17 études d’égyptologie Jean Alain Arnaudiès bibliographie Soleb 1920-2011 Nous remercions Marie-Françoise Leclant pour son aide et pour sa généreuse mise à notre disposition des archives et des photographies en sa possession. biographie 1920-2011 Né le 8 août 1920 à Paris, Jean Leclant est mort dans sa ville natale, le 16 septembre 2011, à l’âge de 91 ans. Il a mené une vie de savant et on pourrait croire qu’elle fut exclusivement dédiée à l’égyptologie, mais ce ne fut pas le cas. Son savoir a rapidement dépassé le cadre de cette seule discipline et sa curiosité l’a mené sur toutes les routes de l’orientalisme. Le Nil prenant ses sources au sud de l’Égypte, l’Afrique devenait également une terre à découvrir. Une culture en éclairait une autre et la somme de toutes lui per- mettait d’approcher et de comprendre ces civilisations disparues. Le monde contemporain suscitait chez lui le même intérêt. C’est ainsi que l’on retrouve Jean Leclant au Japon en 1959, nous faisant partager ses réflexions d’égyptologue dans un temple shinto 1. En 1972, il accepte d’intervenir dans un débat organisé par l’université de Paris-VII consacré aux extraterrestres 2. Curieux de tout, il appliquait un raisonnement rationnel en toute chose, considérant que le mystérieux était également un domaine comme un autre. Sa capacité d’écoute et son sens du dialogue lui ont permis de rencontrer de nombreuses personnes et d’évoluer dans tous les milieux. Disposant d’une grande ouverture d’esprit, il lui était possible d’accepter la contradiction sans pour autant renier ses convictions. Doté d’une force de travail peu commune et mû par une passion sans faille, il est rapidement devenu une personnalité incontournable de l’égyptologie. Sept ans après sa mort, l’apport de Jean Leclant aux études égyptologiques apparaît à tous. Il s’affirme comme une des figures tutélaires de sa discipline et s’inscrit dans la lignée de ses grands anciens, dont Maspero, qui fut pour lui un modèle. Homme d’une grande discrétion, Jean Leclant ne parlait que très rarement de lui-même, pré- férant conter avec humour les nombreuses anecdotes et souvenirs qu’il rapportait de ses voyages. En 2002, il avait néanmoins accepté de se livrer et de préciser, dans un ouvrage d’hommages, son parcours d’égyptologue 3.

Les années de formation Son enfance est celle d’un jeune Parisien du viiie arrondissement. Très bon élève, il fait une scolarité exemplaire, avec notamment un prix de version grecque au concours général de 1938, qui l’entraîne sans difficulté de son école de la rue Robert-Estienne, jusqu’à l’École normale 4. Encore enfant, son esprit reste particulièrement marqué par ses fréquentes visites au musée du et les reliefs de la chapelle du mastaba d’Akhethétep. Ses brillantes études, rue d’Ulm 5, le mènent aux portes de l’Antiquité classique, où son intérêt pour l’Égypte pharaonique se confirme 6. Il devient ainsi l’élève de Jean Sainte Fare Garnot à l’École pratique des hautes études (fig. 1). Toute sa vie, Jean Leclant restera fidèle à la mémoire de son maître, qui disparut prématurément, à l’âge de 54 ans 7. En 1945, il passe l’agrégation de géographie. Ce choix illustre la curiosité insatiable qu’il avait pour le vaste monde et ses cultures. Armé d’une solide for- mation, il est prêt à partir à sa découverte.

1 J. Leclant, « Réflexions d’un égyptologue dans un Sanctuaire Shintō », -Asie 158-159, 1959, p. 1025-1031. 2 « Les extraterrestres. Débat avec Evry Schatzman, Ernest Laperrousaz, Jean Leclant, François Biraud, René Buvet », Les cahiers rationalistes 305, 1973, p. 117-144. 3 E. Bonnefous (éd.), Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer‑Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002. 4 Sur ses jeunes années, on lira l’article de Guy Lecuyot, « Leclant (Jean) », L’Archicube 11 bis, 2012, p. 130-135. 5 Sur l’École normale, on pourra lire les souvenirs de Jean Leclant sur cette période, publiés dans le livre d’Alain Peyrefitte, Rue d’Ulm. Chroniques de la vie normalienne. Édition du bicentenaire, Fayard, Paris, 1994, p. 62-65 et p. 398-401. 6 Sur le parcours universitaire de Jean Leclant, on se reportera aux textes de N. Grimal, « Jean Leclant (1920-2011) », Bifao 112, 2013, p. 1–6 et « Jean Leclant (1920-2011) », RdE 63, 2012, p. iv-viii. 7 Sur son amitié avec Jean Sainte Fare Garnot, on lira : J. Leclant, « In Memoriam, Jean Sainte Fare Garnot (1908-1963) », Bsfe 36, 1963, p. 5-12. Fig. 1. Jeune étudiant à Paris au début des années quarante (toutes les photographies présentées dans ces pages proviennent des archives de Marie-Françoise Leclant). L’appel du large L’année de son baccalauréat, il fait son premier voyage à l’étranger, en Tunisie, où il découvre le désert. Il reste marqué par cette rencontre, et la fascination qu’il éprouve pour le Sahara se traduit quelques années plus tard par la publication, en collaboration avec Paul Huard, de plusieurs ouvrages 1. En 1945, c’est pourtant vers un autre infini qu’il se tourne, à la fin de ses études. Il s’engage dans la Marine nationale, probablement pour répondre à l’appel du large, mais surtout pour « servir son pays ». Cette expression prenait un sens tout particulier pour cette jeunesse française qui avait connu les années de guerre. Cet engagement a été une constante dans sa vie et il y est resté fidèle. Il part comme volontaire pour un contrat de deux ans. Son premier poste ne le mène pas sur les océans mais sur les eaux du Danube, en Autriche (fig. 2). Il y est affecté comme traducteur et officier du chiffre. Le climat de l’époque ressemble à celui que Graham Greene décrit dans Le Troisième homme. À Vienne, il noue des contacts avec les milieux culturels et africanistes autrichiens. En 1950, il embarque à Alexandrie, à bord de la Jeanne d’Arc, rejoint Djibouti et atteint finalement Addis Abeba. Officier de grande qualité, apprécié par sa hiérarchie pour ses qualités humaines, Jean Leclant a montré son attachement à la Marine en plusieurs occasions et a effectué régulièrement ses périodes militaires jusqu’à la fin de sa carrière de réserviste 2. En 1979, année de sa retraite, il est nommé au grade de capitaine de frégate. C’est à ce titre qu’un détachement de fusiliers marins est venu lui rendre les honneurs lors de ses funérailles. Il n’a pas été un marin au long cours, le temps lui manquait pour traverser les mers et les océans comme il l’aurait souhaité. En revanche, il a été un voyageur infatigable. Une fois sur place, il ne s’accor- dait aucun répit et se laissait emporter par sa curiosité. Tous ceux qui l’ont accompagné dans ses voyages témoignent de son incroyable vitalité.

L’homme des Éthiopiens Cette escapade vers l’Érythrée repose sur un malentendu que racontait avec malice Jean Leclant. Spécialiste de la XXVe dynastie dite « éthiopienne », il devenait de fait un expert de l’Éthiopie aux yeux d’une admi- nistration mal renseignée. De cette erreur d’aiguillage naquit une aventure singulière qui allait faire de lui, alors qu’il n’avait que 32 ans, le créateur du service des antiquités éthiopiennes et le fondateur des Annales d’Éthiopie. Tenu par la France et l’empereur Hailé Sélassié Ier de créer une section d’archéologie en Éthiopie, Jean Leclant s’attela à cette tâche, partageant son temps entre Strasbourg et Addis Abeba. En 1952, avec l’aide d’Ato Kebbédé Mikaël, directeur de la bibliothèque nationale d’Éthiopie, Jean Leclant et André Caquot, suivant l’exemple de Mariette, mettent en place l’administration qui allait permettre de structurer et de protéger l’archéologie éthiopienne 3. Leurs travaux aboutirent aux premières fouilles archéologiques du site d’Aksoum. La section française des Antiquités éthiopiennes (Sfdae) n’a pas sur- vécu aux changements politiques provoqués par la chute du négus en 1974, mais la coopération scienti- fique franco-éthiopienne mise en place par Jean Leclant et André Caquot continue de survivre à travers le centre français des Études éthiopiennes (Cfee).

Les Orientalia Très tôt dans la pensée de Jean Leclant apparaît le souci de l’intérêt scientifique commun. En 1948, dès son arrivée en Égypte, il s’attaque à un projet assez fou où sa force de travail, sa rigueur et son sens de la synthèse sont grandement mis à contribution. Dès 1950, il publie ses premiers comptes rendus des fouilles et travaux menés en Égypte puis au Soudan dans la revue Orientalia. Il y rapporte alors les cam- pagnes effectuées depuis 1948. Le titre de la chronique n’est pas encore défini et rapidement, il se confond avec celui de la revue publiée par l’Institut biblique pontifical.

1 J. Leclant, P. Huard et L. Allard-Huard, La culture des chasseurs du Nil et du Sahara, Mcrape 29/1-2, 1980. 2 J. Leclant était officier de réserve interprète et du chiffre (Oric). Sur cet épisode de sa vie, on se reportera aux articles qu’il a écrits pour la revue Intra-Marine. 3 Sur les travaux de la section d’archéologie et les circonstances de sa création, on lira : J. Leclant, « L’archéologie en Éthiopie », Les Dialogues 10, 1954, p. 28-34 ; J. Leclant et K. Mikaël, « La Section d’Archéologie (1952-1955) », AnEth 1, 1955, p. 1-6 ; J. Leclant et A. Caquot, « Rapport sur les récents travaux de la Section d’Archéologie de l’Institut éthiopien d’études et de recherches », Craibl 100, 1956, p. 226-235.

biographie Fig. 2. Jeune midship en Autriche en 1945.

Fig. 3. À Behbeit el-Hagar au début des années cinquante devant le bloc 82 découvert lors de la campagne de fouilles en 1949. (Pour cette découverte, voir J. Leclant, Orientalia 19, 1950, p. 496/15, tab. lxxii, fig. 24.)

biographie Fig. 4. Petit déjeuner sur un chantier de fouilles dans les années cinquante.

Fig. 5. Jean Leclant et Nicolas Grimal à Karnak lors de la commission mixte du Cfeetk en 1996 (cliché Antoine Chéné-Cfeetk 46705).

biographie Elle trouve son titre définitif en 1962 sous la forme : « Fouilles et travaux en Égypte et au Soudan », suivie des années en cours. Jusqu’en 1984, il s’occupe seul de la rédaction des notices et de la veille bibliogra- phique des Orientalia. À partir de 1985, il collabore avec Gisèle Clerc jusqu’en 1998, puis Anne Minault- Gout. Il rédige sa dernière chronique qui couvre les années 1999 à 2000, en 2001. À l’entrée du xxie siècle et après un demi-siècle de services rendus à la communauté égyptologique, il laisse le soin au professeur Nicolas Grimal de poursuivre ce travail. Cette somme documentaire est une source d’information colla- borative sans équivalent 1. Jean Leclant laisse en héritage 50 ans d’histoire et la mémoire d’une discipline 2.

L’archéologie Jean Leclant a passé beaucoup de temps derrière sa table de travail, comme en témoignent ses écrits. La lecture a également été l’une de ses grandes passions. Sa bibliothèque, patiemment accumulée, est riche de plus de 18 000 ouvrages. On retrouve les traces de ses lectures dans un nombre peu commun d’ouvrages. Il en annotait énormément, corrigeant les coquilles qu’il trouvait et glissant des documents qui faisaient sens avec ses travaux en cours. Ces activités propres au monde savant ne doivent pas faire oublier qu’il a été également un homme de terrain. Il a travaillé sur de nombreux sites et certains sont désormais indissociables de sa personne. Nommé pensionnaire à l’Ifao en 1948, il sillonne l’Égypte et la Nubie. Il profite de cette période pour visiter tous les chantiers où les travaux ont cours (fig. 3).

Thèbes Son premier chantier thébain se déroule à Karnak-Nord. Il assiste avec Paul Barguet, autre jeune pen- sionnaire de l’Ifao, aux fouilles conduites par Clément Robichon, de 1949 à 1951. Son intérêt pour toutes choses le pousse à aborder les nombreux sujets d’étude que la région thébaine offre aux chercheurs. Durant son séjour, il visite les grands chantiers de l’époque, Karnak et Deir el-Medina (fig. 4) 3. Pour sa thèse de doctorat, il travaille sur les monuments thébains de la XXVe dynastie 4 et, toujours dans le cadre de cette même dynastie, il relate à travers les archives thébaines la vie de Montouemhat, maire de Thèbes et gouverneur de Haute-Égypte 5. Il s’intéresse dans le même temps aux divines adoratrices d’Amon et accumule la documentation sur ses divers centres d’intérêt. C’est durant cette courte période qu’il est volontiers photographe et qu’il réalise les clichés au format 6x6 qui illustrent certaines de ses publications 6. Il savait mieux que quiconque quelle était la richesse archéologique de la région thébaine et toute sa vie, il y est resté attaché. Il ne manquait jamais à l’appel d’une invitation officielle qui rendait sa présence obligatoire. Il a ainsi participé, pendant de nombreuses années, aux commissions mixtes du centre franco-égyptien d’Étude des temples de Karnak qui se tenaient à Louqsor. En 1996, alors âgé de 75 ans, après avoir passé la matinée dans le temple de Karnak, en plein soleil et dans la chaleur terrible d’un mois de mai, il organisait dans l’après-midi, la visite de la rive ouest et de la tombe de Montouhemhat (Tt 34) pour les officiels français et égyptiens (fig. 5).

1 En 2008, en 60 ans d’existence (1948-2008), les Orientalia représentaient : 4181 pages, 1851 planches, 2893 figures et plus de 2200 sites archéologiques recensés. 2 La revue et son index géographique ont été mis en ligne en 2011, à l’adresse suivante : http://www.egyptologues.net/ orientalia/home, voir N. Grimal et A. Arnaudiès, « Fouilles et travaux en Égypte et au Soudan, 1948-2008 », Craibl 155, 2011, p. 1219-1228 ; W. Claes et E. Van Keer, « Les ressources numériques pour l’égyptologie », BiOr 74/3-4, 2014, p. 300. 3 Il raconte ses débuts à Thèbes dans Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer‑Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 11-13. 4 Ce sujet est l’objet de sa thèse principale, J. Leclant, Enquêtes sur les sacerdoces et les sanctuaires égyptiens à l’époque dite “éthiopienne” (XXVe dynastie), BdE 17, 1954. 5 Cette étude a été le sujet de sa thèse complémentaire pour l’obtention du doctorat : J. Leclant, Montouemhat, quatrième prophète d’Amon, Prince de la Ville, BdE 35, 1961. 6 Dès 1956, il publie un premier travail sur ce thème : J. Leclant, « Les Divines Adoratrices d’Amon Thébain », Bser 5, 1956, p. 9-13.

biographie Saqqara En 1963, il fonde la mission archéologique française de Saqqara (Mafs). Il la dirige jusqu’en 1999. On lui doit la poursuite des fouilles de la pyramide de Pépi Ier qui a permis la découverte des vestiges des pyra- mides de plusieurs reines dont la sépulture de la reine Ankhnespépi II. L’étude des textes et la fouille de la nécropole des reines de Pépi Ier ont été les deux axes principaux des recherches menées à Saqqara 1. Rien ne semblait prédestiner Jean Leclant à l’étude de ce site. Seul le décès prématuré de Jean Sainte Fare Garnot qui travaillait alors avec Jean-Philippe Lauer allait l’entraîner sur ce chemin de traverse que Maspero avait emprunté avant lui. Faire parler les pyramides à textes, continuer l’œuvre de son maître et suivre les pas du plus illustre des égyptologues : ces trois raisons ont dû traverser l’esprit de Jean Leclant quand il a accepté de relever ce défi. Il poursuivit avec assiduité l’œuvre commencée, s’entoura d’une équipe solide et fit de l’étude des Textes des Pyramides le sujet principal de son cours du Collège de France de 1980 à 1990. Il s’attaque avec méthode au puzzle des milliers de fragments découverts lors des fouilles et qu’il faut patiemment assembler pour en connaître le texte, le copier, le traduire et l’analyser. C’est ce long travail de scribe qui a été mené par la Mafs et qui a permis la publication des textes de la pyramide de Pépi Ier en 2001 2. On reconnaît ici toute l’opiniâtreté de ce savant, capable de mener sur plusieurs décennies des projets au long cours. À partir de 1990, Audran Labrousse dirige les travaux de la Mafs jusqu’en 2007. En 2008, la structure de recherche créée par Jean Leclant évolue une nouvelle fois et devient la mission archéologique franco-suisse de Saqqâra (MafS). En 2013, elle a fêté le cinquantenaire de son existence. Elle est désormais sous la responsabilité de Philippe Collombert, professeur à l’université de Genève, mais les axes de recherche restent inchangés et le long travail de reconstitution des Textes des Pyramides peut ainsi se poursuivre 3.

Soleb L’étude du site de Soleb a été confiée à Michela Schiff-Giorgini. À la fois égyptologue et mécène, elle a organisé pour le compte de l’université de Pise les deux chantiers qu’elle a menés au Soudan, à Soleb et Sedeinga. La fouille du site a duré 20 années, de 1957 à 1977. Elle avait interrompu ses travaux pour se consacrer à la publication du temple, mais elle n’aura malheureusement pas l’occasion de mener ce projet jusqu’au bout. En 1978, elle est emportée par une méningite foudroyante à l’âge de 54 ans dans le village de Benissa où elle travaillait à la rédaction de son manuscrit. Jean Leclant n’était pas à l’initiative de cette mission qu’il n’avait rejointe qu’en 1961. Il remplaçait alors l’abbé Jozef Janssen dont l’état de santé ne lui permettait plus d’effectuer de longs voyages. Les souvenirs communs de tous ceux qui ont côtoyé la « dame de Soleb » sont empreints d’une chaleureuse émotion 4. Cette femme a donné à cette mission une aura et une flamme qui éclairaient chacun. Jean Leclant disait lui-même qu’il avait de cette période ses plus beaux souvenirs. Il ne restait qu’une publication inachevée et une vaste documentation en friche. Il laissa long- temps ce dossier fermé et n’accepta de l’ouvrir à nouveau que bien des années plus tard, à la demande de Nicolas Grimal et de Nathalie Beaux 5. Cette dernière s’est ainsi attelée à un long et difficile travail d’édition réalisé à partir des manuscrits laissés par les auteurs. On lui doit les quatre derniers volumes consacrés au temple d’Amenhotep III de Soleb et à la mémoire d’une femme remarquable. Son souvenir est perpétué à travers sa fondation dont Jean Leclant fut le président, depuis sa création en 1984 jusqu’à son décès, en 2011.

Sedeinga 1 Sur ces deux points, on lira les témoignages de Bernard Mathieu et d’Audran Labrousse dans Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer-Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 41-63 2 J. Leclant (dir.), en collaboration avec Catherine Berger-El Naggar, Bernard Mathieu et Isabelle Pierre-Croisiau, Les textes de la pyramide de Pépy Ier. Sous la direction de Jean Leclant. 1. Description et analyse. 2. Fac-similés, Mifao 118/1-2, 2001. 3 Sur les derniers résultats des travaux et des recherches, on lira l’ouvrage édité par Rémi Legros, Cinquante ans d’éternité. Jubilé de la Mission Archéologique Française de Saqqâra (1963-2013), Mafs V, BdE 162, 2015. 4 Sur , on lira J. Leclant, « Michela Schiff Giorgini et les travaux de la mission de Soleb », dans Soleb VI. Hommages à Michela Schiff Giorgini, édité par Nathalie Beaux, Nicolas Grimal, BiGen 45, 2013, p. 95-101. 5 Sur cette période, on lira N. Grimal, « Soleb », dans Au fil du Nil : le parcours d’un égyptologue. Colloque de la Fondation Singer‑Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 65-73.

biographie De 1963 à 1971, Michela Schiff-Giorgini entreprend les fouilles de la nécropole méroïtique de Sedeinga, située à quelques mètres du temple dont il ne reste qu’une unique colonne. Elle y a mené cinq campagnes de fouilles et a finalement laissé le soin à Jean Leclant de poursuivre les travaux qu’elle avait initiés 1. En 1977, il crée la mission archéologique de Sedeinga, qu’il dirige jusqu’en 1988. Cette nécropole, particu- lièrement riche en matériel archéologique, lui permet d’aborder les usages funéraires de cette période 2. Les sépultures fouillées révèlent une abondante vaisselle de verre 3. L’originalité et la qualité de cette production le poussent à s’intéresser aux verreries de Sedeinga. Lors de la quatrième campagne de fouilles menée entre 1969 et 1970, Clément Robichon découvre et reconstitue deux magnifiques flûtes en verre bleu provenant de la tombe W T8. Cette trouvaille fait l’objet de plusieurs articles et donne à la nécropole une importance nouvelle 4. Les fouilles de la section française de la direction des Antiquités du Soudan (Sfdas) à Sedeinga furent reprises par Audran Labrousse, puis Catherine Berger-El Naggar jusqu’en 2008. Depuis 2009, Claude Rilly et Vincent Francigny poursuivent les travaux.

Tomas En 1960, l’Unesco lance une campagne internationale pour la sauvegarde des monuments de Nubie menacés par la mise en eau du barrage d’Assouan. Jean Leclant obtient la concession du site de Tomas et dirige, pour le compte de l’université de Strasbourg (fig. 6), les deux missions qui se sont déroulées en 1961 et en 1964 5. Plusieurs fouilles de sauvetage sont faites autour du site. Les plus notables sont celles qui concernent les nécropoles de Khor Oba et de Nagariya, puis celles d’un sanctuaire méroïtique au Khor Abd el-Hamid. L’expédition a également effectué le relevé de plusieurs pétroglyphes des falaises de Tomas et de Tonqola. Les relevés des inscriptions hiéroglyphiques montrent que le site a été occupé lors de toutes les périodes pharaoniques. Les alentours de Tomas avaient été divisés en secteurs où des missions indiennes et espagnoles ont également travaillé. Le temps leur a malheureusement manqué et la construction du haut-barrage a condamné à jamais la poursuite de leurs travaux. Les articles de Jean Leclant sont les derniers témoi- gnages d’une culture nubienne, désormais noyée sous les flots 6. L’archéologie trouva en Jean Leclant l’un de ses meilleurs défenseurs auprès des institutions françaises. De 1973 à 1988, il fut secrétaire général de la commission des recherches archéologiques du ministère des Affaires étrangères (Mae). À ce titre, il présida à la destinée de plus d’une centaine de chan- tiers de fouilles, répartis dans le monde entier. Il dépassait une nouvelle fois les frontières de l’Égypte. Sa connaissance des sites archéologiques, acquise aussi bien de façon livresque que physique, lui donna la possibilité de soutenir de nombreux projets de fouilles françaises à l’étranger 7.

Les études isiaques

1 Sur l’historique des travaux menés sur le site, on lira : J. Leclant et C. Berger, « Fouilles à Sedeinga 1965-1995. Publications », Kush 17, 1997, p. 186-196. 2 J. Leclant, « Usages funéraires méroïtiques d’après les fouilles de Sedeinga (Nubie soudanaise) », Bser 15, 1966, p. 12-17. 3 Sur cette découverte, on lira le travail de Catherine Berger‑El Naggar : « Les verreries de Sedeinga », dans Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer-Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 83-93. 4 J. Leclant, « Glass from the Meroitic Necropolis of Sedeinga (Sudanese Nubia) », Jgs 15, 1973, p. 52-68 ; « Les verreries de la nécropole méroïtique de l’Ouest à Sedeinga (Nubie soudanaise) », dans Nubia. Récentes recherches. Actes du colloque nubiologique international au Musée de Varsovie, 19-22 juin 1972, Musée national, Varsovie, 1975, p. 85-87. 5 Les rapports de ces deux missions ont été publiés dans les deux ouvrages consacrés aux Fouilles en Nubie. Campagne internationale de l’Unesco pour la sauvegarde des monuments de la Nubie édités par le Service des Antiquités de l’Égypte en 1963 et 1967. On lira également le résumé de ces travaux fait par Jean Leclant dans « Recherches archéologiques à Tomâs en 1961 et 1964 », Bsfe 42, 1965, p. 6-11. 6 La rédaction de la notice du Lexikon der Ägyptologie consacrée à ce site fut d’ailleurs confiée à Jean Leclant, « Tômâs », LÄ 6, 1986, p. 628-629. 7 On verra sur ce point le livre auquel il collabore et qui présente L’Archéologie française à l’étranger. Recherches et découvertes, Éditions Recherche sur les Civilisations, Paris, 1985.

biographie Fig. 6. Jean Leclant à sa table de travail à Strasbourg dans les années cinquante.

Fig. 7. Gamal Mokhtar et Jean Leclant en 1974, lors de la remise de son épée d’académicien.

Fig. 8. Marie-Françoise et Jean Leclant lors d’une rentrée solennelle de l’Académie au début des années quatre-vingt-dix. Jean Leclant est l’un des derniers savants à avoir été capable d’aborder la civilisation égyptienne de façon pluridisciplinaire et d’y avoir fait autorité. Sa formation aux études classiques et orientales lui donne accès à toute la documentation de l’Antiquité et de l’Égypte gréco-romaine. L’influence culturelle et religieuse de la civilisation égyptienne dans le monde antique est un champ d’étude qu’il ne pouvait ignorer. C’est à travers la diffusion des cultes isiaques qu’il a l’idée de commencer la collecte des objets égyptiens et égyptisants trouvés hors de la vallée du Nil. Son premier article sur ce thème est intitulé : « Notes sur la propagation des cultes et monuments égyptiens, en Occident, à l’époque impériale » et publié par l’Ifao en 1956 1. En 1964, il organise son enseignement à l’Ephe autour de la diffusion des cultes égyptiens. Son association avec Gisèle Clerc permet de donner une impulsion déterminante à ce champ d’étude 2. Leur travail aboutit à la publication de quatre volumes qui forment l’Inventaire bibliographique des Isiaca. Répertoire analytique des travaux relatifs à la diffusion des cultes isiaques, 1940-1969(I bis) 3. En 2000, à l’occasion du premier colloque international consacré aux études isiaques, il faisait lui-même le bilan de quarante années d’études et s’enthousiasmait du développement que connaissait cette jeune discipline 4. Ouvreur de chemins, Jean Leclant reste rigoureux et persévérant dans les études qu’il mène : corpus et bibliographie sont les préalables à toute analyse. Il laisse dans ce domaine un ouvrage de références incontournable. Laurent Bricault, à sa suite, a publié en 2001 un Atlas de la diffusion des cultes isiaques (ive s. av. J.-C.-ive s. apr. J.-C.) et organise depuis plusieurs années les colloques internationaux des études isiaques qui se tiennent en France 5.

Les études méroïtiques Des civilisations qui ont peuplé les rives du Nil, Jean Leclant ne pouvait en ignorer aucune. Son intérêt pour les cultures kouschites et méroïtiques découle de son travail sur la XXVe dynastie, dite « éthiopienne ». Dans les années cinquante, les études méroïtiques ne sont pas enseignées en France. Il crée cette discipline et fonde les outils qui serviront à son rayonnement. À cette date, ce champ d’étude est encore mal défini, il se lance donc, avec André Heyler, dans la création du premier corpus des inscriptions méroïtiques qu’ils nomment, le Répertoire d’épigraphie méroïtique (Rem) 6. À ses débuts, dans les années soixante, la mise en œuvre de cet outil a recours à l’informatique, alors balbutiante dans les sciences humaines. Ce corpus est devenu l’un des premiers à faire l’objet d’un traitement informatisé, au sein d’une unité Cnrs. On reconnaît dans cette démarche, l’esprit ouvert et rationnel de Jean Leclant. Il n’a jamais été un utilisateur passionné de l’informatique, mais il a compris plus rapidement que quiconque son intérêt pour nos disci- plines. Dans le même temps, avec l’aide d’André Heyler et de Bruce Trigger, il fonde et dirige les Meroitic

1 Article publié dans le Bifao 55, 1956, p. 173-179. 2 Pour l’histoire des études isiaques en France, on lira G. Clerc, « Les cultes isiaques en Gaule », dans Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer-Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 75-82. 3 J. Leclant et G. Clerc, Inventaire bibliographique des Isiaca (Ibis). Répertoire analytique des travaux relatifs à la diffusion des cultes isiaques, 1940-1969. A-D, Epro 18/1, 1972 ; Inventaire bibliographique des Isiaca (Ibis). Répertoire analytique des travaux relatifs à la diffusion des cultes isiaques, 1940-1969. E-K, Epro 18/2, 1974 ; Inventaire bibliographique des Isiaca (Ibis). Répertoire analytique des travaux relatifs à la diffusion des cultes isiaques, 1940-1969. L-Q, Epro 18/3, 1985 ; Inventaire bibliographique des Isiaca (Ibis). Répertoire analytique des travaux relatifs à la diffusion des cultes isiaques, 1940-1969. R-Z, Epro 18/4, 1991. 4 J. Leclant, « 40 ans d’études isiaques, un bilan », dans De Memphis à Rome. Actes du Ier Colloque international sur les études isiaques, Poitiers — Futuroscope, 8-10 avril 1999, édités par L. Bricault, Brill, Leyde, 2000, p. xix-xxv. 5 L. Bricault, Atlas de la diffusion des cultes isiaques (ive s. av. J.-C.-ive s. apr. 14,173 pt), Maibl 23, 2001. 6 Les trois premiers tomes du Rem ont été publiés en 2000. Ce projet a été coordonné sur près de 40 ans par Jean Leclant et édité par l’Aibl : J. Leclant (dir.), en collaboration avec André Heyler, Catherine Berger-El Naggar, Claude Carrier et Claude Rilly, Répertoire d’épigraphie méroïtique. Corpus des inscriptions publiées. Tome I. Rem 0001 à Rem 0387 ; Tome II. Rem 0401 à Rem 0851 ; Tome III. Rem 1001 à 1278, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 2000.

biographie Newsletters dont le premier numéro est publié en 1968. Il a assuré son enseignement de la langue et de la culture méroïtiques de 1965 à 1986 à l’Ephe. Son apport aux études méroïtiques a été déterminant pour la communauté scientifique internationale 1.

L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres C’est au sein de cette institution que Jean Leclant a été le plus actif. Jeune académicien, il succède à Jacques Vandier en 1974 et devient secrétaire perpétuel en 1983 (fig. 7). Son accession à l’Académie est un des grands moments de sa carrière. Issu d’une famille modeste, Jean Leclant est l’exemple même de la réussite de l’école républicaine. Son parcours est des plus académiques, l’excellence et le mérite le mènent aux plus hautes charges du monde savant. Devenu un homme de pouvoir, il reste avant tout un homme de devoir. À la tête de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, il répond à toutes les sollicitations qu’exige sa fonction. À partir de cette date, il accepte la direction de nombreuses missions et représente l’Académie lors de célébrations officielles qui lui prennent beaucoup de temps. Les semaines ne sont plus assez longues, mais il ne veut renoncer à aucune de ses activités. Il réserve donc ses week-ends et ses rares congés à l’égyptologie. Ce bourreau de travail fait face à la situation. Il cumule même à une certaine période de sa vie, les cours du Collège de France et le secrétariat perpétuel de l’Académie, sans oublier les autres enseignements, présidences, conseils et commissions qu’il continuait d’assumer. Ses obligations l’éloignent de l’égyptologie pour le rapprocher de plus en plus de l’orientalisme et des intérêts culturels de la France, mais il accepte toutes ces charges, avec enthousiasme et sérieux, comme à son habitude. De 1988 à 2008, il occupe la présidence du haut comité des Célébrations natio- nales du ministère de la Culture 2. La charge de travail qu’impliquent ces fonctions n’est pas un vain mot. Grand défenseur de l’Académie, il s’efforce de tout connaître de cette dernière et de protéger les intérêts de l’institution, de façon administrative et scientifique. Avec Hervé Danési, il s’occupe de l’édition des trois volumes du Recueil biographique et bibliographique des membres, associés étrangers, correspondants français et étrangers des cinq académies 3. Il prend la direction d’une des grandes collections de l’Académie, La Carte archéologique de la Gaule, qui est un catalogue des découvertes archéologiques, répertoriées par départements français. Entre 1992 et 2011, il assure les préfaces des 94 volumes qu’il fait publier. Au cours des séances du vendredi, il a présenté et défendu les travaux de nombreux chercheurs. Il a ainsi déposé sur le bureau de l’Académie plus de 340 ouvrages dont il a fait une recension dans les hommages publiés dans les comptes rendus de l’Aibl (Craibl).

1 Pour en savoir plus sur l’histoire et le développement des études méroïtiques, on lira Claude Rilly, « Les études méroïtiques », dans Au fil du Nil, le parcours d’un égyptologue : Jean Leclant. Colloque de la Fondation Singer‑Polignac en l’honneur de M. Jean Leclant, Boccard, Paris, 2002, p. 95-105. 2 Outre le bicentenaire de l’Expédition d’Égypte, plusieurs autres « célébrations » l’occupèrent pleinement, voir dans l’index bibliographique ce thème. On y lira les deux articles parus la même année dans un contexte diamétralement opposé qui unit le sport et la culture : le cyclisme et un indianiste échappé du peloton Anquetil-Duperron. d J. Leclant, « La célébration nationale du Tour de France cycliste », dans Les métamorphoses du sport du xxe au xxie siècle : héritage, éthique et performances. Actes du colloque organisé, à l’occasion du centenaire du Tour de France, sous l’égide du Haut comité des célébrations nationales au Centres des Archives du Monde du Travail, à Roubaix, le 9 octobre 2003, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2005, p. 11-12 ; « Abraham-Hyacinthe Anquetil-Duperron », Célébrations nationales 2005, 2004, p. 74-75. 3 J. Leclant et H. Danesi, Le second siècle de l’Institut de France, 1895‑1995. Recueil biographique et bibliographique des membres, associés étrangers, correspondants français et étrangers des cinq académies. Tome I. Membres et associés étrangers, A à K, Institut de France, Paris, 1999 ; Tome II. Membres et associés étrangers, L à Z, Institut de France, Paris, 2001 ; Tome III. Correspondants français et étrangers, A à Z, Institut de France, Paris, 2005.

biographie Fig. 9. Poignée de l’épée d’académicien de Jean Leclant.

Fig. 10. Jean Leclant décoré du Nilein en 2003.

biographie La fondation Jean-Leclant Il avait souhaité que soit créée, après sa mort, une fondation qui encouragerait les travaux de chercheurs en Égypte et au Soudan. Elle a vu le jour en 2014 et décerne chaque année le « Prix Jean et Marie-Françoise Leclant » (fig. 8). Elle s’intéresse principalement, mais pas uniquement, aux champs d’activité dans les- quels Jean Leclant s’est particulièrement illustré. On les retrouve, de façon symbolique, ornant la poignée de son épée d’académicien. Sa vie et son œuvre scientifique sont ainsi représentées en quelques mots : « Autour d’une colonne Ouadj de Karnak, en aventurine, signe de vigueur et de pérennité, deux uræus dressés, symbole de la double monarchie de l’Égypte et du Soudan. À son pied, un volume aux quatre faces frappées en médailles : gravure rupestre de deux éléphants ; lion couché de Soleb (British Museum), (signe du zodiaque de Jean Leclant) ; la barque d’Isis ; le cartouche de Pépi Ier, roi de la VIe dynastie. Au bouton du fourreau, chaton