L'apiculture Pour Tous
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Abbé Warré L’APICULTURE POUR TOUS Douzième édition L’APICULTURE POUR TOUS L’utilité de l’apiculture L’apiculture est l’art de cultiver les abeilles dans le but jardiner et faire de l’apiculture et ainsi satisfaire aux be- de retirer de cette industrie le maximum de rendement avec soins de leur nature. le minimum de dépenses. Ce travail vaudrait mieux que tous les sports modernes Or, les abeilles produisent des essaims et des reines, de avec leurs excès, avec leurs promiscuités, avec leurs nudités. la cire, du miel. Si les Français retournaient ainsi à la terre, ils seraient La production des essaims et des reines doit être réser- plus forts et plus intelligents. Et, comme l’a dit le sage En- vée aux spécialistes. gerand, la France redeviendrait la terre de l’équilibre, où il La production de la cire a quelque importance, mais n’y aurait ni les fièvres, ni les folies collectives si néfastes diminuée par les frais de sa fonte. aux hommes, elle redeviendrait un pays de mesure et de La production du miel est le principal but de l’apicul- clarté, de raison et de sapience, une contrée où il fait bon ture, celui que vise avant tout l’apiculteur, parce que ce vivre. produit est important et qu’il peut être pesé, estimé. Et puis n’oublions pas le mot d’Edmond About : « Le Or, le miel est un excellent aliment, un bon remède, le seul capital éternel, inusable et inépuisable, c’est la terre. » meilleur des sucres. Nous le redirons plus longuement. Et Enfin, et c’est une chose importante, l’abeille féconde ce miel, on peut le vendre, comme on peut le consommer les fleurs des arbres fruitiers. L’apiculture contribue, par sous bien des formes : en nature, en confiseries, en pâtisse- conséquent, pour une large part, à remplir notre fruitier. ries, en boissons hygiéniques et agréables : hydromel, cidres Cette raison seule devrait suffire pour pousser à l’apicul- sans pommes, vins sans raisins. ture, tous ceux qui ont le moindre coin de verger. L’apiculture est aussi, il faut le noter, un travail pas- D’après Darwin, la fécondation d’une fleur par elle- sionnant, qui repose par conséquent l’esprit et même le même n’est pas la règle générale. La fécondation croisée qui corps. intervient le plus communément est nécessitée, soit par la L’apiculture est encore un travail moral, puisqu’il séparation des sexes dans les fleurs ou même sur des pieds éloigne du café et des mauvais lieux et qu’il met sous les différents, soit par la non-coïncidence de la maturité dans yeux de l’apiculteur l’exemple du travail, de l’ordre, du le pollen et dans le stigmate ou par des dispositions di- dévouement à la cause commune. verses qui empêchent une fleur de se féconder elle-même. L’apiculture est en plus un travail souverainement hy- Il en résulte que bien souvent, si une cause étrangère n’in- giénique et bienfaisant, car ce travail se fait le plus souvent tervient pas, nos plantes ne donneront pas de fruits ou en plein air, par beau temps, au soleil. Or, le soleil est l’en- en donneront beaucoup moins ; de nombreuses expériences nemi de la maladie puisqu’il est le maître de la sève et de l’ont démontré. la force. Le docteur Paul Carton a écrit : « Ce qu’il faut, Or, l’abeille, comme le dit si bien M. Hommell, l’abeille, c’est enseigner à la génération qui vient la haine de l’alcool, attirée par le nectar sécrété à la base des pétales, pénètre le mépris de la viande, la méfiance du sucre, la joie et la jusqu’au fond des enveloppes florales pour se repaître des haute valeur du mouvement. » sucs élaborés par les nectaires et s’y couvre de la poussière Car l’homme est un composé. Son corps a besoin d’exer- fécondante que les étamines laissent tomber sur elle. La cice ; sinon il s’atrophie. Son intelligence a également be- première fleur épuisée, une seconde offre à l’infatigable ou- soin d’exercice ; sinon elle s’annihile. L’intellectuel va à la vrière une nouvelle moisson ; le pollen qu’elle porte tombe déchéance physique. L’ouvrier, derrière sa machine, va à la sur le stigmate et la fécondation qui, sans elle, serait li- déchéance intellectuelle. vrée aux hasards des vents, s’opère d’une manière certaine. Le travail de la terre est celui qui répond le mieux aux Poursuivant ainsi sans relâche sa course, l’abeille visite des besoins de l’homme. L’intelligence et le corps y trouvent milliers de corolles et mérite le nom poétique, que Michelet leur part. lui donne, de pontife ailé de l’hymen des fleurs. Or, dans une société, il faut des intellectuels, des em- M. Hommell essaie même de chiffrer le bénéfice qui ré- ployés de bureau, des ouvriers pour conduire les machines. sulte de la présence des abeilles. Une colonie, dit-il, qui Évidemment ces hommes ne peuvent conduire une ferme. ne dispose que de 10 000 butineuses doit être considérée Mais aux heures libres (et ils doivent en avoir), ils peuvent comme atteignant à peine la moyenne et une famille très 3 forte logée en grande ruche en possède souvent 80 000. Sup- Certains producteurs de fruits, des viticulteurs surtout, posons que 10 000 butineuses sortent chaque jour 4 fois ; en s’élèvent contre les abeilles, parce qu’elles vont sucer le jus 100 jours cela fera 4 millions de sorties ; si chaque abeille, sucré des fruits et des raisins. Mais si l’on examine at- avant de revenir au logis, entre seulement dans 25 fleurs, les tentivement l’abeille, on s’aperçoit vite qu’elle délaisse les abeilles de cette ruche auront visité dans le cours d’une an- grains intacts et qu’elle ne vide que ceux dont la pellicule née 100 millions de fleurs. Il n’est pas exagéré de supposer a déjà été perforée par les oiseaux ou les mandibules puis- que, sur 10 de ces fleurs, une seule au moins soit fécondée santes des guêpes. L’abeille ne recueille qu’un suc qui, sans par l’action des butineuses et que le gain qui en résulte soit elle, se dessécherait en pure perte. L’abeille est même dans de 1 centime seulement par 1 000 fécondations. Eh bien, l’impossibilité absolue de commettre le vol dont on l’ac- malgré des évaluations si minimes, il ressort un bénéfice de cuse : les pièces masticatrices de sa bouche ne sont pas 100 fr. par an produit par la présence d’une seule ruche. assez puissantes pour lui permettre de perforer la pellicule Cette conclusion mathématique est sans réplique. qui protège la pulpe. Les bénéfices en apiculture Je plains ceux qui ne font de l’apiculture que pour s’en- Sans doute en donnant à chaque ruche 200 kg de sucre. richir. Ils se privent de bien douces jouissances. Mais la répression des fraudes n’interviendrait-elle pas ? Toutefois l’argent est nécessaire pour vivre. L’argent La vérité – Aucune ruche, aucune méthode ne est utile à ceux qui aiment semer le bonheur autour d’eux. change les pierres en miel, ni ne donne l’intelligence à l’api- Il y a donc lieu d’envisager ce que peut rapporter l’api- culteur, ni n’augmente la fécondité de la reine, ni n’amé- culture. liore la température. Par conséquent, le rapport d’une Or, la lecture de certains livres et de certains journaux ruche variera d’une région à l’autre, d’une ruche à l’autre, peut induire en erreur sur ce point. d’une année à l’autre, comme la richesse mellifère de la Les mensonges – Pour encourager le retour à région, comme la fécondité de la reine, comme la tempéra- la terre ou pour conduire aux déceptions ceux qui y re- ture, comme l’habileté de l’apiculteur. tournent, des apiculteurs en chambre ou des antifrançais Quand j’habitais la Somme, je faisais une récolte font imprimer dans les journaux des choses renversantes. moyenne de 25 kg par ruche. Dans une région mellifère Parfois aussi des apiculteurs égoïstes accusent des résultats on peut récolter davantage. Ici, à Saint-Symphorien, dans inférieurs pour ne pas se créer de concurrents. un quartier très peu mellifère, je ne fais qu’une récolte Ainsi un dignitaire en apiculture prétend qu’une récolte moyenne de 15 kg. Précisons. En 1940 j’avais des ruches de 10 kg est un rare maximum. Par contre, un professeur qui m’avaient coûté 300 fr. l’une. Elles m’ont donné cha- prétend que les récoltes de miel devraient être portées en cune une récolte de 15 kg. Or, le prix du miel était fixé à moyenne à 100 kg par ruche par l’adoption de méthodes 18 fr. en demi-gros, à 22 fr. au détail. Par ailleurs, chaque rationnelles. ruche ne m’avait demandé qu’une heure et demie de travail Un docteur déclare qu’en Amérique une ruche peut dans le cours de l’année. donner une récolte moyenne annuelle de 190 kg de miel, On voit par là comment le travail et le capital sont qu’il ne tient qu’à nous d’en faire autant. payés en apiculture, même dans une région peu mellifère. 4 L’apiculture est une bonne école Le bonheur, a dit Coppée, c’est d’en donner. Bonheur Sur la rose ou la pensée, acquis pour les âmes d’élite. Or, ce bonheur n’est pas tou- Vois, il pâme en rêvassant jours possible, mais on peut trouver un bonheur considé- Oui..