Théâtral magazine L’actualité du théâtre mai - juin - juillet 2020 Pierre Arditi Olivier Py Michel Fau Pascal Rambert Julie Deliquet Jean-Pierre Vincent Jean-François Sivadier Caroline Vigneaux Chloé Dabert Emmanuel Demarcy-Mota Clément Hervieu-Léger Philippe Torreton La scène confinée

DOSSIER

La CONTAMINATION au théâtre M 02434 - 83 - F: 4,60 E - RD

Théâtral magazine n 83 www.theatral-magazine.com ° ’:HIKMOD=YUY[UV:?k@a@s@d@a"

ommaire Théâtral magazine S N° 83 - MAI / JUIN / JUILLET 2020 04 AGENDA des captations 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Philippe Torreton 12 SPÉCIAL : LA SCÈNE CONFINÉE ! Théâtral magazine est édité par : 14 . Clément Hervieu-Léger 23 . Gaëlle Guillou Coulisses Editions 16 . Olivier Py 24 . Laëtitia Guédon 7 rue de l’Eperon 75006 Paris France Tél : + 33 1 43 27 07 03 18 . Chloé Dabert 25 . Jean Varela Email : [email protected] 20 . Marc Lainé 26 . Luis Torreao Site Internet : www.theatral-magazine.com 21 . Mathieu Bauer 27 . Marie-Lise Fayet 22 . Emmanuel Demarcy-Mota 28 . Caroline Vigneaux Directeur de la publication : Hélène Chevrier Directeur de la rédaction : Enric Dausset 30 ECLAIRAGE Rédactrice en chef : Hélène Chevrier [email protected] 30. La double inconstance, mise en scène Galin Stoev 31. Eclairage par Gilles Costaz Rédaction : Hélène Chevrier Vincent Bouquet 36 PROJETS REPORTÉS Gilles Costaz Enric Dausset 36 . Pierre Arditi 43 . David Ayala Igor Hansen-Love 37 . Olivier Py 44 . Michel Fau Jean-François Mondot Jacques Nerson 38 . Julien Gosselin 45 . Pascal Rambert Nathalie Simon 40 . François Gremaud 46 . Compagnie XY Patrice Trapier 41 . Julie Deliquet 47 . Romeo Castellucci François Varlin 42 . David Farjon 48 . Johanna Kortals Altes Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 50 DOSSIER : La contamination au théâtre Fabrication impression : SIB Imprimerie - Imprimé en France avec Vin cent Cespedes, Stanislas Nordey, Olivier Py, Tirage : 10 000 exemplaires Emmanuel Demarcy-Mota, Jorge Lavelli, Jean-François Sivadier, Distribution : Presstalis Jean-Michel d’Hoop, Jean-Pierre Vincent, Julien Bouffier, Dépôt légal : date de parution Matthieu Roy, Catherine Marnas, Maïa Sandoz Com mission paritaire du journal : 0324 G 89789 Commission paritaire du site : 1122 W 90648 Publicité : 66 ZOOM : Jean-Marc Dumontet, Jean Robert-Charrier Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Gestion Flashcodes 68 PORTRAIT : Mathilde Bourbin infotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00 Photo couverture : 70 CAPTATIONS CRITIQUES Philippe Torreton © Carole Bellaïche Le prochain numéro sortira en kiosques 74 LE GRAIN DE SEL le 27 août 2020 de Jacques Nerson

Compte tenu de l’annulation de la plupart des festivals dont celui d’Avignon, ABONNEMENT nous ne sortirons pas de numéro d’été. Le prochain sortira pour la rentrée 1 an = 25 € p. 73 de septembre. Merci de votre compréhension et de votre fidélité.

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 3 aptations C Classiques L'école des femmes Texte de Molière, mise en scène Stéphane Braunschweig >

L'école des femmes < Texte de Molière, mise en scène Raymond Rouleau, avec Isabelle Adjani, Bernard Blier

Roméo et Juliette Texte de Shakespeare, mise en scène Éric Ruf >

Un fil à la Patte < Texte de Georges Feydeau, mise en scène Jérôme Deschamps

Le Misanthrope Texte de Molière, mise en scène Stéphane Braunschweig >

Le Misanthrope < Texte de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger

Tartuffe Texte de Molière, mise en scène Stéphane Braunschweig >

Cyrano de Bergerac < Texte d’Edmond Rostand, mise en scène Denis Podalydès

Le Cid Texte Corneille, mise en scène Yves Beaunesne > Mot de passe : cdilecid

Le jeu de l’amour et du hasard < Texte Marivaux, mise en scène Benoît Lambert

Les fausses confidences Texte Marivaux, mise en scène Luc Bondy, avec Isabelle Huppert, > Louis Garrel… (film de la pièce)

L’Avare < Texte Molière, mise en scène Catherine Hiegel

4 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 Agenda des captations visibles pendant le confinement Accessibles en scannant les QR codes avec votre smartphone Plus de captations page 70 et sur www.theatral-magazine.com

Contemporains

Tous des oiseaux De Wajdi Mouawad (réservé aux enseignants, si vous ne connaissez pas vos codes, > contacter [email protected])

Les Damnés < D’après le film de Visconti, mise en scène de Ivo van Hove, avec les acteurs de la Comédie-Française

Savoir vivre De Pierre Desproges, mise en scène et interprétation > Michel Didym et Catherine Matisse

Démons < Texte de Lars Norèn, mise en scène Lorraine de Sagazan

Vous n’aurez pas ma haine Texte Antoine Leiris, avec Raphaël Personnaz >

Molière < Un film de Ariane Mnouchkine, avec Philippe Caubère

Möbius (danse-acrobatie) Par la Cie XY et Rachid Ouramdane >

Yvonne princesse de Bourgogne < Texte de Witold Gombrowicz, mise en scène Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, Alain Fromager, Marie Rémond…

La Devise Texte de François Bégaudeau, mise en scène Benoît Lambert >

Le Souper < Texte de Jean-Claude Brisville, mise en scène Daniel Benoin, avec et Niels Arestrup

Séquence 8 (cirque pour tous) Par la Compagnie Les 7 Doigts de la Main >

Cendrillon < Texte et mise en scène Joël Pommerat, réalisation Florent Trochel, une coproduction Axe Sud avec Arte

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 5 ctualités

A FESTIVALS ANNULÉS : Nationale où il a passé du lier, Mélanie Thierry, François Mises en Capsules, Printemps temps au sein de la commission Cluzet, Stéphane Guillon, etc... des Comédiens, Nuits de Four - culture où d’autres cas ont été Admis en 1956 au Conserva - vière, Festival d’Anjou, Avignon confirmés. Aujourd’hui, il va toire dans les classes de René In, Avignon Off, Tombées de la bien. Simon et Jean Meyer, il obtint Nuit, Mimos, La route du Sirque, en 1959 deux premiers prix, à Festival au Village… COLLOQUE SUR L’ENSEI - l’unanimité, de comédie clas - GNEMENT DU THÉÂTRE sique et moderne. Pension - FESTIVALS MAINTENUS : DANS L’ÉDUCATION naire à la Comédie-Française Sous réserve que la situation Le colloque international orga - de 1959 à 1963, il y interpréta sanitaire ne se dégrade pas, ces nisé par les chercheuses Marie plus de 80 rôles. En 1964, il dé - festivals sont maintenus : Festi - Bernanoce et Chantale Lepage missionnait et ouvrait, au val des Caves (du 12 mai au 26 sur le thème Comment (re)pen - Théâtre Edouard VII, Le Cours juin), Festival de Grignan (du ser l’enseignement du théâtre Cochet (lire le Grain de sel de 23 juin au 22 août), Festival de dans les différents contextes Jacques Nerson p. 74) la Correspondance de Grignan d’éducation ? devait être suivi (du 7 au 11 juillet), Festival des de Journées d’études à Paris les Jeux de Sarlat (du 18 juillet au 29 et 30 avril. Elles sont repor - 3 août), Festival de Figeac (du tées à l’automne 2020. Infor - 21 au 31 juillet), Festival de St- mations sur le site de l’Anrat Céré (du 28 juillet au 12 août), www.anrat.net Festival d’Aurillac (du 19 au 22 août), La Mousson d’été (du 21 JULIE DELIQUET au 27 août)… AU TGP DE SAINT-DENIS La metteuse en scène Julie De - UNE CELLULE POUR liquet est la nouvelle directrice

ACCOMPAGNER DES du Théâtre Gérard Philipe de @

d

FESTIVALS Saint-Denis. Elle succède ainsi à r Le ministre de la Culture Franck Jean Bellorini qui avait pris la Riester a mis en place une cel - tête l’année dernière du TNP de lule d’accompagnement des fes - Villeurbanne. PHILIPPE TORRETON tivals qui restera active jusqu'à ET JUDITH CHEMLA la fin de la crise sanitaire. ADIEU À ONT LU DES TEXTES festivals-covid19 @culture.gouv.fr JEAN-LAURENT COCHET À L’OCCASION DU En outre, il a assuré que les pe - Jean-Laurent Cochet nous a VENDREDI SAINT tits festivals pourraient avoir quittés le 7 avril à l'âge de 85 Vendredi 10 avril c’était le Ven - lieu à partir du 11 mai, date pré - ans emporté par le coronavirus, dredi Saint de Pâques. A cette vue pour le déconfinement. après une hospitalisation de 8 occasion, depuis la Basilique du jours à l’hôpital Bichat. Un Sacré-Coeur à Montmartre, FRANCK RIESTER hommage lui sera rendu en deux comédiens, Philippe Tor - CONTAMINÉ PAR LE juin prochain. reton et Judith Chemla, ont lu CORONAVIRUS Comédien, metteur en scène, des textes d'auteurs, Marie- Franck Riester a été le premier professeur de théâtre, il a Noël, Paul Claudel, Charles membre du gouvernement à formé Gérard Depardieu, Fa - Peguy ou Mère Teresa en alter - être victime du coronavirus. Il a brice Luchini, Isabelle Huppert, nance, avec des pièces de mu - été testé positif après avoir pré - Richard Berry, Daniel Auteuil, sique interprétées par le senté des symptômes. Il aurait Jean Reno, Emmanuelle Béart, violoniste Renaud Capuçon et contracté le virus à l’Assemblée Carole Bouquet, André Dusso - en présence de Mgr Michel Au -

6 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 L’ÉDITO de Gilles COSTAZ

petit, archevêque de Paris, du recteur de la cathédrale Mgr IMPATIENCE Patrick Chauvet, et de Mgr Ce sera comme un fleuve en Denis Jachiet, évêque auxiliaire crue, comme le lâcher d’un élevage de Paris. L’événement n’a re - de chevaux sauvages, comme l’ex - groupé que 7 personnes et a plosion retardée du printemps. Les été retransmis en direct sur théâtres vont rouvrir ! Ce n’est pas BFM TV et sur KTO, la chaîne de une nouvelle officielle. Ce n’est pas télévision catholique. une décision d’une quelconque hié - rarchie. C’est un rêve qui ne peut pas ne pas prendre forme. C’est une LA CÉRÉMONIE DES impatience qui n’en peut plus de se

@

MOLIÈRES REPORTÉE B compresser dans les têtes et dans r

i

g

i

t Initialement prévue le 11 mai t les jambes. Les portes des salles de e

E

N au théâtre du Châtelet et dif - DIDIER BEZACE g théâtre vont s’ouvrir d’elles-mêmes ;

u

é

r fusée en prime sur France 2, la NOUS A QUITTÉS a les projecteurs vont libérer le blanc,

n cérémonie des Molières est re - Il avait 74 ans et se battait d le jaune, le rouge qui frémissent en portée. Jean-Marc Dumontet, contre une longue maladie. Di - eux ; les scènes vont bruire de mots son président, espère qu’elle dier Bezace nous a quittés le 11 et de pas qui claquent ; le silence va pourra avoir lieu fin juin en mars. Quelques jours avant, il être habité ; les textes anciens vont mode confiné. France Télévi - jouait encore aux côtés d’Ariane reprendre un coup de jeune, les sions s’est engagée à mainte - Ascaride dans Il y aura la jeu - textes jeunes regarder de haut les nir les mêmes conditions de nesse d'aimer de Louis Aragon anciens… diffusion (Lire l’interview de et Elsa Triolet. Comédien, met - Qui des artistes, des techni - Jean-Marc Dumontet par Gilles teur en scène, il a aussi co-fondé ciens et des spectateurs seront les Costaz p. 66) l’Aquarium à la Cartoucherie de plus impétueux ? On se bousculera Vincennes, et dirigé le CDN de dans les loges. On ira au galop dans la Commune à Aubervilliers les halls et les allées. Comme un LES ENFANTS DU pendant 17 ans. Doté d’une élé - amour qui s’est juste absenté, le SIÈCLE PRENNENT gance naturelle et d’une voix théâtre sera de retour et nous le LA PAROLE inoubliable, il s’est aussi distin - prendrons dans nos bras. Dépêchez- L’opération le 27 mars, les en - gué comme metteur en scène. vous ! Il n’y aura bientôt plus de bil - fants du siècle prennent la pa - On lui doit notamment L’Ecole lets pour les 12.000 places role organisée par l’ANRAT des Femmes avec Pierre Arditi d’Epidaure et les 200 fauteuils du (Association Nationale de Re - en 2001, Les Fausses confi - Lucernaire. Dépêchez-vous ! Telle cherche et d’Action Théâtrale) dences toujours avec Arditi en star confinée trois mois durant a ap - n’a pu avoir lieu selon les moda - 2010 et aussi beaucoup de pris par cœur un monologue de lités prévues. Cependant, les pièces contemporaines : La ver - douze heures. Tel auteur confiné a théâtres se sont mobilisés pour sion de Browning, Que la noce écrit un chef-d’œuvre qu’une troupe recueillir les témoignages de commence, Le Cas Sneijder, Pe - confinée a déjà répété. Tel metteur jeunes à propos de leur pratique reira prétend, L’Augmentation en scène confiné a imaginé une théâtrale. Sous différentes de Georges Perec… Il a lui- mise en scène si neuve que les ven - formes, ils sont répertoriés sur le même écrit des pièces : Pépé co - deurs de billets confinés ont déjà site http://27mars-anrat.net/ écrit avec Jean-Louis Benoit ou empli des cars entiers partant vers ainsi que sur la page Facebook Héloïse et Abélard, jours tran - un lieu où scène et salle ne sont plus de l’ANRAT https://www.face - quilles en Champagne … ce qu’elles étaient. Dépêchez-vous ! book.com/anratnet. Les théâtres rouvrent aujourd’hui. Ou bien demain. .

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 7 Une

Philippe Torreton l'âme d'un Indien e h c ï a l l e B

e l o r a C

@

8 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 NOUS Y VOILÀ ! Comédie des Champs-Elysées - Paris prévu à partir du 14 mai

vec l'ancien batteur de Téléphone, Richard Kolinka, et le multi-instrumentiste, Aristide Rosier, Philippe Torreton a créé un spectacle musical, à cheval entre le concert, le théâ - tre et la performance. L'enjeu ? Faire entendre les textes Ades Indiens d'Amérique qu'il mêle avec des poésies classiques et contemporaines sur une longue phrase musicale. Une façon d'aborder la question de l'urgence climatique et de repenser notre rapport à la na - ture. Alors que la France entière est sommée de rester cloîtrée chez elle, en plein confinement, il continue de répéter un spectacle dans des condi - tions étonnantes en espérant pouvoir le jouer...

Théâtral magazine : Comment sionniste Richard Kolinka, c'est permettrons de nombreuses di - parvenez-vous à créer et répé - encore mieux, nous avons la gressions. ter votre prochain spectacle, chance d'être voisins. Son jardin Quel fut l'élément déclencheur ? Nous y voilà ! , pendant la pé - est séparé du mien par un petit L'envie de travailler avec mes riode de confinement ? mur, que nous franchissons régu - deux camarades. Nous avions Philippe Torreton : Nous étions lièrement pour nous retrouver et collaboré ensemble sur Mec ! , un quasiment prêt, juste avant la fignoler certains morceaux, tout spectacle autour du poète Allain prise des mesures les plus en prenant, évidement, d'infi - Leprest, et l'alchimie fut immé - strictes. Les textes étaient choi - nies précautions sanitaires. diate. Entre nous, l'équilibre est sis, leur agencement décidé et la Comment qualifiez-vous ce idéal, nous arrivons à nous dire création musicale - le travail le spectacle ? les choses, simplement. Ils sont plus important - quasiment ter - Difficile à dire... Et c'est bon devenus des amis ; avec eux la minée. Il nous manque, bien sûr, signe. Nous réalisons un projet création est facile. Il fallait que quelques répétitions de rodage, singulier en nous aventurant sur nous reformions le groupe ! mais nous serions capables, je des terres peu fréquentées. Il Vous avez choisi de mêler des crois, de jouer le spectacle de - s'agit d'un objet bizarre, à cheval poèmes contemporains, comme main s'il le fallait. Avec Aristide entre le théâtre, la poésie et la celui de Fred Vargas (Nous y Rosier, le multi-instrumentiste, musique ; d'un compagnonnage voilà !) , avec des textes in - qui est actuellement dans le sud entre les mots et le son. Concrè - diens, comme ceux de Sitting de la France, confiné, nous conti - tement, je déclame des poésies Bull. Pourquoi ? nuons à échanger des idées par sur de la musique, sans jamais C'était une façon de ramener mail. Avec le batteur et percus - chanter. Sur scène, nous nous la philosophie des Indiens

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 9 PHILIPPE TORRETON

d'Amérique du Nord dans notre actualité. J'ai voulu montrer à quel point la sagesse de ces peu - ples pouvait nous aider à sur - monter les défis contemporains, à commencer par l'urgence cli - matique, bien sûr, mais de façon e h c

générale, ils nous incitent à re - ï a l l

configurer de façon saine notre e B

e rapport à la nature. l o r a

Quelle leçon retenez-vous de C

leurs textes justement ? @ Les Indiens ont créé une my - thologie admirable. Ils voient en nous. Mais il est possible d'y de redevenir comme avant... de la divinité partout. La na - revenir. Il en va de notre survie Je ne l'espère pas. Cette crise est ture et les animaux ne sont d'ailleurs. Nous avons pêché justement l'occasion de changer pas au service de l'homme par orgueil, en nous croyant les choses ; elle peut servir de comme chez nous . Jamais, ils tout puissant. C'est ce que nous prise de conscience. Mais vous ne se croient supérieurs à ce qui enseigne l'hécatombe du coro - avez peut-être raison. Au - les entoure. Lorsqu'ils tuent un navirus d'ailleurs. Nous sommes jourd'hui, les politiques tiennent bison par exemple, ils ont parfai - fragiles. Rien n'est jamais ac - des discours de rupture, ils par - tement conscience de prélever quis pour l'homme. Il suffit d'un lent de réinvestir les secteurs pu - quelque chose de divin à l'ordre rien pour que nous sombrions. blics par exemple. Mais il ne faut naturel ; ils le font avec d'infinies Nous devons nous remettre en pas être dupe. Je ne crois plus précautions et lui adressent une question. aux mots et aux discours, je ne prière. Ainsi, ils prennent uni - Que nous montre le coronavi - me fie qu'aux actes. quement ce dont ils ont besoin. rus ? Et pourtant, les mots sont Autre chose. Leur rapport à la Il met en lumière les travers, les votre métier... mort me fascine. Les Apaches vicissitudes de la mondialisation. Certes, mais je ne fais pas le s'empêchent d'évoquer un Il y a deux cents ans, une telle même métier que les politiques. proche décédé, par respect pour pandémie n'aurait pas affecté le Et en même temps, votre pa - sa mémoire. L'idée consiste à se monde entier, seulement role est entendue dans le détacher d'eux. Je trouve cela quelques pays ou une partie de débat public. Vous êtes très beau. Et très sain. C'était la continent. Attention, tout n'est quelqu'un d'écouté. façon de voir les choses de ma pas à jeter dans la mondialisa - Plus maintenant. Cela fait un an grand-mère, à qui j'ai consacré tion. La communication entre les et demi que je n'ai pas pris la pa - un livre ( Mémé , ed. L'icono - gens, l'ouverture des frontières role et pris position sur les ques - claste). Elle respectait tout. Et et l'envie de transparence dans tions de politique politicienne. elle savait composer avec les af - les pays autoritaires sont des Pourquoi ? fres de l'existence. Pour moi, elle choses formidables. Mais nous Parce que le commentaire de était une Indienne. sommes aussi beaucoup plus in - telle ou telle réforme me paraît Mais il est impossible, au - terdépendants et donc vulnéra - dérisoire face à l'urgence clima - jourd'hui, de revenir à ce type bles. Il faut réapprendre à tique. de philosophie ? produire local. Enfin, je ne vous Vous êtes devenu radicale - On peut s'en inspirer. On a apprends rien. Tout le monde ment écolo. étouffé l'Indien qui sommeille sait ces choses-là. Oui et non. Autant que je peux. en nous. Au même titre que l'on Et une fois que cette crise sera J'essaie de faire attention à ce a étouffé l'enfant qui sommeille passée, pourtant, tout risque que je consomme et la façon

10 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 NOUS Y VOILÀ ! Comédie des Champs-Elysées - Paris prévu à partir du 14 mai

dont je consomme. Brel et même Serge Reggiani. Que cherchez-vous à provo - Et vous n'avez jamais eu la ten - n Nous y voilà !, sur des textes de quer chez le spectateur avec tation de chanter ? Navarre Scott Momaday, Kamal Nous y voilà ! ? Sur le poème de Baudelaire, Élé - Zerdoumi, Fred Vargas, Charles Du plaisir et de l'émotion, vation , je flirte avec le chant ; Baudelaire, Sitting Bull... comme toujours. Leur agence - mais c'est tout. de et avec Philippe Torreton, ment donne quelque chose Que se passera-t-il si les me - Richard Kolinka et Aristide Rosier. d'ambivalent. C'est à la fois sures de confinement sont pro - Comédie des Champs-Elysées, désolant et porteur d'espoir ; longées ? 15 avenue Montaigne désolant parce que le constat J'ose espérer que les choses ren - 75008 Paris, 01 53 23 99 19, de la destruction de notre pla - treront bientôt dans l'ordre. prévu du 14/05 au 2/08 nète est sans appel et porteur Mais quoi qu'il arrive, la décision d'espoir car l'envie de change - appartient à Stéphanie Faga - ment est là . J'ai voulu que l'en - dau-Mercier, la directrice du semble s'entende comme une théâtre de la Comédie des seule phrase musicale (je ne Champs-Elysées. On verra bien... donne jamais le nom des auteurs Je croise les doigts. Repères au théâtre d'ailleurs). S'il y a des temps de Est-ce que le confinement vous respiration entre les poèmes, la donne envie d'inventer d'au - 1990-1998 Comédie-Française musique, elle, ne s'arrêtera ja - tres formes de spectacle ? 1990 Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, mais. Pendant les répétitions, Oui, bien sûr. Tous les jours, j'en - mise en scène Georges Lavaudant j'aimais répéter que les poèmes registre des lectures de poèmes 1990 La Vie de Galilée, de Bertolt sont comme des feuilles d'arbres que ma compagne met en ligne Brecht, mise en scène Antoine Vitez qui tombent dans le cours d'eau sur son compte Twitter. Et je 1990 Huis clos, de Jean-Paul Sartre, de la musique. vois, partout sur Internet, des ini - mise en scène Claude Régy Dans le corpus il y a aussi un tiatives intéressantes inventées 1994 Hamlet, de , texte à vous, L'Homme averti. .. par des théâtres publics, comme mise en scène Georges Lavaudant Pourquoi l'avez-vous choisi ? celles de la Colline par exemple, 2003 Le Limier, d’Anthony Shaffer, Il faisait sens avec le reste. Je l'ai avec Wajdi Mouawad, son direc - mise en scène Didier Long, montré à mes camarades. Et ils teur, qui livre chaque jour son 2005 Richard III, de William m'ont encouragé à le garder. Il journal du confinement ou les Shakespeare, mise en scène Philippe est question de la fragilité des ci - acteurs et les actrices de ses an - Calvario vilisations. ciens spectacles qui se propo - 2007 Dom Juan, de Molière, mise en Et ensuite, concrètement, com - sent d'appeler des spectateurs scène Philippe Torreton ment avez-vous travaillé ? pour leur faire la lecture de poé - 2013 Cyrano de Bergerac, d'Edmond Je leur ai donné des indications sies ou de théâtre pendant Rostand, mise en scène Dominique d'ambiances, de façon impres - quelques minutes. C'est beau. Pitoiset sionniste. Je disais des choses C'est très créatif. Mais il faut es - 2016 La résistible ascension d'Arturo comme : "là, j'entends quelque pérer aussi que cela ne dure Ui, de , mise en scène chose de doux" ou "plus de mé - qu'un temps. Rien ne peut rem - Dominique Pitoiset lancolie" ... Et ils traduisaient en placer l'essence du théâtre : des 2019 J'ai pris mon père sur mes musique. Ensuite, ils commen - spectateurs, dans une salle, de - épaules, de Fabrice Melquiot, mise en taient ma façon de réciter ; on vant des acteurs, sur une scène. scène Arnaud Meunier s'auto-dirigeait. Espérons que tout rentre rapide - 2019 La Vie de Galilée, de Bertolt Avez-vous eu des modèles pour ment dans l'ordre. Brecht, mise en scène Claudia la voix ? Propos recueillis par Stavisky Oui. J'ai beaucoup pensé à Joe Igor Hansen-Love Cocker, Gil Scott Heron, Jacques

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 11 Spécial Le plein d’ initiatives

itôt la fermeture des théâtres imposée par le confinement, de multiples initiatives théâtrales se sont mises en place en provenance de toute la France. Regroupées sous le #restezchezvous du ministère de la Culture, elles visent à maintenir le lien entre S les artistes et le public bien qu’immobilisé chez lui. “Si tu ne peux venir au Autre initiative, celle de la teurs de la troupe du Théâtre de la théâtre, le théâtre viendra à tenue d’un journal du confinement. Ville apportent du réconfort en dé - toi !” C’est ainsi que David On recommande celui de Wajdi livrant des consultations poétiques Bobée, le directeur du CDN Mouawad à la Colline , mais aussi par téléphone (interviews d’Emma - Normandie-Rouen, a réagi à la celui de la MC93 à Bobigny ou de nuel Demarcy-Mota et de Gaëlle fermeture des salles. Il a donc la Commune d’Aubervilliers. Beau - Guillou p. 22) . A la Colline aussi, on décidé de diffuser gratuitement coup de théâtres proposent des lec - se retrouve en tête à tête avec les des captations de pièces. Même ré - tures comme l’Odéon dans sa spectateurs pour leur lire des flexe à l’Odéon, à la Colline, à rubrique Théâtre et canapé , mais textes. C’est aussi le principe du dis - Chaillot, et un peu partout. La Co - aussi La Comédie de Valence avec positif Paris en compagnie qui met médie-Française va même plus Marie-Sophie Ferdane qui lit J’ai ou - des artistes célèbres en contact loin : elle crée sa propre chaîne La blié de Bulle Ogier, la MC93 qui dif - avec des personnes âgées. L’idée Comédie continue ! qui diffuse fuse tous les matins à 8h les vient d’Elsa Zylberstein qui a en - deux pièces par jour en plus de la épisodes du Décameron par Sylvain traîné avec elle ses nombreux amis diffusion d’une pièce chaque se - Creuzevault et sa troupe, le théâ - artistes parmi lesquels Pierre Ar - maine sur France 2 et sur France 5 tre National de Nice avec Le feuil - diti, Catherine Frot, Christophe (interview de Clément Hervieu- leton de Thésée par Muriel Lambert, Frank Dubosc, Gad Elma - Léger p.14). Le Funambule Mont - Mayette-Holz et des lectures pour leh, François-Xavier Demaison, An - martre a adopté la même logique les enfants comme les Contes du dréa Ferréol, François Berléand… d’une chaîne web avec une pro - Chat perché , le TNS qui a mobilisé grammation quotidienne de pièces ses artistes associés (Laurent Sau - Garder le contact, cela peut dont une pour les enfants tous les vage, Laurent Poitrenaux, Audrey aussi se faire en postant des vidéos. deux jours. Au théâtre Nouvelle Bonnet, Julien Gosselin…), ou la Au TNBA , la directrice Catherine Génération à Lyon , le metteur en Comédie- Française tous les jours Marnas a sollicité la créativité de scène Joris Mathieu a lui préféré sur la Comédie continue ! De son ses compagnons et des élèves de présenter une adaptation audio - côté, Fabrice Luchini lit des Fables l’école. Au Rond-Point , on alimente phonique inédite de Hikikomori – de La Fontaine sur Instagram, Phi - le compte twitter du théâtre avec Le refuge . lippe Torreton lit sur Twitter… des vidéos d’artistes sur l’actualité. C’est aussi avec leur voix que les ac - Même chose au Point-Virgule , où les

12 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 La Scène confinée !

humoristes se sont complète ment de la solitude en complément du nistère de l’Education Nationale se adaptés à la scène virtuelle. spectacle Solitude(s) qu’elle devait démène pour fournir aux ensei - créer et qui a été annulé (interview gnants les outils nécessaires à Il y a ceux aussi qui proposent p. 24) . Mathieu Bauer au CDN de l’étude des œuvres théâtrales au un programme chaque semaine Montreuil a aussi lancé un programme. Ainsi, ils peuvent trou - comme la Scala-Paris , la Manufac - concours de nouvelles sur le thème ver des extraits de pièces classiques ture de Nancy ou l’Opéra Comique . d’un monde sans argent (interview ou contemporaines dans des mises p. 21) . Marc Lainé à la Comédie de en scènes différentes sur Théâtre Et puis il y a la création, ce que Valence a lancé l’écriture d’un ca - en Acte , site qui leur est réservé Marie-Lise Fayet au théâtre Victor davre exquis mais aussi des projets ainsi que les dossiers pédagogiques Hugo de Bagneux appelle la rési - participatifs (interview p. 20) . Et des pièces sur Pièce (dé)montée dence de confinement. Il s’agit de puis Jacques Weber, qui prépare sa (www.reseau-canope.fr/edu - mettre à profit ce temps d’isole - prochaine création, un seul en theque-theatre-en-acte). Ces res - ment pour créer un spectacle qui scène de Cyrano de Bergera c d’Ed - sources sont d’ailleurs utilisées et sera présenté à la sortie du confine - mond Rostand qu’il devrait jouer au intégrées dans les cours de Français ment. Gestez chez vous en fait par - théâtre de l’Atelier , livre deux fois (niveaux collèges et lycées) portant tie (lire l’interview de Luis Torreao p. par semaine des vidéos de son tra - sur le Théâtre et diffusés par France 4 26) . Au théâtre de la Ville , Emma - vail sur le site du Théâtre de l’Ate - / Lumni : L’Ecole à la maison. nuel Demarcy-Mota travaille à dis - lier et sur le compte Facebook du tance avec sa troupe sur un théâtre. Même confinée, la scène prend montage de textes sur la contami - soin de son public et de ses en - nation. Laëtitia Guédon aux Pla - Et puis, en cette période de fin fants... teaux Sauvages a lancé un d’année scolaire où les élèves doi - Hélène Chevrier concours de nouvelles sur le thème vent boucler leur programme, le mi - n o é d O ’ l

e d

e r t â é h T

@

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 13 SPÉCIAL

La Comédie continue ! Clément Hervieu-Léger On ne pourra pas faire comme si tout ça n'avait pas existé

La Comédie-Française a très vite réagi aux empêchements produits par le confinement en diffusant les captations de son répertoire sur la nouvelle chaîne La Comédie continue ! visible sur le site de la Comédie-Française mais aussi sur Facebook : elle propose chaque jour plusieurs heures de programme à partir de 16h avec des émissions animées par les comédiens de la troupe, des techniciens, des personnes de différents services de la Comédie-Française et deux diffusions de spectacles. Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Troupe, présente la nouvelle chaîne.

Théâtral magazine : Quel est le ce soit aussi l'occasion pour la térature et sur les œuvres propo - principe de fonctionnement de La troupe de s’adresser de manière un sées au bac. Il y a aussi des textes Comédie continue ! , la nouvelle peu différente au public. pour remercier le personnel soi - chaîne de la Comédie-Française ? Qui décide du programme chaque gnant, de la poésie, des rubriques Clément Hervieu-Léger : C’est jour ? où on parle un peu plus de nous... A comme une vraie chaîne de télévi - C’est l’Administrateur général. De partir du cadre qu’il souhaitait, nous sion mais qui émet sur notre site à ce point de vue, il garde ses préro - lui faisons des propositions. Il choi - partir de 16 heures et jusqu'à la fin gatives : c’est à lui qu’incombe la sit également chaque jour la spea - du spectacle du soir. Éric Ruf, notre programmation de la saison et c'est kerine ou le speaker qui présente le Administrateur général, voulait re - également le cas pour la chaîne. Il programme de la journée. prendre le rythme de la Comédie- tenait beaucoup à ce qu'il y ait des Comment vous mettez-vous en Française avec un lever de rideau à programmes éducatifs à partir de scène de chez vous ? 18h30 comme c'est le cas habituel - 16 heures notamment avec la ru - On envoie des vidéos faites avec lement avec le spectacle du Studio- brique où les comédiens repassent nos propres moyens, téléphone, or - Théâtre avant celui du soir à 20h30 le bac de français. C'est une ma - dinateur… Eric Ruf nous laisse to - qui a lieu soit dans la salle Richelieu nière de nous adresser à la fois aux talement libres de montrer ce que soit au Théâtre du Vieux-Colom - lycéens et de venir un peu en sou - nous voulons. Mais finalement, bier. Et l'idée est aussi d'accompa - tien aux professeurs qui vivent des qu’on se filme devant un mur blanc gner la diffusion de ces deux moments pas si simples en ce mo - ou devant une bibliothèque, cela ne spectacles d'un programme comme ment. Il ne s’agit pas de se substi - change rien. Ce qui est très intime, sur une vraie chaîne de télévision tuer à eux, mais de faire entendre ce n'est pas le fait de montrer des avec des rubriques récurrentes. Que des voix un peu différentes sur la lit - détails de chez soi, mais la manière

14 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE !

comme le partenariat que nous avons avec Pathé Live qui diffuse nos pièces dans les salles de cinéma. Et puis, le jeu des acteurs a beau - coup évolué… On le voit notam - ment dans votre mise en scène du Misanthrope de Molière avec Loïc Corbery. J'ai un grand attachement au réper - toire classique, et j’y suis d'autant plus sensible qu’il est abordé de ma -

é nière contemporaine, ce qui ne veut u o v

a pas dire de tout transformer. C'est L

e

n la question du naturel au théâtre a h p é

t qui est en jeu et que Molière se po - S

@ sait lui-même déjà au XVIIe siècle. Le jeu d'acteur ne cesse d'évoluer et la frontière est de plus en plus po - reuse entre ce qu'on appelle le jeu dont on s'adresse aux gens. C’est l’oc - Comédie-Française et irradie le cinéma et le jeu théâtral. casion de garder le contact avec le théâtre dans son ensemble. La Comédie continue ! , c’est une public mais aussi d'inventer un lien En tout cas, la Comédie-Française chaine qui pourrait exister encore qu'on n'a pas forcément avec lui remplit sa mission de service public après le déconfinement ? puisqu’on s'invite chez lui. Et puis très largement. Rien qu’avec une Pour l'instant, le mot d'ordre d'Éric c’est aussi une façon de garder un chaîne, on touche plus de gens par Ruf, c'est que cette chaîne durera sentiment de troupe très fort parce jour que dans une salle de specta - jusqu'à la fin du confinement. Après que tout le monde est mobilisé alors cle, aussi grande soit-elle, et qui ne elle pourra peut-être exister sous même qu'on est chacun chez soi et résident pas forcément à Paris. une autre forme. C’est une nouvelle qu'on ne se voit pas physiquement. Cela repose la question du théâ - manière d'aborder le théâtre et on Il y a La Comédie continue ! et en tre à la télévision qui était très ne pourra pas faire comme si tout plus des diffusions de captations absent depuis de nombreuses an - ça n'avait pas existé. sur France 2 le samedi soir et sur nées. On a beaucoup dit que le Propos recueillis par France 5 le dimanche soir. théâtre filmé n'était pas la même Hélène Chevrier C'est vraiment le théâtre à la télé - chose que le spectacle vivant. vision. Plus que jamais la Comé - Quel regard portez-vous sur ces die-Française est une sorte de pièces filmées ? symbole du théâtre comme Notre manière de filmer le théâtre a l'Opéra de Paris peut l’être pour beaucoup évolué. Aujourd’hui les la scène lyrique et le ballet. Et captations sont de très grande qua - c'est assez beau de voir la ma - lité, ce n'est pas seulement un plan nière dont le public, les chaînes fixe un peu flou. On redoute aussi de télévision, tout le monde souvent le côté très déclamatoire du s’empare de ce bien commun. théâtre. Mais comme on est empê - . Aujourd'hui la Comédie-Française ché d'aller au théâtre, on ne regarde appartient à tous. pas ces captations comme si on re - On sait très bien que vous n'avez gardait un téléfilm ou un film. Les n Scannez le QR avec votre smartphone aucun problème pour remplir les captations diffusées sur France Télé - pour accéder directement à La Comédie salles. Donc oui, quelque part, visions sont faites pour la télévision continue ! cette action dépasse largement la mais également pour le ci néma,

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 15 SPÉCIAL

Avignon In est off

Olivier Py A Sarajevo, on jouait malgré les snipers

Olivier Py explique pourquoi il a voulu laissé ouverte jusqu’au bout la possibilité de tenir le festival d’Avignon. Jusqu’au discours d’Emanuel Macron du 13 avril. Le monde du théâtre s’est divisé sur la question de savoir si, devant la gravité du mal, il fallait faire silence ou maintenir la possibilité que le rideau se lève. Le débat s’est cristallisé sur le Festival d’Avignon, aucun autre événement culturel ne donnant lieu à de tels échanges passionnés. Débat symbolique comme si toute la vie culturelle procédait d’Avignon. Débat financier aussi, les retombées du Festival étant estimées à cent millions d’euros. Directeur d’Avignon depuis 2013, Olivier Py nous raconte comment il a cheminé entre l’effroi devant la catastrophe sanitaire et économique et le rêve irréductible d’un enfant de la scène.

Théâtral magazine : Pourquoi Certains estimaient qu’envisager snipers pour aller au théâtre. On ne n’avoir pas jeté l’éponge début de jouer était dérisoire, voire obs - disait pas que ça n’avait pas de avril ? cène. sens, c’était même la seule chose Olivier Py : Cela aurait été sans Ne pas jouer quand il y a des morts qui avait du sens. doute plus simple mais cela ne me ou du danger ? Cela aurait signifié Vous dites que vous avez souvent paraissait ni courageux ni perti - qu’il ne pas fallait pas faire de théâ - joué des soirs de deuil. nent. Et surtout ce n’était pas mon tre à Sarajevo pendant la guerre et Si l’on n’est pas capable de rôle. Je n’avais ni l’autorité, ni la qu’il ne fallait pas qu’Eschyle écrive monter sur scène à cause d’une compétence pour arrêter le Festi - Les Perses . C’est exactement le douleur, il faut faire autre val, c’était au préfet de répondre à contraire sauf peut-être pour le chose. Notre métier n’est pas ces questions. Moi je pouvais seule - théâtre de divertissement. Le théâ - un métier mais un sacerdoce ment dire s’il y avait une faisabilité, tre a toujours été lié au deuil, il a en donc on joue avec un chagrin même reconfigurée, dans le calen - lui une part de soin et de rite funé - d’amour, un lumbago, la perte de drier découlant des conditions de raire. Pendant le siège, les gens de - l’envie de jouer, le manque de sortie du confinement. vaient traverser Sarajevo infesté de confiance en soi. J’entends cette ré -

16 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE !

nous nous sommes réunis comme Shakespeare. Toutes les traduc - chaque année en ayant déjà pro - tions me passionnent et je le lis grammé une vingtaine de specta - aussi à la loupe. Proust, Shakes - cles. On s’est rendu compte que peare, L’Evangile et Rimbaud, cela beaucoup voulaient parler de la peut me faire une vie. mort sous différents aspects. Un fes - Comment le théâtre peut-il sortir tival sur la mort, en terme d’affi - d’une telle crise ? chage, ne me paraissait pas D’abord en sauvant ce qui a lieu excellent. C’est pourquoi nous d’être, les intermittents et les com - l’avons pudiquement appelé Eros et pagnies. Puis en se souvenant qu’un Thanatos. rideau qui se lève ne doit jamais de - Qu’est-ce que cette épidémie vous venir banal. Cette question a été a appris ? posée, bien avant le Covid, par le fait Que nos vies ne nous appartiennent que nous vivions connectés à des pas alors que le monde marchand écrans. Il y a une jeune génération essaie de nous faire croire que nous pour qui le spectacle vivant est pro - sommes immortels. Cette catas - prement extraordinaire, voire mira - trophe nous rappelle la vertu des culeux. Son expérience est précieuse. vanités : si nous avions chaque jour Le débat sur la tenue d’Avignon a notre crâne exposé dans notre bi - rappelé que le Festival est une clé bliothèque, on n’achèterait pas au - de voûte de notre vie culturelle. tant de choses inutiles. L’autre C’est fou, on a l’impression qu’Avi - leçon, c’est qu’ aucun pays n’est gnon est non seulement un sym -

e une grande démocratie sans un bole du théâtre mais aussi de tous g a L

e service public de la santé, de les festivals. Et même d’une cer - d

d

u l’éducation, de la sécurité et de taine idée de la démocratisation de a n y

a la culture. C’est aussi simple la culture. Même si ce n’est pas R

@ que cela. l’heure des bilans, je me dis tout de Comment avez-vous vécu le confi - même que si une chose compte nement ? dans ce que j’aurais fait ici, c’est de flexion depuis quelques années. En continuant à travailler par visio - rappeler que le Festival est emblé - Mais dans ces conditions, on ne conférence mais aussi à lire, à matique du théâtre populaire. Le jouerait jamais, il y a toujours écrire, à écouter de la musique. En jour où il deviendra un grand mar - quelque chose d’horrible qui se ralentissant tout de même un peu ché, une Fiac du spectacle, il aura passe dans le monde. mon rythme de "lapin Duracel". perdu son essence. Le Festival, c’est La douleur serait un aiguillon ? Que lisez-vous dans un moment le théâtre comme service public et Pas du tout, le deuil et le chagrin ne aussi difficile ? la décentralisation. Tant que nous donnent aucun talent. Maria Casa - Il y a une ambiance anxieuse qui restons fidèles à cette idée, nous rès disait que pour jouer Shakes - peut nous empêcher de profiter de n’avons pas perdu notre cap. Cela peare, il faut une telle énergie que ce que le président de la Répu - peut paraître une banalité mais c’est quand même mieux d’être bien blique nous a invité à faire, à savoir comme disait Jean Vilar, cette vé - dans sa vie. L’art n’est pas une ex - lire. De toute façon, je ne peux lire rité, il convient de la répéter jusqu’à pression de la dépression, c’est au de romans que lorsque je vais bien en être lassant. contraire ce qui résiste en nous au et donc j’en lis très peu car il est très Propos recueillis par mal être, à la folie. rare que j’aille très bien. Je ne lis pas Patrice Trapier Le thème du Festival, Eros et Tha - par divertissement mais par soif de natos, était prémonitoire. style et de sens. Je peux passer des Cela ne vient pas de moi mais des heures à relire Proust sans aucun artistes. A la fin du festival 2019, ennui. Et puis je lis incessamment

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 17 SPÉCIAL

Comédie de Reims

Chloé Dabert Les derniers jours de Girls and Boys

La nouvelle mise en scène de Chloé Dabert a été qui s’érode, celle de la femme qui crève les plafonds, deux trajectoires interrompue le 14 mars après quatre représentations qui se croisent, la jalousie, le dés - seulement. Récit de l’intérieur d’une création amour, la séparation et la violence repoussée pour une durée indéterminée. ultime. A la scène 11, le récit plonge dans l’effroi. Bénédicte Cerutti, nar - ratrice et personnage principal, Le mercredi 11 mars dernier, j’ai lier, était bondée. Un mélange d’an - prend ses précautions : "Et voilà le eu le privilège d’assister à la première goisse et de gravité étreignait le pu - moment difficile ! C’est le mo - de Girls and Boys à la Comédie de blic. Il faisait chaud. Pour un dernier ment qui allait venir et je pense Reims. Ce fut un moment inoubliable soir, nous allions nous tenir les uns que peut-être vous l’avez senti à bien des égards : la force du texte près des autres, nous apprêtant à venir, et c’est maintenant." de Dennis Kelly, la présence de Béné - vivre un événement dans l’ordre du "La fin de la pièce est tellement dicte Cerutti, la mise en scène de théâtre, de l’art, de l’émotion hu - forte, intense et éprouvante, ni facile Chloé Dabert et bien sûr les condi - maine tout simplement. à dire ni facile à entendre, qu’en ré - tions particulières de cette représen - Girls and Boys est la quatrième pétitions, nous n’avons cessé de re - tation (et des trois suivantes). Nous pièce de Dennis Kelly montée par pousser le moment de la travailler" , entrions dans un nouveau monde, Chloé Dabert, la première en tant se souvient Chloé Dabert. L’autre nous ne le savions pas encore : un que nouvelle directrice de la Comé - particularité de Girls and Boys est monde de distanciation où le specta - die de Reims. Elle avait travaillé de - d’interpeller le public dans une cle vivant serait suspendu pour un puis l’automne avec Bénédicte langue mélodieuse et heurtée. temps indéterminé, flottant, au Cerutti, pour la première fois seule "Plus qu’avec une autre pièce, les même titre que l’amour, l’amitié et en scène, et toute son équipe premières représentations étaient les interactions qui font société, dans (Pierre Nouvel, Nicolas Marie, Lucas décisives pour ajuster ce dialogue une atmosphère possiblement viciée. Lelièvre, Arno Seghiri, Marie La implicite avec les spectateurs", L’épidémie enflait dans le Grand Rocca, Matthieu Heydon). ajoute la directrice de la Comédie Est, pas très loin de Reims. Le jeudi, Pendant une heure et quarante- de Reims. Emmanuel Macron allait annoncer la cinq minutes, une femme raconte Le mercredi 11 mars, tous fu - fermeture des lieux d’éducation ; le une histoire d’amour et d’horreur. rent sidérés, ceux qui avaient lu le vendredi, les rassemblements de plus Une rencontre dans un aéroport, un texte et ceux qui le découvraient, de cent personnes seraient interdits. homme qui lui déplaît puis la ravit, par la puissance du jeu de la comé - Ce mercredi 11 mars, la deuxième une vie de couple, deux enfants, la dienne, le dépouillement sophisti - salle de la Comédie de Reims, L’Ate - réussite professionnelle de l’homme qué de la mise en scène, ces portes

18 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE ! i l l e n o T

r o t c i V

@ coulissantes qui convoquent le sou - maine suivante annulée. Seules taux zéro, trembler que les compa - venir des enfants, une femme qui se quelques photos subsistent de cet gnies les plus fragiles ne survivent dépouille de ses défenses, s’allonge envol artistique brisé. "Evidemment, pas. Et dans le même temps dénicher et se love sur elle-même avant d’af - il y a eu une part de frustration mais quelques dates pour la saison pro - fronter l’aveu final pour terminer, c’est bien peu si l’on considère ce que chaine, à la Comédie de Reims et ail - étendue sur un banc dur et froid. nous vivons" , estime Chloé Dabert. leurs, espérer reporter pour la saison Comment continuer à "aller de Comme un certain nombre d’ar - suivante la tournée qui s’annonçait... l’avant, mettre un pied devant l’au - tistes (Julie Duclos, Laetitia Dosch, Le cas de Girls and Boys n’est pas tre" ? Après la représentation, Jean-Louis Martinelli, Lorraine de Sa - unique, il illustre la complexité des beaucoup restèrent plus que de gazan…), Chloé Dabert est accom - annulations et des reports. Sans coutume près du bar de l’Atelier où pagnée par AlterMachine, un compter quelques questions pour Bénédicte Cerutti, éprouvée et heu - bureau de production et de commu - l’heure sans réponse dont la plus cru - reuse, reprenait des forces. nication. Camille Hakim-Hashemi, ciale : dans quel état d’esprit les Le lendemain, la tension confondatrice d’AlterMachine, me - amoureux des textes et du jeu re - monta encore d’un cran. Juste sure les difficultés à venir. Il y a une prendront le chemin de leurs théâ - avant la scène 11, le réel et la gêne à évoquer les difficultés écono - tres ? En attentant, Bénédicte Cerutti fiction jouant de concert, un miques quand des milliers d’entre a dû mettre de côté ce très long texte spectateur fit un malaise au troi - nous meurent, mais les questions se qui la dévorait. Avec un peu de sième rang. Bénédicte Cerutti sus - posent néanmoins. "Girls and Boys chance, elle le retravaillera comme si pendit son inspiration, repoussant devait être donné au théâtre du elle le découvrait une seconde fois le moment de plonger dans cette Rond-Point entre le 27 avril et le 17 avant de le partager, cette fois pour tragique dégringolade. Pour les mai. C’était un moment crucial pour de bon, avec les spectateurs, ces par - deux dernières représentations, la construire une tournée pour la saison tenaires sans lequel le théâtre per - jauge fut réduite afin de respecter suivante. Le Rond-Point a tout es - drait une grande part de sa raison les consignes mais c’était trop. Trop sayé, y compris prolonger jusqu’à la d’être. Un public de plain-pied, sans de craintes, trop d’inconnues… fin mai, mais il a fallu se résoudre à distanciation sociale. Tout s’arrêta le samedi 14 mars en tout recommencer à zéro". Propos recueillis par même temps que le Premier minis - Négocier au mieux le paiement Patrice Trapier tre annonçait la fermeture des bars d’un contrat de cession, répercuter et restaurants. Quatre représenta - les pertes d’exploitation entre les n Girls and Boys, de Dennis Kelly, mise tions seulement, la rencontre avec coproducteurs de la pièce, réussir à en scène Chloé Dabert, avec Bénédicte le public à peine entamée, sitôt ar - payer les intermittents qui devront Cerutti rêtée, la captation prévue la se - sans doute afficher des heures à

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 19 SPÉCIAL

La grande évasion de Marc Lainé

Deák, a pour objectif de créer avec le public une grande chaîne narra - tive autour d’un voyage imaginaire, comme une espèce de grand cada - vre exquis littéraire. J'ai démarré la chaîne en écrivant un texte avec comme contraintes que ce soit écrit à la seconde personne du singulier du présent et qu'on commence en entrant dans un espace et qu’on ter - mine en quittant cet espace. Le deuxième projet, Carnet d’un voyage immobile , est porté par Ste - phan Zimmerli qui dessine en temps réel par skype le lieu idéal où

r le spectateur aimerait être télé - d Co-créations

@ porté pour échapper au confine - ment. Le troisième est fait avec La Comédie de Valence a été l’une des Silvia Costa, l’ex-collaboratrice ar - tistique de Romeo Castellucci. Elle premières à réagir à la fermeture des théâtres en mettant recueille les bribes de pensées en place plusieurs projets d’échange et de partage entre qu’on lui livre pour les traduire en les artistes et le public. Marc Lainé, l’artiste directeur du dessins et en micro poèmes. C’est lieu, a appelé cette action Notre Grande évasion. une façon poétique d’évoquer les sentiments dans lesquels se trou - vent les spectateurs. Proposerez-vous d’autres projets Théâtral magazine : Vous avez projets pendant cette période de participatifs la saison prochaine ? réagi très vite. C’était impensable confinement et je les ai laissés li - Oui, ma première création à la Co - de laisser le théâtre inactif ? bres. Certaines de leurs proposi - médie de Valence sera un roman Marc Lainé : D’abord, on voulait tions sont personnelles, intimes. graphique que je vais écrire en lien maintenir une activité de création Marie-Sophie Ferdane, par exem - avec les spectateurs qui en seront parce que c'est la raison d'être de ce ple, a décidé de lire des extraits de les co-scénaristes. Un autre projet théâtre. Et au-delà de l'affirmation J'ai oublié , le livre d'entretiens de sera porté par Silvia Costa à nou - d'un geste artistique qui continue - Bulle Ogier avec Anne Diatkine veau. Elle ira interroger des per - rait, il nous semblait essentiel de qu’elle était en train de lire au mo - sonnes âgées sur la mémoire chercher à réunir les publics et ment où elle a été confinée. Elle a qu'elles ont de la ville en leur de - créer malgré tout de l'échange, choisi de le faire au bord de la fenê - mandant d'identifier ce qui a com - en partageant de l'art. Les théâ - tre de son appartement sans se fil - plètement changé et de nous livrer tres sont aussi des lieux de partage, mer. C'est une proposition très forte une série de souvenirs... d'échange, de rassemblement. et en même temps très pudique. Propos recueillis par Quels sont les projets de Notre Il y a aussi des projets participatifs... Hélène Chevrier Grande évasion ? Trois des premiers projets sont ef - J'ai proposé aux artistes du nouvel fectivement participatifs. Le pre - ensemble pluridisciplinaire de la mier, L'Echappée intérieure, que Comédie de Valence d'inventer des j'ai lancé avec la dramaturge Tünde

20 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE !

Mathieu Bauer

Au CDN de Montreuil , Mathieu Bauer a très vite lancé des initiatives à destination du public. Parmi elles, un concours de nouvelles sur le thème d’un monde sans argent. Une idée inspirée par l’arrêt brutal de l’économie mais aussi par le spectacle de Christophe

r Meierhans Trials of money programmé en avril d

@ et qui n’a donc pu avoir lieu.

Repenser la rencontre avec le spectateur

Théâtral magazine : Quelle a été travail au préalable avec des écono - des logiques de rentabilité votre réaction à l’annonce de la mistes et on avait initié des ateliers qu'on a fini par mettre avant la fermeture des salles ? pour accompagner les représenta - question de ce qui se passait Mathieu Bauer : Qu'il ne fallait ab - tions et ce concours de nouvelles. sur les plateaux. Je pense qu’il solument pas qu'on disparaisse du Les représentations ont été annu - faut se réinterroger sur la perti - paysage donc on a commencé à ima - lées mais on a gardé le concours. nence de nos saisons qui courent de giner un certain nombre d'actions et L’idée est de sélectionner trois ou septembre à décembre, puis de jan - ce qu'il y avait de plus évident c’était quatre nouvelles et de les mettre en vier à mi-avril et qui délaissent les la mise en ligne de spectacles dont lecture et en musique. vacances. Le Nouveau Théâtre de un documentaire sur la recréation de Êtes-vous confiant sur la capacité Montreuil est en Seine-Saint-Denis, Pierre Meunier, L'homme de plein du théâtre à se réinventer dans ce et je pense qu’en juillet et août on vent et la captation qui tenait à peu contexte ? pourrait être en contact avec les po - près la route d’un de mes spectacles Il le prouve sans cesse. Je suis assez pulations scolaires qui ne partent Please Kill me. étonné de la vitalité qui se déploie pas en vacances. Peut-être qu'il Vous avez aussi mis en place des sur les plateaux, comment la danse faut aussi ancrer un peu plus nos initiatives plus participatives… nous bouscule, comment la mu - théâtres dans le cœur de la cité, Oui un atelier d'écriture, un cadavre sique s'en mêle, comment les arts mieux collaborer avec les associa - exquis sur le thème de l’"éloge de plastiques sont arrivés là-dedans et tions, les médiathèques et les bi - l'ennui" sur la page Instagram du comment la réflexion de certains bliothèques. théâtre et un concours de nouvelles metteurs en scène évolue. Il y a un Propos recueillis par initié par Christophe Meierhans renouvellement aujourd'hui même Hélène Chevrier "Imaginez un monde sans argent" . dans les modalités de travail. On Son spectacle, Trials of money , de - observe ça en France mais aussi à vait être présenté en avril. C’est une l'échelle de l'Europe. En revanche il histoire assez succulente dans la - faut continuer de s’interroger sur le n Scannez le QR quelle il fait le procès de l’argent lieu de représentation, la manière avec votre smartphone avec plein de personnages qui vont dont on opère la rencontre avec les du SDF au trader. Il a mené tout un spectateurs. On est tous dans

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 21 SPÉCIAL

Emmanuel Demarcy-Mota Consultations au Théâtre de la Ville

Dès l’annonce du confinement, au Théâtre de la Ville, Emmanuel Demarcy-Mota a mis en place tout un Témoignage programme de travail sur six semaines mobilisant Zara , 10 ans confinée avec sa une trentaine de comédiens autour de consultations maman, sa petite sœur, sa grand- poétiques par téléphone et de la préparation d’un mère et son papa à Choisy le Roi. spectacle sur la contamination. Inscrite par sa mère Zainab qui était près d’elle et que je sentais Théâtral magazine : En quoi consis - avec L'Enlèvement des Sabines , Io - émerveillée par notre entreprise. tent les consultations poétiques ? nesco avec Jeux de massacre , Miller... La première consultation a com - Emmanuel Demarcy-Mota : Un co - On a deux catégories d'auteurs, ceux mencé avec la petite Zara, elle médien appelle une personne pour qui ont écrit entre la première et la était à la fois intimidée et cu - lui demander comment elle va. Il dis - deuxième guerre mondiale et ont re - rieuse, elle m’a dit que ne pas cute avec elle pendant une dizaine visité de manière poétique ces pouvoir sortir, courir et jouer de - de minutes, lui pose des questions grandes tragédies et ceux qui les ont hors lui manquait. Pour répondre en fonction d’un questionnaire éta - traitées de manière plus humoris - à son besoin de ciel bleu, je lui ai bli et selon ses réponses lui propose tique à travers une réinvention du lu Pour faire le portrait d’un oi - de lui lire un poème. On n’appelle langage comme Ionesco. Pessoa lui seau , de Jacques Prévert, elle a pas les gens juste pour leur lire invente l’idée du voyageur immo - trouvé ça très joli et s’est mise à un texte, c’est une vraie consul - bile, celui qui vit dans une société rire. Ensuite j’ai fait une consul - tation, dont la prescription est très contrainte mais dont l'imagi - tation avec sa mère, Zainab, et il le poème. naire tout puissant lui permet de dé - s’est produit quelque chose de Comment obtenir une consultation ? velopper une nouvelle réalité... très beau. Elle m’a raconté En s’inscrivant sur le site du théâtre, Cette forme nouvelle de théâtre qu’elle était iranienne, qu’elle vi - en remplissant un formulaire. Il y a peut se faire en distribuant les textes vait depuis quelques années en deux tranches horaires chaque jour et que chacun travaille chez lui. Je vais France et que cette expérience la consultation dure environ vingt mi - organiser une structure de scénogra - de confinement avec toute sa fa - nutes. C’est totalement gratuit. C’est phie à distance, penser à des cos - mille était très particulière et quelque chose qu’on pratique depuis tumes et on jouera le spectacle après qu’elle ne s’était jamais sentie une quinzaine d’années. On a com - le déconfinement. Même si le bâti - aussi proche d’eux. Je lui ai pro - mencé quand j’étais directeur de la ment est fermé, il s’agit de rendre les posé de lui dire un texte de Rûmi. Comédie de Reims. Cela fait partie choses vivantes. Mon père (Richard Elle était très émue, elle me re - pour moi de la philosophie du théâtre, Demarcy, ndlr) disait souvent "l'art merciait. À la fin elle a marqué c'est un temps qu'on accorde aux du théâtre c'est l'art du collectif" . Or une grande respiration, sa spectateurs ou à des personnes qui ne dans le cas du confinement, l'art maman, la grand-mère de la pe - viennent pas d’habitude au théâtre. comme lieu du collectif est très im - tite, était près d’elle et écoutait Vous préparez également un spec - pacté. La seule solution c’est de créer aussi le poème. J’ai imaginé sou - tacle… des projets qui permettent de réin - dainement ces trois générations On travaille sur un corpus de textes venter ces notions. de femmes autour de ce poème, que les acteurs connaissent bien, sur Créer, c’est toujours ça m’a bouleversé. Et pour finir la les thèmes de la contamination, de un acte de résistance. petite voix de Zara m'a dit "au re - la liberté et du rapport au réel : Hor - voir" . váth avec Jeunesse sans Dieu , Vitrac n Scannez le QR

22 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE !

Gaëlle Guillou Consultante poétique

Théâtral magazine : Vous avez Non puisque le principe de la l’habitude de donner des consul - consultation a toujours été d’es - tations poétiques. Mais par télé - sayer d'avoir suffisamment phone, c’est nouveau… d'écoute pour que la personne se Gaëlle Guillou : Cela change la ma - laisse aller à des confidences et nière de procéder et le rapport à qu’on puisse trouver le poème qui l’autre. D'habitude c'est nous qui al - va lui correspondre, en fonction de

lons à la rencontre des gens ; on ce qu'on perçoit de sa sensibilité. r d

porte une blouse de médecin, il y a Concrètement, comment se passe @ une sorte de jeu de rôle. Il y a beau - l’entrée en matière ? coup moins ce jeu par téléphone, il On commence par lui demander quelles on n'a pas le temps de pen - faut se placer à un autre endroit, comment elle va et après ça dépend ser. Le confinement amène le dans la situation particulière du de ce qu’elle répond. Comment vit- temps du rien. C'est comme un confinement. elle, quelle est sa situation fami - temps en suspension. Les questions que vous posez à la liale, a-t-elle des enfants… ? Il y a Comment trouvez-vous à chaque personne amènent-elles un rap - des gens qui restent très à distance, fois un texte qui va leur convenir ? port différent ? d'autres qui parlent plus. Le fait que On a emmagasiné des poèmes de - cela se passe par téléphone retire puis qu’on fait des consultations, et quand même quelques inhibitions. auxquels j’ai ajouté des textes qui Témoignage Cela change un petit peu le para - me touchent plus personnellement digme de la rencontre. Ça déve - et qu'il m'arrive de lire. On les a suf - Martin , dans une école supé - loppe un certain imaginaire, chez fisamment travaillés pour les avoir rieure à Paris. 24 ans. Ce jeune les deux interlocuteurs. On est émotionnellement en tête. Ça per - homme veut travailler dans le dé - obligé de fantasmer l'environne - met de faire des liens, quand une veloppement durable. Il lui man - ment qu’on perçoit autour de la per - personne parle d’une chose, dit un quait des compétences sonne. Ça induit aussi des choses certain mot. Notre imaginaire est techniques et il est très satisfait dans l'échange. Et puis ce sont des sans cesse actif pendant la consul - de l’angle d’approche de son gens qui s'inscrivent, donc en at - tation. école. Il est avec ses parents qui tente d’un appel. C’est fondé sur l’échange, l’hu - sont âgés. Il s’occupe d’eux. C’est Votre façon de dire le poème, est- main, mais est-ce du théâtre ? un ami qui vit à Berlin, qui lui a elle aussi différente ? Oui parce que les gens me donnent parlé des Consultations poé - Forcément, puisqu’il n'y a plus que leur matière humaine et j’essaye tiques . Dingue!!! Il va au théâtre. ma voix. D'habitude on joue aussi avec les mots des auteurs que je Nous avons parlé 25 minutes. avec le regard, le corps qui bouge. connais et ma technique d’artiste C’était très intense. Il se posait De quoi les gens vous parlent-ils ? de leur restituer une émotion. Ce beaucoup de questions sur son Beaucoup du confinement. Et ce sont des choses immatérielles qui avenir, sur le futur, et m’a avoué qui est très surprenant c’est que très s'échangent et cela fait partie de ce qu’il gardait un mauvais souvenir peu de gens sont angoissés. Il y en qu’on vit en ce moment. Le théâtre de la poésie, depuis l’école. Je lui a beaucoup qui voient ça comme c'est l'art du présent donc on se doit ai lu Suis ta destinée de Fernando une injonction bénéfique. Et même de s'adapter au présent en perma - Pessoa et Je peux interrompre... chez des personnes très âgées. Cela nence. de Jim Morrison. Il m’a dit : c’est permet de s’interroger sur la façon Propos recueillis par fou, ça parle de moi. dont on vit, sur des choses aux - Hélène Chevrier

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 23 SPÉCIAL

Laëtitia Guédon

de facto, tout le monde aura été ou sera à un moment donné à cause de Partager sa solitude ce confinement confronté à la soli - tude, qu'elle soit désirée ou non. On est avant tout une fabrique artis - tique et il s’agit de l’ouvrir à d’autres artistes mais aussi à toutes les per - sonnes qui auraient envie d'y parti - ciper. C'était un peu une bouteille à la mer. Mais on a reçu beaucoup de textes. C’est très émouvant et j'ai f f o

G décidé de répondre à toutes les per -

e L

e sonnes qui écrivaient. Et je sais n i l u

a qu’après j’aurais envie de toutes les P

@ rencontrer personnellement. Que vont devenir leurs textes ? Aux Plateaux Sauvages se préparait un Ce n’est pas encore défini. Nous sommes en train de créer le podcast grand projet avec 150 lycéens qui se sont échangé des des Plateaux Sauvages, qui peut lettres sur leur ressenti de la solitude. Le confinement être un support de restitution de a pour le coup balayé leurs tentatives d’y échapper. La ces textes. directrice du lieu, Laëtitia Guédon, a alors imaginé de Pourraient-ils être intégrés au projet initial des lycéens ? restituer ce travail en dehors de la scène et de le Je ne pense pas parce que les partager avec le public. élèves changent de niveau de classe en septembre, et de ce fait, Théâtral magazine : Comment est rouville-Saint-Clair à côté de la Co - on ne pourra plus les réunir. Ce qui né le projet Solitude(s) ? médie de Caen où j’avais été artiste pose d’ailleurs la question de trou - Laetitia Guédon : Aux Plateaux associée. Cela faisait 150 lycéens et ver une fin à leur travail. Comme on Sauvages, à chaque fois qu’on ac - lycéennes de seconde à qui on a de - a déjà répété avec eux, on dispose compagne un artiste en création, mandé d’écrire des lettres sur la thé - d’images et on essaie d’en tirer un on lui demande de développer un matique de la solitude, les élèves de film avec des enregistrements de projet dit de transmission artis - Paris écrivant à ceux de Caen et in - Jean-Christophe et de moi lisant le tique, comme une déclinaison théâ - versement. Jean-Christophe en a montage des lettres des élèves. Ce trale rêvée de son projet mais à fait un montage auquel il a ajouté que je trouve assez beau, que ce l’endroit de tous les publics. Et avec des textes de son cru. En mars, je soit dans les écrits des élèves ou Jean-Christophe Folly qu’on accueil - devais mettre en scène les élèves ceux du public, c’est que l’acte lait cette année en création, on a en liant tous les arts. d’écrire impose lui-même de se re - constaté que nos deux projets res - Les salles devant rester fermées trouver seul et donc de faire face à pectifs, lui Salade tomates oignons après le déconfinement, le projet sa solitude. et moi sur le mythe de Penthésilée, ne pourra pas avoir lieu, en tout Propos recueillis par parlaient de la solitude. On s’est dit cas sous sa forme initiale. Qu’al - Hélène Chevrier que cela pouvait être le thème d’un lez-vous faire ? grand projet de transmission. On y La première chose qui m’est venue a associé trois classes de Paris et à l’esprit c’est de partager ce ques - n Scannez le QR d’Aubervilliers et deux classes d'Hé - tionnement sur la solitude, puisque avec votre smartphone

24 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE !

Jean Varela

Cette année, comme beaucoup d’autres festivals, le Printemps des Comédiens n’aura pas lieu. Cette manifestation vient clôturer en beauté la saison théâtrale en juin à Montpellier, avec des créations d’artistes internationaux comme Romeo Castellucci, Warlikowski, ou Julien Gosselin. Avant de décider d’annuler l’événement, Jean Varela, le directeur du festival, et son équipe avaient mis en place une web radio r d

@ pour accompagner le public le temps du confinement. Printemps des Comédiens La voix du rassemblement

Théâtral magazine : La Web radio Il y a aussi bien des enregistrements son téléphone, et quand on veut. du Printemps des Comédiens, historiques comme celui de Made - Est-ce que le contenu a un rapport c'est une initiative originale. leine Renaud dans Oh les beaux avec le programme du festival ? Jean Varela : En tout cas l’idée était jours ! et des enregistrements faits Pour l’instant non mais il se peut venue avant le confinement ; j'ai par les acteurs chez eux avec les qu'il y ait des ponts avec certains imaginé qu'on pouvait aménager moyens du bord. L'équipe technique spectacles du programme. Et puis un studio dans nos bureaux et invi - du festival mixe ensuite toutes ces on a demandé à Sylvain Creuze - ter des comédiens pour travailler et ressources sur une plate-forme qui vault qui est un habitué du festival enregistrer des pièces de façon ra - permet de donner l’illusion que les d’utiliser des extraits des lectures du diophonique. Les choses ayant évo - acteurs sont dans un studio. Décameron qu’il a faites avec ses ac - lué, c’est devenu une radio web. Et Comment décidez-vous du pro - teurs… On a aussi le témoignage si au départ on projetait de diffuser gramme d'une émission ? de la codirectrice de la Compagnie des textes et des pièces, finalement On en discute avec Julien Bouffier à Louis Brouillard de Joël Pommerat on trouve aussi des témoignages de qui j'ai confié la direction artistique qui nous raconte la venue au festi - spectateurs sur le Printemps, sur de la radio et avec des universi - val de Ça ira, fin de Louis . La radio des souvenirs des spectacles qu'ils taires. Les conditions nous imposent est un média qui développe ont vus, mais aussi des vignettes d’être très réactifs et d’inventer une l'imaginaire, en créant des ter - d'universitaires qui recontextuali - nouvelle façon de faire les choses. ritoires inconnus. En ce moment sent certains extraits. Et puis il y a C’est un peu bricolé dans la concep - c'est un moyen formidable, pour une tentative de feuilleton de tion mais au final, cela donne nous gens du théâtre, de recréer le pièces de théâtre, à travers des ex - quelque chose de fort avec toute la rassemblement. traits de pièces classiques ou puissance qu’apporte la voix. Elle Propos recueillis par contemporaines. L’émission débute crée un lien entre l’artiste et l’audi - Hélène Chevrier à 16h et dure une heure. teur. Et puis c’est quelque chose Techniquement, comment procé - qu’on peut écouter non seulement Scannez le QR n dez-vous ? sur son ordinateur mais aussi sur avec votre smartphone

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 25 SPÉCIAL

Gestez chez vous – Théâtre Victor Hugo Luis Torreao En résidence de confinement

La situation de la population confinée a inspiré à la Comment les vidéos que vous re - compagnie des arts du geste Hippocampe une création cevez vont-elles s’intégrer dans un spectacle ? collective, Gestez chez vous , portée par le Théâtre On va en faire une sorte de perfor - Victor Hugo de Bagneux. Chacun est invité à mance à la sortie du confinement participer en suivant les indications fournies par les avec ceux qui voudront participer. Elle sera constituée d’une partie artistes dans un tutoriel. Explications de Luis Torreao. commune avec des gestes à ap - prendre chez eux comme une sorte de chorégraphie, et d’une partie in - Théâtral magazine : Comment est Vous demandez aux gens d’en - dividuelle sur la délivrance où cha - venue l’idée de Gestez chez vous ? voyer une vidéo avec des gestes cun parlera avec ses propres gestes. Luis Torreao : Avec la compagnie, qu’ils imaginent... Propos recueillis par on a l’habitude de ce genre de pro - On leur fournit une vidéo pour leur Hélène Chevrier jet. On a par exemple organisé montrer comment ils peuvent créer deux fois la nuit du geste au théâ - quelque chose qui soit dans l'esprit tre de Bagneux avec des projets d'une recherche artistique. Les par - participatifs où on se retrouvait à ticipants ont plusieurs contraintes : 12 ou 15 sur scène alors que nous créer des gestes en fonction de sommes quatre dans la compagnie. deux thématiques, respecter la L’idée de Gestez chez vous est inspi - durée et la musique proposées. La rée du projet qu’Anne Teresa de musique et la durée permettant de Keersmaeker avait fait à partir de donner une unité aux propositions. sa pièce Rosas : elle avait créé des Quel est le but de ce projet ? tutoriels pour inciter les gens à tra - On veut donner aux gens la possibi - vailler sur des structures de mouve - lité d'exprimer des sentiments qu'ils ments proposés par sa compagnie. découvrent en ce moment. Les Son idée était de faire accéder un gestes que nous faisons révèlent public plus large à la danse des choses de nous et c'est dans ce contemporaine à travers des mou - sens qu'on veut aller. C'est pour ça vements très simples inspirés du qu'on a choisi les thématiques de quotidien. Je me suis dit qu'on pou - l'improductivité liée au confine - vait faire quelque chose de simi - ment et la jubilation en projection e p

laire en ce moment avec les gens de la délivrance que procurera le a P

e L enfermés chez eux. On a proposé déconfinement. On oriente les gens e m u

l’idée au théâtre Victor Hugo qui avec un peu de contenu. Après cha - a l l i u

est tout de suite devenu partie pre - cun fera les choses dans la mesure G

nante du projet. de ses possibilités. @

26 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA SCÈNE CONFINÉE ! o a x e r u r o l o z a T a

r s M i a

c u y l L d

A o

l a @ e i n r M

o d

S

@ @ @ Marie-Lise Fayet

Pour Marie-Lise Fayet, comme des appels de la mairie ou du territoire… Et le projet de Luis la directrice du Théâtre va dans le même sens. C’est l’idée Victor Hugo, le projet de d’aider à mieux vivre cette période la Compagnie Hippocampe de confinement, mais avec une di - témoigne de la vitalité rection artistique avec des tutoriels qui donnent une cohérence et une des artistes. harmonie à toutes les vidéos récol - tées. Le projet sera créé après le Théâtral magazine : Alors que confinement avec tous ceux qui le tout s’arrête dans tous les théâ - veulent. Alors qu’on parle beau - tres, vous avez décidé d’accompa - coup de distanciation sociale en ce gner une création qui a lieu en moment, cela permettra de retrou - plein confinement… ver un peu de resserrement. C'est l h a Marie-Lise Fayet : Je connais Luis un peu comme si la compagnie Hip - W

r e

h Torreao et sa compagnie Hippo - t pocampe avait mis en place une ré - s E campe depuis plusieurs années. On sidence de confinement. On est @ travaille ensemble, je les ai déjà ac - dans notre cœur de métier et dans cueillis dans le théâtre. Et quand il les arts du geste qui sont notre do - m'a appelée pour me proposer ce maine artistique de prédilection. À projet, j’ai trouvé que ça montrait travers ce projet, on retrouve un bien la vitalité des artistes. Depuis peu de nos fondamentaux, on est le début du confinement, on anime dans la résonance avec notre temps la page Facebook du théâtre mais et dans le rapport avec le specta - pas avec des vidéos de pièces ; on teur qui n'est plus le même. n

e fait passer des posts qui n'ont pas

i HC t n e grand-chose à voir avec la culture G

n i

b mais qui sont utiles dans cette pé - o R

riode de propagation de l'épidémie, www.theatrevictorhugo-bagneux.fr @ n

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 27 SPÉCIAL

Caroline Vigneaux, mère au foyer

un livre sur le "changement de vie". "On me demande des conseils" . Sauf qu’au bout de quelques jours d’iso - lement, elle constate qu’elle avait "moins de temps qu’avant ! " . D’au - tant qu’elle en prend pour nettoyer sa cuisine au vinaigre blanc. Ou ran - ger "à fond" la chambre de sa pro - géniture…

Entre une leçon et une séance de ménage, elle parvient toutefois à exercer son métier. A se rappro - cher de son public. Les circons - tances exceptionnelles l’inspirent. "Je poste une vidéo sur Instagram une fois de temps en temps pour V P faire rire, donner un peu de bonne G

@ humeur" , dit la belle blonde que l’on a découverte récemment en vieille dame. Entre Mamie Nova et la mère Confinée chez elle à Paris , ture des théâtres, d’abord ceux de Denis, elle annonçait la fin du confi - Caroline Vigneaux est "sous l’eau" plus de cent fauteuils. Elle raconte : nement. Donc son cœur était de avec deux jeunes enfants qu’elle a "J’étais dans le taxi pour la gare de nouveau à prendre. "Je parle de ma en garde alternée. "Le matin, je leur Lyon où je devais jouer Caroline Vi - vie de maman confinée dans un ap - fais l’école, explique l’humoriste . gneaux croque la pomme , la pro - partement sans balcon ni terrasse. Mon fils apprend à lire et à compter" . duction m’a appelée pour me dire Oui, mes enfants font de la trotti - Fille d’une mère orthophoniste et que cela n’allait pas être possible." nette dans le salon, c’est dur pour d’un père ingénieur, l’enseignante eux. Et quand on me dit : tu vois ce en herbe a acheté des livres sco - Au chômage, la Vosgienne que c’est que d’être mère au foyer, je laires. Résultat : "au bout d’un mois, s’est dit qu’elle allait pouvoir aller réponds que la mère au foyer, elle, on a trouvé notre rythme, signale-t- au cinéma, voir les copains sur dépose les enfants à l’école et les ré - elle . J’ai trouvé un professeur de ka - scène, avant de vite déchanter. Et cupère en fin de journée et qu’entre raté qui nous donne des cours en de composer avec la situation. "On temps, elle a du temps pour les vidéo, là, je cherche un professeur de a dû s’adapter, on a d’abord été courses et les lessives" . guitare. On crée des liens." dans le déni, c’était n’importe quoi, la panique, puis on a pris nos Déjà habituée à "tout faire A l’instar des gens du spectacle, marques. Avec des enfants, on ne toute seule avec de la discipline" , elle Caroline Vigneaux a fait partie des peut pas se laisser aller". a quand même dans ses tiroirs une premiers à subir les mesures prises pièce et trois scénarii. Perfection - à cause du coronavirus. Une se - Ce qui lui manque le plus : niste, elle réécrit toujours son der - maine avant de se produire pour la jouer, elle en a les larmes aux nier spectacle. "Il n’y pas de secret première fois au Grand Rex (2800 yeux rien que d’y penser. Au pour réussir, il n’y a que le travail". places) - "c’était complet" -, l’an - début, elle s’était dit qu’elle allait Nathalie Simon cienne avocate a reçu un "vrai avoir "plein de temps" pour écrire. choc" quand elle a appris la ferme - Elle planche sur un long-métrage et

28 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020

LA DOUBLE INCONSTANCE Théâtre de l’Odéon - Paris reporté à une date ultérieure Galin Stoev Pour son nouveau rendez-vous avec Marivaux , le directeur du Théâtre national de Toulouse, le Bulgare Galin Stoev, a réuni une troupe plutôt jeune : Maud Gripon, Thibaut Prigent, Mélodie Richard, Clémentine Verdier, Thibault Vinçon, Eddy a v e h Letexier, Léo Bahon. Tous au service d’une mise en c a v l a K

scène centrée sur la manipulation des personnages. a n a v I

@ Après la fin des temps Théâtral magazine : Après Le On ne sait pas à quelle époque Comment a-t-elle été conçue Jeu de l’amour et du hasard et se passe votre mise en scène. avec Alban Ho Van ? Le Triomphe de l’amour , vous J’ai voulu mélanger, d’une façon Je voulais deux espaces qui fonc - montez La Double Inconstance . folle, les différentes époques et tionnent de façon simultanée, Pourquoi ce choix ? les différents cadres. La présence dont l’un qui soit une sorte de Galin Stoev : J’ai un lien très par - des vidéos de surveillance ren - bocal. C’est un lieu artificiel où ticulier avec Marivaux, que je voie à la Stasi, au film La Vie des sont les deux personnages venus n’arrive pas à expliquer. Ce qui autres . Les costumes sont de de la campagne, donc herbu, m’intéresse, c’est l’explosion des tous les temps. J’aime bien faire pastoral. Nous avons pensé à ces mécontentements, les échos ac - que cela soit dans un monde fu - Expositions universelles où les tuels des antagonismes que sus - turiste d’après la fin des temps. Africains étaient présentés citent les élites. Avec lui on suit Je ne pense pas à une période comme des animaux. Arlequin et en même temps les histoires aux donnée, je me concentre sur la Silvia sont étudiés comme des émotions très intimes et le choc notion d’expérimentation. Mari - bêtes. C’est d’une grande vio - que provoquent les stratégies vaux expose au début ce qui va lence mais cette violence va être politiques. Ce n’est pas vrai de se passer. Donc ce qui compte, traduite par de la tendresse. J’ai dire que toutes les pièces de Ma - ce n’est pas le résultat mais le voulu des acteurs très jeunes rivaux se ressemblent. La Double processus. Ce processus se dé - pour ces deux rôles et j’ai pris en Inconstance est très sombre et place pour qu’on accepte l’inac - même temps des acteurs plus crée une violente tension entre ceptable. Au départ, l’amour est aguerris. Pendant les répétitions, l’intime et le politique. A la fin, vrai entre Silvia et Arlequin. je ne leur parlais pas de langage chez Marivaux, il y a toujours Mais le spectateur, lui aussi, est mais de situations. Eux m’ont une double optique : un happy amené, par cette évolution, à ac - aidé à me perdre dans cette end qui n’est pas sûr, un goût cepter l’inconstance et devient langue qui est un labyrinthe ! amer très difficile à articuler. Au le complice de ce crime commis Propos recueillis par théâtre, on ne peut pas jouer contre l’amour. Il y a de nom - Gilles Costaz deux choses au même moment, breuses manipulations et peu sauf chez Marivaux. Je ne importe qui gagne. Les person - n La Double Inconstance, de Marivaux, mise en connais pas d’autre écrivain nages augmentent leur mise, et scène Galin Stoev. Odéon, place Paul Claudel qui donne deux sens opposés tout le monde y perd. 75006 Paris, 01 44 85 40 40 , reporté d’une manière parallèle. Votre aire de jeu est circulaire.

30 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 ECLAIRAGE par Gilles Costaz La double inconstance De Pierre Bertin à Galin Stoev en compagnie d’Anne Kessler La bascule des sentiments

Il y a toujours plusieurs Pierre Bertin, aujourd’hui oublié créant des personnages jouant la étages dans les pièces de Mari - (mais il eut une belle carrière ci - pièce de Marivaux à l’intérieur de vaux. Les mettre en scène, c’est nématographique). Comme nous sa propre comédie, La Répétition naviguer entre le plus apparent le rappelle Françoise Rubellin ou l’Amour puni , et en déga - et le plus secret. La Double In - dans sa précieuse édition de La geant la cruauté des relations, constance est une œuvre particu - Double Inconstance chez Folio (à qualifiant l’intrigue d’ "histoire lièrement secrète que le XXe laquelle nous empruntons une élégante d’un crime" . En 1968, siècle a redécouverte assez tard. partie de notre information), Ber - en avril, juste avant mai 68, Mar - Comme elle avait été créée en tin mit en scène la pièce à la Co - cel Bluwal met haut la barre 1723 par les Italiens de Paris, et médie-Française en 1938 : il dans la mise en valeur du cy - non pas à la Comédie-Française jouait lui-même un Arlequin ten - nisme et de la férocité avec un (Marivaux écrivait pour les deux dre et nuancé, entouré de deux téléfilm, La Double Inconstance, théâtres), la tendance fut grandes interprètes, Madeleine joué par des acteurs célèbres, lar - d’abord de chercher la restitution Renaud en Silvia et Véra Korène gement tourné en extérieur et d’un mouvement endiablé et far - en Flaminia. Le charme français présentant la dernière scène ceur. Mais on ne tarda pas à de Marivaux était retrouvé, dans comme une procession funèbre. s’apercevoir que le texte était un décor qui se réfère à L’Embar - Le film est très applaudi mais les plus riche qu’une simple comédie quement pour Cythère de Wat - réactions sont variées, comme des amours éphémères. Dans teau. Après la guerre, en 1950 celle de Jacques Siclier dans Le l’histoire de Silvia et Arlequin, qui toujours au Français, Jaques Cha - Monde : "Cruauté sous les ru - s’aiment et se séparent à l’insti - ron s’inscrivit dans cet esprit en bans, coquetterie perverse des gation d’un prince désireux de plaçant la pièce dans une oran - femmes, masochisme des s’attribuer la jeune fille, il y a gerie scintillante, en intégrant hommes, cette Double Incons - bien des choses à mettre en lu - une certaine part de pantomime tance ramenait le "marivaudage" mière. et en dirigeant une distribution de nos leçons de texte aux jeux haut de gamme : Micheline Bou - moins innocents du libertinage Comme elle avait été créée det (Silvia), Lise Delamare (Fla - (…) J'ai eu l'impression curieuse en 1723 par les Italiens de minia), Julien Bertheau (le de voir vivre des personnages em - Paris, la tendance fut Prince) et Robert Hirsch (Arle - pruntés à Marivaux et recréés par d’abord à chercher la restitu - quin). Bluwal dans une mise en scène et tion d’un mouvement endia - des images extrêmement person - blé et farceur... La face sombre de Mari - nelles, mais auxquels il aurait vaux n’était pas encore tout à manqué... un dialogue de Bluwal fait explorée. Cette même (...) Ici, Claude Brasseur (qui res - L’un des premiers à s’en ren - année 1950, pourtant, Jean semble à Marcel Bluwal), Jean- dre compte fut le comédien Anouilh s’en approchait en Pierre Cassel, Danièle Lebrun

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 31 ECLAIRAGE par Gilles Costaz

(admirable dans ses rôles où la minia), fassent entendre des tête l'emporte sur le cœur) et Ju - conflits qui sont en même temps Je ne crois pas qu’il faille sou - dith Magre sont, à la limite, les des débats d’idées. ligner la cruauté. J’ai été très créatures d'un romancier débu - frappée quand j’ai lu que Ma - tant que Marivaux aurait in - Si l’on accélère notre film rivaux disait : "Je voudrais fluencé." des mises en scènes passées, qu’on se souvienne de moi l’on pourrait penser à celle, clas - comme d’un homme bon" . Le regard sur Marivaux sique et élégante, de Bernard change. Il devient encore plus Murat qui, à l’Atelier, en 1988, Entre-temps, il y a eu une critique quand s’affirment la sé - table sur les talents d’Emma - merveille à la Comédie-Fran - vérité d’un Patrice Chéreau, nuelle Béart, Daniel Auteuil, De - çaise qui est, à présent, la réfé - quand il monte La Dispute en nise Chalem… A celle de rence de la mise en scène de la 1973, et les points de vue des es - Christian Colin, au théâtre de pièce : le spectacle conçu par sayistes François Regnault ou Chaillot, en 2007, qui réunissait Anne Kessler en 2016 (qu’on a Bernard Dort. En 1976, Jacques Grégroire Colin (Arlequin), Au - pu revoir sur le site du Français, Rosner enfonce le clou, en fai - drey Bonnet (Flaminia), Alexan - pendant la période de "confine - sant, l’un des premiers, un rap - dre Pavloff (le Prince), Isild Le ment"). C’est l’un des grands mo - prochement entre Marivaux et Besco (Silvia) : le spectacle se ments de la direction de Muriel Sade. Au début de la pièce, la veut de l’ordre de "l’intervention Mayette. Anne Kessler avait ap - neige tombe sur le plateau des chirurgicale" et met en parallèle proché ce texte au Conservatoire, Bouffes du Nord, et Silvia arrive hier et aujourd’hui, les mots de au cours de travaux d’élèves diri - empaquetée, ficelée comme un Marivaux et des séquences d’Eric gés par Aurélien Recoing. En objet dont on peut profiter à loi - Rohmer. A celle de René Loyon même temps qu’artiste de théâ - sir, tandis qu’on entend quelques qui, à l’Atalante, en 2016, donne tre, elle est peintre et prépare ses pages des 120 Journées de So - aux interprètes (Marie Delmarès, spectacles un crayon et un pin - dome . A la fin, Trivelin et Lisette Jacques Brucher) des tenues mo - ceau à la main. "Je fais le dessin, sont assassinés. Ce spectacle dernes et relâchées et centre la les acteurs font les couleurs", dit- dans l’esprit du temps bénéficie vision sur l’âpreté des relations. elle. Elle va bien au-delà des de l’interprétation de Richard A celle passée inaperçue mais ébauches au temps du Conserva - Fontana (Arlequin), Bernadette très surprenante d’Adel Hakim toire et de ses recherches en ate - Le Saché (Silvia), Sylvie Genty qui, au théâtre des Quartiers lier quand elle imagine de situer (Flaminia) et Philippe Bouchet d’Ivry, en 2016, injecte une inso - sa mise en scène dans le foyer des (le Prince). En 1981, à la Comé - lence dynamique et un liberti - comédiens. Le décor de Jacques die-Française, une froideur diffé - nage politisé à partir d’une Gabel réinvente ce lieu de circu - rente baigne la mise en scène de distribution métissée et "ban - lation, y fait entrer en cours de Jean-Luc Boutté, dans un lieue" (Jade Herbulot, Mounir spectacle toute une végétation contexte différent puisque tout Margoum, Frédéric Cherboeuf). luxuriante et prolonge ce lieu de se passe dans une sorte de boîte A celle de Jean-Michel Rabeux passages fiévreux, par le jeu de la où les personnages s’affrontent qui, sans détour, a appelé son vidéo, jusqu’au balcon donnant d’une manière philosophique. spectacle, La Double Inconstance sur la place du Palais-Royal. Boutté, qui avait monté la pièce (ou presque) , au théâtre Gérard "C’est un lieu de pouvoir, dit l’année précédente au festival Philipe, à Saint-Denis, en 2018 : Anne Kessler. Des gens défilent d’Avignon, a cette fois ajouté un une interprétation largement sans arrêt. Les personnages sont autre écrit de Marivaux, Educa - parodique, centrée sur le sexe et sans cesse regardés, écoutés, tion d’un prince , pour que ses ex - le travestissement. A celle de épiés. Je pars avec des idées et je cellents acteurs, Jean-Paul Philippe Calvario qui, au théâtre les éprouve aux répétitions. Je Roussillon (Arlequin), Dominique 14, en 2019, y va franc-jeu dans voulais que le Prince (Loïc Cor - Constanza (Silvia), Richard Fon - la truculence et la bousculade en bery) soit dans un bain. Nous tana (le Prince), Patrice Kerbrat compagnie de Maud Forget et l’avons fait ! L’idée était qu’on re - (Trivelin), Françoise Seigner (Fla - Guillaume Sentou. çoive là les gens et les amis dans

32 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA DOUBLE INCONSTANCE

la salle de bain, comme cela se faisait. Je Les fausses confidences, par Anne Kessler ne vois pas de manière plus princière ! C’était aussi une façon d’entrer tout de suite dans le XVIIIe siècle. Je ne voulais pas que le spectacle parte trop fort, qu’il prenne son tempo. Je voulais aider les acteurs à pénétrer tranquillement dans la pièce, et les spectateurs aussi. Il ne faut pas tout expliquer. Les comédiens vous demandent ce que pense le person - nage, s’il est sincère. Oui, il faut être sé - d rieux, mais tout vient avec le texte. Les n a r é personnages arrivent avec leur lieu et u g n E

leur espace ; l’évocation de leur passé e t t i g i

change l’espace. Le décor traduit, évi - r B

demment, la manipulation que le Prince @ opère à l’égard de Silvia et d’Arlequin. Je ne crois pas qu’il faille souligner la Les fausses confidences, par Jean-Michel Rabeux cruauté. J’ai été très frappée quand j’ai lu que Marivaux disait : "Je voudrais qu’on se souvienne de moi comme d’un homme bon". Cela m’a beaucoup émue." Anne Kessler saisit partout les dé - tails significatifs. Elle savait que Sté - phane Varupenne, qui joue Arlequin, et Adeline d’Hermy, qui joue Silvia, vien - nent tous deux du Nord et de la même école d’art dramatique. Elle en a tiré une partie de leur complicité. Avec ces inter - prètes, Corbery, Varupenne, d’Hermy,

Florence Viala (Flaminia), Georgia Scal - r d

liet (Lisette), Eric Génovèse (Trivelin), @ avec les costumes de Renato Bianchi et la dramaturgie de Guy Zilberstein, elle a somptueusement donné vie à une Les fausses confidences, par Galin Stoev grâce charnelle et picturale, à la fois désinvolte, profonde et douloureuse. Tout le génie français de Mari - vaux était là. Avec Galin Stoev, qui fait tourner sa mise en scène créée au théâtre national de Toulouse en octo - bre dernier, une autre culture est en jeu, largement venue des traditions des pays de l’Est. Gilles Costaz n La Double Inconstance, de Marivaux, g mise en scène Galin Stoev. Odéon, i b e i L place Paul Claudel 75006 Paris, 01 44 85 40 40 , reporté @

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 33 ECLAIRAGE par Gilles Costaz

Marivaux Un auteur adulé et détesté

Voltaire a-t-il vraiment retourné des pensées communes dit de Marivaux : "C’est un de tant de manières plus affec - homme qui passe sa vie à peser tées les unes que les autres." Un des œufs de mouche dans des ba - peu seul, d’Alembert publia, lances de toile d’araignée" ? Il ne après la mort de l’écrivain, un l’a pas écrit, mot pour mot, mais Eloge de Marivaux au style très il l’a beaucoup répété, à en emprunté et qui abonde en ob - croire ce qu’ont noté certains servations négatives ! Le fait contemporains. L’auteur du Jeu que Marivaux fut élu à l’Acadé - de l’amour et du hasard a connu mie française de préférence à de grands succès de son vivant Voltaire, qui postulait en même mais il a été un mal-aimé. Pas de temps que lui au fauteuil de Barbier (Plon, 2015) pour y lire demi-mesure en face de ce théâ - l’abbé d’Houtteville, ne put cer - "Il est de bon ton aujourd’hui de tre scintillant et secret ; on tainement pas calmer les ten - glorifier Marivaux et de considé - l’adule ou on le déteste. De son sions qui existaient entre gens et rer l’écheveau des sentiments temps, sa façon d’inventer une entre clans... qu’il entremêle à plaisir comme la nouvelle forme de comédie non- quintessence de la délicatesse. Il moliéresque, son art d’entrer C’est au XIXe siècle qu’on ré - est pour moi, bien au contraire, dans l’ambiguïté des sentiments habilita totalement Marivaux. la preuve, vivante par son succès et des pensées, sa satire sociale Sainte-Beuve incarna tout un actuel, de l’affadissement de toujours à la limite de l’irrévé - courant de pensée et l’immense notre siècle, de son extinction vo - rence, sa malice souvent placée intérêt des universitaires pour le lontaire. Marivaux, c’est le fragile au bord du gouffre plaisaient dramaturge-romancier quand il consacré au détriment du fort, aux comédiens et au public, écrivit : "C’est un théoricien et un c’est le filigrane qui devient char - mais irritaient le monde intellec - philosophe beaucoup plus per - pente, c’est la circonlocution qui tuel auquel lui, le journaliste, le çant qu’on ne croit sous sa mine tue le trait. Marivaux, c’est de la familier des salons, appartenait coquette." Mais, aujourd’hui, où tisane." Il y a toujours, à l’ère pré - pourtant et où il faisait figure de en sommes-nous ? Marivaux a sente, des observateurs qui pen - moderne hostile au ressasse - toujours ses adversaires. L’on sent comme Voltaire ! ment des formules classiques. peut se souvenir du grand chro - Gilles Costaz niqueur judiciaire Frédéric Potte - Un certain nombre de grands cher, neveu du créateur du esprits de l’époque le traitaient Théâtre du peuple à Bussang, de haut. Marmontel persiflait : qui restait à la surface de cette "Dans Marivaux l’impatience de œuvre, la jugeant "gratuite et ar - faire preuve de finesse et de saga - tificielle". Et l’on peut ouvrir le cité perçait visiblement." La volumineux Dictionnaire amou - Harpe déclarait : "Jamais on n’a reux du théâtre de Christophe

34 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020

LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES Théâtre Antoine – Paris Reporté

En tournée avec son partenaire Michel Leeb pour Compro - mis , Pierre Arditi avait accepté la proposition de Jean-Marc Dumontet et Stéphanie Bataille à la direction du théâtre An - toine : lire le conte de Jean-Claude Grumberg, La plus pré - cieuse des marchandises . Une histoire "belle et dure, attendrissante et bouleversante" : dans un train de marchan - dises en route vers les camps de la mort, un père lance l’un de ses jumeaux emmaillotés par la fenêtre en espérant le sauver. Celui-ci, une fillette, est recueilli par une pauvre bû - cheronne qui rêvait d’avoir un enfant. Si la lecture a été an - nulée à cause du confinement, c’était l’occasion de faire parler Pierre Arditi de ce conte bouleversant… r d

Pierre @ Lire, "l’art premier" de l’acteur Arditi

e bébé devient le trésor des histoires de Paul d'Ivoi avec deux textes de Grumberg : l’un " de cette femme qui l’ai - un héros qui s'appelait Cigale. Sa au théâtre du Rond-Point, Une mera comme si c'était voix créait la dramaturgie et leçon de savoir-vivre qui parlait C le sien, raconte Pierre quand on lui demandait la suite, de la haine de l’autre, du juif en Arditi , ce livre parle d'un amour elle répondait : "vous l'aurez de - particulier, le second au théâtre indestructible ; le pire des maux, main". Je me suis dit pourquoi ne Antoine, L'être ou pas avec Da - la haine, la guerre, ou la barba - pas faire comme elle ? " niel Russo qui évoquait aussi les rie, ne peut pas lutter contre préjugés sur les juifs. l'amour d'une mère. Celui de la "C’est un texte qui me dé - mienne est toujours présent bien chire, j'ai beaucoup de mal à "Il ne faut pas avoir peur de qu'elle soit partie depuis long - garder mon intégrité, je n'ai la lecture, on est seul et on crée temps". A la sortie du conte en pas pu m’empêcher de verser tout d'un coup des images dont janvier 2019, Jean-Claude quelques larmes lors de la le public est coauteur. Je sais Grumberg lui avait demandé première lecture. La barbarie bien qu’il vient pour moi, ce n’est d’en faire une lecture à la Mai - peinte par Grumberg est presque pas la peine d'être faussement son de l'Amérique latine. poétique". modeste. Mais il ne faut pas le dé - cevoir et servir le texte aussi bien "C'est une lecture pure et Et heureusement, comme que l’on peut". simple, une table, un livre, un souvent dans les œuvres de cet Nathalie Simon verre d'eau. Pour un acteur, la enfant de déportés, on trouve de lecture c'est l'art premier. J’adore l’humour. "De l’humour noir, cet exercice qui me rappelle une Grumberg se protège du mal - n La plus précieuse des marchandises, petite Madeleine : enfant, ma heur, il est toujours caustique, conte de Jean-Claude Grumberg tante de Nice, la soeur de mon c’est un vrai conte tragique" . (Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2019) père nous lisait à ma sœur et moi Pierre Arditi a déjà interprété

36 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 PIÈCES DE GUERRE Théâtre 14– Paris Reporté

Olivier Py L’individu sauvé par le collectif

Sale temps pour Olivier Py. Non seulement il a dû annuler le Festival d’Avignon, mais ses Pièces de guerre , adaptées de quatre tragédies d’Eschyle ne seront pas non plus jouées au théâtre 14 comme prévu…

Théâtral magazine : Vous de - guerre. Eschyle a probablement viez donner à jouer ces tragé - fait la bataille de Salamine : je e g

dies ailleurs que dans un suis frappé de sa vision de la a L

e d théâtre. Pourquoi ?… guerre. d u a

Olivier Py : Ça a été créé pour ça ! En quoi ce théâtre est-il éclai - n y a R Faire un théâtre le plus léger pos - rant ? sible pour sortir des salles de La psychanalyse a réinvesti les @ spectacle et aller partout. Travail - mythes grecs, on connait Œdipe, lant sur des productions très Antigone ou Electre, mais peu phie, de politique, d’esthétique et lourdes, j’ai besoin de revenir à Eschyle et sa manière de présen - donne des éléments de philoso - des formes plus synthétisées, ter un destin commun. Par phie. La tragédie est un très étroites et qui continuent ce Eschyle j’ai trouvé la voie pour grand média pacificateur et même théâtre que je fais en pri - réunir le politique et le poétique, démocratisateur ; elle a la son. Deux protagonistes, un ça m’a changé très intimement. Il place exactement qu’ont au - chœur et un coryphée, pas de y a cette idée que l’individu est jourd’hui les réseaux sociaux. décor, pas de lumière. Rien. On sauvé par le collectif : la cité Il n’y a aucune volonté de la part est dans le retrait du spectacu - sauve l’individu et l’individu d’Eschyle et des tragiques de son laire ! sauve la cité. Eschyle cherche époque de désespérer le public. Il Vous avez une prédilection pour l’équilibre, la paix ; lorsque l’on y faut qu’en sortant de ce cycle, Eschyle ? parvient on peut appeler cela la l’unité nationale soit renforcée. Il est l’architecte de la démocratie démocratie. Ce sont donc des C’est ce que l’on appellerait au - et cela résonne étrangement au - pièces pacificatrices ! jourd’hui le roman national ! jourd’hui. Les Suppliantes met en Ce sont pourtant des pièces de Propos recueillis par question le droit des femmes, Pro - guerre. La guerre est-elle un François Varlin méthée enchaîné est inégalable mal nécessaire dans la sur la violence du pouvoir, Les construction d’une nation ? Sept contre Thèbes sur le rôle des L’Histoire s’est écrite par l’histoire n Pièces de guerre (Prométhée enchaîné, médias et l’engagement poli - des guerres. Ce que Eschyle ap - Les Suppliantes, Les Sept contre Thèbes et Les tique, et Les Perses est probable - pelle la tragédie, ce n’est pas le Perses), d’Eschyle, traduction et mise en scène ment la pièce la plus tragique mais une encyclopédie. Olivier Py, avec Philippe Girard, Mireille bouleversante car, sans mytholo - Dans une pièce assez courte il fait Herbstmeyer et Frédéric Giroutru... gie, elle raconte l’effroi de la une leçon d’histoire, de géogra -

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 37 DEKA LOG Le Printemps des Comédiens – Montpellier Annulé Julien Gosselin pas adepte du “show must go on” bon cœur, en sachant qu’il aura Julien Gosselin, un des plus brillants jeunes metteurs en l’occasion de jouer ce spectacle l’année prochaine. En attendant, scène actuels, connu notamment pour ses adaptations de il a participé à Boccace 19 , la Michel Houellebecq ( Les particules élémentaires ) et de série de contes du XIVe siècle Roberto Bolaño ( 2066 ) préparait son nouveau projet, alimentée tous les matins par son ami Sylvain Creuzevault sur Dekalog , pour le Printemps de Comédiens à la fin du mois le site lundimatin, et lu quelques de mai. L’annulation du festival l’a obligé à revoir ses plans. textes de Marguerite Duras pour Portrait d’un metteur en scène en période confinée. le site du TNS de Strasbourg, dont il est artiste associé : "J’ai fait cela par amitié, mais dans le fond, je ne suis pas un adepte à e 14 mars, dans un entretien té - Il y a tout : un langage, une âme, tout prix du "show must go léphonique, Julien Gosselin une puissance…" s’enthou - on"… Je me dis qu’il faut affron - L parle avec flamme de son nou - siasme le metteur en scène. Mais ter la période que nous traver - veau spectacle construit avec surtout, chacun des dix films se sons sans l’esquiver, en profiter des acteurs du TNS de Stras - caractérise par la force drama - pour retrouver un peu d’intério - bourg à partir des scénarii réali - tique des histoires, et l’intensité rité et de silence, et ne surtout sés par Krzysztof Kieslowski pour de ses enjeux moraux : "On sent pas faire comme si tout conti - son œuvre phare, le Décalogue toujours l’ombre de la transcen - nuait comme avant… ". (1988) une série de films dance. J’ai depuis toujours un En attendant, Julien Gosse - construits sur les dix commande - goût prononcé pour les auteurs lin réfléchit à ses projets ulté - ments bibliques. moraux. J’aime beaucoup cette rieurs : "Je suis un littéraire, c’est "Ces scénarii, remarquable - idée, énoncée par Houelle - d’abord la littérature qui me ment aboutis, offrent un maté - becq, qu’il n’y a pas de morale mène au théâtre. Mon travail est riau littéraire extrêmement riche. individuelle, et que les gens donc un travail de lecteur. Je posent leurs actions soit dans trouve des formes qui me boule - le cercle de la morale, soit en versent et que j’essaie de mettre dehors. Cette conception, que en scène, même si au départ, l’on retrouve chez Kieslowski comme avec Bolaño ou Houelle - selon des modalités qui lui sont becq, cela semble impossible. La propres, donne une radicalité et plupart du temps je pars d’une une urgence très forte à l’univers représentation du monde que je d’un artiste". trouve dans un texte, et ensuite Mais dès le lendemain de seulement je m’intéresse aux per - l’entretien, on changeait sonnages et à leur incarnation d’époque : le confinement était sur scène… ". décidé, et le 7 avril, le Printemps Jean-François Mondot des Comédiens jetait l’éponge.

n Dekalog, de Julien Gosselin d’après Krzysztof i Dans un deuxième entretien, Ju - n l e s s Kie lowski. Création les 29 et 30/05 o lien Gosselin se montrait fata - G

n

o liste : "On sentait venir le truc..". Prinśtemps des Comédiens, Montpellier. Reporté m i S Il fait contre mauvaise fortune @

38 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 Go Théâtre

trouve le spectacle qu’il vous faut ! L’appli théâtre

à télécharger gratuitement

GoT héâ tre

des places de théâtre à gagner !

sur Android sur Iphone RÉCITAL , CHORALE, LES POTIERS Théâtre de la Bastille – Paris Reporté

Très actif, le dramaturge suisse François Gremaud devait François Gremaud doublement occuper ce mois de mai la scène du théâtre de la Bastille à Paris. D’abord avec Phèdre ! d’après Racine dont il signe l’adaptation et la mise en scène et qui est joué par le magistral Romain Daroles. Puis, r d

une œuvre chorale créée avec Michèle Gurtner et Tiphanie @ Bovay : trois pièces courtes Récital, Chorale et Les Potiers , Les choses de la vie produites par 2B compagny. "Nous formons un vrai collectif ça se passe vraiment comme ça !" on filme les scènes qui en décou - Laetitia Dosch n’étant pas dispo - lent et on les retranscrit. On les re - et additionnons la somme de nos nible, elle sera remplacée par joue et on sélectionne ce qui nous trois imaginaires". Julia Perazzini, autre perfor - amuse, en gardant les particula - meuse magnifique. rités qui se distinguent en cours Le collectif a une recette : de route". La démarche reste pré - l’origine du projet, il y a 9 ans, le éclairer les rapports sociaux, cise et rigoureuse même si le trio lance Récital dans lequel il montrer les frottements, les "matériau de base paraît éton - interprète des contes et des tensions et les liens entre des nant et accidenté." chansons absurdes, surréalistes personnes différentes à une Au fil des spectacles, le col - A et dadaïstes. "C’était comme un échelle moins importante que lectif Gremaud/Gurtner/Bovay apéritif, on commence toujours dans la société. Tendre au public dessine une "comédie humaine par un travail d’improvisation, le un miroir dans lequel il peut se théâtrale" , qui reflète la réalité spectacle a rencontré son public, reconnaître. Les Potiers , "comédie de la société qui nous entoure. mais il y avait beaucoup de musicale minimaliste" applique Mais le metteur en scène ob - choses à exploiter, on a inventé le même principe en rassemblant serve : "On ne cherche jamais ni à un langage et on a voulu poursui - trois potiers qui ont rendez-vous établir de jugement, ni à se mo - vre l’aventure et développer nos une fois par semaine. Accompa - quer ; les personnages sont tou - idées avec deux autres petites gnés au piano, ils échangent sur jours unis par quelque chose formes" . Ainsi, sont nés Chorale "tout et rien, la vie, etc… Encore d’heureux et de joyeux." et Les Potiers . une fois, on observe ce qui opère Nathalie Simon Dans la première coécrite quand des gens se retrouvent, ce avec Laetitia Dosch, on assiste à sont nos épiphanies et nos tragé - la répétition d’une chorale de dies quotidiennes." quatre personnes offrant un tour La marque de fabrique du de chant. "On chante un peu collectif repose sur l’improvisa - n Récital, Chorale, Les Potiers, du collectif n’importe quoi, des chants médié - tion. "C’est notre mode de fonc - François Gremaud/Michèle Gurtner/ vaux, sur le printemps, coquin,... tionnement pour toutes nos Tiphanie Bovay Partout où on l’a déjà jouée, les pièces depuis le début. Nous com - n Phèdre !, voir la critique p. 70 gens se disent : "c’est incroyable, mençons toujours par improviser,

40 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LE CIEL BASCULE Comédie de Saint-Etienne Reporté m u a b n e z s r i K

Julie Deliquet l e u m a S

Marraine de la promotion 29 de l’Ecole de la @ Comédie de Saint-Etienne, la metteuse en scène, récemment nommée à la tête du Théâtre Gérard- Philipe, compte bien récolter les fruits de quatre années de transmission. Spectacle de sortie d’école, Le Ciel bascule devait s’appuyer sur cette écriture de plateau dans laquelle elle excelle. Le plateau comme art majeur

ulie Deliquet rêvait sans tentiellement engager par la suite, troisième, et dernière, a eu pour doute d’un atterrissage fut très émouvant. Le Ciel bascule support Derniers remords avant moins chahuté. Nommée sera le fruit d’une vraie histoire l’oubli , façon pour elle de confron - à la tête du Théâtre Gé - entre nous". ter ces jeunes talents au rapport rJard-Philipe le 2 mars dernier, la Une histoire que Julie Deli - entre une langue très aboutie et metteuse en scène a dû commen - quet a voulu jalonner d’étapes des passages improvisés, d’imbri - cer par… fermer les portes du lieu, pour initier ces apprentis-co - quer l’utopie de la jeunesse qu’ils quelque dix jours plus tard, en rai - médiens au savoir-faire de incarnent avec celle portée par La - son des mesures de restriction liées l’écriture de plateau. Elle les a garce. à l’épidémie de Covid-19. Désor - d’abord embarqués du côté des De ce cheminement, nait Le mais confinée dans les Deux-Sè - Trois Sœurs de Tchekhov, de Juste Ciel bascule . Encore en gestation – vres, elle est contrainte d’endosser la fin du monde de Lagarce et d’ Un le travail au plateau n’ayant pas son nouveau rôle à distance, "avec conte de Noël de Desplechin. Trois encore pu être mené –, il devrait un rapport au temps plus distendu fratries avec leurs lots de person - imbriquer trois histoires, inspirées, qui a quelque chose de rassurant" , nages principaux et périphériques dans leur esprit, de La Cerisaie de confie-t-elle. qu’elle a distribués avec équité. Tchekhov, de Derniers remords D’autant que la direction du "Ma démarche est toujours la avant l’oubli de Lagarce et de Ceux CDN de Saint-Denis n’est pas le même : s’emparer d’un personnage, qui m’aiment prendront le train de seul fer que l’artiste a au feu. Mal - s’en émanciper, puis créer de la fic - Chéreau . "Le tout formant une gré l’incertitude, Julie Deliquet a tion". communauté qui se retrouverait, la poursuivi son travail sur le specta - La deuxième étape, celle de nuit, sur une terre d’eau, alors qu’ils cle de sortie de la promotion 29 de l’émancipation, s’est faite autour ne devraient pas". Une thématique l’École de la Comédie de Saint- des films de Maurice Pialat, tels plus que d’actualité à l’heure, tant Etienne, Le Ciel bascule, qui était que Nous ne vieillirons pas ensem - espérée, du déconfinement. prévu début juin. "Pendant quatre ble, Loulou ou A nos amours, "qui Vincent Bouquet ans, en tant que marraine, j’ai vécu ont permis aux élèves d’être beau - l’une des plus grandes expériences coup plus créateurs car les rapports de ma vie d’artiste. Voir ces élèves, hommes-femmes dessinés par Pia - n Le ciel bascule, dirigé par Julie Deliquet que j’ai pu aider à recruter, devenir lat ont, pour cette génération, Spectacle de sortie, promotion 29, reporté des comédiens, que je pourrais po - quelque chose de révoltant". La

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 41 ET C’EST CE SENTIMENT QU’IL FAUT QUE NOUS COMBATTIONS JE CROIS Théâtre Paris-Villette Reporté

Au mois de mai, David Farjon et la Compagnie des Légendes urbaines devaient présenter le troisième volet de leur travail sur la mise en récit de la banlieue et sa constitution en mythe… l u o a R - n o t

"On peut faire dire ce que s a G

e i David Farjon m é

l’on veut aux images" r é J

@

e vendredi 3 avril, au moment de Gicquel, un des premiers présen - on peut faire dire ce que l’on veut l’entretien, David Farjon ne cache tateurs vedettes du journal télé - aux images... Il y a aussi quelque pas les incertitudes qui pèsent sur visé dans les années 1975-1980. chose de très ludique dans cette son spectacle prévu au Théâtre Elle nous amène au cœur du sujet, déconstruction… ". Paris-Villette, et tente malgré la construction médiatique de la Le spectacle est nourri d’une L tout de relativiser : la pièce ayant banlieue : "La manière dont la té - solide documentation sur la socio - déjà été créée au Théâtre de Vil - lévision a représenté la banlieue a logie des médias, et même d’une lejuif et jouée au Théâtre de été décisive et a façonné le rapport immersion de quelques jours au Vanves, le confinement ne vient aux quartiers populaires de toute sein d’une équipe régionale de pas mettre en péril l’existence la génération qui a grandi dans les France 3. Pour autant, il ne s’agit même du spectacle seulement années 80-90. C’est pourquoi il pas d’un travail analytique et do - une partie de sa viabilité écono - me semblait essentiel de question - cumentaire sur l’histoire média - mique. ner la grammaire de ces images tique de la banlieue depuis 1981. Le cœur du travail de David audiovisuelles, de dévoiler leurs "Je souhaitais que notre création Farjon et de sa compagnie, c’est thématiques sous-jacentes, de ait une résonnance personnelle, donc la banlieue. La banlieue montrer comment elles orientent sensible". telle qu’on la parle, qu’on la mon - le regard du spectateur". Et dans un des six solos ponc - tre, qu’on la fantasme. Dans l’épi - Pour décrypter l’idéologie tuant le spectacle, il revient sur sode précédent, Ce que je de séquences faussement son expérience personnelle, une reproche le plus résolument à l’ar - neutres et objectives, David jeunesse passée à proximité des chitecture française, c’est de man - Farjon et sa compagnie ont cités de L’Haÿ-Les-Roses (Val-de- quer de tendresse , le sujet était installé un studio de télévi - Marne), une banlieue qui ne sem - abordé par le prisme de l’architec - sion sur le plateau de théâtre. ble pas figurer parmi les quartiers ture des grands ensembles. Et Les comédiens retracent la pro - les plus chauds. "Je voudrais mon - c’est un sentiment qu’il faut que duction d’une séquence télévi - trer qu’en utilisant certaines nous combattions je crois , encore suelle depuis la source (la images, certains plans, certains un titre à rallonge, entend scruter conférence de rédaction puis le découpages, on peut transformer le discours médiatique (notam - reportage) jusqu’au produit fini n’importe quel endroit en quartier ment télévisuel) sur la banlieue. (le montage) : "Cela permet de chaud..." Cette formulation un peu énig - mettre en évidence de manière Jean-François Mondot matique est empruntée à Roger concrète, frappante, à quel point

42 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 FRA CASSE Fêtes Nocturnes du Château de Grignan A partir du 13 juin

David Ayala Retour à la troupe

On dit de David Ayala qu’il est un acteur rabelaisien. Ça le fait rire. "C’est une attitude en jeu de démesure , d’excès, d’exagération. J’aime tailler les choses en gros au théâtre avant de les réduire, mais je peux aussi jouer tout en retenue !" David Ayala enchaîne les projets : théâtre, TV, cinéma... En juillet devrait sortir le long métrage du fameux et inusable Kaamelott , tandis qu’il sera peut-être sur la scène dressée devant le château de Grignan pour le festival annuel, mis en scène par Jean-Christophe Hembert r d dans Fracasse , avant une tournée de 130 dates. @

Théâtral magazine : Le Capi - ces gravures d’Epinal. Mnouchkine c’est un défi ? taine Fracasse de Théophile s’en est beaucoup servie pour pen - L’acoustique y est souvent très Gauthier, un grand texte ? ser son film sur Molière. Des bonne, il ne faut pas forcément David Ayala : Quand je l’ai relu images traditionnelles, fantas - gueuler mais toujours bien diri - j’ai été frappé par la langue très mées de troupes de théâtre sans ger la voix, articuler, lutter contre littéraire, les images incroyables, argent sur les routes, un peu cliché. le vent. Je suis curieux de me lan - cinématographiques. Le roman Théophile Gautier est hyper - cer dans ce genre d’aventure que offre une possibilité d’adaptation réaliste, les personnages sont je n’avais pas connue depuis d’au moins une dizaine de pièces attachants, hauts en couleurs, longtemps. J’ai fait récemment différentes, selon les axes de lec - il en fait des êtres humains à des spectacles seul, de la mise en tures. L’adaptation de Jean-Chris - part entière. scène, ma compagnie a réalisé tophe Hembert est simple, plus Qui interprétez-vous ? 19 créations en 25 années ; accessible, dans l’action théâtrale. Je vais jouer Blazius, le chef de c’était éreintant. A 50 ans on C’est, entre autre, une pièce sur troupe, épicurien avec un côté n’est plus un jeune acteur fou - le théâtre… Falstaff. C’est lui le mentor, le gueux et la société est en boule - C’est une vie de troupe d’acteurs Monsieur Loyal. Touchant, pré - versement. J’aime ces défis. où les protagonistes tirent le sent, protecteur, il est le metteur Propos recueillis par monde des ténèbres vers la lu - en scène des pièces qu’il joue. François Varlin mière. Ils luttent pour créer du Même si on retrouve beaucoup rêve, des images de passion, de de comédiens de Kaamelott , l’es - n Fracasse, d’après Théophile Gautier, mise en bonheur, d’amour. Il y a le côté in - thétique n’aura rien à voir. Nous scène Jean-Christophe Hembert, avec David time de ce que vivent les gens, venons tous du théâtre, de chez Ayala... Les Fêtes Nocturnes du Château de leurs difficultés, leurs histoires Planchon, Pelly, Mnouchkine… Grignan 26230 Grignan, 04 75 91 83 65, d’amour, d’argent, et un côté ro - Une bande qui fabrique une vraie du 13/06 au 22/08 mantique. Ecrit fin XIXe, parlant histoire de théâtre. www.chateaux-ladrome.fr du XVIIe, c’est vraiment comme Un festival d’été, en plein air…

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 43 GEORGE DANDIN OU LE MARI CONFONDU Bouffes du Nord – Paris à partir du 19 juin

Michel Fau serait-il maso ? Le metteur en scène comédien éclate de rire quand on lui fait remarquer qu’après avoir joué le mari trompé de Trahisons de Pinter, il devait camper celui de George Dandin ou le mari confondu , la comédie-ballet de Molière et Lully. "Deux maris cocus, confirme-t-il , mais dans Trahisons , le personnage manigance , alors que dans Dandin c’est une victime humiliée". Artiste à part, dandy, Michel Fau cultive les "décalages" dans ses aventures variées, théâtre ou opéra : "j’aime quand c’est un peu au-dessus de la réalité, le côté artificiel." d u o r

Michel Fau r e P

. B

Dandin baroque @

’acteur se glisse donc dans le cos - nables, les valets primitifs et bor - sons , j’ai besoin d’avancer, j’ai tume du "riche paysan" qui se nés..." . Même George Dandin qui l’impression de me remettre en marie à la fille d'un "gentil - a cru qu’avec l’argent il pouvait question à travers des œuvres homme de campagne" , qui se tout acheter est arriviste. Il fait étranges et pointues". laisse éhontément courtiser par partie des rôles comme Alceste Donnée pour la première L Clitandre. "C’est un jeu de massa - et Tartuffe qui intriguaient Mi - fois à la Cour du roi à Versailles cre : le lynchage d’un homme et chel Fau depuis longtemps : "la en 1668, à l’occasion du Grand en même temps, une farce tra - comédie est composée de divertissement royal célébrant le gique et comique" . Sous sa hou - trois actes, avec la même si - Traité d’Aix-la-Chapelle, la pièce lette, la pièce ressemblera à un tuation qui se répète en plus sera accompagnée d’intermèdes "conte maléfique, un cauchemar, cruelle à chaque fois . Au musicaux qui apporteront une une maison hantée qui fait peur" XVIIIe siècle, Rousseau a été très touche sophistiquée. Gaétan avec des protagonistes peu re - choqué par la pièce, il ne la trou - Jarry, passionné par l’esthétique commandables. Michel Fau ex - vait pas drôle." Ce ne sera pas le baroque jouera la musique de plique : "elle parle des positions cas avec la version de Michel Fau Jean-Baptiste Lully, "elle amè - sociales, d’un paysan richissime adepte de baroque -les cos - nera un plus ludique et tra - qui annonce la bourgeoisie, de tumes seront de Christian La - gique." valets archaïques, des aristo - croix- et d’humour grinçant. Nathalie Simon crates de province et puis de la "Molière se moque de tout le Cour de Versailles. Le pouvoir se monde, petits bourgeois, aris - n George Dandin ou le mari confondu, de déplace, il y a les dominants et tos..." Molière, mise en scène Michel Fau, direction les dominés." De nouveau, il endosse la musicale Gaétan Jarry, avec Alka Balbir, Si Dandin souffre, Angé - double casquette d’interprète et Armel Cazedepats, Michel Fau, Philippe lique est également une victime de directeur d’acteurs : "Je trouve Girard… Théâtre des Bouffes du Nord, 37 selon Michel Fau. "Cruelle et que c’est sain, dit-il, oui, c’est bis boulevard de la Chapelle 75010 Paris, garce, oui. Ils sont tous assez ter - comme un défi. Après La Belle 01 46 07 34 50, prévu du 19/06 au 10/07 ribles, les beaux-parents sont mi - Hélène , d’Offenbach, puis Trahi -

44 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 MES FRÈRES Colline - Paris à partir du 22 septembre

Pascal Rambert Dans le ventre de l’humanité

Confiné dans son appartement parisien, le dramaturge a confié l’une de ses dernières pièces, e

Mes frères , à son ami, Arthur Nauzyciel. Huis clos g a m o

en milieu hostile, cette exploration du désir dévorant D

c r a M

promet de bouleverser quelques certitudes. @

our Pascal Rambert, création de l’une de ses dernières nibale dans une maison perdue le confinement fait pièces, Mes frères , confiée à son au milieu des bois, la pièce réunit office de révolution meilleur ami, Arthur Nauzyciel. quatre frères (Pascal Greggory, copernicienne. Habi - "Comme tous les artistes avec qui Arthur Nauzyciel, Frédéric Pierrot tué à voyager aux je travaille, j’ai reçu des messages et Laurent Poitrenaux) et une ser - Pquatre coins du monde, où il innocents de la part d’Arthur, au vante (Marie-Sophie Ferdane) qui tourne, crée et recrée ses specta - fil de ses spectacles comme Ordet devient l’objet de leur désir dévo - cles – à l’image du tout récent ou Le Musée de la mer , mais aussi rant. "Chaque nuit, les hommes se Desaparecer avec la Compañía au gré de nos collaborations avec lèvent et font les choses les plus Nacional de Teatro de Mexico –, L’Art du théâtre, De mes propres abominables contre sa porte, dé - voilà l’artiste assigné à domicile, mains et Architecture , qui m’ont crit le dramaturge. Sauf que Marie dans son appartement du VIe ar - donné envie d’écrire pour lui". ne se laisse pas faire et va bientôt rondissement de Paris. Loin de se De l’aveu même du drama - les tuer, puis les débiter pour que, laisser abattre, ce boulimique de turge, Mes frères est "beau - sans le savoir, ils se dévorent entre travail pense déjà à l’après, à ce coup plus dingue et fou" que eux". Une façon pour l’artiste d’in - texte, Deux amis , composé pour ce qu’il a pu écrire jusqu’à pré - verser les rôles habituels et de Stanislas Nordey et Charles Ber - sent. "Mis à part certains artistes s’inscrire dans la lignée du mou - ling, à ceux qu’il écrit pour comme Vincent Macaigne, Julien vement #MeToo ? "Absolument Jacques Weber ou Emmanuelle Gosselin, Romeo Castellucci, Oli - pas. Je ne colle jamais à la roue du Béart, et enfin à ce projet, 3 an - vier Py ou Lazare, la production moment. Toutefois, je ne renie pas nonciations , qu’il montera avec théâtrale s’est réfugiée dans un le pouvoir cathartique que la Romeo Castellucci – avec qui, théâtre post écriture blanche, pièce devrait avoir sur les hommes confinement oblige, les sessions qui n’ose jamais aller dans la dé - car, à la fin, c’est bien, cette fois, le de travail se font actuellement mesure. Inspiré par les auteurs féminin qui l’emporte". via WhatsApp – et qui réunira, au classiques, comme Sénèque ou Vincent Bouquet mois de septembre prochain, au Shakespeare, qui n’hésitaient Théâtre National de Bretagne, pas à débrider l’imaginaire, je me Audrey Bonnet, Silvia Costa et suis attelé à cette question qui n Mes frères, de Pascal Rambert, Barbara Lennie, en alternance doit, à mon sens, être traitée par mise en scène Arthur Nauzyciel. avec Itsaso Arana. le théâtre". Théâtre de la Colline 75020 Paris, Le même TNB où devait avoir Et Pascal Rambert n’y est pas 01 44 62 52 52, du 22/09 au 18/10 lieu, à la fin du mois de mai, la allé de main morte. Huis clos can -

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 45 MÖ BIUS Tournée A partir du 15 septembre

Compagnie XY Vols et rattrapes

"A force de nous ériger, en portés, nous n’avons eu de cesse que de nous ancrer dans cette terre fertile qu’est l’acrobatie" , affirme la compagnie XY, créée e r

à Lille en 2006, qui travaille en collectif mais a u b é f e L demandé, pour sa dernière création, Möbius , le e t t e l o

concours du chorégraphe Rachid Ouramdane. h C

L’une des acrobates, Airelle Caen, nous répond. @

Théâtral magazine : Sur quels est dans nos corps. Sur un sol dans l’air. On a pris beaucoup principes s’est fondée la com - blanc, nous avons la même atti - dans la danse, on a cherché de la pagnie XY ? tude à terre et dans les airs. Les danse dans tout ce que nous fai - Airelle Caen : Nous étions six au corps sont des silhouettes qui se sons. On habite l’acrobatie, on départ. Nous sommes dix-neuf découpent sur le ciel. Des jeux ne l’habille pas. dans Möbius , notre cinquième de lumière créent des paysages La création d’un nouveau spec - création. Tous acrobates, nous variés. Nous jouons des "murmu - tacle vous occupe environ une sommes à la recherche de la rations", c’est-à-dire les mouve - année. Mais n’avez-vous pas multiplication des possibles en ments de bancs de poissons et atteint les limites de votre vo - matière de vols et rattrapes et des multitudes d’oiseaux. Nous cabulaire ? contre le système pyramidal d’un sommes subjugués par ces phé - On est un an le nez dedans mais metteur en scène qui signe le nomènes et leur esthétique. on travaille aussi bien en amont. spectacle. On défend la non-ap - Notre pratique acrobatique est Après tant d’expérience nous partenance des idées, le règne interdépendante. C’est une né - n’avons rien perdu de notre du collectif. cessité. Il doit y avoir entre nous énergie d’acrobates travaillant Que représente ce titre, Möbius ? une qualité d’écoute renouvelée dans un lien reliant vingt per - C’est le nom du mathématicien et beaucoup de fluidité. sonnes, ni de notre amour du allemand qui a inventé le "ruban Cette fois, vous travaillez avec faire ensemble et de l’art. L’éven - de Möbius", une surface à un un chorégraphe, Rachid Ou - tail des possibles ne cesse de seul côté. Nous voulons repré - ramdane. s’ouvrir, et il s’ouvrira sans fin. senter le mouvement continu. Oui, ses idées se confondent Propos recueillis par En général, le cirque se déroule avec les nôtres. Pour nous tous, Gilles Costaz en numéros, en séquences. un univers glisse vers un autre Nous, nous avançons dans le dans la curiosité de l’autre. Mais flux, nous imbriquons l’acro - c’est vrai que Rachid nous a ap - batie dans le flux, dans un porté sa relation à la vitesse n Möbius, par la compagnie XY, chorégraphie long phrasé sans point . dans le mouvement. Il a cassé de Rachid Ouramdane. Châlon-en-Champagne Quel espace, quels comporte - nos codes pour que nous arri - les 15-16/09, Sénart du 7 au 11/10, Paris- ments cela implique-t-il ? vions à la même légèreté dans le Villette, du 12/11 au 6/12 Le plateau est nu, l’architecture mouvement au sol et dans le vol

46 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 BROS Le Maillon – Strasbourg à partir du 7 octobre i r a c n e M

o d i u G

@ Romeo Castellucci Des désirs et des ordres

choses précises comme des gestes géométriques, collectifs, des composi - Bros devait être la nouvelle création de Romeo tions d’images, mais il y a Castellucci à Bruxelles, avant de venir surprendre le aussi des ordres ambigus. public du Printemps des Comédiens de Montpellier. Le manque de sens est l’origine du comique ; Confinement oblige, la tournée du spectacle est dans les films muets de reportée. Le metteur en scène italien compte Buster Keaton ou Charlie pourtant beaucoup sur cette expérience Chaplin la police produit le non-sens et le chaos. anthropologique qui vient mettre en évidence les Nous allons être rapports entre loi, ordre et désordre. Voir le chaos. plongé dans le méca - nisme mystérieux de la loi, son rapport à la omeo Castellucci commence un spectacle qui est violence, et le chaos . La police aime que ses plans toujours le même". Ni improvisé ni est une excuse absolument pré - dépassent ses at - spontané, ces pseudo-acteurs cise. Elle a un rôle de plus en plus tentes. "J’imagine sont là pour participer à une ta - en plus important dans notre so - R toujours une struc - pisserie de gestes écrits. Ils reçoi - ciété. Il y a aussi une métaphore ture la plus rigide possible, mais vent en temps réel des ordres du rôle de l’acteur qui finalement dans mon cœur j’espère que sans possibilité de réfléchir et doit toujours répondre à un ordre. quelque chose se passe au-delà de sont obligés de répondre. Le but ? C’est un jeu artistique dans lequel mon petit projet. Il s’agit toujours "Je ne recherche pas une vérité je fais appel à la force du théâtre de casser un plan : se mettre en scientifique. C’est une réflexion avec les spectateurs, aux règles in - danger est la condition unique sur le comportement humain. La visibles auxquelles ils doivent ré - pour être face à une œuvre d’art" police est une métaphore de notre pondre. Les policiers représentent confesse-t-il dans la perspective propre rapport à la loi avec les notre expérience en tant que spec - de cette nouvelle création, Bros . codes sociaux et le langage qui est tateurs. J’espère aller aux fonde - "Je prépare des éléments qui vont peut-être la première forme de loi. ments d’un mystère qui concerne réagir avec les spectateurs, le pla - C’est une expérience anthropolo - le rôle du spectateur, de l’acteur, teau. J’espère être surpris dans ce gique. Il y a un rapport entre de la fonction du théâtre et du spectacle" . Le public le sera lui ordre et désordre. Les policiers langage. Comprendre comment aussi, et chaque soir le spectacle comme représentants de la loi on obéit chaque fois à la loi". sera différent… sont les forces de l’ordre mais François Varlin Car Bros est un projet basé aussi les forces du désordre ! " sur l’idée de la réponse à un ordre. Chaque comédien d’un soir n Bros, texte de Claudia Castellucci, "Je demande à des hommes de doit suivre un protocole et s’enga - conception Romeo Castellucci venir une heure avant le specta - ger à la fidélité absolue aux or - Le Maillon, 1 bd de Dresde 67000 Strasbourg, cle, ils reçoivent un costume de dres. Il y aura des réponses 03 88 27 61 81, du 7 au 10/10 policier, on ouvre le rideau et on différentes. "On demandera des

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 47 LES IMPRUDENTS La Colline – Paris à partir du 12 janvier 2021

Johanna Korthals Altes C’était une commande du Printemps des Comédiens de Montpellier pour cette édition 2020 qui ne voit pas le jour. Pas d’une pièce de Marguerite Duras à jouer, mais une invitation à faire ressurgir et entendre son œuvre. Dans Les Imprudents , sous la direction et avec Isabelle Lafon, Pierre-Félix Gravière et Johanna Korthals Altes à partir de textes, de dialogues, d’entretiens, vont jouer r d

interpréter, compiler, enregistrer... Pour faire briller l’écrivaine. @ Entendre et faire entendre Duras

a rencontre avec Duras trois au plateau. Chacun par nos nourrie chacun de nos lectures et remonte à un souvenir entrées différentes dans son œuvre nos rencontres. Avec Duras nous de jeunesse, une pièce, va la faire apparaître par des fa - avons cette immense production puis le film L’Amant . cettes distinctes, une marche d’ap - littéraire et d’entretiens et c’est un Mais Johanna Korthals proche, nous allons essayer de la chemin inverse. On parle de situa - ASltes ne plonge dans le foisonne - circonscrire. C’est toute cette péri - tions dans lesquelles elle s’est re - ment de son œuvre que récem - phérie de gens qui l’ont rencontrée trouvée, de groupes qui vivaient ment. Une rencontre avec ce "parlé qui nous donnent des indices sur autour d’elle, de ceux qui parlent Duras", cette sorte de filtre à dépas - elle. Nous écrivons à partir de cela d’elle, de l’empreinte qu’elle nous ser pour établir un contact person - une sorte de scénario, nous racon - laisse... ". nel avec l’œuvre géniale. tons nos recherches." Le spectacle sera donné à la Pour ce spectacle au titre qui La collaboration de Johanna Colline en janvier 2021 ; une évoque la mise en danger, Jo - Korthals Altes avec la metteuse façon d’affiner et de modifier un hanna Korthals Altes se défend en scène Isabelle Lafon remonte travail. Car Johanna Korthals d’avoir envisagé avec Isabelle à 2008 pour Journal d’une autre . Altes et son équipe s’identifient Lafon et Pierre-Félix Gravière un "Avec Isabelle, on ne veut jamais comme des artisans dont le but simple montage de textes. "Duras refaire ce que l’on sait, rester dans poursuivi est d’entendre Duras et aimait parler avec les gens. Tous nos charentaises. Le temps file et de la faire entendre. les gens ; des mineurs, des prosti - ce serait dommage de ne pas réin - François Varlin tuées, une directrice de prison, des venter systématiquement nos ou - enfants... Elle ne parlait jamais des tils par rapport aux matériaux que n Les Imprudents, d’après les dits et écrits de gens en général, mais allait à la l’on a et aux spectacles que l’on a Marguerite Duras, écriture et jeu Pierre-Félix rencontre des humains. Nous ef - envie de faire. Pour le Tchekhov en Gravière, Johanna Korthals Altes, Isabelle fectuons une écriture sur son 2014 (Une Mouette) la pièce était Lafon.. Théâtre de la Colline 75020 Paris, rapport au monde, ses textes, écrite, avec Vue Lumières en 2019 du 12/01 au 7/02/2021. La Piscine ce que l’on dit d’elle, ce que il n’y avait rien sauf le désir de par - 92290 Châtenay-Malabry, le 16/03/2021 l’on ressent d’elle . Nous sommes ler d’une situation que nous avions

48 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020

ossier > dossier réalisé par Hélène Chevrier D z e d n a n r e F

s i u o L - n a e J

> Un ennemi du peuple, mise en scène Jean-François Sivadier @

50 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 La contamination au théâtre

n cette période de confinement imposé, la tendance est de s’abreuver d’histoires sur des pandémies. Et les films et les séries sont les champions du genre. On pense bien sûr au film Conta - gion , ou à la série Pandémie qui traitent directement du phéno - mène de contagion. Mais des films comme Zelig de Woody Allen, Parasite récompensé à Cannes l’année dernière, ou la série Cher - nobyl parlent de la même chose. EAu théâtre, la contamination est beaucoup plus traitée par le biais de ses consé - quences politiques, sociales, humaines. C’est le cas de L’Etat de siège de Camus, de Dernières nouvelles de la Peste de Bernard Chartreux, de Rhinocéros de Ionesco, de Jeux de Massacre également de Ionesco. Derrière la contamination, ce qui est le plus souvent remis en question c’est la liberté individuelle. Mais aussi l’intérêt col - lectif. On le voit dans Un ennemi du peuple : la révélation publique du problème sanitaire a des conséquences économiques sur la région. Même chose dans L’Herbe de l’Oubli qui revient sur la catastrophe de Tchernobyl 30 ans après : on préfère oublier plutôt que de lutter contre l’impossible. La contamination c’est aussi une histoire de nombre. Elle ne peut avoir lieu que s’il y a foule. C’est ainsi que le stade du Heysel est devenu le drame du Heysel en 1985, une folie meurtrière s’emparant du public. La peur elle-même crée une contagion irrationnelle et est un levier dans les contes pour enfants... Mais aujourd’hui, l’art et particulièrement le spectacle vivant ne peuvent plus ré - fléchir à ces questions. Les précautions sanitaires imposant la fermeture des salles jusqu’à nouvel ordre. La liberté d’expression est donc mise à mal. A moins que cette contamination ne soit l’occasion de se réinventer complètement. Jean-Pierre Vincent rappelait un proverbe selon lequel le nouveau arrive toujours sous la forme du mal - heur… Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de Vincent Cespedes, Stanislas Nordey, Olivier Py, Emmanuel Demarcy-Mota, Jorge Lavelli, Jean-François Sivadier, Jean-Michel d’Hoop, Jean-Pierre Vincent, Julien Bouffier, Matthieu Roy, Catherine Marnas, Maïa Sandoz

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 51 DOSSIER

Vincent Cespedes Contamination et transformation

Pour le philosophe Vincent Cespedes, la contamination actuelle et son traitement par le confinement pourrait

devenir le terreau de l’émergence d’un cyber r d

théâtre. @

Théâtral magazine : Comment le théâ - je suis perméable au monde. Si Io - bactériologique ; le plus dangereux tre traite-t-il de la contamination ? nesco a choisi un rhinocéros, c'est est la stupidité et la barbarie des Vincent Cespedes : La plupart du parce que c’est un animal qui explose hommes, la contamination bactério - temps, il y a une ambivalence le monde avec sa corne phallique, logique ne pouvant s'épanouir que si constante chez les auteurs entre le mais qui n'arrive pas à être pénétré d'abord il y a une peste émotionnelle, virus et le fascisme. Dans toutes les parce qu’il y est imperméable. Le fas - c'est-à-dire une mentalité fascisante. oeuvres, la contamination est une mé - ciste, c'est celui qui va préférer être Le virus qu'il faut combattre c'est taphore de l'esprit fasciste qui par virus plutôt qu’être malade. Il y a un donc bien le virus du fascisme. contamination s'empare d'individus fondement philosophique : Wilhelm Mais pour le combattre, il faut pou - tout à faits normaux. On le voit dans Reich écrit dans la Psychologie de voir aller au théâtre… L’Etat de siège de Camus, mais aussi masse du fascisme que le facisme agit Justement, pour montrer que les dans Rhinocéros . Or avec Rhinocéros , exactement comme une peste émo - Français n'ont rien à craindre du co - on est dans un conte fantastique. Le tionnelle, parce qu’il contamine les ronavirus, le couple Macron a décidé philosophe Louis Vax ( La séduction de esprits. Dans Inconnu à cette adresse , d'aller au théâtre, voir une pièce où l'étrange 1965) distingue les contes quelqu'un qui était complètement un président de la République, qui fantastiques purs et les contes fantas - neutre commence à se faire enrôler peut être lui-même, a son nez qui le tiques humoristiques. Dans le conte par la peste émotionnelle et à bascu - gratte, ce qui pourrait traduire un fantastique humoristique, on a une ler dans le nazisme. Et Ionesco début de coronavirus. Et il y va avec mise à distance du mal qui va ronger énonce clairement les avantages du son épouse comme pour inciter les le personnage contrairement au rhinocéros : il n'a pas d'émotion, il est Français à purger leur peur. Toute la conte fantastique pur où le fantas - anempathique ; c'est ça le fascisme. théorie de la catharsis, qui est tique agit comme une contagion qui Et c'est la tendance actuelle avec le presque un terme médical, étant de empêche de prendre le recul. C'est virus, parce que s'il faut pleurer à purger les âmes de leur trop-plein une très bonne métaphore du disposi - chaque mort, on est foutu. Ce qui est d'émotions. Le théâtre étant le lieu tif théâtral : faut-il garder un rapport intéressant avec la contamination du calme revenu parce qu'on voit des critique du personnage qu’on incarne c'est que l'autre est suspecté d’être le choses très fortes. J'ai vu la colère de ou complètement fusionner avec lui ? porteur du mal et il me soupçonne Médée, j'ai traversé la colère avec C’est la même chose quand la dan - aussi d'être le porteur du mal. C'est la elle et du coup je n'ai plus de colère seuse et chorégraphe contemporaine rencontre impossible. Et c'est un le - en moi. Or c'est le pire conseil qu'on Sandra Abouav décide dans son spec - vier théâtral assez formidable. La ait pu donner au Président parce qu'il tacle A bouche que veux-tu de faire grande pièce qui parle de ça c’est Le y a des comédiens qui peuvent être bailler le spectateur. Celui qui résiste virus du fascisme écrite par Xia Yan, malades et nous refiler le virus. La dif - au bâillement s’empêche de s'ouvrir à quand la Chine est envahie par le férence entre le cinéma et le théâtre, l'émotion. Quand je baille ce n'est pas Japon en 1944. Il parle de peste est-ce que ce ne sont pas les postillons mon souffle qui va vers l'extérieur noire, de typhus, de vibrions cholé - des acteurs ? mais l'extérieur qui me rentre dedans ; riques, des nazis, de risques de guerre Alors confinement et plus de théâtre ?

52 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

Oui et on découvre dans le confi - éclate parce qu’il n'y a plus de co-pré - de la théâtralité qui déjà contaminait nement et la promiscuité obliga - sence, il n’y a qu’un seul spectateur. On notre quotidien sans que nous le sa - toires de gens qui s'aiment ou se est dans cette transformation avec chions. Avant on appelait la théâtra - détestent que l’enfer c’est les une viralité de tout ce qui est techno - lité du monde le réel . Aujourd'hui on autres. C’est Huis clos de Sartre . logique et de tout cet Internet qui s’in - appelle la théâtralité du monde le On voit bien qu'il y a un tiers de plus vite dans le dispositif même. Et le théâtre . Tout devient théâtre et trans - de violence sur les femmes. La pièce spectateur devient aussi acteur ; c’est réel, un réel traversé par le virtuel. a été écrite en 1944. Il y a là aussi un "spectacteur". Il y a eu un jeu de si - Que va-t-il en rester après ? l’idée du fascisme même dans le mulation, Virus , lancé en 2018 à partir Ça nous fait entrer de plain-pied dans confinement. Pour Sartre, c'était un des rapports de l'OMS sur les épidé - ce que va être la cyber modernité dans prétexte pour mettre en scène les mies. C'est une sorte d'expérience lu - les décennies à venir. Elle existe depuis deux catégories philosophiques de dique créée par le docteur Philippe 2008, c’est à dire depuis les smart - l’en-soi c'est-à-dire le sujet non Cano et la compagnie de théâtre de phones, les Web 2.0 et les réseaux so - conscient du monde et le pour-soi, Yan Duyvendak, dans laquelle on de - ciaux. Mais télétravailler ou tenir des c'est-à-dire l'homme réfléchi qui juge mande au public de prendre les blogs était réservé à une minorité de le monde et lui-même et assume sa bonnes décisions pour éviter que l'épi - geeks. Aujourd'hui ça se démocratise. liberté. L'idée c'est que l'autre est un démie ne s'aggrave (Une version avec Maintenant tout le monde dit merci au en-soi pour moi alors que c'est un le coronavirus est disponible, ndlr) . portable alors que la veille du confine - pour-soi et que je suis un en-soi pour C’est un jeu de rôle mais c’est du théâ - ment il nous empêchait de vivre. Mais l'autre alors que je suis en fait un tre. Et ce que je fais avec mes émis - du coup la question qui se pose c'est pour-moi. Il y a cette tentative de sions de Philo covid , c'est aussi très pourquoi j'ai besoin d'aller travailler ? couple qui avorte sans cesse : dans théâtral. Je m’offre en spectacle dans Le confinement justifie tout. Huis clos ils sont trois, une femme les - une pensée vivante influencée par les Disons que cela nous fait pratiquer bienne, un homme viril et une autre commentaires des internautes, que une chose et qu’on y trouve un avan - femme et à chaque fois qu'il y a un j’appelle des copilotes. Quand l’un tage énorme : on arrête de regarder duo qui s'instaure, l'autre est rejeté. d’eux sort une idée géniale, toute la l'autre quand il parle, son âge, ses di - C'est ce que vivent beaucoup de discussion s'embraye dessus. Tout le plômes, son prestige social. Il est Français confinés à plusieurs. Avec ce monde se met à faire du théâtre, des comme moi, il peut crever, il est fantôme de souffrance qui nous frôle non comédiens commencent à faire confiné. Et quand les corps ne sont et qui ne fait jamais mal. Et quelque des sketches et des comédiens comme plus là, on s'intéresse beaucoup plus part cette expérience du confine - Luchini continuent leur boulot à tra - aux arguments. C’est un des concepts ment est une expérience d'essence vers les nouvelles technologies. C’est de Philo covid : philosopher connec - théâtrale. Nous sommes tous du cyber spectacle vivant. La frontière tivement. Voilà pour moi une expé - maintenant au théâtre, nous entre le comédien professionnel et rience de théâtre futur. nous regardons à travers les l'amateur qui fait rire la galerie va être Propos recueillis par smartphones, nous regardons la brouillée. Et nous avons soif de théâ - Hélène Chevrier vie des autres comme si nous tralité pour trouver un sens à notre étions dans un théâtre connecté, confinement désespérant, ou au moins où chacun est à la fois acteur et spec - une possibilité de déverser un peu des n Jeu de simulation Virus tateur. Une des phrases de Huis clos émotions qui nous font tenir. L'espoir c’est "tu n'es rien d'autre que ta vie" : est un espoir théâtral. Nous sommes tu es résumé à ta vie. dans une sorte de chrysalide covid 19, Que va devenir le théâtre dans le que j’appelle chrysacovid. Le confine - confinement ? ment est un cocon qui nous révèle à Du cyber théâtre. Le théâtre lui-même nous-mêmes, et nous offre en specta - est grignoté par le virus des nouvelles cle de façon décomplexée. Avant le technologies. On a vu ça depuis les dé - confinement, on ne montrait pas ses n Emissions Philo covid de buts d'Internet. En 2001, Cécile Huet gosses et maintenant tout le monde le Vincent Cespedes fait de la page Web le lieu même de la fait. La pudeur qu'on avait vole en scène. Tout le dispositif du théâtre éclats. On est dans une exacerbation

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 53 DOSSIER

Berlin mon garçon

Stanislas Nordey L’injonction à être un bon fils

L’une des contaminations les plus inquiétantes , c’est aussi celle qui enrôle nos enfants dans des croyances infondées et destructrices. L’incompréhension et l’impuissance des parents face à la fascination morbide de leur enfant, c’est l’objet de la pièce de Marie N’Diaye, Berlin mon garçon , que lui a commandée Stanislas Nordey.

Théâtral magazine : Comment est où tout est permis. Il y a un gard que portent sur lui les gens née l’idée de monter ce texte ? contraste très fort entre ces deux qui l’aiment. Stanislas Nordey : Je l’ai com - villes qui rappelle celui dans lequel Oui on sait que c’est un jeune mandé à Marie N’Diaye qui est au - Marie vit elle-même entre Berlin et homme bien né, bien éduqué, fils teure associée au Théâtre National une petite ville en Gironde. Au de deux libraires. Mais justement, de Strasbourg et qui écrit quasi - début, il y a une opposition entre le ça montre que cela peut arriver à ment essentiellement ses pièces sur père et la mère, elle décidant de n'importe lequel d'entre nous. Et commande à l'inverse de ses ro - partir le chercher, lui préférant le puis il y a la question de savoir si mans. Je lui avais demandé un laisser libre de revenir quand il le on est responsable des actes de texte sur la question du terrorisme souhaite. nos enfants, mêmes les plus ter - mais en prenant le point de vue qui Elle ne le retrouve pas mais la pe - ribles. Est-on avant tout mère et l'intéressait, de celui qui part, de tite amie du fils révèle son inten - père ou femme et homme ? La celui des parents ou de celui des tion de commettre un attentat... pièce montre l’injonction qui est grands-parents. Je lui avais dit aussi Marie construit souvent ses pièces faite aux femmes d’être avant tout que je voulais plus de rôles de autour d'un personnage central des mères. A un moment donné, le femmes que de rôles d’hommes. Et qu'on ne verra jamais. Dans Hilda , père lui dit que du fait qu’elle est la elle a écrit cette pièce avec quatre c'est la femme de ménage du per - mère, elle est responsable plus que personnages féminins et deux per - sonnage principal dont on parle n'importe qui de l'éducation des en - sonnages masculins. tout le temps mais qu'on ne voit ja - fants. Et elle va s’émanciper de ça, Que signifie le titre, Berlin mon mais. Là le fils est au cœur de l’his - de ce mari dont elle réalise qu’il garçon ? toire mais on ne le verra jamais. n’est pas fait pour elle. Mais le cou - Il est assez mystérieux mais Alors oui on suppose qu'il va com - ple qui va se former entre elle et Rü - contient le pitch : un jeune homme mettre l'irréparable mais en tout diger va se réfugier dans l'illusion. de 18 ans, qui a grandi à Chinon cas, ça n'arrive pas dans le temps de L’illusion qu’on retrouve à travers avec ses parents libraires, a disparu la pièce. deux contes auxquels renvoie le depuis six mois à Berlin. Or Berlin Ne jamais le voir permet aussi de texte, celui de Pinocchio puisque le c’est la ville de la fête, des plaisirs, s’en faire une idée à travers le re - fils est sans cesse comparé à ces

54 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

C’est l’injonction à réussir, à être un bon fils, une bonne fille, à ne pas décevoir ses parents, à répondre aux attentes. Mais là encore il n’y a pas de réponse quant à la fascina - tion pour un avenir aussi sombre. La pièce n'est absolument pas didac - tique. Elle ne dit pas ce qu'on doit penser, ni que c'est mal d'être un terroriste. Et l’enjeu de la mise en scène c’est aussi de ne pas trop creuser le trait. A la fin Marina dit qu’à partir de maintenant elle n'a plus de fils, qu'elle est femme avant tout et il y a quelque chose là-de - dans qu'on peut approuver ou dés - approuver. Et ça répond à la fonction du théâtre ; il faut que les gens puissent sortir en étant en dés - accord avec ce qu'ils ont vu et en - tendu pour que le théâtre reste le lieu du débat. Comment avez-vous prévu de la monter ? Il y a un peu plus d'images et de vi - déos qu'il n'y en a dans mes specta - cles habituellement, parce qu’il me semblait que la question de la géo - graphie était importante et j'avais r e

d besoin qu'on voit Berlin et Chinon. n i L

t

i On a beaucoup pensé à La Jetée de o n e Chris Marker. Il faut qu’on soit dans B

@ la librairie au moment où on est dans la librairie et dans l’immeuble jeunes gens qui ont été attirés et C’est une hypothèse qu’émet ce Corbusierhaus à Berlin au moment qui pourraient se transformer en personnage. En fait, comme dans où on y est. Il y aura quelques élé - petits ânes et le conte de Grimm Les les tragédies grecques, il n’y a pas ments réalistes qui vont nous per - Six Cygnes où on doit fabriquer une de réponse satisfaisante quand on mettre d’être concrètement là où il chemise avec des fleurs pour conju - cherche une explication, savoir à faut être. rer le sort et libérer le jeune homme quel moment ce garçon a vrillé, ou Propos recueillis par qui a été envoûté. Quant à la grand- d’où vient le mal. Hélène Chevrier mère, la cliente et la petite amie, ce Oui mais elle ajoute qu’il avait pris sont des figures de la tragédie conscience que ses parents ne n Berlin mon garçon, texte de Marie grecque comme Cassandre, la Py - s'émouvaient plus que des N’Diaye, mise en scène Stanislas thie et tous ces personnages qui di - grandes questions de ce monde et Nordey, avec Hélène Alexandridis, sent ce qui se passe réellement. que cela mettait la barre trop Laurent Sauvage, Claude Duparfait, La grand-mère justement évoque haute pour les impressionner. Dea Liane, Annie Mercier, Sophie Mihran le fait que le fils avait le senti - C’est finalement ce que vit la plu - Création au Théâtre national de ment de décevoir ses parents… part des enfants… Strasbourg, saison 2020-2021

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 55 DOSSIER

Rhinocéros, L’Etat de siège... z e d n a n r e F

s i u

Emmanuel Demarcy-Mota o L - n a e J

Rhinocéros, L’Etat de Siège, @ Victor ou les enfants au pouvoir , Les Sorcières de Salem et bien d’autres pièces montées par Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d’Automne, traitent de la contamination par les idées et de la privation Contamination et liberté de liberté qui s’ensuit . Dans le cadre du confinement, Le fait que la liberté individuelle soit la force de les surmonter par une ré - touchée. Dès qu’on parle de flexion qui peut être partagée à tra - il travaille justement avec les contamination, le pendant c’est vers l'art, ou en tout cas l'échange comédiens du Théâtre de la la liberté qui est affectée, la li - et des valeurs qui soient positives. Ville sur la préparation d’un berté dans le rapport au collectif C’est la question finalement de l'en - spectacle autour des thèmes et à la société. C'est pour ça que gagement comme on le voit au - j'ai souvent pris des pièces qui met - jourd'hui avec les médecins qui sont de la contamination et de la tent à jour le rapport de l'homme à prêts à donner du temps de leur vie liberté (voir p. 22) . la société et à la problématique de pour les autres. C'est ce qui les rap - sa liberté et de sa capacité à résis - proche des gens de théâtre. ter. Et le langage est souvent le Quelle réponse le théâtre peut-il Théâtral magazine : Beaucoup de même : on parle de résister au virus, apporter à ces risques de déborde - textes que vous montez traitent de résistance idéologique. Il y a ment ? de la contamination… aussi le lien avec le risque de la dé - Dès qu'il y a contamination il y a for - Emmanuel Demarcy-Mota : J'ai nonciation comme dans Les Sor - cément dictature. À chaque fois, on beaucoup travaillé des auteurs du cières de Salem . Parce que ce qui voit que ce sont des régimes très XXe siècle comme Camus, Horváth, arrive souvent après la contamina - durs qui se mettent en place. Et ces ou Arthur Miller… qui écrivent ef - tion et la contagion c'est la re - pièces nous interrogent sur notre fectivement sur la contamination. cherche d’un coupable. On a ce capacité à résister aux risques Cela peut être comme Ionesco la cheminement particulièrement qu’amènent ces épidémies : les maladie ou la rhinocérite quand il y dans Les Sorcières de Salem , crises économiques qui s’accompa - a une contamination idéologique et puisqu’Arthur Miller a vécu des gnent de réflexes de repli sur soi des formes de contamination du époques très dures comme celle du avec des Eats qui renforcent leur langage aussi quand chacun finit maccarthysme. Mon travail théâtral unité nationale… par parler comme l'autre. sur ces œuvres est aussi de chercher .Propos recueillis par Qu’est-ce qui vous intéresse au - à travers elles à nous rappeler que Hélène Chevrier tant derrière cette idée de conta - l'être humain a traversé des mination ? époques dures et qu'il doit trouver n www.theatredelaville-paris.com

56 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

Jeux de massacre

La peste moderne par Ionesco et Lavelli

Ionesco était hanté par la décor de Pace et des costumes mort, et notamment par celle d’Hortense Guillemard. Les acteurs qu’apportent les épidémies . Est-ce changeaient sans cesse de rôle et le lié à la pandémie de grippe asia - rythme de la représentation était in - tique qui sévit longtemps au cours fernal. Ce fut un succès. Nous avons des années 50 ? On ne sait. Mais, reçu le prix du meilleur spectacle de après Rhinocéros (1960), l’auteur l’année décerné par le Syndicat de la de La Cantatrice chauve revient sur critique et le prix Dominique de la ce thème de la contamination dans mise en scène". Jeux de massacre , pièce que Jorge Lavelli mit en scène au théâtre Depuis, la pièce a été parfois Montparnasse en 1970 et qui, dans reprise mais aucune représentation une première version créée sur ne semble avoir eu la même force France Culture, s’appelait L’Epidé - que celle de la création où jouaient mie . Dans une ville indéfinie, la Raymond Jourdan, André Julien, a i d e

peste se met à frapper. Les habi - Claude Génia, Maïa Simon, Zouc… p i k i w tants les plus riches et les plus puis - Jorge Lavelli a publié deux textes sants tentent d’échapper à la sur sa mise en scène et souhaite @ contamination. Mais, malgré l’isole - qu’on s’y réfère. Dans les actes d’un ment de certains et les mesures colloque de Cerisy, Lire, jouer Io - d’enfermement des victimes, le mal nesco (les Solitaires intempestifs, frappe les grands et les petits. 2010), il précise : "La mise en scène, Même dans le théâtre shakespea - éloignée de tout "psychologisme", rien, on rencontre peu de pièces où rendait compte de l’invraisemblable il y ait une telle quantité de morts, propos, en cherchant aussi à faire à ce rythme syncopé. A la fin du exister ce torrent de malheur comme texte, un incendie élimine les der - un déferlement de la nature révoltée r d niers vivants. et déchaînée. Un combat entre le trop plein et le vide assurait les @ Ionesco, qui avait confiance en bases de ces jeux qui se transfor - Lavelli (il venait de mettre en scène maient sans cesse… Une rafale de rant dans Le Théâtre complet de Io - La Soif et la Faim à la Comédie-Fran - morts pouvait se déverser sur l’es - nesco (La Pléiade, Gallimard) : "Une çaise), lui confia Jeux de massacre. pace scénique avec toute l’émotion poubelle géante, montée sur des "Ionesco voulait que le spectacle du lyrisme le plus exaltant. C’était roulettes, jouait un rôle considéra - fasse peur, que la mort soit omnipré - bien là mon propos : (…) l’empire de ble puisqu’on l’utilisait le plus sou - sente, nous dit Jorge Lavelli. Il s’était la mort devait être aussi sec et aussi vent pour transporter les cadavres inspiré du Journal de la peste de Da - brutal qu’une décharge électrique." qui s’entassaient sur le plateau." niel Defoe et des récits tibétains sur Gilles Costaz la peste. Le nombre de personnages Le spectacle était sans couleur. est considérable. J’ai pu monter le Avec un élément de décor essentiel n Jeux de massacre, édition par Marie- texte avec seize comédiens, dans un que Lavelli décrit dans le texte figu - Claude Hubert, Folio Gallimard

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 57 DOSSIER

Un ennemi du peuple Jean-François Sivadier La contamination face à l’intérêt collectif Dans Un ennemi du peuple d’Ibsen, un médecin avertit un système corrompu, on serait tous d'accord avec lui. La grande réussite la population que les eaux de la station thermale de la de la pièce aussi, c'est de placer l’his - ville où il vit sont contaminées. Mais la décontamination toire au sein d'une famille, le frère coûtant trop cher, on tente de le faire taire. du médecin étant aussi le directeur Il devient l’ennemi du peuple. Début janvier 2020, de l’établissement des bains et le préfet de la ville, et comme dans le docteur Li Wenliang prévient des collègues de la une tragédie grecque de mélanger dangerosité du coronavirus. La police l’interpelle et des intérêts de pouvoir avec des in - l’arrête. Il devient l’ennemi du peuple chinois. Lui-même térêts familiaux. Quand le virus est apparu, avez- contaminé, il décède le 7 février. Il avait 34 ans. vous eu des réactions par rapport à la pièce ? Oui en janvier quand on jouait le Théâtral magazine : Les similitudes resse Ibsen, c'est de parler directe - spectacle et que Nicolas Bouchaud entre la pièce d’Ibsen et ce qui s’est ment aux détracteurs de ses pièces qui joue le médecin dit qu’il pense passé avec le lanceur d’alerte du qui ont voulu faire de lui un ennemi que ce sont étrangers qui ont ap - coronavirus sont troublantes... du peuple norvégien. Il s'est mis à porté cette bactérie : les gens riaient Jean-François Sivadier : Ce qu’on dos toute une partie de la presse dans la salle. remarque surtout par rapport aux bien-pensante. Propos recueillis par lanceurs d'alerte c'est que très vite, Même le journaliste qui soutenait Hélène Chevrier et c'était le cas pour Julian Assange, le médecin finit par le lâcher... Nicolas Hulot et les autres, on s'at - Au début il est totalement de son taque à leur personne pour ne pas côté et prêt à diffuser la vérité sur la entendre le message. Et c’est ce contamination des bains, jusqu'au dont parle la pièce d’Ibsen. Dans le moment où cette vérité vient à l'en - quatrième acte, on pousse le méde - contre de ses intérêts personnels et cin à bout pour justement montrer il retourne sa veste. C’est totale - que c’est une personnalité très ment humain. La pièce parle z e

louche dont il faudrait se méfier. beaucoup de cet antagonisme d n a n Derrière, ce qui est en jeu c’est entre l'intérêt individuel et l'in - r e F

s i

l’économie de la région. térêt collectif. Même le médecin à u o L -

Oui parce que la région est prospère un moment lâche le combat juste et n a e J grâce aux bains et à partir du mo - nécessaire dans lequel il s'est en - ment où quelqu'un vient dire qu’ils gagé, pour mettre en avant son ego. @ sont empoisonnés, il met en péril D’ailleurs, le grand intérêt de la n Un ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, mise en scène l'économie et devient l'homme à pièce, c’est l'ambiguïté de ce per - Jean-François Sivadier, avec Nicolas Bouchaud, Agnès abattre. C’est à la limite de la carica - sonnage principal. C’est troublant. Sourdillon, Vincent Guédon… ture parce qu’en fait, ce qui inté - S’il était totalement intègre face à Reprise à Ottawa en octobre 2020

58 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

L’herbe de l’oubli

pleur. Donc on ne mesurait pas les dégâts réels des radiations. Et on ne Jean-Michel d’Hoop savait pas très bien ce qu'il fallait faire, alors on a agi dans l'urgence. Et comme en Chine aujourd’hui Oubli et soumission avec la mise en quarantaine de Wuhan, le pouvoir ukrainien très La réticence du gouvernement chinois à donner des centralisé a permis de vider la ville informations sur l’épidémie liée au coronavirus la plus proche de Prypiat de ses rappelle le comportement des autorités ukrainiennes 50.000 habitants en 48 heures, et en 1986 face à un accident nucléaire sans précédent d’envoyer des centaines de milliers de liquidateurs pour éteindre le feu et encore aujourd’hui alors que le feu menace la de la centrale. C’est difficile à envi - centrale. Trente ans après l’apocalypse, Jean-Michel sager dans nos démocraties. Mais d’Hoop et les artistes de sa compagnie Point Zéro ont en Russie, on est dans un culte de enquêté auprès des habitants. Ils en ont tiré un pouvoir. Avant, il y avait les Tsars et ça continue encore aujourd'hui spectacle de marionnettes, L’herbe de l’oubli , sur notre avec Poutine. Ils aiment avoir un propension à occulter la pire des menaces... chef puissant. Il y a une scène dans le spectacle où on voit les gens de - venir mystiques. Tous nos codes so - Théâtral magazine : Quels paral - appelle ça la contamination en ciaux sont ébranlés, on se demande lèles établissez-vous entre Tcher - taches de léopard. Mais Tchernobyl si on peut encore se serrer la main, nobyl et la pandémie liée au a été une catastrophe de telle am - ou se toucher même au sein de sa coronavirus ? pleur que si elle se reproduisait, propre famille. Jean-Michel d’Hoop : Le fait qu’on les gouvernements nous menti - Propos recueillis par ait l’impression de ne pas maîtriser raient toujours parce que ce se - Hélène Chevrier la situation, de ne pas savoir si les rait ingérable. On ne peut pas autorités nous disent tout ce déplacer des centaines de millions n L’Herbe de l’Oubli, Compagnie Point Zéro qu’elles savent ; les gens sont un peu de personnes. perdus. Il y a beaucoup de phrases L’autre aspect saisissant, c’est que qui résonnent entre les deux. la population ne se révolte pas... Ce qui est intéressant c’est la À l’époque la révolte au sein de l’em - façon dont les autorités traitent pire soviétique n’était pas forcément le problème. facile. Et aujourd’hui, la plupart des Les autorités russes avaient fixé gens qui restent à côté sont en situa - une norme de radioactivité accep - tion très précaire et n’ont pas d'au - table et quand elles ont vu l’am - tres choix que de cultiver leur jardin pleur de la catastrophe, elles ont sur cette terre contaminée. Beau - augmenté le seuil de gravité et éva - coup vivent dans le déni aussi. C’est cué un grand périmètre de 30 km une façon de ne pas devenir fou. autour de la centrale. Sauf que le Les autorités minimisent les catas - nuage se déplace et il y a des en - trophes, mais sont-elles coupables ? droits à 500 km qui sont plus conta - Au moment de Tchernobyl, il n’y minés que d’autres plus proches. On avait pas de précédent de cette am - r d

@

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 59 DOSSIER

Dernières nouvelles de la peste Jean-Pierre Vincent En 1983, Jean-Pierre Vincent monte au TNS et dans la Cour d’Honneur du Palais des papes à Avignon Dernières nouvelles de la Peste . Cette pièce de Bernard Chartreux est une chronique inspirée du Journal de l’année de la peste de Daniel Defoe sur la peste de

Londres de 1665, de la peste de Marseille de 1720 r d

et de la peste du Sida qui décime la population aux @ débuts des années 80. Rien n’a changé

Théâtral magazine : Pourquoi du virus et comment s'en débarras - Le soir de la première, la moitié de écrire et monter un spectacle sur ser, l'humanité imagine que c'est la la salle à Avignon est sortie. Mais ce la peste aux débuts des années faute de ceci ou de cela. On s'est n'était pas une forme avec des per - quatre-vingt ? beaucoup documenté, on a lu évi - sonnages et des dialogues. C’était Jean-Pierre Vincent : On cherchait demment le livre d'Albert Camus, davantage une succession de mono - à créer des spectacles qui n'avaient Le journal de l’année de la Peste de logues et c'était quand même assez pas de précédents. Le dernier qu'on Daniel Defoe sur la peste à Londres pessimiste au bout d'un moment. avait fait à l’époque s'appelait et on a beaucoup étudié la peste de Pourriez-vous la remonter au - Vichy fictions et traitait de la pé - Marseille en 1720 qui était à l'ori - jourd’hui ? riode de Vichy en deux parties : la gine du fameux savon de Marseille, J’y pense. Parce que rien n'a changé première écrite par Bernard Char - car le savon était déjà un remède par rapport à un danger dont on ne treux s'appelait Violences à Vichy contre la peste. Ils avaient aussi connaît pas la nature au départ. Il y et la seconde écrite par Michel construit un mur qu'ils ont appelé a des scènes très actuelles avec le Deutsch Vichy-Fictions à partir le mur de la peste qui remontait de speaker d'un journal télévisé qui d'une pièce qu'il avait déjà écrite Marseille vers les montagnes. donne le nombre de morts dans les avant. Quelques années plus tard Quand on lit, on a l'impression que différents quartiers. C'est trou - on s’est dit qu’il faudrait recommen - la façon de lutter contre la mala - blant. Il y a un petit proverbe qui cer en parlant des grandes épidé - die n'a pas changé. On confine les dit que le nouveau arrive tou - mies. Avec la mondialisation, s'il gens de la même façon. On a beau jours sous la forme du malheur… y avait une épidémie quelque être au XXIe siècle et disposer Propos recueillis par part, elle se propagerait immé - d’une hyper technologie, on est in - Hélène Chevrier diatement dans le monde entier. capable de faire face à ça. C’était d’ailleurs le cas du Sida. Mais Mais peu de choses changent sauf c’était déjà le cas des siècles plus tôt quand elles sont liées à des inven - pour la peste notamment. Elle se tions extraordinaires comme la dé - n Dernières nouvelles de la Peste, de transmettait par les rats qui pullu - couverte de l'écriture, de Bernard Chartreux, mise en scène Jean- laient dans les bateaux. Et ces ba - l'électricité, de la photo, du cinéma, Pierre Vincent, avec , teaux faisaient le tour du monde. les travaux d’Einstein… André Wilms, Thierry Bosc, Evelyne Comme pour la naissance du sida, Quelle a été la réception de la Didi… Créé en 1983 au TNS et au quand elle ne connaît pas la nature pièce à l’époque ? festival d’Avignon

60 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

Julien Bouffier Dans la foule Piégés par la fureur

a fait le reste. "La folie qui conta - Le 29 mai 1985 , la finale mine le stade dans cette histoire est de la Coupe d’Europe des liée au fonctionnement de la foule. champions a lieu à Bruxelles au Ce qui est étonnant c'est que le Stade du Heysel. Le match op - match a eu lieu. Les joueurs ne se sont pas rendus compte de la gra - pose la Juventus de Turin à Li - vité de ce qui se passait. A un mo - verpool et dans les tribunes les ment donné ils sont même venus supporters italiens aux hooli - demander aux spectateurs qui t o

étaient en train de crever de remon - n i G gans anglais. Le match du c ter dans les tribunes mais sans se r a M siècle vire au drame du siè - rendre compte de leur état. Et puis cle. La fureur gagne les hooli - ils ont pensé que si on lâchait tous @ gans qui chassent les italiens ces gens dans la ville, cela allait être paroles surgissent comme des voix pire encore". Quand Julien Bouffier fantomatiques. "On va reconvoquer de leurs tribunes provoquant lit le livre, il pense à l’attentat du dans le décor les fantômes du une bousculade, l’effondre - Bataclan . "Quand j’en ai parlé à drame" . Depuis le 29 mai 1985, le ment de grilles et d’un muret. Laurent Mauvignier, il m’a dit que nom du Heysel n’est plus celui d’un Des gens sont piétinés. Bilan de lui avait écrit le roman en pensant stade mais celui d’un drame. Alors au 11 septembre. En tout cas il y a sur scène, une grande bâche cette tragédie : 39 morts et dedans ce que c'est que le nombre, blanche, telle un linceul, recouvre plus de 400 blessés. Le specta - la foule ensemble et en même temps un praticable… cle qu’en a tiré Julien Bouffier à la solitude dans la foule. C'est une La musique est aussi très im - partir du roman de Laurent sorte de roman choral à quatre voix, portante dans cette histoire de quatre solitudes qui racontent leur folie. "Elle électrise les foules, circule Mauvignier devait être créé au point de vue à l'intérieur de cette entre les corps. C'est l'état de transe, Printemps des Comédiens. foule". Il amplifie l’effet en faisant d'ivresse. En 85 on ne chantait pas parler l’Italienne en italien et l’An - encore l'hymne des champions dans Le drame du Heysel, c’est l’his - glais en anglais. "C'est un match qui les stades mais en découvrant qu’il toire d’une contamination de la se passe à Bruxelles, c'est la coupe venait d'un morceau de Haendel, foule par une fureur incontrôlable. d'Europe et c'est l'Angleterre qui af - Zadok the priest , j'ai trouvé intéres - A cette époque, les supporters, par - fronte l'Italie avec des Français et sant de voir comment la musique ticulièrement les hooligans fai - des Belges au milieu. J'ai l’impres - classique pouvait dialoguer avec un saient le show à grand renfort sion que c'est un conte européen, événement populaire. Du coup j’ai d’alcool, d’insultes et de prises des une tragédie européenne. C'était demandé au compositeur de travail - tribunes adverses. L’attente, le très important de pouvoir faire en - ler autour d'un alliage entre de la manque de sécurité à l’entrée du tendre ça, qu'on ait les voix diffé - musique pop et de la musique stade, la vente au marché noir des rentes. Ensuite la question était de contemporaine". billets des belges à des italiens qui savoir d'où ces voix partaient, à qui Hélène Chevrier se sont retrouvés juste à côté des elles s'adressaient". Il se dit que le n Dans la foule, d’après le roman de hooligans ont fait flamber la fureur Heysel a été abandonné depuis et Laurent Mauvignier, adaptation et des anglais et la panique générale que de ce champ d'herbes folles, les mise en scène Julien Bouffier

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 61 DOSSIER

Qui a peur du loup ? Matthieu Roy Créés l’été dernier à la Maison Maria Casarès, où le metteur en scène vit actuellement confiné avec sa famille, Qui a peur du loup ? et Macbeth forment un diptyque opératique guidé par les peurs primitives. Une expérience théâtrale immersive qui promet d’étonner petits et grands. e g a L

e d

d u a n y a R L’opéra de toutes les peurs @

Son confinement, Matthieu du projet, mais aussi lors de sa fina - De ce travail d’orfèvrerie, Roy le vit dans un "cocon apaisé". lisation, l’été dernier, explique Mat - sont nés deux spectacles immer - Directeur avec sa compagne, Jo - thieu Roy. Nous avions, en effet, sifs, tous publics, guidés par les hanna Silberstein, de la Maison besoin d’une longue série d’exploita - terreurs primitives . Celle de Dimi - Maria Casarès, située à Alloue en tions pour pouvoir peaufiner les der - tri qui, abandonné par ses parents, Charente, il y a trouvé refuge, en niers détails" . Car ce diptyque est, à doit se transformer en loup pour compagnie de ses enfants. Façon bien des égards, hors du commun. traverser la forêt et les retrouver ; et pour eux de passer cette période celle du couple formé par Macbeth particulière à l’ombre des tilleuls, Construit autour des œuvres de et Lady Macbeth, rongé par la perte loin des affres de la ville. Façon Christophe Pellet – dont Matthieu originelle de l’enfant et par la peur aussi de continuer à préparer l’édi - Roy s’était déjà emparé, il y a une di - de perdre le pouvoir, acquis dans le tion 2020 du Festival d’été, organi - zaine d’années– et de Shakespeare, sang. "Tous sont soumis à cette sée entre le 27 juillet et le 20 août. cet opéra en deux parties auto - forêt, devenue anxiogène, mais Cette année, c’est Albert Camus qui nomes, conçu avec l’aide de l’Ircam aussi à cette chambre, lieu de trans - devrait être à l’honneur, au gré d’un et des musiciens d’Ars Nova, bous - formation pour Dimitri et symbole parcours sonore fondé sur la Corres - cule les codes de travail habituels. du vide familial pour les Macbeth, pondance que l’écrivain a entrete - "Traditionnellement, lors de la créa - qui, à chaque fois, permettra l’appa - nue pendant de longues années tion d’un opéra, le compositeur livre rition d’un espace surnaturel" . De avec Maria Casarès. une partition figée, dont le metteur quoi faire voyager et unir, en deux en scène doit s’emparer. Là, nous temps, petits et grands. Et c’est cette même Maison qui avons choisi d’instaurer des allers-re - Vincent Bouquet a servi de berceau à ses deux der - tours entre le plateau et la partition, nières créations, Qui a peur du loup ? de voir comment la présence phy - et Macbeth , que le metteur en sique des chanteurs, comédiens et scène devait venir présenter au musiciens pouvaient influer sur la Centquatre-Paris dans les premiers musique" . A charge pour Aurélien n Qui a peur du loup ? & Macbeth, d’après jours de juin. "La Maison Maria Ca - Dumont, le compositeur, de s’adap - Christophe Pellet et William Shakespeare, sarès nous a accompagnés au début ter au fil des répétitions. mise en scène Matthieu Roy

62 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 LA CONTAMINATION AU THÉÂTRE

La Nuit juste avant les forêts Catherine Marnas Une société malade de solitude

Dans La Nuit juste avant les Forêts, Koltès donne la français. On parle toujours de la parole à un jeune homme qui un jour l’avait abordé musicalité du texte de Koltès, écrit d’une traite sans ponctuation. Mais pour lui parler et ne pas rester seul. Ecrit en 1977, j'ai l'impression que cela a occulté étrangement ce texte décrivait le mal qui allait ronger un peu son contenu politique et so - quarante ans plus tard notre société hyper connectée cial. On n’entend pas assez le fait que ce jeune homme qui a vrai - et confinée. Un paradoxe qui n’a pas échappé à ment croisé Koltès lui demandait Catherine Marnas qui a prévu de le reprendre la de ne pas partir parce qu'il crevait saison prochaine au TNBA. de solitude. Et Iljir nous le fait en - tendre parce qu’il est de plain-pied avec lui. Comme si la frustration ac - Théâtral magazine : Cette fin de confinement marque encore plus cumulée par son père se transfor - saison, vous deviez reprendre au les différences sociales entre mait chez lui par un désir de TNBA La Nuit juste avant les fo - ceux qui ont des moyens et ceux vengeance et une très grande vio - rêts de Koltès. Comme une pré - qui n’en ont pas, ceux qui ont de lence. monition de ce qui allait nous l’espace et ceux qui vivent confi - Cela fait quinze ans qu’il le joue. arriver… nés à dix. Est-ce le même spectacle ou Catherine Marnas : C’est un texte Comment avez-vous rencontré tenez-vous compte du temps qui qu’on joue depuis quinze ans mais l’acteur qui joue ce monologue, a passé, et du fait que lui-même a qui aurait été effectivement d’au - Iljir Selimoski ? mûri ? tant plus percutant dans ce C’est grâce à Jean-Louis Trinti - Evidemment qu’il y a une plus contexte. Parce que cette crise du gnant. A l’époque, il jouait au théâ - grande maturité chez Iljir et que tre des Salins à Martigues où ma cela amène un aspect plus poli - compagnie était artiste associée. tique que social dans son jeu. D’au - Un jour, il a raconté à la directrice tant plus avec tous les événements qu’à côté de sa maison, il croisait qu’il y a eu cette année, à commen - toujours un jeune homme qui mar - cer par les gilets jaunes, et qu’on chait en répétant inlassablement prend conscience que toute une La nuit juste avant les forêts et il partie du monde est exclue de la aurait voulu qu’on fasse quelque parole… chose pour lui. Elle m’en a parlé et j’ai rencontré ce jeune homme, qui Hélène Chevrier m’a confié que si ce texte le boule - versait autant c'est qu’il lui rappe - lait l’histoire de son père, un berger n La Nuit juste avant les forêts, texte

r macédonien arrivé à Paris sans le Bernard-Marie Koltès, mise en scène d

@ sou et sans connaître un mot de Catherine Marnas, avec Iljir Selimoski

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 63 DOSSIER

Stück Plastik

rée qui caresse le public dans le sens du poil. On entend parfois des Maïa Sandoz spectateurs, qui se sentent visés, dire : "je ne parle pas comme ça à ma femme de ménage" … La mise Capitalisme contaminant en scène déplace le regard des gens. Et le nôtre. Qui rit et à quel Début juin, la compagnie de l’Argument avait prévu moment ? Nous voyons à bout por - d’occuper les deux scènes du Monfort avec deux pièces tant un premier rang de lycéens, chaque jour : Stück Plastik de Mayenburg, puis Zaï Zaï par exemple… C’est très révéla - Zaï Zaï d’après la bande dessinée de Fabcaro. Paul teur. La mise en scène crée de la gêne : son principe est de passer de Moulin a mis en scène la seconde pièce, Maïa Sandoz l’image banale au fantastique et à met en scène et joue la première, qui est l’un des la performance artistique. Pour le succès de la compagnie – en attendant que prenne théâtre de l’Argument, ce qui passe forme le prochain projet, Beaucoup de bruit pour rien avant tout, c’est l’acteur, l’acteur, l’acteur… Et nous travaillons dans d’après Shakespeare. la proximité maximale avec le pu - blic. Nous et le public sommes sur la Théâtral magazine : Ce n’est pas L’Abattage rituel de Gorge Mastro - scène. la première pièce de Mayenburg mas que nous avons monté égale - Propos recueillis par que vous mettez en scène. ment. Cela montre l’écart entre Gilles Costaz Maïa Sandoz : Nous avons monté Le les propos et les actes, et com - Moche et Perplexe . Pour Stück Plastik , ment le capitalisme contamine nous avons gardé le titre allemand notre intimité. Je joue cette femme n Stück Plastik, de Marius von Mayenburg, car "stück" désigne à la fois une de ménage qui n’a pas grand-chose mise en scène Maria Sandoz, avec Serge chose qui ne sert à rien et une œuvre à dire mais pose son regard sur la so - Biavan, Maxime Coggio, Paul Moulin, Maïa d’artiste. C’est l’histoire d’un couple ciété. Le grand sujet, c’est : à qui fait- Sandoz et Aurélie Vérillon. Représentations de progressistes de gauche qui n’a on nettoyer nos merdes ? D’ailleurs, prévues en juin au Monfort et reportées pas le temps de s’occuper de son in - le décor de Catherine térieur, ni de son enfant. Lui est plas - Cosme, crème et rose, se ticien et engage une femme de couvre à un moment ménage. Celle-ci va s’occuper de d’une matière excrémen - tout, de l’enfant, devenir la muse de tielle… l’artiste. Dans une mise en abyme, Comment avez-vous Mayenburg décline toutes les situa - mis en scène Stück Pla - tions paradoxales qui se produisent tick ? quand on devient patron de gauche. Dans un dispositif qua - Comment continuer à être de drifrontal, à la recherche "bonnes personnes", alors qu’on était de la complexité des déjà en crise, les adultes comme l’en - questions que pose le fant qui est à l’âge du pré-ado ? texte. Ce dispositif per -

Qu’aimez-vous particulièrement met de voir les gens en e z i o G dans ce texte ? train de voir le specta - s i o ç

Cela rejoint Théorème de Pasolini et cle. Ce n’est pas une soi - n a r F

@

Z oom Des Molières sans public La cérémonie aura lieu en juin sur l’écran de France 2

Nouveau patron, depuis 2014, de la Nuit des Mo - lières qui avait failli disparaître en raison de dés - accords au sein de la profession, Jean-Marc Dumontet met tout en œuvre pour que ce rendez- vous ne soit pas annulé. Il devrait être repensé sous une forme confinée et retransmis par France Télévisions. A prendre comme un symbole avant la possible réouverture des théâtres en septembre. r d

@

La cérémonie des Molières, soirée prévue au Châtelet. Mais le cli - et François-Xavier Demaison. Mais le prévue au Châtelet à la mi-mai, mat secrété par l’épidémie a logique - spectacle, bien lancé, bien reçu, re - n’aura pas lieu. Mais elle devrait se ment troublé son inspiration. Il a trouvera-t-il sa dynamique ?" tenir, dans la seconde moitié du mois demandé à réfléchir. Quoi qui en soit, La perte pour les sociétés de Du - de juin, sur l’écran de France 2, donc la 32e nuit des Molières se tiendra, montet pourrait être de 5 à 6 millions sans public. Le président de l’Associa - sous une forme inédite. d’euros. Pour les théâtres plus fra - tion, Jean-Marc Dumontet négocie La fermeture des théâtres, com - giles, c’est la faillite qui menace. "C’est actuellement avec France Télévi - mencée en mars, est, évidemment, à eux qu’il faut penser, dit Dumontet . sions. "C’est très triste, dit-il. Mais une catastrophe pour la profession. Ce sont eux que le ministère et la pro - nous y tenons beaucoup. Il ne peut Jean-Marc Dumontet est aux pre - fession devront aider prioritairement. pas être question de faire les Molières mières loges. Il dirige six salles, dont Je ne suis pas inquiet dans ce moment à la rentrée. La cérémonie doit le théâtre Antoine et le théâtre Libre même. Pour l’instant, on est sous conclure une saison et aider, éven - (ex-Comedia). "Au théâtre Libre, nous cloche. Mais, après, ce sera difficile. On tuellement, les spectacles récompen - avons dû renoncer à la reprise des ne peut pas repartir comme les restau - sés qui feront l’objet d’une reprise". Fourberies de Scapin par la Comédie- rants. Une pièce demande de trois à La soirée se passera dans un stu - Française. Depuis que l’on sait que les six mois de communication" . La réou - dio ou sur la scène d’un théâtre vide. spectacles ne peuvent avoir lieu verture des salles devrait se faire en "Tout reste à imaginer, précise Du - avant la mi-juillet, au mieux, nous ne septembre mais dans quelles condi - montet. Il y aura les 20 lauréats, mais reprenons pas à Antoine Plaidoiries tions ? "La question principale est que avec quel meneur de jeu ? On n’est pas par Richard Berry et L es Elucubra - le public soit rassuré" . Ce qui exigera obligé de faire l’émission en direct" . tions d’un homme soudain saisi par une adaptation au contexte sanitaire Bruno Solo sera le premier artiste la grâce par Edouard Baer. A la ren - tel qu’il sera à ce moment-là. convié à être l’animateur. Il avait ac - trée, on remettra à l’affiche Par le Propos recueillis par cepté d’être le Monsieur Loyal de la bout du nez avec François Berléand Gilles Costaz

66 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 Le théâtre en temps de crise Jean Robert-Charrier un directeur dans la tempête

Le patron du théâtre de la Porte Saint-Martin et di - recteur artistique du festival d'Anjou est, comme tout le monde, confiné jusqu'à nouvel ordre. Alors que le monde du spectacle vivant est à l'arrêt, il fait un état r d

des lieux inquiétant de la situation actuelle. @

Théâtral magazine : Comment l'interdiction des rassemblements de Malheureusement. De toutes fa - vivez-vous la période de confine - plus de 100 personnes. Nous avons çons, une partie du financement pro - ment ? dû rembourser des centaines de mil - vient de mécènes privés. Et j'imagine Jean Robert-Charrier : De façon très liers d'euros de billets. Aujourd'hui, qu'avec la crise, ils ont d'autres prio - étrange. Je n'arrive toujours pas à c'est encore plus compliqué. Il faut rités. me faire à l'idée que toutes les salles assurer le salaire des employés et Pendant le confinement, certains sont fermées et qu'aucune pièce ne faire en sorte que la situation soit la théâtres publics ont multiplié les puisse se jouer en France. Je suis ex - moins catastrophique possible. Mais initiatives sur le web, afin de rester trêmement attaché au théâtre de la c'est surtout pour les petites struc - en contact avec le public ; ce qui Porte Saint-Martin ; j'y vis et j'y tra - tures que la situation va être extrê - n'a pas vraiment été le cas du vaille. C'est comme si on m'empê - mement difficile. privé. Pourquoi ? chait de voir quelqu'un que j'aime. Et Pensez-vous être aidé par les pou - Personnellement, ces initiatives-là puis je suis évidement inquiet pour voirs publics ? ne me parlent pas. Je préfère au la réouverture. Si le déconfinement Je l'espère, mais nous ne serons sû - contraire saisir cette occasion pour a bien lieu le 11 mai, nous ne pour - rement pas un secteur prioritaire. réfléchir, me questionner, faire rons pas rouvrir avant la rentrée de J'attends des pouvoirs publics, sur - preuve de plus d'ambition... C'est septembre prochain. Les mesures tout qu'ils trouvent des solutions rare, tout de même, d'avoir cette contraignantes se lèveront progres - pour redonner confiance aux specta - chance ! Je travaille déjà à la pro - sivement et malheureusement, le teurs. Et de notre côté, nous devons grammation de septembre. public ne retrouvera pas le chemin redoubler d'imagination pour rendre Quelques pistes ? des salles de sitôt. nos programmations attrayantes. Un beau projet : Avant la retraite ! , Dans quelle situation économique Hélas, j'ai peur qu'à l'issue de cette de , mise en scène se trouve le théâtre actuellement ? crise, les théâtres privés se tournent par Alain Françon, avec Catherine L'équilibre est chancelant depuis le vers des recettes faciles pour ren - Hiegel, André Marcon et Noémie début de la crise, début mars. Avant flouer leurs caisses. Lvovsky. les mesures de confinement, les ré - Le festival d'Anjou, dont vous assu - Propos recueillis par servations avaient chuté et nous rez la direction artistique pour la Igor Hansen-Love avons dû réduire les jauges, suite à première année, est annulé...

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 67 Portrait Mathilde Bourbin Une comédienne de caractère

Et vous créez le collectif Atten - tion Fragile. Quelle est sa ligne On l’a découverte dans Main basse sur le magot artistique ? présenté cette saison au Funambule Montmartre. On travaille sur des auteurs Derrière la délicate féminité de Mathilde Bourbin, contemporains avec lesquels on se cache une véritable bombe. peut interagir, et dont les préoccu - pations portent sur un phénomène de société, avec toujours une ap - proche divertissante. Ce sont des Théâtral magazine : Comment de la pression sociale. Les gens qui pièces joyeuses avec un humour avez-vous rencontré le théâtre ? tiennent à nous transmettent cette qui peut même être très grinçant. Mathilde Bourbin : Quand j'avais peur d'une vie difficile. Cabaret Ta mère (créée en Avignon six ans en activités extrascolaires Qu’est-ce qui vous a décidée ? en 2017 et actuellement en tour - avec une institutrice qui est aussi Longtemps je me suis accrochée à née) parle du sexisme entre les coach d'acteur. Tout de suite, j’ai une bouée de secours, je faisais des femmes et les hommes, et Building senti que j’étais à la bonne place. études de chimie en parallèle. La de Léonore Confino du mal-être Dès qu’on me donnait une indica - dernière année, j'avais tellement de dans l’entreprise. Plus on monte les tion, je comprenais tout de suite où travail que je n'ai pas pu me lancer étages, plus on va vers une tension il fallait que j’aille. Et puis comme dans des projets de théâtre et qui pousse les personnes de l'entre - j'étais une enfant assez timide, j'étais tellement malheureuse que prise au malaise et pour l’une d’en - c’était un prétexte pour pouvoir ex - j’ai choisi de vivre de ce qui me plai - tre elle au suicide. On essaie d’en ploser, m'exprimer pleinement et sait. faire une fête alors que ce n’est pas aussi peut-être pour une fois sortir Vous étiez inscrite au cours Flo - une pièce drôle du tout. Mais c’est de l'endroit où je me cachais. J’étais rent… vraiment cet univers qui me plaît. en CP quand j’ai joué dans mon J’allais aux cours du soir en paral - Et j’ai l’impression que le collectif premier spectacle. C’était Pinoc - lèle de mes études. J’y ai rencontré développe une solidarité entre les chio et je jouais Pinocchio... Mes plein d'acteurs de tous les âges qui comédiens. parents sont venus et ne m'ont pas travaillaient à côté pour pouvoir Que faites-vous d’autre ? reconnue ! C'est aussi ça qui m'a payer leur cursus. On bossait tout Beaucoup de choses à côté. Sans poussée à continuer le théâtre pen - le temps, on était ultra motivés. doute pour ne pas m'enfermer dans dant tout mon cursus scolaire. Très Saviez-vous déjà à ce moment là une compagnie. Je joue aussi bien petite j’ai dit que je voulais en faire vers quel type de théâtre vous dans des pièces de boulevard, que mon métier mais plus j'ai grandi aviez envie d’aller ? des pièces de Koltès ou d’auteurs plus c’est devenu compliqué dans Je savais que j’avais des facilités américains du moment que le rôle une famille où tout le monde était pour la comédie, mais ce n’était pas me plait et me permet de défendre instituteur ou ingénieur. forcément ce que j’avais envie de quelque chose. Parmi les spectacles Ce n'est pas évident de se libérer faire. qui m'ont énormément marquée

68 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 ces dernières années, et dans les - ment quelque chose à part. A ma quels j'aurais adoré jouer, il y a sortie du Cours Florent je jouais F(l)ammes de Ahmed Madani, à dans un spectacle qui s’appelait Les partir d’une écriture collective avec saisons de l'amour avec des poésies des jeunes filles qui ne connais - d'auteurs rassemblées autour de la saient pas le théâtre et qui avaient rencontre pour le printemps, des histoires incroyables à racon - l'amour passionnel pour l'été, l'éloi - ter. C'est vivant sur le plateau et gnement pour l'automne et le fait dans la salle. Un autre spectacle de vieillir ensemble ou la rupture que j'ai adoré c'est La dictature du pour l'hiver. Du coup on avait be - cool qui a été présenté dans le In soin de plein de costumes qu’on d'Avignon en 2016 et qui mettait mettait dans une malle qu'on en scène un ministre de la culture transportait tout le temps avec très courtisé par toutes sortes d’ar - nous et chaque fois qu'on la portait tistes pour qu’il finance leurs pro - dans la rue, des gens nous deman - jets. Les comédiens étaient très daient si on cachait un cadavre de - investis physiquement. Et puis j’ai dans. Cela m’a inspiré l’écriture adoré aaAhh BiBi de Julien Cotte - d’une petite saynète destinée au reau. C'est un artiste qui va dans la théâtre que j’ai montrée à mes par - salle, qui prend les spectateurs tenaires ; ils ont trouvé ça drôle et dans les bras et qui donne telle - on l’a développée en rigolant. En - ment d'amour qu'on ressort en suite on a rencontré un réalisateur ayant l'impression d'avoir passé un à qui on a parlé de ce petit texte et moment privilégié. il a eu envie d’en faire une série, qui r e l l i i Qu’est-ce qui vous a plu dans la est sortie en 2016 en partenariat e v u r pièce d’Arnaud Cassand, Main avec Oüi FM. On l’a présentée dans C e c i basse sur le magot ? des festivals et on a gagné 11 prix r t a

é Le texte d'Arnaud Cassand est une sur une trentaine de nominations B

@ réécriture totale, maligne et effi - dans le monde entier. Depuis j'ai cace de Fric Frac d'Édouard Bour - écrit la saison 2 mais qui n’est pas det. Il y avait l’idée de jouer avec encore tournée. Ce n'est pas l’auteur, et avec Julien Héteau que Quels sont vos projets ? j'avais déjà eu l'occasion de côtoyer Je devrais jouer Marianne dans Les évident de se et avec lequel je m'entends très Caprices de Marianne en novembre libérer de la pression bien. Et puis la perspective d’être au théâtre de Sens sous la direction dirigée par Jacques Décombe. C'est de Roch-Antoine Albaladejo. sociale. Les gens qui la première fois qu'un metteur en Propos recueuillis par tiennent à nous scène me dit que je n'en fais pas Hélène Chevrier assez alors que j’ai la réputation transmettent cette d’être beaucoup force de proposi - peur d'une vie tion. Vous avez écrit et produit la pre - difficile... mière saison d’une websérie, Fra - puccino . Allez-vous continuer ? Je n'ai jamais eu de velléité de scé - nariste. Ce projet représente vrai -

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 69 CAPTATIONS CRITIQUES Retrouvez toutes les captations en accès libre sur www.theatral-magazine.com s è l d a n V a - r e é n n u n e g y a n u e E J

g

e n N t

a t i n t s g a i i r r o L T B

@ @ @

Un fil à la patte Phèdre ! Vera [ Pour Christian Hecq ] [ Enthousiasmant et brillant ! ] [ Viard à la folie !] de Feydeau, mise en scène Jérôme Deschamps d’après Racine, par François Gremaud mise en scène E. Vigier et M. Di Fonzo Bo

Récompensé par le Molière de la pièce Romain Daroles est seul, debout devant C’est au centre d’un dispositif mobile, du Théâtre public et le Molière du comé - une table blanche. Comédien pince sans malléable et d’une scénographie dépouil - dien à Christian Hecq en 2011, Un fil à rire, au charme juvénile érudit, il entre - lée conçue en profondeur, habillée la patte fait toujours un vrai carton tant prend bondissant de nous raconter la plus d’images vidéo, que Marcial Di Fonzo Bo à la Comédie-Française qu’à la télévi - fameuse tragédie de Racine, de la jouer à et Elise Vigier ont souhaité raconter l’his - sion. Elle doit beaucoup à l'étonnante lui seul, de nous la faire aimer. Nous se - toire de Vera. Femme cash, redoutable prestation de Christian Hecq, qui joue rons ses élèves ! De jeux de mots en gags directrice de casting dans une Répu - Bouzin, un clerc de notaire poète à ses potaches, il raconte la mythologie blique Tchèque anesthésiée de commu - heures. Rôle que tenait Robert Hirsch grecque d’une hilarante manière pour nisme et fascinée par le capitalisme ; elle dans la mise en scène de Jacques Cha - établir la filiation des dieux grecs mouillés se brulera les ailes et offrira le spectacle ron en 1970. Et force est de constater dans cette histoire ; de mimiques en pos - de sa chute. Karin Viard s’empare de son que les pantomimes auxquelles se livre tures, il rejoue toute la pièce en se livrant personnage et ne le lâche pas. Elle taille Christian Hecq à chacune de ses appari - à quelques bonnes digressions – sur l’art dans l’épaisseur de cette héroïne une par - tions dépassent en performance celles de dire les alexandrins notamment. Et tition faite de cynisme, d’ambition, de fé - de Robert Hirsch dans le même rôle. c’est tellement bon, tellement savoureux. rocité et d’amoralité. On adore. Autour Parce que si Jérôme Deschamps a signé Finalement, l’auteur de cette conférence d’elle cinq autres comédiens incarnent une nouvelle mise en scène de la pièce très écrite, François Gremaud, a trans - une vingtaine de rôles, changeants de de Feydeau, il a surtout rendu un formi - formé la tragédie en comédie et le cours costumes, de coiffures et d’accents sans dable hommage à Jacques Charon en de lettres classiques en éclat de rire en te - cesse, dans une ronde échauffée. Ils sont reprenant l'esthétique générale de nant fermement la barre pour ne pas sur le plateau, sur les murs retransmis en 1970 et le jeu burlesque de Hirsch. On sombrer dans le commun. Romain Da - vidéo, chantent au micro la vie de Vera ne change pas une formule qui marche... roles en formidable interprète tient son li - comme dans un soap-opera, disparais - Pour les puristes qui voudront revoir la vret à la main pour s’en faire un accessoire sent, réapparaissent, créent la surprise à version Hirschienne, il existe un DVD de de jeu : la couronne de Phèdre, la mèche un rythme soutenu. La mise en scène de celle de 1970 édité aux Editions Mont - d’Hyppolite et la barbe de Théramène ! Vigier et de Fonzo Bo est d’une absolue parnasse. Oenone et Panope en prendront aussi richesse, presque trop rehaussée de ruses Hélène Chevrier pour leur grade. Connectés à nos souve - géniales pour une histoire somme toute nirs de lycée, on ne voit pas passer le assez simple. Car c’est bien cela : d’une temps, on apprend et on réapprend. Tel - œuvre peu scintillante, ils font un feu lement gaiement ! d’artifice ! François Varlin François Varlin

<- scannez ce flash code <- scannez ce flash code <- scannez ce flash code pour voir la captation pour voir la captation pour voir la captation

70 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 o d i n h a c r c e e e y r u a a g h C n l

E a h

t e e e t D t

b i y a g i z u i r l G B

E

@ @ @

Bérénice L’annonce faite Le Misanthrope [ Les larmes amères de Titus ] [ Judith Chemla révélée ] à Marie [ Sage et élégant ] de Racine, mise en scène Célie Pauthe de P. Claudel, mise en scène Y. Beaunesne de Molière, par Clément Hervieu-Léger

C’est l’intérêt de Marguerite Duras pour Emotion charnelle et élévation spiri - A la Comédie-Française, le metteur en Bérénice qui a donné à Célie Pauthe tuelle aux Bouffes du Nord. Yves Beau - scène Clément Hervieu-Léger nous pro - l’envie de se pencher sur le destin de la nesne met en scène L’annonce faite à pose une version élégante et moderne reine de Judée, aimée et enlevée par Marie , un drame dont les racines plon - du Misanthrope , mais qui par excès de l’envahisseur romain Titus, qui la répu - gent au cœur d’une famille de paysans tenue, finit par manquer de caractère. die à l’instant où il devient empereur. La et dont le branchage s’envole dans la La transposition de la pièce dans une mise en scène tend à revaloriser cet révélation de la foi. Sans cesse pris époque récente soulève la question de amour, en insérant dans le texte des ex - entre ces deux tensions, terrienne et ce que serait, de nos jours, la figure d'un traits de Césarée le film de Duras, et en mystique, la pièce nous raconte l’his - misanthrope. Celui d’Hervieu-Léger est montrant sur scène un Titus en larmes toire de Violaine qui pour “avoir eu trop peu contrasté, ni trop violent ni trop qui rompt avec Bérénice à son corps dé - de joie” rencontre le malheur et la passionné. Alceste, incarné par Loïc Cor - fendant. Sauf que cette surenchère de peste. Sa sœur Mara, sournoise incarna - bery, est plutôt intériorisé, dans un style pleurs réduit Titus à l’état de victime, tion du mal, la détourne du fiancé qui nouvelle vague, un peu perdu dans son rendant sa stature d’empereur difficile à lui était promis. Exclue du monde des vi - imper trop grand, et trop "arty" pour admettre face à une décision qui lui vants, Violaine prend sur ses épaules la vraiment menacer l’ordre établi. De échappe complètement ; on oublie tous souffrance du monde et se rapproche même, Célimène, interprétée par Ade - les enjeux politiques que rendait possi - de Dieu. C’est Judith Chemla qui in - line d’Hermy, ne verse ni dans le cynisme ble cet amour et on ne retient que le carne avec une émotion intense Vio - cruel ni dans la frivolité superficielle. côté sentimental de l’affaire. En outre, le laine la crucifiée. Innocente comme un Elle nous donne à voir une Célimène jeu des comédiens maintient la pièce ailleurs sans tâche, fragile comme une amoureuse, qui pardonne tout à son dans un format très classique et n’aide bougie vacillante, elle nous emmène atrabilaire et le couve de son regard at - pas à la faire résonner dans une époque avec une grande sensibilité de la pureté tendri. Le Misanthrope de Clément Her - en pleine révolution de la condition fé - qui va pêcher à la grâce qui s’est révélée vieu-Léger, empreint d’élégance dans minine. Car bien que reine, Bérénice se dans le pêché. Entre malheurs et mira - les sentiments et de beauté dans sa retrouve soumise au bon vouloir de cles, entre prières et chansons, entre composition, est somme toute très l’homme qu’elle aime et n’a plus la maî - opéra de paroles et chant-parlé, L’An - contemporain. Tout est art, tout est trise de son destin. C’est d’autant plus nonce faite à Marie est une invitation à amour et, au final, tout est pareil. Tout frustrant que l’analyse qu’a faite Célie l’élévation et au mystère de la foi. In - le monde devient un peu Philinthe, la Pauthe de la pièce de Racine est parti - sensibles s’abstenir. sagesse et la modération finissent par culièrement fine et passionnante. François Varlin gagner toutes les âmes… Hélène Chevrier Enric Dausset

mot de passe : cdiannonce

<- scannez ce flash code <- scannez ce flash code <- scannez ce flash code pour voir la captation pour voir la captation pour voir la captation

Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020 71 CAPTATIONS CRITIQUES Retrouvez toutes les captations en accès libre sur www.theatral-magazine.com d l e y r v y e o n t s w c e i s l r V d

e l o V a P

c l n s o a a r J

F P

@ @ @

Les fausses Les Damnés Les trois soeurs [ Huppert en finesse ] confidences [ Brillante variation ] [ Ni mots ni murs ] de Marivaux, mise en scène de Luc Bondy d’après Visconti, mise en scène Ivo van Hove de Tchekhov, par Timofeï Kouliabine

On sait quel soin Luc Bondy apportait à Les acteurs du Français se mettent au Timofeï Kouliabine explose les cadres de ses mises en scène. C’était également le service du metteur en scène le plus re - la mise en scène avec ce Tchekhov pour cas pour ses réalisations notamment cherché et le moins classique du mo - les sourds et malentendants : “Pas de pour ce film qu’il a tourné à partir de la ment, le Belge Ivo van Hove, et d’un mots, pas de murs. Langage des signes pièce des Fausses confidences créée à scénario d’un film d’anthologie, Les et des corps. Du pur Tchekhov.“ l’Odéon. Damnés de Visconti. Toute la folie du Pas de mots donc mais pas de murs non Araminte (Isabelle Huppert) est une IIIe Reich s’y déchaîne, dans ses fureurs plus sinon leur tracé sur le sol. La grande veuve stylée et apparemment épanouie. politiques, militaires et sexuelles. La fa - maison provinciale est devenue une Mais l’arrivée de Dorante, un jeune mille von Essenbeck possède d’impor - sorte d’appartement communautaire où homme ruiné qui se fait engager chez tantes aciéries, et cette famille est marinent passions et frustrations. Dans elle parce qu’il l’aime secrètement jette nombreuse : elle va de l’ancêtre aux cet espace confiné, la promiscuité des le trouble sur cette apparente sérénité. vieilles méthodes jusqu’à la jeune géné - corps ajoutée à l’impossibilité de parler Tout se complique, s’obscurcit, on in - ration, où s’agrègent les épouses inno - produit une formule hautement inflam - trigue pour qu’elle succombe et les murs centes ou ambitieuses. Face au pouvoir mable et superbement théâtrale : jeux se resserrent autour d’elle, créant des nazi, le jeu est difficile : les commandes de lumières, symphonie des bruits do - zones d’ombre où tout semblait pour - d’armement sont au prix des compromis - mestiques, montée crescendo des cris, tant si clair. Araminte trouve sans doute sions et de diverses coucheries. Van grognements et soupirs jusqu’aux deux dans cet amour, qui devient très vite ré - Hove donne à voir à la fois l’action, son derniers tableaux bouleversants : les té - ciproque, la force d’affirmer son indé - reflet sur grand écran, les acteurs en nèbres agitées pendant l’incendie puis pendance. Dès le début, le charme agit train de se changer et de se maquiller, le final chuchoté. entre Louis Garrel et Isabelle Huppert et une série de visions personnelles. Les Kouliabine se garde de tout effet facile, qui se cherchent nerveusement. On comédiens s’amusent follement à jouer c’est l’inverse d’un dialogue de sourds adore voir la gêne qui pèse lorsqu’ils se hors de leurs normes : Didier Sandre, qu’il a mis en scène. Les conversations retrouvent ensemble, on adore voir Isa - Elsa Lepoivre, Denis Podalydès, Chris - gestuelles font entrer les personnages belle Huppert torturée par le doute, ma - tophe Montenez… Ça a de la gueule, de en collision. A rebours d’une régression nipulée par son valet et fragilisée par l’invention, une maîtrise implacable. pathologique d’avant le langage, ces l’amour. Le personnage d’Araminte Mais cela reste une variation sur un Trois Sœurs sont une magnifique décla - prend vie toute en finesse et émotions. grand film qui reste supérieur à ce bril - ration d’amour au théâtre et ses infinies Un grand Marivaux. lant exercice. possibilités de renouvellement Hélène Chevrier Gilles Costaz Patrice Trapier

<- scannez ce flash code <- scannez ce flash code <- scannez ce flash code pour voir la captation pour voir la captation pour voir la captation

72 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020

Vos coordonnées ne feront l’objet d’aucune exploitation commerciale et ne seront communiquées à aucun partenaire. Conformément à la législation en vigueur vous disposez d’un droit d’accès et de rectification pour toute information vous concernant.

d V P T E P C A N V A a - r a é P o

d o o m o B l y

r m n é

: s f t q s e a e

p

s

r c i s : s : h l s s

e o

U

e o J i (

v o o

p n F T : E T e m

n r o o e R A T

A d

L u

: t A : m

R o R a R r r

N

A n I r I g L e F e ’

F n C N a c S S a

é e E b G b E

v e z B E o o

o s i i

R

n r n

î : T

t n e n V e o , e s I i l

l c a t

N e r à o

i u : t

i u T q x

u s h

e l D

é s e l P

e e â t r t O é s t

t ’ c n

r r o o q A 2 e u q a m p

s l 2 m

s

3 : 1 1

m

B 5

d 0

o e

A A

e a

e c i N N O u u o g s e r r a o u o r s z 2 N s ) i

: n N e 5 N

e + 1 t

E a e

u a M q q

u s 5 4 2 2 i n t 8 5

r A A e E

e e N N

o w u u S S N r r N w o o s s s w T . - - - s M t

J u h l l l ’ e e e a r e 7 C p d

s s

a

O a r m w r r

u U e

c c t c à 7 e w s r a L h o r

d s I r è a r i q q S g e e u w u e q t S l

e u a l - i t c p E ’ 7 6 3 3 m E . q E e

o i S t z d 6 0 p

- s

A A

b u u j h É e i e a

o

a e e n r d N N D r

e e i g l o n u u n n ’ I e S S e E n c s T a r r a e t e a o o

p

I

7 r z t i e m O c c s s e r 5

i r e à N h r o n n o 0

a o o

S n 0 a e

e : n u l

v 6

- .

r q u

T p c 7

Z e m è P o h u r o 5 g a r s

é a r l e 0 t s r m c e i â a s i 0 g h

m l

t o s

F à 6 r a a r e e a

n a

l P ’ n z q l n o m

a t m c r i n u d

e n r : a c u r a

i e e e s g i m

d n F . a m

c e r z e é

a o : i o

n n r m e i c i s q

e

i : u e

VOUS ! MON GRAIN DE SEL

par Jacques NERSON

Jean -Laurent le Magnifique

Parmi les premières victimes du Covid-19 dans avait un caractère de cochon. Il s’est d’ailleurs le monde du spectacle, Jean-Laurent Cochet. Ce fâché à mort avec les plus fidèles de ses amis. nom n’évoque sans doute rien aux plus jeunes Outre son passéisme qui le poussait à mépriser d’entre vous mais il a été un grand professeur de tout ce qui s’est fait sur scène après la Seconde théâtre. Retiré depuis plusieurs années, il vivait Guerre mondiale, sa méchanceté l’a desservi. en reclus. Beaucoup d’acteurs de renom sont passés par son cours : Depardieu, Luchini, Hup - Pourquoi rendre hommage à un homme aussi pert, Duchaussoy, Giraudeau, Auteuil, Dussol - borné et aigri ? Eh bien, parce que, dans son do - lier, j’en passe. Sans compter les moins célèbres. maine, c’était un pédagogue incomparable. Plus tous ceux qui ont renoncé aux planches Conservateur, oui, mais dépositaire des meil - mais restent marqués par son enseignement. Je leures traditions théâtrales. Avec lui, on était di - suis de ceux-là. Faisant partie de la sotte espèce rectement connecté avec Henri Rollan, Béatrix et sale engeance des critiques, j’ai mal tourné et Dussane, Jean Meyer et son maître Louis Jouvet. il ne se privait pas de me le faire sentir quand je Attention, il fallait savoir se servir de Cochet. En le rencontrais. prendre et en laisser. Ne pas appliquer à la lettre sa "méthode" (toujours laisser les phrases en sus - Avant d’ouvrir son cours d’art dramatique en pension, le sens ouvert, sans tenir compte des 1965 et de devenir l’un des meilleurs profs de points de ponctuation, ne respirer qu’entre le son temps, Cochet avait été pensionnaire à la sujet et le verbe, etc.). Sans quoi, on devenait un Comédie-Française pendant quatre ans, on l’y petit perroquet. C’en était au point que lors avait cantonné dans des rôles mineurs. Il y re - d’une audition, on reconnaissait ses disciples à viendra en tant que metteur en scène pour y leurs semblables intonations. Mais s’il pouvait monter à partir de 1970 une série de spectacles nuire aux débutants trop zélés, à ceux qui éblouissants, à commencer par son inoubliable avaient une personnalité déjà formée et affir - Malade imaginaire . Suivront plusieurs vaude - mée il apportait énormément. Ne fût-ce que par villes de Labiche ou Feydeau, terrain sur lequel son érudition doublée d’une mémoire prodi - il était imbattable. gieuse. Ainsi a-t-il ouvert à des ados ignares et asociaux, comme Depardieu et Luchini, les En 1979, lorsque prit fin le mandat de Pierre portes du théâtre et de la poésie restées fermées Dux, l’Administrateur général de la Comédie- à double tour jusque-là devant eux. Vous étiez Française, Cochet fort de ses succès semblait tantôt odieux, tantôt merveilleux. Paix à votre tout désigné pour lui succéder. Jacques Toja, âme tourmentée, Jean-Laurent le Magnifique. plus fédérateur, fut préféré. Il est vrai que Cochet

74 Théâtral magazine Mai - Juin - Juillet 2020