Théâtral magazine

L’actualité du théâtre janvier - février 2018 Yasmina Reza PiCerre Phalmade rles Stéphane GuilAlon Philippe Caubère Marina Hands CBéline SEalletteRLING Anne Alvaro Amira Casar T Romane Bohringer Jonathan Capdevielle

Yvan Attal Michel Fau Victoria Abril Vincent Pierre Arditi Philippe Torreton Christophe Rauck Isabelle Carré MA- Anna Mouglalis Anne Parillaud CDOSSAIER IGNE Josiane Balasko Isabelle Mergault Le théâtre amoureux Stéphane Braunschweig La scène, terrain de jeu de l’amour M 02434 - 69 - F: 4,60 E - RD

Théâtral magazine n 69 www.theatral-magazine.com ° ’:HIKMOD=YUY[UV:?a@a@q@j@k"

ommaire Théâtral magazine S N° 69 - JANVIER / FÉVRIER 2018 04 AGENDA Janvier - Février 2018 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Charles Berling 12. Patrice Kerbrat 14 A L’AFFICHE Théâtral magazine est édité par 14 . Marguerite Bordat & Pierre Meunier Coulisses Editions 7 rue de l’Eperon 75006 16 . Olivier Marchal, Anne-Laure Liégeois Tél : + 33 1 43 27 07 03 18 . Christophe Rauck Email : [email protected] 20 . Pauline Bureau, Michel Fau Site Internet : www.theatral-magazine.com 22 . Philippe Torreton 24. Simon Delétang, Xavier Legrand Directeur de la publication : Hélène Chevrier Directeur de la rédaction : Enric Dausset 26 . Christophe Segura 28 . Isabelle Mergault, Jean Bellorini Rédactrice en chef : Hélène Chevrier 30 . Anne Charrier [email protected] 32 . Isabelle Carré, Louise Vignaud Rédaction : 34 . Catherine Marnas Hélène Chevrier 36 . Jean-François Peyret, Chloé Dabert Vincent Bouquet Gilles Costaz 38 . Alexandra Badea, Jean-Luc Reichmann Enric Dausset 40 . Stéphane Braunschweig (+Eclairage Macbeth) Victoria Hatem 46 . Victoria Abril Igor Hansen-Love 48 . Jann Gallois Jean-François Mondot Jacques Nerson 50 . Guillaume Barbot Nathalie Simon 52 . Pierre Arditi Patrice Trapier 54 . Yvan Attal François Varlin 56 . Anna Mouglalis Direction artistique et maquette : 58 . Anne Parillaud Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 60 . Josiane Balasko Fabrication impression : SIB Imprimerie - Imprimé en France 44 TÊTES D’AFFICHE Tirage : 10 000 exemplaires 62 DOSSIER : Le théâtre amoureux Distribution : Presstalis Dépôt légal : date de parution avec Vincent Cespedes, Magali Montoya, Alexis Michalik, Com mission paritaire du journal : 0319 G 89789 Clotilde Hesme, Guillaume Barbot, Benoît Lambert Commission paritaire du site : 1122 W 90648 Publicité : 70 PORTRAIT : Pascal Legros Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Gestion Flashcodes 72 ZOOM : infotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00 Reims Scènes d’Europe, Festival du Cirque de Demain Photo couverture : Charles Berling © Philippe Quaisse/Pasco 76 FAMILLE : Le prochain numéro sortira en kiosques Mathieu Bauer, Carole Thibaut, Fabrice Melquiot le 1er mars 2018 80 PAGES CRITIQUES ABONNEMENT 86 LE GRAIN DE SEL 1 an = 25 € p.85 de Jacques Nerson

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Janvier - Février 2018 3 Agenda Spectacles recommandés La Vase , de Pierre Meunier. Théâtre des Abbesses, 8-janv p.14 75018 Paris, 01 42 74 22 77, du 8 au 18/01 Nénesse , mise en scène Jean-Louis Martinelli, avec 9-janv p.16 Olivier Marchal,Théâtre Dejazet Paris, du 9/01 au 3/03 Les Soldats de Lenz suivis de Lenz de Büchner, mise en 9-janv p.17 scène Anne-Laure Liégeois, tournée et théâtre 71 Mala koff Un dîner en ville , de Christine Angot, mise en scène 9-janv Richard Brunel, en tournée et au Rond-Point en mars Le Jeu de l’amour et du hasard, mise en scène Benoît 9-janv p.66 Lambert,Théâtre Dijon-Bourgogne, du 9 au 13/01

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t 28e Festival Flamenco. Théâtre de Nîmes, du 9 au e

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9-janv . h

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20/01, avec Israel Galván, Andrès Marín, David Coria n

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Les Bacchantes , d'Euripide, mise en scène de Bernard B

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11-janv u

r Sobel. Epée de Bois Vincennes, du 11/01 au 11/02 g

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e Festival Suresnes Cités Danse , du 12/01 au 11/02 s 12-janv p.48 dont Quintette , de Jann Gallois, 3 et 4/02 et en tournée Comme il vous plaira , de Shakespeare, mise en scène 12-janv p.18 Christophe Rauck, Théâtre du Nord Lille, du 12 au 31/01 Les Eaux et Forêts , de Duras, mise en scène Michel 15-janv . Didym, 15- 20 /01Manufacture de Nancy, et en tournée Les Bijoux de pacotille , mise en scène Pauline Bureau, 16-janv p.20

Théâtre Paris-Villette du 16 au 20/01, et en tournée

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Douce-amère , de Jean Poiret, avec Mélanie Doutey, h

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16-janv p.21 s t o

Michel Fau, Bouffes Parisiens, Paris, du 16/01 au 22/04 p

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Bluebird, avec Philippe Torreton, Marie Rémond... en o o

16-janv p.22 t tournée et au Rond-Point, Paris du 7/02 au 4/03 z Le Jeu de l’amour et du hasard, mise en scène Catherine 16-janv p.67 Hiegel, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 75010 Paris La maison , mise en scène Simon Delétang, 17-janv p.24 La Colline du 17/01 au 11/02, Bussang 14 au 17/02 Auto-accusation de Peter Handke, avec Xavier Legrand. 17-janv p.25 Théâtre Studio d’Alfortville, du 17 au 21/01 Le Ticket gagnan t, mise en scène Christophe Segura, 17-janv p.26

Comédie Bastille 75011 Paris x

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La Raison d’Aymé , avec Gérard Jugnot, Isabelle Mergault D

18-janv p.28 e

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Théâtre des Nouveautés,75009 Paris, du 18/01 au 20/05 l

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E Kroum , de Levin, par la troupe Alexandrinski, mise en 18-janv p.29 @ scène Jean Bellorini. TGP Saint-Denis, du 18 au 28/01 En attendant Bojangles , d'après Olivier Bourdeaut, avec 18-janv p.30 Anne Charrier… La Pépinière Théâtre 75002 Paris Baby , mise en scène Hélène Vincent, avec Isabelle Carré, 19-janv p.32 Bruno Solo...Théâtre de l'Atelier Paris, du 19/01 au 13/05

4 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 J a n . - F é v .

Le Misanthrope , de Molière, mise en scène Louise 19-janv p.33 Vignaud, TNP Villeurbanne, du 19/01 au 15/02 Moi Papa ? , mise en scène Sébastien Azzopardi, avec 19-janv Arthur Jugnot, Théâtre du Splendid 75010 Paris Marys’ à minuit, de Serge Valletti, mise en scène 23-janv p.34

y Catherine Marnas, TnBA Bordeaux, du 23/01 au 9/02

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La Fabrique des monstres, de Jean-François Peyret, avec n

i 23-janv p.36

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j Jeanne Balibar, Jacques Bonnaffé… en tournée

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e B J’étais dans ma maison , de Jean-Luc Lagarce, mise en @ 24-janv p.37 scène Chloé Dabert, Vieux-Colombier, du 24/01 au 4/03 A la trace , d'Alexandra Badea, mise en scène d'Anne 25-janv p.38 Théron, TNS Strasbourg, et en tournée Nuit d'Ivresse , de Josiane Balasko, avec Jean-Luc 25-janv p.39 Reichmann... Théâtre de la Michodière 75008 Paris Macbeth de Shakespeare, mise en scène Stéphane 26-janv p.40 Braunschweig, Odéon Paris, du 26/01 au 10/03 Paprika , de Pierre Palmade, avec Victoria Abril... 27-janv p.46 Théâtre de la Madeleine Paris, du 27/01 au 7/04 Art , de Yasmina Reza, avec Charles Berling, Alain Froma - 30-janv p.8 ger, Jean-Pierre Darroussin.Théâtre Antoine 75010 Paris Heroe(s), texte Guillaume Barbot, 1-févr p.50 Cité Internationale 75014 Paris, du 1er au 16/02 Experimenta , biennale Arts Sciences. Hexagone à 1-févr . @ Grenoble du 1er au 10/02, www.experimenta.fr

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c a 39e Festival du Cirque de demain. Cirque Phénix, l

V 1-févr p.74

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t Pelouse de Reuilly 75012 Paris, du 1er au 4 février

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r Quelque part dans cette vie , d’Israel Horovitz, avec Pierre 2-févr p.52 Arditi et Emmanuelle Devos, Théâtre Edouard VII Paris La collection , d'Harold Pinter, avec Nicolas Vaude, 2-févr Davy Sardou, théâtre de Paris 75009 Paris Le Fils de Florian Zeller, avec Yvan Attal, Elodie Navarre... 3-févr p.54 Comédie des Champs-Elysées 75008 Paris Quills , de Doug Wright, mise en scène Robert Lepage...

t 6-févr a

r La Colline 75020 Paris, du 6 au 18/02

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e l l Reims scènes d’Europe , du 7 au 18/02

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u 7-févr p.72. n

a www.scenesdeurope.eu

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E Mademoiselle Julie , avec Anna Mouglalis, Xavier Legrand ,

@ 8-févr p.56 Comédie de Picardie Amiens, du 8 au 10/02 Le Lauréat , avec Anne Parillaud, Arthur Fenwick, Marc 8-févr p.58 Fayet… Théâtre Montparnasse 75014 Paris La Femme rompue , de Simone de Beauvoir, 9-févr p.60 avec Josiane Balasko. Théâtre Hébertot 75017 Paris

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 5 ctualités

A INOMINATIONS PRIX NOUVEL AUTEUR Le danseur et chorégraphe Syl - 2017 DE LA FONDATION vain Groud succèdera à Olivier BAJEN Dubois à la tête du Centre choré - Ce sont deux pièces qui ont décro - graphique national de Roubaix à ché le Prix Nouvel Auteur de la compter du 1er janvier 2018. Lu - Fondation Bajen en 2017 :

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dovic Rogeau prend la direction Scègne de Christophe de Choisy d du Bateau Feu, la Scène Natio - et Un P’tit coin de canapé de Ce - r nale de Dunkerque, à la suite rise Guy et Thierry Taieb. La pre - QUAND JOHNNY d’Hélène Cancel partie en mai mière brosse le portrait de deux FAISAIT DU THÉÂTRE dernier après onze années de jeunes artistes qui croient que Depuis l’annonce de sa disparition bons et loyaux services. Déjà di - l’art peut guérir le monde. La se - à l’âge de 74 ans le 6 décembre, recteur de MA, la Scène Natio - conde montre comment une les médias n’ont cessé de parler de nale de Montbéliard depuis femme fauchée s’introduit inco - Johnny Hallyday. De l’artiste, du 2010, Yannick Marzin (en photo) gnito chez son ex-mari… chanteur, de l’icône française qui vient de voir s’attribuer en plus la Deux autres pièces Zone Libre ! tenait le haut de l’affiche depuis le direction du Granit, la Scène Na - d’Alfred et Ère BNB ou la pièce à début des années 60. Chanteur, tionale de Belfort. Louer de Pascal Provos ont gagné mais aussi comédien à ses heures, le coup de coeur et les félicita - régulièrement au cinéma et pour tions du jury. la première fois au théâtre en sep - tembre 2011 dans une pièce de Tennessee Williams, Le Paradis ADIEU À VÉRONIQUE sur terre . Dirigé par Bernard Murat NORDEY au théâtre Edouard VII, il jouait le Ex-femme de Jean-Pierre Mocky, rôle d’un garçon simple et sau - comédienne dans ses films vage, Chicken, séduisant malgré jusqu’à leur divorce, Véronique lui la femme de son frère joué par Nordey était aussi la mère de Julien Cottereau. Stanislas Nordey. Elle était dans toutes ses créations dès qu’il y JEAN CHEVALIER NOU -

© avait un rôle pour elle. Véro -

VEAU PENSIONNAIRE D r nique et son fils Stanislas Nordey DE LA COMÉDIE-FRAN - étaient inséparables jusqu’à ce ÇAISE jour du 29 novembre où elle La troupe de la Comédie-Fran - ADIEU À nous a quittés après un long çaise accueillera en février Jean MARIANNE EPIN combat contre le cancer. Elle Chevalier. Fraîchement sorti du La comédienne Marianne Epin, avait 78 ans. Conservatoire National d’Art également compagne de Fellag, Dramatique cette année, il fera nous a quittés le 9 décembre à ses débuts salle Richelieu dans l’âge de 65 ans des suites d’un L’Éveil du printemps de Frank cancer. Wedekind mis en scène par Clé - ment Hervieu-Léger du 14 avril au 8 juillet. FLASHCODES Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE , vous trouve - rez un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votre smartphone. Ils vous permettent d’aller directement sur les sites des théâ - tres et de visualiser les bandes-annonces des pièces dont nous parlons dans le journal.

6 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 L’ÉDIT de Gilles COSOTAZ

ADIEU ROBERT HIRSCH IMMERSIF ! Le comédien Robert Hirsch nous a quittés le 16 novembre deux jours après avoir fait une mau - Du “théâtre immersif” ! C’est vaise chute. Il avait 92 ans. Der - ce que nous a proposé a compa -

nière légende du théâtre, il a @ gnie de Sébastien Bonnabel au

D commencé par être danseur r Ciné Théâtre XIII à partir du texte dans le corps de ballet de l'Opéra Ring de l’excellente Léonore de Paris avant d’intégrer la Co - Confino. Le principe était de plon - médie-Française. C’est là qu’il se EDMOND VERSION ger le spectateur dans l’intimité fait remarquer grâce à sa drôle - CINÉMA d’un couple. Les scènes de la pièce rie, sa plasticité et son immense Compte tenu du succès remporté montrent un homme et une talent : ses rôles du maître de par Edmond qui ne désemplit pas femme s’aimant, se déchirant, se philosophie dans Le Bourgeois au théâtre du Palais-Royal depuis séparant ou se parlant sur tous les Gentilhomme ou de Bouzin dans septembre 2016, Alexis Michalik tons. Le spectateur allait dans les Un fil à la patte ont marqué l’his - prépare une version cinéma de sa différents espaces du théâtre, de toire de la Troupe. Après la Co - pièce, avec Thomas Solivérès dans la scène et du bar aux loges et aux médie-Française, qu’il quitte à la le rôle d’Edmond Rostand. couloirs, sa participation pouvant fin des années 70, il poursuit une être “contemplative” ou parfois brillante carrière théâtrale, joue “participative” face aux duos des Guitry, Pirandello, Beckett, Va - PATRICK MODIANO. couples. L’auteur avait même ré - léry, Pinter. Ces dernières années PUBLIE UNE PIÈCE DE écrit certains moments de son encore il était sur scène dans Le THÉÂTRE texte pour que tout s’accorde au Père de Florian Zeller et encore Directement inspirée de La principe de l’ ”immersif” et changé l’année dernière dans Avant de Mouette de Tchekhov, la pièce de le titre devenu Smoke Rings . s’envoler également de Florian Modiano (Prix Nobel de littéra - “Nous transformons le rôle passif Zeller. ture 2014), Nos débuts dans la du spectateur en l’impliquant sen - vie , met en scène un jeune cou - soriellement dans l’histoire” , pro - ple amoureux, Jean et Domi - clament les intéressés. Voilà qui JEAN-MARC DUMONTET nique. Lui est aspirant écrivain et va plus loin que le théâtre partici - RACHÈTE DEUX se balade avec son manuscrit patif que faisait autrefois Robert NOUVEAUX THÉÂTRES menotté au poignet de peur que Hossein, les différents théâtres À PARIS son beau-père détesté ne le lui culinaires où l’on se régale en fin Le producteur et directeur de dérobe. Elle, elle vient de décro - de soirée de ce qui a été cuit sur le théâtre Jean-Marc Dumontet aug - cher le rôle de Nina dans La plateau, le théâtre dans le noir où mente son parc avec l’acquisition Mouette. Tous deux sont plein l’imagination du spectateur est de deux nouvelles salles à Paris : d’espoir en leur avenir en tenant stimulée par la seule présence des Le Comedia situé à deux pas et à bonne distance la génération voix, le théâtre déambulatoire où demi du théâtre Antoine qu’il co- au-dessus. Comme dans La l’on marche d’une salle à l’autre dirige avec et le Mouette , la mère de Jean est ac - (ah, le temps où l’on nous faisait Sentier des Halles, au cœur de trice, "mais ce n’est pas Arka - arpenter les interminables esca - Paris (dans le 2e arrondissement), dina" et son beau-père écrit liers de Chaillot ! ) ou bien le théâ - vivier de jeunes humoristes. Jean- "mais ce n’est pas Treplev" et tre pugilistique à la Vincent Marc Dumontet possède égale - Jean "n’est pas non plus Trigo - Macaigne où l’on monte pour ment le Point Virgule, le Grand rine" … Nos débuts dans la vie est danser ou crier sur scène ! Mais Point Virgule et Bobino (lire l’in - la troisième pièce de Patrick Mo - tout bon théâtre n’est-il pas im - terview de J-M Dumontet sur diano après La Polka (1974) et mersif ? Bonnes immersions en www.theatral-magazine.com). Poupée blonde (1983). 2018 !

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 7 Une o c

Charles Berling s a P / e s s i a u Q

e p p i l i h P Un rôle écrit pour moi @

8 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 AR T

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n 1994 , Patrice Kerbrat monte Art écrit par Yasmina Reza. La pièce qu’interprètent Pierre Arditi, Pierre Vaneck et Fabrice Luchini a pour sujet principal une toile blanche traversée par de fins liserés blancs. Une œuvre contempo - Eraine qui a coûté la bagatelle de 200.000 francs à l’époque à Serge, un dermatologue passionné d’art. Quand il exhibe fièrement son acquisi - tion à son ami Marc, il se trouve face à un mur d’incompréhension. C’est le commencement d’une dispute qu’essaie de tempérer leur ami Yvan, une dispute qui dépasse largement la légitimité de la toile et son prix. Ce qui se joue entre eux, c’est la place de chacun dans leur triangle d’amis : Marc qui s’enorgueillit d’une posture paternaliste, Serge qui s’émancipe sans le consentement de Marc et Yvan qui sacrifie toute pensée personnelle à l’amitié de Marc et Serge. Presque 25 ans plus tard, Patrice Kerbrat reprend la pièce fin janvier au Théâtre Antoine, avec Alain Fromager dans le rôle de Serge, Jean- Pierre Darroussin dans celui d’Yvan et Charles Berling dans celui de Marc. Un personnage intransigeant, dictatorial dont il se sent sponta - nément proche...

Théâtral magazine : Aviez-vous Cela ne vous a-t-il pas étonné traite un peu Serge comme sa vu la pièce à sa création ? qu'elle vous propose ce rôle plu - chose. Charles Berling : Je l'avais vue tôt qu’un des deux autres ? J’ai ça aussi en moi. Totalement. quand Jean-Louis Trintignant Pas du tout. Dans la distribution Au-delà de l’aspect dictatorial, avait repris le rôle de Serge (créé qui est faite, avec Jean-Pierre Dar - c’est plus un Alceste moderne par Fabrice Luchini, ndlr) au théâ - roussin qui joue Yvan et Alain Fro - comme le dit notre formidable tre Hébertot aux côtés de Pierre mager qui joue Serge, Marc est metteur en scène Patrice Kerbrat. Vaneck et Pierre Arditi. C'était en parfait pour moi. J'ai même l'im - Mais j’en suis conscient. Comme 1997. C’est un chef d’œuvre, avec pression qu’il a été écrit pour moi. Marc est conscient de son compor - une écriture d’une grande finesse. D’ailleurs, si j’avais dû mettre en tement, quand il dit "je suis con. Je Alors quand Yasmina Reza m'a scène la pièce, je me serais distri - devrais être plus doux". appelé et m'a dit qu’elle aimerait bué spontanément dedans, parce Pourtant, vous faites aussi de la que je joue Marc (que jouait Pierre que j'ai ce côté bêtement intransi - mise en scène ; cela demande Vaneck à l’époque), j’ai accepté geant du personnage… beaucoup d’écoute, de psycho - tout de suite. Marc est surtout dictatorial ; il logie…

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 9 CHARLES BERLING

Oui mais on peut faire preuve d’autorité et être à l’écoute des au - tres. Cela faisait trop longtemps que Marc exerçait une emprise sur Serge et que cela marchait. Pour moi, la pièce est un aveu de l'échec de ce qui nous relie aux au - tres. En jouant dans Le prénom au cinéma, j'ai pu constater une grande similitude entre ces deux histoires dans ce qu’elles racon - tent de cette amitié entre trois personnes mises à mal à cause d'un objet. Dans Art , c'est à cause d’un tableau blanc et dans Le pré - nom c'est l'histoire de la moder - nité ou pas d'un prénom. Ce qui caractérise une grande pièce, et je r o t c

l'ai vu avec Dans la solitude des i V

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champs de coton de Koltès, c'est c Alain Fromager, Jean-Pierre Darroussin et Charles Berling s a P qu'elle permet plusieurs interpré - tations, que tel interprète puisse @ mettre le focus sur tel ou tel as - pect sans la dénaturer. 70.000 ans et on constate qu'il y Boeglin-Rodier à Toulon. Elle est Quel regard portez-vous sur les a une certaine constance dans les venue y faire ses résidences de autres personnages, Yvan et comportements de l'Homo sa - création et y a créé Comment vous Serge ? piens. Alors, je ne crois pas que les racontez la partie et Bella figura . Je pourrais jouer les trois indiffé - fondamentaux de l’amitié aient A-t-elle assisté aux lectures de remment parce que je me re - beaucoup changé depuis 20 ans. Art ? trouve dans chacun d’eux : dans Oui ; à chaque lecture, elle était là. Marc bien sûr, mais aussi dans le C'est formidable Comme dit Jean-Louis Trinti - personnage d'Yvan parce que parce qu'on s’ap - gnant, c'est une très bonne ac - comme lui, il y a plein de moments trice. Et on le sent quand on lit ses où on n'a pas envie de se détermi - proche d'un endroit ex - textes. C'est aussi une bonne met - ner, de prendre position et dans trêmement primitif de ce teuse en scène (elle vient de met - Serge, parce que je crois qu’il est que nous sommes... tre en scène Bella Figura avec sincèrement amoureux de sa toile Emmanuelle Devos au Rond-Point blanche elle-même et du geste ar - C'est une pièce qui a marqué et Comment vous racontez la par - tistique qu’elle véhicule. l'histoire du théâtre en France. Il tie ) même si elle est surtout Pensez-vous que la pièce ré - y en a eu peu depuis Beckett… connue pour être un grand auteur. sonne différemment vingt ans Oui il y a aussi l’écriture de Koltès Dans Art , on voit qu’elle a ce sens après sa création ? dont je viens de jouer Dans la soli - de l'instant propre aux acteurs qui Je ne sais pas, mais je ne pense tude des champs de coton . Mais donne une structure à la pièce et pas. Je suis en train de lire le livre c’est vrai que j’aime beaucoup ce qu’elle s’est laissée aller à son ins - de Yuval Noah Harari, Sapiens une que fait Yasmina Reza. On la re - tinct pour décrire les relations hu - brève histoire de l'humanité , qui çoit d’ailleurs régulièrement au Li - maines et ce moment où on se remonte à nos origines il y a berté que je codirige avec Pascale demande ce qui nous relie. C'est

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formidable parce qu'on s’ap - adapté du livre de Georges Berna - proche d'un endroit extrêmement nos. Bernanos disait "C’est parce n Art, de Yasmina Reza, mise en primitif de ce que nous sommes. Et que justement je ne veux pas être scène Patrice Kerbrat, avec Charles ce n'est pas sur un réseau social passéiste que je m’intéresse au Berling, Alain Fromager, Jean-Pierre qu’on peut trouver ça ; il n’y a passé" . J’adhère totalement à Darroussin qu’au théâtre que l'être humain cette idée et cela donne au Liberté Théâtre Antoine, 14 boulevard de peut reconnaître sa part animale. une équipe très jeune essentielle - Strasbourg 75010 Paris, Vous accordez donc du pouvoir ment féminine où tout le monde 01 42 08 77 71, à partir du 30/01 au théâtre… s’implique, lit les textes qui arri - Bien sûr. D’abord parce que sur vent. moi il a eu des incidences, même Vous voyez-vous longtemps au si je ne peux pas présumer de ce Liberté ? qui se passe chez les autres. Mais Je m'y vois encore avec Pascale je crois profondément à la néces - Boeglin pour quelques années. sité du théâtre surtout face à Pas parce que je rêve de faire une Repères artistiques notre rapport à la technologie, à carrière de directeur. Je n’étais pas l'image, aux réseaux sociaux et directeur avant. Ce qui m'inté - Théâtre donc aux réseaux éloignés ; c'est resse, c’est de servir le théâtre en un endroit qui devient un peu général et Toulon la ville de mon Rôles unique dans ce contexte. On sait enfance en particulier, et de par - 1985 L’école des femmes, de Molière, mise en que dans les campagnes un peu tager cet outil avec une équipe et scène Bernard Sobel

éloignées, les gens sont isolés chez un territoire. Je fais sans cesse des 1991 La Maman et la Putain, de Jean Eustache, eux avec la télé et c’est dans ces allers-retours entre Paris et Tou - mise en scène Jean-Louis Martinelli régions que les salles sont bour - lon ; je me sens totalement chez 1994 De mes propres mains, de Pascal rées. Les gens viennent parce moi à Paris et totalement chez moi Rambert, mise en scène Pascal Rambert qu’ils trouvent un endroit où ils à Toulon. Je suis d’ailleurs en train 1995 Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, peuvent débattre et s’ébattre. Et de travailler sur un livre d’entre - mise en scène Jean-Louis Martinelli depuis six ans que je codirige le tiens un peu fragmentaire dont le 1998 OEdipe le Tyran, de Sophocle par Théâtre Liberté à Toulon, je me - titre est Un homme sans identité . Hölderlin, mise en scène Jean-Louis Martinelli et sure à quel point c’est nécessaire. C’est mon ressenti d'homme de P. Lacoue-Labarthe C’est pourquoi on s’efforce d’en théâtre qui se définit par ses mul - 2001 Cravate Club, de Fabrice-Roger Lacan, faire un lieu de parole et d'inter - tiples identités, donc sans identité. mise en scène Isabelle Nanty connexion physique entre tout le Cela parle de ce qu’est l'éphémère, 2011 Ithaque de Botho Strauss, mise en scène monde à l’heure où il y a une lutte ce côté non reproductible du théâ - Jean-Louis Martinelli, qui s’opère entre le virtuel et le tre. Quelque part, l’accepter, c'est 2015 Vu du pont, de Arthur Miller, mise en réel. On le voit sur les jeunes géné - accepter la mort. scène Ivo Van Hove rations. L'utilisation du téléphone Propos recueillis par portable se heurte au principe Hélène Chevrier Mises en scène fondamental de la présence dans 2006 Caligula, d'Albert Camus, mise en scène une salle de spectacle. Il y a une Charles Berling contradiction énorme entre cette 2008 Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en fuite permanente derrière les scène Charles Berling écrans et l'acceptation du temps 2012 Gould et Menuhin, mise en scène présent qu’impose le théâtre. C’est Christiane Cohendy et Charles Berling cette lutte entre l'être humain et 2016 Dans la Solitude des Champs de Coton, la machine que raconte d’ailleurs de Bernard-Marie Koltès, mise en scène Charles le spectacle de Jean-Baptiste Sas - Berling tre La France contre les robots

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Patrice Kerbrat Possession et dépossession

Depuis la création en 1994 d’ Art , c’est Patrice Kerbrat qui signe la mise en scène de la pièce. Les comédiens qui se suc -

cédent dans les rôles de Marc, Serge et Yvan r o t c i V

suffisent à donner une tonalité différente à l a c s a P chaque fois. @

Théâtral magazine : Vous repre - intervient toujours, même sur celle l'impression que Serge veut sa nez toujours la même mise en d'origine puisqu’au départ, c’était place. Parce que Marc est le mâle scène. Pourquoi ? une commande des deux Pierre, dominant du groupe. Un peu Patrice Kerbrat : Simplement Vaneck et Arditi. À l'époque, Yas - comme chez les animaux. Sauf que parce qu’à chaque fois que les ac - mina habitait au-dessus de chez pour eux, l’enjeu est la possession teurs changent, la tonalité de la un certain Serge, un dermatologue des femelles. Dans la pièce, c’est pièce change. Jusque-là, Marc a qui aimait l’art. Un jour il lui a mon - plus théorique. Il y a ce tableau toujours été joué par Pierre Va - tré un tableau blanc qu’il venait blanc. Serge croit au progrès et neck, Serge par Luchini, Michel d’acheter. Elle a éclaté de rire et Marc n'y croit pas. Il est resté blo - Blanc et Jean-Louis Trintignant, et Serge aussi. Et cela a donné le qué sur l’idée originelle de la pein - Yvan par Arditi et Jean Rochefort. début de sa pièce. Sauf que le per - ture faite pour provoquer une Chacun apportait un éclairage sonnage de Serge ne rit pas et c’est émotion. Il rejette ce qu’elle est de - tout à fait différent. La dernière ce qui provoque la dispute. Puis venue au début du XXe siècle, une fois qu'on a joué à Paris c’était elle a introduit un troisième per - interrogation sur cette émotion ; je avec Jean Rochefort, Jean-Louis sonnage, Yvan, qu’elle a confié à pense aux oeuvres de Kandinsky Trintignant et Pierre Vaneck et ils Luchini. Mais comme au cours des ou Malevitch avec Carré noir sur créaient malgré eux une espèce premières lectures, ça ne fonction - fond blanc etc. C'est un débat phi - d'arrière-fond de mélancolie dé - nait pas, Arditi et Luchini ont eu losophique important mais ce n'est chirante qui existait moins ou pas l'idée d'intervertir leurs rôles. pas traité comme ça. Parce que du tout à la création. Chacun des personnages occupe dans Art , le vrai problème, c’est la Pour cette nouvelle reprise, com - une place bien déterminée au question de la possession et de la ment avez-vous fait la distribu - sein de ce trio. dépossession : Marc a l'impression tion ? Oui il y a une hiérarchie entre de posséder Serge et de lui avoir C'est largement Yasmina Reza qui Marc, Serge et Yvan. Et Marc a tout appris et brusquement un

12 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 leur amitié est plus importante faire tenir devant le tableau à Marc a l'impression pour lui que cette histoire de ta - l'aide d'un fil invisible, si bien que de posséder Serge bleau. quand Serge est rentré chez lui, il et de lui avoir tout La pièce est très drôle et pour - a cru un instant que le skieur était appris et brusquement tant c’est une tragédie, puisque dessiné sur le tableau. Yasmina en un morceau de Serge est prêt à sacrifier son a fait quelque chose de sacrificiel métaphysique tombe du amour pour le tableau blanc pour dans la pièce. ciel et les sépare... reconquérir l’amitié de Marc. Comment interprétez-vous la fin ? Il a un rapport d'amour à ce ta - Le dernier monologue de Marc est bleau. C'est un peu comme si un peu énigmatique : il dit que morceau de métaphysique tombe Serge présentait sa femme à son quelque chose s'est effacé. Mais le du ciel et les sépare. Ce tableau meilleur ami et que celui-ci lui rit spectateur choisit la fin qui lui blanc, c'est un peu la bouteille de au nez en disant "c'est un boudin" convient. coca du film Les dieux sont tombés et que Serge rétorque "alors, tue- Propos recueillis par sur la tête . Il révèle toutes sortes la" . Mais cette scène est emprun - Hélène Chevrier de non-dits, de conflits. Marc se tée aussi à la réalité. Quelque sent dépossédé parce que Serge temps après sa présentation du n Art, de Yasmina Reza, mise en est tombé amoureux de quelque tableau à Yasmina, le vrai Serge scène de Patrice Kerbrat, avec chose qu’il n’approuve pas. Au mi - est parti aux sports d'hiver en lui Charles Berling, Alain Fromager, lieu de tout cela, il y a Yvan qui a confiant les clés de son apparte - Jean-Pierre Darroussin absolument besoin de ses amis ment. Et le compagnon de Yas - Théâtre Antoine, 14 bd de pour vivre au point qu’il accepte mina de l'époque, Didier, a eu Strasbourg 75010 Paris d’être leur bouc émissaire. Il s’en l'idée diabolique de dessiner un 01 42 08 77 71, à partir du 30/01 fiche d’être maltraité parce que skieur sur du papier blanc et de le

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 13 à partir du n La Vase, conception et mise en scène de LA VASE Marguerite Bordat et Pierre Meunier 8 Théâtre des Abbesses – Paris Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses Janvier 75018 Paris, 01 42 74 22 77, du 8 au 18/01

Marguerite Bordat & Pierre Meunier après la fermeture des mines. Pierre : Malgré les nouvelles formes L’attraction de la vase de solidarité qui se créent, ils nous ont avoué qu’ils n’avaient pas en - core touché le fond... Marguerite : Oui, mais il existe une grande capacité de résilience dans ce territoire sinistré où tout est à re - bâtir sur des ruines. Dans le voyage sensible que nous cherchons à construire avec notre spectacle, il est possible de percevoir cette Matière putride qui salit , menace et enlise, la strate politique. Mais rien n’est flé - ché, rien n’est indiqué. Il existe un

vase est au cœur du dernier spectacle de Pierre Meunier t e

n spectacle par spectateur. r u o

et Marguerite Bordat. Dans un espace scénique t s Vous avez pour habitude de colla - E

e r

r borer avec des scientifiques. Avez-

transformé en immense laboratoire, les deux artistes e i P -

n vous renouvelé cette expérience ? a

veulent en révéler toutes les propriétés insoupçonnées. e J Pierre : Nous nous sommes tour - @ nés vers les chercheurs de l’Amàco à Villefontaine. Leurs travaux sont Théâtral magazine : Après la est une matière sale, à fuir. En vé - consacrés à l’étude de matériaux roche et le métal, vous avez rité, elle est chaude et agréable, déconsidérés qu’ils veulent revita - choisi de travailler sur la vase. toute en caresses et, parce qu’elle liser à l’aide de projets architectu - Pourquoi avoir opté pour ce ma - raux. Je cherche toujours à me tériau déconsidéré ? confronter à la prose scientifique. Pierre Meunier : Quand nous Nous nous sommes Elle est très inspirante pour cerner commençons à travailler, nous jetés dans la Baie les phénomènes sur lesquels on se n’avons aucune stratégie préala - de Somme, nous avions la penche. Elle contient énormément ble mais cédons plutôt à des at - sensation d’enfreindre une de conjonctions de mots qui me tractions. Après beaucoup de règle... servent de combustible pour mon dureté, le désir est progressive - écriture. ment venu de s’approcher de cette épouse le corps, très accueillante. Marguerite : Cette rencontre a matière molle. Elle symbolisait la C’est aussi une matière informe nourri une grande part du specta - perte d’appuis que nous ressen - où l’on peut s’enliser… Avez- cle. Nous l’avons conçu comme un tons actuellement, cet ébranle - vous travaillé sur cet aspect en grand laboratoire. Il nous place en ment des certitudes sociales, particulier ? situation de recherche et nous comportementales et affectives Marguerite : Pour se confronter à permet de retrouver l’étonnement que nous vivons. l'idée d'enlisement social, nous premier face à ce que l’on voit, à Marguerite Bordat : Quand, au avons passé deux fois dix jours à ce que l’on fait. Tout l’enjeu est en - début de notre travail, nous Loos-en-Gohelle, une ancienne suite de contaminer le spectateur sommes allés dans la Baie de cité minière située juste à côté en réveillant ses sens et son ima - Somme pour nous y jeter l’un puis d’Hénin-Beaumont. Nous y avons ginaire. l’autre, nous avions la sensation rencontré des politiques et d’an - Propos recueillis par d’enfreindre une règle. Depuis ciens mineurs. Nous voulions qu’ils Vincent Bouquet l’enfance, on nous dit que la vase nous parlent du rebond possible

14 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 9 NÉ NESSE Janvier Théâtre Dejazet - Paris Olivier Marchal Les fracassés de la vie Ancien rocker et légionnaire , chômeur, raciste, antisémite et homophobe, Nénesse soigne son amertume à coups d’alcool, de tabac et en humiliant sa femme et deux sans-papiers à qui il loue un algéco, un musulman anti-Daech et un ex-employé du Sénat. Autour de ce quatuor de “fracassés du monde contemporain” , le dramaturge et romancier Aziz Chouaki a écrit une “farce anthropologique” mise en scène par Jean-Louis Martinelli. Olivier Marchal fait son retour sur les planches dans le rôle “sans limite” de Né nesse. r d @

Affreux, sales et méchants nours”. Nénesse ne cesse de dire des animale, sans trop réfléchir même si, “La première fois que j’ai lu le texte, horreurs mais l’idée n’était pas de le sans doute, je pense plus que je veux seul chez moi, j’étais perplexe, je me juger, de le prendre de haut mais de bien me l’avouer.” demandais comment on pourrait rendre attachant chacun des quatre monter une telle pièce. L’évidence personnages, de leur permettre d’ex - Jean-Louis Martinelli s’est faite dès la première lecture col - primer leurs fêlures, leur folie. A cer - “Comme comédien, c’est sur les lective. C’est un texte qui cartonne. tains moments, on voit que Nénesse planches que je ressens cette adré - La langue d’Aziz Chouaki a un im - retombe en enfance, qu’il laisse fil - naline que j’adore, bien plus que de - pact incroyable, Jean-Louis Marti - trer un décalage avec son caractère vant une caméra où l’on attend des nelli parle d’une écriture célinienne. odieux. Cela peut paraître étrange heures et où l’on peut souffrir d’un Une succession de mots, de phrases, mais ces quatre laissés-pour compte manque de direction d’acteur. C’est souvent sans ponctuation, ce n’est ne cessent de régler leurs comptes un tel plaisir de travailler avec pas facile à jouer mais quel plaisir ! sans jamais vraiment tomber dans la quelqu’un comme Jean-Louis Marti - C’est un grand auteur, décalé, barjot, haine.” nelli qui, malgré son parcours, n’uti - drôle. Son écriture est d’une sauva - lise jamais la force de son autorité gerie et d’une très grande poésie. Il Marivaux plutôt que le Raid intellectuelle pour imposer ses vues. est autant critique avec la montée “J’ai commencé le théâtre alors que Il échange et c’est pour moi très en - du nationalisme européen qu’avec j’étais encore flic, certains collègues richissant.” l’islamisme, il a d’ailleurs eu pas mal se fichaient de moi en me surnom - Propos recueillis par de problèmes en Algérie. On peut mant “Francis Huster”. A un certain Patrice Trapier dire que la pièce est une sorte d’ Af - moment, j’étais accepté dans l’unité freux, sales et méchants actuel et po - d’élite du Raid et je devais commen - n Nénesse, d’Aziz Chouaki, mise en litique. A la fin, c’est un chaos cer un Marivaux, j’ai choisi le théâtre. scène Jean-Louis Martinelli, avec indescriptible qu’il vaut mieux ne pas Dans le travail, je suis brut de Olivier Marchal, Christine Citti, dévoiler.” pomme, c’est ma façon sans doute Hamou Graïa, Geoffroy Thiebaut. d’assumer un complexe intellectuel Théâtre Dejazet, 41 bd du Temple Laisser passer les fêlures par rapport au milieu du théâtre. Je 75003 Paris, 01 48 87 97 34, “Jean-Louis Martinelli m’a sans pratique ce métier exactement du 9/01 au 3/03 doute choisi pour mon côté “nou - comme quand j’étais flic, de façon

16 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du LES SOLDATS ET LENZ 9 Tournée Janvier Anne-Laure Liégeois Libre comme une fille Anne-Laure Liégeois monte Les Soldats , une pièce qui raconte le destin tragique de Marie, une jeune fille espérant s’élever dans un monde détenu par les hommes. Trois ans après l’écriture de ce texte, son auteur Lenz en proie à la folie partit le 20 janvier 1778 dans la montagne pour échapper au monde et y mourut. Büchner en fit un portrait en 1835 dans un texte intitulé Lenz , qui est donné après la pièce.

Théâtral magazine : Vous mon - dite inférieure espère grimper les doit se compor - tez les deux pièces comme un échelons. Il parle aussi des rela - ter quand on diptyque ? tions parents enfants. Et il y avait est une fille, à Anne-Laure Liégeois : Il s’agit l’aspect formel qui m’intéressait : quelle vitesse plus d’une variation autour de alors qu’elle a été écrite en plein on se fait trai - Lenz. Je voulais mettre en scène classicisme, la pièce balance ter de salope. Les soldats et connaissant le texte toutes les unités de temps et de C’est d’ailleurs absolument sublime de Büchner lieu pour se dérouler sur plusieurs pour cela que sur Lenz, le présenter dans le mois et dans plusieurs endroits. Ça j’ai demandé r

décor de son spectacle, comme fonctionne comme du cinéma. aux comédiens d

pour rendre hommage à cet au - C'est très nerveux. Et c'est un défi de rester tou - @ teur qui n'a pas eu beaucoup au théâtre de représenter des jours en scène d'honneur dans sa vie. scènes qui durent 10 secondes. même quand ils ne jouent pas. Dans cette histoire, diriez-vous Pour montrer à quel point Marie J’ai trouvé fascinant que Marie est totalement inno - est surveillée et son comporte - qu'un homme du cente ? ment condamné au moindre écart. XVIIIe siècle écrive sur la Bien sûr qu’elle est totalement in - Propos recueillis par nocente ; elle est libre et quand on Hélène Chevrier violence faite à une jeune est libre, on fait absolument ce fille... qu'on veut de soi. Après c'est très facile de dire qu'elle a bien cher - Qu’est-ce qui vous a plu dans Les ché à se faire violer. A un moment Soldats ? donné un des soldats raconte n Les Soldats, d’après Lenz, suivi de Lenz, de D’abord, j’ai trouvé fascinant qu’elle était devant lui avec sa pe - Büchner, mise en scène Anne-Laure Liégeois qu'un homme du XVIIIe siècle tite jupe transparente… Elle est 9 au 12/01 Maison de la Culture d’Amiens écrive sur la violence faite à une aussi clairement intéressée parce 23/01 au 2/02 Théâtre 71 à Malakoff jeune fille. Et en même temps, qu’elle veut changer de classe. 6 au 10/02 Le Grand T à Nantes quand on sait que Lenz a été un Sauf que c’est son père qui l’y 13 et 14/02 Le Volcan au Havre très grand humilié, ce n’est pas oblige. Les garçons sont évidem - 20/02 Mars à Mons (Belgique) étonnant non plus qu’il se soit in - ment beaucoup plus condamna - 3/03 Les 3T à Châtellerault téressé à la cause des filles. Et puis bles même s’ils sont eux aussi 7 et 8/03 Le Cratère à Alès il est aussi question du rapport de victimes d'une éducation. C’est 20 au 22/03 Théâtre de l’Union à Limoges classes, comment une classe agit une question toujours très ac - 27 au 29/03 Théâtre Dijon Bourgogne sur une autre, comment la classe tuelle. On sait bien comment on

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 17 à partir du 12 COMME IL VOUS PLAIRA Janvier Théâtre du Nord – Lille Christophe Rauck Le monde selon Shakespeare Il voit dans le théâtre “la sentinelle de la société” et déplore que l’on parle plus des metteurs en scène que des comédiens. Une “ère d’auto entreprenariat” dit-il. Christophe Rauck, artisan de la vitalité théâtrale artistique du Nord et

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directeur du Théâtre du Nord à Lille, y s

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met en scène Comme il vous plaira de n

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S Shakespeare à partir du 12 janvier.

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Théâtral magazine : Quelles sont l’amour, le temps, la vie. La narra - Quel est le secret de la perma - les forces et faiblesses de cette tion n’est que le support qui cata - nence de ce type d’œuvres ? pièce de Shakespeare ? lyse tout cela. Elles ont en elles l’essence de Christophe Rauck : C’est une Que choisissez-vous pour cette notre humanité. Même quand on pièce compliquée, brute, qui n’est nouvelle proposition ? ne les connaît pas, on les recon - pas dramaturgiquement aussi ai - La pièce a un côté monstrueux naît toujours. Ce n’est pas parce guisée que ses autres pièces. dans l’agencement des scènes. J’ai que Shakespeare a écrit au XVIe Néanmoins, il y a des person - voulu clarifier en classant les siècle qu’il n’est plus d’actualité nages, des morceaux magnifiques scènes du château en scènes de aujourd’hui. Il y a des pièces qui comme les joutes dans la forêt, le violence, celles dans la forêt dans font avancer le courant littéraire. monologue de Jacques… Elle fait lesquelles le temps s’arrête, et en Tout d’un coup, l’intime parle du se croiser beaucoup de questions travaillant sur le son comme axe monde. Un chirurgien de nos inti - philosophiques, morales et hu - de mise en scène en une espèce de mités comme Shakespeare de - maines ; cela donne des scènes su - carte postale sonore. Il fallait res - vient alors un grand auteur. Le blimes. Il faut donc résoudre des ter le plus simple possible pour théâtre est important dans son problèmes dans la dramaturgie, la que la ligne dramaturgique, ce questionnement plus que dans les mise en scène et le jeu car les rapport entre la violence et réponses qu’il apporte. scènes sont complexes. l’amour, soit présent. J’ai souhaité Propos recueillis par Est-ce la raison pour laquelle elle une scénographie légère pour que François Varlin est peu montée ? le texte prenne sa dimension. Il Ce n’est pas une pièce dotée de la faut avoir une vision, parvenir à la même puissance de séduction que construire, et de super acteurs. Ce Le Songe ou La Nuit des rois ; sa sont des rôles d’anthologie. Rosa - trame est moins haletante aussi. linde (Cécile Garcia Fogel), Jack le n Comme il vous plaira, de William Mais elle s’inscrit dans une dimen - Mélancolique (John Arnold), le fou Shakespeare, traduction sion philosophique et poétique (Pierre Le Touche), Orlando Jean-Michel Déprats, mise en scène puissante qui emporte. Shakes - (Pierre-François Garel), ce sont des Christophe Rauck peare nous enlève dans un voyage partitions exceptionnelles. C’est Théâtre du Nord, Lille, 4 place du théâtral innovant au travers des compliqué à monter car c’est à la Général de Gaulle 59026 Lille, questions que se posent ses prota - fois un théâtre de metteur en 03 20 14 24 24, du 12 au 31/01 gonistes comme la violence, scène et un théâtre d’acteur.

18 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du LES BIJOUX DE PACOTILLE 16 Théâtre Paris-Villette Janvier Rond-Point et tournée

Dans la foulée du succès rencontré par Mon coeur , Pauline Bureau s’empare du texte autobio - Pauline Bureau graphique de Céline Milliat Baum - La construction des souvenirs gartner, Les Bijoux de pacotille . Elle dirige la comédienne seule en scène, qui se souvient de son enfance orpheline, trente ans après la mort de son père et de sa r d mère dans un accident de voiture. @

Théâtral magazine : Pourquoi qu’ils deviennent des êtres hu - intimités au théâtre, mieux vaut avoir choisi ce texte très personnel mains, avec leurs failles. Le texte de rester chez soi ! Cela n’empêche pas de Céline Milliat Baumgartner ? Céline parle des parents tels qu’elle de le faire avec précaution et fran - Pauline Bureau : Dans un premier les voyait avec ses yeux d’enfant. chise. J’aimerais bien que mon spec - temps, j’ai davantage choisi une ac - L’important réside dans la manière tacle soit délicat par rapport à trice qu’un texte car j’avais déjà tra - dont elle se souvient, mais aussi l’histoire qu’il raconte. vaillé avec Céline. J’ai décidé de dans la façon dont elle s’est Comment avez-vous orchestré l’accompagner dans le processus de construite avec les manques, les si - cette délicatesse ? création qu’elle avait engagé, seule, lences, les choses qu’elle savait ou Avec mon équipe habituelle, nous il y a deux ans. A la lecture, son livre ne savait pas. avons travaillé avec tact et légèreté m’a bouleversée. L’émotion et la vie En ce moment, une question m’ob - tout en veillant à construire un qu’elle a injectées toute en subtilité sède : avec quoi peut-on faire du objet esthétique abouti. Chacun a dans cette histoire a trouvé un écho théâtre ? J’ai essayé avec l’actualité dû alléger sa partition car il y avait en moi. Il renvoie à la création des dans Mon Cœur . Avec Les Bijoux de beaucoup de créateurs pour une souvenirs, réels ou fantasmés, qui pacotil le, je tente de construire un seule actrice. Même si nous vou - ne sont jamais les mêmes pour per - spectacle avec des souvenirs, avec lions monter un “vrai” spectacle, il sonne. Un événement vécu par un un roman familial, uniquement à la ne fallait pas qu’il soit lourd et frère et une sœur pourra être un première personne. Il existe alors le risque de l’étouffer. Je crois qu’avec bon souvenir pour l’un et un mau - risque que ce ne soit pas universel, deux effets magiques, deux effets vais pour l’autre. Ce n’est qu’ensuite qu’on ne parle que de ses obses - vidéo et deux effets son, nous avons qu’ils se mettent d’accord sur une sions personnelles, ou au contraire un dispositif simple, un cadre qui version et que peut naître un roman que l’on passe à côté. Mais je crois fait spectacle et remplit l’objectif familial. qu’un spectacle ne peut fonctionner que nous nous étions fixé. Perdre ses parents aussi jeunes en que lorsqu’on se met en jeu, Propos recueillis par fait-il de facto des personnages de lorsqu’on raconte des histoires qui Vincent Bouquet roman ? nous touchent. La mère de Céline a une mythologie Comment avez-vous géré le rap - n Les Bijoux de pacotille, texte et jeu Céline Milliat bien à part, celle d’une actrice port forcément intime qu’elle a Baumgartner, mise en scène Pauline Bureau connue. Lorsqu’on est enfant, on avec ce texte ? du 16 au 20/01, Théâtre Paris-Villette Paris voit ses parents comme des êtres Dans mes différents spectacles, je du 22 au 23/02, Le Bateau feu Dunkerque forcément très beaux, forcément travaille toujours sur ce rapport in - du 6 au 31/03, Rond-Point 75008 Paris très forts. Ce n’est qu’en grandissant time. Si on ne travaille pas sur nos

20 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du DOUCE -AMÈRE 16 Bouffes Parisiens - Paris Janvier

Si l’on demande à Michel Fau ce qu’il aime au théâtre, il répond : “ Rien, c’est pour cela que je fais des spectacles !” . Ce boulimique de travail enchaîne les rôles et les mises en scène, superpose souvent les deux, et aime alterner les auteurs. Après Tartuffe cet automne, il monte et joue Douce-amère de Jean Poiret avec Mélanie Doutey aux Bouffes Parisiens dès le 16 janvier prochain.

Théâtral magazine : Pourquoi centriques, l’humour et le lyrisme : cette pièce de Poiret est-elle peu ça ratisse large de Molière à Jean connue ? Poiret. Michel Fau : La Cage aux folles a Etes-vous plus intéressé par un Michel Fau étouffé le reste… Ce texte avait thème ou un auteur ? surpris par sa mélancolie. Il y a l’hu - Un auteur. Ici la langue n’est pas mour acide de Poiret, mais cela dit celle d’un feuilleton télé, c’est très en pince pour des choses sur le fantasme féminin écrit. Il y a une musique Jean Poi - r d Mélanie Doutey

dans une langue très littéraire. ret, des phrases très alambiquées. @ Une pièce plus secrète, apparem - J’aime travailler sur la musique de ment très sophistiquée, amère l’auteur, celle de Molière ou de sous des dehors distingués, qu’il Montherlant, qu’il me surprenne et Pourquoi vous distribuer dans avait créée avec Nicole Courcel. m’intrigue. vos spectacles ? Cela va surprendre, un peu comme Mes angoisses de metteur en Un amour qui ne finit pas d’André Mélanie Doutey a scène sont vite calmées quand je Roussin que j’avais monté, car c’est un charisme in - vais sur le plateau, et mon ego un théâtre de boulevard des senti - d’acteur se calme quand je dois ments, très psychanalytique. croyable. J’aime les per - gérer le spectacle. C’est très sain. Quel est le propos ? sonnalités, leur aura, leur Je suis frustré si je ne fais que la Une femme qui veut être libre, en - “plateaugénie”... mise en scène. C’est très dur de tourée de quatre hommes qui re - rester extérieur au spectacle et je présentent quatre fantasmes Les comédiennes rêvent de se comprends les metteurs en scène masculins : le mari, l’homme idéal faire mettre en scène par vous ? qui deviennent odieux ou parano BCBG, l’amant très charnel, et un Certaines refusent, d’autres rede - seuls face à un groupe… très jeune homme. Elle sera insa - mandent comme Léa Drucker et Propos recueillis par tisfaite avec tous ces hommes mais . J’aimerais faire François Varlin aura besoin de tous dans sa vie. jouer Chantal Ladesou dans le sub - On peut compter sur vous pour ventionné, monter quelque chose faire revivre ce théâtre des an - de très culotté et faire la nique aux nées 70 ? théâtreux. Mélanie Doutey a un J’aime bien redécouvrir ces au - charisme incroyable. Dans cette teurs. Moi je suis honnête avec pièce elle a un rôle magnifique. Elle n Douce-amère, de Jean Poiret, mise en scène mes goûts ; Marcel Proust aimait m’a toujours fait rêver. Un acteur ef - Michel Fau, avec Mélanie Doutey, Michel Fau... l’opérette, Brecht aimait le boule - ficace mais un peu fade ne m’inté - Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny vard, l’être humain est comme ça. resse pas. J’aime les personnalités, 75002 Paris, 01 42 96 92 42, du 16/01 au 22/04 J’aime les choses poétiques et ex - leur aura, leur “plateaugénie” !

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 21 à partir du 16 BLUE BIRD Janvier Tournée et Rond-Point - Paris

Philippe Torreton Un père sans sa fille Pour sa première incursion dans le théâtre contemporain, Philippe Torreton a choisi un texte bouleversant : dans Bluebird de Simon Stephens, il incarne Jimmy, un écrivain qui a converti sa Nissan Bluebird en taxi après avoir renversé sa fille un soir en rentrant chez lui cinq ans auparavant.

Théâtral magazine : C’est une ment total et quand il dit à Clare le taxi de Jimmy. Qu’est-ce que cela pièce bouleversante, presque in - qu’il est très heureux, je crois qu'il va donner sur le plateau ? supportable. faut le croire. Il fait le même par - La voiture est sur scène mais on est Philippe Torreton : Mais c'est une cours que certains sages tibétains rarement dedans. On évolue dans pièce sur l'insupportable. La gran - sur la voie du détachement. Au un milieu urbain abstrait avec une deur de ce texte vient du fait que point qu’il ne craint personne, ni la ambiance sonore constante ; le couple que formaient Jimmy et mort. D’une certaine façon, il est toutes les projections d'images et Clare arrive malgré tout au bout déjà mort. de son ne seront pas réalistes, on de cinq ans à se dire les choses. Le C'est une forme de punition qu’il ne voit pas défiler les rues de Lon - plus dur n'est pas forcément de s’inflige pour avoir écrasé sa fille dres et on n'entend pas les klaxons dire ce qu'on a sur le cœur mais par accident. et les sirènes ; c'est une ambiance c'est de faire en sorte que l'autre Oui, il est resté au volant et n’est reconstruite et abstraite. en face soit disposé à l'entendre. Il plus jamais descendu de sa voi - Propos recueillis par va falloir qu'il arrive à faire en sorte ture. C'est son côté Sisyphe. Mais Hélène Chevrier qu'elle ne soit plus dans la haine ce soir là, cinq ans jour pour jour pour qu’elle comprenne quel a été après l’accident, il revient un peu n Bluebird, de Simon Stephens, mise en scène son chemin à lui depuis le drame, à la surface des choses. C'est Claire Devers, avec Philippe Torreton, Marie la vie recluse qu’il mène dans son comme si les gens s'étaient succé - Rémond, Julie-Anne Roth, Baptiste Dezerces, taxi à ne manger que du pâté en dés dans son taxi pour le ramener Serge Larivière croûte sous vide, ce suicide social, à éprouver le besoin de contacter 16 au 18/01 Espace des Arts à Chalon-sur- le fantôme qu’il est devenu. Clare : au début il commence par Saône. 23 au 27/01 Théâtre du Jeu de Et pourtant, aucune des charges dire qu'il n'a pas d'enfant. Puis Paume à Aix-en-Provence. 31/01 et 1er/02 qui monte dans son taxi ne soup - qu'il en a, qu'il en a eu, que c’était Maison de la Culture d’Amiens. 7/02 au çonne quoi que ce soit. Il est à une fille, qu'elle est morte et 4/03 Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roo - l’écoute de ses clients, calme et qu'elle est morte renversée par sevelt 75008 Paris. 29 et 30/03 Théâtre de posé. Rassurant même. une voiture. Sartrouville. 3 au 7/04 Célestins à Lyon Parce qu’il est dans un détache - Presque toute la pièce se joue dans

22 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du LA MAISON 17 Colline - Paris Janvier Casino de Bussang t e d E

u e i h t t a M

Simon Delétang @ Alors qu’il vient de créer avec lui au Théâtre National de Strasbourg Tarkovski, le corps du poète , Simon Delétang, fraîchement installé à la direction du théâtre de Bussang, monte un nouveau texte de Julien Gaillard, cette fois plus intime et mystérieux. L’écriture de La maison nous entraîne dans l’illusion des souvenirs de trois frères. C’est Wajdi Mouawad, le directeur de L’adieu à l’enfance la Colline, qui l’a incité à le porter à la scène.

Théâtral magazine : À la lecture, d'un souvenir d'enfance personnel. presque musical par rapport à leurs vous n'aviez pas pressenti que Quel rapport entretient Julien trois tessitures. Et puis ils ont tous cela pouvait devenir un objet de Gaillard à l’enfance ? vingt ans d’écart. Ce ne sont plus théâtre ? Il n’éprouve pas de nostalgie. Il dit trois frères mais presque le même Simon Delétang : La question ne souvent que l'enfance est une vie homme à trois âges de la vie avec s’était pas posée. Julien Gaillard me qu'il faut quitter pour avancer, qu’il trois regards différents sur sa propre l’a fait lire comme un texte qui faut arriver à ne plus être hanté par enfance. Après j'ai essayé de distri - n'était pas destiné au théâtre, mais la maison, à tuer ce passé. Si on vit buer des thématiques en fonction écrit pour lui-même. La poésie est en permanence dans la nostalgie de de chacun d’eux : le plus jeune porte toujours très présente dans ses ce temps, on n’avance plus. C'est un ce qui est lié à cette petite énergie textes dramatiques. Mais dans La adieu à l'enfance. de l'enfance, celui du milieu que maison , son écriture charrie énor - Quand on repense à la maison de joue Julien a un regard un peu sur - mément d'images. C'est un texte notre enfance, c’est toujours un plombant, et le plus âgé est plus miroir qui nous renvoie à notre pro - endroit où on s'est constitué, qui a relié à la nature et aux souvenirs. pre expérience de l'enfance. Moi qui accompagné notre croissance. Propos recueillis par ai grandi comme lui à la campagne, C'est à la fois une sorte de matrice Hélène Chevrier tout l'imaginaire qu'il développe est et un abri. Les parents sont très ab - très proche de ce que j'ai pu vivre. sents du texte. On a l'impression que ces enfants sont des orphelins et L'enfance est une que la maison est presque leur n La maison, de Julien Gaillard, mise en scène et vie qu'il faut mère. Mais il y a toujours ce double scénographie Simon Delétang, avec Rémi Fortin, quitter. Il faut arriver à mouvement. Elle inquiète autant Julien Gaillard, Frédéric Leidgens qu'elle rassure et la nuit on ne dort 17/01 au 11/02 Colline, 15 rue Malte Brun ne plus être hanté par la pas. 75020 Paris, 01 44 62 52 52 maison, à tuer ce passé Comment monte-t-on un texte 14 au 17/02 Casino de Bussang, 9 allée du pour avancer... comme ça ? Casino 88540 Bussang, 03 29 28 88 00 J'ai engagé trois comédiens avec n Tarkovski, le corps du poète, de Julien Gaillard C'est quelque chose de très intime des voix vraiment distinctes, dont 2 au 6/05 Manufacture Théâtre Quartier d’Ivry pour moi aussi et c'est pour ça que celle de Julien qui joue lui-même 11/05 Comédie de Reims j’ai construit la scénographie à partir dans le spectacle, j'ai fait un travail

24 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du AUTO -ACCUSATION 17 Théâtre Studio – Alfortville Janvier

L’humain par l’humain Xavier Legrand Multi-récompensé pour son premier film Jusqu’à la garde (Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2017…), Xavier Legrand est avant tout adepte du théâtre. Il était dernièrement Karénine dans l’adaptation d’ Anna Karénine face à Golshifteh Farahani et sera Jean dans Mademoiselle Julie aux côtés d’Anna Mouglalis à partir du 8 février. Mais avant, on le retrouvera dans Auto-accusation traduit d’ Introspection (1966) de Peter Handke. Dans ce solo, r D

un homme dresse la liste chronologique de ce qu’il a appris et @ désappris à faire, depuis sa naissance jusqu’à sa mort.

Théâtral magazine : C'est un main traverse depuis sa nais - texte que vous aviez déjà tra - Je m'expose, je sance jusqu’à sa mort, ne risque- vaillé lorsque vous étiez au viens parler aux t-elle pas de ronronner au bout Conservatoire. gens et je leur dis ce d’un moment ? Xavier Legrand : Effectivement, je dont je m'accuse ... Effectivement, il n’y a pas d’his - l’avais travaillé dans le cadre de toire, donc tout le travail consiste cartes blanches au Conservatoire à amener tout le temps du sens et Félicité Chaton me dirigeait pection. Avec Auto-accusation , je dans cette accumulation de mots. déjà. Le texte avait pour titre In - m'expose, je viens parler aux gens Pour cela j’ai un micro qui me per - trospection . Auto-accusation est et je leur dis ce dont je m'accuse. met de varier du chuchotement au exactement le même texte sauf C’est comme si j’étais le dernier à hurlement. Il faut éviter le ronron qu'on l’a retraduit. On s'est aperçu entrer dans cette salle après le pu - bien sûr mais que le public soit ca - que le titre original, en allemand, blic et que je me présentais face à pable aussi d’écouter jusqu'au dé - signifiait "auto-accusation " et non lui. Et puis j’ai 10 ans de plus. Je rangement cette langue qui n'en "introspection ". Dans la version vois les choses différemment au - finit jamais. française de 1968 le traducteur jourd’hui et je découvre aussi de Propos recueillis par avait un petit peu négocié avec le nouveaux aspects du texte. Hélène Chevrier texte ou essayé de trouver des sy - Cette “auto-accusation” ne nonymes pour éviter certaines ré - concerne pas qu’une personne, pétitions. Cela pouvait donner des mais chacun d'entre nous. n Auto-accusation de Peter Handke, mise en scène contresens comme "Dieu m'a ou - Oui. C’est tout ce qu'un homme a Félicité Chaton, avec Xavier Legrand. Théâtre blié, le monde m'a oublié" au lieu appris, l'homme naturel qui est de - Studio, 16 rue Marcelin Berthelot 94140 Alfort - de " j'ai été oublieux de Dieu, j'ai venu l'homme social, obligé d’agir ville, 01 43 76 86 56, 17 au 21/01 été oublieux du monde" . En fait selon des règles, mais qu’il peut n Mademoiselle Julie, d’après , c’est toujours "je" qui s’exprime. aussi transgresser. Comme on fait adaptation et mise en scène Gaëtan Vassart, avec Comment le texte résonne-t-il tous partie de ce monde-là, on se Anna Mouglalis, Xavier Legrand, Sabrina dans sa nouvelle traduction ? reconnaît ; c’est une sorte de mi - Kouroughli Comédie de Picardie, 62 rue des Quand c'était Introspection , j'étais roir tendu au spectateur qui Jacobins 80000 Amiens, 03 22 22 20 20, assis les yeux fermés et j’invitais donne le vertige. du 8 au 10/02 les gens à participer à mon intros - Cette liste de tout ce qu’un hu -

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 25 à partir du LE TICKET GAGNANT 17 Comédie Bastille – Paris Janvier

Christophe Segura d u

L’argent qui rend fou o r r e P

o n u r B On le connaissait comme producteur, puis comme directeur de théâtre depuis qu’il a racheté la @ Comédie Bastille il y a deux ans. Aujourd’hui, Christophe Segura ajoute encore une corde à son C'est un couple qui s'aime mais arc en signant sa première mise en scène. Le Ticket qui est rentré dans une sorte de routine. Mathieu, leur ami, est un gagnant est une comédie sur les dégâts causés arriviste total, qui vit aux crochets par l’argent. de sa femme et de sa maîtresse et mange à tous les râteliers. En même temps il a un flegme qui lui Qu'est-ce qui vous a plu dans la donne beaucoup de charisme. Dès qu'il y a de l'ar - pièce ? C’est une comédie. Est-ce la ligne gent en jeu, il n'y a J’ai tout de suite été emballé par éditoriale de la Comédie Bastille ? plus d’amis, plus de fa - l'écriture. J'aime les comédies On ne programme pas que des co - mille, plus rien. Ça ren - contemporaines avec des person - médies. On a un éventail de spec - voie l’être humain à sa nages bien trempés et un mes - tacles pour tous les goûts. Même nature animale. sage à la clé. En l’occurrence, le si on aborde pas mal de sujets sur sujet du Ticket gagnant est très le ton de la comédie. Dans L es voi - cruel. Trois amis ont les numéros sins du dessus , on parlait de Théâtral magazine : Qu’est-ce gagnants d’un jeu de loterie et se l'adoption, de l'homo parentalité, qui vous a décidé à passer à la disputent le gain. Dès qu'il y a de du conflit entre les générations. mise en scène ? l'argent en jeu, il n'y a plus d’amis, Avec P endant ce temps Simone Christophe Segura : C'est quelque plus de famille, plus rien. Ça ren - veille , on parle de l'évolution des chose que j'ai en moi depuis long - voie l’être humain à sa nature ani - droits de la femme sur les 60 der - temps. Mettre en scène c’est la male. On le voit d’ailleurs dans nières années sur le ton de la co - suite logique de ce que je fais : j'ai toutes ces émissions de télévision médie. Tous nos vœux de bonheur , une boîte de production, Marilu où des candidats sont livrés à eux- c'est aussi une comédie où on Production, un théâtre la Comédie mêmes sur des îles désertes ; ils égratigne les valeurs de la famille. Bastille et cela fait quelques an - sont prêts à tout pour réussir. Mais Propos recueillis par nées maintenant que je choisis et déjà Renata qu’on présentait l’an - Hélène Chevrier accompagne artistiquement mes née dernière au théâtre, traitait projets. Je me suis dit qu’à un mo - de l’héritage et de tout ce que cela ment donné j’allais devoir me lan - réveille derrière. cer. Et c’est un concours de Que diriez-vous de chaque per - n Le Ticket gagnant, de Virginie Caloone circonstances qui m’en donne l’oc - sonnage ? et Tristan Zerbib, mise en scène Christophe casion puisque je ne devais pas Béa est une artiste qui est rentrée Segura, avec Brice Ormain, Adeline faire la mise en scène de ce spec - dans une espèce de confort avec Zarudiansky, Tristan Zerbib tacle. Le metteur en scène que un mari qui a de l'argent, mais qui Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert j’avais choisi s’étant désisté à la culpabilise de ne pas travailler. 75011 Paris, 01 48 07 52 07, cause d’un planning trop tendu, je En même temps, il a voulu avoir à partir du 17/01 me suis dit que c’était le moment. une poupée Barbie à ses côtés.

26 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 18 LA RAISON D’AYMÉ Janvier Théâtre des Nouveautés - Paris Isabelle Mergault a bien raison

Isabelle Mergault sait tout faire . Ecrire des n La Raison d’Aymé, d’Isabelle Mergault, mise en scène Gérard livres, des films, des pièces, jouer la comédie. Pour Gérard Jugnot, avec Gérard Jugnot, Jugnot, elle avait écrit en 2000 le film Meilleur espoir féminin Isabelle Mergault, Anne-Sophie ; ils se retrouvent sur le plateau du Théâtre des Nouveautés Germanaz, Philippe Beglia. pour la création de la cinquième pièce qu’elle vient de signer : Théâtre des Nouveautés, 24 boulevard Poissonnière 75009 La Raison d’Aymé . Paris, 01 47 70 52 76, du 18/01 au 20/05 Théâtre magazine : Il y a “raison d’ai - Mithois – mais on tape alors dans le ré - mer” et “raison d’Aymé”… pertoire de Maillan qui date un peu. Lau - Isabelle Mergault : Le personnage que rent Ruquier m’écrivait des pièces, il en j’ai écrit s’appelle Aymé ; il écoute d’avan - écrit pour d’autres à présent… Donc je tage son cœur que sa raison. Il se laisse me sers ; on n’est jamais aussi bien servi porter par ses sentiments, épouse une que par soi-même ! jeune femme de 30 ans de moins que lui J’ai donc commencé à écrire cette pièce, qui n’en veut qu’à son argent et cherche à et Gérard venait de se marier avec une le tuer. Je joue le rôle de sa raison qui se femme de 30 ans plus jeune que lui. matérialise pour se faire enfin entendre C’était un peu délicat de la lui proposer ! parce qu’il fait des conneries. La raison Et c’est lui qui a voulu la lire, la jouer et la d’Aymé, c’est moi ! mettre en scène. C’est la première fois qu’il Qu’est-ce que la raison ? se met en scène lui même, sinon je l’aurais Ce qui est raisonnable. C’est un peu subtil fait. Ça m’a coupé l’herbe sous le pied ! mais ce n’est pas une œuvre philoso - C’est important pour vous d’être pré - phique ! Ce n’est pas une morale à la Ji - sente sur une scène ? miny Cricket sur ce qu’il faut faire ou ne Il n’y a que ça que j’aime. Etre actrice de pas faire. Mais il y a des gens “trop bons cinéma, je m’en fous. Je déteste ça. Je ne trop cons” qui ne se laissent que porter le suis devenue parce que je gagnais par les sentiments au point de se mettre mieux ma vie que comme secrétaire. Ça en danger, et en amour ils peuvent être n’a jamais été ma passion (je ne sais sourds à tout et à ce qui est raisonnable. même plus où est mon César !). Je voulais Comment vous est venue l’idée de ce faire du théâtre, personne ne voulait… thème ? C’est Laurent Ruquier qui m’y a fait dé - Difficile à dire... Dans les embouteillages marrer. C’est ma place, j’y suis rassurée, je quand je m’ennuie peut être… Je rêvasse. n’ai peur de rien. C’est comme en amour Le thème n‘est pas original, je n’ai rien in - lorsque vous vous trouvez dans les bras de venté, ça s’est vu dans les films de Capra. quelqu’un, vous êtes bien. Sur un plateau, C’est peut être l’angle sous lequel je je suis bien. J’aime l’éphémère, que rien ne l’aborde qui fera l’originalité. reste. Comme notre vie sur terre ; on fait é b e

h Est-ce une pièce écrite pour Gérard Ju - son petit tour, une pirouette, et au revoir c i R

d gnot ? tout le monde r a n r En fait je l’écrivais pour moi, puisque per - Propos recueillis par e B

@ sonne ne le fait ! Il y a peu de rôles pour François Varlin les femmes, sauf des Barillet et Gredy, des

28 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du KR OUM 18 Théâtre Gérard Philipe - Saint-Denis Janvier

pièce sur la médiocrité humaine. L'homme vit dans un rêve d'éva - sion, entre le rêve et la réalité, Jean Bellorini mais, en fait, il est seul. Le cynisme et l'humour sont les uniques élé - ments qui peuvent l'emporter. Comment se passe votre collabo - Humour sans frontières ration avec la troupe de Saint- Pétersbourg ? J'ai pu avoir les acteurs que je vou -

lais, après avoir vu tous les specta -

r u

l cles permanents. Le décor sera

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s une création commune à nos deux

a

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n équipes. Pour les costumes, j'ai bé -

A

@ néficié du concours de Macha Ma - keieff, au dernier moment. Les Le directeur du théâtre de Saint-Denis, qui a adapté acteurs russes répètent une pièce cet été Les Frères Karamazov de Dostoïevski, nourrit pendant des mois. Là, il leur faut aller vite. On travaille sur six se - une telle passion pour la littérature et le théâtre russes maines. Mais cela les stimule. qu'il est parti diriger l'une des grandes troupes de Leurs horaires sont difficiles : ils Saint-Petersbourg, l'Alexandrinski. C’est avec Kroum , travaillent Kroum de 9 heures du un texte de l’auteur israélien Hanokh Levin, que Jean matin à 16 h ; ensuite, ils repren - nent Crime et Châtiment qu'ils Bellorini se confronte à l’âme russe dans un spectacle jouent le soir. Ce sont des comé - créé à Saint-Pétersbourg le 8 décembre dernier. diens très maîtrisés, avec une cer - taine peur de leurs réactions. J'essaie de les déplacer vers le ha - Théâtral magazine : Vous aviez avec une interprète et je dirige à sard, le présent, l'inconscient. Je travaillé avec le Berliner Ensem - l'oreille. Cela se passe bien, les les dirige un peu à l'italienne, en ble. Vous travaillez maintenant phrases sont rapides et rythmées. pensant aux films de Risi et Scola. avec l'Alexandrinski de Saint-Pé - L'humour est universel ! On a tersbourg. Vous pratiquez tou - L'homme vit dans beaucoup abordé cette pièce par jours une ouverture vers un rêve d'évasion, le biais de l'exil. Je la traite plutôt l'étranger ? à travers l'impossibilité de partir : Jean Bellorini : Je veux donner entre le rêve et la réalité, on reste toujours dans sa tête, une couleur différente chaque sai - mais, en fait, il est seul... écrasé par la société. son au théâtre. Ensuite, ce sera Propos recueillis par italien. Mais j'ai un grand amour Kroum est une pièce qui inté - Gilles Costaz pour la littérature russe. L'associa - resse également les Russes et les tion de Patrick Sommier, l'Art des Français ? nations, m'a donné l'occasion de Oui. La pièce de Levin est une fable n Kroum, d'Hanokh Levin (en russe surtitré ) faire ce spectacle avec le théâtre simple et claire. Le personnage par la troupe du théâtre Alexandrinski de Alexandrinski. Ils auraient voulu principal revient dans son pays Saint-Pétersbourg, mise en scène de Jean jouer une pièce française, j'aurais après une longue absence. C'est un Bellorini. Théâtre Gérard Philipe, 59 rêvé d'un texte russe. On a choisi écrivain. Il dit à sa mère : je n'ai rien boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis, Hanokh Levin en version russe. vu, je n'ai rien rapporté. Il est en - 01 48 13 70 00, du 18 au 28/01 Cela me convient bien. Je travaille touré de médiocres et c'est une

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 29 à partir du 18 EN ATTENDANT BOJANGLES Janvier La Pépinière Théâtre - Paris Anne Charrier La pièce, tirée d’un succès de librairie de 2016, a été un des formidables triomphes de l’édition 2017 du OFF d’Avignon. C’est à la Pépinière Théâtre que l’on pourra dès le 18 janvier applaudir la solaire Anne Charrier dans En attendant Bojangles . Une “très belle histoire d’amour terrible” , confie-t-elle… x u a s e D

e n y l e v

Le merveilleux déséquilibre E

@

Théâtral magazine : Connaissiez- très lucides sur le monde, ils ont Comment avez-vous travaillé le vous le roman ? choisi de mettre un filtre qui rend personnage et la psychologie de Anne Charrier : Je l’avais lu avant tout beau. De voir le beau. cette femme ? que l’on me propose la pièce, et J’ai travaillé sur ce qu’elle a de lu - l’avais recommencé immédiate - Il va être un écrin à mineux. Sa fragilité, sa faille sont ment une fois achevé. Je n’arrivais sa folie, l’aider à béantes. Plus elle est lumineuse, pas à quitter ces personnages. Je plus la chute sera vertigineuse. rêvais d’interpréter ce rôle de la magnifier tout cela... J’imaginais son rire, un rire d’en - mère ! Je suis très heureuse de fant. A l’intérieur si tout est noir, il créer le personnage de ce roman Il y a pourtant la folie de cette faut qu’à l’extérieur tout soit hyper qui deviendra iconique. Olivier femme… beau. Ensemble ils vont faire Bourdeaut écrit divinement. Il y a C’est une femme libre alors que quelque chose de grand, une un charme poétique et Victoire Ber - bientôt en prison. Elle renferme boule à facettes qui va éclairer la ger-Perrin a joué la carte de la sim - cette maladie de toutes ses forces, vie de leur gamin. plicité par une adaptation au plus même si elle sait qu’elle peut être C’est un personnage qui m’oblige près du sens et de la force du livre, dangereuse, jusqu’au moment où pour le construire à chercher en sans chercher à en sublimer des as - cela déborde. Elle rencontre un moi dans les zones de douleur, et pects plus que d’autres, sans rien homme dont elle pense qu’il peut-être un des rôles que je garde gommer. Ce n’est pas une comédie, pourra la sauver et qui va jouer le plus à mes côtés. Elle et moi vi - mais c’est certainement un drame. son jeu, rentrer dans l’arène avec vons un peu côte-à-côte… Un conte dramatique poétique. elle et faire en sorte que ce qui Propos recueillis par Qui est cette famille ? passe pour un gros grain de folie François Varlin Un couple hyper rock ! De doux aux yeux de tous devienne dingues, avec un côté bobo, qui quelque chose de magique et de n En attendant Bojangles, d'après le roman s’acquittent des règles classiques magnifique. Il va être un écrin à sa d'Olivier Bourdeaut, adaptation et mise en de la société bourgeoise tout en se folie, l’aider à magnifier tout cela. scène Victoire Berger-Perrin, avec Anne donnant les moyens de vivre leur Ce qui est très intéressant c’est le Charrier, Didier Brice et Victor Boulenger vie. Ils font leurs règles et leur vie point de vue de l’enfant sur sa La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis le Grand comme ça leur chante et cela les mère, et celui du père sur sa 75002 Paris, 01 42 61 44 16, rend très attachants. Ils ne s’expri - femme. Ils la rendent belle et mer - à partir du 18/01 ment qu’en vers, font tout rimer ; veilleuse.

30 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 19 BA BY Janvier Théâtre de l'Atelier – Paris

deviné que la question de la mater - nité me travaille beaucoup. J'ai trois Isabelle Carré enfants. Je suis engagée dans une association pour la défense et les Mère à tout prix droits des enfants défavorisés... Tous ces sujets me bouleversent. Est-ce que vous comprenez le La comédienne auréolée de deux Molières et d'un choix de votre personnage ? César marquera la rentrée théâtrale dans le rôle Elle ne fait pas de choix justement. d'une mère démunie obligée de vendre son bébé. Elle est simplement victime de sa Ce texte écrit par l'américaine Jane Anderson la situation. Comment se passent les répéti - bouleverse. Elle s'en explique. tions ? Nous en sommes aux premières lec - tures à l'heure où je vous parle. Mais Au-delà de ses di - l'intensité qui se dégage de nos mensions psycholo - séances de travail est absolument giques et tragiques, cette incroyable. Je n'ai jamais vécu ça. Je pièce met en scène une pense que c'est avant tout lié à la forte opposition de classe. .. puissance du texte. Chacun s'est im - médiatement approprié son rôle. Est-il préférable qu'une femme c i d

Théâtral magazine : Qui est a monte ce texte ? o C

c

Wanda, le personnage que vous e Non, je ne le crois pas. Il faut avant r i u G

incarnez ? tout que ce soit un metteur en scène Isabelle Carré : Elle est améri - @ qui comprenne le milieu social défa - caine. Elle vit en Louisiane et elle vorisé d'où provient mon couple. Et est enceinte de son cinquième en - l'auteure Jane Anderson n'est pas c'est le cas d'Hélène Vincent, donc fant. Mais, étant issue d'un milieu marxiste... Au départ, l’arrange - tout fonctionne à merveille. Par ail - très modeste, son mari et elle le sa - ment profite aux deux parties. leurs, je profite vraiment d'être diri - vent : ils n'auront pas les moyens Mais les choses dégénèreront gée par une actrice. Sur un plateau, d'élever dignement ce nouvel en - dans la deuxième partie de la un metteur en scène qui a exercé le fant. Alors, quand ils découvrent pièce, que je préfère ne pas révé - métier est dans la transmission. dans le journal l'annonce d'un cou - ler. Le monde dont il est question J'apprends beaucoup avec elle. ple huppé cherchant justement un dans ce texte n'est pas encore le Mais pour en revenir à votre ques - enfant à adopter, ils vont envisa - nôtre avec, notamment, les pro - tion, non, je pense que les hommes ger de le leur donner, moyenne - blèmes soulevés par la GPA. Il est sont aussi bien placés que les ment une aide financière. Mais, ici avant tout question d'adoption. femmes pour parler de la maternité. au-delà de ses dimensions psycho - D'ailleurs, cette même histoire est Propos recueillis par logiques et tragiques évidentes, arrivée à Jane Anderson, et son Igor Hansen-Love cette pièce met en scène une forte issue fut très heureuse. opposition de classe. Pourquoi, selon vous, jouez-vous la n Baby, de Jane Anderson, mise en scène de Justement, est-ce que le fait femme issue du milieu défavorisé Hélène Vincent, avec Isabelle Carré, Bruno d'avoir à vendre son enfant n'est et pas l'autre ? Solo, Camille Japy, Vincent Deniard et Cyril pas le signe de domination ul - J'aurais pu incarner les deux. Mais la Couton... Théâtre de l'Atelier, 1 place Charles time... metteure en scène, Hélène Vincent, Dullin, 75018 Paris, 01 46 06 49 24, Ça n'est pas présenté ainsi dans la en a décidé ainsi. Nous n'en avons du 19/01 au 13/05 pièce, non. En tout cas, la vision de jamais discuté mais elle a sûrement

32 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du LE MISANTHROPE 19 TNP – Villeurbanne Janvier

Louise Vignaud La société du spectacle

C’est dans le cadre du Cercle de formation et de transmission mis en place par Christian Schiaretti

au TNP de Villeurbanne pour former quatre o t t o d metteurs en scène à la direction d’un lieu que Louise n a i h C

Vignaud monte Le Misanthrope de Molière. Une o z n e r o pièce qui éclaire sur la manière d’exister en société. L

@

Théâtral magazine : Le Misan - cès le contraignent à l’exil. Et puis qu’ils sont sur un pied d’égalité. thrope c'était un projet de longue surtout c'est une critique du sys - Mais il ne s’agit pas d’amour. date ? tème et du rapport à la représenta - Comment faire passer toutes ces Louise Vignaud : Oui parce que tion. Un système qui peut vous idées sur scène ? c’est une pièce très mystérieuse broyer complètement s'il ne vous En montrant ce qu’est la société du pour moi. Je ne comprenais pas ce accepte pas. spectacle. Parce qu’aujourd’hui on qui se passait, ni les rapports entre Vous retrouvez-vous plus dans est en plein dans le concept déve - les personnages. C'est compliqué Alceste ou dans Philinte ? loppé par Guy Debord, avec ce rap - d’avoir des rapports honnêtes. En répétition, tout le monde prend port à la médiatisation, au pouvoir, D’ailleurs, c’est une question que la défense d'Alceste et trouve Phi - à la représentation de soi. On n'est je me pose aussi dans le cadre de linte un peu mou. Ce qui est inté - jamais en honnêteté face à mon travail de metteur en scène. ressant c'est qu'ils ont des points quelqu'un dans le cadre d'une mé - Donc la seule solution c'était de de vue radicalement différents sur diatisation. monter la pièce. la manière d'exister ou de survivre Vous montez la pièce dans le cadre Et aujourd'hui, la comprenez-vous dans cette société. Philinte c'est la du Cercle de formation et de trans - mieux ? maîtrise, le juste milieu, la philoso - mission mis en place au TNP… Je me suis surtout rendu compte à phie de Montaigne, Alceste c’est Cette formation permet de com - quel point c'était une pièce poli - la révolte, Oronte et les marquis la prendre comment fonctionne le mé - tique. Ce qui m'a donné la clé, c'est nécessité des jeux de pouvoir, Cé - tier. Cela m’est d’autant plus utile qu'ils sont tous en procès. Ce qui limène la représentation, Arsinoé que depuis un an je dirige le Théâtre trahit leur nécessité de s'accrocher la politique. des Clochards Célestes à Lyon. les uns aux autres, de tisser des Que penser de la relation entre Propos recueillis par liens à la Cour, d'entretenir des jeux Alceste et Célimène ? Hélène Chevrier de pouvoir. Du coup, ça change la Ils éprouvent beaucoup de respect, relation de Célimène aux marquis ; de reconnaissance et d'amitié l’un n Le Misanthrope, de Molière, mise on ne peut pas la considérer pour l’autre. Célimène lui confie en scène Louise Vignaud comme une simple coquette, car si quand même à propos de sa rela - Théâtre National Populaire, 8 place elle joue ce jeu, c’est à cause des tion avec le marquis, que si elle se du Dr Lazare Goujon 69100 procès. Pareil pour Alceste. Au met mal avec lui, elle n’aura plus sa Villeurbanne, début il compte rester à la Cour et place à la Cour. Il faut qu’elle ait 04 78 03 30 00, 19/01 au 15/02 y mener son combat. Mais les pro - confiance en lui. C’est là qu’on voit

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 33 à partir du 23 MARYS ’ À MINUIT Janvier TNBA - Bordeaux

Catherine Marnas Quand la folie fait du bien

Dans Marys’ à minuit , Serge Valletti donne la parole à une femme en décalage avec la réalité qui l’entoure, une femme qui rêve sa vie plutôt qu’elle ne la vit. Un état qui la s i

o rend heureuse. Catherine Marnas reprend cette pièce qu’elle b s o r G avait créée en 2001 avec la même comédienne, Martine Thi - e r r e i P nières, pour voir quelle place notre monde laisse encore à cette @ folie douce.

Théâtral magazine : Pourquoi re - pas la traiter de folle dès lors que nières, pour son côté complète - créer ce texte des années après ? ce qu'elle dit est tout à fait sensé. ment lunaire et poétique et faire Catherine Marnas : J'ai eu envie Le vrai moment de lucidité, elle l’a qu'on soit dans une empathie to - de reconfronter ce texte à notre à la fin. tale, qu’on ait envie de la prendre époque, c'est-à-dire de voir ce que dans nos bras. le temps a fait sur moi et autour Bizarrement, dans Reprenez-vous la même mise en de moi par rapport à cette écriture son décalage, elle scène ? et au regard très décalé que porte Je repars de zéro et vois ce qui ar - le personnage de Maryse sur le fait preuve d’une certaine rive. A la création, il y avait une monde. Dans mon parcours, il y a logique. C'est bien ça qui magnifique robe de mariée sur un deux grandes tendances : celle du fait qu'on est dans l'ab - mannequin, je pense que ça res - cri avec Koltès et celle de l'absurde surde... tera parce que cela traduit bien avec Dubillard. Et je retrouve l’ab - son état de rêve éveillé. surde chez Serge Valletti. C’est La considérez-vous comme folle ? Pourquoi la pièce s'appelle-t-elle une notion profondément subver - Bizarrement, dans son décalage, Marys’ à minuit ? sive qui permet de décaler le re - elle fait preuve d’une certaine lo - Simplement parce qu’au moment gard du spectateur, d’oublier la gique. C'est bien ça qui fait qu'on où Serge Valletti l’a écrite, il rési - norme, où est la droite où est la est dans l'absurde et pas dans du dait en face d’un hôtel qui s'appe - gauche. C'est d’autant plus fla - théâtre documentaire. Dubillard lait Marys’ et dont le néon grant dans Marys’ à minuit que le peut expliquer que les limandes clignotait. personnage n’arrête pas de s'inter - remontent les pentes neigeuses Propos recueillis par roger et de nous interroger d'ail - en s'accrochant avec les dents et Hélène Chevrier leurs : "mais c'est sensé ça, non ? " qu'elle glissent et c'est pour ça Chez elle, est-ce une question ou qu'elles sont plates. C'est d'une lo - n Marys’ à minuit, de Serge une affirmation ? gique absolue et pourtant c'est Valletti, mise en scène Catherine Elle se rend compte qu’il y a des complètement fou. Certaines Marnas, avec Martine Thinières choses qui ne marchent pas, mises en scène choisissaient d’ap - TnBA – Studio de création, 3 place qu’elle va chez un docteur où il y a puyer le côté revanchard de Ma - Pierre Renaudel 33800 Bordeaux, marqué asile de fous, mais elle a ryse. Moi, au contraire, j'ai choisi 05 56 33 36 80, 23/01 au 9/02 aussi la certitude qu'on ne pourra cette comédienne, Martine Thi -

34 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du LA FABRIQUE DES MONSTRES 23 Vidy - Lausanne Janvier et en tournée

Jean-François Peyret Dans les pas de Frankenstein

Catalogué comme le champion du théâtre scientifique , Jean-François Peyret est plutôt un maître du théâtre de la réflexion sur la science, les techniques et les théories

contemporaines. Jeanne Balibar le rejoint à nouveau pour

r d

un spectacle centré cette fois sur l'idée de monstre. @

apprend les premières sensations, m'amuse de me prendre pour elle” , Le spectacle a plu - puis le langage, les notions de dit-elle. Elle sera avec Jacques Bon - sieurs entrées : la li - juste et d'injuste... Après avoir lu naffé, cela reconstitue une équipe bido sciendi, la créature Le Paradis perdu de Milton, il com - qui s'était formée autrefois à Bobi - manufacturée, l'appren - prend que son sort est tragique et gny. Avec eux, il y a Victor Lenoble, tissage... décide de se venger. l'un des animateurs de l'IRMAR (Ins - Vous partez de Frankenstein titut de recherches menant à rien) et pour vous en éloigner ? Joël Maillard, qui travaille aussi sur Théâtral magazine : Travailler On partira dans différents sens, le Rien ! La part du compositeur Da - sur le thème du monstre rejoint comme le fait le livre, mais en nielle Ghisi sera importante : sa mu - vos précédentes recherches. scènes plus courtes. Beaucoup de sique qui sort de l'ordinateur n'est Jean-François Peyret : Vincent choses sont dans la préface de pas très humaine ! C'est une produc - Baudriller, qui dirige Vidy-Lau - l'époux de Mary Shelley, Percy : le tion où se sont associés Vidy-Lau - sanne, voulait retravailler avec lecteur doit faire appel aux res - sanne, l'IRCAM, les universités de moi. On a eu le projet d'un nouveau sources inusitées de son cerveau. Grenoble et de Princeton. Faust , quelque chose comme Faust A cette question-là s'ajoute celle Propos recueillis par en Californie . Mais cela aurait né - de la mémoire. De quoi se sou - Gilles Costaz cessité une grosse production. J'ai vient-on ? Le spectacle part de là. pensé à Frankenstein qui était pour Chaque comédien cherche ce dont n La Fabrique des monstres ou moi plus Boris Karloff à l'écran que il se souvient. Je vais chercher Démesure pour démesure de Jean- le héros du roman de Mary Shelley, dans la mémoire involontaire car, François Peyret, avec Jeanne Balibar, que je n'avais jamais lu. Je l'ai lu et chez l'acteur, la mémoire volon - Jacques Bonnaffé, Victor Lenoble, nous partons de ce livre dont j'ai taire est très développée. Joël Maillard. découvert qu'il était très passion - Jeanne Balibar, qui travaille en 23/01 au 4/02 Théâtre Vidy-Lau - nant. Il a plusieurs entrées qui se - Allemagne, vient à nouveau tra - sanne, Suisse, + 41 21 619 45 45, ront celles du spectacle : la libido vailler avec vous. 8-9/02 L’Hexagone à Meylan sciendi (la passion de la science, Jeanne avait promis de travailler 13/02 L’Estive à Foix qui fut tragique pour l'auteur), la avec nous si elle participait à un 4-5/04 TNN à Nice créature manufacturée, la ques - spectacle français. Elle se projette 8/06 Théâtre de Caen tion de l'apprentissage. Franken - dans le personnage de Mary Shelley, 8 au 13/06 MC 93 à Bobigny stein suit tout un trajet où il fille de philosophe comme elle. “Ça

36 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du J’ÉTAIS DANS MA MAISON... 24 Vieux-Colombier - Paris Janvier

tendent depuis des années. Il va revenir, peut-être. C’est l’écriture Chloé Dabert qui me mène. Joël Jouanneau est quelqu’un qui transmet et mon in - térêt pour Lagarce est parti de lui. Quintette de femmes Là, les actrices et moi, nous nous sommes choisies et je suis heu - La Comédie-Française fait entendre à nouveau l’écri - reuse de travailler avec des inter - ture de Jean-Luc Lagarce. Elle a confié à Chloé Dabert prètes de différents âges. la mise en scène de J’étais dans ma maison … Quelle est votre façon de mettre Chloé Dabert, qui anime à Larmor Plage avec Sébas - en scène Jean-Luc Lagarce ? Avec le scénographe Pierre Nou - tien Eveno la compagnie Héros Limite, poursuit ainsi vel et l’éclairagiste Kelig Le Bars,

une activité essentiellement tournée vers l’écriture nous mettons en place une mai - contemporaine. son personnifiée, engluée, pleine de fantômes, une maison fan - tôme, où les actrices peuvent être Théâtral magazine : Comment là, même quand elles ne partici - est né ce projet ? Cinq femmes dans pent pas à l’action. Ensuite le tra - Chloé Dabert : Il y a beaucoup une maison atten - vail est à la fois formel et ludique. d’amitié. J’étais au lycée avec Su - dent le retour de celui qui Je travaille sur le rythme. Il ne faut liane Brahim, qui fait partie de la est le fils et le frère. Il pas reponctuer. On construit un distribution. Eric Ruf était dans le n’est pas revenu depuis socle solide avec ce que chacun jury qui a couronné ma mise en possède en soi. L’acteur se trouve scène d’ Orphelins de Dennis Kelly quinze ans... dans une forme qui agit sur lui au festival Impatience. Il a été mais il reste dans le concret, dans concerné par ma mise en scène de d’abord au Conservatoire, grâce à un certain code de réalisme. C’est Nadia C. que la Comédie-Fran - l’enseignement de Joël Jouan - une écriture très délicate sur l’hu - çaise a coproduit avec le 104. Je neau. Avec Ruf nous avons pu dis - main. C’est un art du mot juste, et suis très sensible à l’écriture de cuter d’un projet et j’ai hésité pourtant les personnages ne di - Jean-Luc Lagarce, que j’ai connue entre Nous les héros et J’étais dans sent pas ce qu’ils pensent. Les ma maison …, que nous choses les plus importantes ne avons choisi en fonc - sont pas formulées. La violence tion de la troupe. J’aime passe à travers les personnes. Les les histoires de famille actrices ne doivent pas se mettre et d’intergénérations. en avant. C’est précisément un Que raconte J’étais théâtre fait pour les acteurs, pour dans ma maison … ? les actrices. Cinq femmes dans une Propos recueillis par maison attendent le re - Gilles Costaz tour de celui qui est le fils et le frère. Il n’est n J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie pas revenu depuis vienne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Chloé

quinze ans, il s’était Dabert, avec Cécile Brune, Clotilde de Bayser, c

n brouillé avec son père Suliane Brahim, Jennifer Decker, Rebecca Marder.

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e qui, depuis, est mort de

i Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier

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t chagrin. Les femmes 75006 Paris, 01 44 58 15 15, du 24/01 au 4/03

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sont restées, elles at - @

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 37 à partir du A LA TRACE 25 TNS - Strasbourg Janvier Colline - Paris et en tournée Alexandra Badea Exploration des ambiguïtés l'idée du texte, mais j'ai écrit seule. Dès le départ nous avons eu la dis - tribution et j'ai pu écrire avec Na - thalie Richard, Liza Blanchard,

z Judith Henry et Maryvonne Schiltz e d n

a dans la tête. J'aime beaucoup la n r e F

s personne qu'est Anne Théron. Elle i u o L

- place les comédiens à un endroit n a e

J où la parole n'est pas banalisée.

Judith Henry, Liza Blanchard, Nathalie Richard @ Elle traduit le langage cinéma au plateau : elle fait des travellings et Roumaine d'expression française, Alexandra Bade a des gros plans sans image ! a vu ses pièces très vite jouées en France puis à A la trace sera créé à Strasbourg puis repris à la Colline. Quelle est travers l'Europe. Loin des visées politiques de ses la collaboration entre les deux précédents textes, elle interroge sur le mode polar théâtres ? le poids de l’amour maternel au travers du récit Anne Théron est artiste associée au TNS. La pièce a été prévue pour d’une femme qui cherche une autre femme … le TNS. Mais Wajdi Mouawad a voulu lire le texte. Il a programmé n'est pas frontale. J'ai cassé le prin - le spectacle et m'a demandé de Anne Théron a cipe sur lequel je travaillais. Les participer à la vie de la Colline. En voulu me rencon - dialogues étaient des entrées qui septembre, je donnerai la pre - trer autour de la relation menaient à des textes intérieurs. mière pièce d'une trilogie, Points mère-fille... Là, j'ai écrit de vrais dialogues. de non-retour , sur les récits man - Il y a une histoire ? quants de l'Hhistoire de France. Il y a deux personnages centraux. Propos recueillis par Théâtral magazine : D'où est née D'une part, il y a une jeune femme Gilles Costaz votre collaboration avec la réa - qui tombe sur des papiers perdus ; lisatrice-metteur en scène Anne elle veut retrouver la femme dont Théron ? elle a entre les mains la carte n A la trace, d'Alexandra Badea, mise en Alexandra Badea : Anne Théron d'électeur mais son enquête la scène Anne Théron, avec Liza Blanchard, avait lu mes textes, mon roman mène à ne rencontrer que des Judith Henry, Nathalie Richard et Zone d'amour prioritaire . Elle a femmes qui portent le même nom Maryvonne Schiltz. voulu me rencontrer autour de la et ne sont pas cette femme. D'au - Théâtre national de Strasbourg 1 avenue de relation mère-fille. Des thèmes tre part, il y a une femme plus âgée, la Marseillaise 67000 Strasbourg, 03 88 24 proches de cette relation effleu - marchand d'art, qui, à chaque ren - 88 24, du 25/01 au 10/02 rent dans ce que j'ai déjà écrit. contre, déclenche une parole qui Puis en tournée : Pourquoi la femme sans enfant in - n'avait pas été exprimée. On dé - Du 20 au 21/02, La Passerelle Saint-Brieuc trigue-t-elle toujours ? Les parents couvre peu à peu le lien qui unit les Du 28/02 au 03/03, Célestins, Lyon biologiques livrent-ils à l'enfant ce deux personnages. La pièce est Du 20 au 23/03, La Comédie de Béthune qui est important ?... Là, j'ai écrit construite sur cette ambiguïté. Du 24 au 27/04, MC2 Grenoble quelque chose d'assez différent de Comment avez-vous travaillé Du 02 au 26/05, La Colline, Paris ce que je faisais. On est dans l'in - avec Anne Théron ? Texte aux éditions de l’Arche time et la dimension politique Nous avons beaucoup discuté sur

38 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 à partir du NUIT D'IVRESSE 25 Théâtre de la Michodière - Paris Janvier Jean-Luc Reichmann dans la peau d’un animateur de télévision

Nuit d’ivresse de Josiane Balasko, créée en 1985 avec et l’actrice elle-même, est devenue une pièce culte. Dans cette nouvelle version, Jean-Luc Reichmann joue une star de la télévision qui a rendez- vous au Café de la Gare de l’Est. Après une nuit arro - sée, il se retrouve chez lui en face d’un inconnu, un homme qui le demande en... mariage.

Théâtral magazine : Etes-vous à le comique de base, mais aussi la l’origine de cette version mascu - gravité ? line de Nuit d’ivresse ? Oui, nous nous effondrions de rire

Jean-Luc Reichmann : Oui, j’ai à chaque fois que nous faisions

r d rencontré Josiane Balasko, je lui ai une lecture. Thierry Lopez en ho - précisé que j’étais encore plus mosexuel est très drôle. Trente- @ dans le premier degré qu’elle. Je deux ans plus tard après sa lui ai annoncé que je jouerai création, le propos de Josiane Ba - on a une vision déformée de soi- Jacques Belin et que dans son rôle lasko reste criant de vérité. La même. Le théâtre vous fait revenir je voyais un homme. Elle a ré - pièce a été mise au goût du jour, à la réalité et à la vraie vie, si vous pondu : “Pardon ?” Il y a eu trois mais reste très actuelle dans un n’êtes pas bon, vous payez cash. secondes de blanc. Puis, elle a contexte d’ouverture à l’autre et Est-ce plus facile d’être dirigé par ajouté : “Faut voir” . Deux jours de partage. On est dans l’air du votre compagne, Nathalie Le - plus tard, elle avait complètement temps, on pointe du doigt des coultre pour la mise en scène ? réécrit la pièce pour trois hommes. choses, l’intolérance par rapport à (En riant) Nous n’avons pas choisi Le rôle de Josiane sera interprété l’homosexualité. Déjà sur Les la facilité ! C’est bien pour ne plus par Thierry Lopez, Simone devient Amours , je travaillais sur la diffé - dormir le week-end, nous adorons Charlie et Stéphane Bouchez fera rence et je me suis battu pour qu’il l’idée de travailler ensemble. Je le barman. y ait des couples homosexuels suis obligé d’être obéissant, Aviez-vous vu la pièce qui est ré - dans l’émission. j’adore me laisser diriger, on peut gulièrement reprise sur scène ? En jouant le rôle d’un présenta - explorer des horizons qu’on ne sus - Non, j’ai vu le film réalisé par Ber - teur de télévision, vous êtes pectait pas. nard Nauer (1986). Dans la pièce, dans l’autodérision ? Propos recueillis par je passe une nuit d’ivresse complè - Oui, pour moi, c’est un vrai pari. On Nathalie Simon tement folle et le lendemain, je est dans le très premier degré, me retrouve chez moi avec tous les clichés de l’animateur télé. quelqu’un qui ouvre ma porte avec Au début Jacques Belin est très n Nuit d'Ivresse, de Josiane mes clefs, qui a ma montre à son narcissique, après il s’aperçoit qu’il Balasko, mise en scène Nathalie poignet et m’a apporté des crois - y a une main tendue qu’il n’a pas Lecoultre, avec Jean-Luc Reichmann, sants. Il me lance : “Alors quand prévue. Le miroir se brise entre Thierry Lopez et Stéphane Boucher. est-ce qu’on se marie ?” . Pas mal l’homme qu’il est au début et celui Théâtre de la Michodière, 36 rue d’animateurs télé se reconnaîtront qu’il devient à la fin. Au théâtre, des Mathurins 75008 Paris, dans cette situation. on est obligé d’abandonner 01 42 65 90 00, à partir du 25/01 Josiane Balasko a donc conservé l’image qu’on renvoie à la télé où

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 39 à partir du 26 MAC BETH Janvier Théâtre de l’Odéon - Paris

Stéphane Braunschweig Un Macbeth double face

Théâtral magazine : Macbeth , plus que dans une scène. La pièce Il n’avait pas monté de c’est un choix un peu inattendu nous dit que l’amour peut être un Shakespeare depuis de longues dans votre parcours de metteur refuge au milieu de la barbarie années. Le patron de l’Odéon- en scène ? mais qu’il ne peut survivre dans un Théâtre de l’Europe met en scène Stéphane Braunschweig : Shakes - projet criminel. peare m’a toujours accompagné, Comment avez-vous constitué la “tragédie écossaise”, avec le mais pas dans ces récentes années. votre distribution ? projet de rééquilibrer la dose Je pensais à Macbeth depuis long - Il fallait un beau couple, qui nous d’amour, de cruauté et de poésie temps, mais je ne pouvais pas le raconte quelque chose de l’amour. faire quand j’étais à la Colline et je Macbeth, c’est Adama Diop qui dans les personnages de Macbeth n’étais pas satisfait des traductions est d’origine sénégalaise et qu’on et de Lady Macbeth. existantes. Avec le texte de Daniel a vu dans le dernier spectacle de Loayza, avec qui j’ai beaucoup tra - Julien Gosselin, 2666 . Lady Mac - vaillé, nous pouvons nous passer beth, c’est Chloé Réjon. Avec eux, des idées préconçues qui tournent il y a Christophe Brault (il joue autour de Macbeth . J’ai toujours tra - Duncan et d’autres personnages), vaillé avec Déprats mais je voulais David Clavel… Il y a aussi un partir de rien, avoir un texte vierge jeune acteur très intéressant qui qui sonne, associe la complexité et sort du Conservatoire et qui jouera la poésie, sans moderniser ni cher - Malcolm : Roman Jean-Elie. cher le contemporain, mais échap - Vous faites comme toujours la pant aux cadres anciens. scénographie. Comment voyez-vous Macbeth Elle sera constituée de deux uni - et Lady Macbeth ? vers : celui de la guerre, évoqué Macbeth est un être double, un par les carreaux blancs de l’abat - homme double face. Il est à la fois toir, et celui des lieux de pouvoir. une sorte de héros tourné vers un Duncan ne sera pas dans un idéal et nourri du “lait de la ten - champ de bataille mais dans un y l l

e dresse humaine” et un ambitieux salon plein de dorures. h C

n i tenté par le crime. On éprouve de Avez-vous vu souvent des mises m a j

n l’empathie pour lui alors que le roi en scène de Macbeth ? e B

@ McDuff n’est pas sympathique. Il J’ai surtout vu des transpositions est le sauveur de l’Ecosse mais il est au cinéma. Le film que je préfère inadapté à ce contexte machiavé - est Le Château de l’araignée de Ku - n Macbeth de Shakespeare, mise en scène lique. Il est même un poète tant les rosawa. Au théâtre, j’en ai peu vu de Stéphane Braunschweig, avec Adama Diop, mots que lui fait dire l’auteur sont mais j’ai un bon souvenir du Mac - Chloé Réjon. de la poésie pure. Quant au couple, beth par Jean-Pierre Vincent avec Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon il faut se débarrasser des clichés qui Philippe Clévenot. 75006 Paris, du 26/01 au 10/03. l’entourent. On dit que Lady Mac - Propos recueillis par Comédie de Reims, du 16 au 18/05 beth manipule son mari mais, après Gilles Costaz la scène du banquet, elle n’apparaît

40 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 ECLAIRAGE par Gilles Costaz Macbeth, bruit et fureur

personnage la force d'un barbare. On Les Anglais ont peur de jouer la pièce : est toujours entre ces deux postures” . elle porterait malheur. Les Français n'en ont pas C'est ce que confirme l'essayiste qui a le mieux analysé les mises en scène peur. Ils la montent, avec des hauts et des bas. La en Europe, Yves Peyret, dans les mise en scène moderne de cette tragédie com - notes qui suivent l'édition de la pièce mence avec Jean Vilar. Jean-Michel Déprats, le dans Tragédies de Shakespeare (La plus grand traducteur français de Shakespare, le Pléiade, Gallimard, 2002). Peyret y écrit : “Incarné par Vilar, Macbeth est responsable de l'édition de la Pléiade, a bien voulu introspectif ; campé par Alain Cuny parcourir avec nous l'histoire des représentations dans la même mise en scène, il devient récentes de Macbeth . plus brutal et plus impulsif, mais moins imaginatif. En face de lui, Maria Casarès, émotionnelle et ins - tinctive, se brise dans l'effort qu'elle doit faire pour étouffer, momentané - ment, sa nature et sa conscience” . C'est pour Jean-Pierre Vincent que Déprats écrit son texte français de Macbeth – sa traduction de Sha - kespeare qui sera la plus représentée (une trentaine de mises en scène à ce jour). La première a lieu au festival d'Avignon 1985. La distribution est magnifique : ce sont les acteurs de la Comédie-Française, avec Philippe Clévenot (Macbeth) et Catherine Fer - ran (Lady Macbeth) en tête. C'est un échec, pourtant. Les éléments – le mistral, différents incidents – jouent contre le spectacle. A sa reprise salle Macbeth, mise en scène de Laurent Pelly Richelieu, tout s'est remis en place et c'est un succès. “A Avignon, tout ce “En fait, il y a deux approches, Ce qui fait qu'on est à la fois dans la qui était de l'ordre du surnaturel pa - dit Jean-Michel Déprats . Faire de convulsion archaïque du mal et dans raissait enfantin, se souvient Déprats . Macbeth un Viking, un homme fort et une optique psychanalytique, comme Mais, au Français, le jeu était plus fort féroce, ou bien un personnage proche lorsque le poignard apparaît dans un et restituait ce que voulait Vincent : d' Hamlet , perturbé, partagé. Shakes - songe. Vilar, en 1954, avait choisi la tout se passe dans la boîte crânienne. peare concrétise les forces du mal en solution du Macbeth “hamlétien” Macbeth n'est pas une pièce pour le fusionnant deux types de créatures quand il joua le rôle et fit la mise en plein air.” qu'on ne fusionnait pas : les figures scène. Mais, à la reprise, il confia le En 1990, on attend beaucoup du destin et les “witches”, les sorcières. rôle-titre à Alain Cuny qui donna au du Macbeth monté par Matthias Lan -

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 41 ECLAIRAGE MACBETH par Gilles Costaz

ghoff à Chaillot. C'est délirant, louse puis à Nanterre, Laurent Pelly, On ne peut tout prendre en comme on le souhaitait, mais ne appuyé sur le texte de Déprats, met compte. On ne citera que pour mé - sonne pas très juste. L'action a lieu en marche Macbeth comme une moire les excellents Macbeth mis en sur un plancher instable, dans un course lente et aveugle dans des té - scène par Frédéric de Goldfiem contexte de camp d'internement. nèbres qui s’entrouvrent et qui gron - (Théâtre national de Nice, 2007) et Macbeth (Olivier Perrier) est en uni - dent. On n’a jamais vu un Macbeth Françoise Chatôt (Gyptis, Marseille, forme kaki, ses assassins travestis en aussi seul : Thierry Hancisse, acteur à 2013). Un événement important a une série de pères Noël. Ça ne la fois intériorisé et athlétique, clame lieu en 2016 avec le Macbeth du marche pas. Pour le mauvais goût as - comme si personne ne lui répondait, théâtre du Soleil, qui tient à la fois du sumé et triomphant, mieux vaut tel un chantre douloureux de la poé - cérémonial et de l'agit-prop. Ariane avoir confiance en Serge Noyelle qui sie de l’échec. Il est surprenant et ma - Mnouchkine en a fait à la fois le texte monte la pièce en 1993 à Châtillon. gnifique. Lady Macbeth est rarement français et la mise en scène. Sans être Là, on est dans le gangstérisme, avec à ses côtés, elle est seule aussi : l’inat - aussi directe qu’elle le fut quand elle des truands qui s'affublent du tendue Marie-Sophie Ferdane est présenta Tartuffe de Molière, où elle masque de Mickey. Les sorcières sont aux antipodes de la traditionnelle attaquait frontalement les fana - jouées par deux femmes affublées de poissarde et s’inscrit avec élégance tiques islamistes, elle multiplie les ré - barbe (comme le veut le texte) et un dans le renouvellement de l’imagerie. férences contemporaines, s’amusant homme féminisé. La scène est pleine Toute cette armée des ombres à introduire quelques postes de télé - de détritus. “Il y avait une vraie ar - tourne dans un labyrinthe à l’échelle vision (c’est l’un des divertissements chaïcité, dit Déprats. C'est juste. Je ne changeante, sans trouver de sortie du tyran) et un ordinateur (c’est sur crois pas que la pièce parle d'au - humaine ou stratégique. C’est une un écran de computer que l’un des jourd'hui.” A Chaillot, à nouveau, en vraie vision dont la beauté plastique acteurs lit les nouvelles des événe - 1997, Katharina Tallbach fait passer est splendidement dessinée. “L'un ments qui vont mettre fin au drame). l'élément féminin avant l'élément des plus beaux Macbeth de ces der - En uniforme kaki, en vareuse masculin. Les sorcières sont omnipré - nières décennies” , dit Déprats. bleu marine d’apparat ou en tenue sentes. Cerné, Macbeth (Gauthier Baillot) fait l'amour avec elles. Elles sont des doubles de Lady Macbeth (Jeanne Balibar). Pour lutter contre cet archaïsme érotisé des sorcières, certains metteurs en scène iront jusqu'à les supprimer. C'est ce que fera Declan Donnellan en 2010. Mais, en 2013, Anne-Laure Liégeois, à Montluçon puis à Malakoff, revient à la sauvagerie et à l'érotisme, en uti - lisant la traduction d'Yves Bonnefoy. Les sorcières sont nues, Macbeth et sa femme – qui craint d’être quittée parce qu’elle ne peut pas avoir d'en - fants et pousse son mari au crime pour le rendre dépendant d’elle - sont des dieux hollywoodiens surpris et n e dépassés par la violence qu'ils ont li - r u a L

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bérée. Le spectacle est rock et san - l è h c glant. i M

Macbeth, mise en scène d’Ariane Mnouchkine En 2013 également, à Tou - ©

42 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 de civil sagement cravaté, Serge Nicolaï interprète l’am - bitieux avec prosaïsme, dans une grande énergie dé - vastatrice de tueur de faits divers. Quand il revient d’avoir assassiné le roi pour prendre sa place, il porte simplement un marcel maculé de sang. Le comédien in - carne sans cesse un épouvantable médiocre. Lady Mac - beth, elle, garde une part mythologique. Nirupama Nityanandan joue dans la tradition du Soleil, avec une pointe d’accent, dans un phrasé chantant, qui anoblit le rôle et le langage. Lady Macbeth a plus d’aura que Macbeth. C’est elle, l’instigatrice du meurtre, mais le spectacle la transpose, la place plus haut que dans l’uni - vers étroit et féroce de son militaire de mari. Il est vrai que Nirupama Nityanandan porte avec elle toute l’élé - gance rageuse de la troupe d’Ariane Mnouchkine. La soirée démarre dans une lande – lieu du combat guer - rier et de l’apparition des sorcières vues comme des paysannes au visage terreux (et appelées “les vieilles”). Puis, dans une succession de mirages, surgit un jardin fleuri, vite remplacé par une chambre, un salon, une salle de banquet, un champ de bataille, et l’on en passe ! Les comédiens – en costumes de tous les jours, il y a quand même quelques kilts, on est en Ecosse ! - sont le moteur même de ces changements, poussant et re - poussant ces éléments de décor souvent construit sur roulettes, nettoyant le sol à vue : il y a tant de pétales de roses à enlever ! Roses rouges comme le sang qui coule surtout en flots de métaphores… Le premier ta - bleau et chaque scène qui utilise les armes modernes (revolvers, fusils) manquent un peu du sens de la trans - position qui caractérise l’ensemble, comme si le théâtre est naturellement mal à l’aise avec ce qui rejoint l’ac - tualité la plus quotidienne. Tout n'est pas parfait mais tout est stupéfiant. Un inventaire plus exhaustif comprendrait aussi l'évocation des films tirés de la pièce, d'Orson Welles et Kurosawa juqu'à Polanski et Kurzel. Mais nous avons pris le parti de ne pas aller au-delà de la scène. Place, à présent, à la mise en scène de Stéphane Braunschweig. Gilles Costaz n Macbeth de Shakespeare, mise en scène Stéphane Braunschweig, avec Adama Diop, Chloé Réjon. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon 75006 Paris, du 26/01 au 10/03. Comédie de Reims, du 16 au 18/05 ffiche T êtes d’a

Alain Fromager, Jean-Pierre Darroussin, Charles Berling Isabelle Mergault et Gérard Jugnot jouent dans jouent dans Art , de Yasmina Reza, au théâtre Antoine -> p. 8 La raison d’Aymé au théâtre des Nouveautés -> p. 28

Josiane Balasko joue dans La femme Arthur Jugnot joue dans Moi Papa ? au rompue au Théâtre Hébertot -> p.60 théâtre du Splendid -> 01 42 08 21 93

Pierre Arditi et Emmanuelle Devos Olivier Marchal joue dans Nénesse Yvan Attal joue Le Fils de Florian Zeller, jouent dans Quelque part dans cette au théâtre Dejazet -> p. 16 à la Comédie des Champs-Elysées ->p. 54 vie au théâtre Edouard VII -> p. 52

Xavier Legrand crée Auto-accusation Quills , mis en scène et avec Robert Lepage Un diner en ville, de Christine Angot, en tournée au théâtre d’Alfortville -> p. 25 à la Colline du 6 au 18/02 et à la Colline en mars 2018 Mélanie Doutey et Michel Fau jouent dans Jean-Luc Reichmann joue dans Nuit d'Ivresse , Douce-amère aux Bouffes Parisiens -> p. 21 au Théâtre de la Michodière -> p. 39

Davy Sardou joue dans La collection Le Lauréat Anne Parillaud joue dans au théâtre de Paris à partir du 2 février au théâtre Montparnasse -> p. 58

Pierre Palmade est seul en scène dans Philippe Torreton joue dans Bluebird en Isabelle Carré et Bruno Solo jouent dans Aimez-moi en tournée-> p. 82 tournée et au Rond-Ppoint -> p. 22 Baby au Théâtre de l'Atelier -> p. 32

Anna Mouglalis et Xavier Legrand jouent dans Mademoiselle Julie , à la Comédie de Picardie -> p. 56

Victoria Abril joue dans Paprika , de Pierre Une chambre en Inde , d’Ariane Mnouchkine, Stéphane Braunschweig met en scène Palmade, au Théâtre de la Madeleine -> p. 46 reprend au Théâtre du Soleil, à partir du 24/02 Macbeth à l’Odéon -> p.40 à partir du 27 PA PRIKA Janvier Théâtre de la Madeleine – Paris Victoria Abril Une drôle de mère

Héroïne depuis huit ans de Théâtral magazine : Qu'est-ce Non, il l’avait écrite pour Amanda la série Clem sur TF1, après qui vous a plu dans cette pièce ? Lear qui n’a pas pu la faire. D’ail - Victoria Abril : C’est le texte qui leurs c’est mieux. Chaque fois qu'on avoir été l’égérie des films est tellement bien écrit. Moi au écrit pour moi, je m'ennuie un peu d’Almodóvar, Victoria Abril ne théâtre je suis comme la comète parce qu’on entre vite dans le cli - joue pas souvent au théâtre. La de Halley, je passe une fois tous les ché. Là, en répétitions, je pense à dernière fois c’était en 1986 30 ans tellement j'ai du mal à trou - Amanda Lear, à son humour, sa ver une pièce qui ne m'ennuie pas voix rauque. Je m’inspire d’elle pour dans Nuit d’ivresse de Josiane avant même d'avoir commencé les justement m'éloigner de moi. Balasko. Mais quand Pierre répétitions ! La dernière fois, Chaque fois que je joue j'essaye Palmade lui a envoyé le texte c’était en 1986 pour Nuit d’ivresse toujours de m’inspirer de quelqu'un de Josiane Balasko. Mais quand de connu ou pas. Cela m'aide à de sa comédie Paprika , elle n’a Pierre Palmade m’a proposé ce créer des personnages qui ne pas hésité à accepter le rôle de texte, j’ai dit oui tout de suite parce soient pas encore la Abril (rires) . cette femme qui un jour voit que c’est une comédie avec du Vous avez passé trente ans sans débarquer chez elle le fils fond. C’est même une situation faire de théâtre, mais vous avez dramatique : un fils qui surgit du l’habitude de la scène. qu’elle avait abandonné. passé et que sa mère a tout fait Oui parce qu’à quarante ans, il n’y a pour oublier. Il a 28 ans et croit pas grand-chose à faire por une ac - que c’est une prof de latin et de il trice au cinéma. C’est la décade trouve une habituée des boîtes de maudite pour nous. On nous pro - Pigalle qui sort avec des jolis gar - pose que des aigries et des mé - çons. Mais devant lui, elle n’as - chantes parce qu’on est trop vieilles sume pas et se fait passer pour la pour jouer les jeunes et trop jeunes femme de ménage, Paprika. pour jouer les vieilles. Alors, j’ai en - registré deux albums, Putcheros do En répétitions, je Brasil fait de standards de bossa nova et Olala de classiques de la pense à Amanda chanson française. J'ai passé six ans Lear, à son humour, sa en tournée, en France et partout voix rauque. Je m’inspire dans le monde. Alors le public, je d’elle pour justement connais. Je peux même dire que m'éloigner de moi... c’est lui qui m’a sauvée. Propos recueillis par C’est pardonnable ce qu’elle a Hélène Chevrier fait Eva, d’abandonner son fils ? Bien sûr. La pièce ne la juge pas n Paprika, de Pierre Palmade, mise en d’ailleurs. Elle s'est retrouvée scène Jeoffrey Bourdenet, avec Victoria toute seule et elle ne s’est pas sen - Abril, Jean-Baptiste Maunier...

tie capable d’élever son fils. Donc, Théâtre de la Madeleine,19 rue de

e d

a elle lui a offert d’autres parents. Surène 75008 Paris, 01 42 65 07 09,

t

r

o T Pierre Palmade a-t-il écrit la du 27/01 au 7/04 @ pièce pour vous ?

46 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du QUIN TETTE 30 Suresnes Cités Danse Janvier Chaillot et en tournée Jann Gallois tante parce qu’un simple grain de sable peut tout faire dégringoler. C’est aussi une façon de parler de votre métier, de la difficulté à reproduire tous les soirs la grâce de certains moments… (Rires). On s'est retrouvé plein de fois face à des moments magiques mais inexplicables en improvisa - tion. C’est pourquoi, j'ai choisi e t n

a pour Quintette des danseurs qui c u A n'avaient pas forcément la même n a D technique que moi. J’ai davantage Le cycle de la vie @ misé sur l’humain que sur la tech - nique. Ce qui était une véritable Dans Quintette , la chorégraphe et danseuse Jann Gallois source d’angoisse au début pour s’interroge sur les raisons qui font que les gens s’unissent et parvenir à combler le décalage entre nous et qui finalement s’est se désunissent sans cesse. Pour explorer ce mystère aussi avéré bénéfique. Du fait de leurs prégnant à l’échelle du couple qu’à l’échelle planétaire, elle différences, ils sont à l’écoute et réunit 5 danseurs sur le plateau et observe la façon dont n’hésitent pas à mettre leur corps leurs corps s’écoutent et s’accordent pour détecter jusqu’au à disposition de la création. Comment le spectacle se dé - détail qui va dissoudre l’harmonie du groupe. roule-t-il ? Ce sont des moments qui oscillent Théâtral magazine : De quoi aussi basé la dramaturgie de la entre écoute et désécoute, union et parle Quintette ? pièce sur l'aspect cyclique du com - désunion, harmonie et dysharmo - Jann Gallois : De comment les portement humain, le fait de re - nie, comme un poumon avec des êtres s’écoutent entre eux. On est produire les mêmes schémas, les moments de contraction et de dila - cinq et l’enjeu c’est de rester tous mêmes guerres, les mêmes conflits tation. Comme le cycle de la vie. les cinq sur le plateau et imaginer depuis la nuit des temps. Pour Propos recueillis par les étapes à traverser pour trouver moi, si on tire la leçon du cycle pré - Hélène Chevrier une harmonie de groupe. On s’in - cédent, on peut avancer sur une terroge sur la place qu’on laisse à spirale verticale et non pas sur un n Quintette, de Jann Gallois l'autre, comment on le considère chemin en cercle qui nous ramène 30/01 Le Prisme à Elancourt et comment on se considère face toujours au même point. 1/02 Théâtre de Rungis à lui au sein d’un groupe un peu Si l’harmonie est aussi fragile, c’est 3 et 4/02 Festival Suresnes Cités Danse (du plus grand. Le chiffre cinq m’inté - parce qu’elle tient à un détail ? 12/01 au 11/02 voir suresnes-cites-danse.com) ressait parce que c’est à la fois dés - Complètement. Il y a une scène où 13 et 14/02 L’Onde à Vélizy Villacoublay équilibré et équilibré comme les on arrive très lentement à rentrer 24/02 Festival Les Hivernales à Avignon cinq doigts de la main. dans un état d'harmonie, presque 28/02 et 1/03 Maison de la Danse à Lyon Et comment trouve-t-on l'harmo - d'osmose, à tel point que la ma - 29/03 au 4/04 Chaillot à Paris nie dans un groupe ? chine s'accélère, que ça devient 6/04 Espace Germinal à Fosses En prenant le temps. Je pousse à presque jouissif ; et on obtient des 7/04 L’Orange Bleue à Eaubonne l'extrême les situations de non géométries de bras extrêmement 10/04 Théâtre Paul Eluard à Bezons écoute et de dysharmonie pour at - précises qui se complexifient avec 25/05 Espace Simenon à Rosny-sous-Bois teindre un état de corps presque la cadence mais où la notion de dé - 26/05 Théâtre de Châtillon lessivé pour l’obliger à réagir. J'ai tail devient extrêmement impor -

48 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 1er HER OE(S) Février Cité Internationale - Paris Guillaume Barbot pour le bien commun, et pas dans La guerre s’infiltre dans les strates de notre société pour un intérêt personnel. La preuve, toucher les citoyens dans leur quotidien : on tue les gens au tous ont vu leur vie détruite : Sté - spectacle, on détourne leurs économies, on espionne leur phanie Gibaud qui avait dénoncé vie intime… que faire face à un ennemi aussi protéiforme ? le scandale d’UBS, est en procès et au chômage depuis des années, Pour Guillaume Barbot et ses acolytes, les combattants de elle n'a jamais retrouvé de travail cette guerre invisible, les Heroes, sont les lanceurs d’alerte, à cause de ça. Snowden est réfu - citoyens kamikazes qui sacrifient leur vie pour dénoncer les gié en Russie... C’est pour ça que dysfonctionnements majeurs auxquels ils ont accès... John Doe ne veut pas dévoiler sa véritable identité. Et pour les Pa - radise Papers, la source est totale - ment anonyme. On ne sait même Enquête pas qui a révélé l’affaire. Hormis le courage des lanceurs sur les lanceurs d’alerte d’alerte, quelles sont les retom - bées de ces dénonciations ? Pour l'instant, il n’y a que des pro - cès en cours… Mais il y a une forte impuissance politique face aux in - térêts en jeu. On nous parle par exemple tout le temps de l’évasion fiscale. Si on veut que les choses bougent, il faut légiférer mais bon nombre de pays n’y ont pas intérêt puisqu’ils sont trop actifs dans les

r paradis fiscaux.

d

@ Comment se déroule le spectacle ? C'est un peu le journal de bord de Théâtral magazine : La pièce au Pourquoi avoir choisi de traiter notre enquête qui s’est étalée sur départ devait s'appeler Shoot . plus particulièrement les Pa - plus de deux ans. C’est autant du Pourquoi a-t-elle changé de titre ? nama Papers ? théâtre documentaire que du Guillaume Barbot : Avec Philippe Au début on voulait parler d’Ed - théâtre fiction. On a écrit sur nos Awat et Victor Gauthier-Martin, ward Snowden pour la NSA, de sensations personnelles et sur on s’est lancé le défi de monter un Stéphanie Gibaud pour UBS…, celles des gens qu'on a rencontrés. projet en commun autour de la sauf qu’il s’agissait d’individualités Propos recueillis par guerre à partir de textes de Mark trop marquées. Si on a accordé Hélène Chevrier Ravenhill. Et puis il y a eu le 13 no - plus d'intérêt à l'affaire des Pa - vembre et on s'est rendu compte nama Papers, c’est parce que le que notre vision de la guerre deve - lanceur d'alerte est totalement n Heroe(s), texte Guillaume Barbot, nait complètement obsolète, que anonyme -on ne sait pas qui est ce mise en scène, adaptation et la guerre était en fait autour de fameux John Doe- et qu’il est un interprétation Guillaume Barbot, nous. Et petit à petit à force d’en - peu la figure de tous les autres Philippe Awat, Victor quêter, on en est arrivé à la ques - lanceurs d'alerte. Gauthier-Martin tion de la guerre économique de Comment définiriez-vous sur le Cité Internationale, 17 boulevard plus en plus importante dans lanceur d'alerte ? Jourdan 75014 Paris, notre société et des lanceurs C’est un simple citoyen qui re - 01 43 13 50 60, 1er au 16/02 d’alerte. prend l’Histoire en main, qui agit

50 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 2 QUELQUE PART DANS CETTE VIE Février Théâtre Edouard VII - Paris Pierre Arditi Familier et inconnu

Pierre Arditi a passé le début de la saison en tournée avec Daniel Russo, jouant L’Etre ou pas de Jean-Claude Grumberg. Il est de retour à Paris pour la nouvelle production du théâtre Edouard VII, Quelque part dans cette vie d’Israel Horovitz, pour laquelle Bernard Murat l’a associé à Emmanuelle Devos. C’est une distribution inattendue pour une pièce déjà plusieurs fois jouée en France, la différence d’âge ayant été plus marquée entre les deux personnages : un vieux professeur et une jeune femme. Mais Pierre Arditi et Emmanuelle Devos vont faire résonner la pièce différemment. On les voit en scène pour la première fois ensemble, bien qu’ils aient déjà partagé la vedette d’une comédie retransmise à la télévision.

Théâtral magazine : D’où vient le ble, dur, parfois apaisé. projet de cette pièce ? On ne La pièce, c’est le Comment vous appropriez-vous vous imaginait pas ni vous ni Em - rapport du fort au votre personnage ? manuelle Devos dans les deux faible. Lui est le fort, On a beaucoup discuté, avec Ber - personnages de Quelque part mais le faible peut nard Murat de ce que le person - dans cette vie. trouver les moyens de ne nage a été, de ce qu’il est et de qu’il Pierre Arditi : Avec Bernard plus être faible. sera. Mais il n’est pas question de le Murat, on en parlait depuis transformer en vieillard ! On impo - quelque temps. J’avais vu la pièce Comment résumeriez-vous la sera un personnage qui sera à sa création en France, aux pièce d’Israel Horovitz ? comme je suis, moi ! Qui est le per - Bouffes Parisiens, jouée par Pierre C’est l’histoire d’un professeur, sonnage ? Mais moi ! Je le ferai Dux et Jane Birkin, et je l’avais passionné par la musique, qui, avec ce qui est en moi, ce que je beaucoup aimée. Elle est atypique vieillissant, a besoin d’aide et en - suis et aussi ce que je ne suis pas. et un peu dérangeante. C’est vrai gage une jeune fille pour l’aider. Il , qui est l’un de mes que, du point de vue de l’âge, Em - ne sait pas que c’est l’une de ses maîtres, dit que le comédien doit manuelle Devos est un peu au- anciennes élèves. Celle-ci et sa fa - aller vers le personnage. Je ne suis dessus et moi un peu en-dessous. mille ont des comptes à régler pas tout à fait d’accord. On prend le Mais c’est du théâtre ! Pierre Dux avec lui. Les comptes vont être ré - personnage et on le fait vivre avec jouait un vieux prof. Je ne glés ! La pièce d’Israel Horovitz, de petits morceaux de soi. conteste pas que je suis dans ma c’est le rapport du fort au faible. Vous avez très souvent travaillé maturité, mais je n’ai pas la même Lui est le fort, mais le faible peut avec Bernard Murat. Quelle est la image. Je ne vais pas jouer un trouver les moyens de ne plus être nature de votre collaboration ? vieux monsieur en fin de carrière ! faible. Leurs relations deviennent On passe plusieurs couches. Ber - Ce n’est pas un problème d’âge, de plus en plus complexes, et c’est nard met la pièce debout tout de mais d’incarnation. Et c’est un rôle un affrontement qui résonne fort suite ; on étudie sans tarder les dé - passionnant pour un acteur. aujourd’hui. Ce rapport est trou - placements dans l’espace. Pour le

52 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 moment, on est dans l’effleure - est une personnalité originale, c’est plus compliqué que ça ! ment et cela se passe dans la joie. très personnelle. Ce que j’aime Et le décor ? A la création, il Nous sommes comme des chats chez les acteurs, c’est ce qui n’ap - était en hauteur, avec un étage. qui jouent avec des balles. Ber - partient qu’à eux. Elle est à la fois Oui, il y aura cette altitude. Nico - nard a sur le travail en cours une enfantine, drôle, profonde. Ce las Sire a conçu une maison qui a opinion qui s’affûte en même qu’elle fait sur scène reste mysté - de l’âge et dont on voit l’âge temps que s’affûte le point de vue rieux. Aujourd’hui, chez beaucoup qu’elle a. Ce sera une espèce de de l’acteur. On n’est rarement pas d’acteurs on voit les écrous et les grotte. Pour le moment, personne d’accord. On avance lentement, le ficelles. Ils ont tendance à avoir la ne vient nous voir. On n’acceptera chemin s’éclaire peu à peu. On se même gueule et la même tessi - que Jean-Loup Dabadie, dont connaît depuis cinquante ans. On ture. On cherche les comédiens l’adaptation est si sensible. ne se parle que quand on a besoin qui échappent à ces données. Az - Propos recueillis par des mots ! On se parle quand on navour, Bouquet, ce sont des gens Gilles Costaz ne peut faire autrement ! qui ont un son qui n’appartient C’est la première fois que vous qu’à eux. Avec Emmanuelle, je ne n Quelque part dans cette vie, jouez avec Emmanuelle Devos ? sais pas ce qu’elle va apporter. Elle d’Israel Horovitz, adaptation de Non. Nous avions fait ensemble la m’est inconnue alors que je la Jean-Loup Dabadie, mise en scène captation de Tailleur pour dames connais très bien. J’espère qu’on de Bernard Murat, avec Pierre de Feydeau adapté par Jean Poi - peut penser cela de moi : que je Arditi et Emmanuelle Devos. ret, réalisé par Murat. On s’était suis familier et inconnu, bien Théâtre Edouard VII, 10 place amusé comme des fous. On qu’on dise de moi que je fais du Ar - Edouard VII 75009 Paris, change de registre aujourd’hui. diti. Oui, je fais du Arditi comme s01 47 42 59 92, à partir du 2/02 C’est notre métier ! Emmanuelle Bouquet fait du Bouquet. Mais t a r u M l e u n a m m E ©

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 53 à partir du 3 LE FILS Février Comédie des Champs-Elysées - Paris

Yvan Attal Le comédien et metteur en scène de cinéma fait son retour sur les planches avec la nouvelle pièce de Florian Zeller, qui clôt sa trilogie familiale avec Le Fils, après Le Père et La r

Mère . Un texte sur la dépression adolescente résonnant d

avec l'expérience personnelle d'Yvan Attal. Explications. @ Dans la famille Zeller, je demande le fils

Théâtral magazine : Votre pré - où l'amour que je portais à l'un de Etes-vous un grand amateur de sence est rare au théâtre. mes enfants ne suffisait pas... théâtre ? Qu'est-ce qui vous a poussé à re - Qu'a-t-elle de spécifique cette Non, pas vraiment. Je le fus, plus monter sur scène ? dépression adolescente ? jeune... Mais j'ai un immense plai - Yvan Attal : Je suis avant tout un Elle met les parents dans une si - sir d'acteur par contre. Si vous vou - acteur et metteur en scène de ci - tuation d'impuissance totale. On lez tout savoir, je traverse une néma. Et j'ai la chance d'exercer ne sait plus où donner de la tête, période de disette culturelle. Je ne mon métier régulièrement. Ainsi, à qui faire confiance ; on est tra - sors presque plus. J'écoute moins au théâtre, je peux choisir unique - versé par un sentiment de culpa - de musique. Je ne vais presque ment les projets qui me tiennent à bilité abominable. Et l'enfant, lui, plus au cinéma. Je me sens las. J'ai coeur. L'engagement sur scène devant vous, reste absolument parfois le sentiment que mon en - n'est pas une mince affaire : il faut hermétique à tout. Parce qu'au vironnement est saturé par trop pouvoir porter un projet pendant fond, il s'agit d'un mal qui ne s'ex - d'images, de vidéos, de sons... J'ai des mois, partir en tournée, es - plique pas. On s'en remet aux mé - besoin de calme. Et ça m'attriste sayer de ne pas trop s'ennuyer... Le decins, mais bien souvent, ils beaucoup, parce que je sais que je personnage incarné doit avoir suf - n'éclaircissent pas grand chose. passe à côté de choses absolu - fisamment d'épaisseur pour que Alors on est perdu... Et très seul. ment merveilleuses. Je me pose l'on ait envie de se glisser dans sa Peut-on qualifier cette pièce de beaucoup de questions à ce sujet... peau pendant toute une saison. tragédie ? J'espère vraiment que ça va reve - C'est ce que j'avais éprouvé avec Nous n'avons pas encore com - nir. Ce rôle agira peut-être comme Race , la pièce de . mencé les répétitions. Pour vous un déclencheur. Je l'espère. Mais, depuis, les rôles que l'on me répondre, j'aurais besoin de voir ce Propos recueillis par proposait ne me touchaient que cela donne sur scène. Igor Hansen-Love guère. Jusqu'à celui-ci. Le Fils ré - Florian Zeller fait partie des sonne de façon intime avec mon rares auteurs contemporains propre vécu. Ce texte m'a vrai - dont le nom attire du public dans ment bouleversé. les salles de théâtre. Pouvez- n Le Fils, de Florian Zeller, mise en Pourquoi ? vous expliquer son succès ? scène par Ladislas Chollat, avec Cette pièce raconte, entre autres, Non, le succès relève toujours du Yvan Attal, Anne Consigny, Elodie le désarroi d'un père face à la dé - mystère. L'échec, par contre, peut Navarre... Comédie des Champs- pression de son fils. Je préfèrerais s'expliquer... J'imagine que le tra - Elysées, 15 avenue Montaigne rester elliptique, par pudeur, par vail de Florian parle aux gens, par 75008 Paris, 01 53 23 99 19, respect, mais disons que je me suis les thèmes qu'il aborde, et, sur - à partir du 3/02 déjà retrouvé dans une situation tout, par la façon dont il les traite.

54 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 8 MADEMOISELLE JULIE Février Comédie de Picardie – Amiens Anna Mouglalis

lui qui a souvent été perçu comme misogyne ? Il a été fou d’amour pour celle qui

r lui a inspiré la figure de Julie :

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o libre, emportée, elle lui a fait vivre

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u un enfer, qu’il raconte dans Plai -

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n doyer d’un fou . Il a été tellement

a

e J possédé par cette passion que la @ puissance du personnage dépasse la misogynie qu’il a voulu dénon - déboires d’une insoumise cer. Ce qui touche finalement chez Julie, c’est le refus qu’elle incarne : elle meurt plutôt que de se sou - mettre. La pièce restera-t-elle fidèle au texte d’origine ? Après avoir porté Anna Karénine au théâtre, Oui, car le texte est avant tout Gaëtan Vassart travaille à la mise en scène de la cé - d’une vivacité et d’une vérité abso - lèbre pièce Mademoiselle Julie , d’August Strindberg. lues. Rester fidèle à la langue de Elle sera dans un premier temps jouée les 8, 9 et 10 Strindberg permet de faire surgir sa dimension intemporelle. Le février prochains à la comédie de Picardie . décor en revanche sera abstrait, Anna Mouglalis, qui incarnera l’héroïne, raconte ce avec peut-être un usage de la projet en cours d’édification. vidéo permettant d’exprimer le rapport au désir et à l’image. Cette liberté que Julie re - Théâtral magazine : Avant la cherche, pourquoi ne la trouve-t- naissance du projet, que repré - La violence que Julie elle que dans la mort ? sentait la pièce pour vous ? côtoie répond au Julie et Jean, quand ils sont tout Anna Mouglalis : J’en rêvais de - désir qu’elle revendique. désir et sont tendus vers l’autre, puis le Conservatoire. Ce chef Une femme a le droit de peuvent tout imaginer. Mais après d’œuvre échappe à la raison mal - désirer sans être punie ... l’envolée, l’étreinte, ils se heurtent gré son immense acuité. Parmi les à la fixité de leurs situations res - thèmes qu’il aborde, celui du désir héritage écrase encore nos pen - pectives. A côté d’un homme en - féminin est rarement mis en sées. La violence que Julie côtoie glué dans la matérialité, elle voit avant. J’ai été d’autant plus en - répond au désir qu’elle reven - dans la mort la dernière liberté et thousiasmée d’aborder ce projet dique. C’est très éprouvant d’incar - une forme d’absolu, qu’elle cher - avec Gaëtan Vassart. Il a ce talent ner un tel personnage mais c’est chait depuis le début de la pièce. de permettre la remise en ques - aussi une chance de pouvoir por - Propos recueillis par tion permanente, ce qui est crucial ter cette parole : une femme a le Victoria Hatem pour pouvoir s’approprier la pa - droit de désirer sans être punie. role d’un personnage. L’affaire Weinstein et l’emballe - n Mademoiselle Julie, d’après Strindberg, mise Ce thème de la liberté de désirer ment médiatique qui l’entoure au - en scène Gaëtan Vassart, avec Anna Mouglalis, pour une femme, en quoi est-il jourd’hui prouvent que la pièce Xavier Legrand, Sabrina Kouroughli. toujours actuel ? peut faire écho à l’actualité. Comédie de Picardie, 62 rue des Jacobins L’intrigue originelle a pour cadre Que faire alors de la méfiance de Amiens, 03 22 22 20 20, du 8 au 10/02 la Suède de la fin du XIXe, mais un Strindberg à l’égard des femmes,

56 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 8 LE LAURÉAT Février Théâtre Montparnasse - Paris

Anne Parillaud Le goût des personnages ambigus

Théâtral magazine : C’est vos sur les Etats-Unis des années 60 et Le film de Mike Nichols vrais ou vos faux débuts au théâ - qui passe à côté de sa vie. Elle re - avec Anne Bancroft et Dustin tre ? joint le jeune homme, le fils de sa Anne Parillaud : A mes tout dé - meilleure amie, sur le terrain du Hoffman est célèbre. Le voilà buts, à 16 ans, j’ai joué la fille de désespoir. Ils ont une attirance devenu pièce grâce à une Jeanne Moreau dans L’Intox et été physique mais aussi intellectuelle. adaptation de Christopher la partenaire de Gérard Desarthe Elle découvre peu à peu qu’il a un Thompson. C’est précisément dans Héloïse et Abélard monté par cerveau et elle décide de l’abîmer. Daniel Benoin au festival d’Avi - N’est-ce pas un personnage né - une actrice de cinéma, Anne gnon, mais j’étais dans une totale gatif ? Parillaud, qui en crée la version innocence ! Après, je n’ai plus J’aime les défis et j’aime les française. Après de lointains et voulu faire de théâtre. J’ai attendu abîmes ! Au cinéma, où je n’ai plus discrets débuts à la scène, elle que le désir soit plus fort que la de beaux rôles, j’ai préféré les per - peur. Il fallait qu’un certain nom - sonnages ambigus, à plusieurs fa - considère ce rôle comme son bre de conditions soit remplies : cettes, peu aimables, en qui rôde véritable départ au théâtre. que la pièce soit universelle, hu - le mal. J’aime les âmes tourmen -

maine, un peu populaire, que ce tées, abîmées, travaillées. Tout e

r ne soit pas du boulevard, que le mon but est de défendre ces âmes-

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metteur en scène voie la pièce là, désespérées et désespérantes.

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dans la même direction que moi et Que pensez-vous de votre met -

@ qu’il soit mon guide. C’est ce qui se teur en scène, Stéphane Cottin ? passe avec Le Lauréat . Cela reste, Il a un regard d’auteur. Il fuit les pour moi, un plongeon dans le clichés et les conventions. Il a une vide, une immense aventure, une idée du théâtre qui est opposée au porte que j’ouvre avec un vrai théâtral. Il a aussi quelque chose désir. de cinématographique dans son regard, ce qui est bien au théâtre ! Tout mon but est de Avez-vous été consultée pour le défendre ces âmes- choix de vos partenaires ? Pas exactement, mais Stéphane a là, désespérées et déses - été très respectueux pour que je pérantes partage ses choix. Il a élaboré une vraie troupe, généreuse, bienveil - La pièce est fidèle au film. Vous lante. Ils ont tous l’expérience et n Le Lauréat, d’après le roman de Charles Webb, jouez Mrs Robinson qui séduit un l’amour de la scène. Je suis dans version française de Christopher Thompson, mise jeune homme qui a 20 ans de un écrin qui me sécurise. en scène Stéphane Cottin, avec Anne Parillaud, moins qu’elle lequel va être par - Propos recueillis par Arthur Fenwick, Marc Fayet, Françoise Lépine... tagé entre cette femme et sa Gilles Costaz Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté 75014 fille. Paris, 01 43 22 77 74, à partir du 8/02 C’est une femme très intelligente, alcoolique, désespérée, très lucide

58 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

à partir du 8 LA FEMME ROMPUE Février Théâtre Hébertot - Paris Josiane Balasko pour le combat

Habituée des rôles comiques, la comé - dienne et réalisatrice qui s’est fait connaître avec la bande du Splendid foule les planches avec un texte de Simone de Beau - voir. Dirigée par l’actrice Hélène Fillières, elle incarne, seule en scène, une femme au bout du rouleau. Un tournant dans sa car - rière. La pièce a été créée aux Bouffes du r d

@ Nord il y a un an et est reprise à Hébertot.

Théâtral magazine : On ne vous son fils et elle se sent responsable demment, même si nous sommes imaginait pas jouer un texte de du suicide de sa fille ; sûrement à toujours victimes de certaines iné - Simone de Beauvoir. Qu’est-ce juste titre d’ailleurs. Je la trouvais galités, de harcèlements, et de re - qui vous a poussée à vous lancer absolument monstrueuse. Puis, marques misogynes en tout genre. dans ce projet ? doucement, au fil des répétitions, Sur le plan international, ce discours Josiane Balasko : L’envie d’es - j’ai changé d’avis. J’ai appris à l’ai - est hélas toujours d’actualité dans sayer de nouvelles choses et de mer, à la comprendre. l’immense majorité des pays. Mais changer de registre. J’incarne ici Qu’est-ce qui la rend aimable jus - au-delà de cette dimension tra - un rôle tragique, celui d’une tement ? gique, il y a aura aussi des moments femme abimée par la solitude et Elle dit ce qu’elle pense, sans conces - assez drôles dans ce spectacle. La mue par la colère, qui, au fil d’un sion. Il faut remettre les choses dans mauvaise foi de mon personnage monologue d’une heure dix, règle leur contexte. Lors de la publication est telle qu’elle en devient un ressort ses comptes avec le monde entier de ce texte, en 1967, une femme ne comique assez efficace. un soir de réveillon. C’est Hélène pouvait pas s’exprimer de cette Hélène Fillières est quel genre Fillières qui m’a proposé ce texte façon-là. On ne pouvait pas tenir de de directrice d’actrice ? que je ne connaissais pas. Et j’ai tels propos sur la maternité. Au départ c’est une actrice donc sa été séduite par sa modernité, sa Pourtant, lors de la réception de sensibilité au jeu sur le plateau violence, son âpreté. J’ai la chance La Femme rompue , Simone de m’est très agréable. Tout l’enjeu de faire un métier où l’on me pro - Beauvoir se sentait incomprise : consiste à trouver la bonne place du pose de changer de peau, de vie, elle cherchait plutôt à dénoncer corps. La plupart du temps, je suis et d’explorer de nouvelles facettes la passivité de son personnage… allongée sur un lit, parfaitement de mon jeu. Ce projet me permet Certes, en dénonçant aussi un état seule, mais toujours au combat. de progresser. Enfin, je l’espère ! de la société. A l’époque, très sou - Propos recueillis par Quel est votre point de vue sur vent, les femmes n’existaient qu’à Igor Hansen-Love ce personnage ? travers leur mari et leurs enfants Au départ, j’étais incapable si elles ne travaillaient pas. Et n La Femme rompue, de Simone de Beauvoir, d’éprouver une once d’empathie l’émancipation n’était pas une mise en scène Hélène Fillières, avec Josiane pour elle. C’est une femme sans mince affaire. Balasko. Théâtre Hébertot, 78 bis bd des concession mise à l’épreuve d’une Ce discours est-il toujours d’ac - Batignolles 75017 Paris, 01 43 87 23 23, situation extrême : son mari l’a tualité en France ? à partir du 8/02 quittée, elle a perdu la garde de En France, c’est moins le cas, évi -

60 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

Dossier

oméo et Juliette, Antoine et Cléopâtre, Cyrano de Berge - rac, Bérénice, Phèdre, Pre - mier amour… les grandes R pièces d’amour nous font toujours vibrer. Plus elles sont tra - giques, plus elles nous enchantent et bien plus que dans les livres et dans les films. Parce qu’au théâtre, le contrôle de nos émotions nous échappe. L’histoire se joue en vrai de - vant nous et nous emporte dans la réalité des personnages, nous fait ac - céder à leur folie. Comme si l’amour prenait toute sa dimension sur scène, comme s’il avait trouvé son terrain de jeu idéal au théâtre. Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de : Vincent Cespedes, Benoît Lambert, Clotilde Hesme, Alexis Michalik, Magali Montoya et Guillaume Barbot

Roméo et Juliette, de Shakespeare, mise en scène de Nicolas Briançon, avec Ana Girardot, Niels Schneider...

62 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 Le théâtre amoureux Vincent Cespedes Il y a très peu d'émotions comme l’amour qui peuvent être paroxystiques tout en restant crédibles

Quand il s’agit d’amour, on peut égor - Selon le philosophe Vincent Cespedes, si les ger quelqu'un et rester crédible sur grandes histoires d’amour nous bouleversent toujours au scène. On peut faire des vilenies, des théâtre, c’est lié à l’effet de la représentation directe qui intrigues, des trahisons absolument restitue le vertige d’un sentiment qui confine aux extrêmes. horribles et les gens diront "oui c'est possible". Alors qu’en poussant n'im - Le théâtre et l’amour permettent de renouer avec notre pro - porte quelle autre émotion à son pa - pre complexité d’être humain et d’accepter notre propre folie. roxysme, ça sonnerait faux. L'amour permet cette sorte d'extension du do - maine du sentiment jusqu'à son pa - Comment le théâtre traite-t-il n'est pas du tout de la même nature au roxysme tout en gardant l'idée de la l’amour ? théâtre et au cinéma. Qu'est-ce que vraisemblance indispensable pour Vincent Cespedes : Je crois vraiment c'est le cinéma ? Un mensonge dit Pla - qu'on puisse s'identifier. que le théâtre ne s'est pas émancipé ton dans l’allégorie de la caverne (Livre Il y a aussi cette idée que l'amour du modèle du couple. Même si dans le VII de La République de Platon, ndlr) rend les choses belles alors qu'elles vaudeville, c'est pour le critiquer où il analyse le cinéma 2000 ans avant finissent mal… puisqu'il y a l'amant, que ça se sépare son apparition. Aristote montre que Parce que l'amour renferme un cock - et se recompose. Mais le fonds de dans le théâtre, le poète va vivre des tail de sentiments. C'est hyper com - commerce du rire comme du drame, émotions tellement fortes qu'il va nous plexe : on peut haïr et aimer en même de Shakespeare à Marivaux, c'est vrai - les faire vivre aussi. Et le philosophe temps, être jaloux et aimer, convoiter ment l'idée du couple, c'est-à-dire de hongrois Georg Lukács dit en 1911 et aimer. Il remet en mouvement et l'engagement et de l'exclusivité dans qu'au théâtre il y a une énergie trans - en danse des sentiments qui pour - une relation amoureuse. J'y vois mise par les comédiens qui nous raient être perçus comme figés, quelque chose de l'ordre d'une éduca - frappe au cœur. Et parce qu'il est ques - comme des statuts Facebook : j'aime, tion moralisante et populaire qui tion d'énergie et d'émotions trans - j'aime pas, des émoticons. Quand on reste au théâtre très forte quand bien mises directement, l'amour est un va au théâtre, on accède à la com - même le contemporain éclate ça. thème privilégié parce que c’est une plexité. La leçon du théâtre amoureux Pourquoi les grandes histoires sorte de gros mot qui signifie "émo - c'est que justement l'amour n'est pas d'amour nous marquent-elles tou - tions fortes que l'on porte à l'autre". un sentiment mais des sentiments. Il jours autant au théâtre ? Dans l'amour on a tout : le drame avec y a des crescendos, des moments de Parce qu’au théâtre l’émotion est in - la colère et l'envie de tuer, la sexualité tension, de détente, de féerie, de rou - carnée par des comédiens en direct, avec le désir… c'est-à-dire qu'on est tine, de haine. Il faut voir comment ça contrairement au cinéma où l'émotion prêt à toutes les folies. Il y a très peu évolue dans le temps. Et du coup ça est enregistrée et projetée. Donc la ca - d'émotions qui peuvent être paroxys - nous ravit et nous enchante comme tharsis, pour parler comme Aristote, tiques tout en restant crédibles. une musique qui bouge, qui danse...

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Et puis, on se laisse porter, ça nous ar - Oui on peut reprocher à la génération rive tout cru directement dans le qui monte de faire un théâtre argu - cœur, parce qu’on nous fait la lecture. mentatif et explicatif, de partir du Et on se laisse bercer dans une com - réel, parfois même d'enquêtes. Et du munion avec d'autres personnes dans coup c'est une sorte de transforma - la salle. tion du journalisme en art. Or le théâ - Aujourd’hui, notre société semble tre est un art total, qui contient la avoir remplacé la quête de l’amour musique, l'image, la danse, la choré - par celle du bonheur. On fuit les af - graphie, l'acteur, le texte et la repré - fres de l’amour pour la tranquillité sentation en direct. C'est le lieu de du bonheur. Le théâtre contempo - tous les trucages mais avec pour but rain n’est-il pas contaminé par cette d’accéder à un degré de vérité supé - tendance ? rieure. Je crois que Beckett ne savait Si, et le pire c'est le théâtre bourgeois, pas ce qu'il écrivait. Ionesco non plus. qui est là pour faire du développe - ment personnel. Sony Labou Tansi, La meilleure école de qui est un grand homme de théâtre, théâtre en amour c’est dit que l'art doit réveiller nos obses - quand un acteur est sions. Donc ce n'est pas calmer nos obsessions, ce n'est pas pacifier nos capable de pouvoir aimer obsessions, ce n'est pas freiner nos une chèvre et qu’on y croit. obsessions pour nous ouvrir au déve - loppement personnel, au yoga, ou au Alors qu’aujourd’hui, c’est construit jus d'orange. Les mauvais auteurs de comme un scénario de cinéma, bien théâtre essaient bien de nous déran - marqueté. C'est trop conscient, trop ger mais c'est sous forme très confor - lucide. C'est wagnérien au sens de table. C'est l'injection du management Nietzsche, c'est-à-dire qu'on tyrannise finalement. On est dans un théâtre de les spectateurs avec des procédés cal - manager pour manager. Je suis culés pour produire tel ou tel effet. contre la macronisation du théâtre, Pour moi le dernier grand auteur de r d

cette idée que le théâtre doit motiver. théâtre en France, c’est Koltès. La

Au contraire, le théâtre doit totale - meilleure école de théâtre en amour @ ment être démotivant ou alors moti - c’est quand un acteur est capable de ver à être tordu. Regarder Brecht ou pouvoir aimer une chèvre et qu’on y Médée d'Euripide réveille nos obses - croit. Au cinéma quelqu’un qui aime - n Vincent Cespedes compose aussi sions. Je crois qu'il y a vraiment l'idée rait une chèvre, ce serait cocasse. pour la scène. Il a notamment composé de se mettre face à un miroir pour voir Selon vous, quelle serait la pièce qui la musique de Médée Matériau de Hei - notre perversité resplendir. Ça ex - parlerait le mieux de l'amour ? ner Müller, avec Rabiàà Tlili et celle du plique Euripide, même Caligula de Il faut lire Les relations de Claire de prologue de la Médée d’Euripide Camus qui était encore dans cette Déa Loher. Peut-être que ça serait ça. veine là. Après il y a quand même un Même si c'est un peu technique et théâtre contemporain un peu plus que ça ne va pas parler à tout le complexe qui croise avec la danse monde. comme celui de Robyn Orlin. Propos recueillis par Est-ce que le théâtre n'a pas aussi Hélène Chevrier abandonné sa dimension roma - nesque et hypnotisante pour aller vers une dimension plus artistique ?

64 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 LE THEATRE AMOUREUX

La Princesse de Clèves Un théâtre de chair

avaient-ils persisté parce qu'il n'en Magali Montoya a monté l’intégrale de La Princesse de avait pas trouvé en moi". Et je crois Clèves , un roman d’amour qui se passe à la cour des Valois qu’il est mort parce qu'il n'était juste - ment plus capable de l'aimer, qu’il n'a au XVIIe siècle. Elle n’est pas la seule à trouver cette pas supporté l'épreuve de la jalousie. histoire d’amour impossible entre La Princesse de Clèves Qu'est-ce qui fait qu'on est autant mariée au Prince de Clèves mais amoureuse du Duc de pris par cette histoire ? Nemours éminemment théâtrale. Il y a plus de vingt ans, Je crois que c'est la chair contenue dans le verbe. Il y a beaucoup de désir Marcel Bozonnet en a fait un seul en scène remarquable qui transpire et nous traverse. Et ce qu’il tourne toujours, Laurence Février en a tiré un format désir fait du bien. court en 2010 au Lucernaire… Le fait d'ouvrir le livre au plateau, de lui donner des voix sans le trahir laisse un espace au spectateur pour faire sienne cette histoire encore plus que s'il l’avait entre les mains le soir dans son lit. Il y a aussi quelque chose de l'ordre du feuilleton. Dont l’effet est décuplé par le théâ - tre ? z

e Oui, le théâtre est une arme puis - d n a

n sante, parce qu'il y a quelque chose r e F

s qui rejoint une forme de rituel. Go - i

u Magali o L

- dard dit que c'est du travail "qui res - n a e J

suscite les choses d'entre les

@ Montoya hommes" . Et qui le fait au présent. Tout participe chaque soir à ce que Qu’est-ce qui fait que ce roman C’est aussi ce contexte du paraître cette histoire soit unique. Cela veut d’amour est si souvent porté à la qui empêche l’amour entre la Prin - dire aussi qu’au théâtre tout est pos - scène ? cesse de Clèves et le Duc de Ne - sible dans l’instant présent... Magali Montoya : C’est parce que la mours… Propos recueillis par langue porte une forme de puissance Oui mais il y a aussi ce renoncement Hélène Chevrier de l'oralité. Il suffit presque d'enlever à l'amour à la fin alors que c’est de - seulement les "dit-il" et "dit-elle" pour venu possible pour eux et qui reste un donner des scènes sublimes de théâtre. mystère pour tout le monde encore Et je trouve magnifique le cadre de la aujourd'hui. Dans la dernière scène, la cour, du pouvoir, la représentation de princesse de Clèves décortique au n La Princesse de Clèves, d’après le soi-même dans la vie publique, le Duc presque scientifiquement le pro - roman de Madame de La Fayette, contraste entre l'être et le paraître et cessus de l'amour et sa propre passion adaptation et mise en scène Magali la nécessité du paraître. Une phrase à lui comme une chose qui a persisté Montoya, avec Éléonore Briganti, que j'adore dans le texte c'est : "les his - parce qu'elle a résisté en face. Elle dit Élodie Chanut, Emmanuelle Grangé, toires étaient toujours mêlées à l'amour aussi à propos du prince de Clèves : Bénédicte Le Lamer, Magali Montoya et et l'amour aux histoires" . "sans doute son amour et sa passion le musicien Roberto Basarte

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Gérard, sa femme qui l’a aimé, admiré et beaucoup soutenu. A vos débuts, vous avez monté Alexis Michalik Roméo et Juliette et Carmen , deux autres exemples d’amour roman - tique. Oui mais je n’en fais pas une fixation. J’ai aussi monté Le Mariage de Figaro , une pièce que j’adore et qui montre tous les âges de l’amour : l’amour ado - lescent de Chérubin et Fanchette ; l’amour jeune de Figaro et Suzanne ; l’amour un peu passé du comte et de la comtesse et l’amour envolé de Bar -

r tholo et Marceline. Cette idée du ma - d

@ riage, “la folle journée”, la plus belle de toute leur vie, cette apothéose qui ne peut ensuite que se ternir, c’est très proche de la générale de Cyrano , Cyrano de Bergerac un moment unique, hors du temps. Pourtant, l’amour n’est pas le thème Mourir d’aimer qui vous inspire le plus. Moi, je m’intéresse aux autres vies que la mienne, aux histoires qui ne Cyrano de Bergerac, un modèle d’amour m’appartiennent pas. S’il y a un fil romantique… En écrivant Edmond , sa pièce à rouge à mes pièces, c’est qu’elles met - tent en lumière des personnages de succès, Alexis Michalik s’est interrogé sur l’amour, poètes. Mais je suis forcé de constater le théâtre et l’écriture. Explications. que l’amour s’invite pratiquement dans toutes mes intrigues, du Porteur d’Histoire jusqu’à Edmond , des his - Qu’est-ce qui vous a intéressé dans avoue par mégarde à Roxane qu’il est toires d’amour bancales. cette fiction sur la création de Cy - l’auteur des mots d’amour de Chris - En revanche, le photographe que rano de Bergerac ? tian, c’est pour mourir lui aussi. C’est vous avez joué dans Kaboul Kitchen , Alexis Michalik : Au-delà de cette la quintessence d’un grand thème c’est tout sauf le héros romantique histoire d’un four annoncé qui se théâtral, ces amours impossibles, ces qui se consume sans consommer. transforme en un triomphe immense, méprises, ces paroles détournées. Oui, il ne rêve pas, il tombe les filles. ce que j’ai essayé de transposer, c’est Quoi de plus beau, au théâtre, que de J’adore jouer les connards, les “bas du cette forme d’amour romantique, ce mourir en aimant éternellement ? casque” qui disent tout haut des hor - sentiment jusqu’au-boutiste qui En quoi cela concerne-t-il aussi Ed - reurs que d’autres pensent tout bas. consiste à littéralement mourir mond Rostand ? Propos recueillis par d’amour pour quelqu’un. Cyrano aime C’est ma part d’invention. Cyrano Patrice Trapier Roxane mais il n’ose le lui dire. écrit pour être aimé, Rostand aime Roxane aime Christian mais elle ne pour pouvoir écrire. C’est pourquoi j’ai n Edmond. Théâtre du Palais-Royal, lui a jamais parlé. Christian aime inventé cette muse, une petite habil - 75001 Paris, jusqu’au 31/08. Roxane mais il ne la connaît pas. leuse qui passe par là et qui incarne n Intra Muros. La Pépinière Théâtre, Quand Christian et Roxane se ma - l’amour fantasmatique dont le dra - 75002 Paris, jusqu’au 31/03. rient, Christian part à la guerre. maturge a besoin pour terminer sa n Le porteur d’Histoire. Théâtre des Quand Roxane vient sur le front, pièce. En réalité, j’ai fait du tort à sa Béliers Parisiens, 75018 Paris, Christian meurt. Et quand Cyrano vraie muse, la poétesse Rosemonde jusqu’au 21/01

bb Théâtral magazine Janvier - Février 2018 LE THEATRE AMOUREUX

Le jeu de l’amour et du hasard L’amour déterminé

En montant Le Jeu de l’amour et du hasard au Théâtre Dijon-Bourgogne avec quatre jeunes comédiens en contrat de professionnalisation, Benoît Lambert questionne l’émergence du mariage d’amour dans la société. Mais ce moment de bascule décrit par Marivaux n’échappe pas aux règles du déterminisme social. t e l e b r A

. V Benoît Lambert @

Le propos développé dans Le Jeu de un valet et connaît toutes les règles Dijon, un dispositif d’insertion afin l’amour et du hasard n’entre-t-il pas de politesse propres à son milieu. que de jeunes comédiens puissent en contradiction avec le titre de la En quoi la pièce entre-t-elle en réso - partager la vie d’un théâtre pendant pièce ? nance avec l’amour tel qu’il se noue un an et y apprendre leur métier. Benoît Lambert : Si la pièce raconte aujourd’hui ? Comme ils étaient déjà engagés dans une chose, c’est bien qu’il n’y a pas de Avec le numérique et le développe - une création contemporaine avec hasard en matière d’amour. Le “ha - ment des réseaux sociaux, nous avons Maëlle Poésy, j’ai choisi de les sollici - sard” du titre renvoie, en fait, à un eu, un temps, le fantasme insensé de ter pour monter un texte classique. élément anecdotique : voir Sylvia et pouvoir rencontrer tout le monde en se Avec ces quatre comédiens, j’avais le Dorante avoir la même idée en même jouant des milieux sociaux. Finalement, dispositif parfait pour Le Jeu de temps, celle de se déguiser en valet. ces outils ont l’effet inverse et créent de l’amour et du hasard . Derrière le procédé théâtral, se cache la consonance sociale. En cela, rien n’a Il est vrai qu’il est rare de donner ces un subterfuge qui n’est peut-être pas fondamentalement changé. rôles compliqués à des comédiens aussi original qu’on le pense, si on Sauf que, dans la pièce de Marivaux, aussi jeunes. Mais, parce qu’ils ont suppose que le déguisement est un il est entendu qu’il n’y a pas de com - l’âge des rôles et que cela donne de la fantasme courant dans les milieux mune humanité, qu’il existe une dif - consistance à la pièce, je suis ébloui aisés de la fin du XVIIIe siècle. Dans férence entre les gens de bien et les du résultat. A leur âge, ils sont dans ce cas, il redouble le déterminisme so - gens communs. Cette donne a évo - ce moment esthétique où ils ont en - cial mis en évidence par Marivaux. lué, au moins formellement. Quand je core à tomber amoureux. C’est une Ce déterminisme ne nuit-il pas à la monte un classique, c’est à ce voyage question brûlante pour eux, et cela se pureté de la relation amoureuse ? dans le temps que je m’intéresse. Je ressent dans leur jeu. Penser, comme Bourdieu, que l’amour veux que les spectateurs expérimen - Propos recueillis par est une “île enchantée” où la société tent ces différences car elles prouvent Vincent Bouquet serait mise en suspens est une illu - que l’Histoire se construit par une sion. Même en amour, le détermi - série de transformations. nisme existe car on tombe amoureux Vous avez confié les rôles à quatre n Le Jeu de l’amour et du hasard, de d’une attitude, d’une voix, d’un phy - jeunes comédiens en contrat de Marivaux, mise en scène Benoît Lambert sique qui sont construits socialement. professionnalisation. Pourquoi Théâtre Dijon-Bourgogne, 23 rue Dans la pièce, malgré son déguise - avoir fait ce choix ? Courtepée, 21000 Dijon, ment, Dorante ne parle pas comme Nous avons mis en place, au CDN de 03 80 30 12 12, du 09 au 13/01

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 67 DOSSIER

Clotilde Hesme Le jeu de l’amour et du hasard La lutte des classes

Silvia se travestit pour savoir qui est son futur mari mais Dorante fait de même… Catherine Hiegel monte ce grand jeu de dupes en costumes mais avec des intentions très contemporaines.

changé depuis le XVIIIe siècle : la lutte conscients des enjeux de ce qu’ils disent. des classes existe toujours et peut-être Comme un inconscient qui agirait en même dans des termes aggravés. contradiction de leur volonté. Cela veut En quoi la pièce de Marivaux parle dire jouer avec la main légère. Pour La de la question sociale ? Seconde surprise de l’amour , Luc Bondy Silvia ne supporte pas l’idée d’aimer avait la même idée, que les paroles et quelqu’un qui ne soit pas de sa classe les corps se démentent, que les person - sociale. En cela, Dorante est sans nages parlent beaucoup pour ne pas se doute plus moderne, il est presque at - toucher. Ce n’est pas facile à jouer, ce tiré par la transgression que consti - décalage, ce trouble, cette parole qui tuerait pour lui un mariage avec une masque ou qui trahit. En même temps, m h t

servante mais c’était peut-être plus Catherine Hiegel peut être très concrète @ facile pour un homme. dans ses indications, elle monte sur C’est aussi une pièce sur la liberté scène, elle montre, elle guide. Elle peut C’est la première fois que Catherine des femmes. parler de la peur du mariage pour les Hiegel, votre professeur au Conserva - Oui, Silvia incarne en même temps un jeunes femmes en nous racontant des toire, vous met en scène. désir de liberté et une incapacité à sortir anecdotes très crues sur la vie sexuelle Clotilde Hesme : Je l’admire comme de son statut social. Elle veut se marier de certains couples. femme, comme comédienne et comme en toute connaissance de cause, savoir Quinze ans, c’est une manière de metteur en scène. En quinze ans, elle n’a avec qui elle va passer sa vie, avec qui mesurer le temps qui passe ? pas changé. Elle a toujours cette haute son corps va s’exprimer. Marivaux mon - Je ne me pose pas ce genre de ques - conscience politique, elle fait du théâtre tre bien ces hommes qui jouent un jeu tion. Ce qui m’importe, c’est de jouir du aussi pour parler de son temps, de ses en société et sont des brutes dans leur temps et de son épaisseur. Le théâtre convictions, de ce qui la fait enrager. Elle foyer, une autre dimension du travestis - offre une densité qu’on ne retrouve ni a beaucoup joué de soubrettes, elle a sement. Silvia est moderne mais dans au cinéma, ni dans la vie quotidienne, une tendresse particulière pour ces per - une forme de féminité, une coquetterie c’est pourquoi il m’est si précieux. sonnages malmenés. que j’abhorre, c’est passionnant de jouer Propos recueillis par Vous appréciez de jouer en cos - quelqu’un dont on se sent loin. Patrice Trapier tumes ? Quelles ont été les intentions de jeu ? Je ne pense pas qu’il faille mettre un Catherine Hiegel nous a dit dès le nLLee JJeu de l’amour ett duu hhaassaarrdd, , de jean et des baskets pour montrer la mo - début : vos personnages ne doivent pas Marivaux, mise en scène de Catherine dernité d’un texte d’une telle puissance. sentir la valeur de ce qu’ils disent. Ils di - Hiegel. Théâtre de la Porte Saint-Martin, Au contraire, ces costumes d’époque sent des choses auxquelles ils croient 18 bd Saint-Martin, 75010, Paris. soulignent que rien n’a vraiment mais ils ne sont pas forcément 01 42 08 00 32. A partir du 16/01

68 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 LE THEATRE AMOUREUX

Guillaume Barbot L’amour contre le cynisme du monde

Inspiré par un documentaire italien des plus de quatre heures de scènes crues, cruelles, hurlantes et années 80 sur l’amour, Guillaume Barbot s’est demandé ça fonctionnait théâtralement tout de suite. Mais le défi que ce que donnerait une enquête sur l’amour au théâtre. Ca - j'avais envie de me lancer était de ne pas tomber dans ce méra à l’épaule, dictaphone en main, il est allé interviewer théâtre-là" . Dans Amour , les acteurs ne se déchirent pas, des étudiants sur le campus de la Cité Internationale, des n’hurlent pas, ne suent pas sur le plateau. Du coup, "il y a anciens dans des maisons de retraite et des enfants à une espèce de tendresse qui flotte entre les spectateurs et l’école maternelle. les acteurs. C’est tendre, mais pas fleur bleue. Je pense même que c'est assez politique, contre le côté hurlant du Le projet Amour de Guillaume Barbot présenté en novem - monde et le cynisme ambiant." bre au théâtre de la Cité Internationale regroupe quatre Hélène Chevrier acteurs, deux danseurs et deux musiciennes qui viennent parler au public de l’amour, de la tendresse, de la sexualité. n Amour , conception et mise en scène Guillaume Barbot C’est un spectacle amoureux d’une heure trente. "J'avais Cité Internationale, novembe 2017

u a e v Go Théâtre u o n L’appli théâtre ! Chaque semaine à télécharger gratuitement des places de théâtre à gagner ! GO T sur Android sur Iphone Théâtral magazine Janvier - Février 2018 69 ortrait

P tés, des boulevards de qualité, au Fon - taine, des comédies pour un public Pascal Legros plus jeune. Et à Hébertot, on va ré - orienter la ligne vers davantage de classiques. C’est un théâtre un peu rachète Edouard VII isolé qu’il faut resituer dans son quar - tier des Batignolles, avec des inter - ventions dans les lycées, des lectures, Coup de théâtre à Paris : Bernard Murat des conférences les lundis. Je veux re - vient de vendre Edouard VII qu’il dirigeait depuis lancer les matinées classiques. Il faut 2001 à Pascal Legros, déjà directeur de trois salles animer le lieu le plus possible. Qu’est-ce que va vous apporter parisiennes, les Nouveautés, Hébertot et le Fon - Edouard VII ? taine et par ailleurs producteur et tourneur. Il s’inscrit dans un projet global. Avant d’être directeur de théâtres et produc - teur, je suis tourneur. Depuis Théâtral magazine : On ne s’at - quarante ans, je tourne des spec - tendait pas à vous voir rache - tacles en province. Sauf que le ter le théâtre Édouard VII. contexte a changé. Il n’y a Pourquoi Bernard Murat a-t-il presque plus de théâtres privés vendu ? en province, à part Pascal Héri - Pascal Legros : Il a vendu et ré - tier à Lyon. C’est à Paris que se investi dans ma société : il reste fabriquent les pièces du privé. à la direction artistique Donc j'ai besoin d’être à Paris d’Edouard VII et se décharge de pour avoir des outils de création. toute la partie administrative Oui mais les théâtres privés pa - que je reprends en mutualisant risiens se plaignent justement avec mes autres activités. Mais de ne plus pouvoir faire tourner quand il m’a proposé de rache - leurs spectacles en province ter Edouard VII, j’avoue que je dans les salles publiques… pensais que ce n’était pas envi - C’est vrai, mais le fait que les sageable. J’avais déjà financé le budgets diminuent va les obliger

théâtre Fontaine et la moitié du à partager. Cela va leur amener

r d

théâtre Hébertot avec mes pro - des publics différents, plus popu - pres réserves et de l'emprunt @ laire. Et cela ne sera que béné - bancaire. Mais Bernard Murat fique. Et de notre côté, cela va est un modèle pour moi. Et puis j’or - fonds d'investissement, ce qui est une nous obliger aussi à repenser notre ganise ses tournées depuis plus de première dans le domaine du théâtre. modèle économique de tournées ; il vingt ans. Je ne pouvais pas refuser. Vous avez maintenant quatre théâ - faudra produire au lieu de vendre Alors, j’en ai parlé à Dominique Lam - tres : Edouard VII, Le Fontaine, les avec une rentabilité calculée sur le bert l’ex-directeur du département Nouveautés et Hébertot dont vous long terme. audiovisuel d’HSBC, qui a trouvé le fi - partagez la direction avec Francis Propos recueillis par nancement de beaucoup de salles pa - Lombrail. Comment répartissez- Hélène Chevrier risiennes dont les Nouveautés et le vous les spectacles entre eux ? Fontaine pour moi et il a imaginé un Il y a quatre lignes éditoriales bien dé - montage avec un peu d'endettement finies : à Edouard VII on présente des bancaire et la participation de deux comédies dramatiques, aux Nouveau - n www.plegros.com

70 Théâtral magazine Janvier - Février 2018

Reims Scènes d’Europe estival www.scenesdeurope.eu F du 7 au 18 février Ludovic Lagarde Reims Scènes d’Europe L’Europe, au centre du jeu Directeur de La Comédie de Reims depuis 2009, Ludovic Lagarde supervise une nouvelle fois Reims Scène d’Europe, le festival pluridisciplinaire, théâtre, musiques, danses, spec - tacles, cirque et jeune public, organisé dans plusieurs lieux de la ville champenoise : le Grand Théâtre, la Comédie, le Manège ou la Cartonnerie. Cette nouvelle édition bénéficie t r e l l de la participation d’artistes issus d’horizons divers : de e G

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Romeo Castelluci, Antonella Bussanich et Laurent Durupt u a l l i u G au collectif La Horde en passant par Martin Matalon ou le Blitz Theatre Group. @

Cette nouvelle édition embrasse de Oui, pendant dix jours, il propose un création numérique. Nous avons nombreux thèmes : la démocratie, panorama ultra créatif et foisonnant ajouté deux créations espagnoles : les langages, le féminisme, les com - à travers de multiples formes théâ - Rebota rebota y en tu cara explota munautés virtuelles… trales, politiques, documentaires, le des artistes catalans Agnés Mateus & Ludovic Lagarde : Cette année on a rapport de l’image au plateau, des Quim Tarrida et Cine du collectif ma - eu du mal à trouver un fil rouge. Cela supports numériques, qui cassent drilène La Tristura. faisait longtemps qu’on réfléchissait également les codes. Vous ne faites pas de mise en scène sur la diversité. On est toujours frappé Quels sont les moments phares de cette année ? par l’Europe qui ne va pas bien, les ar - ce festival ? Non, je serai plus là pour accompa - tistes s’emparent de ce qui brûle. Nous sommes heureux d’accueillir De - gner les artistes et débattre. Comment l’Europe fonctionne au - mocracy in America , la nouvelle créa - Rappelons que certains spectacles jourd’hui ? Face à Donald Trump, au tion de Romeo Castellucci, ainsi que sont en accès libre. moment où les Etats-Unis font marche Tristesses , d’Anne-Cécile Vandalem Nous tenons à la gratuité, cela permet arrière, elle revient au centre du jeu et qu’on a pu voir au festival d’Avignon d’attirer de nouveaux spectateurs, le se montre plus solidaire. L’état de crise en 2016. Ce metteur en scène ac - festival trouve son identité dans la po - est très aigu et les enjeux sur l’environ - complit un travail formidable (la pulation. En parallèle au noyau dur nement sont importants, il y a aussi le pièce est un polar tiré d’une histoire des gens de théâtre, de musique et de Brexit et ce qui se passe actuellement vraie sur fond de montée du parti d’ex - danse, il y a un public spécifique qui en Pologne. Les artistes travaillent en - trême droite, ndlr) . Pour la première vient exprès pour cette manifestation. semble et communiquent. Le festival fois, on recevra Joris Lacoste avec le Il se rajeunit, mais est composé de représente cette avant-garde qui s’in - collectif Encyclopédie de la parole. toutes les générations. Nous ne tra - terroge sur le monde. On a aussi déjà beaucoup collaboré vaillons pas seulement avec les écoles Peut-on dire que ce festival donne avec le Blitz Theatre Group qui pré - et les lycées de la région. une vision globale du spectacle vi - sentera un projet sur la solitude Propos recueillis par vant dans son ensemble ? contemporaine, l’un des enjeux de la Nathalie Simon

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Le trio constitué par la spécialiste du cerceau aérien Lea Ex-pensionnaire du Cirque du Soleil, se produisant actuel - Hinz, et les B-Boys Lil Amok et PetAir produit un éton - lement à Las Vegas, Thomas Mangin est un jeune acro - nant numéro mêlant douceur, élégance et rugosité . bate français qui s’est spécialisé dans la pratique des sangles. Il concourt avec un numéro autant spectaculaire C’est en 2015 que Lea Hinz rencontre PetAir. Elle vient de que théâtral sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. la gymnastique puis du cerceau aérien, a fait ses classes auprès de grands noms du cirque comme Les 7 Doigts de Que raconte votre numéro ? la main , lui est un B-Boy, autrement dit un break dancer. Thomas Mangin : C'est le passage de l'adolescence vers Le mariage de leurs deux disciplines donne un mouvement l'âge adulte qui ressemble à la plongée dans un grand à la fois acrobatique et poétique à leurs numéros. Un troi - océan et comment on manage son chemin à travers ça. sième artiste, Lil Amok, également B-Boy, les a rejoints. Au Qu'est-ce qui vous a inspiré un tel sujet ? départ il s’agissait d’étoffer le spectacle en perspective de Un moment très précis de ma vie où j'ai ressenti très for - tournées sur les grandes scènes allemandes. Et puis sa pré - tement ce passage. Pour moi, c’est arrivé à 25 ans. J’ai réa - sence ajoute du sel aux histoires qu’ils peuvent raconter. lisé alors qu’il fallait prendre en main ma vie. Cela s’est Ainsi le numéro qu’ils présentent au festival commence traduit concrètement par le désir de changer mon quoti - comme une histoire d’amour entre Lea et PetAir. Mais "il dien, et surtout de travailler en solo et d’être reconnu pour y a toujours Lil Amok qui tourne autour de nous, jusqu’à ce mes capacités, mon talent et mon énergie. C’était précisé - qu’une battle commence entre les deux garçons" . Sauf qu’il ment l’époque où je travaillais au Cirque du Soleil. n’y aura pas de vainqueur ; "c’est la fille qui décide" . Or dans Comment l’exprimez-vous dans votre numéro ? leur scénario, elle ne choisit pas l’un à la place de l’autre. Je lâche les sangles et marque un temps d'arrêt. A ce mo - "C’est une libération ensemble et non pas les uns contre les ment là, je dois choisir entre un objet représentatif de là autres" . Un numéro dans la mouvance du cirque actuel, en d'où je viens et les sangles, c’est à dire le futur. Il y a un perpétuelle recherche de créativité. Comme pour le théâ - autre passage où je m’élève dans les airs dans un mouve - tre, le cirque aujourd’hui croise les disciplines. Au-delà de ment qui rappelle un peu un papillon qui éclot. la performance, les artistes cherchent d’autres inspirations Vous avez aujourd’hui 26 ans. Envisagez-vous toujours dans la danse, ou la poésie. C’est d’ailleurs du côté des votre avenir en solo ? spectacles alternatifs que le groupe regarde pour l’avenir. Non, car entre temps, j’ai rencontré l’amour. Et je n'ima - Hélène Chevrier gine plus de travailler seul mais avec ma femme. Propos recueillis par Hélène Chevrier

74 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 39e Festival du Cirque de demain Cirque Phénix, Pelouse de Reuilly 75012 Paris, 0892 68 36 22 du 1er au 4 février

The Silhouette Viivi Roiha

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Sasha Harrington et Andrew Adams proposent un éton - Viivi Roiha et Fragan Gehlker se sont rencontrés en 2012 à nant ballet aérien autour d’une ombrelle qui les accom - l’initiative d’un metteur en scène qui leur a commandé un nu - pagne dans un virtuose et poétique numéro de sangles … méro sur la même corde lisse. Ils commencent à travailler en - semble puis se perdent de vue avant de se retrouver l’année A quoi se réfère le titre de votre performance ? dernière et de décider de constituer le Viivi R et Fragan G duo. Sarah : A la silhouette de l’ombrelle, c’est l’accessoire que nous avons intégré à notre numéro et qui lui donne cette Difficile de ne pas se faire des films quand on visualise la vidéo tonalité si poétique, à la fois légère et grave. de leur numéro. Il y a quelque chose de l'ordre du contact, de On ne peut s’empêcher de penser à Singin’ in the rain .. l'étreinte. Mais peut-être le fait d'être accrochés ensemble sur Andrew : Mon inspiration c’est plutôt Magritte. Nous ai - la même corde provoque-t-il cette impression. "On est une mons la forme du parapluie, c’est un objet que l’on utilise femme et un homme, cela peut raconter des choses. On ne peut pour se protéger, du soleil comme du mauvais temps, et la pas le cacher. Mais on n'appuie pas là-dessus. On ne cherche façon dont il bouge est très belle. pas à raconter une histoire d'amour. On prétend seulement Sarah : Et cela évolue au fil du numéro, parfois il nous pro - montrer ce que c'est que de faire de la corde à deux, l’incons - tège, parfois c’est nous qui devons le protéger, et parfois cience que cela nécessite et la confiance qu’il doit y avoir entre aussi nous jouons avec lui… nous. Dans le cirque, quand on travaille en duo, la confiance Cela rajoute beaucoup à la difficulté du numéro ? est essentielle parce qu'on remet quand même notre vie entre Andrew : C’est une contrainte créative. Les sangles requiè - les mains de quelqu’un d’autre. On prend des risques avec son rent de la force alors que l’ombrelle est un accessoire délicat, corps, et on ne peut pas faire semblant. Les gens viennent aussi cela oblige le corps à gérer des sensibilités contradictoires. nous voir pour cela" . A deux sur une corde lisse, tout paraît Cette performance raconte-t-elle une histoire ? plus éprouvant aux circassiens. "Cela change complètement Sarah : Le fil conducteur c’est l’histoire de notre duo, avec la discipline. Cela fait beaucoup plus mal, vu qu'il y a le poids ses hauts et ses bas, les bons moments et les combats de l'autre en plus sur la corde. Mais cela ouvre aussi d'autres menés ensemble. Notre histoire est née suite à l’accident possibilités" . Viivi et Fragan ne font rien comme les autres cir - grave qu’a eu Andrew en février dernier. cassiens. Même dans les répétitions, ils abordent le travail de Andrew : Je répétais avec une troupe de haute voltige, la façon originale. Plutôt que de se lancer sur le plateau direc - pyramide de 8 personnes s’est effondrée…, je suis tombé tement, ils commencent par discuter à la table, par faire "un de 10 m de haut, je me suis cassé les pieds et le bassin. Je véritable travail cérébral" . Ils se sont même offerts les services suis un miraculé, c’est la motivation de reprendre mon show d’une consoeur, Anna Tauber, pour écrire leur numéro. "Pen - qui m’a permis de dépasser cet accident. ser les choses avant, cela permet de s’interroger sur leur légiti - Propos recueillis par Enric Dausset mité, de les organiser" . Hélène Chevrier

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 75 J eunesse Mathieu Bauer

Au Nouveau Théâtre de Montreuil , Mathieu Bauer n’est pas à court d’idées pour intéresser la jeunesse au théâtre. Il y a quatre ans, il avait mis en place le feuilleton théâ - tral Une Faille autour d’une intrigue palpitante dans la ville, puis a travaillé avec le collectif Gongle sur la question du foot et cette saison, il organise un temps fort pour les jeunes de 18 t e u q

à 25 ans. Du 16 janvier au 16 février, le théâtre sera à eux avec i r B

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trois spectacles, des ateliers et des fêtes. i r P ©

leurs rapports à l'autre, à la sexualité, L’âge des possibles à l'autorité, à la scolarité... Pourquoi le théâtre a-t-il tant de mal à intéresser les jeunes entre 15 Le théâtre aux jeunes et 25 ans ? Parce qu’il faut leur offrir un espace et Théâtral magazine : Quel est le but tour des réseaux sociaux, de leur uti - du temps aussi. On voit bien que de ce temps fort ? lisation marketing et la poudre aux quand il y a de la musique, ils adorent Mathieu Bauer : Questionner ce que yeux que cela peut être. Si le théâtre ça. Quand on a monté la série Une c'est que d'avoir entre 20 et 25 ans créait aussi du buzz, nul doute qu’il faille, ils ont suivi. Même en tournée, aujourd'hui. Le hasard a fait que la plairait aux jeunes. C’est en tout cas dans les villes où on passait, ils ville de Montreuil organise chez nous ce qu’affirment des consultants hyper étaient là. Il y a eu aussi tout le travail ses assises de la jeunesse en même dynamiques au cours d’une fausse fait avec la Compagnie Gongle autour temps, à travers toute une série de ta - conférence bourrée d’humour. En - du foot. Il faut inventer des mondes bles rondes autour de la technologie, suite on a un ciné-spectacle de la en commun et c'est ce qu'on essaye du masculin féminin, autant de sujets Compagnie la Cordonnerie sur Don de faire avec ce temps fort. très en vogue. On en profite pour pré - Quichotte, Dans la peau de Don Qui - Propos recueillis par senter des petites formes avec une chotte , qui transpose les aventures du Hélène Chevrier jeune metteuse en scène qui fait tra - héros médiéval à l’aube du XXIe siè - vailler 15 comédiens issus du théâtre cle. Et puis on terminera le temps fort n Buzz, de la Compagnie Ramdam, 16 au 24/01, national de Strasbourg. Il y a aussi avec Gâchette du bonheur de Ana Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Maria une conférence sur le monde de la bd. Borralho et João Galante. Ils font un Casarès, 63 rue Victor Hugo 93100 Montreuil On fait tout pour que les jeunes gens travail un peu spécifique au niveau de n Dans la peau de Don Quichotte, de la s’y sentent chez eux. la ville de Montreuil tous les ans qui Compagnie La Cordonnerie, 25/01 au 10/02, Pendant un mois, le théâtre pro - se conclut par une ou deux proposi - Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Jean-Pierre gramme successivement trois spec - tions de théâtre participatif. Et l'an - Vernant, 10 place Jean Jaurès 93100 Montreuil tacles spécialement dédiés à eux. née dernière, ils ont interrogé une n Gâchette du bonheur, de Ana Borralho et João Quelles thématiques abordent-ils ? trentaine de jeunes gens sur ce que Galante, 8 au 16/02 Des thématiques qui les touchent de c’est que d’avoir 18 ans ou 23 ans au - Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Maria près. Il y a d’abord Buzz , une proposi - jourd'hui. Le spectacle rend compte Casarès, 63 rue Victor Hugo 93100 Montreuil tion du collectif belge Ramdam, au - de la diversité d'appréhension de -> 01 48 70 48 90

76 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 Carole Thibaut

La Petite Fille qui disait non de Carole Thibaut raconte le pas - sage d’une petite fille de l’enfance à l’adolescence auprès d’une mère qui vit seule, bosse comme une folle tout en s’occupant de sa propre mère défaillante. L’histoire est inspirée du conte initial du Chaperon rouge dans lequel les femmes se transmet - tent le secret de la vie… s t e l i

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La Petite Fille qui disait non e r t â é h t

L’adolescence du Petit Chaperon rouge @

La Petite Fille qui disait non , c’est l'his - tations qu'en ont faites les psys et de est devenue une féministe acharnée toire de trois générations de femmes : raconter une histoire d'aujourd'hui, sur les principes moraux, qui vit sans la grand-mère, la mère et la fille. avec une petite fille qui vit avec sa amant et qui pourtant a eu comme sa Carole Thibaut : Ça s'inspire du Petit maman qui travaille dur comme infir - mère un enfant toute seule. Dans la Chaperon rouge , mais avant qu'il ne mière et ne gagne pas beaucoup d'ar - pièce, elle est au bord du burn-out. On soit collecté par Perrault au XVIIe siè - gent. La petite s'assume plus ou la voit courir de plus en plus pour tout cle. Cela parle de la transmission ma - moins toute seule auprès de cette assumer et tomber de plus en plus. trimoniale, c'est-à-dire de tout ce qui mère très aimante qui essaye d'être Mais attention, ce n’est pas du Ken concerne la puissance féminine entre présente au maximum, elle va sou - Loach ; ça se termine bien ! guillemets, avec la petite fille qui de - vent chez sa grand-mère qui habite Propos recueillis par vient pubère et la grand-mère méno - de côté de la cité HLM et lui amène de Hélène Chevrier pausée. Perrault faisait des quoi manger. retranscriptions de contes pour la Mais à un moment donné, la petite Cour de Louis XIV. Or c'est le siècle qui fille se met à désobéir… instaure toutes les règles anti fémi - Elle ne travaille plus à l’école, sèche nines, et l'avènement du pouvoir ab - les cours, passe par la cité, et échappe n La Petite Fille qui disait non, texte et solu masculin. Or bizarrement de plus en plus à sa mère. Mais cette mise en scène Carole Thibaut, avec Perrault retranscrit le conte en effa - phase de désobéissance va révéler à Yann Mercier, Marie Rousselle-Olivier, çant tous les passages où les femmes la mère sa défaillance par rapport à Hélène Seretti, accompagnés de peuvent se transmettre leur initia - des choses importantes qu'elle de - Vanessa Amaral et de toute l’équipe du tion. Dans le conte initial, il y a par vrait vivre avec sa fille. théâtre des Îlets. A partir de 8 ans exemple des lavandières et des sages C’est aussi lié à une histoire qui se 16 au 20/01 Théâtre des Îlets à femmes qui détiennent le cycle de vie. répète de mère en fille… Montluçon Comment avez-vous transposé l’his - La grand-mère a eu sa fille seule. Elle 7 au 10/02 Théâtre Antoine-Vitez à toire dans notre époque ? travaillait dans un cabaret un peu Ivry-sur-Seine L'idée c'était de travailler sur cette pourri à Paris mais s'est inventé toute 7 et 8/03 Le Théâtre à Mâcon trame-là à travers toutes les interpré - une vie de grande actrice. La mère elle 24 et 25/04 Hexagone à Meylan

Théâtral magazine Janvier - Février 2018 77 J eunesse Fabrice Melquiot Ce sont les comédiens, Céline Carrère et Stéphane Krähenbüll qui ont proposé à Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville de monter Les Séparables , de leur complice Fabrice Mel - quiot. “C’est une affaire de clan” , résume l’auteur qui ira voir “avec curiosité” sa pièce présentée à l’Espace Pierre Cardin. L’histoire de deux jeunes voisins, Romain et Sabah, neuf ans chacun, liés par t r a s n

un lien indéfectible au grand dam de leurs parents. a B

e n i l e C Les Séparables ce n’est pas que pour les enfants

Quel est le point de départ de l’his - le regard entravé, embué et embar - veut dire des choses sur la société qui toire de Séparables ? rassé des adultes les uns sur les au - ne fonctionnent pas et pas seulement Fabrice Melquiot. Ca fait partie des tres, ils doivent pouvoir s’affranchir de en faire une critique négative. On pièces singulières que j’appelle de “sur - leur propre regard. J’essaie d’entrer en cherche à mettre au jour des nuances gissement”. Je ne fomente pas une connection avec leurs obsessions sur des questions sociétales, poli - structure, les personnages sont des même quand elles sont différentes de tiques. Il y a le désir et le besoin de se compositions, des assemblages, il y des celles des adultes. L’âge d’or des confronter à une part de réel. Il y a paysages, un espace. A une fenêtre, un jeunes est devant nous. une part naïve en soi, il ne faut pas la enfant sur un cheval de bois en re - Séparables n’est-ce pas un peu museler, elle a quelque chose à voir garde un autre à une autre fenêtre en Roméo et Juliette moderne ? avec la simplicité, l’élan, le don dans tenue d’indien... C’est assumé, on peut la saisir comme le geste. La rencontre d’un individu L’histoire d’amour de ces deux en - une lecture contemporaine de Roméo avec le théâtre peut changer sa per - fants qui dérangent les adultes et Juliett e, en particulier, le poids du ception des choses, un spectacle peut n’est-elle pas pessimiste ? regard des adultes sur les jeunes. changer une vie. Il faut saisir ce qu’est En tant qu’auteur vivant, je dois pro - C’est un spectacle pour tous, à par - le théâtre dans la cité, si on a cette poser des enfants qui regardent le tir de 6 ans, mais vous n’aimez pas chance, on peut être bouleversé par réel sinon je ne sais pas à quoi je sers. le terme “jeune public”... ce qu’il propose. On est là pour leur dire : “regarde, c’est C’est limitatif. Comme poète, je dis Propos recueillis par un poème à la fois sensuel, charnel, que j’écris depuis l’enfance et avec des Nathalie Simon provoquant, travaillé par les rêves et enfants autour de moi. J’ai déjà pas la réalité” . La pièce n’impose pas le mal d’échos sur Les Séparables d’en - n Les Séparables, de Fabrice Melquiot, désespoir aux enfants, la fin est ou - fants qui n’ont pas 9 ans. mise en scène Emmanuel Demarcy- verte. Je veux alimenter le désir de soi Dans Les Séparables comme dans Mota, musique Arman Méliès, avec et des enfants assis dans la salle ou d’autres pièces, vous critiquez la so - Céline Carrère et Stéphane Krähenbüll, dans la cour de récréation. Le théâtre ciété. Théâtre de la Ville, Espace Pierre est plus affaire de désir que de plaisir. Si on aspire à devenir artiste, écrivain Cardin, 1 avenue Gabriel 75008 Paris, Oui, les enfants sont contaminés par ou metteur en scène c’est parce qu’on 01 42 74 22 77, du 6 au 23/02

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En attendant Actrice Chagrin pour soi Bojangles [ Saimer à la folie ] [ Charme rambertien ] [ Un chagrin pour rire ] d’après Olivier Bourdeaut, adaptation et texte et mise en scène de Pascal Rambert, de Sophie Forte et Virginie Lemoine mise en scène Victoire Berger-Perrin avec Marina Hands, Audrey Bonnet... Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère La Pépinière, 7 rue Louis le Grand 75002 11-12/1 Annecy, 24/1 au 04/2 TNS 75009 Paris, 01 48 74 76 99, jusqu’au 7/2 Paris, 01 42 61 44 16, à partir du 18/01 Strasbourg, 8-9/2 Cergy-Pontoise, 6-10/3 Sophie Forte et Virginie Lemoine ont écrit Il est des comédiennes solaires, rayon - Célestins Lyon, 27-28/3 Valenciennes cette comédie qui exorcise à merveille nos nantes ; Anne Charrier est de celles-ci. Et il Actrice n’est pas un spectacle exempt de tristesses. Un matin, alors que son mari est des textes qui leur vont comme une défauts formels. Il est bourré d’embardées vient de la quitter, une femme voit le cha - paire de gants ; En attendant Bojangles est scéniques, de fêlures de jeu, d’excès tex - grin personnalisé en un beau jeune celui-ci. La comédienne trouve dans ce rôle tuels. Et pourtant, on tombe sous le homme sonner à sa porte pour s’installer d’épouse et de mère l’occasion d’offrir un charme de la nouvelle création de Pascal longuement, avec dans sa mallette… des jeu très sûr qui respire le bonheur. Adapté Rambert. Face à la mort imminente de la kleenex. Bientôt rejoint par d’autres allé - du roman à succès d’Olivier Bourdeaut – comédienne Eugenia, à laquelle ses gories – la colère, la peur et la folie – le vendu à plus de 230.000 exemplaires ! – proches viennent les uns après les autres chagrin est le plus fort et le plus tenace. par Victoire Berger-Perrin qui en signe rendre une dernière visite, le dramaturge Sophie Forte joue les abandonnées incon - également la mise en scène toute en fi - et metteur en scène déploie un théâtre lu - solables, Tchavdar Pentchev est le chagrin nesse et en élégance, la pièce est une vé - mineux, lyrique et passionnel. Finement incarné, et William Mesguich joue tous les ritable pépite. L’histoire de gens originaux, construite, sa kyrielle de personnages agit autres rôles (amie, progéniture, médecin, des doux-dingues, une famille qui vit ses comme un tapis de “bombes de larmes” mari…) et nous surprend par ses composi - rêves en marge du monde. Un bonheur disséminées au milieu d’un orchestre de tions. Un marathon encadré par trois élé - bien à eux, rempli de poésie, trinité pleine fleurs. Elle a tout d’une cohorte à la Tchek - ments de décor découpés glissants tels des d’amour et de complicité entre un père, sa hov où, sous la colère et l’amertume, cou - tiroirs et se transformant en lit, salon, salle femme et leur fils admiratif. Pour ces lou - vent les blessures non cicatrisées du passé à manger. La pièce est drôle, criante de vé - foques érudits, la vie est une fête, avec et la peur cruelle de l’avenir. rité même si le jeu un peu hâtif aurait pu pour point de référence la chanson de Marina Hands et Audrey Bonnet sont les être parfois davantage soigné. Sophie Nina Simone Mr. Bojangles sur laquelle ils vecteurs de ce souffle théâtral. A la tête Forte prend un réel plaisir dans ce rôle dansent tant et plus. Anne Charrier, Didier d’une troupe de comédiens hétérogène, nouveau, chante, se compose des mines Brice et Victor Boulenger nous boulever - dont l'éclectisme des parcours profession - pour nous réjouir, nous surprendre et faire sent par leur interprétation de cette philo - nels engendre d’évidentes faiblesses de jeu, rire avec ce drame conjugal qui la fait pas - sophie de la vie et la façon dont leurs les deux actrices font rayonner un texte ser par toutes les couleurs de l’arc en ciel personnages résolvent les problèmes. Ils ambitieux. Doté de quelques fulgurances, émotionnel. La rupture serait-elle le point nous font aussi beaucoup rire. Une pièce il cherche à embrasser les tourments fami - de départ de toutes les rédemptions ? En remplie d’humanité positive, jamais miè - liaux, les errements du théâtre, les difficul - tous cas, jamais catharsis n’a si bien fonc - vre mais au contraire d’un dynamisme rare. tés sociales. La vie et l’humain, en somme, tionné ! Un cadeau de théâtre que l’on serait cou - qui sont dans toute leur complexité les François Varlin pable de ne pas ouvrir. seules vraies marottes de Pascal Rambert. François Varlin Vincent Bouquet

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Aimez-moi Jusque dans vos bras Festen

[ Upgrading de haut standing ] [ Jean-Christophe Meurisse lâche les Chiens ] [ Voyage au bout de l’enfer ] de et avec Pierre Palmade du collectif Les Chiens de Navarre de Thomas Vintenberg et Mogens Rukov, Dates de la tournée sur www.kimaimeme - 10-13/01, Toulouse, 18/01 Maubeuge, mise en scène de Cyril Teste. suive.fr jusqu’en avril 2018 23-25/01 Cergy-Pontoise, 31/01 - 02/02 10-12/1 Angers, 23-27/1 Grenoble, 7- Le secret de l’humour de Pierre Palmade ne Saint-Médard-en-Jalles, 6-10/02 Marseille, 11/2 Lille, 20-24/2 Rennes, 8-9/3, Saint- réside pas dans les bons mots, les calem - 14-15/02 Orléans, 22/02 Creil... Quentin-en-Yvelines, 15-16/3 Toulon, bours ni les vulgarités. Palmade est au-des - Mais qu'est-ce donc, au fond, que l'identité 20-21/3 Valence, 29-30/3 Tarbes, 3-4/4 sus de ça. Bien au-dessus. Très au-dessus. Il française ? La question surgit dans le débat Quimper, 10-13/4 Reims, 17-18/4 Châ - déboule sur une scène meublée de gratte- public avant une élection. Etrangement, il teauroux, 24-26/4 Poitiers , 12-16/6 Lyon ciels modèles réduits, s’assied au milieu de paraît impossible de répondre à cette ques - Vingt ans après le film, revoici Festen monté ces buildings, et l’on comprend alors que tion sans aligner les clichés, sans diviser, sur scène par Cyril Teste et le collectif MxM. celui qui nous parle a aboli les proportions, sans exclure, sans faire preuve, d'une ma - Une scène agrandie par la vidéo qui suit les distances, et les rapports. Ses person - nière ou d'une autre, de racisme. C'est en jusque dans ses coulisses d’un somptueux nages nous tiennent des propos frisant l’ab - tout cas ce que montre le collectif des Chiens repas d’anniversaire le combat d’un fils et surde avec un ton on ne peut plus naturel, de Navarre dans leur dernier spectacle, créé d’un père. Cyril Teste reprend le même texte dynamitent les échelles de leurs valeurs, pendant la longue campagne présidentielle pour l’approfondir et l’enrichir. Sa double balancent des vérités bien réfléchies tout de 2017. La forme, elle, reste la même que narration, le spectacle vivant et son filmage, en gardant une sensibilité et une vulnéra - celle des plus grands tubes de la troupe ( Une n’est pas qu’une expérience esthétique. bilité touchante. Ils crient en chœur un Raclette, Nous avons les machines, Quand je Cette dialectique entre théâtre et vidéo “aimez-moi” retentissant dont il a fait le pense qu’on va vieillir ensemble ) : une dizaine éclaire les chemins douloureux qu’emprunte titre de ce spectacle . Des sketches très de scènes, d'excellents comédiens, un peu la vérité pour s’imposer, nous ne sommes homos, très ingénieux, très intelligents qui de nudité, pas mal d'improvisation... Le fond, pas loin de cet autre drame en terre danoise, montrent que le monde a changé, que les par contre, est plus grinçant que d'habitude. Hamlet . Tout commence par un cérémonial mœurs et les consciences ont évolué, que Avec un sujet aussi grave, le propos de Jean- millimétré, un pesant repas de famille. Pour l’on ne se moque plus de ce que sont les Christophe Meurisse est à la fois plus dur, faire éclater la vérité, Christian va devoir af - gens mais de ce qu’ils pensent. Dans son in - plus engagé. Quid du résultat ? Certaines fronter ces artifices, poser une parole brute terprétation, on sent que Palmade est scènes sont simplement géniales : mention qui choque ceux qui préfèrent ne rien voir nourri de Sylvie Joly et de Jacqueline Mail - spéciale au pique-nique où la parole raciste mais quand les mots se montreront impuis - lan, qu’il a grandi avec Muriel Robin. Ses est admirablement croquée ou à celle du sants, ce sont les images qui vont faire re - muses. De son pas hésitant, de son ton à la couple bourgeois accueillant une famille de tour, la vision du fantôme de sa sœur Linda fois définitif et prudent, il visite en finesse migrants chez eux où le malaise est si bien et son petit papier manuscrit retrouvé dans sa galerie de personnages vraiment drôles. mis en scène. D'autres, moins réussies font la forêt. Pour survivre, Christian va devoir Pierre Palmade se présente aux théâtreux rire tout de même. Si une partie du collectif plonger jusque dans les entrailles de cette pour rompre avec les comiques du mo - a été renouvelé, l'esprit des Chiens de Na - terre dont il se badigeonne le visage à la ma - ment. Il s’académise en somme, se sur - varre n'a jamais été aussi vif, mordant, ac - nière d’un Robert de Niro dans Voyage au classe, et il a bien raison. Il le mérite. tuel et nécessaire. bout de l’enfer … François Varlin Igor Hansen-Love Patrice Trapier

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Le Petit-Maître La Tempête Tous des oiseaux corrigé [ Une délicieuse initiation! ] [ Beauté froide ] [ Magic Mouawad ] de Marivaux, mise en scène Clément de , mise en scène de texte et mise en scène Wajdi Mouawad Hervieu-Léger Robert Carsen TNP Villeurbanne, 8 Place du Dr Lazare Comédie-Française, place Colette 75001 Comédie-Française, place Colette 75001 Goujon, 04 78 03 30 00, du 28/02 au 10/03 Paris, 01 44 58 15 15, jusqu’au 12/04 Paris, 01 44 58 15 15, jusqu’au 21/05 Wajdi Magic Mouawad est de retour. Dans Dès le lever du rideau, on sait qu’on va se Robert Carsen a encore le goût des défis. la lignée de Littoral, Incendies ou Ciels, il régaler. Une énorme touffe de paille figure A 60 ans passés, celui qui n’a plus rien à signe avec Tous des oiseaux son retour aux une campagne en bataille sous des bour - prouver sur les scènes d’opéra qu’il a tant vastes épopées trans générationnelles et rasques de vent. Les valets émoustillés ne et tant écumées se frotte pour la première trans frontalières. Quand Wahida d’origine résistent pas à l’envie de s’y rouler et on fois à une mise en scène de théâtre en palestinienne et David d’origine juive tom - glousse de plaisir en regardant leurs ébats. France et noue, avec La Tempête , sa pre - bent amoureux dans une librairie à New- On est en province et la jeune Hortense mière collaboration avec la Comédie-Fran - York, c’est l’Histoire qui est convoquée et s’inquiète auprès de sa suivante du peu çaise. Sans surprise, la scénographie qu’il qui pénètre au cœur de leur vie. Et comme d’empressement que lui porte Rosimond, co-signe avec Radu Boruzescu est subju - une bombe qui exploserait au ralenti, les le mari qu’on lui destine. Or un monde les guante. Intensément dépouillée, elle ins - rêves, les croyances, les secrets de famille sépare. Rosimond vient de Paris et il n’y a talle une atmosphère irréelle. A l’aide et les identités volent en éclats et se téles - pas appris à montrer ses sentiments. Il se d'incrustations vidéo savamment maîtri - copent avec l’actualité. Avec sa mise en dissimule au contraire sous une personna - sées, elle projette dans les méandres crâ - scène polyphonique mêlant lumières, mu - lité fantasque et Hortense et Lisette vont niens de Prospero, duc de Milan destitué siques, corps, texte et espaces, Wajdi s’employer à faire tomber son masque. On par son frère Antonio, qui depuis son île Mouawad nous emporte dans un grand est chez Marivaux et les personnages intri - inhabitée orchestre sa vengeance. tourbillon d’émotions, de sensations et sur - guent savamment pour arriver à leurs Dans le chemin textuel labyrinthique tracé tout de questionnements. Car avec Tous fins… C’est délicieusement cruel, on a la par Shakespeare, entre magie noire et in - des oiseaux , c’est aussi l’écrivain qui se dé - banane du début à la fin. Les comédiens trigues politiques, Robert Carsen em - ploie. Le texte est d’une rare densité ; sont excellents à commencer par Loïc Cor - prunte une voie théâtrale cérébrale, quasi chaque mot, chaque phrase ouvre un es - bery qui trouve avec Rosimond un rôle à la clinique. Malléable à souhait, la troupe de pace de réflexion qui vient s’ajouter aux mesure de sa fantaisie et de son immense la Comédie-Française, emmenée par un déjà très nombreux tiroirs de la narration. talent. On en sort heureux et grandi ren - Michel Vuillermoz impeccable en homme Avec Wajdi Mouawad, nous sommes à la forcé dans l’idée qu’il faut être soi-même politique traumatisé par la perte du pou - fois le grand-père porteur d’histoire ET la pour ne pas passer à côté de sa vie. On re - voir, s’y fond avec aisance et talent. Mais grand-mère transpercée par la souffrance grette cependant encore une fois la mau - le résultat est sans éclat. Trop froide, trop ET la mère sauvée par la psychanalyse ET vaise acoustique de la salle qui rend toute distancée, la mise en scène laisse les spec - le père férocement identitaire ET le fils vis - une partie du texte inaudible. tateurs en marge, éblouis par l‘objet scé - céralement moderne ET l’amoureuse terri - Hélène Chevrier nique mais peu concernés par la blement séduisante. Nous aussi nous tragi-comédie qui se joue. cherchons notre chemin en réconciliant Vincent Bouquet tous nos paradoxes. En compagnie de Wajdi Mouawad, c’est éclairant… Enric Dausset

84 Théâtral magazine Janvier - Février 2018 BULLETIN D’ABONNEMENT

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par Jacques NERSON

Les Soeurs outragées !

Alors que ces temps-ci on met l’accent sur les bobos blablatant sur les sujets du jour, les der - violences faites aux femmes, trois d’entre elles nières folies de Donald Trump par exemple, la ont été outragées en public et nul ne s’y est op - pièce perd tout intérêt. posé. Il s’agit de Macha, Olga et Irina Prozorov, les Trois Sœurs de Tchekhov. Elles ont été vio - A côté de l’atteinte que Simon Stone porte aux lentées à deux reprises. Trois Sœurs , la version de Julie Deliquet ne leur cause qu’un léger préjudice. Encore que, suite à La première fois, c’était à l’Odéon. On connaît une compression du personnel, elles ne soient plus l’agresseur, c’est le metteur en scène australien que deux. Mélancolie(s) , le spectacle du collectif Simon Stone. Il les a déshabillées de force, revê - In Vitro au théâtre de La Bastille, ne se contente tues de tenues d’aujourd’hui et obligées à parler pas de moderniser Tchekhov, il amalgame deux “d’jeuns”. Il ne s’est pas contenté de les moderni - pièces : Les Trois Sœurs en première partie, Ivanov ser, il les a liftées. Et n’y est pas allé de main morte, pour la seconde. Résultat de cette étrange addi - il les a rendues méconnaissables. tion, une diminution de l’émotion causée par l’in - fortune des enfants Prozorov et par la dépression On se souvient que le drame des sœurs Prozorov nerveuse d’Ivanov. et de leur frère André, c’est que la mort du père les a laissés dans le besoin. Tout ce qui reste, c’est la Drôle d’idée de tripoter les deux pièces dans l’es - maison. Et voilà qu’André la vend pour éteindre poir d’en faire naître une troisième ! La saison der - ses dettes de jeu, sans consulter ses indivisaires. Et nière, quand Julie Deliquet a mis en scène Vania que ses sœurs doivent dire adieu à leur espérance pour la Comédie-Française, elle l’avait plaisam - commune, longtemps caressée : quitter la province ment chahuté, pas malmené. Elle ne manque pas où elles se morfondent pour rejoindre la Terre Pro - de talent, d’ailleurs. Simon Stone non plus. Son uti - mise, Moscou, où elles ont passé leur enfance. Eh lisation du décor (une maison contemporaine bien, Simon Stone en a décidé autrement. Dans sa posée sur un plateau tournant) témoigne de sa version à lui, la maison des sœurs Prozorov n’est grande habileté. Sans doute devraient-ils l’un et plus qu’une résidence secondaire où elles viennent l’autre sauter le pas, se décider à écrire une pièce robinsonner, faire des grillades au barbecue, se de leur cru au lieu de forcer le sens de certains baigner dans le lac, le temps d’un week-end avec chefs-d’œuvre. Hardi ! Lancez-vous ! Arrêtez des copains. Elles n’ont manifestement aucun pro - d’ajouter des moustaches à la Joconde. Pas besoin blème d’argent. Lorsqu’André vend traîtreusement de montrer Alceste en jogging pour faire compren - ladite maison, ce n’est pas une tragédie, juste une dre son éternelle actualité. contrariété. Leur vie ne s’en trouvera pas gâchée à jamais. Dès lors qu’on n’y rencontre plus que des

86 Théâtral magazine Janvier - Février 2018