o Année 2015. – N 59 S. (C.R.) ISSN 0755-544X Jeudi 21 mai 2015 SÉNAT

JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

COMPTE RENDU INTÉGRAL

Séance du mercredi 20 mai 2015

(104e jour de séance de la session)

7 771051 505907 5106 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE MME JACQUELINE GOURAULT Mme Éliane Assassi

Secrétaires : Mme M. François Fortassin, Mme Valérie Létard. M. Alain Gournac 1. Procès-verbal (p. 5108) M. Marc Laménie 2. Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie. M. Jean Desessard – Discussion d’une proposition de loi (p. 5108) Discussion générale : Mme Cécile Cukierman Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi M. Alain Fouché M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des M. David Rachline lois M. Martial Bourquin Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du M. Michel Forissier ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville M. Alain Bertrand

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire Rejet de l’article. (p. 5114) Tous les articles ayant été supprimés, la proposition de loi 4. Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie. n'est pas adoptée. – Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi (p. 5114) 5. Débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite (p. 5127) Discussion générale (suite) : M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC Mme Cécile Cukierman MM. François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mme Brigitte M. François Fortassin Micouleau, MM. Martial Bourquin, Jean Desessard, Michel Le Scouarnec, Mme Nicole Duranton M. David Rachline M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de M. Claude Kern la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale M. Michel Delebarre Mme Esther Benbassa 6. Dépôt de documents (p. 5137)

M. Mathieu Darnaud 7. Candidature à une délégation sénatoriale (p. 5137) Mme Nicole Duranton 8. Communication d’un avis sur un projet de nomination Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État (p. 5138) Clôture de la discussion générale. Suspension et reprise de la séance (p. 5138)

Article 1er (p. 5121) 9. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi (p. 5138) M. Antoine Lefèvre 10. Conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des Amendement no 1 de Mme Éliane Assassi. – Rejet. normes. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié (p. 5138) Rejet de l’article. Discussion générale : Article 2 (p. 5123) M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi Amendement no 2 de Mme Éliane Assassi. – Rejet de l’amendement. M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5107

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale Mme Leila Aïchi Mme Françoise Gatel Mme Michelle Demessine M. Rémy Pointereau M. Gilbert Barbier M. André Gattolin M. David Rachline Mme Cécile Cukierman M. Jacques Gautier M. Jean-Claude Requier M. André Reichardt M. Jean-Yves Leconte Clôture de la discussion générale. M. François Bonhomme Article 1er (p. 5163) Clôture de la discussion générale. Amendement no 1 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Amendement no 2 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Article unique (p. 5150) Amendement no 3 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Amendement no 2 rectifié bis de M. Rémy Pointereau. – Adoption. Amendement no 5 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.

o Amendement no 1 rectifié de M. Rémy Pointereau. – Amendement n 4 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Retrait. Amendement no 6 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Amendement no 3 du Gouvernement. – Rejet. Adoption de l’article.

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le er texte de la commission, modifié. Articles additionnels après l'article 1 (p. 5167) Amendement no 7 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. Suspension et reprise de la séance (p. 5153) Amendement no 8 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-PIERRE CAFFET Article 2 (p. 5168)

o 11. Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale Amendement n 9 de Mme Leila Aïchi. – Rejet. (p. 5153) Adoption de l’article.

12. Protection des installations civiles abritant des matières Vote sur l'ensemble (p. 5169) nucléaires. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission (p. 5153) Mme Leila Aïchi Discussion générale : M. Joël Guerriau M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche M. David Rachline M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de étrangères la commission.

M. Joël Guerriau 13. Ordre du jour (p. 5170) 5108 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE MME JACQUELINE GOURAULT Dans la continuité de ces interventions et ce cet engage- ment, le groupe CRC et le groupe écologiste ont déposé la vice-présidente première version de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui. Secrétaires : M. François Fortassin, Cette proposition de loi vise, comme son intitulé l’indique, Mme Valérie Létard. à mettre un terme à la multiplication des incidents qui révèlent la dangerosité et la banalisation des armes incorrec- Mme la présidente. La séance est ouverte. tement qualifiées de « non létales ». (La séance est ouverte à quatorze heures.) Trop souvent, ces armes sont utilisées comme moyen offensif pour la dispersion des attroupements et des manifes- tations. 1 Ce constat de la dangerosité de ces armes, nous ne sommes pas les seuls à le dresser : de nombreuses associations de PROCÈS-VERBAL défense des droits de l’homme, en particulier, le dressent également. Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué. Concernant le Flash-Ball, la Commission nationale de Il n’y a pas d’observation ?… déontologie de la sécurité, la CNDS, avant d’être dissoute, avait elle aussi souligné la dangerosité totalement dispropor- Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage. tionnée de cette arme en regard des usages pour lesquels elle a été conçue. La CNDS recommandait « de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas 2 très exceptionnels qu’il conviendrait de définir très stricte- ment ». Elle mettait par ailleurs en cause « l’imprécision des trajectoires des tirs de Flash-Ball, qui rendent inutiles les MORATOIRE SUR L’UTILISATION DES ARMES DE QUATRIÈME CATÉGORIE conseils d’utilisation théoriques, et la gravité comme l’irré- versibilité des dommages collatéraux manifestement inévita- bles qu’ils occasionnent ». Discussion d’une proposition de loi Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à Le Défenseur des droits propose quant à lui, notamment, la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à de restreindre l’usage du Flash-Ball en mode contact, c’est-à- instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisa- dire à bout touchant, et d’étendre aux policiers l’interdiction tion d’armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utili- d’utilisation pour des opérations de maintien de l’ordre qui sation par la police ou la gendarmerie contre des vaut déjà pour les militaires de la gendarmerie. attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Concernant le Taser, la CNDS écrit, dans son rapport Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition no 2, résultat concernant les événements des 11 et 12 février 2008 au des travaux de la commission no 432, rapport no 431). centre de rétention de Vincennes, qu’« il est permis de Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enre- Assassi, auteur de la proposition de loi. gistrement vidéo, qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. impulsion électrique a été utilisé ». Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la vice-présidente de la commission des lois, Dès 2007, le Comité contre la torture de l’ONU, dans son monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les problèmes rapport sur le Portugal, rendait une décision sans appel sur le soulevés par l’utilisation d’armes comme le Flash-Ball et le Taser, qui équipe les polices de ce pays : « Le Comité Taser par les forces de l’ordre sont de plus en plus évidents. s’inquiète de ce que l’usage de ces armes provoque une C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons demandé douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que l’examen de cette proposition de loi dans le cadre de notre dans certains cas il peut même causer la mort, ainsi que « niche ». l’ont révélé des études fiables et des faits récents survenus dans la pratique. » Ces armes dites « sublétales » sont dangereuses. Leur tir a souvent des conséquences dramatiques. Notre groupe, Dans une note interne datant de 2008, la préfecture de notamment par la voix de Nicole Borvo Cohen-Seat, qui police de Paris rappelle la vulnérabilité particulière au Taser m’a précédée à la présidence du groupe communiste, républi- des personnes aux vêtements imprégnés de « liquides ou de cain et citoyen, a interpellé à plusieurs reprises et depuis de vapeurs inflammables », des « femmes enceintes et [des] nombreuses années les différents gouvernements à ce sujet. malades cardiaques ». SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5109

Le Conseil d’État confirme, lui aussi, le 2 septembre 2009, À défaut d’une police de proximité pourvue de moyens que leur « emploi […] comporte des dangers sérieux pour la suffisants, la possibilité offerte par les armes dites « non santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme létales » de neutraliser un individu plus facilement et cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour moins dangereusement qu’en employant les méthodes les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, conventionnelles favorise, de fait, un recours plus fréquent et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des à la force et radicalise la confrontation entre les protagonistes sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de au détriment de la négociation et du dialogue. contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou Mais force est de constater aussi que, au lieu d’inverser indirectement la mort des personnes visées ». radicalement cette tendance, l’actuel gouvernement, malgré ses déclarations d’intention et bien qu’il ait rétabli, nous en Le groupe Taser lui-même, dans un guide d’utilisation convenons, quelques moyens, qui demeurent néanmoins très publié le 12 octobre 2009, reconnaît que l’usage de cette insuffisants, participe à cette escalade et tente de se reposer de arme fait courir un risque cardiaque à la personne visée. plus en plus sur les collectivités territoriales et le privé en matière de sécurité. En 2007 également, le Comité européen pour la préven- tion de la torture et des peines ou traitements inhumains ou Nous sommes dans un engrenage dangereux, et l’on assiste dégradants, institution indépendante du Conseil de l’Europe, à un surarmement, y compris des polices municipales, dont dans son rapport sur la France, indique qu’il est plus que l’équipement en armes sublétales n’est qu’une étape. réticent à l’introduction d’une telle arme en détention, vu la nature particulière des fonctions assumées par le personnel Ainsi, près de 8 000 des 20 000 policiers municipaux sont pénitentiaire. aujourd’hui dotés d’armes à feu, et un décret signé le 29 avril dernier par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur En outre, des négligences et des manquements profession- vient d’autoriser par dérogation les polices municipales à nels graves ont été constatés à maintes reprises quant à porter un revolver chambré pour le calibre 357 Magnum à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ». titre expérimental durant cinq ans, avec des munitions de Pas plus tard que le 2 avril dernier, le tribunal de grande calibre 38 Spécial. Excusez du peu ! instance de Bobigny a condamné un policier qui, en tirant Selon nous, la sécurité doit rester une mission régalienne de avec son Flash-Ball, avait blessé un adolescent de 17 ans pour l’État et nous pensons même, avec d’ailleurs les policiers usage disproportionné de la force, hors de toute légitime municipaux et un certain nombre de leurs syndicats, qu’il défense. faudrait au contraire une renationalisation des polices Après ces rappels qui me paraissaient importants, j’en viens municipales, assortie d’une harmonisation des statuts, des à la question de l’efficacité de ces armes en matière de formations et des salaires par rapport à ceux des policiers maintien de l’ordre. nationaux. Voyons d’abord ce qu’en dit l’autorité de tutelle. Pour l’heure, ne faudrait-il pas réactiver la police de proxi- mité plutôt que d’envoyer les CRS, les brigades anticrimina- Le ministre de l’intérieur, en réponse à une question écrite lité et les groupes d’intervention régionaux dans les quartiers concernant le Taser et le Flash-Ball, indiquait le 17 octobre dits « sensibles », armés de Taser, de Flash-Ball et de je ne sais 2013 que « d’autres voies doivent être étudiées […] pour quelle arme dernier cri ? améliorer la sécurité des forces de l’ordre ». Il va de soi que nous sommes, nous aussi, très attentifs à la sécurité des forces Une lutte efficace contre, par exemple, les phénomènes de de l’ordre. Dans la même réponse, le ministre indiquait qu’il bandes, qui hélas ! se développent, y compris dans des terri- s’agissait « d’être plus efficace dans la prévention de la délin- toires qui étaient jusqu’alors épargnés, suppose en amont que quance et dans la lutte contre les violences, pour éviter soient menés des actions de prévention et un travail de police chaque fois que possible les situations justifiant le recours de proximité afin de mieux connaître ces bandes et d’identi- aux armes de force intermédiaire » et faisait le lien entre le fier leurs membres, puis que des mesures soient prises pour nécessaire renforcement des « effectifs de police et de gendar- assurer la sécurité dans les établissements scolaires et, enfin, merie et leur présence sur le terrain » et les actions engagées que des actions pédagogiques soient menées. pour « améliorer le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population », afin de ne pas avoir besoin Il est plus que temps de retisser et de renforcer le lien de d’employer ces armes. confiance entre le citoyen et la police, sa police, oserai-je dire. C’est une question à la fois d’éthique et d’efficacité. Si l’on ne peut qu’adhérer à ces déclarations d’intention, force est de constater qu’elles ne se traduisent pas en actes et En ce sens, la mise en place d’une police de proximité et le qu’il y a une inflation dans l’utilisation des armes par la rétablissement des commissariats au cœur des quartiers – et police et la gendarmerie. Selon les dernières données l’élue séquano-dionysienne que je suis est bien placée pour en rendues publiques par le Défenseur des droits, le nombre parler, croyez-m’en ! –, avec des policiers bien formés, bien de tirs a augmenté de 65 % en trois ans chez les policiers. encadrés, est une urgence absolue. L’inflation de cette utilisation et de la dotation des person- Il est également plus que temps de ne plus asphyxier nels – 5 000 en 2013 – nécessiterait d’être mise en perspec- budgétairement les dispositifs de prévention et de réparation tive avec l’insuffisance des moyens mis à disposition d’une de la délinquance tout en surpeuplant les prisons, ce qui tend police de proximité. à les transformer en véritables écoles du crime. En la matière, la responsabilité de la droite est écrasante : Le rapporteur de la commission des lois va vous demander, 12 000 postes de policier et de gendarme ont été supprimés mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de par elle à partir de 2007. loi. 5110 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Il est vrai que, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des préventif, les armes qui nous intéressent sont classées en lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du catégorie B pour l’essentiel, catégorie qui comprend certaines règlement et d'administration générale. Madame la présidente, armes à feu. De ce point de vue, le texte de la proposition de madame la secrétaire d’État, madame la vice-présidente de la loi doit être modifié. commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est Je pense toutefois qu’il serait coupable d’en rester au aujourd’hui saisie de la proposition de loi visant à instaurer statu quo, comme le propose la commission, qui reconnaît un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes pourtant qu’il s’agit d’une vraie problématique. Je remercie de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la M. le rapporteur, qui s’est montré très attentif à certaines de police ou la gendarmerie contre des attroupements ou nos propositions, même s’il a plaidé pour le rejet de notre manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs texte. de ses collègues. Le groupe de travail commun à la police et à la gendar- Selon les auteurs de cette proposition de loi, les incidents merie sur les techniques du maintien de l’ordre et leur évolu- engendrés par l’usage de ces armes, notamment le Flash-Ball tion envisageable, lancé par le ministre de l’intérieur à la suite superpro, appellent leur évaluation approfondie, et donc la des événements du barrage de Sivens, confirme, s’il en était suspension de leur utilisation. besoin, l’importance de cette question. Leur argumentation se fonde en particulier sur un incident Monsieur le rapporteur, même si vous ne partagez pas survenu le 8 juillet 2009, au cours duquel une personne a notre point de vue, vous avez pu vous-même constater que perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir provenant d’un « la formation habilitant au port de cette arme demeure Flash-Ball superpro. insuffisante », qu’ainsi « un fonctionnaire de police ou de Le texte de cette proposition de loi se compose de deux gendarmerie peut ne pas s’être formé à cette arme pendant articles. une période allant jusqu’à vingt-six moi » et que « par ailleurs, comme l’ont souligné les syndicats, la formation L’article 1er vise à suspendre la commercialisation, la distri- s’avère essentiellement théorique, les tirs étant réalisés sur bution et l’utilisation des armes de quatrième catégorie. des cibles statiques ». L’article 2 tend à modifier l’article L. 211-9 du code de la Vous avez également souhaité, et nous nous en réjouissons, sécurité intérieure afin de restreindre les circonstances dans qu’un nombre maximal d’utilisations du Taser X 26 sur la lesquelles ces armes peuvent être utilisées par les forces de même personne soit établi sur le fondement d’analyses prove- l’ordre. nant du corps médical. Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés formelles, Toutefois, ces armes posent de nombreux autres mais qui n’en sont pas moins substantielles. problèmes. D’une part, elle se réfère à une classification des armes Souvenons-nous que, à la fin de 2010, lorsqu’un homme obsolète. En effet, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à de 38 ans est décédé à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et après avoir reçu plusieurs décharges de Taser lors d’une préventif, l’ancienne classification en huit catégories, de 1 à 8, intervention de la police nationale, les associations des a été remplacée par une nouvelle classification plus lisible de droits de l’homme n’ont pas été les seules à réagir et à quatre catégories, de A à D, fondée sur la dangerosité des demander un moratoire. armes. En effet, cet événement avait aussi fait réagir le Syndicat Les armes de quatrième catégorie, dont la suspension de la national des policiers municipaux qui demandait, comme commercialisation, de l’utilisation et de la distribution est nous le réclamons aujourd’hui au travers de cette proposition proposée, ont été essentiellement requalifiées en catégorie B, de loi, l’instauration d’un moratoire sur l’utilisation du Taser dont le régime de détention est soumis à autorisation chez les fonctionnaires de police municipale et avait estimé préalable. Néanmoins, il n’existe pas de correspondance qu’il s’agissait d’un outil de plus qui défavorisait les forces de stricte entre l’ancienne quatrième catégorie et la nouvelle l’ordre. Je me permets de citer le représentant de ce syndicat catégorie B. qui, en réponse à des questions de la chaîne Toulouse Infos, Deux amendements ont été déposés qui tendent à modifier tenait notamment les propos suivants : « Il faudrait se le texte de manière qu’il ne se réfère plus à la classification souvenir que les policiers travaillaient uniquement avec un devenue obsolète. bâton de défense et une arme à feu, et avec ça ils savaient se débrouiller. Aujourd’hui, on nous donne beaucoup, et avec D’autre part, il convient de relever une certaine contradic- ce beaucoup, on s’aperçoit qu’on fait de moins en moins, ou tion entre les deux articles de la présente proposition de loi. alors de moins en moins bien. » En effet, si un moratoire est décidé à l’article 1er, ce qui est conforme avec le titre de la proposition de loi comme avec Ces propos d’un homme de métier résument assez bien son exposé des motifs, cela semble rendre caduc, ou du moins nombre de nos préoccupations concernant ces armes. contradictoire, l’objet de l’article 2, qui est de restreindre les J’espère que nous aurons, sur ce sujet, un débat serein et possibilités d’utilisation de ces armes par les forces de sécurité constructif. Quoi qu'il en soit, pour toutes les raisons que je en situation du maintien de l’ordre. viens d’évoquer, il me semble que notre proposition de loi, La commission des lois s’est par ailleurs interrogée sur les modifiée pour tenir compte des changements législatifs qui conséquences juridiques et opérationnelles de ce texte. sont intervenus, est tout à fait opportune et, en particulier parce qu’elle permettrait d’instituer un moratoire sur l’utili- Tout d’abord, je souhaite rappeler que, en l’état actuel du sation du Taser, mérite d’être adoptée. (Applaudissements sur droit français, le rétablissement de l’ordre public par les forces les travées du groupe CRC.) de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant : le SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5111 recours à la force doit répondre à un double critère d’absolue Actuellement, l’alinéa 6 de l’article L. 211-9 du code de la nécessité et de proportionnalité, l’emploi de la force étant sécurité intérieure restreint l’usage direct de la force à des toujours conditionné à une stricte gradation dans les moyens circonstances où des violences ou voies de fait sont exercées utilisés. contre les forces de l’ordre ou lorsque celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent. L’utilisation des armes, qui n’est qu’une des modalités de l’emploi de la force, est seulement autorisée pour disperser un L’article 2 de cette proposition de loi vise à compléter cet attroupement à la suite d’au moins deux sommations. alinéa afin de préciser que des armes telles que le Flash-Ball superpro ne pourront être utilisées « à cette fin […] que dans Par exception, l’article L. 211-9 du code de la sécurité des circonstances exceptionnelles où sont commises des intérieure prévoit que les représentants de la force publique violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et peuvent faire directement usage de la force, sans sommation constituant une menace directe contre leur intégrité ni ordre exprès des autorités habilitées, uniquement lorsque physique ». des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent. Je m’interroge sur l’interprétation de ces dispositions. En C’est exclusivement dans ce cadre et à titre exceptionnel particulier, la notion peu précise de « violences d’une parti- que peut être autorisée l’utilisation de lanceurs de balles de culière gravité » présente un risque d’insécurité juridique en défense et de leurs munitions. ce qu’elle relève d’une interprétation subjective de la situation a posteriori. Il semble très difficile, voire impossible, pour les En dehors du cadre du maintien de l’ordre, les armes de forces de l’ordre d’anticiper les conséquences des violences force intermédiaire telles que le Flash-Ball superpro ou le qu’elles subissent afin de déterminer les armes susceptibles Taser peuvent être utilisées dans des circonstances où d’être utilisées. l’usage de l’arme individuelle serait légalement justifié, c’est-à-dire lorsque l’emploi d’une arme s’avère nécessaire Je rappelle enfin que l’emploi des armes, y compris en afin de dissuader ou neutraliser une personne dangereuse légitime défense, reste soumis à un principe d’absolue néces- pour elle-même ou pour autrui. L’usage de ces armes sité, de proportionnalité et de gradation dans l’emploi des relève alors des dispositions pénales de droit commun armes. relatives à la légitime défense – l’article L. 122-5 du code Complexifier le cadre de l’emploi de la force en légitime pénal – et à l’état de nécessité – article L. 122-7 du même défense pour soi ou pour autrui présente un risque certain, code – et permet d’éviter le recours à des armes létales, plus tant pour la sécurité des forces de police et de gendarmerie dangereuses. que pour les citoyens. Aussi l’adoption de l’article 1er, qui vise à interdire un grand nombre d’armes sans pour autant proposer d’armes Telles sont les différentes raisons pour lesquelles la commis- de substitution, aurait-elle deux conséquences opération- sion n’a pas adopté la proposition de loi. nelles pour les forces chargées du maintien de l’ordre. Ces Elle a néanmoins fait siennes les légitimes interrogations dernières n’auraient plus d’autre choix que de se retirer et de soulevées par ce texte. Elle a notamment insisté sur la néces- laisser le terrain, ce qui n’est pas sans effet la crédibilité de sité d’une meilleure formation des personnels habilités au l’autorité de l’État, ou au contraire d’aller au contact, ce qui port du Flash-Ball superpro et souhaité – personnellement, pourrait entraîner de très lourdes conséquences tant pour les j’y tiens beaucoup – que les lanceurs de balles de défense forces de l’ordre que pour les manifestants. LBD 40 soient équipés dans les meilleurs délais de munitions Pour ma part, j’estime qu’il est nécessaire de conserver une de courte portée pour remplacer le Flash-Ball superpro, trop capacité de riposte mais aussi de dissuasion à la hauteur de la imprécis et par là même trop dangereux. gravité des troubles à l’ordre public provoqués par des attrou- pements. Sous le bénéfice de ces observations et au regard des diffi- cultés posées par ce texte, je vous invite donc, mes chers De plus, les armes telles que le lanceur de balles de défense collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi, présentent l’avantage d’être discriminantes en permettant de même si celle-ci a le mérite de soulever de vraies questions. cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence (Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des des gaz lacrymogènes par exemple. lois, applaudit.) Par ailleurs, il semble paradoxal d’interdire des armes de Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire force intermédiaire de catégorie B tout en maintenant l’utili- d'État. sation d’armes létales de catégorie A. Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre Je rappelle que le ministère de l’intérieur organise de de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de manière permanente et régulière une évaluation de l’utilisa- la ville. Madame la présidente, madame la vice-présidente de tion de ces armes, mais aussi une veille concernant les la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les nouvelles technologies qui pourraient les améliorer, voire sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord les remplacer. Ainsi, la direction générale de la police natio- de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre de l’inté- nale a lancé un appel d’offres afin de permettre l’utilisation rieur. par le lanceur de balles de défense dit LBD 40 de munitions de courte portée permettant un emploi dans des distances La proposition de loi relative à l’usage et à la commercia- similaires au Flash-Ball superpro. lisation des armes de catégorie B, présentée par la présidente Éliane Assassi et les membres du groupe CRC, porte sur un J’en viens aux remarques concernant spécifiquement sujet sensible, qui mérite donc d’être traité avec une grande l’article 2 de cette proposition de loi. rigueur. 5112 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Ces dernières années, quelques polémiques médiatiques Pour autant, le Gouvernement ne peut soutenir une telle ont pu naître à la suite d’accidents impliquant l’usage de proposition de loi, qui pose plusieurs problèmes de fond. telles armes. Or le rôle des dirigeants politiques, au Gouver- nement comme au Parlement, n’est point de céder à l’esprit Je voudrais dire quelques mots de l’actuelle réglementation de polémique, mais bien de faire preuve de responsabilité. en la matière. La proposition de loi présentée par les élus du groupe CRC Celle-ci encadre déjà très strictement la commercialisation, vise, d’une part, à instituer un moratoire sur la commercia- la distribution et l’utilisation des armes de catégorie B, qui lisation et l’utilisation des armes de catégorie B, autrement comprend aussi bien des armes à feu de poing et des armes dit des armes intermédiaires telles que les lanceurs de balles d’épaule – à l’exception des fusils de chasse – que des de défense, dont les Flash-Ball font partie, ou les pistolets à lanceurs de balles de défense, des armes à impulsion impulsion électrique, souvent appelés Taser, du nom de leur électrique et des aérosols lacrymogènes. principal fabricant. En effet, l’article L. 2332-1 du code de la défense dispose D’autre part, cette proposition vise à compléter l’avant- que les entreprises de fabrication et de distribution de telles dernier alinéa de l’article L. 211-9 du code de la sécurité armes sont soumises à l’autorisation de l’État et placées sous intérieure en précisant que lesdites armes de catégorie B ne son contrôle. peuvent être utilisées par les forces de l’ordre « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences De même, l’article L. 311-1 du code de sécurité intérieure ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant indique que l’acquisition et la détention des armes de une menace directe contre leur intégrité physique ». catégorie B sont soumises à autorisation. Je tiens d’abord à vous dire, mesdames, messieurs les Les articles L. 312-3 et L. 312-4 du même code précisent membres du groupe CRC, que le ministre de l’intérieur, les conditions dans lesquelles peuvent être délivrées les autori- Bernard Cazeneuve, partage naturellement votre souci sations d’acquisition et de détention de ces armes. Outre les d’encadrer avec la plus grande rigueur l’usage des armes forces de l’ordre, seuls les tireurs sportifs, les entreprises du auxquelles ont recours les forces de l’ordre dans l’exercice secteur des activités privées de sécurité et toute personne qui, de leurs missions. en raison de ses activités professionnelles, voit sa vie exposée à des risques sérieux, peuvent être autorisés à recourir à ces Chaque jour, policiers et gendarmes risquent leur vie pour armes de catégorie B. protéger nos concitoyens et faire respecter les lois de la République. Nous connaissons tous le prix que, trop Vous le constatez, l’État exerce un contrôle très rigoureux souvent, ils paient dans l’accomplissement de leurs missions. et très poussé sur ces armes, et cela de leur production à leur Ainsi, l’année dernière, quatre policiers ont été tués en utilisation. De ce fait, aucune autorisation de détention de opération, et près de 9 000 ont été blessés. Depuis le début pistolets à impulsion électrique, ou Tasers, ou de lanceurs de de l’année 2015, la police nationale déplore la perte de deux balles de défense de type Flash-Ball n’a jamais été délivrée à agents en mission, tandis que plus de 850 ont été blessés. des particuliers. La gendarmerie nationale, quant à elle, a perdu en 2014 En conséquence, en vertu de la réglementation actuelle- trois des siens en opération ; cette même année, plus de ment en vigueur, n’importe qui ne peut vendre, acheter, 1 750 gendarmes ont par ailleurs été blessés au cours d’inter- fabriquer ou détenir des armes de catégorie B. ventions, et déjà plus de 360 l’ont été depuis le début de cette année. Pourtant, via cette proposition de loi, les sénateurs du groupe CRC entendent interdire la commercialisation et Depuis plusieurs mois, de nombreux faits de percussions l’utilisation de ces armes « par toute personne », ce qui est volontaires des policiers et gendarmes sont constatés sur la déjà le cas ! J’ajoute que, en aucune circonstance, les parti- voie publique, leur causant des blessures graves, parfois culiers ne peuvent détenir des armes de type Taser ou Flash- même leur décès comme ce fut le cas, voilà quelques Ball. À cet égard, le présent texte apparaît donc, en réalité, semaines, d’un policier de Decazeville. Je peux évoquer superfétatoire. aussi les nombreuses embuscades tendues aux forces de l’ordre ou encore les agressions dont les patrouilles font J’en viens à l’usage spécifique que font les forces de l’ordre l’objet. de ces armes intermédiaires. Sur ce point également, la régle- mentation en vigueur est très claire. Nous devons tous avoir cette réalité à l’esprit lorsque nous posons la question de l’armement des forces de l’ordre, Je rappelle que les articles D. 211-19 et suivants du code de confrontées à plusieurs formes de délinquance et de crimi- la sécurité intérieure indiquent notamment que les forces de nalité, de plus en plus violentes d’ailleurs. Il nous faut être l’ordre peuvent utiliser, lors d’une opération de maintien de prudents chaque fois qu’il est question de modifier le cadre l’ordre public, des lanceurs de balles de défense de type Flash- juridique qui leur permet d’en faire usage, qu’il s’agisse des Ball. armes à feu ou bien, comme c’est le cas aujourd’hui, des armes intermédiaires. Les forces de l’ordre peuvent également avoir recours à des pistolets à impulsion électrique agissant à distance pour Le Gouvernement, le ministre de l’intérieur au premier neutraliser des personnes violentes et menaçantes. chef, comprend la préoccupation qui est celle des auteurs de cette proposition de loi. Comme je l’ai dit, l’utilisation de Au demeurant, l’usage des pistolets de type Taser est certaines armes de force intermédiaires a pu, par le passé, interdit dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre provoquer des accidents. Il ne nous semble donc pas anormal public, par instruction commune des directions générales que nous posions la question de leur usage. de la police nationale et de la gendarmerie nationale. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5113

Certes, les forces de l’ordre sont autorisées à employer le Le risque serait d’autant plus élevé que l’on constate paral- Flash-Ball en vue du maintien de l’ordre. Toutefois, les lèlement – je l’ai dit au début de mon intervention – une compagnies républicaines de sécurité, les CRS, et les unités augmentation des agressions dirigées contre les forces de de gendarmerie mobile ne sont pas pourvues de tels équipe- l’ordre au cours des dernières années. Dans un tel ments. (M. le rapporteur acquiesce.) contexte, il n’est pas opportun de réduire les moyens dont celles-ci disposent pour y faire face. Vous observez que l’usage des armes de catégorie B par les forces de l’ordre est, lui aussi, rigoureusement encadré. Or ces Nous devons donc faire confiance aux femmes et aux forces, si la présente proposition de loi était adoptée par le hommes qui composent nos forces de l’ordre, ces femmes Parlement, se trouveraient privées du recours à ces armes et ces hommes qui nous protègent au quotidien contre toutes intermédiaires, qui, je le répète, sont non létales. De ce les menaces et toutes les violences susceptibles de miner la fait, toute gradation dans l’usage qu’elles font de la force société. Confrontés à des situations de plus en plus difficiles, deviendrait impossible. ils font preuve d’un grand sang-froid dans l’exercice de leurs missions. L’article 1er du présent texte priverait ainsi, de droit, l’ensemble des forces de sécurité intérieure de toute arme En effet, les conditions juridiques de l’usage des armes, de ce type, quel que soit le cadre juridique de leur utilisation. qu’il s’agisse d’ailleurs des armes à feu ou des armes intermé- C’est donc tout un éventail de réponses graduées et propor- diaires, ont été parfaitement intériorisées par les agents des tionnées que les forces de l’ordre n’auraient plus à leur forces de l’ordre, selon trois principes cardinaux. Première- disposition. Or celles-ci peuvent être placées dans des situa- ment, le danger doit être réel et actuel. Deuxièmement, la tions impliquant qu’elles fassent usage de la force : l’emploi riposte doit relever d’une absolue nécessité. Troisièmement, de cette dernière peut être légitime et nécessaire pour elle doit être proportionnée à la menace. dissuader ou neutraliser une personne violente et dangereuse, Je ne puis manquer d’évoquer les accidents provoqués par tout en évitant de recourir à une arme à feu. les armes intermédiaires, notamment les Flash-Balls et les En conséquence, une telle disposition législative laisserait pistolets de type Taser, lesquels sont à l’origine de cette les agents des forces de l’ordre, dans des situations de violence proposition de loi. où leur vie même serait menacée, face à l’alternative suivante : Il est inutile de le nier, il y a eu des accidents, mais, en ou bien recourir à une arme à feu, c’est-à-dire à une arme réalité, ils sont rares : leur nombre est très faible. En 2013, létale ; ou bien être dans l’impossibilité de riposter, de se l’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, a ainsi protéger ou de protéger les tiers. Une telle alternative n’est été saisie de neuf faits, trois concernant l’usage d’un Taser et pas acceptable. les six autres concernant des lanceurs de balles de défense. De surcroît, s’il était adopté, ce texte remettrait en cause la En outre, l’année dernière, dix-sept procédures judiciaires doctrine française de maintien de l’ordre, laquelle repose sur ont été diligentées par l’IGPN. Parmi elles, dix concernent le refus du contact entre les forces de l’ordre et les personnes l’usage d’un lanceur de balles de défense et les sept autres menaçant l’ordre public. l’usage d’un pistolet de type Taser. Enfin, depuis le début de l’année 2015, trois procédures judiciaires ont été ouvertes par Je rappelle que, dans le cadre de cette doctrine, l’usage des l’IGPN. Toutes ont pour objet l’usage du pistolet de type armes intermédiaires permet de lutter avec efficacité contre Taser. Le nombre d’accidents reste donc faible. Toutefois, si les débordements violents qui accompagnent certains rassem- les armes intermédiaires sont non létales, c’est-à-dire non blements organisés ou spontanés sur la voie publique. destinées à tuer, elles n’en sont pas moins des armes. Leurs Dès lors, adopter cette proposition de loi conduirait à effets ne doivent pas être sous-estimés. priver les forces de l’ordre des moyens adaptés aux Madame Assassi, je le répète, le Gouvernement comprend missions de maintien de l’ordre qu’elles doivent assumer. l’esprit dans lequel vous avez déposé votre proposition de loi. Ce faisant, nous les contraindrions à employer des moyens moins discriminants. Une telle situation ne manquerait pas C’est ce même esprit qui a conduit le ministre de l’intérieur de nuire à leur capacité de neutraliser et d’interpeller les à engager une réforme de l’armement intermédiaire dont fauteurs de troubles. J’ajoute que la sécurité d’autres manifes- disposent les forces de l’ordre. Vous l’avez souligné vous- tants ou du public s’en trouverait menacée. même, les lanceurs de 44 millimètres de type Flash-Ball manquent de précision, ce qui a parfois pu provoquer des Non seulement nous exposerions les forces de l’ordre à des accidents. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement situations de violence pouvant menacer leur intégrité procède à leur remplacement progressif par des lanceurs de physique, mais nous les placerions dans une position impos- 40 millimètres à visée laser, qui permettent à nos agents de sible, les contraignant, là encore, à faire usage d’armes létales gagner en précision lorsqu’ils procèdent à un tir de balle de pour se défendre. défense. En réalité, au regard du but visé, cette proposition de loi La réforme est donc en cours : dans des délais réduits, le paraît contreproductive. En effet, interdire les armes inter- Flash-Ball ne sera plus du tout utilisé. Pour autant, dans médiaires revient à autoriser l’usage des armes à feu, donc des l’intervalle, un moratoire sur les armes intermédiaires serait armes létales. contre-productif et pourrait avoir des conséquences extrême- Depuis une quinzaine d’années, on constate que l’utilisa- ment dangereuses : nous ne pouvons pas nous permettre de tion par les forces de l’ordre des armes non létales a entraîné désarmer nos forces de l’ordre. une nette diminution, un recul continu de l’usage des armes Enfin, je tiens à vous apporter quelques précisions quant au létales. Et l’on prendrait le risque d’inverser une telle dossier du rapprochement entre la police et la population. En tendance, de revenir sur un tel progrès ? Je ne peux tant que secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, je l’imaginer. En tout cas, ce n’est pas la volonté du Gouver- me consacre à ce travail depuis plusieurs mois, ainsi que nement. Bernard Cazeneuve. 5114 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

À ce titre, MM. Cazeneuve et Kanner et moi-même avons conscient de l’effet délétère, vis-à-vis de la population, du cosigné une circulaire le 25 mars dernier et lancé un appel à surarmement des forces de police, vient d’interdire la projets de plus d’un million d’euros en direction des terri- dotation des forces de l’ordre américaines en équipements toires, pour faire remonter des propositions de rapproche- militaires. C’est là une première leçon tirée des récentes ment entre la police et la population, notamment de la part émeutes de Ferguson. du tissu associatif. Quand elle porte ses regards de l’autre côté de l’Atlantique, Parallèlement, nous avons décidé la création d’une cellule la France préfère-t-elle s’inspirer des erreurs commises ou des nationale. Cette structure, inédite, permettra de réunir des corrections qui leur sont apportées ? représentants des associations et des forces de l’ordre, afin Bien sûr, notre pays n’a pas connu de drames comparables d’étudier toutes les problématiques émergeant des territoires à celui de Ferguson, ni d’actes racistes commis par les forces et de valoriser au mieux les initiatives qui portent leurs fruits de l’ordre assimilables à ceux qui ont, il y a peu de temps – je songe notamment aux délégués police-population, que encore, frappé les États-Unis. Toutefois, de telles situations nous avons déployés dans plusieurs commissariats. Ces ne peuvent manquer de nous interpeller. personnels viendront en appui des fonctionnaires de police, dons nous renforçons actuellement les effectifs par la voie de Les armes dont nous débattons aujourd’hui ont officielle- nouveaux recrutements. (Applaudissements sur les travées du ment pour fonction de tenir à distance un attroupement groupe socialiste et du RDSE. – Mme Esther Benbassa devenu source de violence ou de neutraliser une personne applaudit également.) dangereuse pour elle-même ou pour autrui, en minimisant les risques et en évitant le recours, incomparablement plus dangereux, aux armes à feu. 3 À condition d’être convenablement utilisées, ces armes seraient conçues pour que la cible visée ne soit ni tuée ni SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE blessée grièvement, mais « impressionnée » – c’est là le terme DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE employé par le ministère de l’intérieur, qui, en 2002, a généralisé l’usage de ces dispositifs. Pourtant, la multiplica- Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis heureuse de tion des incidents met au jour la dangerosité de ces armes. saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune Ma collègue Éliane Assassi a exposé en détail ce risque d’honneur d’une délégation du Parlement du Ghana sanitaire, et je n’y reviendrai pas. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.), conduite par son président, M. Edward Doe Ajaho, lequel est accompagné, Ces armes servent de plus en plus souvent comme moyens notamment, des chefs de la majorité et de l’opposition de offensifs, pour la dispersion des attroupements et des cette assemblée. manifestations. La délégation a été reçue par le président du Sénat. Elle a En principe, la police ne peut les employer qu’en cas de également rencontré M. Jacques Legendre, président du légitime défense ou en « état de nécessité », à une distance groupe d’amitié France-Afrique de l’ouest, que je salue, et définie selon leur type. Or force est de constater que, dans plusieurs autres membres dudit groupe d’amitié. l’écrasante majorité des cas, les forces de l’ordre n’emploient ces armes ni en position de légitime défense ni dans cet état Au nom du Sénat tout entier, je me réjouis de la création, de nécessité que considèrent prioritairement les procédures par le Parlement du Ghana, d’un groupe Ghana-France, qui internes. contribuera au renforcement des relations entre nos deux assemblées. Je souhaite naturellement à la délégation la Depuis plusieurs années, l’armée, la police et la gendar- plus cordiale bienvenue. (Applaudissements prolongés.) merie nationales disposent de ces équipements. Depuis 2008, les polices municipales sont également habilitées à employer ces armes, au rang desquelles figurent le lanceur de balles de 4 défense et les pistolets à impulsion électrique. Ces armes sont devenues une source permanente de dérapages, voire de bavures. MORATOIRE SUR L’UTILISATION DES ARMES DE QUATRIÈME CATÉGORIE Il nous semble donc absolument nécessaire d’encadrer strictement toutes les formes d’utilisation de ces armes non létales, afin de prévenir les dérives et les risques sanitaires Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi auxquels leur utilisation donne lieu. Il s’agit notamment de Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, à la retisser et de renforcer le contrat de confiance, indispensable demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à en République, entre la population et la police, la seconde instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisa- étant présente avant tout pour protéger la première. Un autre tion d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utili- texte de loi nous donnera bientôt l’occasion de revenir sur ce sation par la police ou la gendarmerie contre des sujet. attroupements ou manifestations. Cet impératif est d’autant plus fort qu’il faut protéger le Dans la suite de la discussion générale, la parole est à droit imprescriptible de manifester et le droit d’expression des Mme Cécile Cukierman. mouvements sociaux, qui ne sauraient être soumis à une Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la pression policière tendant à les marginaliser, voire à les crimi- secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agit-il d’un paradoxe naliser. On a pu constater cette tentation en diverses circons- ou d’un hasard du calendrier ? Comme l’a relevé le réseau tances. En tant que sénatrice de la Loire, j’ai bien entendu à d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme, l’esprit la bataille des « cinq » de Roanne. le RAIDH, le président des États-Unis, Barack Obama, Mme Éliane Assassi. Bon exemple ! SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5115

Mme Cécile Cukierman. À cet égard, nous regrettons que la En France, nous sommes évidemment bien loin de cette commission n’ait pas auditionné des représentants d’associa- situation. Nos forces de l’ordre sont elles aussi armées, afin de tions de défense des droits de l’homme, comme Amnesty mener à bien leurs missions essentielles. Toutefois, leurs international, la ligue des droits de l’homme ou encore moyens restent proportionnés aux objectifs visés. le RAIDH, que j’ai cité en ouvrant mon propos. Être armé est loin d’être anodin, nous le savons. Lors de rassemblements, comme il y en a eu récemment encore, les Tout au long de ces dernières années, ces acteurs ont émis forces de l’ordre sont amenées à intervenir de manière des critiques au sujet de ces armes et pointé du doigt les d’abord préventive, et parfois plus active, contre des individus dangers qui leur sont propres. Ils ont alerté les parlementaires qui peuvent se révéler violents ou constituer une menace et, plus largement, la population, quant à l’usage qui doit en sérieuse pour les biens et les personnes. être fait et quant aux dérives observées. Ces débats ne concer- nent donc pas seulement les forces de l’ordre, mais bien toute Malheureusement, cela peut parfois avoir des conséquences la société. dramatiques, tant il est difficile de répondre avec la bonne mesure et de façon parfaitement adaptée à la violence des Je relève d’ailleurs, monsieur le rapporteur, un point manifestants, tout particulièrement dans des situations intéressant : vous vous faites, dans votre rapport, le relais d’extrême confusion. Il semblerait par ailleurs que la des syndicats de policiers et des représentants du ministère violence envers les forces de l’ordre s’accentue, notamment de l’intérieur – il est important qu’ils soient entendus – dans un certain nombre de quartiers de nos zones urbaines. quand vous affirmez que le bilan de ces armes est plus que Nos collègues du groupe communiste républicain et satisfaisant. Pourtant, quelques lignes plus loin, vous invitez citoyen soulèvent par cette proposition de loi des difficultés également les forces de l’ordre à communiquer « le bilan des bien réelles quant au degré d’armement des forces de l’ordre armes de force intermédiaire permettant d’établir un ratio en cas d’attroupement sur la voie publique. Ils nous propo- d’accidents en fonction du nombre de tirs ». N’y a-t-il pas là sent d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commer- une légère contradiction, et surtout la preuve que les choses cialisation d’armes de catégorie B et d’interdire leur sont loin d’être aussi claires que vous voulez le laisser croire ? utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attrou- pements ou manifestations. On voit bien en tout cas que cette problématique requiert davantage de transparence, plutôt que des affirmations qui Ce moratoire concernerait notamment les Flash-Ball, dont dépeignent celles et ceux qui voudraient interdire l’utilisation les policiers municipaux aussi peuvent être équipés depuis de ces armes comme de gentils rêveurs inconscients des 2008. Si ces armes sont considérées comme « sublétales », menaces qui existent dans notre société… c’est-à-dire conçues pour ne pas tuer, elles restent potentiel- lement dangereuses et peuvent causer des blessures graves. Pour toutes ces raisons, nous pensons que notre proposi- Cependant, on ne peut pas non plus exposer les forces de tion de loi reste valable, même si elle mérite bien évidem- l’ordre à la vindicte parfois très violente des manifestants. ment d’être mise à jour. C’est le propre de toute proposition de loi ou de tout projet de loi : on acte à un moment donné Rappelons qu’un fonctionnaire de police vient d’être des principes et des engagements, quitte à ce que, dans les condamné pour avoir gravement blessé un lycéen d’un tir mois ou les années qui suivent, le texte puisse évoluer pour de Flash-Ball au visage. Il s’agit d’une des premières condam- rester à jour et toujours répondre aux besoins de sécurité nations depuis l’introduction, il a plus de dix ans, du lanceur collective et individuelle de notre société. de balles de défense. Ce fonctionnaire avait tiré, hors de toute légitime défense, sur un adolescent de seize ans lors d’une manifestation devant un lycée de Montreuil en 2010. Enfin, je ferai remarquer que les catégories d’armes définies à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure sont Le droit de se rassembler constitue une liberté fondamen- désormais désignées par des lettres et non plus par des tale et constitutionnellement garantie des citoyens. Nous chiffres. Nous avons voulu tenir compte de cette évolution devons bien entendu nous attacher, quelles que soient nos et apporter la preuve qu’une proposition de loi peut être sensibilités, à protéger ce droit. La liberté doit rester la règle ; adaptée avant même d’être débattue ; elle pourrait donc, la restriction, l’exception. une fois adoptée, faire l’objet d’autres adaptations. Nous Toutefois, un rassemblement sur la voie publique suscep- déposerons des amendements en ce sens, que nous vous tible de troubler l’ordre public constitue un attroupement. proposerons bien évidemment d’adopter, dans la logique L’usage de la force devient de ce fait légitime afin d’opérer, si de notre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe besoin est, sa dispersion. CRC.) Dans ce cas précis, le rétablissement de l’ordre public par Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin. les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant dont les modalités sont proches de celles de la légitime M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la défense : l’utilisation de la force doit être proportionnée et secrétaire d’État, mes chers collègues, de l’autre côté de répondre à un critère d’absolue nécessité. l’Atlantique, les policiers américains ont jusqu’à présent accès à des équipements militaires tels que des véhicules Nous ne pensons pas que l’instauration d’un moratoire sur blindés à chenilles, des armes à feu de très gros calibre, des les armes de force intermédiaire soit la solution à un armes d’assaut ou encore des uniformes de camouflage. Le problème qui relève à la fois de la bonne formation des mélange des genres entre l’armée et la police a brouillé le agents de police et de leur déontologie, mais aussi de la message pour les citoyens et a causé un véritable schisme responsabilité des manifestants. entre la population et les forces de police, qui sont pourtant Comme le soulignait M. le rapporteur, il semble paradoxal censées être gardiennes de la paix. Nous connaissons les de continuer dans le même temps à permettre l’utilisation des débordements qui en ont découlé. armes létales de catégorie A. 5116 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

De surcroît, cette mesure introduirait une rupture dans la permettent une gradation de la violence. Certes, elles restent gradation des moyens puisqu’elle obligerait les forces de des armes et sont donc dangereuses ; elles ont donc égale- l’ordre, en cas d’attroupement, soit à se retirer, ce qui est ment, ô surprise, des effets sur les personnes qui y sont difficilement justifiable en termes d’ordre public, soit – bien confrontées… Cela tombe bien, c’est pour cela que les pire solution – à aller au contact des manifestants. La forces de l’ordre les emploient ! stratégie française du maintien de l’ordre pour la police et la gendarmerie nationales, qui a fait ses preuves jusqu’à Nous ne voulons donc à l’évidence pas de ce moratoire, présent, repose sur un principe tout opposé : éviter le mais nous nous associons bien volontiers à M. le rapporteur contact physique avec les manifestants par la mise à distance. pour demander davantage de formation pour les personnels. Malheureusement, qui dit « formation » dit « temps » et Le groupe RDSE se prononcera donc contre cette propo- « moyens ». Or les gouvernements successifs de l’UMPS ont sition de loi, qui aurait pour effet de fragiliser le maintien de diminué les effectifs et les moyens ; il n’y a donc plus ni l’ordre public, lequel nécessite encore et toujours que l’État argent ni temps pour former les personnels ; entre Vigipirate conserve le « monopole de la violence physique légitime », ou la lutte contre les trafics de drogue, d’une part, et une pour reprendre la formule bien connue de Max Weber. formation supplémentaire sur le Flash-Ball, d’autre part, les Toutefois, à l’instar de M. le rapporteur, nous appelons le responsables de forces de l’ordre ont donc vite fait leur choix, Gouvernement à renforcer la formation des personnes habili- bien sûr. tées à utiliser des pistolets à impulsion électrique et à préciser la doctrine de leur emploi. Je souhaiterais par ailleurs rappeler à notre collègue auteur de cette proposition de loi qu’on ne l’a pas tellement J’ajouterai enfin qu’il est normal que force reste à la loi. Il entendue lorsque le Gouvernement a ordonné aux forces peut y avoir quelques débordements, qu’il faut éviter autant de l’ordre de réprimer sévèrement les manifestants pacifiques que possible. Toutefois, on ne peut quand même pas trans- – aucun dégât n’a été à déplorer malgré l’ampleur des former les forces de police, qui ont une conception républi- manifestations – qui sont descendus dans la rue pour caine de l’ordre public, en chair à canon, ou du moins en demander le retrait de loi sur le mariage pour les personnes chair à Flash-Ball. (Applaudissements sur les travées du RDSE.) de même sexe. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline. Mme Éliane Assassi. Vous voulez la liste des violences M. David Rachline. Madame la présidente, madame la policières ? Je vais vous la donner ! secrétaire d’État, mes chers collègues, la violence légitime M. David Rachline. La France est d’ailleurs dans le collima- dont peuvent faire usage les forces de l’ordre est, selon la teur du Conseil de l’Europe pour ces faits. Voyez-vous, devise qui était gravée sur les canons de Louis XIV, l’ultima utiliser des grenades lacrymogènes contre des poussettes et ratio – en ces temps, un peu de latin ne fait pas de mal ! – des jeunes enfants me semble légèrement plus grave que que l’État peut utiliser dans sa puissance pour se protéger et d’utiliser un Flash-Ball ou un Taser contre des individus protéger les citoyens. qui menacent les forces de l’ordre ou s’en prennent aux On ne peut certes nier la notion de violence des forces de biens ! l’ordre, qui est intrinsèque à certaines de leurs missions. Cette Enfin, même si, pour certains membres du Gouvernement, violence n’est jamais sans conséquence, même si, heureuse- le « sauvageon » doit être protégé contre la prétendue bruta- ment, elle n’entraîne que rarement de très graves blessures ou lité policière, permettez-moi de ne pas souscrire à ce discours. la mort. Or cette violence légitime passe par différents vecteurs qui vont de l’ordre verbal au pistolet, en passant Mme Éliane Assassi. Vous avez dépassé votre temps de par la contravention, la matraque, ou encore la grenade parole ! lacrymogène. M. David Rachline. Je veux plutôt profiter de cette tribune En outre, il est facile de discuter de ces choses conforta- pour apporter notre soutien total aux forces de l’ordre dans blement assis dans nos fauteuils moelleux, alors que les situa- leur diversité, aux gendarmes et aux policiers nationaux et tions opérationnelles que vivent les forces de l’ordre sur le municipaux, qui œuvrent chaque jour à la protection des terrain sont souvent très complexes. Sans aller jusqu’à Français dans des conditions très difficiles et, le plus invoquer le brouillard de la guerre clausewitzien, il n’en souvent, pour ne pas dire presque tout le temps, de façon reste pas moins que, bien souvent, les forces de l’ordre juste et proportionnée ! doivent prendre des décisions de façon extrêmement rapide Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. pour mener à bien les missions qui leur ont été confiées par le pouvoir politique. M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secré- taire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précé- Pour que cette violence puisse s’exercer de façon juste, il est dents l’ont confirmé, le sujet traité par ce texte recouvre un nécessaire qu’elle soit proportionnée à celle dont font preuve enjeu important et particulier, entre souci de protection des les personnes qui s’attaquent à l’État ou aux autres citoyens. populations et adéquation des moyens mis en œuvre face aux Il est donc indispensable que les forces de l’ordre, auxquelles menaces identifiées. l’État a délégué sa mission régalienne d’assurer la sécurité, ce qui peut éventuellement passer par l’usage de la violence L’équilibre n’est pas toujours aisé à trouver en ce qui légitime, disposent d’un panel de moyens pour exercer de concerne l’utilisation par les forces de l’ordre des Tasers et façon juste et proportionnée la violence en fonction de celle, autres Flash-Ball. souvent moins légitime, voire totalement illégitime, dont font montre certaines personnes ou groupes de personnes. Depuis que les forces de l’ordre ont accès à ces instruments, des faits divers font régulièrement l’actualité. Ces armes non Les armes telles que le Flash-Ball ou le Taser participent létales n’en restent pas moins redoutables, et de nombreux pleinement à cet échelonnement de moyens. Entre la incidents ont été recensés, qui ont même parfois une issue matraque et le pistolet automatique, ces armes non létales fatale. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5117

Rappelons que, en 2013, le Défenseur des droits, Or la proposition de loi qui nous est proposée interdit des M. Dominique Baudis, a rendu un rapport dans lequel il armes de force intermédiaire de catégorie B, mais maintient recommandait un meilleur encadrement de l’usage des armes le recours d’armes létales de catégorie A. Où est donc la dites « incapacitantes ». logique ? À la suite de la publication de ce rapport, notre groupe Par ailleurs, et notre collègue Jean-Patrick Courtois le avait d’ailleurs interpellé le ministre de l’intérieur de rappelle dans son rapport, « les armes de force intermédiaires, l’époque, M. Manuel Valls, sur les suites qu’il comptait telles que le LBD 40 – un lanceur de balles de défense –, donner à ces propositions. présentent l’avantage […] de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des bombes lacrymo- Le rapport étant resté lettre morte, cette proposition de loi gènes ». Les armes incapacitantes comportent donc des déposée par nos collègues du groupe CRC a le mérite de risques, mais elles ont aussi des avantages certains qu’il remettre le débat sur la table, et nous mesurons tous ici la nous faut reconnaître. complexité du problème. Cette complexité est telle que, dans leur lucidité collective, les membres du groupe UDI-UC ne Aussi malheureux ou tragiques que puissent être les faits peuvent soutenir la solution proposée, tant elle est simpliste divers que nous connaissons tous, il nous faut, mes chers et inaboutie. collègues, rester très clairs et sérieux sur ce sujet. En la matière, nous le savons, le risque zéro n’existe pas. Les De fait, la présente proposition de loi nous semble d’une forces .de l’ordre ont pour mission de protéger nos conci- pertinence limitée, pour des raisons à la fois de forme et de toyens, et elles s’efforcent de le faire dans des situations très fond. difficiles et complexes. Sur la forme, tout d’abord, la rédaction de ce texte est Oui, des changements sont nécessaires. Les différentes impropre. Elle fait référence à une nomenclature des armes institutions sont d’ailleurs conscientes de cet enjeu et qui est obsolète depuis trois ans. En effet, la loi du 6 mars tentent d’y répondre. Aussi le ministère de l’intérieur a-t-il 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes constitué un groupe de travail commun à la police et la moderne, simplifié et préventif a modifié de manière gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et substantielle la classification des armes. les évolutions envisageables. Dans la même veine, la direction Cette nouvelle classification des armes est désormais générale de la police nationale a organisé un appel d’offres fondée sur leur dangerosité : déclinée jusqu’à présent en pour équiper le LBD 40 de courte portée, afin qu’il soit plus huit catégories, la nouvelle nomenclature répartit les armes précis que le Flash-Ball superpro. dans quatre catégories, de A à D. Or il n’y a pas de réelle Plus globalement, nous devons nous interroger sur les correspondance entre la quatrième catégorie initialement formations dispensées aux agents habilités à l’utilisation des visée et la nouvelle catégorie B. armes à létalité atténuée, et c’est l’un des mérites de cette Sur le fond, ensuite, ce texte manque de pondération. Il proposition de loi. Une réflexion sur ce sujet se révèle indis- convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la pensable au regard des incidents qui ont pu être observés au sécurité des citoyens, et, d’autre part, celle de nos forces de cours de ces dernières décennies. l’ordre. Or l’adoption de la proposition de nos collègues Cependant, ce texte ne prévoit aucune solution de CRC conduirait à fragiliser de manière disproportionnée rechange. Nos collègues nous proposent simplement de nos agents de police et de gendarmerie. déposséder nos forces de l’ordre de moyens de défense, ce Rappelons que la vocation première du maintien de l’ordre qui est, bien entendu, inacceptable. C’est là toute la limite de consiste à permettre le plein exercice des libertés publiques cette proposition de loi. dans des conditions optimales de sécurité, tant pour les Vous l’aurez compris, mes chers collègues, bien qu’il personnes qui manifestent que pour les forces de l’ordre. soulève des questions importantes sur l’usage des armes à Les forces de sécurité de l’État ont donc pour mission de létalité atténuée et, surtout, sur la formation nécessaire à faciliter l’expression de ce droit. Elles le font dans un cadre leur utilisation, dont les syndicats de police eux-mêmes juridique strict et en application des instructions ministé- constatent les lacunes, les membres du groupe UDI-UC ne rielles, c’est-à-dire dans le souci de l’apaisement, afin peuvent souscrire à ce texte, eu égard à sa rédaction. (Applau- d’éviter autant que possible toute espèce d’affrontement. dissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Ce n’est que dans l’hypothèse de situations extrêmes, celles Mme la présidente. La parole est à M. Michel Delebarre. du trouble grave à l’ordre public, de l’émeute, voire de l’insurrection, qu’il sera fait usage de la force, laquelle peut M. Michel Delebarre. Madame la présidente, madame la entraîner le recours à certaines armes. secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par notre La stratégie du maintien de l’ordre consiste à éviter autant collègue Éliane Assasi et les membres du groupe CRC, a que faire se peut le contact physique ; cette préoccupation pour objet d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la s’est développée au fil des expériences et des événements. En commercialisation d’armes de quatrième catégorie et d’inter- effet, les manifestants, parfois très agressifs et radicalisés, sont dire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des tapis au sein de populations pacifiques. attroupements ou manifestations. Le principe qui gouverne l’action de nos forces de l’ordre Cette proposition de loi est constituée de deux articles. est celui de la gradation des moyens mis en œuvre confor- mément au cadre juridique, en vue de permettre une adapta- L’article 1er, « dans l’attente d’une nouvelle législation en la tion permanente et une prise en compte différenciée des matière », vise à instaurer « un moratoire sur la commercia- comportements au sein des attroupements. lisation, la distribution et l’utilisation par toute personne des 5118 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par En premier lieu, je tiens à souligner que la proposition de décret en Conseil d’État. » Cet article renvoie à un décret le loi de nos collègues a le mérite de soulever une question soin de préciser les conditions de son application. primordiale : comment assurer au mieux l’ordre public et garantir l’autorité de l’État, tout en limitant autant que L’article 2 interdit l’utilisation de telles armes par la police possible les risques induits par l’utilisation des armes de la ou la gendarmerie contre des attroupements. Plus précisé- police et de la gendarmerie lors des manifestations et rassem- ment, il complète l’article L. 211-9 du code de la sécurité blements ? intérieure, qui permet à un préfet, un maire ou un officier de police judiciaire, lors d’un rassemblement de personnes sur la C’est là que réside la question centrale posée par le texte de voie publique ou dans un lieu public, de procéder à des nos collègues, qui estiment que la gravité des dommages sommations de se disperser, sous la seule condition que corporels parfois occasionnés par l’utilisation de ces armes celui-ci leur paraisse susceptible de troubler l’ordre public. justifie l’adoption de celui-ci. Dans ce cas, les représentants de la force publique appelés Le Parlement doit être à l’écoute des victimes de ces en vue de dissiper l’attroupement peuvent faire directement accidents, qui subissent des traumatismes importants dans usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées leur chair. Tous ces accidents, sans exception, sont regretta- contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain bles, et tout doit être fait pour les éviter. Toutefois, malheu- qu’ils occupent. reusement, le maintien de l’ordre public n’a jamais été et n’est pas une science exacte. Quelle que soit l’arme utilisée, Dans ce cas, l’article 2 de proposition de loi limite l’emploi les opérations de maintien de l’ordre comporteront toujours par les représentants de l’ordre des armes de quatrième des risques. catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État et qui ne peuvent être utilisées « que dans les circons- Par ailleurs, chaque année, plus de douze mille policiers et tances exceptionnelles où sont commises des violences ou des gendarmes sont blessés et plusieurs d’entre eux trouvent la voies de fait d’une particulière gravité et constituant une mort dans l’accomplissement de leur devoir. La protection menace directe contre leur intégrité physique. » des policiers et des gendarmes est donc un souci constant pour les autorités publiques. L’introduction de ces moyens de er Ainsi qu’on peut le constater, l’article 1 relatif au force intermédiaire au sein des forces de l’ordre a donc été moratoire rend l’article 2 relatif à l’encadrement de l’usage rendue nécessaire pour protéger le droit à la vie lors de leurs des armes précitées superflu. C’était d’ailleurs le sens de notre interventions. réflexion lors de la réunion de la commission des lois du 12 mai dernier, ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur. Je rappelle que le modèle français repose sur la dissuasion, donc la volonté d’éviter le contact physique, qui risque En outre, les deux articles composant la présente proposi- davantage de provoquer des accidents. Ce modèle semble tion de loi visent les armes de quatrième catégorie. Bien le plus pertinent, mais, je le dis une nouvelle fois, aucune qu’elle ait été enregistrée à la présidence du Sénat le 1er technique n’est exempte de risque. octobre 2014, la présente proposition de toi ne tient pas compte de la réforme de la réglementation des armes inter- En second lieu, cette proposition de loi répond également à venue lors de l’adoption de la loi du 6 mars 2012 relative à une obligation conventionnelle. Ainsi, la Cour européenne l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et des droits de l’homme a condamné la Turquie pour violation préventif et de son décret d’application du 30 juillet 2013. du droit à la vie, posé par l’article 2 de la Convention Depuis cette réforme, la nomenclature des armes repose sur européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des quatre catégories d’armes – les catégories A, B, C et D –, au libertés fondamentales, aux motifs que ce pays n’avait pas lieu de huit. doté ses forces de police d’autres armes que les armes à feu et, par conséquent, n’avait pas laissé aux policiers d’autre choix Les armes mentionnées dans le titre et les deux articles de la que de tirer lors d’une manifestation au cours de laquelle ils proposition de loi relèvent aujourd’hui de la catégorie B, avaient subi des violences. « armes soumises à autorisation ». En outre, le ministère de l’intérieur a eu l’occasion de le À la lecture de leur exposé des motifs, les auteurs de ce rappeler, si l’usage des Flash-Ball superpro et lanceurs de texte entendent viser particulièrement trois types d’armes : le calibre 40 mm a augmenté en 2013 par rapport à 2012 au pistolet à impulsion électrique de marque Taser et deux sein de la police nationale, il a diminué de 28,2 % dans la lanceurs de balles de défense, le Flash-Ball superpro et le gendarmerie. Ces chiffres sont également à mettre en LBD. Ces armes appartiennent à la catégorie des moyens perspective avec la baisse de l’usage de l’arme à feu dans la de force intermédiaire, également dénommés « armes non police nationale et la gendarmerie nationale. létales », « sublétales», « semi-létales » ou encore « à létalité réduite ». Dès lors, comment concilier les impératifs de sécurité publique et la protection des manifestants lorsque les forces Ces armes peuvent être définies comme des équipements de police ou de gendarmerie sont contraintes d’utiliser ces spécifiquement conçus et mis au point afin d’améliorer la armes ? capacité opérationnelle des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie, en leur permettant de faire face Je souhaite rappeler ici avec force que le ministre de l’inté- de façon graduée à des situations dégradées pour lesquelles la rieur, Bernard Cazeneuve, est très attentif à la prévention et coercition physique est insuffisante. Elles viennent compléter aux conditions d’utilisation de ces armes. Après le drame de les matériels usuels en dotation dans les forces de l’ordre, tels Sivens, les grenades offensives utilisées par la gendarmerie ont que les menottes, les bâtons de défense, les gaz lacrymogènes, été interdites. Les grenades lacrymogènes à effet de souffle, les dispositifs manuels de protection et les armes de poing. utilisées dans le cadre du maintien à distance, pourront être utilisées non plus par un gendarme seul, mais en binôme Je tenais à rappeler ces précisions, qui sont importantes – un superviseur et un lanceur –, afin de renforcer la préci- pour éclairer nos débats sur ce sujet complexe. sion du tir. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5119

Enfin, toutes les opérations de maintien de l’ordre à risque d’autre part, qui ont déjà engagé cette réflexion en seront filmées. déposant deux propositions de loi similaires, respectivement en 2009 et en 2010, qui sont désormais caduques. En septembre dernier, une instruction commune des direc- teurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales a Mes chers collègues, le groupe écologiste se réjouit que limité le recours à l’utilisation des armes visées par la propo- nous soit donnée l’occasion de débattre de ce sujet grave. sition de loi de nos collègues. Le Gouvernement a donc pris En effet, ces dernières années, de nombreux incidents ont mis toute la mesure du problème qui nous occupe aujourd’hui et en lumière la dangerosité des armes de catégorie B dont nos a adopté toutes les précautions nécessaires pour parvenir à la forces de police sont équipées – depuis 2002 pour le Flash- situation la plus équilibrée possible. Ball et depuis 2006 pour le Taser. Il est temps que la repré- sentation nationale se saisisse d’un problème devenu récur- Sans nul doute, les décisions du ministre participent de rent. l’amélioration des relations entre la population et les forces de l’ordre. Car c’est bien là le problème : on ne peut pas Depuis que le Flash-Ball est utilisé pour disperser des démunir la police et la gendarmerie des armes dénoncées manifestants, plus d’une dizaine de personnes ont été griève- par nos collègues. ment blessées à l’œil, et ce malgré l’interdiction des tirs au- dessus de la ligne d’épaule. À Marseille, un homme est mort M. Alain Fouché. Tout à fait ! par arrêt cardiaque après avoir été touché au thorax. La M. Michel Delebarre. Pour autant, je le répète, leur utilisa- gravité des blessures et des handicaps causés met ainsi en tion doit être encadrée au maximum, afin de prévenir les évidence un recours disproportionné à cet armement. drames qui, immanquablement, détruisent la vie des victimes. Compte tenu de l’imprécision des trajectoires des tirs, ainsi que de la gravité et de l’irréversibilité des dommages collaté- Il nous faut affronter le dilemme entre le respect de l’ordre raux manifestement inévitables que ces armes provoquent, il public et la garantie du droit de s’exprimer, de protester ou convient, selon les termes du Défenseur des droits, de de manifester qui, s’il n’est pas explicitement consacré par le « proscrire ou limiter très strictement l’usage du Flash-Ball constituant, n’en est pas moins essentiel dans une dans le cadre de manifestations ». démocratie. J’insiste sur ce point, car il s’agit au fond de la motivation essentielle des auteurs de cette proposition de loi. Plus généralement, la commercialisation et l’usage de telles L’intention véritable et supérieure qui sous-tend ce texte armes doivent être suspendus, de sorte que soient redéfinies suscite de la part de la représentation nationale une les conditions de leur utilisation par rapport à leurs spécifi- réaction de principe, pour que ne soit pas portée une cités. En effet, d’une part, plus les tirs sont rapprochés, plus atteinte excessive à la liberté de manifestation et à la liberté ils sont dangereux, et, d’autre part, plus ils sont éloignés, individuelle. moins ils sont précis. Il en est de même du pistolet à impulsion électrique, La solution réside dans la poursuite d’une formation plus le Taser, employé en France par la police nationale et la soutenue des policiers et des gendarmes, afin que le recours à gendarmerie depuis 2006 et par la police municipale de telles armes et à la force ne s’exerce que dans le cadre de depuis 2010. Les risques et les accidents liés à son utilisation leurs missions, et seulement en cas de nécessité, en respectant sont nombreux. une attitude humaine, même durant les affrontements. Sans doute conviendrait-il de réduire l’écart entre deux séances de Le premier risque est celui d’un usage abusif de l’arme. Le formation, actuellement fixé à trois ans pour le pistolet à comité contre la torture des Nations unies a ainsi rappelé en impulsion électrique et à deux ans pour le LBD. 2010 que « l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture ». Or l’article 3 de la Insister dans la formation des agents sur la nécessité de Convention européenne de sauvegarde des droits de viser uniquement le bas du corps avec ces armes constituerait l’homme et des libertés fondamentales énonce que « nul ne également un progrès. Poursuivre le renouvellement de peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements l’équipement, avec un matériel plus moderne et plus inhumains ou dégradants. » précis, est tout autant nécessaire. Ce sont là, je crois, des pistes de réflexion intéressantes pour le Gouvernement. Le second risque est lié aux conséquences de l’usage de cette arme sur la santé des personnes. Selon les données En conclusion, je tiens à remercier une fois encore nos recueillies par Amnesty International et figurant dans un collègues d’avoir ouvert le débat. Toutefois, pour l’ensemble rapport publié en décembre 2008, quelque 334 personnes des raisons que j’ai développées, le groupe socialiste seraient mortes, depuis 2001, au cours de leur arrestation ou s’abstiendra sur cette proposition de loi. en détention aux États-Unis, à la suite de décharges infligées Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa. par des pistolets paralysants, un chiffre qui aurait augmenté Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la pour atteindre les 500 morts en 2012. secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons En raison de ces risques, du manque de formation des aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Éliane agents et des conséquences que peut entraîner l’emploi Assassi, visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la d’un tel armement, il convient non seulement de suspendre commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à inter- l’utilisation de ces armes dangereuses et de réaliser un état des dire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des lieux, mais aussi de protéger le droit imprescriptible de attroupements ou manifestations. manifester en interdisant l’utilisation de ces armes par la Depuis plusieurs années, les écologistes souhaitent police et la gendarmerie nationales contre des attroupements encadrer, voire interdire, toutes les formes d’utilisation de et des manifestations. ces armes. À cet égard, je salue le travail des députés Noël Le tragique décès de Rémi Fraisse, venu manifester contre Mamère, Yves Cochet et François de Rugy, d’une part, et de le barrage de Sivens, est la triste illustration de la dispropor- notre ancienne collègue sénatrice Dominique Voynet, tion des moyens parfois engagés par les forces de police – en 5120 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 l’occurrence, il s’agissait d’une grenade offensive – et nous aux fonctionnaires amenés à les utiliser des sessions de forma- oblige à prendre des mesures restrictives, sinon prohibitives ! tion plus fréquentes et qui se rapprochent davantage des (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.) conditions réelles d’engagement. Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud. Il est donc nécessaire, à mon sens, d’aider nos forces de M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la police et de gendarmerie à assurer leurs missions, dans des secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi conditions qui leur permettent de protéger les biens et les que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue personnes, et de se protéger elles-mêmes, afin de les prémunir Éliane Assassi, nous invite à nous interroger sur la question contre des situations qui se révéleraient de véritables « guets- de l’emploi de la force, mais également sur la confiance que apens juridiques ». nous plaçons en celles et ceux qui sont en première ligne Par conséquent, le législateur doit avoir comme priorité, pour faire respecter l’ordre républicain. non pas d’exprimer sa défiance à leur encontre, mais, au Je tiens avant tout à rendre hommage au remarquable contraire, de leur fournir un accompagnement dans leurs travail accompli par M. le rapporteur de la commission des difficiles missions et de leur assurer le soutien de la lois, Jean-Patrick Courtois, qui nous permet d’en appré- République ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de hender tous les effets juridiques et pratiques. l'UDI-UC et du RDSE.) Mme la présidente. M. Alain Fouché. Très bien ! La parole est à Mme Nicole Duranton. Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la M. Mathieu Darnaud. Tout d’abord, je crois qu’il faut savoir reconnaître la bonne foi qui a présidé à l’élaboration secrétaire d’État, mes chers collègues, questionner l’usage des de ce texte et la volonté de ses auteurs d’éviter les drames qui armes dans notre société résonne de manière particulière dans ont suscité une émotion légitime. Toutefois, nous ne vivons les temps que nous connaissons. pas, tant s’en faut, dans un pays de non-droit où les policiers Aujourd’hui, des conflits armés, dont certains se déroulent agiraient – pardonnez-moi l’expression – comme des cow- sur notre continent, sévissent dans de nombreux pays. boys ! Ensuite, le terrorisme menace directement les pays occiden- Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit cela ! taux, notre pays en ayant profondément souffert en ce début d’année. Enfin, la commercialisation des armes est régle- M. Mathieu Darnaud. Au contraire, comme l’indiquait mentée dans notre pays, alors qu’elle est libre dans certains notre rapporteur, les règles d’utilisation des armes de autres, ce que l’actualité vient d’illustrer tragiquement outre- catégorie B sont strictement encadrées par le code de la Atlantique. sécurité intérieure ou le code pénal. Ces problématiques qui concernent le législateur, bien qu’à Adopter cette proposition de loi constituerait une première des échelons très distincts, me semblent néanmoins les difficulté. En effet, cela remettrait en cause toute la doctrine préalables indispensables à la mise en perspective de notre et la pratique françaises en matière de maintien de l’ordre. débat. De quoi discutons-nous en réalité dans la proposition Or, s’il reste toujours des progrès à accomplir et des drames à de loi examinée aujourd’hui ? déplorer, nous ne devons rougir ni de nos pratiques en la matière ni du professionnalisme des forces de l’ordre. Dans Nous débattons de l’usage par nos forces de l’ordre d’armes son rapport, Jean-Patrick Courtois a opportunément rappelé de dissuasion, qui a été généralisé par la loi en 2002 et dont la que la « doctrine Grimaud », en vigueur depuis les classification ne correspond plus désormais à celle qui figure années soixante, a permis à la France de ne déplorer que dans le présent texte. de rarissimes décès lors d’affrontements entre émeutiers et Les armes évoquées, qu’il s’agisse de lanceurs à balles de forces de l’ordre. défense ou de pistolets à impulsion électrique, sont L’article 1er de la proposition de loi, qui institue un aujourd’hui regroupées sous les catégories B et D, en moratoire sur l’utilisation des armes de catégorie B, pose fonction de leur composition – mécanique ou plastique, problème, car il ôte aux policiers et gendarmes les armes par exemple, pour les Flash-Ball. non létales dont ils ont besoin pour répondre de façon Qu’en est-il, aujourd’hui, de l’utilisation de ces armes de graduée et proportionnée à une menace immédiate. Sans dissuasion par les forces de l’ordre ? En France, tous les ces équipements, il ne leur resterait que le choix entre la policiers ne sont pas armés. En 2013, sur près de 20 000 passivité totale, qui n’entre pas dans la mission des policiers municipaux que compte notre pays, quelque 82 % gardiens de la paix civile, et l’engagement disproportionné sont armés et seuls 39 % sont équipés d’une arme à feu. avec des armes de catégorie supérieure, ce que personne ne souhaite. N’oublions pas, par ailleurs, que l’ensemble des équipe- ments est attribué nominativement, à la demande de chaque L’article 2 de la proposition de loi n’est pas davantage maire, et après validation des services de la préfecture. Les satisfaisant, puisqu’il prévoit que ces armes ne pourront critères d’attribution d’armes sont stricts et définis par le code être utilisées qu’en des « circonstances exceptionnelles ». de la sécurité intérieure. Toute arme détenue par un policier Non seulement ces dispositions donneront lieu aux interpré- est donc soumise à autorisation. tations très incertaines que M. le rapporteur a évoquées, mais, de fait, elles commandent aux forces de l’ordre de Mes chers collègues, s’il nous prenait l’envie de vouloir rester attentistes, jusqu’au moment où la situation deviendra acheter une arme de catégorie D en vente libre, rien ne tout à fait incontrôlable. nous en empêcherait et nous pourrions quitter l’armurerie avec, par exemple, une bombe lacrymogène en poche ! Rien Enfin, à l’aune des auditions menées, nous ne pouvons de tel pour un policier, qui, pour la détention du même type qu’approuver les préconisations de M. le rapporteur : si le d’armes, sera soumis – il le faut, dans l’intérêt de tous ! – à Taser X26 et le Flash-Ball superpro sont des équipements une autorisation en préfecture, accompagnée d’un certificat performants et utiles, le ministère de l’intérieur doit proposer médical d’aptitude de moins de deux semaines. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5121

Croyons-nous, enfin, que l’usage de ces armes par les forces provoqué ce débat important et je me félicite de l’esprit de l’ordre soit hasardeux ? serein et apaisé dans lequel celui-ci s’est tenu. L’enjeu est de concilier la protection des forces de l’ordre, mais aussi Malgré, d’une part, les conditions de formation spécifiques celle du public, avec la liberté de manifester. aux armes utilisées – seuls ceux ayant obtenu la formation ad hoc sont ainsi autorisés à faire usage d’un Flash-Ball par Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque nombre exemple –, et, d’autre part, les conditions de formation d’orateurs ont soulevé la question de la formation, continue obligatoire annuelle pour les armes des catégories B permettez-moi de vous apporter à cet égard quelques préci- et D, il semblerait que les auteurs de la proposition de loi sions qui dessinent une piste d’amélioration. aient oublié que les policiers sont strictement limités dans l’usage de leurs armes aux cas de légitime défense. Seuls les policiers habilités ayant suivi une formation spéci- fique sont autorisés à faire usage d’un Flash-Ball. La forma- En employant ces mots, je ne peux m’empêcher de saluer tion initiale, qualifiante, s’étend sur plusieurs jours ; elle est la mémoire des policiers lâchement assassinés lors des atten- complétée par des stages de qualification périodiques, dits tats de janvier dernier. Aurait-il pu en être autrement s’ils « stages de recyclage », qui doivent être suivis tous les deux avaient eu les moyens de se protéger et d’assurer leur défense ? ans. Faute de suivre ces stages, les fonctionnaires perdent leur J’évoque ainsi la question de la protection que nous accor- habilitation. dons à nos forces de l’ordre, absente du texte dont nous discutons, et pourtant fondamentale. Selon les secteurs, et Par ailleurs, l’utilisation du Flash-Ball est très encadrée : à la discrétion du maire, il conviendrait, à mon sens, d’armer chacune de ses utilisations fait l’objet de déclarations spéci- notre police pour qu’elle assure tant notre protection que la fiques par les fonctionnaires, qui doivent expliquer les condi- sienne. tions dans lesquelles ils s’en sont servis. Les mêmes principes Les responsables publics doivent donc s’interroger en valent pour le Taser : les fonctionnaires doivent avoir suivi conscience sur les moyens qu’ils décident de consacrer à la une formation qualifiante, être habilités et suivre tous les trois protection de leurs agents, alors que le coût d’un gilet pare- ans un stage de recyclage. balles oscille entre 700 euros et 1 000 euros. Certains orateurs ont déploré que les formations soient Si la « protection de la liberté de manifestation et d’expres- trop théoriques. Soyez certains que le ministre de l’intérieur sion des mouvements sociaux », telle qu’elle est rappelée dans sera très sensible aux propositions d’amélioration qui ont été l’exposé des motifs de la proposition de loi dont nous débat- avancées. En particulier, il est prêt à lancer un travail pour tons, me semble primordiale, elle est néanmoins garantie en rendre les formations aussi proches que possible des condi- l’état actuel de la législation. En revanche, c’est peut-être tions réelles, en prenant davantage en compte les contextes de moins le cas pour la protection effective de nos forces de tir et les cibles mouvantes. Sans doute faut-il aussi que les l’ordre ! stages de recyclage soient plus réguliers. Je souhaiterais évoquer le cas de la ville d’Évreux, dont je Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous assurer suis élue. La protection de la population, qui avoisine que le Gouvernement est parfaitement conscient de la néces- 50 000 habitants, y est assurée par une police municipale, sité, soulignée par tous les orateurs, d’améliorer la formation composée seulement de vingt-deux policiers municipaux, de des fonctionnaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe sept agents de surveillance de la voie publique, de deux agents écologiste.) affectés à la vidéosurveillance et de quatre agents adminis- tratifs. Mme la présidente. La discussion générale est close. Pour l’ensemble de ces agents, la police municipale La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à d’Évreux dispose de six Flash-Ball de catégorie B, ainsi que la discussion des articles de la proposition de loi initiale. de diverses armes de catégorie D, en particulier des aérosols lacrymogènes et des bâtons de défense. Aucune de ces armes PROPOSITION DE LOI VISANT À n’a été utilisée depuis le début de l’année. INSTAURER UN MORATOIRE SUR L'UTILISATION ET LA Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que, au terme COMMERCIALISATION D'ARMES DE de ce propos, je me prononce en défaveur de tout moratoire QUATRIÈME CATÉGORIE, ET À qui reviendrait à interdire aux forces de l’ordre de faire usage INTERDIRE LEUR UTILISATION PAR des armes que la loi leur permet d’utiliser, y compris contre LA POLICE OU LA GENDARMERIE des attroupements ou manifestations. À mes yeux, c’est la CONTRE DES ATTROUPEMENTS OU protection qui prime : celle de la population, mais également MANIFESTATIONS celle des hommes et des femmes chargés de veiller sur elle, lorsqu’eux-mêmes se sentent en danger. Article 1er S’il est une question dont la Haute Assemblée devrait se saisir, me semble-t-il, c’est celle du contrôle de la commer- 1 Dans l’attente d’une nouvelle législation en la matière, cialisation, de la détention et de la circulation des armes dans il est institué un moratoire sur la commercialisation, la notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de distribution, et l’utilisation par toute personne des armes l'UDI-UC.) de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en conseil d’État. Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État. 2 Un décret précisera les conditions d’application de cet article. Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, sur la ville. Je remercie le groupe CRC du Sénat d’avoir l'article. 5122 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

M. Antoine Lefèvre. Ayant été le rapporteur de la propo- quatrième catégorie sition de loi dont est issue la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle moderne, simplifié et préventif par les mots : des armes, je tiens à présenter plusieurs observations au sujet catégorie B du présent article, qui vise les armes communément appelées Flash-Ball et Taser, d’après les noms de leurs fabricants, en se La parole est à Mme Éliane Assassi. référant à une classification obsolète depuis plus de trois ans. Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Cet Ces armes à létalité atténuée ou « sublétales » suscitent des amendement vise à opérer une rectification dont il a déjà interrogations depuis leur apparition. été largement question, afin de tenir compte de l’évolution o En janvier 2011, au cours d’une séance de questions cribles législative. Je signale d’ores et déjà que l’amendement n 2, thématiques consacrée à l’utilisation du Flash-Ball et du portant sur l’article 2, a pour objet une modification du Taser par les forces de police, j’ai appelé l’attention du même ordre. Je l’ai donc d'ores et déjà défendu. gouvernement de l’époque sur les règles en vigueur encadrant Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ? l’emploi de ces équipements de substitution aux armes à feu. M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des En effet, de récents événements ayant ému nos conci- lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du toyens, des précisions sur les procédures de contrôle, en règlement et d'administration générale. Comme Mme Assassi amont et en aval de l’utilisation de ces équipements, vient de le souligner, les amendements nos 1 et 2 tendent à s’avéraient nécessaires. J’ai insisté notamment sur la nécessité opérer des corrections formelles. d’assurer la traçabilité de chaque utilisation, au moyen de La commission des lois étant hostile à la proposition de loi, puces et de caméras intégrées, afin de prévenir les litiges. elle ne peut qu’être défavorable à ces deux amendements. Je rappelle que ces armes de force intermédiaire relèvent du J’espère, ma chère collègue, que vous vous en remettrez ! cadre juridique général de l’usage de la force, qui repose, Mme Éliane Assassi. Ne vous inquiétez pas, je suis résis- entre autres principes, sur la légitime défense et l’état de tante ! (Sourires.) nécessité, et qu’elles sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité. Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ? Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Le Gouvernement Les auteurs de la proposition de loi se sont notamment a la même position que M. le rapporteur : étant opposé à la inspirés de recommandations formulées par le Défenseur des proposition de loi, il est défavorable aux deux amendements. droits en 2013. Or celles-ci ont été soit satisfaites, soit jugées trop restrictives de l’usage des armes en cause, qui serait Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand, pour devenu trop limité, voire impossible, en sorte que les explication de vote. forces de l’ordre auraient été désarmées de fait. Le rapport M. Alain Bertrand. Les propos que viennent de tenir établi par notre collègue Jean-Patrick Courtois fait apparaître er Mme la secrétaire d’État et M. Antoine Lefèvre m’inspirent que l’application de l’article 1 de la proposition de loi aurait plusieurs observations. le même résultat. Madame El Khomri, vous êtes secrétaire d'État chargée de Outre que cet article fait référence à l’ancienne classifica- la politique de la ville, mais, cet après-midi, vous êtes chargée tion des armes, il n’apporte pas les solutions auxquelles les tout autant de la campagne, car la question de l’utilisation des auteurs de la proposition de loi aspirent : ceux-ci réclament armes de quatrième catégorie se pose partout. un moratoire, mais ils ne font pas de propositions ! En effet, les territoires ruraux ont aussi leurs petites villes, Reste que, comme le ministre de l’intérieur d’il y a quatre leurs quartiers sensibles et leurs problèmes d’ordre public et ans l’avait reconnu en réponse à ma question, la communi- de délinquance. J’y insiste, car il semble que, gouvernement cation sur la réglementation relative à l’usage de ce type après gouvernement, on oublie un peu la campagne ; je me d’armes est encore trop en deçà des attentes du public, ce permets de le souligner, quoique je soutienne le gouverne- qui entraîne une méfiance grandissante, alimentée par les ment de Manuel Valls. Qu’il s’agisse de sécurité ou de politi- événements tragiques que plusieurs collègues ont rappelés. ques sociales, la campagne est tout autant concernée que la Il faut donc améliorer la transparence de l’utilisation de ces ville ! armes, mais non l’interdire, ce qui reviendrait quasiment à Il faut rendre hommage à notre police républicaine, notre désarmer nos forces de maintien de l’ordre, alors même gendarmerie et nos forces armées, qui sont d’un très haut qu’elles sont de plus en plus victimes d’agressions mortelles, niveau, pénétrées des principes républicains et soucieuses des commises de plus en plus avec des armes de guerre. Ces droits de nos concitoyens. armes intermédiaires sont d’autant plus utiles qu’elles évitent le recours aux armes à feu, ô combien plus dange- Dans nos campagnes, un rôle irremplaçable est joué par les reuses. petites polices municipales – dans ma ville, on parle de « police de tranquillité » –, qui sont conduites à remplir Parce qu’il faut protéger nos forces de l’ordre au même titre er tout un éventail de missions. Par exemple, dans le cadre que tous nos concitoyens, je ne voterai pas l’article 1 de cette des opérations « tranquillité vacances », elles font le tour proposition de loi, non plus d’ailleurs que son article 2. des quartiers pour surveiller les villas dont les occupants Mme la présidente. L'amendement no 1, présenté par sont partis et, lorsqu’elles aperçoivent une fenêtre ou une Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du porte ouverte, vont voir les choses de plus près. Ce travail groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé : ne peut pas être accompli par des policiers désarmés, ne portant rien d’autre qu’une chemisette bleue marquée Alinéa 1 « Police municipale » et des rangers. (Sourires.) Il faut que Remplacer les mots : les fonctionnaires soient armés ! SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5123

Quand un gouvernement précédent a supprimé la police quatrième catégorie de proximité, nous, les maires, préoccupés par cette décision, par les mots : sommes allés voir nos commissaires divisionnaires de police, notre directeur départemental de la sécurité publique ou catégorie B notre préfet. Ils nous ont demandé de les aider en faisant Cet amendement a déjà été défendu. un effort pour nos polices municipales, afin qu’elles puissent, par exemple, faire des rondes à onze heures du soir, à minuit La commission et le Gouvernement ont déjà émis leur avis, ou à une heure du matin. Or, lorsqu’ils servent la nuit, pour qui est défavorable. des rondes ou des contrôles sur les ronds-points, nos policiers Je mets aux voix l'amendement no 2. municipaux peuvent tomber sur des délinquants dangereux. (L'amendement n'est pas adopté.) Bien entendu, on peut rêver d’un monde de bisounours, comme disent les jeunes ; mais, dans le monde réel, il faut Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre que toutes nos polices soient convenablement armées. Toutes aux voix l’article 2, je vous rappelle que, si ce dernier n’était les missions que nos forces de l’ordre assurent, au service de pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la nos concitoyens, requièrent des armes et des techniques proposition de loi dans la mesure où les deux articles qui la régulièrement améliorées et des fonctionnaires bien formés. composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble. Mes chers collègues, je sais que nos collègues du groupe CRC sont animés des meilleurs sentiments – il La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de m’arrive d’ailleurs souvent de souscrire à leurs initiatives –, vote sur l’article. mais nous devons être très vigilants : ne laissons pas penser Mme Éliane Assassi. Je voulais avant toutes choses remer- qu’il y aurait, d’un côté, les méchants policiers, et, de l’autre, cier Mme la secrétaire d’État de la modération de ses propos les gentils manifestants. et de sa volonté de laisser le débat prospérer. Je voudrais M. Patrick Abate. Ce n’est pas du tout notre propos ! également remercier tous les sénateurs étant intervenus dans ce débat, à l’exception d’un orateur, dont je ne citerai M. Alain Bertrand. Le droit de manifester – Dieu sait si j’ai même pas le nom. manifesté dans ma vie ! – est le droit de défiler calmement, dans l’ordre et sans violence, dans un esprit citoyen. M. David Rachline. C’est moi ! L’équilibre qu’il convient de trouver n’est pas celui sur Mme Éliane Assassi. Je regrette seulement le manque de lequel repose la présente proposition de loi. Les sénateurs rigueur intellectuelle de quelques-uns d’entre eux, qui tend à du groupe RDSE, hostiles à celle-ci, ne voteront pas l’amen- leur faire confondre moratoire et interdiction. Que je sache, dement no 1, non plus que l’amendement no 2. mes chers collègues, ces deux mots ne sont pourtant pas synonymes. Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote. D’autres orateurs ont également tenté de faire croire que les élus du groupe CRC n’ont pas confiance dans les forces de M. Alain Fouché. S’il est évident que les polices doivent être police. C’est tout le contraire, évidemment ; notre formation armées comme il convient, il l’est tout autant que les armes politique est très proche des forces de police et des syndicats doivent être bien utilisées. C’est pourquoi des efforts doivent de policiers, qu’ils soient municipaux ou nationaux. (Excla- être réalisés en matière de formation à l’utilisation des armes. mations ironiques sur les travées de l'UMP.) Désarmer la police pourrait avoir des conséquences terribles, mais il est indispensable d’améliorer sa formation, et je M. Alain Gournac. Bien sûr ! soutiens le Gouvernement dans ce domaine. M. François Bonhomme. Point trop n’en faut ! Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement no 1. Mme Éliane Assassi. Monsieur Gournac, je vous rappelle (L'amendement n'est pas adopté.) que, sous l’ancienne majorité sénatoriale, j’avais l’honneur d’être le rapporteur pour avis, au nom de la commission er Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1 . des lois, des crédits de la mission « Sécurité » ! er (L'article 1 n'est pas adopté.) M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C’est vrai ! Mme Éliane Assassi. Je tenais alors à auditionner rigoureu- Article 2 sement toutes les personnes compétentes, à travailler avec toutes les associations et toutes les organisations de policiers, 1 L’avant-dernier alinéa de l’article L. 211-9 du code de nationaux ou municipaux. J’ai toujours défendu l’idée selon la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi laquelle nos policiers devaient avoir les moyens nécessaires rédigée : pour assumer leurs fonctions et assurer, notamment, leur 2 « Ils ne peuvent utiliser à cette fin les armes de propre sécurité. Il y a donc, mes chers collègues, des quatrième catégorie, définies par décret pris en Conseil propos que je ne peux pas accepter. (Applaudissements sur d’État, que dans les circonstances exceptionnelles où sont les travées du groupe CRC.) commises des violences ou des voies de fait d’une parti- Cela dit, je me félicite du débat qui s’est instauré cet après- culière gravité et constituant une menace directe contre midi ; le dépôt de cette proposition de loi avait aussi cette leur intégrité physique. » ambition. Ce débat, d’ailleurs, se poursuivra sous d’autres Mme la présidente. L'amendement no 2, présenté par formes, sans doute à l’occasion de l’examen au Sénat d’un Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du prochain projet de loi sur le sujet. groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé : Pour toutes ces raisons, je tenais donc à remercier les Alinéa 2 différents orateurs, sauf l’un d’entre eux, de leurs propos Remplacer les mots : M. David Rachline. Moi aussi, je vous aime ! 5124 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, Je le répète, je soutiens la police et la gendarmerie ; c’est pour explication de vote. donc sans aucune hésitation que je voterai contre le présent Mme Esther Benbassa. Divers élus écologistes – à l’époque, texte. (M. David Rachline applaudit.) ce n’était pas encore un groupe –, députés et sénateurs, Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour avaient déposé il y a quelque temps un texte similaire à explication de vote. celui dont nous discutons aujourd’hui. Ainsi que l’a souligné Éliane Assassi, la présente proposition de loi a M. Marc Laménie. Les dernières interventions m’incitent à ouvert le débat, ce qui semble une nécessité. Nous devons réagir. en effet nous intéresser davantage à l’encadrement des Je puis comprendre l’avis défavorable émis par la commis- policiers, aux armes qu’ils utilisent et à leur formation, cela sion comme par le Gouvernement sur les deux amendements afin qu’ils ne tirent pas à mauvais escient. présentés. Néanmoins, cette proposition de loi a le mérite Ces questions intéressent nos concitoyens. Dès lors, même d’installer le débat sur ce problème de société : la sécurité, si cette proposition de loi ne sera pas adoptée aujourd’hui, il notamment intérieure. me semble que l’on ne peut pas ne pas en débattre. Mieux Un orateur nous a éclairés sur la situation prévalant dans vaut cela que d’occulter les problèmes, comme nous en avons les communes rurales. Il est vrai que les problèmes d’insécu- trop souvent l’habitude. rité existent partout. On parle beaucoup des villes, des Notre idée, qui est aussi celle du groupe CRC, n’est pas quartiers difficiles, sensibles, au sein des grandes villes. Toute- d’abolir le port d’armes ; nous partons seulement du même fois, nous ne sommes nulle part, même dans le plus petit constat, me semble-t-il. Divers incidents récents, ainsi que village, vraiment à l’abri du danger. plusieurs rapports sur le sujet, l’ont d’ailleurs montré : il s’agit Alain Gournac a fait part de son soutien aux forces de bien d’une question de société, qui mérite débat. (Applau- sécurité. Il me semble que tous les membres de cette assem- dissements sur les travées du groupe écologiste.) blée sont unanimes pour défendre les notions de respect et de Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gournac. reconnaissance à l’égard des gendarmes, dans le monde rural, M. Alain Gournac. Au moment où nos policiers et nos mais aussi des policiers nationaux et municipaux. Tous ici gendarmes sont partout, dans les rues, pour nous protéger, respectent ceux qui font face au danger : l’ensemble des forces je voudrais leur rendre hommage. Le plan Vigipirate, de sécurité, à tous les niveaux, les pompiers, et ceux qui maintenu à son niveau le plus élevé, implique des cadences œuvrent à la sécurité des personnes et des biens. de travail absolument incroyables, dont témoignaient Chaque année, nous sommes associés en tant qu’élus à la d’ailleurs ce matin sur les ondes plusieurs représentants des journée d’hommage rendu aux gendarmes, policiers et CRS, notamment. pompiers victimes du devoir. Je ne discute pas du tout, chers collègues du groupe CRC, de la légitimité de débattre de ce sujet ; c’est le propre des La sécurité des personnes et des biens est donc une priorité discussions que nous pouvons avoir dans cet hémicycle. En en tous lieux. Dès lors, si je rejoins les positions exprimées par revanche, je suis en désaccord total avec la position que vous la commission et le Gouvernement, la présente proposition avez exprimée. Moi, j’aime la police ; j’aime la gendarmerie ! de loi a au moins le mérite, selon moi, de nous interpeller sur les problèmes existants en la matière. (M. Alain Gournac Mme Éliane Assassi. Moi aussi ! applaudit.) M. Alain Gournac. Je suis moi-même gendarme ! M. Antoine Lefèvre. Très bien ! Mme Éliane Assassi. Et moi, je voulais être commissaire de Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour police ! explication de vote. M. Alain Gournac. Qu’arrivera-t-il si on ne donne pas aux policiers et aux gendarmes la possibilité de se défendre ? M. Jean Desessard. Je ne voudrais pas abuser du temps Voyez ce qui s’est passé sur les terrains d’un fameux imparti à l’ordre du jour réservé du groupe CRC, mais je ne aéroport, celui dont on ne sait s’il verra le jour ; voyez la peux que réagir à l’intervention d’Alain Gournac, qui a lancé violence, tout à fait phénoménale, de l’attaque – j’ai visionné le thème des amours : il aime les gendarmes, les policiers, les les trois vidéos – dont ont été victimes nos forces de police et pompiers ! de gendarmerie ! M. Alain Gournac. Et alors ? J’assume ! Mme Esther Benbassa. Un jeune homme est mort ! M. Jean Desessard. Moi aussi, j’aime les postiers, les M. Alain Gournac. Certes, il y a eu un accident, ce que je cheminots et les infirmières ! (Sourires sur les travées du regrette vivement. Néanmoins, moi, quand j’aime, je groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.) soutiens. La question ne se pose pas ainsi, cher collègue ! Nous Mme Éliane Assassi. Qui vous a dit que nous ne soute- tenons tous en effet à ce que la police et la gendarmerie nions pas les forces de police ? garantissent notre sécurité. M. Alain Gournac. J’apporte donc mon soutien le plus total M. Alain Gournac. J’ai le droit d’avoir ce point de vue ! à la police et à la gendarmerie ; je leur fais entière confiance. M. Jean Desessard. Oui, et moi j’ai le droit de vous Mme la secrétaire d’État a néanmoins raison de dire que répondre ! des dispositions doivent être prises quand du matériel dange- reux est distribué. Cela, nous en sommes parfaitement Mme Cécile Cukierman. Et nous de ne pas être d’accord ! conscients. Cependant, instaurer un moratoire, dans ce M. Jean Desessard. La vraie question est de savoir si, dans moment si particulier que nous vivons, et quand on certaines circonstances, les forces de l’ordre n’utilisent pas connaît les menaces auxquelles doit faire face notre pays, leur arme au détriment de la sérénité et de la sécurité publi- serait terrible. ques. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5125

Dominique Voynet a donné l’exemple, à ce sujet, d’une M. Alain Fouché. Il fallait la recréer, alors ! grève des lycéens qui s’est déroulée à Montreuil. Un jeune, Mme Cécile Cukierman. Or la police, au travers de ses sorti de son établissement pour aller manifester, et n’ayant représentants, nous interpelle aujourd’hui. Certains de ses rien fait d’autre que de remuer une poubelle, de la déplacer, agents, ceux à qui vous avez déclaré votre amour, monsieur sans attaquer personne donc, a reçu un projectile de Flash- Gournac – soit dit en passant, j’espère que vous ferez de Ball dans l’œil, et l’a ainsi perdu. même quand nous débattrons d’autres catégories de Ce n’est qu’un exemple, me direz-vous, mais on pourrait fonctionnaires ! –, nous font part de leur usure et de leur en citer d’autres. Convenez que, dans ce cas, l’arme a été fatigue, qui ont été amplifiées par la mise en œuvre du plan utilisée de façon manifestement abusive. Il convient donc de Vigipirate. Ils nous font part de leur exaspération à l’égard de se demander pourquoi. Or c’est bien l’ambition de la la politique du chiffre, à laquelle, malheureusement, il n’a pas présente proposition de loi que de nous interpeler sur ce été mis fin, et qui ajoute encore de la pression à leur métier. point : l’arme est-elle toujours utile ? C’est dans ce cadre précis que nous avons déposé la M. Alain Fouché. Oui, elle est utile ! présente proposition de loi ; ce sont aussi les conditions de travail qui poussent à la bavure, au manque de discernement, M. Jean Desessard. En l’espèce, mal utilisée, elle a causé un au manque de recul. L’exemple cité par Jean Desessard n’est dommage grave au lycéen. (Protestations sur les travées de pas isolé ; les personnels de police et de gendarmerie sont en l’UMP.) Dès lors, devait-elle être utilisée ? Comment ? effet amenés à réagir beaucoup plus rapidement qu’il ne le Telles sont les questions qui nous sont posées. faudrait au vu de la situation. M. Alain Bertrand. C’était un accident ! Peut-être l’objectif est-il de satisfaire l’idéal de bien-être M. Jean Desessard. Attention au « tout sécuritaire », mes dont certains rêvent devant le journal télévisé, celui d’une chers collègues ! Il n’est pas réaliste de penser que c’est en société sécuritaire ? Nous vivrions, paraît-il, dans un monde armant toujours plus les forces de l’ordre que nous réglerons où l’insécurité est présente partout. les problèmes de violence et de banditisme. Nous en parlions avec ma collègue Évelyne Didier : chaque M. Alain Fouché. Personne ne dit cela ! vie compte (M. René Danesi opine.), qu’il s’agisse d’un M. Jean Desessard. Le groupe CRC et le groupe écologiste, policier, d’un gendarme ou d’un manifestant, jeune ou qui voteront cette proposition de loi, ont une autre concep- moins jeune ! Une vie détruite est une vie détruite. tion des choses : la sérénité et la sécurité publiques passent M. Alain Fouché. Les policiers aussi perdent la vie ! d’abord par une plus grande justice sociale. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) La tranquillité dans les quartiers ne peut Mme Éliane Assassi. Elle l’a dit ! Il faut écouter ! pas être uniquement le fait de la police : elle vient de la justice Mme Cécile Cukierman. Dans une bavure, il y a deux vies sociale ; elle implique que chacun soit reconnu à sa juste brisées : celle de la victime et celle du policier, qui aura valeur et puisse trouver un emploi. (Applaudissements sur les toujours un mort sur la conscience ! N’opposons donc pas travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Exclamations les uns aux autres ! ironiques sur les travées de l'UMP.) Notre proposition de loi visait à soulever des interrogations M. Jean-Claude Lenoir. Et le problème est réglé ! sur la pertinence et l’efficacité du recours aux armes concer- nées. Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote. Comme nous l’avons indiqué, ces armes ne répondent pas Mme Cécile Cukierman. Je tiens à souligner, à la suite à l’objectif. Leur présence rassure peut-être certains, mais elles d’Éliane Assassi notamment, la qualité du débat que nous sont parfois à l’origine d’événements pour le moins malen- avons eu sur ce texte lors de son examen en commission des contreux ! lois et de la discussion générale, ainsi que le respect ayant Peut-être notre proposition de loi ne sera-t-elle pas prévalu à nos échanges avec M. le rapporteur et les sénateurs adoptée. des différents groupes. Cela tranche nettement avec l’empor- M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En effet ! tement auquel nous assistons depuis quelques instants. Finalement, j’en suis presque rassurée : il suffit de gratter Mme Cécile Cukierman. Mais elle aura au moins eu le un peu pour que, chez certains, le vernis s’écaille. (Protesta- mérite de susciter un débat sur la pertinence et l’efficacité tions sur les travées de l’UMP.) du recours à de telles armes. Je m’associe aux propos de Jean Desessard : si, au cours des Il faudrait également disposer d’éléments, notamment dix dernières années, le Parlement avait autant débattu du statistiques, sur l’utilisation de ces armes, ainsi que sur les bien-être social qu’il l’a fait des problèmes de sécurité, il conséquences sur la population, madame la secrétaire d’État. aurait certainement pris des dispositions allant dans la (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe bonne direction, pour notre pays, d’abord, mais aussi pour écologiste.) la sécurité de tous. Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote. Mme Esther Benbassa. Tout à fait ! M. Alain Fouché. Mes propos seront très modérés. En Mme Cécile Cukierman. La reconnaissance du travail des policiers, personne n’en a le monopole. Il est évident pour France, contrairement à d’autres pays, les policiers et les tout le monde que les policiers sont nécessaires. Au groupe gendarmes sont souvent présentés comme les « méchants » CRC, nous sommes attachés à la présence de la police sur nos dans les médias, qui cherchent régulièrement à les prendre en territoires ; nous sommes attachés à la police de proximité, défaut. Je trouve cette attitude regrettable. qui travaille avec les populations, cette police – vous la Monsieur Jean Desessard, nous sommes tous d'accord sur connaissez, mes chers collègues – qui a été supprimée par la justice sociale ; les Verts n’en ont pas le monopole ! Mais la droite il y a quelques années. vous oubliez de parler des violences que les policiers subissent 5126 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 parfois de la part de manifestants. Lors des manifestations, le M. Martial Bourquin. J’écoute le débat avec attention. Ne préfet donne des consignes de modération aux forces de sombrons pas dans la caricature. Il n’y a pas, d’un côté, les l’ordre, afin d’éviter d’éventuels incidents. Mais les policiers soutiens de la police et, de l’autre, les amis des manifestants. sont quand même bien obligés d’intervenir en cas de Cela ne se passe pas ainsi. violences ! Je suis maire d’une ville de 15 000 habitants. Une politique Un de nos collègues faisait tout à l’heure référence aux solide repose sur le triptyque éducation/prévention/sécurité. risques dans notre pays. Chaque jour, il y a des meurtres à la Quand on néglige l’un de ces trois volets, cela ne fonctionne kalachnikov ! pas ! Par conséquent, nous avons besoin d’une police, certes Les efforts en faveur de la cohésion sociale sont donc bien formée, mais aussi bien armée ! C’est essentiel. (Applau- indispensables. Ne baissons pas la garde ! Les problèmes dissements sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Claude Kern risqueraient de ressurgir avec acuité. Croire que l’on pourra applaudit également.) tout régler seulement avec des réponses sécuritaires, c’est une impasse ! (M. David Rachline s’exclame.) M. Jean-Claude Lenoir. Très bien ! MM. Alain Fouché et François Bonhomme. Personne n’a Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour explication de vote. prôné cela ! M. Martial Bourquin. Pour être efficace, une politique doit M. David Rachline. Je comprends mieux pourquoi le Parti communiste fait moins de 3 % aux élections ! (Exclamations trouver l’équilibre entre éducation, prévention et sécurité. sur les travées du groupe CRC.) En tant que maire, j’observe l’importance des problèmes de Mme Cécile Cukierman. Je signale juste qu’il y a deux sécurité. Certaines nuits, avec les forces de l’ordre, nous sénateurs d’un côté et dix-huit de l’autre ! sommes confrontés à des situations de violence extrêmement aiguë. M. David Rachline. Le Parti communiste est totalement déconnecté des réalités de ce pays ! M. Alain Fouché. À cause de la misère, souvent ! M. Martial Bourquin. L’État de droit doit avoir une police Notre pays traverse des difficultés sans précédent, en capable d’y faire face. matière non seulement économique et sociale, mais aussi sécuritaire ; nous connaissons la situation ! Et c’est ce M. Alain Fouché. Nous sommes d'accord ! moment particulièrement douloureux pour les Français et M. François Bonhomme. Pas de naïveté ! notre République que le Parti communiste choisit pour M. Martial Bourquin. Notre groupe aura donc une position s’attaquer, de manière totalement idéologique, une fois de équilibrée sur cette proposition de loi. plus, aux forces de l’ordre ! Par le passé, il prétendait déjà que nous vivions dans un État policier, sous prétexte que la À nos yeux, l’utilisation de ces nouvelles armes par les justice était sans doute un peu plus dure à l’égard des délin- forces de l’ordre est déjà bien encadrée et réservée à des quants ! circonstances exceptionnelles. J’ai assisté à des situations de violence extrême où la police a dû avoir recours au Flash- Vous allez devoir accepter que certaines personnes soient Ball ; elle est tenue de respecter un règlement extrêmement du côté de la police, et non pas, comme vous, du côté des strict. (M. François Bonhomme opine.) Si des forces de police délinquants ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) doivent parfois se servir de telles armes, c’est parce qu’elles Acceptez que nous soyons favorables à un renforcement sont en difficulté ! des dispositifs permettant de condamner ceux qui contre- viennent à la loi et troublent l’ordre ! L’équilibre consiste à combiner le renforcement de la cohésion sociale et les politiques de prévention et d’éduca- Malheureusement, vous avez pris depuis plusieurs dizaines tion. Mais évitons tout angélisme ! Dans certains quartiers, d’années le chemin inverse, celui qui consiste à défendre les nos forces de l’ordre sont soumises à rude épreuve ! Nous ne délinquants ! Nous voyons aujourd'hui le résultat de cette suivrons donc pas nos collègues dans leur volonté de modifier politique démagogique et laxiste. La délinquance est le code de la sécurité intérieure. endémique. Il y a des quartiers où les Français sont obligés de baisser la tête. Certains de nos concitoyens sont agressés J’ai refusé d’armer la police municipale de ma commune ; seulement parce qu’ils sont Français, blancs et catholiques ! selon moi, cette option n’est pas à l’ordre du jour. Dans les (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) situations extrêmement tendues, je préfère que la police nationale et la gendarmerie viennent en aide à nos policiers Mme Éliane Assassi. Oh là là ! municipaux ! Mme Cécile Cukierman. D’autres sont agressés seulement M. Alain Fouché. Très bien ! parce qu’ils sont homosexuels ou étrangers ! M. Martial Bourquin. Faisons attention à ne pas adresser de M. David Rachline. Il faut le dire ! Je sais bien que ce n’est signaux négatifs aux policiers, qui sont déjà soumis à rude pas le Parti communiste qui va en parler ! (Mme Cécile épreuve ! Veillons à ne pas les démotiver ! Cukierman s’exclame.) Nous ne voterons donc pas la présente proposition de loi. Nous nous faisons les avocats de cette majorité silencieuse, de ces Français qui se taisent et qui doivent subir vos décla- Certains collègues ont fait référence à des incidents liés à rations et vos propositions scandaleuses ! l’utilisation de ces armes. J’y ai moi-même été confronté dans ma ville. De tels événements sont regrettables. Mais il existe À titre personnel, je me félicite du rejet de cette proposi- des recours juridiques – ils sont par exemple mis en place tion de loi ! dans ma commune –, y compris dans les cas d’utilisation Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, abusive de certaines armes. Les procureurs de la République y pour explication de vote. font très attention. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5127

Sachez qu’il est parfois très difficile d’être policier aujour- Même avec une simple matraque en plastique, un accident d'hui. Je suis heureux d’avoir retrouvé des effectifs de police à est toujours possible ! Cela peut toujours arriver, même si la hauteur des besoins dans notre ville et notre aggloméra- personne ne le souhaite sur ces travées. tion, après des années de baisse. Mais soyons vigilants ! Veillons à ne pas mettre en accusation les policiers quand Le risque d’accident est toujours présent lorsque les forces ils font leur travail, parfois dans des conditions très difficiles. de l’ordre font leur travail. À nous de faire en sorte qu’il soit le plus faible possible ! Un État de droit a besoin d’une police, une police formée, qui puisse exercer ses prérogatives et faire son devoir. Quoi qu’il en soit, nous avons fait le tour du débat. Il n’y a (Mme Evelyne Yonnet applaudit.) pas dans l’hémicycle les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. (M. Martial Bourquin opine.) M. Alain Fouché. Très bien ! Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier, J’évoquerai un dernier point. Pour ma part, j’ai été scanda- pour explication de vote. lisé par des images vues à la télévision à l’occasion de manifes- tations récentes visant à défendre, dans un département du M. Michel Forissier. Je suis maire d’une ville de Sud-Ouest, une zone humide. Je suis président d’une fédéra- 32 000 habitants depuis 2001, que j’ai conquise dans le tion départementale agréée de pêche et de pisciculture. Je cadre d’une alternance démocratique. Nous avons travaillé défends donc à ce titre les zones humides. Certes, il est dans la commune, et le taux de délinquance a été ramené de légitime de manifester. Ma fédération de pêche a d’ailleurs 74 pour mille à 45 pour mille. Pour une ville de banlieue, ce intenté 200 procès devant les tribunaux contre des pollueurs n’est pas mal du tout ! de tout crin, y compris d’importantes sociétés de l’industrie Nous avons aussi développé une politique de prévention. chimique. Mais là, il s’agissait uniquement de redoutables Vous le voyez, cher collègue socialiste, il n’y a pas que la casseurs, mélangés avec des gens de bonne foi voulant gauche qui prône la prévention ; tout élu responsable est défendre un dossier qui leur paraissait défendable. Joël convaincu de cette nécessité ! Labbé, également sensible à la problématique « eau, rivière et territoire », comprend de quoi je parle… Je suis en désaccord avec M. Bourquin sur l’armement des polices municipales. Chez nous, la police municipale travaille Tous ces débordements ne sont pas acceptables. Il convient parfois jusqu’à minuit, voire au-delà, et doit mener des donc que les forces de police et de gendarmerie puissent les personnes en garde à vue. Il est donc indispensable qu’elle réprimer avec une grande fermeté. On peut être très républi- soit armée. cain tout en défendant une République de droits et de En réalité, les auteurs de la présente proposition de loi devoirs ! posent mal le problème. La vraie question, ce n’est pas Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2. l’armement des policiers municipaux, c’est l’usage qui est fait des armes ! (L'article 2 n'est pas adopté.) Mme Évelyne Didier. Les deux se recoupent ! Mme la présidente. Mes chers collègues, les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par M. Michel Forissier. L’armement doit être diversifié. Les agents doivent disposer de toutes les armes légales, afin de le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas pouvoir effectuer leur travail dans les meilleures conditions. nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte. Certaines situations sont effectivement très difficiles. En conséquence, la proposition de loi visant à instaurer un Comme cela a été rappelé, nous sommes au plus haut moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de niveau du plan Vigipirate. quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifesta- Le véritable sujet, et je rejoins Mme la secrétaire d’État, tions n’est pas adoptée. c’est bien celui de la formation et de l’entraînement des policiers, ainsi que celui du contrôle qui est fait de l’usage des armes. 5 Aussi, je ne voterai pas la présente proposition de loi. Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand, pour DÉBAT SUR LE RÉTABLISSEMENT DE explication de vote. L’ALLOCATION ÉQUIVALENT RETRAITE M. Alain Bertrand. Le débat a un peu dérapé. La mise en cause de nos amis du groupe CRC n’a pas lieu d’être. Nos Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le collègues agissent selon leur sensibilité, et je n’ai aucun doute rétablissement de l’allocation équivalent retraite, organisé à la quant à leur attachement aux valeurs républicaines. demande du groupe CRC. Mme Éliane Assassi. Merci ! La parole est à M. Dominique Watrin, orateur du groupe auteur de la demande. M. Alain Bertrand. Notre collègue Martial Bourquin a insisté sur la nécessité d’avoir une position équilibrée. M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC. Madame la Je n’ai guère ressenti ce souci dans les propos de Jean présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Desessard lorsqu’il a évoqué le cas d’un individu blessé par le 6 novembre dernier, le Président de la République a un tir de Flash-ball. déclaré refuser « qu’une personne de soixante ans vive avec moins de 500 euros par mois. Pour les seniors qui ont toutes M. Jean Desessard. Qui a perdu un œil ! leurs annuités et qui ont plus de soixante ans il sera mis en M. Alain Bertrand. Mon cher collègue, il n’y a pas, d’un place une allocation leur permettant d’aller jusqu’à la retraite côté, les « salauds » insensibles et, de l’autre, les humanistes dans de bonnes conditions. Pour ceux qui n’ont pas toutes qui se soucient du malheur d’autrui ! leurs cotisations, un contrat aidé ». 5128 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Ces propos tenus devant 8 millions de téléspectateurs nous Alors l’été, pendant la période des récoltes, Florence retrousse avaient alors donné bon espoir que le Gouvernement décide ses manches et trie les grains de maïs à la chaîne huit heures de rétablir l’allocation équivalent retraite, l’AER, supprimée par jour. par Nicolas Sarkozy en 2011. Je suis moi-même saisi dans ma circonscription, le Pas-de- L’allocation équivalent retraite était le minimum social Calais, de situations dramatiques tels ces salariés licenciés en majoré versé aux demandeurs d’emploi ayant la durée février 2013 par la société Meca stamp international à Hénin- requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, mais Beaumont. Une douzaine de personnes ayant travaillé à la n’ayant pas encore l’âge d’ouverture des droits pour la liqui- forge dans des conditions très difficiles, soumises pendant dation de leur retraite. plus de vingt ans au bruit, à la chaleur, à la poussière, aux Or la création en urgence de l’allocation transitoire de travaux répétitifs, aux vibrations, aux postes en 3x8, aux solidarité, l’ATS, et son extension en 2013 par décret n’a postes de nuit, se retrouvent au Secours populaire ou aux pas permis de remplacer le dispositif antérieur. Restos du cœur. Voilà l’avenir que promet la France à des familles qui ont cotisé plus de trente-sept ans ! Cela ne peut En effet, l’ATS est censée bénéficier à tous nos concitoyens plus durer ! nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifiant de 165 trimestres d’assurance. Cette illustration du quotidien de milliers de Françaises et de Français devrait conduire le gouvernement auquel vous Cependant, de nombreuses Françaises et de nombreux appartenez, monsieur le secrétaire d'État, à prendre enfin les Français, nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi décisions nécessaires. au 31 décembre 2010 et justifiant des 165 trimestres néces- saires ont été exclus du dispositif, car les trimestres validés au Alors oui, j’ai bien compris ce que m’a répondu M. le titre du bénéfice de l’allocation de solidarité spécifique ne ministre du travail le 14 octobre 2014 : il renvoyait aussi sont pas pris en compte. cette question à l’amélioration de l’emploi des plus de cinquante ans et à la lutte contre le chômage de longue C’est d’ailleurs un comble puisque ce sont précisément ces durée. Il parlait de cibler les contrats aidés dans le secteur publics en fin de droits qui ont besoin du dispositif et que marchand sur ce public. Il parlait de combattre les discrimi- l’on pénalise par cette règle. Ce constat aurait dû conduire le nations dont sont victimes, dans le maintien à l’emploi, les Gouvernement à une refonte du système pour revenir à salariés au-delà de quarante-cinq ans. Il parlait du dévelop- l’ancienne allocation équivalent retraite ou à tout autre pement des contrats de génération et de l’amélioration de la système produisant les mêmes effets. formation de ces seniors via 100 000 formations prioritaires à Lors d’une question orale sur le sujet le 14 octobre 2014, Pôle emploi. M. le ministre du travail m’avait répondu, en se fondant sur Mais quelle est la réalité aujourd’hui ? un rapport du Gouvernement, qu’il était plus juste et efficace d’étendre davantage l’allocation transitoire de solidarité Les contrats de génération ont toujours du mal à être signés plutôt que de rétablir l’allocation équivalent retraite. malgré le doublement des aides accordées aux entreprises. Ces contrats de génération étaient censés permettre aux Je voudrais signaler que ce rapport dont M. le ministre du entreprises de moins de 300 salariés qui embauchent un travail faisait état dans sa réponse, qui devait être rendu jeune de moins de vingt-six ans en CDI tout en maintenant public, selon lui « dans la semaine », est, sept mois après, un senior de plus de cinquante-sept ans dans l’emploi de toujours introuvable sur le site du ministère et n’a jamais été toucher une aide annuelle de 4 000 euros pendant trois ans. présenté à la commission des affaires sociales du Sénat. Malgré le doublement de l’aide depuis septembre, seuls Le 26 mars 2015, M. le ministre déclarait que pour les 33 000 contrats ont été enregistrés depuis deux ans, loin de années 1954, 1955 et 1956 le Premier ministre annoncerait l’objectif initial de 75 000 contrats signés. « dans les jours à venir » la mise en place de l’extension de Selon une étude récente de la Direction de l’animation de l’ATS. Or, à ce jour, elle ne bénéficie toujours qu’aux la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le chômeurs nés entre 1952 et 1953, et sous les conditions nombre de contrats aidés dans le secteur marchand a certes restrictives que j’ai expliquées. progressé. Mais les contrats uniques d’insertion, qui repré- En attendant, nous sommes en mai 2015 et malgré le sentent la majeure partie des contrats aidés, et qui sont censés million de chômeurs âgés en France, le Gouvernement n’a bénéficier aux plus éloignés de l’emploi, ont reculé de 8,1 % toujours pas décidé de rétablir l’AER, qui leur permettrait de tandis que les signatures d’emploi d’avenir ont, elles, nette- vivre décemment jusqu’à la liquidation de leur pension. Un ment progressé. pays aussi riche que la France, qui sait dégager des dizaines de Quant aux formations assurées par Pôle emploi pour la milliards d’euros pour exonérer de cotisations sociales les reconversion des seniors, il n’en est fait mention dans aucune entreprises, en premier lieu celles du CAC 40, serait-il des communications récentes du Gouvernement. Faut-il en donc incapable d’assurer un revenu décent à ceux qui ont conclure qu’il s’agit d’un renoncement supplémentaire ? créé durant des années cette richesse ? Nous attendons des précisions de votre part, monsieur le Comme nous l’a écrit le collectif AER-ATS « des seniors au secrétaire d'État. Car, enfin, le taux d’emploi des seniors chômage de longue durée et arrivés en fin de droit d’indem- en France était en 2014 de 44,5 %, alors que la moyenne nisations se trouvent en situation de grande précarité avec dans l’OCDE est de 54 %. Ainsi, le nombre d’inscrits à Pôle seulement l’allocation spécifique de solidarité, soit 477 euros emploi de plus de cinquante ans et sans aucune activité a par mois pour se loger, assumer leurs charges et se nourrir ». augmenté de 12,3 % entre décembre 2012 et décembre 2013. C’est le cas, par exemple, de Florence, citée dans le journal l’Humanité du 13 mars 2015, qui percevait 900 euros par Le groupe communiste républicain et citoyen, je le dis très mois d’assurance chômage. Aujourd’hui, la chômeuse doit se solennellement, refuse de laisser les personnes ayant travaillé contenter de 477 euros d’allocation spécifique de solidarité. et cotisé toute leur vie continuer à se retrouver dans une SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5129 situation de grande précarité, contraintes de vivre avec l’allo- économique ». En 2011, il l’a en quelque sorte rétablie de cation de solidarité spécifique ou le revenu de solidarité façon partielle et pour un nombre très limité de bénéficiaires active, dont le montant est, faut-il le rappeler, largement en créant l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS. inférieur au seuil de pauvreté. En 2011, l’AER concernait près de 800 000 seniors. Selon Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales seniors concernés ne réclament pas l’aumône. Ils réclament de l’Assemblée nationale par le député Jean-Patrick Gille, en tout simplement leurs droits, notamment celui du départ à la 2012, le coût annuel de l’AER pour l’État était d’environ retraite anticipé pour carrières longues ou travaux pénibles. 229 millions d’euros, somme qui aurait fortement augmenté si le dispositif était resté ouvert. On voit ici tous les dégâts des lois de réforme des retraites de 2010 et 2013 que les parlementaires communistes ont On ne peut nier qu’il s’agit d’une charge importante pour combattu toutes deux, et qui se traduisent par un report de l’État. En comparaison, l’ATS représentait en 2012 environ l’âge de départ en retraite particulièrement injuste pour ceux 10 millions d’euros. L’État a donc réalisé une économie qui ont travaillé le plus dur. importante. Certes, des dispositifs existent pour les personnes ayant Cependant, cette économie n’a pas été sans incidence pour commencé à travailler avant seize ans et justifiant de de nombreux seniors, comme je le rappelais au début de mon longues carrières. Il y a aussi les départs anticipés en cas intervention, qui se sont trouvés dans une grande précarité. d’inaptitude ou d’invalidité. Dans la fonction publique, Pour la seule année 2010, on estime qu’environ 45 000 des règles particulières s’appliquent. anciens salariés supplémentaires auraient pu bénéficier de l’AER si le dispositif n’avait pas été supprimé. Nous ne Je voudrais tout de même souligner, quant à la pénibilité, pouvons pas laisser ces personnes dans la précarité. Dans les informations qui nous reviennent des salariés. Depuis la ces conditions, le rétablissement de l’AER se pose. mise en place du compte pénibilité, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, n’auraient plus Dès novembre 2012, le Gouvernement, par la voix notam- de textes sur lesquels s’appuyer afin de traiter les retraites ment de Michel Sapin, s’y était opposé, considérant ce dispo- anticipées à soixante ans pour pénibilité. Elles sont ainsi sitif comme une mesure « passive » très coûteuse, ne contraintes de refuser tous les dossiers, prolongeant de favorisant pas un réel retour à l’emploi pour les seniors. deux ans les difficultés des chômeurs seniors. L’objectif du Gouvernement est ainsi de restaurer l’employa- bilité des personnes, notamment des seniors, via la forma- Il y a donc urgence, monsieur le secrétaire d'État, à régler tion, l’accompagnement des projets et la sécurisation des les problèmes dans leur ensemble, à faire en sorte que des parcours professionnels. salariés qui ont tant donné pour leur pays ne soient plus victimes d’une injustice sociale. Un certain nombre de mesures concrètes ont d’ailleurs été prises, parmi lesquelles on peut citer la création de contrats C’est pourquoi le groupe communiste républicain et aidés dans le secteur marchand pour ce type de salariés, la citoyen vous demande de rétablir l’allocation équivalent création de 100 000 formations prioritaires de Pôle emploi retraite ou de nous expliquer quelles mesures vous comptez destinées aux seniors, le doublement en 2015 de la prime de prendre pour arriver au même résultat et, a minima, tenir les contrat de génération en cas d’embauche d’un senior et d’un engagements pris publiquement par le Président de la jeune, incitant au maintien et à l’embauche des seniors. République, et restés à ce jour sans effets. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit La politique du gouvernement actuel en matière de préca- également.) rité des seniors est donc davantage tournée vers la lutte contre le chômage de longue durée et vers un réel retour à l’emploi, Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin. « qui reste le meilleur rempart contre les difficultés financières M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le et la précarité ». Je partage bien évidemment cet objectif. secrétaire d’État, mes chers collègues, la suppression de l’allo- cation équivalent retraite, ou AER, survenue le 1er janvier Toujours d’après le rapport de Jean-Patrick Gille, le 2011 a engendré une grande précarité pour de nombreux rétablissement de l’AER serait estimé à 500 millions seniors, épargnant seulement ceux dont les droits à cette d’euros par an. Il est clair que nous ne pouvons pas allocation avaient été ouverts avant cette date. prévoir de telles dépenses en période de restrictions budgé- taires, à moins qu’elles ne soient directement tournées vers la Revenons aux racines de l’histoire : pourquoi l’AER a-t-elle création d’emplois. Néanmoins, nous devons agir pour nos été créée ? Mise en œuvre en 2002, elle visait initialement à seniors au chômage, le temps que les dispositifs mis en place rétablir davantage de justice sociale pour les seniors ayant par le Gouvernement fassent leurs preuves et qu’ils provo- cotisé suffisamment de trimestres pour toucher leur pension quent un réel regain d’employabilité. de retraite mais n’ayant pas acquis l’âge minimum pour y avoir droit, se trouvant ainsi dans une situation de grande Le 11 mars dernier, l’allocation transitoire de solidarité a précarité. été étendue aux demandeurs d’emplois nés en 1954, en 1955 et en 1956 n’ayant pas atteint l’âge légal de départ à la retraite Cette allocation permettait de pallier les injustices en mais justifiant des trimestres requis ; concrètement, cela matière d’emploi des seniors, souvent considérés à tort signifie que les personnes âgées de 58 ans ou plus susceptibles comme des « poids » et non comme de réels atouts par les de bénéficier d’une retraite à taux plein peuvent percevoir entreprises, les rendant ainsi davantage exposés aux licencie- cette aide. ments économiques et aux ruptures conventionnelles. Cette situation me semble loin d’être inacceptable. Bien Souhaitant supprimer l’AER dès 2009, Nicolas Sarkozy entendu, on peut encore assouplir les critères, afin qu’un avait été contraint de la reconduire exceptionnellement en nombre plus important de citoyens de plus de 55 ans 2009 et en 2010 en raison de la « détérioration du contexte puissent bénéficier de ces mesures. 5130 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Si je suis contre le fait de prévoir structurellement une ce bond à l’impulsion des politiques gouvernementales allocation pour pallier le défaut d’employabilité des seniors, successives en faveur du maintien et du retour à l’emploi il m’apparaît indispensable de la maintenir en période de des seniors. conjoncture économique difficile ; aussi l’ATS est-elle à mon sens un outil en adéquation avec la situation et doit Pour autant, les seniors en fin d’indemnisation au régime être renouvelée tant que la situation du marché de l’emploi d’assurance chômage et ne pouvant liquider leurs droits à la ne sera pas meilleure. retraite n’ont pas été totalement oubliés. Afin qu’ils ne soient pas piégés par la suppression de l’AER et la réforme des M. Alain Néri. Très bien ! retraites, un décret du 3 novembre 2011 a institué à titre M. François Fortassin. J’ajoute que c’est un honneur pour exceptionnel une allocation transitoire de solidarité pour nous, gens de gauche, de ne pas laisser trop de nos conci- certains demandeurs d’emploi. Il s’agissait de prendre en toyens au bord du chemin. Nous devons faire en sorte que la compte la situation des personnes immédiatement affectées solidarité sociale s’exerce dans notre pays. (Applaudissements par la réforme des retraites et licenciées avant le 31 décembre sur les travées du groupe socialiste.) 2010 et qui, ayant validé le nombre de trimestres nécessaires, pensaient pouvoir percevoir l’AER entre la date d’expiration Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. de leurs droits à l’assurance chômage et celle de leur départ à M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le la retraite parce que le dispositif existait lors de la rupture de secrétaire d’État, mes chers collègues, le chômage des 50 ans leur contrat de travail. et plus affecte plus de 800 000 personnes dans notre pays. Selon les derniers chiffres de Pôle emploi, il est, avec le Même s’il a été assoupli par le gouvernement auquel vous chômage des jeunes, celui qui a le plus augmenté sur la appartenez, monsieur le secrétaire d’État,… dernière période : 8,6 % par rapport à mars 2014. M. Alain Néri. C’était une bonne chose ! Les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans mettent en M. Jean-Marc Gabouty. … ce dispositif est plus restrictif moyenne deux fois plus de temps à retrouver un emploi que que ne l’était l’AER. Par exemple, les trimestres d’allocation les 25-49 ans. Notons qu’ils sont dans des situations diffé- de solidarité spécifique ne sont pas comptabilisés comme des rentes en termes de nature d’emplois, de niveaux de compé- trimestres cotisés pour pouvoir bénéficier de l’ATS, alors tences et de conditions salariales. Les plus de 50 ans sont les qu’ils l’étaient pour l’AER. principales victimes de la conjoncture économique et du chômage de longue durée, et beaucoup voient leur situation La question qui se pose est de savoir combien de chômeurs se dégrader lorsqu’ils arrivent en fin de droits. C’est ce ont été concernés par ce resserrement des critères de l’ATS constat qui avait conduit à la création, en 2002, de l’alloca- comparativement à ceux de l’AER. Le Gouvernement a remis tion équivalent retraite, ou AER, dont nous débattons ce jour au Parlement, en octobre 2014, un rapport faisant état des le rétablissement éventuel. personnes exclues du bénéfice de l’ATS en 2013. Ainsi, Pour mémoire, l’allocation équivalent retraite assurait un environ 25 % des 11 232 demandeurs d’ATS ont été revenu minimum aux demandeurs d’emploi de plus de exclus du dispositif au motif qu’ils ne remplissaient pas la 55 ans ayant commencé tôt leur carrière professionnelle. condition de ressources ou la condition de trimestres néces- Versée sous conditions de ressources, elle bénéficiait aux saires. Plus spécifiquement, le nombre de personnes qui demandeurs d’emploi ayant validé l’ensemble des trimestres auraient pu potentiellement bénéficier de l’ATS en 2013 si requis au titre de l’assurance vieillesse, sans toutefois pouvoir leurs trimestres d’ASS avaient été pris en compte approche le liquider leur pension de retraite faute d’avoir atteint l’âge millier. Même si on double ce chiffre avec l’adjonction légal de départ en retraite. Elle pouvait être versée aux alloca- d’autres critères, le chiffre global demeure modeste. taires du régime d’assurance chômage percevant une alloca- tion d’un montant modeste ; le plafond de ressources pour Dans le cadre d’une politique de l’emploi pour les seniors, prétendre à l’AER était plus élevé que celui de l’allocation de un tel dispositif de perfusion se trouve il est vrai un peu solidarité spécifique, l’ASS, et la plupart des bénéficiaires de décalé et parfois peu valorisant pour les personnes concernées l’AER n’étaient pas astreints à une recherche active d’emploi. en termes de transmission d’expérience ou tout simplement de dignité. Il convient néanmoins de tenir compte du Cette allocation équivalent retraite a été mise en extinction contexte économique et de la situation de l’emploi à court à partir de la loi de finances pour 2008 et a totalement et à moyen terme, qui diminue fortement les chances de disparu le 1er janvier 2011. certains seniors de retrouver un emploi dans des conditions acceptables, comme l’illustre d’ailleurs, pour coller à l’actua- M. Alain Néri. Sous quelle majorité ? lité, le film de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, La Loi M. Jean-Marc Gabouty. À l’époque, compte tenu d’un du marché, présenté hier soir au Festival de Cannes. contexte économique différent, notre groupe avait accepté cette suppression. En effet, le dispositif de l’AER ne semblait Il faut, pour cette raison, écarter l’analyse de l’ex-ministre ni pertinent ni cohérent avec les politiques menées en faveur du travail Michel Sapin, qui déclarait en octobre 2012 : « La de l’emploi des personnes âgées de 50 ans et plus. situation est effroyable pour un certain nombre de personnes qui tombent dans la trappe ». Il ajoutait cependant : « mettre Aujourd’hui, le taux d’emploi des 55-64 ans est en passe 800 millions, 900 millions, 1 milliard d’euros dans des dispo- d’atteindre 50 %, remplissant les objectifs du plan national sitifs de cette nature qui sont, comme on dit dans le jargon, d’action concerté pour l’emploi des seniors de 2006. Ce taux "passifs" par rapport à des dispositifs d’encouragement à d’emploi a en effet progressé de plus de 15 points entre 2000 l’emploi "actifs", il y a quelque chose d’un peu rageant du et 2013, de manière continue et supérieure à l’ensemble des point de vue de l’action gouvernementale ». Et le ministre de autres catégories de demandeurs d’emploi. Un rapport du renvoyer le sujet à la concertation prévue en 2013 sur les Gouvernement remis au Parlement en octobre 2014 attribue retraites. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5131

Dans un article du 7 novembre 2014, il était mentionné Ce ne serait là qu’une injustice, voire une double peine. que le Président de la République avait déclaré la veille, dans Signe de votre impuissance en matière d’emploi, vous avez une émission sur TF1 : « J’ai décidé pour les personnes qui alors fait le choix, en 2013, d’étendre le dispositif de l’allo- ont toutes leurs annuités, qui ont plus de 60 ans, et qui ne cation transitoire de solidarité destinée aux demandeurs trouveront plus d’emploi jusqu’à 62 ans [...] pour ces d’emploi nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953. personnes, on pourra avoir cette prestation » afin de « les conduire à la retraite ». Tout le monde se souvient que, en novembre dernier, devant les caméras, le Président de la République avait S’agit-il d’un retour partiel à l’AER ? Si telle est l’intention annoncé une nouvelle extension de l’ATS. Le ministre du du Président de la République et du Gouvernement, travail, M. François Rebsamen, avait même précisé le lende- pourriez-vous nous communiquer, monsieur le secrétaire main qu’elle concernerait les générations nées en 1954, 1955 d’État, des éléments sur les conditions d’éligibilité à ce dispo- et 1956. sitif en projet, son coût et les modalités de son financement ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.) Depuis, il ne s’est rien passé, si ce n’est une indiscrétion de RTL laissant entendre, à la fin du mois de mars, que cette Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micou- leau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) promesse n’était pas, comme tant d’autres, définitivement tombée dans l’oubli... J’aimerais tellement le croire, Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, monsieur monsieur le secrétaire d'État, oui, tellement le croire, tant le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un monde idéal il me semble essentiel de ne pas oublier les potentiels bénéfi- ou tout du moins dans une France sur la voie du redresse- ciaires de cette disposition, qui sont, encore et toujours, ment, ce débat, à l’initiative de nos collègues du groupe aujourd'hui dans l’attente ! CRC, sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite n’aurait aucune raison d’être. Ces personnes ont, durant toute leur vie, contribué au développement économique de notre pays ; aujourd'hui, Car, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d’une allocation faute de mieux, faute d’un emploi pérenne, elles doivent créée en 2002 et attribuée aux demandeurs d’emploi en fin pouvoir bénéficier d’un traitement leur permettant de vivre de droits justifiant de tous leurs trimestres de cotisation décemment en attendant leur retraite. retraite, mais n’ayant pas atteint l’âge légal de cessation M. Alain Néri. Il ne fallait pas que Sarkozy supprime le d’activité. Autrement dit, nous parlons d’un mécanisme de dispositif ! protection sociale venant pallier le difficile, ou plutôt l’impossible retour à l’emploi des plus de 50 ans dans M. Jackie Pierre. Et après ? notre pays. Mme Brigitte Micouleau. Élue à Toulouse et étant chargée Finalement, poser de nouveau la question de l’allocation des seniors, je suis confrontée à des situations difficiles, équivalent retraite, c’est une nouvelle fois reconnaître l’échec souvent même catastrophiques. Monsieur le secrétaire de notre société et de nos politiques dans la lutte contre le d'État, nous ne pouvons pas laisser les seniors sur le bord chômage des seniors. de la route : ils comptent sur vous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) M. . C’est une certitude ! Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin. Mme Brigitte Micouleau. Les chiffres sont accablants ! À la (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) fin du mois dernier, le nombre des plus de 50 ans en quête M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le d’un emploi avait progressé de 8,6 % en un an. Une augmen- secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis malheureuse- tation, hélas, dans la lignée des 70 % de hausse les quatre ment un habitué des débats concernant l’allocation équiva- années précédentes ! lent retraite. J’ai en mémoire cette fameuse soirée où le Sénat M. Alain Néri. Et avant ? avait voté, à la quasi-unanimité, le rétablissement de cette Mme Brigitte Micouleau. Certes, l’allongement de la durée allocation. d’activité, indispensable, je vous le rappelle, pour préserver Depuis sept ans, depuis la suppression de l’AER par le notre système de retraite par répartition, n’a pas été sans gouvernement Fillon, des dizaines de milliers de salariés conséquence sur cette envolée, mais il ne suffit pas à – dont des femmes –, qui avaient parfois eu des emplois masquer la principale caractéristique du chômage des extrêmement pénibles dans le secteur industriel et qui dispo- seniors : celui d’être un chômage de longue durée. saient de toutes leurs annuités de cotisations pour partir à la Ainsi, quand une entreprise ferme, nous savons très bien retraite, sont devenus sans statut, sans revenus et ont été que les salariés âgés de plus de 55 ans n’ont, aujourd’hui, plongés dans la misère et la précarité la plus absolue. quasiment aucune chance de retrouver un emploi. M. Alain Néri. C'est bien de le rappeler ! Qu’avez-vous proposé ? Les contrats de génération, dont M. Martial Bourquin. Effectivement, et je voudrais rappeler on connaît le triste bilan, en matière tant de création comment ces personnes ont quitté leurs entreprises. Des d’emplois pour les jeunes que de maintien dans l’emploi compressions d’emplois avaient été décidées, et on a alors ou de recrutement pour les seniors. En réalité, le dispositif dit à ces salariés qui étaient à quelques années de la retraite est trop complexe à mettre en œuvre, et les 20 000 emplois qu’ils pouvaient partir car ils toucheraient l’allocation équiva- conclus avec des jeunes, au lieu des 75 000 prévus, ont lent retraite. Ils ont même quelquefois quitté leur emploi avec surtout répondu à des effets d’aubaine. un document de Pôle emploi – avant, c'était l’ANPE – leur assurant qu’ils bénéficieraient de cette allocation. Et, tout Si notre société est incapable de permettre à ses jeunes d’un coup, le gouvernement Fillon supprime l’AER de seniors, comme le souhaitent d’ailleurs la plupart d’entre façon arbitraire ! eux, de retravailler, elle ne peut pas, en plus, les priver d’un revenu décent lorsqu’ils n’ont plus le droit à l’allocation M. Alain Néri. C'est une trahison sociale ! d’aide au retour à l’emploi. M. Alain Gournac. Pourquoi n’avez-vous pas rétabli l’AER ? 5132 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

M. Alain Néri. Il valait mieux ne pas la supprimer ! Je vous en livre ici certaines. Nous avons tout d’abord M. Alain Gournac. Pourquoi ne l’avez-vous pas rétablie ? plaidé en faveur de l’instauration d’une nouvelle prestation C’est dingue ! seniors. En effet, les carrières longues vont malheureusement disparaître au fil des années. La question aujourd’hui est donc M. Martial Bourquin. Dans quelle situation sommes-nous non plus de garder l’AER ou l’ATR, mais d’avoir une presta- aujourd’hui ? L’AER avait été instituée par un amendement tion nouvelle pour une situation nouvelle. socialiste à l’Assemblée nationale en 2001, supprimée en 2008, prolongée pendant une année, et remplacée par l’allo- Nous avons bien évidemment manifesté notre volonté que cation spécifique de solidarité, puis par l’allocation de transi- la prestation proposée soit d’un montant décent ou qu’elle tion de solidarité. puisse être cumulée avec d’autres allocations. Le Président de la République l’avait lui-même dit lors de l’émission télévisée, Un autre événement est intervenu : l’âge de la retraite a été « Je ne peux pas accepter qu’une personne de 60 ans vive avec reporté de deux ans, soit 62 ans, sans que la situation de ces 500 euros par mois. » C’est peut-être l’objectif de certains, personnes ait été prise en compte. mais ce n’est pas le nôtre. Nous avons proposé une prestation M. Jackie Pierre. Cela fait trois ans que vous êtes là ! médiane entre l’ASS et l’AER, dont le montant devrait être à peu près celui du minimum vieillesse, soit avec le cumul des M. Alain Néri. Vous avez été au pouvoir pendant dix ans ! autres prestations. M. Jackie Pierre. Trois ans : rien ! Par ailleurs, nous avons veillé à ce que la prestation seniors Mme la présidente. Poursuivez, mon cher collègue. n’oppose pas les allocataires potentiels entre eux. Nous M. Martial Bourquin. Il y a des vérités qui ne sont pas faciles sommes pour la rétroactivité aux allocataires nés en 1954 à entendre, et pourtant il faut bien les entendre ! et la prise en charge des allocataires nés en 1956 également. M. Jackie Pierre. Il y a trois ans que vous êtes là : vous Nous sommes aussi favorables à ce que les cotisations à n’avez rien fait ! l’ASS soient prises en compte – c'est une question très M. Martial Bourquin. Vous avez supprimé cette allocation, importante – dans le calcul des droits à la retraite. et c'est le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, notre Pour bien connaître le monde de l’entreprise – j’ai été majorité, qui a rétabli l’allocation équivalent retraite sous la syndicaliste dans une entreprise pendant de longues forme de l’ATS. Il faut le dire ! années –, je sais que ces personnes ont beaucoup travaillé M. Alain Néri. Eh oui ! et ont beaucoup donné à notre pays, à notre économie. Un jour, on leur a demandé de partir pour que des salariés plus M. Martial Bourquin. Cela a déjà été rappelé à plusieurs jeunes ne soient pas touchés par des suppressions d’emplois. reprises, les personnes de plus de 60 ans disposant de leurs Lorsqu’elles ont accepté, elles avaient la garantie non seule- annuités ne trouvent pas de travail. Aujourd’hui, dans ment qu’elles toucheraient l’allocation équivalent retraite, l’économie telle qu’elle fonctionne, lorsque l’on a 55, 57 mais aussi que les cotisations à l’AER, et ensuite à l’ASS, ou 58 ans et que l’on vit dans des bassins d’emploi défavo- seraient comptabilisées dans le calcul de leurs droits à la risés, trouver un emploi est une gageure, un exercice quasi retraite. impossible. Alors qu’elles avaient souvent beaucoup travaillé, eu des carrières longues, ces personnes se sont retrouvées dans Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un phénomène une situation de grande pauvreté. particulier, celui de la multiplication du nombre de retraités pauvres. Ces personnes sont parfois obligées d’aller aux Par un amendement voté en 2013, nous avons trouvé les Restos du cœur parce que leur retraite n’est pas suffisante, ressources nécessaires – il le fallait bien ! –, en créant une taxe en raison de maladies ou d’interruptions importantes dans sur l’hôtellerie de luxe, afin de l’affecter à ces allocataires leur parcours professionnel. (M. Alain Néri opine.) potentiels. Monsieur le secrétaire d'État, il est important que nous Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a rétabli l’AER ayons une discussion sur ces questions. Nous devons faire en sous la forme de l’ATS par un décret. Restent aujourd’hui sorte que l’ASS soit prise en compte pour le calcul des droits à environ 38 000 personnes, nées en 1954, 1955 et 1956, qui la retraite. Cela n’avait pas été prévu dans le décret de 2013. se trouvent toujours dans un triangle des Bermudes juridique Or il est très difficile d’avoir des retraites décentes avec des et social : elles ne sont pas bénéficiaires de l’ATS et attendent parcours hachés. un dispositif qui leur soit spécifique. Nous souhaitons également que soit éclaircie la situation Cela a été rappelé par les orateurs précédents, le des personnes dont la fin de l’indemnisation est intervenue 6 novembre dernier, le Président de la République a pris avant le 31 décembre 2012. un engagement fort dans cette direction. Il a annoncé la création d’une prestation destinée « aux personnes qui ont Dernier point, et non des moindres, je veux évoquer l’art et droit à leur retraite, pour aller jusqu’à la retraite ». Le Prési- la manière. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, il dent de la République tiendra cet engagement. Comme nos s’agit d’assurer – c’est une grande décision – un revenu à près collègues du groupe CRC, nous aimerions accélérer le tempo de 38 000 personnes et de leur redonner un statut social. tant l’urgence sociale est grande. Ces 38 000 personnes ne sont actuellement ni véritable- Avec des collègues sénateurs, comme Alain Néri, ou ancien ment demandeurs d’emploi ni pleinement retraités. Vous le sénateur, Ronan Kerdraon, et des députés – Christine Pires savez très bien, dans notre société, quand on est dans le ni-ni, Beaune, Christophe Sirugue, Christophe Castaner, Michel on est souvent dans le rien ! Elles subissent une situation Issindou, Frédéric Barbier et Olivier Faure –, nous nous intolérable. Pour avoir rencontré, depuis plusieurs années, sommes rendus à plusieurs reprises à Matignon non seule- les représentants des comités AER, qui ont été évoqués précé- ment pour manifester notre souci de voir ce dossier avancer, demment, je peux vous dire qu’ils ont l’impression d’avoir été mais également pour faire des propositions. injustement frappés, abandonnés et humiliés. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5133

M. Alain Néri. Il faut leur rendre leur dignité ! Cette mesure partait d’un constat : le système d’assurance M. Martial Bourquin. Comme le disait très justement Jean- chômage ne protège pas suffisamment les personnes âgées, Paul Delevoye, le président du Conseil économique, social et dont le retour à l’emploi est difficile. Il est donc nécessaire de environnemental, « Quand c’est la révolte des affamés ou des mettre en place un soutien plus important en leur faveur. humiliés, […] c’est beaucoup plus violent et imprévisible En effet, plus les demandeurs d’emploi sont âgés, plus il parce qu’elle n’est portée par aucune espérance ». L’interven- leur est difficile de trouver un emploi. L’âge est, de loin, le tion du Président de la République leur a redonné de l’espoir. premier critère de discrimination à l’embauche et les plus de À ce titre, je propose, avec mes collègues, que les nouveaux 50 ans représentent 31,6 % des chômeurs de longue durée. prestataires seniors ne soient plus comptabilisés comme des Dès lors, la logique assurantielle pure du chômage ne suffit chômeurs. (M. Alain Néri opine.) Il faut sortir de l’hypocrisie. plus pour ces personnes, puisqu’elles sont insuffisamment Ils ne retrouveront plus de travail, car ils sont dans cette indemnisées. situation depuis des années. La solidarité nationale doit entrer en jeu pour garantir un De la même manière, il me paraît tout aussi nécessaire de minimum de ressources. C’est précisément ce que permettait leur proposer de dispenser leur savoir-faire auprès des plus l’allocation équivalent retraite. Cependant, lors de l’examen jeunes par des dispositifs de tuilage, qui peuvent permettre à de la loi de finances pour 2008, le gouvernement de l’époque des entreprises de bénéficier de l’accompagnement de ces a fait voter la suppression de ce dispositif dont le coût, seniors. 500 millions d’euros par an, était jugé trop élevé. Je crois enfin indispensable que des agents de l’État, Face à la dureté de la crise économique et à son impact sur dûment mandatés, interviennent directement pour aider le marché de l’emploi, le gouvernement a choisi toutefois de certaines personnes à régler leurs problèmes de banque ou prolonger le versement de cette allocation, à titre excep- de crédits, qui les conduisent parfois devant des commissions tionnel, en 2009, puis en 2010, avant de la supprimer défini- er de surendettement. tivement le 1 janvier 2011. Pour atténuer les effets sociaux de cette suppression, l’AER Monsieur le secrétaire d'État, nous avons un devoir de er clarté et de précision sur cette question. Nous avons des a été remplacée depuis le 1 juillet 2011 par l’allocation leçons à tirer de l’application du décret du 4 mars 2013. transitoire de solidarité, ou ATS. Celle-ci vise uniquement L’imprécision de ce texte avait conduit à des interprétations les ayants droit de l’AER avant sa suppression, c’est-à-dire les différentes selon les agences de Pôle emploi. personnes nées en 1952 et 1953, afin de limiter les consé- quences sur leurs ressources. Il faut faire en sorte d’éviter que ne se reproduise une telle situation, en diffusant rapidement des instructions nationales Disons-le clairement, ce statu quo n’est pas satisfaisant. Il claires et dénuées d’ambiguïté, de sorte qu’elles ne donnent induit une discrimination fondée uniquement sur l’année de pas lieu à interprétation. naissance entre les ayants droit de l’ATS et les autres, ces derniers devant se contenter de l’assurance chômage et de ses M. Alain Néri. Très bien ! carences. M. Martial Bourquin. De la même manière, je demande que Comme beaucoup ici, j’ai noté que le Président de la dès la publication du décret, un document très simple soit République, lors d’une interview télévisée du adressé aux personnes concernées afin de leur fournir des 6 novembre 2014, a reconnu qu’il fallait agir dans ce informations pratiques répondant précisément aux questions domaine et a annoncé le retour d’une allocation pour les qu’elles se posent : qui sera éligible ? Quelles seront les pièces chômeurs ayant suffisamment cotisé mais n’ayant pas à fournir ? Qui sera leur interlocuteur ? Quel montant encore atteint l’âge légal de départ à la retraite. toucheront-elles ? Quand ? Quelles en seront les consé- quences fiscales ? Y aura-t-il des cas dérogatoires ? L’ASS Les écologistes profitent donc de ce débat pour affirmer sera-t-elle prise en considération ? Quelles dispositions leur soutien à cette proposition et pour appeler à sa mise en couvriront le cas des frontaliers ? œuvre rapide afin de soutenir les chômeurs seniors. J’estime, en outre, que si nous voyons enfin le bout du Néanmoins, même sous sa forme initiale, l’allocation tunnel sur ce sujet, un courrier personnalisé d’accompagne- équivalent retraite n’est pas exempte de défauts. Le fait que ment d’un ministre, voire du chef du Gouvernement, consti- tous les revenus de la personne au-dessus de 631,62 euros par tuerait un beau geste afin de remercier ces travailleurs pour mois soient déduits de l’allocation peut freiner la recherche tout ce qu’ils ont donné à l’économie, à notre pays ; pour leur d’emploi. La prise en compte de la situation du conjoint est dire que nous rétablissons leurs droits, et qu’ils sortiront de la également problématique et renforce la dépendance finan- précarité et de la pauvreté ; en quelque sorte, pour leur cière des personnes envers leur conjoint. Enfin, la concen- annoncer que nous leur redonnons une dignité. (Applaudis- tration de l’aide financière sur les seules personnes âgées sements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le occulte la situation des autres chômeurs de longue durée, Scouarnec applaudit également.) qui ont, eux aussi, besoin de solutions nouvelles et pérennes. M. Alain Néri. ... et l’espoir ! Voilà pourquoi je profite de ce débat pour défendre, de Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard. façon plus globale, le revenu de base, universel, incondi- tionnel et individualisé permettant de donner les ressources M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le financières suffisantes à tous les citoyens pour vivre digne- secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation équivalent ment, quelle que soit leur situation. retraite, ou AER, instaurée par le gouvernement de Lionel Jospin en avril 2002, garantissait un minimum de ressources Plutôt que de morceler les soutiens, de saupoudrer les aides aux demandeurs d’emploi n’ayant pas atteint l’âge de la et de catégoriser les publics visés, il est temps, au contraire, retraite mais justifiant des trimestres requis pour bénéficier d’adopter une démarche universelle de solidarité en unifiant d’une retraite à taux plein. tous les minima sociaux et les aides d’État. 5134 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Les écologistes, mais aussi d’autres formations politiques de Cet élément avait d’ailleurs été pris en compte dans le calcul gauche comme de droite, des chercheurs, des universitaires, de leur indemnité de départ. Or la suppression de l’AER et le des économistes, demandent la mise en place de ce revenu report de l’âge légal de départ à la retraite leur a infligé une universel, comme en témoigne un colloque organisé hier au double peine, les contraignant à vivre plusieurs mois avec les Sénat et qui a connu une certaine affluence. minima sociaux pour seuls revenus. Un tel dispositif offrira aussi une plus grande clarté et une L’urgence sociale a conduit le gouvernement Fillon, et son simplicité de gestion incomparable pour les services publics. ministre du travail, M. Xavier Bertrand, à introduire, six mois Plus besoin d’autant de moyens humains et techniques pour après la suppression de l’AER, l’allocation transitoire de traiter les demandes, vérifier les dossiers et rechercher les solidarité, l’ATS. Or cette allocation est beaucoup plus fraudes : le versement sera automatique. restrictive : elle ne s’adresse qu’aux salariés privés d’emploi Ainsi, le revenu de base se définit comme un droit inalié- de plus de 60 ans, soit quelque 11 000 personnes, au lieu de nable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, près de 50 000. Pour les autres, le gouvernement d’alors ne distribué par une communauté politique à tous ses proposait que la plongée dans la précarité, ou un hypothé- membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, tique retour à l’emploi, sans lendemain. sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont Trop restrictive, et entraînant des situations d’urgence le montant et le financement sont ajustés démocratiquement. sociale préoccupantes, l’ATS a été revue par le gouverne- Pour autant, dans l’attente d’une mise en œuvre de ce ment Ayrault dès janvier 2013, et élargie aux seniors nés revenu de base, les écologistes sont favorables au rétablisse- en 1952 et en 1953. ment de l’allocation équivalent retraite et remercient le groupe CRC d’avoir attiré, par ce débat, l’attention du Si le décret de mars 2013 constitue une avancée, le dispo- Sénat sur cette question. sitif continue d’exclure les seniors nés entre 1953 et 1957. Ainsi, au lieu de réintroduire l’allocation équivalent retraite Et puisque nous sommes tous d’accord (Sourires.), nous dans sa forme antérieure, le gouvernement a préféré attendons avec impatience, monsieur le secrétaire d’État, non aménager le dispositif créé par la majorité précédente et pas un accord sur le principe, mais les modalités de mise en fortement critiqué, à l’époque, par le parti socialiste. œuvre de cette mesure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.) En novembre 2014, le Président de la République et son ministre du travail ont finalement annoncé que l’ATS serait Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le élargie aux personnes nées en 1954, 1955 et 1956, soit entre Scouarnec. 10 000 et 30 000 bénéficiaires. A été évoquée alors l’idée de M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur mettre en place une allocation spécifique aux chômeurs le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation équiva- seniors, dont les contours seraient précisés par décret d’ici lent retraite, dont mon groupe a demandé que nous débat- au mois de février 2015, date qui me semble maintenant tions aujourd’hui, est un dispositif qui a été créé en 2002 par dépassée. Or, depuis cette annonce, sauf erreur de notre part, le gouvernement Jospin. aucun décret n’a malheureusement été publié. M. Alain Néri. C’est bien de le rappeler ! Nous restons dans l’attente de précision sur le périmètre M. Michel Le Scouarnec. Son objectif était alors simple : retenu, ou encore sur le montant de l’allocation qui sera garantir aux seniors au chômage un niveau de vie décent à versée. De même, nous ne savons pas si cette mesure est partir du moment où ils arrivaient en fin de droits et le appelée à être pérenne ou si le décret précisera les années moment où ils pouvaient bénéficier de leur pension de de naissance des allocataires, comme cela a été le cas pour le retraite. L’AER s’établissait autour de 1 000 euros par décret pris en 2013. mois. Or, lors du vote du projet de loi de finances pour 2008, la nouvelle majorité a choisi de supprimer ce dispositif. Ces questions ont leur importance. Depuis 2008, le taux de chômage des seniors n’a cessé d’augmenter, passant de Toutefois, au vu de la crise économique et sociale que 4 % en 2008 à 7 % en 2014. Ainsi, la mise en place d’une connaissait alors le pays, l’AER a été maintenue en 2009 er mesure dynamique, et non pas d’un simple correctif de et 2010, avant d’être définitivement supprimée le 1 l’AER, paraît nécessaire. janvier 2011. Depuis cette date, nous n’avons cessé, avec nos collègues D’autant plus, lorsque l’on sait que le coût du rétablisse- socialistes d’ailleurs, d’interpeller le gouvernement par des ment d’une allocation pour les chômeurs seniors serait de courriers ou des questions écrites, afin de permettre sa restau- l’ordre de 100 millions à 200 millions d’euros par an. C’est ration. Nous avons même déposé une proposition de loi très peu, comparé aux milliards d’euros d’exonérations accor- visant à rétablir l’AER dans sa forme antérieure à 2011. dées aux entreprises au titre du crédit d’impôt pour la compé- titivité et pour l’emploi – CICE – ou du pacte de En effet, la suppression de cette allocation, qui bénéficiait à responsabilité ! environ 50 000 personnes, a engendré de graves consé- quences sur le plan social. Des personnes ayant cotisé toute C’est également une somme faible au regard de l’enjeu, qui leur vie se sont ainsi retrouvées à vivre, ou plutôt à survivre, est important : il s’agit de ne pas laisser sombrer dans la avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, de l’ordre de pauvreté et la précarité des personnes qui ont travaillé 500 euros, par exemple, pour les bénéficiaires de l’allocation toute leur vie, souvent depuis leur plus jeune âge. de solidarité spécifique, l’ASS. Il s’agit, tandis que leur entreprise les a remerciés après des Elles ont en outre été victimes d’une réelle injustice. années de bons et loyaux services, de faire vivre la solidarité Certaines d’entre elles avaient en effet accepté un départ dans notre société. Il ne s’agit pas de garantir un revenu de volontaire dans le cadre d’un plan social, avec la garantie survie, de subsistance ou d’aumône, mais bien de reconnaître du maintien de leur revenu jusqu’à la retraite grâce à l’AER. la contribution de ces personnes à notre économie nationale, SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5135 pendant, souvent, près de quarante ans. Il s’agit tout simple- ment a rétabli partiellement cette allocation, avec l’allocation ment de leur garantir un niveau de vie digne, et mérité, transitoire de solidarité, l’ATS, et il envisage son extension, preuve de notre attachement à la justice. qui pèserait encore sur le budget. L’allocation équivalent retraite a été créée par un gouver- À mon sens, on se trompe d’objectif : notre débat porte ici nement de gauche, pour répondre à un devoir de solidarité sur la forme du problème alors que nous devrions en traiter le avec les plus faibles. Ensemble, nous avions ensuite combattu fond. Oui, nous devons faire face à un problème spécifique, pour son maintien. Nous attendons avec impatience et insis- puisque la durée moyenne du chômage s’élève pour les tance que cette allocation soit rétablie par votre gouverne- seniors à 459 jours, soit près d’un an et demi, contre 158 jours ment, dans le respect de vos engagements récents. pour les moins de 25 ans. Voilà le véritable problème ! Aussi, rétablir une allocation n’est pas la solution. En effet, en cette période de crise économique et sociale il est primordial de maintenir les garde-fous à l’extrême Il y a bien eu les contrats de génération, qui visaient un pauvreté afin de protéger au maximum nos concitoyens. triple objectif : favoriser l’accès des jeunes à un emploi en CDI, faciliter la transmission des savoirs et des compétences D’abord, parce que, étant dans le camp du progrès, nous et mettre en place des actions concrètes en faveur du défendons les acquis sociaux obtenus au fil des années, tout maintien en emploi des seniors. François Hollande avait au long des combats menés par nos prédécesseurs pour ne annoncé 75 000 contrats de génération. Qu’en est-il réelle- laisser personne sur le carreau, car c’est bien là le sujet : nous ment ? À peine 20 000 contrats ont vu le jour, et ils sont, à voulons obtenir de nouveaux droits sociaux qui répondent à l’évidence, le pur fruit d’un effet d’aubaine. l’intérêt des plus fragiles. Dès le départ, il était évident que ce contrat manquerait sa Ensuite, parce que notre pays a les moyens de se doter de cible. Il s’appuyait en effet, d’une part, sur l’idée, très ce filet de sécurité et nous ne cessons de proposer en ce sens théorique, selon laquelle on pouvait institutionnaliser le des sources de recettes supplémentaires, comme la lutte remplacement des seniors par des juniors et, d’autre part, contre l’évasion et la fraude fiscales. sur l’idée, fausse, selon laquelle la transmission des savoirs et des compétences dans les entreprises ne se faisait pas, ou se Enfin, parce qu’il est dans l’intérêt de notre économie et de faisait mal. Quant au maintien des plus de 57 ans dans notre société de maintenir le pouvoir d’achat des ménages et l’emploi jusqu’à leur retraite, ce n’est pas une carotte de 4 000 de réduire les inégalités sociales. euros qui peut constituer un élément déterminant. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons la décision M. Jean-Claude Gaudin. Très bien ! du Gouvernement et nous serons vigilants. En effet, d’une Mme Nicole Duranton. Le contrat de génération, qui devait part, le Gouvernement doit respecter ses engagements et, résoudre le problème du chômage des seniors – le sujet de d’autre part, l’allocation proposée ne saurait être inférieure fond dont nous devrions débattre aujourd’hui –, est un à l’AER de 2002. Rien ne justifiait sa suppression, tout véritable échec. Aussi, de grâce, monsieur le secrétaire appelle donc à son rétablissement ! (Applaudissements sur les d’État, ayez du courage face à ce défi majeur (M. Jean- travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socia- Claude Gaudin opine.) et ne vous contentez pas de rétablir liste.) une mesure, pour la simple raison qu’elle fut supprimée par la Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. droite ! Pis encore, il ne s’agit pas là de l’annonce d’une nouvelle mesure mais d’un recyclage ! Ce n’est pas ainsi Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le que s’administre dignement et efficacement un pays qui a secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de besoin de mesures courageuses pour lutter contre le chômage, saluer cette initiative sénatoriale qui nous permet de en particulier celui des seniors ! débattre aujourd’hui du rétablissement de l’allocation équiva- lent retraite annoncé par le Président de la République. M. Jean-Claude Gaudin. Très bien ! Malheureusement, je crains que cette annonce ne soit effec- Mme Nicole Duranton. Ainsi, après le véritable échec des tivement qu’une annonce de plus et non un acte concret. contrats de génération, monsieur le secrétaire d’État, le Prési- dent de la République annonce le rétablissement de l’alloca- L’AER permettait aux personnes privées d’emploi et ayant tion équivalent retraite ! On se demande vraiment où va le suffisamment cotisé pour percevoir une retraite à taux plein Gouvernement. Par ailleurs, aux chômeurs seniors qui de bénéficier d’un revenu en attendant d’atteindre l’âge légal n’auront pas droit à l’allocation équivalent retraite faute de départ en retraite. Elle a été supprimée par la majorité d’avoir suffisamment cotisé, le Président de la République précédente (M. Alain Néri opine.), mais cette suppression a avait proposé un contrat aidé ciblant les plus de 50 ans. été accompagnée de véritables mesures favorisant le retour à Qu’en est-il ? Quelle est la concrétisation de ce mécanisme ? l’emploi des seniors, tout en tâchant d’éviter les retraites Nous n’avons aucune précision sur le comment et sur le anticipées. Ces mesures avaient porté leurs fruits puisque le financement de cette mesure. taux d’emploi des seniors en France avait augmenté de plus de cinq points entre 2007 et la fin de l’année 2011. Toujours est-il que ce recours aux contrats aidés coûte, lui aussi, très cher à l’État : plus de 3,2 milliards d’euros en 2015. Au fond, mes chers collègues, la vraie question ne serait-elle pas plutôt de réduire le chômage des seniors qui ne cesse Dans tout ce flou, mes chers collègues, nous avons d’augmenter ? Plus de 830 000 seniors sont aujourd'hui au beaucoup de mal à percevoir la cohérence du Gouvernement. chômage, après une augmentation de 9,1 % en un an, et les Existe-t-elle ? D’abord, des contrats de génération, mal plus de 50 ans représentent un quart des inscrits à Pôle pensés, et une promesse de 75 000 contrats signés, alors emploi. Alors que nous devons faire face à une crise sans que nous n’en comptons timidement que 20 000. Ensuite, précédent, alors que nous devons faire face au problème des contrats aidés, sans précision quant aux moyens alloués ni majeur et spécifique du chômage des seniors, le Gouverne- aux modalités du ciblage prévu des plus de 50 ans. Enfin, ce 5136 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 débat sur le possible rétablissement de l’allocation équivalent d’emploi d’au moins 60 ans qui avaient validé tous leurs retraite, faisant ainsi suite à une énième annonce du Président trimestres mais qui ne pouvaient liquider leur retraite faute de la République. d’avoir atteint l’âge légal. Des annonces et des promesses en faveur de l’emploi des L’ATS se distinguait ainsi de l’AER par le ciblage des seniors, nous en entendons depuis le débat présidentiel demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans, c'est-à-dire nés de 2012. entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953. Ces M. Alain Néri. Et même avant ! personnes étaient en effet indemnisées au titre du chômage au moment du vote de la réforme des retraites, et elles Mme Nicole Duranton. Des actes, des mesures phares et du auraient pu liquider directement leur pension à l’extinction courage pour réformer notre pays en crise, nous en attendons de leur indemnisation chômage si l’âge légal de départ n’avait depuis plus de trois ans maintenant. pas été relevé. « Un bon ouvrier a de bons outils », affirme un dicton Le gouvernement Ayrault a ensuite assoupli les conditions populaire. Je crains que la boîte à outils gouvernementale ne nécessaires pour bénéficier de l’ATS : à compter du 1er soit remplie de mauvais outils. (Applaudissements sur les mars 2013, il a supprimé la condition de détention de travées de l'UMP.) droits à l’assurance chômage après 60 ans. M. Jean-Claude Gaudin. Très bien ! Pour bénéficier de l’ATS ainsi réformée, et qui s’élevait Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État. à 1 029 euros par mois, il fallait remplir quatre conditions : er M. Jean Desessard. Des sous ! premièrement, être né entre le 1 janvier 1952 et le 31 décembre 1953, la génération née en 1951 ayant déjà M. Jean-Claude Gaudin. Il n’y en a pas ! atteint l’âge légal de retraite en 2013 ; deuxièmement, être M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la éligible aux indemnités de l’assurance chômage décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme au 31 décembre 2010 ; troisièmement, avoir validé le territoriale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une sénateurs, je vous prie, tout d’abord, d’excuser l’absence de retraite à taux plein à l’extinction de ses droits à l’allocation M. François Rebsamen, ministre du travail, retenu à l’Assem- d’assurance chômage ; enfin, quatrièmement, n’avoir pas blée nationale pour l’examen du projet de loi relatif au atteint le nouvel âge légal de départ à la retraite. dialogue social et à l’emploi. La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice Je remercie, ensuite, le groupe CRC d’avoir proposé un du système de retraites prévoyait qu’un rapport sur la situa- débat sur le rétablissement de l’AER, débat qui permet de tion des générations nées en 1952 et 1953 serait remis au revenir sur les différents dispositifs visant à accompagner les Parlement. Ce rapport a été remis en octobre 2014 ; il demandeurs d’emploi qui sont à la veille de leur retraite. explique que l’élargissement de mars 2013 mis en œuvre Avant sa suppression, l’AER, instaurée en 2002, visait à par le gouvernement a permis d’inclure dans le bénéfice de garantir la solidarité de la nation envers les demandeurs l’ATS la quasi-totalité des chômeurs nés en 1952 ou en 1953 d’emploi seniors. Elle visait à garantir un niveau de ressources et pouvant y prétendre. (MM. Martial Bourquin et Alain Néri aux demandeurs d’emploi se trouvant dans une situation très opinent.) particulière : ils avaient validé le nombre de trimestres Je tiens toutefois à le rappeler : l’objectif de l’ATS était bien permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein mais d’apporter une réponse aux difficultés rencontrées par les sans avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite. Très personnes affectées par la réforme des retraites de 2010. concrètement, cette situation pouvait concerner des salariés Cette mesure revêtait un caractère exceptionnel. Puisque ayant commencé leur carrière professionnelle très tôt dans les personnes en bénéficiant sont aujourd’hui à la retraite, leur vie. il n’y a plus de dépense associée à l’ATS. Cependant, la précédente majorité a décidé – comme cela a Plus généralement, la question des fins de carrières et de la été rappelé précédemment – de supprimer le dispositif à la transition entre emploi et retraite est au cœur des préoccu- fin de l’année 2010 et, concomitamment, elle a conduit une pations du Gouvernement. réforme des retraites qui a relevé l’âge légal de départ à la retraite. Au-delà de la mise en œuvre de l’ATS, je veux souligner l’engagement de Manuel Valls d’assurer une fin de carrière M. Alain Néri. Eh oui ! décente aux actifs seniors. La loi du 20 janvier 2014 garan- M. André Vallini, secrétaire d'État. Certaines personnes ont tissant l’avenir et la justice du système de retraites contient donc subi une « double-peine » :… ainsi plusieurs mesures favorables aux seniors, notamment M. Alain Néri. Eh oui ! l’élargissement des critères d’accès au départ anticipé pour carrière longue et la mise en place d’un compte personnel de M. André Vallini, secrétaire d'État. … celle de ne plus prévention de la pénibilité. pouvoir bénéficier de l’AER, puisqu’elle était supprimée, et de ne pouvoir non plus partir à la retraite, l’âge légal ayant été Le plan d’actions qui figure dans la feuille de route de la relevé. grande conférence sociale de 2014 fait également une large place aux difficultés que rencontrent les seniors sur le marché Face à ce constat, l’allocation transitoire de solidarité, du travail. l’ATS, a été mise en place afin de lisser les effets de la réforme des retraites. Elle a été instaurée en novembre 2011, Par ailleurs, près d’un tiers des emplois aidés, qu’il s’agisse avec un effet rétroactif au 1er juillet 2011, pour atténuer les des contrats initiative emploi, les CIE, ou des contrats effets du relèvement de l’âge légal de départ en retraite décidé d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, ont bénéficié à par la réforme de novembre 2010. Il s’agissait d’assurer un des demandeurs d’emploi seniors en 2014, les objectifs que revenu ou un complément de revenu aux demandeurs nous nous étions fixés ayant même été dépassés, et plus de SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5137

45 000 demandes d’aides – et non 20 000, madame l’injustice qui les frappe. Comment accepter qu’une Duranton – ont été enregistrées dans le cadre des contrats personne ayant travaillé pendant de nombreuses années et de génération depuis leur création. ayant validé tous ses trimestres ne bénéficie que d’allocations de solidarité, parce qu’elle se retrouve au chômage et dans Ainsi que beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, lors de son l’impossibilité de liquider sa retraite, faute d’avoir atteint l’âge entretien télévisé du 6 novembre 2014, le Président de la légal ? République a annoncé, à propos des personnes « qui ont toutes leurs annuités et plus de 60 ans », qu’« une prestation Nous avons pris nos responsabilités, en proposant un permettra de les conduire à la retraite dans de bonnes condi- dispositif juste, tout en maîtrisant la dépense publique. Je tions ». le répète, ce sont près de 40 000 personnes, nées en 1954 et La mise en œuvre d’une telle mesure s’inscrit, vous le savez, 1955 et allocataires du RSA ou de l’ASS qui bénéficieront dans un contexte particulièrement contraint sur le plan des d’une prime mensuelle de 300 euros. finances publiques. En effet, la mesure doit être financée sur un budget de l’emploi qui, par ailleurs, finance aussi les Un décret en ce sens sera signé dans les tout prochains mesures d’activation des demandeurs d’emploi, telles que jours, après avis du Conseil national de l’emploi, de la forma- les contrats aidés ou la garantie jeunes. tion et de l’orientation professionnelles. Par conséquent, un équilibre difficile, délicat doit être Cette mesure résume la politique du Président de la trouvé entre, premièrement, la protection de certains deman- République, que met en œuvre le Gouvernement et qui deurs d’emploi seniors, deuxièmement, les contraintes finan- consiste à rétablir la situation financière de notre pays, sans cières dont je viens de parler et, troisièmement, la cohérence oublier la justice sociale et la solidarité, lesquelles restent au d’ensemble des politiques de l’emploi en faveur des seniors. cœur de nos préoccupations et de l’action gouvernementale. Le Gouvernement a donc souhaité prendre en compte les (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) situations individuelles les plus difficiles, tout en menant Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat parallèlement une politique de l’emploi très active en sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite. faveur des seniors. Il souhaite tenir un discours de vérité : le rétablissement d’un équivalent de l’AER est, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, financièrement inenvisageable. 6 M. Dominique Watrin. Cela ne représente pas des sommes importantes ! DÉPÔT DE DOCUMENTS M. André Vallini, secrétaire d'État. Il coûterait 500 millions d’euros si l’on retient les personnes des générations 1954 et Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de 1955 indemnisables entre janvier 2011 et décembre 2014, et M. le Premier ministre : 865 millions d’euros si l’on inclut la génération de 1956. Cette dépense supplémentaire serait impossible à financer - d’une part, le rapport sur la mise en application de la loi dans le contexte actuel des finances publiques. (M. Jean- no 2014–1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux Claude Gaudin s’exclame.) voitures de transport avec chauffeur ; Le Gouvernement s’est donc attaché à proposer un dispo- - d’autre part, la contre-expertise de l’évaluation socio- sitif ciblé qui permet de résoudre les situations individuelles économique du projet de modernisation et mise en les plus difficiles sur le plan du retour à l’emploi tout en sécurité du CHU de Limoges, accompagnée de l’avis du n’apparaissant pas contradictoire avec les mesures de soutien Commissariat général à l’investissement. à l’emploi des seniors. Le scénario retenu consiste ainsi à verser une prime Acte est donné du dépôt de ces documents. mensuelle de 300 euros aux bénéficiaires de l’ASS ou du RSA socle qui satisfont cumulativement aux quatre condi- Ils ont été respectivement transmis à la commission des tions suivantes : être demandeur d’emploi âgé d’au moins affaires économiques et à la commission des finances ainsi 60 ans né en 1954 ou 1955 ; avoir validé le nombre de qu’à la commission des affaires sociales. trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein avant la fin de droit à l’assurance chômage ; avoir été indemnisable par l’assurance chômage – au titre de l’alloca- 7 tion d'aide au retour à l'emploi, l’ARE, de l’allocation spéci- fique de reclassement, l’ASR, de l’allocation de transition professionnelle, l’ATP, ou de l’allocation de sécurisation CANDIDATURE À UNE DÉLÉGATION professionnelle, l’ASP – au moins un jour sur la période SÉNATORIALE allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 ; ne pas avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite. Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Union Cette prime va concerner 37 900 personnes, pour un coût pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence estimé à 185,7 millions d’euros sur la période 2015–2017. le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation à la prospective, en remplacement de Mme Natacha Bouchart, En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, comme démissionnaire. l’a très bien expliqué Martial Bourquin, le Gouvernement a bien conscience des grandes difficultés dans lesquelles se Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu trouvent certains demandeurs d’emploi seniors, voire de conformément à l’article 8 du règlement. 5138 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

8 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics a destiné cette instance à COMMUNICATION D’UN AVIS SUR UN prendre la succession de la Commission consultative PROJET DE NOMINATION d’évaluation des normes dans la foulée des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en Mme la présidente. Conformément aux dispositions de o octobre 2012. De très nombreux élus locaux avaient saisi l’article 19 de la loi n 2013–907 du 11 octobre 2013 l’occasion de ce rassemblement pour exprimer leur exaspéra- relative à la transparence de la vie publique, la commission tion à l’égard de la prolifération normative. Il faut rappeler des lois, lors de sa réunion du 19 mai 2015, n’a pas émis, à la que le remplacement de la CCEN par le CNEN a marqué majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, un avis une étape importante dans la prise de conscience des défis conforme – 22 voix pour, 15 voix contre – sur le projet de que posait la simplification des normes applicables aux collec- nomination, par M. le président du Sénat, de M. Jean- tivités territoriales. Michel Lemoyne de Forges aux fonctions de membre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Le problème, en soi, est identifié depuis longtemps, et ce Acte est donné de cette communication. n’est pas d’hier que le Sénat, attentif aux remontées des élus locaux signalant l’impact de plus en plus lourd des normes et Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre procédures de toutes sortes, se préoccupe de mettre en place nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures. les moyens de desserrer l’étau normatif qui enserre l’action La séance est suspendue. des élus locaux dans d’innombrables contraintes. Celles et ceux qui sont chaque semaine sur le terrain ou qui l’étaient (La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à l’année dernière, dans le cadre du renouvellement sénatorial dix-huit heures.) – et j’en fus –, peuvent témoigner qu’il s’agit de l’une des Mme la présidente. La séance est reprise. interpellations récurrentes que nous adressent nos collègues élus locaux. On peut même parler d’une véritable complainte. 9 Le stock des normes en vigueur représente une masse énorme que l’on ne sait trop comment aborder. Est-il seule- ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ment besoin de rappeler que 400 000 normes – je me réfère ACCÉLÉRÉE POUR L’EXAMEN DE DEUX au rapport d’ fait au nom de la commission des PROJETS DE LOI lois – s’appliquent aux collectivités territoriales, pour un Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, coût annuel de 3 points de produit intérieur brut ? La de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure France se positionne ainsi à la 121e place sur 144 en accélérée pour l’examen du projet de loi actualisant la termes de compétitivité administrative. programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ainsi Pour l’essentiel, la CCEN avait reçu la mission d’examiner que pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification les textes réglementaires créant de nouvelles normes applica- de l’accord d’association entre l’Union européenne et la bles aux collectivités ou modifiant ces normes. Aucune Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs instance n’était chargée de la simplification du stock de États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part. normes. Il n’existait aucune procédure pérenne de simplifi- cation d’un stock que, du reste, personne n’avait entrepris Ces deux projets de loi ont été déposés sur le bureau de d’aborder de manière systématique. Le CNEN a poursuivi, l’Assemblée nationale le 20 mai 2015. avec l’aide des associations d’élus locaux, en particulier celle de l’Association des maires de France dont il faut souligner l’implication active dans les travaux d’évaluation des normes, 10 un vrai travail d’analyse, de critique et de proposition. Cependant, l’évaluation du flux des normes nouvelles au CONDITIONS DE SAISINE DU CONSEIL regard du principe de simplicité, si essentielle soit-elle, ne NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES peut répondre pleinement aux attentes des élus locaux quoti- diennement confrontés à la complexité du droit en vigueur. Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la Aussi des initiatives ont-elles été prises au sein du Sénat pour commission modifié s’attaquer au stock des normes applicables aux collectivités Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à territoriales. En 2011, notre collègue Éric Doligé a déposé la demande des groupes UMP et UDI-UC, de la proposition une proposition de loi de simplification des normes applica- de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil bles aux collectivités territoriales. Elle traduisait certaines national d’évaluation des normes, présentée par MM. Jean- propositions du rapport consacré au poids des normes sur Marie Bockel et Rémy Pointereau (proposition no 120, texte l’activité quotidienne des collectivités territoriales qu’il avait de la commission no 436, rapport no 435). élaboré dans le cadre de la mission que lui avait confiée, la Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie même année, le Président de la République de l’époque. Je Bockel, auteur de la proposition de loi. sais que notre collègue Rémy Pointereau, premier vice-prési- dent de la délégation aux collectivités territoriales, chargé de M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi. la simplification, saura s’inspirer du rapport Doligé ; il en Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes parlera sans doute dans quelques instants. chers collègues, adoptée sur l’initiative de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, la loi du 17 octobre M. Rémy Pointereau. Tout à fait ! SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5139

M. Jean-Marie Bockel. Les initiatives issues de cette et des collectivités territoriales, au fil des saisines obligatoires démarche, comme d’autres démarches sénatoriales, ont eu ou facultatives. Le CNEN reste ainsi un outil stratégique de entre autres mérites d’accentuer la prise de conscience de la la simplification du stock. C’est d’ailleurs pour cette raison gravité du problème des normes. Elles n’ont pas eu les suites que la décision du bureau du Sénat, confiant en novembre espérées, d’où la création du CNEN, dont nous essayons dernier à la délégation aux collectivités territoriales – je l’ai aujourd’hui de parfaire l’efficacité. Ce ne sont sans doute déjà souligné – une mission d’évaluation et de simplification ni Mme Gourault ni M. Sueur, lesquels ont réalisé un gros des normes, a prévu que ce travail se ferait en liaison avec le travail sur le sujet à l’époque, qui s’en plaindront. CNEN, raison pour laquelle ont été noués les contacts de qualité que j’évoquais voilà quelques instants avec le Conseil À l’origine de la création du CNEN par la loi du national d’évaluation des normes et son président. 17 octobre 2013 se trouve la nécessité de prendre en compte l’ensemble des demandes des élus locaux et de leur donner une réponse complète, concrète et efficace. C’est Pour donner toute sa portée à cette compétence éminente pourquoi il a reçu deux missions, l’une portant sur le flux, sur le stock de normes, les conditions de saisine du CNEN l’autre sur le stock de normes. Ce dernier point est le plus sont essentielles. En effet, l’une des principales difficultés en innovant et peut-être le plus prometteur de la loi la matière est de déterminer les priorités. C’est pourquoi la d’octobre 2013. En effet, l’évaluation du flux des normes démarche de simplification ne peut être efficacement lancée nouvelles est en principe permanente tout au long du que sous l’impulsion des collectivités territoriales, mieux processus d’élaboration de chaque norme. placées pour identifier les normes les plus invalidantes et nous les faire connaître. Sans leur participation au processus, En principe, la question du flux des normes nouvelles sous une forme ou une autre, nous n’arriverons pas à devrait être de mieux en mieux prise en main. Le CNEN construire un programme opérant. La simplification risque fait, dans ce domaine, de son mieux. Son président, Alain alors de tourner en une discussion académique roulant sur le Lambert, qui fut par le passé le premier président de notre pourquoi et le comment sans déboucher sur des résultats délégation aux collectivités territoriales et avec lequel nous concrets. Je crois que, là aussi, Rémy Pointereau, à travers sommes en dialogue permanent, fait un travail tout à fait des amendements que j’ai cosignés avec d’autres collègues, remarquable. De son côté, le Gouvernement nous dit être nous dira des choses intéressantes. plus attentif – je n’ai pas de raison, monsieur le secrétaire d’État, de douter de l’attention du Gouvernement sur ces questions. Il se serait doté de moyens dédiés, dont vous nous La loi prévoit que le CNEN peut être saisi d’une demande parlerez certainement. En un mot, une nouvelle culture de la d’évaluation des normes en vigueur par le Gouvernement, les norme est en train d’apparaître. Ses effets commencent à se commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du faire sentir, même si les prescripteurs de normes, dont nous Sénat, les collectivités territoriales et les établissements autres, parlementaires, ne sommes pas les moins entrepre- publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. nants, restent souvent plus attentifs à leur nécessité qu’à leurs Cette énumération fait à peu près le tour de l’ensemble des effets pervers. instances intéressées par la simplification des normes applica- bles aux collectivités territoriales. Pour autant, ces dernières Sur ces questions, tout le monde doit balayer devant sa restent en réalité à l’écart du processus en raison des condi- porte, nous y compris, même si la loi est parfois prise de tions très restrictives encadrant leur pouvoir de saisine. La court par des décrets qui ne correspondent pas complètement faute n’en est pas à la loi – j’y faisais allusion à l’instant –, à son esprit… mais à son décret d’application : le décret du 30 avril 2014 portant application de la loi du 17 octobre 2013 illustre en M. Charles Revet. Ça arrive quelquefois… effet de manière emblématique le processus d’amplification et M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois de paralysie de la norme par les dispositions d’application constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règle- d’une loi. ment et d'administration générale. C’est un euphémisme ! (Sourires.) Alors que la loi du 17 octobre 2013 prévoit que les collec- M. Jean-Marie Bockel. Je le dis tout en soulignant bien que tivités territoriales pourront saisir le CNEN d’une demande chacun doit balayer devant sa porte, nous y compris, sur de révision portant sur le stock en vigueur sans soumettre quelque travée que ce soit. Il s’agit d’une œuvre commune cette prérogative à des exigences particulières, le décret à laquelle nous devons tous nous atteler. d’application fixe des conditions qui sont autant d’obstacles On ne peut dire que la question du stock soit ignorée : la à sa concrétisation. C’est ainsi que l’article 3 du décret exige délégation aux collectivités territoriales en a été saisie à la fin que la demande d’évaluation d’une norme réglementaire en de 2014 ; le Gouvernement y consacre des moyens. Nous vigueur soit présentée par au moins cent maires et présidents avons à cet égard noué des contacts aussi bien avec vous, d’EPCI, ou dix présidents de conseil général ou deux prési- monsieur le secrétaire d’État, qui êtes spécialement chargé de dents de conseil régional – on peut d’ailleurs s’interroger sur la simplification des normes applicables aux collectivités terri- le poids d’un président de conseil général par rapport à un toriales, qu’avec Thierry Mandon, secrétaire d’État à la président de conseil régional… L’exigence irréaliste et non réforme de l’État et à la simplification, que nous avons prévue par la loi d’une démarche concertée de cent maires reçu et que nous reverrons. Nous savons que des initiatives rend tout à fait improbable le fonctionnement effectif de sont en cours de lancement, et nous sommes désireux de cette modalité de saisine. Le décret exige également que la nous y associer, tant il est vrai que la simplification est une demande d’évaluation comprenne une fiche d’impact présen- ambition partagée qui nécessite l’engagement de chacun. tant, entre autres éléments, « ses motifs précisément étayés », ce qui revient à faire peser sur les collectivités – qui peuvent Au sein du Conseil national d’évaluation des normes se être des communes petites ou de taille moyenne, dépourvues déroule un échange permanent entre les représentants du de tout moyen d’expertiser les normes – une obligation de Sénat et de l’Assemblée nationale et ceux des administrations pré-instruction du dossier coûteuse et non prévue par le texte. 5140 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

La proposition de loi que j’ai cosignée avec Rémy Pointe- signé –, vous savez que la lettre et l’esprit du législateur n’y reau a pour objet d’écarter ces obstacles. Je laisse à ce dernier ont pas été respectés. En effet, alors que nous avions souhaité le soin de détailler le dispositif de notre texte, de le préciser. que toute collectivité locale pût saisir le Conseil national Je rappellerai simplement, pour conclure mon propos, que d’évaluation des normes, nous nous trouvons, comme l’a l’efficacité de l’action du Conseil national d’évaluation des dit M. Bockel et l’a écrit M. Pointereau, devant un dispositif normes sur le stock de normes dépend très largement de prévoyant qu’une même saisine doit être signée par cent l’impulsion que pourront lui donner les collectivités territo- communes. Ce n’est pas conforme à la loi ! J’ajouterai riales, qu’elle soit directe ou qu’elle s’exerce par l’intermé- même quelque chose que vous pourrez aisément vérifier : diaire des associations d’élus. (Applaudissements.) au cours des débats parlementaires, aucun sénateur, aucun Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. député, n’a imaginé ni proposé cela. Il faut donc revoir ce dispositif. M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règle- Nous avons reçu M. Alain Lambert, qui, avec sa sagacité, sa ment et d'administration générale. Madame la présidente, compétence et sa grande courtoisie, préside ce conseil monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom national. Je veux d’ailleurs saluer tous les élus qui y partici- de la commission des lois, je veux remercier Jean-Marie pent et y accomplissent un lourd travail. Bockel et Rémy Pointereau. Il peut arriver qu’un décret M. Charles Revet. Ils font un très bon travail ! s’écarte de la lettre ou de l’esprit de la loi. Il peut même M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout à fait, mon cher arriver qu’il les trahisse. C’est le cas de celui du 30 avril 2014. collègue ! Il est par conséquent salutaire que nos collègues aient pris l’initiative de protester et de nous proposer un texte pour M. Lambert nous a dit : pourquoi, plutôt que de faire une réformer cet état de choses. M. Jean-Marie Bockel a excel- loi, n’écrivez-vous pas tout simplement à M. le secrétaire lemment expliqué la situation. d’État ? Je m’adresse donc à vous très directement, monsieur le secrétaire d’État, pour vous demander de Le Sénat, depuis maintenant des années et de manière publier un nouveau décret. Finalement, vous pourriez très souvent unanime, est aux côtés des élus locaux pour lutter vite, sans même que les députés aient à examiner notre contre la prolifération des normes inutiles. Soyons clairs, il y proposition de loi – mais nous voulons tout de même a des normes indispensables, et nous faisons notre travail qu’ils en soient saisis, j’expliquerai tout à l’heure pour lorsque nous en adoptons en matière de sécurité publique, quelles raisons –, changer ce décret, de manière à écrire de santé ou de protection de l’environnement. Cependant, il que toute commune, tout département, toute région et en va des normes comme des lois, celles qui sont inutiles font toute institution intercommunale à fiscalité propre pourra du tort à celles qui sont nécessaires. saisir le Conseil national d’évaluation des normes. À cet égard, je salue à mon tour, comme je le fais dans mon M. François Bonhomme. Chiche ! rapport, les travaux de notre collègue Éric Doligé, qui est l’auteur d’un rapport sur ce sujet, au sein duquel sont présen- M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est simple, pratique et tées des propositions concrètes. tout à fait faisable. En outre, vous réparerez ainsi une erreur et respecterez la lettre et l’esprit de la loi. M. Éric Doligé. Merci, monsieur le rapporteur ! La commission des lois s’est saisie de l’opportunité repré- M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je salue également les sentée par ce texte pour proposer quelques autres modifica- états généraux de la démocratie territoriale, organisés sur tions à la loi elle-même. l’initiative de Jean-Pierre Bel, notre ancien président, qui a confié à Jacqueline Gourault et à moi-même le soin Premièrement, il avait été prévu que le Conseil national d’élaborer deux propositions de loi : l’une visant à faciliter d’évaluation des normes serait saisi de l’ensemble des textes l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, qui a enfin été réglementaires applicables aux collectivités locales. Est-ce promulguée, après avoir attendu quelque temps son examen nécessaire ? La commission des lois a répondu « non ». par l’Assemblée nationale, l’autre relative aux normes, que Dans la mesure où nombre de textes réglementaires concer- vous avez bien voulu adopter à l’unanimité, mes chers collè- nent les collectivités locales, il nous paraît plus simple et plus gues, et qui prévoyait de créer une instance – elle existe réaliste que le Conseil national d’évaluation des normes ne aujourd'hui –, à savoir le Conseil national d’évaluation des soit saisi que des textes ou des projets de texte ayant un effet normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs en matière de normes. établissements publics. Deuxièmement, nous avons pensé que la saisine par une Le CNEN est doté de pouvoirs beaucoup plus étendus que collectivité, qui pourra être une commune de petite taille, l’organisme qui l’a précédé. En effet, il peut se saisir en peu importe le nombre de ses habitants, devait être motivée. amont de tout projet de loi, projet de décret ou texte régle- Pour répondre à M. Pointereau, qui a déposé un amende- mentaire. Avant que la norme n’existe, posons-nous la ment sur ce point, je précise que la motivation de la saisine question de savoir si elle est nécessaire et si elle n’est pas pourra se limiter à quelques lignes ; il ne sera pas nécessaire trop coûteuse ou trop contraignante pour les collectivités qu’elle soit exhaustive. locales. En outre, ce conseil national peut se saisir non seule- Enfin, nous nous sommes penchés – je me permets ment des nouveaux projets, mais aussi du stock des normes d’appeler particulièrement votre attention sur ce point, existantes. monsieur le secrétaire d’État – sur la question des délais. Nous avions très clairement prévu – je parle sous le En effet, la loi prévoit qu’il peut y avoir des situations contrôle de Mme la présidente de séance Jacqueline d’urgence, dans lesquelles le Premier ministre peut Gourault – que toute collectivité pourrait saisir ce conseil demander, sur la base d’une justification précise, au national. Que s’est-il donc passé ? Monsieur le secrétaire Conseil national d’évaluation des normes de rendre sa d’État, bien que vous n’ayez pas signé ce décret – au demeu- décision dans un délai de quinze jours. Et en cas d’extrême rant, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour ceux qui l’ont urgence, le Premier ministre peut même demander au SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5141

Conseil national d’évaluation des normes de statuer dans un M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la délai de soixante-douze heures ! C’est cette dernière disposi- décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme tion qui pose problème. territoriale. C’est vrai ! M. Alain Lambert, président du Conseil national d’évalua- M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par conséquent, nous tion des normes, nous a ainsi expliqué qu’il avait reçu une avons prévu dans la proposition de loi, et je crois que c’est saisine émanant du Premier ministre un vendredi soir, très judicieux, que les administrations de l’État apporteront l’analyse exhaustive du Conseil national d’évaluation des leur concours pour expertiser ces saisines. normes devant être fournie dans les soixante-douze heures. J’achèverai mon propos en évoquant la proposition de loi Chacun le voit bien, c’était absurde et impossible ! Le prési- organique, adoptée par le Sénat à l’unanimité, tendant à dent ne pouvait pas demander aux membres du CNEN de joindre les avis rendus par le Conseil national d’évaluation venir toutes affaires cessantes à Paris. De surcroît, il s’agissait des normes, qui est constitué d’élus locaux et qui les repré- en l’occurrence du projet de loi relatif à la transition énergé- sente parfaitement, aux projets de loi comme c’est le cas pour tique pour la croissance verte, qui – vous en conviendrez – les études d’impact. Je pense que c’est une bonne idée, que n’est pas un petit texte. nous partageons d’ailleurs toutes et tous. La commission des lois a donc prévu que, en cas d’extrême Mme Françoise Gatel. Absolument ! urgence, le Conseil national d’évaluation des normes devrait M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Or ce texte n’a toujours statuer au cours des quatre jours ouvrables suivant la saisine. pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Cela signifie que, si le Premier ministre saisit le Conseil Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous, national d’évaluation des normes le lundi soir, celui-ci aura grâce aux grandes qualités de persuasion qui sont les jusqu’au vendredi pour rendre son avis. Il statuera ainsi dans vôtres, y contribuer. En tout cas, je formule le vœu qu’il des conditions certes difficiles – il faudra organiser une puisse être voté par nos collègues députés. réunion exceptionnelle –, mais faisables. J’espère que le Gouvernement comprendra la nécessité de ce délai de Mes chers collègues, je remercie encore une fois les auteurs quatre jours ouvrables. D’ailleurs, quand on y réfléchit de la proposition de loi, qui est une étape de plus, et tous nos bien, il n’est pas exorbitant. Quand on sait qu’il a fallu de collègues qui se sont penchés sur la question. Continuons à nombreux mois au Parlement pour examiner le texte relatif à être sur ce sujet au côté des élus locaux ! Les normes néces- la transition énergétique, on voit bien qu’on n’est pas à saires doivent être mises en œuvre, mais évitons celles qui ne quelques heures près… le sont pas, car elles ont un coût et induisent des contraintes excessives pour nos collectivités locales. (Applaudissements.) Deux autres sujets ont été proposés par notre collègue Rémy Pointereau. Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État. M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Le premier concerne les questions sportives. Avec décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme Mme Jacqueline Gourault, nous avions été prudents sur ce territoriale. Madame la présidente, monsieur le vice-président sujet, après avoir pris contact avec les fédérations sportives et de la commission des lois, Jean-Patrick Courtois, monsieur le le secrétariat d’État chargé des sports. Vous savez qu’il existe président de la délégation aux collectivités territoriales et à la une instance appelée la CERFRES, la commission d’examen décentralisation, Jean-Marie Bockel, monsieur le premier des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements vice-président de cette délégation, plus spécifiquement sportifs, qui donne des avis sur les normes applicables aux chargé des normes, Rémy Pointereau, monsieur le rappor- collectivités locales. teur, Jean-Pierre Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, Au départ, je n’étais pas favorable à l’amendement déposé dès 2012, le Président de la République le disait : « 400 000 par notre collègue, car je pensais qu’il fallait poursuivre le normes seraient applicables [aux collectivités territoriales] et dialogue. Toutefois, très impressionné par certaines réalités on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation dont les élus ont été témoins, la commission a décidé de est finalement contournée, détournée, dès lors qu’il y a autant suivre M. Pointereau, après avoir été convaincue par de contraintes qui pèsent sur les collectivités. » plusieurs de ses arguments. Je prendrai l’exemple d’une Cette question des normes – ou plutôt de cet excès de fédération sportive, que je ne citerai pas, mais qui se recon- normes – qui pèsent sur les collectivités locales est un sujet naîtra, ayant décidé un beau jour que les panneaux permet- d’incompréhension et de plus en plus souvent d’irritation des tant d’indiquer le score de chaque équipe devaient être élus locaux, d’autant que cette inflation normative est source modifiés et que, si cela n’était pas fait, le terrain ne serait non seulement de complexité pour les élus, mais aussi de plus homologué. coûts supplémentaires pour les finances locales. Cela a été M. Charles Revet. J’ai vécu une situation comparable ! clairement démontré par plusieurs rapports. J’en citerai deux : M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Une telle décision, vous celui d’Éric Doligé sur la simplification des normes applica- le savez, M. Doligé en a parlé, a un coût. Dans un monde bles aux collectivités territoriales, remis en 2011, et celui de la idéal, il serait sans doute souhaitable que les panneaux d’affi- mission de lutte contre l’inflation normative de Jean-Claude chage fussent modifiés. Toutefois, dans la situation financière Boulard et Alain Lambert, remis au Premier ministre en à laquelle nos collectivités font face, on peut considérer mars 2013. qu’une telle dépense n’est pas urgente et préférer faire Pour autant, les politiques mises en œuvre depuis quelques d’autres choix. Tel est l’avis de la commission, que je années contre cette inflation normative n’ont pas obtenu, il rapporte, je crois, fidèlement. faut le reconnaître, les résultats escomptés, au contraire ; de Le deuxième sujet a trait à l’expertise nécessaire pour 2008 à 2013, le coût brut des normes nouvelles mises à la étudier les saisines dont le Conseil national d’évaluation charge des collectivités territoriales a été estimé à 5,8 milliards des normes est l’objet. À cet égard, M. Alain Lambert d’euros. nous a expliqué qu’il ne disposait pas de services. M. Charles Revet. Incroyable ! 5142 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

M. André Vallini, secrétaire d'État. Le Gouvernement a donc La loi du 17 octobre 2013 a prévu que le CNEN pouvait fait de la maîtrise des normes une priorité de son action. évaluer des normes en vigueur, de manière volontaire ou sur C’est vrai pour les entreprises, avec Thierry Mandon ; c’est demande du Gouvernement, des commissions permanentes vrai aussi pour les collectivités territoriales, et cela doit l’être des assemblées, des collectivités territoriales et de leurs établis- encore plus à l’heure où le Gouvernement leur demande un sements publics. Le décret du 30 avril 2014 encadre cepen- effort important dans le cadre du redressement de nos dant strictement les demandes émanant des collectivités finances publiques. territoriales par des conditions de recevabilité. Cela a été Un dispositif opérationnel de maîtrise des normes a donc rappelé par Jean-Pierre Sueur, notamment. été mis en place en 2014 pour agir sur le stock comme sur le Votre proposition de loi vise à renforcer l’action du CNEN flux. Il repose notamment sur le Conseil national d’évalua- de différentes façons : d’abord, en supprimant les conditions tion des normes, installé le 3 juillet 2014 à la suite de de recevabilité de la saisine des collectivités prévues par le l’adoption de la proposition de loi déposée par Jacqueline décret ; ensuite, en élargissant la saisine à tout parlementaire ; Gourault et Jean-Pierre Sueur. enfin, en prévoyant que l’évaluation d’une norme par le Le Gouvernement est pleinement engagé dans une CNEN s’effectuera sur la base d’une analyse réalisée par politique de réduction du stock des normes existantes. Le l’administration compétente, dans un délai fixé à trois mois. projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la Le Gouvernement partage ces préoccupations : il faut République, dit « projet de loi NOTRe », que le Sénat permettre un accès plus facile des élus au CNEN et créer examinera en deuxième lecture la semaine prochaine, les conditions d’un examen approfondi des propositions. Il intègre ainsi quatorze mesures issues de la proposition de convient toutefois d’éviter un engorgement qui nuirait à loi de M. Doligé, dont je salue à mon tour le travail. l’efficacité du dispositif. Même si cela peut paraître rébarbatif, je veux citer ces Je le dis à nouveau : le décret du 30 avril 2014 portant quatorze mesures : assouplissement de la législation relative application de la loi a organisé les conditions de recevabilité aux centres communaux d’action sociale, instauration d’une pour la saisine du CNEN en encadrant strictement les règle de quorum pour les réunions des commissions compé- demandes, qui doivent porter sur des dispositions clairement tentes en matière d’ouverture des plis pour les délégations de identifiées d’une norme, avec des motifs précisément étayés et service au public, simplification des modalités de mise à une présentation par un nombre d’élus minimum – prési- disposition du public des documents relatifs à l’exploitation dents de conseil régional, présidents de conseil départe- des services publics délégués, uniformisation des délais mental, maires, etc. Les raisons de ces nombreuses d’adoption du règlement intérieur des collectivités locales, conditions étaient d’éviter un engorgement du CNEN, qui dématérialisation des recueils des actes administratifs, trans- ne pourrait répondre à un afflux de demandes. À l’usage, ces mission du compte de gestion au préfet par le directeur conditions apparaissent trop restrictives et de nature à départemental ou régional des finances publiques, aligne- restreindre l’accès des collectivités au CNEN, ce qui est ment du régime des accords-cadres sur celui des marchés contraire à notre objectif que je viens de rappeler d’un publics, possibilité de délégation aux exécutifs de la accès facilité des élus à ce conseil national afin que des capacité de modifier ou de supprimer des régies comptables, normes jugées inutiles, mal calibrées ou trop coûteuses possibilité de délégation aux exécutifs locaux des demandes puissent être évaluées par celui-ci. de subvention, dématérialisation de la publication des actes administratifs, délai porté à neuf mois pour la présentation La proposition de loi que nous examinons cet après-midi du rapport annuel sur le prix et la qualité des services d’eau, vise notamment à supprimer les conditions de recevabilité de d’assainissement et de traitement des ordures ménagères, la saisine des collectivités prévues par le décret. La question de suppression de la délibération préalable au déclenchement l’intervention du législateur dans le domaine réglementaire se de la procédure d’abandon manifeste d’une parcelle, délai pose par conséquent, et je sais qu’elle a donné lieu à des minimum pour la transmission des documents en amont des échanges nourris lors de l’examen de ce texte par votre commissions permanentes, clarification de la procédure de commission. dissolution d’un EPCI. Jean-Pierre Sueur vient d’évoquer la possibilité pour le M. Éric Doligé. Cela fait plaisir à entendre ! Gouvernement de modifier ce décret. Eh bien, je vous M. André Vallini, secrétaire d'État. Par ailleurs, une mission annonce que je suis prêt à aller dans ce sens,… regroupant plusieurs inspections – l’Inspection générale de M. Charles Revet. Très bien ! l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales, le M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Merci ! contrôle général économique et financier – a été mandatée pour proposer des allégements de normes dont les coûts sont M. André Vallini, secrétaire d'État. … avec l’accord du particulièrement élevés. Nous disposerons de ses conclusions Premier ministre, et je m’engage à ce que cette modification probablement en juin. intervienne le plus rapidement possible, après un travail mené avec le CNEN – je m’en suis entretenu la semaine dernière Enfin, des ateliers thématiques ont été mis en place avec Alain Lambert – et en prenant en compte nos débats de conjointement par mon cabinet et celui de M. Mandon, ce jour. en lien avec les associations d’élus et les associations de cadres territoriaux. Il s’agit d’identifier par thèmes des propo- M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Notre débat aura au sitions opérationnelles, à partir des observations des acteurs moins servi à quelque chose ! locaux, notamment les directeurs de collectivité territoriale. M. André Vallini, secrétaire d'État. J’en viens à la question des flux. Après vous avoir rappelé combien le Gouvernement est engagé dans la lutte contre l’inflation des normes, j’en La proposition de loi fait écho à la volonté du Gouverne- viens à la proposition de loi que nous examinons cet après- ment d’affirmer le rôle central du Conseil national d’évalua- midi. tion des normes dans la maîtrise des flux des normes SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5143 applicables aux collectivités locales. Je veux vous indiquer à Notre époque nécessite souplesse, réactivité, inventivité, cet égard que cette maîtrise est encore renforcée depuis la adaptabilité, tandis que l’accumulation de règles constitue circulaire du Premier ministre du 9 octobre dernier, qui fixe des freins à l’action et génère complexité, lenteur et un objectif très clair : zéro euro de charge supplémentaire surcoût. Beaucoup d’exemples le montrent : des normes sur pour les collectivités territoriales du fait des normes les vestiaires de foot entraînent dans une ville un déclasse- nouvelles, à compter du 1er janvier 2015. ment d’un stade de foot, interdit aux matches de CFA parce qu’il faut deux vestiaires d’arbitre de 8 mètres carrés chacun, Votre proposition de loi vise à apporter trois modifications alors que ce stade dispose de deux vestiaires, l’un de à la loi du 17 octobre 2013, qui a étendu le champ d’action 9,5 mètres carrés et l’autre de 7 mètres carrés. du CNEN. M. Charles Revet. Incroyable ! C’est d’une totale absurdité ! Premièrement, vous souhaitez préciser que le contrôle du Mme Françoise Gatel. Ou encore, comble du comble, un CNEN se fera uniquement sur les projets de textes régle- décret de 2011 signé par quinze ministres sur les normes mentaires ayant un impact technique et financier pour les nutritionnelles de restauration scolaire définit notamment collectivités territoriales et leurs établissements publics. Cela la quantité hebdomadaire d’œufs durs selon l’âge de devrait permettre effectivement de réduire le nombre de l’enfant ou la température à laquelle doit être servie la textes qui lui sont soumis. macédoine. Deuxièmement, vous souhaitez encadrer la procédure Cette inflation de normes touche aussi les entreprises. Je d’urgence pour l’examen du CNEN. Plutôt qu’une modifi- citerai un seul exemple : la nécessité de solliciter l’autorisation cation législative de cette procédure, nous souhaitons de quinze administrations pour ouvrir une simple carrière de poursuivre les échanges avec celui-ci pour que l’examen des pierres. projets de loi se fasse dans de bonnes conditions. Cette surenchère normative est un obstacle à l’initiative, à Troisièmement, vous souhaitez rendre obligatoire son avis l’efficacité de l’action publique, a fortiori, vous l’avez dit, sur les projets de règlements des fédérations sportives soumis monsieur le secrétaire d'État, dans un contexte de crise à la commission d’examen des projets de règlements fédéraux économique et de baisse des ressources des collectivités. relatifs aux équipements sportifs. Les règlements des fédéra- Cette surenchère normative est aussi source de perplexité et tions sportives sont en effet une source non négligeable de de risque pour les élus. En effet, comment hiérarchiser deux normes nouvelles pour les collectivités locales, qui sont les normes incompatibles, par exemple en matière de sécurité premiers financeurs publics du sport en France. Il faut incendie dans les crèches ou les unités Alzheimer, où il faut maîtriser ce flux. Néanmoins, le dispositif a été modifié en s’assurer de l’impossibilité de sortie intempestive des enfants 2013, notamment avec l’attribution de la présidence de la ou des résidents alors même qu’il est nécessaire de disposer CERFRES à un élu local. Par ailleurs, le dispositif actuel d’issues de secours ouvrables à tout moment ? permet au CNEN d’intervenir sur une instruction détaillée et une appréciation motivée des élus de la commission Aujourd’hui, 400 000 normes réglementaires s’imposent d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux aux collectivités locales et les enferment dans un coûteux équipements sportifs. Inverser l’ordre des saisines aurait carcan juridique. En quatre ans, de 2011 à 2015, le coût donc des inconvénients. induit par les normes nouvelles serait évalué à plus de 1 milliard d’euros. Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclurai sur une note positive. Les résultats pour 2014 et ceux du début de Je veux saluer ici l’excellent travail de nos collègues l’année 2015 en matière de maîtrise des flux sont encoura- Mme Gourault et M. Sueur à l’initiative de la loi de 2013 geants : 1,6 milliard d’euros de charges nouvelles en 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des – c’était beaucoup –, 800 millions d’euros en 2014 et seule- normes, qui a pour mission, cela a été rappelé, d’intervenir ment, si j’ose dire, 19 millions d’euros au 22 avril 2015. C’est sur le flux et le stock des normes. Il convient aussi de rappeler dire si la décroissance est forte, mais nous devons aller plus l’excellent rapport de MM. Lambert et Boulard, rédigé en loin, plus vite, plus fort. 2013, qui décrit l’absurdité de ce qu’ils appellent « l’inconti- nence normative » – ce terme me semble assez juste –, ainsi La proposition de loi que vous examinez participe de cette que le travail de notre collègue Éric Doligé sur ce sujet en mobilisation nécessaire pour réduire l’inflation normative, et 2011. le Gouvernement, qui en fait une priorité, se réjouit de votre Oui, mes chers collègues, votre proposition de loi satisfera démarche. (Applaudissements.) certainement de nombreux élus locaux confrontés au maquis Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel. d’une réglementation qui les désespère trop souvent et les Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le dépasse parfois ! Elle contient quatre mesures significatives. secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi La première vise à simplifier et à élargir les possibilités de déposée par MM. Bockel et Pointereau s’empare fort saisine du Conseil national d’évaluation des normes. En ce judicieusement de l’inflation normative qui paralyse sens, elle restitue l’esprit initial du législateur. Les collectivités l’action dans notre pays. Je les en remercie très sincèrement, territoriales et les EPCI à fiscalité propre, mais aussi les ainsi que le rapporteur Jean-Pierre Sueur. parlementaires pourront saisir ce conseil national sans condi- tion de nombre et sur simple motivation, alors que le décret Jean-Étienne-Marie Portalis, père du code civil, qui veille sur nous, disait déjà en son temps que les lois sont faites pour d’application de la loi exige une saisine émanant d’au moins les hommes et non les hommes pour les lois. Il nous faudrait cent maires et présidents d’établissement public de coopéra- tion intercommunale à fiscalité propre. ériger ces propos en précepte absolu. Car, si des règles sont évidemment indispensables pour assurer la sécurité et réguler La deuxième mesure positive consiste à renvoyer à l’admi- la vie en société, force est de constater que leur accumulation nistration la charge de la preuve de la pertinence de la norme finit par en détraquer le fonctionnement ! qui pesait sur l’auteur de la saisine. Sur ce point, je ne peux 5144 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 m’abstenir de vous faire part de mon étonnement de jeune dernière édition du congrès des maires. Quelque 4 200 sénatrice sur la nécessité de devoir corriger par une proposi- contributions ont été recueillies, les trois quarts émanant tion de loi un décret d’application contraire à l’esprit du de maires. Elles ont permis d’identifier les secteurs dont la législateur. Disons-le franchement, le décret du 30 avril simplification est jugée prioritaire par les élus locaux : l’urba- 2014 a totalement détourné les conditions de saisine nisme, pour plus de 60 % d’entre eux ; l’accessibilité, à voulues par le législateur,… hauteur de plus de 30 % ; l’achat public et l’environnement, M. Jean-Claude Requier. Eh oui ! autour de 20 % chacun. En outre, 900 commentaires ont été apportés. Ils sont riches d’enseignements sur l’état d’exaspé- Mme Françoise Gatel. … mais peut-être manque-t-il dans ration des élus face à des normes qui freinent l’action et l’arsenal normatif français une norme sur la rédaction des grèvent les finances des collectivités territoriales. décrets d’application... (Sourires.) M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien ! Fort de ce constat, la délégation aux collectivités territo- Mme Françoise Gatel. La troisième mesure positive vise à riales a entendu agir sur le flux de normes ; le projet de loi améliorer les conditions de fonctionnement du Conseil relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a national d’évaluation des normes en encadrant la procédure constitué pour elle une parfaite entrée en matière. Aussi la d’urgence ; M. le rapporteur l’a déjà évoquée. délégation a-t-elle confié à mon collègue Philippe Mouiller et à moi-même la rédaction d’un rapport sur les dispositions de Enfin, la quatrième mesure – un vrai bonheur ! – porte sur ce projet de loi applicables aux collectivités territoriales. Au les normes sportives. total, huit propositions avaient été satisfaites à l’issue des L’agacement des élus locaux est extrême par rapport à ce travaux des commissions saisies au fond, deux amendements pouvoir normatif des fédérations, qui confère à celles-ci des ont en outre été adoptés en séance publique. Si ces résultats prérogatives de puissance publique inacceptables. Le texte encore modestes ne sont pas à la hauteur de nos espérances, que nous examinons va permettre de transformer une excep- notre intervention aura au moins permis de faire de la tion en règle, à savoir la consultation du Conseil national complexité normative un élément incontournable du débat d’évaluation des normes sur tous projets de règlements législatif. fédéraux relatifs à des équipements sportifs, préalablement à la consultation de la commission d’examen des projets de Parce qu’il est essentiel de poursuivre cet effort, j’entends règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Nos défendre quelques propositions de simplification à l’occasion collectivités ne peuvent en effet être condamnées à rester de de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la simples exécutantes de prescripteurs qui ne sont pas les biodiversité, de la nature et des paysages. Mais il importe financeurs de leurs prescriptions. aujourd’hui d’aller plus loin, en se penchant non sur le flux, mais sur le stock de normes. La délégation aux collectivités En conclusion, au nom de l’adage « un homme averti en territoriales prendra toute sa part dans ce travail de simplifi- vaut deux », je saluerai la grande sagesse de la commission des cation du droit en vigueur. Je souhaite d’ailleurs présenter à lois, qui a supprimé la mention de la nécessité de décrets l’automne prochain quelques pistes de simplification en d’application, nous mettant ainsi à l’abri de nouvelles décon- matière d’urbanisme et d’aménagement, afin de répondre venues. de manière concrète et ciblée aux préoccupations qui ont Par cette proposition de loi, le Sénat confirme son rôle de été exprimées par les élus locaux. Pour ce faire, je m’appuierai représentant des collectivités. Il fait de la chasse à l’inflation sur l’excellent travail de notre collègue Éric Doligé en ce normative un combat utile pour la qualité et l’efficacité de domaine. l’action publique. Cette proposition de loi salue aussi à juste titre l’excellent travail du Conseil national d’évaluation des La délégation aux collectivités territoriales ne peut, à elle normes en facilitant l’exercice de sa mission. seule, faire avancer le chantier de la simplification du stock de normes ; le Conseil national d’évaluation des normes doit Vous l’aurez deviné, mes chers collègues, pour toutes ces également pouvoir y contribuer pleinement, à condition raisons, le groupe UDI-UC votera avec enthousiasme en – j’y insiste – qu’on lui donne des moyens humains et faveur de ce texte, bel exemple de simplification que nous financiers plus importants pour exercer sa mission. Or, ne cessons tous d’appeler de nos vœux. (Applaudissements.) comme cela a été rappelé, le décret du 30 avril 2014 pris Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. en application de la loi du 17 octobre 2013 est venu encadrer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le peuvent demander au Conseil national d’évaluation des secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du prési- normes d’évaluer une norme réglementaire en vigueur et a dent du Sénat, Gérard Larcher, la délégation aux collectivités rendu impraticable la saisine du CNEN par ces dernières. En territoriales et à la décentralisation, présidée par notre résulte une situation paradoxale : les élus locaux sont large- collègue Jean-Marie Bockel, a reçu compétence, par une ment exclus d’un outil que le législateur avait pourtant créé à décision du bureau du Sénat de novembre dernier, leur attention, à la suite des états généraux de la démocratie d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collecti- territoriale de 2012. À l’époque, on parlait du « choc de vités territoriales. En tant que vice-président de cette déléga- simplification » ! tion, chargé de la simplification des normes, j’ai souhaité constituer un groupe de travail qui, depuis bientôt quatre Il est regrettable que la proposition de loi de nos collègues mois, s’attelle à la maîtrise de la prolifération normative. Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui, rappelons-le, L’effort de simplification engagé par le groupe de travail ne fut adoptée dans un fort esprit de consensus au Sénat et dont pouvant aboutir sans l’appui des acteurs de terrain, la déléga- la lettre est pourtant claire – elle tient en deux articles –, ait tion aux collectivités territoriales a souhaité inaugurer sa vu sa portée ainsi amoindrie. C’est pour remédier à cette nouvelle mission en invitant les élus locaux à répondre à situation que nous avons souhaité avec le président de la une consultation en ligne à ce sujet à l’occasion de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisa- SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5145 tion, Jean-Marie Bockel, présenter la proposition de loi d’une saisine par les associations d’élus me paraît indispen- simplifiant les conditions de saisine du CNEN dont nous sable, puisque celles-ci disposent d’une connaissance des débattons aujourd’hui. problématiques locales et de moyens d’expertise juridique qui font d’elles des acteurs incontournables de la lutte Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois contre l’inflation normative. Cette saisine aidera le Conseil améliore indéniablement la proposition de loi initiale. Il national d’évaluation des normes à gérer rationnellement résout en particulier de façon plus efficace la difficulté résul- l’afflux éventuel de saisines dispersées. C’est pourquoi j’ai tant de l’exigence, imposée par le décret du 30 avril 2014 à souhaité déposer un amendement au texte de la commission, l’auteur d’une saisine, de produire une fiche d’impact de la afin de rétablir pour les associations nationales la possibilité norme contestée. Si l’on admet volontiers que l’auteur d’une d’adresser une demande d’évaluation au CNEN. saisine ait l’obligation de la motiver, il incombe en revanche à l’administration à l’origine de la norme, et non à l’auteur de Un autre changement intervenu à l’occasion de l’examen la saisine, d’apporter au CNEN les éléments techniques et du texte en commission est l’inscription, dans le code général financiers nécessaires à la conduite de l’évaluation. Dans la des collectivités territoriales, d’un alinéa indiquant que « les mesure où l’administration a réalisé une étude d’impact avant demandes d’évaluation sont motivées ». Bien que la codifi- l’édiction de la norme, il est logique qu’elle en mesure égale- cation de cette obligation de motivation ne pose pas ment les conséquences a posteriori. problème en soi, elle ne doit pas être perçue pour autant Cette modification de bon sens est de nature à simplifier la comme un obstacle à la saisine du CNEN par les collectivités faculté pour les collectivités territoriales de saisir le CNEN, territoriales. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un les plus petites communes ne disposant souvent pas des amendement visant à préciser que cette motivation est moyens humains et des ressources juridiques suffisants « succincte », pour éviter qu’elle ne devienne un pensum. pour produire une fiche d’impact étayée. Elle est également susceptible de faciliter l’exercice par le CNEN de sa mission Je forme le vœu que ces deux amendements aient une issue d’évaluation des normes réglementaires, puisque les rappor- favorable. Les collectivités territoriales attendent que l’effort teurs qu’il désigne afin d’instruire les demandes et d’élaborer de simplification, dont tout le monde reconnaît la nécessité, un projet d’avis ne bénéficient pas toujours d’une informa- aboutisse à des résultats concrets et visibles sur le terrain. Je tion complète et de qualité. C’est pourquoi il est légitime sais, monsieur le secrétaire d’État, pour vous avoir d’attribuer à l’administration, dans le déroulement de la auditionné, que vous souhaitez ardemment avancer dans procédure d’évaluation, une « charge de la preuve » de la cette voie. Faisons donc du Sénat le moteur de la simplifi- qualité et de l’efficacité de la norme. On ne peut donc cation des normes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP qu’approuver la formulation adoptée sur ce point par la et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du commission des lois visant à inverser la charge de la preuve groupe socialiste.) vers l’administration. Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. Le texte issu des travaux de la commission des lois complète également la proposition de loi initiale en M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le matière de normes relatives aux équipements sportifs, à la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est souvent suite de l’adoption de l’un de mes amendements. Ces dispo- reproché aux écologistes d’avoir un goût immodéré pour la sitions, dont l’incidence financière est souvent élevée, sont norme. Force est de l’admettre, il s’agit fréquemment du seul une source d’inflation normative bien connue des élus outil dont on dispose pour protéger ce bien commun qu’est locaux. l’environnement. Parce que tout le monde peut utiliser ce bien commun pour son profit individuel, il est indispensable Alors que la gestion des équipements sportifs est assurée à que des règles collectives, en l’occurrence souvent des hauteur de 85 % par les collectivités territoriales – cette normes, en régulent l’exploitation afin d’en préserver la participation financière est donc très importante –, ces qualité. normes sont soumises non à l’avis du CNEN, mais à celui d’une structure dédiée que vous avez évoquée, monsieur le Ce rappel étant fait, je souligne que les normes dont nous secrétaire d’État, à savoir la commission d’examen des projets débattons aujourd’hui ne s’inscrivent pas réellement dans ce de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Un cadre. Elles s’appliquent non pas directement à l’environne- lien existe tout de même entre ces deux instances, puisque la ment mais aux collectivités territoriales en général. En outre, CERFRES peut soumettre, sur décision de son président ou elles procèdent moins d’une régulation collective que d’une à la demande d’un tiers de ses membres, certains projets de mécanique de gestion administrative et juridique de plus en normes à l’avis préalable du CNEN. Mais c’est rarement le plus complexe. Y compris dans ce contexte, la norme n’est cas ! Aussi est-il justifié que la remise d’un avis par le CNEN, pas, par principe, un mal à bannir. Elle peut permettre de préalablement à celui de la CERFRES, ne soit plus l’excep- rationaliser certaines procédures, d’uniformiser des pratiques tion mais devienne la règle. On ne peut que souscrire à la trop discordantes, de mieux assurer la sécurité de nos conci- disposition adoptée sur ce sujet par la commission des lois. Il toyens, voire de protéger les élus locaux dans l’exercice de y aura donc désormais un double avis. certaines responsabilités juridiques délicates. Si ces deux avancées sont appréciables et compléteront Cela étant, le constat est, aujourd’hui, assez largement utilement la procédure d’instruction et le champ de compé- partagé : l’usage des normes applicables aux collectivités terri- tences du CNEN, le texte proposé par la commission de lois toriales est, hélas ! devenu déraisonnable. Certaines normes pourrait néanmoins être amélioré sur deux points précis, sur sont superfétatoires, d’autres sont disproportionnées, et leur lesquels j’ai déposé des amendements. volume incontrôlé entrave le respect du principe de subsi- Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi introduisait diarité, selon lequel toute décision publique doit être prise à la possibilité de confier aux associations d’élus locaux le droit l’échelon le plus bas possible. Je ne vous cache pas que les de saisir le CNEN sur le stock de normes. La possibilité écologistes sont également très attachés à ce principe. 5146 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Les précédents orateurs l’ont rappelé, les travaux du Sénat Enfin, la proposition de loi limite le recours aux saisines en ont, depuis longtemps, fort utilement documenté ce urgence du Conseil national d’évaluation des normes et, problème. Ils ont également contribué à le résoudre, par la même pour ces procédures d’urgence, elle impose des création, en 2008, de la Commission consultative d’évalua- délais incompressibles plus raisonnables que ceux actuelle- tion des normes. Toujours sur l’initiative du Sénat, la CCEN ment en vigueur. Osons le dire : le Parlement lui-même est a été transformée, via une proposition de loi de 2013, en une malheureusement habitué à ces délais déraisonnables, qui lui instance à l’ambition et aux pouvoirs élargis : le Conseil sont bien souvent imposés pour délibérer sur des projets de national d’évaluation des normes applicables aux collectivités loi, alors même qu’il y a très peu de véritables urgences territoriales et à leurs établissements publics. législatives. J’ai encore à l’esprit l’exemple du CICE, le En portant le regard extérieur qui le caractérise sur l’impact crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont la et l’intérêt des normes applicables aux collectivités, le CNEN création engageait la bagatelle d’une vingtaine de milliards permet d’amorcer un tri entre le bon grain et l’ivraie, non d’euros et qui fut introduit au Parlement par un amende- seulement dans les projets de normes mais aussi dans le ment du Gouvernement, déposé séance tenante sur un projet foisonnement de normes déjà instaurées. Mais, car il y a de loi de finances rectificative... un « mais », le décret auquel renvoyait la proposition de Les membres du groupe écologiste voteront naturellement loi de 2013 a fixé des modalités de saisine restrictives. la proposition de loi émanant des groupes UDI-UC et UMP, Premièrement, les collectivités requérantes ont pour obliga- pour la simple et bonne raison qu’elle contient des mesures tion d’asseoir leur saisine sur des « motifs précisément positives. Reste que j’ai entendu les propos de M. le secrétaire étayés », qu’elles n’ont pas forcément les moyens et l’expertise d’État, et je note son intention de nous aider à aller plus vite, d’établir. en rectifiant le décret. L’unanimité qui semble se dessiner dans cet hémicycle en faveur de cette proposition de loi Deuxièmement, et surtout, elles sont tenues de réunir pour permettra au Gouvernement, lors de la réécriture de ce toute saisine au moins cent maires et présidents d’établisse- décret, de ne plus oublier ce qu’est l’esprit d’un texte voté ment public de coopération intercommunale, ou dix prési- par le législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe dents de conseil général, ou deux présidents de conseil écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de régional – en tant que telles, les équivalences établies entre l’UDI-UC.) les différents niveaux de représentation ne manquent pas d’intérêt… M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien ! Or ces limites à la saisine du CNEN ont été introduites M. Joël Labbé. Bravo ! dans le décret d’application sans aucune référence à l’esprit qui avait présidé aux travaux du législateur. On se heurte, de Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile ce fait, à une difficulté de principe à laquelle nous nous Cukierman. trouvons très souvent confrontés. Les limites respectives des domaines de la loi et du règlement, définis par les Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des années, les articles 34 et 37 de la Constitution, sont de fait assez conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité floues. Ainsi, l’exécutif a beau jeu, au cours des débats parle- mentaires, d’exciper de l’exclusivité de son pouvoir réglemen- juridique qui en résulte nourrissent un flot croissant de criti- taire pour conserver une marge de manœuvre, dont cette ques. Nous dressions déjà ce constat en 2013. Aujourd’hui, nous observons que les textes qui nous sont soumis ont de discussion permet de constater qu’elle peut être utilisée à plus en plus d’articles. Le projet de loi Macron, dont nous mauvais escient. Il me semble donc important que le Parle- ment ose affirmer son pouvoir de législateur, même lorsque venons d’achever l’examen, en compte près de 300. Le projet de loi NOTRe, qui, comme l’a rappelé M. le secrétaire sa volonté trouve sa concrétisation dans des mesures situées d’État, reviendra mardi prochain en deuxième lecture dans au confluent des domaines de la loi et du règlement. cet hémicycle, n’échappe pas à la règle, même s’il ne tombe J’en reviens au fond des dispositions qui nous sont pas dans cet excès. N’oublions pas non plus les projets de loi soumises. de simplification du droit. Ces textes, qui visent à mettre un La présente proposition de loi vise à revenir sur ces limita- terme à l’inflation législative, pourraient être résumés par tions, fixées par décret, à la saisine du CNEN. Toutefois, cette formule : pour faire moins de normes, faisons plus de comme l’a fait remarquer le président de cette instance, Alain normes ! Lambert, il convient de veiller à ce que l’assouplissement des Ces législations infligent aux collectivités territoriales des conditions de saisine du CNEN ne conduise pas à son obligations toujours plus nombreuses. Ces dernières se engorgement rapide. Plusieurs mesures allant en ce sens traduisent par autant de coûts supplémentaires ou d’allonge- ont donc été introduites en commission, cette fois par le ments des délais de procédure. Néanmoins, cette inflation législateur. normative ne nous semble pas due, comme l’indique le Tout d’abord, le champ de saisine du Conseil national rapport, au seul « zèle normatif » des administrations d’évaluation des normes a été limité aux textes réglementaires centrales et déconcentrées de l’État, un zèle qui serait ayant un impact technique et financier sur les collectivités fondé sur une « croyance inconditionnelle » dans la locales. capacité des normes à « améliorer l’intérêt général ». Cette vision caricaturale minimise l’exigence de clarté du droit Ensuite, une motivation « simple », et non plus « précisé- figurant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. ment étayée », a été préservée pour toute saisine. Il n’y a pas de « volonté perverse de quelques administrateurs » En outre, une analyse peut désormais être commandée par mais une volonté de l’ensemble des fonctionnaires, quel que le CNEN à l’administration qui est l’origine de la norme, de soit le service auquel ils appartiennent, de bien faire, de telle sorte que sa création, et non plus sa suppression, soit produire la norme la meilleure, et ce au service de la justifiée. sécurité juridique. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5147

Nous approuvons la création du CNEN. Toutefois, même contrôle et d’orientation, les communes se sont retrouvées si sa saisine est élargie, cette instance ne suffira pas à desserrer seules. Aujourd’hui, les directions territoriales de l’État ne l’étau normatif dans lequel les collectivités territoriales sont peuvent plus répondre aux demandes des collectivités. prises. La présence de l’État s’est réduite, mais le besoin d’accom- Nous l’avons déjà dit lors des débats de 2013 : nos conci- pagnement et de conseil qu’éprouvent les maires n’a pas toyens exigent toujours plus de sécurité, au sens large du diminué pour autant. Ce retrait de l’État a été opéré au terme. Ces attentes sont elles-mêmes alimentées par des bénéfice de consultants, plus ou moins aguerris et formés, peurs, lesquelles sont entretenues par des discours alarmistes d’agences privées qui prolifèrent et facturent, bien entendu, et catastrophistes. Cette demande de sécurité émise par les tous les services qu’elles rendent. Le coût des projets s’en citoyens est relayée par les pouvoirs publics, lesquels se font trouve renchéri, au titre de l’investissement comme des l’écho des inquiétudes de la population par l’adoption de frais de fonctionnement, les temps d’études rallongés, favori- nouvelles normes. J’ajoute que les médias ont, en la sant la « réunionnite », et l’exacerbation des élus locaux matière, leur part de responsabilité. Que ce soit dans la accentuée. presse écrite ou dans les émissions télévisées, cette interroga- tion est omniprésente : « Mais que font les pouvoirs publics ? » C’est en rendant aux collectivités territoriales les moyens de À chaque instant, pour chaque incident de la vie, on exige faire face aux exigences législatives que nous ferons disparaître que l’action publique garantisse davantage de sécurité, ce qui la principale source du problème – la principale mais non la incite à aller toujours plus loin sans jamais revisiter l’existant. seule, j’insiste sur ce point. La prolifération législative est réelle, et la concertation et l’alerte sont les meilleurs Toutefois, les normes ne sont pas seules en cause dans la remèdes contre l’empilement des normes. perte de liberté des autorités locales. Un autre facteur, ne relevant ni de la loi du 17 octobre 2013 ni de la présente J’en reviens plus précisément à la proposition de loi dont proposition de loi, est la multiplication des cartes, des nous débattons et qui porte, essentiellement, sur les modalités schémas et autres découpages du territoire. de saisine du CNEN. M. Rémy Pointereau. C’est vrai ! Nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, nous recon- Mme Cécile Cukierman. Nous évoquerons de nouveau naissons que des progrès significatifs ont été accomplis au cette question la semaine prochaine. cours des dernières années, notamment grâce au CNEN et à la commission d’examen des projets de règlements fédéraux La multiplication des schémas, par exemple, a pour effet de relatifs aux équipements sportifs – je ne reviendrai pas sur la renforcer les obligations et les interdictions, qui, même si question des paniers de basket-ball, dont nous avons déjà elles sont sans incidences financières directes, accentuent la longuement débattu… Ces instances ont permis de faire perte de liberté locale en imposant des contraintes dans tous évoluer les méthodes de travail des administrations centrales. les domaines. Désormais, ces dernières s’interrogent davantage sur l’utilité M. Jean-Claude Requier. Exact ! des textes qu’elles produisent et évaluent les conséquences techniques et budgétaires des prescriptions qu’elles énoncent. Mme Cécile Cukierman. Enfin, comment assurer la simpli- fication administrative attendue sans amoindrir la légitimité Dès lors, nous souscrivons pleinement à la nécessité de de l’action publique, placée « au service d’une société rappeler la faculté de saisine du CNEN par toute collectivité solidaire et de progrès » ? territoriale et par tout EPCI. Nous soutenons l’élargissement de la saisine à l’ensemble des parlementaires et aux associa- Ne perdons jamais de vue que, si la norme peut être tions d’élus, de même que la suppression de toute mention contraignante à l’égard des uns, elle peut protéger les d’un décret d’application, le décret ayant outrepassé l’inten- autres à plus long terme. Parallèlement, nous devons tion du législateur. garantir les moyens nécessaires à la mise en œuvre des normes : faute de quoi nous risquons d’aggraver les inégalités M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout à fait ! dans nos territoires. Mme Cécile Cukierman. De même, nous approuvons les Tel est le difficile équilibre qu’il nous faut systématique- précisions apportées quant à la motivation des avis du CNEN ment chercher à atteindre. Telle est la problématique à et à l’encadrement du recours à la procédure d’urgence. Ces laquelle nous devons répondre. dispositions permettront de renforcer le rôle d’expertise et d’alerte du Conseil national d’évaluation des normes. Les difficultés auxquelles les élus locaux se heurtent au quotidien sont réelles, mais leur exacerbation est, en Néanmoins – je l’ai indiqué en ouvrant mon interven- grande partie, liée à l’insuffisance des moyens financiers tion –, gardons à l’esprit que, derrière le rejet des normes dont disposent les collectivités. De surcroît, comme nous par les élus, se cache la difficulté de mise en œuvre de l’action l’avions indiqué lors de la création du CNEN, cette évolution publique au sein des territoires. Comme en 2013, nous est due au retrait de l’État et à la disparition de son soutien devrons veiller à ce que les recommandations du CNEN technique dans nos départements, depuis la mise en œuvre n’aboutissent pas à une forme de déréglementation ou de de la RGPP, la révision générale des politiques publique. En dérégulation, qui conduirait à reléguer les objectifs d’accessi- effet, si les collectivités sont en difficulté, ce n’est pas tant à bilité ou de sécurité, les normes sanitaires ou de protection de cause de la prolifération législative que du fait du désenga- l’environnement. gement de l’État, lequel prend diverses formes : suppression Ces réserves étant émises, j’indique que les membres du de dotations et de subventions, transferts de compétences aux groupe CRC voteront la proposition de loi. (Applaudissements collectivités sans compensation financière pleine et entière, sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du etc. De nombreuses communes sont confrontées à la comple- groupe socialiste et de l’UDI-UC.) xité technique des projets qu’elles ont à mener. Alors que les fonctionnaires de l’État pouvaient jouer un rôle de conseil, de M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Bravo ! 5148 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude qu’une demande d’évaluation soit examinée, la signature d’au Requier. moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale, ou de dix présidents de M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une proposition de conseil général, ou de deux présidents de conseil régional, loi pour simplifier la saisine du Conseil national d’évaluation mais aussi la réalisation d’une fiche d’impact présentant entre des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs autres éléments « ses motifs précisément étayés ». établissements publics, c’est le comble du comble. Voilà où Autant dire que la loi est vidée de sa substance et que le nous mène l’édiction de décrets d’application qui vont au- décret d’application fait du Conseil national d’évaluation des delà de la loi et l’interprètent à leur façon ! normes une simple coquille vide. Autant dire que l’adminis- Ces décrets, qui méconnaissent l’esprit de la loi, sinon sa tration craignait des saisines intempestives de la part des élus lettre, s’apparentent à l’élaboration d’une véritable loi et tenait à limiter au maximum l’exercice de ce droit créé par administrative. Ce genre de pratique de l’administration ne la loi. Cette complexification inexpliquée de la saisine du devrait pouvoir se répéter encore à l’infini. Aujourd’hui, Conseil national d’évaluation des normes montre une notre assemblée est contrainte de se pencher de nouveau certaine défiance envers les élus locaux. Nous saluons donc sur un sujet dont elle a déjà débattu, sur lequel le Parlement l’initiative de nos collègues Jean-Marie Bockel et Rémy s’est prononcé et dont la lettre comme l’esprit avaient été Pointereau en même temps que nous déplorons d’être fixés par les débats parlementaires. Si la Ve République a mis obligés d’y recourir. La navette parlementaire devra être en place des mécanismes de parlementarisme rationalisé, succincte et diligente, puisque nous avons déjà débattu à peut-être faudra-t-il penser à mettre en œuvre des plusieurs reprises de ce sujet. mécanismes d’administration rationalisée ! Le groupe du RDSE votera à l’unanimité le présent texte. Nous avons déjà, lors des cinq lois de simplification qui se Nous espérons ainsi pouvoir faire mentir la définition sont succédé depuis 2012, soulevé le fait que c’est le plus humoristique que donnait de l’administration l’économiste souvent le fonctionnement de l’administration qui est en Georges Elgozy : « Mot femelle qui commence comme cause, du fait de rigidités structurelles, de certains comporte- admiration et finit comme frustration ». (Applaudissements ments ancrés dans la pratique et même, pourrait-on dire, sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du groupe écologiste.) d’un certain esprit administratif. Une grande majorité des M. Jean-Pierre Sueur. Très belle citation ! 900 propositions de simplification contenues dans le programme pluriannuel qui met en œuvre le choc de simpli- Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. fication est d’ordre réglementaire. C’est, par exemple, large- M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ment le cas en matière d’environnement, d’urbanisme, de secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus des collectivités fiscalité et de déclarations des entreprises. Ces dernières locales se plaignent depuis longtemps de l’inflation des textes doivent plusieurs fois par an communiquer leur chiffre normatifs. Rappelons d’abord que nombre de normes sont d’affaires, leur respect des normes environnementales ou justifiées par des raisons tenant, par exemple, à la sécurité, à la paritaires, tout cela du fait de l’administration ! santé ou à la préservation de l’environnement. Toutefois, à côté de ces normes nécessaires, d’autres sont plus discutables Au même titre que les acteurs économiques, les collectivités ou, du moins, leur nécessité peut être remise en cause. Ainsi, territoriales sont affectées par le fléau de l’inflation norma- beaucoup d’élus se sont plaints de l’édiction de nouvelles tive. Le seul code général des collectivités territoriales compte normes en matière sportive qui imposent aux communes 3 500 pages, et ce n’est pas, loin s’en faut, l’unique code de modifier les panneaux d’affichage des résultats pour que applicable dans les collectivités locales : il faut y ajouter le leur stade soit homologué et puisse accueillir des compéti- code électoral, le code de l’urbanisme, le code de la construc- tions d’un certain niveau. De telles décisions peuvent paraître tion et de l’habitation, le code de l’environnement, le code de judicieuses aux associations ou aux instances qui les ont la fonction publique… Selon le rapport de M. Belot, « les prises, mais elles induisent des coûts qui s’imposent aux 163 projets de normes de l’État qui ont donné lieu à une élus et pèsent sur les contribuables. Autrement dit, si évaluation en 2009 représentaient plus de 580 millions certaines normes sont indispensables, d’autres ne le sont d’euros [...] ; pour 2010, le coût des 176 projets évalués pas et leur mise en œuvre peut très légitimement donner représentait 577 millions ». Il faut aussi rappeler l’impact lieu à des discussions au regard des contraintes et coûts financier pour les collectivités territoriales des décrets d’appli- qu’elles induisent. cation de la loi Grenelle 2, qui a nécessité plus de 250 décrets et arrêtés. Espérons que la future loi relative à la transition Lors des états généraux de la démocratie territoriale qui ont énergétique n’aura pas les mêmes effets dommageables. En été organisés au Sénat en 2012 sur l’initiative de Jean-Pierre tout cas, nous sommes sans illusion sur les effets sur nos Bel, alors président de notre assemblée, deux points majeurs collectivités de la « clarification » des compétences qu’opère sont apparus. Ils reflétaient les préoccupations de milliers l’actuelle réforme territoriale. d’élus qui, dans chaque département de France, avaient parti- cipé à ces états généraux. Le premier concernait les conditions Le Conseil national d’évaluation des normes est issu d’une d’exercice des mandats locaux, ce qu’il est convenu d’appeler proposition de loi sénatoriale déposée en novembre 2012 sur le statut de l’élu ; le second avait précisément trait aux normes l’initiative de nos excellents collègues Jacqueline Gourault, applicables aux collectivités locales. Il fut alors demandé à qui préside ce soir la séance, et Jean-Pierre Sueur, qui siège deux de nos collègues – Jacqueline Gourault et Jean-Pierre aujourd’hui au banc de la commission. De façon embléma- Sueur – d’élaborer des propositions de loi susceptibles de tique, comme le souligne l’exposé des motifs de la présente faire évoluer les choses sur ces deux points. proposition de loi, le décret portant application de la loi du 17 octobre 2013 méconnaît l’objectif de simplification que Le premier de ces deux textes, la proposition de loi visant à cette loi portait. A contrario de la volonté du législateur, ce faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, a enfin décret multiplie les conditions de saisine. Il impose, pour été adopté en seconde lecture à l’Assemblée nationale, après SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5149 une trop longue attente. Une commission mixte paritaire a Au total, il s’agit de dispositions pragmatiques. La prolifé- eu lieu. Le texte a été promulgué, et la loi est aujourd’hui en ration de normes discutables et dont la nécessité ne s’impose vigueur. pas peut porter tort aux normes qui, elles, sont indispensa- bles. La démarche que met en œuvre la présente proposition Le second texte, la proposition de loi portant création d’un de loi s’inscrit dans le droit fil de la proposition de loi Conseil national d’évaluation des normes applicables aux élaborée par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, dans collectivités territoriales et à leurs établissements publics, a le droit fil des conclusions des états généraux des collectivités été adopté plus rapidement. Il accorde des pouvoirs plus territoriales et dans le droit fil des débats du Sénat. Il s’agit étendus à ce conseil national qu’à l’instance qui existait d’aider les élus locaux à accomplir leur mission. Ce faisant, le précédemment. Il lui donne mission d’étudier l’ensemble Sénat remplit pleinement la mission qui est la sienne, au des projets de textes législatifs et réglementaires instituant service du bon fonctionnement de nos collectivités locales, des normes applicables aux collectivités locales. Ainsi, c’est et donc de notre République. (Applaudissements.) en amont que de nouvelles normes éventuelles sont étudiées par une instance représentative des élus locaux qui peut faire Mme la présidente. La parole est à M. François toute observation utile quant à l’opportunité des projets de Bonhomme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) normes eu égard aux coûts et aux contraintes qu’elles sont M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur susceptibles d’induire. De surcroît, le Conseil national le secrétaire d’État, mes chers collègues, « [les normes], sujet d’évaluation des normes peut se saisir non seulement des rituel du congrès des maires de France, où chaque année normes qu’il est prévu d’édicter, mais aussi du stock des – j’imagine – l’État s’engage avec des formules incantatoires ! normes en vigueur dans les lois ou les textes à caractère “Jamais plus, toujours moins”... Mais je sais aussi que le poids réglementaire. de ces normes est devenu invivable : 400 000, c’est un frein Les sénateurs, qui représentent, selon la Constitution, les inacceptable à l’initiative et à la compétitivité ». Ainsi s’expri- collectivités territoriales de la République, se sont, à juste mait le Président de la République devant les élus locaux le titre, réjouis de la promulgation de ce texte, qui avait 20 novembre 2012. On ne saurait mieux dire. Tous les élus d’ailleurs été adopté par notre assemblée à l’unanimité. Or locaux ont naturellement applaudi, emportés par la même il se trouve que le décret publié pour appliquer cette loi n’a adhésion. respecté, comme cela a déjà été très bien dit par les orateurs Par ailleurs, je pourrais égrener la longue liste de rapports, précédents, ni l’esprit ni la lettre de la loi votée. Ainsi, aux au demeurant d’excellente qualité, faisant peu ou prou le termes de ce décret, pour que le Conseil national d’évalua- même constat. Le diagnostic est donc fort ancien pour un tion des normes puisse être saisi d’une ou de plusieurs mal pernicieux et qui s’accroît au fil des années. normes prévues ou existantes, il faut que cent maires L’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » a pris soient cosignataires de la saisine, ou encore dix présidents un sens involontairement ironique ou sarcastique. En effet, de conseil général – aujourd’hui conseil départemental – ou comment imaginer connaître toutes les lois, règlements et deux présidents de conseil régional. Ni la proposition de loi normes applicables dans un domaine donné ? Pis, malgré les ni le texte voté au Sénat ne prévoyaient une telle disposition, aides en tous genres, les codes, la facilité numérique et un qui n’a pas même été évoquée au cours des débats parlemen- personnel mieux formé qu’autrefois, des interrogations taires. Ce décret fixe donc des conditions bien plus restric- accrues surgissent. On ne sait si telle norme est applicable tives que le législateur ne l’a souhaité pour la saisine du ou non, ni quelle norme appliquer lorsque deux d’entre elles CNEN. paraissent contradictoires. C’est donc à bon droit que nos collègues Jean-Marie Au bout du compte, il y a matière à réflexion lorsque l’on Bockel et Rémy Pointereau ont déposé une proposition de songe que les lois de décentralisation ont supprimé la tutelle loi tendant à inscrire dans la loi que chaque commune, quelle administrative et la tutelle financière, mais pas la tutelle que soit sa taille, chaque établissement public de coopération technique et normative. Cette contrainte se voit renforcée intercommunale à fiscalité propre, chaque département, depuis peu par la crise économique et le contexte budgétaire chaque région pourra saisir directement le CNEN. Je tiens tendu, en particulier pour les collectivités locales, qui doivent à dire ici que le groupe socialiste soutient pleinement cette faire face à la réduction programmée des dotations de l’État. initiative, qui vise à faire respecter ce que le législateur a voulu. Dans ce contexte contraint, le Conseil national d’évalua- tion des normes est un organisme indépendant dont la M. Rémy Pointereau. Bravo ! mission est notamment d’étudier l’impact technique et finan- M. Jean-Yves Leconte. De même, notre groupe soutient les cier des projets de normes réglementaires, législatives et autres modifications au texte de la proposition de loi qui ont communautaires applicables aux collectivités territoriales et été proposées par le rapporteur et approuvées par la commis- à leurs établissements publics. II peut aussi se saisir de sion des lois. Il faut éviter d’engorger le CNEN, qui est l’évaluation du stock de normes réglementaires en vigueur. aujourd’hui saisi obligatoirement de tout texte réglementaire relatif aux collectivités locales. Il est donc logique qu’il ne soit La loi du 17 octobre 2013 a prévu que le CNEN peut être saisi que des projets de textes réglementaires ayant un impact saisi par les collectivités territoriales ou leurs groupements, le sur les normes. Gouvernement et les commissions permanentes des deux assemblées parlementaires. La proposition de loi qui nous Nous approuvons également les modifications proposées occupe aujourd’hui vient utilement poser la question des en matière d’examen d’un texte en urgence, sur l’initiative du conditions de saisine du CNEN. Le décret d’application, Premier ministre. Nous ne méconnaissons pas l’urgence qui publié le 30 avril 2014, a en effet fixé des conditions draco- peut s’imposer pour des circonstances diverses, parfois graves, niennes et plus restrictives que celles initialement prévues par mais nous considérons que, en tout état de cause, un temps la loi. La présente proposition de loi supprime donc ces minimal doit être laissé au CNEN pour qu’il puisse exigences contraires à la position du législateur. Toute collec- s’acquitter correctement de sa mission. tivité territoriale ou tout EPCI doit pouvoir saisir le CNEN. 5150 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Cette saisine est par ailleurs élargie à l’ensemble des parle- depuis la Révolution. Les implications en seraient si consi- mentaires et associations d’élus locaux qui pourront ainsi dérables qu’une telle perspective appellerait inévitablement consulter le CNEN sur le stock de normes en vigueur. un débat national bien plus large que celui qui nous occupe Enfin, la proposition de loi supprime le recours à des aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. mesures d’application par décret. – M. le rapporteur et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.) Au-delà de ces dispositions, la question de fond sous- jacente à la proposition de loi est de savoir si la nouvelle institution du CNEN est en mesure d’accomplir son Mme la présidente. La discussion générale est close. écrasante mission et si ce conseil national est un instrument efficace de régulation de la production normative. Or la Nous passons à la discussion du texte de la commission. simple évaluation des effets d’une réglementation est une tâche complexe et lourde qui nécessite des études et du PROPOSITION DE LOI SIMPLIFIANT LES temps, d’autant que sa saisine par des collectivités territoriales CONDITIONS DE SAISINE DU CONSEIL ou par des associations d’élus amène nécessairement le risque NATIONAL D’ÉVALUATION DES NORMES d’être débordé par les demandes. Dispose-t-on des moyens humains et financiers pour faire face à cela ? Non, sans doute, Article unique surtout si les méthodes de travail de l’administration centrale restent les mêmes, d’autant qu’on peut douter que l’urgence, 1 L’article L. 1212-2 du code général des collectivités si souvent invoquée en l’espèce, soit entendue de la même territoriales est ainsi modifié : façon par ces administrations que par les élus. 2 I (nouveau). – Le premier alinéa du I est ainsi rédigé : À ces considérations contingentes s’ajoutent des éléments 3 « Le Conseil national d’évaluation des normes est objectifs : nos concitoyens pensent que la solution à un consulté par le Gouvernement sur les projets de textes problème réside dans l’adoption d’une nouvelle norme, de réglementaires créant ou modifiant des normes ayant un préférence législative, qui entraîne généralement une cascade impact technique et financier pour les collectivités terri- de normes subordonnées. Il y a là un phénomène d’auto- toriales et leurs établissements publics. » engendrement tout à fait pernicieux : la norme appelle la norme. Dans ces conditions, il y a fort à craindre que le 4 II (nouveau). – Le III est ainsi rédigé : CNEN se trouve rapidement congestionné. 5 « III. – La commission d’examen des projets de L’enfer, ici comme ailleurs, est pavé de bonnes intentions. règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs L’heure étant au latin, monsieur le secrétaire d'État, quod soumet, avant de prononcer son avis définitif, tout infernum sit in bonum intentiones contravit… Les meilleures projet de norme d’une fédération délégataire à l’avis du dispositions d’esprit peuvent conduire aux pires résultats. Et conseil national. » quel résultat ! Aujourd’hui, notre pays a produit une espèce 6 III (nouveau). – Les deux premiers alinéas du V sont de pachyderme normatif, de plus en plus impotent, qui remplacés par trois alinéas ainsi rédigés : croule sous son propre poids, et on a le plus grand mal à 7 « V. – Le conseil national examine les demandes le mettre à la diète ! d’évaluation des normes réglementaires en vigueur appli- Face à cet impératif de régulation de la production norma- cables aux collectivités territoriales et à leurs établisse- tive, un traitement homéopathique est insuffisant là où une ments publics qui lui sont transmises par le thérapie génique s’impose. Car, finalement, cette situation Gouvernement, les députés et les sénateurs, les collecti- témoigne d’une contradiction difficilement surmontable, vités territoriales et les établissements publics de coopé- entre l’égalité et la liberté locale, et qui a été mise en ration intercommunale à fiscalité propre. exergue par d’éminents professeurs de droit : « La décentra- 8 « Il examine les demandes d’évaluation de ces normes lisation, comprise comme la recherche d’une autonomie, présentées par un ou plusieurs de ses membres représen- appelle une différenciation et que celle-ci ne peut que débou- tant les collectivités territoriales et les établissements cher sur des différences qui sont ou deviennent des inégalités. publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. L’égalité, de son côté, implique que la règle soit la même sur 9 « Les demandes d’évaluation sont motivées. » tout le territoire, qu’elle s’impose aux collectivités locales. Et comme l’on ne peut, aujourd’hui, accepter la centralisation, 10 IV (nouveau). – Le troisième alinéa du V est complété mais que les effets logiques d’une véritable décentralisation ne par une phrase ainsi rédigée : sont pas plus acceptés, on imagine des solutions de 11 « Cette évaluation est effectuée sur la base d’une compromis, des équilibres, notamment financiers, avec les analyse réalisée par l’administration compétente à la compensations et les péréquations de toutes sortes, tout cela demande du conseil national, dans un délai de trois avec l’accord implicite des citoyens qui veulent à la fois la mois à compter de la notification de la demande par le liberté locale mais sans abandonner la sacro-sainte égalité. » conseil à l’administration concernée. » Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nous en soyons arrivés à cette situation inextricable. 12 V (nouveau). – Le VI est ainsi modifié : 13 1° La troisième phrase du premier alinéa est ainsi L’une des hypothèses jusqu’à présent repoussée dans notre rédigée : pays, qui a la « passion de l’égalité », comme chacun le sait, serait une différenciation de la « norme » en fonction « des » 14 « Sur demande motivée du Premier ministre ou du territoires. Nous sommes là au cœur des logiques contradic- président de l’assemblée parlementaire qui le saisit, ce toires et contrariées. Mais voilà, cette différentiation norma- délai peut être fixé à deux semaines. » ; tive serait un tel bouleversement sur le plan juridique qu’elle 15 2° La première phrase du deuxième alinéa est ainsi reviendrait à abandonner le principe d’uniformité appliqué rédigée : SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5151

16 « En cas d’impérieuse nécessité et sur demande Vous le savez, si l’une des associations que nous connais- motivée du Premier ministre, ce délai peut être réduit sons parfaitement, à laquelle nous avons adhéré et que l’un sans être inférieur à quatre jours ouvrables. » d’entre nous a parfois présidée, souhaite que tel problème soit soulevé devant le CNEN, elle n’aura aucune difficulté à le Mme la présidente. L'amendement no 2 rectifié, présenté faire : tous ses membres pourront le faire. par MM. Pointereau, Doligé, Mouiller et Lefèvre, Mme Troendlé, MM. Jarlier et Maurey, Mme Cayeux et Mme Françoise Gatel. Ce n’est pas pareil ! M. Bockel, est ainsi libellé : M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Telle est la position de la Alinéa 7 commission. Compléter cet alinéa par les mots : Cela dit, je prends acte, mon cher collègue, de la modifi- cation que vous avez apportée : l’amendement no 2 rectifié bis , et les associations d’élus locaux restreint le champ, mais, en tant que rapporteur, je me dois La parole est à M. Rémy Pointereau. de maintenir l’avis de la commission. La Haute Assemblée tranchera… M. Rémy Pointereau. L’alinéa 7 de l’article unique de la proposition de loi prévoit que les demandes d’évaluation Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ? adressées au Conseil national d’évaluation des normes M. André Vallini, secrétaire d'État. Pour les raisons que vient peuvent être transmises par le Gouvernement, les députés excellemment d’exposer M. le rapporteur, le Gouvernement et les sénateurs, ainsi que les collectivités territoriales et leurs est défavorable à cet amendement. groupements. Les associations d’élus ne peuvent donc pas Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, être l’auteur de saisines. Nous proposons de leur ouvrir cette pour explication de vote. possibilité. M. Jean-Marie Bockel. La logique du raisonnement de Cela étant, nous aurions dû préciser que seules les associa- M. Sueur est tout à fait respectable. Pour autant, si l’on tions nationales d’élus locaux sont concernées, faute de quoi veut, dans la pratique, que le travail se fasse, il faut impliquer toutes les associations départementales pourraient aussi saisir les associations d’élus, qui sont capables de préparer et de le CNEN. suivre les demandes. Bien sûr, on peut toujours s’adresser à M. Jean-Claude Requier. Eh oui ! un élu, mais c’est une démarche simplifiée que l’on nous propose ici, même si ces associations, dont on peut limiter le M. Rémy Pointereau. Aussi, je rectifie l’amendement en ce nombre, ne figurent pas formellement dans les textes de loi. sens, madame la présidente, afin qu’il soit plus précis. Au fond, l’amendement de notre collègue Rémy Pointe- Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement o reau, que nous avons été plusieurs à cosigner, vise à simplifier n 2 rectifié bis, présenté par MM. Pointereau, Doligé, la méthode. Mouiller et Lefèvre, Mme Troendlé, MM. Jarlier et Maurey, Mme Cayeux et M. Bockel, et ainsi libellé : Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote. Alinéa 7 Mme Françoise Gatel. Je tiens à saluer l’extrême précision Compléter cet alinéa par les mots : du rapporteur. Toutefois, même si je partage le souci de notre , et les associations nationales d’élus locaux collègue de ne pas engorger le Conseil national d’évaluation des normes, il me semble plus simple que la contestation Quel est l’avis de la commission sur cet amendement d’une norme portée par dix, vingt, cinquante ou soixante rectifié ? communes ne soit formulée que par le biais d’un seul canal, M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission demande celui d’une association nationale. C’est pourquoi je soutiens à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement ; à cet amendement, qui constitue un élément facilitateur et défaut, elle émettra un avis défavorable. simplificateur. Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement no 2 Avec les modifications proposées par la commission, le rectifié bis. Conseil national d’évaluation des normes pourra être saisi par toutes les communes, à savoir les 36 700 communes, y (L'amendement est adopté.) compris une commune de vingt habitants, tous les départe- o Mme la présidente. L'amendement n 1 rectifié, présenté ments, toutes les régions,… par MM. Pointereau, Doligé et Lefèvre, Mme Troendlé, M. Éric Doligé. Il n’y en a plus que treize ! M. Mouiller, Mme Cayeux et MM. Jarlier et Bockel, est ainsi libellé : M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … toutes les intercom- munalités à fiscalité propre, tous les députés, tous les Alinéa 9 sénateurs. Le Conseil national d’évaluation des normes appli- cables aux collectivités territorial pourra également s’auto- Compléter cet alinéa par le mot : saisir – chacun des membres pourra saisir le CNEN. Dans succinctement. ces conditions, il ne nous a pas paru nécessaire d’ajouter les associations d’élus, d’autant que l’amendement initial visait La parole est à M. Rémy Pointereau. toutes les associations, c'est-à-dire également les associations M. Rémy Pointereau. La commission des lois a prévu que départementales. les demandes soient motivées. J’observe que les associations d’élus sont des organismes de Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la droit privé, qui n’ont pas de consécration législative : elles ne demande d’évaluation adressée au CNEN par une commu- figurent pas dans les textes de loi. nauté de communes, par exemple, ne doit pas se transformer 5152 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 en pensum. La motivation doit pouvoir se faire succincte- La proposition de loi prévoit que les demandes doivent être ment, en quelques lignes, nul besoin d’un rapport de motivées. La motivation pourra donc faire l’objet d’un texte cinquante pages. de quelques lignes – succinct, donc – ou d’une argumenta- Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ? tion plus développée. M. Éric Doligé. Succinctement ! (Sourires.) Mme la présidente. Permettez-moi d’intervenir, mes chers collègues. Tout cela n’est peut-être pas fondamental, M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je veux vous persuader, monsieur Pointereau… mon cher collègue, du bien-fondé de la position de la commission des lois, qui n’a pas retenu cet amendement. M. Rémy Pointereau. Non, en effet. Dès lors que l’on écrit dans la loi que la saisine est motivée, Mme la présidente. Vous retirez donc l’amendement ? cela suffit : le texte peut ne comporter que trois lignes. Mais si M. Rémy Pointereau. Oui, madame la présidente. vous inscrivez que la demande doit être motivée succincte- ment, cela signifie que, aux termes de la loi, la motivation Mme la présidente. L'amendement no 1 rectifié est retiré. devra forcément être succincte. Vous priverez ainsi certaines L'amendement no 3, présenté par le Gouvernement, est entités, telle une association d’élus, d’écrire une, cinq ou dix ainsi libellé : pages. Moi-même, j’estime qu’il serait vexatoire d’empêcher quelqu’un d’écrire cinq pages… I. - Alinéa 14 Mme Cécile Cukierman. Surtout vous ! (Sourires.) Remplacer le mot : M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mon cher collègue, si fixé l’on en reste à la rédaction proposée par la commission, je vous l’assure – le compte rendu fera foi –, la motivation par les mots : pourra faire l’objet d’un texte très court ou plus long si réduit sans être inférieur telle collectivité, telle association ou tel parlementaire souhaite faire valoir davantage d’arguments. II. - Alinéa 16 Par conséquent, je sollicite le retrait de votre amendement. 1° Remplacer les mots : Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ? En cas d’impérieuse nécessité M. André Vallini, secrétaire d'État. Même avis. par les mots : Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude À titre exceptionnel Requier, pour explication de vote. 2° Remplacer les mots : M. Jean-Claude Requier. Sans être du parti socialiste, je propose d’ajouter un petit mot qui pourrait nous permettre sans être inférieur à quatre jours ouvrables de réaliser la synthèse. (Sourires.) Pourquoi ne pas écrire par les mots : « même succinctement » ? Avec cette rédaction, les demandes d’évaluation pourraient être motivées en cinq à soixante-douze heures pages, comme l’indique M. le rapporteur, ou en quelques lignes seulement, comme le souhaite M. Pointereau. La parole est à M. le secrétaire d'État. Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, M. André Vallini, secrétaire d'État. Il convient de concilier pour explication de vote. deux impératifs : le Conseil national d'évaluation des normes doit exercer sa mission dans de bonnes conditions – c’est Mme Françoise Gatel. Je serai succincte. (Sourires.) l’objet de la proposition de loi – et le Gouvernement doit Nous passons cet après-midi à examiner une proposition pouvoir s’inscrire, notamment en cas de circonstances excep- de loi dont l’objet est de contrer la rédaction d’un décret. J’ai tionnelles, dans un calendrier resserré, voire parfois très toute confiance en M. Sueur, mais ce n’est pas lui qui sera resserré. chargé de lire les objets de motivation des demandes de Si prévoir une demande motivée du Premier ministre pour saisine. Or il est tout à fait possible qu’une personne la procédure d’urgence nous paraît constituer une bonne trouve l’un de ces objets trop succinct et écarte, de ce fait, mesure, le délai minimum de quatre jours ouvrables pour la saisine du CNEN. l’extrême urgence est très contraignant et pourrait gêner le Par conséquent, je trouve que l’adverbe « succinctement » Gouvernement lorsqu’il se trouve confronté à une situation est génial en cet après-midi de simplification. exceptionnelle. De surcroît, la référence aux jours ouvrables introduit un élément mouvant en termes de délai et peut, en Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, pratique, conduire à un délai de six jours. pour explication de vote. M. Rémy Pointereau. Je trouve que la proposition de L’objet de cet amendement est donc d’accorder la grada- M. Requier répondrait à la problématique évoquée par tion définie dans la proposition de loi avec les impératifs de M. le rapporteur. Ainsi, celui qui voudra motiver sa délai auxquels le Gouvernement ne peut se soustraire. demande en faisant long pourra le faire, quand celui qui Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ? voudra faire court n’en sera pas privé non plus. M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le secrétaire Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. d’État, vous jouez votre rôle de membre du Gouvernement, M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Malgré toute la sympa- mais vous savez que cet amendement est contraire à la thie que je porte à M. Requier, je rappelle que nous faisons la position de la commission. En effet, j’ai évoqué au cours loi. de la discussion générale un événement qui a vraiment eu SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5153

lieu. Le CNEN, en la personne de son président Alain 12 Lambert, a été saisi du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte un vendredi soir. M. André Vallini, secrétaire d'État. Ce n’est arrivé qu’une PROTECTION DES INSTALLATIONS CIVILES seule fois ! ABRITANT DES MATIÈRES NUCLÉAIRES

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, mais cela s’est Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte produit. Le Conseil national d’évaluation des normes a dû de la commission rendre un avis dans les soixante-douze heures ! Ce délai ne M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la nous paraît vraiment pas raisonnable. Il convient de laisser le demande du groupe UMP, de la proposition de loi, adoptée temps nécessaire à cette instance, qui a un rôle important à par l’Assemblée nationale, relative au renforcement de la jouer, de travailler. protection des installations civiles abritant des matières Nous sommes tout à fait d’accord avec le délai de saisine de nucléaires (proposition no 277, texte de la commission no quinze jours dans le cas d’une procédure d’urgence, mais 447, rapport no 446). nous demandons un délai de quatre jours ouvrables en cas Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire de procédure d’extrême urgence, car un minimum de temps d'État. est indispensable pour examiner un projet de loi qui peut comporter plusieurs dizaines de pages ou un texte réglemen- M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de taire qui peut être extrêmement complexe. l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, Mes chers collègues, je vous invite donc à ne pas adopter monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la l’amendement du Gouvernement. proposition de loi relative au renforcement de la protection

o des installations civiles abritant des matières nucléaires, Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n 3. déposée par M. Claude de Ganay et plusieurs autres (L'amendement n'est pas adopté.) députés, a été adoptée par l’Assemblée nationale au mois de février dernier. Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?... La discussion de ce texte doit permettre d’en envisager tous Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, les aspects concrets, car les enjeux associés à la sécurité des l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de installations nucléaires françaises ne sauraient souffrir loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d’incompréhension au moment où, de manière globale, les d'évaluation des normes. intérêts de notre pays sont régulièrement pris pour cible. (La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.) La France attache la plus grande importance à la sécurité nucléaire, dans le respect de ses engagements et des recom- Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons mandations internationales. Elle maintient dans ce domaine à vingt et une heures trente. une vigilance particulière, en cherchant à adapter de manière constante son corpus réglementaire et législatif à la réalité des La séance est suspendue. menaces ; j’en veux pour preuve le décret du 17 septembre 2009 relatif à la protection et au contrôle des matières (La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise nucléaires, de leurs installations et de leur transport. à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.) Il est essentiel, pour faire ressortir clairement les enjeux de la présente proposition de loi, de rappeler le contexte dans PRÉSIDENCE DE M. JEAN-PIERRE CAFFET lequel elle a été déposée. vice-président Depuis le mois de décembre 2011, plusieurs actions d’intrusion ont été menées illégalement sur le site de diffé- rentes installations nucléaires civiles pour exprimer une M. le président. La séance est reprise. contestation des choix énergétiques de la France. Si l’expres- sion d’une opinion doit demeurer un droit fondamental lorsqu’elle s’accompagne d’actions pacifiques, elle ne doit 11 pas prendre la forme d’une transgression des lois, et encore moins fragiliser les dispositifs que l’État met en place pour la NOMINATION D’UN MEMBRE D’UNE protection de ses installations dites « d’importance vitale ». DÉLÉGATION SÉNATORIALE En effet, les dispositifs actuels de protection de ces instal- lations étant conçus pour parer à de multiples menaces de M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union haute intensité, leur robustesse et les organisations qui les pour un mouvement populaire a présenté une candidature structurent ne doivent pas être détournées un seul instant de pour la délégation à la prospective. leur vocation initiale : la protection des matières nucléaires. Il Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré. est d’autant plus inacceptable qu’elles puissent l’être dans le contexte actuel de menace terroriste. La présidence n’a reçu aucune opposition. Quel citoyen français accepterait que la protection de nos En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je installations nucléaires civiles ne soit pas optimale parce proclame M. membre de la délégation à la qu’on aurait laissé se dérouler illégalement une action de prospective, en remplacement de Mme Natacha Bouchart, contestation militante qui peut être librement menée à l’exté- démissionnaire. rieur du site ? 5154 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

C’est dans le contexte particulier que je viens d’évoquer Ce texte vise à renforcer la protection de sites qui se que l’État doit trouver un équilibre garantissant à la fois caractérisent tant par leur importance économique que par l’efficacité des dispositifs de protection et le respect des leur sensibilité du point de vue de la sécurité, puisque des expressions démocratiques. Cette recherche d’équilibre matières radioactives y sont entreposées. Si ce renforcement nécessite de rappeler que la liberté d’expression doit être est nécessaire, c’est parce que les actions des militants antinu- exercée dans le respect des lois : nous ne pouvons pas cléaires, même si elles ne représentent aucun danger direct, laisser croire que ces actions d’intrusion pacifique menées entraînent la mobilisation d’importants moyens humains et illégalement sont un moyen d’expression acceptable, font courir des risques non seulement au personnel des surtout lorsqu’elles inspirent, à des individus ou à des installations et aux forces de sécurité qui y sont déployées, groupes d’individus mal intentionnés, l’idée que nos instal- mais aussi aux militants eux-mêmes. De fait, les moyens lations seraient mal protégées et pourraient être facilement mobilisés pour répondre aux intrusions sont détournés de prises pour cible. leur vocation principale : la défense des installations contre le Le Gouvernement soutient pleinement les dispositions risque terroriste. adoptées par l’Assemblée nationale visant à renforcer la Je vous rappelle que la protection des installations protection des installations civiles abritant des matières nucléaires d’EDF est assurée par les pelotons spécialisés de nucléaires, en particulier le durcissement des sanctions. protection de la gendarmerie, les PSPG, qui comptent De la même manière, et bien qu’ils ne représentent aucune 882 hommes et femmes formés par le groupe d’intervention menace pour la sécurité des installations, les survols par des de la gendarmerie nationale, le GIGN. Quant aux sites non drones qui se sont multipliés à la fin de l’année dernière ont militaires du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique et pu créer une certaine confusion. Il convient d’anticiper d’ores aux énergies alternatives, et aux sites d’Areva, ils sont protégés et déjà l’évolution de ce phénomène et de trouver dès que par des services internes de sécurité, les formations locales de possible des réponses opérationnelles pour garantir à nos sécurité, dont l’effectif total est de 1 300 agents. Le dernier concitoyens que ces installations dites « sensibles » bénéficient maillon de la chaîne d’intervention est, dans le premier cas, le des meilleures conditions de sécurité. Tel est l’objet de GIGN et, dans le second, le RAID, unité de la police natio- l’article 2 de la proposition de loi. nale. Le Gouvernement approuve l’équilibre sur lequel se fonde La vocation première du dispositif qui nous est soumis est ce texte. Au titre des responsabilités de l’État, plus particu- évidemment de parer à la menace terroriste. Or les actions lièrement des responsabilités relatives à la sécurité nucléaire militantes, si elles se multipliaient, risqueraient à terme exercées par Mme la ministre de l’écologie, du développe- d’entamer la vigilance vis-à-vis du risque terroriste, qui ment durable et de l’énergie, j’invite le Sénat à l’adopter, n’est pas un risque théorique, comme l’ont montré les pour que nos installations soient entourées rapidement d’une attaques perpétrées au mois de janvier dernier à Paris et en protection plus efficace, car mieux adaptée aux menaces région parisienne. potentielles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socia- Ces deux types de menaces appellent des réponses liste et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe distinctes, adaptées et proportionnées aux risques respectifs UMP.) qu’elles font courir. Or il faut bien le reconnaître, le droit M. le président. La parole est à M. le rapporteur. pénal actuel ne permet pas de répondre aux intrusions récur- rentes. M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le En effet, si des délits spécifiques sont prévus par le code de président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la défense afin de préserver l’intégrité des matières nucléaires, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont de protéger les zones militaires ou intéressant la défense été visées par une quinzaine d’intrusions ou de tentatives nationale et de réprimer les destructions et dégradations, d’intrusion menées par des militants antinucléaires. Celles- aucun des différents régimes de sanctions pénales ne ci n’ont à aucun moment remis en cause la sûreté des instal- permet de réprimer de façon satisfaisante les intrusions lations ; tel n’était d’ailleurs pas l’objectif de ces actions militantes commises dans les installations nucléaires. En militantes à visée contestataire, destinées à provoquer un conséquence, le juge pénal est contraint de retenir des quali- fort retentissement médiatique. fications juridiques inadaptées, telles que la violation de domicile ; cette méthode a été validée par la Cour de cassa- Le 18 mars 2014, en particulier, une soixantaine de tion en 2014. militants se sont introduits par la force, et même par la violence, jusqu’au sommet du dôme d’un réacteur et sur le C’est ainsi que des militants ont été condamnés à six mois toit de la piscine de stockage de la centrale de Fessenheim. À d’emprisonnement avec sursis, une peine symbolique, pour l’issue de la procédure judiciaire qui a suivi ces événements, le dégradation en réunion et violation de domicile. Plus généra- tribunal correctionnel de Colmar, au mois de septembre lement, les affaires jugées à ce jour n’ont conduit qu’à des dernier, a reconnu coupables de violation de domicile peines de prison avec sursis de deux à six mois, lorsque cinquante-cinq de ces militants, dont trois seulement l’intrusion était accompagnée de dégradations, ainsi qu’à étaient présents à l’audience : il les a condamnés à des des amendes ou frais de procédure compris entre 1 000 et peines de deux mois de prison avec sursis. 3 000 euros. Mes chers collègues, des sanctions de ce type ne sont pas Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’article 55 de la suffisamment dissuasives, ce qui nous expose à la multipli- loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation cation d’intrusions spectaculaires comparables à celles qui ont militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses émaillé l’actualité de ces dernières années. Tel est le constat dispositions concernant la défense et la sécurité nationale a qui a inspiré la présente proposition de loi, que nous exami- autorisé le Gouvernement à insérer par ordonnance dans le nons en première lecture après que l’Assemblée nationale l’a code de la défense et dans le code général des collectivités adoptée le 5 février dernier. territoriales des dispositions visant à renforcer la protection SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5155 des installations nucléaires. Sur le fondement de cette habili- réalisés, afin de tester des outils de détection, d’identification tation, le Gouvernement a permis aux préfets de réglementer et de neutralisation des drones. Il faut le souligner, une la circulation et le stationnement autour des installations. synergie est recherchée avec nos partenaires internationaux Reste que, s’agissant de dispositions pénales instaurant une majeurs – c’est une bonne chose –, qui sont eux aussi nouvelle infraction, il est préférable de recourir à la procédure confrontés au même problème. parlementaire. Sur l’initiative de la commission de la défense nationale et La présente proposition de loi prévoit un dispositif des forces armées de l’Assemblée nationale, l’article 2 du texte échelonné de peines, fondé sur une peine de base : un an que nous examinons vise à ce que le Parlement soit pleine- d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros ; cette ment associé à cette démarche. peine est équivalente à celle qui est prévue pour la répression En conclusion, cette proposition de loi, utile, ne prétend de l’introduction sans autorisation en zone militaire ou de la pas pour autant apporter de réponse à l’ensemble des violation de domicile. Elle est susceptible d’être aggravée en problèmes soulevés par la multiplication des intrusions et fonction des circonstances, en particulier si l’infraction est des survols d’installations sensibles. Ainsi, le statut juridique accompagnée de destructions, commise en réunion ou en des drones devra probablement être précisé, de même que la bande organisée, ou associée à l’usage d’une arme. formation et l’information de leurs pilotes, sans pour autant Par ailleurs, le texte que nous examinons instaure des porter atteinte au développement économique de cette filière peines complémentaires, applicables non seulement aux en pleine expansion. Les intrusions aériennes requièrent des personnes physiques, mais aussi aux personnes morales, ce évolutions des systèmes d’alerte et de détection, ainsi que des qui permettra de sanctionner l’instigateur de l’action par des moyens de neutralisation. amendes susceptibles d’être très élevées, puisque leur taux Au-delà, l’évolution des menaces doit amener à également pourra atteindre le quintuple de celui qui est prévu pour prendre en compte les problématiques de cybersécurité. Nous les personnes physiques. serons attentifs au renforcement de la sécurité des systèmes Mes chers collègues, cette proposition de loi permet, je le d’information des opérateurs d’importance vitale qui est crois, de répondre aux actes d’intrusion d’une manière spéci- prévu à l’article 22 de la loi de programmation militaire fique, adaptée et proportionnée. Son adoption réduira le pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions doute des forces de sécurité quant aux intentions réellement concernant la défense et la sécurité nationale. malveillantes des intrus, compte tenu du risque encouru, ce Ainsi, si cette proposition de loi ne répond pas à l’ensemble qui permettra aux dispositifs de sécurité de se focaliser sur de ces enjeux, si elle doit probablement être complétée à leur mission première : la lutte contre le terrorisme. l’avenir par d’autres dispositions, elle est néanmoins néces- Après l’adoption de ce texte, l’État aura pris les mesures qui saire et son adoption est opportune et même urgente. C’est la sont de son ressort ; il pourra alors légitimement demander raison pour laquelle, vous l’avez parfaitement expliquée, aux opérateurs d’accélérer les investissements en matière de monsieur le secrétaire d’État, je vous propose, mes chers protection physique passive des installations. collègues, que nous l’adoptions sans modification, cela afin que ses dispositions puissent entrer rapidement en vigueur. Enfin, et surtout, la proposition de loi ne prive en aucun (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) cas les militants antinucléaires de leur liberté d’expression et de manifestation : comme M. le secrétaire d’État l’a souligné, M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. ils pourront l’exercer dans un cadre légal à l’extérieur des M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secré- sites. taire d’État, mes chers collègues, l’industrie nucléaire J’en viens à présent à l’article 2 de la proposition de loi, aux française est le résultat de choix courageux réalisés par termes duquel le Gouvernement devra déposer au Parlement, l’État dans les années cinquante dans le domaine militaire, avant le 30 septembre 2015, un rapport sur la question des puis dans les années soixante dans le domaine civil. Notre drones, qu’il est nécessaire de tirer au clair. De fait, une réseau de centrales nucléaires nous permet d’équilibrer nos quarantaine de survols distincts et non revendiqués ont été besoins énergétiques en alimentant la demande continue répertoriés au-dessus de dix-neuf sites abritant des matières d’énergie sur l’ensemble de notre territoire. Depuis soixante nucléaires depuis le mois de septembre dernier. Six centrales ans, le nucléaire fait partie de notre quotidien. C’est un nucléaires ont notamment été survolées de façon simultanée héritage à entretenir et à transmettre, faute d’alternatives le 31 octobre 2014. La base militaire de l’Île-Longue a équivalentes, pour garantir à terme une véritable transition également été survolée, les 26 et 27 janvier dernier. Tous énergétique. sites confondus, soixante-sept survols illégaux ont été Toutefois, si cette technologie, assurant une part de l’indé- recensés. pendance énergétique de notre pays, est une réponse adaptée Ceux-ci n’ont pas présenté de menaces directes. Toutefois, aux besoins des Français, elle présente des risques. ce phénomène ne doit pas être minimisé ; il appelle une Depuis les événements de Fukushima, nous savons à quel réflexion sur une nouvelle dimension de la sécurité point nos sociétés sont exposées au risque naturel, dont les aérienne, du fait de l’usage croissant des drones civils, profes- conséquences, nous le savons également, peuvent être extrê- sionnels ou de loisir. Notons que la détection des petits mement graves sur un site nucléaire. Le risque n’est plus drones employés, volant à basse altitude, nécessite des inves- seulement lié à des défaillances techniques et humaines, tissements particuliers. comme ce fut le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl ; À la suite de ces survols, une démarche interministérielle a il peut se présenter sous d’autres formes, que nous devons également prendre en considération. été engagée, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, en vue d’identifier les À la suite des orientations historiques de sa politique adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises. énergétique, la France est devenue le pays le plus équipé. Des projets de recherche ont été lancés ; des essais seront Elle est par conséquent particulièrement exposée. 5156 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

À cet égard, l’Autorité de sûreté nucléaire applique de Dans le prolongement des recommandations de l’Agence nouvelles normes afin de renforcer la sécurité de nos internationale de l’énergie atomique, la présente proposition centrales. Toutefois, les questions sécuritaires demeurent de loi vise à instituer une infraction et des sanctions afin de face à de nouvelles menaces. Ainsi, nous devons rester en protéger du risque d’intrusion les installations civiles abritant alerte au regard de l’activisme et du terrorisme, véritables des matières nucléaires. défis. Nous savons à quel point notre pays est exposé à des Le texte initialement déposé prévoyait de renforcer les attaques de natures diverses. Nous ne pouvons pas exclure le risque d’intrusion au cœur d’une centrale nucléaire, dont les conditions d’accès aux installations nucléaires civiles en conséquences pourraient provoquer des dommages à la fois classant celles-ci parmi les « zones de défense hautement sensibles ». Ce classement permet de dégager des militaires irrémédiables et d’une ampleur sans précédent pour notre territoire. des pelotons spécialisés de protection de ces sites de toute responsabilité pénale et de les autoriser à faire usage de la Le risque nucléaire est imprévisible. Il peut prendre force armée, si nécessaire, après avoir suivi un protocole bien d’innombrables formes : la volonté de nuire, l’erreur établi. humaine, la défaillance technique, une catastrophe géolo- Ce dispositif a profondément évolué lors de l’examen de la gique ou climatique. Il suffit qu’il se réalise une fois pour présente proposition de loi par l’Assemblée nationale. créer des dommages irréparables. Dès lors, tout doit être mis L’article 1er crée désormais un dispositif pénal spécifique au en œuvre pour faire face à cette menace et éviter le pire. délit d’intrusion dans les installations civiles abritant des matières nucléaires. Il permet ainsi de graduer la gravité de La proposition de loi relative au renforcement de la protec- l’effraction ; il prévoit un système de peines complémentaires tion des installations civiles abritant des matières nucléaires et trois niveaux de circonstances aggravantes, pouvant porter vise à sanctionner les auteurs d’actes présentant des risques les condamnations à plus de sept ans d’emprisonnement et à identifiés, connus, prévisibles, en l’occurrence de malveil- 100 000 euros d’amende. lances intentionnelles, d’intrusions indésirables et d’infrac- tions. Cette orientation nous paraît plus adaptée à une logique de dissuasion des incursions sauvages par le droit. L’Assemblée Il en va ainsi des survols de drones, phénomène nouveau. nationale nous a fourni un texte respectueux des libertés Près de soixante-sept survols, aux origines et intentions publiques et qui apporte des garanties à notre État de inconnues, nous conduisent à nous interroger. Personne ne droit. Chacun demeure libre d’exprimer ses opinions et ses peut dire qui sont les auteurs de ces actes : plaisantins en mal engagements politiques, mais dans la stricte voie de la légalité d’adrénaline, militants écologistes, industriels testant leur et dans le respect de la sécurité de tous. Les militants antinu- matériel, espions ou terroristes potentiels ? De même, la cléaires ne sont donc pas lésés. recrudescence d’intrusions de militants antinucléaires force à faire évoluer les dispositions applicables à la sécurité des Personne ne gagne à répandre la peur au sein de notre sites. société. La peur elle-même n’est pas propice au débat démocratique. La question de la sûreté nucléaire est trop Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il est lourde de conséquences pour être traitée sous le coup de la urgent de résoudre le problème des incursions dans les panique et de l’angoisse des incursions militantes. centrales et du survol de celles-ci par des drones. En effet, Cela étant, un équilibre normatif ressort du texte. C’est si de tels agissements avaient des motivations plus dange- pourquoi, fort de ces avancées, le rapporteur et la commission reuses que celles qui sont constatées actuellement, la situation ont fait le choix de ne pas modifier la présente proposition de deviendrait critique. Protéger les centrales nucléaires est un loi et de se prononcer en faveur d’un vote conforme, afin d’en enjeu de sécurité nationale. accélérer la promulgation. Du côté des pouvoirs publics, le Livre blanc a bien mis en Je tiens à saluer tout particulièrement la grande qualité du évidence que le nucléaire était un secteur vital pour notre travail de Xavier Pintat, spécialiste reconnu de ces questions. pays, mais sensible au regard de l’impérieuse nécessité En tant que rapporteur, il a sagement complété l’information d’assurer la sécurité et l’approvisionnement énergétique. mise à disposition par l’Assemblée nationale, tout en respec- Notre droit positif, notamment le droit pénal, restait cepen- tant la qualité du texte. dant désarmé face à cette nouvelle génération de risques. Aussi, compte tenu de l’urgence à prendre des mesures Nous devons lever cette incertitude, en apportant à nos efficaces, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en concitoyens des éléments de réponse aux craintes d’un faveur du renforcement de la sécurité des sites nucléaires, attentat nucléaire sur notre sol. Il est nécessaire de préparer tel que prévu dans la présente proposition de loi. (Applau- l’avenir et de parer les carences de notre système répressif en dissements sur les travées de l’UMP et du RDSE.) la matière. Face à cette nouvelle menace, l’inadaptation du M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise droit pénal – cela a été rappelé – conduit le juge à retenir des Perol-Dumont. qualifications sous-dimensionnées et inadaptées ; je pense Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le prési- notamment à la violation de domicile, prévue par dent, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 226-4 du code pénal et punie d’un an d’emprison- une fois n’est pas coutume, nous examinons ce soir un nement et de 15 000 euros d’amende. Notre droit doit texte qui fait largement consensus. Mon intervention sera évoluer. donc en parfaite cohérence, pour ne pas dire redondante, avec celles des orateurs précédents. Par ailleurs, la sanction est d’autant moins dissuasive qu’elle ne s’applique que si l’effraction est constatée. Elle Il s’agit, par cette proposition de loi, de renforcer la protec- est répressive, mais elle ne dissuade ni le terroriste ni le tion des sites nucléaires civils. Dans un contexte de risques militant antinucléaire. accrus, dont les attentats du mois de janvier ont été un SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5157 tragique révélateur, il est évident que ces sites hautement de circonstances aggravantes. De plus, les tentatives d’intru- stratégiques et déterminants pour l’indépendance énergétique sion seront punies de la même manière que les délits effecti- de notre pays doivent bénéficier d’une attention particulière vement accomplis. de la part des pouvoirs publics. D’aucuns se sont inquiétés – on peut le comprendre – de Néanmoins, la problématique est ancienne et aurait dû ces nouvelles dispositions, considérées comme une atteinte au obtenir depuis longtemps une réponse de l’État. En effet, droit de manifester et de contester des organisations depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont militantes de nature pacifique. Qu’ils soient rassurés ; de connu près d’une quinzaine d’intrusions, ou tentatives fait, aucune liberté publique, aucun droit fondamental ne d’intrusion, illégales. Il s’agissait certes d’actions militantes se trouve réduit ou menacé, puisqu’il reste tout à fait possible à visée contestataire menées par des activistes antinucléaires, d’exercer son droit d’expression, légitime et inaliénable, à donc a priori sans conséquence sur la sécurité des sites. l’extérieur des sites sensibles. Il n’en reste pas moins que ces intrusions sont préoccu- Soulignons donc que le texte se contente de diminuer le pantes. Ces groupes d’activistes sont souvent multinatio- risque d’actions malveillantes, en introduisant des sanctions naux ; ils peuvent être infiltrés par des éléments non réellement dissuasives. pacifiques, et le risque de voir de faux militants se mêler à Pour autant, cette proposition de loi représente une ces organisations ne peut être totalement écarté. Par ailleurs, avancée certaine, mais encore quelque peu insuffisante. si un militant pacifique est capable de pénétrer dans ces sites, Renforcer la sécurité de sites aussi stratégiques et potentiel- comment un terroriste, disposant de beaucoup plus de lement fortement dangereux en cas de malveillances avérées moyens et mal intentionné qu’il est, pourrait-il en être ne peut pas se limiter à un alourdissement des peines encou- empêché ? rues. Sans tomber dans la paranoïa excessive, même si, à ce jour, Certes, les sites nucléaires civils du groupe EDF sont aucune de nos centrales n’a eu à subir d’attaque ou de protégés par une force militaire spécialisée, et ceux du sabotage, il n’est nul besoin de rappeler que le risque terro- CEA ou d’Areva, deux opérateurs majeurs du secteur, le riste est bien présent et plus que jamais d’actualité. Des sont par des forces civiles de protection. Mais est-ce suffisant attaques ont d’ailleurs visé des installations énergétiques à dans le contexte actuel de risques exacerbés ? l’étranger ces dernières années : en 2010 dans le Caucase russe, en 2013 en Algérie, au Pakistan et au Niger. À propos de la protection de l’espace aérien, qui relève de l’armée de l’air, je souhaite évoquer, comme d’autres avant Rappelons par ailleurs que notre pays compte cinquante- moi, la menace potentielle que pourraient représenter les huit réacteurs nucléaires, et que près de la moitié de la survols de drones au-dessus des centrales. population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale. Cette question constitue donc un enjeu de Sur ce point, les questions techniques et juridiques restent sécurité publique, au-delà même des personnels travaillant nombreuses ; M. le rapporteur y a fait référence. À ce stade, il sur les sites. n’a pas été possible d’apporter une réponse législative satis- faisante. Pourtant, la France restait l’un des rares pays occidentaux à Je salue donc l’initiative du Premier ministre, qui, après le ne s’être pas encore doté d’un arsenal juridique adapté et recensement de soixante-sept survols illégaux, a décidé de complet en matière de répression des intrusions sur ces sites lancer une démarche interministérielle coordonnée avec le hautement sensibles. Il est pour le moins étonnant de Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, constater que l’envahissement d’une infrastructure protégée afin d’identifier les adaptations juridiques, techniques et ne relevait d’aucun délit spécifique, les auteurs étant simple- capacitaires requises pour faire face à de tels phénomènes. ment poursuivis pour violation de domicile, ce qui est peu Selon les informations dont nous disposons, la réflexion serait dissuasif et, en tout cas, pour le moins inadapté. En appli- déjà bien avancée. On ne peut que s’en féliciter. cation de la législation actuellement en vigueur et en fonction de la nature des faits commis, les peines allaient de six mois à Par ailleurs, il convient de saluer la disposition introduite à un an d’emprisonnement. l’article 2 par nos collègues députés : le Gouvernement associera le Parlement à l’étude de cette question, avec obliga- Par ailleurs, les infractions constatées ont toujours joui tion de lui soumettre un rapport avant la fin du mois de d’une relative clémence. Le jugement rendu par le tribunal septembre prochain. correctionnel de Colmar à l’encontre des militants qui s’étaient introduits le 18 mars 2014 au sommet du dôme Par conséquent, et malgré les limites du texte, qui ont déjà du réacteur de la centrale de Fessenheim, jugement qui s’est été soulignées par M. le rapporteur, le groupe socialiste votera soldé par deux mois de prison avec sursis, atteste de cette cette proposition de loi, afin que ses dispositions puissent évidente clémence. De telles réponses pénales ne sont pas à entrer en application le plus rapidement. (Applaudissements même d’être dissuasives ; elles sont inadaptées au contexte sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC, ainsi que sur sécuritaire actuel et à l’importance stratégique, énergétique, quelques travées de l'UMP.) économique des sites nucléaires civils. M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi. La présente proposition de loi, qu’il faut saluer, a fait Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secré- l’objet de nombreux échanges avec le Gouvernement. Elle taire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il comble heureusement un relatif vide juridique et crée un faut le reconnaître, la présente proposition de loi, même si régime pénal spécifique en vue d’améliorer la sécurité des elle ne fait pas consensus, a au moins le mérite de permettre installations en cause. Le dispositif proposé prévoit une au Parlement de s’exprimer enfin sur la sécurité des installa- échelle de peines plus sévères en fonction de trois niveaux tions nucléaires en France. Il était temps ! 5158 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Il semblerait que nous sortions enfin de l’angélisme, de Ô combien aurait-il été plus pertinent de débattre de la l’aveuglement et du déni qui entouraient jusqu’à présent ce responsabilité des opérateurs qui sont parties prenantes de la sujet. Mais, en réalité, il s’agit là d’une prise de conscience sécurité de nos installations nucléaires ! Plutôt que de déguisée. Et c’est un sentiment de grande incompréhension renforcer la sécurité, vous vous attaquez honteusement à et de stupéfaction qui domine au sein du groupe écologiste à ceux qui en révèlent les failles et les faiblesses. lecture du texte qui nous est proposé. Admettez, chers collè- gues, que la sécurité des installations nucléaires et, par consé- Mes chers collègues, soyons honnêtes : si les intrusions de quent, la sécurité des français, sujets ô combien importants, militants se sont multipliées ces dernières années, c’est méritaient un peu plus de sérieux et d’ambition. d’abord parce qu’elles ont été possibles ! C’est aussi parce que les protocoles de sécurité n’étaient pas adaptés ! Et c’est À en juger l’intitulé de la proposition de loi, ce texte a pour surtout parce que les militants n’ont pas été arrêtés avant de objectif le renforcement de la protection des installations pénétrer dans les installations ! civiles abritant des matières nucléaires. Il s’agit là d’un Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est bien parce que ces impératif ! Depuis des années, les écologistes vous alertent militants, ces lanceurs d’alerte pacifistes ont montré que les sur la grande porosité de nos installations. Le contexte actuel procédures prévues pour la protection de nos installations faisant, la menace terroriste étant particulièrement accrue et civiles étaient inefficaces, inadaptées et obsolètes. les survols de drones se multipliant depuis plusieurs mois, nous avons ce débat aujourd'hui. En effet, une attaque terro- Pénaliser de telles actions, c’est indirectement étouffer le riste sur nos installations serait dramatique, irréparable et débat, amoindrir sa vivacité et, in fine, encourager l’inertie en apocalyptique ! la matière. Mais, à la lecture de l’article 1er, qui créé un régime pénal Réduire la lutte contre les intrusions dans des installations spécifique sanctionnant les intrusions illégales, force est de abritant des matières nucléaires à une approche simplement constater que le présent texte ne vise en réalité aucunement à normative, comme vous le faites, concourt à une vision renforcer la protection des installations nucléaires. Si tel avait tronquée et simpliste du problème. été l’objectif, nous l’aurions partagé ! Or rien n’est prévu pour contrer les menaces réelles. Vous avez vous-même reconnu, Quid des moyens ? C’est la vraie, la seule question que nous mes chers collègues, que les peines prévues ne dissuaderaient devons nous poser. Pourtant, le présent texte, dans lequel pas les terroristes. Sur ce point, je ne puis que vous sont proposées des mesures de façade, contourne le problème approuver ! Ces peines sont en effet inopérantes face à la et entretient le mythe de l’infaillibilité des installations détermination de tels individus. L’intitulé de la proposition nucléaires. Nous remettons à plus tard les questions que de loi est donc, au mieux, inapproprié et, au pire, fallacieux ! nous devrions pourtant aborder aujourd’hui. Il s’agit avant tout d’un problème de moyens ! En fait, le texte vise à sanctionner les actions militantes. J’ai bien compris que nous ne débattions pas ce soir de M. François Bonhomme. Délictuelles ! l’avenir de l’énergie nucléaire en France. Mais, en qualité de parlementaire écologiste convaincue, permettez-moi une Mme Leila Aïchi. En somme, vous nous proposez un texte légère digression en guise de conclusion. anti-activistes, anti-Greenpeace, anti-manifestants et anti- lanceurs d’alerte. Finalement, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est aussi parce que l’approvisionnement énergétique de la France Or, monsieur le rapporteur, vous écrivez vous-même que repose largement sur une énergie dangereuse et incontrôlable. ces intrusions ne représentent pas de « menace directe en termes de sécurité ». Malgré ce constat, il est prévu une Alors que le Gouvernement estime que la filière nucléaire a gradation des peines allant jusqu’à 100 000 euros un avenir, qu’elle constitue une force pour notre pays et d’amende et sept ans d’emprisonnement. qu’Areva, avec un déficit de 8 milliards d’euros, pâtit simple- ment de la conjoncture du marché mondial, je ne peux que Vous comprendrez donc la stupéfaction des écologistes, eu regretter l’inconséquence, le dogmatisme et l’irrationalité des égard à un régime de sanctions aussi disproportionné qu’inef- débats dès lors que l’on aborde le tabou du nucléaire ! Et c’est ficace. En réalité, celui-ci n’a qu’une finalité : criminaliser des précisément ce même aveuglement irresponsable que nous actions militantes pacifistes indispensables à nos sociétés retrouvons dans ce texte. démocratiques ! M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine. Que faut-il pénaliser le plus ? Des manifestants pacifiques Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, qui tentent d’alerter l’opinion et qui risquent une amende à monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la hauteur de 100 000 euros, comme vous le proposez, ou une présente proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour à la fuite de matières radioactives dans l’environnement, accident demande du groupe UMP, avait été déposée au mois de pour lequel EDF a écopé d’une simple amende de septembre 2013 à l’Assemblée nationale, dans le contexte 7 500 euros ? particulier de l’accident d’une centrale nucléaire japonaise. Que faut-il pénaliser le plus ? Des lanceurs d’alerte qui À la suite de la catastrophe humanitaire, économique et cherchent à avertir les citoyens sur les dangers du nucléaire écologique qu’a entraînée cet accident, l’Agence internatio- et qui risquent sept ans d’emprisonnement ou le décharge- nale de l’énergie et, en France, l’Autorité de sûreté nucléaire ment illégal de gravats radioactifs, pour lequel EDF a dû avaient fermement invité les opérateurs du secteur nucléaire à payer une amende de 3 750 euros ? revoir drastiquement la sécurité de leurs installations. S’étaient ensuivis des réflexions et de nombreux débats sur Où est la justice ? Où est la logique ? Nous sommes bien le bien-fondé de l’utilisation de l’énergie nucléaire et la sûreté loin du simple effet dissuasif ! des installations qui la produisent. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5159

Dans le même temps, le questionnement sur l’énergie Toutefois, je suis bien consciente que ce nouveau délit ne nucléaire s’est élargi à la sécurité et à la protection des instal- peut pas être vraiment dissuasif à l’encontre de terroristes lations ; il a été tenté de trouver des solutions pour faire face à potentiels. Tout au plus permettra-t-il d’éviter que de tels d’éventuels attentats terroristes et à la multiplication d’intru- individus ne s’infiltrent parmi les groupes pénétrant dans une sions physiques illégales. installation. C’est, en définitive, sur ce dernier point, certes limité, que Sur le fond, les questions relatives à la sécurité et à la porte la présente proposition de loi. Il faut donc la considérer protection de ces sites contre diverses menaces ne trouveront pour ce qu’elle est. Ce n’est ni un manuel de sécurité antiter- pas de réponse uniquement dans une loi. Légiférer sur ce roriste ni un vade-mecum d’amélioration des protocoles de point n’a de sens qu’en fonction de la légitimité démocra- sécurité de nos centrales nucléaires. Le texte part d’une réalité tique que l’on veut attribuer à telle ou telle disposition tangible : le grand nombre d’intrusions, par la force et l’utili- technique. sation, parfois, de moyens violents, dans l’intention de démontrer la vulnérabilité de certains sites abritant des Ainsi, il est maintenant nécessaire de réfléchir aux condi- matières nucléaires. tions dans lesquelles il faut protéger nos installations nucléaires contre la nouvelle menace que pourrait représenter Depuis une dizaine d’années, les intrusions répétées dans le survol par des types d’avions sans pilote que sont les au moins une dizaine de centrales nucléaires françaises, drones. Faudra-t-il légiférer ? Vraisemblablement. Mais atten- menées tout particulièrement par des militants antinu- dons pour cela le rapport du Secrétariat général du Gouver- cléaires, ont peut-être mis en lumière des failles de sécurité, nement, prévu à l’automne, sur l’évaluation des risques et les au plan tant terrestre que, récemment, aérien. Mais ces solutions techniques et capacitaires à apporter à cette problé- intrusions, de plus en plus fréquentes, présentent des matique nouvelle. risques pour les salariés des centrales, pour les gendarmes de pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, À cet égard, la méthode qui figure à l’article 2 du présent mais également, il faut le dire, pour les militants eux- texte est, à mes yeux, la bonne, à savoir une délibération sur le mêmes. Ces événements sont aussi particulièrement préoc- rapport du Parlement, qui en tirera éventuellement les consé- cupants. Ils visent à mettre en doute par des moyens discuta- quences législatives. bles la sécurité des centrales nucléaires et la fiabilité de leurs mesures de protection. Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC voteront la proposition de loi dans le texte de la commission. Certes, jusqu’à présent, ces intrusions se sont toujours (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.) révélées sans menace directe et sans risque majeur pour la sécurité des populations et des installations, qui n’ont, pour M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier. l’instant, eu à subir ni attaque terroriste ni sabotage. M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le Toutefois, au lendemain des attentats meurtriers qui ont secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, frappé notre pays, nous ne pouvons pas ignorer l’éventualité parce que la France possède le deuxième parc mondial de ce type d’attaques, dont les conséquences seraient poten- d’installations nucléaires civiles, il est important que la tiellement désastreuses, alors que la moitié de la population sûreté et la sécurité nucléaires fassent toujours l’objet d’une française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une attention soutenue et constante, de la part aussi bien des centrale. pouvoirs publics que des opérateurs. La présente proposition de loi tente ainsi de répondre à une Les accidents très importants, ou plus exactement les telle situation sur le seul terrain juridique, en modifiant un catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, ont bien sûr dispositif pénal que l’on peut effectivement considérer frappé l’opinion publique. Pourtant, un sondage BVA comme devenu inadapté à ce type d’intrusions. de 2013 révélait que 67 % des Français étaient favorables à Il me semble nécessaire de trouver un dispositif pénal la production d’énergie par les centrales nucléaires, lesquelles proportionné à la gravité de tels actes, dont il ne faut évidem- – rappelons-le – produisent environ 75 % de nos besoins en ment pas non plus surestimer les conséquences. C’est électricité. pourquoi il est créé, à juste titre, un délit spécifique appli- cable aux intrusions ou tentatives d’intrusion ; cela permet de Depuis longtemps, notre pays a fait le choix de l’indépen- les caractériser et de les distinguer d’une simple violation de dance énergétique. En attendant que la politique de transi- domicile ou d’un acte terroriste. tion énergétique produise tous ses effets, ce qui prendra certainement du temps, il est essentiel de maintenir un Le dispositif prévoit en outre une adaptation de la sanction climat de confiance et de totale sécurité au sujet de notre aux circonstances et permet également de sanctionner la potentiel de production électronucléaire. Pour cela, il faut personne morale instigatrice de telles actions. apporter les bonnes réponses à chacun des enjeux de sécurité Cela étant, je comprends que l’on puisse contester le liés au nucléaire civil, qu’il s’agisse de la protection des nucléaire comme source d’énergie. Nous devrions néanmoins populations en cas d’accident, de la sûreté, de la radiopro- tous nous accorder pour l’amélioration de la sécurité des sites. tection ou de la lutte contre les actes de malveillance. De plus, je ne pense pas que de telles opérations, aussi Il faut le reconnaître, le dispositif de sécurité du secteur de médiatiques soient-elles, contribuent réellement au débat l’énergie nucléaire, profondément rénové depuis une dizaine démocratique, sérieux et serein sur le nucléaire. d’années, est globalement satisfaisant. En outre, dès que cela En conséquence, j’estime que les mesures contenues dans est nécessaire, le législateur l’adapte aux nouvelles menaces, cette proposition de loi n’entravent pas la liberté d’expression telles que celles qui sont liées au terrorisme ou à la cyber- de ceux qui contestent l’énergie nucléaire en tant que telle. criminalité. Je pense, par exemple, à la loi de 2013 relative à Cette liberté peut toujours s’exercer partout en dehors de ces la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et sites sensibles. portant diverses dispositions concernant la défense et la 5160 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 sécurité nationale, qui contient des mesures visant à renforcer pourquoi le groupe du RDSE approuvera à l’unanimité le la sécurité des systèmes d’information des opérateurs présent texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de d’importance. l’UMP.) Cependant, comme les orateurs précédents l’ont rappelé, il M. le président. La parole est à M. David Rachline. arrive que des événements très médiatisés mettent en lumière M. David Rachline. Tout d’abord, je remercie le groupe des failles quant à l’accès aux centrales nucléaires. En effet, les CRC et le groupe écologiste de nous avoir fait passer une installations françaises font l’objet d’intrusions plus ou moins si belle journée. Les communistes ont réclamé tout l’après- spectaculaires, par voie terrestre ou aérienne. midi la suppression des armes pour les policiers et les Verts Si la présence de militants antinucléaires à l’intérieur d’une nous ont expliqué que l’on doit pouvoir entrer dans nos centrale civile ne représente pas une menace directe, on ne centrales nucléaires comme dans un moulin : cela en dit peut pas laisser se poursuivre ces initiatives considérées long sur l’état de nos institutions et de notre République ! comme de simples délits de violation de domicile ! En tout état de cause, je salue évidemment, comme la En prévoyant une infraction et des sanctions adaptées au plupart d’entre vous, mes chers collègues, la présente propo- caractère sensible des sites nucléaires, l’article 1er du texte de sition de loi qui vient enfin mettre un terme à la totale nos collègues députés est opportun. Le groupe du RDSE est impunité qui régnait jusqu’à présent à l’égard les individus bien entendu favorable au dispositif proposé, qui fait coupables d’intrusion dans les centrales nucléaires. Il est tout d’ailleurs l’objet d’un large consensus. à fait extravagant que forces de sécurité et tribunaux manquent d’un cadre législatif pour punir les auteurs de À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler à ceux qui tels actes. émettent des réserves, voire davantage, que manifester libre- ment n’autorise pas dans le même temps à commettre un Je rappelle, pour mémoire, que le 5 décembre 2011 neuf délit. Par exemple, rien n’interdit aux militants antinucléaires militants s’introduisaient dans la centrale de Nogent-sur- d’exprimer leurs convictions aux abords du site, à condition Seine : ils ont écopé pour ce délit de six mois de prison de ne pas y pénétrer par effraction, en toute illégalité ! En cas avec sursis. Le 15 juillet 2013, vingt-neuf militants de Green- de non-respect de la loi, il doit y avoir sanction, en l’occur- peace – les amis des Verts – franchissaient l’enceinte de la rence des sanctions pénales fortes. centrale de Tricastin : ils ont été punis de trois mois d’empri- En outre, ces actions posent problème aux pelotons spécia- sonnement avec sursis. Le 18 mars 2014, cinquante-cinq lisés de protection de la gendarmerie qui sont chargés de la militants encore de Greenpeace s’introduisaient dans la protection des sites. Tant que ces personnels pensent que les centrale de Fessenheim – 290 gendarmes ont été mobilisés : intrusions sont le fait de militants pacifiques, tout va bien ; ils ont écopé de deux mois de prison et de 1 000 euros mais s’ils devaient soupçonner la présence de personnes d’amende. Et j’en passe ! vraiment malintentionnées ou infiltrées dans un groupe, Ces condamnations dérisoires ne sont évidemment pas à la quelle serait leur marge d’action pour être efficaces sans hauteur des enjeux. Depuis quelques années déjà, nous créer de dommages collatéraux importants ? Les forces de demandons, sur ce sujet comme sur d’autres, une plus l’ordre ont besoin de clarté pour exercer sereinement leurs grande sévérité envers ceux qui enfreignent la loi, prouvant missions. La présente proposition de loi apporte une ainsi la vulnérabilité de nos centrales. Devant la commission première réponse par la dissuasion, si je puis dire. de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, le Je rappellerai, enfin, que l’Agence internationale de directeur général de la gendarmerie nationale déclarait que l’énergie atomique ainsi que l’Office parlementaire d’évalua- c’était faute de dispositions juridiques appropriées que ses tion des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, hommes ne pouvaient pas protéger efficacement nos centrales ont recommandé un régime d’infractions et de sanctions nucléaires ! adapté aux cas des installations civiles abritant des matières Je tiens néanmoins à préciser que si cette proposition de loi nucléaires. va dans le bon sens – c’est assez rare pour être souligné –, elle Le second article du texte prévoit la remise d’un rapport au n’aura pas d’effets révolutionnaires. Certes, elle semble être Parlement par le Gouvernement avant le 30 septembre dissuasive à l’égard des individus qui auraient des velléités de prochain sur la question des survols illégaux par des drones pénétrer dans une centrale – je vous en prie, chers collègues, des sites abritant des activités nucléaires. Il est en effet urgent cessez d’employer le terme grotesque « lanceurs d’alerte », de traiter ce phénomène qui se développe et qui suscite des perle supplémentaire insupportable de la novlangue inquiétudes légitimes. actuelle –, mais, parallèlement, les juges doivent faire preuve de plus de sévérité. Au sein de l’OPECST, nous avons eu l’occasion de nous pencher sur cette question à la fin de l’année dernière. Il En revanche, pour ce qui concerne la question terroriste, ressort des auditions, notamment de l’avis du Secrétariat les choses ne bougent pas du tout. Pourtant, c’est essentiel- général de la défense et de la sécurité nationale, que ces lement de cela qu’il s’agit. La responsabilité de la sécurité drones civils n’ont pas actuellement les capacités techniques nucléaire est partagée entre l’État et les opérateurs du secteur. de détériorer des installations nucléaires. Cependant, ils Or si l’arsenal judiciaire s’adapte, il est aussi nécessaire que les peuvent faire du repérage et du recueil d’informations dans centrales en fassent de même. un but malveillant. Dans la perspective de l’éventuelle C’est la raison pour laquelle la question du survol aérien de amélioration capacitaire de ces aéronefs, il serait utile de nos centrales est un enjeu absolument majeur. Je regrette, compléter le cadre juridique de leur utilisation. pour ma part, que nous n’allions pas plus vite sur cette Mes chers collègues, que l’on soit pour ou contre le question. À l’heure de la haute technologie, il me semble nucléaire, le fait est que la France possède cinquante-huit nécessaire d’être plus réactifs en l’espèce. Le rapport demandé réacteurs sur son territoire. Par conséquent, il est de notre à l’article 2 de la présente proposition de loi nous permettra, responsabilité en tant qu’élus d’améliorer leur sécurité. C’est je l’espère, d’avancer efficacement. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5161

L’espace aérien au-dessus des centrales nucléaires est Depuis 2009, ce sont les pelotons spécialisés de protection formellement réglementé. Le survol d’une centrale nucléaire, de la gendarmerie qui sont responsables des CNPE. La dans un périmètre de cinq kilomètres et en dessous de dernière loi de programmation militaire a rendu possibles 1 000 mètres d’altitude, est strictement interdit. Le risque quelques avancées, puisque son article 55 a permis au terroriste exige une protection importante de l’espace aérien Gouvernement de légiférer par ordonnance et de créer un des centrales, surveillé par l’armée de l’air dans le cadre d’un nouvel article L. 2215-10 dans le code général des collecti- protocole avec EDF. vités territoriales. Mais le dispositif instauré, donnant compé- tence aux préfets pour réglementer la circulation et le Mais, nous le savons, avec les drones, nous avons affaire à une technologie nouvelle qui bouscule la sécurité tradition- stationnement autour des installations nucléaires, est large- nelle. Ce phénomène, malheureusement, prend de ment insuffisant. l’ampleur : le chiffre de soixante-sept survols illégaux a été Il m’importe de rappeler fermement que les installations avancé. Nous devons aller vite sur ce sujet avant que nous nucléaires civiles ne sont pas des sites de production énergé- n’ayons à le regretter. tique classiques. Nous comprenons qu’elles soient la cause M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier. d’un militantisme politique. Elles en sont le sujet, mais en aucun cas elles ne doivent en être le moyen ! Les intrusions M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le sont illégales et doivent faire l’objet d’une réponse judiciaire secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, adaptée ainsi que d’une sanction pénale proportionnée. l’examen de la présente proposition de loi s’inscrit dans un contexte particulier. Xavier Pintat l’a très bien expliqué, les Le groupe UMP se félicite du dispositif juridique créé par centrales nucléaires sont évidemment des cibles pour des le présent texte grâce auquel les personnes chargées de la projets terroristes. sécurité obtiendront de meilleures conditions de surveillance L’énergie nucléaire et sa production font partie des secteurs et donc d’intervention, le cas échéant. Ainsi, ces personnes d’activités considérés comme d’importance vitale pour la pourront se concentrer sur l’essentiel : les intrusions poten- France, notamment dans un contexte de raréfaction et de tielles d’individus véritablement malintentionnés et la fluctuation des prix des ressources énergétiques fossiles. Dès menace terroriste. Il conviendra, d’ailleurs, certainement lors, les centres nucléaires de production d’électricité, les lors de l’examen d’une proposition de loi à la rentrée, de CNPE, sont des sites stratégiques qui nécessitent une protec- revenir sur le statut et les compétences des personnels de tion spécifique. Leurs accès sont très réglementés et leur sécurité de ces installations. survol par des aéronefs – cela vient d’être souligné – est Je souhaite maintenant dire à mon tour quelques mots sur strictement interdit. la menace « dronistique ». Pour ce qui concerne les survols de Rappelons que la moitié de la population française vit à drones, nous n’avons que peu d’informations. Les utilisateurs moins de quatre-vingts kilomètres d’un CNPE. La sécurité de ces appareils ne sont toujours pas identifiés et ces opéra- de ces sites est donc d’une importance capitale. tions sont non revendiquées. Dans un contexte national et international fortement En l’état, précisons-le, ces mini-drones civils ne nous marqué par la menace terroriste, la sécurité des CNPE et apparaissent pas comme une menace réelle, même s’il faut des installations nucléaires de base, les INB, est un enjeu apporter des réponses adaptées en la matière. Il n’en serait pas primordial pour tous les opérateurs et acteurs du secteur. de même en cas de recours à des drones plus puissants de type tactique ou MALE, mais l’armée de l’air, dans le cadre de ses D’ailleurs, j’attire votre attention sur une différenciation missions de police de l’air et de l’espace aérien français, a déjà qu’il importe de prendre en compte. Si cette proposition de prévu des réponses spécifiques pour ce type de survol. loi s’inscrit dans la volonté de renforcer la sécurité nucléaire dans sa globalité, il s’agit aussi d’adapter notre dispositif Je constate que la présente proposition de loi n’élude pas pénal et juridique à la multiplication des intrusions physiques ces drones. Le Gouvernement remettra au Parlement un illégales. rapport avant le 30 septembre prochain, et je sais tout le travail que réalise actuellement sur ce thème le SGDSN. À cet égard, le rapport de Xavier Pintat est très clair. Il met Nous attendrons fermement ce rapport, d’autant qu’il en avant le décalage entre la gravité de ces intrusions dans complétera utilement celui de l’OPCST, présidé par Bruno l’enceinte des centrales nucléaires et la clémence des condam- Sido. nations. Les amendes sont inférieures à 3 000 euros et s’accompagnent d’une peine d’emprisonnement avec sursis Publié au mois de novembre dernier, ce document dresse quasi systématique ou de la relaxe des prévenus. Il s’agit un premier bilan sur les drones et la sécurité des installations moins de laxisme que d’une inadéquation du dispositif nucléaires. À ce sujet, je pense que nous pourrions intégrer pénal. Si ces intrusions sont motivées par un activisme un volet concernant les drones et un volet relatif à la spéci- politique destiné à dénoncer l’usage de l’énergie nucléaire, ficité des personnels de sécurité dans une même proposition elles ont aussi pour objectif de démontrer les failles des de loi, afin d’être les plus efficaces possible. systèmes de sécurité des centrales nucléaires. C’est l’un des Enfin, je voudrais attirer votre attention, mes chers collè- leitmotiv de Greenpeace. gues, sur la cohérence de nos travaux. Entre le rapport du Donc, mes chers collègues, le vrai problème est la sécuri- mois de novembre dernier et l’inscription de cette proposi- sation des installations. Ce n’est pas la même chose que les tion de loi à l’ordre du jour réservé aux groupes, les délais problèmes inhérents à la sécurité nucléaire que certains ont étaient courts. Preuve en est, monsieur le secrétaire d’État, évoqués, sécurité nucléaire qui est bien sûr essentielle. Il est que nous cherchons à traiter chaque problème que soulève la grand temps d’embrasser la réalité et d’envisager le cas où ces sécurité nucléaire et à lui apporter une réponse législative : intrusions pourraient être le fait de terroristes et non plus de qu’il s’agisse d’intrusions physiques illégales ou de survols, militants très démonstratifs, transgressifs par rapport à la loi, nous souhaitons avancer et je sais que M. le rapporteur, voire agressifs, mais pacifiques dans leurs intentions. Xavier Pintat, continuera à travailler sur le sujet. 5162 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le présent centres nucléaires de production d’électricité, la France est texte tel qu’il a été adopté par la commission. (Applaudisse- l’un des leaders mondiaux du nucléaire civil. Pourtant, son ments sur les travées de l'UMP.) dispositif de protection juridique est inadapté et incomplet. M. le président. La parole est à M. André Reichardt. Face aux nombreuses intrusions physiques illégales, les M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le exploitants des sites n’ont que peu de recours juridiques. secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout Alors que ces sites sont considérés comme stratégiques, les d’abord de remercier les membres de la commission des personnes entrées illégalement ne sont poursuivies que pour affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi violation de domicile, cela a été dit. Les suites judiciaires et les que M. le rapporteur, Xavier Pintat, du travail qu’ils ont condamnations qui en résultent surprennent par leur dispro- réalisé sur la présente proposition de loi. Je me réjouis bien portion au regard des conséquences que comportent de telles entendu de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour réservé intrusions. Dans la plupart des cas, les peines prononcées au groupe UMP : la sécurité, tant aux abords qu’à l’intérieur n’excèdent pas six mois de prison avec sursis - et six mois, des installations civiles abritant des matières nucléaires, est en c’est souvent beaucoup. effet primordiale. Je le répète, ces intrusions physiques comportent d’impor- Ce sujet, souvent relayé par les médias, l’est plus encore tants risques, pour ceux qui les commettent, certes, mais aussi depuis qu’ont eu lieu, à la fin de l’année dernière, des survols pour les personnels civils et militaires des sites, dont on parle de drones non identifiés. Toutefois, ce phénomène, même moins. s’il est récent et spectaculaire, ne doit pas nous faire oublier les enjeux actuels essentiels concernés par le texte qui nous est Par ailleurs, nul ne peut dire qu’une tentative d’intrusion proposé. de deux cents militants, comme ce fut le cas pour le CNPE de Gravelines en 2012, ne perturbe pas les conditions de Je tiens d’emblée à préciser que l’objet de notre débat n’est fonctionnement des installations. Un tel acte n’est donc naturellement pas celui du recours à l’énergie nucléaire. Un pas non plus sans incidence pour les collectivités locales débat sur ce thème serait certainement moins consensuel et concernées et leur population ; il s’agirait, là aussi, de ne relève du projet de loi relatif à la transition énergétique pour pas l’oublier. la croissance verte que nous devrions examiner ultérieure- ment en nouvelle lecture. L’objet de la proposition de loi que En qualité de sénateur alsacien plus particulièrement nous examinons ce soir est simplement de pallier un vide intéressé par la centrale de Fessenheim - mais je ne suis pas juridique concernant les intrusions physiques illégales dans le seul, puisque René Danesi est également présent ce soir -, des installations abritant des matières nucléaires civiles. permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler l’intru- sion l’année dernière de cinquante-cinq militants, une action Comme M. le rapporteur l’a expliqué, de telles intrusions nautique et le déplacement de banderoles sur le dôme d’un comportent des risques tout à fait explicites, en particulier au réacteur de cette centrale. Il est clair que ces actions ressem- moment où notre pays doit prendre en compte tous les blent plus à des coups de force qu’à des manifestations paramètres et les impératifs inhérents à la lutte contre le pacifiques. En réalité, il s’agit là non plus d’une forme de terrorisme. liberté d’expression, mais bien, j’ose le dire, d’un activisme En qualité de coprésident de la commission d’enquête sur politique musclé. l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux Pourtant, je voudrais le souligner, la présente proposition djihadistes en France et en Europe, j’ai eu l’occasion, de loi n’est pas dirigée contre les militants antinucléaires, comme mes autres collègues composant la commission, de comme on l’a entendu dire tout à l’heure. Elle est une bien prendre la mesure de ces risques. De fait, il n’est point simple réponse législative à l’utilisation de méthodes illégales. besoin d’être grand clerc pour imaginer avec quelle acuité les Pour les législateurs que nous sommes, cette différence doit différents responsables chargés de la sécurisation des sites sont assurément être posée. amenés aujourd’hui à faire face à l’éventualité d’une attaque terroriste. La liberté d’expression et de manifestation est un droit inaliénable de notre République – des orateurs précédents Dans ce contexte de tensions accrues, leur tâche doit être l’ont dit –, constitutionnellement reconnu et protégé, ce facilitée, afin de leur permettre une meilleure appréhension et dont nous ne pouvons que nous réjouir à l’heure où ces identification des risques, des personnes concernées, ainsi droits sont bafoués dans de nombreux pays. Cependant, en qu’une meilleure appréciation des motivations, s’il en est, aucun cas le droit à manifester ne peut comporter le droit de de celles et ceux qui se livrent à de telles intrusions. s’introduire illégalement dans quelque établissement que ce D’ailleurs, l’une des revendications des militants antinu- soit. La liberté de manifester doit s’exercer naturellement cléaires lorsqu’ils pénètrent dans les installations nucléaires dans le cadre de la loi ; cet autre principe fondateur vaut est précisément d’en dénoncer la facilité d’accès et d’en souli- pour tous, peu importe la cause défendue. gner les risques. C’est assurément un sujet sur lequel il faut encore travailler, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans des pays aux parcs nucléaires moins développés, la législation est beaucoup plus claire et adaptée aux risques. Sur ce point, permettez-moi d’ajouter que les opérateurs doivent prendre toutes leurs responsabilités pour faire en Au Canada, vous le savez, en application de l’article 51 de sorte que les intrusions ne soient tout simplement matériel- la loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, les amendes lement plus possibles, du moins pas aussi faciles. peuvent atteindre un million de dollars et, le cas échéant, cinq ans d’emprisonnement. Le code criminel prévoit même Pour l’heure, en tant que membre de la commission des une incarcération allant jusqu’à dix ans. lois, c’est sur le volet strictement juridique que je voudrais insister. En effet, du point de vue du droit, la situation dans Au Royaume-Uni, l’intrusion sur un site est punie de laquelle nous nous trouvons actuellement est totalement cinquante et une semaines d’emprisonnement, d’une paradoxale. Avec cinquante-huit réacteurs et dix-neuf amende de 5 000 livres. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5163

Enfin, aux États-Unis, le caractère dissuasif de la réglemen- 7 « Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du tation repose moins sur le dispositif pénal que sur les présent article ne sont pas suivis d’effet en raison de modalités d’emploi des armes à feu par les forces de circonstances indépendantes de la volonté de leur sécurité. En soi, cela peut être éventuellement plus dissuasif auteur, les peines sont de six mois d’emprisonnement qu’une amende ou une peine de prison. et de 7 500 € d’amende. À la lumière de ce qui existe à l’étranger, vous me permet- 8 « Art. L. 1333-13-14. – L’infraction définie à trez de penser, mes chers collègues, que le dispositif qui nous l’article L. 1333-13-12 est punie de trois ans d’emprison- est proposé est équilibré, M. le secrétaire d’État l’a souligné nement et de 45 000 € d’amende : tout à l’heure. La création d’un régime spécifique me paraît 9 « 1° Lorsqu’elle est commise en réunion ; également cohérente. Ainsi, je me félicite d’observer la mise en place de « peines de base » qui seront complétées par des 10 « 2° Lorsqu’elle est commise par une personne qui peines plus sévères répondant à divers niveaux de circons- prend indûment la qualité d’une personne dépositaire de tances aggravantes. Je voudrais saluer tout particulièrement la l’autorité publique ou chargée d’une mission de service mise en place de ces différents niveaux de peine qui traduit public ; bien la volonté d’une réponse adaptée et proportionnée. 11 « 3° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détério- Pour toutes ces raisons à la fois d’opportunité mais égale- ration. ment de contenu du dispositif proposé, je vous suggère, mes chers collègues, de soutenir avec nous cette proposition de 12 « Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonne- loi. En tout état de cause, les membres de l’UMP vous ment et à 75 000 € d’amende lorsque les faits sont remercient du temps que vous avez consacré à l’examen de commis dans deux des circonstances prévues au présent ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) article.

M. le président. La discussion générale est close. 13 « Art. L. 1333-13-15. – L’infraction définie à l’article L. 1333-13-12 est punie de sept ans d’emprison- Nous passons à la discussion du texte de la commission. nement et de 100 000 € d’amende : PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU 14 « 1° Lorsqu’elle est commise soit avec usage ou RENFORCEMENT DE LA PROTECTION menace d’une arme, soit par une personne porteuse DES INSTALLATIONS CIVILES ABRITANT d’une arme soumise à autorisation, à déclaration ou à DES MATIÈRES NUCLÉAIRES enregistrement ou dont le port est prohibé ; 15 « 2° Lorsqu’elle est commise en bande organisée. Article 1er (Non modifié) 16 « Art. L. 1333-13-16. – La tentative des délits prévus aux articles L. 1333-13-12, L. 1333-13-14 et L. 1333-13- 1 La sous-section 3 de la section 1 du chapitre III du 15 est punie des mêmes peines. titre III du livre III de la première partie du code de la 17 « Art. L. 1333-13-17. – Les personnes physiques défense est ainsi modifiée : coupables de l’une des infractions définies aux 2 1° Le paragraphe 2 est complété par des articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-15 encourent les articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-18 ainsi rédigés : peines complémentaires suivantes : 3 « Art. L. 1333-13-12. – Est puni d’un emprisonne- 18 « 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une ment d’un an et d’une amende de 15 000 € le fait de durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisa- s’introduire, sans autorisation de l’autorité compétente, à tion ; l’intérieur des locaux et des terrains clos délimités pour 19 « 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont assurer la protection des établissements ou des installa- le condamné est propriétaire ou dont il a la libre dispo- tions abritant des matières nucléaires affectées aux sition ; moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique de dissuasion ou des matières nucléaires dont la déten- 20 « 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était tion est soumise à l’autorisation mentionnée à destinée à commettre l’infraction ; l’article L. 1333-2. 21 « 4° L’affichage et la diffusion de la décision 4 « Le premier alinéa du présent article n’est pas appli- prononcée, dans les conditions prévues à l’article 131- cable aux terrains et constructions affectés à l’autorité 35 du code pénal ; militaire ou placés sous son contrôle, mentionnés à l’article 413-5 du code pénal. 22 « 5° L’interdiction de séjour, prononcée dans les conditions prévues à l’article 131-31 du même code ; 5 « Les limites des locaux et des terrains clos mentionnés au même premier alinéa sont fixées dans des conditions 23 « 6° L’interdiction du territoire français, prononcée prévues par décret. Elles sont rendues apparentes aux dans les conditions prévues aux articles 131-30 à 131-30- frais de la personne morale exploitant les établissements 2 dudit code. ou installations concernés. 24 « Art. L. 1333-13-18. – Les personnes morales coupa- 6 « Art. L. 1333-13-13. – Le fait de provoquer, bles de l’une des infractions définies aux articles L. 1333- d’encourager ou d’inciter quiconque, de quelque 13-12 à L. 1333-13-15 du présent code encourent, outre manière que ce soit, à commettre l’infraction définie à une amende calculée en application de l’article 131-38 du l’article L. 1333-13-12, lorsque ce fait a été suivi d’effet, code pénal, les peines mentionnées aux 8° et 9° de est puni des peines prévues pour cette infraction. l’article 131-39 du même code. » ; 5164 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

25 2° Au premier alinéa des articles L. 1333-13-7 Il faut considérer celui-ci pour ce qu’il est : il n’est pas et L. 1333-13-8, la référence : « au présent paragraphe acceptable de dire qu’il aurait pour unique objet de » est remplacée par les références : « aux articles L. 1333-9 sanctionner des militants ou des lanceurs d’alerte et qu’il et L. 1333-11 à L. 1333-13-6 » ; ne serait pas opérationnel au motif qu’il n’empêcherait pas 26 3° L’article L. 1333-14 est ainsi modifié : les terroristes d’agir. Mais qui a dit le contraire ? 27 a) Au premier alinéa, les mots : « applicables aux » Le raisonnement est faux ! C’est justement pour être plus sont remplacés par les mots : « applicables lorsque sont en efficace dans la lutte contre le terrorisme, face à un danger cause des » ; reconnu sur toutes les travées de cet hémicycle, qu’il faut écarter ces actions de citoyens – elles sont extrêmement 28 b) Le second alinéa est ainsi modifié : difficiles à gérer pour les forces de sécurité – qui ont 29 – les mots : « applicables aux » sont remplacés par les imaginé d’exprimer leur opposition à l’énergie nucléaire mots : « applicables lorsque sont en cause des » ; – ils ont tout à fait le droit d’y être opposés – non pas par 30 – le mot : « elles » est remplacé par le mot : « ils » ; des manifestations dans la rue, des rassemblements ou des pétitions, mais par une occupation illégale des lieux dans 31 c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : lesquels est produite cette énergie. 32 « Dans les limites qu’ils fixent, les articles L. 1333-13- Dans un certain nombre de circonstances, les mêmes en 12 à L. 1333-13-18 sont également applicables lorsque appellent au droit pénal avec beaucoup de conviction afin sont en cause des matières nucléaires mentionnées au d’éviter des errements. Ainsi, je me souviens d’un débat premier alinéa du présent article. » concernant les parcs nationaux au cours duquel on m’avait M. le président. L'amendement no 1, présenté par expliqué qu’il fallait prévoir une sanction pénale à l’encontre Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi des chasseurs pour les dissuader d’y pénétrer. Je partageais libellé : plutôt ce point de vue. Supprimer cet article. On ne peut pas, un jour, s’élever contre la pénalisation, et, le lendemain, se servir de la sanction pénale comme d’un La parole est à Mme Leila Aïchi. outil de dissuasion légitime ayant toute sa place dans l’arsenal Mme Leila Aïchi. La loi prévoit déjà qu’il soit interdit d’un pays démocratique. d’entrer dans les centrales nucléaires. La présente proposition Cette proposition de loi n’a pas d’autre objectif que de de loi, sous couvert d’un renforcement de la sécurité des protéger nos centrales contre le risque terroriste dans la situa- installations civiles abritant des matières nucléaires, vise en tion particulière que nous connaissons aujourd’hui. Nous réalité à criminaliser les militants en prévoyant des peines n’avons pas de dispositif pénal approprié, et tout l’intérêt extrêmement lourdes. La réécriture complète de ce texte lors de l’article 1er de ce texte est de répondre à cette lacune. de son examen par la commission de la défense nationale et J’en profite pour saluer le rapporteur, Xavier Pintat, et le des forces armées de l’Assemblée nationale a mené à une travail qu’il a effectué. stigmatisation d’un certain type de militantisme. La discussion générale a montré que ce texte recueillait un Qui peut légitimement croire que les peines prévues large consensus républicain. Il ne faut pas se tromper sur son dissuaderont les terroristes les plus déterminés ? Par objectif, lequel, me semble-t-il, devrait nous rassembler essence, l’action terroriste n’a que faire des peines encourues. plutôt que nous entraîner dans un débat que ne souhaitent Résolus et par nature indifférents aux sanctions, souvent pas les auteurs de la proposition de loi, non plus que le prêts à mener ces actions au péril de leur vie, les terroristes Gouvernement, qui la soutient. sont peu sensibles à la répression pénale. M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour L’objet de l’article 1er est donc non pas tant de dissuader explication de vote. une éventuelle menace que de réprimer très sévèrement les M. André Trillard. M. le secrétaire d'État m’a, si je puis dire, actions militantes qui démontrent la porosité de certaines de coupé l’herbe sous le pied avec sa réponse très argumentée ! ces installations. Plutôt que de renforcer effectivement la sécurité, il est proposé de s’attaquer à ceux qui en révèlent Ce débat a été dévoyé il y a exactement trente ans quand, à les failles. la suite de manœuvres discutables d’un ministre, un bateau appartenant à Greenpeace a été coulé. À l’époque, on a voulu La finalité réelle, à savoir cibler les actions militantes, rend accréditer l’idée, dans la société française, que la légalité était cet article inique. Celui-ci ne répond ainsi en rien aux réels du côté des manifestants et l’illégalité du côté de l’État, ce qui enjeux liés à la sécurité des installations nucléaires. En consé- est faux. quence, nous en proposons la suppression pure et simple. En réalité, les forces de sécurité doivent avoir toute liberté M. le président. Quel est l’avis de la commission ? pour intervenir de façon armée à l’intérieur du territoire en M. Xavier Pintat, rapporteur. La suppression de l’article 1er cas d’attaque terroriste. anéantirait l’objet même de la proposition de loi. S’il est vrai Ce qui signifie qu’il ne faut plus autoriser des manifesta- que les sanctions ne dissuaderont pas les terroristes éventuels, tions de ce type. Les associations ont raison de manifester, elles caractériseront en revanche l’intrusion malveillante. mais elles doivent choisir un autre lieu pour le faire. Dans ces conditions, la commission émet un avis défavo- rable. En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, dont j’entends parler avec toujours beaucoup d’amusement, je les conteste M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? totalement : dans la Constitution, tous les Français naissent M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le Gouvernement est égaux. évidemment défavorable à l’adoption de cet amendement, M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour qui touche au cœur du texte. explication de vote. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5165

M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers Le droit d’expression collective des idées et des opinions est collègues, vous devinez sans peine quel sera le vote de l’UDI- un droit fondamental. Toutefois, cette liberté ne peut UC. Il est clair que cette proposition de loi n’est pas faite s’exercer que sur la voie publique, sous réserve d’une décla- pour empêcher les intrusions de terroristes : ce n’est pas cela ration préalable. Elle ne peut justifier l’intrusion, sans autori- qui les dissuadera ! sation, à l’intérieur d’un local professionnel ou au domicile d’un particulier. Néanmoins, le fait qu’il puisse se produire des intrusions illégales n’est, à mon avis, pas une bonne chose, car cela La proposition de loi n’entrave en rien la liberté de suscite des peurs dans l’ensemble du pays. manifester à l’extérieur des sites nucléaires. L’adoption de cet amendement reviendrait, mes chers collègues, à légitimer Pour cette raison majeure, il est essentiel de conserver er certaines intrusions, ce qui ferait courir des risques impor- l’article 1 en l’état et de nous en tenir à l’objectif de la tants en termes de sécurité. proposition de loi. L’avis de la commission est donc défavorable. M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 1. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? (L'amendement n'est pas adopté.) M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je suis circonspect sur la M. le président. L'amendement no 2, présenté par rédaction de cet amendement, car introduire dans notre droit Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi positif une différence entre les manifestations pacifiques et les libellé : autres serait tout de même assez singulier. Alinéa 3 Il n’existe – du moins, je l’espère ! – que des manifestations pacifiques. Personne ne fait de déclaration préalable de Avant les mots : manifestation violente… C'est seulement a posteriori Est puni qu’une manifestation peut être ainsi qualifiée. Or seul existe le droit de manifester, pas celui de mener des actions insérer les mots : violentes. À l’exception des manifestations pacifiques, On voit bien dans quelle impasse juridique nous conduirait La parole est à Mme Leila Aïchi. une distinction de cette nature. Le droit de manifester existe et existera toujours, et il correspond au droit de manifester Mme Leila Aïchi. Il faut faire une différence très claire entre pacifiquement. les militants pacifiques et ceux qui ne le sont pas : on ne peut pas tout mettre sur le même niveau. Or les seules intrusions L’avis du Gouvernement est donc défavorable. connues ont été le fait de militants qui dénonçaient, à juste M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour titre, la porosité des installations nucléaires et leur vulnéra- explication de vote. bilité. M. André Trillard. Je veux rappeler la conclusion de mon Nous proposons donc d’exclure les manifestations pacifi- explication de vote précédente : tous les citoyens sont égaux ! ques du champ de la pénalisation. M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Introduire une telle distinction dans la proposition de loi Perol-Dumont, pour explication de vote. nous semble nécessaire, car, par leurs actions, les manifestants Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Il n’est bien évidem- pacifiques mettent en lumière les défaillances et les failles des ment pas question de remettre en cause le droit de installations nucléaires. Ce faisant, ils jouent un rôle manifester, qui est un droit inaliénable. Mais je ferai tout d’aiguillon en attirant l’attention des pouvoirs publics et de de même un rapprochement entre la demande de Mme Aïchi l’opinion sur la nécessité de renforcer précisément la sécurité et l’attitude de ceux que l’on nomme les « zadistes », qui de ces installations. s’autorisent à entrer dans certains lieux privés au motif qu’ils ne sont pas d’accord avec un projet d’aménagement. Pénaliser de telles actions serait donc contre-productif au regard de l’impérieuse nécessité d’améliorer la sécurité des Pour ma part, j’estime qu’il s’agit d’une forme d’atteinte à installations nucléaires. Il ne s’agit pas d’une posture idéolo- l’État de droit. C'est aussi une source de difficulté pour les gique ou dogmatique. Les mouvances terroristes connaissent décideurs publics qui veulent aménager le territoire. les faiblesses existantes ; elles sont, en la matière, déterminées Le droit de manifester existe, et les militants pacifiques à agir contre les intérêts de la sécurité nationale. antinucléaires ont parfaitement le droit de défendre leurs Face à cela, des actions militantes et pacifiques qui permet- convictions. Celles et ceux qui, comme moi, ne sont tent à la société civile de se saisir du débat et aux pouvoirs a priori pas hostiles au nucléaire se posent tout de même publics d’y répondre par des mesures appropriées de sécuri- des questions. Mais il y a toujours d’autres endroits pour sation des infrastructures sont plus que jamais d’actualité et manifester que dans des lieux aussi stratégiques et névralgi- plus que jamais nécessaires. ques que les centrales nucléaires. M. Michel Vaspart. Très bien ! C’est pourquoi, en ayant à l’esprit ces réalités, nous vous proposons d’exclure les manifestations pacifiques du champ Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. C'est la raison pour de la pénalisation. laquelle nous ne voterons pas cet amendement. o M. le président. Quel est l’avis de la commission ? M. le président. Je mets aux voix l'amendement n 2. M. Xavier Pintat, rapporteur. Le droit de manifester est une (L'amendement n'est pas adopté.) liberté constitutionnelle reconnue par la jurisprudence du M. le président. L'amendement no 3, présenté par Conseil constitutionnel, qui le rattache à la liberté d’expres- Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi sion et à la liberté d’aller et venir. libellé : 5166 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Alinéa 3 et avec une volonté manifeste de porter atteinte au bon fonctionnement des installations ainsi qu’à leur sécurité Avant les mots : La parole est à Mme Leila Aïchi. Est puni Mme Leila Aïchi. Il est proposé que les dispositions de cet insérer les mots : article ne s’appliquent que dès lors qu’une intention malveil- À l’exception des actions concourant à la réalisation lante est caractérisée. er o des objectifs visés à l’article 1 de la loi n 2013-316 du Parallèlement à l’amendement précédent, qui visait à 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en circonscrire l’élément matériel de l’infraction, il s’agit ici de matière de santé et d’environnement et à la protection mieux définir son élément moral, de sorte que l’incrimina- des lanceurs d’alerte, tion soit plus précise. La parole est à Mme Leila Aïchi. N’entreraient ainsi dans le champ de l’incrimination que Mme Leila Aïchi. Monsieur le secrétaire d’État, revenant sur les agissements qui poursuivent manifestement un but l’argumentation que vous avez développée contre l’amende- hostile, à l’exclusion des manifestations pacifiques. ment précédent, je souhaite préciser que notre but n’était M. le président. Quel est l’avis de la commission ? évidemment pas d’opposer les manifestations pacifiques aux manifestations violentes. L’amendement visait à distinguer M. Xavier Pintat, rapporteur. L’avis est défavorable, car les manifestations pacifiques des actions terroristes. l’adoption de cet amendement ôterait au texte tout intérêt. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? À vous entendre, cette proposition de loi vise simplement à contrer l’action et des militants écologistes et des terroristes. M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Même avis ! Or ce texte vise aussi les lanceurs d’alerte, qui font la force M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 5. d’une société vive, dynamique et démocratique. Sachez que nos militants, notre société civile, suscitent l’envie dans de (L'amendement n'est pas adopté.) nombreux pays. M. le président. L'amendement no 4, présenté par

o Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi J’en viens à l'amendement n 3 : il s’inscrit dans la conti- libellé : nuité du dispositif que nous avons voté, sur l’initiative du groupe écologiste du Sénat, s’agissant des lanceurs d’alerte. I. – Alinéa 3 Nous leur avons donné un statut pour les protéger. Pourtant, Après le mot : ce texte pourrait avoir pour conséquence de limiter leur pouvoir. Nous proposons donc qu’ils ne soient pas concernés compétente, par les sanctions proposées. rédiger ainsi la fin cet alinéa : Pour illustrer mon propos, j’évoquerai les procès qui se dans l’enceinte des bâtiments réacteurs ou dans les sont tenus à la suite de la révélation de différents scandales locaux de stockage de matières radioactives des installa- sanitaires. La force de notre pays, de sa société civile, est de tions nucléaires de base définies à l’article L. 593-2 du pouvoir dénoncer de tels scandales pour améliorer la sécurité code de l’environnement. de nos concitoyens. Les lanceurs d’alerte sont une force vive de notre pays, et votre texte vise à leur interdire toute contes- II. – Alinéa 5 tation possible, ce que je regrette vivement. Supprimer cet alinéa. M. le président. Quel est l’avis de la commission ? La parole est à Mme Leila Aïchi. M. Xavier Pintat, rapporteur. Le statut, légitime, de lanceur Mme Leila Aïchi. Le périmètre de l’interdiction prévue par d’alerte doit protéger la diffusion d’une information par un cet article est très large : il ne prend pas en compte les individu qui, lui-même, se trouve dans une situation différences de dangerosité pour les infrastructures selon les conforme au droit. Il ne saurait en aucun cas légitimer des zones concernées à l’intérieur des locaux et terrains d’une actions illégales, des intrusions, voire des destructions ou des installation nucléaire. dégradations. Or, par exemple, les autorités introduisent déjà de telles L’avis de la commission est donc défavorable. distinctions. Ainsi, EDF ne permet pas à tous ses agents de M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? pénétrer dans les différentes zones et introduit donc des différenciations au sein même de son personnel. De même, M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Même avis ! l’Autorité de sûreté nucléaire traite de manière distincte les M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 3. différents secteurs d’une centrale nucléaire. (L'amendement n'est pas adopté.) Nous proposons donc de circonscrire davantage l’élément matériel de l’infraction, afin que seule l’intrusion « dans M. le président. L'amendement no 5, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi l’enceinte de bâtiments réacteurs ou dans les locaux de stockage de matières radioactives des installations nucléaires libellé : de base » soit répréhensible. Il s’agit, au sein d’une installa- Alinéa 3 tion, des zones où se pose avec le plus d’acuité la question de la dangerosité d’une intrusion. Après le mot : Ce libellé, plus précis, permet d’inclure dans le champ de compétente l’infraction uniquement les personnes s’introduisant dans les insérer les mots : secteurs critiques d’une installation nucléaire. SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5167

Une telle précision serait de nature à ne permettre l’incri- M. le président. Quel est l’avis de la commission ? mination que des seuls faits dont il apparaît clairement que M. Xavier Pintat, rapporteur. Mes chers collègues, la procé- leurs auteurs poursuivent un but hostile. dure applicable en cas d’intrusion dans ces zones est M. le président. Quel est l’avis de la commission ? inadaptée pour réprimer les intrusions dans des sites M. Xavier Pintat, rapporteur. Les installations nucléaires nucléaires, en raison de la compétence des juridictions spécia- sont des installations sensibles constituées de divers périmè- lisées en matière militaire. tres de sécurité, selon une approche relevant de la défense en C’est pourquoi le juge retient habituellement non pas cette profondeur. incrimination, mais celle de violation de domicile. Ces périmètres de sécurité et les dispositifs de protection La présente proposition de loi a pour objet de créer un passive qui les accompagnent ont tous leur utilité pour nouveau type de zones à accès réglementé, qui seront délimi- défendre l’installation. Ils permettent de gagner du temps, tées dans des conditions fixées par décret. Les installations et ce temps gagné est un allié précieux qui permet de ayant actuellement le statut de zones protégées devront en déployer les forces de sécurité. sortir. Le régime des zones protégées ne restera en vigueur C'est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire que pour les autres terrains et locaux qu’il concerne. que les centrales nucléaires soient protégées par des interdic- Le risque de double incrimination étant levé, l’avis de la tions d’accès effectives en amont des locaux abritant les commission est défavorable sur cet amendement. matières nucléaires. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? L’avis de la commission est donc défavorable. M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Défavorable ! M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 6. M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le périmètre retenu dans la proposition de loi est cohérent avec celui pour lequel une (L'amendement n'est pas adopté.) autorisation d’accès est requise, aux termes de M. le président. Je mets aux voix l'article 1er. l’article L. 1332-2-1 du code de la défense, dans le cas er d’installations d’importance vitale. C’est donc dans le (L'article 1 est adopté.) même périmètre que les dispositions de la proposition de loi doivent s’appliquer. Articles additionnels après l'article 1er

Il me paraîtrait assez déraisonnable d’attendre que les M. le président. L'amendement no 7, présenté par manifestants soient arrivés jusqu’au cœur de la centrale Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi pour constater qu’il y a un délit ! libellé : L’avis du Gouvernement est donc défavorable. Après l’article 1er M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 4. Insérer un article additionnel ainsi rédigé : (L'amendement n'est pas adopté.) o Le 2° de l’article L. 125-10 du code de l’environne- M. le président. L'amendement n 6, présenté par ment est complété par une phrase ainsi rédigée : Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé : « Le responsable de tout transport terrestre est tenu d’informer les élus d’un convoi terrestre dans un rayon Alinéa 4 de dix kilomètres autour de l’itinéraire prévu du Remplacer la référence : convoi. » à l’article 413-5 La parole est à Mme Leila Aïchi. par les références : Mme Leila Aïchi. Dans la mesure où ce texte vise à améliorer la sécurité nucléaire, nous souhaitons en élargir le aux articles 413-5 et 413-7 champ au transport de matières nucléaires qui traversent le La parole est à Mme Leila Aïchi. pays. Mme Leila Aïchi. L’article 413-5 du code pénal a vocation à L’opacité qui entoure actuellement les transports routiers et protéger les terrains ou les engins affectés à l’autorité ferroviaires de combustibles nucléaires constitue une mise en militaire. L’article 413-7 du même code a un spectre plus danger des riverains. Chaque année, de très nombreux large, puisqu’il protège également les services ou établisse- convois empruntent les réseaux ferré et routier français, ments publics ou privés intéressant la défense nationale. avec des points de départ et d’arrivée qui peuvent être natio- naux ou internationaux. C’est ce dernier article qui protège aujourd’hui les centrales nucléaires civiles aussi bien que n’importe quel site militaire. Ces convois utilisent fréquemment des tronçons ferro- Le présent amendement a pour effet d’éviter un conflit viaires très usités, aux heures de pointe, à proximité entre deux incriminations concurrentes. immédiate des usagers des transports en commun, lesquels ne reçoivent aucune alerte ni aucune information quant à la Le principe d’une mesure spécifiquement anti-Greenpeace dangerosité potentielle du convoi. se limitant aux centrales nucléaires créera un fossé entre les sites militaires et les sites civils, puisque, pour les sites Le présent amendement vise donc à rendre ces transports militaires, la peine encourue est de six mois, alors que, terrestres plus transparents, et à obliger leurs responsables à dans les autres cas, la peine maximum encourue sera de délivrer une information claire aux élus des territoires sept ans si les faits sont commis en bande organisée. Il traversés. s’agit d’assurer la cohérence entre les deux situations. M. le président. Quel est l’avis de la commission ? 5168 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

M. Xavier Pintat, rapporteur. Selon notre collègue, cet Tout en conservant le régime existant, il est proposé de amendement vise à informer les élus lors du passage sur rendre passible des peines précitées tout manquement aux leur territoire de convois transportant des matières nucléaires. avis et recommandations de l’ASN, qui revêtiraient alors, Il semble pourtant évident que la confidentialité est essen- pour les exploitants, un caractère normatif, les manquements tielle à la sécurité des transports de ce type. devenant directement susceptibles de sanction avant même toute mise en demeure. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement. Il s’agit de mettre en lumière le caractère de dangerosité exceptionnel d’une installation nucléaire et la nécessité corré- M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? lative de se conformer dans les plus brefs délais aux avis et M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Défavorable ! recommandations émis par l’autorité administrative indépen- M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour dante compétente en la matière, tout manquement à cette explication de vote. obligation étant alors constitutif d’une infraction pénale. M. Joël Guerriau. Je ne vois pas quel serait l’intérêt, pour Si l’on entend assurer la sécurité des centrales nucléaires, un les élus, d’être destinataires de ce type d’information. Cela tel préalable apparaît comme une nécessité impérieuse. ferait peser sur eux une responsabilité supplémentaire, alors M. le président. Quel est l’avis de la commission ? qu’ils en portent déjà tant ! Je préfère, pour ce qui me concerne, rester dans l’ignorance en ce qui concerne le M. Xavier Pintat, rapporteur. Mes chers collègues, de par passage de ces convois. l’esprit qui le sous-tend, cet amendement me paraît… M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 7. Mme Leila Aïchi. Excellent ? (L'amendement n'est pas adopté.) M. Xavier Pintat, rapporteur. … recevable ! Il vise en effet à o sanctionner les opérateurs qui ne respecteraient pas les avis de M. le président. L'amendement n 8, présenté par l’ASN. Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé : Toutefois, ce régime de sanctions existe déjà et cette

er question est en cours de traitement dans le cadre de Après l’article 1 l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique Insérer un article additionnel ainsi rédigé : pour la croissance verte, texte qui habilite le Gouvernement à réformer et à simplifier le régime de sanction existant et à L’article L. 593-6 du code de l’environnement est ainsi doter l’ASN du pouvoir de prononcer des astreintes et des modifié : sanctions pécuniaires. 1° Après le mot : « responsable », sont insérés les mots : Cette question me semble devoir être traitée dans cet autre « de la sécurité et » ; cadre législatif. La commission a donc émis un avis défavo- 2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés : rable sur cet amendement. « Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? amende de 15 000 euros le non-respect des avis de M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, je l’Autorité de sûreté nucléaire par le responsable d’une vous confirme que votre amendement est d’actualité, mais installation nucléaire au sens de l’article L. 593-2. dans un autre hémicycle ! Dans quelques instants, je vais rejoindre Ségolène Royal à l’Assemblée nationale, où est « Les personnes morales coupables de cette infraction examiné en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la transi- encourent, outre une amende calculée en application de tion énergétique pour la croissance verte. Il ne serait pas de l’article 131-38 du code pénal, les peines mentionnées bonne méthode de traiter en parallèle de la même question aux 8° et 9° de l’article 131-39 du même code. » dans deux textes différents. La parole est à Mme Leila Aïchi. L’avis du Gouvernement est donc défavorable. Mme Leila Aïchi. La sécurité et la sûreté nucléaires peuvent o certes être menacées par l’intrusion de personnes mal inten- M. le président. Je mets aux voix l'amendement n 8. tionnées, mais cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Il (L'amendement n'est pas adopté.) apparaît toutefois que la menace la plus prégnante pour les installations nucléaires de base tient au non-respect des règles Article 2 de sûreté édictées par l’Autorité de sûreté nucléaire. (Non modifié) Il serait contradictoire de prétendre vouloir garantir la sécurité des installations nucléaires et de ne pas inclure Avant le 30 septembre 2015, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les risques et menaces que dans le champ de la loi ceux qui sont les garants de la constituent les survols illégaux par des aéronefs télépilotés. Ce sûreté. À cet égard, le texte est donc lacunaire. rapport présente également les solutions techniques et capaci- Aussi, par parallélisme avec les peines encourues pour les taires envisageables afin d’améliorer la détection et la neutra- infractions mentionnées à l’article 1er de cette proposition de lisation de ces appareils, ainsi que les adaptations juridiques loi, il est proposé de rendre susceptible d’une sanction pénale nécessaires afin de réprimer de telles infractions. le non-respect des injonctions de l’ASN. o M. le président. L'amendement n 9, présenté par En l’état actuel du droit, l’ASN dispose d’un pouvoir de Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi sanction graduée lorsque des inspections mettent en évidence libellé : des lacunes, l’échelle allant de sanctions administratives Alinéa 1 diverses jusqu’à la mise en demeure, associée à des sanctions pénales. Remplacer les mots : SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015 5169

évaluant les M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Défavorable !

par les mots : M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 9. sur les mesures complémentaires nécessaires à la (L'amendement n'est pas adopté.) sécurité des installations nucléaires de base contre les agressions extérieures. Ce rapport présente notamment M. le président. Je mets aux voix l'article 2. les évolutions nécessaires en matière de renforcement de la sécurité des piscines de stockage de matières nucléaires, (L'article 2 est adopté.) de sécurisation des transformateurs électriques et d’évaluation des Vote sur l'ensemble La parole est à Mme Leila Aïchi. M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la Mme Leila Aïchi. L’article 2 de la proposition de loi vise à proposition de loi, je donne la parole à Mme Leila Aïchi, demander au Gouvernement un rapport sur les survols de pour explication de vote. drones. Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secré- Si l’appréhension du risque que représentent ces survols taire d’État, mes chers collègues, il est à mon sens très pour les installations nucléaires est importante, il est néces- regrettable que l’on s’en prenne, par ce texte, aux militants saire qu’elle s’inscrive dans un cadre plus large d’évaluations et aux lanceurs d’alertes : ces personnes, pacifiques, font complémentaires de sécurité, sur le modèle des évaluations avancer nos sociétés démocratiques. D’ailleurs, leur forte complémentaires de sûreté réalisées à la suite de la conscience environnementale comme leurs actions suscitent catastrophe de Fukushima. l’envie des pays étrangers. Il convient ainsi d’élargir ce rapport aux autres thématiques Il est en outre très dommageable qu’un parti s’autorise à intéressant la sécurité et la sûreté des sites nucléaires, en nous considérer, nous, les écologistes, comme des irresponsa- particulier la « bunkerisation » des piscines et des transfor- bles, quand, précisément, son programme politique vise à mateurs électriques, installations sensibles et peu protégées. transformer la France en Corée du Nord ! Si le survol des sites nucléaires par des drones est d’une M. David Rachline. Vous parlez sans doute des commu- nistes ? brûlante actualité, comme l’illustrent des faits récents, le phénomène ne doit pas pour autant éclipser les autres problé- Mme Leila Aïchi. Si le sujet n’était pas plus grave, cela me matiques liées à la sécurisation des sites nucléaires. ferait sourire, mais, comme disait Napoléon, en politique, l’absurdité n’est jamais un obstacle ! Une telle approche serait insuffisante, car parcellaire. C’est seulement par une approche globale, prenant en compte tous M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. les points sensibles d’un site nucléaire, que la sécurité pourra M. Joël Guerriau. Il me semble formidable que nous être réellement améliorée. Il convient donc que ce futur puissions avancer sur la voie de la sécurisation du nucléaire rapport aborde toutes les dimensions du problème pour français. Eu égard à son importance sur notre territoire, il est assurer la sécurité de ces sites. essentiel d’en mesurer les enjeux et d’éviter que ses installa- tions ne deviennent un terrain de jeu pour qui que ce soit. Le M. le président. Quel est l’avis de la commission ? militantisme peut s’exercer à l’extérieur des centrales, sans M. Xavier Pintat, rapporteur. Cet amendement tend à chercher à y pénétrer. élargir l’objet du rapport demandé au Gouvernement. Or M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise le développement de l’usage des drones constitue une problé- Perol-Dumont. matique de sécurité à part entière, qui appelle une réflexion d’ordre juridique et technique, ainsi que nous le rappelait Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je me félicite, à Jacques Gautier. nouveau, du consensus qui se dégage autour de cette propo- sition de loi. Un groupe de travail a été constitué par le Gouvernement et, si j’en crois le Secrétariat général de la défense et de la Le groupe socialiste comprend que ce sujet suscite des inquiétudes, mais il nous semble que ce texte ainsi que les sécurité nationale, le SGDSN, que j’ai auditionné, il avance réponses apportées par le rapporteur comme par le Gouver- rapidement. Il soumettra ses propositions dans le temps nement conduisent à les lever. imparti dans ce texte, d’ici l’automne. Il me semble que nous devons en rester là. Nous voterons ce texte sans états d’âme. En outre, une nouvelle réglementation du secteur nucléaire M. le président. La parole est à M. David Rachline. est en cours de mise en place depuis 2010, qui oblige les M. David Rachline. Je m’étonne encore du dogmatisme de opérateurs à mener des études de sécurité afin de démontrer la gauche et de l’extrême gauche dans notre pays (Protesta- la résistance de leurs installations aux menaces. tions sur les travées du groupe CRC.) Elles ont participé à la ruine du pays, mais se permettent toujours de donner des Un plan de mise en conformité du parc est donc actuel- leçons. lement piloté par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère chargé de l’énergie. Il faut donc égale- Je rappelle que les Verts ont obtenu 0,07 % des voix aux ment aborder cette question dans ce cadre. élections départementales ! Ils viennent pourtant nous expli- quer qu’après avoir contribué, avec les majorités de gauche et Je vous propose d’en rester, dans le présent texte, à un d’extrême gauche,… rapport sur les drones, qui doit nous être remis le 30 septembre 2015. Mme Cécile Cukierman. Nous sommes seulement de gauche ! L’avis de la commission est défavorable. M. David Rachline. … à ruiner ce pays, après avoir fait M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? entrer 200 000 immigrés chaque année sur notre territoire,… 5170 SÉNAT – SÉANCE DU 20 MAI 2015

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Quel est le rapport Rapport de M. Pierre-Yves Collombat, fait au nom de la avec le texte en discussion ? C’est un dérapage ! commission des lois (no 440, 2014-2015) ; M. David Rachline. … après avoir affaibli la laïcité et Texte de la commission (no 441, 2014-2015). amoindri la souveraineté de la France, il faudrait que leurs petits amis militants extrémistes puissent venir mettre en Proposition de loi relative au parrainage civil, présentée par danger la sécurité de nos centrales et la vie de nos compa- M. Yves Daudigny et les membres du groupe socialiste et triotes ! apparentés (no 390, 2014-2015) ; Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Il est dommage de Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commis- rompre ainsi le consensus ! sion des lois (no 442, 2014-2015) ; M. David Rachline. Comme précédemment avec la propo- Texte de la commission (no 443, 2014-2015). sition de loi des communistes, je considère qu’il s’agit ici d’une véritable provocation, alors que notre pays traverse des À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement. crises si graves et si nombreuses. Mais ils seront sévèrement À seize heures quinze et le soir : jugés par les Français ! Proposition de loi présentée par MM. Yves Pozzo di Borgo, Mme Cécile Cukierman. En place publique ? Pierre Charon et tendant à modifier le M. David Rachline. Aux élections, cela suffira ! régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police (no Mme Cécile Cukierman. Gardez vos menaces ! 391, 2014-2015) ; M. le président. Personne ne demande plus la parole ?... Rapport de M. , fait au nom de la commission des lois (no 433, 2014-2015) ; Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi relative au renforcement Texte de la commission (no 434, 2014-2015). de la protection des installations civiles abritant des matières Projet de loi ratifiant l’ordonnance no 2014-1539 du nucléaires. 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métro- (La proposition de loi est définitivement adoptée.) politains de Lyon (Procédure accélérée) (no 224, 2014-2015) ; Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la o 13 commission des lois (n 415, 2014-2015) ; Texte de la commission (no 416, 2014-2015). ORDRE DU JOUR Personne ne demande la parole ?… La séance est levée. M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi (La séance est levée à vingt-trois heures quinze.) 21 mai 2015 : Le Directeur du Compte rendu intégral De neuf heures trente à treize heures trente : FRANÇOISE WIART Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales (no 375, 2014-2015) ;

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