Studia Albanica
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
ACADÉMIE DES SCIENCES D’ALBANIE SECTION DES SCIENCES SOCIALES ET ALBANOLOGIQUES STUDIA ALBANICA 2 LIIe Année 2015 STUDIA ALBANICA _______ Conseil de Rédaction : Seit MANSAKU (Rédacteur en chef) Muzafer KORKUTI (Rédacteur en chef adjoint) Arben LESKAJ (Secrétaire scientifique) Francesco ALTIMARI Jorgo BULO Ethem LIKAJ Shaban SINANI Marenglen VERLI Pëllumb XHUFI © 2015, Académie des Sciences d’Albanie ISSN 0585-5047 Académie des Sciences d’Albanie Section des Sciences sociales et albanologiques 7, place Fan S. Noli AL-1000 Tirana STUDIA ALBANICA 2015/2 Marenglen VERLI LE TRAITEMENT DE LA QUESTION ALBANAISE EN YOUGOSLAVIE SUR LE PLAN BALKANIQUE (APRÈS 1945) I. Les origines du problème La question des Albanais de Yougoslavie, respectivement la question du Kosovo, celle des Albanais de Macédoine, du Monténégro et du sud de la République de Serbie après la Seconde Guerre mondiale, fait certainement partie de la question albanaise en général, dont les origines remontent à 1913, avec le morcellement drastique tristement connu des territoires albanais, sans parler de quelques faits antérieurs comme l’occupation, l’annexion et le nettoyage ethnique, à partir de 1878, du sandjak de Niš, vidé de presque toute sa population albanaise1. L’occupation serbe et monténégrine a réservé aux Albanais du Kosovo et des autres territoires en Yougoslavie la même politique qui s’est répétée tout au long des années 1913-19152. Bien que signataire du Traité sur les minorités de la Société des Nations dont elle était membre, la Yougoslavie de Versailles, celle de l’entre-deux-guerres 1918-1941, n’a pas changé d’attitude à l’égard des Albanais. D’ailleurs, cette période a été celle de l’institutionnalisation et de l’aggravation extrême du nettoyage ethnique à travers la violence et la terreur, les expropriations, les expulsions en masse et la colonisation slave des territoires albanais, parallèlement à l’assimilation des Albanais chrétiens qui étaient nombreux non seulement dans des régions compactes comme la Reka de Dibra, mais aussi dans les 1 Historia e Popullit Shqiptar, vol. II, Akademia e Shkencave e Republikës së Shqipërisë, Instituti i Historisë, Tirana, Toena, 2002, pp. 144, 147, 148 ; Sabit Uka, Dëbimi i shqiptarëve nga Sanxhaku i Nishit dhe vendosja e tyre në Kosovë, vol. III, Prishtina, 2004, pp. 38-40 ; etc. 2 Historia e Popullit Shqiptar, vëll. III, Akademia e Shkencave e Republikës së Shqipërisë, Instituti i Historisë, Tirana, Toena, 2007, pp. 424-428 ; Marenglen Verli, Reforma agrare kolonizuese në Kosovë 1918-1941, Bonn/Tirana, Iliria, 1992, pp. 9-21 ; etc. 4 Marenglen Verli régions d’Ohrid, de Prespa, de Monastir3 et ailleurs. Dans ce dernier cas, les actions lancées depuis longtemps à travers les institutions religieuses, les écoles et, finalement, à travers la différenciation sociale et politique opérée entre les Albanais chrétiens et ceux de confession musulmane ont été efficaces et leurs résultats seraient consolidés davantage au cours des décennies suivantes. Il faut souligner que, durant les années 1930, dans la partie méridionale de l’État serbo-croato-slovène, respectivement dans les régions de Vranja, Skopje et Monastir, autrement dit dans la Banovine du Vardar, de mauvais traitements ont été subis non seulement par les Albanais, mais aussi par la population locale slave, à la seule différence que dans son cas la politique officielle de Belgrade visait, d’une part, à la rendre hostile aux Albanais et, de l’autre part, à la serbiser en contrecarrant l’influence de la Bulgarie. Bien entendu, sur les territoires en question il y avait aussi d’autres minorités nationales, des Valaques, des Turcs, etc., à l’égard desquelles a été menée également une politique différenciée, calculée sur la base des conjonctures intérieures et internationales, notamment suivant les rapports avec les pays voisins dans la région, tels que la Grèce ou la Turquie4. La faiblesse de l’État albanais indépendant, dans les années 1920-1930, sa dépendance considérable de l’Italie, ainsi que de la politique des Grandes Puissances, tout d’abord de la France et pendant assez longtemps de la Grande Bretagne, visant à entraver la pénétration italienne dans les Balkans, ont été des facteurs déterminants de la violence extrême exercée par Belgrade sur la population albanaise5. Les chiffres des conséquences de cette politique sont assez éloquents. Dans l’espace de deux décennies, environ 300 000 Albanais ont été expulsés de Yougoslavie, en grande partie du Kosovo et des régions albanaises orientales6. Dans les régions 3 Ibid. ; Shqiptarët e Maqedonisë, Shkup, Meshihati i BI në RM, 1994, pp. 97, 127, 133, 145, 315 ; Tahir Abdyli, Hasan Prishtina në lëvizjen kombëtare e demokratike shqiptare 1908-1933, Prishtina, Rilindja, 1990, p. 338. 4 Noel Malcolm, Kosova një histori e shkurtër, Prishtina, Koha, 1998, pp. 290-300 ; Aleksandar Apostolov, Kolonizacijata na Makedonia vo stara Jugoslavija, Skopje, Kultura, 1966, p. 151 ; T. Abdyli, op. cit., pp. 229-231, 244, 248, 361 ; Historia e Popullit Maqedonas, Shkup, Flaka e vëllazërimit, 1983, pp. 202, 209-216, 221-227, 243 ; etc. 5 T. Abdyli, op. cit., pp. 259, 322, etc. ; M. Verli, op. cit., pp. 181-183 ; etc. 6 Zamir Shtylla, “Aspekte të politikës së shpërnguljes me dhunë të shqiptarëve nga Kosova në vitet 1936-1941”, in Studime historike, n° 3, Tirana, 1990 ; voir aussi Dëbimet e shqiptarëve dhe kolonizimi i Kosovës (1977-1995), Prishtina, OIK, 1997 ; etc. Le traitement de la question albanaise en Yougoslavie… 5 centrales et les périphéries orientales et méridionales de la Banovine du Vardar, la population albanaise a été effacée ou réduite au minimum à travers les expulsions et l’assimilation. À certains endroits comme à Monastir, Prilep, Skopje, dans la zone de Prespa et ailleurs, les rapports ethniques de la population ont été renversés de manière drastique au détriment de la population albanaise. Parallèlement, la discorde a été semée et nourrie entre Albanais et Slaves locaux. Ces derniers n’étaient attaqués que s’ils avaient des préférences pour la Bulgarie ou s’ils participaient au mouvement probulgare des Comitadjis, qui était assez actif dans les années 19207. La Seconde Guerre mondiale a créé de nouvelles situations dans la région et, en particulier, sur les territoires albanais en dehors des frontières politiques de l’Albanie de 1913. La plupart du Kosovo actuel et une partie considérable des territoires albanais de l’Est, qui se situent aujourd’hui dans la partie ouest et nord-ouest de la République de Macédoine, ont été annexés après 1941 par l’Italie et ont été rattachés à l’État albanais incorporé depuis avril 1939 dans l’Empire italien. Bien que sous occupation, la période en question a été perçue comme une libération par la majorité de la population albanaise qui s’est vue restituer les propriétés enlevées par expropriation ou confiscation dans les années 1913-1941 et autoriser à avoir une administration et une éducation albanaises, un marché unifié, le droit à se servir des symboles nationaux, etc.8. Or, force est de souligner que, même si l’Italie et la Bulgarie étaient des pays alliés durant la Seconde Guerre mondiale, dans la zone bulgare il y avait des différences quant au traitement réservé respectivement aux populations slave et albanaise, et cela au détriment de cette dernière9. Il y avait une ressemblance évidente avec la situation durant les années 1916-1918 de la Première Guerre mondiale. 7 Shqiptarët e Maqedonisë …, pp. 361, 389, 399 ; Historia e Popullit Maqedonas…, pp. 212-223 ; N. Malcolm, op. cit., pp. 275-300 ; Marenglen Verli, Kosova - sfida shqiptare në historinë e një shekulli, Tirana, BOTIMPEX, 2007, pp. 111, 159, 175, 199 ; T. J. Poreçki, Istina o Makedoniji kroz dokumentaciju, Beograd, 1922, p. 97 ; Reshat Nexhipi, Shtypja dhe rezistenca shqiptare në Maqedoni nëpër shekuj, Manastir, 1996, p. 321 ; etc. 8 Ibid. ; voir aussi Historia e Popullit Shqiptar, vol. IV, Akademia e Shkencave e Republikës së Shqipërisë, Tirana, Toena, 2009, pp. 129-149 ; Lefter Nasi, Ripushtimi i Kosovës (shtator 1944-korrik 1945), Tirana, Shtypshkronja “Tirana”, 1994 ; Muhamet Shatri, Kosova në Luftën e Dytë Botërore, Prishtina, 1997 ; Muhamet Pirraku, Ripushtimi i Kosovës 1945, Prishtina, Dielli, 1992 ; etc. 9 Historia e Popullit Shqiptar..., vol. IV, pp. 129-148 ; Shqiptarët e Maqedonisë..., p. 399 ; etc. 6 Marenglen Verli Cependant, les grands alliés du bloc antifasciste, les États- Unis, l’URSS et la Grande Bretagne, n’ont pas reconnu les modifications de frontières effectuées par les pays de l’Axe et ont permis au PC Yougoslave conduit par Tito de prendre le contrôle du mouvement communiste et de la résistance antifasciste sur l’ensemble du territoire de l’ancien Royaume de Yougoslavie, de déjouer l’influence du PC Bulgare sur les contrées méridionales, d’écarter des postes dirigeants tous ceux qui étaient suspectés d’appartenir à cette tendance et d’attirer au rôle d’apprenti sorcier le PC Albanais avec les forces armées antifascistes que ce dernier contrôlait, même au-delà des frontières de 1913. C’est d’ailleurs pour cette raison que les contrées albanaises et, en général, toutes les régions de la rive droite du Vardar sont devenues le foyer principal de la résistance antifasciste10. II. Le traitement de la question albanaise en Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale Après la guerre et tout au long de la période entre 1945 et 1990, les Slaves de l’ex-Banovine du Vardar ont bénéficié pour la première fois d’une entité étatique propre à eux, la République de Macédoine dans le cadre de la RSF de Yougoslavie. La population appelée jadis bulgare et petit à petit macédonienne, grâce aussi à un mouvement qui s’était développée à l’émigration et qui avait lancée cette idée depuis longtemps, peut-être depuis 1903, a été reconnue comme seule nation constitutive de la république et a pris la direction de l’administration, de l’économie, de l’éducation et de tout autre secteur public11.