Trésor Des Fêtes Hymnes Et Odes De Grégoire De Narek
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Trésor des fêtes Hymnes et Odes de Grégoire de Narek Introduction, traduction et notes par Annie et Jean-Pierre Mahé Avant-propos Le présent volume est le deuxième d’une collection des Œuvres de saint Grégoire de Narek. Le premier tome, contenant le Livre de Lamentation, est paru en 2007 chez le même éditeur, sous le titre Paroles à Dieu. On se propose de publier une traduction française intégrale, avec introductions et notes, de tous les écrits de Grégoire de Narek, réunis dans les deux volumes de la série Matenagirk‘ Hayoc‘1, éditée sous les auspices du Saint Siège d’Antélias dans la Bibliothèque arménienne de la Fondation Calouste Gulbenkian, grâce au concours de nombreux savants. Notre traduction du Trésor des Hymnes et des Odes est principalement fondée sur l’édition d’Armenuhi K‘eoškēryan2, avec quelques modifications justifiées dans l’introduction et les notes. Il va de soi que nous avons aussi utilisé, pour les textes connus au XIXe siècle, les admirables éditions et commentaires du R.P. Gabriel Awetik‘ean. Étant donné que les Hymnes et les Odes parcourent le cycle de l’année liturgique pour célébrer les plus grandes fêtes, il était utile de placer en regard de la traduction les miniatures que saint Grégoire avait nécessairement en mémoire. Bien que les plus belles images soient postérieures de plusieurs siècles aux compositions liturgiques du chantre de Narek, les canons iconographiques garantissent la stabilité des motifs. L’exégète et le peintre s’arrêtent souvent aux mêmes traits significatifs du texte sacré. C’est à l’image globale de la fête, connue de tous les fidèles, que la poésie du mélode s’efforce de donner mobilité, sens et profondeur. D’autre part, tous ces textes étaient chantés. Le chant était certainement le moteur essentiel de l’élévation spirituelle entraînant l’auditoire de la célébration hymnique à la dramatisation des odes et aux symboles des exhortations ou des mélodies. Malheureusement, une infime partie de la musique nous a été transmise. 1 MH 11 et 12. 2 MH 12, 2008, p. 609-748. 4 Avant-propos Méditer et prier avec saint Grégoire de Narek, c’est explorer les profondeurs les plus secrètes de l’âme arménienne. C’est surtout formuler un acte de foi et d’espérance. C’est pourquoi, au moment où l’on s’apprête à commémorer le centenaire du génocide de 1915, nous souhaiterions offrir cet ouvrage en hommage aux martyrs. Notre respectueuse gratitude s’adresse à S. B. Nersès Bédros XIX, Catholicos Patriarche des Arméniens catholiques et aux évêques du saint synode de l’Église catholique arménienne. Nous devons aussi les plus vifs remerciements à Monseigneur Grégoire Ghabroyan, qui n’a jamais ménagé sa peine, ses conseils et ses encouragements pour que ce livre voie le jour. Introduction Les Églises d’Orient possèdent depuis leur origine un « trésor » auquel l’Église d’Occident a puisé1 Ce qui fait le lustre et la plénitude des fêtes, c’est qu’elles se déroulent aujourd’hui, au moment le plus actuel de notre vie, dont nous ne sentons même pas encore qu’il est en train de passer. Ou plutôt, nous savons bien que les fêtes commémorent un événement passé. Mais nous voulons qu’il soit présent pour nous, comme il le fut pour nos aïeux et le sera pour tous nos descendants2. C’est comme si notre lignée tout entière se concentrait dans notre existence présente et que la permanence des promesses divines nous fît anticiper, ici et maintenant, le bonheur de la vie éternelle. « Aujourd’hui, je t’ai engendré »3, « Tu es prêtre à jamais »4. En rapprochant ces deux Psaumes l’Apôtre5 montre que l’éternité divine peut devenir l’aujourd’hui messianique, qui fait irruption dans la vie des hommes grâce à l’Incarnation du Verbe. La Bonne Nouvelle est salutaire parce qu’elle s’accomplit « aujourd’hui » : « Aujourd’hui un Sauveur vous est né ! » (Lc 2, 11), annoncent les anges aux bergers ; « Aujourd’hui, ce qui est écrit dans ce livre s’est accompli comme vous l’avez entendu » (Lc 4, 21), déclare Jésus en commençant sa vie publique dans la synagogue de Nazareth ; « Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis » (Lc 20, 3), promet-il au larron sur la croix. «Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, ne durcissez pas vos cœurs » (Ps 95, 7 ; He 3, 7. 15). Quel est cet aujourd’hui ? C’est, dit l’Apôtre, « chaque jour, tant qu’il y aura encore un aujourd’hui devant vous » (He 3, 13). La célébration en église des fêtes qui rythment l’année liturgique est le meilleur moyen de franchir le seuil séparant le temps de l’histoire de l’avènement des fins dernières. L’irruption soudaine de l’aujourd’hui du salut, la globalisation et le dépassement du temps de l’histoire caractérisent le Trésor 1 Vatican II, Décret sur l’œcuménisme, § 14, p. 623. 2 On songera, par exemple, à la formule que le père de famille prononce en saisissant le pain azyme, pour commencer la célébration de la Pâque juive: « Voici le pain de misère que je mangeais quand j’étais étranger en Égypte ». 3 Ps 2, 7 ; Ac 13, 33. 4 Ps 110, 4. 5 He 5, 5-6. 6 Introduction des Fêtes6 de Grégoire de Narek. Le premier hymne, sur la Nativité, célèbre « Celui qui est apparu aujourd’hui pour l’allégresse de l’espèce humaine. / Aujourd’hui, dans la grotte, adoré, comblé de présents par les Mages, (…) / Il fut révélé aux bergers »7. Mais ce même aujourd’hui englobe aussi toute la préparation du mystère. C’est pourquoi l’annonce de Gabriel à la Vierge Marie retentit de nouveau dans la crèche : « Réjouis toi, comblée de joie, le Seigneur est avec toi, la plus intacte des femmes : / Aujourd’hui tu devins l’Orient du Soleil de Justice »8. Suivant l’usage ancien de l’Église de Jérusalem, la liturgie arménienne célèbre, le 6 janvier9, Noël, l’Épiphanie et le Baptême du Christ – qui est à la fois immersion dans la mort et résurrection dans la vie éternelle. Tout le mystère du salut s’accomplit au moment où Jésus descend dans le Jourdain. Joyeux message à la Maison d’Adam, C’en est fait, aujourd’hui, de maudire son péché ! Joyeux message aux Patriarches : Ils ont vu maintenant Celui qu’ils désiraient. Joyeux message pour les Prophètes : Car aujourd’hui s’est achevée la Loi (…) Joyeux message à l’univers : Aujourd’hui retentit le Père dans les hauteurs. Joyeux message pour les enfants des hommes : Le Fils vient aujourd’hui pour se faire baptiser10. La profondeur des siècles est abolie. Adam, les Patriarches et les Prophètes sont témoins du baptême. Mais en même temps, les générations à venir sont également convoquées : la voix du Père s’adresse à tous « les enfants des hommes », réunis dans l’ancien Adam et sauvés dans le nouveau. L’aujourd’hui de la fête est donc une porte qui s’ouvre sur l’éternité divine, sur les desseins de la Providence, et qui restera ouverte, comme l’Écriture elle-même, jusqu’à la fin des temps, aussi vaste et aussi constante que la patience de Dieu. 6 Le titre authentique du recueil nous est inconnu. Longtemps on a considéré comme des pièces indépendantes les « Hymnes » (Ganj) et les « Odes » (Tał) de Grégoire mêlés aux œuvres d’autres mélodes dans des Ganjaran ou des Tałaran beaucoup plus tardifs. À présent qu’on les perçoit comme des unités détachées d’un tout, il faut bien essayer de désigner celui-ci par un titre conventionnel. Armenuhi K‘eoškērean (2008) propose Ganjtetr « Cahier des Hymnes », qui a l’inconvénient de ne pas mentionner les Odes. Il nous paraît aussi important d’insister sur la notion de « Trésor », qui exprime d’emblée la tonalité fervente de ces compositions poétiques. 7 Nativité, Hymne, lin 6. 17-19. 8 Nativité, Hymne, lin 26-27. 9 Sur le calendrier liturgique arménien, voir Renoux 1969. 1971 (PO 35, 1. 36, 2) et 1989 (PO 44, 4). 10 Bénédiction des eaux, Ode, lin 21-26. 66-70. Le Trésor des Fêtes 7 I. Le Trésor des Fêtes Élevé au monastère de Narek depuis sa petite enfance, saint Grégoire (vers 945-1002) eut pour premier maître l’abbé Anania, que ses contemporains présentent comme un philosophe, un poète et un mélode accompli. « Tu surpasses tout le monde, lui écrit l’historien Uxtanēs, en matière de chant religieux (…). Ta langue est comme la lyre de l’Esprit Saint, dont il use comme il l’entend »11. La passion musicale de l’abbé était communicative ; elle rejaillissait sur la vie de la communauté. Narek s’emplit de « savants et de chantres mélodieux, pour qu’on se tînt toujours dans la lecture des Saintes Écritures en de magnifiques offices »12. Disciple zélé d’Anania, Grégoire eut sans doute à cœur de participer à ces exercices musicaux. Cependant, ce que nous avons conservé de ses Hymnes et de ses Odes n’est pas l’œuvre d’un débutant. Loin d’imiter les modèles reçus, ces chants liturgiques fondent un genre tout à fait nouveau. On doit donc y voir, non de simples essais, mais le plein épanouissement d’un génie littéraire. L’œuvre de Grégoire a commencé en 977 par le Commentaire du Cantique des cantiques, entrepris sur ordre de Gurgen Arcruni, roi du Vaspurakan (968- 1003). En 983, lorsque l’empereur Basile II offrit au monastère d’Aparank‘ une relique de la vraie Croix13, Grégoire fut à nouveau requis par la famille royale de composer un discours célébrant l’événement, qui eut lieu le Vendredi saint.