Mister Nobody Se Fait Parrain Du Crime
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
DOSSIER / CRIMINALITÉ : LE TEMPS DES HYBRIDES Mister Nobody se fait parrain du crime Il est inconnu et rares sont ceux qui l’ont croisé. Pourtant, il a bâti un empire du crime depuis son domicile, avec son ordinateur portable et grâce à des mercenaires chèrement payés. Paul Le Roux est-il la fgure du criminel de demain ? Par Xavier Raufer La cybercriminalité est l’un des axes majeurs de la souveraineté. usqu’à présent, le cybermonde Comme d’usage, elle n’émerge pas du tout n’avait encore rien inventé dans le où on l’attendait. Cette fgure montante du Jchamp criminel : celui du monde cybercrime, c’est celle de l’homme quel- physique se retrouvait simplement conque, de « l’homme-sans-qualités ». décalqué dans le monde numérique Celui-ci dispose d’une dangereuse capacité – sauf d’évidence, l’homicide direct. criminelle mondiale, car ce prototype-là, Sinon : vol, extorsion, chantage, faux bientôt suivi d’un autre, prédit sans doute et fraudes, espionnage, manœuvres et une prochaine invasion du champ crimi- intoxications. Rien de neuf alors, sous nel – numérique et physique – par la fgure le cybersoleil. De même, les cybercrimi- montante de l’homme quelconque. nels restaient plutôt classiques : codeurs sautant sur quelque efet d’aubaine, ser- UNE PETITE ENTREPRISE, vices spéciaux usant, pour infiltrer UN EMPIRE DU CRIME la maison d’en face, de « chevaux de Le nom d’abord. Nul surnom inquiétant Troie ». En ce début de xxie siècle, on à la mafeuse (Gaspipe Tony, Tony tuyau- L’AUTEUR cherchait en vain la typologie nouvelle, de-plomb), pas de patronyme ronfant Xavier Raufer est criminologue et directeur du la fgure émergente du cybercriminel. ibérique genre cartel mexicain (Arturo master de criminologie du Cnam. Dernier ouvrage Or, en silence, cette figure opérait, Guzman Decena, Z-1), notre homme se paru : Le crime mondialisé. Etat des lieux en 99 inconnue du monde, alors même que nous nomme simplement Paul Le Roux. Un vérités (Le Cerf, 2019). tentions – en vain à l’époque – de l’isoler. « Le Roux » d’Afrique du Sud-Rhodésie, 44 CONFLITS aux probables ancêtres huguenots émi- plantes narcotiques, hallucinogènes..., LE CARTEL DES QUELCONQUES grés. Or en peu d’années, ce codeur-pro- dans la zone grise de l’ex-Somalie. Ébahis, n’en croyant pas leurs yeux – grammeur médiocre a d’abord monté - Trafic tricontinentaux d’armes, de longtemps incrédules – le FBI, la DEA, les RX Ltd., réseau mondial de pharmacies munitions et d’explosifs (nitrate d’ammo- services spéciaux et la justice américaine pirates en ligne vendant des « médi- nium, C4, ETN, etc.), y compris de qua- mettent plus d’une décennie à réaliser qui caments » – en fait des opioïdes, des lité militaire (balles de fusil par millions, est Paul Le Roux2. Supplié par ses agents dizaines de millions de boîtes de cachets mortiers, mines antipersonnel), jusqu’à de terrain ayant, eux, fairé la grosse proie, d’analgésiques type Vicodin ou Oxyco- des systèmes de guidage de fusées. Quand Washington le prend enfn au sérieux et done, débités sur présentation d’ordon- il est arrêté, Le Roux tente aussi d’ache- commence à baliser un empire crimi- nances factices dont un médecin ripoux ter un sous-marin militaire nord-coréen. nel mondial. Là encore, ahurissement : du Midwest en écrivait 1 500 par jour. - Depuis une base somalienne dispo- une prolifération à ce point biologique Disposant de centres d’appels à travers le sant de sa propre unité de désalinisation, de réseaux, de sociétés-écran, de disposi- monde, RX émet (vers 2010) la majorité création et direction de milices enca- tifs bancaires frauduleux, surgis à l’échelle du Spam pharmaceutique mondial. Pour drées par des « soldats de fortune », ces planétaire comme des champignons après la DEA1, RX est le plus immense réseau centaines d’hommes disposant de batte- la pluie. Un véritable enchevêtrement du de pharmacies pirates en ligne jamais ries anti-aériennes montées sur Toyota. licite (sociétés de sécurité, services informa- découvert, incluant à lui seul, la moitié - Recrutement d’unités de mercenaires tiques, pêcheries et exploitations agricoles) de tous les sites pharmaceutiques d’inter- et de tueurs à gages ; Ninja Works, l’unité embrouillé jusqu’à l’incompréhensible avec net. Afrique, Asie, Amériques, Balkans, privée de Le Roux, intimide, élimine ou des labos d’ecstasys, des hangars emplis Europe : l’enquête révèle un RX mondia- torture les corrompus, ex-copines, com- de mitrailleuses et des tueurs à gages : à lement implanté – une basique énumé- plices, employés et « associés » voleurs, Washington, nul n’avait jamais vu ça. ration donne le vertige : Afrique du Sud dont les corps sont jetés à la mer. À la fn, piégé, arrêté, incarcéré, Paul (RSA), Brésil, Bulgarie, Chypre, Congo - De ses sociétés forestières du Congo à Le Roux n’invoquera ni omerta ni code (les deux), Costa Rica, Djibouti, Dubaï, ses exploitations agricoles du Zimbabwe, d’honneur. Il passe un marché avec ses Équateur, Ghana, Hong Kong, Inde, de ses labos d’amphétamines des Philip- juges et, dans l’espoir de sortir un jour de Indonésie, Iran, Israël, Kenya, Malai- pines à ses ofcines de Rio, de ses sociétés prison, balance froidement tous ceux qui, sie, Mali, Papouasie-Nouvelle-Guinée, de jeux en ligne du Costa Rica à ses pêche- au fl des ans, se sont mouillés avec lui. Pays-Bas, Pérou, Philippines, Roumanie, ries de thon somaliennes, les avions privés De quoi remplir un annuaire criminel, Singapour, Somalie, Sri Lanka, Taïwan, de Le Roux sillonnent le globe, chargés de disent ces magistrats, qui ne sont pas Thaïlande, Turquie, Ukraine, Zambie, lingots d’or, de diamants, de valises d’es- au bout de leurs peines. Car le dossier Zimbabwe – on en oublie sûrement. pèces – ou d’assassins en mission. Paul Le Roux à peine refermé, éclate aux Avec les 250 à 400 millions de dollars États-Unis l’afaire d’un autre nobody US que RX lui rapporte par an, Le Roux CORRUPTION NUMÉRIQUE ayant, en un éclair, amassé un million de s’ofre un réseau criminel mondial sans MAIS CRIMES PHYSIQUES dollars en trafquant des opioïdes depuis exemple : état-major aux Philippines – Balkans, Afrique, Asie, etc. : le trésor le sous-sol de sa maison. un immeuble bourré d’informatique à de RX sert aussi à corrompre des ofciels Boy-scout d’élite, Aaron S. achète à Manille, des dizaines de villas alentour... qui ferment les yeux, laissent proliférer un labo chinois un kilo de fentanyl – Des cadres, souvent d’ex-espions et mili- les réseaux et s’agiter les hommes, four- opioïde 50 fois plus concentré que l’hé- taires israéliens ; des pistes d’atterrissage nissent les autorisations utiles ou les faux roïne. Dans sa cave, il presse de réalistes (Philippines, Somalie) ; des vedettes plus passeports. Bien sûr, les trafcs de Le Roux cachets d’Oxycodone et en vend 460 000 rapides que les garde-côtes locaux ; sur s’opèrent avec le gratin criminel mondial : sur le dark web. Un ordinateur, une boîte trois continents, des villas côtières avec seigneurs de la guerre et milices africaines, postale : tel est le « cartel d’Aaron S », 1,25 ports en eaux profondes, gardées et acces- cartels de Colombie et du Mexique, triades million de dollars gagné en dix-huit mois. sibles jour et nuit. De par le monde, une de Hong Kong ou mafa turque. Avec le fentanyl, dit un policier amer, multitude de sociétés-écran et tous leurs Or cet empire resta longtemps invi- n’importe quel minus fait fortune dans comptes en banque. Le tout échange et sible. Ne correspondant à rien d’exis- l’année. Un « minus » ? Nous y voilà. correspond sur internet grâce à True- tant, il est dirigé par un gros type vu, Citons le théorème d’Audiard : « Un Crypt, logiciel de codage maison, incas- ébourifé et maussade, sur de granu- barbu, c’est un barbu. Trois barbus, c’est des sable même par les services ofciels. leuses images captées au hasard par barbouzes. » Coup sur coup, deux hommes À la façon d’un Amazon de l’illicite, le des vidéos d’hôtels ou d’aéroports. quelconques, géants du narcotrafc ? Le dispositif Le Roux trempe dans tout ce Un Le Roux vêtu de bermudas, de criminologue décèle l’amorce d’une ten- qui peut s’imaginer de criminel : T-shirts douteux, tongs aux pieds et dance. Il conseille d’ouvrir l’œil. w - Stupéfiants : opioïdes, amphéta- nourri façon geek, de burgers de fast- mines, cocaïne, etc. – notamment de food. L’archétypique raté des années 1. Service de police en charge de la lutte contre le gros trocs cocaïne-amphétamines 2010, végétant aux franges de la Sili- trafc de stupéfants. avec des ofciels corrompus de Corée con Valley ; un homme quelconque sur 2. Evan Ratclif, The mastermind - The hunt for the most du Nord et aussi de vastes serres pour lequel le regard passe sans s’arrêter. prolifc criminal, Bantam Press, London, 2019. CONFLITS 45.