assoiffés de modernité. (…) Nous voulons essayer de ne pas faire comme les romantiques des fantoches plus beaux que nature, remontés toutes les quatre pages, brouillés et grandis par une illusion d’optique, nous voulons essayer de camper sur leurs pieds des êtres en chair et en os, des êtres qui parlent la langue qui leur fut apprise, des êtres, enfin, qui palpitent et qui vivent ». Dès lors, les grandes influences, la genèse et les éléments caractéristiques du naturalisme ayant été mis en exergue, il nous semble justifié de retenir la définition de Jules- Antoine Castagnary42 : « Domaine des Beaux-Arts (essentiellement à partir du XIXe) : doctrine artistique recherchant l’imitation exacte de la nature. L’école naturaliste affirme que l’art est l’expression de la vie sous tous ses modes et à tous ses degrés, et que son but unique est de reproduire la nature en l’amenant à son maximum de puissance et d’intensité : c’est la vérité s’équilibrant avec la science43 ». « Le naturalisme apparaît comme uneforme particulière du réalismequi affirme ses intentions44 » Alain Pagès La notion de « réalisme » est essentiellement assimilée à Louis-Edmond Duranty et à Jules Champfleury45 : « Il y aura une école nouvelle qui ne sera ni classique ni romantique, et que nous ne verrons peut être pas, car il faut le temps à tout ; mais, sans aucun doute, cette école nouvelle sortira du romantisme, comme la vérité sort plus immédiatement de l’agitation des vivants que du sommeil des morts46 ».

40 Dans ces amitiés entre peintres et romanciers, on peut citer celle des naturalistes avec des peintres comme Courbet. 41 er HUYSMANS J.-K, «Emile Zola et L’Assommoir », L’Actualité de Bruxelles, 1 avril 1877. 42 Jules-Antoine Castagnary (1830-1888) est un journaliste et critique littéraire, ami de Gustave Courbet. 43 CASTAGNARY J. –A, Salon, 1863. 44 PAGES Alain, Le naturalisme, Paris, PUF, 1989, p. 112. 45 Jules Champfleury et Louis-Edmond Duranty sont souvent cités comme étant les deux romanciers réalistes. 46 CHAMPFLEURY Jules, Le Réalisme, 1857. Siffer Roxane - 2010 11 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Il s’agit donc avant tout d’une école qui prône la reproduction du réel en introduisant les groupes sociaux jusqu’alors oubliés ou exclus de la littérature. Le romancier naturaliste va plus loin, il doit parler du monde contemporain, en utilisant les avancées de la science, en faisant référence aux déterminismes sociaux, à l’hérédité, en traitant toutes les catégories sociales. Dès lors, les ouvriers47, les paysans48, les marginaux49 ou la petite et la grande bourgeoisie, ont leur place dans les romans naturalistes. Cependant, le naturalisme ne peut pas être considéré comme une école littéraire à part entière, dans la mesure où il est une forme particulière de réalisme, une méthode et non une pensée figée d’après Paul Alexis : « Le naturalisme n’est pas une ‘’rhétorique’’, comme on le croit généralement, mais quelque chose d’autrement sérieux, une ‘’méthode’’. Une méthode de pensée, de voir, de réfléchir, d’étudier, d’expérimenter, un besoin d’analyser pour savoir, mais non une façon spéciale d’écrire50 ». Les écrivains naturalistes n’ont jamais ressenti la nécessité d’une unité idéologique. Dans la préface des Soirées de Médan51, Zola souligne que « notre seul souci a été d’affirmer publiquement nos amitiés ». Chronologiquement, Germinie Lacerteux52, a scellé l’acte de naissance du naturalisme dans la littérature française, le 16 janvier 1865. Dans la préface, les frères Goncourt mettent l’accent sur le caractère novateur de l’œuvre : « Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai. Il aime les livres qui font semblant d’aller dans le monde: ce livre vient de la rue53». Zola exprime son admiration pour cette œuvre « excessive et fiévreuse54 ». C’est dans la préface de la seconde édition de Thérèse Raquin55, du 15 avril 1868 que Zola parle « du groupe d’écrivains naturalistes auquel (il a) l’honneur d’appartenir56 ». Ce groupe dont les plus grandes figures sont Zola, Tourgueniev, Daudet ou les frères Goncourt se réunissent chaque dimanche rue Murillo, dans l’appartement de Flaubert dès 1871. Dès lors, la période située entre 1876 et 1884 correspond à la « lune de miel » et à l’apogée des naturalistes dans le monde littéraire.

47 On peut citer Germinal. 48 de Zola. 49 Les prostituées comme de Zola. 50 ALEXIS Paul, Enquête sur l’évolution littéraire, 1891. 51 Les Soirées de Médan est un recueil de nouvelles publié par Zola, Maupassant, Hennique, Céard, Alexis et Huysmans avec pour thème général la guerre de 1870. 52 Germinie Lacerteux, est la première œuvre officiellement naturaliste. Les frères Goncourt se sont inspirés de leur propre enfance et du souvenir de leur gouvernante pour écrire ce roman. Germinie Lacerteux arrive à Paris où elle devient domestique. Elle noue une passion sulfureuse avec Jupillon, de très loin son cadet et subit l’opprobre public. Cet amour « interdit » et passionnel sera sa propre damnation. Meurtrie et éhontée, sombrant dans la déchéance et la perversion, Germinie est abandonnée par son amant. 53 GONCOURT Jules et Edmond, Germinie Lacerteux. 54 Le Salut Public de Lyon 24 février 1866. 55 Thérèse Raquin est le troisième roman d’Emile Zola mais aussi son premier grand succès littéraire. Zola en tire une pièce de théâtre en 1873 et il faut attendre 2001 pour qu’un opéra soit crée cf. annexe « Thérèse Raquin à l’opéra : le timide réveil du naturalisme sur scène au XXIe siècle». 56 ZOLA Emile, Thérèse Raquin, 1867. 12 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

Progressivement, le groupe est sujet aux contestations. Il s’agit d’abord d’une concurrence littéraire et intellectuelle avec le groupe des « psychologues57 » dont les grandes figures sont Paul Bourget ou Pierre Loti et plus encore avec les symbolistes58 avec Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé ou Edgar Allan Poe. Le groupe de Médan, autrefois uni, se désagrège : les disciples s’opposent désormais au maître (Zola) à travers le Manifeste des Cinq. Dans un article du Figaro, du 18 août 1887, intitulé le « Manifeste des Cinq contre La Terre59, Pierre Bonnetain, J.H Rosny, Louis Descaves, P. Margueritte et G. Guiches dénoncent « cette imposture de la littérature véridique », « ce recueil de scatologie » en soulignant que « le Maître est descendu au fond de l’immondice ». Durant la dernière décennie du XXe siècle se pose la question de la survie du naturalisme dans le champ littéraire. Entre mars et juillet 1891, Jules Huret, journaliste à L’Echo de Paris mène une enquête sur la situation du naturalisme dans le champ littéraire français. Parmi les réponses, s’impose la célèbre formule de Paul Alexis : « Naturalisme pas mort ». Avant de s’effacer au début du XXe siècle, le naturalisme a profondément évolué d’un point de vue esthétique d’abord, avec le développement du Naturisme60de Maurice Le Blond ou les tentatives lyriques de Zola dans le domaine du théâtre et de l’opéra. Les changements sont aussi idéologiques et politiques, avec le bouleversement de l’affaire Dreyfus et l’utopie des Quatre Evangiles et des Trois Villes61. L’héritage intellectuel du naturalisme est notamment assuré par l’Académie Goncourt, l’Association Emile Zola. Les morts de Goncourt en 1896, Daudet un an plus tard et enfin Zola en 1902 mettent un terme au naturalisme. L’influence du mouvement naturaliste est surtout présente dans les romans et le cinéma d’après-guerre. L’absence d’unité des romanciers naturalistes, mise en exergue précédemment, nous amène naturellement à considérer que le naturalisme littéraire est avant tout l’œuvre et la création d’Emile Zola. Céard, dans son œuvre Huysmans intime, assimile le naturalisme au père des Rougon-Macquart : « Naturalisme, c’est le mot mis en circulation par Zola qui croit modérément à la qualité de sa doctrine 62». Afin de saisir toute l’étendue et les enjeux du naturalisme, il a été nécessaire de comprendre la genèse et les caractéristiques de ce mouvement dans le champ littéraire. En effet, dès 1873, lors de la publication de Thérèse Raquin , drame en quatre actes tiré du roman éponyme, Zola défend sa conviction de voir « prochainement le mouvement naturaliste s’imposer au théâtre, et y apporter la puissance de la réalité, la vie nouvelle de l’art moderne ». Zola essuie néanmoins de nombreux échecs au théâtre. L’Adaptation théâtrale de Germinal63est censurée, en octobre 1885. S’ajoute l’échec de la pièce Renée au théâtre de Vaudeville, en avril 1887 ou encore les succès mitigés de Madeleine au Théâtre-

57 En littérature, les psychologues désignent l’école inspirée des nouvelles thèses en vogue à la fin du XIXe siècle, tentant d’expliquer le comportement des êtres humains ; on essaie de le comprendre. 58 Le Symbolisme désigne un mouvement poétique et littéraire né à la fin du dix-neuvième siècle, teinté de nostalgie. 59 La Terre, a été publié par Zola en 1887. 60 Le Naturisme est un mouvement poétique qui renoue avec la nature. 61 Les Quatre Evangiles et les Trois Villes marquent un tournant dans l’œuvre de Zola. Zola donne une dimension plus idéalisée de ces personnages. 62 CEARD Henri, Huysmans intime, Nizet, 1957, p. 135. 63 Germinal, pièce adaptée du roman, par Zola et W. Busnach. Siffer Roxane - 2010 13 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Libre en 1889, Le Bouton de Rose, au Théâtre du Palais-Royal en 1878, Les Héritiers Rabourdin, au Théâtre de Cluny en 1874. “Je rêve que le drame lyrique soit humain,sans répudier ni la fantaisie,ni le caprice, ni le mystère”64 Emile Zola C’est en 1891 que Zola voit son roman Le Rêve, adapté à l’Opéra-Comique, par Alfred Bruneau. Cette première collaboration “indirecte65” de Zola a néanmoins consacré le naturalisme, en tant que nouveau mouvement, sur la scène lyrique. Cette collaboration, mais plus encore cette entente intellectuelle, entre Alfred Bruneau et Emile Zola, a permis l’essor d’un nouveau courant, de par ses méthodes et de par ses thèmes abordés, sur la scène de l’opéra lyrique. Ainsi, l’analyse détaillée des éléments constitutifs du naturalisme nous permet de comprendre cette collaboration et la volonté d’Emile Zola de dépasser le champ strictement littéraire du naturalisme. L’analyse du naturalisme littéraire, nous permet également de mettre en exergue l’imprégnation des thèmes et des avatars classiques de ce mouvement sur le naturalisme lyrique. Cette théorie des vases communiquants est d’autant plus palpable qu’elle est un phénomène typiquement français, en opposition au vérisme italien, au banalisme et à la nouvelle objectivité. L’amitié d’Emile Zola et d’Alfred Bruneau marque une étape décisive dans la naissance du naturalisme, que nous mettrons en lumière, dans le corps du mémoire. Nous avons souligné que le naturalisme s’est érigé contre l’idéalisme et l’immobilisme des romantiques, en exprimant ce que les auteurs et compositeurs véristes italiens appellent: “Il squarcio di vita66”. Les véristes italiens et les naturalistes français partagent la volonté de présenter la “réalité”. Les relations et la parenté existant entre les véristes, essentiellement italiens et les naturalistes français, n’est toujours pas tranchée. En effet, il semble essentiel de souligner que la très grande proximité idéologique et esthétique des deux mouvements musicaux a suscité une confusion quasi systématique entre eux. Cependant, les critiques s’accordent à dire que le vérisme italien est à d’abord l’héritier puis, le dépassement du naturalisme. « I liberi besogni, che risentir si fanno, nell’ombra uccideranno le amare veglie e i sogni67» Giovanni Prati68 Littéralement, “Vérisme” signifie: “vero”, c’est-à-dire “vrai”, Giacomo Puccini a d’ailleurs déclaré: “Ce que je veux c’est d’être vrai”.

64 MITTERAND Henri, E.ZOLA, Œuvres complètes, Paris, Fasquelle-Tchou, Cercle du Livre Précieux, 15 vol., 1962-1969, t.15, pp. 830-834. 65 Par coopération indirecte, on souhaite souligner que Zola n’a pas rédigé le livret du Rêve mais qu’il devient le librettiste d’Alfred Bruneau au fil de leurs collaborations. 66 « Il squarcio di vita », littéralement « une tranche de vie ». Cette expression est au cœur de la pensée vériste dans la mesure où les compositeurs véristes mettent en scène le quotidien d’hommes, dans leur quoditien le plus ordinaire. 67 Littéralement : « Les besoins naturels qui feront sentir leurs exigences tueront les tristes rêveries ». Prati a défendu le travail, le contact avec la nature, la santé physique, aux dépens de l’idéalisme romantique. 68 Giovanni Prati est un poète italien dit du mouvement de « l’Arcadie romantique » : il récuse la sensiblerie, l’idéalisme des romantiques qui ont marqué de nombreuses générations du XIXème siècle. 14 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

Le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française69 définit le vérisme comme: “D’abord un mouvement littéraire italien de la fin du siècle dernier, inspiré par le naturalisme français et dirigé contre le romantisme”. Le vérisme musical naît officiellement en 1892 avec Cavalleria Rusticana70 de Pietro Mascagni71 et I Pagliacci72 de Ruggero Leoncavallo73 et il se poursuit au début du XXème siècle avec l’œuvre de Giacomo Puccini74 dont Tosca (1900) ou Madame Butterfly75(1904). Roland Mancini, spécialiste du répertoire lyrique, apporte des éléments de définition du vérisme musical, dans son célèbre Guide de l’Opéra: « Dans une acception courante, le terme de vérisme recouvre souvent tous les opéras de la Jeune école italienne écrits entre 1890 et 1910, quels qu'en soient le caractère, l'époque ou le lieu, où, selon l'expression de Celletti, "sous l'influence de Carmen et des éléments réalistes apportés par cette œuvre, le conflit entre l'Homme et le Femme s'est substitué au conflit romantique entre le Bien et le Mal”. Les véristes se sont donc identifiés, puis détachés de leurs mentors intellectuels naturalistes: «C'est à tort que l'on considère la littérature vériste, en Italie, comme une résultante et une sorte de dépendance du naturalisme français. A la vérité les deux mouvements sont parallèles. Sans doute, nos romanciers naturalistes, qui se trouvent être les aînés plutôt que les contemporains des véristes, ont exercé sur eux une certaine influence. Mais cette influence dont on pourrait noter quelque trace dans le détail, ne suffit point à établir une filiation : et les œuvres des Verga et des Capuana demeurent des œuvres profondément originales76”. Musicalement, Manfred Kelkel, dans son ouvrage Naturalisme, vérisme et réalisme dans l’opéra, différencie le naturalisme du vérisme, en insistant sur le “squarcio di vita”, en mettant l’accent sur les excès de la passion, aux dépens des questions sociales, chères aux naturalistes. L’intrigue se présente donc comme “une tranche de vie”, qui n’exclut pas les excès passionnels (Madame Butterfly de Puccini). Ce mouvement a été largement déprécié par la critique française. Debussy quant à lui, considère que le vérisme est “l’usine du néant77”. Pour le grand critique Dumesnil: “Cette musique superficielle et lâchée ne s’adresse point à l’âme et se contente de parler aux

69 ROBERT Olivier, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Société du Nouveau Littré, 1970, p. 1888. 70 Cavalleria Rusticana (1890) (Piste 1). 71 Pietro Mascagni (1863-1945) est un des plus grands compositeurs italiens, au tournant du XXe siècle. Il est considéré comme l’un des « apôtres » du vérisme italien. 72 I Paggliaci (1892), littéralement La Paillasse. 73 Ruggero Leoncavallo (1857-1919), compositeur italien, est particulièrement connu pour avoir composé I Pagliacci, manifeste vériste et Zazà (1900) 74 Giacomo Puccini (1858-1924) a composé l’un des plus grands opéras romantiques du XIXe siècle avec La Bohème, en 1896, d’Henri Murger, avant de se tourner vers le vérisme avec Tosca (1900). 75 Madame Butterfly (1904) (Piste 2). 76 TODD Edward, Le vérisme est les conteurs italiens, op. cit, pp. 297-298. 77 DEBUSSY Claude, « Reprise de La Traviata à l’Opéra-Comique », Gil-Blas, 16 février 1903, Monsieur Croche et autres récits, Lésure éd., Paris, Gallimard, 1987, p. 99. Siffer Roxane - 2010 15 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

sens78”.Leroux, éminent critique musical du XIXème siècle, dresse un portrait accablant du vérisme italien: “Qu’est-ce que le vérisme italien sinon le contraire de ce qu’on est en droit d’attendre d’un air qui se réclame d’une sorte de naturalisme musical? N’y-a-t-il rien de plus conventionnel que ces airs formulaires surannés, ces duos, ces trios construits d’après une échelle depuis longtemps en usage dans l’ancien opéra, dont la forme se trouve ainsi inutilement et surtout faussement perpétuée?79”. Cependant, d’un point de vue quantitatif, sur presque mille créations d’opéras entre 1890 et 1930, soixante peuvent être rattachées au vérisme ou au naturalisme. Contrairement au théâtre français, le théâtre transalpin est une institution quasiment privée au XIXème siècle. Ce sont les palchettisti80, issus de la bourgeoisie italienne qui soutiennent financièrement les théâtres81. En contrepartie, ils exercent un contrôle politique des programmes, en disposant d’un pouvoir de nomination des directeurs de théâtres ou le droit de fermer une salle d’opéra82. En France, le régime des subventions a été créé en 1822 et permet au directeur d’opéra de disposer du pouvoir de décision, de programmation et d’attribution des subventions. Ainsi, le vérisme permet de souligner les problèmes liés à la création et de son indépendance, vis-à-vis de l’administration des théâtres ou encore de l’édition. Les véristes ne partagent pas la volonté des naturalistes dans la démocratisation de la thématique lyrique. La thématique vériste a d’après Manfred Kelkel deux caractéristiques: “ Des sujets à fond historique et des sujets relevant de la comédie bourgeoise (…) La thématique sociale, comparable à celle de Messidor83 ou de Louise84, est quasi absente chez les véristes qui la remplacent par des sujets traitant du milieu rustique ou de personnages marginaux85”. D’après Manfred Kelkel, le vérisme est donc un mouvement artistique contrôlé en Italie et son succès répond également aux souhaits de tempérance et de consensus, exprimés par la société italienne, suite aux angoisses du Risorgimento. Il parle d’un:“Opéra tranquillisant qui, tout en répondant à ses aspirations (la société italienne), exprimerait des faits sociaux, mais sans véritable contestation et des sentiments auxquels chacun

78 DUMESNIL Robert, L’Opéra et l’Opéra-Comique, Paris, Seuil,1946, p. 111 79 ème LEROUX Xavier, « La musique au théâtre », Musica, 10 année, juin 1911, p. 126. 80 Les palchettisti, littéralement « propriétaires des loges » étaient de véritables mécènes ,en partageant la propriété des théâtres lyriques avec les municipalités. Le directeur de théâtre est donc un acteur de seconde envergure dans la mesure où il n’est qu’un administrateur. 81 D’HARCOURT, La musique actuelle en Italie, Paris, Duroily-Fishchbacher, 1907, pp. 10-11 : « Les propriétaires des loges s’établissent ordinairement par un droit que se sont réservé certaines familles qui, à l’origine, ont contribué à son édification, soit en donnant des terrains, soit en espèces de sorte que, si en principe les théâtres appartiennent aux municipalités, celles-ci ne sont que co-propriétaires avec diverses familles ». 82 Le Teatro Regio de Turin est notamment fermé en 1906 car les palchettisti refusaient d’augmenter leur subvention accordée à une programmation jugée « socialiste ». 83 , opéra d’Alfred Bruneau (1897). 84 Louise, de Gustave Charpentier (1900). 85 KELKEL Manfred, Naturalisme, vérisme et réalisme dans l’opéra, Paris, Vrin, 1984, p. 59. 16 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

pourrait s’identifier86 ”. La place des palchittesti dans la gestion et le financement du répertoire lyrique est intrinsèquement liée aux contenus des opéras véristes et des sujets abordés par leurs compositeurs. En effet, tout en affirmant leur volonté d’étudier les rapports sociaux, les compositeurs véristes escamotent la dimension sociale de leurs œuvres en préférant la conception psychologique à la conception sociale de l’art. La relative liberté des directeurs de théâtres lyriques français a permis de porter des opéras peu lucratifs mais idéologiquement et intellectuellement différents du répertoire classique. Les directeurs d’opéras apparaissent comme une des clés de voûte dans la diffusion d’un opéra naturaliste et par essence de son succès87. En France, l’Opéra- Comique a particulièrement soutenu la création et la diffusion d’opéras naturalistes88. En définissant le vérisme, nous avons pu mettre en lumière deux problématiques inhérentes au naturalisme français. D’abord, le naturalisme français a influencé, voire été imité par d’autres courants musicaux étrangers tels que le vérisme italien, le banalisme allemand89. Cette influence a été réelle sur le fond et non sur la forme, dans la mesure où le style musical épuré, le refus de toute figure mythologique, la familiarité de certains opéras, ont été jugés “impurs” par le bel canto. Ainsi, grâce aux éléments de définition du vérisme, le naturalisme français apparaît comme très peu mobilisateur à l’étranger. Enfin, en dénonçant la “vulgarité” et la rudesse de certains livrets naturalistes, le vérisme s’est finalement détourné de son premier modèle, pour créer un mouvement à part entière, marqué par les excès passionnés et l’escamotage de la question sociale. Le vérisme ne s’est pas enfermé dans un carcan esthétique et idéologique. En flattant l’amour propre de la bourgeoisie européenne, plus enclin aux thèmes grandiloquents et aux personnages mythologiques du répertoire classique qu’aux vies laborieuses du petit peuple, les compositeurs véristes ont pu pérenniser leurs œuvres au sein du répertoire classique90. En conclusion, nous pouvons retenir la célèbre formule de Bertol Brecht91: “l’opéra culinaire” a une fonction sociale importante, mais négligée par les compositeurs. D’après lui, la consommation d’un spectacle lyrique est assimilable à celle d’une drogue dans la mesure où elle est un divertissement régulier dont on perd la valeur par accoutumance. " Tous les arts sont comme des miroirs où l'homme connaît et reconnaît quelquechose de lui-même qu'il ignorait92 " E-A Chartier dit Alain

86 KELKEL Manfred, Naturalisme, vérisme et réalisme dans l’opéra, Paris, Vrin, 1984, p. 59 87 Aussi trivial que cela puisse paraître, l’opéra se « vit » dans les salles et non à domicile, dans la mesure où les disques phonographiques apparaissent en 1894. Les célèbres gramophones apparaissent à la fin du XIXème siècle et ne concernent qu’une infime partie de la population. 88 L’Opéra-Comique, crée en 1714 sous Louis XIV, inscrit sur la liste des théâtres nationaux en 2005. Le terme « Comique » désigne le souhait de jouer des morceaux en théâtre parlé, loin des canons de l’opéra chanté. Souvent considéré comme très inférieur à l’Opéra Garnier, l’Opéra-Comique a soutenu la création de 16 opéras naturalistes sur 25. 89 Le banalisme allemand est un mouvement musical né au début du vingtième siècle mettant en scène des « thèmes et personnages ordinaires », loin des canons lyriques de cette époque. 90 A titre d’exemple, l’on peut citer Madame Butterfly de Puccini. 91 BRECHT Bertol, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Verlag, 1955, p. 55. 92 ALAIN, Vingt leçons sur les Beaux-Arts, 1931. Siffer Roxane - 2010 17 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Le long travail sémantique peut être comparé à une autopsie du sujet que nous sommes amenés à traiter tout au long du mémoire. Après l’avoir défini et délimité chronologiquement, expliqué la genèse de sa construction mais aussi ses caractéristiques propres vis-à-vis de mouvements parents, le naturalisme musical semble être le fruit d’un long processus. Saisir la dimension cruciale de l’origine littéraire du naturalisme est essentielle pour comprendre l’enjeu idéologique plus qu’esthétique porté par le naturalisme. En prenant en compte la dimension politique et intellectuelle du projet naturaliste, le rôle des acteurs n’en est que d’autant plus important. Les compositeurs naturalistes ont pleinement adhéré à une esthétique nouvelle, une idéologie à contre-courant des canons lyriques du XIXème siècle. Ecrire ou composer le “réel”, répond au souhait de mettre l’homme à nu, de lui révéler des réalités qu’il a longtemps ignoré, du fait de l’influence de l’idéalisme et du romantisme au XIXème siècle. La citation du philosophe Alain peut être appliquée à la mission d’exégèse du naturaliste, c’est-à-dire révéler, interpréter et enseigner la réalité des rapports sociaux, du quotidien au plus grand nombre. Ce travail de réflexion entrepris par les naturalistes, nous permet de sonder les limites de ce miroir social et l’adhésion limitée des hommes à cette méthode expérimentale. De manière imagée, comme il existe des phénomènes parasites en optique ondulatoire93, l’imperfection du miroir peut entraîner l’imperfection de l’image renvoyée. La réflexion n’est pas parfaite, dans la mesure où une infime partie de l’information est transmise à travers le miroir. En physique ce phénomène s’appelle la diffraction. Ce parallèle nous permet de nous questionner sur l’efficacité de la méthode employée par les naturalistes pour transmettre un message à travers l’opéra. Considérés comme des antis romantiques et anti wagnériens, les compositeurs naturalistes ont dû “inventer” et non sans difficulté, un style musical à part entière tout en révolutionnant le contenu même des opéras. Ce double enjeu nous permet de mettre en exergue la difficulté de modeler un courant musical, porté par un très faible nombre de compositeurs et d’acteurs du monde culturel, dont l’existence et la pérennité sont intrinsèquement liées au contenu idéologique, porté par les figures du naturalisme littéraire94. Le naturalisme musical découle du naturalisme littéraire et cette filiation induit une abnégation presque religieuse aux idées défendues par les romanciers naturalistes95. Dès lors, le naturalisme musical apparaît d’ores et déjà comme un appendice du naturalisme, courant d’idées, réseau amical et intellectuel d’hommes partageant la volonté d’exprimer le réel à travers différents supports (le roman, le théâtre, l’opéra). Le génome de cette excroissance est intrinsèquement lié et dépendant du tronc, structure délimitée et portée par les romanciers naturalistes. Dès lors, la postérité du naturalisme musical, vis-à-vis du naturalisme littéraire est un moyen de souligner les emprunts mais aussi la possibilité d’étendre le combat naturaliste à d’autres sphères que la littérature ou le journalisme. Ainsi, nous sommes amenés à souligner les spécificités et les particularismes de ce courant musical vis-à-vis des standards musicaux de la fin du dix-neuvième siècle. De nombreux auteurs et essayistes ont souvent qualifié le naturalisme de combat musical. Dès

93 En physique, l’optique ondulatoire étudie notamment les imperfections liées à l’image renvoyée par le miroir. 94 Comme nous l’avons montré dans l’introduction, Zola est une des figures de proue du naturalisme. Son amitié et sa coopération avec Alfred Bruneau scelle l’acte de naissance du naturalisme mais plus encore le combat idéologique dans lequel s’engage le compositeur, aux côtés de Zola, lors de l’affaire Dreyfus. 95 Le terme d’abnégation semble justifié au regard de l’affaire Dreyfus notamment. En effet, les compositeurs naturalistes ont été assimilés, le plus souvent de leur plein gré, au combat d’Emile Zola en faveur du capitaine Dreyfus. Les conséquences d’un tel soutien ont eu un impact fondamental au regard de la critique, des directeurs d’opéras ou encore du grand public (ce point sera développé ultérieurement). 18 Siffer Roxane - 2010 Introduction.

lors, quelle est la nature de ce combat musical et quels ont été les outils mobilisés par les compositeurs naturalistes pour y contribuer? Ce questionnement nous permet de souligner les conséquences de l’engagement des compositeurs, des librettistes et des différents acteurs ayant pris part à la naissance d’un tel courant musical. Puis, nous sommes également amenés à nous intéresser aux outils, à l’écriture musicale mobilisés par les compositeurs naturalistes pour façonner ce mouvement. Ces artefacts stylistiques nous permettent de dépasser la dialectique romantisme-naturalisme et d’identifier un style musical à part entière, plaçant la question sociale au cœur de la composition. Dès lors, nous pouvons nous demander comment l’écriture musicale a-t-elle pu favoriser l’émergence du naturalisme et quelles ont été les techniques déployées par les compositeurs pour “parler de la question sociale”? Ainsi, adhérer à un tel courant idéologique nous permet d’étudier plus en détail l’impact et le poids d’un tel parti pris. En quoi l’écriture et la composition d’opéras naturalistes porte- t-elle les propres germes de son insuccès auprès du monde culturel et du grand public? En d’autres termes, nous sommes amenés à souligner la corrélation, voire la confusion existant entre les combats des romanciers naturalistes et le contenu des opéras naturalistes. Cette assimilation plus ou moins justifiée a permis de déplacer les débats politiques de la fin du dix-neuvième siècle96 sur la scène lyrique. Enfin, il nous semble essentiel de souligner les limites du naturalisme musical et d’en comprendre les raisons. La faible notoriété de ce courant musical est en partie liée au contexte de sa création et de son épanouissement. Au- delà même de son style musical à part entière, le naturalisme musical est très ancré dans un contexte historique qu’il n’a cessé de dépeindre à travers l’opéra97. Henri de Montherlant souligne qu’ “Il ne faut pas qu'un artiste s'intéresse trop à son époque, sous peine de faire des œuvres qui n'intéressent que son époque98”. La pérennité et la préservation du patrimoine musical français est un devoir des institutions culturelles mais le naturalisme musical est longtemps apparu comme secondaire au regard du répertoire lyrique. Les raisons d’un tel désamour et l’oubli d’une part du répertoire musical, mettent en lumière les enjeux politiques intrinsèquement liés à la diffusion du naturalisme. Le réveil tardif du naturalisme à l’opéra est en partie lié aux politiques volontaristes des opéras nationaux afin de faire revivre une part de l’héritage culturel français.

96 L’affaire Dreyfus notamment et la naissance d’une France coupée en deux camps : les dreyfusards et les anti-dreyfusards. 97 Le poids du contexte historique est sondable dans l’opéra Louise où Gustave Charpentier met notamment en scène une famille d’ouvriers, au cœur d’un Paris sombre et laborieux. De plus, les indications des livrets permettent de situerhistoriquement les personnages à la fin du XIXème siècle (décors, costumes, professions des personnages). 98 DE MONTHERLANT Henri, Carnets 1930-1944, 1957. Siffer Roxane - 2010 19 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

SECTION PREMIERE : Genèse et collaborations du couple fondateur : Zola-Bruneau

A°) L’acte de naissance du naturalisme : la rencontre d’Emile Zola et d’Alfred Bruneau

a.Le contexte de leur rencontre

« J’ai déjà dit que je voyais, dans cette apothéose de l’opéra chez nous, la haine des foules contre la pensée99 » Emile Zola Dans le cadre de notre introduction, nous avons pu souligner qu’Emile Zola s’est progressivement imposé comme le héraut et le père du naturalisme littéraire. Aux yeux du grand public, Emile Zola est plus souvent associé aux romans Germinal ou L’Assommoir qu’à sa contribution au répertoire musical. Ceci est d’autant plus viable qu’il a longtemps exprimé son désintérêt voire son mépris pour la musique. Parmi ses revendications, nombreuses sont celles exprimant de la condescendance pour la musique et plus particulièrement l’opéra : « La littérature demande une culture de l’esprit, une somme d’intelligence, pour être goûtée ; tandis qu’il ne faut guère qu’un tempérament pour prendre à la musique de vives jouissances100 ». 99 ZOLA Emile, Le naturalisme au théâtre, Œuvres complètes, Henri Mitterand éd., Paris, Fasquelle-Tchou, Cercle du livre précieux, 15 vol., p. 323. 100 ZOLA Emile, « La critique et le public », Le Naturalisme au théâtre, Henri Mitterand éd., Paris, Fasquelle-Tchou, Cercle du livre précieux, 15 vol., 1962-1969, t. 11, p. 318. 20 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

Il est même amené à critiquer la place de l’opéra : « Il tient une trop large place qu’il vole à la littérature, aux chefs-d’œuvre de notre langue, à l’esprit humain. Je vois en lui le triomphe de la sensualité et de la polissonnerie publiques101 ». Zola n’est pas un musicien émérite mais le chant et la musique jalonnent ses romans Nana ou Travail102afin de caractériser un milieu social ou des personnages. Dans la cité La Crêcherie de son recueil Travail, Zola montre l’apprentissage du chant auprès des enfants pour qu’ils chantent « plus tard dans l’existence entière. Un peuple qui chante est un peuple de santé et de joie103 ». Nana lui permet de condamner la décadence de la société du Second Empire et des opéras bouffes d’Offenbach, associés à la vulgarité : « J’aboie dès que j’entends la musique aigrelette de M.Offenbach (…) Jamais la farce ne s’est étalée avec une pareille imprudence ». Zola critique également les musiciens de son temps, témoignages vivants du romantisme exalté. Dans L’Oeuvre, Zola dénonce le manque de renouvellement, l’exploitation de thèmes surannés. Tout en admirant Wagner il considère qu’il faut s’en détacher. Il ajoute : « L’avenir appartiendra à celui ou à ceux qui auront saisi l’âme de la société moderne, qui, se dégageant des théories trop rigoureuses, consentiront à une acceptation plus logique, plus attendrie de la vie. Je crois à une peinture de la vérité plus large, plus complexe, à une ouverture plus grande sur l’humanité, à une sorte de classicisme du naturalisme104 ».

« La formule wagnérienne est la meilleure des formules, à condition d’en sortir105 » Emile Zola Après la débâcle française de 1870, Zola doit taire son wagnérisme, car la défaite contre l’Allemagne censure toute expression d’admiration pour l’auteur du Vaisseau fantôme. Sans récuser le génie wagnérien, Zola milite en faveur d’un drame lyrique français: “Alors, je me suis imaginé que le drame lyrique français, tout en partant de la symphonie continue à l’orchestre, qui développe les situations et commente les personnages, tout en ne faisant plus du chant que l’expression des cerveaux et des cœurs, pouvait s’affirmer à part dans la passion, dans la clarté vive du génie de notre race. Je vois un drame plus directement humain non pas dans le vague des mythologies du Nord, mais éclatant entre nous, pauvres hommes, dans la réalité de nos misères et de nos joies106”.

101 Ibid., p. 318. 102 ZOLA Emile, Travail, Œuvres complètes, Henri Mitterand éd., Paris, Fasquelle-Tchou, Cercle du livre précieux. 103 ZOLA Emile, Travail, Œuvres complètes, op. cit., t. 8, p. 891. 104 HURET Jules, Enquête sur l’évolution littéraire, Grojnowski éd., Les Editions Thot, 1982, p. 159. 105 ADERER A, « M. Emile Zola et la musique », Le Temps, art. cit, p.183. 106 ZOLA Emile, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, Hachette 1962, sous la direction d’Henri Mitterand, op. cit., p. 832. Siffer Roxane - 2010 21 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Zola a rencontré Alfred Bruneau107 en mars 1888, grâce à Frantz Jourdain, jeune architecte novateur et ami de l’écrivain. Cette rencontre a priori fortuite a mené à l’une des amitiés les plus prolifiques d’un point de vue artistique comme intellectuel : « Ce fut en mars 1888 que mon ami Frantz Jourdain voulut bien me présenter à Emile Zola. Je ne me doutais guère, au moment où s’ouvrit devant moi la porte du célèbre écrivain, des conséquences extraordinaires qu’aurait pour ma vie d’artiste et même de simple citoyen cette audacieuse visite108”. Pour Zola, l’expérimentation, chère à l’esprit naturaliste, doit aller de pair avec la modernité, c’est-à-dire la scène lyrique. Les attentes d’Alfred Bruneau sont relativement proches de celles exprimées par Zola : « Plus séduit par le théâtre que par la symphonie, (…) je cherchais une pièce de construction logique, émouvante, humaine, où la poésie et le réalisme s’unissent étroitement, et dont les personnages, appartenant à un temps rapproché du mien, me permettraient d’exprimer de manière directe mes propres sentiments109 ». Cette affirmation nous permet de souligner la volonté des deux hommes d’adapter à la scène lyrique française les avatars esthétiques de l’opéra wagnérien tout en y associant la question sociale. Dès 1884, Zola a autorisé Jules Massenet110 à adapter La Faute de l’abbé Mouret111 sur la scène lyrique. A cette époque, nombreux spécialistes du romancier, notent une évolution dans la carrière et l’entourage de Zola, le cercle naturaliste ayant éclaté112. Comme nous l’avons montré en introduction, le romancier a essuyé des succès en demie teinte, au théâtre mais il considère que toute support ou moyen d’expression sont des moyens de poursuivre la campagne naturaliste. Le désir de renouvellement touche à la fois le fond et la forme des opéras naturalistes. Zola souligne ce qui l’intéresse dans le drame lyrique : « Les tourments, les craintes, les espoirs, les ambitions, les passions de l’homme et de la femme moderne ». Il souhaite que la musique « apporte à son oreille l’écho des désirs et des souffrances qui troublent les hommes et les femmes d’aujourd’hui 113». Le naturalisme lyrique, initié par la collaboration Zola-Bruneau s’appuie sur le registre dramatique, témoignage des préoccupations de la société contemporaine : la justice sociale et l’amour. En s’inspirant puis en s’émancipant du maître (Wagner), les naturalistes pourraient intégrer une dimension sociale dans les opéras tout en faisant évoluer la forme. En effet, dès 1891, Emile Zola ambitionne de rédiger des livrets en prose: « C’est une tentative qui reste à faire et qui, je crois, ne manquera pas d’intérêt114 ». Le projet zolien qui nécessite une double révolution, tant sur la forme que sur le fond, se concrétise dès 1891 grâce à l’adaptation du Rêve. 107 Alfred Bruneau (1857-1934) est considéré comme le plus grand compositeur naturaliste, du fait de ses nombreuses collaborations et de sa fidélité à l’esprit et aux problématiques développées par le naturalisme. 108 BRUNEAU Alfred, A l’ombre d’un grand cœur, Slatkine Reprints, 1980, p. 9. 109 BRUNEAU Alfred, À l’ombre d’un grand cœur, 1931, Paris, Slatkine reprints, 1980, p.10. 110 Jules Massenet (1842-1912) est un des plus grands compositeurs de la fin du dix-neuvième siècle en France. Ses plus grandes œuvres sont Manon (1884) et Werther (1892). 111 La Faute de l’abbé Mouret est un roman d’Emile Zola écrit en 1875 et cinquième volume des Rougon-Macquart. 112 Les naturalistes n’ont jamais vraiment formé d’école comme nous avons pu le souligner en introduction. Nous pouvons notamment évoquer le « Manifeste des Cinq », rédigé le 18 août 1887, dans Le Figaro. 113 KELKEL Manfred, Naturalisme, vérisme et réalisme dans l’opéra, Paris, Vrin, cit. p. 73. 114 MACKE J.- S, « Une interview d’Emile Zola (L’Echo de Paris, 7 juin 1891) », art. cit, p. 340. 22 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

b.La mise en scène du Rêve comme première étape de cette collaboration

« Abandonner les légendes pour les drames, taillés en pleine vie115 » Emile Zola Cette citation est un des préceptes de Zola adressé au jeune compositeur, Alfred Bruneau. Ce dernier est né à Paris le 3 mars 1857 et devient l’un des élèves de Massenet. Bruneau « fait ses gammes » dans une période post romantique. Musicalement parlant, l’œuvre de Berlioz et le romantisme s’achèvent avec Les Troyens116. La défaite de la France, à l’issue de la guerre franco-prussienne, favorise le retour à l’art français. La Société Nationale de Musique est fondée en 1871 par Camille de Saint-Saens117, afin de soutenir et diffuser les compositeurs français118. A la même époque, Carmen de Bizet révolutionne le répertoire lyrique. Carmen initie le réalisme musical en plaçant l’orchestre au centre du drame. Dans le même temps, Wagner exerce une influence sans précédent sur les compositeurs de son temps par sa maîtrise des leitmotiv119 et la composition d’opéras faits de grandes tragédies, tirées de mythes nordiques. Les musicologues considèrent que l’œuvre de Bruneau a subi une triple influence du point de vue esthétique et technique : Wagner, Bizet et Massenet. Cependant, l’œuvre de Bruneau est mu par la volonté de lutter contre la tradition sclérosante de l’opéra lyrique. Après avoir rencontré Bruneau, Zola se reconnaît incapable de versifier un livret d’opéra et il confie cette tâche à Louis Gallet120 : « Je suis très heureux qu’un homme de votre grand talent et de votre grande expérience veuille bien se charger d’un travail qui ne sera pas commode, je le crains121”. Le 18 juin 1891, Le Rêve122 est représenté pour la première fois à l’Opéra-Comique. La collaboration entre les deux hommes est d’abord amicale mais la contribution de Zola fascine la presse. Le 30 octobre 1888, Mario Fenouil dans Le Gaulois fait part de son étonnement: « Une véritable surprise artistique nous est réservée pour cet hiver.￿Le Rêve, le dernier roman de M. Emile Zola, sera transformé en un opéra en trois actes, grâce à la complicité de MM. Louis Gallet, le librettiste bien connu, et Bruneau, l'élève de Massenet, le compositeur de Kérim”. De l’adaptation du Rêve, résulte un appauvrissement de la dimension sociale et psychologique du roman. D’ailleurs, Jean-Max Guieu, dans Le théâtre lyrique d’Emile Zola, souligne à plusieurs reprises la liberté accordée aux librettistes par Zola, pour l’adaptation de ses romans123. C’est cette épuration involontaire de la dimension sociale du roman zoléen qui explique le rapprochement opéré entre Zola et Bruneau, entre le librettiste et le compositeur. 115 ZOLA Emile, Le drame lyrique, dans « Le Journal » du 22 novembre 1893. 116 Les Troyens (1863) est un opéra en cinq actes d’Hector Berlioz. 117 Camille de Saint-Saens (1835-1921) est un des compositeurs les plus inspirés et acclamés de sa générations. Ses plus grandes œuvres sont Le Carnaval des animaux (1886) et l’opéra Samson et Dalila (1867) op.47. 118 Robert Frédéric, La musique française au XIXe siècle, P.U.F. Que sais-je?, 1963-1991, p. 39 119 Les leitmotiv et leur rôle font l’objet d’une définition approfondie dans la suite du mémoire. 120 Louis Gallet (1835-1898) est un librettiste ayant collaboré avec Bruneau, Massenet ou Saint-Saens. 121 ZOLA Emile, Correspondance, Tome VI, p.343. 122 Le Rêve d’Alfred Bruneau (1891) (Piste 3). 123 GUIEU J.-M, Le théâtre lyrique d’Emile Zola, Fischbacher, 1983, p. 47. Siffer Roxane - 2010 23 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

“Oh ! la guerre ! Héroïque leçon et fléau de la terre124 !” L’Attaquedu Moulin de Bruneau et Zola L’Attaque du Moulin125 est une étape décisive dans la genèse du naturalisme musical: “Nous estimâmes nécessaire de traiter un sujet entièrement différent, d’opposer au mysticisme intime qui m’avait tant séduit quelque chose de plus large, de plus général et de plus extérieur. Zola attira mon attention sur L’Attaque du Moulin(…)126”. Le contexte historique entourant le roman se situe durant la guerre franco-prussienne de 1870 mais il n’est pas annoncé dans le livret. Les raisons sont éminemment politiques dans la mesure où le directeur de l’Opéra Comique, a souligné la nécessité de ne pas représenter des évènements récents. Trente ans après la débâcle française, Léon Carvalho craint de trop vives réactions au sein de l’auditoire et demande à Louis Gallet de situer l’intrigue durant la Révolution, sans pour autant donner d’indications temporelles dans le livret. Cependant, il suffit de se référer à l’œuvre de Zola pour saisir la portée politique de l’œuvre littéraire, puis musicale: la guerre demeure un fléau intemporel127. Zola ne rédige qu’un texte, connu sous le nom des “Adieux de la forêt”. Ce texte, rédigé en alexandrins, repose sur trois thèmes récurrents: la mort, la nature et l’amour, le second atténuant la douleur des amants devant la mort. L’Attaque du Moulin est avant tout un plaidoyer contre la guerre. Marcelline est un personnage inventé de toute pièce afin de souligner l’absurdité et les dommages engendrés par le conflit. La force de cet opéra est de dépasser le clivage habituel, opposant deux nationalités ; le spectateur s’émeut tant pour le soldat prussien que pour le soldat français. L’opéra naturaliste exprime la réalité, y compris dans ses manifestations les plus troublantes, afin de sensibiliser le public à l’absurdité de la guerre. A l’issue de ces deux premiers opéras, Zola prend une part plus importante à la rédaction des livrets d’opéras, jusqu’à devenir le librettiste de Bruneau. Zola engage un long travail de conceptualisation du drame lyrique et ce dès le début de sa coopération avec Bruneau, dans un célèbre article du Journal, le24 novembre 1893. Il y affirme la nécessité du poème dans le drame lyrique. Pour Zola: “le poème n’est pas seulement qu’un prétexte à la musique128”. Le drame lyrique doit évoquer les réalités quotidiennes: “Dans un drame lyrique, selon moi, il doit y avoir un milieu nettement indiqué et des personnages vivants, en un mot, une action humaine que le rôle du musicien est uniquement

124 ZOLA Emile, L’Attaque du Moulin, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, Hachette 1962, sous la direction d’Henri Mitterand. 125 L’Attaque du Moulin (1893) d’Alfred Bruneau (Piste 4). 126 BRUNEAU et GALLET, Le Rêve, Charpentier, 1900, p.39. 127 Bruneau n’a pas manqué de manier le registre de l’ironie. Quand Napoléon III arrive avec ses troupes sur les champs de bataille, Bruneau insère le son d’un fifre, qui est l’emblème même de l’armée du Napoléon Bonaparte. Le Napoléon, vainqueur de grandes batailles s’oppose au Napoléon III de Sedan. 128 Emile Zola, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, Hachette 1962, sous la direction d’Henri Mitterand, XV, pp. 830-834. 24 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

de commenter et de développer129”. Le Naturalisme au théâtre lui servira de référence pour les trois livrets qu’il rédigera pour Bruneau.

c. Zola romancier, Zola librettiste

«Exegi monumentum aere perennius130” Horace Le 19 février 1897, l’Opéra de Paris présente Messidor131, drame lyrique en quatre actes, d’après le livret d’Emile Zola et la composition d’Alfred Bruneau. Messidor est étroitement lié à l'œuvreGerminal, écrit la même année. Le choix de deux mois du calendrier révolutionnaire peut être analysé d'un point de vue symbolique. D'abord, Germinal illustre le temps des semences, des prémices. Le peuple est maudit et ataviste mais il a montré qu'un vent de révolte a germé. Dans le calendrier révolutionnaire132, Germinal correspond au mois d’avril et Messidor est le mois des moissons, juillet dans le calendrier révolutionnaire. Messidor est la récolte du fruit, semé durant Germinal, c’est à dire le fruit de la révolte133. Dès lors, nous pouvons noter une corrélation et une suite logique existant entre les deux œuvres d'Emile Zola. Les personnages des deux œuvres comportent de nombreux points communs. Mathias est anarchiste comme Etienne dans Germinal.

Messidor (1897) marque un tournant sur la scène lyrique, en consacrant un opéra totalement dénué de tout lien avec la mythologie, l’idéalisme ou l’héroïsme. Messidor, narre l’histoire d’une famille de pauvres paysans, anciens chercheurs d’or de l’Ariège. Les protagonistes Guillaume et Véronique cultivent une terre asséchée par Gaspard. Ce dernier a construit une usine afin de récupérer l’eau des montagnes et l’or qu’elle contient. Guillaume est par ailleurs amoureux d'Hélène qui n'est autre que la fille de Gaspard, assassin du père ce ce premier. Mathias est un citadin anarchiste, détruit l'usine et tue Gaspard. Guillaume peut enfin épouser Hélène, la fille du riche propriétaire. Le succès de cette pièce est compromis du fait de l'affaire Dreyfus et du parti pris de Zola, seules 13 représentations sont données à l'Opéra de Paris. Messidor est une Révolution musicale et ce à double titre. D’abord, Bruneau est arrivé, au prix de nombreux efforts à convaincre Zola d’écrire le livret de cet opéra. En effet, le triangle Gallet, Bruneau, Zola a posé un certain nombre de problèmes d’ordre esthétique et intellectuel. Progressivement l’amitié et l’entente de naguère s’est erronée

129 Ibid.,op. cit., p. 830. 130 HORACE, IIIème livre des Odes, trentième vers : « J’ai achevé un monument plus durable que l’airain ». Horace utilise cette citation en terminant ses trois premiers livres et leur assurant l’immortalité. 131 Messidor, L’or de l’Ariège (1897), (Piste 5). 132 Le calendrier révolutionnaire a été inventé en 1792 par Gilbert Romme et il a été appliqué jusqu’à 1806, puis repris durant la Commune de Paris en 1871. Les mois d’hiver s’achèvent par –ôse- (Niviôse, pluviôse, ventôse), le printemps par –ale- (germinal, floréal, prairial), l’été par –idor- (Messidor, thermidor, fructidor) et les mois d’automne se terminent en –aire- (vendémiaire, brumaire, frimaire). 133 La fin de Messidor est relativement heureuse puisque Gaspard est assassiné et Mathias peut enfin épouser Hélène. Cette issue idéaliste et manichéenne a été reprochée à Emile Zola. Nombreux critiques lui ont reproché l’affaiblissement de son combat naturaliste sur la scène lyrique. Siffer Roxane - 2010 25 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

entre le compositeur et son librettiste. Le second changement majeur est lié à l’absence de versification du livret, au profit de la prose, chère à Zola. Nous verrons par la suite que cette « profanation » des canons lyriques134 a été largement dénoncée par les critiques: “Un jour on s’apercevra que le meilleur style, au théâtre, est celui qui résume le mieux la conversation parlée, qui met le mot juste en sa place, avec la valeur qu’il doit avoir. Les romanciers naturalistes ont déjà écrit d’excellents modèles de dialogues ainsi réduits aux paroles strictement utiles135". Zola a clairement assumé sa médiocrité à versifier les livrets:"Ma seule vanité est d’avoir eu conscience de ma médiocrité de poète et de m’être courageusement mis à la besogne du siècle, avec le rude outil de la prose136”. Il s'agit d'une libération du drame lyrique dans la mesure où cette œuvre est authentiquement naturaliste. Le petit peuple est décrit à travers cet opéra. Après, Le Rêve, L’Attaque du Moulin et Messidor, Zola a offert une nouvelle dimension au combat naturaliste. La scène lyrique apparait comme un moyen de promouvoir et de valoriser des conceptions politiques, esthétiques et intellectuelles137 tout au long du XIXème siècle. Le naturalisme n’a pas manqué d’exister sur la scène lyrique en proposant une œuvre novatrice, d’abord portée par un écrivain de renom.

B°) L’œuvre singulière d’Alfred Bruneau

a. Bruneau comme l’avant-garde du naturalisme musical

« Une œuvre n’est qu’une bataille livrée aux conventions, et l’œuvre est d’autant plus grande qu’elle sort victorieuse du combat138 » Emile Zola Après avoir mis en exergue la genèse et le développement du naturalisme sur la scène lyrique à travers trois œuvres majeures, il nous importe d’étudier les variations de l’œuvre d’Alfred Bruneau. Ce dernier a souvent été considéré comme étant le héraut de ce mouvement musical, du fait de ses liens tenus avec Zola. Cependant, nous pouvons noter plusieurs étapes dans le travail de composition d’Alfred Bruneau en association avec Zola, puis seul, après la mort de ce dernier.

134 L’opéra en prose a eu une postérité avec Debussy et son célébrissime Pelléas et Melisande ou encore Louise de Charpentier. 135 ZOLA Emile, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, X, p. 1256. 136 ZOLA Emile, Correspondance, Tome IV, lettre n°175, p. 241. 137 La scène lyrique est un excellent moyen de promotion des idées politiques dans la mesure où il est un des rares moyens de divertissement au XIXème siècle. Au théâtre, la fameuse bataille d’Hernani, opposant les romantiques, autour de Victor Hugo, aux classiques, partisans d’une hiérarchie des genres théâtraux, a eu lieu en 1830. Les romantiques soutiennent la pièce d’Hugo et invectivent les classiques, en rompant avec les standards classiques, imposés par Boileau (les trois unités de temps notamment). 1830 est aussi l’année de La Symphonie fantastique de Berlioz et du Rouge et le Noir de Stendhal, deux monuments du romantisme. 138 ZOLA Emile, Le naturalisme au théâtre, « Les décors et les accessoires », Œuvres complètes, Henri Mitterand éd., Paris, Fasquelle-Tchou, Cercle du livre précieux, 15 vol. 26 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

“Notre vie va être changée, tellement l’ouraganaura fait de désastres139” Emile Zola Une des grandes œuvres née de la coopération artistique entre Bruneau et Zola est L’Ouragan en 1901. Zola rédige ce livret avec une plus grande facilité et l’amitié entre les deux hommes semble inébranlable suite à l’affaire Dreyfus L’Ouragan est vraisemblablement l’œuvre de la maturité pour les deux hommes. Henri Mitterand, grand spécialiste du romancier, souligne la difficulté du projet d’Alfred Bruneau et d’Emile Zola du fait de l’exil de ce dernier, suite à l’affaire Dreyfus (1894-1906). Finalement, L’Ouragan est représenté douze fois, dont la première à l’Opéra-Comique140 le 29 avril 1901. L’Ouragan des éléments naturels est étroitement lié avec la tempête des passions, thème au cœur de cet opéra. Zola explique la métaphore filée de l’ouragan dans son opéra : « L’Ouragan devient bien le sujet : c’est l’ouragan qui a amené l’Espérance ; c’est l’ouragan qui souffle dans mes personnages et les jette aux passions et aux actes extrêmes. Et enfin, le dénouement est dans la fin de l’ouragan, dans le départ au milieu du calme qui se refait sur la mer et chez les hommes 141». Richard, accompagné d’une enfant exotique Lulu, accoste sur une île, après avoir surmonté une terrible tempête en haute mer. Après une longue période d’exil, Richard revient sur cette île, dans laquelle il a grandi naguère. Entre temps, son amour de jeunesse Jeanine a épousé son frère Landry. Jeanine l’aime toujours et souhaite quitter Landry. Marianne, la maîtresse de l’île incite Landry à tuer Richard pour éviter l’adultère de son épouse. En réalisant sa faute, Marianne finit par assassiner Landry mais Richard comprend que la mort de son frère l’empêche d’aimer Jeanine d’où son départ de l’île : « Adieu, adieu, à jamais, pour l’éternel voyage, par l’infini des mers142”. Etienne Destranges, célèbre critique musical et ami d’Alfred Bruneau a mis l’accent sur un aspect intéressant de cet opéra. La fin de l’opéra traite de l’amour impossible entre Jeanine et Richard, qui oblige ce dernier à errer éternellement sur les mers. Ce fatalisme est inspiré du Der Fliegende Holländer, littéralement le “Hollandais volant”, célèbre mythe marin143. Collin de Plancy144 explique qu’il s’agit d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice de Dieu, à errer éternellement en mer, du fait des crimes commis. Nous pouvons noter cette nouvelle analogie entre l’œuvre de Richard Wagner et celle d’Alfred Bruneau. Cependant, le thème du Hollandais volant, expliqué par Wagner prend tout son sens, compte tenu les récents évènements vécus par Emile Zola: “La figure du « Hollandais volant »(…) exprime avec une saisissante énergie le désir primordial de repos de l’être humain (…) l’aspiration au repos après les tempêtes de la vie. Dans la sérénité du monde hellénique, nous le trouvons dans les errances d’Ulysse, dans sa nostalgie de la patrie, de la maison, du foyer et de la femme145”. L’Ouragan (1901) correspond à la plénitude

139 ZOLA Emile, Correspondance, IX, lettre 304, p. 421. 140 Bruneau a insisté pour que L’Ouragan soit représenté à l’Opéra-Comique, à cause des difficultés techniques et de mise en scène au Palais Garnier pour Messidor. 141 LAVILLE Béatrice, Modernités 20, Champ littéraire fin de siècle autour de Zola, « Zola et la scène lyrique, L’Ouragan », Henri Mitterand, Paris, Presses universitaires de Bordeaux, 2004. ZOLA Emile, L’Ouragan, Œuvres complètes, XV, Cercle du Livre Précieux, p. 640. 142 DESTRANGES Etienne, L’Ouragan, étude analytique et thématique, Fischbacher, 1902. 143 Le mythe du Hollandais volant a notamment inspiré Le Vaisseau Fantôme de Wagner en 1843. 144 DE PLANCY Collin, Dictionnaire infernal, Mellier, Paris, 1844, p. 322. 145 WAGNER Richard, Une communication à mes amis, 1850, Delagrave. Siffer Roxane - 2010 27 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

ressentie par Emile Zola, après les affres de l’affaire Dreyfus. Zola a exprimé son besoin d’écrire un tel opéra durant son exil mais cette souffrance est encore plus palpable avec l’Enfant Roi.

“Tu n’as pas droit au sommeil, au néant, il faut du pain, du pain, du pain, pour Paris qui dévore et qui enfante146” L’Enfant Roi, Zola et Bruneau Dans l’opéra L’Enfant Roi, Zola situe l’action dans le quartier de La Madeleine pour favoriser le phénomène d’identification du public avec les personnages mis en scène. François et Madeleine vivent avec Georget, fruit d’une première union. Le drame lyrique met en scène la souffrance éprouvée par François face à son impossibilité d’engendrer: “Jaloux d’un enfant, je suis jaloux d’un enfant ! Est-ce possible d’être tombé à cette misère ? Moi qui en souhaitais un de tout mon désir éperdu, moi qui l’aurais adoré de tout mon cœur attendri !147” Georget quant à lui souffre d’être un enfant illégitime, “sans véritable nom”. L’Enfant Roi s’inscrit dans la tradition zolienne et dans le prolongement des Rougon- Macquart pour plusieurs raisons. D’abord, le décor et le contexte du drame lyrique expriment une certaine parenté avec Le Ventre de Paris, ville symbole de l’Enfer, des immondices et de l’extrême pauvreté du petit peuple. Puis, la souffrance exprimée par François est étroitement liée à celle d’Alexandrine Zola148, souffrant de ne pouvoir enfanter et victime de l’adultère de son mari et les deux enfants illégitimes qu’il a eus avec Jeanne Rozerot. Puis, l’enfance illégitime et la perte du père149 est un thème récurrent dans l’œuvre zolienne et une constante dans les Rougon Macquart150. Les drames lyriques du Zola-librettiste sont marqués par deux constantes. Le premier thème récurrent est celui du travail. Il est à la fois indissociable de l’œuvre et de l’esprit zolien des Rougon-Macquart mais aussi omniprésent sur scène. D’autre part, le thème de la fécondité occupe une place fondamentale dans le drame lyrique zolien. En effet, l’exemple de L’Enfant Roi, nous permet à nouveau d’insister sur le rôle de l’enfant. Il a engendré la discorde et le malheur mais il a été le facteur de réconciliation du couple151. Il est symboliquement associé à l’avenir, à la rédemption: “La Grand-Mère: Tu apportes la paix. Par ce beau matin de Paris, tu apportes la joie, ô Georget152!”. Du vivant de Zola, on compte encore deux coopérations artistiques entre le librettiste et le compositeur Bruneau. Violaine la Chevelue n'a pas été mise en musique par Bruneau du fait de sa trop grande proximité avec Messidor. Violaine la Chevelue est un opéra féérique qui se rapproche des écrits de jeunesse du romancier153. Cet opéra raconte l'impossible

146 ZOLA Emile, L’Enfant Roi, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, XV, p. 704. 147 ZOLA Emile, op. cit., p. 707. 148 Alexandrine Zola (1839-1825), épouse d’Emile Zola a notamment acheté Médan, où le cercle des écrivains naturalistes a passé de nombreux étés, autour de leur maître spirituel. 149 Emile Zola a perdu son père à l’âge de sept ans, suite à une pneumonie mal soignée. Une analogie intéressante est celle du prénom du personnage, le père de Zola s’appelait lui-même François. 150 Dans Une Page d’amour (1878), Jeanne perd son père. 151 Dans cet opéra, l’enfant est finalement « adopté » par François comme son propre fils. 152 ZOLA Emile, op., cit., p. 715. 153 ZOLA Emile, La Fée amoureuse, 1859. 28 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

naissance du printemps du fait de la lutte acharnée du peuple contre les Princes. En filigrane, il est possible de lire la lutte opposant le prolétariat au patronat. La terreur, la violence et la haine empêchent la naissance d'un nouvel âge. Le roi Silvère, au prix d'un long conflit avec Albéric, épouse Violaine, dont la chevelure symbolise le printemps, la fécondité et la renaissance, après "l'hiver": Nérée, Célie, Luce en choeur: "Miracle, miracle ! C’est la floraison annoncée, le prodige qui fleurit la femme de la vivace chevelure de jeunesse et d’amour154".

Le personnage de Silvère a une consonnance particulière dans l'oeuvre zolienne. Après le héros maudit des Rougon-Macquart, Zola donne une seconde vie à Silvère, dans Violaine la Chevelue, telle une résurrection.

“Va, va, laisse-moi mourir, et retourne à ton art, puisque tu as préféré ton art à mon amour155" Sylvanire de Bruneau et Zola

La dernière œuvre de la coopération entre Bruneau et Zola, de son vivant, est Sylvanire ou Paris en Amour. Sylvanire est une danseuse à l'opéra de Paris, éprise d'un sculpteur, Gilbert. Leur amour est impossible car Sylvanire est animée d'une passion, bien plus violente et dévorante: l'art. Paris occupe une place centrale dans cet opéra. Le Paris des passions, le Paris du bouillonnement culturel, le Paris de l'amour et de la mort: Gilbert: "Paris, Paris étincelant ... Il m’avait donné mon amour, il est là qui en reçoit le dernier souffle. Godefroid: "Mon pauvre petit !... Ah ! Paris qui mange les cerveaux et les cœurs, Paris qui tue et qui enfante156". Paris engendre la mort de l'amour entre deux êtres et celle de Gilbert. On retrouve les personnages classiques de l'œuvre zolienne: le prolétariat, les nobles, les artistes. Sylvanire est la dernière œuvre de Zola mais aussi un agrégat d'une riche carrière littéraire. Henri Mitterand note une évolution majeure dans l'œuvre zolienne, durant sa brève carrière de librettiste. En effet, avec Violaine la Chevelue, Zola confirme la dimension symboliste de ses œuvres: "La vérité monte d’un coup d’aile jusqu’au symbole157" Loin de se détourner du réalisme, Zola ajoute une dimension supplémentaire à son œuvre. De nombreux critiques ont reproché à l'auteur des Rougon-Macquart d'avoir introduit des éléments symbolistes. Dans son essai Claude Seassau158, Emile Zola et le réalisme symbolique, apporte des éléments de définition du réalisme symbolique de Zola, à la fin de sa vie. Il s'agit a priori d'un oxymore, Claude Seassau justifie le réalisme symbolique ainsi que: " (...) Deux pôles semblent s’opposer: celui de la réalité décrite telle qu’elle se présente, le pôle mimétique, et celui de la réalité transfigurée par l’écriture, le pôle symbolique". Zola est particulièrement influencé par le mouvement parnassien et les correspondances qu'il

154 ZOLA Emile, Violaine la Chevelue, Oeuvres Ccomplètes, XV, p. 633. 155 ZOLA Emile, Sylvanire ou Paris en Amour, Oeuvres complètes, XV, p. 760. 156 Emile Zola, Sylvanire ou Paris en Amour, Oeuvres complètes, XV, p. 761. 157 ZOLA Emile, Correspondances, Lettre à Henri Céard, 22 mars 1885. 158 SEASSAU Claude, Emile Zola et le réalisme symbolique, Paris,1988, 440p. Siffer Roxane - 2010 29 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

entretient avec de nombreux poètes contemporains. Tout comme Baudelaire, il cherche à traduire les odeurs par la musique."La symphonie des fromages" ou la mort d'Albine asphyxiée par des fleurs, dans La Faute de l'Abbé Mouret, témoignent de l'importance de la synesthésie dans l'oeuvre zolienne. Ainsi, la coopération d'Alfred Bruneau et d'Emile Zola n'est pas dénuée d'éléments mystiques, poétiques et lyriques bien que l'esprit, les personnages et le contexte spatio-temporel soient pour l'essentiel, transposables dans la réalité.

“Les morts ne parlent pas. Et je suis, comme , un mort, tant que la trompette sacrée de la justice enfin triomphante ne m’aura pas réveillé159” Emile Zola A la mort de Zola en 1902, Alfred Bruneau met en musique Lazare, drame lyrique en un acte, écrit en 1893: “Il y a trois mois environ, indigné de l’attitude de certains bandits de la critique, j’ai fait passer dans Le Matin la petite note suivante: “Dès le lendemain de la première représentation de l’Enfant Roi, M.Alfred Bruneau s’est remis au travail. Il a choisi, parmi les poèmes qu’Emile Zola lui a laissés, un drame lyrique, dont le titre est Lazare (…)”. Comme ça les cochons qui me conseillent de quitter Zola savent à quoi s’en tenir160”. L’histoire de cet opéra diffère des Evangiles161, dans la mesure où Lazare, ressuscité par Jésus, après les implorations de sa mère et de sa sœur, regrette la mort et supplie Jésus de retourner à la terre. Jésus accomplit le souhait de Lazare. Cet oratorio162 illustre l’état d’esprit d’Emile Zola, à l’issue d’une vie de luttes, l’homme des convictions et des combats politiques, aspire au repos. Le thème de la mort est une récurrence du drame zolien. On peut notamment citer La mort d’Olivier Bécaille 163et l’importance accordée à la nuit, l’enlisement ou la résurrection dans l’œuvre de Zola. Le mythe de Lazare a déjà été utilisé dans Le Rêve: Jean:“Pendant une peste cruelle, Il pria tant que Dieu le fit vainqueur Du terrible fléau. - Pour ramener la vie Aux corps déjà glacés par l’agonie, Il se penchait vers eux, 159 ZOLA Emile, Correspondance IX, lettre 281, à Paul Alexis, p. 394. Dans cette lettre, Zola parle de son exil anglais, en se comparant à Lazare, héros du drame lyrique éponyme. Le combat naturaliste est un combat de tous les instants et aucun moyen d’expression n’est exclu. 160 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 206. 161 La résurrection de Lazare dans l’Evangile selon Saint-Jean, verset 11 : Marthe et Marie implore Jésus de rendre la vie à Lazare, leur frère. Jésus ressuscite Lazare, après la profession de foi de ses sœurs. 162 L’oratorio est un drame lyrique, très souvent religieux, sans décor, ni mise en scène : L’Enfance du Christ, d’Hector Berlioz (1854), Ivan le Terrible de Prokofiev (1962). 163 ZOLA Emile, La mort d’Olivier Bécaille, 1879. Cette nouvelle rapporte l’histoire d’un homme enterré vivant et de sa lutte accharnée pour vivre au sein du monde des vivants. Ce thème de la résurrection est très présent dans les romans du XIXème siècle : Le Colonel Chabert d’Honoré de Balzac est un exemple sans commune mesure. 30 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

Les baisait sur la bouche et n’avait rien qu’à dire Aux mourants : « Si Dieu veut, je veux ! » On voyait les mourants sourire164” Lazare est aussi un des personnages clés des Quatre Journées de Jean Gourdon, adapté par Bruneau, après la mort de Zola. Dans cet opéra, Lazare est un personnage optimiste, incitant son neveu à jouir des plaisirs du quotidien et à célébrer la vie, dont la naissance d’un enfant est le meilleur témoignage. De nombreux essayistes et spécialistes165 d’Emile Zola ont vu un parallèle entre la photographie, la chambre noire166 et Lazare: « En milieu zolien, l’activité imageante n’est jamais séparable des ténèbres originelles”. L’action a lieu dans une sombre grotte où Lazare, éclairé par un rayon de soleil, semble photographié. Ce portrait mortuaire s’achève par le recouvrement du tombeau à la fin du drame lyrique, où Lazare redevient éternel: « Ah ! Pauvre Lazare, pauvre homme las, brisé de misère et de souffrance, dors, dors maintenant, heureux à jamais, pour l’éternité167”.

b. Bruneau après Zola

“Nous avons encore à combattre, et rudement, mais lutter pour le triomphe de ses idées, c’est une des joies de la vie168” Alfred Bruneau Ainsi, après la mort d'Emile Zola (1902), s'ouvre une nouvelle étape que nous pouvons qualifier de "collaboration d'Outre-Tombe": “Pourtant vous avez raison (à Destranges), il me faut travailler si je veux triompher de ma douleur qui, je dois le reconnaître, est de plus en plus vive. Zola me l’ordonne, du fond de sa tombe, et je lui obéirai”. En effet, dès 1902, Bruneau devient à la fois compositeur et librettiste mais il reste fidèle à l'esprit et à la mémoire de son ami. Parmi ses œuvres, nous pouvons citer Naïs Micoulin (1907), La Faute de l'abbé Mouret (1907) et Les Quatre Journées (1916), trois œuvres tirées des romans éponymes. Deux livrets ne seront pas mis en musique Miette et Silvère et La Fête de Coqueville. Alexandrine Zola a conservé un ascendant important sur l'adaptation des œuvres de son époux en limitant l'adaptation des romans de son défunt époux à Bruneau, sous prétexte d'avoir galvaudé L'Attaque du Moulin169 (les fiançailles sont placées à la fin du drame lyrique170) . Evelyne Bloch-Dano souligne qu'Alexandrine Zola s'avère être puriste et ne tolère aucun changement notable

164 ZOLA Emile, op. cit., p. 9. 165 BUISINE Alain, « Les chambres noires du roman », Cahiers Naturalistes, 1992, n° 66. 166 Alain Buisine voit une analogie possible entre le texte et la photographie : en littérature, la chambre noire permet de placer des images dans une pièce obscure. Le diaphragme de l’appareil photo est comparable à l’action du romancier, en faisant passer la lumière, il est possible de la fixer et de l’immortaliser. 167 ZOLA Emile, Lazare, Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, XV. 168 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 176. 169 BLOCH-DANO Evelyne, Madame Zola, Grasset, 1997, p. 300. 170 Evelyne Bloch-Dano, Madame Zola, Grasset, 1997, p. 300. Siffer Roxane - 2010 31 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

dans la transcription du roman à l'œuvre lyrique (sur ce point Zola avait lui-même concédé des adaptions, pour Le Rêve notamment).

« Etre connu n’est pas ma principale affaire. Je vis à mieux, à me plaire. Le succès me paraît être un résultat, non pas le but171» Gustave Flaubert Alfred Bruneau éprouve des difficultés à faire évoluer son œuvre, dans la mesure où son amitié et son parti pris pour Zola, l’ont respectivement enfermé dans un registre musical, très marqué tant esthétiquement qu’intellectuellement et ostracisé des grands opéras nationaux. La fin de la première guerre mondiale marque une rupture entre Bruneau et le naturalisme. L’inconsolable, compose des opéras plus légers comme Virginie ou le Roi Candaule, opéra- comique, sans grand succès. Le manque d’inspiration du compositeur et sa nostalgie d’une époque révolue le conduisent à préférer la critique musicale172. Alfred Bruneau est obtient une chaire à l’Académie des Beaux-Arts et il est fait chevalier de la légion d’honneur: “J’étais sûr que ça te ferait plaisir, mon bon vieux camarade et j’étais bien sûr également, que tu me parlerais de Zola, à propos de cette rosette qu’il serait si heureux de me voir porter. Hélas! Ma joie se fait très douloureuse quand je pense que le seul artisan de cette joie n’est pas là pour la partager avec moi173”. Nous pouvons parler de continuité entre l'œuvre de Zola et les drames lyriques composés par Alfred Bruneau. La scène lyrique a été un moyen d'élargir le combat naturaliste, de rendre les réalités du quotidien, visibles sur scène mais aussi au travers du registre de langue (la prose notamment). D'un point de vue technique et scénique, nous mettrons en lumière les effets et les méthodes déployés par Bruneau et les grands noms du naturalisme lyrique, pour fomenter un mouvement musical, ayant ses propres spécificités. Bruneau reste aux yeux des critiques, musicologues et spécialistes, le fils spirituel d’Emile Zola: “M. Bruneau a toujours été fort étranger aux modes et divertissements divers qui se sont succédé dans notre musique depuis un quart de siècle (…).Il ne s’est point laissé détourner de sa voie par les tentations de l’exemple ni par celles du succès. Il a suivi tout droit son chemin, et cette droiture a sa récompense : l’œuvre qu’elle a inspirée supporte le poids des années, auxquelles succombent tant d’autres œuvres plus inquiètes de réussir, et qui se croyaient plus habiles174 ». En conclusion, nous pouvons reprendre les mots du musicologue Dumesnil175, repris dans Les Cahiers naturalistes: “Auprès de Zola, Bruneau s’est pleinement réalisé lui-même. Il a courageusement accompli son destin. Il a su affranchir le théâtre lyrique de bien des conventions gênantes. Il a élargi les limites où se tenaient enfermés, par tradition, les librettistes et les musiciens. L’audacieux Alfred Bruneau a tranquillement osé ce que nul 171 FLAUBERT Gustave, Lettre à Maxime du Camp, Croisset, 28 juin 1852. 172 Alfred Bruneau livre un témoignage sans équivalent de sa relation amicale avec Zola, dans son œuvre A l’ombre d’un grand cœur, publiée en 1931. 173 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 188. 174 MACKE Jean-Sébastien, Colloque de Vincennes, « Alfred Bruneau, un musicien et son temps », citation de Pierre Lalo. 175 Dumesnil (1879-1967), est un grand musicologue français. Critique au Monde et au Mercure, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1965. 32 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

autre avant lui n’aurait cru possible. Il a osé et il a réussi, et il a fait mieux encore puisqu’il a su donner à ses œuvres d’audace le caractère des ouvrages essentiels à l’histoire de l’art, le caractère des chefs d’œuvre qui ne doivent pas mourir176”.

SECTION DEUXIEME : La confusion entre le naturalisme et les Dreyfusards

A°) D’une coopération artistique à l’engagement politique : l’affaire Dreyfus en toile de fond

a. La genèse et le déroulement de l’affaire Dreyfus

«La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera177» Emile Zola Nous n’avons pas la prétention de présenter l’affaire Dreyfus de manière exhaustive mais nous mettrons en exergue les évènements et épisodes clés, afin de saisir la portée de l’engagement naturaliste. Michel Winock, dans son ouvrage « L'affaire Dreyfus comme mythe fondateur178 », montre que l’affaire Dreyfus est une histoire clé de la Troisième République. En effet, la IIIème République est relativement « jeune » en 1894 et déjà victime de nombreuses crises179, dont l’anarchisme, le boulangisme180 en 1889, le scandale de Panama181 en 1892. L’affaire Dreyfus éclate dans un contexte politique et social 176 http://www.cahiers-naturalistes.com/musique.htm : Les Cahiers naturalistes, « Zola et la musique ». 177 ZOLA Emile, L’affaire Dreyfus, « La vérité en marche », lettre à Monsieur Félix Faure. 178 WINOCK Michel, « L'affaire Dreyfus comme mythe fondateur», La France politique, Seuil, « Points Histoire », 2003, p. 150. 179 L’anarchisme trouble l’ordre public. Les lois dites « scélérates » de 1894 y mettent un terme en autorisant la détention préventive par exemple. Les grands noms de l’anarchisme français, dès 1892 sont Rivachol ou Vaillant, lançant une bombe à la tribune des députés le 9 décembre 1893 ou l’asssassinat de Sadi Carnot à Lyon, par l’Italien Caserio, le 24 juin 1894. La loi du 28 juillet 1894 est abrogée le 23 décembre 1892. 180 Le boulangisme est issu du nom « Boulanger », célèbre général. Premièrement, le thème du peuple, défendu par une immense partie des soutiens du général Boulanger (les radicaux boulangistes et les blanquistes, ayant quitté le comité révolutionnaire d’Edouard Vaillant pour créer le Comité central socialiste révolutionnaire). Puis, le second thème important est celui de la patrie, contre l’Allemagne de 1870. Politiquement, ses soutiens républicains espèrent une révision des institutions et des lois de 1875 pour définitivement ancrer la IIIème République, aux dépens de ses soutiens bonapartistes et orléanistes, principaux créanciers, désirant un renversement de la République. Boulanger a un programme politique simple: il souhaite créer une assemblée constituante. Fort de nombreux succès électoraux (dans le Nord et à Paris notamment), le général Boulanger a également un électorat hétéroclite (la gauche radicale et socialiste majoritaire aux côtés des bonapartistes). La droite traditionnelle voyait en Boulanger un moyen de restaurer l’autorité de l’Etat. Finalement, un mandat d'arrêt est lancé contre lui pour complot contre la sûreté de l'État. Boulanger quitte la France et le boulangisme subit un véritable retrait aux élections de septembre 1889. 181 Suite à des problèmes de financement de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, Ferdinand de Lesseps dut lancer une souscription publique. Le financier Jacques de Reinach a utilisé des fonds pour obtenir illégalement le Siffer Roxane - 2010 33 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

particulièrement tendu. En effet, les élections de 1893 ont consacré les républicains, face à la droite conservatrice, aux socialistes et aux radicaux182. Cette politique du centre, davantage orientée sur les questions internationales183 et économiques184déçoit une partie des républicains, engendrant dès lors de graves crises ministérielles185. Suite à la démission de Jean Casimir-Perier, Félix Faure devient président de la République186 le 15 janvier 1895. L’affaire Dreyfus prend place dans une France militairement vaincue par l’Allemagne, dont l’armée est encore marquée par le poids de l’aristocratie au sein des officiers. Dans le même temps, le renseignement prend une place très importante à la fin du dix-neuvième siècle. La section de statistique créée en 1871, enquête depuis 1894, sur un trafic de plans concernant Nice et la Meuse, dirigée par un agent que les Allemands nomment ‘Dubois’. Cette histoire d’espionnage explique la genèse de l’affaire Dreyfus. Enfin, il faut noter que l’antisémitisme et le nationalisme sont deux phénomènes montants à la fin du XIXème siècle. Le journal La Libre Parole187 multiplie les pamphlets diffamatoires à l’encontre des officiers juifs, jugés comme de véritables traîtres.

b. “J’Accuse” de Zola et son implication pour le “camp naturaliste” L’affaire Dreyfus débute en 1894 suite à l’accusation fallacieuse d’un officier juif alsacien, le capitaine Dreyfus, accusé d’avoir livré aux Allemands, des documents secrets. Dreyfus est condamné à la déportation, sur l’île du Diable. Le premier cercle et premier soutien du capitaine Dreyfus est sa propre famille, dont son frère Mathieu qui tente en vain de prouver l’innocence de son cadet188. Dès mars 1896, le colonel , chef du contre-espionnage révèle la culpabilité du commandant Walsin-Esterházy, acquitté deux ans plus tard189. Le 13 janvier 1898190, deux jours après l’acquittement d’Esterhazy, Emile Zola publie son fameux “J’Accuse”, sous forme d’une lettre ouverte, adressée au Président de la République, Felix Faure. Dans cet article, Zola exprime clairement son souhait de voir un second procès aux Assises, afin que triomphe la vérité, sur cette sombre histoire ayant déjà divisée la société française en deux camps. Zola y expose les valeurs universelles dont

soutien d’hommes politiques. La liquidation judiciaire de la compagnie de Lesseps ruina de nombreux hommes politiques, accusés de corruption (cinq sénateurs dont Albert Grévy et cinq députés dont Clémenceau ont été interpellés, mais acquittés, faute de preuves suffisantes). 182 Les Radicaux ont notamment gagné 150 sièges et les socialistes en ont 50. 183 Avec l’alliance russe notamment. 184 Economiquement parlant, la France mène une politique protectionniste à la fin du XIXème siècle. 185 Cinq gouvernements se succèdent entre 1893 et 1896. 186 ème Félix Faure (1841-1899), homme politique, a été élu 7 Président de la République le 1è janvier 1895 jusqu’au 16 février 1899. 187 La Libre Parole est un journal antisémite lancé en 1892 par Edouard Drumont, auteur de La France juive (1886), tiré à 200 000 exemplaires par jour. L'Éclair, Le Petit Journal, La Patrie, L'Intransigeant, sont d’autres journaux ayant tenu des propos ouvertement antisémites à la fin du XIXème siècle. 188 Afin de prouver l’innocence de son frère, fait appel au journaliste Bernard Lazare, célèbre plume et politique, ayant publié L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, quelques mois avant que l’affaire n’éclate. Il révèle l’illégalité du procès mais sa voix est vite étouffée. Lazare a également pris parti pour les Arméniens, déjà persécutés par les Turcs, dans son œuvre Pro Armenia. 189 L’enquêteur de Pellieux et les militaires magistrats sont manipulés et finissent par acquitter le prévenu. 190 Il convient de noter qu’Emile Zola avait préalablement rédigé trois articles au Figaro. 34 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

l’idéal de justice191. Henri Mitterand qualifie cet article de blitzkrieg du verbe, dans la mesure où Zola use de son éloquence, de figures de style pour convaincre son lectorat. Le procès s'ouvre le 19 décembre, le huis clos est immédiatement prononcé, dans la mesure où l’on craignait l’émeute, comme le souligne L'Éclair du 13 décembre :« le huit clos est nécessaire pour éviter un casus belli ». Trois jours plus tard, le verdict tombe. Les sept juges statuent à l’unanimité qu’ est condamné pour trahison « à la destitution de son grade, à la dégradation militaire, et à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée”. Zola réagit vivement: « Je demande au général de Pellieux s'il n'y a pas différentes façons de servir la France ? On peut la servir par l'épée ou par la plume. M. le général de Pellieux a sans doute gagné de grandes victoires ! J'ai gagné les miennes. Par mes œuvres, la langue française a été portée dans le monde entier. J'ai mes victoires! Je lègue à la postérité le nom du général de Pellieux et celui d'Émile Zola: elle choisira”. Des émeutes antisémites éclatent à travers le pays. En 1899, la Cour de Cassation casse le premier jugement et le conseil de guerre condamne à nouveau Dreyfus à dix ans de travaux forcés. Le président Emile Loubet lui accorde la grâce présidentielle et le capitaine Dreyfus est réhabilité en 1906, grâce à un arrêt sans renvoi de la Cour de Cassation192. Le ministre de la guerre, le général Billot porte plainte contre Emile Zola et le gérant de L’Aurore, Alexandre Perrenx, condamnés aux Assises de la Seine du 7 au 23 Février 1898, pour diffamation193 envers une autorité publique. Le procès prend place dans un contexte de violence194 et de haine et Emile Zola se voit vilipendé par une très grande partie de la presse: «La surexcitation de l'auditoire, l'exaspération de la foule massée devant le palais de Justice étaient si violentes qu'on pouvait redouter les excès les plus graves si le jury avait acquitté M. Zola195». Face à cette vague d’hostilité, de nombreux dreyfusards renforcent leur soutien : « À partir de ce soir, je tiens à la République, qui m'inspire un respect, une tendresse que je ne me connaissais pas. Je déclare que le mot Justice est le plus beau de la langue des hommes, et qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennent plus196». Au mois de mai 1898, les juges du conseil de guerre portent plainte contre Zola pour diffamation. Lors de la première audience, Maître Labori, l’avocat de Zola, lui conseille de partir en exil en Angleterre, avant la fin du procès. A l’issue de ce procès, nous pouvons réellement considérer que le monde intellectuel français, à l’instar de la société, est divisé en deux camps opposés.

191 Par ailleurs Zola tenait des sources et informations sûres de la part de l’avocat du prévenu, Louis Leblois. D’autre part, dans la tradition littéraire française, Zola est à l’affaire Dreyfus, ce que Voltaire fut à l’affaire Calas en 1762 (Jean Calas, de religion protestante est condamné à la pendaison, sans que le jugement ne soit motivé. Voltaire s’engage en faveur de Jean Calas en faisant réviser le procès en 1765 afin de réhabiliter sa mémoire). 192 L’arrêt complet sur http://www.courdecassation.fr/IMG/File/arret_dreyfus_12_juillet_1906.pdf 193 Le général Billot retient seulement quelques lignes de l’article pour accuser Zola : « le Conseil de guerre a commis une « illégalité par ordre ». 194 Les nationalistes derrière Henri Rochefort déclenchent de véritables scènes d’émeutes lors des sorties de Zola. 195 MEYER Arthur, Ce que mes yeux ont vu, Plon, 1912, p. 149. 196 RENARD Jules, Journal 1887-1910, Gallimard, 1965, p. 472. Siffer Roxane - 2010 35 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Le 3 Juin 1899, la Cour de cassation casse le jugement de 1894 et le renvoie au Conseil de guerre de . La Cour de cassation a su s’affranchir du joug de l'armée et du pouvoir politique mais le combat n’a pas été gagné pour autant. La révision du procès débute le 7 Août 1899 dans une atmosphère extrêmement tendue, Rennes étant à feu et à sang. Un mois plus tard, Dreyfus est reconnu coupable de trahison avec « circonstances atténuantes». Après maintes hésitations, Dreyfus accepte la grâce de Waldeck-Rousseau197. Le combat semble avoir été avorté, dans la mesure où l’idéal de justice, défendu par Zola et une grande partie des naturalistes, n’a pas pu triompher, sans l’appui et le secours du gouvernement198. La société quant à elle, aspire davantage à la paix civile, dans une fin de siècle, déjà menacé par le débat sur la laïcité. Alfred Dreyfus est réintégré dans l'armée, par la loi du 13 juillet 1906. Zola, en s’engageant aux côtés des Dreyfusards, a impliqué l’ensemble des naturalistes dans son combat pour la vérité. Pour les obsèques de Dreyfus, Anatole France199, en présence d’Alfred Dreyfus, sanctifie Zola dans son oraison funèbre: « Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m'est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d'un innocent et qui, se sentant perdus s'il était sauvé, l'accablaient avec l'audace désespérée de la peur? Comment les écarter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux?#Puis-je taire leurs mensonges ? Ce serait taire sa droiture héroïque.#Puis-je taire leurs crimes ? Ce serait taire sa vertu.#Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l'ont poursuivi ? Ce serait taire sa récompense et ses honneurs.#Puis-je taire leur honte ? Ce serait taire sa gloire.#Non, je parlerai.#Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et un grand acte.#Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand. Il fut un moment de la conscience humaine. » Les conséquences de l’affaire Dreyfus sont essentiellement politiques200 et sociales, dont la naissance d’un antisémitisme de masse, relégué par la presse comme la Libre Parole d’Edouard Drumont. Quant à Herzl, profondément marqué par l’affaire Dreyfus: “La France, bastion de l'émancipation, du progrès et du socialisme universaliste ne peut se laisser

197 Politiquement, accepter la grâce présidentielle, dans un tel contexte induit la reconnaissance de sa culpabilité. Le 19 septembre 1899, le décret est signé et Dreyfus est libéré 5 jours plus tard. 198 Waldeck-Rousseau dépose une loi d’amnistie le 17 novembre 1899 concernant« tous les faits criminels ou délictueux connexes à l’Affaire Dreyfus ou ayant été compris dans une poursuite relative à l’un de ces faits ». 199 Anatole France (1844-1924), considéré comme l’un des plus grands écrivains de la Troisième République. Il reçut le Prix Nobel de littérature en 1921. 200 D’abord l’association « La Ligue française des droits de l’homme et du citoyen » est créée en 1901 par le sénateur Trarieux (issu de la tradition libérale, très attaché aux droits de la personne, ayant notamment lutté contre Jaurès en 1895 lors de la grève des verriers et très hostile à la loi Waldeck-Rouseau de 1884, sur les syndicats) socialisme évolue. Jaurès (Ayant officiellement pris parti pour les dreyfusards en 1899), agit aux côtés de Clémenceau à partir de 1899, sous l’influence de Lucien Herr. En 1902, le Parti Socialiste Français est crée et rassemble les partisans de Jean Jaurès et Le Parti Socialiste de France, sous l’influence de Jules Guesde. La fusion des deux partis a lieu en 1905 et consacre la naissance de la S.F.I.O (Section Française de l’Internationale ouvrière). Un an plus tôt, le parti radical-socialiste est crée, s’appuyant sur les réseaux dreyfusards. La naissance de ces partis et association, à l’issue de l’affaire dreyfus, consacrent la naissance d’une gauche intellectuelle et humaniste, particulièrement dynamique au début du XXème siècle. 36 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

emporter dans un maelström d'antisémitisme et laisser la foule parisienne scander « À mort les Juifs201!”.

B°) La prise de position de Bruneau en faveur de Zola

a. L’amitié entre les deux hommes à l’origine du soutien indéfectible de Bruneau pour Zola

« Bruneau est un artiste, probe, sincère et désintéressé202» Paul Landormy Dans sa correspondance avec Etienne Destranges, Alfred Bruneau rappelle à plusieurs reprises son indignation devant le procès de son ami Emile Zola : « Il faut attendre la fin des abominations de 1898 (…) Il est à craindre que la boue dans laquelle meurt le dix-neuvième siècle n’éclabousse à sa naissance le vingtième. C’est triste pour notre pays203 ». Au sujet du second procès de Zola, Bruneau s’indigne : « Se sentant perdus, les bandits ne reculeront devant aucun crime, mais on leur mettra la main au collet (…). La recondamnation est impossible, matériellement impossible. Ce serait l’assassinat voulu de la France qui ne peut mourir encore204 ». Il s’indigne devant la procédure juridictionnelle du procès de son ami : « Comme je me suis demandé si le colonel Jouaust (président du conseil de guerre à Rennes) ne jouait pas la comédie en brutalisant les témoins de la défense, en leur coupant la parole à chaque instant205». Bruneau affiche publiquement son soutien à Emile Zola et exprime son amitié à travers sa correspondance avec le romancier : « J’ai à Rennes un ami, très dreyfusard, qui me tient au courant de ce qui se fait là-bas et qui croit à la condamnation ou tout au moins à l’acquittement (…) Quelles catastrophes se prépareraient alors et quel trou sans fond se précipiterait notre malheureux pays ! Je vous avoue que j’en ai le vertige206». Durant l’exil de Zola, Bruneau compose néanmoins l’Ouragan : « J’ignore ce que vaudra ma partition lorsqu’elle sera terminée, mais je sais bien que j’y ai mis tout mon cœur, tout le frémissement que m’a causé l’effroyable

201 HERZL Théodore, Der Judenstaat, 1896. Littéralement “L’Etat des Juifs”, Herzl, théorise le sionisme en expliquant l’organisation institutionnelle, interne de l’Etat d’Israel, seul rempart face à l’antisémitisme. 202 LANDORMY Paul, La musique française de Franck à Debussy, Paris, Gallimard, 1943, p. 153. 203 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 105. 204 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 107. 205 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 110. 206 BRUNEAU Alfred, lettre à Emile Zola, 22 août 1899, E. Zola, Correspondance, vol. IX, p. 523. Siffer Roxane - 2010 37 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

drame d’humanité auquel j’ai assisté pendant que je la composais, toute l’indignation que j’ai ressentie, toute ma fierté d’être votre ami207 A propos du second procès d’Alfred Dreyfus et l’arrêt mentionnant les circonstances atténuantes, Bruneau est particulièrement acerbe : « Ainsi, pour sauver les coupables, on déshonore l’innocent !... quelle boue et quelle honte pour notre pays ! ». Ainsi, Bruneau a clairement pris position pour Zola et le clan naturaliste mais sa position n’est pas unanimement partagée au sein des musiciens de son temps, dont la plus grande figure est Claude Debussy. Paul Holmes, éminent spécialiste du compositeur Debussy montre les conséquences de l’affaire208 : « During that time salons were closed to members of opposing factions, the Dreyfusard faring the worse (…) Bruneau who knew Debussy, had an , Messidor, fail in the theatre in 1897 largely because he was a known Dreyfusards and had used a libretto by Zola ».

SECTION TROISIEME : L’Affaire Dreyfus : une affaire politique dans les coulisses de l’opéra

A°)Le combat naturaliste sur la scène lyrique : le prolongement du combat dreyfusard

a. L’identité stigmatisante portée par les compositeurs naturalistes

« Les compositeurs naturalistes sont victimes d’un endoctrinement insidieux209» Pierre Laloy Alfred Bruneau, comme nous l’avons souligné a été le héraut du mouvement naturaliste, sur la scène lyrique française. Cependant, l’affaire Dreyfus a profondément divisé la société mais plus encore les « artisans » de la culture et la dichotomie : Dreyfusards contre Antidreyfusards, prend son sens au regard du combat idéologique et artistique engendré par cet événement. Etre compositeur naturaliste au dix-neuvième siècle est une identité marquée presque stigmatisante En effet, peu de compositeurs ont pris position en faveur de Zola (explicitement Alfred Bruneau ou Maurice Ravel, plus discrètement Jules Massenet). Debussy a clairement affiché son antipathie vis à vis des Dreyfusards, mais plus encore à l’encontre du clan naturaliste210 : « Qu’attendez-vous d’un public aussi laid et pouilleux que Zola et Bruneau, d’être capable de quelque chose de beau ? Avec leurs préoccupations sociales et leurs intentions de parler du quotidien sur scène, ils sont juste une bande

207 Ibid. IX, p. 273. 208 HOLMES Paul, Debussy, London, Omnibus Press, 1989, p. 46. 209 LALOY Pierre, Le Drame musical moderne, «Mercure Musical», Mai 1905. 210 CHENNEVIÈRE Daniel, Claude Debussy et son oeuvre, Durand et cie, Paris, 1913. 38 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

d’imbéciles, ennuyeux à mourir211». En condamnant l’esthétique de l’opéra naturaliste, à travers Messidor, représenté durant l’affaire Dreyfus, Claude Debussy tympanise également les choix politiques de ses adversaires idéologiques. Les critiques musicaux quant à eux, usent de leur plume acerbe et séditieuse, pour mettre en exergue le lien nocif existant entre les Dreyfusards et les compositeurs naturalistes. Dans Le Drame musical moderne, Pierre Laloy, critique et musicologue reconnu en son temps, montre que le naturalisme lyrique « est un vecteur idéologique qui, comme en littérature, crée une réalité et impose une théorie de la représentation”. Les naturalistes ont d’après lui une vision partiale et tronquée de la société car elle repose aussi sur des « conventions » de représentations : « Rien n'est moins spontané, moins naturel, plus tendu, savant et pédant que cet art qui se prétend inspiré directement par la nature212 ». Laloy dénonce le parti pris des compositeurs naturalistes à des fins de propagande politique et aux dépens du style et de l’esthétique. Laloy assimile le naturalisme aux institutions. En effet, le Conservatoire est étroitement lié à Bruneau et Zola213, d’où l’épithète d’opéra « républicain ». Le naturalisme est à l’image de « la démocratie triomphante issue de l'Affaire Dreyfus”. Vincent d'Indy, autre critique et grand musicien, au début du XXème siècle souligne le lien tenu entre les naturalistes et les dreyfusards. Quant aux conséquences de « J'accuse », sur Messidor en 1898, les attaques prodiguées à l’encontre de Zola et Bruneau ont coïncidé avec le triomphe de cette œuvre à l’opéra. Messidor a été l’objet d’immenses manifestations de violence214.

b. L’assimilation du combat naturaliste à la troisième République et à ses institutions

“Le naturalisme est à l’image de la démocratie triomphante issue de l’affaire Dreyfus” Pierre Laloy Laloy est encore plus critique à l’égard d’un des plus grands compositeurs naturalistes215, Gustave Charpentier et son opéra Louise. D’après Pierre Laloy216, Charpentier est embastillé dans une idéologie, un conformisme intellectuel et artistique, bridant son inspiration. Le critique est particulièrement acerbe en décrivant le paradoxe des

211 BORGEAUD Henri, Correspondance de Claude Debussy et Pierre Louÿs, Paris, 1945. 212 LALOY Pierre, Le Drame musical moderne, «Mercure Musical», Mai 1905. 213 Du fait de l’affaire Dreyfus et de l’amitié entretenue entre Zola et Clémenceau, la nomination d’Alfred Bruneau en tant que commissaire aux Beaux-Arts a été largement critiquée par ses adversaires. 214 BOSCHOT Adolphe, « Un incident particulier parmi d'autres à Nantes », La vie et les œuvres d'Alfred Bruneau, Fasquelle éd, 1937. 215 Les accusations et la critique émises par Pierre Laloy sont d’autant plus compréhensibles au regard des positions politiques du critique musical. La preuve la plus évidente en est le texte qu'il écrivit à son ami Claude Debussy, pendant la Première Guerre Mondiale: l'Ode à la France ou dans son essai La musique retrouvée, Plon, 1928. On retrouve l’influence du nationalisme barrésien, dont les meilleurs exemples sont l’emprise exercée par l'éducation républicaine et son impact sur « l’embrigadement intellectuel » d’une part et un modèle esthétique tenu pour modèle par les institutions culturelles (le Conservatoire notamment). 216 Pierre Laloy (1874-1943) étudie la composition avec d’Indy et s’intéresse à la musique extra européenne et collabore dans de nombreuses revues. Sa fascination pour Pelléas et Melisande, l’a amené à soutenir Debussy. Siffer Roxane - 2010 39 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

compositeurs naturalistes: en affirmant transcrire la réalité sur la scène lyrique, ceux-ci sont incapables d’êtres impartiaux et de parler de cette réalité car ils sont pervertis par « des journaux politiques bon marché ont détruit leur jugement et perverti leur sensibilité ». Laloy conceptualise donc ce qu’il appelle « l’endoctrinement insidieux », c’est-à-dire l’illusion des compositeurs naturalistes d’être objectifs et réalistes, après avoir été pétris de « dogmes » politiques. Laloy: « Un tel homme vivra dans une perpétuelle illusion sur le monde et sur lui- même. Il croira à la sincérité de sentiments qui ne sont que froide rhétorique217». Ainsi, bien qu'ils n’aient pas dû explicitement prendre parti dans l'Affaire Dreyfus, les compositeurs ont dû faire des choix aux conséquences politiques considérables. Gustave Charpentier dans les Lettres inédites à ses parents, met en exergue la politisation outrancière des revues musicales et l’impossibilité de sortir de l’étau idéologique dans lequel sont confinés les compositeurs, selon les critères et les affinités politiques des critiques218. Cependant, Alfred Bruneau rappelle à juste titre: “On assassine un homme courageux au coin de la rue, on ne tue jamais une œuvre puissante dans la bataille. Mais si je crois fermement, je le répète, à la victoire fatale, tôt ou tard inévitable des œuvres de valeur, je crois qu’il est des circonstances qui servent ces œuvres, qui les aident à triompher, et que l’on aurait tort de négliger219”.

c. Le lien tenu entre les institutions culturelles et la troisième République: le Conservatoire comme attribut du modèle républicain Le xixe siècle est aussi le règne des institutions culturelles, d’où la nécessité pour les musiciens d’avoir une formation classique au conservatoire. Cette institution est conservatrice sur les plans musicaux et littéraires, au regard des textes étudiés par les jeunes compositeurs. La culture du Conservatoire a été souvent assimilée à l’emprise de la bourgeoisie d’une part et celle de l'État, d’autre part. En reniant la formation classique et l’esthétique du Conservatoire, les compositeurs ont réagi plus ou moins consciemment à l’Etat et à la culture officielle, imposée par les élites220. Parmi les antis-dreyfusards, on peut citer Vincent d’Indy, avec La légende de Saint-Christophe qui se considère comme un compositeur « anti-dreyfusard ». Quant à Debussy, il a sévèrement rejeté le modèle du Conservatoire mais aussi le modèle républicain sur le plan politique. L’œuvre de Debussy est particulièrement imprégnée par cette évolution progressive née d’un rejet esthétique des institutions (dont le conservatoire) au rejet absolu du système politique républicain. Le combat naturaliste est donc assimilé à celui de la défense de la République, mais plus encore à ses institutions. Ainsi, le combat naturaliste est aussi celui d’une idéologie défendant l’idéal républicain mais plus encore ses institutions.

B°)Triomphes et de défaites du naturalisme musical

217 LALOY Pierre, Le Drame musical moderne, «Mercure Musical», Mai 1905, p. 175. 218 ANDRIEUX Françoise, Gustave Charpentier, Lettres inédites à ses parents, Paris, PUF, 1984. 219 BRUNEAU Alfred, « Ville de Paris. Concours musical 1897-1899, » Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer/Imprimerie Chaix, 1900,p. 8. 220 BOURDIEU Pierre, Choses dites, pp. 151-156. 40 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

a. Louise de Charpentier comme le triomphe du naturalisme sur la scène lyrique

“Nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité221” Aristote Comme nous l’avons souligné les compositeurs naturalistes ont été assimilés aux combats politiques, menés préalablement par une grande partie des romanciers naturalistes. L’affaire Dreyfus a permis d’identifier un noyau de compositeurs, peu nombreux mais profondément engagés sur le plan idéologique et politique. Les compositeurs naturalistes ont souffert des conséquences de l’affaire Dreyfus (nous pensons notamment à l’exclusion de la programmation des grands théâtres et opéras nationaux, point sur lequel nous reviendrons en deuxième partie) mais plus encore de leur nombre réduit. Nous avons souligné en introduction la méconnaissance de ce courant musical, y compris au sein des musiciens avertis. La première raison est qu’embrasser le contenu politique et idéologique, porté par le naturalisme, induit un bouleversement technique et esthétique222. Comme le souligne l’adage populaire “tout choix est un renoncement”, embrasser le naturalisme sous- entend une certaine cohérence esthétique. Cette esthétique et le style se doivent d’être plus épurés, raréfiant les emprunts aux thèmes mythologiques, comme nous avons pu le souligner dans la collaboration Bruneau-Zola. Il s’agit en outre de remettre en question les canons lyriques, les effets de style223 et les thèmes à la mode224. Ces renoncements ont pour conséquence une refonte du contenu des opéras, mettant en scène des personnages simples, des situations du quotidien, dans un décor familier et épuré. Ainsi, après avoir mis en exergue les enjeux idéologiques du combat naturaliste sur scène, nous pouvons d’ores et déjà comprendre la difficulté d’être un compositeur naturaliste et de s’assumer comme tel. Rares sont les compositeurs ayant assumé cette filiation. D’abord, idéologiquement, nous avons souligné que le combat de Zola et de ses partisans n’a pas été sans conséquences. Accepter d’être partisan de Dreyfus induit un quasi renoncement à la célébrité au sein des salons et du Grand Opéra225. Les conséquences de cette exclusion doivent être étudiées au regard du contexte artistique, politique et social de la fin du dix-neuvième siècle. Véritables lieux d’échange et d’émulation intellectuelle et politique, les salons sont des lieux de socialisation mondains, où se côtoient notamment les compositeurs en vogue et les directeurs de théâtres lyriques. La nécessité “d’être reconnu dans le monde”, a pu ralentir un certain nombre de compositeurs à oser “l’expérience” naturaliste.

221 ARISTOTE, Poétique, 1448b10. Par l’intermédiaire de cette citation, Aristote conceptualise la Catharsis: un des enjeux de la katharsis est esthétique. Les spectateurs se purgent de leurs émotions en voyant des situations qui leur parlent, par une mise en scène abordable. La scène est un exutoire pour le public. 222 L’esthétique naturaliste est approfondie dans la partie II du mémoire. 223 WOLFF Stéphane, L'Opéra au Palais Garnier (1875-1962), Ressources, Slatkine, Genève, 1983. 224 Sans s’appesantir sur les canons esthétiques du XIXème siècle, on peut notamment citer Le Grand Opéra, modèle bourgeois par excellence. Il s’agit d’un opéra en quatre ou cinq actes, avec un décor et un orchestre grandiloquent. De nombreux musicologues situent l’apogée de cet opéra au début du Second Empire, d’autres considèrent que le « Grand Opéra » désigne l’Opéra de Paris (ou l’Opéra Garnier). Une œuvre majeure est Aida de Giuseppe Verdi. 225 SOUBIES Alain, Soixante-sept ans à l'Opéra en une page de 1826 à 1893, Paris, 1893. Siffer Roxane - 2010 41 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Ce nombre restreint d’œuvres naturalistes s’explique d’abord par le faible nombre de compositeurs, ayant tenté l’expérience. Nous nous sommes appesantis sur Alfred Bruneau dans la mesure où l’on peut le considérer comme le père mais aussi le précurseur du naturalisme musical. Ses héritiers directs sont Richepin, Charpentier ou encore Cocquard, Ravel, dans une moindre mesure. L’étude exhaustive des œuvres naturalistes n’a d’intérêt que dans la mesure où elle illustre de grandes tendances, à la fois idéologiques et esthétiques, c’est pourquoi nous n’avons pas la prétention d’étudier les soixante œuvres naturalistes. Certaines de ces œuvres font l’objet d’illustrations et d’approfondissement dans la deuxième partie. C’est pourquoi, nous souhaitons mettre en lumière le fleuron et probablement la plus belle réussite du combat naturaliste: Louise, de Gustave Charpentier. D’abord, cette œuvre est une des rares compositions musicales naturalistes à être passée à la postérité. Puis, Louise est un roman musical qui incarne un style profondément marqué par le naturalisme, d’un point de vue esthétique mais aussi idéologique. Louise incarne la quintessence du combat naturaliste, initié par Bruneau et approfondi par Charpentier. Synthèse du combat naturaliste et dépassement du modèle Bruneau-Zola, Louise apparaît comme un objet d’étude particulièrement riche. Charpentier a redéfini le genre lyrique car Louise n’est pas un opéra mais un roman musical. Cette œuvre est l’histoire d’un amour impossible entre deux jeunes gens: Louise et Julien. La première est couturière et issue d’une famille d’ouvriers dont le père n’aspire qu’à douceur du foyer familial, le travail et le sacrifice ne laissant pas de place au loisir. Le second est un poète, menant une vie de bohême en plein cœur de Montmartre. Louise jouit d’une liberté infinie dans les bras de Julien: “depuis le jour où je me suis donnée, toute fleurie semble ma destinée” (Début de l’acte III). La jeune femme vit une idylle aussi bien spirituelle que charnelle avec Julien. Suite “au couronnement de la muse” où Louise est consacrée reine de Bohême, sa mère apparaît, la sommant de rentrer au domicile familial, où son père souffre d’une maladie. Le père refuse d’affranchir sa fille. Afin de concrétiser ses rêves, Louise fuit le foyer duquel elle est prisonnière, car le simple fait d’aimer la condamne à la rébellion. Il convient de souligner que Paris occupe une place centrale dans cet opéra comme dans la plupart des opéras naturalistes. Le Paris de Louise met en parallèle deux mondes, aussi miséreux l’un que l’autre mais qui ne se comprennent pas: le prolétariat et le monde des artistes ou des marginaux. Nous pouvons parler de “personnification” de Paris, dans la mesure où la ville est amenée à jouer un rôle à part entière: “Paris! Paris m’appelle!￿| O la magique, la chère musique de la grande ville!226 (…) Puis elle ajoute: “Paris! Paris! Fête éternelle du plaisir!￿Paris! Paris! Splendeur de mes désirs!￿Paris, ô Paris! Secours ma détresse, fais revivre l’ivresse des hymnes d’allégresse!￿Que s’écroulent les murs de la triste prison!￿Sonne, cloche de joie des libres épousailles!”. A la fin du roman musical, après avoir chassé sa fille, le père s’exclame: “￿Louise!... Louise! ...” La mère se relève, court à la fenêtre qu’elle ouvre et regarde dans la nuit. Le père revient. Il reste un moment sur le seuil, comme terrassé par la douleur; il s’avance lentement, titubant, s’accrochant aux meubles,... croyant entendre revenir Louise, il fait un geste vers la porte. Il écoute les bruits du dehors, fixe, haineusement la ville dont les lueurs lointaines reparaissent vacillantes. Le Père[tendant le poing vers la ville, avec haine et douleur]￿ O Paris!!!

226 Livret Louise de Charpentier, acte IV. 42 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE

RIDEAU227”

b. Louise et l’allégorie d’une société en mutation

“Bête de somme que je suis, que tous nous sommes, sous le joug pesant de la Fatalité!Tristes serfs d’une besogne qui ne cesse jamais228!” Louise de Gustave Charpentier Par l’intermédiaire de ce roman musical, Charpentier a pu soulever un certain nombre de retards sociaux et il a pu critiquer une société profondément inégalitaire. D’abord, Louise est une allégorie de la condition féminine de son époque, qui plus est, au sein du prolétariat. Fille d’un ouvrier, Louise aspire à un avenir interdit, du fait de son appartenance sociale. Politiquement et idéologiquement parlant, Louise est la métaphore de la Commune de Paris. D’abord, du point de vue du combat politique, on retrouve les thèmes et les revendications du mouvement de l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, fondée le 14 avril 1871, sous l’impulsion d’Elisabeth Dmitrieff229 et de Nathalie Le Mel, ouvrière relieuse, durant la Commune. Ce mouvement féministe de masse réclame notamment l’égalité des salaires. La Commune leur reconnait l’union libre (les pensions sont versées sans faire la distinction entre les enfants légitimes et illégitimes par exemple). Puis, Louise incarne plus généralement la volonté d’émancipation sociale avortée du prolétariat au terme de la Commune. Les allusions sont nombreuses dont le lieu de l’action sur la Butte Montmartre, où ont été assassinés les derniers partisans de la Commune. Historiquement, Charpentier n’est qu’un adolescent lors des évènements de la Commune et il demeure profondément marqué par ces bouleversements sociaux, dont son œuvre demeure le meilleur témoignage. Enfin, Louise cristallise la sclérose sociale dont est victime le prolétariat et son destin malheureux illustre le fatalisme auquel doivent se soumettre les ouvriers de ce début de siècle. L’atavisme décrit par Zola est aussi un spectre menaçant dans l’œuvre de Charpentier. Le roman musical a été jugé scandaleux en son temps, du fait des thèmes abordés, dans la mesure où il insiste sur l’émancipation féminine et la révolte contre l’autorité parentale. De nombreux directeurs d’opéras ont refusé de représenter Louise et c’est Albert Carré, directeur de l’Opéra-Comique qui a accepté de le représenter en 1900. Jusqu’en 1968, Louise a été représentée de nombreuses fois à l’Opéra-Comique mais aussi sur les scènes internationales.

C°) Un répertoire trop figé historiquement: du mépris à l’oubli

a. Le répertoire naturaliste témoin des mœurs des problématiques de son temps

227 Fin de l’acte IV. 228 Réplique du père de Louise, acte IV. 229 Elisabeth Dmitrieff est une aristocrate russe, proche de Marx. Siffer Roxane - 2010 43 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

"Ces ouvrages méritent-ils l’oubli total d’aujourd’hui ? Bruneau y a chanté le travail humain, l’amour de la terre avec des accords d’un réalisme musical un peu fruste mais d’une sincérité véritable230" Jacques Bourgeois

En conclusion, Bruneau et Gustave Charpentier, tous deux élèves de Jules Massenet, ont fomenté le naturalisme lyrique. D'après l'article de Jacques Hétu: "Bruneau, c’est le lyrisme du pauvre, il a fait chanter des chiffonniers philosophes, des boulangers prophétiques, des pêcheurs apostoliques mais en leur mettant dans la bouche des sentences d’exégètes231". Bruneau est sans aucun doute le plus grand compositeur naturaliste dans la mesure où ses opéras ont une dimension symbolique, dont découle une réflexion sur la condition humaine et plus particulièrement sur le sort des laissés pour compte. Jacques Hétu ajoute: "Le théâtre zolien est un miroir tendu vers le public où se reflète l’image déformée de la société et sa réalité vécue et imaginée". Cependant, Bruneau a eu du mal a posteriori, à re-questionner l'esthétique et les thèmes exploités du vivant de son ami, Zola. C'est pourquoi, le naturalisme s'est rapidement essoufflé et a été rangé au rang des antiquités, par manque de projets, de compositeurs... De nombreux compositeurs ont opposé le modèle naturaliste au modèle nordique, en faisant référence à la dialectique Nord-Sud, en opposant Wagner aux naturalistes, les mythes du Nord aux romans musicaux du Sud, la grandiloquence à l'expression des sens... Zola lui-même, bien que fervent admirateur de Richard Wagner, a voulu opposer une esthétique singulière: « Dites-le, soyez franc, vous ne voulez pas de moi dans le temple de Parsifal, et vous avez raison (…) car tout mon sang de Latin se révolte contre ces brumes perverses du Nord et ne veut que des héros humains de lumière et de vérité232». La sincérité artistique avec laquelle se sont exprimés Bruneau, Massenet ou Charpentier n'a d'égal que le combat politique et idéologique auquel ils se sont livrés, durant l'affaire Dreyfus notamment. Victimes du clivage politique et social engendré par l'affaire Dreyfus, les compositeurs ont engagé leur notoriété dans ce combat idéologique.

"Tous les arts sont comme des miroirs où l'homme connaît et reconnait quelque chose de lui-même qu'il ignorait" Alain

Comme nous l'avons souligné, le combat naturaliste ne se borne pas à l'affaire Dreyfus. Il s'agit avant tout de dresser un miroir social dans lequel le peuple se reconnait. Le théâtre lyrique du "pauvre" a été une révolution artistique sur divers plans: les thèmes, l'origine sociale des personnages, le style, le langage, les décors et les costumes (cf. partie II) notamment. Le combat naturaliste s'est notamment traduit par une volonté d'élargir l'accès de la scène lyrique au grand public. D'ailleurs, Gustave Charpentier a acheté des billets sur ses propres deniers, pour les donner au peuple.

230 BOURGEOIS Jacques, L’Opéra, des origines à demain, Julliard, 1983. 231 HETU Jacques, "Le naturalisme en musique”, De Bruneau à Charpentier, Res Musica, Août 2006. 232 ZOLA Emile, Lettre à Louis de Fourcaud, Le Gaulois, 23 février 1897. 44 Siffer Roxane - 2010 PREMIERE PARTIE : LE THEATRE LYRIQUE COMME MOYEN D’EXPRESSION: LE PROLONGEMENT ET L’ACHEVEMENT DU COMBAT NATURALISTE b. Un combat politique inefficient? L'expérience du miroir, voulue par Charpentier n'a eu que de très faibles répercussions. Le naturalisme a voulu bouleverser les consciences en proposant un modèle novateur, plus qu'un contre-modèle (les emprunts au romantisme sont relativement nombreux, l'influence de Wagner est palpable et difficile de nier une formation classique) mais son esthétique et son message ont été mal compris. Le combat naturaliste est une lutte polymorphe, méprisée en son temps, incomprise aujourd'hui.

« Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements » Charles Robert Darwin

Après avoir établi la genèse et le contenu idéologique des œuvres naturalistes, nous avons souligné en quoi la dimension politique de ce courant a-t-il été un obstacle à sa diffusion. Dans une seconde partie, nous soulignerons en quoi le naturalisme porte les germes de sa propre “défaite”. D'une part, nous souhaitons mettre en lumière les forces et les faiblesses du contenu artistique de la musique naturaliste. Dès lors, nous serons amenés à questionner les raisons d'un tel insuccès, d'un point de vue esthétique, au regard du monde culturel mais aussi du grand public. Puis, nous serons amenés à mieux comprendre les obstacles et les raisons pour lesquelles ce mouvement a éprouvé des difficultés à émerger, au sein du répertoire lyrique. Enfin, le combat naturaliste est très ancré dans une période historique mais sa compréhension et son étude relèvent d'un effort constant, de la part des spécialistes, des metteurs en scène et des institutions culturelles. Le devoir de préservation et de valorisation du naturalisme lyrique est un enjeu conséquent pour le patrimoine musical français.

Siffer Roxane - 2010 45 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

Le naturalisme a besoin d'une esthétique et plus particulièrement d'une identité musicale propre. Le combat politique et idéologique, porté par le naturalisme, doit avoir un contenu technique et esthétique, pour être exprimé. Pour exister, un mouvement littéraire ou musical doit avoir des caractéristiques identifiables. Nous pouvons d'ores et déjà nous questionner sur le caractère novateur du "style musical naturaliste". Comment Bruneau ou Charpentier ont-ils tenté d'imposer une rupture avec les canons de l'opéra lyrique? Peut-on parler d'identité naturaliste à l'opéra? Tant de questions, auxquelles nous sommes obligés d'apporter des éléments de réponse, basés sur une étude musicale détaillée.

SECTION PREMIERE : Les difficultés techniques et l’absence de réelle identité musicale

A°) L’influence du wagnérisme: un héritage romantique indubitable

a. Le “leitmotiv” au cœur de la composition naturaliste

“Il y a des idées dans l’air, une influence réciproque, une pénétration des arts les uns dans les autres233” Alfred Bruneau D'abord, il convient d'étudier les grandes caractéristiques techniques du naturalisme. Un des procédés les plus utilisés par les compositeurs naturalistes est le leitmotiv234. Etymologiquement, leitmotiv est un mot allemand, formé de leiten et de motiv, se traduisant respectivement par "diriger" et par "motif". Par définition, le leitmotiv désigne un thème essentiel, répété illustrant une idée ou caractérisant un personnage.

233 ALLARD Etienne et VAUXCELLES L., « Les Conquêtes du siècle ». 234 RIEMANN Hugo, Dictionnaire de musique, Paris, Payot, 1931 : « Motif rythmique, mélodique ou harmonique très nettement accusé, revenant fréquemment et prenant une signification spéciale soit par la situation pendant laquelle il est apparu la première fois, soit par les paroles qu’il a contribué à souligner. Il éveille, toutes les fois qu’il réapparaît, le souvenir de cette situation ou de ces paroles ». 46 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

Le principe du leitmotiv est d'abord associé à l'opéra lui-même dans la mesure où le lyrisme favorise les techniques de réminiscence musicale. On associe très souvent le leitmotiv à Richard Wagner. En France, Berlioz a transformé le leitmotiv en idée fixe par l'intermédiaire de sa Symphonie Fantastique en 1830235. Comme le souligne si justement Alfred Bruneau “Le dix-neuvième siècle est le siècle de Wagner. L’influence de Wagner a été prépondérante sur les compositeurs et sur les auditeurs aussi: tous ont été influencés, émus (…)236”. En utilisant le leitmotiv, les compositeurs naturalistes ont emprunté un instrument technique, communément utilisé par les compositeurs. Le critique Pierre Dukas souligne que Zola et Bruneau cherchent à se démarquer du wagnérisme: “La partition de M.Bruneau fut la première tentative franche d’un accommodement du wagnérisme au tempérament français237”. Paul Dukas montre également l’héritage de Bruneau vis-à-vis de ses prédécesseurs: “M.Bruneau laisse une part aussi large que possible à la voix chantante (…) tout comme M.Massenet238”. Etienne Destranges souligne la distance prise par Bruneau, par rapport au maître Wagner: “Alfred Bruneau est un fervent disciple de Wagner; il connait à fond toutes les œuvres du Maître de Bayreuth (…) Cependant son drame, excepté l’emploi vigoureux du leitmotiv, n’a rien de très wagnérien (…) Les idées mélodiques sont neuves et originales239”. D’ailleurs, Bruneau influencé par son ami Zola, a rappelé l’authenticité de son œuvre, bien qu’il ne nie pas les emprunts faits au wagnérisme: “Je crois à la spontanéité, à la liberté, à l’individualisme en art, cela ne signifie pas que l’on n’a pas de parents (…) mais il ne faut pas s’inféoder à un chef240”. Himonet quant à lui, évoque Charpentier: “Le drame wagnérien servit de modèle à Charpentier pour la construction de Louise. Comme Wagner, il employa le leitmotiv pour évoquer soit un personnage, soit une idée, soit un sentiment241”. Dès lors, nous pouvons souligner que le lien existant entre le wagnérisme et le naturalisme est essentiellement lié à l’ascendant et au prestige de ce premier sur le répertoire musical du dix-neuvième siècle.

“Les naturalistes substituent le leitmotiv pittoresque au leitmotiv plastique” Dauriac L’amitié et la collaboration entre Emile Zola et Alfred Bruneau a valorisé la dimension idéologique des motifs242. André Himonet a rédigé des études, qui répartissent les motifs conducteurs selon trois centres d’intérêt: L’AMOUR : Julien Le désir

235 BERLIOZ Hector, La Symphonie fantastique (Piste 8). 236 ALLARD Etienne et VAUXCELLES L., « Les Conquêtes du siècle ». 237 e e DUKAS Paul, « Chronique musicale », « La revue hebdomadaire 9 /49 , 3 novembre 1900, p. 132. 238 Ibid. p. 133. 239 DESTRANGES Etienne, Le Rêve. Etude thématique et analytique de la partition, Paris, Fischbacher, 1896, pp. 40-41. 240 ALLARD Etienne et VAUXCELLES L., « Les Conquêtes du siècle ». 241 HIMONET André, op. cit., p. 64. 242 En musique, un motif est une phrase musicale se répétant de manière récurrente dans l’œuvre. Siffer Roxane - 2010 47 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

L’enthousiasme La liberté La combativité Louise La passion L’ingéniosité L’hésitation L’aveu LA FAMILLE: Le père Le travail L’optimisme La tendresse Le chagrin La mère Le calvaire des parents PARIS La rue La tentation Le plaisir La sensualité Cris divers Ces motifs conducteurs reviennent tout au long du roman lyrique. La plupart des motifs conducteurs de Louise sont très simples et très peu recherchés mélodiquement. Le Rêve de Bruneau comporte 23 motifs conducteurs sur lesquels est basée toute la trame symphonique. L’utilisation des leitmotiv est donc considérée comme maladroite: “Ainsi, y-a- t-il un profond fossé entre le leitmotiv wagnérien, essentiellement psychologique, et celui de Bruneau, exprimant des idées générales243”. Dauriac ajoute “ Bruneau substitue le leitmotiv pittoresque au leitmotiv plastique (c’est à dire un leitmotiv continuel)”. Ces idées générales sont la Misère, le Travail, les Quatre Saisons, les sentiments comme la Colère ou la Haine par exemple, dans Messidor. Afin de souligner les faiblesses des emprunts maladroits, faits à l’esthétique wagnériste, nous pouvons retenir la critique de Claude Debussy, majoritairement partagée, par les critiques et les musiciens contemporains: “Que pour des raisons particulières, il ait (Wagner) fondé le leitmotive guide, à l’usage de ceux qui ne savent pas trouver leur chemin dans une partition (…) ce qui est plus grave, c’est qu’il nous a habitués à rendre la musique servilement responsable des personnages (…) Chez les naturalistes, ou la musique s’essouffle à courir après un personnage, ou un personnage s’assoit sur une note pour permettre à la musique de le rattraper(…) Le drame (l’Ouragan) de MM. Zola et Bruneau se

243 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 310. 48 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

recommande de nombreux symboles, et je l’avoue ne pas comprendre ce besoin excessif de symboles244”. Ainsi, l’emploi des motifs conducteurs, plus ou moins excessif contribue difficilement à établir une véritable esthétique naturaliste, considérée comme un mauvais pastiche du wagnérisme.

b. Le message social desservi par des maladresses musicales

“Un naturalisme de façade, vidé de toute authenticité sociale245” Manfred Kelkel L’identité musicale du naturalisme souffre également de l’inégalité des œuvres de ses compositeurs, et plus particulièrement de la négligence des compositeurs pour la musique elle-même. Debussy trouve l’œuvre de Bruneau, particulièrement saumâtre: “Il a entre tous les musiciens, un beau mépris des formules; il marche à travers les harmonies sans jamais se soucier de leur vertu grammaticalement sonore; il perçoit des associations sonores que d’aucuns qualifient de monstrueuses246”. Paul Dukas souligne que dans Louise, la musique est déterminée en fonction du drame, d’autres critiques soulignent les difficultés et les conséquences malheureuses, engendrées par la transcription des thèmes naturalistes dans la composition: “Quoique signé Zola, ce poème (au sujet de L’Enfant-Roi) a le tort d’être écrit dans un Français à peine digne d’un Belge (…) On plaint à Bruneau le fait d’avoir eu à mettre en musique des phrases naturalistes comme “Madame Delagrange, voulez-vous me donner une livre de pain rassis!” ou “Les brioches Monsieur, elles sont finies”247”. Le style de Bruneau est sévèrement critiqué par Pierre Laloy: “Ainsi, la musique de Bruneau tantôt s’agite et tantôt se modère, sans que bougent jamais les paroles de plomb qu’elle remorque: pas un accent pas un rythme, pas un mouvement en trahit la moindre trace de vie ou d’émotion248”. Quand à Debussy, il ne s’avère guère plus indulgent: “On a beaucoup parlé de l’harmonie d’Alfred Bruneau, de sa hardiesse ou de sa dureté, de sa nouveauté ou de sa puissance. Je dirai simplement qu’elle n’existe pas249”. De nombreux critiques considèrent que la musique, inégale, parfois grandiloquente et sobre par instants, dessert le livret, la dimension sociale même de ces opéras. Pierre Lalo nous offre un témoignage synthétique et révélateur d’un sentiment largement partagé et vérifié, au cours de nos lectures des différents critiques: “Cette sorte d’art (le naturalisme lyrique) me déplaît, tout me parait faux, où je ne vois qu’erreur. La musique est confondue avec le livret, elle est opprimée par lui (…). Elle est oratoire et grandiloquente à l’extrême dans les tirades philosophiques, et se rend et les rend plus qu’accablantes; elle s’appuie

244 DEBUSSY Claude, L’Ouragan, La Revue Blanche ,15 mai 1901. 245 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984. 246 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 324. 247 Ces critiques ont été recencées par Etienne DESTRANGES, L’Enfant-Roi d’Alfred Bruneau. Etude analytique et thématique, dans le « Guide musical », 23 décembre 1905. 248 LALOY Pierre, Le drame musical moderne. II. Les véristes : Zola-Bruneau, Le Mercure Musical, 15 mai 1905, p. 80. 249 Ibid. p. 82. Siffer Roxane - 2010 49 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

consciencieusement sur les détails réalistes du dialogue et elle accentue ainsi leur fausseté et la sienne en même temps250”. N’ayant pas l’opportunité d’étudier l’ensemble des œuvres naturalistes, nous avons orienté notre étude technique, d’après des œuvres phares, portées par les plus grands compositeurs naturalistes: Bruneau et Charpentier. Après avoir déchiffré et effectué une étude comparative sur partitions, desquelles nous n’avons extrait que quelques fragments explicites et révélateurs. Dès lors, nous sommes en mesure de déduire un certain nombre de caractéristiques, dans l’écriture musicale naturaliste. En effet, du point de vue, purement technique, la prise de position des compositeurs naturalistes s’avère particulièrement ambiguë. D’abord, les compositeurs naturalistes restent profondément imprégnés de l’influence romantique mais ils prônent l’esthétique naturaliste, dans le contenu même de leurs œuvres. Pour être conséquents avec leurs principes et plus encore avec leur combat idéologique, les naturalistes auraient dû se défaire du drame lyrique et de ses canons, dans l’écriture musicale, car “les hommes ne chantent pas leurs impressions, mais les échangent sous forme de paroles dont la notation musicale reste à faire251. D’après Manfred Kelkel, l’une des raisons de leur échec musical est “qu’en voulant appliquer au théâtre réaliste, une technique musicale surannée comme le motif de rappel (le leitmotiv), leur naturalisme s’est trouvé handicapé, conditionné par le matériel utilisé252”. Le problème est en conséquence de nature formelle. En valorisant la dimension psychologique et en usant du leitmotiv, vestige frelaté d’un passé désormais révolu, Manfred Kelkel déduit que les naturalistes “ne réussissent qu’à faire vivre devant nous un naturalisme de façade, vidé de toute authenticité sociale253”. Ainsi, l’identité naturaliste semble chimérique, au regard des principales techniques utilisées dans ces œuvres et des effets qu’elles produisent.

B°) Style et registres de langue du naturalisme: la négation des canons de l’opéra lyrique

a. Le style vocal des naturalistes: comment le naturalisme s’exprime-t-il sur le plan musical? D’après André Messager, le vérisme et le naturalisme sont caractérisés par l’existence du dialogue chanté. Ce “parlé-chanté” répond à la préoccupation des naturalistes: représenter une situation dramatique, particulièrement réaliste. Le décor, les costumes, le langage y contribuent. Paul Valéry a cependant souligné la difficulté d’accorder la prosodie verbale et la prosodie musicale: “Le français bien parlé ne se chante pas. C’est un discours de registre peu étendu, une parole presque plane254”. En l’absence de règles précises, la prononciation, les diphtongues sont conditionnées par le niveau et la classe sociales des personnages. Xavier Leroux, Gustave Charpentier ou encore Alfred Bruneau ont particulièrement appliqué ces pratiques. Les opéras naturalistes

250 LALO Pierre, « L’Enfant-Roi » , Le Feuilleton du Temps, 7 mars 1905. 251 LALO Pierre, « L’Enfant-Roi » , Le Feuilleton du Temps, 7 mars 1905. 252 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 324. 253 Ibidem. 254 VALERY Paul, Regards sur le monde actuel. Pensée et art français, Œuvres, II, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1960, p. 1050. 50 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

faisant appel au langage familier se traduisent notamment par une abréviation des mots, afin de leur donner une articulation plus aisée255: Extrait de La Glu de Dupont: “Et l’vent grand’large, ça pouvait faire256” Extrait de La Troupe Jolicoeur de Coquard: “Est-c’que tu t’es per-due257?” Par désir de simplicité dans l’écriture musicale et par volonté de réalisme musical, les naturalistes tentent de faire coïncider chaque syllabe avec une seule note musicale. Esthétiquement parlant, malgré l’intelligibilité du texte, le chant syllabique est synonyme de monotonie. Le naturalisme se traduit également d’un point de vue musical par l’emprunt de mélodies pré-existantes258. Ce procédé est très répandu au dix-neuvième siècle, le naturalisme s’inscrit donc, dans une longue tradition259. De nombreux compositeurs ont également eu recours à l’auto-citation; certains thèmes de Julien260 proviennent en partie de Louise. Ces reprises illustrent le plus souvent un manque d’inspiration des compositeurs. Le Rêve par exemple emprunte des airs de l’Ave Verum, le Laudate pueri Dominum, le cantique Les Anges dans nos campagnes et un chant populaire “Allons cueillir de l’herbe”. Charpentier quant à lui utilise des fragments de "Ça ira” et de “La Carmagnole” dans son opéra Louise. L’opéra de Leroux Le Chemineau, quant à lui, emprunte des airs populaires bourguignons comme “Chantez mi-taine, chantez mi-ton”. Bruneau, Charpentier, Coquard et leurs contemporains261 font de nombreux emprunts aux mélodies pré-existantes, dont le message politique est sciemment corrélé au contenu même de l’opéra.

“Est-c’que les bons lits, les belles robes, comme le soleil, ne devraient pas être à tout le monde262?” Louise de Charpentier Charpentier cite l’air de la Ravachole, dans Julien, Impressions fausses et Louise. Le père de Louise s’exclame notamment: “Ceux qui ont des rentes aujourd’hui, n’en auront plus demain!263”. Charpentier s’est contenté de répondre que son œuvre n’était 255 Grammaticalement, il s’agit de l’apharèse (on ôte un syllabe au début d’un mot), la syncope (on ôte une syllabe ou une lettre au milieu d’un mot), l’apocope (on ôte une lettre ou une syllabe au milieu d’un mot). 256 La Glu, opéra crée en 1902. 257 La Troupe Jolicoeur , opéra crée en 1902. 258 TIERSOT J, Histoire de la chanson populaire en France, Chapitre IV, 1888. 259 Les romantiques ont particulièrement eu recours à ces procédés, pour désigner un lieu ou une situation dramatique. On peut citer Camille de Saint-Saens, employant des airs chinois pour « La Princesse Jaune », des airs écossais pour « Henri VIII » ou des thèmes arabes pour sa « Suite algérienne ». 260 Julien est un opéra de Massenet, crée en 1913. 261 Blockx dans La fiancée de la mer (1901) emploie des chants populaires marins « La belle avec sa hôte ». Dans L’Attaque du Moulin, Bruneau intègre des signaux d’attaque de l’armée prussienne. Dans Messidor, on peut reconnaître l’air « libera nos Domine ». La Faute de l’abbé Mouret contient également une référence liturgique « Alma Redemptoris Mater ». Dans Les Quatre Journées, Bruneau intègre le chant « Chère Alsace ». Dans La Navarraise, Massenet cite « Une chanson de Madrid ». Les véristes italiens comme Puccini, utilisent des chants et airs japonais, dans Madame Butterfly par exemple (CD Piste « Madama Butterfly »). 262 CHARPENTIER, livret de Louise, p. 23. 263 CHARPENTIER, livret de Louise. Siffer Roxane - 2010 51 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

que la retranscription de l’univers qui l’entourait264. Cependant, par l’intermédiaire des amants Louise et Julien, Charpentier évoque la privation de liberté: “Tout être a le droit d’être libre! Libres dans l’amour! Libres dans la vie! Libres toujours! Soyons libres selon notre conscience265!”. Charpentier introduit le poids de la conscience morale en conflit avec l’idéologie chrétienne: “Nous ne voulons plus de maître!”. Cette profession de foi rappelle cependant le nom du journal anticommuniste “Ni Dieu, ni Maître266” paru en 1885, à Bruxelles et commun à de nombreux groupuscules anarchistes de l’époque. Pour Julien, “il n’y a plus ni BIEN ni MAL. L’homme est mort. Vive l’ANIMAL267”. Charpentier va même jusqu’à évoquer le fouriérisme dans L’Amour du Faubourg, en narrant la vie de Charles Duthoit, attiré par la vie des phalanstériens268. Cependant, Charpentier compose ses opéras au moment même où l’anarchisme recule269 et il est élu à l’Institut, pour succéder à Massenet. Kelkel considère que ce “romantique aux cheveux gris” a avant tout, voulu montrer l’absurdité de l’anarchisme “lorsque qu’il se manifeste sous les formes du terrorisme270”.

b. La victoire de la prose sur la versification des livrets d’opéras

“La variété infinie des périodes en prose ouvre devant le musicien un horizon tout neuf qui le délivre de la monotonie et de l’uniformité” Charles Gounod Comme nous l’avons souligné, il existe une filiation idéologique entre le naturalisme littéraire et le naturalisme musical. Le second est conditionné par le premier, dans les messages qu’il exprime à travers ses personnages, mais le naturalisme musical n’a pas pu se contenter d’être la voix d’une conception politique et éthique, de l’homme et de la société. Le naturalisme lyrique a dû se frayer une place, auprès des plus grands mouvements et compositeurs de son temps. Nous avons pu souligner toute la difficulté d’imposer une écriture musicale, propre au naturalisme, mais nous pouvons d’ores et déjà souligner le caractère spécifique de l’esthétique naturaliste: l’usage de la prose et les registres de langues de ses opéras.

264 DELMAS, op. cit., pp. 67. 265 CHARPENTIER, livret de Louise, p. 65. 266 Ce journal a eu pour slogan, la célèbre formule de Bakounine « Si Dieu existait, il faudrait l’abolir ! ». 267 CHARPENTIER, livret de Julien, p. 84. 268 Le fouriérisme, est d’après son fondateur Fourier (1772-1837) « un ordre des choses où chaque individu, en se livrant à ses passions, puisse coopérer au bien de tous et de leur propre aveu. La Civilisation étant inhabile à produire pareil effet, il faut découvrir une société d’ordre supérieur », d’après FOURIER Charles, « L’éloge de la Passion » dans « Théorie de l’unicité universelle ». Ces communautés utopiques ont eu quelques réalisations en France : la communauté de Condé sur Vesgre (Yvelines) en 1833, qui se solda par un échec cuisant. Cette organisation se compose de phalanstères de 1800 personnes, par groupes de sept personnes au moins. Chaque série représente un travail différent et tout un chacun peut changer de phalanstère au gré de ses envies. 269 En 1913, a lieu le procès de « la bande à Bonnot », petits bandits que la presse qualifie d’anarchistes, dans la mesure où ceux-ci ont commis des actes anarchistes occasionnels dans leur jeunesse. L’anarchisme souffre d’un net recul au début du XXe siècle, y compris au sein du monde ouvrier, qui a rejoint l’action syndicale. 270 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 208. 52 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

Parmi les œuvres naturalistes, deux tiers ont été écrites en prose libre271 ou rythmée272, l’autre tiers étant écrit en vers (Le Rêve, L’Attaque du Moulin de Bruneau, Sapho de Massenet, Le Juif Polonais de Camille Erlanger, La fiancée de la mer de Blockx, Le Chemineau de Xavier Leroux, Julien de Charpentier). Dans L’Attaque du Moulin, Louis Gallet se sert de vers octosyllabiques pour rythmer le chant de la roue du moulin: “ Mon vieux moulin, mon bon moulin, Depuis quarante ans je le mène De toute ma vie il est plein J’y connus la joie et la peine. De l’aube au soir, dans le frisson De l’eau transparente et glacée La roue y chante une chanson Dont ma Françoise fut bercée”. Bien que dans l’Attaque du Moulin, Zola n’ait pas écrit le livret, il suit de très près le travail effectué par le librettiste Gallet: “Zola, qui est poète, donne d’excellents avis et fait des retouches à propos273”. Les critiques sont nombreuses et nous pouvons dire que les toutes les adresses du métier n’arrivent pas à réhausser ces adaptations, cette littérature de seconde main. Manfred Kelkel souligne le caractère suranné et vieilli de la versification: “Contrairement aux idées reçues, la versification semble avoir accéléré le vieillissement prématuré de toutes ces œuvres (Sapho, Le Rêve, L’Attaque du Moulin, Le Chemineau, Le Juif Polonais) et l’on peut supposer qu’une simple adaptation en prose eût été d’un meilleur effet274”. La vraie révolution esthétique du naturalisme est née avec l’introduction de la prose dans la rédaction des livrets d’opéra. Léon Baron, dans un article du Figaro du 8 juillet 1891, révèle le desideratum de Zola d’écrire ses livrets en prose275, les réactions sont contrastées. Dans ce même article, Ambroise Thomas276 considère que “la rédaction en prose du livret est inutile, dangereuse même, et je suis partisan de la conservation de la poésie dont la forme s’adapte essentiellement aux conceptions musicales”. Quant à Jules Massenet, il répond que la prose est envisageable à condition d’être soigneusement sélectionnée: “Certains mots difficiles ou vulgaires devront être rigoureusement exclus”. Zola lui-même a évoqué la nécessité de substituer la prose aux vers: “Ce que le drame musical de notre époque exige, c’est une prose poétique nombreuse, évitant l’hiatus, ou si

271 Les opéras en prose libre sont : Messidor (1897), L’Ouragan (1901), L’Enfant-Roi (1905), Nais Micoulin (1907), La Faute de l’abbé Mouret (1907), Les Quatre Journées (1916) d’Alfred Bruneau, Louise (1900) de Charpentier, Les Armaillis de Doret (1906), La Glu de Dupont (1910), Scemo de Bachelet (1914), Le Sauteriot de Lazzari (1918), Forfaiture d’Erlanger (1921), Le Pauvre Matelot de Milhaud (1927). 272 Les livrets en prose ryhmée sont ceux de La Navarraise de Massenet (1894), La Troupe Jolicoeur de Coquard (1902), Les Pêcheurs de Saint-Jean de Widor (1905), Amica de Mascagni (1905). 273 GALLET Louis, L’écho de Paris, 10 mai 1892. 274 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 173. 275 Il faut attendre Messidor (1897), pour que Zola écrive des livrets en prose. 276 Ambroise Thomas (1811-1896) est un des plus grands compositeurs du XIXe siècle. Siffer Roxane - 2010 53 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

l’on veut une poésie sans rime277”. Messidor, premier opéra en prose, est le triomphe de la prose contre le vers, après avoir soulevé un long débat, auquel Bruneau a pris part: “Oui, c’est bien la liberté que la prose apporte au compositeur dans les larges plis de sa phrase ample et sonore278”. D’après Charles Gounod, premier compositeur ayant expérimenté le livret en prose279 “la prose est une mine féconde, inépuisable de variété280”. La fin du dix- neuvième siècle voit se développer une myriade d’opéras en prose, légitimant dès lors l’usage du langage courant dans le répertoire lyrique (Thais281 ou La Navarraise de Jules Massenet, L’Etranger282 de Vincent d’Indy ou La Vivandière283 de Benjamin Godard).

c. Discours et niveaux de langue dans l’opéra naturaliste

“Il y a des choses et des paroles humaines qui ne méritent pas d’être chantées284” Camille Bellaigue Alfred Malblanc entend par “niveaux de langue” “Le caractère stylistique d’une langue d’après le degré de culture ou les intentions de ceux qui la parlent285”. Il y a la langue “de bon usage ou la langue commune286”. Himonet considère qu’il y a “certaines paroles qui ne méritent pas d’être chantées sur la scène de l’Opéra ou de l’Opéra-Comique287”. Gustave Charpentier a recours à trois niveaux de langue pour la rédaction du livret de Louise: la langue poétique (vers rimés, assonances et allitérations), la langue populaire (locutions familiales ou argotiques), la langue littéraire (prose lyrique). Ces différents niveaux de langues permettent au compositeur d’illustrer différents niveaux sociaux. Julien, par exemple, s’exprime dans un Français de “bon usage”, relativement littéraire. Quand la situation devient lyrique, Louise s’exprime en vers:

277 ZOLA Emile, « Messidor », Œuvres complètes, Cercle du Livre Précieux, p. 582. 278 BRUNEAU Alfred, Vers ou prose, Le Figaro, 28 février 1897. 279 Le premier opéra en prose de Gounod est Georges Dandin (1873), d’après l’œuvre éponyme de Molière. 280 BRUNEAU, A l’Ombre d’un grand cœur, Slatkine, 1980, op., cit., p. 66. 281 Thais, est un opéra en trois actes de Jules Massenet, d’après un livret de Louis Gallet et crée à l’Opéra de Paris, le 16 mars 1894. 282 L’Etranger de Vincent d’Indy est un opéra en deux actes, crée à l’Opéra de Paris le 13 décembre 1903. 283 er La Vivandière est un opéra de Godard, crée à titre posthume, à l’Opéra de Paris, le 1 avril 1895. 284 BELLAIGUE Camille, La Revue des deux mondes, 1900. A propos de Louise de G. Charpentier : « Je suis dégoûté d’entendre l’argot de la butte harmonisé. Charpentier est un réaliste en ce qu’il chante le peuple et sa vulgarité. Or, il y a des choses et des paroles humaines qui ne méritent pas d’être chantées ». 285 MALBLANC Alfred, Stylistique comparée du Français et de l’Allemand, Paris, Didier, 1968 p. 9. 286 VINAY J.P et DALBENET J., Stylistique comparée du Français et de l’Anglais, Paris, Bibliothèque de stylistique comparée, 1958. Dans cet ouvrage, Vinay et Dalbenet établissement une classification des niveaux de langue. « Le bon usage » : la langue poétique, littéraire, écrite (administrative, scientifique) et la langue dite vulgaire ou « de mauvais usage » : la langue familière, la langue populaire, l’argot, les jargons. 287 HIMONET André, Louise, op. cit., p. 41. 54 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

“Depuis le jour où je me suis donnée, Toute fleurie semble ma destinée. Je crois rêver sous un ciel de féérie, L’âme encore grisée de ton premier baiser288” Les personnages issus de la Butte utilisent des expressions crues: “Que viennent faire ces gens-là avec tout leur trarala! Regardez ces filles, ah! En ont-ell’s des falbalas289”. Le père de Louise utilise des locutions populaires: “Sèche tes belles mirettes!290”. Charpentier justifie l’emprunt de formules familières, du fait de sa propre expérience: “Pour traduire musicalement les joies et les angoisses qu’ont connues les hommes de ma génération, je n’ai eu qu’à écouter les confidences de la rue291”. Les locutions familières abondent dans Chemineau de Xavier Leroux “La Jeanet’ s’en va-t-aux champs. Coupe un’javell’, coupe en marchant”. Quant à Arthur Coquard, il justifie l’emploi de formules familières utilisées dans La Troupe Jolicoeur: “Je me suis proposé de fouiller l’âme populaire292”. Cependant, toutes les tentatives de reproduction du langage populaire n’ont pas été fructueuses pour Emile Zola dans les livrets de Messidor, L’Ouragan ou encore de L’Enfant- Roi. Zola a voulu donner une image réaliste du quotidien des paysans, des ouvriers, des pêcheurs ou des boulangers dans l’Enfant-Roi, en remplaçant le niveau de langue littéraire par des locutions populaires. La critique a soulevé les maladresses du romancier: “Tout le livret de M. Zola est écrit en prose, en prose non rythmée, mais dans une prose solennelle et grandiloquente qui surprend un peu, sur les lèvres de ces rudes enfants pyrénéens293”. Emile Zola répond avec véhémence: “Je me suis efforcé, de donner à chaque personnage sa langue propre (…) C’est un poème très lyrique, des personnages d’épopée, que j’ai voulu aussi grands que ceux d’Homère, une action très haute, très générale, exaltée en plein symbole. Vous êtes bien sot si vous imaginez que j’ai fait parler là des paysans294”. Comme nous l’avons montré précédemment, Emile Zola considère son œuvre comme porteuse de messages, de symboles, transcendant le premier degré, qui nous est donné à voir. D’ailleurs, Etienne Destranges, par ailleurs ami d’Emile Zola et d’Alfred Bruneau, souligne qu’il est “en droit de demander à un personnage que ses paroles coïncident avec sa position sociale295”. Il ajoute: “Les héros de Messidor pensent et parlent comme M.Zola, ils soutiennent les théories de M.Zola. Les héros de M. Zola expliquent leurs états d’âme avec une abondance philosophique fâcheuse, avec une précision invraisemblable chez d’humbles montagnards296”. Dès lors, de nombreux critiques de l’époque dénotent une inadéquation entre l’univers social des personnages et le langage qu’ils emploient. En conclusion, nous pouvons souligner qu’à une époque, où seuls quelques librettistes détiennent l’exclusivité de la versification des livrets, Zola a joué un rôle d’avant-garde en 288 Louise , livret p. 59 (Piste 8) 289 Louise, livret p. 72. 290 Ibid., p. 17. « Mirettes » : « yeux ». 291 DELMAS Marc, Gustave Charpentier, op. cit., pp. 67-68. 292 COMBARIEU J., Promenades et visites musicales, M. Arthur Coquard, La Revue Musicale, février 1902, p. 92. 293 FOURCAUD Louis, Messidor, Le Gaulois, 23 février 1897. 294 BRUNEAU Alfred, A l’ombre d’un grand cœur, op. cit., pp. 99-100. Foucaud répond, non sans humour, le 25 février 1897, dans un article du Gaulois : « Le fait positif, c’est que vos acteurs s’expriment sans exception, comme de véritables hommes de lettres ». 295 DESTRANGES Etienne, L’Attaque du Moulin. Etude analytique et thématique, Paris, Fischbacher, 1901, p. 31. 296 e DESTRANGES Etienne, « Messidor ». Etude analytique et critique ». Le Guide Musical 43 , 10 octobre 1897. Siffer Roxane - 2010 55 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

introduisant la prose. L’introduction de la prose est un des seuls apports zoléen, reconnus de nos jours.

d. Les costumes et les décors: une révolution naturaliste?

“Les décors, les scènes et les paroles reproduisent ce que la réalité a de plus quotidien297” Manfred KELKEL L’écriture musicale, la prose et les registres de langue ne suffisent pas à qualifier l’esthétique naturaliste. Les décors et les costumes ont occupé une place fondamentale dans la mise en scène et le message idéologique porté par l’opéra naturaliste298. Plus qu’une question esthétique, il s’agit avant tout de retranscrire la réalité, sans emphase et emprunts au style grandiloquent du Grand-Opéra. Le choix des costumes et du décor sont des indications précisées dans le livret et leur choix est éminemment politique. Quelle société nous est-elle révélée à travers les décors? Le dix-neuvième siècle est marqué par les grandes découvertes comme le gaz (1845) ou l’électricité (1895). Le décor de L’Enfant-Roi prend en compte cette dernière évolution dans son décor299. De plus, les peintres réalistes300 ont concouru au réalisme des décors de théâtre et l’introduction du naturalisme à l’Opéra-Comique a permis une évolution du décor, fidèle reproduction de la réalité. Zola rappelle à juste titre le rôle des indications fournies par les librettistes: “La description des décors et accessoires est non seulement possible, mais elle est de toute nécessité301”. Le décor du Rêve est “lacunaire302” d’après l’article de Jean Chrysale dans Le Figaro. Il ajoute: “Tous ces décors ne semblent pas avoir leur place dans le réel (…) L’idéologie zoléenne est ici court-circuitée non seulement par le conformisme stylistique”. Il note une “étrange atmosphère de nostalgie”. Il achève sa critique en dénonçant un décor “d’un monde clos, étrangement immobile303”. Dans le décor de Messidor, Zola s’efforce de souligner la relation qu’entretiennent les hommes avec la nature304: “Le décor fait aussitôt apparaitre un grand désordre naturel, équivalent au désordre de la société des hommes305”. Zola considère que la corrélation entre les quatre saisons et les décors des quatre actes sont particulièrement parlants: “Le

297 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 111. 298 Voir les chapitres sur Le Décor et les Costumes dans Le théâtre naturaliste d’Emile Zola. 299 ZOLA Emile, Livret de l’Enfant-Roi, p.1 . Le décor se compose « d’une boutique vivement éclairée par l’électricité d’un lustre central, et par des lampes qui jettent au fond, une clarté éblouissante sur les vitrines ». 300 Courbet, Millet… 301 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, op. cit., p. 128. 302 er CHRYSALE Jean, « Le Rêve » à l’Opéra-Comique, Le Figaro, 1 septembre 1891. 303 Ibidem 304 Dans l’acte I, on trouve une cabane et un vallon desséché par le soleil estival. Il est midi et nous sommes sous le soleil brûlant de Thermidor. Puis, le décor de l’acte II présente des arbres dépouillés, un ciel grisâtre, de la brume. Il est minuit et nous sommes durant le mois de Brumaire. L’acte III représente une usine chargée de neige, c’est l’après-midi et l’action a lieu durant le mois de Nivôse. Enfin, l’acte IV représente un soleil triomphant, des champs de blé. L’action a lieu le matin, durant le mois de Prairial. 305 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 102. 56 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

symbole est d’une telle clarté que les enfants le comprendront306”. Messidor est le symbole de l’espoir pour Zola, la foi en la fécondité de la terre, l’espoir des moissons de demain. Les descriptions du quatrième tableau illustrent cette foi inébranlable en l’avenir: “Un soleil triomphant baigne la nappe éclatante des blés, et l’horizon entier resplendit et chante, dans un frisson de fécondité heureuse307”. Pourtant, aucun réalisme authentique ne parvient à transpirer des décors de l’Opéra-Comique. Le respect académique des indications fournies par les librettistes, par les décorateurs dégage un prosaïsme particulièrement pesant. Le décor de La Faute de l’abbé Mouret suscite des débats particulièrement houleux. En effet, Zola a fourni des indications aux décorateurs pour les cinq tableaux, prenant place au Paradou, où s’opposent l’ascétisme chrétien et le culte païen de la vie. Léon Daudet, fer de lance de la critique raciste, voit la volonté délibérément blasphématoire de Zola, à travers le décor: “Ce parallèle entre la nature ensoleillée et le crucifix (…) est un hymne à l’astre rouge, incandescent, père des choses, est pour sa sensibilité rudimentaire (Zola), le dernier mot du panthéisme. Il est le fertilisateur des impudentes sottises dont se gave le matérialisme contemporain308”. La description des décors est parfois tellement minutieuse qu’elle s’affaire à décrire les lieux, mais aussi les ustensiles nécessaires à la fabrication du pain (balances, tringles), comme dans le livret de L’Enfant-Roi d’Emile Zola. Le décor, est d’après Fernand Léger un “élément visuel pouvant contribuer à la réussite d’un opéra” mais il considère que “la médiocrité des peintres-décorateurs des années 1890-1914, par leur inféodation à un réalisme factice, a plutôt contribué à l’échec des opéras naturalistes309”. Dès lors, l’effort de réalisme, se traduisant notamment par une topographie exhaustive de l’univers social, présente le plus souvent une réalité faussée, par manque d’objectivité et d’aliénation des décorateurs aux indications des livrets. Fernand Léger achève sa diatribe contre le décor naturaliste de la Belle-Epoque: “L’élément pictural, au lieu de porter témoignage sur la chosification de l’existence quotidienne, sur la réalité la plus immédiate, se dissout dans un effet dérisoire, visant à transcrire une réalité imaginée, purement fictive”.

“Pour nous en tenir au costume, que d’erreurs aujourd’hui encore, de luxe inutile, de coquetterie déplacée, de vêtements de fantaisie310!” Emile Zola Les costumes ont une importance toute particulière, dans la mesure ou ils sont également porteurs de symboles: “Les costumes d’Alsaciennes seraient bien jolis (à propos de L’Attaque du Moulin). Je vous laisse le soin d’en apprécier l’opportunité et d’en préjuger l’effet peut-être un peu déroulédard311 quoique fort tentant312”. Après, une représentation de L’Attaque du Moulin à Lyon, Bruneau fait part des réactions du public à son ami Destranges:

306 ZOLA Emile, « Ce que j’ai voulu faire », Le Figaro, 20 février 1897. 307 ZOLA, livret de Messidor, p. 58. 308 DAUDET Léon, La libre Parole, 3 mars 1907. 309 LEGER Fernand, Fonctions de la peinture, Paris, Gonthier, 1965, pp. 168-169. 310 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, Titre VIII. 311 Paul Déroulède (1847-1914), poète et homme politique français. Paul Déroulède exprime dans ses œuvres un patriotisme dominé par l’idée de revanche sur l’Allemagne. 312 BRANGER J.-C, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettre à Etienne Destranges, Paris- Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., p. 90. Siffer Roxane - 2010 57 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

“Vizentini me dit que ce qui a le plus troublé le public ce sont les costumes modernes313”. Les costumes des opéras naturalistes se traduisent par une grande simplicité et une adéquation entre le milieu social et le personnage sur scène. Le réalisme des costumes rompt avec l’exotisme et la grandiloquence des opéras du dix-neuvième: “Quand les pièces seront plus humaines, quand la fameuse langue de théâtre disparaîtra sous le ridicule, quand les rôles vivront davantage notre vie, ils entraîneront la nécessité de costumes plus exacts (…) C’est là où nous allons, scientifiquement314”. Il dénonce les mondanités de son temps: “Le lendemain d’une première représentation, la presse s’occupe autant des toilettes que de la pièce; tout Paris en cause”, d’où son plaidoyer pour la simplicité, pour ne pas dire l’extrême dépouillement des costumes: “Le mouvement s’accentuera encore, et la vérité sera complète, lorsqu’on aura décidé les femmes à ne pas profiter d’une pièce historique pour porter des toilettes éblouissantes315”. Il ajoute: “Il faut voir le succès d’un costume exact, pour comprendre ce qu’il ajoute de vie au personnage”. Afin de promouvoir le théâtre au sein des classes populaires, Zola prône l’abandon des costumes pompeux, pour favoriser l’effet d’identification entre le public et les personnages: “La grande majorité des êtres humains se trouve à peu près exclue du théâtre. Jusqu’à présent, on n’est pas allé au-delà de la bourgeoisie aisée. Si l’on a mis des misérables au théâtre, des ouvriers et des employés à douze cents francs, c’est dans des mélodrames radicalement faux, peuplés de ducs et de marquis, sans aucune littérature, sans aucune analyse sérieuse. Et soyez certain que la question du costume est pour beaucoup dans cette exclusion316”. Cette satyre de l’opéra repose sur une observation fine du public de l’opéra lyrique, à la fin du dix-neuvième siècle, que d’aucuns qualifient comme étant “le règne de la bourgeoisie”.

“La vérité des costumes ne va pas sans la vérité des décors, de la diction, des pièces elles-mêmes. Tout marche du même pas dans la voie naturaliste” Emile Zola L’identité naturaliste est particulièrement difficile à définir du point de vue de l’écriture musicale, mais on note des caractéristiques propres au naturalisme lyrique, du point de vue des registres de langue. D’ailleurs, l’adoption de la prose demeure le seul grand apport du naturalisme musical à l’opéra lyrique. L’usage de registres de langue populaires ou familiers, plus ou moins adroitement maniés, dérangent plus qu’ils ne séduisent. L’esthétique naturaliste se traduit notamment par l’intermédiaire de décors épurés, des décors simples et résolument réalistes. Ce desiderata d’exposer la réalité sur scène, y compris dans ses manifestations les plus modestes (le peuple de la Butte Montmartre, les paysans…) correspond au souhait d’exposer une “tranche de vie”, tout en favorisant le phénomène d’identification du peuple, aux personnages qu’il voit sur scène. Malgré le cri de révolte de Charpentier: “Que tout notre système musical s’écroule (…) que le théâtre lyrique soit l’image intense, synthétisée de la Vie, de notre Vie317”, l’identité naturaliste, malgré ses

313 Ibidem, p. 96. 314 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, Titre VIII. 315 Ibidem. 316 Ibidem. 317 CHARPENTIER Gustave, « L’Attaque du Moulin », Gil Blas, 25 novembre 1893. 58 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

bonnes intentions, s’impose laborieusement, à la fin d’un siècle où la bourgeoisie impose ses standards esthétiques.

SECTION SECONDE : Les élites de l’univers musical réservées à l’égard du naturalisme lyrique

Ce que l’on entend par élites touche tout autant la critique musicale, les directeurs de théâtres lyriques et les institutions culturelles, comme les Conservatoires. Cet univers culturel s’est avéré particulièrement inquisiteur, au regard de l’esthétique et des messages véhiculés par le naturalisme. Avant d’approfondir notre étude de la réception du naturalisme, au sein du cercle des “initiés” et des spécialistes, il convient d’ores et déjà d’insister sur le poids de la critique au dix-neuvième siècle. Elle se manifeste par l’intermédiaire de journaux spécialisés ou au travers de la presse généraliste (Le Figaro), dans des articles plus ou moins érudits et honnêtes intellectuellement parlant318. Jules Michelet, a questionné le rôle de la presse et sa réponse semble sans appel “ Qu’est-ce que la Presse, au temps moderne, sinon l’arche sainte319?”. Ainsi, l’enjeu de cette étude est de souligner en quoi les réactions des élites culturelles de la Belle-Epoque, quant à l’esthétique et au message politique du naturalisme, ont-elles accéléré “la mort du cygne320”.

A°) Des journaux hostiles à l’avènement d’un genre “profane” sur la scène lyrique:

a. “Un cabinet des curiosités321” pour la critique musicale française A cette époque, les courants littéraires et musicaux occupent une place considérable dans l'univers culturel français. Les guerres intestines et les débats passionnés au sein des grands titres de la presse témoignent de cet engouement pour cet art éminemment politique. Zola a été au cœur de diatribes et de pamphlets injurieux, c'est pourquoi il semble aisé de saisir la portée et les conséquences de sa collaboration avec Bruneau. De nombreux critiques dénoncent l'esthétique naturaliste, bien avant qu'elle ait été mise en scène. Pour la plupart, ces articles seront hostiles à Zola, accusé de vouloir conquérir l’opéra au moyen de “l’horreur naturaliste”. L'article du critique Willy du 11 janvier 1890 dans 318 On pense notamment à la corrélation existant entre les journaux Anti-Dreyfusards et leur critique véhémente des œuvres naturalistes sur la scène lyrique. 319 MICHELET Jules (1798-1874), Le Peuple, A Monsieur Edgar Quinet, 1846. Dans la religion juive, l’arche est la partie la plus sainte de la synagogue. Quand elle est ouverte, les fidèles se tiennent lèvent en signe de respect pour les rouleaux de la Tora. 320 Expression tirée du poème de Sully Prudhomme « Le cygne », mis en musique par Tchaikovsky avec le « Lac des Cygnes ». Prudhomme conte la mort, lente et paisible de l’animal majestueux : « L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète, ￿ La splendeur d'une nuit lactée et violette, ￿ Comme un vase d'argent parmi des diamants, ￿ Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments”. Cette expression est passée à la postérité et désigne une mort douce et non un trépas agonisant. 321 Les cabinets des curiosités sont nés durant la Renaissance et ont été remplacés au dix-neuvième siècle, par des institutions officielles, comme les musées. Ces cabinets se traduisent par un certain hétéroclisme des objets, où les antiquités d’une autre ère côtoient des souvenirs de voyages. Siffer Roxane - 2010 59 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

La Paix l'illustre l’abomination qu’incarne le naturalisme, à ses yeux: "Nous n’y échapperons pas ! L’abominable Rêve de M. Zola va inspirer un compositeur, le jeune M. Bruneau, que notre confrère du Siècle, M. Céard, pousse dans cette voie dangereuse (…) M. Gallet, chargé de confectionner le livret d’après le roman zolique, est bien réellement directeur de Lariboisière322". Willy est par ailleurs un ami de Vincent d'Indy, opposant sinon ennemi du naturalisme et de ses représentants, pour les raisons évoquées dans la première partie du mémoire. En attaquant ouvertement le naturalisme, certains critiques ont tenté de rappeler la filiation existant entre le naturalisme littéraire et le naturalisme musical, entre les naturalistes et Dreyfus. Ainsi, les critiques ont contribué à disqualifier le mouvement, aux yeux d'un public encore divisé, avant qu'il ne naisse. Dès lors, les critiques ont rarement fait abstraction de leur aversion pour Zola, aux dépens de Bruneau et de l'esthétique novatrice dont il a été porteur. Ces amalgames malheureux ont probablement pressuré le naturalisme lyrique. A l'exemple du public, les critiques ont cependant fait preuve de curiosité en assistant aux représentations du Rêve en 1891. D'ailleurs, l'adaptation du roman suscite une certaine empathie de la part des critiques:"Poésie étrange, peut-être, dans son mysticisme et sa simplicité voulue, mais poème émouvant, idylle tragique qui se déroule rapide et poignante. [Ecriture qui touche] à la cacophonie, ces accords constamment altérés, ces déchirantes harmonies323”. Rares sont les critiques émettant une critique positive à l’encontre des œuvres naturalistes. Charles Koechlin loue le réalisme de L’Attaque du Moulin: “Nous avons admiré cette musique, si sincère, si spontanée, émue et vraie324”. On peut également citer Etienne Destranges: “La partition de Messidor se recommande par une haute probité artistique, par l’emploi intelligent et judicieux des thèmes325”. Destranges, loue également L’Ouragan: “ L’Ouragan est une partition saine, robuste et d’une sincérité absolue326”. Il dénonce également les conséquences de l’affaire Dreyfus et l’interdiction de représentation, dont sont frappées les œuvres de Bruneau: “ Les représentations de Messidor sont arrêtées en plein succès, à la neuvième soirée, par une interdiction du maire, interdiction motivée par les troubles qui agitent Nantes au moment de la période aigue de l’affaire Dreyfus (…) Les ouvrages de Bruneau sont frappés d’un imbécile ostracisme327”. En effet, l’amitié entre les deux hommes résiste contre vents et marées: “Cela me rend si heureux de me sentir aimé par de vrais et solides camarades dans ma bataille d’art328”. D’ailleurs, Destranges n’a de cesse d’aider musicalement Bruneau “Je vous envoie un tableau des motifs que j’ai relevés329”. Zola remercie Destranges pour sa loyauté, malgré l’affaire Dreyfus “(…)Mon plus 322 Lariboisière est un hôpital parisien, construit au dix-neuvième siècle, suite à l’épidémie de choléra de 1832. Le conseil des hospices a voulu en faire « un monument de charité où la philanthropie, où la science et l'art soient développés avec tous les progrès du temps” (Source: Rapport de la séance du conseil des hospices du 22 mai 1839). Dès lors, on peut comprendre la relation établie par Willy, entre l’idéologie portée par la construction de cet hôpital et le projet naturaliste, influencé par le positivisme. 323 Le Rêve, Le Guide Musical, 28 juin 1891. 324 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 228. 325 e DESTRANGES Etienne, Le Guide Musical, 43 , 24 octobre 1897. 326 e DESTRANGES Etienne, « L’Ouragan. Etude analytique et thématique », Le Guide Musical, 47 , 6 octobre 1901. 327 DESTRANGES Etienne, Le Guide Musical, 9 mars 1901. 328 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 121. 329 Ibid., p. 124. 60 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

grand chagrin est l’hostilité si rude que Bruneau rencontre330”. A la mort de Zola, Destranges signe une épitaphe encomiastique du romancier: “(…) Cette collaboration féconde d’un romancier célèbre et d’un grand musicien est l’un des faits les plus intéressants de l’histoire de l’art331”.

“A chaque fois que l’on joue une des mes oeuvres, les cataractes d’eau changent les rues en torrents infranchissables332” Alfred Bruneau Bruneau déplore ses rares soutiens en 1905: “Les fidèles comme toi sont décidément de plus en plus rares333”. On reproche notamment à Bruneau de présenter des opéras aussi médiocres sur le fond que sur la forme: “Bruneau est dans le faux dès l’origine de sa conception et de son esthétique (…) il n’arrive pas à donner l’impression de la vérité334”. La critique est toute aussi violente pour La Faute de l’abbé Mouret, où l’on croit voir une attaque frontale, faite au Catholicisme. Zola est d’ailleurs accusé de “panthéisme”. Ainsi, sans avoir eu la prétention de dresser un panorama exact des réactions de la critique335, nous avons montré en quoi la critique s’est-elle plu à observer, disséquer puis condamner le naturalisme musical. Progressivement la critique musicale de Bruneau, s’est confondue dans une incrimination plus générale336, ayant trait au naturalisme et plus particulièrement à son père idéologique, Zola.

b. La réception des œuvres naturalistes à l’étranger En Grande-Bretagne, Le Rêve est accueilli le 20 octobre 1891, où il bénéficie d’un franc succès. Trois ans plus tard, Massenet présente La Navarraise, au Covent Garden. La critique est particulièrement élogieuse pour cet opéra bénéficiant “d’un certain naturel, plein de franchise337” mais The Musical Standard dénonce les effets sonores: “Bang, bang,

330 ZOLA Emile, Correspondance, vol. X, p. 390. 331 e DESTRANGES Etienne, « Emile Zola », L’Ouest-Artiste, 18 , 4 octobre 1902. 332 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 204. 333 Ibidem p. 205. 334 LALO Pierre, « Nais Micoulin », Le Temps, 19 février 1907. 335 Les critiques à l’encontre d’Alfred Bruneau sont les plus nombreuses, dans la presse, mais aussi les plus contrastées. L’analyse est d’autant plus intéressante, qu’en étudiant les critiques musicales des opéras de Bruneau, nous pressentons le poids et l’importance de Zola. 336 La critique musicale pose plusieurs questions: qui a la compétence pour critiquer la musique? Les musicologues sont-ils en mesure de communiquer “ l’âme des œuvres ” à leurs lecteurs? Martin Cooper, considère que “ la critique musicale est l’art d’exprimer en mots non seulement son opinion des œuvres qu’il critique mais aussi de maîtriser l’infinie variété des connotations implicites des mots: par le choix et l’inclusion d’un adjectif ; par le caractère abrupt ou atténué d’une formule par laquelle un jugement est rendu ; dans l’insistance sur certains points qui assure que le lecteur comprend insensiblement la qualité et les caractéristiques pertinentes d’une œuvre ou d’une représentation. Car l’écriture est également une forme de composition dans laquelle l’harmonie et l’orchestration sont utilisées pour modifier et ajouter de la couleur et de la diversité aux simples discours mélodiques (Source: COOPER Martin, Judgements of Value: Selected Writings on Music , Oxford, Oxford University Press, 1988. 337 SHAW G.-B, The World, 20 juin 1894, Ecrits sur la musique 1876-1950, Liébert, Paris, Laffont, 1994, pp. 1042. Siffer Roxane - 2010 61 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

bang! bloodshed, soldiers, gunpowder smoke, passion rising to hysterics338”. La Navarraise de Massenet fit le tour des grandes capitales européennes et de nombreux critiques ont considéré que cette œuvre était destinée aux opéras étrangers, afin de rivaliser avec l’opéra vériste Cavalleria rusticana. Les œuvres de Bruneau jouissent d’un succès constant au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, comme le souligne le directeur du théâtre, dans une lettre adressée à Bruneau: “Nous donnons en ce moment la quatorzième du Rêve devant une salle comble. Le succès s’accentue. Nos abonnés, un peu troublés d’abord, sont à présent les plus chauds admirateurs de votre ouvrage qui restera toute la saison à notre répertoire339”. En Allemagne, la critique s’avère particulièrement enthousiaste, Charpentier souligne l’accueil chaleureux du monde artistique d’Outre-Rhin: “Je fus sans doute un des plus choyés parmi les artistes français en Allemagne”. Malgré les conflits opposants les deux pays et les thèmes abordés dans L’Attaque du Moulin (la guerre franco-prussienne), l’art triomphe. A Vienne, Bruneau et Charpentier sont loués: “La première de Louise est finie/ Une œuvre de génie340”. En Italie, les opéras naturalistes sont des objets de comparaison avec le vérisme italien (cf. introduction). La première de La Navarraise, représentée le 6 février 1896 à La Scala, entre en concurrence avec La Bohême de Puccini, représentée à Milan, le 1er février 1896. La presse italienne est particulièrement sévère à l’encontre de l’œuvre naturaliste, en évoquant “une défaite désastreuse (…) Le public italien, et celui de Milan, plus particulièrement, pense différemment du public parisien, qui se contente facilement de la sauce même si le poisson est insipide341”. Cependant, la critique italienne est dithyrambique, lors de la création de Sapho: “Dans Sapho, le génie du compositeur (Massenet) montre la source inépuisable de ses prérogatives de musicien charmeur et sa maîtrise du savoir musical342”. L’œuvre de Bruneau est accueillie avec peu de ferveur: “ Dans l’ensemble, l’exécution de L’Attaque du Moulin fut médiocre343”. Le critique Nappi résume, par l’intermédiaire d’une plume incendiaire l’incompatibilité existant entre l’esthétique naturaliste et le tempérament italien: “Cette pièce (L’Attaque du Moulin), ne répond pas du tout à nos goûts, à notre idéal (…) Le Maestro Bruneau a voulu être considéré comme le Messie du nouveau drame musical français344”. Dès lors, la critique italienne s’avère particulièrement active mais elle s’emploie plus à comparer les effets de l’esthétique vériste et naturaliste qu’au contenu même des œuvres, esprit de contradiction transalpin oblige…

338 « Pan, pan, pan ! du sang, des soldats, de la poudre à canon, de la fumée, de la passion qui monte à l’hystérie » in « La Navarraise », The Musical Standard, 23 juin 1894. 339 Alfred Bruneau, A l’ombre d’un grand cœur, Slatkine Reprints, 1980, p. 38. 340 MAHLER Alma, Mémoires, note du 28 mars 1903. 341 NAPPI G.-B, « Teatro alla Scala -La Navarrese di Massenet », La Perseveranza, 7 février 1896, p.3 in BRANGER Jean- Christophe, Le naturalisme sur la scène lyrique, Saint-Etienne, Presse de l’université de Saint-Etienne, 2004, p. 185. 342 NAPPI G.-B, « Teatro Lirico -Sapho di Massenet », in BRANGER Jean-Christophe, Le naturalisme sur la scène lyrique, Saint-Etienne, Presse de l’université de Saint-Etienne, 2004, p. 200. 343 Ibidem, p. 190. 344 Ibidem. p. 191. 62 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

B°) Les directeurs des théâtres lyriques nationaux, majoritairement hostiles aux opéras naturalistes

a. Une programmation selon le bon vouloir du directeur d’opéra

“Cette musique synonyme de la sincérité même, que pour des raisons mystérieuses, nos théâtres subventionnés laissent depuis si longtemps dans l’ombre345” Florent Schmitt Cette étude nous permet de montrer en quoi les convictions personnelles des directeurs de théâtres lyriques, auxquelles s’ajoute le contexte politique de l’époque, contribuent à exclure les œuvres naturalistes des programmations. Ces théâtres subventionnés sont apparus comme d’excellentes sondes de la société. C’est pourquoi, il nous semble judicieux de nous intéresser plus particulièrement aux réactions des institutions culturelles, contemporaines à l’affaire Dreyfus. La manière dont a été traitée l’œuvre de Bruneau, au sein des théâtres lyriques, est symptomatique du climat social entourant l’affaire Dreyfus. Tout d’abord, de nombreuses œuvres ont été amputées de tableaux346 ou ont dû bouleverser le contexte historique347 ou la mise en scène. D’après Jean-Sébastien Macke, Zola et Bruneau ont dû mener “une lutte de tous les instants pour imposer leurs théories et permettre au naturalisme de s’exprimer sans concession sur les scènes lyriques348”. En pleine affaire Dreyfus, la municipalité de Nantes interdit la représentation du Rêve, de Messidor et de L’Attaque du Moulin, ses trois premières œuvres en 1898: “Je ne comprends pas du tout l’interdiction en bloc de mes trois drames par la municipalité de Nantes349”, déplore Bruneau. L’Opéra-Comique, écarte toute idée de reprise de Messidor: “Malgré toute ma bonne volonté dont vous ne pouvez douter, je me trouve dans l’impossibilité de remonter Messidor350”. Alexandrine Zola s’avère particulièrement pragmatique quant à la réception du naturalisme de Bruneau: “ Mon opinion sur Carré351 est faite depuis longtemps (…) et la musique de Bruneau n’est pas celle qui lui plaît352”.

345 SCHMITT Florent, « Les Bacchantes », La France, 31 octobre 1912. 346 Le Rêve a été amputé de son dernier tableau « la mort d’Angélique » pour que l’opéra se termine sur une note positive, selon la volonté du directeur de l’Opéra-Comique. 347 Comme nous l’avons déjà souligné, la Révolution de 1789 s’est substituée à la guerre franco-prussienne pour ne pas « ressusciter de souvenirs trop récents ». Bruneau s’est évertué à montrer que ce changement de contexte historique, dénaturait la dimension dramatique de L’Attaque du Moulin. 348 BRANGER Jean-Christophe, Le naturalisme sur la scène lyrique, Saint-Etienne, Presse de l’université de Saint-Etienne, 2004, p. 70. 349 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 104. 350 Ibidem p. 45, Lettre de Pedro Gailhard à Alfred Bruneau (directeur de l’Opéra de Paris de 1884 à 1907). 351 Albert Carré (1852-1938), est administrateur de l’Opéra-Comique entre 1898 et 1913. 352 ZOLA Alexandrine, lettre à son mari, 15 novembre 1900, E. Zola, Correspondance, vol. X, p. 200. Siffer Roxane - 2010 63 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Le principal soutien mais aussi le relai du naturalisme lyrique, a été André Antoine353, père de la mise en scène moderne. Metteur en scène de talent et directeur du théâtre de l’Odéon, dès 1906, il a permis au naturalisme lyrique de s’exprimer. Lors de la création de La Faute de l’abbé Mouret, Antoine souhaite que la pièce résonne avec l’actualité brûlante, entourant la loi de 1905: “ Voilà du théâtre! Et quelle terrible signification d’actualité il prend354”. D’après Jean-Sébastien Macke l’association du compositeur Bruneau, du romancier Zola et du metteur en scène Antoine a été pour le naturalisme lyrique “la dernière occasion de s’exprimer”. Malgré l’admiration fervente de Bruneau pour André Antoine, Zola n’était déjà plus de ce monde, pour apprécier les audaces de la mise en scène. Ainsi, à travers l’œuvre de Bruneau, se dessine toute la difficulté vécue par les compositeurs naturalistes, pour représenter leurs opéras lyriques, sur les scènes des théâtres lyriques subventionnés.

b. L’environnement des compositeurs: entre admiration et hostilité Deux grandes tendances méritent notre attention à la fin du dix-neuvième siècle. D’abord, Jules Massenet exerce une influence considérable sur ses contemporains dont Debussy ou Puccini. Jusqu’à la mort de ce dernier, la jeune génération de compositeurs, composées de Debussy, Chabrier, Saint-Saens, Fauré, d’Indy est éclipsée par le succès du maître Massenet. L’œuvre de Massenet est particulièrement hétéroclite; d’abord proche du Parnasse355, l’académicien se “convertit” à l’opéra naturaliste avec La Navarraise, dès 1894. Ce virage esthétique et idéologique a souvent été qualifié d’opportunisme, à la fin d’un siècle, mu et marqué par la modernité et par la naissance de nouveaux mouvements littéraires et musicaux. Professeur de Bruneau au Conservatoire, Massenet n’a cessé d’encourager sa jeune ouaille lors de la création de La Faute de l’abbé Mouret: “Quel ouvrage émouvant, admirable aussi!356” La deuxième tendance est le triomphe de l’école symboliste et plus particulièrement de Claude Debussy357. Le symbolisme est né vers 1880 et conceptualisé par un groupe d’artistes opposés à une vision matérialiste du monde, issu de l’industrialisation. Passéistes et apolitiques, les symbolistes prennent le contrepied des naturalistes. Quand Zola considère que l’individu est la proie d’un système social et économique, dont il est victime, les symbolistes récusent l’hérédité et considèrent que l’individu peut créer un univers autiste, dans lequel il vit sans partage358. Vestige d’un romantique suranné, le symbolisme privilégie

353 André Antoine (1858-1943) est le créateur du Théâtre Libre qui remet en cause les canons de la mise en scène classique. Proche de Zola, il applique les principes du naturalisme à la mise en scène, en prônant un théâtre populaire. Il réalise également huit films comme La Terre (1921) ou L’Arlésienne (1922). (Source : ANTOINE A.-P, Antoine, père et fils, Julliard, Paris, 1962). 354 BRANGER Jean-Christophe, Le naturalisme sur la scène lyrique, Saint-Etienne, Presse de l’université de Saint-Etienne, 2004, p. 73. 355 Le Parnasse est un mouvement poétique apparu à la fin du dix-neuvième siècle, opposé aux excès lyriques du romantisme et recherchant la perfection formelle de l’art poétique. On peut citer Baudelaire ou Mallarmé. 356 MASSENET Jules, l.a.s à Alfred Bruneau, février 1907, Archives Puaux-Bruneau. 357 Claude Debussy (1862-1918) a d’abord été influencé par les grands noms de la musique russe comme Tchaikovski et Moussorgski, lors d’un long séjour en Russie. Compositeur de talent, il remporte le Prix de Rome en 1884 mais c’est l’opéra Pelléas et Melisande qui lui assure la consécration en 1902. 358 A ce sujet, l’œuvre A rebours de Joris-Karl Huysmans, narre le quoitidien de Des Esseintes, anti-héros, égocentrique et esthète. Cette œuvre marque une rupture avec le naturalisme en introduisant le thème de la décadence. 64 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

l’imaginaire, le rêve ou le fantastique359. Vivier littéraire très prolifique360, le symbolisme est aussi musical, incarné par Debussy. Le premier grand succès du compositeur date de 1894 avec le Prélude à l’après-midi d’un faune, d’après le poème de Stéphane Mallarmé. En 1902, il crée l’opéra Pelléas et Mélisande361, d’après la pièce éponyme de Maurice Maeterlinck. Le succès des symbolistes est immédiat, éclipsant dès lors le naturalisme musical. Bruneau n’a de cesse d’exprimer sa crainte: “Debussy, un être à part, très personnel, très curieux362”. Crainte cependant mêlée d’admiration: “Sa recherche d’une poésie personnelle ne s’exerce jamais au détriment de la beauté363”. Jean-Christophe Branger souligne l’amitié existant entre Charpentier, Bruneau et Debussy bien “qu’ils ne se soient jamais compris” du fait de leur volonté commune “de renouveler les fondements du théâtre lyrique364”. Ces deux conceptions esthétiques opposées, couplées de positions politiques contraires, ont difficilement permis aux deux hommes de s’accorder. L’œuvre et l’esthétique naturalistes, bien qu’éclipsées par le succès retentissant du symbolisme musical, ont cependant bénéficié de l’intérêt sinon de la curiosité de leurs contemporains. De nombreux compositeurs comme Gabriel Fauré ont soutenu l’audace artistique de Bruneau, lors de la création des Quatre Journées: “Il fallait s’y attendre, dans ce pays où l’on nous fait vivre sous le régime des classifications et où l’on nous assigne des limites, on vous fait un mérite singulier de vous être montré sur un autre aspect365”. Au lendemain de la création de Messidor, le grand compositeur espagnol, Albeniz s’exclame dans une lettre adressée à Bruneau: “Et bien Monsieur, permettez-moi en ma qualité de quasi collège espagnol de vous faire parvenir le profond sentiment d’admiration que votre Messidor a produit en moi366”. Strauss quant à lui remercie Bruneau d’avoir composé une telle œuvre: “Ce matin, mon émotion était toute neuve et ma joie sincère devant une œuvre qui contient du caractère, de la force…et de la musique367”. Maurice Emmanuel évoque la collaboration de Zola et d’Alfred Bruneau en termes dithyrambiques: “Tous deux sont des poètes : ils grandissent les gens, ils agrandissent les choses. Ils parlent un langage épique, et ils dramatisent la nature. Elle n’est point pour eux l’objet d’une simple contemplation: ils la sentent vivre devant nous dans des peintures ardentes368”.Parmi les détracteurs du naturalisme, Vincent d’Indy, concède, lors de la représentation de L’Ouragan: “ C’est grand et simple!369”. 359 MALLARME Stéphane, Divagations, 1897. 360 Verlaine, Huysmans, Claudel, Mallarmé, Valéry, Gide ont été influencés par le symbolisme. 361 Opéra inimitable, crée en 1902, traitant de la jalousie: le héros Golaud, ressemble à Othello. Il maltraite Mélisande, et finira par la tuer ainsi que son amant Pélléas. Cet opéra est surtout une oeuvre charnière dans la mesure où il traite de la dépression, de mal être: “ Je ne suis pas heureuse ” s’exclame Mélisande. Cette œuvre est contemporaine de la psychanalyse. 362 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 55. 363 BRUNEAU Alfred, « Les grands concerts », Le Matin, 26 mars 1928. 364 BRANGER Jean-Christophe, Alfred Bruneau, Un compositeur au cœur de la bataille naturaliste, Lettres à Etienne Destranges, Paris-Nantes, 1891-1915, Paris, Honoré Champion éd., 2003, p. 56. 365 Ibidem, p. 45. 366 ALBENIZ Isaac, l.a.s à Bruneau, Paris, 21 février 1897, Archives Puaux-Bruneau. 367 BRANGER Jean-Christophe, Le naturalisme sur la scène lyrique, Saint-Etienne, Presse de l’université de Saint-Etienne, 2004. 368 EMMANUEL Maurice, Prose et Musique. A propos de L’Ouragan, Revue de Paris, 15 juin 1901. Siffer Roxane - 2010 65 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

En conclusion, les compositeurs naturalistes ont suscité l’admiration de leurs pairs, par leur audace musicale et esthétique mais aussi grâce à l’interpénétration des écoles et des tendances musicales; les naturalistes ont se frayer un chemin parmi les compositeurs de leur temps. Cependant, l’univers de la critique a été majoritairement réfractaire à l’esthétique naturaliste, pour des raisons tenant plus à des motifs politiques qu’à des considérations purement artistiques. Ce que de nombreux critiques de l’époque ont considéré comme une profanation du genre lyrique, s’est révélée être le cœur d’un débat touchant au problème de la modernité et des standards, parfois poussiéreux de l’opéra lyrique. Enfin, l’attitude réservée des directeurs d’opéras à l’encontre des œuvres naturalistes, apparaît comme un frein à leur diffusion, qui plus est auprès des classes populaires, thèmes et muses de ces opéras.

SECTION TROISIEME : La réception du naturalisme dans l’opinion publique: un succès mitigé à travers les époques

Après avoir mis en exergue la réception du naturalisme, au sein du monde culturel de la fin du dix-neuvième siècle, notre dernière partie questionne la réception du naturalisme, auprès du public. Par public, nous entendons mener une étude relativement complète, en nous intéressant d’abord aux destinataires et acteurs des opéras naturalistes, issus des classes populaires. Puis, nous serons amenés à nous questionner quant à l’impact du naturalisme musical sur la société de la Belle-Epoque, et comment la bourgeoisie a-t-elle freiné la démocratisation du répertoire lyrique et enrayé l’essor du naturalisme lyrique.

A°) L’opéra naturaliste et l’expérience du miroir370

a. La reconnaissance de son semblable

« Les pauvres gens peuvent-ils être heureux ? » Louise Le naturalisme lyrique a voulu favoriser le phénomène d’identification du public par l’intermédiaire de personnages connus, que tout un chacun, quelle que soit son 369 D’INDY Vincent, Lettre à Etienne Destranges. 370 Jacques Lacan (1901-1981), psychiatre et psychanalyste français, a conceptualisé « l’expérience du miroir » en mettant en exergue quatre étapes dans l’identification, en se fondant sur l’expérience vécue par l’enfant. D’abord il y a la reconnaissance de l’image de l’autre (la vue), puis l’enfant prend son image pour celle d’un autre enfant, ensuite l’enfant ressent un sentiment de malaise devant sa propre image ; enfin, l’enfant s’identifie par rapport à sa propre image. Ces quatre stades nous permettent d’étudier la perception et l’éventuel phénomène d’identification du public vis à vis des personnages, mis en scène par les naturalistes. Le public se contente-t-il du premier stade ? (Source : LACAN Jacques,

Le stade du miroir. Théorie d'un moment structurant et génétique de la constitution de la réalité, 1937). 66 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

appartenance sociale, est amené à rencontrer dans la rue. La première étape du miroir, conceptualisée par Lacan commence par la “vue” d’un personnage dont nous avons a priori les mêmes attributs. Cette première étape est notamment possible par des similitudes établies entre le personnage et le public. De nombreux essayistes et spécialistes du naturalisme lyrique ont établi des typographies des classes sociales, présentes dans l’ensemble des œuvres naturalistes. Manfred Kelkel distingue plusieurs classes sociales: la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, le prolétariat, la paysannerie et les pêcheurs, et les marginaux. La volonté de véhiculer une image réaliste de la société s’attache plus à dépeindre la réalité du quotidien et les préoccupations de ces hommes, plutôt qu’à tenir compte de l’importance numérique de chaque catégorie de population dans la société. Les « marginaux » (les artistes, les prostituées, les criminels, les étudiants, les clochards371) occupent déjà une place considérable, dans l’œuvre zolienne (la prostituée Nana). Les œuvres naturalistes de Bruneau, étant pour l’essentiel des adaptations de romans, se sont attachées à retranscrire les quotidiens ordinaires, des laissés pour compte, tant sur la scène de l’opéra lyrique que dans la société du dix-neuvième siècle. Les bas- fonds de Paris occupent une place importante dans l’œuvre de Charpentier avec Louise, Massenet avec Sapho, pour ne citer qu’eux. Le quotidien des artistes s’oppose à celui de l’humble ouvrier, qui s’attèle à sa besogne, dont le seul confort semble la douceur du foyer familial (Louise). Cette société parisienne est un vivier de contrastes où cohabitent des hommes qui ne se comprennent pas (les artistes et les ouvriers dans Louise). Cet hermétisme social s’explique notamment par une forte homogamie sociale. L’atavisme social, cher au naturalisme littéraire, est à nouveau la toile de fond de notre analyse. Le Paris des artistes et des marginaux occupe une place centrale dans l’œuvre naturaliste. Bien que de nombreux liens soient établis entre les artistes de la Butte, les cabarets et les tenants du naturalisme, le naturalisme lyrique s’emploie à décrire des hommes décadents, dont la grande liberté n’exclut pas la pauvreté.

b. La confusion Par confusion, nous pouvons entendre situation vécue ou vérifiable par le public lui-même. Le monde rural est dépeint à travers Messidor de Bruneau (cf. première partie), mais il s’agit avant tout de l’allégorie d’une paysannerie, exploitée par la toute-puissance de l’industrie. La révolte victorieuse des paysans contre l’univers des machines, s’avère particulièrement utopique mais elle met l’accent sur le reflux du monde paysan dans la société française. Cette paupérisation du monde rural, s’est faite au nom de l’industrie dévorante, acte de naissance du prolétariat urbain, laborieux et miséreux, décrit avec justesse dans Germinal. Par l’intermédiaire de ces paysans, victimes de l’industrialisation, le public identifie une situation familière du dix-neuvième siècle : la paupérisation et l’exode rural. La confusion induit la similitude des expériences vécues, au risque de ne plus distinguer le réel de l’imaginaire. Louise est l’allégorie de la condition féminine au dix-neuvième siècle. En épousant la vie de bohême auprès de Julien, Louise renonce à son milieu et à l’amour familial. La liberté a un prix : s’exclure de son milieu, nier ses racines familiales (Louise renonçant à l’univers familial pour l’amour-libre). Dans Nais Micoulin, Zola met en exergue la soumission féminine372 :

371 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 102. 372 Zola dénonce la situation des femmes de son temps : « Moi, des hommes et des femmes, je ne fais qu’un, en admettant cependant des différences de nature » (Source: KRAKOWSKI R., La condition de la femme, op. cit p.17). Siffer Roxane - 2010 67 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Nais « Il (Frédéric, bourgeois débauché) s’amuse au hasard de ses rencontres373», elle ajoute « Je suis lasse de subir les affronts de ton autorité ». Frédéric lui répond : « Ose donc répéter que tu ne veux plus m’obéir que la femme n’est pas faite pour courber la tête374». Par amour pour Jean, un bourgeois plus jeune qu’elle, Sapho est prête à abandonner son ancienne vie de débauche pour une vie bourgeoise. En apprenant son passé, il décide de rentrer à Avignon, Sapho le supplie de rester : « Pendant que tu travaillerais, sans bruit, moi, je m’occuperais du ménage375 ». Sapho est une œuvre particulièrement instructive sur les mœurs bourgeoises de la fin du dix-neuvième siècle. Dans L’Ouragan, Lulu, « l’oiseau des tropiques », ramené par Richard, souligne l’importance de la virginité féminine, dans les conventions bourgeoises: « Viens et je ne serai que la fille de ton rêve, passionnée, très chaste, très pure376». Manfred Kelkel considère que la condition féminine des opéras naturalistes suit de très près les évolutions de la société. « La femme acquiert une indépendance toute relative. Si elle accède à une indépendance psychologique, voire sexuelle, elle n’en est pas plus libérée pour autant de la tutelle masculine377». Le phénomène d’identification semble néanmoins délicat au regard de la surreprésentation des « marginaux », figures lyriques et déchues d’un Paris romancé. De plus, nous avons pu souligner la place prépondérante qu’occupent la capitale et les grandes villes, au sein du répertoire naturaliste, aux dépens du monde rural (numériquement supérieur dans les faits). Plus qu’une muse, Paris est un véritable personnage tentaculaire, source d’espoirs et de plaisirs interdits. Mais les naturalistes déchirent cette enveloppe « charnelle » désirable et ostensiblement tentatrice, pour en dévoiler les entrailles, sombres et insalubres, où la violence de la rue côtoie l’insouciance des beaux quartiers. L'accoutumance aux scènes quotidiennes, aux personnages "ordinaires" ne relève pas de l'évidence, dans la mesure où le public découvre une nouvelle mise en scène, mais aussi l'image de soi sur scène: "Le premier acte produisit une sorte de stupeur (...) la tendresse communicative de madame Deschamps-Jéhin et de Lorrain déchaînèrent l’enthousiasme. La partie était gagnée. Nous en eûmes la nette confirmation quarante-huit heures plus tard, le soir de la première378". Dès lors, l’étude de la condition féminine prouve que le naturalisme lyrique est soucieux de faire part du statut inférieur de la femme, dans la société de la Belle-Epoque. D’autres thèmes abordés sur scène: la paupérisation de la paysannerie, l’exode rural et l’augmentation des classes laborieuses, sont des témoignages visibles et réalistes de la société, en cette fin de dix-neuvième siècle. L’identification est donc possible.

c. Le refus du miroir

373 BRUNEAU, livret de Nais Micoulin, p.13. 374 ibidem, p. 10. 375 MASSENET, livret de Sapho, p.21. 376 BRUNEAU, livret de L’Ouragan, p.57. 377 KELKEL Manfred, Naturalisme, Vérisme et Réalisme dans l’opéra, Paris, J. Vrin, 1984, p. 233. 378 BRUNEAU Alfred, op. cit., p. 33. 68 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

L’identification peut susciter un malaise, un rejet de sa propre image. Les représentations de Messidor ont été interrompues car les théâtres étaient confrontés à de nombreuses émeutes comme le souligne Bruneau : « Rentré à Paris, j’appris que des bagarres avaient lieu, devant le théâtre, à chaque représentation de Messidor et que la cavalerie, une fois, dut se montrer. On décida donc purement et simplement de ne plus jouer là nos pièces et l’on agit de même pendant assez longtemps dans un grand nombre de villes françaises379». Comme nous l’avons précédemment rapporté, L’Attaque du Moulin a été jugée provocatrice d’après les directeurs de théâtre, au regard de son contexte historique. Jean- Sébastien Macke souligne : « Nous voyons, par cet épisode, le souci avec lequel les directeurs de théâtre suivaient les mouvements du public afin de mieux coller à celui-ci. C’était également un temps où, si l’audace était reconnue, la provocation n’était pas de mise ». Ce rejet est également celui de la bourgeoisie qui récuse l’image de la société, mise à nue par les naturalistes, sur scène.

d. L’identification Stade ultime du miroir, l’identification est aussi la finalité des naturalistes. Cette identification semble évidente dans la mesure où les moyens techniques et esthétiques, déployés par les naturalistes, favorisent l’identification des classes populaires aux personnages sur scène. Dès lors, l’identification induit une réaction de la part du public. La légitimité d’une œuvre est-elle déterminée par des spécialistes ou le public est-il le meilleur censeur d’une œuvre? Cette question a divisé le camp naturaliste comme nous le verrons dans la partie suivante. Puisque les classes populaires et plus généralement le grand public, sont la cible des naturalistes, l’enjeu est crucial : il s’agit avant tout de sonder l’impact du message porté par le naturalisme et par là-même son succès ou son échec. Cible et acteur de l’opéra naturaliste, le grand public semble être le juge naturel, dans l’évaluation de la qualité et de l’impact des œuvres naturalistes.

B°) La souveraineté du public « La théorie de la souveraineté du public est une des plus bouffonnes que je connaisse. Elle conduit droit à la condamnation de l’originalité et des qualités rares380 » Emile Zola

a. Un public influencé par le contexte social et politique de son temps L'Attaque du Moulin, dont l'action se déroule durant les évènements de 1870, a été préalablement censurée par le directeur de l'Opéra-comique, dans la mesure où l’exhibition de soldats prussiens aurait pu susciter des émotions et des souvenirs récents. Représenter un tel drame lyrique aurait pu être assimilé à de la provocation, une trentaine d'année après la débâcle de Sedan, d'où l'idée de situer l'action durant la Révolution de 1789. On peut d'ores et déjà souligner qu'il existe un lien tenu entre les réactions du public face aux thèmes abordés sur scène et les choix des directeurs d'opéras. La représentation de ces 379 BRUNEAU Alfred, A l’ombre d’un grand coeur, op. cit., p. 114. 380 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, titre V. Siffer Roxane - 2010 69 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

deux premières œuvres de Bruneau correspondent à une période relativement prospère, où le public en mal de nouveauté, accepte l'expérience naturaliste sur la scène lyrique. On peut déduire que le naturalisme bénéficie d'une relative lune de miel à ses débuts. Cependant, la période de grâce est vélocement interrompue par l'affaire Dreyfus durant la représentation de Messidor. L'équanimité des deux premières œuvres laisse place à une désaffection profonde du public vis-à-vis de l'œuvre de Bruneau: «Rentré à Paris, j’appris que des bagarres avaient lieu, devant le théâtre, à chaque représentation de Messidor et que la cavalerie, une fois, dut se montrer. On décida donc purement et simplement de ne plus jouer là nos pièces et l’on agit de même pendant assez longtemps dans un grand nombre de villes françaises381". A l'issue de l'affaire Dreyfus et de l'engagement de Bruneau auprès d'Emile Zola, les fruits de leur collaboration sont particulièrement désavoués par le grand public. On compte quatorze représentations pour L'Ouragan et douze pour L'Enfant Roi. Le soutien indéfectible de Bruneau pour Zola, durant son procès, a suscité une profonde inimitié du public pour les deux hommes. Après le décès de Zola, les œuvres posthumes ont indubitablement souffert de l'engagement de Bruneau, auprès des Dreyfusards. Comme le souligne Jean-Richard Bloch: «Il n'y a guère de révolution esthétique qui puisse se priver du support d'une révolution politique382". Ainsi, la révolution esthétique des naturalistes a été comprise et interprétée au regard de la sédition politique des Dreyfusards, donc désavouée par le public. ￿

« Amat victoria curam383» Catulle Zola a anticipé le risque d’essoufflement du naturalisme musical dans son œuvre Le Naturalisme au théâtre : « Après la venue de chaque maître, de chaque conquérant de l’art qui achète chèrement ses victoires, il y a un moment d’éclat. Le public est dompté et applaudit. Puis, lentement, quand les imitateurs du maître arrivent, les œuvres s’amollissent, l’intelligence de la foule décroît, une période de transition et de médiocrité s’établit (…) il faut, de nouveau, un homme de génie pour secouer la foule et pour lui imposer une nouvelle formule384».

b. Le refus zoléen de rendre le public juge des œuvres naturalistes Zola a préalablement théorisé la difficulté de faire émerger une œuvre ou un compositeur, selon les standards du public: « Le spectateur pris isolément est parfois un homme intelligent; mais les spectateurs pris en masse sont un troupeau que le génie ou même le simple talent doit conduire le fouet à la main 385». Zola poursuit sa diatribe acerbe à l’égard du grand public : « Si la grande loi du théâtre était de satisfaire avant tout le public, il faudrait aller droit aux niaiseries sentimentales, aux sentiments faux, à toutes les conventions de la routine ». Zola reste persuadé que l’insuccès de l’œuvre naturaliste est lié à l’ineptie du

381 BRUNEAU Alfred, A l’ombre d’un grand cœur, op. cit., p. 114. 382 BLOCH J.-R, Naissance d'une culture, Rieder, 1936 La formule de Zola prend le contrepied de Jules Massenet qui considère : “Le public, voilà le souverain juge (…) les ouvrages qui font recette sont ceux qui vivront”. (Source: Rapport du Comoedia du 8 novembre 1810, à propos du nombre croissant d’oeuvres étrangères dans les théâtres subventionnés). 383 Littéralement “La victoire aime l'effort”. 384 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, Titre V. 385 ZOLA Emile, Le Naturalisme au théâtre, Titre V. 70 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

public: « Étant donné la moyenne peu intelligente et surtout peu artistique du public, on doit ajouter que tout succès trop vif est inquiétant pour la durée d’une œuvre. Quand le public applaudit outre mesure, c’est que l’œuvre est médiocre et peu viable; il est inutile de citer des exemples, que tout le monde a dans la mémoire. Les œuvres qui vivent sont celles qu’on a mis souvent des années à comprendre386 »

Zola demeure persuadé que le compositeur ne doit pas céder au diktat de la mode et des goûts établis: « On peut parfaitement écrire pour le public, tout en lui déplaisant, de façon à lui donner un goût nouveau; ce qui s’est passé bien souvent. Toute la querelle est dans ces deux façons d’être: ceux qui songent uniquement au succès et qui l’atteignent en flattant une génération; ceux qui songent uniquement à l’art et qui se haussent pour voir, par-dessus la génération présente, les générations à venir387»

Cependant, Louise de Gustave Charpentier est représentée au début du XXème siècle. Entre temps, le naturalisme est ahanant et d'autres compositeurs et mouvements ont fait leur place. Maurice Ravel devient notoire avec sa Pavane pour une Infante défunte en 1899 ou son œuvre orchestrale Ouverture de Shéhérazade, ovationnée par le grand public. Debussy triomphe avec Pelléas et Melisande. Les modes sont éphémères et le public se lasse rapidement. Le naturalisme semble donc prisonnier du XIXème siècle et du contexte socio-économique, dans lequel s'est enraciné ce mouvement. Si le naturalisme est apparu comme une Révolution en son temps, son apogée demeure associée à ses débuts. Les préconisations mais aussi les espoirs de Zola sont apparus vains au regard du succès éphémère de l’œuvre lyrique naturaliste. Le naturalisme lyrique se veut-il seulement le garant de la réalité sociale de son temps en présentant une étude quasi scientifique du quotidien et des mœurs du peuple ? A- t-il eu l’ambition de bouleverser les consciences, en mettant en scène « le peuple », grand oublié de la scène lyrique ? Une réponse tranchée semble délicate à établir, au regard de la diversité des opéras naturalistes. D’abord, l’esthétique naturaliste a su présenter « scientifiquement » le quotidien de ces hommes ; le décor, les costumes, le langage étant des témoignages visibles de la réalité. L’univers mobilier de l’ouvrier est sensiblement et délibérément différent du confort bourgeois par exemple. La mise en scène d’un tel décor modeste, à l’image des protagonistes permet au naturaliste de « montrer » mais aussi de « sensibiliser » le public à des situations sociales qu’il ignore ou daigne ignorer. Les naturalistes ont permis aux catégories sociales populaires de s’identifier aux personnages sur scène. Le naturalisme a tranché avec une longue tradition lyrique, fondée sur l’obscurantisme des compositeurs vis-à-vis des classes populaires, en présentant ces « tranches de vie » sur scène. Si le naturalisme lyrique a probablement voulu bouleverser les consciences, dans la lignée du mouvement littéraire, il s’est contenté de sensibiliser l’auditoire à l’environnement social laborieux de son temps. Ainsi, dans une dernière partie, nous étudierons d’abord le rôle de la bourgeoisie au dix-neuvième siècle, dans sa définition des « goûts légitimes388 », mère d’exclusion du 386 Ibid. Titre V. 387 Ibid. Titre V. 388 La théorie des « goûts légitimes » a été élaborée par Pierre Bourdieu dans son ouvrage La Distinction, Critique sociale du jugement, 1979. Siffer Roxane - 2010 71 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

naturalisme et par extension, d’un public plus populaire. Puis, nous mettrons l’accent sur le mépris des élites culturelles pour le naturalisme musical tout au long du vingtième siècle et la nécessité de protéger un mouvement esthétique et politique oublié, mais néanmoins crucial dans le patrimoine musical français.

C°) Une définition figée du lyrisme par la bourgeoisie : la difficile démocratisation de l’opéra « Le jugement de goût (…) est esthétique389” Emmanuel Kant En 1860, Charles Garnier remporte le prix du concours d’architecture, lancé par Napoléon III390. Quinze ans plus tard, le projet de l’Empereur, d’une « salle d’apparat pour la bourgeoisie » est achevé à Paris391. L’Opéra de Paris (depuis 1989 on le nomme Opéra Garnier, suite à l’ouverture de l’opéra Bastille) présente une architecture et un style grandiloquent et imposant. L’Opéra Garnier est d’ailleurs confondu et assimilé au Grand- Opéra392. William Loren Crosten dans French Grand Opera: an Art and a Business393, nous présente un des éléments crucial du caractère bourgeois du Grand-Opéra : un ballet est placé au début du second acte afin que la bourgeoisie ne voit pas « seshabitudes dînatoires perturbées»394. Le même auteur étudie les loisirs de la bourgeoisie au dix-neuvième siècle. Ses conclusions soulignent un cloisonnement social du répertoire mais aussi un accès restreint des classes populaires à la scène lyrique. Le coût du billet d’opéra est particulièrement onéreux; s’ajoute « les codes sociaux de rigueur » mais plus encore le phénomène sociologique que Richard Hoggart qualifiera de « Culture du pauvre » « The Uses of Literacy”, en 1957. Le sociologue anglais met l’accent sur un phénomène intemporel lié à l’origine sociale: les classes populaires ont leur propre système de valeurs, leurs propres activités et loisirs et ils se refusent à en changer395. Exclusion volontaire ou involontaire, l’Opéra est demeuré un art et une activité bourgeoisie à la fin du du dix-neuvième siècle. C’est à l’Opéra-Comique qu’est créée la majorité des opéras naturalistes. Bien que l’Opéra Comique ait été originellement crée pour « démocratiser » l’art lyrique, en associant du chant à des dialogues parlés, le public est resté socialement homogène. Le naturalisme a donc souffert d’être présenté à un public qui n’est originellement pas sa cible, dont les « goûts légitimes » demeurent très empreints de l’esthétique et du lyrisme du Grand-Opéra.

389 KANT Emmanuel, Critique du jugement, 1790, p.1. Extrait de la citation : « “ Pour distinguer si une chose est belle ou ne l’est pas, nous n’en rapportons pas la représentation à son objet au moyen de l’entendement et en vue d’une connaissance, mais au sujet et au sentiment de plaisir ou de déplaisir. (…) Le jugement de goût (…) est donc esthétique. ” 390 L’idée d’un grand Opéra, a été précipité par l’attentat d’Orsini et validé par le décret du 29 septembre 1860, il déclare d’utilité publique la construction d’une salle pour remplacer celle de la rue Le Peletier. 391 LENIAUD Jean-Michel, Charles Garnier, Paris, Éditions du Patrimoine, 2003. 392 Opéras en cinq actes, aux décors, costumes et au lyrisme prudhommesque. 393 LOREN CROSTEN William, French Grand Opera: an Art and a Business, Columbia university, 1948, p.31. 394 Annexe 5: Degas : « Le Ballet » (1872) et le règne de la bourgeoisie à l’opéra. 395 On entend par là souligner le cloisonnement existant entre les classes sociales : « Ce n’est pour nous » exprimé par les classes populaires. 72 Siffer Roxane - 2010 DEUXIEME PARTIE : LE NATURALISME LYRIQUE: UN MOUVEMENT MUSICAL CONTESTE ET INCOMPRIS

Ainsi, le dix-neuvième siècle apparaît plus que jamais comme le règne de la bourgeoisie396. A ce règne sans partage, s’ajoute le mépris de la majorité des élites pour Zola et les Dreyfusards. Dans son essai intitulé Louise de G. Charpentier (1922), André Himonet souligne le desideratum profond du compositeur naturaliste: “Il désire que son art serve à quelque chose et considère la musique comme un moyen d’entrer en communication avec plus d’êtres que cela n’est possible dans la vie ordinaire. Il aime à être appelé un artiste social397”. Il montre également l’expérience peu fructueuse d’un conservatoire populaire, destiné aux ouvrières: “Charpentier eut l’idée d’adresser aux directeurs de théâtre (…) une requête les priant de mettre un certain nombre de places à la disposition des ouvrières parisiennes (…). Une association nouvelle naquit que l’on baptisa du nom d’une gentille héroïne de Musset: Mimi-Pinson398 (…) Deux ans plus tard (1902), un conservatoire populaire complétait cette œuvre; le solfège, le chant, le piano y sont enseignés aux jeunes filles du peuple”. Ses tentatives ont un impact limité et s’achèvent rapidement (1900-1904), le public est demeuré profondément bourgeois. Le vingtième siècle vient confirmer le règne des élites et l’ancrage des “goûts légitimes” dans l’univers culturel français. Le naturalisme apparait vieilli tout au long du vingtième siècle. Il illustre des réalités sociales propres à la Belle-Epoque dont s’éloigne progressivement la société française. Les classes laborieuses, telles que décrites dans les romans de Zola n’ont plus le même rôle, ni la même emprise sur la société. Cette homogénéité sociale du public de l’opéra nous permet de mieux comprendre le long processus d’oubli tout au long du vingtième siècle. Seule Louise, l’œuvre de Charpentier a connu un relatif succès jusqu’à nos jours. La préservation du patrimoine musical naturaliste est l’œuvre et l’initiative d’une poignée de musicologues français, conscients d’un héritage souvent méconnu et peu exploité musicalement. Les chercheurs de l’université de Saint- Etienne ont largement œuvré dans ce “dépoussiérage” et dans la redécouverte d’un patrimoine oublié. Afin d’exister une œuvre, quelle que soit sa nature, doit être exposée, représentée ou jouée pour survivre à la postérité; l’enjeu est de savoir si les directeurs de théâtres lyriques auront l’audace de monter de tels opéras, à l’heure de la diminution des subventions pour les différentes institutions culturelles françaises.

396 Le dix-neuvième voit aussi l’apparition du piano dans les salons bourgeois… 397 HIMONET André, Louise de G. Charpentier (1922), Kessinger Publishing’s, 2010, p. 17. 398 Mimi-Pinson est un poème d’Alfred de Musset, ayant inspiré de nombreux auteurs et artistes. Personnage populaire, de condition modeste et profondément républicaine, elle représente le combat et la persévérance. Annexe 6: Le poème de Mimi-Pinson d’A. de Musset. Siffer Roxane - 2010 73 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Conclusion

" Si la musique peut fort bien s'accommoder d'un sujet actuel, il faut que ce sujet soit élargi par une grande idée humaine qui le traverse, le généralise, l'élève très au-dessus de l'anecdote exceptionnelle399" Alfred Bruneau Cette citation résume le contenu, les objectifs du naturalisme musical mais aussi les germes de son faible retentissement, dans le répertoire lyrique traditionnel. Ce mouvement musical, d’abord inspiré du naturalisme littéraire, a longtemps pâti de sa filiation, parfois outrancière et pesante de son aînée, au point d’en être parfois dépendant. Cette dépendance touche d’abord aux thèmes, au style portés par le naturalisme littéraire. Le naturalisme musical est avant tout un appendice du naturalisme littéraire. Fort d’un contenu idéologique et politique, déjà délimité dans les romans naturalistes, le mouvement musical a cependant souffert de cette assimilation pour ne pas dire de cette confusion avec le naturalisme littéraire. Adopter le style et les thèmes naturalistes, dont nous avons étudié les récurrences (personnages, costumes, décors, contextes etc…) assimile le compositeur naturaliste au combat naturaliste en général. Ce combat a d’abord pris la forme d’un combat littéraire, à la fois l’opposition et le dépassement du Romantisme (l’influence des romantiques est indéniable chez Zola, Flaubert ou Huysmans, par des emprunts à la mythologie notamment). Puis, le combat naturaliste s’est prolongé à la fin du dix- neuvième, pour connaître son apogée à travers l’affaire Dreyfus. La prise de position d’Emile Zola, père et “théoricien” du naturalisme, en faveur du capitaine Dreyfus a assimilé le camp naturaliste au camp Dreyfusard. Soutenir ou simplement manifester une quelconque amitié avec le romancier est assimilé à une sympathie politique et idéologique. Comme en témoignent les nombreuses caricatures et les pamphlets de la fin du dix-neuvième siècle, Zola est l’objet de toutes les critiques et ses œuvres apparaissent aux yeux de la presse, comme celles d’une époque révolue, à l’heure du triomphe symboliste. Zola est ainsi le père du naturalisme littéraire et plus ou moins explicitement du naturalisme musical. Ainsi, l’assimilation systématique du naturalisme littéraire au naturalisme musical est la première raison de l’insuccès de ce courant musical. L’engagement politique de Zola étant lourd de conséquences, peu de compositeurs ont osé “l’expérience naturaliste”. De plus, le naturalisme musical est comme nous l’avons souligné le fruit et le descendant d’un courant littéraire, qui s’essouffle à la fin du dix-neuvième siècle. Thérèse Raquin (1867) est probablement l’œuvre clé de ce mouvement littéraire dont l’existence s’achève définitivement avec la mort de Zola en 1902, l’apogée de ce courant se situant au début du Second Empire. Ainsi, être compositeur naturaliste ou du moins adopter le style ou les thèmes propres au naturalisme, est un acte presque sacrificiel, qui plus est, à l’issue de l’affaire Dreyfus. Dès lors, le compositeur naturaliste accepte de mener un “combat” politique et idéologique et d’en subir les conséquences. Il semble justifié de souligner que le compositeur rompant avec les canons classiques de l’opéra lyrique, en adoptant les thèmes et l’esthétique naturaliste concède qu’il s’expose à un succès moindre. L’appartenance au courant littéraire naturaliste est apparue comme un stigmate, d’où la méfiance des compositeurs vis-à-vis de ce mouvement musical naissant à 399 BRUNEAU Alfred, Monographie de Massenet, Paris, Delagrave, 1935. 74 Siffer Roxane - 2010 Conclusion

la fin du dix-neuvième siècle. Ces points développés dans le corps du mémoire permettent d’expliquer le très faible nombre de compositeurs naturalistes. Les raisons que nous avons exposées sont nombreuses et extrêmement complexes mais elles dénotent l’influence du climat social et politique, à la fin du dix-neuvième siècle. Etre compositeur naturaliste est un combat avant d’être un style et une esthétique musicale… Le Rêve a été l’œuvre fondatrice du naturalisme musical. L’adaptation d’un roman de Zola témoigne de cette filiation indéniable existant entre le courant musical et le courant littéraire. Alfred Bruneau, d’abord ami, puis collaborateur du romancier a largement contribué à fomenter, puis enrichir le répertoire naturaliste. Ses œuvres quoique généralement oubliées aujourd’hui, sont à la fois inspirées des romans de Zola et essentiellement co-écrites avec ce dernier. Les thèmes et les personnages sont semblables à ceux des romans naturalistes. Ils expriment la réalité du quotidien, en mettant en scène des personnages issus des différentes catégories sociales (la paysannerie, le prolétariat, la bourgeoisie etc…), auxquels s’ajoutent des décors épurés et des costumes simples. Cependant, il convient de souligner que la motivation première des romanciers naturalistes est le désir d’exposer la réalité plus que de dessiner une fresque sociale, où s’opposent les différents groupes sociaux. Certes, le naturalisme musical est l’héritier du naturalisme littéraire, d’où la dialectique oppression-domination, particulièrement pressentie dans Messidor (les paysans sont oppressés par l’industrie), d’Alfred Bruneau; mais cette image de la société, vue et interprétée par les naturalistes est d’abord vécue comme une réalité, une vérité indéniable qui s’impose à tous. Au nom de cette réalité, souvent niée par la littérature classique, les élites culturelles et politiques, les naturalistes, romanciers comme compositeurs, se sentent investis d’une mission d’exégèse: révéler la réalité et la dépeindre, y compris dans ses manifestations les plus dramatiques. Ce souci de vérité s’accompagne nécessairement d’un certain nombre d’emprunts: des contextes réels ou proches de la réalité quotidienne (Montmartre notamment), des groupes sociaux ignorés du répertoire lyrique du dix-neuvième malgré leur nombre croissant (les prolétaires, les marginaux…), un vocabulaire courant, voire familier, des décors et des costumes de tous les jours. Ainsi, le combat naturaliste se définit d’abord par sa volonté de retranscrire la réalité sur scène, de la révéler au grand public, en s’affranchissant des canons et des standards de l’opéra lyrique. L’instrumentalisation des personnages, clairement identifiables à telle ou telle classe sociale (le père de Louise est aisément identifiable à un ouvrier de par sa tenue notamment) répond au souhait de retranscrire la réalité et non à celui de présenter la lutte des classes sur scène. Ce bref rappel, apparemment évident, nous permet de rappeler la motivation première des naturalistes, qu’ils soient romanciers ou compositeurs. D’ailleurs, la particularité du naturalisme musical est sa très grande variété (Le Rêve est encore marqué par le Romantisme, Messidor traite de l’industrie oppressante, Louise de l’amour-libre…) dont le trait d’union se caractérise par sa volonté d’exposer la réalité. Le naturalisme est un art social dans la mesure où il présente des personnages de condition modeste et les problématiques liées à leurs statuts. Plus encore, le naturalisme est une peinture d’une société socialement cloisonnée, où les inégalités entre hommes et femmes, entre catégories sociales, sont particulièrement criantes. Ces drames lyriques présentent comme leur nom l’indique, une sorte de fatalisme ou d’issue plus ou moins heureuse aux histoires vécues sur scène. Prisonniers de leurs conditions sociales, ces personnages acceptent généralement leur condition. S’émanciper de sa condition sociale (Louise quitte le foyer familial pour vivre avec son amant) induit une rupture avec le milieu social d’origine, dont la famille. Cependant, l’atavisme largement présent dans les œuvres naturalistes est parfois dépassé par des victoires (les paysans détruisent l’usine de Gaspard dans Messidor). C’est pourquoi, le naturalisme musical est souvent apparu comme une suite voire un parachèvement du

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combat naturaliste, initié par les romanciers. A Germinal, succède Messidor et l’espoir de lendemains qui chantent…La réalité semble désormais moins pesante. Nous avons pu nous questionner sur les raisons d’un tel dépassement, mais nos recherches nous ont permis de déduire qu’il s’agissait avant tout de choix purement stratégiques. En effet, les derniers tableaux des opéras naturalistes ont souvent été modifiés ou adaptés, afin de flatter l’ego du grand public. Comme nous avons pu le souligner précédemment, les directeurs de théâtre ont demandé un certain nombre d’adaptations pour répondre au contexte social et politique de l’époque. Ainsi, le naturalisme musical a été contraint de s’adapter au contexte politico-social de la fin du dix-neuvième siècle, d’où la confirmation de sa dimension politique. Le naturalisme musical a souffert de son assimilation au camp dreyfusard, d’où une critique particulièrement virulente faite à l’encontre des compositeurs naturalistes. De nombreux thèmes et romans naturalistes ont été repris par le courant musical mais le naturalisme musical a souffert d’une condamnation systématique de son répertoire, au nom du clivage idéologique, entourant l’affaire Dreyfus. De nombreuses œuvres ont été écartées, voire interdites de représentation durant les différentes étapes de l’affaire. Les critiques ont été le fer de lance de cette vaste politique d’autodafé à destination des compositeurs naturalistes. Au nom de critères esthétiques (le vocabulaire, le costumes, la simplicité des partitions etc…), la critique a également attaqué le fond de ces œuvres, à savoir leur essence et leur dimension politique et idéologique. De nombreux critiques ont vu dans ce courant musical, une curiosité esthétique, trop éloignée des canons classiques, pour être intégrée au Panthéon des grandes œuvres classiques. Bien que nombre d’entre eux aient salué l’audace de telles compositions, dans leur dimension esthétique (les costumes, les décors, la reprise assumée des techniques wagnériennes), la dimension idéologique de ces œuvres a généralement été vilipendée. Comme nous l’avons souligné, les partis pris de nombreux critiques, dans le cadre de l’affaire Dreyfus, viennent corroborer une éducation musicale classique, particulièrement imprégnée du romantisme et plus particulièrement du wagnérisme, tant dans l’écriture musicale que dans les thèmes abordés. La rupture a-t-elle été trop douloureuse? En réalité, le naturalisme emprunte de nombreuses techniques au wagnérisme, dont les motifs conducteurs (leitmotiv). L’écriture musicale n’est pas révolutionnaire mais elle comporte quelques bouleversements: l’instauration de la prose et des niveaux de langue courants, voire familiers, par souci de réalisme. Les critiques ont justement reproché le manque d’identité musicale; la musique naturaliste est trop marquée par les standards du dix-neuvième siècle, eux-mêmes établis par une longue tradition musicale baroque, puis classique et romantique. Une musique qui se veut donc révolutionnaire, sans pour autant avoir les moyens d’assouvir ses prétentions. Cet échec s’explique notamment par le trop petit nombre d’œuvres naturalistes (on en compte soixante), dans l’océan des œuvres lyriques de la fin du dix-neuvième jusqu’au milieu du vingtième siècle. Cette identité est cependant réelle à travers l’usage de la prose. L’abandon du vers pour la prose a suscité de nombreux débats, à la fois esthétiques, mais plus encore idéologiques. Il s’agit de rompre avec une longue tradition de versification des livrets et donc avec un des piliers de l’opéra lyrique et de démocratiser l’accès à ces livrets, afin d’en faciliter la compréhension, mais plus encore faciliter l’accès des classes populaires à l’opéra. La prose est plus accessible, le fossé entre l’art et le grand public se fait moindre, le processus d’identification est donc plus aisé aux yeux des naturalistes. Les critiques ont vu dans l’abandon des vers, la banalisation d’un art presque sacré, un blasphème esthétique, premier témoin d’une vulgarisation des livrets. L’esthétique naturaliste bien que définie par Zola et illustrée dans les livrets (les indications relatives aux décors ou le vocabulaire utilisé par exemple) ne permet cependant pas d’établir

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une véritable identité musicale. Le naturalisme est à la fois l’héritier et l’opposition maladroite du Romantisme, d’où une absence d’identité propre dans l’écriture musicale. L’identification du grand public aux personnages est également envisagée par l’intermédiaire du vocabulaire et des niveaux de langue utilisés dans les livrets. En préférant un vocabulaire plus courant, parfois familier, le librettiste et le compositeur naturalistes souhaitent substituer le réalisme au lyrisme, le parler du quotidien aux récitatifs lyriques de personnages, très souvent empruntés aux mythes. Cependant, la critique du naturalisme musical n’est pas seulement du ressort des journalistes mais aussi des directeurs de théâtres lyriques. Du fait de leur position et de leur mode de nomination, les directeurs de théâtres lyriques sont particulièrement exposés, qui plus est, à la fin du dix-neuvième siècle. Monter telle ou telle œuvre peut avoir un impact éminemment politique. Ainsi, l’Opéra-Comique est apparu comme un des rares soutiens de la création naturaliste aux dépens de l’Opéra de Paris (Opéra Garnier), crée en 1875, haut lieu de rencontre de la bourgeoisie parisienne. L’Opéra Garnier est apparu comme l’antichambre du Grand- Opéra, particulièrement apprécié par la bourgeoisie de la Belle-Epoque. La théorie des “goûts légitimes” expliquée par Bourdieu, souligne comment la bourgeoisie détermine-t- elle les codes, les modes en terme d’esthétique. Ses critères esthétiques répondent à son souhait de se voir flattée sur scène, d’où un certain nombre d’opéras, reprenant les grands thèmes mythiques et mythologiques. La bourgeoisie est particulièrement hétéroclite dans sa composition mais tout un chacun est tenté d’affirmer que le dix-neuvième siècle est celui du règne de la bourgeoisie. Cette bourgeoisie impose ses standards mais elle occupe également les sièges de l’opéra. Le prix du billet étant prohibitif, le public ouvrier est généralement exclu de l’auditoire, malgré les nombreuses tentatives de démocratisation des prix (les billets gratuits de Charpentier). Ainsi, les pressions subies par les directeurs d’opéras sont à la fois politiques et financières. De plus, le répertoire lyrique est particulièrement riche et diversifié à la fin du dix-neuvième et de grands noms tels que Claude Debussy ou Maurice Ravel rivalisent de succès. Les compositeurs naturalistes peinent à se frayer une place au sein des grands noms de leurs temps. Le bouillonnement culturel de la Belle-Epoque est particulièrement vivace et les compositeurs naturalistes ont dû redoubler d’ardeur et de conviction pour voir leurs œuvres inscrites à la programmation des opéras subventionnés. Seuls quelques rares critiques comme Etienne Destranges ou des metteurs en scène comme Antoine, par l’intermédiaire de son Théâtre-Libre, soutiennent le naturalisme musical. Le naturalisme musical est marqué par un très faible nombre de compositeurs dont les plus grands noms sont Bruneau et Charpentier. Les thèmes de ces drames lyriques touchent à des problématiques sociales évoquées précédemment mais le naturalisme a pour cible première les classes populaires. Idéalisme ou bons sentiments des compositeurs, il s’avère que le processus d’identification a été plus ou moins avorté. La première raison est éminemment liée à l’accès du public concerné à l’opéra, comme nous l’avons souligné. Bien que l’Opéra ait été démocratisé (nous pouvons évoquer les Bouffes-Parisiennes d’Offenbach à destination des classes populaires), l’Opéra lyrique est encore trop marqué socialement, souffrant à la fois de son coût exorbitant pour les classes populaires et du fameux syndrome de la Culture du Pauvre, théorisé par Hoggart. La seconde raison est liée au trop faible nombre de représentations des opéras naturalistes. Enfin, nous pouvons nous interroger sur l’impact de telles œuvres sur le public populaire. Ce public peut probablement s’enorgueillir d’être enfin représenté sur scène mais le message véhiculé par ces œuvres est-il révolutionnaire? Peut-il mobiliser? Comme nous l’avons souligné la littérature et l’art ont accompagné les grands évènements politiques du dix-neuvième siècle (Les Romantiques et la Révolution de 1830 notamment). L’art peut être un instrument idéologique

Siffer Roxane - 2010 77 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

mais aussi son avant-garde. Dans sa volonté de représenter les plus humbles sur scène, le naturalisme musical a voulu séduire ces “oubliés” ou ces hommes “méprisés” par l’art. Cependant, le message porté par ces opéras oscille, comme nous l’avons souligné, entre l’optimisme de voir des rapports de force inversés et le fatalisme, enfermant les hommes dans leur condition sociale. Ce dernier aspect demeure l’une des constantes de l’analyse esthétique et thématique des opéras naturalistes, par l’ensemble des musicologues: le poids des conventions sociales et de l’hérédité. Se pose ainsi la question suivante: la cible ne doit- elle pas être la bourgeoisie? Insensible ou simplement divertie par les œuvres naturalistes, le message politique porté par ces opéras n’a pas eu d’impact au sein des élites. Le naturalisme littéraire est usé à la fin du dix-neuvième et nous pouvons émettre l’hypothèse que le naturalisme musical est né trop tard. Contemporain de l’affaire Dreyfus et donc victime des clivages de la société, à la fin du dix-neuvième siècle, le naturalisme musical a évoqué des thèmes et des problématiques déjà effacés de l’imaginaire collectif. Les mouvements et les idées se succèdent en cette fin de siècle et le symbolisme, littéraire puis musical, bénéficie d’une aura sans commune mesure. Le nombre d’œuvres naturalistes se réduit progressivement, leur succès décline de Charybde en Scylla, reléguant ces œuvres au placard des antiquités. Alfred Bruneau perd son ami Emile Zola en 1902, mais aussi son père spirituel. L’œuvre naturaliste s’est réellement effondrée au début du vingtième siècle, éprouvée par le temps et son ancrage historique trop marqué (la peinture d’un Paris des ouvriers ne séduit plus). Bruneau adapte quelques œuvres du romancier, avec la grâce d’Alexandrine Zola, veuve du romancier. Les rares compositeurs naturalistes dont nous citons les œuvres en annexe, ayant créé des opéras naturalistes s’est rapidement étiolé. D’après nos conclusions,le combat naturaliste quant à lui est relativement bref puisqu’il entoure l’affaire Dreyfus (1894-1900400). S’ensuit un essoufflement progressif d’un mouvement en mal de compositeurs novateurs et de public. Ainsi, il semble que Zola soit non seulement le père d’un mouvement littéraire clé, dans l’histoire de la littérature française, mais aussi celui du mouvement musical. Nous sommes même tentés de nous demander si le naturalisme musical eut pu exister sans la présence et le rôle d’Emile Zola, les œuvres naturalistes ayant été créées suite à la collaboration entre Zola et Bruneau. La postérité du naturalisme est à chercher du côté de la littérature ou du cinéma401. Les institutions culturelles quant à elles, ont longtemps nié l’héritage naturaliste. D’une part, le très grand nombre d’opéras lyriques, y compris français impose des choix. Ces choix relèvent des directeurs d’opéras, mais également des metteurs en scène. Se référant au succès passé des œuvres, l’initiative de monter tel ou tel opéra peut s’avérer être périlleux, tout comme une énième représentation d’un opéra à succès. La programmation d’un opéra lyrique est une prise de risque pour ces deux types d’acteurs. La première est liée au très faible nombre de représentations de la plupart de ces œuvres, voire l’oubli (Le Rêve par exemple). Les livrets sont généralement peu commentés et peu d’études sont effectuées par des étudiants ou chercheurs en musicologie. De même, peu d’enregistrements sont faits, certains sont introuvables. D’autres opéras nécessitent des moyens techniques et humains particulièrement onéreux ou difficilement réalisables, compte tenu les ressources de certains théâtres lyriques publics. En recensant les œuvres naturalistes, au sein des

400 L’affaire Dreyfus s’achève en 1899 mais nous choisissons volontairement l’année 1900 du fait de la création de Louise de Charpentier. Révolution esthétique (la prose et le niveau de langue sont particulièrement symptomatiques de l’esthétique naturaliste, s’éloignant de la prose de Zola, jugée grandiloquente pour des personnages de petite condition) mais aussi révolution idéologique (Louise pose les questions de l’Amour-libre et du statut des femmes), Louise est une des meilleures incarnations du combat naturaliste. 401 Au cinéma, le naturalisme a inspiré Stroheim ou Buñuel. 78 Siffer Roxane - 2010 Conclusion

programmations des grands opéras nationaux, nous avons pu noter la récurrence de Louise de Charpentier. Nombre de commentaires et d’articles de journaux, dont nous ne pouvons pas présenter le contenu exhaustif, soulignent l’ancrage historique de ces œuvres, le contexte historique et l’atmosphère entourant leur représentation sont progressivement apparus comme des archaïsmes, issus d’une époque révolue. Trop marqués socialement et historiquement, ces opéras apparaissent souvent comme datés. Enfin, les temps changent mais l’origine sociale du public de l’opéra varie modérément. Malgré les tentatives de démocratisation, opérées par un grand nombre d’opéras nationaux (les étudiants notamment), l’Opéra reste, malgré les discours optimistes, le privilège du plus petit nombre. Syndrome d’Hoggart ou plus probablement prohibition liée au prix, le grand public semble encore exclu des salles d’opéras. Dans cette logique, les directeurs d’opéras sont ainsi tentés de programmer des œuvres à grand succès et de limiter la prise de risque. Comme nous l’avons souligné en introduction, la survie d’une œuvre n’est possible qu’à travers sa représentation. C’est pourquoi les institutions culturelles détiennent un rôle crucial dans la valorisation de ce patrimoine culturel et dans la redécouverte de l’héritage musical naturaliste. L’exposition de la Bibliothèque Nationale de France dédiée à Emile Zola, en 2002, a occulté plus ou moins volontairement, le rôle crucial du romancier dans la naissance du naturalisme musical.

Siffer Roxane - 2010 79 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

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84 Siffer Roxane - 2010 Annexes

Annexes

ANNEXE 1 : L’Attaque du Moulin à l’Opéra de Metz (2010)

Affiche de « L’attaque du Moulin » (1893),

Siffer Roxane - 2010 85 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Drame lyrique en quatre actes d’Alfred Bruneau, d’après la nouvelle d’Emile Zola, représenté à l’Opéra de Metz, les 27, 29 et 31 janvier 2010, par Ernst Van Bek. L’action de « L’Attaque du Moulin » se déroule en Lorraine, en juillet et août 1870402, d’après l’adaptation d’un des romans de Zola. Cet opéra témoigne de l’absurdité des guerres. L’affiche en elle-même revêt un intérêt particulier, dans la mesure où elle tente de moderniser l’image « poussiéreuse » du registre lyrique en usant d’une iconographie contemporaine (le hachoir) et interactive afin de traiter le thème de la guerre. D’autre part, l’affiche « 11 euros » laisse supposer que l’opéra est accessible au plus grand nombre, référence d’autant plus justifiée qu’elle répond aux vœux des compositeurs naturalistes dans le processus de démocratisation de la culture. Enfin, il convient de souligner que la programmation de l’opéra de Metz répond également à une logique de valorisation du patrimoine local. En l’occurrence, l’opéra traite de la guerre franco-prussienne, dont l’Alsace-Lorraine furent les principales victimes. De plus, Gustave Charpentier403 est originaire de Dieuze, commune située dans le département de la Moselle. Ainsi, en représentant cette œuvre naturaliste à l’opéra de Metz, nul n’est censé ignorer la portée symbolique de cet acte, que d’aucun pourrait qualifier de « militant », dans la préservation du patrimoine naturaliste en France.

ANNEXE 2 : Les Dix Ouvrages les plus joués à l’Opéra-Comique dans la première moitié du vingtième siècle

1808 : Carmen de Bizet 1649 : Manon de Massenet 1126 :Werther de Massenet 1043 : Tosca de Puccini 971 :Lakmé de Delibes 964 :Cavalleria rusticana de Mascagni 956 :Louise de Charpentier 817 :Madame Butterfly de Puccini 682 : Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach 343 :Pelléas et Mélisande de Debussy Source : WOLFF Stéphane, Un demi-siècle d’opéra-comique, 1900-1950, Paris, A. Bonne, 1953.

402 La France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870 suite à la dépêche d’Ems. En un mois et demi, l’armée prussienne vient à bout de l’armée française, capture Napoléon III à Sedan et marche sur Paris. 403 Gustave Charpentier est né à Dieuze le 25 juin 1860 et mort à Paris le 18 février 1956. Sa famille quitte notamment la Lorraine à l’issue de la guerre franco-prussienne pour la ville de Tourcoing. 86 Siffer Roxane - 2010 Annexes

ANNEXE 3 : Les Dix Ouvrages les plus représentés à l’Opéra de Paris entre 1875 et 1962

2233 : Faust de Gounod 983 : Rigoletto de Verdi 945 : Samson et Dalila de Saint-Saens 683: Thais de Massenet 656 : Aida de Verdi 620 : Roméo et Juliette de Gounod 568 : Lohengrin de Wagner 527 : La Walkyrie de Wagner 275 : Hamlet de Thomas 224 : La Traviata de Verdi

ANNEXE 4 : Les programmations des théâtres lyriques en France à la fin du XXe siècle

Nombre de programmations dans les théâtres lyriques français entre 1995 et 2000 126 : Mozart 97 : Verdi 67 : Puccini 63 : Offenbach 42 : Rossini 38 : Bizet 30 : Lopez 27 : Gounod Source :Diapason

ANNEXE 5 : Degas peignant le ballet à l’Opéra de Paris

Siffer Roxane - 2010 87 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Le Ballet d’Edgar Degas (1872) Dans son ouvrage French Grand Opera : an art and a business404, William Loren Crosten illustre une scène de la vie quotidienne à l’opéra : il s’agit des ballets organisés à la fin du second acte pour que le public, essentiellement composé de bourgeois puisse dîner.

ANNEXE 6 : MIMI PINSON de Musset

Mimi-Pinson de Musset, a donné son nom au conservatoire populaire de Charpentier, pour les jeunes ouvrières parisiennes : Mimi Pinson est une blonde,￿ Une blonde que l'on connaît.￿

404 LOREN CROSTEN William, French Grand Opera : an art and a business, Columbia University, 1948. 88 Siffer Roxane - 2010 Annexes

Elle n'a qu'une robe au monde,￿Landerirette !￿ Et qu'un bonnet.￿ Le Grand Turc en a davantage.￿ Dieu voulut de cette façon￿ La rendre sage. On ne peut pas la mettre en gage,￿ La robe de Mimi Pinson.￿￿ Mimi Pinson porte une rose,￿ Une rose blanche au côté.￿ Cette fleur dans son coeur éclose,￿ Landerirette !￿ C'est la gaieté.￿ Quand un bon souper la réveille,￿ Elle fait sortir la chanson￿ De la bouteille.￿ Parfois il penche sur l'oreille,￿ Le bonnet de Mimi Pinson.￿￿ Elle a les yeux et la main prestes.￿ Les carabins, matin et soir,￿ Usent les manches de leurs vestes,￿ Landerirette !￿ A son comptoir. Quoique sans maltraiter personne,￿ Mimi leur fait mieux la leçon￿ Qu'à la Sorbonne.￿ Il ne faut pas qu'on la chiffonne,￿ La robe de Mimi Pinson.￿￿ Mimi Pinson peut rester fille,￿ Si Dieu le veut, c'est dans son droit.￿ Elle aura toujours son aiguille,￿ Landerirette !￿ Au bout du doigt.￿ Pour entreprendre sa conquête,￿ Ce n'est pas tout qu'un beau garçon :￿ Faut être honnête ;￿ Car il n'est pas loin de sa tête,￿

Siffer Roxane - 2010 89 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Le bonnet de Mimi Pinson.￿￿ D'un gros bouquet de fleurs d'orange￿ Si l'amour veut la couronner,￿ Elle a quelque chose en échange,￿ Landerirette !￿ A lui donner.￿ Ce n'est pas, on se l'imagine,￿ Un manteau sur un écusson￿Fourré d'hermine ;￿ C'est l'étui d'une perle fine,￿ La robe de Mimi Pinson. *** En lisant ce poème, parfois chanté, on comprend le lien existant entre l’association créée par Charpentier et le personnage d’Alfred de Musset.

ANNEXE 7 : Thérèse Raquin

Thérèse Raquin405 est un opéra en deux actes et troisième grand ouvrage du compositeur américain Tobias Picker406 sur un livret remanié par Gene Scheer. Thérèse Raquin sera interprété pour la première fois le 30 novembre 2001 à l’opéra de Dallas.

405 Thérèse Raquin est le troisième roman d’E.Zola, publié en 1867. L’action a lieu au début du XIXème siècle, Thérèse tient une mercerie avec sa mère dans le passage du Pont Neuf. Mariée à Camille, son cousin souffreteux, Thérèse s’éprend d’une violente passion pour Laurent, un ouvrier des chemins de fer. Thérèse et Laurent se voient mêlés à une sombre affaire de meurtre… 406 Tobias Picker est né en 1954 à New-York et a composé quatre opéras (Emmeline, Fantastic Mr Fox, Thérèse Raquin et An American Tragedy). 90 Siffer Roxane - 2010 Annexes

Après avoir été adapté au théâtre et au cinéma par Marcel Carné en 1953407, Thérèse Raquin d’E.Zola est devenu le sujet d’un grand opéra contemporain. Résolument moderne mais fidèle à l’esprit naturaliste de l’œuvre littéraire, de par sa mise en scène, l’adaptation du roman prouve que l’adaptation lyrique de l’auteur des Rougon-Macquart n’a pas seulement été l’apanage d’Alfred Bruneau.

ANNEXE 8 : Caricature d’Emile Zola

ANNEXE 9 : Détail des Pistes audios 407 Thérèse Raquin a été réalisé par Marcel Carné, avec Simone Signoret dans le rôle de Thérèse, Raf Vallone dans celui de Laurent et Jacques Duby pour Camille. Siffer Roxane - 2010 91 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

Cavalleria Rusticana de Mascagni (1890) (Piste 1) Madame Butterfly de Giacomo Puccini (Piste 2) Ouverture du Rêve d’Alfred Bruneau (Piste 3) L’Attaque du Moulin d’Alfred Bruneau (Piste 4) L’Or de l’Ariège, Messidor de Bruneau (Piste 5) Reste, repose toi, Louise de Gustave Charpentier (Piste 6) Le Leitmotiv dans la Symphonie fantastique de Berlioz (Piste 7) Depuis le jour,Louise de Gustave Charpentier (Piste 8)

ANNEXE 10 : Hommage d’Anatole France à Emile Zola

Discours d’Anatole France, lors du huitième anniversaire de “J’accuse !”, le 13 janvier 1906, organisé par la Ligue des droits de l’homme et du citoyen : “Ramenons nos esprits à cette année 1897, si troublée et si féconde... Beaucoup déjà, dans tous les mondes, connaissaient l’erreur judiciaire et la forfaiture. Alors il se trouva un grand parti politique et religieux pour faire de cette forfaiture et de ce crime un moyen d’action et un principe de gouvernement. Les moines jésuites, dominicains, assomptionnistes, et avec eux les agents secrets de l’Église, les antisémites entreprirent de fonder leur empire sur la condamnation du juif... La crédulité des foules est infinie. Les gros et les menus bourgeois, les ouvriers, par masses énormes se précipitaient dans le piège que leur tendait la réaction noire... ALORS QUE RÉGNAIT LA TERREUR, ÉMILE ZOLA FIT VOIR CE QUE PEUT UN HOMME JUSTE ET SANS CRAINTE. Plein d’œuvres, jouissant en paix de son génie et de sa gloire, il accomplit le sacrifice de sa popularité, de sa quiétude, de son travail, et se jeta dans les fatigues et les périls pour la justice et la vérité, pour se montrer lui- même un juste et dans le fier espoir que son pays redeviendrait avec lui juste et courageux...”.

ANNEXE 11 : Repères historiques

Chronologie de l'affaire Dreyfus 1894 20-25 Septembre : Le Service des renseignements de l'armée (la "Section de Statistique"), dirigé par le colonel Sandherr, intercepte une lettre - le "bordereau" - adressé à Schwartzkoppen, l'attaché militaire allemand en poste à Paris. A la demande du général Mercier, ministre de la Guerre, une enquête est aussitôt menée dans les bureaux de l'Etat- Major.

92 Siffer Roxane - 2010 Annexes

6 Octobre :Les soupçons se portent sur le capitaine Alfred Dreyfus, officier stagiaire à l'Etat-Major. 9 Octobre : Le bordereau est soumis pour analyse à l'expert Gobert. 13 Octobre : Gobert remet un rapport dubitatif. Une nouvelle expertise est demandée à Bertillon. Ce dernier, après un premier examen, conclut à la culpabilité de Dreyfus. 15 Octobre : Convoqué au Ministère de la Guerre, Alfred Dreyfus est arrêté, après un rapide interrogatoire, par le commandant Du Paty de Clam, qui est chargé de l'enquête. Il est écroué à la prison du Cherche-Midi. 18 Octobre : Début des interrogatoires de Dreyfus par Du Paty. 23 Octobre : Rapport officiel de Bertillon, adressé au préfet de police Lépine. 29 Octobre : Les experts Charavay et Teysonnières confirment l'analyse de Bertillon. 31 Octobre : Du Paty remet au Ministre de la Guerre son rapport sur l'enquête qu'il vient de conduire : il ne formule aucune conclusion précise. 1er Novembre : La Libre Parole évoque pour la première fois le nom d'Alfred Dreyfus. 3 Novembre : Le général Saussier, gouverneur de la place de Paris, donne l'ordre d'ouvrir une instruction judiciaire qui est confiée au commandant d'Ormescheville. 19 Décembre : Début du procès d'Alfred Dreyfus devant le Conseil de guerre, à la prison du Cherche-Midi. L'accusé est défendu par Me Demange. Le huis-clos est prononcé. 20 Décembre : Lors de la deuxième audience du procès, le commandant Henry, qui représente le Service des renseignements, affirme sa conviction de la culpabilité de Dreyfus. 22 Décembre : A l'unanimité, les juges du Conseil de guerre condamnent Dreyfus à la déportation à vie dans une enceinte fortifiée. D'une manière qui est illégale, ils ont eu connaissance, avant leurs délibérations, d'un "dossier secret" que leur a fait remettre le général Mercier et dont les pièces accablent l'accusé. 1895 5 Janvier : Le capitaine Dreyfus est dégradé publiquement dans la grande cour de l'Ecole militaire. Les journaux du soir évoquent de prétendus aveux faits par le condamné au capitaine Lebrun-Renaud. 17 Janvier: Félix Faure est élu Président de la République. Dans la nuit, départ de Dreyfus pour son lieu de détention. 7 Février: Mathieu Dreyfus, le frère du condamné, va trouver Scheurer-Kestner, vice- président du Sénat (et comme lui d'origine alsacienne) : il lui demande, mais sans succès, de l'aider. 12 Mars: Le bateau transportant Alfred Dreyfus arrive en Guyane. 13 Avril: Le condamné est transféré à l'île du Diable. 1erJuillet: Le commandant Picquart est nommé à la tête du Service des renseignements ; il remplace le colonel Sandherr, qui est malade. 1896 1er et 2 Mars: Le Service des renseignements entre en possession d'une carte- télégramme (connue plus tard sous le nom de "petit-bleu") écrite par Schwartzkoppen et adressée au commandant Esterhazy. Picquart décide de mener une enquête sur Esterhazy. Il est bientôt persuadé que ce dernier est le véritable auteur du "bordereau". Siffer Roxane - 2010 93 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

5 Août: Picquart communique au général de Boisdeffre ses soupçons sur Esterhazy. Le chef de l'Etat-Major lui recommande la prudence. 3 Septembre: Picquart rend compte au général Gonse (le sous-chef de l'Etat-Major) du résultat de son enquête sur Esterhazy. 14 Septembre: Un article paru dans L'Eclair, voulant apporter la "preuve irréfutable" de la culpabilité de Dreyfus, fait pour la première fois allusion à la communication d'une pièce secrète aux juges du Conseil de guerre. 16 Septembre: Lucie Dreyfus s'adresse à la Chambre pour demander la révision du procès de son mari. 27 Octobre: Les supérieurs de Picquart, qui ont décidé d'éloigner celui-ci de Paris, signent un ordre de mission l'envoyant en inspection sur la frontière de l'Est. 31 Octobre: Henry rédige, ou fait rédiger, un document qui accable directement Dreyfus (une lettre qu'aurait échangée Panizzardi et Schwartzkoppen, les attachés militaires italien et allemand) : c'est la pièce qu'on connaîtra plus tard sous le nom du "faux Henry". 6 Novembre: Bernard-Lazare fait paraître à Bruxelles sa première brochure sur l'Affaire, qu’il intitule : « Une erreur judiciaire. La vérité sur l'Affaire Dreyfus ». Au cours des semaines qui suivent, il s'efforce de convaincre plusieurs personnalités du monde des lettres ou de la politique, dont Zola. Ses démarches n'ont guère de résultat. 10 Novembre: Le Matin publie un fac-similé du texte du bordereau. 16 Novembre: Picquart (qui a dû abandonner la direction du Service des renseignements) quitte Paris pour accomplir sa mission dans l'Est. Publication à Paris (chez Stock) de la deuxième édition de la brochure de Bernard-Lazare. 26 Décembre: Gonse écrit à Picquart que prolonger sa mission et il lui indique qu'il doit partir pour la Tunisie. 1897 6 Janvier: Gonse écrit à Picquart qu'il l'affecte "provisoirement" au 4èmerégiment de tirailleurs algériens (basé à Sousse, en Tunisie). 16 Janvier: Arrivée de Picquart en Tunisie. 21-29 Juin: En permission à Paris, Picquart confie à l'avocat Leblois, sous le sceau du secret, tout ce qu'il a découvert ; pensant qu'une machination se prépare contre lui, il lui donne un "mandat général de défense". 13 Juillet: Leblois raconte ce qu'il sait à Scheurer-Kestner. Ce dernier, bien qu'il soit tenu par le secret de la confidence, décide de mener campagne pour la réhabilitation de Dreyfus. 17 Août: Esterhazy est mis en position de non-activité pour "infirmités temporaires". 10 au 15 Octobre: Le général Billot, le ministre de la Guerre, ordonne d'étendre la mission de Picquart sur la frontière tripolitaine, où des troubles ont été signalés. 16 Octobre: Au cours de la réunion qui se tient au Ministère de la Guerre, et à laquelle participent Gonse, Henry et Du Paty, on décide d'avertir Esterhazy des accusations dont il va être l'objet. 18 Octobre: Esterhazy reçoit une lettre anonyme le mettant en garde (signée "Espérance").

94 Siffer Roxane - 2010 Annexes

19 Octobre: Publication du premier numéro de L'Aurore, quotidien fondé par Ernest Vaughan. Georges Clemenceau, Urbain Gohier, Bernard-Lazare font partie de l'équipe de rédaction. 23 Octobre: Entrevue secrète au parc de Montsouris entre Esterhazy et les émissaires du Ministère (Du Paty de Clam, Henry et Gribelin). 27 Octobre: Deuxième entrevue secrète, près du pont Alexandre III. Rencontre entre Esterhazy et la "femme voilée". 29 Octobre: Scheurer-Kestner est reçu à l'Elysée par Félix Faure. 30 Octobre : Scheurer-Kestner a une longue conversation avec Billot (qui est son ami de longue date) : ce dernier lui promet d'ouvrir une enquête, mais lui demande un délai de quinze jours. 3 Novembre: Scheurer-Kestner se rend chez Méline, le Président du Conseil. 5 Novembre: Gabriel Monod affirme dans Le Temps (numéro daté du 6) que Dreyfus est victime d'une erreur judiciaire. 6 Novembre: Un an après sa première démarche, Bernard-Lazare rend une nouvelle fois visite à Zola. Il est sur le point de publier son deuxième mémoire : Une erreur judiciaire. L'affaire Dreyfus (Stock). 8 et 10 Novembre: Visites successives de Louis Leblois, venu exposer le dossier de l'affaire Dreyfus. 10 Novembre: Deux télégrammes mystérieux (signés "Spéranza" et "Blanche") sont expédiés à Picquart, mettant en cause sa responsabilité. 11 Novembre: Mathieu Dreyfus, qui a appris, grâce au banquier Castro, quel est le véritable auteur du bordereau, va trouver Scheurer-Kestner : ce dernier lui confirme son information. 12 Novembre: Réunion au domicile de Scheurer-Kestner. Mathieu Dreyfus, Leblois et Emmanuel Arène sont présents. 13 Novembre: Nouvelle réunion au domicile de Scheurer-Kestner. Zola, qui a été invité par le vice-président du Sénat, y assiste, en compagnie de Leblois, du romancier Marcel Prévost et de l'avocat Sarrut. 15 Novembre: Dans une lettre ouverte à "un ami" (Arthur Ranc), publiée dans Le Temps (numéro daté du 16), Scheurer-Kestner affirme que Dreyfus est innocent. Rappelé par son gouvernement, Schwartzkoppen (qui est nommé commandant du 2ème Régiment des grenadiers de la Garde) quitte Paris. 16 Novembre: Les journaux du matin publient une lettre - écrite la veille - de Mathieu Dreyfus au ministre de la Guerre, dénonçant Esterhazy comme l'auteur du bordereau. 17 Novembre: A la suite de la dénonciation de Mathieu Dreyfus, une enquête est ouverte sur les activités d'Esterhazy. Confiée au général de Pellieux, elle prendra d'abord une forme administrative (17-20 Novembre), puis une forme judiciaire (21 Novembre-3 Décembre). 25 Novembre: Dans Le Figaro, premier article de Zola en faveur de la cause dreyfusiste ("M. Scheurer-Kestner"). 26 Novembre: Picquart, rappelé de Tunisie, arrive à Paris. Il est interrogé dans le cadre de l'enquête conduite par de Pellieux.

Siffer Roxane - 2010 95 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

28 Novembre: Le Figaro publie des extraits de lettres d'Esterhazy à sa maîtresse, Mme de Boulancy (dont la fameuse "lettre du Ulhan"). 1erDécembre: Poursuite de la campagne de Zola dans LeFigaro : "Le syndicat". 3 Décembre: Pellieux remet au général Saussier les conclusions de son enquête. 4 Décembre: Une nouvelle enquête concernant Esterhazy est confiée au commandant Ravary. Interpellation à la Chambre sur l'Affaire. Méline se défend en disant qu'il "n'y a pas", qu'il "ne peut pas y avoir d'affaire Dreyfus". 5 Décembre: Zola, dans LeFigaro : "Procès-verbal". 7 Décembre: Au Sénat, interpellation de Scheurer-Kestner contre le gouvernement. 14 Décembre: Zola publie la Lettre à la jeunesse. 26 Décembre: Après avoir étudié le bordereau, les trois experts, Belhomme, Varinard et Couard, remettent leurs conclusions à Ravary : ils affirment que le document n'est pas l'œuvre d'Esterhazy. 1898 1erJanvier: Ravary remet au général Saussier un rapport d'enquête concluant à un non- lieu. Ce dernier décide cependant la mise en jugement du commandant Esterhazy. 4 Janvier: Plainte de Picquart contre les auteurs des télégrammes du 10 Novembre. Le juge Bertulus sera chargé de l'instruction. 7 Janvier: Zola, dans Lettre à la France. Le Siècle, publie l'acte d'accusation contre Alfred Dreyfus (rapport d'Ormescheville). Au même moment, Bernard-Lazare fait paraître son troisième mémoire, Comment on condamne un innocent (Stock). 10 Janvier: Début du procès d'Esterhazy au Cherche-Midi. Le huis-clos est prononcé au bout de quelques heures. 11 Janvier: Le Conseil de guerre vote l'acquittement d'Esterhazy à l'unanimité. 13 Janvier: Publication de "J'accuse", dans L'Aurore. A la Chambre, Albert de Mun interpelle le gouvernement. Au Sénat, Scheurer-Kestner n'est pas reconduit dans ses fonctions de vice-président. En début de matinée, Picquart a été conduit au Mont-Valérien où il a été mis aux arrêts de rigueur. 14 Janvier: Début de la publication, dans L'Aurore, d'une première "protestation" signée par une série d'"intellectuels" qui demande la révision du procès de Dreyfus. Une deuxième protestation suivra le 16 Janvier. 18 Janvier: Plainte de Billot contre Zola et L'Aurore. 19 Janvier: Manifeste du Prolétariat lancé par les députés socialistes et hostile à tout engagement dans la bataille de l'affaire Dreyfus. Jaurès, qui le signe, s'écartera cependant très vite de cette position. 20 Janvier: Zola et Perrenx (le gérant de L'Aurore) reçoivent l'assignation à comparaître. 21 Janvier: S'estimant diffamés par J'accuse, Belhomme, Varinard et Couard assignent Zola devant le tribunal correctionnel. 7 Février: Ouverture du procès de Zola devant la cour d'assises de la Seine. 11 et 12 Février: Déposition de Picquart (5èmeet 6ème audiences). 17 Février: De Pellieux fait allusion au "faux Henry" (10ème audience).

96 Siffer Roxane - 2010 Annexes

18 Février: Intervention comminatoire du général de Boisdeffre (11ème audience). 21 Février: Réquisitoire de l'avocat général Van Cassel. "Déclaration au jury" de Zola. Début de la plaidoirie de Labori. 23 Février: Zola est condamné, pour diffamation, au maximum de la peine possible (un an de prison et 3000 F. d'amende). 24 et 25 Février: Au cours de deux réunions tenues chez Trarieux et chez Scheurer- Kestner, la décision est prise de fonder la Ligue pour la Défense des Droits de l'Homme et du Citoyen. 26 Février: Publication du décret mettant Picquart en réforme pour "faute grave dans le service". Zola signe son pourvoi en cassation. 1erMars: Le roman d'Emile Zola, Paris, paraît en librairie (éd. Fasquelle). 5 Mars: Duel entre Picquart et Henry. 9 Mars: Procès intenté à Zola par les trois experts, Belhomme, Varinard et Couard, devant la 9ème chambre correctionnelle. 15 Mars: Le Siècle annonce la formation d'un Comité pour la réalisation d'une médaille en l'honneur de Zola (médaille Charpentier). 2 Avril: La Chambre criminelle de la Cour de cassation annule pour vice de forme le jugement du 23 Février. 8 Avril: Les juges du Conseil de guerre qui a acquitté Esterhazy se portent partie civile contre Zola. 8 au 22 Mai: Elections législatives : Jaurès et Reinach perdent leur siège de député ; Drumont est élu à Alger. 23 Mai: Procès de Zola à Versailles, devant les assises de Seine-et-Oise. Labori se pourvoit en cassation, ce qui suspend les débats. Article calomnieux de Judet, dans Le Petit Journal, contre le père du romancier. 24 Mai: Plainte en diffamation déposée par Zola contre Judet. 26 Mai: Election à l'Académie française. Zola n'obtient aucune voix (même résultat le 8 Décembre, lors d'une élection ultérieure). 4 Juin: Assemblée générale constitutive de la Ligue pour la Défense des Droits de l'Homme et du Citoyen. 15 Juin: Démission du ministère Méline. 16 Juin: La Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation formé par Labori le 23 Mai. 28 Juin: Constitution du cabinet Brisson. Le ministre de la Guerre est Godefroy Cavaignac. 7 Juillet: Cavaignac affirme, dans un discours à la Chambre, détenir les preuves irréfutables de la culpabilité de Dreyfus : il fait état, en particulier, de trois documents extraits du "dossier secret". 9 Juillet: Reprise du procès en diffamation intenté par les trois experts : Zola est condamné à quinze jours de prison avec sursis et à 2000 F. d'amende, plus 5000 F. de dommages-intérêts à verser à chacun des experts. Dans une lettre adressée au Président du Conseil, Picquart conteste la validité des preuves avancées par Cavaignac.

Siffer Roxane - 2010 97 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

12 Juillet: Plainte de Cavaignac contre Picquart et Leblois. Arrestation et incarcération d'Esterhazy, à l'initiative du juge Bertulus. 13 Juillet: Arrestation et incarcération de Picquart (à la suite de la plainte déposée contre lui par Cavaignac). 16 Juillet: Zola publie, dans L'Aurore, une lettre ouverte adressée à Henri Brisson. 18 Juillet: Reprise du procès de Zola aux assises de Versailles. Condamné à nouveau, à l'issue de l'audience, le romancier part, le soir même, pour l'Angleterre, pour éviter que l'arrêt ne lui soit signifié et ne devienne exécutoire. 19 Juillet: Labori fait appel dans le procès des experts. Zola s'installe, à Londres, au Grosvenor Hotel. 21 Juillet: Début d'une série d'articles de Reinach, dans Le Siècle, sur "les faussaires" (dirigés en particulier contre Du Paty et Esterhazy). 22 Juillet: Installation à Oatlands Park Hotel (entre Weybridge et Walton-on-Thames). 26 Juillet: Zola est suspendu de l'ordre de la Légion d'honneur. 1erAoût: Zola s'installe dans la Maison de "Penn", près de Weybridge. 3 Août: Labori obtient que la neuvième Chambre correctionnelle condamne Ernest Judet et Le Petit Journal pour diffamation à l'égard de Zola. 5 Août: rejet par la Cour de cassation du pourvoi formé par Zola et L'Aurore contre le jugement rendu à Versailles le 18 Juillet. 8 Août: Début des interrogatoires de Picquart par le juge d'instruction Fabre. 10 Août: La Chambre des appels correctionnels augmente les peines, dans le procès des experts : Zola est condamné à un mois de prison sans sursis et à 2000 F. d'amende, plus 10 000 F. de dommages-intérêts à verser à chacun des experts. Début d'une série d'articles de Jaurès dans La Petite République (intitulés "Les Preuves"). 11 Août: Arrivée de Jeanne Rozerot et des enfants à "Penn". Ils resteront en Angleterre jusqu'au 15 Octobre. 12 Août: Cédant à la requête du procureur Feuilloley, la chambre des mises en accusation rend un arrêt de non-lieu en faveur d'Esterhazy, qui est remis en liberté. 13 Août: En examinant le dossier secret, le capitaine Cuignet, attaché au cabinet de Cavaignac, découvre le "faux Henry". 25 Août: Le juge Albert Fabre (chargé de l'instruction ouverte par la plainte de Cavaignac) renvoie Picquart et Leblois devant le tribunal correctionnel. 27 Août: Installation de Zola à "Summerfield" (Addlestone). Le Conseil d'enquête chargé de statuer sur les accusations portées contre Esterhazy émet un avis favorable à sa mise en réforme. 30 Août: Le colonel Henry avoue son faux à Cavaignac ; il est arrêté et conduit au Mont- Valérien. Le général de Boisdeffre demande à être relevé de ses fonctions. 31 Août: Suicide d'Henry dans sa cellule du Mont-Valérien. 3 Septembre: Cavaignac démissionne du gouvernement. 4 Septembre: Esterhazy quitte la France. 5 Septembre: Le général Zurlinden devient ministre de la Guerre.

98 Siffer Roxane - 2010 Annexes

17 Septembre: Démission de Zurlinden. Le général Chanoine lui succède. 20 Septembre: Zurlinden (réintégré dans ses anciennes fonctions de gouverneur militaire de Paris) donne l'ordre d'informer contre Picquart. 21 Septembre: Picquart et Leblois devant la 8ème Chambre correctionnelle : le procès est renvoyé. 22 Septembre: Picquart est écroué à la prison du Cherche-Midi. 23 Septembre: A la requête des trois experts, des saisies par huissier de justice ont lieu au domicile de Zola, à Paris. Une nouvelle saisie sera effectuée le 29 Septembre. 10 Octobre: Installation de Zola au Bailey's Hotel (Kensington, Londres). 11 Octobre: Vente-saisie, rue de Bruxelles. Une table est achetée 32 000 F. par Eugène Fasquelle, ce qui arrête la procédure. 15 Octobre: Zola s'installe au Queen's Hotel (à Upper Norwood, dans la banlieue de Londres). 25 Octobre: Chute du cabinet Brisson. Arrivée d'Alexandrine à Norwood : elle restera jusqu'au 5 Décembre. 27 Octobre: La chambre criminelle de la Cour de cassation commence l'examen de la demande en révision. 29 Octobre: Elle déclare la demande recevable, et décide de procéder à une enquête. 31 Octobre: Formation du cabinet Dupuy. 7 Novembre: Dans un article écrit dans Le Siècle, Reinach accuse directement Henry de complicité avec Esterhazy ; il reprendra cette accusation dans le numéro du 6 Décembre, en se mettant à la disposition de la justice et de la veuve d'Henry. 8 Novembre: Début de l'enquête engagée par la chambre criminelle. 19 Novembre: Parution du premier fascicule des Dessous de l'Affaire Dreyfus, par Esterhazy. 24 Novembre: Picquart est renvoyé par Zurlinden devant le 2ème Conseil de guerre de Paris. 25 Novembre: Dans Le Siècle et dans L'Aurore, publication des premières listes de signatures concernant l'Hommage à Picquart. 14 Décembre: La Libre Parole ouvre une souscription en faveur de la veuve du colonel Henry, Berthe Henry, pour lui permettre de poursuivre Reinach en justice. La souscription sera close le 15 Janvier 1899. 22 Décembre: Début du deuxième séjour d'Alexandrine à Norwood. 31 Décembre: Appel en faveur de la fondation de la Ligue de la Patrie française. 1899 3 Janvier: Georges Clemenceau rend visite aux Zola, à Norwood. 6 Janvier: Le président de la chambre civile de la Cour de cassation, Jules Quesnay de Beaurepaire, qui a accusé la chambre criminelle de partialité envers Picquart, réclame une enquête. 8 Janvier: N'ayant pas reçu de réponse du premier président de la Cour, Charles Mazeau, il donne sa démission.

Siffer Roxane - 2010 99 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

12 Janvier: Le garde des Sceaux, Georges Lebret, charge Mazeau d'ouvrir à son tour une enquête sur les faits signalés par Quesnay de Beaurepaire. 19 Janvier: Réunion constitutive de la Ligue de la patrie française. 21 Janvier: Nouvelle vente-saisie, au domicile de Zola, à Paris. Eugène Fasquelle rachète 2500 F. une glace et une table. 27 Janvier: Procès entre Reinach et Berthe Henry, devant la cour d'assises ; Labori, qui défend Reinach, se pourvoit en cassation. 30 Janvier: Lebret soumet à la Chambre des députés un projet de loi attribuant aux trois chambres réunies de la Cour de cassation le pouvoir de décision sur toute affaire de révision (loi dite de "dessaisissement"). 9 Février: La chambre criminelle clôt son enquête sur la révision. 10 Février: La Chambre des députés votre le projet de loi déposé par Lebret. 16 Février: Mort de Félix Faure, qui était un adversaire déterminé de la révision. 18 Février: Emile Loubet est élu président de la République. 23 Février: Funérailles de Félix Faure. Une tentative de soulèvement nationaliste, suscitée par Déroulède, échoue. 27 Février: Alexandrine quitte Norwood et rentre à Paris. 1erMars: Le Sénat vote la "loi de dessaisissement", qui est promulguée le même jour. 10 Mars: Jaurès rend visite à Zola, à Norwood. 21 Mars: Première séance plénière de la Cour de cassation, toutes chambres réunies, sous la présidence de Charles Mazeau. Ce dernier a désigné comme rapporteur Alexis Ballot-Beaupré, le successeur de Quesnay de Beaurepaire à la présidence de la chambre civile. 27-28 Mars: Visite de Labori à Norwood. 29 Mars: Arrivée en Angleterre de Jeanne et des enfants, venus passer les vacances de Pâques ; pendant cette période, Zola s'installe avec eux au Crystal Palace Royal Hotel. 31 Mars: Le Figaro commence la publication du procès-verbal de l'enquête réalisée par la chambre criminelle. 8 Avril: A Londres, entretien entre Zola et le sénateur Ludovic Trarieux. 24 Avril: Début des auditions de la Cour de cassation : comparution du capitaine Freystaetter (l'un des sept juges militaires du procès de Décembre 1894), qui, depuis le suicide d'Henry, est persuadé de l'innocence de Dreyfus. 29 Avril: Dernière audition de la Cour de cassation, qui entend Cuignet et Du Paty de Clam. 15 Mai: Début du feuilleton de Fécondité dans L'Aurore. 16 Mai: Nouvelle visite de Clemenceau à Zola. 29 Mai: La Cour de cassation se réunit pour écouter le rapport de Ballot-Beaupré. 1er Juin: Du Paty de Clam est arrêté. 3 Juin: La Cour de cassation annule le jugement de 1894. Dreyfus est renvoyé devant un nouveau Conseil de guerre.

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5 Juin: Dreyfus est informé de l'arrêt de révision. Zola arrive en France ; on lui apporte, rue de Bruxelles, la signification de l'arrêt prononcé à Versailles, le 18 Juillet. "Justice" paraît dans L'Aurore. 9 Juin: Zola fait opposition à l'arrêt de Versailles. Picquart sort de prison. Dreyfus quitte l'île du Diable, à bord du croiseur Sfax. 12 Juin: Chute du ministère Dupuy. 22 Juin: Formation du ministère Waldeck-Rousseau, dit "de défense républicaine". Le portefeuille de la Guerre est confié au général de Galliffet : celui-ci a pour charge de faire accepter la révision à l'armée. 1erJuillet: Dreyfus, arrivé en France, est enfermé dans la prison militaire de Rennes. 18 Juillet: Le Matin publie un long récit d'Esterhazy, dans lequel celui-ci s'explique sur son rôle dans l'Affaire : il reconnaît être l'auteur du bordereau, mais dit l'avoir écrit "sous la dictée", en obéissant à l'ordre de ses chefs. 7 Août: Ouverture du procès d'Alfred Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes. L'accusé est défendu par Edgar Demange et Fernand Labori. 12 Août: Déposition du général Mercier. A Paris, la police arrête de nombreuses personnalités royalistes et nationalistes, dont Paul Déroulède. Jules Guérin, le directeur du journal L'Antijuif, se barricade rue de Chabrol, au siège du Grand-Occident de France (épisode du "fort Chabrol"). 14 Août: A Rennes, tentative d'assassinat contre Labori. 31 Août: Zola apprend qu'il est cité à Versailles le 23 Novembre. 8 Septembre: Plaidoirie d'Edgar Demange (Labori a renoncé à parler). 9 Septembre: Conclusion du procès de Rennes (25ème audience). Dreyfus est à nouveau déclaré coupable, mais on lui reconnaît des "circonstances atténuantes". 12 Septembre: Zola publie "Le cinquième acte", dans L'Aurore. 19 Septembre: Dreyfus est gracié par le Président de la République, Emile Loubet. Mort de Scheurer-Kestner. 21 Septembre: Le général de Galliffet adresse à l'armée un ordre du jour dans lequel il déclare : "L'incident est clos". 22 Septembre: Zola publie sa "Lettre à Madame Alfred Dreyfus", dans L'Aurore. 4 Octobre: Fin du feuilleton de Fécondité dans L'Aurore : le roman paraîtra en librairie le 12 Octobre (éd. Fasquelle). 23 Novembre: Le procès de Versailles est remis à une date indéterminée. 1900 – 1908 1erMars 1900 : Le Sénat est saisi d'un projet de loi d'amnistie concernant tous les faits relatifs à l'Affaire. 14 Mars 1900 : Zola est entendu par la Commission du Sénat, dans le cadre du débat sur la loi d'amnistie. 29 Mai 1900 : Zola publie sa "Lettre au Sénat", dans L'Aurore. 18 Décembre 1900 : Après plusieurs mois de discussions, la Chambre des députés vote la loi d'amnistie.

Siffer Roxane - 2010 101 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

22 Décembre 1900 : Zola publie une lettre ouverte au Président de la République, Emile Loubet, dans L'Aurore. 24 Décembre 1900 : Le Sénat vote la loi d'amnistie. 1er Février 1901 : Zola fait paraître La Vérité en marche, recueil de ses articles écrits pendant l'affaire Dreyfus. 29 Septembre 1902 : Mort de Zola, dans son domicile parisien de la rue de Bruxelles. 5 Octobre 1902 : Funérailles, au cimetière Montmartre. Discours d'Anatole France : "Envions-le, sa destinée et son coeur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine." 26 Novembre 1903 : Alfred Dreyfus écrit au garde des Sceaux pour demander la révision du procès de Rennes. 5 Mars 1904 : La chambre criminelle de la Cour de cassation déclare acceptable sa demande, et ordonne une enquête. 19 Novembre 1904 : Fin de l'enquête de la chambre criminelle. 12 Juillet 1906 : La Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule le jugement du Conseil de guerre de Rennes, et affirme que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée "à tort". 13 Juillet 1906 : La Chambre vote une loi réintégrant Dreyfus dans l'armée (avec le grade de chef de bataillon) ainsi que Picquart (avec le grade de général de brigade). Le même jour, elle adopte un autre projet de loi demandant le transfert des cendres de Zola au Panthéon. 21 Juillet 1906 : Alfred Dreyfus est fait chevalier de la Légion d'honneur. 25 Octobre 1906 : Clemenceau devient Président du Conseil. Il appelle Picquart au ministère de la Guerre. 4 Juin 1908 : Cérémonie officielle marquant le transfert des cendres de Zola au Panthéon. Un journaliste du nom de Louis Grégori tire deux coups de feu sur Alfred Dreyfus, qui est blessé au bras. Source : Site Internet des Cahiers Naturaliste, L’Affaire Dreyfus, Chronologie http://www.cahiers-naturalistes.com/chronologie_dreyfus.htm

Chronologie de la Commune de Paris (1871)

Janvier 7 Janvier :Publication de l’Affiche Rouge, qui demande la création d’une Commune à Paris. 19 Janvier : A Buzenval (près de Rueil), échec sanglant de l’offensive contre les Allemands, que le général Trochu, gouverneur militaire de Paris et président du gouvernement provisoire, a imaginée pour "calmer" les Parisiens les plus bellicistes. 22 Janvier : Manifestation insurrectionnelle place de l’Hôtel de Ville. Les soldats du général Vinoy tirent et font une trentaine de morts parmi les manifestants. 26 Janvier : Les Allemands arrêtent le bombardement de Paris.

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28 Janvier : Annonce officielle de l’armistice franco-allemand. Février 19 Février : Formation du gouvernement Thiers. 24 Février : 2 000 délégués de la Garde nationale se réunissent au Vauxhall. Manifestations place de la Bastille. 26 Février : Les canons de la Garde nationale sont rassemblés à Belleville et à Montmartre. Mars 1er Mars : Les Allemands défilent sur les Champs-Elysées. 3 Mars : Création de la Fédération républicaine de la Garde nationale. 6 Mars : Thiers nomme le général Aurelle de Paladines Commandant en chef de la Garde nationale. 10 Mars : L’Assemblée Nationale décide de se transférer à Versailles. Elle vote la fin du moratoire des dettes, des effets de commerce et des loyers. Par le Pacte de Bordeaux, les députés ne tiennent pas pour acquis le maintien de la République. 11 Mars : le général Vinoy, commandant en chef de l’armée de Paris, suspend 6 journaux républicains. Auguste Blanqui et Gustave Flourens sont condamnés à mort par contumace pour leur participation à la tentative insurrectionnelle du 31 octobre à Paris. 16 Mars : Thiers s’installe à Paris dans le but de "pacifier" la capitale. 17 Mars : Blanqui est arrêté dans le Lot. 18 Mars : Thiers ordonne l’enlèvement des canons de la Garde nationale. Les Parisiens des quartiers Est et Centre se soulèvent. Exécution des généraux Lecomte et Thomas (probablement par leurs soldats). Thiers quitte Paris pour Versailles. 19 Mars : Le Comité central de la Garde nationale annonce la tenue d’élections pour créer le Conseil de la Commune.Le gouvernement confie l’administration de Paris aux Maires et députés de la capitale. 20 et 21 Mars :A Versailles, la délégation des Maires, en vue d’une conciliation se fait huer par l’Assemblée. Jules Favre, vice-président du conseil des ministres insulte Paris. 21 Mars : Les troupes versaillaises occupent le Mont-Valérien. Manifestation des "Amis de l’Ordre" sur le boulevard des Italiens, Porte Saint-Denis, rue Vivienne et place de la Bourse. 22 Mars :De l’Opéra à la place Vendôme, échec sanglant de la seconde manifestation des "Amis de l’Ordre". Une partie de la population des quartiers chics (Ouest) quitte Paris. 23 Mars : Création d’une Commune à Marseille. 24 Mars : Création d’une Commune à Narbonne, Saint-Etienne et Toulouse. 26 Mars : Création de la Commune au Creusot. Elections pour le Conseil de la Commune de Paris. 28 Mars : Installation du Conseil de la Commune de Paris.Proclamation de la Commune de Paris.

Siffer Roxane - 2010 103 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

29 Mars : La Commune décrète que les loyers dûs depuis le moratoire du 13 Août 1870 sont annulés ; la vente des objets déposés au Mont-de-Piété est suspendue. La conscription militaire et l’armée de métier sont abolies. Avril 2 Avril :La Commune décrète la séparation de l’Église et de l’État, et le budget des cultes est supprimé. Les traitements des fonctionnaires ne pourront plus dépasser 6 000 francs annuels. La Commune décrète la mise en accusation du gouvernement de Thiers. A Courbevoie, les troupes versaillaises attaquent les Communards qui se replient sur Neuilly. 3 Avril : Les Communards lancent une attaque en direction de Versailles. Gustave Flourens est assassiné à Rueil-Malmaison par un gendarme. 4 Avril :L’offensive des Communards échoue à Châtillon, environ 1 500 hommes sont emmenés prisonniers à Versailles. Fin de la Commune de Marseille. Gustave Paul Cluseret est nommé délégué à la Guerre. 5 Avril : La Commune suspend « Le Journal des Débats » et « La Liberté », journaux pro-versaillais. 6 Avril : La Commune vote le décret des otages.Arrestation des personnes complices du gouvernement Thiers.La Commune décrète le désarmement des Gardes nationaux anti- communards. 8 Avril :La Commune décrète le versement d’une pension à tous les blessés ; il sera étendu aux veuves et aux orphelins des Gardes nationaux tués au combat(10 Avril). 9 Avril : Le Conseil de la Commune réaffirme l’obligation de la déclaration préalable pour la presse. 11 Avril : La Commune décide la création d’un conseil de guerre. 12 Avril : La Commune décide de suspendre les poursuites judiciaires concernant les échéances(loyers, effets de commerce...). L’archevêque de Paris,Georges Darboy, otage de la Commune, écrit à Thiers pour protester contre les exécutions sommaires de Communards prisonniers. Il propose d’être échangé contre Auguste Blanqui, prisonnier à Morlaix sur ordre de Thiers. La Commune interdit « Le Moniteur Universel », journal considéré comme pro- versaillais. 13 Avril : La Commune décide la démolition de la Colonne Vendôme. 14 Avril :La Commune interdit les arrestations arbitraires.Début du bombardement d’Asnières, où sont stationnées des troupes de la Commune, par les troupes versaillaises (il durera jusqu’au 17 Avril). 16 Avril : La Commune fait recenser les ateliers abandonnés et favorise la création de coopératives ouvrières. La Commune décide un délai de trois ans pour le remboursement des échéances et des dettes. Elections complémentaires au Conseil de la Commune. 18 Avril : La Commune décrète que toute arrestation doit faire l’objet d’un procès-verbal. 19 Avril : La Commune fait une Déclaration au Peuple français où elle expose son programme. 20 Avril : La Commune interdit le travail de nuit chez les boulangers (applicable le 27). 21 Avril : Les francs-maçons tentent une conciliation entre la commune et le gouvernement Thiers. 22 Avril : La Commune organise les boucheries municipales. 104 Siffer Roxane - 2010 Annexes

23 Avril : Thiers organise le blocus du ravitaillement de Paris. 25 Avril : A Belle-Epine, près de Villejuif, un officier des troupes versaillaises exécute personnellement et sans jugements quatre soldats communards prisonniers. La Commune décide la réquisition des logements vacants pour y loger les victimes des bombardements faits par les troupes versaillaises. La Commune décide de réorganiser les poids et mesures. 28 Avril : La Commune supprime le système des amendes par lesquelles les patrons pénalisaient leurs salariés. Mai 1er Mai : Création, par la Commune du Comité de Salut Public. Louis Rossel est nommé Délégué à la Guerre après la révocation de Cluzeret. 2 Mai : La Commune abolit le serment politique et professionnel pour les fonctionnaires. 4 Mai : La Commune interdit le cumul des traitements. 5 Mai : La Commune supprime sept journaux parisiens considérés comme pro- versaillais et fait détruire la chapelle expiatoire commémorant la mort de Louis XVI. 6 Mai : Thiers refuse la tentative de conciliation entreprise par la Ligue d’Union républicaine des Droits de Paris. Décret de la Commune autorisant le dégagement gratuit des objets déposés au Mont-de-Piété pour moins de 6 francs. 8 Mai :Thiers adresse un ultimatum aux Parisiens. 9 Mai : Le fort d’Issy tombe aux Mains des troupes versaillaises. 10 Mai :Charles Delescluze est nommé Délégué à la Guerre en remplacement de Rossel, démissionnaire. La paix franco-allemande est signée à Francfort. Les biens parisiens de Thiers sont saisis. 11 Mai : Décret de la Commune ordonnant la démolition de la Maison parisienne de Thiers.La Commune supprime 5 journaux. 13 Mai : Les troupes versaillaises occupent le fort de Vanves. 14 Mai : Thiers refuse la proposition d’échanger les 74 otages de la Commune contre le seul Auguste Blanqui emprisonné à Morlaix. 15 Mai : Crise ouverte entre la majorité et la minorité du Conseil de la Commune. Les minoritaires publient un manifeste. 16 Mai : Démolition de la colonne Vendôme 17 Mai : Un sabotage provoque l’explosion de la cartoucherie de l’avenue Rapp. La Commune décrète l’égalité des enfants légitimes ou naturels, des épouses et des concubines pour la perception des pensions. 18 Mai : l’Assemblée Nationale, siégeant à Versailles, vote la ratification du traité de Francfort. Le Comité de Salut public de la Commune supprime dix journaux. 19 Mai : La Commune décrète que les fonctionnaires ou les fournisseurs de la Commune qui seront accusés de concussion seront traduits devant une Cour martiale où ils risqueront la peine de mort. Arrestation des Dominicains du couvent d’Arcueil, soupçonnés d’aider les troupes versaillaises. 21 Mai : Grâce à une trahison, les troupes versaillaises entrent dans Paris par la Porte de Saint-Cloud. C’est le début de la Semaine sanglante.

Siffer Roxane - 2010 105 Le Naturalisme sur la scène de l’Opéra lyrique

22 Mai : Les troupes versaillaises contrôlent les Champs-Elysées, les quartiers Saint- Lazare et Montparnasse. 23 Mai : Les troupes versaillaises occupent Montmartre. Débuts des grands incendies qui vont ravager certains monuments parisiens (Palais des Tuileries). 24 Mai : Les versaillais contrôlent le Quartier latin et multiplient les exécutions sommaires. L’Hôtel de Ville et la préfecture de Police sont incendiés. Des Communards font exécuter six otages dont l’archevêque Georges Darboy. 25 Mai :Cinq dominicains d’Arcueil et neuf employés du couvent sont abattus dans une tentative de fuite. Combats vigoureux Place du Château d’Eau (actuelle place de la République). Mort de Charles Delescluze. 26 Mai : Le Faubourg Saint-Antoine est contrôlé par les versaillais. Rue Haxo, la foule massacre 11 religieux, 35 gendarmes et quatre mouchards du Second Empire. 27 Mai : Durs combats dans Belleville, au cimetière du Père-Lachaise et aux Buttes- Chaumont. 28 Mai : En début d’après-midi, fin des combats (rue Ramponneau). Mort d’Eugène Varlin. 29 Mai : Le fort de Vincennes capitule. Fin de la Commune de Paris.Procès, exécutions et déportations de prisonniers communards vont commencer. Source : Site Internet Histoire du Monde, Chronologie de la Commune de Paris (1871) http://www.histoiredumonde.net/article.php3?id_article=1503

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