Boris Becker: et à la fin, qui paie l’addition?

Le magazine de l’entreprise Décembre 2017

«izzy» cherche Anina Ce qui se passe dans la dernière start-up de Ringier

Le Temps: la meilleure rédaction Gaël Hurlimann, numérique du monde rédacteur en chef digital du Temps et responsable de la Digital Factory, bichonne le Online Journalism Award qui récompense une stratégie efficace. Au sommet SOMMAIRE

4 C’est ainsi qu’on nous lit Les résultats du grand sondage lecteurs DOMO. Beaucoup d’éloges mais aussi quelques critiques. 6 «Le début d’un âge d’or» La rédaction numérique du «Temps» 18 accumule les distinctions. Les grands formats produits à font fureur. Reportage d’Alain Jeannet. 14 Changement de perspective Natasha Varisco et Vanessa Vodermayer, deux apprenties chez Ringier, racontent leur vie quotidienne dans l’univers numérique. 8% 16 Point de vue Ringier Les meilleures photos de presse du trimestre. 18 «A la recherche d’Anina» Izzy est le nom du nouveau magazine Ringier sur les réseaux sociaux. Il entend séduire les jeunes femmes avec des contenus aussi intelligents que 76% divertissants. 24 «Créer un mouvement» Noizz a débuté sa carrière il y a deux ans en Pologne. Désormais ce site destiné aux «millennials» est présent dans six pays. Le patron de Noizz, Pawel Pawelec, 2% évoque les recettes du succès et ses nouveaux objectifs. 26 «Boris, tu me dois encore de 24 l’argent!» 4 Le journaliste de DOMO René Haenig a appris quelque chose au fil de ses rencontres avec la légende du tennis Boris Becker: à la fin, c’est toujours lui qui règle l’addition. 28 Sommeil de la raison Notre édition L’éditeur Michael Ringier explique e-magazine comment le totalitarisme fait aussi son chemin parmi les professionnels de la culture. 29 My Week – Julie Body Elle ne prend congé que pour travailler Boris Becker: et à la fin, qui paie l’addition? dans sa galerie d’art.

Le magazine de l’entreprise 30 Diplomate et imprimeur Decembre 2017 Anniversaire: Michael Passen Suggestions de lecture de Marc Walder

«izzy» cherche Anina Ce qui se passe dans la dernière start-up de Ringier Photo de couverture: Lea Kloos

Le Temps: la meilleure rédaction numérique du monde Impressum Au sommet Editeur: Ringier AG, Corporate Communications. Direction: René Beutner, CCO, Dufourstrasse 23, 8008 Zürich. Contact: domo@ ringier.ch Rédacteur en chef: Alejandro Velert Collaborateurs: Ulli Glantz und Markus Senn (réalisation visuelle), Vinzenz Greiner, René Haenig, Alain Jeannet, Natasha Varisco, Vanessa Vodermayer Traduction: Gian Pozzy (français), Claudia Bodmer (engalis), Ioana Chivoiu, (roumain), Lin Chao/Yuan Pei Translation (chinois). Relecture: Regula Osman, Kurt Schuiki, Peter Hofer (allemand), Patrick Morier-Genoud (français), Claudia Bodmer (anglais), Mihaela Stănculescu, Lucia Gruescu (roumain). Layout/Production: Zuni Halpern (Suisse), Jinrong Zheng (Chine). Service image: Ringier Redaktions-Services Zürich. Impression: Ringier Print Ostrava und 6 26 SNP Leefung Printers. Nachdruck (auch auszugsweise) nur mit Einverständnis der Redaktion. Tirage: 10 000 exemplaires. DOMO paraît en allemand, en français, en anglais, en roumain et en chinois. Photos: Wojciech Grzedzinski, Valeriano Di Domenico, Eddy Mottaz, Kate Martin/Contour by Getty Images DOMO – Décembre 2017 | 3 QUE LISEZ-VOUS DANS DOMO? 1% Je ne lis qu’un ou deux Je lis DOMO rarement ou pas du tout 8% SONDAGE articles par édition 14% Je le lis du début à la fin

Je lis la plupart des 21% articles Je feuillette le magazine et 56% lis les articles qui m’intéressent C’est ainsi 247 LECTRICES ET LECTEURS ONT PARTICIPÉ AU SONDAGE!

OÙ LISEZ-VOUS DOMO? A la maison 63% DANS QUEL FORMAT qu’on nous lit Au bureau 29% DOMO LISEZ-VOUS DOMO? Sur le chemin pour le travail 8% Version imprimée iPad via app Notre sondage lecteurs l’indique: DOMO est très apprécié. 98% 2% Même s’il reste une marge d’amélioration. 63% 8%

Quelle impression d’ensemble avez-vous de DOMO sur une échelle Comment jugez-vous le d’«extrêmement satisfait» à «extrêmement insatisfait»? mélange entre sujets internes et externes à Ringier dans DOMO?

Chères lectrices, chers lecteurs, Parfait 36%

Dans la dernière édition de DOMO, nous vous avons demandé de participer à notre Entre «plutôt satis- Ni satisfait ni Entre «plutôt insatis- Je préfère plus de sujets fait» et «extrême- insatisfait fait» et «extrêmement internes 46% sondage lecteurs: 247 personnes l’ont fait, ce qui nous réjouit grandement. Beaucoup ment satisfait» insatisfait» de participants ont aussi utilisé la fonction «commentaires» et ont fait part de leurs 9% Je préfère plus de sujets propositions d’amélioration. Sur ce point aussi, grand merci à tous. 76% 15% externes 18% Alors que certains résultats sont diversement interprétables, d’autres s’avèrent extrême- LES RUBRIQUES LES PLUS ment nets. Le résultat le plus évident concerne la forme dans laquelle DOMO est lu: APPRÉCIÉES DE DOMO vous êtes 98% à préférer le produit imprimé. L’impression générale produite par le DOMO paraît quatre fois par magazine est très réjouissante: à 76%, vous êtes plutôt ou extrêmement satisfaits. Le fait an. Que pensez-vous de 1RE PLACE: que 63% du lectorat lise DOMO à la maison nous réjouit particulièrement. Nous en cette fréquence? La chronique de l’éditeur Michael Ringier concluons que notre magazine suscite un véritable intérêt et qu’il n’est pas lu unique- C'est trop 11% ment parce qu’il traîne à la cafétéria. C'est parfait 59% 2E PLACE: Les photos du trimestre La question du mélange de sujets entre thématiques internes et externes à Ringier est Ce n'est pas assez 30% jugée d’un œil un peu plus critique, comme l’indiquent notamment les commentaires: 3E PLACE: Inhouse (nouveautés dans 36% des participants au sondage trouvent le mélange parfait mais une majorité souhai- terait que DOMO se consacre de nouveau davantage à des sujets internes, sous la forme les produits et les services) d’articles traitant des projets stratégiques et des changements dans l’entreprise. Quels sujets internes souhaitez-vous voir Quels sujets externes souhaitez-vous voir Dans ce numéro, nous répondons à 100% à ce souhait, puisque nous traitons exclusi- davantage dans DOMO? d’avantage dans DOMO? vement de sujets internes. Reste qu’il ne faut pas négliger le fait qu’un coup d’œil au-delà des limites de l’entreprise et du pays aide à comprendre les énormes changements que PLUS BIEN MOINS PLUS BIEN MOINS la globalisation implique pour l’entreprise et pour chacun d’entre nous. Articles sur les projets stratégiques Reportages et articles sur le monde et les changements dans l’entreprise des médias en Suisse et à l’étranger Quoi qu’il en soit, nous vous souhaitons beaucoup de plaisir à la lecture de cette édition de DOMO! 67% 26% 7% 55% 35% 10% Articles sur les unités d’entreprise Ringier Portraits de personnalités Alejandro Velert, rédacteur en chef DOMO 45% 45% 10% 33% 46% 21% Articles sur des collaborateurs Interviews de personnalités (dans le cadre du travail) 33% 52% 15% 55% 40% 5% Evolutions et tendances en matière Articles sur des collaborateurs de journalisme (durant leur temps libre) 57% 32% 11% DOMO – Décembre 2017 34% 49% 17% 4 | Evolutions et tendances dans la numérisation 66% 26% 8% COVER

L’équipe digitale du Temps au grand complet.

Le Temps bien armé pour la transition digitale Le 7 octobre dernier, le quotidien romand basé à Lausanne recevait un Online Journalism Award à Washington. Un prix qui vient récompenser une stratégie efficace, menée avec conviction et professionnalisme. Texte: Alain Jeannet Photos: Lea Kloos, Eddy Mottaz 6 | DOMO – Décembre 2017 COVER

ù est Le Temps?» lance Joshua Le rédacteur en O Johnson. Ce 7 octobre, à Was- chef digital, Gaël hington, le maître de cérémonie Hurlimann (à s’étonne de ne voir aucun représen- droite), et son tant du quotidien suisse monter sur adjoint, Jean scène pour toucher ce que l’on peut Abbiateci (au assimiler à un Oscar dans le monde centre), ont su de l’édition: le Online Journalism motiver l’en- Award dans la catégorie General Ex- semble de la cellence, remis par l’organisation rédaction de la américaine Online News Association. newsroom du En Suisse, les membres de la rédac- Temps à adopter tion qui se sont réveillés au milieu de une approche la nuit pour suivre la soirée sur Inter- «web first» net exultent. Rédacteur en chef digi- conséquente. tal, Gaël Hurlimann ne croyait pas avoir le début d’une chance, malgré un dossier solide, face à l’un des autres finalistes, le prestigieux site ProPublica. Il avait ainsi décidé de ne pas faire le voyage aux Etats-Unis. Il s’est trompé dans son pronostic. Vu le résultat final, tant mieux! Quelques jours plus tard, la rédac- tion organise un apéritif festif pour célébrer ce succès. Il fait encore chaud sur la terrasse de la newsroom du pont Bessières 3, et les rires fusent. Cette récompense, la deuxième de l’année, couronne une stratégie digitale qui commence à porter de beaux fruits. Elle arrive aussi comme un encoura- gement pour une équipe qui a vécu des moments douloureux avec la disparition, fin janvier, de L’Hebdo et la suppression de 37 postes. «Ce prix nous fait un bien fou, souligne Sté- phane Benoit-Godet, le rédacteur en chef de la version papier du Temps. Elle redonne goût au métier, elle est la preuve que le numérique est por- teur d’avenir. Voilà bien le paradoxe: alors que la situation économique des médias n’a jamais été aussi difficile, nous disposons avec le web de nou- veaux outils qui nous permettent de faire des choses impensables Une distinction jusqu’ici. Nous sommes à l’aube d’un prestigieuse nouvel âge d’or du journalisme.» Ce n’est pas Gaël Hurlimann qui le Créés en mai 2000, les Online Journa- contredira. Agé de 43 ans, le rédacteur lism Awards récompensent la qualité du en chef digital a fait ses débuts numé- journalisme en ligne dans le monde riques au Département des affaires Rédacteur en chef s’est aussi traduite par un triplement en appui aux journalistes pour les années.» Et son adjoint Jean Abbiate- entier. Cette année encore, des centaines étrangères à la fin des années 90 avant print du Temps, de l’audience depuis l’arrivée de la aider à réaliser leurs sujets quand ci d’ajouter: «Nous n’avons pas com- de médias s’étaient portés candidats. de rejoindre Le Temps comme web- Stéphane nouvelle équipe il y a bientôt trois ceux-ci reposent, par exemple, sur mis l’erreur de dire: le web, c’est pour Tous les projets présentés ont été master. Passé ensuite par la RTS et le Benoit-Godet est, ans: letemps.ch enregistrait 306 000 des éléments de vidéo ou des infogra- les jeunes.» L’ambition de l’équipe examinés par quelque 120 spécialistes CICR, il défend une vision agnostique en matière de visiteurs uniques en décembre 2014, phies animées. dirigeante reste au final de garantir puis par un jury d’experts. Au final, Le de ce média. Agnostique? La qualité stratégie digitale, contre 1 128 000 en septembre 2017. Ces mêmes journalistes nour- sur le web la qualité journalistique qui Temps s’est vu attribuer la prestigieuse du journalisme ne dépend pas, selon sur la même Le modèle peut-il être répliqué rissent à la fois le web et le journal a fondé la réputation du Temps. Et distinction General Excellence in Online lui, du canal utilisé mais bien de la longueur d’onde dans d’autres titres? Gaël Hurlimann papier. «Il a bien sûr fallu convaincre pour ce faire, il est difficile de ne pas Journalism dans la catégorie des capacité à choisir les outils adaptés que son collègue laisse la question ouverte mais es- les journalistes classiques de faire le impliquer les rédacteurs les plus ex- newsrooms de taille moyenne, lors d’une pour traiter les sujets au mieux. Ce Gaël Hurlimann. quisse ce qui fait la recette du Temps. pas, explique-t-il. Nous aurions peut- périmentés. cérémonie orchestrée à Washington par terme, presque un mot fétiche désor- D’abord, il n’a jamais été question de être avancé plus vite si nous avions eu Le cheminement n’a toutefois pas l’une des vedettes de la télévision mais, implique la désacralisation du monter une immense rédaction nu- deux équipes séparées. Mais nous été toujours aisé. Et il a fallu prouver américaine, Joshua Johnson (photos papier. Et une logique «web first» ré- mérique en parallèle à celle du print. nous serions privés des immenses par des exemples les avantages du ci-dessous). Les autres finalistes sont le compensée, justement, par cet Online Aujourd’hui, l’équipe digitale, une compétences de journalistes qui tra- web, les vertus de nouveaux modes site ProPublica et le San Antonio Journalism Award. Cette stratégie douzaine de personnes en tout, vient vaillent leurs domaines depuis des de narration. Les étapes mar- „ Express-News.

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De nouveaux modes de narration

C’est notamment parce qu’elle a développé des tion» de Sylvain Besson et César Greppin; un encore l’épopée technologique de l’un des formats multimédias et une boîte à outils pour les reportage sur la passion des Chinois pour le ski voiliers de la course du Bol d’Or, racontée grâce à produire que la newsroom du Temps a été avec l’utilisation d’un drone pour la prise d’images une vidéo 360°. récompensée. Une production journalistique qui spectaculaires; un reportage à Mossoul titré «La mêle texte, vidéo, photographie, infographie sanglante agonie de l’Etat islamique», tourné Le «Grand Format» du «Temps» et plus animée, bande dessinée… Quelques exemples: le avec une caméra GoPro; le magnifique travail du d'informations sur: https://www.letemps. fameux «Fioul lourd, le sang impur de la globalisa- photographe Niels Ackermann en Ukraine; ou ch/images/interactif

Primé: «Fioul lourd, le sang impur de la globalisa- Des photos spectaculaires: «Quand la Chine skiera». Emouvant et déprimant. Le reportage photo de Nils tion». Ackermann à Tchernobyl: «Les enfants de Tchernobyl ont grandi».

disposition reste pour l’heure une vue tante, voire un brin arrogante du Sylvain Besson, de l’esprit. Vanessa Lam et ses deux Temps. «Les réseaux sociaux sont un rédacteur en chef collègues s’occupent aussi de plus en excellent moyen de nourrir nos adjoint print du plus souvent des Facebook Live orga- échanges avec nos lecteurs.» A condi- Temps, et César nisés dans la rédaction. En une se- tion d’en faire un usage conforme à Greppin, graphiste Reportage sur le front: «A Mossoul, la sanglante Splendide. Reportage sur la régate du Bol d’Or: «Le Des images évocatrices: «2001-2016: la guerre maine, Le Temps aura ainsi reçu un l’ADN du Temps. web, ont travaillé agonie de l’Etat islamique». Bol d’Or, une épopée technologique». perdue contre la terreur».. politologue pour une causerie sur L’un des «community managers», ensemble sur un l’avenir de l’Europe et les sœurs Ber- le Français Cédric Garrofé, a travaillé long format thollet, deux jeunes musiciennes plusieurs années pour récompensé cette classiques, virtuoses du violon et du France. Pas question toutefois d’ap- année par un Swiss Press Online Award et primé aux quantes? En 2015, cette infogra- dirais même qu’en l’occurrence ce trois vidéastes, elle est la plus an- European phie explicative animée sur le géno- support, avec les nouveaux outils cienne puisqu’elle est arrivée au Newspaper cide arménien, un thème austère s’il qu’il offre, se révèle supérieur au pa- Temps il y a près de six ans. Long- «Les médias numériques sont supérieurs Awards. en est, mais qui a fait la meilleure pier pour exposer et décortiquer une temps marginalisée, elle trône avec audience de l’année, loin devant les matière assez complexe», explique le ses collègues au centre de la news- au papier lorsqu’il s’agit de représenter des Gaël Hurlimann et premiers articles classiques. journaliste. Oublié, donc, le travail de room au sein de ce qui s’appelle dé- Jean Abbiateci Sylvain Besson, journaliste Plus récemment, un long format l’enquêteur qui œuvre en solitaire. sormais la Digital Factory. L’abandon sujets complexes.» explorent les sur le fioul lourd titré «Le sang impur Une telle entreprise implique un tra- du système rédactionnel Méthode possibilités d’un de la globalisation» a décroché un vail collectif «multimétier» et un ap- («une usine à gaz» ) a été la première stéréographe, internautes à revenir sur le site, à Swiss Press Online Award et, il y a pétit pour l’innovation: «Il faut dire étape d’une véritable libération. Dé- l’ancêtre du casque s’inscrire aux nombreuses newslet- peu, six prix lors des prestigieux Eu- que notre rédaction en chef nous sormais, elle part régulièrement sur violoncelle, qui auront attiré dans la pliquer au Temps les méthodes du de réalité virtuelle ters proposées par Le Temps. Bref, de ropean Newspaper Awards. La preuve laisse une grande liberté pour bi- le terrain en tandem avec ses collè- newsroom plus de 130 spectateurs et quotidien gratuit et de jouer sur des (en haut à droite). les fidéliser et d’en faire des abonnés. qu'Internet ne rime pas forcément douiller et faire des expériences», gues journalistes, s’occupe du mon- rencontré un franc succès sur le ré- photos de petits chats pour faire ex- Mais si Le Temps a obtenu ce fa- avec superficialité, futilité, brièveté explique César Greppin, qui cite avec tage, amène des idées de sujets. Même seau social. poser l’audience. «Nous devons rester La grande séance meux Online Journalism Award, ce de l’information. Fruit d’une collabo- fierté d’autres réalisations comme un si la majorité des journalistes de la Longtemps, la direction du Temps hyperqualitatifs, quitte à être à de rédaction du n’est pas seulement parce qu’il a dé- ration entre Sylvain Besson, rédac- long format sur l’explosion du ski en newsroom ont été formés à la prise a été prudente avec Facebook. Au- contre-courant.» La consigne donnée lundi matin avec veloppé de nouveaux modes de nar- teur en chef adjoint de l’édition papier Chine ou une exploitation novatrice d’images sur iPhone, quand il s’agit jourd’hui, avec ses 180 000 «amis», le par le rédacteur en chef digital, Gaël Zurich et Berne en ration et qu’il s’est rapproché de ses et enquêteur, et César Greppin, gra- du très beau travail du photographe de faire de la vidéo de qualité, ce sont journal l’utilise à fond. «C’est simple, Hurlimann, est claire: l’objectif n’est visioconférence (en lecteurs grâce à une stratégie sociale phiste web, cette réalisation dé- Niels Ackermann sur les enfants de les pros que l’on mobilise. nous devons nous adapter aux habi- pas de multiplier les pages vues, mais bas à droite). exemplaire. La newsroom est aussi montre qu’il y a un immense potentiel Tchernobyl. La formation de journalistes géné- tudes des gens», résume Jean Abbia- bien plutôt d’augmenter le nombre de devenue une sorte de laboratoire où sur le web pour le journalisme d’en- «C’est clair, nous avons changé de ralistes qui sauraient parfaitement teci. Une manière aussi de rompre visiteurs uniques, le temps de lecture l’on développe de nouveaux outils, quête et d’approfondissement. «Je planète», ajoute Vanessa Lam. Des utiliser tous les outils multimédias à avec cette image perçue comme dis- des articles. Avec le but d’inciter les comme Zombie. Financé à hau- „

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teur de 50 000 dollars par la Digital plus large mais aussi une plus grande Venu de 20 et son organisation du temps lors- News Initiative, ce programme per- durabilité. Loin de l’idée que sur les Minutes France, qu’il s’agit tout à la fois d’écrire, de met d’aller chercher dans les archives plateformes digitales, seuls comptent Cédric Garrofé est penser vidéo ou photo, de tweeter, de des articles déjà publiés en résonance la réactivité et les contenus «snac- le véritable artisan partager sur Facebook.» De taille avec l’actualité. Des sujets intempo- kable», consommés en quelques se- du décollage du relativement modeste, sa newsroom rels, des «evergreen» comme on les condes. Temps sur les offre en comparaison avec des struc- réseaux sociaux tures plus lourdes l’avantage de (ci-dessus). l’agilité et d’une certaine autonomie. C’est sans doute l’une des raisons de «Je ne souhaite franchement pas que le Avec Vanessa son succès. Lam, Xavier Filliez Reste à monétiser les nouveaux papier disparaisse. Mais nous devons et Guillaume Carel contenus et à réussir le pari écono- (photo de droite), mique d’un quotidien de plus en plus d’ores et déjà faire comme si cela allait se les titres de numérique. La mise sur pied d’une Ringier Axel Digital Factory capable de produire produire» Gaël Hurlimann, rédacteur en chef numérique Springer Suisse de la vidéo pour l’éditorial comme romande peuvent pour le commercial constitue une désormais partie de la réponse. Mais, à terme, compter sur une ce sont des changements encore plus appelle, qui font presque systémati- «Nous vivons une période fasci- équipe vidéo de radicaux qui s’annoncent. «Je suis quement des scores d’audience re- nante et riche de nouvelles perspec- choc. convaincu que dans quatre ou cinq cord. Ainsi cet article qui démontre tives. Le web nous permet de mieux ans nous ne sortirons plus d’édition comment seuls cinq versets du Coran interagir avec nos lecteurs, de corri- print la semaine, conclut Gaël Hurli- appellent à la violence. Ou ce repor- ger très rapidement d’éventuelles mann. En revanche, l’édition du tage acide de 2012 sur les hôtesses erreurs, de nous rapprocher des gens, week-end misera à fond sur les atouts engagées par les marques pour appâ- résume Anouch Seydtaghia, qui suit encore bien réels de ce support.» Une ter le client au Salon de l’auto de Ge- depuis plusieurs années les techno- provocation? «Je ne la souhaite pas, nève. La plupart des journalistes ont logies de l’information pour Le cette disparition du papier. Mais il compris qu’Internet peut offrir à leur Temps. Avec pour corollaire de de- faut tout faire comme si elle devait sujet non seulement une audience voir repenser sa manière de travailler avoir lieu.» 

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Changement de perspective Acheter, s’enregistrer, payer. Tout se fait numériquement. Mais il arrive que même des jeunes s’interrogent sur l’univers numérique. Deux apprenties Ringier livrent les réflexions que leur inspirent Facebook, le FOMO et le #badhairday. Texte des apprenties Natasha Varisco et Vanessa Vodermayer (toutes deux en 3e année)

’est nous: la génération qui arpente bénéficions de l’âge numérique. De ceurs, peut être décourageante, le plus passionnant ragot ou la soirée riques et l’alcool, nous constatons des «Pourrions-nous l’on ne peut pas subsister comme titre Cla ville avec la tête penchée en ces activités qui nécessitaient na- quand bien même elle a l’air géniale la plus cool. Et s’il arrive que la batte- parallélismes. Tous les deux assou- écrire un texte print si l’on ne se présente que sous la avant; la génération qui laisse refroi- guère plus d’efforts et de patience, au premier abord. rie soit presque vide, nous piquons un vissent d’une certaine façon nos be- pour DOMO?», ont forme imprimée. Il faut voir le chan- dir le repas de midi parce que la photo nous ne connaissons aujourd’hui, Nous nageons dans une mer où sprint jusqu’à la prochaine station de soins. Mais il convient de ne pas exa- demandé Natasha gement comme une opportunité: on idéale n’est pas encore «mûre pour grâce aux technologies les plus ré- chacun semble toujours plus beau, recharge. A notre âge, on est livrées au gérer, ni avec l’un ni avec l’autre. Le Varisco (à g.) et ne remplace pas le titre imprimé par Instagram»; la génération qui rem- centes, que la version simple, facile. plus parfait et où notre propre ego FOMO (Fear Of Missing Out) et à ses juste équilibre est essentiel. Nous n’en Vanessa des sites internet, des médias sociaux place les enseignants de soutien sco- Nous faisons nos paiements en menace de faire naufrage. Tandis que effets. Le fait que le monde virtuel sortons pas indemnes car la numéri- Vodermayer lors et des applications, on le rend encore laire par des sites internet, les guides ligne, en quelques clics nous effec- les uns ressemblent déjà à des su- influence pareillement notre monde sation a tellement progressé qu’elle du camp des plus convoité. La possibilité qu’a un de voyage par des pages Facebook, les tuons aussi le check-in pour le vol du per-modèles avant de s’être brossé les réel est déjà passablement absurde, détermine déjà notre quotidien et apprentis Ringier. titre de se réinventer et celle qu’a un agendas par des applis et les cours de lendemain. Grâce à Spotify, nous ne dents, les autres ont une coupe de mais c’est la réalité de notre généra- notre vie professionnelle. Bien sûr qu’elles collaborateur de s’épanouir dans la cuisine par des vidéos. Depuis la nais- nous précipitons pas chez le disquaire cheveux impeccable même si c’est un tion. C’est pourquoi le souhait de re- Une entreprise qui rechignerait peuvent! Ce texte créativité sont plus grandes que ja- sance de YouTube, nous baignons en le plus proche pour écouter le dernier #badhairday. Tout en étant prendre en main la vieille épave Nokia aujourd’hui au changement et refuse- est le résultat de mais! plein dedans. Nous sommes l’avenir tube de notre idole et Zalando nous conscientes que sur Twitter, Face- se fait parfois sentir. Mais la tentation rait la mutation vers le numérique leur démarche. Nous nous réjouissons de voir – et l’avenir est numérique. permet une expérience de shopping book, Instagram & Cie, chacun ne se d’empoigner la petite boîte grâce à aurait, au fond, opté pour sa propre comment cette entreprise de médias Même si les anciens aiment à nous sans qu’il nous faille mettre les pieds montre que sous son meilleur profil, laquelle nous pouvons faire tant de disparition. évoluera ces prochaines années et rappeler comment c’était avant: «On dans un magasin. nous plaçons notre propre barre de choses reste trop grande. Ringier en est consciente et s’im- espérons de tout cœur que la maison s’écrivait encore des lettres.» «Il y a Certes, nous sommes très favo- plus en plus haut: si les autres peuvent Le défi consistant à mettre de la plique dans le changement – et c’est Ringier maintiendra le cap avec ar- trente ans, nous allions au concert rables à l’évolution numérique mais être comme ça, nous devrions aussi y distance, dans certaines situations, bien ainsi! En tant que «djeun’s» dans deur, motivation, passion et sans tout filmer.» «La jeunesse d’au- nous sommes aussi confrontées à ses parvenir, n’est-ce pas? avec le smartphone et l’univers numé- l’entreprise, nous percevons parfois confiance. Car même nous, la généra- jourd’hui est droguée au smart- aspects négatifs. L’infinie palette de Nous éprouvons la pression de rique nécessite de l’exercice et de la chez des collaborateurs une certaine tion qui arpente la ville la tête pen- phone.» sources d’inspiration, relayées sur- devoir être sans cesse connectées afin discipline. Si nous comparons la crainte, un certain respect face à l’ère chée en avant, ne pourrions jamais

C’est vrai. Et à bien des égards nous tout par les blogueurs et les influen- de ne pas louper la dernière tendance, Photo: Geri Born consommation de médias numé- nouvelle. Il est pourtant évident que nous passer entièrement du print! 

14 | DOMO – Décembre 2017 DOMO – Décembre 2017 | 15 Dans cette rubrique, DOMO présente régulièrement les meilleures photos du trimestre. EN POINT DE MIRE Vous pouvez trouver encore plus d’images du trimestre sur notre page Facebook DomoRingier.

Les photos Ringier du trimestre Des images et leur genèse: un skieur de fond sur le grand huit, une photo de groupe monstre, un selfie sans rire et une goutte d’eau sur le carton bouillant.

SI SPORT L’ILLUSTRÉ SCHWEIZER ILLUSTRIERTE CHRISTOPH KÖSTLIN PHOTOGRAPHE ROLF NEESER Photographe DOMINIC NAHR Photographe ULLI GLANTZ Rédaction image JULIE BODY Rédaction image NICOLE SPIESS Rédaction image Les sportifs de pointe En 2019, les citoyens Sans un peu de chance, doivent atteindre leurs pourvus du droit de vote se l’histoire du Dr Beppe ne limites. Et parfois les prononceront sur serait sans doute jamais franchir. C’est ce qu’a fait le l’interdiction de la burqa. sortie du val Onsernone, au skieur de fond suisse Jonas Or, en Suisse, il faut chercher longtemps avant Tessin. Le printemps dernier, le reporter Baumann. Jusqu’à ce qu’il de tomber sur quelqu’un qui en porte une. photographe et photographe de guerre souffre d’une dépression Hormis dans de hauts lieux du tourisme, du Dominic Nahr se rend en Suisse au mariage liée à l’épuisement et ne genre d’Interlaken. C’est là que s’est rendu d’un ami rencontré à Hongkong. Au fil des considère plus sa vie qu’avec indifférence. Rolf Neeser afin de réaliser un reportage festivités, il bavarde avec le père de la mariée, Jusqu’à ce qu’il se relève. Le photographe photo sur la burqa pour L’Illustré. Car dans Giuseppe Savary. Ce dernier est l’unique Christoph Köstlin a eu une idée très person- l’Oberland, les touristes des pays arabes médecin du très isolé val Onsernone. Les nelle pour illustrer le chemin de croix de laissent de si somptueux chiffres d’affaires que habitants l’appellent Dr Beppe. Inlassable- Baumann pour SI Sport. «J’avais vu sur la même les politiciens conservateurs sont ment, il parcourt la vallée en tous sens pour Toile, chez des photographes amateurs, opposés à une interdiction de la burqa. «J’ai une toux, un cancer, des douleurs cardiaques, quelques exemples de cet «effet Inception» et été chanceux: j’ai rencontré ces deux femmes un accident de la route. Au Tessin, personne j’ai trouvé que cela convenait très bien.» Mais qui faisaient justement un selfie. Ce n’est pas n’a signé autant de certificats de décès que lui. cela a exigé du boulot. «Baumann n’a dû poser posé.» Une occasion en or non seulement Pour la Schweizer Illustrierte, Dominic Nahr qu’une fois. Ensuite, j’ai photographié le pour Neeser mais aussi pour la touriste: sur sa l’a accompagné toute une journée. «C’était paysage à plusieurs altitudes et sous divers photo figurent l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau, impressionnant. Dr Beppe roule à tombeau angles d’inclinaison à l’aide d’un drone.» Mais ainsi qu’une autochtone en costume ouvert, je ne faisais que de lui courir après. l’essentiel du travail a été réalisé sur traditionnel bernois. Et le photographe a Mais quand la vie d’un patient est en jeu, le l’ordinateur: «Il m’a fallu toute une journée réussi une image qui résume tout de la temps paraît presque s’arrêter.» pour assembler les éléments.» Le résultat en tradition, de la religion, de la globalisation, de valait la peine. la technique et de la politique. L’ILLUSTRÉ CAROLINE MICAELA HAUGER Photographe SCHWEIZER ILLUSTRIERTE JULIE BODY Rédaction image BLIC GERI BORN Photographe Armin Capaul a récolté UROS ARSIC Photographe NICOLE SPIESS Rédaction image pratiquement seul 120 000 SLOBODAN PIKULA Rédaction image Une des disciplines signatures pour son photographiques les plus Vite initiative populaire sur les compliquées est assuré- déclen- vaches à cornes. Afin qu’on ment la photo de groupe. cher ne brûle plus au fer à souder les cornes Et plus il y a de protagonistes, plus c’est avant naissantes des veaux dans leurs trois difficile. Le photographe Geri Born a tenté le que la premières semaines de vie. Dans son étable, coup avec 94 personnes. Et il n’avait que 15 police ne l’ancien hippie aime écouter les Beatles et minutes! Il s’agissait de photographier, pour boucle la zone, se dit le photographe Uros Santana mais n’apprécie pas trop les la Schweizer Illustrierte, tout le personnel Arsic lors de l’incendie d’une fabrique de journalistes. Lorsque Caroline Micaela Hauger de l’Hôtel Kulm, dans la station huppée de cartonnages à Ada Huja, près de Belgrade. débarque dans sa ferme près de Perrefitte Saint-Moritz, le vénérable établissement «Les pompiers étaient déjà de l’autre côté du (Jura bernois), il lui dit d’attendre à la cuisine ayant remporté le titre d’«Hôtel de l’année» terrain et tentaient d’empêcher que le feu ne jusqu’à ce qu’il en ait fini à l’étable. «Comme décerné par le GaultMillau. Selon Geri Born, se communique au bâtiment de la fabrique.» j’ai senti qu’il se passait quelque chose c’est le directeur de l’hôtel, Heinz E. Hunkeler, Pendant ce temps, devant la fabrique, un d’extraordinaire, j’ai attrapé mon appareil et je qui s’est le plus investi pour cette photo: «Il ouvrier tout seul se confronte avec les l’ai suivi.» A l’étable il y a Rösli, justement, a réussi l’exploit de rassembler l’ensemble paquets de cartons en flammes, armé d’un occupée à vêler. Lorsque les pattes de derrière du personnel, sans exception – sans que les tuyau d’arrosage. Vaine entreprise. «J’ai fait apparaissent, Capaul y attache une corde et clients du 5-étoiles ne s’en aperçoivent.» Il cette image par-dessus la grille avec un super met au monde le veau. «J’étais dans un coin aura été particulièrement difficile d’intégrer grand-angle de 14 mm, rapporte Uros Arsic, en de l'étable, genoux tremblants, à prendre des les rangs supérieurs à l’image. «Même s’ils précisant qu’il s’approche toujours autant que photos. C’était très émouvant.» L’expérience a sourient tous gentiment là-haut, ils ont dû possible de l’événement. «Lorsque cela me crée des liens. Caroline Micaela Hauger a sacrément se pencher par-dessus la rambarde réussit, je ne me souviens pas que de l’image, passé toute la journée à la ferme et a même pu pour qu’on les voie.» Le personnel de l’hôtel je peux aussi véritablement ressentir la choisir le nom du veau. «J’aime bien Romina», se montra tellement discipliné qu’il fut même situation.» Ce jour-là, il était clairement assez dit-elle. «Moi aussi», rétorque Capaul. possible d’alterner plusieurs fois les groupes près: il est rentré de son reportage pour Blic la en fonction des couleurs. peau légèrement brûlée.

16 | DOMO – Décembre 2017 DOMO – Décembre 2017 | 17 EN POINT DE MIRE Dans cette rubrique, DOMO présente régulièrement les meilleures photos du trimestre EN POINT DE MIRE A la recherche d’Anina… Izzy, la nouvelle start-up de Ringier, s’adresse aux femmes jeunes et exigeantes. L’objectif de ce magazine suisse des médias sociaux est de distraire intelligemment et de diffuser des messages clairs. Texte: René Henig, Photos: Valeriano Di Domenico

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a nouvelle start-up Garage de L Ringier n’est pas très spectacu- laire, derrière la façade vitrée de la terrasse-fumoir, au premier étage de la Pressehaus, à Zurich. Depuis des semaines, devant leur écran ou sur leur smartphone, une demi-douzaine «Nous devons diffuser un mes- de femmes et d’hommes y bricolent un magazine à l’intention d’un sage clair, dans lequel les gens groupe cible aussi jeune qu’eux. Ce peuvent se reconnaître pour le 1 magazine suisse sur les médias so- ciaux s’appelle izzy, ses contenus retransmettre!» sont diffusés avant tout sur Facebook Bernhard Brechbühl, patron d'izzy et Instagram. A mi-septembre, l’équipe hétéroclite d’izzy a déposé son premier post. Deux mois plus tard, elle recense déjà plus de 40 000 followers sur Facebook et Instagram. «Nous croissons à une vitesse ré- back, car les chiffres ne mentent pas. heure. Elle s’est fait un nom avec son jouissante», constate Bernhard Bre- Et la critique de Scholl consiste en un livre, paru cet été, sur la juriste, jour- chbühl, 40 ans, Chief Content Officer mix de Big Data, d’interprétation des naliste et suffragette bâloise Iris von du groupe Energy et tête pensante de taux de clics, des durées de visite et, Roten, disparue en 1990. Blick la décrit la start-up. bien sûr, des retours directs du groupe comme la «figure de proue du nouveau Nous sommes le deuxième vendre- cible. féminisme suisse». Elle dit d’elle- di de novembre, le matin, à 9 h 40. Mais au fond, quel est-il exacte- même, mi-ironique mi-amusée: «Dans Dans la salle de conférence, signalée ment, ce groupe cible d’izzy? En pre- cette maison, je suis connue comme dans le couloir par «Jay-Z & Alicia mier lieu, les femmes. Et, avant tout, la police du genre ou comme le Keys Empire State of Mind», le patron UNE femme: Anina, 27 ans. Elle habite porte-étendard du féminisme.» An- d’izzy a réuni les journalistes du ma- Zurich, dans les arrondissements 3 et ne-Sophie Keller est également une gazine sur les médias sociaux pour le 4; a étudié le journalisme, est respon- fan résolue de Taylor Swift. Ce matin, briefing quotidien. Florian Scholl, 31 sable de la communication dans une En haut: Bernhard elle a fait la queue dès l’aube chez Ex ans, responsable marketing pour les start-up, célibataire, heureuse mais, Brechbühl, Chief Libris pour être parmi les premières à nouveaux marchés, analyse d’un re- d’une façon ou d’une autre, en quête Content Officer du s’offrir le nouvel album, Reputation, gard acéré la vidéo que Cedric Schild, du grand amour, relativement ouverte groupe Energy. de la chanteuse américaine. Elle en- 25 ans, a produite et mise en ligne sur et tolérante, notamment à l’égard des tend faire commenter le CD pour izzy Facebook avant-hier. Titre: «Com- LGBT, parmi lesquels elle compte A droite, par une «metal chick», comme elle le ment réagir correctement aux appels beaucoup d’amis. Anina ne regarde impressions de la dit en riant. Elle a débauché une an- énervants des call centers.» Tandis pratiquement jamais la télé, elle pré- start-up Garage cienne copine d’école pour l’exercice. que le petit film de 85 secondes scin- fère lire des livres ou visionner des d’izzy: «Pendant qu’elle écoutera et réécou- tille sur l’écran mural, les collègues de séries sur Netflix. Voilà les paramètres (1) Conférence de tera l’album de Taylor Swift, elle aura Cedric rigolent à chaque scène mar- marketing de l’imaginaire «Anina» rédaction avec le droit de boire plus que de raison à rante. «Ça a méga-bien marché, nous d’izzy. analyse des nos frais et se soumettra à plusieurs avons plus de 150 000 vues», com- «Nous essayons maintenant de vidéos. tests.» L’idée a été bien reçue en confé- mente Florian Scholl, visiblement dénicher Anina là dehors», souligne (2 ) Dernière acqui- rence de rédaction. Accompagnée satisfait. Florian Scholl. Et quand il dit «là de- sition: un d’un journaliste vidéo, Anne-Sophie Cedric a écrit dix gags pour son hors», il veut dire dans la vie réelle. détecteur de se met en route à midi pour Berne, où clip. Tout enchanté qu’il soit du résul- Idéalement, Anina doit apprendre à mensonges pour habite l’ancienne copine d’école. 2 tat d’ensemble, Florian Scholl dis- connaître izzy, puis suivre izzy sur les sondages, qui Quand bien même izzy fonctionne sèque et analyse impitoyablement Facebook ou Instagram. Bientôt un promet surtout encore volontairement dans la discré- chaque gag: celui-ci a bien marché, site internet propre sera lancé. Les beaucoup de tion, le magazine sur les médias celui-là moins. Il y a plus de mille comptes des animateurs d’izzy rigolades, comme sociaux n’est pas resté complètement commentaires d’utilisateurs. «Pour semblent tourner rond: en quatre en témoignent ignoré de la branche. Fin septembre, nous, chaque commentaire est un jours, ils ont gagné 4000 followers de Florian (à g.), Silvia Klein Report, un service média du précieux feed-back», dit le respon- plus. et Cedric. secteur suisse de la communication, sable marketing. Comme il l’a fait pour Quand bien même izzy entend être (3 ) Pour un a écrit à propos des contributions pa- chaque gag, il dissèque les commen- un magazine féminin numérique, tournage sur place rues jusqu’alors qu’elles avaient taires les uns après les autres, les l’équipe qui le fabrique est hétéroclite. à Berne, «presque toujours une tonalité fémi- analyse, les évalue et conclut: «C’est Ces dernières semaines et ces derniers Anne-Sophie niste». A vrai dire, la notion de fémi- la blague de Cedric avec le numéro de mois, son responsable, Bernhard Bre- Keller s’est levée à nisme n’est pas tout à fait adéquate compte qui a le mieux marché, en re- chbühl, a recruté aussi bien des l’aube. Son amie, pour izzy: elle est trop négative et vanche il aurait pu s’économiser le gag femmes que des hommes. Des journa- une «metal chick», surannée. On chercherait en vain chez avec le bip, qui n’a pas été mentionné listes venus du print en font partie au doit commenter le izzy des viragos castratrices. «C’est sûr une seule fois dans les commen- même titre que des gens de radio et dernier album de que nous nous adressons à un public taires.» des experts en vidéo. Taylor Swift – et féminin, explique Anne-Sophie Kel- La rédaction apprend tous les jours Anne-Sophie Keller, 28 ans, fait elle aura le droit de ler, mais les hommes peuvent aussi 3 une masse de choses grâce à ces feed- partie des rédactrices de la première se saouler. s’identifier à nous.» Par ses contri-

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«Si nous voulons atteindre tous les jeunes, nous devons proposer des contenus taillés sur mesure.» Bernhard Brechbühl

butions, l’équipe hommes-femmes nous ne pensions pas que c’était aussi Le patron d’izzy, qu’ils s’en rendaient complices par même si pour bien des sujets, notam- ligne Bernhard Brechbühl. Tout pro- ergy qui, cette année, est devenu une de Bernhard Brechbühl se présente difficile», dit Bernhard Brechbühl en Bernhard leur comportement passif. L’émission ment les micros-trottoirs, il peut arri- duit numérique nécessite une phase des marques médiatiques suisses plutôt comme progressiste, émanci- évoquant les semaines écoulées. Au- Brechbühl (photo 10 vor 10 de la TV alémanique a diffusé ver que les personnes interrogées durant laquelle on teste simplement le leaders sur la Toile, avec jusqu’à un pée, réfléchie, mais aussi divertis- paravant, la rédaction avait produit de droite), avec son 1 minute de la vidéo d’izzy. n’aient pas l’air très intelligentes, la marché en conditions réelles.» Et, million d’interactions d’utilisateurs. sante. quelques sujets «un peu au hasard», équipe à la L’éventail des sujets d’izzy est aus- rédaction retravaille et coupe les in- chaque jour, les artisans d’izzy en izzy n’est qu’un élément d’une Cedric Schild, par exemple, qui dont on comprenait qu’ils s’adresse- conférence de si diversifié que sa rédaction. Petit terventions de telle manière que per- apprennent davantage avant le lance- stratégie multimarque sur le Net, sous n’est là que depuis un mois après avoir raient à un public féminin jeune. Mais rédaction du échantillon des vidéos publiées sonne n’ait l’air ridicule. En ces temps ment officiel. l’égide du groupe Energy. Car en été animateur chez Radio 105, en est très rapidement on s’est aperçu dans matin. Tous suivent jusqu’ici: «Ce que les femmes noires de bashing sur les médias sociaux, ça Prochaines étapes? izzy lancera son Suisse comme ailleurs, il n’existe pas un bon exemple: «Je ne me décrirais la start-up Garage qu’il y avait un fac- avec anxiété subissent en Suisse à cause de leurs ne va pas de soi. propre site. Il ne séduira pas seulement simplement un groupe cible, «les pas comme un méga-féministe, et je teur de succès principal: «Nos vidéos l’analyse détaillée cheveux», «Quand les végétariens Bernhard Brechbühl peut être fier un public cible exigeant avec des pho- jeunes», mais aussi des groupes plus ne comprends pas pourquoi izzy est doivent contenir un message clair, des contributions évoquent les injures que leur adressent de ses troupes. Au début, dans leur tos et des vidéos mais aussi avec des spécifiques comme «Anina, 27 ans», considéré comme un magazine fémi- dans lequel les gens peuvent vraiment publiées sur des carnivores», «Quand les Noirs Garage, on les considérait d’un œil textes d’opinion bien fichus. «Nos vi- sur laquelle se focalise izzy. Bernhard niste.» Selon les analyses, sa vidéo sur se reconnaître et le retransmettre», Facebook. évoquent les injures que leur adressent critique depuis la terrasse-fumoir. déos contribuent à la croissance de Brechbühl est convaincu que le mar- les call centers a pour une fois touché analyse Bernhard Brechbühl. Silvia Princigalli des Blancs», «Nous avons demandé à Tout le monde voulait savoir ce que l’audience, mais ce sont des bons ché existe. Et il ajoute: «Si nous vou- plus d’hommes que de femmes. «Il izzy a produit un scoop dans le (grande photo) des hommes si, la dernière fois, leur fabriquaient les «petits nouveaux». Le textes qui nous donneront de l’impor- lons atteindre tous les jeunes gens, s’agit surtout de créer davantage de sillage de l’affaire Harvey Weinstein ajoute ses partenaire féminine a joui». fait que l’information ait été parcimo- tance», assure Bernhard Brechbühl. Il nous devons proposer plusieurs tolérance chez nous, les hommes.» et du mouvement #MeToo. Devant sa dernières idées de Il s’agit souvent de questions qui nieuse a moins à voir avec une éven- se retrouve tous les matins avec son marques avec des contenus taillés sur izzy voudrait atteindre un public caméra, des femmes ont témoigné des sujets sur le nous ont déjà passé par la tête mais tuelle manie du secret qu’avec «le équipe pour travailler au polissage mesure pour des groupes cibles bien exigeant. «Nous savions depuis le harcèlements subis lorsqu’elles tableau d’affichage. qu’on n’a pas osé poser. Et quelque besoin d’être tranquilles pour déve- d’izzy. En même temps, il reste res- définis.» Comme le fait la start-up izzy début que ce n’était pas simple, mais sortent. Et des hommes ont admis chose attire l’attention chez izzy: lopper quelque chose de neuf, sou- ponsable des contenus du groupe En- de Ringier. 

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Y parle-t-on aussi de la manière de gagner de l’argent? Je me demande comment vous vous y prenez. Les analyses de rentabilité figurent «Créer un en tête de notre ordre du jour. Nous échangeons les meilleures idées. Mais nous discutons surtout de la manière de nous soutenir récipro- quement et d’apprendre des idées mouvement» des autres. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il nous faut un mix de formats à proposer à nos clients Lancé en Pologne il y a deux ans, Noizz est déjà présent annonceurs – entre «native advertising» et bannières taillées dans six pays. Avec succès. Pawel Pawelec, un des res- sur mesure. Concevoir une campagne Noizz globale demeure ponsables de ce site lifestyle, évoque le battage média- une sacrée gageure. Chaque pays Noizz poursuit-il tique, la génération C et les questions de genre. jusqu’ici sa propre stratégie? Interview: Vinzenz Greiner Photo: Wojciech Grzedzinski Nous réalisons toutes les formes de publicité à un niveau national. L’équipe serbe a récemment fourni En créant Noizz en 2015, votre inten- rédactionnelle de sept personnes des shootings photos avec manne- tion était-elle de mettre sur pied un seulement et avec toutes sortes de quins pour Diesel et Reebok. En site de news autour de la musique? formats à expérimenter. Pologne, nous avons tourné un C’est en tout cas ce qu’évoque le nom. Où en êtes-vous maintenant? minidocumentaire sur le Volkswa- PAWEL PAWELEC Non. Nous Nous proposons un mix de gen Bulli, qui a été vu 250 000 fois. cherchions un nom qui fasse tilt. Il contenus innovants et divertis- C’est rentable? nous a bien fallu deux mois pour le sants. Nous considérons Noizz En juillet, nous avons enregistré trouver. Un de nos préférés était comme quelque chose de puissant pour la première fois des chiffres «hype». Nous l’avions suggéré au d’un point de vue philosophique, positifs. Nous travaillons à CEO d’Onet de l’époque. Il a quelque chose qui va très au-delà développer des sources de recettes répondu par un refrain de Public des approches classiques des sites durables pour des activités telles Enemy: «Don’t Believe the Hype». de publications. Nous voulons créer que des événements Noizz. Du coup, il a tué l’idée. Alors nous un «mouvement» Noizz caractérisé Quelles sont les prochaines étapes avons pensé qu’il fallait essayer par un style inimitable. La voix des de Grèce! avait coachés lorsque nous avions comme une start-up, entre Pawel Pawelec vit pour Noizz? avec une autre chanson du groupe, masses urbaines progressistes. Oh là là, cette photo il vaudrait monté Noizz en Pologne. apprentissage et expérimentation. et travaille à Nous nous focalisons sur la «Bring the Noise». Nous avons Nous voulons nous adresser à la mieux la cacher (il rit). Mais chaque Apprécie-t-on tous les thèmes de la Au début, nous commettions Varsovie. En tant production de formats vidéo. légèrement modifié le mot et ça a génération C et aborder son style de rédaction a son style propre et des même manière dans tous les pays l’erreur de parler très largement de qu’International L’exemple le plus évident est Noizz donné Noizz. vie, ses besoins, ses problèmes. critères spécifiques, en fonction de Noizz, ou la génération C serbe dif- trop de sujets. Dans le Noizz Content Product Food. En plus, nous développons Le CEO d’Onet vous mettait en garde Comment définissez-vous la généra- son marché. fère-t-elle de l’allemande? polonais, nous avons réduit le Officer chez Noizz, des campagnes photos de street contre la hype. Maintenant vous tion C? Et les sujets sérieux? Nous n’en sommes qu’au début de nombre de contenus et de catégo- il est responsable fashion. Les événements Noizz exploitez un site pour une génération C est l’initiale de cool, créatif, Nous évoquons des sujets poli- l’analyse. Mais il y a des thèmes qui ries au profit de la qualité. Cette de la stratégie et spéciaux seront un élément plus jeune. Pourquoi y croyez-vous? connecté en permanence, autre- tiques dans la mesure où ils trouvent leur public dans la plupart réflexion bénéficie désormais à tout des synergies. Agé essentiel de notre politique de Une hype peut durer des années ment dit urbain. Le C suggère aussi concernent notre public. Sur le des pays. La mode cool, la culture le monde: dans l’ensemble de la de 36 ans («Je me marque. Nous copierons les plus mais aussi s’essouffler en quelques une consommation constante de Noizz polonais, nous avons hype, les observations fines, les famille Noizz, nous avons 10 sens comme si j’en réussis dans d’autres marchés et jours. Chez Noizz, nous savons que flux d’information. Ce style de vie récemment parlé des jeunes voix fortes et les photos esthétiques millions de visiteurs uniques par avait 17»), il est nous entendons imposer des nous sommes différents et que comporte aussi les technologies et médecins qui ne veulent plus sont appréciées sur tout le conti- mois. chez Noizz depuis sous-marques d’activités Noizz, nous devons bâtir notre marque des sujets d’intérêt pour l’ensemble accepter les conditions financières nent. Mais certaines régions se Comment réunissez-vous la famille le premier jour. notamment nos propres lignes de sérieusement pour gagner la de la société. dans les hôpitaux. Nous avons aussi consacrent davantage aux évolu- Noizz? «Nous n’indiquons mode, d’alimentation, de boissons confiance des consommateurs. C’est plus ou moins le groupe cible abordé de manière très complète et tions sociétales que d’autres. Un Il y a d’abord le Noizz Club: des jamais l’âge des ou de festivals. Dans quelle mesure vous différen- de Vice. en plusieurs langues le sujet du article polonais sur le recyclage des contenus sont partagés sur le site auteurs des Espérez-vous agrandir la famille? ciez-vous d’autres sites s’adressant Vice, c’est du journalisme de hashtag #metoo. bouteilles en plastique a par sur la base d’analyses de données et articles de Noizz, Des discussions intensives sont en aux jeunes? guérilla plutôt rugueux. Nous izzy entend également parler des exemple bien marché en Pologne et de la performance Noizz dans pour éviter cours et ce n’est qu’une question de Nous sommes un site pour des gens avons beaucoup en commun mais questions de genre et attaquer des en Slovaquie, moins bien ailleurs. l’ensemble et les collaborateurs l’âgisme.» temps d’ici à ce que la marque qui incarnent un style de vie notre style est différent. Nous sujets expressément féminins. Est-ce L’Allemagne, la Serbie et la peuvent ainsi s’en inspirer. Nous s’étende. En même temps, nous urbain, peu importe à quel groupe sommes davantage du côté du que vous remplissez tous les deux Roumanie sont plus «hard» dans la avons sur Facebook nos propres développons Noizz Food pour social ils appartiennent. A l’origine, public de masse, même quand il est une niche? couverture des informations (il rit). canaux pour échanger des idées ou d’autres marchés. Autre exemple l’idée de Noizz était de créer un mix question de grands sujets; nous Ce n’est pas une niche mais le Peut-être parce qu’ils écrivent des articles intéressants. Puis il y a d’expansion réussie: la page des de BuzzFeed et d’éléments de sommes un peu moins provocants symbole d’une ère nouvelle! En davantage sur les problèmes de les vidéoconférences et un canal fans espagnole, sur laquelle nous journalisme gonzo du genre Vice et mais empoignons des thèmes Roumanie et en Pologne, l’affaire drogue et d’alcool et qu’ils empoi- réservé aux rédacteurs en chef et allons étendre nos propres Mic.com. Nous voulions produire importants et défendons des points Weinstein a été le sujet le plus gnent aussi les problèmes sociaux. aux propriétaires, pour échanger productions à l’ensemble du public un contenu viral avec des pincées de vue. traité, auquel nous avons consacré Les autres Noizz tirent-ils les leçons expériences et concepts d’affaires. hispanophone. Nous voulons que d’information et incarner ainsi la Ce n’était pas le cas de cette histoire deux articles. Chez izzy, Bernhard des erreurs qui vous ont fait avancer Et il y a les Noizz Summits semes- Noizz atteigne une dimension voix des jeunes «millennials». Nous sur le Noizz slovaque, avec une fella- Brechbühl a du flair pour les en Pologne? triels qui réunissent tous les globale partout où cela est avons commencé avec une équipe tion sur une photo de mariage venue thèmes de société porteurs. Il nous Nous fonctionnons dans ce projet collègues. possible. 

24 | DOMO – Décembre 2017 DOMO – Décembre 2017 | 25 RINGIER À LA RENCONTRE DES STARS «Boris, tu me dois encore des sous!» On s’attendait un peu à ce que Boris Becker soit en faillite. Le soussigné a même dû payer pour rencontrer la légende du tennis. Une fois des bières, une fois des forfaits de ski à Saint-Moritz. Mais en échange, Boris raconte des histoires parfaitement exclusives.

Texte: René Haenig

a première fois que je rencontre se faire voir ailleurs. «On est quand L’idole du tennis année, il a rompu – par SMS – et s’est LBoris Becker, 50 ans, il est installé, même récompensés de savoir atten- en faillite. Boris fiancé avec Sandy Meyer-Wölden. parfaitement détendu, sur le télésiège dre», me dis-je. Boris commence par Becker a battu Depuis quelques semaines, il est dé- qui grimpe de Gstaad au Wasserngrat. se commander une bière, puis nous bien des records fiancé et il déambule, tendrement A ses côtés, ses fils Noah Gabriel et bavardons: de son appartement à sportifs. Mais il a enlacé, avec son ex, Lilly, dans les Elias Balthasar, 12 et 6 ans à l’époque. Zurich, de ses passages à la Kronen- aussi fait les gros neiges de l’Engadine. «Hi Boris, bon- On est à la mi-juillet 2006 et la légende halle, de ses modestes talents culi- titres en ce qui ne soirée!», fais-je. Il est manifeste- allemande du tennis (resté à ce jour le naires (soupe et spaghettis) et de ses concerne sa vie ment surpris de me voir. «Passe de- plus jeune vainqueur de Wimbledon) connaissances encore plus modestes privée: fraude main à 11 heures au Palace, on va se trouve dans l’Oberland bernois du dialecte alémanique (il ne sait dire fiscale, galipettes bavarder.» Je tiens donc quand même pour le projet Fit-4-Future de la Fon- que «Grüezi»). dans un placard à mon interview. dation Cleven-Becker. Il y a là aussi le Une bonne demi-heure et deux balais ou faillite Je résume: à l’heure dite, je suis à multimillionnaire Hans-Dieter Cle- bières plus tard, notre entretien est personnelle. A ce la réception du Palace. Nul n’a vu ven, 74 ans, alors encore très ami et terminé, il file à toutes jambes et le propos, un Boris. J’attends. Une demi-heure. Une partenaire d’affaires de Boris, au- serveur s’en vient. Il demande à être escargot de mer a heure… Ma photographe a les pieds jourd’hui un de ses principaux créan- payé pour les deux bières de l’ex-star été baptisé du qui gèlent lentement mais sûrement ciers (il exige le remboursement de du tennis. Du coup, je règle l’addition nom de l’ex-mil- devant l’hôtel (il fait –18 °C). Mais 36,6 millions d’euros). de Boris. Je ne me doute pas encore lionnaire: «Bufona- l’entrée de l’établissement lui est in- A vrai dire, nous avions fixé avec que ce ne sera pas la dernière. ria borisbeckeri». terdite en raison de son matériel Becker un rendez-vous pour une in- photographique. Au bout de deux terview dans la Schweizer Illustrierte. Boris file souvent à toutes heures, Boris émerge quand même, Mais les garçons ont faim. Ils pleurni- jambes en combinaison de ski jaune de chent et tirent impitoyablement leur Deux ans plus tard, début 2009, je marque Bogner. Avec Lilly et son ca- père en direction du restaurant suis en reportage à Saint-Moritz pour det, Elias. Comme la Rolls-Royce de d’altitude du Wasserngrat où le repas la Schweizer Illustrierte, chargé de l’hôtel est en vadrouille, ils se serrent les attend. faire un sujet sur le légendaire dans mon A3 et je les conduis jusqu’à Mon photographe pleurniche aus- Badrutt’s Palace, où les beaux et les la station de départ de Corviglia. En si. Il veut faire les photos que Boris lui riches, comme Bryan Ferry ou la lé- chemin, Becker annonce: «Nous som- a promises, avec ses enfants, et il ai- gende du tennis Boris Becker, en mes de nouveau heureux ensemble.» merait aussi manger. C’est pourquoi fourrure et bijoux de grand prix, L’année 2009 débute par une nouvelle je propose à Boris de vite faire deux trinquent au champagne. Voilà des parfaitement exclusive. photos et de renvoyer l’interview au jours que Boris me refuse une inter- Pendant que Boris avec son amou- soir, au Grand Bellevue, quand il aura view. Il est plutôt inhabituel qu’il se reuse et son fils Elias posent pour la mis sa progéniture au lit. Rasséréné, montre si réticent. La raison me tom- photo, il me demande d’aller déjà Boris acquiesce. Lorsqu’il apparaît be quasiment dans les bras, par ha- chercher les forfaits de ski: deux adul- des heures plus tard au bar de sard, beaucoup plus tard ce soir-là, tes, un enfant. Ensuite il est vraiment l’établissement de luxe et que son dans une ruelle sombre de la station pressé, il grimpe dans le funiculaire agente annonce «quinze minutes mondaine: Lilly Kerssenberg. Le mo- Chantarella (je lui avais déjà remis les d’entretien au maximum», Boris dèle néerlandais a été la petite amie billets). «Boris, tu me dois de

l’envoie gentiment mais fermement de Boris pendant trois ans. Il y a une l’argent!»  StephaneFoto: Cardinale/Corbis via Getty Images

26 | DOMO – Décembre 2017 MICHAEL RINGIER MY WEEK Julie Body, 43 ans, directrice artistique de L’Illustré à Lausanne.

JEUDI Il y a deux ans, mon amie Stéphanie Meylan et moi avons lancé La Sonnette, une galerie d’art et de design. Ce soir nous présentons des vi- sualisations de postdoctorants en sciences Sommeil de la raison naturelles de l’Université de Lausanne. Des étudiants, chercheurs et professeurs sont ve- nus pour admirer leurs recherches transfor- ans les Etats démocratiques, les dirigeants populistes de la droi- mées en œuvres d’art. La galerie est archi- te conservatrice fonctionnent selon un schéma identique: com- comble, le vernissage est un succès. me ils ne peuvent imposer leur point de vue sur toute chose, ils SAMEDI intriguent contre tous ceux qui ne le partagent pas. Dans cer- Le samedi je suis toujours à La Sonnette. Je Dtains pays d’Europe de l’Est, les chaînes de TV proches de l’Etat sont m’occupe des clients et me concentre sur les squattées par des fidèles et on punit les médias privés en leur retirant de projets de la galerie. Ici, je suis loin du boulot : la publicité ou par des impôts spéciaux. Et aux Etats-Unis ils sont ouver- pas de news ! Les visiteurs s’intéressent au tra- tement diffamés, démolis à coups de tweets. Mais la gauche aime faire vail des scientifiques et nous discutons de leur qualité artistique. C’était le but! comme la droite ennemie quand il en va de la défense du leadership MARDI d’opinion: critiquer l’islam, c’est être islamophobe; pour défendre les droits des Palestiniens, un brin d’antisémitisme est licite; les féministes Ma semaine débute toujours un mardi. C’est le DIMANCHE de gauche nous vendent le port de la burqa comme étant un choix de la premier jour d’une édition à L’Illustré. Au matin, Après un brunch tardif, je vois Caroline Zingg, notre femme. le grand briefing nous permet de faire le point rédactrice en chef adjointe, pour la rétrospective avec la rédaction sur les sujets possibles ou en de l’année. C’est un numéro double important. cours. À midi, nous débriefons lors de la réu- VENDREDI Mais voilà que parmi les monopolistes de l’opinion, on trouve une espèce Quelles ont été les meilleures stories, les meilleures nion hebdomadaire de la rédaction en chef au Nous attaquons la cover. Il n’y a pas de page que l’on ne s’attendait guère à voir là: les professionnels de la culture. Que photos, les meilleurs sujets de l’année? Le choix est restaurant thaïlandais du coin. Ce mardi-là, j'ai plus exigeante. La combinaison sujet, photo et immense! s’est-il passé? Une œuvre de la peintre américaine Dana Schutz a été expo- rejoint mes amis le soir, pour un repas d'Hal- texte doit être harmonieuse, juste et efficace. sée à la Whitney Biennial. L’œuvre montre le cadavre d’Emmett Till, un loween. D’ici à lundi, nous modifierons la page encore jeune Afro-Américain. Dans les années 1950, il avait été tué par deux plusieurs fois. A midi, le rédacteur en chef, Mi- Blancs pour avoir prétendument importuné une femme blanche. La pub- MERCREDI chel Jeanneret, me convie à déjeuner pour lication de la photo du jeune homme mort avait, à l’époque, été expressé- mon évaluation. Cette année, il m’a confié le ment approuvée par sa mère. Mais pour l’artiste britannique Hannah Les sujets se montent tous les jours, mais le lifting intégral de L’illustré. Je le remercie pour Michael Ringier, Éditeur Black, la peinture à l’huile de Dana Schutz est une usurpation culturelle: mercredi, nous attaquons sérieusement les ce projet passionnant. «Il n’est pas acceptable qu’une Blanche transforme la souffrance noire en éditings et mises en pages. Mireille Monnier et moi entreprenons de construire un des gros profit et en spectacle», s’indigne-t-elle dans une lettre ouverte cosignée sujets de notre prochaine parution. L’illustré par 50 artistes et curateurs. Et de demander que l’œuvre soit enlevée et doit être varié. Chaque story, du reportage au détruite. shooting glamour, nécessite son propre lan- gage, son propre style. Les journalistes font comme les artistes: ils se choisissent un thème, écri- LUNDI vent, émettent des jugements et se font payer pour ça. Si l’on suit la lo- 7h30: premier point avec Michel, Caroline et la gique d’Hannah Black, les journalistes blancs devraient donc cesser rédaction photo devant notre mur d’édition. d’écrire sur la corruption en Afrique du Sud. Et les critiques musicaux Le bouclage est proche. Toute la journée nous noirs sont priés de se tenir à l’écart de la musique classique européenne. courrons après le temps avec les graphistes et Et notre guide gastronomique GaultMillau devrait au fond s’abstenir de la rédaction photo. Ils restent remarquable- parler de cuisine asiatique, sans quoi quelqu’un exigera que le bouquin ment calmes malgré nos changements MARCEL IMSAND

www.illustre.ch LES PHOTOS CULTES D’UN POÈTE POPULAIRE o ISSN: 1420-5165 Fr. 4.90 constants. Mais les pages doivent partir à soit retiré des rayons. Détruire des œuvres d’art, cela se faisait il n’y a pas N 46 - 15 novembre 2017 si longtemps. Le totalitarisme contamine désormais aussi la culture. l'heure! Première partie à 10h, la cover à 13h et tout le reste à 18h dernier délai! Et Bono Jean-Jacques Annaud chaque semaine, le miracle a lieu. Lundi CES STARS La reine Elisabeth II 19h00, nous avons terminé avec ce nu- GRAND DOSSIER QUI VOLENT méro. Dès demain, mardi, nous attaque- NOTRE ARGENT LES ACROBATIES FISCALES DES PEOPLE rons le suivant. LE RÔLE AMBIGU DE LA SUISSE LES CHIFFRES DE LA HONTE

Philippe Starck

Foto: MauriceFoto: Haas Shakira Bernard Arnault Lewis Hamilton C M Y K

28 | DOMO – Décembre 2017 DOMO – Décembre 2017 | 29 ENTRE NOUS Conseils de lecture de Marc Walder

L'imprimeur diplomate Le CIO de Ringier dévoile les livres qu’il a lus et pourquoi il Responsable de la production chez Ringier, Michael Passen exerce la pression en a été fasciné. avec doigté. Il fait l’interface entre rédaction, éditeur et imprimerie. Dans ses loisirs aussi, cavalier de dressage, il tient fermement les rênes. Rolf Dobelli L’art de bien agir Photos: Geri Born, Privat Qu’est-ce qui fait finalement une ichael Passen, 52 ans, était pré- bonne vie? Rolf M destiné au secteur de l’édition. Dobelli, auteur su- Ses parents possédaient une imprime- isse de best-sellers rie, et si papa Passen n’avait pas eu tant et entrepreneur, de mal à lâcher prise, son fils imprime- montre dans ses rait dans sa propre entreprise au lieu livres qu’il existe plusieurs che- d'être responsable du service de pro- mins vers le bonheur. Après ses duction chez Ringier. Michael Passen best-sellers Die Kunst des klaren fait l’interface entre rédaction, éditeur Denkens et Die Kunst des klugen et imprimerie: «Il faut procéder avec Handelns, il propose dans son diplomatie mais aussi mettre la pres- dernier ouvrage 52 modèles intel- sion». Si la rédaction de la Schweizer lectuels qui aident à mieux voir et Illustrierte veut envoyer ses pages à comprendre le monde. Rolf Do- l’imprimerie plus tard que prévu parce belli explique par exemple com- que le roi Federer fait durer le plaisir ment surmonter le «biais de foca- dans un tournoi ou parce qu’un bébé lisation». Ça paraît compliqué royale est né un peu en retard, Michael mais c’est tout simple: lorsqu’on Passen s’assure que la fenêtre d’impres- considère sa vie avec le plus de sion fixée soit élargie, déplacée ou distance possible, on constate complètement modifiée. Voilà dix ans que des choses qui, à un certain que ce Zurichois réalise ce tour de force moment, nous semblent essenti- chez Ringier. Précédemment, il travail- elles n’affectent presque pas lait à la NZZ. Il a fait un apprentissage notre existence. Vu ainsi, même de technologue en impression, puis il a un milliardaire comme Warren suivi divers cours de commerce. Buffett n’est pas le moins du mon- Concernant la success story de Land- de plus heureux que n’importe Liebe, on a recouru aux talents de comp- qui. Les textes de Rolf Dobelli sont table de Michael Passen. Longtemps intelligents, enrichissants et con- avant que le premier magazine ne se re- stituent un véritable plaisir de lire. trouve au kiosque ou chez un abonné, il Editeur: Eyrolles avait calculé jusque dans les moindres détails si un «petit canard» tel que ce- Cristiane Correa lui-ci pouvait véritablement être rentable DREAM BIG pour l’éditeur. Papier, impression, frais d’expédition, coûts logistiques: il faut Jorge Paulo Le- tenir compte de tous ces paramètres pour mann est aussi ri- estimer si le nouveau produit peut être che que discret. Le lancé. Pour la direction, les chiffres don- bimensuel Bilan nés par Michael Passen sont à la source de estime la fortune la décision: «on le fait!» ou alors « ce n’est de ce Brésilien aux pas rentable!» racines suisses à Dans sa vie privée, Michael Passen a plus de 28 milliards de francs. trouvé son bonheur. A dos de cheval. Voi- Pourtant, Jorge Paulo Lemann, là des années qu’on le voit dans les qui vit à Rapperswil, sur le haut-lac concours nationaux et internationaux de de Zurich, est un inconnu pour à dressage. Tout jeune, pour payer ses cours peu près tout le monde. Lui et ses d’équitation, il avait gagné ses premiers partenaires, Marcel Telles et Beto sous en rafraîchissant les litières de che- Sicupira, font partie des investis- vaux appartenant à de riches avocats. seurs les plus avisés du monde. Aujourd’hui, il possède un terrain de 3 Ces dernières années, ils ont ac- hectares de pâturage et de champs à Rüti quis des fleurons de l’économie (ZH). C’est là qu’il vit avec sa deuxième Un homme qui manie la carotte et le bâton: Michael Passen travaille américaine: Budweiser, Burger épouse, dont il a fait la connaissance chez Ringier depuis dix ans. Comme responsable du service rédac- King, Heinz. La journaliste brésili- au travail, chez Ringier, et avec sept tions, il veille à ce que les délais d’impression et les budgets soient enne Cristiane Correa livre une chevaux, un berger allemand et un respectés. A l’extérieur, il est cavalier de dressage, présent dans les vision fascinante de la manière de norwich terrier. RH  concours nationaux et internationaux, et il s’occupe de sa ferme. réfléchir et d’agir du trio. Editeur : Primeira Pessoa

30 | DOMO – Décembre 2017