European Journal of Turkish Studies Social Sciences on Contemporary Turkey

17 | 2013 Looking for Student Activists Demobilization, Disengagement and Reengagement Où sont les étudiants ? Démobilisation, désengagement et réengagement

Jordi Tejel Gorgas (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ejts/4777 DOI : 10.4000/ejts.4777 ISSN : 1773-0546

Éditeur EJTS

Référence électronique Jordi Tejel Gorgas (dir.), European Journal of Turkish Studies, 17 | 2013, « Looking for Student Activists » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2013, consulté le 05 février 2021. URL : http:// journals.openedition.org/ejts/4777 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ejts.4777

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SOMMAIRE

Où sont les étudiants du supérieur ? Démobilisation et réengagement du milieu universitaire en Turquie et au-delà Jordi Tejel Gorgas

Autonomy and Symbolic Capital in an Academic Social Movement: The March 9 Group in Egypt Benjamin Geer

Trade Union Strategies and Legacy of the 1960s in Student Mobilization in Turkey: The Case of the Student Youth Union Öğrenci Gençlik Sendikası (Genç-Sen) Işıl Erdinç

Le YÖK et la démobilisation collective du milieu universitaire en Turquie (1982-1987) : les mécanismes de la répression Murat Yılmaz

Se désengager du mouvement du « 20 février » Le cas des étudiants du supérieur de la coordination de Rabat Joseph Hivert

La démobilisation étudiante au Mexique : le double visage de la répression (juillet- décembre 1968) Guadalupe Olivier-Téllez, Sergio Tamayo Flores-Alatorre et Michael Voegtli

Postface Quelques réflexions sur les milieux étudiants dans les dynamiques de démobilisation Olivier Fillieule

Where are all the students? Demobilisation and re-engagement in higher education in Turkey and beyond Jordi Tejel Gorgas

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Où sont les étudiants du supérieur ? Démobilisation et réengagement du milieu universitaire en Turquie et au-delà Looking for Student Activists Demobilization, Disengagement and Reengagement in Turkey and beyond

Jordi Tejel Gorgas

NOTE DE L'AUTEUR

Je tiens à remercier le Fonds national suisse de la recherche scientifique du soutien financier accordé en vue d’accomplir ma recherche « States, Minorities and Conflicts in the Middle East (1948-2003) » réalisée entre 2010-2014 à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, dont ce numéro est l’un des fruits les plus importants. Il va de soi, cependant, que les opinions exprimées ici n’engagent que l’auteur.

1 Lorsque les mobilisations massives contre les projets urbanistiques du gouvernement turc au parc de Gezi sont survenues entre fin mai et mi-juin 2013, je me trouvais à Istanbul en train de mener des entretiens dans le cadre de mes propres recherches sur les mouvements estudiantins des années 1960-1980 en Turquie. Si le mouvement stambouliote se situait hors de mon sujet1, je ne pouvais pas m’empêcher de changer ma « casquette » d’historien pour me rendre régulièrement au parc de Gezi en « ethnologue » afin d’observer in situ le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies dans la partie occidentale du pays. Après deux semaines de va-et-vient et de quelques discussions avec des manifestants ainsi qu’avec les acteurs des mobilisations estudiantines des années 1960-1980, quelques remarques en lien direct avec le sujet de ce numéro de l’EJTS me semblent pertinentes.

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2 En premier lieu, le mouvement du parc de Gezi, de caractère acéphale, était extrêmement hétéroclite regroupant des collectifs très variés (environnementalistes, estudiantins, défense de droits des homosexuels et des femmes, etc.) et de tendances politiques diverses, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les groupes proches des kémalistes, des islamistes et des nationalistes kurdes2. À côté des associations représentant la « société civile » et des organisations politiques, syndicales et professionnelles, un nombre important de manifestants sans affiliation aucune était également présent ; donnée confirmée par les résultats de la première enquête menée dans le feu de l’action. En effet, entre les 3 et 4 juin 2013, Esra Ercan Bilgiç et Zehra Kafkaslı, enseignantes à l’université de Bilgi (Istanbul), organisèrent une enquête auprès de 3000 manifestants rassemblés entre le parc de Gezi et la place Taksim. Selon les interviews réalisées, 70 % des participants aux mobilisations disaient n'être proches d’aucun parti politique et la plupart d’eux se définissaient comme « libertaires » (özgürlükçü), tandis que seulement 7,7 % admettaient s’être rendus à Taksim en suivant les encouragements d’une organisation, même si plus de la moitié des enquêtés ne se considéraient pas pour autant « apolitiques ». Enfin, 53,7 % des interviewés déclaraient être descendus protester dans la rue pour la première fois3.

3 En deuxième lieu, une bonne partie des manifestants sans affiliation partisane ou organisationnelle étaient majoritairement jeunes –trait confirmé aussi par l’enquête susmentionnée (40 % entre 19-25 ans, 24 % entre 26-30 ans)–, étudiants du supérieur, de classe moyenne, laïcs –même si la présence de quelques collectifs « musulmans » (anti- capitalistes et féministes) se fit remarquer– et très branchés sur les médias sociaux. Pourtant, leur identité estudiantine ne semblait pas être déterminante en l’espèce, puisque la plupart des protestataires ne cherchaient pas à se regrouper autour des quelques associations étudiantes présentes à Gezi et qu’ils s’étaient rendus à Taksim de manière « spontanée ».

4 Enfin, le sentiment de surprise face à cette mobilisation soudaine, à l’instar des révoltes survenues dans le monde arabe entre 2010-2011, fut exprimé par les professeurs d’université rencontrés à Istanbul. D’après ces témoignages, rien ne pouvait prédire l’engagement important de leurs étudiants dans le mouvement de Gezi. Les mobilisations dans l’enceinte des universités étaient quasiment inexistantes dans les mois précédents et le soutien aux syndicats d’étudiants se situait au plus bas. Et pourtant, la présence des étudiants du supérieur à Gezi fut tellement significative que certains recteurs finirent par proposer des prolongations pour la tenue des examens de fin d’année, malgré les pressions exercées par le YÖK (Conseil de l’enseignement supérieur) et le gouvernement turc.

5 En outre, et en poursuivant le parallèle avec la plupart des pays arabes ayant connu des soulèvements populaires depuis 2010, un événement « marginal », impliquant des forces de sécurité un peu trop zélées, aurait conduit des milliers de personnes à occuper un espace urbain délimité (la place Taksim et le parc Gezi), zone désormais « libérée » et « protégée », aidant à consolider une socialisation et politisation « express » (Fillieule 2013 ; 287-308). En dépit de l’évacuation violente des protestataires de Gezi le 15 juin, l’expérience du « campement » à Istanbul et dans les autres villes turques ayant manifesté leur solidarité avec le mouvement stambouliote marquerait, pour certains, le début d’une nouvelle ère politique dans le pays ; la sortie d’un long « cycle de démobilisation ».

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6 Il ne s’agit pas ici d’analyser ces « événements », dans une acception purement sémantique du terme4, ni de prendre position dans le débat sur la fin ou non du « cycle de démobilisation » en Turquie, et au Moyen-Orient en général. Notre propos, partant d’un double mouvement, est différent. Prenant acte des fortes mobilisations autour du parc de Gezi et de ses ramifications dans le territoire turc (Bilgin 2013 ; Gökay et Xypolia 2013 ; Kongar et Küçükkaya 2013 ; Özbank 2013, Yıldırım 2013), mais acceptant, en même temps, l’invitation d’Olivier Fillieule et d’autres chercheurs à s’intéresser davantage au phénomène de la défection militante (Filleule 2005 ; Fuchs-Ebaugh 1988 ; Björgo et Horgan 2009), ce numéro vise à questionner quelques paradigmes hégémoniques autour de problématiques centrales, mais encore sous-étudiées, dans l’étude de l’action collective ; à savoir son déclin et, en particulier, les questions liées au désengagement individuel et à la démobilisation collective.

7 Pour ce faire, les contributions rassemblées dans ce numéro, s’inscrivant dans différentes traditions disciplinaires –histoire, science politique, sociologie–, partant de divers terrains –de la Turquie au Mexique en passant par l’Égypte et le Maroc– et prenant acte de premières analyses du désengagement individuel dans des pays ayant connu récemment de fortes mobilisations –Égypte et Maroc–, se focalisent sur un groupe social particulier : les étudiants du supérieur, considérés à la sortie de la Seconde guerre mondiale comme l’avant-garde du changement social en particulier dans les pays en développement. Cependant, si les étudiants du supérieur constituent le point de départ de tous les articles réunis dans ce dossier, quelques auteurs intègrent de manière plus ou moins explicite d’autres acteurs importants dans le milieu universitaire.

8 En effet, les mouvements estudiantins n’agissent pas de manière isolée ; ils se trouvent en interrelation avec une multitude d’acteurs appartenant certes au milieu universitaire (organes de coordination des institutions du supérieur, professeurs, doyens, recteurs, assistants), mais également avec d’autres catégories d’acteurs qu’il faut prendre en considération (« foyers idéalistes », intellectuels, partis politiques, lycées, forces de sécurité, etc). En ce sens, certaines contributions ont fait le pari d’observer le phénomène du désengagement individuel des étudiants universitaires dans une perspective processuelle et/ou relationnelle intégrant ainsi le temps long et des acteurs qui, par leur mission, ont un impact certain à la fois sur le mobilisation et sur le désengagement estudiantin.

9 Le numéro présente, certes, quelques points aveugles telle l’observation du phénomène du désengagement individuel au sein des mouvements estudiantins de tendance islamiste. De même, de futures analyses résolument comparatistes devraient nous permettre d’avancer dans la compréhension d’une question restée jusqu’à nos jours largement négligée par la recherche sur la mobilisation sociale.

L’« avant-garde » de la nation

10 Les raisons de notre intérêt pour les étudiants du supérieur sont multiples. Le Moyen- Orient a traditionnellement connu de fortes mobilisations estudiantines, et ce au moins depuis la première moitié du XXe siècle. L’engagement significatif des étudiants dans les lycées, les campus universitaires, tout comme dans les débats politiques à l’échelle nationale ont fait d'eux une réelle force sociale et symbolique dans les pays arabes – Abdalla 1985 ; Haggai 1989 ; Bashkin 2009 ; Watenpaugh 2002 : 325-347)– dans le cadre

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des luttes anticoloniales. L’expansion de l’éducation obligatoire et des universités à partir des années 1950, ainsi que les projets « modernisateurs » des nouvelles élites étatiques n’ont fait qu’accroître le rôle prépondérant des étudiants dans la vie sociale et politique de la région. Ce faisant, les universités et collèges de l’ère post-coloniale ont hérité d’une double culture : « service de l’État et creuset de la construction nationale » (Rey 2010 : 29)5.

11 Cependant, l’ouverture de collèges et d’universités, jusque-là caractérisés par un certain élitisme, à un plus grand nombre d’étudiants entraîna une série de transformations sociopolitiques importantes au cours des années 1960-19706 : l’élargissement considérable du spectre des origines sociales, ethniques et religieuses des étudiants ; un processus de massification dans certaines universités conduisant à des tensions autour des ressources allouées à l’éducation ; et enfin, l’émergence des « étudiants » comme un groupe social distinct, qui se traduira dans les années 1970-1980 par la mise en pratique des premières politiques étatiques destinées spécifiquement à la « jeunesse » –pensée encore et principalement en tant que « jeunesse éduquée et urbaine »7– avec la création de ministères de la jeunesse et du sport.

12 Dans un bon nombre de pays arabes, de la Tunisie à l’Irak en passant par l’Égypte, l’Université, face à la croissante absence de pluralisme et de liberté d’expression dans l’arène politique, devient à des degrés variables un « champ politique de substitution », un réceptacle des « aspirations, des frustrations et des revendications » (Guiter 1997 : 93) des sociétés arabes en situation post-coloniale. Les étudiants universitaires s’érigent pendant les années 1960-1980 en fer de lance des débats sociétaux et surtout des combats, au sens imagé et réel du terme, entre les divers courants politiques dominants dans la région moyen-orientale : communisme, panarabisme, socialisme arabe et islamisme.

13 La Turquie, n’ayant pas vécu l’expérience coloniale, suit une évolution singulière pendant la première moitié du XXe siècle. Ainsi, à la différence de la majorité des pays arabes, les universités turques restent en dehors de l’influence coloniale. Dans la République de 1923, l’enseignement supérieur est perçu comme un élément clé des nouvelles élites afin de moderniser la société turque et de créer de « vrais Turcs » (öz Türkler) loyaux à la République turque. Si tous les secteurs de la société turque ont une responsabilité dans la tâche de poursuivre la modernisation de la Turquie, la « jeunesse » (éduquée) a un rôle particulier à jouer. Dans son célèbre Discours (Nutuk) prononcé en octobre 1927, Mustafa Kemal sacralise la mission confiée par l’État à la jeunesse : « Ô jeunesse turque, nous avons bâti la République, c’est à vous de la faire vivre et de lui permettre de s’élever » (Kemal 1989 : 1197). Ainsi que Leyla Neyzi et d’autres auteurs l’ont fait remarquer (Neyzi 2001 : 411-432 : Lüküslü 2005 : 31-32), cependant, le concept de « jeunesse » mis en avant par le discours kémaliste résulte d’une construction étatique ; autrement dit : « la jeunesse reçoit cette mission, elle ne se l’octroie pas » (Şeni 2007 : 241).

14 Des fêtes nationales sont dédiées à la jeunesse, tandis qu’un souci pour l’éducation se fait sentir. Dès 1924, la loi pour l’unification de l’éducation place toutes les institutions éducatives sous le contrôle du Ministère de l’Éducation nationale. En outre, toutes les écoles religieuses sont fermées. La plupart des diplômés universitaires sont engagés directement dans la bureaucratie étatique, laissant « orphelin » le secteur privé de l’économie (Aypay 2003 : 109-135). En 1937, la loi de Réorganisation décide de la

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fermeture de la première université ottomane –Darülfünün (1863)– pour laisser la place à l’Université d’Istanbul. La loi des universités de 1946 octroie l’autonomie absolue aux centres d’enseignement supérieur et, entre 1945 et 1960, le nombre d’étudiants universitaires passe de 20 000 à 65 000 (Szyliowicz 1973 : 417).

15 En dépit de certaines tensions autour des ressources allouées aux universités, en général, le milieu estudiantin, à la différence des pays arabes, ne s’érige pas en force de contestation car, comme nous l’avons vu, les étudiants sont encadrés idéologiquement pour défendre les valeurs d’une République qui, du reste, n’est pas soumise à l’influence coloniale. En réalité, et contrairement à certaines idées préconçues sur les mouvements d’étudiants identifiés trop souvent avec les seules tendances de gauche, la plupart des organisations estudiantines de cette période se situent clairement à la droite de l’échiquier politique et leur seul mot d’ordre est le nationalisme atatürkiste.

16 Toutefois, après la Seconde guerre mondiale, la Turquie poursuit une évolution comparable à celle des autres pays moyen-orientaux. Ainsi, dès 1946, le système universitaire devient un des points centraux du débat politique turc, dû à l’introduction à la fois du pluralisme politique dans le pays et de la loi sur l’autonomie des universités (Turan 2010 : 142-164). L’État turc, en outre, tente de répondre aux demandes pressantes d’une jeunesse en pleine expansion et qui aspire à devenir un acteur clé du système politique et économique national, en encourageant la construction de nouvelles universités dans tout le pays. Ainsi, entre 1957 et 1977, le nombre d’universités turques passe de six à dix-sept, tandis que le nombre d’étudiants passe de 65 000 à 340 000 (Ozankaya 1978).

17 Ces transformations, conjuguées aux contingences historiques internationales (Guerre froide, crise chypriote, internationalisation accrue de l’économie turque, renforcement de la présence américaine dans la région) et nationales (urbanisation rapide, tensions sociales et prolétarisation de l’économie, tensions croissantes entre la gauche kémaliste et la droite conservatrice, interventionnisme de l’armée dans la vie politique du pays), propulsent de vastes groupes d’étudiants du secondaire et du supérieur sur le devant de la scène sociale et politique de la Turquie (Alper 2010). Les universités, « traversées par ces processus de polarisation et de montée de violence, deviennent alors des sites de politisation des individus » (Gourisse 2010 : 362).

18 Le rôle joué par les étudiants universitaires pendant ces deux décennies mérite cependant une attention toute particulière pour quelques raisons additionnelles. En premier lieu, l’« alliance » scellée entre des étudiants et des professeurs universitaires, des intellectuels de gauche et les secteurs « progressistes » de l’armée qui prépare le terrain au coup d’État du 27 mai 1960 assure désormais la centralité des étudiants du supérieur dans l’espace protestataire turc (Mutlu Ulus 2011). Les étudiants estiment qu’ils ont un devoir moral et qu’ils ne peuvent tout simplement pas se détourner de leurs « responsabilités ». Cette alliance ouvre aussi les portes à une libéralisation partielle du champ politique et social du pays, ainsi qu’à une progression des forces de gauche, toutes tendances confondues, dans les milieux syndicaux, politiques et estudiantins durant les années 1960 (Abadan 1963 ; Aydınoğlu 2011). En outre, la participation des étudiants universitaires aux mobilisations conduisant au coup d’État militaire du 27 mai 1960 marque profondément les esprits de la « génération de 68 » (Monceau 2007 : 97-130) qui espère, en vain, une réactualisation de l’alliance des secteurs « progressistes » afin de faire advenir la « révolution socialiste » en Turquie.

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19 Deuxièmement, les étudiants du supérieur jouent un rôle majeur dans la politisation des « jeunes loups » des lycées des grandes villes comme Istanbul ou Ankara. Les récits des anciens militants prouvent que les activistes universitaires encadrent certaines actions des lycéens –sit-in, marches, actes de sabotage–, fournissent de la propagande écrite –brochures, affiches– à leurs plus jeunes acolytes et, parfois, les protègent physiquement à la sortie du lycée lorsqu'ils se sentent menacés par leurs « ennemis » (Mardin 1977 : 229-254)8. La connaissance du « terrain » leur permet de renouer rapidement les liens de confiance avec des anciens « suiveurs », devenus désormais des meneurs dans les lycées, confirmant ainsi l’importance de la dynamique d’autoperpétuation de la politisation dans le milieu estudiantin (Crossley 2008 : 19-38). En ce sens, les plus jeunes militants universitaires deviennent le chaînon nécessaire afin d’assurer la coordination entre lycées et universités et, in fine, le caractère massif et coordonné des mobilisations estudiantines des années 1960-19709.

20 Troisièmement, les « passions révolutionnaires » (Bozarslan, Bataillon et Jaffrelot 2011), avec leur cortège de violence urbaine, touchent en premier les étudiants du supérieur. Peu à peu, les affrontements sur les campus et dans les rues entre militants d’extrême gauche et d’extrême droite (« Loups gris ») alternent avec d’autres types d’actions plus violentes. Dès 1970, certains groupes radicaux de gauche décident de passer à la lutte de guérilla urbaine afin d’accélérer l’avènement de la « révolution ». Si le coup d’État de 1971 met un frein temporel aux activités estudiantines, la répression dirigée principalement contre les organisations de gauche et l’exécution de leaders universitaires tel Deniz Gezmiş en 1972 ont un effet contre-productif ; elles créent des icônes « jeunes » au service de la « résistance », face à l’« impérialisme » et au « fascisme »10. Paradoxalement, mais suivant une logique similaire à celle de l’extrême gauche au Japon, en Italie ou encore en Allemagne, la radicalisation de certaines organisations estudiantines conduit à la marginalisation progressive des forces de gauche, fragilisées à la fois par des divisions successives et par la répression d’un appareil étatique qui s’érige de plus en plus en une « tyrannie fragmentée » (Tilly 2003).

21 Enfin, et en lien avec le point précédent, l’observation du milieu étudiant universitaire permet de suivre de près à la fois les nouvelles techniques de répression mises en place par l’État turc –mais aussi ailleurs au Moyen-Orient– afin de dépolitiser une « jeunesse » devenue menaçante pour l’« ordre social » et les nouvelles formes de réengagement dans un contexte marqué par l’apparente démobilisation sociale. En effet, le coup d’État du 12 septembre 1980 porte un coup fatal à la « gauche révolutionnaire » et aux mouvements connexes, alors que les organisations de droite sont moins visées par les mesures disciplinaires. Intellectuels, dirigeants estudiantins et militants de base sont arrêtés, torturés et dans certains cas condamnés à l’exil. Le bilan du putsch militaire –650 000 arrestations, 1 683 000 instructions judiciaires, 517 condamnations à mort (dont 49 ont été appliquées), 30 000 licenciements de la fonction publique, l’interdiction de 667 associations et fondations, des centaines de décès suspects– est sans appel (Massicard 2010 : 6 ; Duclert 2010 : 32).

22 Parallèlement, l’État élabore des mécanismes insidieux de dépolitisation de la société turque, et en particulier du milieu étudiant. Le YÖK devient ainsi l’une des pièces maîtresses de la politique de « normalisation » des universités. Fondé en novembre 1981 par la loi n° 2547 sur l’enseignement supérieur, cet organisme joue un rôle central dans la dépolitisation et, in fine, dans la démobilisation collective des étudiants universitaires, comme le souligne la contribution à ce numéro de Murat Yılmaz. Les

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nouveaux règlements administratifs, la perte d’autonomie des universités, la surveillance sur les étudiants et les enseignants sont mis au service de la « pacification » des campus, tandis qu’une coalition militaro-néolibérale permet l’application partielle de la synthèse turco-islamique11 dans les universités (Ateş 1984 ; Dinç 1986 ; Şimşek 2006).

23 Paradoxalement, en dépit des réformes introduites par les gouvernements successifs afin d’adapter la Turquie aux exigences de l’Union européenne et des critiques adressées par bon nombre d’intellectuels –voire par la plupart des partis siégeant au Parlement– à l’encontre du YÖK, cet héritage pour le moins gênant de l’intervention des militaires en 1980, n’a été ni aboli ni réformé en profondeur, car il assure une mainmise politique sur le système universitaire qu’aucun parti au pouvoir n’est prêt à sacrifier (Monceau 2005 : 129-142 ; Yılmaz 2012 : 153-168).

Quid du « cycle de démobilisation »

24 La démobilisation collective et le désengagement se présentent au chercheur comme des processus sociaux et individuels incluant une variété de phénomènes : de la démobilisation politique d’une société dans sa presque totalité au retrait des individus- militants vers la sphère privée ou l’« exit » (Hirschman 1983). En réalité, cependant, derrière ce retrait individuel et/ou collectif se cachent des dynamiques sociales bien plus complexes.

25 Dans son très stimulant ouvrage de synthèse Sociologie politique du Moyen-Orient (2010), Hamit Bozarslan met en exergue une contradiction fondamentale que les chercheurs – qu’ils soient historiens, politistes ou sociologues– doivent prendre en considération lors de l’observation des terrains moyen-orientaux. Alors que le point de vue macro nous indique une « faiblesse […] criante de l’action collective » entre 1980 et 2010, à quelques exceptions près, l’échelle micro regorge d’une « myriade d’engagements et d’actes de résistance » (Bozarslan 2010 : 65). En ce sens, l’auteur pointe la nécessité de ne pas ignorer ni les processus de démobilisation en œuvre depuis des décennies dans certains pays ni la portée des actions collectives quotidiennes ; les « formes quotidiennes de résistance » chères à James C. Scott (1985 ; 1990), la « politique par le bas » mise en valeur dans les travaux de Jean-François Bayart (2008) ou encore les pratiques cumulatives des « non-movements », concept proposé plus récemment par Asef Bayat (Bayat 2010).

26 Si cette contradiction reste d’actualité, Bozarslan fait le choix explicite de ne pas recourir à la sociologie des mouvements sociaux et de l’action collective –trop souvent figées par des « modélisations quelque peu abstraites »– pour entreprendre, à la place, une démarche inscrite dans la sociologie historique, dans le sillage de Charles Tilly, qui prête une attention toute particulière aux mécanismes et aux processus permettant d’étudier les régularités et les principes explicatifs des mobilisations (Bozarslan 2010 : 65). C’est donc à partir d’une perspective macrosociologique et de longue durée, que l’auteur considère les décennies 1940-1970 comme étant une « période de mobilisation », grâce à une « alliance de fait entre l’intelligentsia civile et militaire, la jeunesse universitaire et lycéenne et la classe ouvrière », en opposition aux trois décennies suivantes (1980-2010) marquées par une « démobilisation généralisée ». La « rue » est abandonnée progressivement en faveur d’espaces de dissidence moins exposés à la coercition étatique comme le quartier ou les régions reculées où des

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groupes islamistes ou « séparatistes » comme le PKK en Turquie retrouvent un nouveau souffle (Bozarslan 2010 : 69-81).

27 Les récits écrits par les anciens militants notamment de gauche, ainsi que les travaux basés sur l’histoire orale tendent par ailleurs à confirmer cette périodisation. Plusieurs « témoins » des années « révolutionnaires » ont en effet souligné la sensation d’avoir été emportés par une force invisible, une vague d’énergie toute-puissante et irrésistible : « à cette époque, on était tous engagés » ou « il était difficile de ne pas être politisé » sont quelques phrases qui reviennent souvent durant les entretiens avec des anciens activistes et dans leurs autobiographies (Harun 1975 ; Yüksel 1992 ; Oral 2003 ; Mater 2009). Si de tels propos illustrent bel et bien le contexte d’incertitude et de radicalisation de l’époque, il s’agit cependant d’un discours qui ne permet pas de rendre compte des divers degrés d’engagement des étudiants du supérieur ni des variations des mobilisations entre universités, voire entre facultés au sein d’une même université. Ainsi, il faut rappeler que l’engagement de bon nombre d’« activistes » entre les années 1960-1970 se limitait à une participation parfois ponctuelle et « acritique » à des manifestations, boycotts et sit-ins organisées par les « vrais » meneurs. Comme toute mémoire individuelle, voire collective, il s’agit, en réalité, d’une mise en narration sélective qui vise en général à légitimer les choix pris par les acteurs durant et après la phase d’engagement.

28 En outre, ainsi qu’Emin Alper le souligne, les récits des diverses générations politiques liées à la fois aux « grandes mobilisations » en milieu universitaire et aux coups militaires en Turquie (Monceau 2007) sont devenus un « fardeau », à double titre, pour les nouvelles générations d’activistes. D’une part, la comparaison des mobilisations des années 1990-2000 avec l’« âge d’or » de l’engagement politique a provoqué un sentiment de culpabilité et d’échec partagé parmi les étudiants turcs, « incapables » de reproduire les « gestes » de leurs aînés (Alper 2009 : x). D’autre part, l’ombre des générations « héroïques » continue de planer sur les jeunes militants d’aujourd’hui, si bien que la « génération des années 1990 » –jugée comme apolitique, consumériste et passive (Lüküslü, 2005)– a été perçue par l’opinion publique comme leur antithèse.

29 Dans ce numéro, nous avons fait le pari d’alterner entre les échelles d’analyse –macro, meso, micro–afin de nuancer quelques conclusions à propos du processus de démobilisation et des facteurs conduisant au désengagement. La mise en dialogue de ces différents niveaux d’observation, permet de prendre en compte diverses variables tel le degré d’engagement des étudiants, leurs appartenances multiples, le type d’organisation, les coûts et les rétributions, le registre de mobilisation et les éléments « biographiques ».

30 Jusqu’à quel point, les dichotomies entre « mobilisation/démobilisation » et « politisé/ apolitique » sont-elles pertinentes au-delà de l’échelle d’analyse macro pour rendre compte du phénomène de la défection militante ? Qu’est-ce que les analyses plus fines sur les dynamiques meso – « qui façonnent et soutiennent l’action collective dans le temps » (Mc Adam 2005 : 53) et micro nous révèlent sur la démobilisation collective et le désengagement individuel ? De même, en quoi l’analyse processuelle du désengagement nous permet-elle d’appréhender les facteurs (pourquoi) et les trajectoires (comment) du désengagement ? À partir de ces questionnements, les contributions de ce numéro visent un double objectif. D’une part, tout en reconnaissant l’impact de la répression et du rétrécissement des opportunités politiques dans un contexte autoritaire ou semi-autoritaire, elles introduisent des nuances au lien direct,

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trop souvent considéré comme allant de soi, entre la coercition et le désengagement individuel (Combes et Fillieule 2011 : 1047-1072). D’autre part, à partir de l’observation de mouvements estudiantins de divers pays et périodes, l’ensemble d’articles invitent à tenter d’identifier des variations à la fois concernant le degré de démobilisation des organisations, l’impact de la répression sur les groupes et ses militants en rapport aux différentes séquences ou, encore, sur la relation entre les ressources individuelles et les coûts du désengagement.

31 Certes, la démobilisation collective du milieu étudiant en Turquie peut s’expliquer aisément par plusieurs facteurs structurels, largement partagées par d’autres pays voisins et lointains, telle la politique active de « dépolitisation » des universités mise en place par le YÖK, le déclin des idéologies de gauche au niveau mondial, les réformes éducatives « néolibérales » introduisant une concurrence exacerbée entre étudiants dans l’« université globale » (Marginson 2008 : 87-107), l’appauvrissement des universités publiques et par là même la « désacralisation » de leur légitimité sociétale, les difficultés économiques auxquelles la Turquie a dû faire face au cours des années 1990, provoquant par-là même un recentrage des étudiants du supérieur sur leurs projets individuels, ou encore la « fatigue sociale » touchant divers secteurs de la société turque après une période de fortes mobilisations entraînant, parfois, des coûts importants : prison, non obtention d’un diplôme, exil, séquelles physiques et/ou psychologiques des tortures subies, etc. Enfin, on ne peut pas oublier que plus de trente ans après le coup d’État dirigé par le général Kenan Evren, la répression étatique exercée entre 1980-1983 reste un traumatisme dans la mémoire collective turque, nourrissant encore de nos jours l’idée du militantisme comme une activité dangereuse (Berrak Tuna 2011 : 69)12.

32 Or, si la mise en place du YÖK eut indéniablement des conséquences immédiates sur les mouvements estudiantins en général, la démobilisation collective des « forces de gauche » ne doit pas nous faire oublier que vers la fin des années 1980 les universités turques sont témoins d’un renouveau du milieu étudiant à coloration islamiste (Güven 2005 : 205) et nationaliste kurde13. Autrement dit, l’intervention militaire en septembre 1980 a un impact foudroyant sur l’action collective, comprise comme « toute action concertée de un ou plusieurs groupes cherchant à faire triompher des fins partagées » (Fillieule 1993 : 9), dans le milieu universitaire, et en général dans tous les milieux sociaux en Turquie, à court terme. Toutefois, à moyen et long terme, elle provoque des effets différenciés en fonction des tendances politiques et des mouvements : gauche, droite, islamiste, nationaliste kurde. Par ailleurs, la coercition étatique ne pourra pas empêcher l’engagement de nouvelles générations d’étudiants (Birikim 2011) ni l’émergence de nouveaux modes d’action en milieu estudiantin, moins risqués –« post- it activism » ou activisme distancié– et moins exigeants en termes de temps, mais tout de même pris au sérieux par le gouvernement turc (Berrak Tuna 2011). Il est dès lors nécessaire d’entreprendre une analyse plus fine des phénomènes de démobilisation et de désengagement individuel.

Le désengagement individuel

33 Bien que la contribution de Murat Yılmaz vienne confirmer dans une large mesure le rôle prépondérant de la répression dans la démobilisation collective des milieux estudiantins de gauche en Turquie, Yılmaz introduit quelques nuances significatives.

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Tout d’abord, toutes les universités turques ne se transformèrent pas en des espaces de dissidence à la fin des années 1970. Certaines universités furent presque étrangères aux fortes mobilisations estudiantines, ce qui devrait nous inviter à mener davantage de recherches sur l’engagement différencié des étudiants du supérieur dans un même contexte politique. Deuxièmement, il montre combien la réaction face à la répression peut varier au sein d’une même génération, voire tendance politique. Ainsi, pour les activistes interviewés par Yılmaz, si la répression étatique a certes des conséquences biographiques –prison, torture, arrêt transitoire/définitif des études–, elle ne signifie en aucun cas le désengagement total. Ils tentent de se réorganiser, mais face à un contexte hautement répressif et à une « nouvelle génération » d’étudiants apparemment « apolitiques », ils se voient obligés de transformer les répertoires d’action, voire d’abandonner l’université en tant que site privilégié de résistance.

34 En effet, en Turquie, comme ailleurs au Moyen-Orient (Duboc 2010 : 61-79 ; Khawaga 2003 : 271-292), bon nombre d’« anciens » militants universitaires vont s’engager durablement (Braungart et Braungart 1993 : 62-64), en dépit d’expériences parfois douloureuses, et poursuivre leurs « carrières militantes »14 en adoptant de nouvelles formes d’engagement « apolitiques » ou de « militantisme moral », et aidant ainsi à la consolidation de la « société civile » turque –associations professionnelles, défense des droits humains, fondations d’intellectuels– et à l’émergence de mobilisations particularistes –alévisme– (Massicard 2010 : 1-18). En ce sens, les « reconversions militantes » des anciens activistes estudiantins doivent nous amener à problématiser la dichotomie entre mobilisation et démobilisation (McAdam 1988) car le désengagement des anciens « vrais militants » n’en est forcément pas un. Très souvent, nous sommes devant un phénomène de réengagement/redésengagement ; autrement dit une alternance de périodes de retrait et de réengagement qui correspond, en réalité, avec la trajectoire d’activisme à bon nombre d’individus (Corrigall-Brown 2012).

35 Déplaçant notre regard vers une autre aire géographique, le Mexique, l’article collectif de Guadalupe Olivier-Téllez, Sergio Tamayo et Michael Voegtli propose également une réflexion autour des effets de la répression sur le mouvement estudiantin mexicain de 1968. De manière convaincante, et se basant sur une recherche de type ethnographique, les auteurs soulignent les effets variés de la répression non seulement en fonction de la pluralité des activistes –leur degré d’engagement, leurs biographies, etc–, mais également en rapport avec les temporalités diverses. Autrement dit, la contribution suggère de distinguer les effets de la répression dans une perspective processuelle et dynamique –pouvoir/mouvement protestataire/médias/contre-mouvements– qui prenne en compte les subjectivités des acteurs dans chacune des séquences des « moments » révolutionnaires, au lieu de supposer que la coercition a un impact indifférencié dans le temps.

36 Le texte d’Işıl Erdinç introduit un autre élément intéressant pour une réflexion plus générale. L’étude du syndicat d’étudiants du supérieur Genç-Sen montre combien les continuités entre les mobilisations passées et actuelles sont présentes. Ainsi, et dans le sillage de Verta Taylor dans son étude du mouvement américain pour les droits civiques des femmes de 1945 au milieu des années 1960 (Taylor 1989 : 761-775), Erdinç suggère que, en dépit de la répression qui a suivi le coup d’État de 1980, il n’y a pas eu de rupture totale entre certains mouvements estudiantins actuels et ceux des années 1960-1970, que ce soit au niveau des slogans ou des liens interpersonnels entre les nouvelles et les anciennes générations militantes. Une continuité qui peut, par ailleurs,

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être un facteur de désengagement lorsque de nouveaux militants considèrent que l’attachement à de « vieilles idées » est, au final, un obstacle au renouveau de la mobilisation de la jeunesse estudiantine. Face à l’« immobilisme », réel ou ressenti, de potentielles recrues préfèrent se retirer soit pour tenter une nouvelle expérience dans un autre mouvement soit pour rester dans la « masse apolitique » décriée, parfois à tort, par une bonne partie de l’opinion publique.

37 Mais les facteurs conduisant à la démobilisation sont en réalité multiples et pas forcément liés au caractère autoritaire ou semi-autoritaire des régimes en place. Le papier de Joseph Hivert sur le mouvement du « 20 février » au Maroc avance une hypothèse intéressante : lorsque la faiblesse de dispositions militantes et/ou de compétences pour l’action collective est significative, les probabilités de la défection augmentent. Ainsi, même si les militants ayant opté pour l’« exit » avancent au premier abord d’autres justifications afin de « justifier » leur désengagement –satisfaction des revendications–, le manque de disponibilité biographique, et non pas forcément le contexte politique, s’avère être déterminant pour un certain type d’activistes.

38 L’analyse effectuée par Benjamin Geer sur le mouvement de professeurs du supérieur, le Groupe du « 9 Mars », en faveur de l’autonomie des universités en Égypte introduit un paradoxe très fécond. Alors que l’analyse structurale de l’engagement militant traditionnel insisterait sur l’importance des conditions favorables –contexte démocratique notamment– pour permettre l’émergence de mobilisations sociales, l’étude de cas réalisé par Geer vient défier les principales idées sous-jacentes de l’approche par la structure des opportunités politiques. Ainsi, Geer montre comment dans un contexte autoritaire ou semi-autoritaire, le mouvement initié en 2004 par des académiciens en vue de protéger l’autonomie des universités a permis à ces activistes de s’ériger en référence pour les milieux estudiantins et intellectuels « pro- démocratie ». En revanche, ce même capital culturel et symbolique –réputation, reconnaissance, popularité– perd de sa valeur dans un contexte a priori plus favorable suite à la chute du « dictateur » Hosni Moubarak et à l’entrée dans un contexte d’incertitude, de fluidité (Dobry 1986), créé par les révoltes populaires en Égypte. Le résultat de cette perte de capital est la défection d’une partie des activistes –en l’occurrence des professeurs et assistants universitaires– considérant que les rétributions, objectives et/ou subjectives, de leur engagement sont minimes.

39 Les révoltes survenues dans les pays arabes entre 2010 et 2011, le mouvement des « indignados » en Espagne, d’« Occupy Wall Street » à New York ou encore la « résistance » au Parc Gezi d’Istanbul ont à nouveau tourné le regard des chercheurs vers les mobilisations fortes et la dissidence comme objets privilégiés d’analyse, ainsi que l’indiquent le nombre de publications parues et de conférences organisées à leur propos. En outre, le réveil des mobilisations estudiantines dans les universités égyptiennes en 2013 ou les actions des étudiants de l’Université Technique du Moyen- Orient à Ankara contre la construction d’une autoroute détruisant une partie importante de son campus arboré annonceraient-ils le retour de l’Université comme socle de protestation au Moyen-Orient (Akyol 2013 ; Hamed 2013 ; Mohammed 2013) ? Il est évidemment encore trop tôt pour répondre à cette question. Pour l’instant, il semblerait que l’Université redevienne l’un des espaces de dissidence, mais pas le site privilégié de la contestation dans ces pays. Quoi qu’il en soit, et un peu à contre- courant, ce numéro espère avoir contribué à travers l’observation du milieu estudiantin à avancer dans la compréhension des phénomènes de la démobilisation et du

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désengagement lesquels, rappelons-le encore une fois, font partie, malgré tout, du quotidien des mouvements sociaux et des mobilisations sociales.

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NOTES

1. Les mobilisations de Gezi s’opposaient à la piétonisation de la place Taksim, la destruction du parc Gezi et la construction à la place de celui-ci de la réplique d’une caserne militaire ottomane abritant un centre commercial et une mosquée. 2. Pour des analyses dans le feu de l’action, consultez notamment le blog de l’IFEA (http:// ovipot.hypotheses.org/page/2) et Jadaliyya-Turquie (http://turkey.jadaliyya.com/). 3. Entre les 6 et 7 juin 2013, la société privée KONDA effectua une seconde enquête auprès de 4411 participants, avec des résultats similaires (Kongar et Küçükkaya 2013). 4. En effet, à côté du sens sémantique du terme « événement », Bénédicte Récappée, en suivant Paul Ricoeur pour qui « tout ce qui arrive ne fait pas événement », « l’importance de la façon dont les faits sont perçus nous rappelle le caractère construit de l’événement, de sa perception à son récit, de son interprétation à sa transmission » (Récappé 2009 : 210). 5. Ainsi, par exemple, Fadhil Abbas al Mahdawi, juge de la court présidentielle sous la période d’Abdul Karim Kassem en Irak considérait que : « Students all over the world are soldiers of science, literature and arts, which are the essential elements of building nations and bringing progress to countries […]. Besides students are always soldiers of justice, democracy, liberty and peace ». Hoover Institution Archives, U.S.N.S.A, Boîte 221. « L’étudiant irakien », publié par la Fédération générale d’étudiants dans la République irakienne, n°1, Juin 1959, p. 3. 6. Après la Seconde guerre mondiale, de nouvelles universités sont créées dans une cadence très rapide dans l’ensemble de la région moyen-orientale : Égypte (1942, 1949, 1950), Syrie (1946), Liban (1950), Libye (1955), Irak (1956), Maroc (1957), Arabie Saoudite (1957), Tunisie (1958), Jordanie (1962) et Koweït (1966). Alors que durant l’année académique 1961-1962, 157 000 étudiants se répartissent dans les 20 universités existantes dans le monde arabe, dix ans plus tard, 48 universités accueillent plus de 375 000 étudiants du supérieur. 7. La catégorie de la jeunesse n’a pas d’unité sociale et de ce fait elle ne peut pas être considérée comme une catégorie homogène (Bourdieu 2002). En outre, ainsi que des historiens et des anthropologues de la « jeunesse » nous le rappellent, la « jeunesse » est une construction sociale dont sa définition et ses attributs varient selon le contexte historique et socio-économique. En ce sens, la « jeunesse » turque des années 1960-1970, avec ses pratiques (temps libre pour les loisirs, accès facilité aux transports publics, codes vestimentaires, etc) et codes langagières « modernes », se limite presque exclusivement à la jeunesse estudiantine et urbaine (Bayat 2011 ; Wyn et White 1997 ; Bucholtz 2002 : 525-552 ; Farag 2007 : 49-78 ; Mauger 2010 : 9-24). 8. Alors que les étudiants de droite sont formés dans les « foyers idéalistes » (Can 2000 : 335-373), les activistes de gauche sont davantage formés dans l’enceinte des universités et des dortoirs universitaires. Parmi les syndicats estudiantins de gauche, il faut souligner dès 1964 les Clubs de la Pensée (Fikir Kulüpleri), transformés en l’Organisation de la Jeunesse révolutionnaire (Türkiye Devrim Gençlik Teşkilatı ou Dev-Genç) en 1969 (Feyizoğlu 2002). 9. Les fortes mobilisations des années 1960-1970 ne doivent pas nous faire oublier qu’en dépit de l’image véhiculée par les mémoires d’anciens militants et par les journaux de cette période, la plupart des étudiants n’étaient pas membres d’associations estudiantines. Ainsi, selon une enquête réalisée en 1965 à l’université d’Ankara, 78,2% des sujets interrogés n’étaient inscrits dans aucune organisation estudiantine, 19% étaient membres d’une association estudiantine non- politique, et 3,8% faisaient partie d’une association estudiantine politique (Dirks 1975 : 261). De

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même, si l’engagement de certains étudiants dans des groupes de lutte armée est une réalité avérée, il constitue cependant un phénomène minoritaire. Le niveau d’engagement des étudiants « politisés » varie grandement et il ne doit pas être surestimé. 10. Deniz Gezmiş était le dirigeant de l’Armée de libération du peuple de Turquie (THKO). D’autres groupes similaires sont l’Armée de libération des ouvriers et des paysans de Turquie (TIKKO), ou le Parti-Front de libération du peuple de Turquie (THKP). 11. La synthèse turco-islamique, comme idéologie sous-jacente de la politique turque depuis 1980, n’est pas une innovation en ce qui concerne la conjonction entre Islam et turquisme. Élaborée par les « foyers turcs » au cours du 20e siècle, elle trouve son application concrète suite au coup militaire de 1980 et, en particulier, dans l’esprit de la Constitution de 1982 : « démocratie autoritaire », fin de l’autonomie universitaire, formation de tribunaux de Sécurité d’État, centralisation dans le domaine administratif (Üstel 1994 : 387-400). 12. Une image qui n’est pas pour autant erronée. L’activisme en Turquie continue d’être une option risquée ainsi que les vagues d’arrestations suite à l’évacuation du parc de Gezi en juillet 2013 le prouvent. De manière plus générale, il faut rappeler que la Turquie a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause du non respect de la liberté d’expression et des abus commis sur des activistes en détention. En ce qui concerne le milieu étudiant seul, l’Initiative pour la solidarité avec les étudiants incarcérés (TÖDI) a recensé environ huit cents étudiants derrière les barreaux, à attendre leur procès ou à purger une peine, dont quatre-vingt-dix pour cent sont kurdes » (Girardot 2013 : 29). 13. Notre enquête réalisée en 2013 auprès d’anciens étudiants à l’Université Dicle de Diyarbakır, entre 1986 et 1990, nous a permis de constater le renouveau du mouvement estudiantin dans cette ville à majorité kurde, mais à la différence de la fin des années 1970, le registre « ethnique » est hégémonique au détriment des groupements proches de la gauche turque. 14. Howard Becker (Becker 1985) a étendu la portée du concept de carrière, propre aux professions, à différents phénomènes d’engagement. Reprise ultérieurement par d’autres chercheurs, la notion de « carrière militante » en sociologie des mobilisations (Filleule 2001 : 199-217) a l’avantage de mettre d’accent sur l’aspect processuel des trajectoires militantes ainsi que sur l’articulation entre histoires individuelles et contextes.

RÉSUMÉS

The uprisings that erupted unexpectedly in the Middle East between 2010 and 2011 propelled this region’s youth to the forefront of the political and media scene. To some scholars, we are witnessing a re-politicisation of the Middle Eastern youth, which stands in marked contrast to their "depoliticisation" and "apathy" of recent years. Yet, although the participation of the youth "by the way the ’majority’ of the population in the region" to popular protests is an undeniable fact, student unions seem to be out of the picture so far. From a macro-level perspective, the marginal role of student associations may appear "natural". Whilst nationalist and revolutionary leaders encouraged students to actively participate in politics "for the sake of the nation" until the 1960s, revolutionary as well as conservative regimes progressively sought to "depoliticize" them. In that respect, the university field became a privileged site of experimentation of methods of repression which would then be expanded to be used in all sectors of society. However, though scholars must take into consideration the political context of a given society "authoritarian or semi-authoritarian in most of Middle Eastern countries", what the meso and micro levels of

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analysis reveal us about the complex and multi-layered phenomena of collective demobilization and individual disengagement? This special issue offers some responses to that central question while analyzing different case studies within the university milieu from Turkey to Egypt, Morocco, and Mexico over the last forty years.

INDEX

Keywords : demobilization, disengagement, militant trajectories, repression, higher education, Arab spring

AUTEUR

JORDI TEJEL GORGAS Professeur-chercheur en Histoire internationale à l'Institut de hautes études internationales et du Développement, Genève

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Autonomy and Symbolic Capital in an Academic Social Movement: The March 9 Group in Egypt

Benjamin Geer

AUTHOR'S NOTE

The author would like to thank the Middle East Institute at the National University of Singapore for supporting this research, as well as the two anonymous EJTS reviewers for their helpful comments on a previous draft.

1 The March 9 Group for University Autonomy is a group of Egyptian academics who, for the past ten years, have campaigned to increase institutional autonomy and academic freedom at public universities in Egypt. This article explores possible answers to three questions about March 9. First, what explains the founding members’ inclination to form this type of group, given that most university professors in Egypt showed little interest in activism of any kind, and that there was little precedent for a social movement focused on this issue? Second, how was the group able to survive for so long in an authoritarian political context, and even to carry out successful campaigns, without being suppressed by the regime? And third, why did the group largely demobilize following the mass uprising of 2011?

2 First, some historical background is in order. When the Egyptian University (now Cairo University) became a public institution in 1925, it was given a legal framework that allowed it a degree of autonomy, e.g. by granting it a legal personality and enabling it to manage its own finances. However, the government retained considerable administrative authority over academic affairs. The issue of university autonomy was contested on several occasions during the following quarter century, with mixed results. The incident that the March 9 Group took as its symbol occurred in 1932, when the Minister of Education issued a directive transferring Taha Husayn, who was then dean of the College of Arts, to a position in the Ministry of Education. Husayn had

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embarrassed the minister by refusing to grant honorary doctorates at the government’s behest. In protest of the decision to transfer Husayn, the university president, Ahmad Lutfi al-Sayyid, resigned on 9 March 1932, to no avail (‘Abbas 2008: 76-88; Reid 1990: 120-125).

3 The military coup of 1952 shifted the balance of power decisively in favour of the state. A military officer became Minister of Education, and universities were purged of faculty members suspected of dissident views. The relationship between the state and public universities under the Nasser regime was similar to that found in other Arab states during the second half of the twentieth century: all real power over university administration was in the hands of the Minister of Higher Education, offices of the state’s security apparatus were located on campus, security services vetted all appointments to ensure political conformity, student union elections were tightly controlled to exclude dissidents, informants reported on any suspicious activities on campus, meetings and demonstrations were prohibited, faculty members loyal to the regime were rewarded, and dissidents were excluded, obstructed, or arrested. This relationship remained basically unchanged, despite a few adjustments, until 2011. Ironically, when Mohamed Sakran, a student at Ain Shams University, wrote his PhD on academic freedom in Egyptian universities (1979-83), he was forced to tone down his critique of the lack of academic freedom and refrain from mentioning incidents that reflected badly on the regime (‘Abbas 2008: 89-105; Reid 1990: 170-173; Qambar 2001: 135-214).

4 The March 9 Group consists of a core group of about 50, and a total membership of about 400 members, mostly concentrated in Cairo but with some participants in other cities. The group is probably known mainly within academic circles in Egypt, although its leading members have written or been interviewed from time to time in the press and appeared on television talkshows. Every year since 2004, it has held an annual ‘University Autonomy Day’ conference on a university campus on the 9th of March. For nearly a decade, using a variety of tactics, including open letters, demonstrations, and court cases, it managed to mobilize hundreds of faculty members with a broad range of political views, and to extract certain limited concessions from the Mubarak regime, without itself falling victim to state repression (Aboulghar and Doss 2009). Since the revolutionary uprising of January 2011, leading members have drifted away, the group has not mobilized many of the young people who have gravitated towards activism since then, and it has not formulated a strategy for engaging in further struggles for university reform.

5 This article reflects the concerns of a strand of social movement theory that, in recent years, has analysed social movements in terms of the general social theory of Pierre Bourdieu. This school of thought aims to use Bourdieusian analytical tools ‘to convincingly explain aspects of social movements that social movement theories, such as political process theory, resource mobilization theory and framing, acknowledge, but are not able to explain within a single theoretical framework’ (Husu 2013: 264). To a large extent, this effort builds upon, and fills gaps in, the insights of classical social movement theory. For example, in resource mobilization theory, ‘“resources” have tended to be thought about either in terms of the networks that agents are able to draw upon in struggle (social capital) or in relatively basic material terms’; symbolic resources have only recently been acknowledged, and have remained under-theorized. Here, ‘Bourdieu’s theory of practice, with its notions of “cultural” and “symbolic”

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capital’, has a valuable contribution to make (Crossley 2003: 57). Similarly, while classical social movement theory has been interested in competition between social movement organizations working on similar causes (McCarthy and Zald 1977: 1217, 1229), and has begun to conceptualize this competition as taking place within ‘organizational fields’ (McAdam and Scott 2005), Bourdieu’s more general concept of social fields offers a number of advantages (Ancelovici 2009). For example, it ‘extends our understanding of field effects from the organizational to the individual level’, suggesting that ‘many familiar observations about the biographical consequences of activism should properly be understood as field effects, intimately interconnected and anchored in particular subsectors of social space’ (Maryl 2013: 287-288). This is particularly important since the ‘contentious politics’ approach (McAdam et al. 2001; Tilly and Tarrow 2007), the mainstream successor to classical social movement theory, has focused mainly on organizations, and has very little to say about individual biographies.

6 Drawing on the interactionist concept of ‘activist careers’ (Fillieule 2010), scholars taking a Bourdieusian approach have analysed these careers as trajectories within fields. Some researchers employ the concept of ‘activist field’ (Péchu 2010) or ‘field of contention’ (Crossley 2003), while others prefer to situate activists and social movement organizations within other fields, such as the broader political field (Mathieu 2007; Ancelovici 2009). For our purposes here, what is important is that these scholars agree that successful activist careers involve the accumulation of capitals that are valued by other activists (Ibrahim 2011). These include specific forms of competence – such as familiarity with political concepts and mastery of the techniques of protest that have been called ‘repertoires of collective action’ in mainstream social movement theory (Matonti and Poupeau 2004; Mathieu 2007: 134) – as well as forms of symbolic capital (i.e., prestige and the authority that comes with recognition and renown). As Crossley (2003: 62) observes, ‘having high-status figures patronize one’s cause opens doors, for example, as does the (cultured) ability to articulate and present that cause in a manner that resonates with the middle-class “conscience constituents” who might be encouraged to lend a hand’.

7 On a more basic level, Bourdieu’s concept of habitus offers an alternative to the Rational Action Theory underlying much mainstream social movement theory, making it possible to understand why certain actors mobilize while others do not, even though non-participants, if they chose to participate, would stand to gain the same ‘selective benefits’ as other participants. On this view, by studying individual biographies, it is possible to identify ‘formative experiences’ that make it more likely for some individuals to mobilize than others (Crossley 2003: 52-53).

8 In keeping with these concerns, this study is based largely on extended biographical interviews with twelve current and former participants in the March 9 Group, including founders, core members who have drifted away, and new members who joined after the uprising of 2011.1 I will suggest that the founders’ mobilization can be understood as the product of a leftist, anti-authoritarian habitus that was out of step with mainstream activism in the 1970s and 80s. Individual participants’ symbolic capital appears to have contributed to the survival and successes of the March 9 movement, as well as to the loss of some of its core members in recent years. This symbolic capital included academic peer recognition as well as the esteem of a broader public of laypeople. Since activists with high volumes of symbolic capital are in high

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demand among social movement organizations competing for resources, they are especially likely to have opportunities to move from one organization to another. In this case, the uprising of 2011 produced vastly expanded opportunities for creating political groups. This seems to have enabled such activists to graduate, so to speak, from the March 9 Group and turn to more ambitious forms of mobilization, such as the founding of political parties. Within the limitations of a small-scale study such as this (involving interviews with activists but not with non-activists), explanations cannot be conclusively demonstrated, but the evidence presented here makes a plausible case for more systematic testing of this type of analysis.

9 Academic peer recognition is accumulated as part of an academic’s trajectory through a particular academic field. For Bourdieu, each field has a certain degree of scientific autonomy, which is the degree to which it demands a specific competence as an entrance fee. Within each field, more autonomous scholars owe their careers more to their mastery of this specific competence than to any other advantages they possess (Bourdieu 2004; Bourdieu 1993). While the March 9 Group has focused mainly on the institutional autonomy of universities (i.e., the ability of administrators and faculty to manage the university’s affairs without external interference), I suggest that the engagement of its leading members can partly be understood as an effect of their scientific autonomy (i.e., their reliance on career strategies based on scientific competence): they appear to be disproportionately found in more autonomous fields, and in more autonomous positions within those fields. They have an interest in institutional autonomy because it is a necessary, though not sufficient, condition for increasing the scientific autonomy of their university departments. This places them in conflict not only with the state (in so far as the state seeks to control academic life), but also with their heteronomous colleagues, who have an interest in low academic standards, as discussed below. I will suggest that the resulting tension between institutional and scientific autonomy clarifies the difficulties March 9 has faced in pursuing university reform since 2011, and hence the group’s declining level of mobilization.

Symbolic Capital and the Struggle for Autonomy: The March 9 Group and its Resources

Origin and History of the Group

10 Biographical interviews with several of the March 9 Group’s founders born between 1940 and 1960 suggest that the idea of focusing on university activism, along with a preference for participatory democracy, developed among individuals whose habitus inclined them towards leftist political stances, but found themselves out of step with the prevailing types of activism in the 1970s and 80s. One reason for this was their anti- authoritarianism, acquired either through contact with parents’ ideas and experiences (for example, the father of Cairo University mathematics professor Hany Elhosseiny was a leftist activist persecuted under Nasser and Sadat) or through critical reflection on the Nasser regime after its defeat in the June 1967 war. In contrast, the mainstream left had supported the Nasser regime, and in the 1970s, it still largely looked uncritically towards the Soviet Union for inspiration. Moreover, since political activism was forbidden, leftist student activists either limited themselves to organizing cultural

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seminars or went underground. As a student at the time, Laila Soueif (now also a professor in the mathematics department at Cairo University) was disillusioned with leftist groups that seemed obsessed with ideological purity and were torn apart by infighting, and she was uninterested in secret organizations, choosing instead to do only what could be done openly. By the end of the decade, the left, and non-Islamist activism in general, had largely demobilized. The student protests of 1968 and 1972 (Abdalla 1985), which some of March 9’s founders had participated in, had not led to any sustained opposition movement. Elhosseiny (who is one of Soueif’s former students) felt that no one had a clear project for social reform, without which any political activity would be doomed to failure, and that he did not know how to formulate one, either. Of the March 9 founders I spoke to, only one, Ahmed El-Ahwany (a professor of engineering at Cairo University), was drawn to Islamist mobilization in his youth, but by 1976 he had become disillusioned with the intellectual ‘backwardness’ of Islamist leaders and shifted further to the left.2

11 Thus these individuals were open to experimenting with new kinds of mobilization. In 1978, several future members of March 9, who were now faculty members, began to work on challenging the university administration’s dominance of the board of directors of the Faculty Members’ Club (which acts as a professional syndicate). An informal network emerged from this effort, and began to meet on Wednesdays at the club to discuss issues related to the university. These ‘Wednesday meetings’ (Liqa’ al- Arbi‘a’) developed into seminars, open to all instructors. Participants in this group gained control of the board of directors in two successive elections, in 1982 and 1985. The Ministry of Higher Education then held an early election in 1986, and the Muslim Brotherhood’s candidates won a sweeping victory (see Al-Awadi 2005). The Wednesday group then fell apart as several of its core members went to work abroad, at least partly because of ‘social fatigue’ (on which see Duboc 2013). In the same year, however, Elhosseiny heard the expression ‘university autonomy’ for the first time, from one of the Wednesday group’s candidates, who told him about Lutfi al-Sayyid’s resignation in 1932. Elhosseiny then suggested and helped write a campaign platform calling for an annual ‘University Professor’s Day’ (‘Id al-Ustadh al-Jami‘i) on 9 March.3 The Wednesday group can thus be considered an example of what Taylor (1989) calls an ‘abeyance organization’; although it had little impact at the time, it contributed to development of these activists’ thinking about the university as a legitimate focus of mobilization, and thus to the formation of the dispositions that would later produce the March 9 Group.

12 For some, universities abroad provided additional inspiration. Elhosseiny and Soueif both studied in France during their PhDs. ‘During my time in France,’ said Elhosseiny, ‘I began to see how university autonomy actually works’. Departments had the authority to spend their budgets as they saw fit, the university president was elected, and the faculty were prepared to mobilize to prevent outside interference in academic affairs. Similarly, it struck Soueif that in France, there was no security interference in universities, nor did professors interfere in student activities. By 1994, when Elhosseiny returned to Egypt to teach at Cairo University, it was clear to him that the biggest problem in Egyptian universities was the university’s lack of autonomy.4

13 A final common experience that focused many faculty members’ attention on academic freedom was the case of Nasr Abu Zayd, a Cairo University scholar who was persecuted by Islamists, starting in 1993, for his work on Qur’anic hermeneutics, and who went

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into exile in 1995 (Najjar 2000). Former participants in the Wednesday group, such as Soueif, mobilized to defend him, and were joined by others, such as Mohamed Aboulghar, a professor in the Cairo University medical school who was a close friend of Abu Zayd. Nevertheless, some of those who defended Abu Zayd were not interested in defending Islamists persecuted by the security apparatus. Soueif, Aboulghar and others then began to feel that a group was needed to defend university autonomy and academic freedom in general. This was the nucleus of the group that later became March 9.5

14 On 20 March 2003, the day after the US-led invasion of Iraq, Cairo University faculty members, including some who had been involved in the Wednesday group, held a demonstration on the steps of the university’s administration building, to protest the invasion and Egypt’s complicity in it as an ally of the US. Some of them then met regularly throughout the summer and autumn to try to formulate a political strategy. They finally concluded that it would be too ambitious to aim to undo Egypt’s subordination to US foreign policy, and decided instead to focus on improving the dire state of the university where they worked. It was Elhosseiny who proposed the idea of an annual event on March 9, focusing on university autonomy and academic freedom and commemorating Lutfi al-Sayyid’s resignation.6 The first annual March 9 event was held at Cairo University in 2004. At that time, it was impossible to use a hall or a room for any sort of event, whether on or off campus, without the permission of the security apparatus. Aboulghar led a delegation of March 9 founders to ask the university president for a large hall on campus. The president tried to dissuade them, claiming that academic freedom was well protected. When they insisted, he asked them to give him some time to think about it; in reality, this undoubtedly meant time to ask security. A security officer whose office was in the university administration building, and who controlled the university president’s fax machine and his international calls, instructed him to deny the request. The March 9 delegation then met twice more with the university president. At the second meeting, Aboulghar told the president that they would organize the event on campus whether he liked it or not, on the steps of his office if necessary. Meanwhile, Aboulghar and sympathetic journalists published op-ed pieces condemning the administration’s stance. At the third meeting, the president expressed his anger at Aboulghar’s attacks on him in the press, and Aboulghar replied that he intended to continue these attacks.7 One of the administration’s objections was to the use of the word ‘id (which is used for religious and national holidays) in the title of the event, since, they claimed, only the state had the authority to declare an ‘id. They were also concerned about any possible mobilization of students. Thus the president finally gave his consent on two conditions: the group must not use the word ‘id, and they must not invite students. March 9 agreed, but in reality they put up posters using the word ‘id (though the official invitations used the word yawm instead), and invited a student speaker, Kholoud Saber. The speakers were chosen to represent a broad political spectrum.8 About 200 people attended, including faculty members, journalists, intellectuals, and some students.9

15 In the summer of 2004, the group successfully campaigned to prevent the demolition of the Shatibi University Hospital in Alexandria, a project promoted by the wife of President Mubarak.10 In April 2005, it held demonstrations on several university campuses calling for an end to security interference in Egyptian universities, then gathered nearly 500 faculty members’ signatures on a statement to that effect.11 Until the revolutionary uprising of 2011, much of the group’s work involved investigating

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and publicizing complaints about security interference in academic affairs, such as cases in which security prevented students from being hired as graduate teaching assistants because of their political views (often because they were Islamists), denied faculty members authorization to travel abroad for academic purposes, prevented seminars from taking place on campus, assaulted faculty or students, or investigated or arrested faculty or students on trumped-up charges (e.g. in retaliation for exposing corruption, or for political reasons). A few of these campaigns were successful, though most were not. The group’s tactics in such cases involved open letters, articles in the press, and demonstrations, which were nearly always held on campus or at faculty clubs, as a metaphor for the idea that the group sought to defend the university from external threats, rather than to mobilize external pressure to impose its demands on the university.12

16 In October 2005, March 9 members participated in a demonstration for an autonomous and democratic university at Minia University in Upper Egypt. Six teaching assistants who had participated in the demonstration were then investigated (on the pretext that they had been absent from work, even though they had not actually had any courses to teach at the time). The March 9 Group sent letters to the university president and the Minister of Higher Education and received no response. Then, in November, the group held a press conference and demonstration in front of the Ministry of Higher Education in Cairo. The minister, ‘Amr ‘Izzat Salama, met with a March 9 delegation led by Aboulghar, who emphasized to me that under Mubarak, a government minister had to have close ties to the security services, and could not act without their authorization. In this case, Salama left the room briefly; when he returned, he said he had spoken to the university president and had the investigations called off. In Aboulghar’s view, Salama must have called State Security first to tell them that the issue was causing a problem and to get their permission to drop it, then called the university president to tell him that security was willing to let it go.13 The reasons for this striking result will be discussed below.

17 In March 2008, the group called for a countrywide faculty members’ strike to demand a salary increase. Thousands participated in most of the universities in Egypt, despite the opposition of the university administration and the Muslim Brotherhood (al- Mu‘tasim 2008). However, the strike’s demand was not met. Instead, a system of selective salary increases was introduced, supposedly on the basis of performance. March 9 opposed this system, and brought a case to court to have it abolished and to have the salary increase applied to all faculty members. The court ruled in their favour, but the ruling was not implemented until 2012, when faculty members’ salaries were approximately doubled.14

18 In the autumn of 2008, March 9 members raised a court case to remove the campus security force controlled by the Ministry of the Interior, and to create a new, civilian campus security under the authority of the university president. The court ruled in their favour, the government appealed, and the plaintiffs won a final appeal in October 2010 (Association for Freedom of Thought and Expression 2010). The initial implementation of the ruling, at Cairo University, was merely a façade in which police officers were given civilian uniforms. Real implementation began after the mass uprising of January 2011. As a result, the use of campus security as an instrument of state repression ceased, and security personnel became accountable to the university administration. The transition to a civilian security force was fraught with problems of

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training, organization, and the lack of a clear legal framework, but the March 9 members I spoke to counted this court ruling as a major victory. The persecution of students for their political views stopped, and it became possible for faculty members to hold meetings wherever they liked. The approval of the security apparatus ceased to be required in faculty recruitment or in the authorization of travel abroad for academic purposes. However, the relevant administrative procedures were not abolished, and it thus remained possible that they would be reactivated.15 In a context of frequent violent incidents at universities, partly as a result of widespread and increasing political polarization, public debates and struggles over the policing of campuses continued throughout the year 2013 (Cunningham 2013).

19 The changed political environment of 2011 also made it possible for faculty members to successfully press for a return to the election of university officials. On 17 February 2011, March 9 organized a conference at Cairo University with a Muslim-Brotherhood- affiliated organization called Academics for Reform (Jami‘iyyun min Ajl al-Islah). About three thousand people attended, and the conference produced a statement in which one of the demands was the election of high-level university administrators. As discussed below, faculty members organized elections to choose new deans during the summer of 2011, but without a legal framework. In July 2012, however, the university law was amended to stipulate that university presidents, deans and department heads would be elected.16 While this is an example of a successful campaign that March 9 had a role in, it paradoxically contributed to disengagement from the group, as we will see.

Symbolic Capital and Scientific Autonomy

20 Nearly all the March 9 members I interviewed said that they had never personally been persecuted by the state for their activism. This raises the question: how did a group of academics not only get away with holding demonstrations under an authoritarian regime, but also extract concessions from it, during a period when the brutal repression of dissent was routine? It seems plausible that this was partly because some of the group’s leading members had a high volume of symbolic capital, including considerable academic peer recognition as well as the esteem of many laypeople in Egypt. As Aboulghar put it: ‘March 9 included a number of prominent figures in society, such as the three or four best-known doctors in Egypt, who are known worldwide and have international publications... They are public figures who are well-known in Egypt and internationally, and this gave them a kind of immunity [hasana]. When we held demonstrations, security couldn’t come and beat us up, for example’.

21 Aboulghar himself is a striking example. Now in his 70s, he is author or co-author of about 200 articles published in international medical journals; seventeen of these articles have been cited over 50 times, and three have been cited over 100 times.17 His status as a pioneer of in-vitro fertilization in Egypt has also made his name ‘a household word’ there (Farag 2002; see also Aboulghar 2011). Hence it is no coincidence that on several occasions, it was Aboulghar who led March 9 delegations to meet university authorities or the Minister of Higher Education. His symbolic capital placed him, and the group he represented, in a strong negotiating position. The group’s need for individuals with this sort of symbolic capital, which takes many years to accumulate, could also explain why (as several interviewees noted) most of the group’s

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members, and most of the core group of highly active members, have been middle-aged or older.18

22 The effects of symbolic capital may also explain the concentration of the group’s members in Cairo, and at Cairo University in particular. On one hand, competition for the opportunities available in the capital favours scholars of the highest ability and ambition, to such an extent that, as Aboulghar observed, individuals with the sort of renown he referred to cannot be found in Egypt outside Cairo.19 This seems to have made it easier for the authorities to repress dissent in provincial universities. Moreover, Cairo University, because of its history, has benefited more from this effect than other state universities in the capital, and has become, as Elhosseiny put it, a ‘showcase’ enjoying exceptional international visibility. This, in turn, may have given dissident instructors at Cairo University an unusual degree of protection from state repression.20

23 It also appears that certain disciplines with a high degree of scientific autonomy, such as mathematics, are overrepresented in March 9, while certain less autonomous ones, such as law, are underrepresented. For example, the 25 signatories of its first declaration included no lawyers, but included four mathematicians,21 two of whom (Elhosseiny and Soueif) have played central roles in the group since its founding. The high scientific autonomy of mathematics means that the professional competence (cultural capital) required for entry into the field is both immense and very clearly defined, and, as Soueif observed, individuals who are adept at mathematics are extremely rare. Hence it is very difficult for a university to select mathematics professors on the basis of their political views rather than their competence, and indeed the Cairo University mathematics department has included students and faculty members with a wide variety of dissident political orientations.22 In other words, their cultural capital may have given them a degree of immunity from repression, thanks to the autonomy of mathematics and the relationship between supply and demand in the mathematics department. The relationship between scholars’ different forms of capital and autonomy and their engagement in social movements is no doubt more complex than these brief observations suggest, and merits more rigorous study.

Connections with Student Mobilization

24 Since March 9 is defined as a faculty group, students cannot be members. Moreover, the group has avoided inviting students to its protests, or has done so only in secret, in order to protect student activists from the accusation that they are ‘directed’ by faculty members. On the other hand, March 9 has held demonstrations in solidarity with student demonstrations against state repression of students, and considerable coordination has taken place on such occasions. Similarly, at the end of 2010, March 9, human-rights activists from the Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE), and students in the April 6 youth movement held a protest at Ain Shams University to distribute copies of the court ruling that required the Ministry of the Interior’s security forces to be removed from campus. The university president sent thugs to attack the march.23

25 Elhosseiny said he thinks it is difficult to mobilize students around the issue of university autonomy, because they have little stake in it; most aim to leave the university, unlike faculty members, whose goal is to stay there. However, Manar El

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Kholy, a professor of anaesthesiology at Cairo University, observed that even students who just want to graduate want to get a valuable degree; in her view, they need to be taught that this will not happen if their university is mediocre, and that fixing this mediocrity requires university autonomy. Ahmed El-Ahwany pointed out that it is students who are most affected by the corruption of faculty members, and he expects them to be the driving force behind attempts to address it. Randa Abou Bakr, a professor of English and comparative literature at Cairo University, and Manar Hussein, a professor of radiology at Cairo University, added that an active minority of students is concerned about university autonomy in so far as it affects student activities and student unions; they both expect students to begin playing a greater role than faculty members in campaigns for university reform, particularly because the students are more numerous.24

26 Kholoud Saber offered a nuanced perspective on relations between students and faculty members, having worked with March 9 in both capacities. She was a well-known leftist student activist when March 9 invited her to speak at their first annual event in 2004. At the time of our interview, she was a graduate student in psychology and a teaching assistant at Cairo University, as well as deputy director of AFTE, which has worked with March 9 on several occasions. She observed that, while students have taken a strong interest in, for example, the reform of campus security, some student mobilizations are inimical to university autonomy and academic freedom. For example, there have been several recent incidents in which students mobilized to accuse professors of contempt for religion, or because they felt that their grades were too low. In March 2011, student demonstrators’ main demand was the dismissal of university presidents and deans appointed under the old regime. This caused a serious disagreement within March 9, and Saber was in two minds about it when we spoke. While the group’s members strongly supported the replacement of these officials, some felt that this should not happen at the behest of students, because it would set a bad precedent that could facilitate violations of university autonomy. For example, student protests calling for the dismissal of a university president could be organized for purely political reasons. In this case, March 9’s official position was not to support the students, but to focus on proposing mechanisms for electing university officials, which would have the effect of holding them accountable to faculty members rather than to students.25

The Limits of March 9’s Form of Mobilization

Participatory Democracy

27 The group does not have formal leadership positions. Decision-making takes place by consensus on an electronic mailing list, and by vote at monthly meetings at the Cairo University Faculty Members’ Club. The mailing list’s administrators (Elhosseiny and Soueif) do not have the authority to censor messages or ban members. When the group was formed, Elhosseiny proposed this open, participatory structure because, in his view, it would have been difficult to choose a leader in a group that included several equally distinguished personalities, since it would have been awkward for any of them to lead any of the others. (Perhaps more precisely, none of them would have wanted to be in a subordinate position.) Similarly, in order to accommodate the group’s ideological diversity, statements have been issued (with few exceptions) in the name of the signatories, not in the group’s name. Soueif emphasized that this policy facilitates

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mobilization and the retention of members. In groups whose leaders issue statements on behalf of members, the leaders often fail to ensure that the statements represent the members’ views, and the typical result is that members withdraw. In contrast, when the authors of a statement have to persuade others to sign it, they are more likely to incorporate suggestions in order to reach a consensus. If N members then sign it, one can be sure that there are N people who actually read it and care about the issue, and that if a protest is organized, it will be possible to mobilize that many to demonstrate.26

28 In practice, Elhosseiny plays a central role; he carries out the bulk of the group’s administrative work, maintains its archives, and often mediates discussions on the mailing list. There have been recurrent debates within the group whether it should elect leaders. In the course of these discussions, some members (particularly Yahia El- Kazzaz, a professor of geology at Helwan University) argued that the absence of designated leaders resulted in the dominance of de facto leaders. Elhosseiny replied that anyone else was welcome to take over the tasks he carried out. The issue was put to a vote, and the majority preferred participatory democracy. In the view of Randa Abou Bakr, the issue was resolved in practice by making certain processes more transparent. For example, the group began posting suggestions for meeting agendas on the list, rather than simply posting the final agenda after it had been compiled offline. El-Kazzaz later came to feel that participatory democracy was in fact the better option for March 9; like Elhosseiny, he thinks it has been one of the reasons for the group’s longevity. In this respect, Elhosseiny contrasted March 9 with Kefaya, which was founded in 2004 but was disintegrating by 2006 because many members felt that its designated coordinator was monopolizing power (see al-Sayyid 2009: 46). For Manar El Kholy, who joined March 9 in November 2011, the group’s egalitarianism makes newcomers feel that their views are taken as seriously as those of the founders. On the other hand, El-Kazzaz pointed out that a completely flat decision-making structure could not be sustained if the group’s numbers increased significantly. Moreover, for Manar Hussein, one of the youngest of the group’s founding members (she was in her mid-thirties in 2003), while this participatory democracy is admirable in principle, in practice it has given the group a frustratingly slow, ‘bureaucratic’ pace, characterized by endless discussions that lead to little concrete action; this is one of the reasons why she left the group in 2008.27 These are arguably deficiencies not of participatory democracy as such, but of the type of participatory democracy selected by March 9 (see Polletta 2002 for a discussion of similar issues in the context of social movements in the United States).

Engagement and Disengagement

29 Any faculty member can join March 9 simply by subscribing to its electronic mailing list and stating a university affiliation. A core group of perhaps 50 members participates in all the group’s activities. The mailing list has about 400 subscribers; with some effort, the core group can get most of these to sign statements on issues that enjoy a broad consensus.28 This is clearly a very small number in comparison with the seventy thousand faculty members (including teaching assistants) at Egypt’s universities (Central Agency for Public Mobilization and Statistics 2012). In Aboulghar’s view, most faculty members have little understanding of, or interest in, university autonomy or academic freedom. The use of the word istiqlal (which means ‘independence’ as well as ‘autonomy’) in the group’s name has even struck some faculty

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members as bizarre, as if the university were going to secede from Egypt. For Elhosseiny and for Madiha Doss (a professor of linguistics at Cairo University), universities in Egypt are a largely conservative milieu, and Doss stressed that few instructors are interested in politics. On the other hand, Manar Hussein, a member of the Revolutionary Socialists, believed it was a mistake for March 9 to focus on what she viewed as elitist issues. She struggled to persuade others in the group to embrace demands that were likely to have a broader appeal, such as raising the low salaries of faculty members. In this she had the support of Doss, who pointed out that low salaries forced many instructors to take jobs at multiple universities, and that the quality of instruction suffered as a result, and of Aboulghar, who argued that campaigning for a salary increase would enable the group to recruit new members who could then be made aware of the issue of university autonomy as well. In 2008, the group did participate in a campaign for this demand, as described above, despite the opposition of other leading members, who felt that it was unrelated to the issue of university autonomy and would be better left to the faculty members’ clubs. Frustration with this debate was another reason for Hussein’s departure from March 9 that year; she felt that the diversity of views within the group was so great as to prevent it from accomplishing much that interested her. The campaign for higher salaries did attract many new members, but most of those who joined for that campaign did not remain in the group afterwards.29

30 One early issue that attracted a large number of new members was the campaign the group launched in 2003 against the assignment, a year earlier, of a building on the Cairo University campus to the Future Generation Foundation, an organization headed by President Mubarak’s son, Gamal Mubarak.30 However, the campaign was not successful in removing the foundation from campus.31 There was another period of rapid recruitment in 2005, during the ‘judges’ revolt’ for the independence of the judiciary (on which see Wolff 2009), which inspired many people to turn to some form of activism.32 The 2011 uprising had the same effect on a larger scale; after the conference of 17 February 2011 mentioned above, there was a huge influx of new members, including many with no previous experience of activism. Several have become highly active, but most did not stay in the group.33 Indeed, March 9’s level of activity has declined since the 2011 uprising. Two signs of this decline are that on 9 March 2013, few people attended the group’s annual event,34 and that its web site has disappeared, because nobody has had time to update it.35

31 Interviewees suggested several reasons for this decline. First, many participants have drifted away from the group, while still considering themselves members. As Elhosseiny observed, ‘Before the , it wasn’t possible to engage in politics via political parties, so those people didn’t do anything [as activists] except work on university autonomy’. The opening up of the political field motivated about half of March 9’s members, including some of the most prominent ones, to work on forming political parties at the expense of their involvement in March 9. For example, Aboulghar and Doss have gone on to found the Egyptian Social Democratic Party, and their involvement in March 9 has greatly diminished as a result. There are clearly strong incentives for the individuals that Crossley (2003: 61) describes as the ‘high- status “stars”’ of social movement fields – i.e., individuals with high volumes of symbolic capital – to move to increasingly prestigious, ambitious organizations, though they are not the only ones to do so when a field diversifies as a result of increased

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opportunities for the creation of new organizations. Without being an activist ‘star’, Manar El Kholy became a founding member of the Constitution Party (led by Mohammad El Baradei and launched in April 2012), and this limited the time she could devote to March 9. Soueif emphasized that since 2011, many activists have found themselves overextended as a result of engagement in multiple political struggles.36 As Mathieu (2007: 149) points out, following Matonti and Poupeau (2004), ‘activist careers are often marked by such transfers, in which competencies acquired previously are converted into another type of activity’. Mathieu argues that an understanding of such transfers calls for an analysis of the exchange rate of these competencies when they are transferred ‘from one activist world into another, from the space of social movements or the world of trade unionism to the political field, for example’. I would argue that this applies to activists’ symbolic capital as well.

32 Second, after February 2011, March 9 had to compete for members with a number of new faculty pressure groups formed after the uprising (such as the April 16 Movement), whose demands were focused mainly on salaries and benefits and on forming an independent faculty union, and who were uninterested in issues of university autonomy and academic freedom. Bourdieu observed that the successful entrance of new actors into a field often depends on external changes; ‘the most decisive of these changes are the political ruptures, such as revolutionary crises, which change the power relations at the heart of the field’ (Bourdieu 1996). Applying this observation to social movements, Ancelovici (2009: 55-56) argues that the appearance of new social movement actors within a social space can lead to the weakening of dominant actors. Similarly, Fligstein and McAdam (2011: 15) take note of the competitive challenge that established groups face when a field experiences ‘invasion by outside groups’. In this case, the new university-focused social movement organizations had many younger members who saw March 9 as uninterested in their material problems. El Kholy notes that most of the people who approach her with an interest in joining March 9 are at least 40 years old, and attributes this in part to the fact that the group rarely organizes demonstrations or sit-ins. Elhosseiny and Manar Hussein also suggested that the age of the leading members, most of whom are over 50, leads to a style of discussion that young people find unappealing.37 This is arguably a side effect of the need for the leading members to have spent many years accumulating symbolic capital in order to get away with this type of activism under the Mubarak regime.

33 Third, the 2011 uprising made protests a much more demanding enterprise. Previously, if 50 people participated in a demonstration, it would get a great deal of attention, and if 200 participated, it was considered a huge success. After the uprising, demonstrations on that scale were considered failures, because success was now measured against the standard of protests in which tens of thousands participated. Hence a small group could no longer be as significant as it was in the past.38

34 Finally, several interviewees expressed the view that the core issues that March 9 had focused on before 2011 had largely been resolved, and that the main problems at universities now had more to do with entrenched interests within the university, which would probably be more difficult to challenge than state interference. Many faculty members have a vested interest in lax policies that allow them to come to campus only one day a week and work at another job the rest of the week, to earn huge sums of money by forcing students to buy their course notes (even though their salaries were doubled in July 2012), and to go abroad on secondment for many years while reserving

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the right to return at any time to their jobs at the university. Many are comfortable with a system of promotion that allows them to do little or no research after finishing their PhDs. Many graduate students are allowed to carry out research projects without anything resembling an academic methodology (though this varies considerably from one department to another). A large number of professors, particularly older ones, have based their careers on such practices for many years, and would strongly resist changing their habits.39 In short, there is a large population of heteronomous faculty members who cannot be expected to support efforts to increase the scientific autonomy of their departments, because this would delegitimize their positions.

35 Sherif Younis, a professor of history at Helwan University who participated in March 9 mainly in 2005-2006, argued that society is broadly complicit in the dire state of public higher education in Egypt. Public universities are used mainly as warehouses for storing high-school graduates, to keep them from making trouble for the state and to keep them off the job market for a while. Many students see the university as nothing more than a way to get a degree with which they can get a job, any job, regardless of whether the job has any relation to what they studied. If a professor refuses to sell course notes, students complain because they have no idea how to study without them, because the notion of going to the library to learn from books has disappeared. Primary and secondary education have been deteriorating for decades, rely heavily on rote memorization, and do not teach students to think logically or engage in debates; hence the competence of undergraduates, and ultimately of professors, has declined as well. March 9 has focused on the university’s institutional autonomy from the state, but this is only part of the problem of the decay of public universities.40

36 March 9’s relations with the Muslim Brotherhood have been complex. It has defended Islamist students and faculty members who were persecuted for their political views. Two well-known Brotherhood cadres, Esam Hashish and Mohamed Sameh Hilal, are former March 9 members. They signed March 9’s statements and participated in its demonstrations, but this did not lead to a greater involvement on the part of the Brotherhood, except on occasions when a protest concerned the arrest of Brotherhood members. After the 2011 uprising, these cadres left March 9 to focus on the Brotherhood’s group, Academics for Reform. March 9 and Academics for Reform worked together on the issue of salaries (Muhammad 2010), and the campaign for the election of university officials was successful partly because both groups devoted considerable effort to it, but Academics for Reform did not show an interest in March 9’s other priorities. March 9 presented itself as open to a broad political spectrum, but the Brotherhood’s leaders tended to view March 9 as a leftist group and hence not as a natural ally. Younis observed that Islamists were unenthusiastic about March 9 because they did not share its conception of freedom; Islamist faculty members want to liberate themselves from the state in order to support their conception of Islam, not in order to support academic freedom in general. Hence when academic freedom means the right to study Islam freely, Islamists are likely to be against it (as in the case of Nasr Abu Zayd), and to mobilize students against it. At the same time, some activists who were hostile to the Brotherhood left March 9 because it did not take a stand against the Brotherhood. In an increasingly polarized political environment, the group’s attempt to maintain a neutral stance did not satisfy either camp.41

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37 A younger generation of March 9 members has played key roles in campaigns for university reform since 2011, but this activity has paradoxically led them to reduce their involvement in March 9. Randa Abou Bakr is a case in point. Before completing her PhD in 1998, she did not participate in any political activism, and had little awareness of the issues of university autonomy. She joined March 9 as a result of her opposition to the Egyptian government’s Quality Assurance and Accreditation Project for higher education in 2003-2004 (on the grounds that it was a vacuous bureaucratic exercise that squandered the funds of its international donors). In the wake of the January 2011 uprising, she and other March 9 members decided to focus on pressing for the election of new university officials to replace those appointed under the old regime. She was involved in founding a group called the Democratic Committee of the College of Arts at Cairo University, which aimed to elect a replacement for the college’s dean, who was due to retire in June 2011. Faculty members in the college decided on the rules and procedures for the election through discussions in large meetings, as well as through a survey organized in cooperation with the university administration. Since the 1994 law concerning the appointment of administrators remained in force, their objective was to put pressure on the university president to appoint whichever candidate won the election. This approach was successful at other colleges, but not in this case. In June 2011, Abou Bakr won the election, but the university president refused to appoint her, claiming that the Minister of Higher Education was opposed to her appointment. The minister claimed that it was the university president who was opposed, and attributed this opposition to the fact that Abou Bakr was involved in March 9, a group of ‘troublemakers’. March 9 was unable to put much pressure on the university administration, because, as she put it, ‘we were fighting on ten fronts at once’ as a result of the tumultuous political context. In August, the Minister of Higher Education announced that a new law would provide for the election of university officials, but Abou Bakr was highly critical of the law in its final form, arguing that it placed unreasonable restrictions on voting. Although she decided not to continue to pursue her appointment as dean, she remained active in the Democratic Committee. She described this work as ‘part of the vision of March 9’, though she had largely stopped participating in March 9 as such; she felt it was more practical to work on these issues within college-specific groups such as the Democratic Committee.42

38 Abou Bakr’s case should not be interpreted simply as a conflict between faculty members and university officials. After the university president refused to approve Abu Bakr’s election, and after March 9 publicized the fact that he had changed university regulations in order to legally pocket a large sum of money from the university’s distance education program, he was nevertheless re-elected, like many other university administrators who had been appointed during Mubarak’s presidency.43 In Younis’ view, this is because many faculty members have no political orientation, and evaluate administrators purely in terms of their personalities, or in terms of some specific benefit that the candidate promises.44

39 It may also reflect conflicting interests among faculty members themselves, an issue that March 9 has had difficulty engaging with, like activists in academic social movements elsewhere (see Sommier 2010). Such conflicts are evident in the experience of Dahlia El Sebaie, a professor of paediatrics at Cairo University. After the 2011 uprising, she started a Facebook® page calling for hospital reform. The university’s specialized children’s hospital, where she practiced, was dilapidated, its administration

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was in disarray and lacked credibility, and corruption was rife. She had no previous experience of political activism, but had definite views on the improvements that were needed, partly as a result of experience working on USAID and WHO health services projects in Egypt. She joined March 9 in June 2011, and at about the same time, she and several colleagues formed a group aimed at holding elections to choose a new director for the hospital. This effort was successful; the group’s candidate, Hala Fouad, was elected, and El Sebaie became deputy director in September 2011. In response to the new administrators’ efforts to curb corrupt practices, those who had an interest in maintaining the status quo rebelled and organized demonstrations. Fouad and El Sebaie dealt with this by making some concessions, by retraining the most corrupt individuals and assigning them to roles in which they could do less harm, and by hiring a younger generation of doctors on the basis of competence rather than clientelism. El Sebaie was thus directly involved in struggles with academic peers who resisted reform even as her involvement in March 9 diminished. Indeed, she said that, in her view, corrupt faculty members were a more serious problem than state interference.45

Conclusion

40 This study has suggested that the analysis of activist careers in terms of capitals, including symbolic and cultural capital, can help explain the long-term survival, and the limited but significant successes, of a social movement organization in an authoritarian political context, as well as the departure of prominent participants in a subsequent context of expanded political opportunities. Moreover, a consideration of the habitus of the group’s founders lends weight to the idea that differences in habitus can explain why some individuals, and not others, engage in a particular sort of activism. March 9 was founded by academics whose scientific autonomy, leftist habitus, and discomfort with existing social movements arguably predisposed them to envision the university itself as an appealing focus of activism. By employing a simple form of participatory democracy that required very little commitment as a condition for participation, they negotiated a minimal consensus that made it possible to mobilize several hundred faculty members and avoid destructive internal conflicts for nearly a decade. Under an authoritarian regime, the symbolic and cultural capital of the group’s most prominent members seems to have enabled the group to wrest some concessions from the state, while protecting it from repression. And by taking the state as its main adversary and focusing on the institutional autonomy of the university, it minimized friction with scientifically heteronomous colleagues.

41 Yet in the changed political environment that followed the January 2011 uprising, some of these advantages became disadvantages. The group’s participatory democracy, and the age of its leading members, favoured a style of slow deliberation that was unappealing to the many young people who streamed into social movements in the wake of the uprising, particularly given competition from new groups that also focused on universities. The symbolic capital of some of March 9’s prominent participants enabled them to graduate from the group to pursue other sorts of mobilization. And as some of the key problems of state interference seemed to have been resolved, it became clear that further campaigns to reform universities would inevitably involve conflicts with academic colleagues. The collusion of many faculty members in low academic standards and entrenched corruption illustrates the need to understand institutional

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autonomy and scientific autonomy as related but distinct phenomena. The further refinement of analytical tools capable of explaining the relationships between symbolic and other capitals, different forms of autonomy, and scholars’ engagement in social movements is an important task for future research.

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NOTES

1. I conducted all the interviews in Arabic, in Cairo, in April 2013. 2. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Madiha Doss (17 April 2003), and Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 3. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), and Ahmed El-Ahwany (21 April 2013). I am grateful to Said Elnashaie, who headed the Wednesday group’s electoral list in 1982 and 1985, for clarifying the details and chronology of these events (personal communication, July 2013). 4. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013) and Laila Soueif (17 April 2013).

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5. Interviews with Laila Soueif (17 April 2013) and Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 6. Interviews with Laila Soueif (17 April 2013) and Ahmed El-Ahwany (21 April 2013). 7. Interview with Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 8. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 9. March 9 Group newsletter, May 2004. 10. Interview with Madiha Doss (17 April 2013). 11. La li-l-Tadakhkhulat al-Amniyya fi al-Jami’a [Against Security Interference in Universities], March 9 Group booklet, 16 April 2005; La li-l-Tadakhkhulat al-Amniyya fi al- Jami’a [Against Security Interference in Universities], March 9 Group statement, 19 April 2005; Hatta La Yatahakkum al-Amn fi al-Jami‘a [So That Security Does Not Control Universities], March 9 Group statement, 17 June 2005. 12. March 9 Group summary of the group’s activities to date, August 2008; interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 13. La li-l-Istibdad al-Idari fi al-Jami‘a [Against Administrative Tyranny at Universities], March 9 Group booklet, September 2006; interview with Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 14. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 15. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Kholoud Saber (18 April 2013), and Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 16. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 17. According to the Thomson Reuters Web of Knowledge database. 18. A possible counter-example is the case of Saad Eddine Ibrahim, a well-known Egyptian sociologist who was imprisoned twice between 2000 and 2003 for criticizing the regime, despite having been close to it for many years. However, on closer inspection, Ibrahim’s position seems very different from that of the prominent members of March 9: although he had a substantial reputation abroad, he was extremely unpopular among intellectuals and academics in Egypt, who saw him above all as a servant of the Egyptian regime and of US interests, and who resented his position as a ‘tycoon in the world of research and development’. Hence few defended him when the regime turned against him (Abaza 2010). 19. Interview with Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 20. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 21. 9 Maris ... Yawm Istiqlal al-Jami‘a [9 March: University Autonomy Day], March 9 leaflet, 22 February 2004. In a message to the group’s mailing list in June 2005 (groups.yahoo.com/group/march9/message/803), Abdelgelil Mostafa, a professor of medicine at Cairo University, implied that the dearth of law faculty members in March 9 reflected a tendency for the law school to function as an instrument of the security apparatus. Interviewees confirmed that the participation of law faculty members has remained minimal. 22. Interview with Laila Soueif (17 April 2013). 23. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013) and Kholoud Saber (18 April 2013). 24. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Ahmed El-Ahwany (21 April 2013), Manar Hussein (21 April 2013), Randa Abou Bakr (23 April 2013), and Manar El Kholy (24 April 2013). 25. Interview with Kholoud Saber (18 April 2013). 26. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013) and Laila Soueif (17 April 2013). See Polletta (2002: 2-9).

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27. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Yahia El-Kazzaz (16 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Ahmed El-Ahwany (21 April 2013), Manar Hussein (21 April 2013), Randa Abou Bakr (23 April 2013), and Manar El Kholy (24 April 2013). 28. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013) and Laila Soueif (17 April 2013). 29. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Madiha Doss (17 April 2013), Ahmed El-Ahwany (21 April 2013), Manar Hussein (21 April 2013), and Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 30. Interview with Laila Soueif (17 April 2013). 31. The allocation of the building was finally revoked in February 2011 (‘Ibadi 2011). 32. Interview with Mohamed Aboulghar (22 April 2013). 33. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 34. Interview with Ahmed El-Ahwany (21 April 2013). 35. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 36. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Madiha Doss (17 April 2013), Mohamed Aboulghar (22 April 2013), and Manar El Kholy (24 April 2013). 37. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Madiha Doss (17 April 2013), Manar Hussein (21 April 2013), and Manar El Kholy (24 April 2013). 38. Interview with Hany Elhosseiny (14 April 2013). 39. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Laila Soueif (17 April 2013), Madiha Doss (17 April 2013), Kholoud Saber (18 April 2013), Sherif Younis (19 April 2013), Manar Hussein (21 April 2013), and Ahmed El-Ahwany (21 April 2013). 40. Interview with Sherif Younis (19 April 2013). 41. Interviews with Hany Elhosseiny (14 April 2013), Madiha Doss (17 April 2013), Sherif Younis (19 April 2013), and Ahmed El-Ahwany (21 April 2013). My attempts to contact Esam Hashish and Mohamed Sameh Hilal for interviews were unsuccessful. 42. Interview with Randa Abou Bakr (23 April 2013). 43. Interview with Madiha Doss (17 April 2013). 44. Interview with Sherif Younis (19 April 2013). 45. Interview with Dahlia El Sebaie (24 April 2013).

ABSTRACTS

Qualities that can make activism possible under an authoritarian regime can become disadvantages when restrictions on the political field are eased. Under the Mubarak regime in Egypt, the March 9 Group for University Autonomy, a small group of academics, campaigned against the interference of the state security apparatus and the ruling party in academic affairs and campus life. This article suggests that the group’s survival in that context, and its ability to organize successful campaigns within certain limits, depended on the involvement of highly accomplished academics, some of whom are well-known outside academia, on its practice of a particular type of participatory democracy, and on its focus on institutional autonomy from the

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state. All these assets became liabilities following the revolutionary uprising of January 2011, and the group has to a large extent demobilized as a result.

INDEX

Keywords: Egypt, universities, social movements, demobilization, Bourdieu

AUTHOR

BENJAMIN GEER Middle East Institute, National University of Singapore

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Trade Union Strategies and Legacy of the 1960s in Student Mobilization in Turkey: The Case of the Student Youth Union Öğrenci Gençlik Sendikası (Genç-Sen)

Işıl Erdinç

AUTHOR'S NOTE

This article is based on a master's degree dissertation in political science in the program of “MPhil Political Sociology and Institutions”, presented in July 2011 at University of Paris 1 Panthéon-Sorbonne in France. See; ERDINC, Isil, L’Organisation et la mobilisation des étudiants : Le syndicat étudiant Genç-Sen, comme la rencontre des anciens et des nouveaux acteurs sociaux dans la Turquie de post-1980[The organization and the mobilization of students in Turkey of post 1980s : Genç-Sen, the student union, as the meeting of the old and new contentious actors], Master 2 Recherche Sociologie et Institutions du Politique, Département de Science Politique, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France, Juin 2011.

1 Turkey has long been experiencing profound changes affecting both political and social life. Consecutive coups and military interventions in 1960, 1971, 1980 and 1997 have significantly affected social mobilizations and left-wing politics in Turkey. New groups such as homosexuals, women, environmentalists and students now rally in public space and on media platforms while the notion of "civil society" is being employed more often in order to ensure international legitimacy, to obtain funding from the European Union and to protect themselves from repression (Dorronsoro, 2005: 14, 15). Since the coup of September 12, 1980, most of the political parties, associations and unions were dissolved and strict limits were imposed on trade union rights. As a result, over the

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past two decades collective action in Turkey has been analyzed from the paradigm of the new social movements. Despite the deterioration of living conditions, the anti- democratic practices in universities and increasing unemployment rates among young graduates, college students found themselves barely able to mobilize.

2 Demet Lüküslü states that the youth of the post-1980 period are usually accused of being apolitical and not interested in what is going on around them. Unlike the youth of the 1960s and 1970s, the young people of the 1980s and 1990s preferred creating new kinds of organizations rather than participating in mainstream political parties (Lüküslü, 2005). Youth branches of political parties, youth sections of Islamic associations and Non-governmental Organizations became organizations where young people come together and socialize. Student organizations that held political claims were gathered mostly for a demonstration or a certain demand rather than organizing in a centralized rigid way. Demonstrations for the defense of headscarves in universities, student associations, and coordinated student actions marked this period of reconstruction of the social movements’ space. It can be stated that even if there were different associations and mobilizations among students between 1980 and 2000, it was hard to incorporate a significant part of the youth in a centralized massive movement1. As for the university system, new rules are implemented with new regulations and the constitution of 1982. İlhan Tekeli argues that the fear from students was decisive; “The University was considered as the source of all sickness because of its inability to reproduce itself and solve its own problems. Thus, it had to calm them down with new courses and new rules.” (Tekeli, 2010: 204). Tekeli quotes Kenan Evren, the commander of the armed forces, who declared in a speech in 1980 that “The University had become the hearth of and terror. We need to take measures so that they could become real institutions of education.” (Tekeli, 2010: 204).

3 In this political context, the Confederation of Progressive Trade Unions of Turkey, Devrimci İşçi Sendikaları Konfederasyonu (DİSK2), found itself in a renewal process during the 2000s. Traditional forms of collective action and trade unions were trying to rebuild themselves and regain their force. Thus, the combination of these two processes resulted in the foundation of the first student union in Turkey, Öğrenci Gençlik Sendikası (Genç-Sen), in 2007 with the initiative of DİSK and by a group of student activists from various protest movements and left-wing political parties. Genç-Sen's founding members aimed to bring together students from different political fractions, disciplines, universities, countries and cities. By the end of 2010, students’ interest vis- à-vis the union grew stronger with the increasing state repression. Other youth groups began to support the union by participating in their demonstrations or by giving joint press statements as the union got more radical. The union opened branches in different cities in Turkey except in the East and Southeast. Even if the exact number of members of the union is not certain since the union is still in an institutionalization phase and rarely keeps official registers of its members, it includes thousands of students throughout Turkey3.

4 This project seeks to understand how Genç-Sen emerged from alliances between old and new actors on the left in Turkey during the 2000s. It further seeks to understand to what extent Genç-Sen introduced innovations in the collective action repertoire of protest in Turkey. Thus, my aim is to learn why, among all the other student associations and organizations in Turkey in the 2000s, Genç-Sen was the first and, until now, the only student union founded by a labour union confederation on a class

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struggle basis with traditional collective action strategies and claims. My research is based on fieldwork including field observations as well as semi-directed interviews with four trade unionists and eleven unionized students that I conducted in Turkey in February and March 2011. Through this fieldwork, I analyze the union’s emergence, identity and mobilization strategies4.

5 In the first part of this article, I will explain how the paths of the worker movement and student movement crossed and resulted in the emergence of Genç-Sen. Then I will examine the construction of demands and claims of unionized students. In the second part, I will study the mobilization strategies and their evolution over a four-year time period. I will analyze the identity of unionized students in order to understand how the union gained a unique and hybrid form of political engagement among students with the traditions of the labour confederation and the 1960s and 1970s’ social movements. This way, it will be possible to analyze how new forms of collective action and engagement during the 2000s do not necessarily bring new discourses or repertoires since there are more continuities than ruptures in some organizations and movements due to alliances and legacies5.

I. Genç-Sen: Emergence of a new model of engagement?

6 The project of creating a student union dates back to the beginning of the 2000s when the Confederation of Progressive Trade Unions, DİSK, declared at its 11th General Congress "the necessity to organize among different social groups such as retirees, housewives, the unemployed and youth" in order to reinforce social movements6.

7 The 2000s can be considered as a period of decline of trade unions and of the . That’s why it is possible to state that the trade unions and activists tried to create new strategies to reinforce themselves. Yıldırım Koç insists that the years 2001-2010 were marked with the decline of the labour movement and trade unionism (Koç, 2010: 453). He indicates that the 2000s were full of defeats for the working class, arguing that the weakening of demonstrations, accelerating privatization, wage cuts, the economic crisis of 2001 and the government of Justice and Development Party all had negative effects on workers (Koç, 2010: 431, 432). Thus, Fikret Sazak points out that there was a “trade unionism crisis” during this period, discussing new strategies to get out of this crisis (Sazak, 2006). Ayşe Buğra discusses the emergence of new forms of trade unions due to the emergence of new forms of work like “white collar workers”, sportsmen, artists, farmers, salesmen and saleswomen as well (Buğra, 2010: 7-33).

8 Therefore, the study of Genç-Sen and its activities will help us understand not only the dynamics of student youth but also the evolution of trade unionism in Turkey during the 2000s.

Who are the unionized students? : The formation of social networks

9 In 2000, DİSK decided to create trade unions for housewives, retired workers, the unemployed and the youth in order to broaden its support in society and in political life. However, this decision took some time to be implemented. It was not until 2005 and the student protests in France against the CPE (First Job Contract)7 for the process

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to actually come together8. “We have seen that students' unions were the main actors of the mobilizations in France and it was noted that youth in Turkey needed to organize as well,” says the director of the department of organization of DİSK9. In addition, the director of the international relations department of DİSK, who was an important figure in founding the union, also cites the example of the success of student mobilizations organized by student unions in Greece in 2006 protesting against the commercialization of education in order to highlight the importance of a student struggle against neoliberal policies10.

10 Beyond the influence of the international context, a national event seems to have played a major role: Music Festival BarışaRock organized in Istanbul by a group of activists from antiwar movement to protest “the war, occupation, racism, nationalism and imperialism”11. The junction between festival organizers and union leaders is somewhat fortuitous. The director of organization of DİSK says: “10 factory workers of Coca Cola were dismissed because of their affiliation with the trade union attached to DİSK in 2005. They were on strike since June 2005. We saw that there was a protest against a rock festival sponsored by Coca Cola and we had decided to go there in August 2006 with thirty workers, taking our tents like youngsters. It was funny because the 40 to 50 year old workers were faced with young people aged 20 or 25 years with long hair and weird piercings, listening to rock, but protesting their dismissal, sharing their cause and having problems with the capitalist system in their world. We then started thinking about the need for reconciliation and renewal of the bond of solidarity between young people and workers in Turkey”12.

11 The director of the international relations department, aged 31, tells the story of his involvement in the project of a students’ union: "The director of organization of DİSK proposed to the youngest people working within the confederation to start working on establishing a student union. We began studying international examples and the condition of students in Turkey to determine the union's strategy and issues about which students needed to get engaged. After several months of research, we made an appeal on behalf of DİSK to youth branches of political parties from the left and to various student organizations. The young people who responded to our call gathered in the office of the Confederation in Istanbul and we started to organize meetings to discuss the nature, objectives and potential problems of a student union in Turkey".

12 During one year and a half, students coming from different left-wingassociations, political journals and parties, met at the headquarters of DİSK and discussed the aims and the structure of a student union that was going to be a part of a labour union confederation. The young trade unionists working at DİSK directed the meetings and also took part during the debates. The differences between the political views of the students caused differences in their perception of a student union. There were some student groups who wanted the union be more autonomous from the labour confederation whereas there were those who thought that the labour union’s presence was rather positive. In addition to this, some of the students were in favor of founding a union based on university students’ demands and needs while others argued that the union must represent all the young people. These debates made the process of establishing the union longer and also caused the departure and disengagement of some student groups, parties and associations from the initial meetings. In this context, it is possible to state that both trade unionists from DİSK and students coming from

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different political fractions, universities and departments played an important role in the process of founding the union and the construction of its identity, claims and aims.

13 After long discussions, those who had agreed on the importance of creating a student union organized a large founding congress in Ankara at the Middle East Technical University (ÖDTÜ) in 2007. About 500 students from 30 different universities, departments, cities and left-wing political organizations came to Ankara to participate, using the financial support of DİSK for their transport and accommodation13. The first student organization with a form of a “student union” was founded in 2007 and agreed on basic principles of the union14. Thus, the student union can be defined as a result of the articulation of traditional and new actors of social protest. This situation could also be observed in the formation of the claims, demands and mobilization strategies of the union.

Political engagement within Genç-Sen: Some claims and techniques in the repertoires of collective action

14 The student union started its activities in 2008 with street demonstrations against the trial of closure of Genç-Sen, opened by the Governor's Office of Istanbul in June 200815. Students defended their right to found a student union16. The branch of Genç-Sen in Bolu staged a sit-in with six students in a protest against the trial and they organized a demonstration outside the Labour Court on the day of the trial with the support of DİSK, various unions attached to DİSK, the teachers' union Eğitim-Sen, representatives of the Union of the retired, Emekli-Sen which was closed by the court a year before and one of the leaders of the youth movement of the 1960s, the revolutionary youth, Dev-Genç, Ertuğrul Kürkçü. They organized synchronized protests against the trial in 25 cities, including Ankara, Balıkesir, Bolu, Çanakkale, Eskişehir, Hatay, Istanbul, Izmir, Izmit, Kütahya, Manisa, Mersin, Muğla, Samsun, and Zonguldak. They expressed their right to create a student union before the second session of the trial. These demonstrations and the claim to obtain the right to found a student union in form of a labour union on a class basis are new pieces in the collective action repertoires of the student movement in Turkey. Engaging around student issues and defining itself as an “öğrenci sendikası” by using the notion of “sendika” which means “trade union” is new to the student organizations since the beginning of the 1960s, the groups are named mostly as “dernek” (association), “federasyon” (federation), “kulüp” (club), “birlik” (union), “koordinasyon” (coordination), “platform” (platform), or “kolektif” (collective). The use of the organizational form “sendika” (trade union) is crucial in this context. The claim of student unionism about the identity of students is meaningful. According to the founding charter of student unionism, the Charter of Grenoble, accepted at a conference in France on 24 April 1946 by student representatives, the students are “young intellectual workers”17. They have the right to unionize. It is stated that the universe of work and youth presents the basis of an economic and and the students should fight against every kind of oppression and defend liberties. Therefore, despite the family backgrounds of the students and even if the students who do not come from working class families, the students themselves belong to the working class. Not only is studying considered as a work in itself but also most of the students find themselves immediately in the job market in order to finance their education. The precarious positions of young people, students and workers, their exploitation in the work market as interns and as a free workforce, the rising

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unemployment rates among graduates, the fragile conditions of research assistants and student assistants in universities and the status of students with scholarships or loans are the main factors that might lead to the consideration of young students as a part of the working class and as actors in the class struggle. Hence, the construction of the student identity as a class actor is important in the analysis of student unions which makes the choice of Genç-Sen to call itself “labour union”, or “sendika” in Turkish, remain meaningful.

15 As to the expansion of Genç-Sen, throughout my research, I observed that the mobilization potential of the union is not the same in all universities and departments. Istanbul University, ODTÜ and Istanbul Technical University (İTÜ) were the universities where it is easy to develop the union because of the fact that they were universities historically engaged politically, especially during the 1960s and 1970s. There are also universities like University of Ankara or University of Gazi in Ankara where rightwing organizations and associations are more visible and where it is harder to develop the union. The students of some of the private universities were not easy to be convinced by the union neither. As to the departments, one of the unionized students declared, “We have members from all the departments but mostly from the departments of engineering, philosophy and law. The students in fine arts are not interested in politics. Social sciences students are more likely to become a member but it depends on the university. Social sciences students in private universities are not interested at all with politics or trade unions but in public universities like Istanbul University it is easier to convince them to join the union”18.

16 During 2009, Genç-Sen protested against the government's decision to increase the cost of tuition fees by 500% by organizing demonstrations in Istanbul, Mersin, Ankara, Konya, Adana and Eskişehir where they protested against education fees that made education a “privilege of the rich”. They organized a large demonstration in Istanbul with the participation of 300 activists from the unions attached to DİSK and the parents of students. In addition, they organized events on twelve campuses in different universities over the problem of transportation in Istanbul, Izmir, Eskişehir, Aydın, Sakarya, Ankara and Hatay, four demonstrations over the problem of accommodation in Istanbul and Izmir and two, and actions protesting the prices of restaurants in Universities of Izmir and Kocaeli which are the major cities of Turkey hosting a large number of students from other cities. They protested against the implementation of video-surveillance at Anadolu University in Eskişehir in April 2010. They gave their support to high school students by protesting against the injustices in university entrance exams. They organized a “Labour Week” by inviting Süleyman Çelebi (president of DİSK at that time) to Istanbul University and a panel called “The Student Movement in Turkey from 1968 to Our Time” in Okan University in Istanbul in 2009 (Erdinç, 2012: s. 226). Moreover, in the beginning of the school year 2010-2011, they organized a demonstration in order to protest against tuition fees, commercialization of universities, and the privatization of university restaurants whilst defending “education in one's mother tongue” (Pelek, 2010). The most significant and regular activity of Genç-Sen can be considered to be the demonstrations against Yükseköğretim Kurulu, YÖK (Council for Higher Education) organized every year on the 6th of November, anniversary of the foundation of the Council. The demonstrations against YÖK are organized by branches of Genç-Sen involving even the rival political student groups who are in fact opposed to the idea of a student union or who define themselves as ideologically different from Genç-Sen.

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Map of Turkey

17 However, when it comes to social or cultural activities of the union, which can be considered as part of the “new” forms of activities, there are two contradicting opinions among the unionized students. On one hand, Burak, 21, says “If we have sufficient resources, we would like to organize these kinds of activities in order to attract the students’ attention to our Union. But for now, we have neither the material nor the human resources to organize such events and it is difficult to get permission from university administration as well”.19 On the other hand, Emre, 27, argues: "We are not here to entertain the students. Activism is a serious and important duty and we cannot spend our resources and energy organizing parties and concerts in which students will not pay any attention or will not feel any responsibility for what happens in the world or in their country"20. Therefore, it can be said that the student movement is still in a period of construction since they don’t always agree on their techniques of collective action repertoire and functions of the Union.

18 To sum up, the union members are trying to mobilize “new” students around the issues concerning the student universe while finding it indispensable to maintain their links with DİSK and left-wing political activism as well. They are willing to integrate themselves into the new social movements and organizations by adopting "new" and more original ways to mobilize the students. In addition to this, they tend to keep the traditions of the student movement during the 1960s and the 1970s by having a more political and ideological attitude about what a student union must do.

II. In search of a student unionism with a left-wing political axis

19 Genç-Sen found itself in a phase of constant evolution in search of a common identity and political view. With the influence of the tradition of the labour confederation and of the students who were already engaged in different political parties, Genç-Sen put itself in a left-wing political axis on the political scale21. Influenced by different factors, it could be seen that activism in Genç-Sen has evolved over time as the union redefined its identity and discourse. Thus, it is important to analyze firstly the radicalization process of students with the increasing state repression vis-à-vis the university and social movements and then the evolution of activist identity among unionized students.

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Union strategies and street demonstrations: The radicalization of Genç-Sen against repression

20 Genç-Sen began to get more radical from the beginning of 2010. Students aimed to protest against police violence, student arrests and disciplinary investigations in universities and defend worker rights in different factories. Charles Tilly and Sidney Tarrow highlight four types of regimes using the variables, “ability” and “democracy" whose degree of weakness or strength determines the magnitude of contentious political action (Tarrow and Tilly, 2008). They explain that if a state is strong and nondemocratic and the citizens have only meager political rights or the rights are unevenly distributed, forms of conflict will be characterized by subterfuge and even brief confrontations are usually halted through repression (Tarrow and Tilly, 2008: 102-105). In this context, it could be said that the State of the Republic of Turkey could be considered as a state whose ability to intervene is high while the rights and liberties are weak. Therefore, opposition to the state is marginalized and conflicts are usually met with police violence, which in turn, provokes frustration and increased radicalization. Olivier Fillieule states that the rupture between two collective action repertoires must be read as a “stylization” but not as an exact description of a historical reality because behind this question, there is the question of identification and hierarchization of the factors of the repertoire's transformation (Fillieule, 2010). However, a nuance between the preponderance of the role of the state as a central actor affecting collective action repertoires and the importance of individual trajectories, institutional resources and interactions must be made in order to understand correctly the mobilization dynamics of Genç-Sen. Fillieule points out “One of the ways to go beyond the metaphorical use of Tilly’s conception of repertoire, one should analyze the role of the available means that can be used and the vague coupling of structural constraints, practical dilemmas and strategic interactions by exploring in a deepened way, the way that the individuals invest their know-how, their motivations and their perceptions in these forms" (Fillieule, 2010: p. 94, 95). The action is surely integrated in a larger whole, tied by a series of structural constraints limiting the field of political possibilities but the reasons why the individuals prefer a certain type of action strategy rather than choosing another one is also an important subject of research. Therefore, in the analysis of Genç-Sen’s evolution, the role of the state and police violence play major roles but the students that are engaged and the resources available to them are also crucial since the ideological references of the 1960s and the 1970s as well as the material resources of DİSK play also a decisive role on their ways to adapt themselves to structural changes and governmental policies.

21 In this context, Genç-Sen organized twelve demonstrations to denounce repression in universities in Adana, Istanbul, Ankara, Eskişehir, Denizli, Izmir, Bursa and in almost all other branches of the union during the year 2010. They protested against the installation of video surveillance cameras and private security at the campus in April 2010 in Eskişehir at Anadolu University. They tried to educate students about the issues of unemployment and uncertainty about their future by opening information desks at Eskişehir Osmangazi University, denouncing the suicide of a young graduate from Uludağ University in Bursa because of unemployment and organizing a conference on “college graduates’ unemployment” at Kocaeli University. The students union also protested the suspension of two members of the union at Yıldız Technical University in

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Istanbul by declaring a common press statement at the University of Istanbul, Marmara in Istanbul, Çukurova in Adana and Karadeniz Technical University in Trabzon. They participated in the May Day demonstrations held at Taksim Square in Istanbul, with nearly 1,000 students gathered, and organized a press conference in Ankara with the support of the teachers' union, Eğitim-Sen, in order to demand free education.

22 Another important demonstration of Genç-Sen is the grand demonstration on December 4, 2010 in Istanbul at Dolmabahçe during which students protested against their exclusion from Prime Minister Recep Tayyip Erdoğan’s official meeting with presidents of different universities to discuss the reform process in the university system. Members of the union wanted to get in to the meeting in order to give information and discuss their problems. They were faced with police violence during their protest22. After these demonstrations students from Genç-Sen were supported by some of the actors of the political field. The students were invited to the National Assembly in Ankara by the members and the president of the CHP, Kemal Kılıçdaroğlu. They presented to Kemal Kılıçdaroğlu their work on students’ problems that they were willing to present at the conference in Dolmabahçe in Istanbul. The students also discussed with Akın Birdal from Barış ve Demokrasi Partisi, BDP (Party of Peace and Democracy) and expressed their claims and problems23. The next national elections were to be held in 2011, and in the preelection context, Genç-Sen found a chance to make itself visible, legitimate and to get access to the actors and resources of the political field profiting from the concurrence between BDP, CHP and AKP.

23 Genç-Sen’s collective action repertoires have evolved and the union became more political with a more aggressive voice. The union began to emphasize "revolutionary solidarity" which can be considered as an example of the radicalization of the union's demands. The students distributed brochures and handouts in restaurants and cafeterias in universities about the conditions of workers to emphasize the importance of “solidarity between workers and students for a revolution.” The death of a student named Nesih Taşkın can be considered here as a major factor contributing to mobilization (Tinbek and Yıldırım, 2011). Unable to pay the tuition fee, Taşkın, 26, had begun working on construction sites in his hometown Izmir, giving a mandatory break to his studies in order to earn enough money to pay his tuition fee the following year. On March 3, 2011, he fell from the seventh floor during construction of a building because of the lack of safety ropes tying him to the building. In response, on 8 March 2011, ten branches of Genç-Sen organized protests and made a press statement in Eskişehir and Muğla against tuition fees in order to emphasize “the unity of cause” of the world of workers and that of students.

24 Another topic that has become more visible in the union's demands during the year 2011 is the Kurdish question in Turkey. The union was already engaged with the Kurdish issue since its foundation, defending education in the mother tongue. The branches of Artvin, Çanakkale, Istanbul, Izmir, Ankara, Manisa, Eskişehir, Bursa, Denizli and Aydın organized several street demonstrations, sit-ins and made several press statements with the participation of other student groups to denounce the death of a Kurdish student named Şerzan Kurt, 21, killed during a fight between left- and right-wing students at the University of Muğla by a bullet fired by a police officer on May 11, 201024.

25 Moreover, the student union organized a large protest on March 16, 2011 in Ankara to commemorate the assassination of 16 March 197825 with an emphasis on “revolutionary

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solidarity”. They sung revolutionary songs of the 1960s and 1970s and they used slogans in Turkish and in Kurdish such as “We will kill fascism in the blood that it had spilled”, “The rage of mothers will kill fascists”, “There is no salvation when we are alone, it is all together or no solution at all”, “The state will pay for its murders”, “Long live the solidarity of workers, long live the brotherhood of Turkish and Kurdish peoples” (a slogan of the student movement and last words of the famous youth leader of 1960s, Deniz Gezmiş, killed by the capital punishment in May 1972) (Erdinç, 2012: 229). In addition to these mobilizations, students also commemorated the massacre of Halabja on 16 March 1988, the date on which thousands of Kurdish civilians were killed by chemical attacks by the order of Saddam Hussein in Iraq in the region inhabited mainly by Kurds. The protestors put forward the “revolutionary struggle for the independence of the Kurdish people against the imperialist states.” (Erdinç, 2012: s. 229).

26 At the end of this street demonstration, the students published a press statement signed as “revolutionary, democratic, patriotic students” by announcing their aim to “try to build and destroy the old and corrupted order with all its institutions”. Other left-wing youth groups also gave their support, which was not the case before. The students in Genç-Sen were faced with different student groups since the beginning of their foundation. On one hand, some of the socialist and communist organizations and parties were defending that creating a union to represent the students’ demands was not based on a class ideology and young people’s demands shouldn’t be separated from society’s demands. Since the main cleavage in the society was the labour-capital cleavage, building an organization based on student identity was an attack on the unity of the working class identity. On the other hand, right wing, nationalist, Islamic youth associations and organizations are the other rivals of Genç- Sen in universities. It is observed that the newcomers get easily convinced by these movements because of the facilities, housing and financial advantages that they offer to students. The fights between the ultra-nationalist youth groups such as the youth branch of the Nationalist Action Party, Milliyetçi Hareket Partisi, who can rather be called Ülkü Ocakları, become violent especially in universities like Istanbul University or Ankara University.

27 However, student associations and youth branches of socialist and communist political parties started to sign press statements together with Genç-Sen and organize common demonstrations with the impact of the state repression and police violence. Hence, during the fourth congress of the Genç-Sen on March 19, 2011 held in Ankara with the participation of about 900 students, the union decided to adopt as its “political axis” the objective of fighting against the Council of Higher Education, the policies of the government, the capitalist market policies, the uncertainty of students’ futures, and the process of Bologna related to the adhesion of Turkey to the European Union. They have also emphasized the importance of defending “the cause of workers and martyrs of the revolution” referring to the 1960s and 1970s26.

28 Thereupon, it can be seen that the students have started to get interested in different problems and political issues by adopting different strategies and slogans referring usually to the social movements of the 1960s and 1970s. Thus, it seems essential to emphasize the effect of the traditional left-wing organizations, including DİSK, during the emergence of Genç-Sen and the formation of its collective action repertoires as well as their evolution and radicalization.

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Activist identity at the intersection of the legacy of the 1960s and student youth of the post-1980 period

29 Demet Lüküslü defines two kinds of disinterest for politics as active and passive by pointing out that youth of post-1980s had an attitude of active disinterest (Lüküslü, 2005). The youth prefer staying out of politics on purpose as they believe that politics is corrupted (Lüküslü, 2005). On the other hand, Alpay Kabacalı, specialist in social movements of the 1960s and 1970s, explains that students' interest in politics and their eagerness to organize and express themselves on political and social issues had risen during the constitution of 1961 that provided broad rights and freedoms (Kabacalı, 2007). Furthermore, Mahmut Tezcan, after analyzing the events and the problems of students during the 1960s and 1970s, declares that student movements were organized with a political and ideological sense (Tezcan, 1991). Hence, in the analysis of Genç-Sen, it can be seen that the union pursues the legacy of student movements of 1960s and 1970s since the students praise political life and try to keep the legacy of the 1960s and 1970s by organizing street demonstrations and using slogans of traditional revolutionary movements and organizations such as Dev-Genç27.

30 Moreover, the fact that the union is mainly founded by trade unionists at DİSK, who was a major actor in the social movements of the 1960s and 1970s, mark the identity of Genç-Sen as following the collective action tradition of the Confederation. Genç-Sen can constitute in this sense a proper case for the academic debate on how and why people mobilize. Olivier Fillieule states that the articulation of themes and the formulation of tensions are determined with constraints but no social movement can emerge without a minimum political opportunity. Moreover, he adds that the context, in which a protest movement is born, has a large influence on its chances of success (Fillieule, 1993). In addition to this, Olivier Fillieule and Cécile Péchu state that “Compared to the work of Mancur Olson, the originality of McCarthy and Zald28 is to have concentrated their thoughts on the resources themselves, their modes of acquisition by organizations and their strategic use. According to them, the study of aggregation of resources (money and time) is crucial for understanding a movement; yet this aggregation process is only possible if there is a prior organization.” (Fillieule and Pechu, 1993). They give the example of the anti-abortion movement’s victory in the United States that can be explained by the assistance provided by the Catholic Church and the Protestant fundamentalists, as well as the funds and facilities offered by a wide recruitment base and a genuine conviction among public opinion (Fillieule and Pechu, 1993 : 83-85).

31 In this context, resource mobilization and the openness of political systems becomes important in order to understand the identity of Genç-Sen and the evolution of its action. While the students are sorely repressed and marginalized by the political power, the union is supported financially by DİSK and profits from the resources of the unions and other democratic organizations utilized against repression. Furthermore, the political participation process of students in Genç-Sen can be explained by using as a basis the observations of Doug McAdam during his research on “Freedom Summer” in the United States of America. He points out that participating in a high-risk activity is easier when there is a recruiting agent like a friend who facilitates the link between the participant and the organization or activity (McAdam, 1986). In this context, it can be

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seen that even though the demonstrations of Genç-Sen are confronted with police violence or student arrests, the relationships between student members of Genç-Sen and non-members are often strong enough to encourage the latter to participate, overcoming the perceived threat of the police.

32 The radicalization of Genç-Sen's activities and its discourse that goes back to leftist political groups of the 1960s show us how the students had begun to situate themselves on the left of the political scale. The emphasis made on “the martyrs of the revolution”, referring to young socialist activists killed during the 1960s and the 1970s, the “class struggle against the capitalist system” and the use of street demonstrations as a part of its collective action repertory29 can be considered as the main traces of this activist heritage. Since the young activists preferred making personal contact with students and going out to the streets, it could be possible to state that the union's activism is in continuity with the traditions of the 1960s and 1970s. The adoption of this heritage got clearer with the aggravation of state policies against the youth. Even though Genç-Sen started its activities by talking about students' daily problems, by the end of 2010, the demonstrations about other political issues and the use of references to socialist youth organizations of the 1960s and 1970s became more common. They started to publish declarations and news about the political agenda of the country such as arrests of hundreds of students, dozens of journalists, trade unionists, lawyers and professors accused of being “terrorists”, and the authoritarian internal and international politics of the AKP government30. They organized a concert for solidarity with arrested students on 31 March 2012 where they have carried pictures of socialist youth leaders from the 1960s and 1970s in order to show the continuity of the cause of their struggle31 and made a short film to protest the arbitrary arrests of students32.

33 As to the relationship of Genç-Sen with new forms and new spaces of political engagement, we see that young activists remain suspicious about online mobilization through social networks like Facebook, Yahoo Groups and Google33. The words of Aziz, a member of Genç-Sen illustrate this distrust "How can you trust someone who has said he will participate in the event the next day on Facebook? You do not know and you never know if he would be there by your side or he would escape when the police intervened"34. Furthermore, another member Emre argues: "These are strategies to keep young people away from the political arena, away from streets by isolating them at home and ensuring that they stay there longer. They become increasingly isolated and alone and this reduces the solidarity between them. When they start thinking that online mobilization is safer and easier, they begin to prefer not to walk on the streets so they become unable to show that they are there to express their problems. And this causes the weakening of social protest and increases the obedience to the prohibitions and to the police force"35.

34 Thereupon, according to the division of Bernard Preel, it can be said that students in Genç-Sen define themselves differently from the "generation of Internet" and their identity carries the traces of the "generation of May 1968" due to their attachment to social movements during this period (Preel, 2005). Putting forward the importance of street protests and refusing to get too involved in new forms of collective action, Genç- Sen distinguishes itself from the new Internet generation.

35 Ozan Gündoğdu declares in his article entitled “Crises and opportunities of the Student Movement in Turkey” that the tension between “the admiration of the pre-1980 period’s student movements” and “the necessity to renew itself” mark student

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movements of the post-1980 period (Gündoğdu, 2011). Consequently, this tension takes the form of the tension between “the admiration of the activism and protest culture and tradition of students during 1960s and 1970s” and “the necessity to understand the form of “student unionism” and act according to its basic engagement areas by constantly reforming itself as well”. Since the students represent a social category that changes and members get replaced by new students each year, Genç-Sen has evolved a lot and continues to constantly reformulate its demands, discourse and activities, being also influenced by changes in the political context (Erdinç, 2012). On one hand, the claim to obtain the students' right to found a “sendika”, the fight against YÖK, for a free and scientific education in one's mother tongue and for better university life conditions are still cross-cutting issues in Genç-Sen’s mobilization. However, in the light of the findings of this fieldwork, it is possible to say that the student union, using a discourse more attached to traditional left-wing socialist values, can be considered as heirs to "old social movements" actors. This brings us back to the main analysis object and helps us give an answer as to how the union is the result of the meeting of old and new actors of the left and to what extent it is possible to say that Genç-Sen introduced a new way of mobilizing for the student movement in Turkey with different forms of collective action repertoires.

Conclusion

36 In conclusion, it is possible to observe that state policies have direct effects on mobilization forms and on the demands of social protest actors in Turkey. New alliances among the left-wing organizations in general and trade unions in particular to fight against repressive and neoliberal policies are being formed. These alliances lead to the creation of hybrid strategies, collective action repertoires and hybrid discourses that articulated traditional and new actors. While the form of the "student union" is new to students’ political engagement, the evolution of Genç-Sen allows us to state that the union can be seen as a hybrid organization that will continue to evolve through the participation of more young activists, heirs of the 1960s and 1970s. According to Taner Timur, “The university system problem is a social class and political power issue. We cannot build a democratic, free and creative university without creating a political life based on popular classes and at their service.” (Timur, 2000).

37 Hence, throughout my fieldwork and observations, it can be said that the conditions of students and Genç-Sen stand at the intersection of different variables related to the university and trade unionist field and to the power struggles in the country. In the context of Cold War, the left-wing student movement of the 1960s and 1970s protested against The United States' policies and the Turkish State's attitude vis-à-vis socialist and communist groups. The fight against the capitalist system of the United States and Turkey's support became key points in the political identity of the students in the 2000s in Genç-Sen. The demands for fair tuition fees, student cafeteria prices, better accommodation, and a fair university selection system based on equality are the main themes that remain also indispensable for the students in Genç-Sen during the 2000s. In the context of Cold War, the left-wing student movement of the 1960s and 1970s protested against The United States' policies and the Turkish State's attitude vis-à-vis socialist and communist groups. The fight against the capitalist system of the United States and Turkey's support became important points in the political identity of the

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students in the 2000s in Genç-Sen. The emphasis put on class struggle and the unity of the student movement and the labour movement against the workers integration and the student youth into the capitalist system with authoritarian measures remains as one of the most vital ideological reference in use throughout the 1960s and 1970s and was still considered valid during the 2000s. In this context, DİSK keeps its central place as the trade union confederation who puts forward the class issues and a class struggle based trade unionism, whereas for example Türk-İş adopts a trade unionism based on social dialogue and good relations with the governments and the state.

38 In this context, the reelection of Recep Tayyip Erdoğan’s Justice and Development Party, Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP, on 12 June 2011 with a percentage of 49.9% for a third term36, the process of Turkey’s accession to European Union, the arrests of thousands of students, intellectuals, trade unionists, journalists and activists, and the closure of Genç-Sen by the court in 201237 are essential issues for the future. These changes leave us with the question of how Genç-Sen will evolve in this context and if it will become more radical and engaged. The students are faced with organizational difficulties because of the other kinds of organizations such as rightwing, Islamic and ultranationalist youth associations and groups: "There are fights that get physical and our information desks are attacked by the nationalist students who take us as terrorists. They tear off our posters and announcements on the walls of the university" says one of the members of Genç-Sen38. In addition to this, the left-wing activists and intellectuals argue that the students union had to be founded by the students themselves so the intervention of DİSK constitutes a problem of autonomy for the students39. Thus, the students in Genç-Sen are faced with many challenges. The learning process of student union activism based on a class struggle approach is still an ongoing question for the students and the legacy of the 1960s and the 1970s remain an ideological and organizational resource during this process. The formation process of the identity of Genç-Sen has not ended yet and the union tends to reformulate its demands and its collective action repertoires, adapting them to new kinds of challenges, constraints as well as opportunities with the evolution of the political context, and the resources of different social protest actors and organizations.

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APPENDIXES

1. “Word, decision, future to youth”

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2. A poster from the concert for Solidarity with Arrested Students on 31 March 2012; youth leaders of the 1960s and 1970s Mahir Çayan (on the left) and Deniz Gezmiş (on the right) seen on the picture.

Source : http://www.etha.com.tr/Haber/2012/03/31/genclik/tutuklu-ogrenciler-icin-bulustular/, 27.01.2013.

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3. Police Violence from a street demonstration of the Union

Source : URL :http://www.posta.com.tr/turkiye/HaberGaleri/ YOK_protestosuna_polis_mudahalesi.htm?ArticleID=74002&PageIndex=5, tiré le 16.06.2011.

NOTES

1. For more information on youth in the 1990s see, Lüküslü, Demet (2008), « New Youth Movements and New Political Attitudes in Turkey », Ninth Mediterranean Research Meeting, Florence, European University Institute, 12-15 March. 2. DİSK is one of the three workers’ trade union confederations in Turkey, founded in 1967. It is mainly based on a socialist and social democratic ideology whereas the other two trade union confederations, Türk-İş (1952) and Hak-İş (1976), can be placed on a more centrist point on the political scale. It had close ties with political parties like Türkiye İşçi Partisi, TİP (Labour Party of Turkey), Türkiye Komünist Partisi, TKP (Communist Party of Turkey) and Cumhuriyet Halk Partisi, CHP (People's Republican Party) during the 1970s while Türk-İş and Hak-İş had bonds with Demokrat Parti, DP (Democratic Party) and the Islamic-Conservative parties. The activities of DİSK were banned and its leaders were imprisoned after the coup of September 12, 1980. It was the only trade union that was banned, remaining so until the 1990s. 261 trade unionists of DİSK were convicted to 5 to 15 years of imprisonment in 1986 and 28 of its unions were closed (Tokol, 1991: 109). The confederation was reestablished in 1991 and found itself in a reconstruction period. For a more detailed analysis of trade unions in Turkey see, Türkiye Sendikacılık Ansiklopedisi, Istanbul, Turkey, Tarih Vakfı Yurt Yayınları. 3. To give an approximate number of unionized students, the number of branches can be multiplied with the number of students in each branch. According to the statistics announced by ÖSYM, Öğrenci Seçme ve Yerleştirme Merkezi, Student Selection and Enrolment Center in 2013, there are 177 universities in Turkey. There are 3.148.860 undergraduate students, 218.630 graduate students and 60.311 PhD students (turkpdrIstanbul.com, 2013). During my fieldwork, I observed that the university branches of Genç-Sen has approximately ten to twenty students. However, given the unionization rate among workers in Turkey, which is 8.8 %, one cannot expect a high unionization rate among students neither. Despite the relative high participation

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to youth organizations and associations in universities like ODTÜ or Istanbul University, the participation to Genç-Sen remains weak. 4. In order to understand the identity of the students, I asked to my interviewees questions about their families and home cities. Throughout my research, I realized that they were coming from middle or lower-middle class families, most of them civil servants or individual tradesman. Most of them were engaged politically during their youth or are still members or sympathizers of a political party or movement. Thus, in my graduate dissertation, I explained political affiliations, backgrounds and trajectories of the students and used my findings about their family and class affiliations in order to show that the reasons behind their political engagement were related with their social background and their socialization during their high school and higher education. However, in this article, I insisted on the impact of their socialization processes and political trajectories of the students more than the impact of their family backgrounds in order to demonstrate the role of the social networks by which the relations and the affiliations to the union were constructed. 5. For more information on rupture and continuities in social movements in Turkey see, Coşkun, Mustafa Kemal, « Süreklilik Ve Kopuş Teorileri Bağlamında Türkiye’de Eski Ve Yeni Toplumsal Hareketler », Ankara Universitesi Sbf Dergisi, 61-1. 6. “Disk 11. Genel Kurul Kararları” (2000), http://www.disk.org.tr/default.asp?page=contentid=125, 02.05.2011. 7. “CPE : l'UNEF compte 40 facs mobilisées” (09.03.2006), TF1 News, http://lci.tf1.fr/france/ 2006-03/cpe-unef-compte-facs-mobilisees-4856860.html, 25.11.2012. 8. It can be useful to note here that despite this international dimension of the founding process of Genç-Sen, in this article the national and the historical background will be examined in a more detailed way because of the lack of more findings and a proper research on the international networks, transnational mobilizations and the transmission and the adaptation of international experiences to different national contexts. 9. Interview, Man, Activist during the 1960s and 1970s student movements, Istanbul, 24.02.2011. 10. Interview, Man, 31 years old, Born in Edirne, Graduated from the Department of Fine Arts at Bilgi University in Istanbul, Activist and former member of a political party. Father: Civil Servant, Mother: Teacher, 15.02.2011. 11. Barışarock is an alternative rock music festival organized to protest the annual rock music festival RocknCoke sponsored by Coca Cola. “Barışarock: Karşı Festival’de 6. Yıl” (13.08.2008), http://arsiv.ntvmsnbc.com/news/454953.asp, 16.11.2012. 12. Interview, Man, Activist during the 1960s and 1970s student movements, Istanbul, 24.02.2011. 13. “Türkiye’nin İlk Öğrenci Sendikası Kuruldu” (2007), http://www.dunyabulteni.net/ index.php?atype=haberarchive&articleıd=29689, 16.09.2012). 14. “Genç-Sen Tüzük” (14.10.2009), http://gencsenbalikesir.blogspot.fr/2009/10/tuzuk.html, 16.11.2012. 15. Disk, Genç-Sen’e Kapatma Davası Açıldı, http://www.disk.org.tr/default.asp? Page=Content&ContentId=553, consulted on 26.11.2012. 16. “Neler Yaptık?”, http://www.gencsen.org/index.php? option=com_content&task=blogcategory&id=22&ıtemid=50, 23.11.2011. 17. “La Charte de Grenoble” (1946), http://unef.fr/2011/06/09/la-charte-de-grenoble/, 13.12.2013. 18. Interview, Man, 22 years old, Born in Bingöl, Student in the department of political science and international relations in University of Yıldız Teknik in Istanbul, Member of a socialist political party since 2007, Mother:Housewife, Father: tradesman, 24.02.2011. 19. Interview, Man, 21 years old, Born in Antalya, Student in the Department of International Relations of Istanbul University. Activist since high school and member of a political party, Father: Self-employed, Mother: Retired, Istanbul, 03.03.2011.

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20. Interview, Man, 27 years old, Student in the Department of Law at Istanbul University, Activist and member of a political party, Father: Commerce, Mother: Housewife, Istanbul, 07.03.2011. 21. Even if the left wing political axis is hard to define in Turkey, since there are many different fractions in the left, I can note that when I talk about a left wing political axis in Genç-Sen, it includes pro-Kurdish activism, socialist in a sense different than European socialists where it means rather social democrats than socialists or marxists-leninists as is the case in Turkey. 22. “Kongreyi Protesto Eden Öğrencilere Polis Saldırdı” (27.05.2011), http://bianet.org/bianet/ ifade-ozgurlugu/130298-kongreyi-protesto-eden-ogrencilere-polis-saldirdi, consulted on 15.03.2011. 23. “Öğrenciler meclisten ayrıldı” (2010), http://www.etha.com.tr/Haber/2010/12/07/genclik/ ogrenciler-meclise-girdi/, consulted on 08.10.2013. 24. “Student shot in Muğla dies in hospital”, http://www.hurriyetdailynews.com/default.aspx? pageid=438&n=shot-student-from-mugla-died-at-hospital-2010-05-19, consulted on 30.05.2011). 25. The assassination of 16 March 1978 refers to the murder of 7 students who were members of various left wing parties by students who were members the ultranationalist party, Nationalist Action Party, Milliyetçi Hareket Partisi, MHP, in University of Istanbul. 26. “Genç-Sen 4. Olağan kongresi toplandı”, http://www.gencsen.org/index.php? option=com_content&task=view&id=596&Itemid=50, 11.05.2011. 27. Dev-Genç, Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire était l’organisation étudiante principale au sein de laquelle les étudiants socialistes s’étaient organisés dans les années 1960. Yıldırım, Ali (1997), FKF Dev-Genç Tarihi (1965-1971), Istanbul: Doruk. 28. For more information see, Mccarthy, J. D., Zald, M. (1977). “Resource Mobilization And Social Movements: A Partial Theory”, American Journal Of Sociology 82 (6): 1212–41. 29. The notion of collective action repertoires is taken from Charles Tilly. For another study on repertoires see, Traugott, Mark (1993), “Barricades as Repertoire: Continuities and Discontinuities in the History of French Contention”, Social Science History, Vol. 17, No. 2 (Summer). 30. “Genç-Sen Haberler”, http://kampusgazetesi.net/kampusgundem.html, 26.11.2012. 31. "Tutuklu Öğrenciler İçin Buluştular” (2012), http://www.etha.com.tr/haber/2012/03/31/ genclik/tutuklu-ogrenciler-icin-bulustular/, 31.03.2012. 32. “Genç-Sen’den Tutuklu Öğrenciler İçin Kısa Film” (2012), http://ekmekveozgurluk.net/ genclik/genc-senden-tutuklu-ogrenciler-icin-kisa-film/, 10.05.2012. 33. For more information on virtual social networks see, Aygul, Eser, Binark, Mutlu, Borekci, Senem, Comu, Tugrul, Toprak, Ali, Yildirim, Ayşenur (2009), Toplumsal Paylaşım Agı Facebook : « Goruluyorum Oyleyse Varim », Istanbul: Kalkedon Yayinlari. 34. Interview, Man, 23 years old, Born in Bingöl, Student in the Department of political science in the University of Yıldız Teknik in Istanbul, Member of a political party, Father: Commerce, Mother: Housewife, Istanbul, 24.02.2011. 35. Interview, Man, 27 years old, Istanbul, 07.03.2011. 36. “Türkiye Genelinde Oy Dağılımı” (12.06.2012), http://secim.haberler.com/2011/, 14.01.2013. 37. “Genç-Sen Kapatıldı” (2011), http://www.sendika.org/Yazi.Php?Yazi_No=39966, 03.05.2012. 38. Interview, Woman, 21 years old, Born in Edirne, Student in the Department of Natural Sciences in the University of Istanbul, Became member of a political party and a leftwing activist during her engagement with Genç-Sen, Istanbul, 02.03.2011. 39. It might be added here that during my fieldwork, I noticed more of an administrative autonomy from the union, except some financial and material help for the organization of the demonstrations, rather than a dependence on the directors and decisions of DİSK. DİSK ceased to be a part of the decision-making process of the student union by avoiding imposing demands or claims on Genç-Sen. However, it is not possible to state that DİSK is out of the picture in the

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organization and mobilization of the students. It is the legal department of DİSK who follows Genç-Sen's trial in court and the address of the headquarters of DİSK in Istanbul is still shown as the address of the headquarters of Genç-Sen. Nevertheless, I should note that since my fieldwork was constructed mainly on the student union and its evolution, DİSK's recent attitude and the extent of engagement with Genç-Sen's activities remain a question to be answered in a future research project.

ABSTRACTS

The acceleration of neoliberal policies in the mid-1980s led to a rise in social inequality and unemployment during the 2000s in Turkey. Students, influenced by both state repression and the aggravation of economic conditions, became major actors in social movements. The Confederation of Progressive Trade Unions, Devrimci İşçi Sendikaları Konfederasyonu (DİSK), which had been in a period of reconstruction since its reestablishment in 1991, had triggered the foundation of a student union. In 2007, Öğrenci Gençlik Sendikası (Genç-Sen), the first students’ union, in Turkey, was founded. This article, based on observations and interviews conducted in February and March 2011, examines the emergence and the structure of Genç-Sen and the evolution of its discourse and mobilization strategies. I argue that the organization was strongly affected by the legacy of 1960s and 1970s and by the tradition of labour unionism.

INDEX

Keywords: Turkey, Mobilization, Social Networks, Collective Action Strategies, Trade Unionism, Youth Movements, Student Unions.

AUTHOR

IŞIL ERDINÇ Université Paris-I Panthéon Sorbonne Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP)

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Le YÖK et la démobilisation collective du milieu universitaire en Turquie (1982-1987) : les mécanismes de la répression YÖK and the collective demobilization of Turkish academia (1982-1987): about repression mechanisms

Murat Yılmaz

Introduction

1 Dans le domaine de la sociologie des mouvements sociaux, la plupart des recherches se sont focalisées sur l’étude des phénomènes de l’engagement, du recrutement et de la mobilisation collective. Selon Olivier Fillieule, c’est à partir du début des années 1990 que l’on constate un changement de cap de la recherche qui commence aussi à s’intéresser au désengagement individuel et à la démobilisation collective (Fillieule 2005). Cependant, malgré cette réorientation de la recherche, les travaux consacrés à la mobilisation collective et à l’engagement individuel restent quantitativement plus importants.

2 La notion de démobilisation renvoie à une pluralité de phénomènes allant du désengagement individuel à la démobilisation politique d’une société entière. Parmi les différentes causes expliquant la démobilisation, la répression (les politiques coercitives, la violence d’État, etc.) a fait l’objet de vastes recherches donnant naissance à une littérature abondante (Tilly 1978 ; Della Porta 1995 ; Mc Adam 1999).

3 Un tableau général se dégage de cette littérature. En effet, les travaux s’intéressant à l’étude du couple « répression-démobilisation » dans une relation de causalité, distinguent deux types d’effet de la répression sur la protestation. Selon la perspective de la mobilisation des ressources, la répression est avant tout dissuasive du fait que le coût de la participation militante est évalué comme étant très élevé, tandis que pour les

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approches s’inspirant de la théorie de la frustration, elle a tendance à radicaliser les contestataires. Afin de sortir de cette vision causaliste, un peu simpliste et dualiste, Karl-Dieter Opp et Wolfgang Roehl nous invitent à poser le problème autrement, de façon à distinguer les effets différenciés de la répression selon les conditions et le contexte (Opp et Roehl 1990).

4 Les études plus récentes (Davenport, Johnston et Mueller 2004 ; Brockett 2006 ; Fillieule et Della Porta 2006 ; Tilly et Tarrow 2007), insistent sur la multiplicité et la variabilité des facteurs intervenant dans l’analyse de la relation répression-mobilisation. De ce fait, il est devenu plus raisonnable de considérer chaque cas comme un cas singulier au lieu de vouloir établir un modèle explicatif général.

5 Afin d’apporter notre contribution à la réflexion sur les effets de la répression, notre article se propose d’étudier, dans une approche interactionniste (Fillieule 2010), l’impact de la répression sur la démobilisation du milieu universitaire dans le contexte dictatorial et sécuritaire de la Turquie des années 1980. Pour cela, après avoir exposé le contexte historique dans lequel les universités turques sont devenues un site de politisation, de contestation et de mobilisation, nous allons identifier les mécanismes répressifs instaurés par les agents répressifs, à savoir le Conseil de l’Enseignement Supérieur (YÖK-Yüksek Öğretim Kurulu), pour les mettre ensuite en relation avec le répertoire d’action des étudiants protestataires. Il est utile de préciser que notre analyse porte uniquement sur les effets à court terme de la répression sur le milieu universitaire.

6 Du point de vue méthodologique, nous avons opté pour une approche qualitative basée sur sept entretiens (quatre anciens étudiants et trois professeurs). Tous les ex-étudiants interviewés ont comme point commun d’avoir été engagés à gauche. Parmi les professeurs, nous en avons un avec une sensibilité de gauche (Mete Tuncay), un autre se situant au centre-gauche (Burhan Senatalar) et un troisième plutôt peu engagé (Zafer Toprak). Nous avons fait le choix de n’interviewer que des individus engagés à gauche parce que les mouvements contestataires de gauche et d’extrême gauche ont joué un rôle central et principal dans les mobilisations sociales au sein des universités turques dans les années 1960-1970. C’est pourquoi, la répression instaurée par le coup d’État de 1980 les a désignés comme cible prioritaire. Elle a plus touché les forces de gauche que celles de droite.

I. Le contexte historique

L’émergence de l’université comme lieu de contestation et de mobilisation collective

7 Dès la fondation de la République de Turquie en 1923, les kémalistes assignent à l’enseignement supérieur la fonction importante de formation des élites étatiques qui ont pour devoir de poursuivre les réformes kémalistes (Kazamias 1966). En 1933, la fermeture du Darülfunun1 et sa transformation en l’université d’Istanbul, la première université de Turquie, s’inscrit dans cette volonté de faire de l’université le vecteur principal au service de la modernisation et de l’occidentalisation du pays. Les raisons invoquées par les kémalistes pour justifier l’abolition du Darülfunun sont, d’une part, son manque d’engagement dans la défense des principes kémalistes sous-tendant la création de la République et, d’autre part, son insuffisance à développer et promouvoir

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un enseignement scientifique moderne (Arslan 2004 : 116). Parallèlement à la réforme de l’éducation supérieure, un rôle capital est attribué à la jeunesse turque éduquée qui est d’incarner l’idéologie du nationalisme turc et de protéger les valeurs de la République (Okçabol 2007). Au sein de l’université, l’association Nationale des Étudiants Turcs (MTTB, Milli Türk Talebe Birliği), établie en 1924 et très liée au pouvoir étatique, est très active pour inciter les étudiants à soutenir les politiques du gouvernement kémaliste. Par conséquent, de 1923 à 1946, l’université devient progressivement le lieu de la politisation des étudiants universitaires sous la propagande idéologique de l’État.

8 Dans la seconde moitié des années 1950, cette politisation du milieu universitaire s’accentue en prenant la forme d’un conflit entre le gouvernement conservateur du parti démocrate (DP, Demokrat Parti) d'Adnan Menderes, arrivé au pouvoir suite à l’organisation des premières élections libres en 1946, et l’institution universitaire. En effet, à la fin des années 1950, les étudiants universitaires, fortement attachés aux principes kémalistes (Abadan 1963) et soutenus par une grande partie de leurs professeurs ainsi que par le parti Républicain du Peuple (CHP, Cumhuriyet Halk Partisi), se mobilisent pour dénoncer les politiques « réactionnaires » du DP et combattre les mesures autoritaires introduites par celui-ci dans le but de surveiller étroitement l’université et de limiter sérieusement le droit d’expression du corps professoral (Arslan 2004 : 213-313). Devenant l’objet de la répression policière dirigée par le DP, les étudiants appellent l’armée turque à intervenir afin de renverser le gouvernement d'Adnan Menderes. Celle-ci répond à cet appel en réalisant le coup d’État du 27 mai 1960 qui se traduit par le reversement du DP (Mutlu Ulus 2011).

9 Le coup d’État de 1960 donne naissance à la constitution libérale de 1961 qui permet en Turquie le développement des libertés individuelles et l’élargissement des droits politiques, économiques et sociaux. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la nouvelle constitution renforce l’autonomie académique et administrative de l’université. Dans le domaine politique, elle reconnaît des garanties explicites aux libertés de pensée, d’expression et d’association permettant l’ouverture du système politique. “The liberal constitution of 1960 allowed more room for the expression of alternative political views, and a legal party emerged on the left for the first time.“ (Neyzi 2001 : 418). Par conséquent, elle exerce un effet important sur la diversification de l’offre idéologique qui a comme conséquence la libre diffusion des idées de gauche.

10 En peu de temps, c’est-à-dire déjà à partir du début des années 1960, les universités turques commencent à devenir le lieu de la contestation estudiantine. Dans la première moitié des années 1960, les revendications des étudiants sont avant tout de nature académique. Ils réclament une amélioration de leurs conditions d’étude qu’ils jugent précaires. Par exemple, ils se mobilisent, via l’organisation de manifestations, de boycotts, de sit-in, pour demander une augmentation des effectifs (plus de professeurs) et un développement rapide des infrastructures universitaires (plus de dortoirs, de salles de cours, de laboratoires de recherche, de bibliothèques, etc.). La Turquie, pays en voie de développement et en pleine croissance démographique, a de la peine à satisfaire les besoins de sa population jeune en matière de demande d’éducation supérieure. En effet, le nombre d’étudiants qui est de 20 000 en 1945 passe à 65 000 en 1960. De plus, le système universitaire, plutôt élitiste jusqu’aux années 1950, se démocratise en s’ouvrant aux étudiants issus des classes sociales inférieures provenant pour la plupart des zones rurales du pays (Landau 1997 : 4). Dans le courant de la seconde moitié des années 1960, sous l’influence d’un contexte international très

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mouvementé (la guerre du Vietnam, Mai 68, etc.), les revendications académiques prennent la forme de demandes politiques radicales.

11 La Fédération des clubs d’opinion (FKF, Fikir Kulüpleri Federasyonu), créée en 1965 par des représentants d’étudiants universitaires proches du parti du Travail de Turquie (TIP, Türkiye Işçi Partisi), joue un rôle important à la fois dans la socialisation politique des étudiants aux idées de gauche et dans la transformation du milieu universitaire en un site de mobilisation et de contestation de l’ordre établi (Feyizoğlu 2004). Les grandes figures de l’extrême gauche telles que Deniz Gezmiş, Yusuf Aslan, Hüseyin Inan, Mahir Çayan, Ibrahim Kaypakkaya passent par le FKF. Sous l’effet conjugué de facteurs externes (les mouvements de guérilla en Amérique du Sud) et internes (les politiques répressives du parti de la Justice, AP, Adalet Partisi), les jeunes militants universitaires, membres du FKF, insatisfaits par la vision parlementariste et réformiste du TIP, décident de fonder leur propre organisation en créant la Fédération des associations de la jeunesse révolutionnaire (Dev-Genç, Devrimci Gençlik Dernekleri Federasyonu), une organisation de jeunesse prônant la lutte armée, à savoir une forme de guérilla urbaine (Aydınoğlu 2011 : 243-249). De ce fait, le mouvement estudiantin se radicalise politiquement pour devenir une contestation antisystème et anti-impérialiste (Landau 1974 : 29-44). Face à la montée de la jeunesse révolutionnaire, le Parti d’Action Nationaliste (MHP- Milliyetçi Halk Partisi) de Türkeş, un parti nationaliste fortement anti-communiste et anti-séparatiste, s’organise par le biais de ses Foyers de l’idéal (Ülkü Ocakları), un réseau d’associations de jeunesse très actif dans les provinces anatoliennes, pour mettre en place des camps de commando afin de former des milices anti-communistes (Uysal 2012). Ainsi débute une escalade de la violence opposant dans une lutte armée l’extrême gauche à l’extrême droite.

12 Le cycle de protestation et de mobilisation des années 1960, donnant notamment lieu à des affrontements violents entre groupements extrémistes au sein des universités turques, est interrompu provisoirement par le coup d’État de 1971 pendant une période d’environ trois ans correspondant à la durée de l’état de siège (1971-1973). Ce coup d’État, assumé par la présidence de l’état-major, consiste en un mémorandum adressé par les militaires, sous la forme d’un ultimatum, au gouvernement de l’AP de Süleyman Demirel qui le contraint à abandonner le pouvoir. Le régime militaire a comme priorité de rétablir l’ordre dans les universités turques devenues le lieu d’une forte agitation politique. Autrement dit, il cherche à démobiliser le milieu universitaire. Le mémorandum militaire du 17 mars 1971 provoque, à l’inverse du coup d’État de 1960, la fermeture du système politique sous l’effet d’une série d’amendements constitutionnels visant à remettre en cause les acquis de la « révolution » du 27 mai 1960. De ce fait, le coup d’État de 1971 est suivi par la modification de la loi sur l’enseignement supérieur entraînant une limitation de l’autonomie des universités et leur assujettissement au contrôle étatique. Cependant, avec la fin de l’état de siège en 1973 et le retour à la vie parlementaire, la répression s’atténue, offrant de nouveau la possibilité aux mouvements étudiants de gauche de se réorganiser et de continuer leur lutte. Le cycle de mobilisation des années 1960-1970, qui a été provisoirement stoppé par le coup d’État de 1971, reprend après 1974 en s’intensifiant ; il devient un mouvement de masse vers la fin des années 1970. Une dynamique similaire à celle de la fin des années 1960 se met en place et se caractérise par des oppositions violentes entre les organisations d’extrême gauche et les forces d’extrême droite. Comme auparavant, les universités

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turques se trouvent au cœur des affrontements et des mobilisations en servant de base de recrutement et de lieu de politisation. « Dans l’université turque des années 1970, la politisation, quelles que soient ses formes, dépend moins des socialisations familiales que des contextes rencontrés par les individus et des modes de vie dans l’institution. » (Gourisse 2011 : 53).

Le coup d’État de 1980 et l’instauration du YÖK

13 Le coup d’État de 1980 met brutalement un terme au cycle de mobilisation, de contestation et de politisation des années 1960-70. Les militaires justifient et légitiment le coup d’État, c’est-à-dire leur arrivée au pouvoir, au nom de la sauvegarde de la nation et de la démocratie (Mutlu Ulus : 2011). Ce coup d’État, clairement de droite, est dirigé par la hiérarchie militaire sous la direction de Kenan Evren, chef de l’état-major. Sur le banc des accusés figurent en priorité la gauche, l’extrême gauche et les universités qui sont tenues responsables d’avoir précipité le pays dans le chaos et l’anarchie. Par conséquent, la dictature militaire exerce une répression brutale contre les forces de gauche (syndicalistes, intellectuels, artistes, enseignants, leaders de groupes étudiants, militants de base, etc.). Pendant l’état d’urgence qui dure trois ans, des milliers de personnes sont arrêtées, torturées et dans certains cas condamnées à l’exil (Duclert 2010). Selon Ergün Aydınoğlu, le coup d’État du 12 septembre 1980, s’inscrivant dans la continuité du mémorandum de 1971, avait comme objectif explicite à la fois de supprimer les acquis de la « révolution » du 27 mai 1960 et de faire disparaître les mouvements de gauche (Aydınoğlu 2011 : 470).

14 Cette oppression massive n’épargne pas non plus les universités. En effet, en 1981, en réformant la loi sur l’enseignement supérieur et en réinstaurant le YÖK, les généraux mettent un terme à l’autonomie administrative et scientifique de l’université. La création du YÖK ne date pas de 1981. Il a été fondé pour la première fois en 1973 suite au coup d’État du 12 mars 1971 (Timur 2000 : 293). Déjà à ce moment, les artisans du coup d’État, en établissant le YÖK, voulaient mettre fin à l’autonomie des universités avec l’introduction de la loi n° 1750 sur l’enseignement supérieur. Ils pensaient qu’il fallait à tout prix restaurer l’ordre dans les universités, servant de quartier général aux mouvements d’extrême gauche, en les soumettant strictement au contrôle de l’État. Ils échouèrent dans leur tentative puisque l’université d’Ankara et le parti Républicain du Peuple (CHP – Cumhuriyetçi Halk Partisi) réussirent en 1975 à faire annuler la loi devant la cour constitutionnelle (Timur 2000 : 293). De ce fait, le YÖK continua d’exister comme une institution avant tout symbolique dont la mission se résumait à établir la coordination entre les universités.

15 En réactivant le YÖK et en le dotant de grands pouvoirs et prérogatives dans le domaine de l’enseignement supérieur, le coup d’État de 1980 a finalisé ce que le précédent n’avait pas réussi à faire. Le YÖK, en tant qu’institution étatique centralisatrice et anti- démocratique, a le devoir de veiller à l’application de la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur, connue sous le nom de loi n° 2547 (Hatiboğlu 1997 : 36-37). Tous les membres du YÖK sont choisis par un ensemble d’instances que sont le Président de la République de Turquie, le gouvernement, le ministre de l’éducation, le chef de l’armée et l’organisation interuniversitaire. A son tour, le YÖK nomme les recteurs, les doyens et les professeurs. Par conséquent, les universités ne sont plus en mesure d’élire leurs propres représentants. C’est la logique de la nomination qui prévaut totalement sur celle de l’élection (Şimşek : 2006).

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16 En outre, le YÖK, pour remplir ses tâches relatives à l’organisation de l’enseignement supérieur, dispose du soutien de trois organisations qui lui sont rattachées : le Comité de Surveillance de l’Enseignement Supérieur (YDK-Yükseköğretim Denetleme Kurulu), le Centre de Sélection et de Placement des Étudiants (ÖSYM-Öğrenci Seçme ve Yerleştirme Merkezi) et l’Organisation Interuniversitaire (ÜAK-Üniversiteler Arası Kurul) (Hatiboğlu 2000 : 286-289). Le YDK représente un véritable mécanisme de répression qui a comme mission de surveiller les universités, c’est-à-dire les activités du corps enseignant et des étudiants, de rédiger des rapports et si besoin de mener des enquêtes sur les professeurs et étudiants jugés dissidents. Les représentants du YDK siègent dans la direction de l’université et collaborent étroitement avec la police.

17 Dès son instauration, le YÖK entreprend une répression physique et idéologique au sein des universités turques. Suite à l’application de la loi n° 1402 adoptée en 1983, plus d’un millier d’universitaires sont exclus de la fonction publique (Monceau 2007 : 201). D’un point de vue idéologique, même si le YÖK a toujours eu la prétention de « désidéologiser » ou « dépolitiser » les universités turques pour inciter les étudiants à se focaliser sur leurs études universitaires et non à s’engager dans des activités politiques militantes, il a favorisé notamment au sein de l’enseignement supérieur la propagation de la synthèse turco-islamique (Tufan et Vaner 1984 : 175-194).

18 Selon cette idéologie, il y aurait une prédisposition de la nation turque à embrasser l’Islam, à le développer et à le répandre. Après le coup d’État de 1980, d’abord la junte militaire et ensuite le parti de la Mère Patrie (ANAP-Ana Vatan Partisi) de Turgut Özal ont fait la promotion de la synthèse turco-islamique par le biais du ministère de l’éducation nationale en rendant obligatoire les cours de religion à l’école secondaire et en autorisant la réouverture des écoles coraniques (Imam-Hatipler). D’autres organismes étatiques tels que l’organisation de planification de l’État (DPT-Devlet Planlama Teşkilatı) ainsi que la Haute Fondation Atatürk pour la Culture, la Langue et l’Histoire (AKDTYK-Atatürk Kültür, Dil ve Tarih Yüksek Kurumu) ont également rempli une fonction importante dans la détermination et diffusion d’une « culture nationale » signifiant l’officialisation de la synthèse turco-islamique, qui ainsi est devenue une composante principale de la politique culturelle de l’État (Copeaux 1999 : 327-342). D’après certains auteurs, l’État turc s’est servi de la synthèse turco-islamique pour former des citoyens musulmans et conservateurs, réfractaires aux idées de gauche. Autrement dit, il aurait utilisé le nationalisme turc et l’islam pour stopper le développement des mouvements de gauche et d’extrême gauche.

19 Dans le domaine de l’éducation supérieure l’impact de la synthèse turco-islamique est visible dans le contenu de la loi sur l’enseignement supérieur. En effet, selon l’article 4 de cette loi, qui depuis a subi quelques révisions, la mission de l’enseignement supérieur consiste à former des étudiants attachés aux principes d’Atatürk, plus particulièrement au nationalisme kémaliste, ainsi qu’aux mœurs et coutumes de la nation turque. L’article en question démontre qu’il n’est pas seulement question d’une « dépolitisation », mais bien d’une repolitisation à droite (Kitapçı 2000 : 6).

II. Le YÖK et les mécanismes de la répression

20 Dans une perspective historique, après avoir expliqué pourquoi et comment l’université turque est devenue un site de politisation, de contestation et de mobilisation, nous voudrions à présent rentrer dans le cœur de notre sujet en

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identifiant les mécanismes répressifs mis en place par les agents de la répression afin de mettre un terme aux mobilisations estudiantines. Pour cela, nous allons procéder à une variation de l’échelle d’analyse, en prenant en considération les aspects meso et micro de la répression. Au niveau microsociologique, nous nous intéresserons aux différentes formes de la répression (visible et/ou cachée, physique et/ou symbolique, directe et/ou indirecte, ponctuelle et/ou durable, continue et/ou discontinue, sélective et/ou indiscriminée, préventive et/ou réactive, etc.).

21 Les quatre anciens étudiants universitaires (Mehmet, Hasan, Alper et Erdal) interviewés présentent des similitudes quant à leur socialisation politique pré-universitaire. En effet, ils ont tous commencé leur engagement politique à gauche soit sous l’influence des membres de la famille et des amis, soit pendant l’école secondaire ou la période du lycée.

22 Mehmet est né et a grandi à Diyarbakır. Issu d’une famille de classe moyenne, avec un père commerçant et une mère femme au foyer, il a rapidement développé une conscience politique liée à la défense de la cause kurde et des classes sociales opprimées, qu’il situe au début de l’école secondaire. « Déjà à l’école secondaire, on passait du temps avec nos grands frères qui étaient étudiants au lycée, qui nous invitaient à leur séminaire portant sur les questions de l’histoire du peuple kurde et du socialisme ».

23 Au lycée, Mehmet a poursuivi son engagement politique en rejoignant les Associations Culturelles Démocratiques et Révolutionnaires (DDKD- Demokratik Devrimci Kültür Dernekleri), légalement reconnues par l’État, dont les objectifs consistaient à lutter pour la liberté du peuple kurde, à s’engager pour la défense d’un enseignement libre et démocratique et à être solidaire avec les classes dominées et exploitées.

24 Hasan, né à Diyarbakır, provenant d’une famille pauvre avec un père paysan et une mère au foyer, a développé une sensibilité politique assez tôt qu’il devait en grande partie à son cousin plus âgé qui avait exercé sur lui une grande influence. « Mon cousin faisait ses études à l’université d’Ankara. À chaque fois qu’il revenait au village, il m’apportait des livres sur les idées socialistes et communistes qu’il me conseillait de lire. Au fur et à mesure de mes lectures, j’ai commencé à développer une vision idéologique du monde. De plus, étant d’origine kurde, j’étais très sensible aux idées de gauche car elles prônaient aussi la liberté des peuples opprimés, notamment du peuple kurde. »

25 À l’inverse de Mehmet, Hasan n’est jamais devenu membre actif d’une organisation. Cependant, il a participé régulièrement aux activités de plusieurs organisations. Il a pris part à des manifestations, des boycotts, etc.

26 Alper est né à Ankara. Son père était enseignant au lycée et sa mère était femme au foyer. Il faisait partie de la classe moyenne. L’activisme politique a débuté pour lui pendant les années de lycée au sein d’un cercle d’amis. « Au lycée, il y avait deux groupes, d’un côté les étudiants fascistes nationalistes et de l’autre nous, les étudiants communistes. On était souvent amené à se battre, parfois les bagarres pouvaient être assez violentes. J’ai rejoint les étudiants communistes parce que j’avais des amis qui étaient dans ce groupe. »

27 Erdal est né à Istanbul au sein d’une famille plutôt aisée. De père fonctionnaire et de mère enseignante, il a fait ses études secondaires au Robert College, une institution éducative privée où l’enseignement se faisait aussi en anglais. Il a débuté son

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engagement politique au lycée en rejoignant un groupe d’amis qui participait à des séminaires sur l’histoire du socialisme et de la lutte des classes.

28 Par la suite, les quatre enquêtés ont poursuivi leur engagement politique à l’université dans un contexte très répressif caractérisé par la mainmise du YÖK sur les universités turques. Leur témoignage concerne les années 1980, plus précisément de 1982 à 1987.

L’interdiction de toutes les associations dans le cadre universitaire

29 L'une des premières mesures coercitives prises par le YÖK a été de mettre fin à la vie associative au sein des universités turques pour empêcher toute possibilité de mobilisation par l’intermédiaire de structures associatives. Le témoignage de Mehmet, étudiant à l’université de Diyarbakır de 1983 à 1987, illustre l’impact négatif que l’interdiction des associations a eu sur la mobilisation estudiantine. « Après l’interdiction de notre association (DDKD), on ne disposait plus d’une structure organisationnelle. Dans ces conditions, il était très difficile de maintenir un réseau de résistance et de lutte. »

30 De même que Mehmet, Erdal, étudiant à la faculté d’économie de l’université du Bosphore d’Istanbul de 1982 à 1987, a appris du jour au lendemain la dissolution de leur association estudiantine par la direction de l’université. « Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Alors que je me rendais à l’université comme d’habitude, je me suis fait aborder par un camarade qui m’a appris la fermeture de notre association. Bien évidemment, on était tous déçus de perdre notre association, mais pas nécessairement surpris. »

31 Suite à la disparition de leur association et conscients de l’importance de disposer d’une structure organisationnelle pour maintenir la mobilisation et continuer le combat politique, Erdal et quelques-uns de ses amis engagés ont tenté de fonder illégalement une association qui n’a jamais vu le jour. « Pendant deux ans, de 1983 à 1984, avec certains de mes camarades, on a essayé de créer illégalement au sein de l’université une organisation d’étudiants pour continuer la lutte politique et dénoncer la nature anti-démocratique du YÖK. Mais à chaque fois nos tentatives de rassemblement ont échoué du fait essentiellement de la peur des étudiants à s’engager. »

32 L’interdiction de s’associer ne s’est pas limitée seulement aux étudiants, elle a frappé aussi les professeurs. Le professeur Burhan Şenatalar, qui enseignait à la faculté des sciences politiques de l’université d’Istanbul au moment de la fondation du YÖK en 1981, a assisté impuissant à la disparition de leur association. « Toutes les associations ont été interdites. L’association de tous les enseignants (TÜMÖD-Tüm Öğretim Elemanları Derneği) dont je faisais partie a subi le même sort. Malgré notre opposition à la fermeture de notre association, nous n’avons rien pu faire. »

33 L’interdiction des associations a rendu certes plus difficile la mobilisation collective des étudiants universitaires ainsi que des professeurs dans l’espace universitaire. Néanmoins, à elle seule, elle ne peut pas expliquer la démobilisation collective du milieu universitaire. Pour pouvoir saisir dans sa totalité et sa complexité la répression du YÖK, il est nécessaire de passer à une analyse microsociologique des méthodes répressives.

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Les différentes formes de la répression

34 Afin de mesurer l’effet de la répression sur le milieu universitaire, il est important tout d’abord de prendre en considération les multiples formes de la répression. Ici, nous soutenons l’hypothèse selon laquelle le YÖK a contribué de manière significative à démobiliser et dépolitiser les universités turques parce qu’il a réussi à combiner plusieurs types de répression.

35 Dans un premier temps, il a exercé une répression directe, visible, physique et sélective. Selon les propos de Mehmet, c’est principalement la brutalité de la violence et la disproportionnalité des peines qui caractérisent le YÖK. « On ne pouvait plus se rassembler pour dénoncer quoi que ce soit. La moindre action ou protestation était réprimée très sévèrement. Par exemple, la participation à une manifestation pacifique anti-YÖK pouvait être sanctionnée par plusieurs années de prison. »

36 Le témoignage de Hasan va dans le même sens que celui de Mehmet. « Il y avait une présence permanente de la police au sein de l’université, on était régulièrement fouillés par les policiers avant de pénétrer dans l’enceinte universitaire. »

37 D’après Erdal, cette répression a aussi fortement touché l’institution universitaire. « Aussitôt après l’établissement du YÖK, on n’a plus revu certains de nos professeurs qui ont été expulsés de l’université. Ces expulsions que l’on percevait comme injustes, nous avaient profondément marqués. De plus, la direction de l’université a également été modifiée en profondeur. Un nouveau recteur et un nouveau doyen ont été nommés. Ils avaient comme particularité d’être des nationalistes conservateurs fortement anti-communistes. Après leur nomination, il y a eu des changements à tous les échelons de la direction. Tout le cadre administratif de l’université a été renouvelé. »

38 Les récits des trois professeurs interviewés, Burhan Şenatalar, Mete Tuncay et Zafer Toprak, soulignent l’aspect sélectif de la répression. Selon Burhan Şenatalar : « Prioritairement, les professeurs et étudiants soupçonnés de défendre des idées communistes ou d’appartenir à des organisations d’extrême gauche ont été exclus de l’université. Avec la mise en application de la loi n° 1402, une centaine de professeurs ont été radiés des universités turques. »

39 Mete Tuncay, enseignant à la faculté des sciences politiques à l’université d’Ankara au moment de l’établissement du YÖK, a été exclu de l’université avec quinze autres professeurs en 1983 suite à l’application de la loi n° 1402. Cette faculté a toujours été au cœur des contestations et soulèvements estudiantins. La plupart des grands leaders des mouvements d’étudiants des années 1960 et 1970 ont étudié à la faculté des sciences politiques d’Ankara. Mete Tuncay insiste aussi sur la forme sélective de la répression. « L’université d’Ankara avait la réputation d’être dominée par les étudiants de gauche. Par conséquent, le YÖK a procédé à un nettoyage de fond pour exclure de l’université les étudiants gauchistes. En premier lieu, toutes les associations ont été fermées. Deuxièmement, les leaders de groupes d’étudiants ou les étudiants les plus actifs politiquement ont été arrêtés et emprisonnés. Troisièmement, les étudiants suspectés de sympathie pour les idées de gauche ont été expulsés de l’université. Par la suite, le YÖK a continué d’exercer un contrôle systématique sur l’université. La présence permanente de la police et des policiers en civil au sein de l’université rendait presque impossible toute forme de protestation ou de mobilisation collective de la part des étudiants. C’était un véritable climat de terreur contre lequel personne n’osait vraiment se révolter. »

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40 Les dires de Zafer Toprak, professeur d’économie et d’histoire à l’université du Bosphore, sont plus ou moins similaires. « Même si l’université du Bosphore, comparée aux universités d’ÖDTÜ et technique d’Istanbul et la faculté des sciences politiques d’Ankara, était plus tranquille concernant l’agitation estudiantine, il y a eu tout de même plusieurs arrestations d’étudiants. Leurs associations ou organisations ont été interdites. C’était très difficile pour ceux qui avaient échappé à la prison de continuer à se mobiliser à l’université. Il faut bien comprendre que la Turquie se trouvait sous un état de siège et qu’il fallait être soit très courageux ou soit totalement inconscient pour se lancer dans des actions de protestation dans l’enceinte universitaire. »

41 À côté de l’utilisation d’une répression directe, visible, physique et sélective, le YÖK a eu recours notamment à une violence cachée, symbolique, continue (durable) et préventive. D’après Hasan, le YÖK a rapidement cherché la cooptation de certains étudiants pour en faire des informateurs. « Parfois on avait même du mal à faire confiance aux autres étudiants parce qu’on les soupçonnait d’être complices avec la direction de l’université et les policiers en civil. »

42 Selon Erdal, cette cooptation, qui visait aussi les professeurs, se faisait en échange de privilèges. « La direction de l’université en échange de certains privilèges essayait d’acheter la coopération des enseignants et étudiants. En gros, elle voulait les transformer en espion ou en Yökçü (défenseurs du YÖK). Ces privilèges étaient l’obtention facile de postes ; une progression rapide dans la carrière académique. Il est évident que beaucoup de professeurs, d’assistants et d’étudiants ont cédé à la tentation ou, pour être plus juste, à l’activité corruptrice du YÖK. »

43 Le récit de Mehmet, ainsi que celui d'Erdal, mettent l’accent sur la présence permanente des policiers en civil au sein de l’enceinte universitaire au service du Comité de Surveillance de l’Enseignement Supérieur, le YDK. Mehmet : « Ils (les policiers en civil) avaient le droit d’accéder librement aux dossiers des étudiants, ainsi ils étaient en mesure d’identifier les éléments « perturbateurs ». Même sur la base de soupçons sans qu’il y ait la moindre preuve, ils établissaient des rapports entraînant l’exclusion de l’université de certains étudiants. » Erdal : « Lors d’une manifestation contre le YÖK, je me suis fait interpeller par des policiers en civil et ensuite j’ai dû passer devant le conseil de discipline de l’université qui n’était rien d’autre que le YDK. À ma grande surprise, je n’ai pas été sanctionné. En fait j’ai reçu ma sanction plus tard lorsque j’ai postulé pour un poste d’assistant que je n’ai pas réussi à obtenir. Le professeur qui était chargé de recruter pour ce poste m’a avoué qu’il ne pouvait pas m’engager à cause de mon dossier qui n’était pas vierge. »

44 D’après les informations fournies par Alper et Erdal, la violence symbolique du YÖK a été ressentie dans le domaine du programme et contenu des cours ainsi que dans celui de l’habillement. Alper : « On n’était pas d’accord avec le contenu de certains cours qui relevaient plus de la propagande idéologique de l’État que de la transmission d’une connaissance scientifique objective. De plus, le nombre maximum d’examens prévu par jour par le règlement ne devait pas dépasser le nombre 2. Souvent, on s’est retrouvés à passer 4 examens dans la même journée. » Erdal : « On a assisté notamment à un changement du programme des cours dans le domaine des sciences sociales. Les cours portant sur le développement économique

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et le droit constitutionnel ont été supprimés pour être remplacés par des cours à forte consonance nationaliste. » Alper : « On devait aussi faire attention à la façon de s’habiller car le YDK imposait des codes vestimentaires qu’il fallait absolument respecter. Par exemple, il était interdit de porter des longs manteaux qui avant le coup d’État étaient un symbole d’appartenance à la gauche. Les hommes ne pouvaient pas se laisser pousser la barbe qui autrefois était un signe distinctif des étudiants de gauche et d’extrême gauche. J’ai dû passer une fois devant le comité de discipline de l’université, à savoir le YDK, parce que j’avais soi-disant une barbe trop longue. »

45 Nous pouvons aussi inclure, parmi les éléments caractérisant la violence symbolique, l’interdiction de certains livres. En effet, selon le professeur Burhan Şenatalar, le YÖK a imposé au corps professoral des restrictions concernant la liberté académique. « Nous avons reçu une liste de livres interdits que nous ne devions pas faire lire. »

46 Le facteur générationnel mentionné par le professeur Burhan Şenatalar met bien en évidence la dimension à la fois continue, à savoir durable, et préventive de la répression. « Il est évident qu’avec le coup d’État de 1980 et l’établissement du YÖK, la génération d’étudiants de la fin des années 1970 et du début des années 1980, qui était politiquement très engagée, a été démobilisée par l'action des politiques répressives visant à arrêter et à exclure des universités les leaders des mouvements étudiants et à empêcher au sein de celles-ci toute forme de mobilisation collective. L’application de ces politiques dans la durée le YÖK a fortement contribué à l’apparition d’une génération d’étudiants qui, ayant commencé l’université dans la seconde moitié des années 1980, était en grande partie apolitique ou dépolitisée. »

47 Autrement dit, selon les paroles du professeur Burhan Şenatalar, le YÖK a eu un effet décisif sur la démobilisation des étudiants universitaires en éliminant la génération politisée à gauche et en la remplaçant par une génération « apolitique ».

III. Les effets de la répression et la démobilisation collective

Une répression différenciée selon l’université

48 Selon les propos recueillis, la répression du YÖK ne s’est pas exercée de façon identique sur toutes les universités turques. Les établissements de l’enseignement supérieur les plus touchés par la contestation estudiantine, l’agitation politique et les affrontements entre les groupes extrémistes, ont été très sévèrement réprimés. Un point qui est bien souligné par Zafer Toprak. « À ma connaissance, la majorité des étudiants de l'université du Bosphore ne semblaient pas être impliqués dans les activités protestataires et militantes. Ceux qui étaient très actifs politiquement représentaient une minorité parmi les étudiants de l’université. Ils devaient sans doute avoir des affiliations avec le parti Communiste de Turquie (TKP, Türkiye Komünist Partisi) et le parti du Travail de Turquie (TIP, Türkiye Isçi Partisi). Par contre, les organisations d’extrême gauche telles que le parti et front de libération du peuple de Turquie (THKP-C, Türkiye Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi) ou l’armée de libération du peuple de Turquie (THKO, Türkiye Halk Kurtuluş Ordusu) prônant la lutte armée n’étaient pas influentes au sein de l’université du Bosphore. Par conséquent, l’université du Bosphore en comparaison aux universités d’ÖDTÜ, İTÜ (Université technique d’Istanbul) ou de la

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faculté des sciences politiques d’Ankara, a subi une répression de moindre ampleur. »

49 Par contre, la répression a frappé de manière plus ou moins égale étudiants et professeurs. En effet, le YÖK n’a pas fait de différence entre les deux groupes en exerçant la répression. En outre, avec l’application de la loi n° 1402 dans le domaine de l’enseignement supérieur, des milliers d’enseignants ont été exclus de la fonction publique, de sorte qu’ils ont été obligés de suspendre ou de mettre un terme à leur carrière professionnelle (Özen 2002).

Les effets immédiats de la répression sur les étudiants

50 Les mécanismes répressifs décrits ci-dessus ont eu un impact important sur les étudiants. Face à l’ampleur et la brutalité de la violence, ils ont développé un sentiment de peur et d’impuissance qui se manifeste dans les propos de Mehmet et Hasan. Mehmet : « Les étudiants n’osaient plus participer à des activités de protestation par peur de la répression et des conséquences qui pouvaient en suivre. » Hasan : « On ne pouvait plus se mobiliser dans l’espace universitaire à cause des lourdes sanctions imposées par le YÖK. On risquait à la fois le renvoi définitif de l’université et la prison. Honnêtement, malgré notre courage et notre détermination, on n’était pas prêts à assumer un tel risque. »

51 D’après les paroles de Mehmet et Hasan, avec la mise en place du YÖK et l’application des méthodes répressives dans l’enceinte universitaire, les coûts de l’engagement deviennent très élevés pour les étudiants qui sont obligés de renoncer à entreprendre des actions de mobilisation par peur des lourdes conséquences.

52 Le climat de terreur instauré par le YÖK a limité sérieusement les possibilités d’engagement et de mobilisation des étudiants dans l’espace universitaire. Cependant, les étudiants les plus actifs n’ont pas pour autant baissé les bras, ils ont été amenés à adapter leur répertoire d’action aux contraintes imposées par le contexte répressif. Nous étudierons le changement du répertoire d’action en adoptant l’approche interactionniste proposé par Hélène Combes et Olivier Fillieule. « Selon nous, la compréhension des mécanismes au cœur des épisodes répressifs doit en passer, dans une perspective attentive aux logiques de l’interaction, par une attention aux performances des agents de la répression comme des protestataires, aux conditions de leur adoption, de leurs transformations et de leur extension. » (Combes et Fillieule 2011 : 1066)

Le changement du répertoire d’action

53 Face aux méthodes répressives employées par le YÖK, les étudiants militants ont été contraints de modifier leur répertoire d’action. Craignant les lourdes sanctions du YÖK, ils ont opté pour des actions plus discrètes au sein du campus universitaire. Mehmet : « Au sein de l’université, on se limitait à quelques actions de boycott. On avait une fois boycotté le prix élevé et la mauvaise qualité de la nourriture à la cafétéria de l’université. Ce boycott, certes timide, représentait pour nous une manière de maintenir une forme de mobilisation à l’intérieur de l’université. »

54 Ils ont investi aussi les structures apolitiques afin de développer des réseaux qui pourraient leur servir plus tard.

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Hasan : « À cause de la surveillance étroite de l’université, il n’était pas question d’organiser des activités politiques et militantes dans le campus. On se limitait à organiser des activités culturelles et sportives. » Alper : « Étant donné que l’université faisait l’objet d’une surveillance accrue de la part de l’État via le YÖK, on était obligé de réduire considérablement nos activités au sein de l’espace universitaire. Dans le campus, on mettait l’accent sur les activités culturelles et sportives telles que les cours de danse, les pièces de théâtre, les matchs de foot pour continuer à conserver un réseau d’étudiants engagés. »

55 L’effacement de toute contestation ouverte au sein de l’université par crainte de la répression et l’adoption de modes d’action moins visibles ne signifient pas pour autant la fin de l’activisme militant. Il s’agit plutôt d’une période de mise en sommeil pendant laquelle les étudiants engagés préfèrent investir des structures apolitiques à la fois pour ne pas courir le risque d’être touché par la répression et pour développer par le biais de celles-ci un réseau. Dans un contexte futur plus favorable à l’engagement et à la protestation, ce dernier pourrait alors être réactivé afin de relancer la contestation dans l’espace universitaire.

56 Parallèlement, à cette mise en sommeil, on constate l’abandon de l’espace universitaire en tant que lieu de mobilisation et un basculement des activités politiques dans la clandestinité. Mehmet : « Mais redoutant la répression, on menait surtout nos activités politiques de façon cachée en dehors de l’espace universitaire. On organisait des réunions chez des amis pour lire des livres interdits et écouter de la musique en kurde. Dans le contexte répressif des années 1980, ces actes signifiaient pour nous un moyen de maintenir un réseau de résistance. » Hasan : « On préférait se réunir dans les cafés et les parcs pour discuter de politique. Au début, on se voyait chez les uns et les autres, mais comme on vivait tous avec nos familles, on devait faire attention à ne pas se faire remarquer par les parents qui ne voyaient pas le militantisme d’un bon œil. »

57 Sous la contrainte de la répression exercée par les agents répressifs (la direction de l’université, le YDK, les policiers en uniforme ou en civil), les militants protestataires (les étudiants universitaires) ont été obligés de changer leur répertoire d’action pour s’adapter au contexte répressif. Au plus fort de la répression (1982-1985), ne pouvant plus mener des activités politiques et militantes à l’intérieur du campus, ils (les étudiants engagés) ont dû se retirer de l’université en optant pour la clandestinité ainsi que pour des modes d’action très discrets (se réunir chez des amis, lire des livres interdits, écouter de la musique prohibée), sans aucune visibilité dans l’espace public. Par conséquent, progressivement, l’université a cessé d’être un site de mobilisation. Par la suite, à partir de 1986, avec le recul relatif de la répression et le rétablissement du droit d’association, ils ont essayé d’utiliser le tissu associatif afin d’y développer des activités politiques et de relancer ainsi la mobilisation estudiantine. Leurs efforts n’ont pas donné de résultat du fait de la surveillance encore forte dont les associations étaient l'objet par le YÖK et de la difficulté à mobiliser une nouvelle génération d’étudiants de plus en plus apolitique, par conséquent peu attirée par un engagement politique et militant.

Conclusion

58 Dans notre analyse de l’effet des mécanismes répressifs sur la démobilisation collective du milieu universitaire, nous avons procédé par une variation des échelles

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d’observation aux niveaux macro, meso et microsociologique. Une articulation entre ces différents niveaux nous a permis d’établir un lien entre les diverses formes de la répression et le changement du répertoire d’action, conçu dans une logique d’interaction entre les agents répressifs et les militants. La mise en relation des formes multiples de la répression avec la modification du répertoire d’action nous a démontré non seulement l’efficacité des méthodes répressives du YÖK, mais aussi l’impact indéniable de celles-ci sur la démobilisation du milieu universitaire.

59 En effet, suite à l’établissement du YÖK, les étudiants ont été de moins en moins en mesure d’organiser des activités contestataires dans les campus. L’étroite collaboration entre la direction de l’université et la police (présence permanente des policiers en civil dans l’enceinte universitaire) a rendu la mobilisation des étudiants très difficile. En outre, les sanctions pénales très lourdes imposées par le YÖK ont dissuadé un grand nombre d’étudiants à s’engager politiquement.

60 En dépit de la permanence et de la dureté de la répression, les étudiants que nous avons interviewés ne sont pas entrés dans un processus de désengagement individuel. Ils ont tous continué à lutter en adaptant leur répertoire d’action aux contraintes du milieu répressif. Néanmoins, ne constituant plus qu’un petit groupe d’amis proches, sans structure organisationnelle, ils ont dû de plus en plus désinvestir le milieu universitaire pour mener leur activisme politique dans la clandestinité en dehors de l’université. La poursuite de leur carrière militante ne remet pas en cause la réalité de la démobilisation collective de l’espace universitaire. Leur témoignage nous montre de façon évidente qu’ils ont été parmi les derniers résistants, très limités en nombre et peu présents à l’université en tant qu’activistes ou militants. De plus, leur récit nous prouve à quel point les méthodes répressives du YÖK ont été efficaces. Les éléments tels que l’impossibilité de mobiliser les autres étudiants, l’abandon de l’espace universitaire en tant qu’espace de contestation et de lutte et le basculement dans une forme de clandestinité où l’activisme se résumait avant tout à écouter de la musique et à lire des livres prohibés, sont des révélateurs du déclin de la mobilisation collective ou du début de la démobilisation collective au sein de l’université.

61 Si le YÖK a exercé une influence importante sur la démobilisation collective du milieu estudiantin universitaire, c’est parce qu’il a réussi à combiner des formes différentes de la répression : directe, sélective, cachée, symbolique, continue, donc durable, et préventive. Néanmoins, dans une vision à plus long terme, il va de soi que la répression (la violence) ne peut pas être envisagée comme le seul facteur explicatif de la démobilisation collective des étudiants universitaires en Turquie. D’autres facteurs tels que le déclin des idéologies de gauche au niveau mondial, l’imposition de réformes éducatives introduisant une concurrence exacerbée entre les étudiants (Crossley 2008), l’individualisation progressive de la société et des modes de vie, ont bien entendu contribué à la longue à la démobilisation des campus turcs.

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NOTES

1. Une école supérieure signifiant “la maison des sciences” qui est considérée comme l’équivalent d’une université de par sa structure et son fonctionnement. Elle disposait de trois facultés : la faculté de philosophie et des lettres, la faculté de droit et la faculté des sciences et des mathématiques. Fermée et ouverte à plusieurs reprises entre 1863 et 1923, elle a eu une existence plus stable à partir de cette dernière date jusqu’à 1932.

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RÉSUMÉS

The aim of this article is to study the effect of repression on the demobilization of the academic milieu in Turkey in the dictatorial context of the 1980s. Based on interviews, it highlights the key role played by the Council of the Higher education (Yüksek Öğretim Kurulu-YÖK) in the demobilization of students' protest movements within universities. By articulating the three levels of analysis (macro-meso-micro) and by adopting an interactionist approach, our article demonstrates how the various forms of repression implemented by the repressive agents have constrained the engaged students to modify their repertoire of action. This shift in the mode of action that means the adoption of the less visible activities and the move of militancy into underground, has resulted in the withdrawal of student’s protest outside the university and the demobilization of Turkish campuses.

INDEX

Mots-clés : protestations estudiantines, coup d’État de 1980, YÖK, mécanismes de la répression, démobilisation des universités Keywords : students protest, YÖK, mechanisms of repression, demobilization of universities, 1980 military coup

AUTEUR

MURAT YILMAZ Doctorant à l’Institut de hautes études internationales et du Développement, Genève

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Se désengager du mouvement du « 20 février » Le cas des étudiants du supérieur de la coordination de Rabat Withdrawing from the "20 February" movement. The case of the Rabat coordination university students

Joseph Hivert

NOTE DE L'AUTEUR

Je tiens à remercier vivement Mounia Bennani-Chraïbi, Olivier Fillieule et Tristan Loloum ainsi que les deux référés anonymes pour leur lecture critique de ce texte et leurs suggestions.

1 Le 20 février 2013, le mouvement du « 20 février » (M20F) fêtait son deuxième anniversaire. Les manifestations organisées à cette occasion dans les grandes villes du royaume, en s’inscrivant davantage dans le registre de la célébration commémorative que dans celui de la mobilisation collective impulsée par une dynamique protestataire, confirmaient la fermeture d’un cycle de protestation initié deux ans plus tôt, dans le sillon du décembre-janvier tunisien. De février 2011 à février 2012, le Maroc connaissait un moment inédit de son histoire protestataire à travers l’émergence d’une vague de mobilisation portée par un mouvement de « jeunes », le M20F. Ce collectif d’engagement, sous l’effet d’un double travail politique d’homogénéisation des revendications et de mise en suspens provisoire des clivages entre les groupes mobilisés, est parvenu à fédérer, durablement, une pluralité d’acteurs et d’organisations politiques dans le cadre d’une action collective commune. Organisé sous forme de coordinations ou sections locales dans plus de 90 villes du pays, le M20F a rassemblé des jeunes militants de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), d’Attac-Maroc ou du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), les jeunesses des partis non gouvernementaux tels que la Voix démocratique (Annahj Ad Dîmûcrâtî), le Parti Socialiste Unifié (PSU), le Parti de l’avant garde

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démocratique et socialiste (PADS), mais aussi une partie de celles de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et du Parti de la Justice et Développement (PJD). Des militants issus d’organisations non reconnues mais tolérées comme Justice et bienfaisance (Adl-Wal-Ihsane) et l’Alternative Civilisationnelle (Al Badil al-Hadari) ont aussi rejoint la coalition. Bien que n’ayant pas tous rallié le mouvement dès l’appel à manifester le 20 février 2011 (Bennani-Chraïbi & Jeghllaly 2012), ces différents acteurs, qu’ils soient « indépendants », multi positionnés ou issus de partis politiques, se sont mobilisés autour de revendications telles que l’instauration d’une constitution démocratique rédigée par une assemblée constituante élue, la justice sociale (accès aux soins, à l’école, à l’emploi, etc.), le refus du clientélisme, de la corruption et de la privatisation des services publics, l’application des principes de « bonne gouvernance » dans la gestion des affaires publiques, la reconnaissance de la pluralité culturelle du pays, etc. Certains allaient jusqu’à demander la démission du gouvernement, la dissolution du parlement et l’établissement d’une monarchie parlementaire. L’entourage du roi fut particulièrement visé par les protestataires qui dénonçaient la mainmise sur les affaires économiques du pays par certains de ses plus proches conseillers, dont Mounir Majidi, son secrétaire particulier, et la présence dans le champ politique de son ami et conseiller Fouad Ali El Himma. Si l’entourage royal a constitué une cible privilégiée pour les contestataires, le roi lui-même et l’institution monarchique ont été pris à partie de façon moins systématique et avec de fortes variations selon les moments de la contestation et les coordinations.

2 Qu’en est-il deux ans plus tard ? La Coordination de Rabat - sur laquelle portera cet article - offre un poste d’observation saisissant pour qui veut se pencher sur l’étude des dynamiques de démobilisation collective : elle est passée d’un rythme d’une assemblée générale par semaine en 2011 à une assemblée générale tous les deux-trois mois en 2013, de 100-130 personnes présentes lors des AG en 2011 à 5-7 personnes en 2013. Deux ans après la marche du 20 février 2011 qui institua le mouvement éponyme, comment peut-on comprendre le processus de démobilisation qui affecte la coalition du M20F à Rabat au cours de l’année 2011 jusqu’à sa désagrégation au début de l’année 2012 ?

3 Parmi les travaux qui ont porté sur le M20F, certains ont mis en évidence sa genèse socio-historique et politique en rappelant combien le mouvement s’inscrit dans une histoire protestataire qui ne date pas d’hier et qui réfute les conceptions spontanéistes de son émergence, florissantes au lendemain des événements (Vairel 2012 ; Desrues 2012 ; Bennani-Chraïbi & Jeghllaly 2012 ; Samoui & Wazif 2013). Les modalités d’organisation et de fonctionnement du mouvement, les enjeux liés à sa composition hétérogène (Smaoui 2011 ; Smaoui & Wazif 2013) ainsi que les jeux d’alliances et d’équilibres sur lesquels il a reposé ont aussi été analysés. Plus rares en revanche sont les travaux qui abordent de front la question de son déclin et de son essoufflement et, donc, celle des défections militantes. On trouve quelques propositions de réponse dans l’article de B. Dupret et J-N Ferrié dans lequel les auteurs estiment que l’annonce de la réforme constitutionnelle lors du discours du roi du 9 mars a opéré un désamorçage du 20 février « en proposant une réforme majeure de l’architecture constitutionnelle, c’est-à-dire de l’organisation de la relation gouvernants/gouvernés » (Dupret & Ferrié 2011 :29). Dès lors, la capacité du mouvement à mobiliser se serait affaiblie et ce dernier aurait tendu à se radicaliser à l’approche de la date du référendum (ibid.). Le déclin du M20F est donc ici appréhendé sous le prisme d’un désamorçage « par le haut », autrement dit à partir de l’influence exercée sur lui par l’environnement politique et

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institutionnel. On retrouve cette conception dans les analyses du processus politique qui, par l’intermédiaire de la notion de structure des opportunités politiques (SOP), conduisent « à s’intéresser davantage à ce que les formes et l’ampleur de l’activité contestataire doivent à la politique institutionnelle qu’à l’inverse » (Tarrow & Tilly 2006 ; Mathieu 2010). L’approche développée par M. Bennani-Chraïbi et M. Jeghllaly (2012), en saisissant la démobilisation dans une perspective dynamique et relationnelle, nous semble plus convaincante. Les auteurs ouvrent la boîte noire de la démobilisation dans un article consacré à la dynamique protestataire du M20F dans lequel ils se demandent comment un champ d’alliance et d’opposition se configure en lien avec des événements extérieurs et se reconfigure puis de désagrège dans le cours même de la dynamique de contestation (ibid.). En outre, ils mettent en évidence l’existence de points d’inflexion du mouvement qui correspondent à des séquences de défection ayant participé à vider le mouvement de ses membres. En raisonnant en termes de séquence de flux et de reflux militants, en identifiant des points d’inflexion du mouvement, les auteurs offrent de penser la démobilisation comme un processus dynamique lié à un ensemble de facteurs internes (rapports de force entre organisations, tension organisationnelle, perception des chances de réussite du mouvement, etc.) et externes (image publique du mouvement, valorisation sociale de la cause, degré d’ouverture du régime sur celui-ci, etc.) qui déterminent les conditions de possibilité de la défection.

4 Dans le présent article, nous souhaitons traiter la question de la démobilisation collective sous l’angle des processus de désengagements individuels d’une catégorie d’acteurs donnée : celle des étudiants de la Coordination du M20F-Rabat. L’objectif n’est donc pas d’expliquer le « pourquoi » du déclin du M20F en mettant l’accent sur la supériorité explicative de telle ou telle variable mais davantage de montrer l’intérêt qu’il peut y avoir à recourir à une approche microsociologique se rendant attentive au « comment » certains engagés en viennent, à un moment donné, à se distancier du mouvement ou à interrompre leur participation. S’attacher au « comment » signifie ici raisonner sur « des enchaînements de faits qui sont le produit de causes spécifiques actualisées et reconfigurées dans le déroulement des événements » (Fillieule 2012 : 40).

5 Plusieurs raisons motivent le choix de se focaliser sur les étudiants plutôt que sur d’autres catégories d’acteurs. En se situant dans une position d’entre deux, entre la position sociale héritée de leurs parents et leur position future, qui constitue aussi une situation d’indétermination1, le groupe des étudiants semble plutôt bien adapté pour interroger la façon dont l’engagement est travaillé par différents ordres de contraintes : la famille d’une part, la condition étudiante et les caractéristiques propres à cet univers de l’autre, et le marché de l’emploi enfin. Dans cette perspective, nous faisons plusieurs hypothèses qui visent à questionner l’influence de ces univers de contraintes sur l’engagement : primo, sur la base d’une analyse des justifications du désengagement invoquées par les étudiants, nous faisons l’hypothèse que les « effets de contexte », aussi puissants soient-ils, n’épuisent pas les motifs de défection et qu’ils se rapportent aussi, bien souvent, à des facteurs liés à la condition étudiante. Deuxio, on s’intéresse aux effets de la sortie de la condition étudiante et du marché de l’emploi sur le maintien ou non des engagements. On fait ici l’hypothèse que l’interruption de la participation à l’action collective dépend aussi des changements qui opèrent dans la sphère professionnelle des individus (sortie des études et entrée sur le marché du travail notamment) et de l’ajustement plus ou moins heureux entre sphère professionnelle et activité militante. À cet égard, on soulignera ici combien les effets du marché de l’emploi actuel sur l’engagement varient selon les chances objectives d’accès

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au travail. Tertio, en partant de l’observation empirique que les étudiants qui se désengagent sont aussi ceux qui ont été les plus investis dans le mouvement, ceux qui disposent des plus solides dispositions à l’action collective et ceux qui sont les plus « retenus » par le collectif, on discutera certains travaux sur le désengagement dont ceux de R. Kanter ou de D. M. Cress et ses collègues. On montrera notamment que le recours au concept de dissonance cognitive qui suppose un lien positif entre sacrifices consentis et maintien de l’engagement ne permet pas, en l’espèce, d’éclairer les logiques qui sous-tendent le désengagement de certains étudiants. En contrepoint, on verra tout l’intérêt qu’il y a à articuler les niveaux micro (dispositions sociales, socialisations), meso (modes d’organisation, formes d’encadrement) et macro (valorisation sociale de la cause) pour avancer dans la compréhension des ressorts sociaux de la défection. On émet l’hypothèse que les conditions de possibilité de la défection sont en partie déterminées par les dispositions au militantisme dont sont inégalement pourvus les acteurs qui s’engagent dans un mouvement protestataire.

6 Les matériaux empiriques sur lesquels repose cet article sont issus d’une enquête en cours2. Sur la base d’un corpus d’enquête élargi, constitué de treize familles militantes, nous avons d’abord retenu cinq profils en lien avec les hypothèses formulées plus haut. Puis nous avons sélectionné deux autres profils extérieurs à ce corpus, qui n’appartiennent pas à des « familles militantes ». Trois critères ont orienté la sélection des profils : d’une part, celui de leur engagement dans le M20F-Rabat. Tous se sont effectivement engagés, avec des degrés d’intensité variables, dès le début du mouvement, en février 2011 ; d’autre part, celui de leur appartenance au monde étudiant. Les enquêtés, âgés de 19 à 26 ans, sont ainsi tous étudiants du supérieur qui ont parfois fini leurs études pendant le « moment protestataire » et qui sont entrés, pour certains, sur le marché du travail. Enfin, celui d’avoir cessé de participer, à un moment ou à un autre, à l’action collective. Plus précisément, deux temporalités se distinguent dans le désengagement des enquêtés retenus : quatre des enquêtés sont sortis du mouvement au cours de l’année 2011 tandis que les trois autres ont fait défection au début de l’année 2012. Par ailleurs, parmi ces sept enquêtés avec lesquels des entretiens semi-directifs ont été réalisés3, nous en avons suivi deux entre 2011 et 2013 en réalisant des entretiens répétés. Ce qui a permis de s’entretenir avec eux à la fois pendant leurs engagements et après leurs défections. Pour les cinq enquêtés restant, les entretiens ont été conduits seulement après les désengagements, entre février 2012 et février 2013, dans un contexte marqué par la dissolution du M20F. À ces entretiens, enfin, s’ajoutent des observations menées à plusieurs reprises au cours des années 2011 et 2012 au sein de la Coordination de Rabat, lors des manifestations et des assemblées générales.

7 Dans une première partie, nous reviendrons sur la composition sociale du M20F en soulignant le rôle des affinités et des cadres de socialisation similaires des étudiants ; puis nous restituerons quatre parcours d’engagements au sein du M20F (partie I). Dans une seconde partie, nous soulignons quelques éléments saillants du contexte dans lequel les désengagements individuels s’inscrivent, avant d’explorer les motifs de défection mobilisés par les enquêtés, en lien avec leurs propriétés objectives (partie II). Enfin, dans une troisième partie, nous compléterons l’analyse des motifs de défection en portant une attention particulière à la façon dont les modes d’organisation du collectif contribuent aux désengagements de certains militants puis en soulignant le rôle de la socialisation familiale dans le maintien ou non des engagements (partie III).

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On tentera de mettre en évidence ce que les formes de désengagement possibles doivent à l’histoire sociale et familiale des individus et à leurs socialisations familiales.

1- Composition sociale du M20F et types d’entrée dans le mouvement

1.1 L’entrée des étudiants dans le M20F : entre participation individuelle et logiques d’affiliation organisationnelle

8 La coordination de Rabat du M20F est composée d’une part importante de jeunes urbains, lycéens, étudiants, ou jeunes diplômés. Certains se situent à la frontière entre le secondaire et le supérieur, passant le baccalauréat au mois de juin 2011 et faisant leur entrée à l’université en septembre. Au sein du groupe étudiant, certains ont fait partie du tout premier cercle de militants de la coordination de Rabat qui a organisé et préparé, dès le début du mois de février 2011, la marche du 20. Étudiants dans les facultés de lettres et sciences humaines, de droit et d’économie, de science politique, de sciences et techniques (FST), en école de journalisme, d’ingénieurs ou encore dans les écoles supérieures de technologie (EST)4, une bonne partie d’entre eux a connu, en amont du mouvement du « 20 février », l’expérience de l’engagement : certains se sont impliqués dans des associations de défense des droits de l’homme (comme l’Association marocaine des droits de l’Homme) ou altermondialistes (ATTAC-Maroc), d’autres ont pris part à un mouvement laïque tel que le MALI, se sont investis au sein de partis politiques non gouvernementaux comme la Voix démocratique, le PSU ou le PADS, ou se sont engagés à l’Université au sein de l’UNEM, syndicat étudiant longtemps dominé par les mouvements de gauche mais désormais sous la houlette des islamistes de Justice et Bienfaisance (al-‘adl wa al-ihasan )5. Si tous ne sont pas issus de familles militantes, certains le sont et partagent des caractéristiques communes liées à leur histoire militante familiale, aux cadres de socialisation politique et à leur propriété idiosyncrasique. Au contact de leurs parents qui appartiennent aux « générations militantes » des années 1970 et 1980 puis à travers diverses expériences sociales (colonies de vacances, primo engagement associatif, etc.), ces enfants de militants ont fait très tôt l’apprentissage de schèmes de penser et d’action propres à l’univers politique dont l’une des spécificités est d’engendrer des représentations et des pratiques militantes. D’autres étudiants, bien que peu nombreux, font leurs premières armes politiques avec le M20F et n’ont eu aucun engagement associatif ni politique antérieur.

9 Le M20F comporte également des étudiants membres de la jeunesse de l’USFP et du Parti de la Justice et du Développement (PJD) ainsi que de l’organisation islamiste non reconnue, al-‘adl wa al-ihasan (Justice et Bienfaisance). Le « groupe Usfpsite du 20 février » a été créé le 19 février, la veille de la manifestation du 20. La direction de l’USFP n’avait appelé ni au boycott ni au soutien du M20F. Au sein du parti, un groupe minoritaire a choisi de rallier le mouvement. C’est ce même groupe qui se mobilisa en décembre 2011 pour demander la démission collective du bureau politique du parti le priant d’assumer la responsabilité de son échec aux élections législatives de novembre 2011. D’autres étudiants ont rallié le mouvement avec l’entrée en lice du « groupe Baraka » fondé par un membre démissionnaire du Secrétariat général du PJD. La décision du parti de ne pas soutenir le mouvement a en effet débouché sur la démission

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de trois membres du Secrétariat général du PJD, dont l’un, El Mustapha Ramid6, allié à des jeunes du parti, est à l’origine du mouvement « Baraka ». Les étudiants de al-‘adl wa al-ihasan sont, quant à eux, entrés dans le mouvement dès le 20 février, l’organisation ayant annoncé le 16 février sa participation à la marche du 20. Notons enfin, au moins à Rabat, la position distante voire hostile que les diplômés chômeurs ont tenu à l’égard du mouvement. Orientées sur des revendications catégorielles et accommodées à un style protestataire autolimité (Montserrat Emperador 2011 ; 2013), les associations de diplômés chômeurs n’ont effectivement pas soutenu le M20F-Rabat en dehors de leur participation aux premiers rassemblements. Arguant de ce qu’elles n’étaient pas concernées par un mouvement n’insistant pas suffisamment sur la question du chômage, elles s’en éloignent quelques semaines après la marche du 20 février. Néanmoins, à Casablanca, des militants multi-positionnés d’obédience marxiste, placés à la tête de l’Association nationale des diplômés chômeurs du Maroc (ANDCM), ont été très actifs dans le M20F en tant qu’individus (Bennani-Chraïbi & Jeghllaly 2012), ce qui invite plus largement à distinguer les personnes qui se positionnent dans le mouvement au nom d’un collectif et ceux qui choisissent de participer à titre individuel sans mettre en avant leurs affiliations organisationnelles. Pour autant, si ces derniers « refusent les étiquettes », on peut raisonnablement penser, comme l’ont mis en relief S. Michon (2011) et L. Baamara (2013) dans d’autres contextes, que leurs prises de position et leurs pratiques dans le contexte d’action du M20F demeurent fortement liées à leurs expériences militantes antérieures.

10 De ce point de vue, les expériences militantes estudiantines n’ont pas manqué, elles aussi, d’être réinvesties dans le cadre du M20F. Historiquement, l’Université constitue un haut lieu de politisation au sein duquel ont émergé, depuis les années 60, de nombreuses mobilisations politiques, aussi bien au Maroc (El Ayadi 1999 ; Bennani- Chraïbi 2003 ; Vairel 2005) que dans d’autres pays de la région (Siino 2002 ; Camau & Geisser 2003 ; El Khawaga 2003 ; Larzillière 2013). Les oppositions parfois violentes, entre « islamistes » et « gauchistes », en lien avec la montée de l’islam politique militant sur les campus universitaires depuis la fin des années 80 et l’affaiblissement de l’influence des idéologies de gauche à l’Université, structurent de façon déterminante l’espace politique estudiantin. Les expériences militantes vécues par les étudiants sur les campus universitaires sont largement déterminées par ces oppositions, par cette « dialogique islamo-gauchiste » (Camau & Geisser 2003), qui en vient à constituer un véritable mode de socialisation politique estudiantin. Ce qui attire l’attention dans le cas du M20F est sans doute moins la réactivation de ces clivages et oppositions estudiantines au sein de la coalition que leur mise en veille et la situation inédite de mobilisation conjointe. En l’espèce, le M20F a été le théâtre d’improbables rapprochements entre « islamistes » et « gauchistes », que ce soit au sein de la coordination de Casablanca (Smaoui & Wazif 2013) ou au sein de celle de Rabat7. Mais plus encore, l’Université a constitué pour les étudiants un lieu de partage de luttes et d’apprentissage de compétences militantes (ibid.) qui ont été importées et réactivées au sein du M20F. Une partie du répertoire d’action propre à l’espace militant estudiantin a pu être ainsi intégrée dans celui du M20F, aussi bien à Casablanca qu’à Rabat, comme l’illustre le recours aux cercles de discussion (« halakiyat al nikach ») lors des sit-in ou l’usage de slogans étudiants dans les manifestations réaménagés en fonction du contexte d’action présent.

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1.2 Quatre parcours d’engagement et d’investissement dans le M20F

Amal : un attachement émotionnel au M20F. De l’incarcération de son père au mouvement du « 20 février »

11 Amal8 a 24 ans, elle est née dans une fratrie de cinq enfants. Sa mère est professeure de traduction (arabe - français) dans le secondaire et son père est professeur de géologie à l’Université. En regard des ressources culturelles et du capital social dont disposent ses parents, elle appartient aux classes sociales supérieures. La trajectoire sociale de ses parents est marquée par une très forte mobilité sociale intergénérationnelle permise par l’accès à l’Université. Après le baccalauréat, Amal s’inscrit dans une école préparatoire pour passer différents concours et intègre une école d’ingénieur à Tanger. En 2011, quand débute le mouvement du « 20 février », elle est en dernière année. Le parcours militant d’Amal et son entrée dans le M20F sont indissociables de son histoire militante familiale puisque c’est en raison de celle-ci qu’elle connait, dès 2008, ses premiers engagements dans des actions collectives qui la mèneront jusqu’au M20F. Avant cette séquence militante, elle n’a pas connu d’engagements militants si ce n’est un investissement dans le club « environnement » de son lycée qu’elle explique par sa « fibre écologiste » et son intérêt pour le sujet de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

12 Son père a fait ses premières armes politiques au milieu des années 70 au sein du Syndicat National des Lycéens (SNL) avant d’intégrer l’organisation clandestine Chabiba Islamiyya (Jeunesse Islamique) fondée en 1969 par Abdelkrim Moutîi. Les campus universitaires marocains sont alors sous la houlette du mouvement marxiste-léniniste qui a investi l’Union Nationale des Étudiants Marocains (UNEM). La Chabiba Islamiyya combat avec violence, et avec le soutien de la monarchie, ce mouvement d’extrême gauche qui s’oppose au régime. En 1975, l’implication de certains membres de la Chabiba Islamiyya dans l’assassinat d’Omar Benjelloun amorce son déclin et conduit à sa dissolution en 1976. Certains de ces militants, dont Abdelilah Benkirane, fondent, en 1981, la Jama‘a al-islamiyya (Groupe Islamique) et, en 1985, al-Islah wa at-Tajdid (Réforme et Renouveau). Le père d’Amal prend ses distances avec la Chabiba dès l’assassinat d’Omar Benjelloun et fonde en 1981, avec d’autres militants, une organisation, al Ikhtiyar islami (le Choix Islamique). L’organisation puise son référentiel idéologique aussi bien dans les écrits des théologiens de la libération en Amérique latine que dans ceux de l’école coranique égyptienne ou encore dans la littérature révolutionnaire palestinienne comme celle de Mounir Shafiq9. Suite à une scission au sein de l’organisation entre ceux qui souhaitent rester dans la clandestinité et ceux qui désirent en sortir, il participe à fonder un autre mouvement, en 1995, Al Badil al-Hadari (l’Alternative Civilisationnelle) qui est autorisé à s’établir comme parti politique en 2005. En février 2008, lors d’un Congrès exceptionnel du parti, est débattue la proposition que Salah El Ouadie a faite à Al Badil al-Hadari de rejoindre le Mouvement pour tous les démocrates (MTD)10. Le 17 février 2008, le parti refuse à l’unanimité d’intégrer le MTD. Le lendemain, le 18 février, le père d’Amal, alors secrétaire général du parti, ainsi qu’un membre du bureau politique du parti, un membre du PSU, un autre du PDJ et deux autres militants sont arrêtés, accusés de faire partie d’un présumé réseau terroriste dirigé par le belgo-marocain Abdelkader Belliraj condamné à perpétuité en juillet 2010. C’est l’affaire des « six détenus politiques ». Le 20 février,

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suite à une conférence de presse du secrétaire d’État à l’intérieur, Fouad El Himma, le parti est dissous par décret gouvernemental. L’affaire est fortement médiatisée, et les détenus politiques reçoivent le soutien de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme nationales et internationales et de personnalités politiques et militantes, aussi bien issues de l’extrême gauche que du PAM ou du PJD, qui dénoncent un « coup monté » et un procès expéditif et insensé. Les sentences sont extrêmement lourdes : le père d’Amal est condamné à 25 ans de prison ferme. D’abord sous le choc, celle-ci crée néanmoins, avec l’aide de la fille du secrétaire général du parti al-Oumma, incarcéré également, une page Facebook de soutien aux détenus politiques. Elle relaie les avancées quotidiennes de la grève de la faim que son père et les autres détenus ont décidé d’observer. Dès lors, elle est régulièrement sollicitée par des journalistes pour des interviews au sujet de son père et de la « cause » des six détenus politiques. Au Maroc, elle se rapproche de l’AMDH qui joue un rôle important pour les six détenus politiques en revendiquant leur libération et en soutenant les familles de détenus. Elle se lie d’amitié avec certaines militantes de l’association. L’incarcération de son père lui « a ouvert les yeux » sur les injustices sociales et l’arbitraire du pouvoir. Elle rejoint le M20F dès la marche du 20 février aux côtés du petit groupe de l’AMDH qui a soutenu son père. Son indignation et sa colère trouvent au sein du M20F un contexte favorable pour s’exprimer. Elle y découvre également d’autres causes qui participent à une montée en généralité de son indignation. Elle explique à ce propos : « J’ai un lien émotionnel avec le mouvement, les gens étaient dans l’émotion...le mouvement soutenait mon père, je me sentais soutenue, le 20 février a beaucoup fait pour mon père, c’est grâce à lui qu’il a été libéré (...) dans le mouvement j’ai découvert d’autres revendications auxquelles j’ai adhéré, la justice sociale, la lutte contre la corruption... ».

13 De février à la fin du mois de mars 2011, elle s’engage intensément au sein du M20F. AG, manifestations, sit-in, comités de travail spécifiques, Amal se surinvestit. La médiatisation de la cause de son père et le franc soutien que lui apporte le M20F lui attire, de surcroît, la sympathie des militants de toutes tendances confondues. Son activité militante est en ce sens fortement récompensée par la reconnaissance collective de son malheur personnel et familial. Symétriquement, avec sa présence dans la mobilisation, le M20F peut ajouter à son crédit de compter parmi ses membres une victime de l’injustice du pouvoir. Du mois d’avril au mois de juillet 2011, Amal part en France, à Paris, pour réaliser un stage de fin d’étude mais continue de suivre à distance l’évolution du mouvement.

14 Le 14 avril 2011, son père ainsi que les cinq autres détenus bénéficient d’une grâce royale qui intervient suite aux revendications répétées du M20F. À son retour au Maroc, en juillet 2011, diplôme d’ingénieur en main, Amal se met en recherche d’emploi. Elle trouve un travail dans une entreprise de confection à proximité de Rabat. En regard du contexte marocain, marqué par une dévaluation des diplômes et un taux de chômage très élevé chez les diplômés du supérieur, cette offre constitue sans conteste une opportunité qu’elle ne manque pas de saisir. Quelques mois plus tard, en 2012, elle se marie avec un informaticien sympathisant de la Voix démocratique (parti d’extrême gauche).

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Nadir et Zeina : de l’AMDH au M20F. Des degrés et des modalités d’investissements différenciés

15 Nadir et Zeina sont originaires de Rabat, ils sont frère et sœur. Ils sont nés dans une famille de militants de l’extrême gauche marocaine. En regard de l’origine sociale des parents (classe ouvrière), de la génération scolaire à laquelle ils appartiennent (nés en 1958) et des aspirations générées à la fois par l’école et la famille, leur position socio- professionnelle actuelle (ils sont fonctionnaires) correspond au destin social qui était pour eux le plus probable. Leur père était militant à l’Union Nationale des Étudiants du Maroc (UNEM) au début des années 70 puis dans l’organisation révolutionnaire Ila Al Amam. En 1976, il est arrêté et mis au secret au centre de détention de Derb moulay Cherif pendant six mois avant d’être emprisonné un an à la prison de Ghbila à Casablanca. À sa sortie de prison, il interrompt ses études (niveau baccalauréat). Sur le plan professionnel, il intègre alors la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) au sein de laquelle il restera jusqu’à ce jour en gravissant progressivement les échelons hiérarchiques. Il poursuit une carrière militante marquée par un multi- positionnement, en s’engageant à la fois dans la sphère associative au sein de l’AMDH, dans la sphère politique avec la Voix Démocratique qu’il participe à créer et dans la sphère syndicale et professionnelle au sein de l’UMT. Ces engagements lui permettant d’inscrire sa trajectoire militante dans la continuité et de vivre son militantisme comme fidélité à soi (Leclercq & Pagis 2011 ; Cheynis 2013).

16 La mère de Nadir et Zeina est, quant à elle, professeure de science de la vie et de la terre dans un établissement du secondaire. Engagée elle aussi à l’UNEM puis au sein d’Ila Al Amam, elle n’est cependant pas passée par la case prison. Elle est aujourd’hui membre de l’AMDH, syndicaliste à l’UMT et membre du secrétariat général de la Voix démocratique. Elle et son mari font partie du Conseil national de soutien au mouvement du 20 février11 (CNSM20) et adoptent une position, dès le départ, très favorable à l’engagement de leurs enfants dans la mobilisation.

17 Nadir a 11 ans quand il commence à participer aux jeux pour les enfants organisés par l’AMDH. Ses parents se rendent régulièrement à l’association et emmènent leurs enfants. Ces derniers rencontrent d’autres enfants de militants avec qui ils jouent lors des réunions de parents et avec qui ils lieront de profondes amitiés. Ils se fréquentent non seulement lors des activités pour les enfants mises en place par le syndicat (UMT) ou l’association (AMDH) des parents mais aussi à leurs domiciles respectifs, leurs parents entretenant également des relations d’amitiés et de camaraderie avec les parents de leurs amis. Durant son enfance, Nadir fréquente les colonies de vacances mises en place par l’association et assiste, lors des veillées et dans les dortoirs, à des débats politiques conduits par de jeunes militants un peu plus âgés que lui, qui l’impressionnent par leur capacité oratoire et leur savoir politique. Il intègre la section jeunes de l’association au sein de laquelle il est très actif avec son groupe d’amis, cette expérience renforçant ses dispositions au militantisme intériorisées au cours de sa socialisation primaire familiale. En 2011, il a 19 ans, passe son baccalauréat en juin et intègre la même année l’École supérieure de technologie (EST) de Casablanca. Son engagement dans le M20F se fait à travers l’AMDH au sein de laquelle, parallèlement au M20F, il révise son baccalauréat avec l’aide de professeurs affiliés à l’association : « Je passais le bac la même année que le 20 février, il y avait plusieurs jeunes dans le mouvement qui passaient le bac, donc on a fait une section de jeunes étudiants en premier cycle, on était principalement des jeunes qui avaient soit le bac soit

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régional, c’était bien car on révisait ensemble, on faisait des réunions à la section de Rabat, il y avait des professeurs de l’AMDH qui venaient et qui nous aidaient à préparer nos cours pour passer les examens, c’était bien, on pouvait faire les deux. On était fier de militer et d’étudier en même temps, on était nombreux, on était presque 10 personnes à réviser pour le bac (...).

18 L’engagement de Nadir dans le mouvement se traduit par l’accomplissement de tâches variées et très concrètes : au sein du comité des slogans (chi’arat), il prépare les slogans à scander lors des manifestations et leur support respectif ; dans le comité communication, il rédige des communiqués de presse et s’occupe des prises de rendez- vous avec les organes de presse concernés ; il gère et contrôle par ailleurs le groupe Facebook de la coordination du M20F-Rabat et se charge de l’extension des groupes Facebook à d’autres sections du mouvement ; enfin il prépare les manifestations et leur itinéraire. Par ses multiples activités au sein du mouvement, par l’intensité avec lesquelles il les entreprend et par l’enchevêtrement de ses activités scolaires (il révise son bac à l’AMDH) et militantes, Nadir vit un engagement militant que l’on peut qualifier d’intense et qui, dans la hiérarchie de ses investissements, occupe de loin le premier rang.

19 Sa sœur aînée, Zeina, a 21 ans en 2011 et est étudiante à la faculté de science et d’éducation de Rabat. Comme son frère, elle est membre de l’AMDH avec laquelle elle a participé elle aussi à plusieurs colonies de vacances durant son enfance. Pourtant, son adhésion à l’AMDH et plus largement son rapport au militantisme ne sont pas de la même nature que ceux qui animent son frère Nadir. Elle ne s’y engage en effet qu’occasionnellement et maintient une certaine distance à l’égard du monde militant dans lequel gravitent ses parents et son frère. Ses études, son parcours scolaire et professionnel lui importent tout autant si ce n’est davantage. En février 2011, elle rejoint le M20F mais son engagement est relativement faible, elle participe aux manifestations organisées par le mouvement sans prendre part aux assemblées générales et aux différents comités de travail de la coordination. Elle se rend souvent aux manifestations accompagnées de ses parents aux côtés desquels elle défilera lors des marches d’envergure des mois de mars et d’avril. Cette différence d’investissement militant entre Zeina et son frère peut se comprendre si l’on tient compte de la manière dont Zeina a vécu son enfance de « fille de militants » : elle exprime le regret d’avoir eu des parents souvent absents, trop occupés par leurs activités militantes et souligne ne pas désirer reproduire ce schéma avec ses propres enfants. Sans doute aussi, cette différence d’investissement entre Zeina et Nadir gagnerait à être saisie à partir de leur position ou rang au sein de la fratrie (aînée / benjamin) mais aussi de leur position tant économique que scolaire (Bessière 2006). Les investissements parentaux vers les enfants opérant largement à travers une forme d’anticipation objective de la destinée sociale de ces derniers.

Soraya : des premiers doutes à l’engagement actif

20 Soraya est née en 1988 à Rabat. En 2011, elle est étudiante au centre de formation des professeurs de Rabat pour devenir professeure de musique. Elle est l’aînée d’une fratrie de 3 enfants. Sa mère est femme au foyer et son père, avant de reprendre l’épicerie familiale, était technicien au ministère de l’enseignement. Sa famille paternelle est depuis plusieurs générations une famille de petits commerçants et la famille de sa mère, d’origine sociale populaire, compte aujourd’hui plusieurs enseignants parmi ses membres. Son père a payé son expérience militante dans le mouvement d’extrême

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gauche au prix de l’interruption d’une promotion sociale espérée, avortée suite à une incarcération et à la nécessité de rependre l’affaire familiale à sa sortie de prison.

21 Au lycée, Soraya choisit option musicale et obtient un baccalauréat scientifique option musique. En parallèle, elle étudie le piano et le violon au conservatoire régional puis national. Elle intègre le club des droits de l’Homme qui organise des débats dans l’enceinte scolaire. Au cours de ces années étudiantes, au contact de ses camarades de classe mais aussi de ses amies, elle prend conscience de sa propre différence en tant qu’enfant de militants. Elle éprouve en outre de la difficulté à s’ajuster socialement et scolairement aux normes dominantes dans le domaine des pratiques religieuses, et donc à celles que l’école véhicule (El Ayadi 2004). Ses parents n’observent pas le jeûne durant le mois de ramadan, ne fêtent ni l’Aïd ni les autres festivités religieuses, ce qui constitue une forme de « déviance » au regard des normes religieuses dominantes et du rôle de la famille dans la transmission de celles-ci (Tozy et al. 2013). Soraya fait ainsi l’expérience du désajustement entre les normes hétérodoxes en matière religieuse intériorisées au sein de sa famille et celles véhiculées par l’école.

22 Depuis sa prime enfance, elle suit régulièrement son père dans ses différentes activités militantes, aussi bien syndicales au sein de la Confédération Démocratique du Travail (CDT), qu’associatives avec l’AMDH et politiques au sein du PADS. Elle participe aux activités pour les enfants mises en place par la CDT et l’AMDH en parallèle des réunions et activités pour les adultes, et rencontre alors d’autres enfants de militants avec lesquels elle se lie d’amitié. Chaque année, elle sort manifester avec son père et sa mère à l’occasion du 1er mai. Sa mère, suite à la naissance de sa deuxième fille en 1994, a interrompu ses activités militantes (AMDH) préférant être « dans l’élevage de militants plutôt que d’être engagée elle-même ».

23 À 16 ans, elle s’engage dans la section jeunesse de l’AMDH, association dans laquelle ses parents ont longtemps été engagés. Elle participe activement aux manifestations contre la guerre d’Irak avec ses amies de l’AMDH ainsi qu’aux actions régulières de soutien à la cause palestinienne qui se déploient tantôt sous la forme de sit-in tantôt sous la forme de manifestations. En 2006, elle s’engage dans la jeunesse du PADS, parti dans lequel son père a milité et duquel il vient de se retirer la même année. C’est le parti de son enfance, un parti de « famille » dans lequel certains de ses oncles ont aussi milité depuis sa création en 1989. En 2010, à son tour, Soraya quitte le parti estimant qu’elle n’était pas faite pour être dans une structure partisane. Quand arrive la marche du 20 février, alors que son père rejette cette initiative et que sa mère adopte une position de réserve, Soraya explique : « Moi au début je n’y croyais pas trop au 20 février, je me disais que... genre on se connaît presque tous, on est presque tous militants de l’AMDH, on est plus ou moins tous membres de partis politiques, qu’est ce qui va changer avec cette initiative ? Mais après, je me suis investie à fond...j’ai vu que ça prenait... je me suis dit que ça pouvait réussir (...) j’étais dans plusieurs comités, dans le comité d’information, pour distribuer des tracts, dans le comité d’organisation pour organiser les manifs, tracer le plan des manifs, voir qui va assurer les slogans de la manif, qui va les chanter... ».

24 Si Soraya doute dans un premier temps de la réussite de cette initiative collective, elle réévalue ensuite les chances de succès du mouvement lorsqu’elle perçoit que « ça prend » et redouble alors d’investissement en s’engageant dans plusieurs comités de travail. Au sein du mouvement, elle vit cependant certaines expériences déplaisantes

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qui la conduisent à porter un discours critique à l’égard des militants qu’elle subsume sous la catégorie de « gauchiste ». « La manif c’était juste les filles qui l’avaient organisée, on était 5 ou 6 filles à avoir tout préparé, les slogans, le trajet, et à un moment, il y a eu un problème avec des salafistes, mais le vrai problème était avec les gauchistes, car quand un salafiste te traite de moins que rien, tu peux te dire que c’est dû à son idéologie, à l’islam, à l’image de la femme dans l’islam, à plein de choses quoi. Mais un gauchiste qui te traite de la même manière, c’est ça le problème. Les gauchistes restent des gauchistes, des schizophrènes, des faux alliés… »

25 Lors de son engagement dans le M20F, elle se rapproche de certains militants islamistes et raconte sur le mode de l’incrédulité comment elle se découvre avec eux des affinités, sur certains points plus profondes, qu’avec les « gauchistes ». Au début de l’année 2012, Soraya obtient un poste de professeure de musique dans un collègue à proximité de Rabat.

26 Au terme de cette présentation des trajectoires individuelles et familiales qui visait à mettre en relief la manière par laquelle les acteurs sont entrés dans le mouvement et les modalités de leurs engagements, nous pouvons faire ressortir deux éléments importants : d’abord, la prégnance de la socialisation politique familiale puis des expériences socialisatrices secondaires (colonies de vacances, associations, jeunesses des partis politiques) dans la familiarisation des individus au monde militant et dans la formation des appétences pour le militantisme. De ce point de vue, ces trajectoires confirment que la famille est l’un des principaux sites de l’intériorisation des dispositions contestataires12 et constitue le « creuset de l’identité politique » (Muxel 2001). Ensuite, l’analyse des trajectoires individuelles montre comment au-delà de la diversité des parcours, les individus en viennent à se retrouver, à moment donné, dans un même mouvement protestataire, en raison de la proximité de leur habitus. Se pose dès lors la question de savoir comment les individus, rassemblés en quelque sorte par cette affinité de dispositions sociales en viennent, en retour, à se désengager. Ce qui implique de s’interroger sur les logiques qui sous-tendent le désengagement.

2- Contexte de démobilisation et motifs de désengagement

2.1. Modification du contexte de mobilisation et effets sur les groupes mobilisés

27 Lors du discours royal du 9 mars 2011, le souverain annonce, sans faire allusion aux mobilisations qui ont agité le Maroc deux semaines plus tôt, sa volonté de réformer la Constitution marocaine avec l’objectif d’un rééquilibrage des pouvoirs. Une Commission consultative de révision de la Constitution (CCRC) est nommée le 10 mars avec pour mission de préparer un projet de texte constitutionnel après consultation de l’ensemble des forces politiques, syndicales et associatives du Royaume. Au sein du M20F, des désaccords ne tardent pas à surgir autour de la question de sa participation ou non au processus de consultation initié par le roi. Une minorité approuve la feuille de route proposée par le monarque lors de son discours estimant qu’elle constitue une avancée historique pour le Maroc alors qu’une majorité la désapprouve en soulignant que les propositions de réforme se situent bien en deçà des revendications du M20F. Déplorant les modalités de création de la CCRC, les membres de la Commission

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(désignés par le roi), le M20F ainsi que l’AMDH, ATTAC-Maroc, le PSU et la Voie Démocratique optent pour le boycott du processus consultatif de révision de la Constitution mais entendent poursuivre la mobilisation pour peser sur les décisions de la CCRC.

28 Le roi annonce dans son discours du 17 juin la tenue d’un référendum sur la Constitution le 1er juillet suivant, tout en promouvant le projet constitutionnel en indiquant qu’il voterait pour. L’option d’une élection démocratique d’une assemblée constituante ayant été écartée, le mouvement, décide de boycotter le référendum sur la loi fondamentale. Cette décision, alors que la répression s’intensifie13, génère une vague de défections au sein du mouvement ; celle-ci concerne principalement les militants affiliés aux partis politiques gouvernementaux, soucieux de suivre l’initiative royale, mais aussi une certaine frange de militants « indépendants ». Ainsi le mouvement Baraka du PJD et une partie des USFPistes quittent le mouvement sans exclure la possibilité de le rejoindre de nouveau si les réformes annoncées ne sont pas satisfaisantes. Le désamorçage de la contestation à travers une série de réponses institutionnelles aux revendications a donc bien opéré, tout au moins sur les acteurs se situant à l’intersection entre la scène politique instituée et l’espace protestataire (Bennani-Chraïbi & Jeghllaly 2012). Par ailleurs, ce dispositif de réponses institutionnelles a également eu des effets non négligeables – peut-être moins perceptibles - sur la poursuite des engagements en participant à la dévalorisation sociale de la « cause » du M20F. Suite au référendum sur la Constitution voté à 98,5 % le 1er juillet 2011, le M20F s’est vu de plus en plus apparenté à un mouvement de militants « radicaux » islamistes ou d’extrême gauche. Sur ce plan, l’émergence d’une contre- mobilisation, particulièrement visible (quoique disparate) lors de la campagne référendaire à travers la figure du « baltaji », a eu pour effet de renforcer ce processus de dévalorisation sociale en attisant l’image publique d’un mouvement rejetant le système monarchique voire dénigrant le roi lui-même. Dans ce contexte de perte de légitimité sociale et de soutiens publics du M20F, le crédit apporté à la persistance des engagements a diminué alors que l’acceptation sociale de la défection s’est renforcée.

29 Enfin, une autre vague de défection, massive, a lieu après l’annonce des résultats des élections législatives de novembre 2011 lorsque Justice et Bienfaisance décide de se retirer du mouvement estimant que le fruit de ses efforts a davantage profité au PJD (Bennani-Chraïbi & Jeghllaly 2012). Cette démobilisation, affaiblissant considérablement les effectifs mobilisés, a eu pour conséquence d’ajouter à la problématique de la dévalorisation sociale à laquelle était déjà confrontée le M20F celle de l’illégitimité du nombre.

2.2 Les motifs du désengagement

30 Les motifs de retrait invoqués en entretien par les désengagés sont des justifications informées par leur contexte d’énonciation (Fillieule 2010). Pour la plupart des enquêtés, la situation d’énonciation correspond au premier anniversaire du mouvement, en février 2012, c’est-à-dire à un moment où la démobilisation collective est déjà effective depuis plusieurs mois. Exprimer les raisons de son retrait du mouvement n’est pas, à ce moment-là, l’apanage de dissidents minoritaires mais correspond davantage à une situation où les conditions de possibilité du désengagement – et de son énonciation – sont optimales car socialement acceptables. La dépréciation sociale de la cause du M20F

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et la perte de légitimité du mouvement favorisent effectivement l’acceptation sociale de la défection et son énonciation. Pour le reste des enquêtés, le contexte d’énonciation est celui du 2ème anniversaire du mouvement. Le sens social de l’investissement et du retrait sont donc ici davantage reconstruits a posteriori par le récit biographique que les acteurs s’en font. Parmi les parcours d’engagements présentés plus haut, on distingue au moins trois motifs distincts de se désengager.

31 Un premier motif est celui de l’érosion des croyances. Nous avons vu que Amal était entrée dans le mouvement principalement pour défendre la cause de son père et que ses revendications s’étaient (relativement) désingularisées dans le cours de l’action. En partant de la cause de son père, elle s’est mobilisée pour des causes plus générales comme la justice sociale et le refus de la corruption. Mais cette montée en généralité de ses revendications n’a pas fondamentalement transformé la nature de son rapport au mouvement ni les motifs de son engagement. De ce point de vue, la réitération des entretiens fait ressortir que la libération de son père a généré pour elle une forme de relâchement émotionnel à l’égard du mouvement suivi d’une phase d’autocritique ouvrant la voie à une réévaluation du mouvement à partir de schèmes d’appréciation plus politiques qu’émotifs. « J’ai été plus passive ensuite, je sais pas...c’est... déjà quand je suis revenue de France, en juillet 2011... là-bas j’avais un œil un peu plus distant sur le mouvement, et j’ai commencé en fait... différemment [par rapport] aux autres, une petite autocritique, je pouvais voir ce qui allait bien, ce qui n’allait pas, les erreurs... quand je voyais ce qui se passait en Égypte, en Tunisie… et ici il y avait l’adl wa al Ihsane qui dominait vraiment… mais les gens étaient dans l’émotion, en fait oui, le 20 février c’était surtout l’émotion...Et moi je disais qu’il fallait sortir de ça car sinon le mouvement allait mourir, donc à un moment j’étais tenue au 20 février juste par ce cordon ombilical (...) voilà je n’étais plus convaincue, il fallait qu’on s’autocritique, il fallait un nouveau souffle... mais on n'a rien fait... je n’étais plus d’accord mais je sortais quand même, j’ai un lien émotionnel avec le mouvement... mais en fait je n’y crois plus ».

32 C’est donc un peu malgré elle qu’Amal continue, à son retour au Maroc, de défiler avec le M20F. Elle remet en cause dans un premier temps le mode d’organisation du collectif (« trop souple ») qui facilite à ses yeux la dominance des islamistes dans le mouvement (qu’elle regrette) et déplore, lors de la période référendaire, la focalisation de la critique sur la composition de la CCRC plutôt que sur le texte lui-même dont elle estime qu’il contient certaines avancées. Elle tente de changer de l’intérieur ce qui lui semble devoir changer (voice) en appelant à une remise en question collective tout en restant fidèle au mouvement (loyalty). Se rendant compte que l’autocritique à laquelle elle appelait n’a pas eu lieu, elle en éprouve dans un second temps de la déception mais ne se désengage pas pour autant. Elle se tait et participe passivement à l’action collective. La crainte d’être stigmatisée comme « lâcheuse », le sentiment d’avoir une dette envers le mouvement (la libération de son père), la peur de compromettre les relations d’amitiés qu’elle a tissées en son sein, participent au ralentissement du processus de défection en agissant comme autant d’injonctions à la poursuite de la mobilisation. Certes, elle ne choisit pas de partir mais elle poursuit passivement, sans rester à proprement parler loyale au mouvement. C’est ce que Guy Bajoit, cherchant à améliorer la typologie de Hirschman sur les formes de réactions individuelles au mécontentement, nomme l’apathie (Bajoit 1988). De la même façon, lors de cette phase qui précède son désengagement, c’est aussi son rapport à l’AMDH à travers laquelle elle

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est entrée en militance pour la cause de son père puis dans le M20F qui se transforme. Elle explique : « je ne suis vraiment plus active [à l’AMDH]… Je suis encore dedans mais juste à cause de ce lien émotionnel comme le 20 février… ce n’est pas pour quelque chose… je ne suis plus d’accord avec la politique de l’AMDH et la dominance de la Voix démocratique… ça me dérange parce que les droits de l’homme ça doit être neutre… et la dominance de quelques familles, la dominance de certaines cliques ça me dérange ».

33 Le deuxième motif mis en avant pour justifier un désengagement ou une prise de distance à l’égard du mouvement est celui de la modification de la disponibilité biographique (McAdam 1990) liée à la reprise des études ou à l’occupation d’une activité professionnelle concomitante à ses études. Nadir, entré dans le M20F à travers l’AMDH, a passé son baccalauréat au mois de juin et a intégré l’École supérieur de technologie (EST) de Casablanca en septembre. Décrivant son engagement à partir de septembre 2011, Nadir relate : « Depuis septembre c’est un peu compliqué, car le mouvement s’est ralenti et moi je suis très loin, donc je ne suis pas très actif dans le mouvement, car je suis loin je suis à la sortie de Casablanca et avec les cours, tout ça, je finis à 18h00, donc c’était dur. J’assistais seulement aux manifestations, mais je ne participais pas à l’organisation et tout ça depuis septembre, j’ai été vraiment engagé entre février et octobre et puis après avec les cours, la distance je l’ai moins été ».

34 Quant à sa sœur, Zeina, militante sympathisante du M20F, elle s’est mise à la recherche d’un emploi en septembre 2011 pour financer une partie de ses études qu’elle poursuit en science de l’éducation. En octobre, elle est embauchée par une banque qui, à sa grande surprise, la recrute à temps plein. Ne pouvant plus assister aux cours, elle interrompt sa licence en science de l’éducation à l’Université et s’inscrit dans une école privée qui propose des cours du soir. Prise entre deux ordres de contraintes (professionnelle et scolaire), elle ne trouve plus le temps de participer aux marches du M20F.

35 Un troisième motif se détache à travers la sortie du M20F de Soraya et du récit qu’elle en fait. Soraya explique : « ça fait quatre mois que je n’assiste plus aux AG, et la dernière manif c’est la première où je ne vais pas [Pourquoi tu as décidé de ne plus y aller ?] Bon, je n’y suis plus allée, comme ça, je ne sais pas trop, je n’ai pas vraiment choisi, le mouvement est un peu mort maintenant ».

36 Or, elle a tout de même choisi de se retirer en période de reflux militant, le mouvement étant toujours actif malgré son essoufflement. On peut repérer au moins deux phases qui précédent son désengagement : celle, d’abord, de la réduction de l’intensité de sa participation qui se traduit, dans un premier temps, par son retrait des AG et, dans un second temps, par une participation aux manifestations qui devient de plus en plus intermittente. Elle explique avoir cessé de participer aux AG en raison de la faiblesse numérique des militants présents, soulignant qu’à ce moment-là, à ses yeux, le mouvement était déjà mort. La phase, ensuite, au cours de laquelle Soraya s’engage dans le Comité « Boycott, désinvestissements et sanctions » (BDS) hébergé au sein de l’AMDH et qui s’intègre dans une campagne internationale visant à exercer des pressions (économiques, culturelles, académiques, etc.) sur Israël pour le conduire à adopter une solution négociée dans le conflit avec les Palestiniens. Ce type d’engagement qui vient compenser en quelque sorte son désinvestissement du M20F est décrit dans la littérature sur la sortie de rôle comme une « recherche

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d’alternatives » (Ebaugh 1988). « L’individu, ayant pris conscience de sa liberté de choix, recherche la sortie de rôle et évalue les avantages comparés d’éventuels rôles alternatifs » (Fillieule 2005 : 30). Il faut enfin souligner que lors de ces deux phases qui précédent son désengagement, Soraya continue de côtoyer ses amis de l’AMDH qui, pour certains, restent engagés dans le M20F.

37 Les différents motifs de défection listés ici, sans être exhaustifs, permettent d’avancer dans la compréhension des processus de désengagement dès lors que l’on tient compte de la situation et du contexte de leur énonciation et qu’on les rapporte aux trajectoires et aux caractéristiques objectives des individus. À ce stade, au moins trois éléments méritent d’être soulignés.

38 Primo, les défections individuelles, loin d’intervenir suite à une décision soudaine de mettre fin à son investissement militant, sont davantage l’aboutissement d’un délitement progressif de l’engagement. L’engagement d’Amal a commencé à s’étioler depuis son retour au Maroc, en juillet 2011, mais sa sortie du mouvement ne se fait que sept mois plus tard, en février 2012. Pour Soraya encore, son engagement se délite en épousant le rythme du déclin contestataire. Ces exemples reflètent comment les défections reposent sur des processus de long terme. Cependant, il faut garder à l’esprit que la situation d’énonciation des motifs n’est pas celle de la défection à proprement parler. Les désengagements ont déjà eu lieu quand les acteurs, sollicités par l’enquêteur, énoncent des motifs de défection. Les motifs peuvent ainsi être le produit d’une reconstruction a posteriori14, d’où parfois le décalage chronologique entre les départs effectifs et le motif lui-même.

39 Deuxio, les processus de défection peuvent être retardés par un certain nombre de « barrières » qui participent à freiner le rythme du désengagement. C’est par exemple le cas des défections retardées par l’insertion dans des réseaux de sociabilités militantes et par les sollicitations des camarades ou des amis militants à poursuivre son engagement. On pense ici à Soraya, à Amal ou à Nadir qui, malgré leur prise de distance vis-à-vis du mouvement, continuent à s’inscrire dans les réseaux de sociabilités militantes du M20F notamment car la plupart de leurs amis sont insérés au sein de ces réseaux. Ainsi, s’il est possible de diminuer son engagement, voire de ne plus participer à la mobilisation, il est en revanche plus difficile de se défaire des sociabilités liées au mouvement et qui souvent débordent du seul cadre de l’action collective. Phénomène de ralentissement que retrouve également Isabelle Lacroix dans son étude sur le maintien des engagements militants pour la cause basque en France (Lacroix 2013).

40 Tertio, si les justifications des acteurs sont variées, certaines sont spécifiques à la condition étudiante ou à la sortie de cette condition et doivent, de ce point de vue, être rapportées aux caractéristiques objectives des individus. On sait que les changements dans la sphère publique des engagements peuvent correspondre à des changements dans la sphère professionnelle ou privée (Fillieule 2003 ; 2010)15. La fin des études et l’entrée sur le marché du travail concernent Zeina (en septembre 2011), Amal (en janvier 2012) et Soraya (en février 2012). Si Zeina associe clairement son désengagement à un manque de disponibilité liée à son nouveau statut d’étudiante- salariée, Amal et Soraya ne mentionnent pas ce point ; pourtant leur désengagement coïncident objectivement avec leur entrée sur le marché du travail et leur sortie des études. La question du lien entre entrée sur le marché du travail et engagement prend un relief particulier dans le contexte actuel du marché de l’emploi marqué par la dévaluation des diplômes et le chômage de masse – et de longue durée - des diplômés

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universitaires (Larbi 2000 ; Mellakh 2000). Ce contexte peut jouer à double sens sur le maintien des engagements.

41 D’une part, la faible probabilité de trouver un travail malgré le diplôme obtenu et l’expérience de la recherche d’emploi, supposée transitoire mais qui, finalement, se mue en période indéterminée, peut constituer une incitation à rester engagé dans la mesure où rien n’attend les individus en dehors du mouvement ; l’engagement peut ainsi représenter, en dehors de la recherche d’emploi, la seule activité fournissant à l’individu, en contrepartie de son investissement, des gratifications sociales et symboliques. Et, comme le souligne Isabelle Lacroix suite à Rosabeth M. Kanter, « plus l’individu est pris dans un système, unique dispensateur des récompenses et des coûts, plus il reste engagé » (2013 : 48). Ce qui rejoint également en ce sens les travaux qui montrent que plus l’individu est inscrit dans une pluralité de sphères de vie (ou de réseaux), plus les chances qu’il se désengage sont grandes (McPherson et al. 1992).

42 Inversement, obtenir un travail dans cette situation peut constituer un facteur de désengagement non négligeable, l’opportunité d’emploi qui se présente aux individus devant nécessairement être saisie. Non seulement parce que les opportunités d’emploi sont rares mais parce que l’accès à l’emploi conditionne, on le sait, l’accès au logement et à la vie maritale. Comme le soulignent Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, « l’ajustement ou au contraire le désajustement entre sphère familiale, amicale, professionnelle et militante conditionnent les chances de rester ou pas engagé, voire d’augmenter l’intensité de son engagement » (2009 :10). Ainsi, le maintien de l’engagement suite à l’obtention d’un emploi peut dépendre de l’ajustement entre la sphère professionnelle et la sphère militante. Pour Soraya, qui commence à travailler en février 2012 en tant que professeur de musique au collège et qui se désengage progressivement du M20F, ces deux sphères sociales s’ajustent harmonieusement, son travail lui permettant de ne pas se défaire complétement de son rôle et de son identité militante (elle s’investit dans le Club des droits de l’Homme de son établissement par exemple). On peut en revanche supposer que cet ajustement ne soit pas le lot de tous, notamment quand l’occupation professionnelle ne relève pas d’un « magistère moral ». Par ailleurs, si l’on se place dans une autre perspective, celle de la « competitive thesis », le maintien d’un engagement intense lors d’une entrée sur le marché du travail peut être remis en cause car « members with higher participation levels in an organization will have to sacrifice other involvements (e.g., other voluntary groups, work, family, etc.) that also make claims upon their resources. This conflict leads to a decrease in member persistence among members with high participation » (Cress et al. 1997 : 62). On revient ici au concept de disponibilité biographique (McAdam 1990) qui met en évidence que les individus qui sont pris dans des liens familiaux ou des carrières professionnelles nécessitant des dépenses de temps significatives seront moins disposés à participer de façon intense à une action collective, à moins qu’ils consentent à sacrifier carrière professionnelle et vie familiale16. En regard du contexte actuel du marché de l’emploi, on peut raisonnablement supposer qu’un tel sacrifice est difficile à consentir.

43 Toutefois, les effets du contexte du marché de l’emploi sur l’engagement ne sont pas univoques et demanderaient à être nuancés au cas par cas selon les chances objectives d’accès à l’emploi des individus, qui dépendent de la filière d’étude suivie, des ressources mobilisables (familiales, sociales, économiques) pour faciliter l’obtention d’un emploi ou faire face à une situation de chômage, etc. Les rétributions et les coûts

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de l’engagement – et du désengagement - pour ces étudiants ont ainsi toutes les chances d’être contrariés selon leurs chances objectives d’accès à l’emploi.

44 À elle-seule l’approche par les motifs demeure insuffisante pour saisir les ressorts du désengagement. Ceci tient notamment au fait que l’attention portée aux justifications des acteurs et à leurs trajectoires individuelles (niveau micro) doit nécessairement être articulée avec d’autres niveaux d’analyse d’ordre macro (valeur sociale accordée à la cause notamment) comme nous l’avons vu mais aussi d’ordre meso (modes d’organisations, formes d’encadrement, etc.).

3- Approche des désengagements par les dispositions contestataires

45 Après avoir interrogé les coûts de la défection sous l’angle des investissements et des sacrifices consentis, on montre que les modes d’organisations du collectif peuvent avoir des effets sur le maintien ou non des engagements. Dans ce qui suit, on met ainsi en relief la façon dont le collectif retient certains profils de militants et en dissuade d’autres. Puis on souligne l’importance de prendre en compte à la fois la question des dispositions sociales individuelles et celle de la socialisation familiale. C’est en effet à travers ces dernières que nous estimons possible de comprendre comment certains de nos enquêtés sont plus ajustés que d’autres au contexte d’action du M20F.

3.1 Coûts de la défection, formes d’attachement au collectif et types d’encadrement

46 Les coûts de sortie sont relativement faibles pour ceux qui se sont peu investis, ne participant qu’aux manifestations ou donnant une aide ponctuelle à tel ou tel comité de la coordination. « On pourrait alors penser, en inversant la proposition de Rosabeth Kanter sur les raisons du maintien de l’attachement, que ceux qui ont fait défection étaient aussi les moins investis, ceux qui n’avaient pas dû faire de nombreux sacrifices pour entrer dans le parti et s’y maintenir » (Grojean 2013 : 66). Or, de la même façon qu’Olivier Grojean le signale pour les militants du PKK, il s’avère que ce sont aussi ceux qui ont été les plus investis parmi nos enquêtés qui se désengagent. Amal, Soraya et Nadir, on l’a vu, ont connu des trajectoires d’engagements très intenses dans le M20F et l’on pourrait multiplier les exemples abondant dans ce sens. On ne peut donc pas imputer les désengagements au faible niveau d’investissement des individus comme l’on ne peut pas non plus, du point de vue des contraintes biographiques, considérer nuls les sacrifices que les individus ont consenti à faire pour maintenir leur engagement. Que l’on songe par exemple aux militants qui ont interrompu leurs études en 2011 pour se consacrer à temps plein à l’action collective. Pourtant, ils ont fini par se désengager malgré les « barrières » au désengagement auxquelles ils se sont heurtés. Dès lors, la notion de dissonance cognitive qui permet de rendre compte du coût psychique de la défection ne semble pas très appropriée pour éclairer ces cas de désengagement, notamment car cette notion a été forgée pour analyser le coût psychique de la sortie de « groupes clos ». Ce qui invite à chercher ailleurs les ressorts du désengagement.

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47 D. J. Cress et ses collègues postulent quant à eux que le niveau d’activité et la durée de l’engagement sont inversement proportionnels en raison de l’incapacité de l’individu à gérer les pressions contradictoires qui émanent des autres exigences de la vie sociale, ce qui le conduit à ne pas pouvoir maintenir durablement un niveau de participation élevé. Mais, là encore, nos enquêtés qui se sont les plus investis dans le M20F sont aussi ceux qui ont été durablement les plus engagés et, à l’inverse, ceux qui se sont peu investis ne sont pas ceux qui ont eu les engagements les plus durables. Cependant, on raisonne ici sur un échantillon de petite taille qui ne permet pas sur le plan quantitatif de confirmer ce lien quand bien même les observations menées tendent elles aussi à aller dans ce sens. On pense par exemple à notre observation du petit groupe de militants de la Coordination de Rabat qui continue en 2013 à « faire vivre » les AG à huis-clos : il s’agit de quelques militants qui étaient à l’initiative de la marche du 20 février et qui se sont illustrés par un investissement intense tout au long du « moment protestataire ».

48 Explorons une autre piste qui permet de distinguer le fait de participer – et de se retirer – d’un mouvement de ce type de celui de devenir membre d’une organisation (Oliver 1989) et de la quitter. Il s’agit de l’idée selon laquelle les défections seraient facilitées en raison du faible degré d’attachement au groupe, généré par la souplesse du collectif dans ses formes d’encadrement associée à la promotion d’un type d’organisation horizontale et d’un fonctionnement reposant sur les principes de démocratie directe. Le M20F a effectivement reposé sur un type de fonctionnement marqué par l’absence de dispositifs contraignants la participation des militants et favorisant des engagements « labiles », sur des modalités d’organisation horizontales par la mise en pratique du principe de décentralisation et d’autonomie des coordinations et le refus d’une représentation du collectif à l’échelle nationale. Le M20F a aussi été marqué par des modalités décisionnelles et des pratiques délibératives dont celle de l’« unanimité sans vote » lors des AG, qui consiste à clore l’AG quand l’ensemble des membres s’est accordé sur le sujet mis à l’ordre du jour (Chapouly 2011 :50). La volonté des militants de se démarquer des formes traditionnelles du militantisme incarnées par les partis politiques (jugés trop hiérarchiques, inégalitaires, bureaucratiques et donc dépassés) a favorisé la surenchère de discours sur les bienfaits de la démocratie directe, de l’absence de structure hiérarchique, d’une organisation horizontale, etc. Ce type de fonctionnement et ces modalités d’organisation se traduiraient par une faible socialisation organisationnelle des militants, par des mécanismes de rétention des mobilisés moins « lourds » et par, in fine, la faible présence voire l’absence de logiques de sélection sociale au sein du collectif. Dans cette perspective, les individus ne seraient pas « retenus » ou choisis par le collectif, mais décideraient d’y participer ou de s’en retirer volontairement, en quelque sorte selon leur bon vouloir. Le faible degré d’attachement au collectif caractéristique de ces engagements « post-it » ou distanciés expliquerait en outre les flux et reflux militants. Ce type d’explication, dont on a ici volontairement grossi les traits, souffre de plusieurs limites sur lesquelles nous ne reviendront pas, qui ont été pointées à mainte reprise et très récemment encore (Lefebvre 2013). Deux remarques s’imposent ici sur les effets potentiels de ces modalités d’organisation et de fonctionnement.

49 D’une part, elles jouent un rôle important dans la façon dont peut être vécu l’engagement – et le désengagement. En raison de la souplesse de fonctionnement du collectif, du principe de participation « citoyenne », de l’absence de dispositifs

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matériels encadrant l’appartenance au collectif, certains militants ne se définissent pas comme désengagés quand bien même ils ne participent plus au mouvement. Constat que retrouvent également Christophe Broqua et Olivier Fillieule dans leur étude sur deux associations de lutte contre le sida (2005).

50 D’autre part, les effets spécifiques que les modalités d’organisation et le type de fonctionnement « délibératif » ont pu exercer sur la composition sociale du collectif, notamment en incitant ou en décourageant l’engagement de certains profils militants plutôt que d’autres, doivent être pris en compte. On distingue, de ce point de vue, trois types de pratiques (ou de dispositifs) par lesquelles le collectif sélectionne ses participants :

51 Les pratiques délibératives d’abord, telle que l’ « unanimité sans vote », peuvent avoir pour effet d’exclure, du fait de leur dimension chronophage, les militants ne pouvant pas consacrer un temps inconsidéré à l’action collective, en raison d’une activité professionnelle ou de responsabilités familiales (Sawicki & Siméant 2009 : 20). De la même manière, le type de régulation de la prise de parole lors des AG, qui consiste à accorder un temps de parole égalitaire et limité à tous ceux qui désirent parler exclut de fait ceux qui éprouvent des difficultés à prendre la parole en public. Cette exclusion est bien ressentie par Tariq, 24 ans, étudiant en faculté de sciences économiques à Rabat. Il a rejoint le premier groupe de jeunes à l’initiative de l’organisation de la marche du 20 février et explique qu’après un certain temps il a commencé « à ralentir, à moins aller dans les réunions car c’était toujours pareil aux AG, les mêmes qui parlent… les mêmes problèmes ».

52 Enfin, il faut aussi souligner que le fonctionnement du collectif favorise l’émergence de réseaux informels du fait de l’absence de dispositifs d’encadrement bien formalisés. Ces réseaux, qui ont un caractère exclusif, constituent des lieux de décision informels en ce sens qu’ils regroupent certains militants en dehors des AG et des actions collectives (dans des bars ou des cafés du centre-ville) qui discutent des orientations du mouvement et des futures décisions à prendre. Dès lors, les militants qui ne sont pas insérés dans ces réseaux sont exclus des prises de décision ou des arrangements qui se font en dehors des AG (Freeman 1972).

53 Ces quelques remarques sur les dispositifs de sélection sociale qui s’accomplissent de manière implicite au sein du collectif et qui participent à retenir certains membres et à en décourager d’autres invitent à une mise en regard des dispositions individuelles tant celles-ci apparaissent déterminantes dans la façon dont les individus investissent le collectif et, en retour, dans la manière par laquelle ils sont travaillés par ce dernier.

3.2 Le poids de la socialisation familiale dans le maintien ou non de l’engagement

54 Dans la première partie de cet article, nous avons opéré un détour par les trajectoires individuelles au cours desquelles, on l’a vu, les individus se sont familiarisés au monde militant d’abord par socialisation familiale puis par les expériences socialisatrices secondaires. Il s’agit ici d’examiner les effets de la socialisation familiale sur l’engagement et son maintien ou non et de voir comment les dispositions sociales des enquêtés sont ajustées (ou non) aux « attentes » implicites du collectif. Plusieurs effets de la socialisation familiale sur l’engagement et son maintien ou non sont à souligner :

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55 D’une part, les dispositions à l’oralité qui permettent de prendre la parole lors des AG sont souvent intériorisées au cours de socialisation au débat politique dans le cadre familial. En effet, assister à des débats politiques lors des repas familiaux, entendre ses parents discuter de leur activisme ou d’enjeux auxquels ils sont confrontés dans leurs pratiques militantes, constituent des voies de transmission du goût au débat politique (Mathieu 2012). On peut comprendre, de ce point de vue, que les militants enquêtés n’ayant pas connu une telle socialisation puissent ressentir plus de difficultés que les autres à prendre la parole lors des AG. Ce qui est précisément le cas de Tariq que l’on a mentionné plus haut et qui déplorait la monopolisation de la parole par quelques-uns. N’étant pas issu d’une famille militante et n’ayant pas fait l’expérience du militantisme avant sa participation au M20F, il s’est retrouvé à l’écart des débats militants.

56 D’autre part, c’est au contact des parents qui constituent les agents socialisateurs les plus proches et à travers les diverses expériences sociales vécues que l’univers politique des enfants se constitue : « J’avais 16 ans quand j’ai commencé à m’engager, mais auparavant tu sais quand on est fille de militants on est toujours dans les activités d’associations, tout le temps dans les activités de partis politiques, mais on ne connaissait pas les noms quand on était petit, c’est-à-dire que c’était un lieu de rencontre entre mes oncles et tantes et mon père, c’est là qu’il nous emmenait, on ne savait pas quel parti c’était, en fait on ne savait même pas ce que c’était un parti politique, pour nous c’était un peu comme une deuxième maison [...] et puis c’est plus tard quand on a grandi qu’on a compris où on avait passé notre enfance [rire] »

57 Cet extrait d’entretien signale que l’univers politique enfantin se constitue avant l’acquisition d’un langage spécifiquement politique. À cet égard, notre corpus d’enquête confirme les travaux qui montrent que l’intériorisation de schèmes de perception et d’action propres à l’univers politique se fait d’abord sur le mode infra- politique et affectif (Percheron 1985). Certains enquêtés entretiennent ainsi une relation affective avec un parti au sein duquel ils ont passé du temps durant leur petite enfance (Soraya) ou d’autres se remémorent des souvenirs heureux en évoquant l’association dans laquelle ils participaient aux activités pour enfants (Nadir, Zineb). L’univers politique des enfants trouve aussi sa genèse dans les expériences sociales affectives de l’enfance qui constituent des connaissances par corps du monde social (Bourdieu 1997).

58 Cet examen (quoique très partiel) de la socialisation familiale en lien avec les logiques de sélection sociale du collectif abordées plus haut permet d’expliquer l’ajustement observé des dispositions sociales de certains enquêtés avec le contexte d’action du M20F. Il explique par la même occasion que les deux enquêtés qui n’appartiennent pas à des familles militantes, dont Tariq, puissent rester moins longtemps engagés que les autres et retirer moins de bénéfices de leur participation à l’action collective. Par exemple, insatisfait de sa participation au mouvement et déplorant les conflits intérieurs au collectif, Tariq décide de se retirer après quelques mois d’activisme. La raison de ce départ n’est pas idéologique puisqu’il continue de croire en la « cause » et de trouver légitimes les objectifs du mouvement. Seulement, la réalité de la pratique militante n’a pas correspondu à ce qu’il en attendait. Ainsi, l’attention aux inégales dispositions à l’action collective permet de mieux comprendre comment les engagements - inégalement rétribués selon les ressources et dispositions militantes dont on dispose - peuvent être plus ou moins durables et plus ou moins intenses. En revanche, elle n’explique pas comment certains de nos enquêtés en viennent à se

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désengager alors qu’ils font partie des militants fortement dotés de dispositions au militantisme (cas de Soraya et Nadir). Selon nous, pour saisir les logiques qui sous- tendent ces défections, il faut d’abord revenir aux facteurs du désengagement évoqués plus haut qui sont liés à la condition étudiante et à l’ajustement ou au désajustement entre les différentes sphères de vie sociale dans lesquelles l’individu est pris. Ensuite, il convient de prendre en considération les effets sur l’engagement de l’histoire militante familiale et, plus encore, de « la pente de la trajectoire sociale de la lignée » (Bourdieu 1974 : 29). Les enfants incorporent des manières de sentir, de penser et d’agir du groupe social d’origine comme le produit des imprégnations d’attitudes subjectives issues de la lignée familiale (Dubar 2010). Le cas de Soraya illustre particulièrement bien comment la trajectoire de sa lignée familiale est constitutive de ses dispositions au militantisme. Comme nous l’avons souligné plus haut, sa mère, femme au foyer, a interrompu ses activités militantes au moment de la naissance de sa deuxième fille. L’ascension sociale du père, amorcée par l’accès à l’Université à la fin des années 1970, a été interrompue par une période d’emprisonnement. Si son engagement a affecté durablement son parcours professionnel en provoquant l’interruption de sa promotion sociale et en le contraignant à reprendre l’épicerie de son père, en retour, son parcours professionnel a affecté son engagement en l’éloignant du monde du militantisme et en lui offrant moins de possibilités de se vivre comme militant. Ainsi, sa trajectoire post-carcérale est ponctuée par des désengagements successifs jusqu’à un désengagement complet en 2006 qui intervient suite à son retrait du PADS. En 2000, il s’est retiré de l’AMDH estimant que « l’association n’est plus ce qu’elle était » et qu’il y a des militants « qui sont désormais plus tournés vers l’intérêt personnel que collectif ». Bien que gardant quelques contacts avec ses anciens camarades de l’AMDH ou du parti, il ne milite plus depuis cette date. Il a porté un regard très pessimiste voire critique sur l’initiative du M20F et n’a participé à aucune manifestation. C’est en pensant de manière relationnelle la trajectoire militante du père et celle de Soraya qu’il est possible de saisir, pour partie au moins, le rapport ambivalent de cette dernière au « monde militant » et à ceux qui le peuple. Les jugements sociaux critiques que Soraya opère sur les « gauchistes » (des « schizophrènes », « des faux alliés ») et ses engagements et désengagements successifs sont non seulement à rapporter à sa propre trajectoire mais aussi à celle de son père qui présente de nombreuses homologies. Cela invite à considérer que les dispositions au militantisme de Soraya et son rapport à l’engagement sont aussi le produit du devenir militant de ses parents17. De ce point de vue, l’étude des effets sur les enfants du vieillissement social des parents en lien avec leurs trajectoires militantes aurait sans doute beaucoup à apporter à la compréhension de ces cas de dispositions sociales ambivalentes qui, réactivées dans le cours de l’engagement, peuvent peser en faveur d’un retrait militant.

Conclusion

59 Pour conclure nous pouvons souligner ou rappeler plusieurs points : D’une part que des individus aux parcours très variés se retrouvent à un moment donné dans une même action collective en raison de l’affinité de leurs dispositions sociales. Ces dispositions sociales qui sont ici des dispositions au militantisme se sont forgées dans des cadres de socialisation relativement similaires.

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60 D’autre part que les processus qui sous-tendent les désengagements sont, d’une certaine manière, plus complexes que ceux qui conduisent à s’engager. On a en effet mis en relief la nécessité de prendre en ligne de compte, pour saisir les ressorts du désengagement, plusieurs dimensions ou facteurs parfois imbriqués les uns aux autres : la disponibilité biographique et les contraintes qui sont liées à la condition étudiante d’abord ; l’ajustement ou le désajustement entre les différentes sphères de vie dans lesquelles l’individu est inséré ensuite ; mais aussi les dispositions au militantisme et les rétributions que les individus perçoivent de leur participation à l’action collective ainsi que les effets de sélection sociale générés par le type de fonctionnement délibératif et les modalités d’organisation horizontale du collectif ; et, enfin, le devenir militant des parents et la trajectoire sociale de la lignée familiale. Ces différents univers de contraintes dans lesquels l’engagement est pris et qui apparaissent souvent dans le cours de l’action, contribuent ainsi à définir les conditions sociales de possibilité du désengagement.

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NOTES

1. Gérard Mauger explique : « Parce que cette situation de transition entre une position sociale initiale (définie à la fois par celle de la famille d’origine et par une position scolaire) et une position future (définie par une insertion professionnelle et une alliance matrimoniale « définitives ») ne peut déjà plus être déterminée par la position de départ mais pas encore par la position d’arrivée (qui reste plus ou moins virtuelle), la jeunesse est une situation d’indétermination : indétermination professionnelle et matrimoniale, variable d’un pôle à l’autre de l’espace social et qui se réduit au fil du temps » (Mauger 1995 : 19). 2. Laquelle porte sur les enfants de militants marocains engagés au cours des « années de plomb », soit dans les mouvances de gauche et/ou d’extrême gauche soit dans l’organisation clandestine islamique Chabiba Islamiya (Jeunesse Islamique). Elle vise à interroger ce que les « micro-cohortes » militantes des années 1970 et 1980 ont transmis à leurs enfants à partir d’un dispositif d’enquête reposant à la fois sur des entretiens appariés (parents, fratrie) et sur une observation ethnographique des acteurs engagés, notamment au sein du mouvement du « 20 février » (recherche doctorale aux Universités de Lausanne (IEPI-CRAPUL) et d’Ottawa (École d’études politiques), au bénéfice d’une bourse du Fond national Suisse de la recherche et d’une mobilité au Centre Jacques Berque à Rabat). 3. Les entretiens utilisés ici ont été menés en français. Leur durée varie de 1,5 heure à 3 heures. 4. La question de la distribution de la politisation des étudiants selon la filière d’études ne sera pas abordée ici, faute de données disponibles. Sur la question de la répartition des effectifs entre les différentes filières de l’enseignement supérieur au Maroc, en lien avec les politiques de massification scolaire et les attentes en termes de mobilité sociale, voir Larbi (2000). 5. Depuis les années 90, la présence des militants de Justice et Bienfaisance est devenue massive sur les campus, dans les amphis et bien sûr au sein de l’UNEM, reléguant au second plan les militants de gauche qui dominaient depuis le début des années 70. L’Université a constitué depuis plusieurs décennies un objectif central pour des groupes islamistes tel que Justice et Bienfaisance au Maroc (ou Ennahda en Tunisie). Sur la montée de l’islam politique militant à l’Université, voir : (Tozy 2008) ; voir aussi pour le cas tunisien : (Siino 2002 ; Camau & Geisser 2003). 6. El Mustapha Ramid a démissionné du secrétariat du PJD en 2011. Le 3 janvier 2012, il est nommé, par le roi, ministre de la Justice et des libertés. 7. Ce qui vaudra d’ailleurs à certaines militantes « gauchistes » d’être estampillées de « khwanjiiya ». Le qualificatif « khwanji » désigne péjorativement les militants islamistes. Ces derniers préférant être désignés (et s’auto-désignant) par le terme de « akh » ou « oukht moultazim » ou « moultazima » (littéralement « frère ou sœur engagé.e »). 8. Nous avons changé les prénoms et les noms des enquêté-e-s pour garantir leur anonymat, et quand cela nous semblait nécessaire, le nom des lieux (villes, écoles, etc.) sans modifier la chronologie des événements 9. Entretien avec Mustapha Moatassim, alors secrétaire général du parti, mars 2012. 10. Le Mouvement pour tous les démocrates (MTD) est né en 2008 à l’initiative de Fouad El Himma, ancien ministre délégué à l’Intérieur et proche ami du roi. Le MTD laisse son initiative « ouverte à tous les démocrates, indépendamment de leur appartenance partisane ». Des figures emblématiques de l’extrême gauche marocaine telles que Khadija Rouissi (AMDH, FVJ, IER), Salah Al Ouadie El Assafi (ex-23 mars, IER), Ahmed Akhchichine (ex-23 mars), Hassan Benaddi (UMT et député), mais aussi des acteurs issus du milieu associatif et d’anciens « partis administratifs » rejoignent le mouvement. Les membres du MTD alimentent les rangs du Parti Authenticité et Modernité (PAM) qui voit le jour en 2009. 11. Le CNSM20 est créé le 23 février 2011 à l’initiative de collectifs partageant les revendications émises par les jeunes. On y retrouve des partis de la gauche non-gouvernementale (PSU, La Voie démocratique, PADS, le Comité national Ittihadi (CNI), l’AMDH, le Forum Vérité et Justice (FVJ).

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Ce comité se donne pour objectif de soutenir le mouvement par un appui logistique et financier et en participant aux marches dominicales et autres manifestations. 12. Précisons ici qu’il faut entendre par disposition « une inclination ou une appétence intériorisée au fil de la trajectoire de l’individu, via les différents sites et étapes de sa socialisation » (Mathieu 2012 : 184). 13. D’abord, le sit-in du 13 mars, organisé devant la Wilaya de Casablanca par des militants du M20F pour revendiquer des réformes plus radicales et moins floues que celles proposées par le souverain dans son discours (Tourabi & Zaki 2011), est violemment réprimé par les forces de l’ordre qui font irruption au siège du PSU dans lequel les militants avaient trouvé refuge. Puis, la répression des manifestants s’intensifie au cours des mois de mai et juin 2011. Si cette vague de violence a pu être perçue par certains comme un aveu de faiblesse du pouvoir central et donc comme une incitation à la poursuite de la contestation, elle a pu être perçue, par d’autres, comme une dissuasion à la poursuite de l’action collective, rehaussant le coût potentiel de l’engagement. 14. Comme l’indiquent Christophe Broqua et Olivier Fillieule, « dans la diversité des motifs invoqués, il est toujours difficile de restituer l’ordre dans lequel les individus en sont venus à éprouver et à formuler leur désir de rompre. L’énonciation a posteriori des motifs du désengagement (…) ne permet donc pas toujours de faire le partage entre les raisons les plus « profondes » et les éléments circonstanciels, les événements déclencheurs, les simples prétextes » (2005 : 193). 15. Olivier Fillieule souligne que « (…) that analysis of the logic of disengagement must proceed through identification, in different life-spheres, of critical moments that can translate into a new valuation of the expected rewards, knowing that their value in a sphere co-varies with the value attributed to them in all other spheres » (2010: 9). 16. Sacrifices que Cress et ses collègues ne retrouvent pas dans leur étude, dans laquelle ils établissent un lien négatif entre niveau de participation et durée de l’engagement. Leur perspective « concurrentielle » annule de ce fait le lien positif entre sacrifices consentis par les individus (le désinvestissement d’autres sphères de vie par exemple) et niveau/durée de l’engagement. 17. Il conviendrait par ailleurs de prendre en considération une génération familiale supplémentaire, celle des grands-parents, dans l’analyse des effets du devenir militant familial sur les enfants. Claudine Attias-Donfut (2000) a montré toute la pertinence qu’il y avait à prendre en compte la question des transmissions sur trois générations.

RÉSUMÉS

Cet article traite la question de la démobilisation collective sous l’angle des processus de désengagements individuels d’une catégorie d’acteurs donnée : celle des étudiants de la Coordination du mouvement du « 20 février » (M20F) à Rabat. Il vise à saisir comment certains en sont venus, à un moment donné, à se mobiliser dans une même action collective, puis à se distancier du mouvement ou à interrompre leur participation. L’analyse des trajectoires individuelles fait apparaître des logiques à la fois différenciées et similaires d’entrée en contestation. L’engagement des étudiants est travaillé par différents ordres de contraintes (condition étudiante, marché du travail, etc.) que révèle l’analyse des motifs du désengagement. En étant attentif aux effets de sélection sociale exercés par les modes d’organisation et le type de fonctionnement du collectif (niveau meso), l’article montre ensuite que les conditions de

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possibilité de la défection sont en partie déterminées par les dispositions au militantisme (niveau micro) dont sont inégalement pourvus les étudiants. Il met en relief le rôle de la socialisation familiale dans l’acquisition de celles-ci ainsi que l’influence exercée par l’histoire sociale et familiale des individus sur le maintien ou non de l’engagement.

INDEX

Keywords : Arab spring, Collective Action Strategies, disengagement, Morocco, socialization, militant careers, militant trajectories Mots-clés : désengagement, étudiants, action collective, socialisation, trajectoire militante, Maroc, mouvement du 20 février

AUTEUR

JOSEPH HIVERT IEPI-CRAPUL, Lausanne

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La démobilisation étudiante au Mexique : le double visage de la répression (juillet-décembre 1968)

Guadalupe Olivier-Téllez, Sergio Tamayo Flores-Alatorre et Michael Voegtli

NOTE DE L'AUTEUR

Les auteurs remercient les réviseurs anonymes pour leurs remarques et commentaires sur des versions antérieures de ce texte. « Vaincra l’indignation ou la peur » (Marcelino Perelló Vals, étudiant activiste)1

1 Indignation et peur sont deux émotions fréquemment mentionnées par les intégrant-e- s du mouvement étudiant de 1968 au Mexique, mouvement violemment réprimé par le régime autoritaire. L’indignation initiale qui déclenche la mobilisation à la suite des premières actions de répression des étudiant-e-s par la police et l’armée laisse place à la peur au fur et à mesure que la technologie de la répression s’accroît. Présente dès l’origine du mouvement, la répression n’est ainsi pas suffisante pour comprendre la démobilisation étudiante. Elle ne prend sens que lorsqu’elle est liée aux risques de la participation et aux affects dans une configuration spécifique.

2 Cet article étudie la mobilisation et la démobilisation étudiante dans le cas du mouvement de 1968 dans la ville de Mexico. Considérant la période qui va du 23 juillet au 6 décembre 1968, date marquée par la dissolution formelle du Conseil national de grève (Consejo Nacional de Huelga, CNH), nous privilégions l’analyse de deux dimensions du processus de mobilisation/démobilisation. D’une part, nous nous intéressons à la dimension organisationnelle qui en explique le déclin en le liant aux transformations du contexte politique, en particulier à la répression du régime autoritaire qui pèse sur les coûts et les risques individuels de la participation politique. Étudier la dynamique interne du mouvement permet ainsi de s’intéresser aux conditions de la poursuite de l’engagement militant en liant la participation politique à

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la configuration sociopolitique qui la rend possible ou la limite. D’autre part, l’examen des témoignages d’activistes du 68 mexicain2 nous permet de mettre au jour certains mécanismes de la démobilisation et notamment le rôle des émotions. La lutte des étudiant-e-s au Mexique constitue un cas particulièrement intéressant de mobilisation et démobilisation politique. Située dans un contexte de forte contestation au niveau international, elle tire son origine de différentes causes. Nous insisterons ici sur deux niveaux.

3 Premièrement, il s’agit de se pencher sur le contexte lié à une configuration politique et socio-éducative nationale. Comme nous le verrons dans la première partie de cet article, la situation politique dominée par un système de parti unique qui ne donne pas la parole aux oppositions coexiste avec des demandes d’ouverture et de libéralisation de plusieurs secteurs. Les revendications pour plus de liberté d’opinion (libération des prisonniers politiques y comprise), de liberté de presse et pour une ouverture et démocratisation de l’accès à l’éducation se situent dans un processus plus ample de mobilisation initié plusieurs années auparavant et culminant en août 1968.

4 Deuxièmement, la dynamique de cette mobilisation d’une durée de sept mois renvoie aux réseaux organisationnels et à l’échange de coups entre activistes d’un côté et autorités politiques et forces de maintien de l’ordre (police et armée) de l’autre, dans une situation de couverture médiatique défavorable au mouvement. Nous verrons dans les quatre parties suivantes que la répression constitue dans un premier temps une incitation à la mobilisation et un élément de configuration du mouvement (jusqu’à la fin du mois d’août) ; mais à partir du moment où elle s’intensifie, elle favorise le démantèlement organisationnel du mouvement et le désengagement3.

5 La démobilisation politique a fait l’objet de nombreuses analyses, que ce soit pour en saisir la dimension collective, c’est-à-dire la fin d’une ample mobilisation sociale ou d’un mouvement, ou pour comprendre ses aspects individuels, en cernant les conditions du désengagement militant (pour une synthèse, cf. Fillieule 2013). Sans prétendre nous inscrire dans la lignée des analyses étudiant les conséquences biographiques de l’engagement (Gottraux 1997, McAdam 1999, Fillieule 2005, Leclercq et Pagis 2011), nous proposons ici d’adopter une perspective processuelle de l’action protestataire qui prenne en compte les dimensions de la configuration sociopolitique favorisant l’évolution de la mobilisation et son déclin, ainsi que les transformations organisationnelles et individuelles au cours de ce processus. Comme l’indique McAdam (1982 : 48) : « Insérées entre l’opportunité et l’action, il y a les personnes et les significations subjectives qu’elles attribuent à leurs situations ». Cet aspect est crucial pour comprendre le passage de la mobilisation à la démobilisation.

6 Dans ce processus, il est indispensable d’analyser le rôle de la répression, dans la mesure où plusieurs analyses soulignent qu’elle peut autant contribuer à affermir l’action protestataire qu’à l’affaiblir, selon l’étape à laquelle se trouve la mobilisation (Brockett 1993 et 2005 ; pour une synthèse, cf. Combes et Fillieule 2011). Ainsi, la répression ne permettant pas en elle-même d’expliquer le succès ou l’échec d’une mobilisation ; il faut dès lors saisir la dimension subjective de la participation politique dans la dynamique de la lutte.

7 Prendre en compte la dimension subjective consiste à indiquer que chaque mobilisation a ses coûts et risques, qui sont autant de conditions de poursuite de l’action. Nous nous appuyons sur les travaux de Wiltfang et McAdam (1991), selon lesquels les coûts sont définis comme « la dépense de temps, d’argent et d’énergie nécessaire à une personne

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engagée dans n’importe quelle forme d’activisme ». Les risques, quant à eux, se rapportent aux « dangers anticipés – légaux, sociaux, physiques, financiers, etc. – de l’engagement dans une activité de mouvement » (McAdam, 1986 : 67). Le coût est tout ce qui est sacrifié, passé, dépensé, perdu ou vécu « négativement » (par exemple la souffrance, la fatigue, etc.) par les activistes au cours de leur participation aux activités du mouvement. Le risque, de l’autre côté, fait référence à l’anticipation ou à l’attente subjective de la part des activistes d’un coût qui pourrait être le résultat de leur participation à un mouvement (par exemple être arrêté, payer une amende, être battu, torturé ou tué). « Les coûts sont sous le contrôle personnel de l’activiste ; les risques, en tant que coûts futurs, ne dépendent pas seulement des propres actions de l’activiste, mais des réponses des autres aux actions de l’activiste » (Wiltfang et McAdam 1991 : 989).

8 Cette définition insiste sur les dimensions objectives et subjectives de la participation politique et sur leurs transformations en fonction de comment s’articulent certaines oppositions et alliances. Loin de reprendre à leur compte une perspective telle que celle du choix rationnel, les auteurs soulignent l’importance de la relation entre les autorités politiques et les acteurs engagés dans le mouvement ; ils signalent que les changements de la dynamique de lutte influent sur les opportunités de poursuivre l’engagement, dans la mesure où les activistes réélaborent sans cesse leurs perceptions des risques.

9 Sur l’ensemble du processus, le poids des émotions se révèle dès lors déterminant, comme l’ont montré dans d’autres contextes plusieurs analyses sur l’action collective (notamment Jasper 1998 ; Goodwin, Jasper and Polletta 2004 : 414 ; Traïni et Siméant 2009 ; Broqua et Fillieule 2009 ; pour une synthèse : Sommier 2010) et comme l’indique Récappé (2008) dans son analyse des ressorts de la mobilisation du mouvement étudiant mexicain. Selon Sommier (2010), la « dimension affectuelle », rassemblant sentiments et émotions, se manifeste à trois niveaux : elle est d’abord visible dans la phase de la mobilisation, lorsqu’une série d’événements répressifs générant de l’indignation contribuent à l’engagement individuel et au développement d’une large coalition ; ensuite, elle est constamment perceptible au niveau de l’« économie affectuelle du groupe », que ce soit dans les « liens émotionnels » (Récappé 2008 : 200) qui cimentent l’action protestataire, en particulier par l’intermédiaire du travail quotidien dans les comités et brigades, ou encore dans le maintien de la loyauté par le recours à la figure des martyrs – prisonniers politiques et morts – lors de la phase de démobilisation. Enfin, cette démobilisation ne peut être cernée sans prendre en compte les « affects négatifs ou dysphoriques » (Sommier 2010 : 201) et en premier lieu la peur.

10 Ainsi, mettre l’accent sur les risques de la participation en les liant aux affects dans un contexte de répression accrue permet largement d’expliquer le processus de mobilisation et de démobilisation étudiante lors du 68 mexicain et, pour cette dernière, les moments où commencent à prédominer les motifs du désengagement basés sur le vocabulaire de la peur.

11 Pour le démontrer, nous avons établi une périodisation particulière liée à la démobilisation, en identifiant quatre phases. La première, très courte, va du 23 au 30 juillet : elle débute avec la protestation étudiante à la suite de la répression par la police de lycéen-ne-s impliqué-e-s dans une bataille de rue. L’origine du mouvement est aussi le moment où commence à être orchestrée par le gouvernement une technologie de la répression dont l’efficacité sera visible à plus long terme. La seconde phase, du

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31 juillet au 28 août, est une période qui reflète le développement d’un mouvement qui se structure au niveau de son organisation et génère des répertoires d’action d’une efficacité et d’un impact importants, formant de denses réseaux d’alliés dont les liens permettent l’alignement de cadres d’interprétation de la mobilisation. La troisième phase, du 29 août au 2 octobre, est caractérisée par l’usage insistant et ouvert de la technologie de la répression de l’État, cherchant par tous les moyens à briser les liens entre le mouvement et la société mexicaine, ébranlant les effets positifs des répertoires de mobilisation, isolant le mouvement, minant les sources de sa force sociale. La démobilisation en termes génériques commence à affaiblir le mouvement. La quatrième et dernière phase va du 3 octobre au 6 décembre, jour où cesse officiellement la grève étudiante. Il s’agit d’une étape de désagrégation générale des protagonistes, conséquence de l’emploi brutal de la technologie de la répression et d’un recours systématique aux agressions, comme l’occupation par l’armée des installations universitaires et du massacre du 2 octobre, visant particulièrement les représentants du mouvement mais aussi l’ensemble des personnes réunies dans les espaces publics. Avant d’aborder ces phases, il convient de clarifier les conditions initiales qui contribuent à l’action protestataire, en cernant les modalités de constitution du mouvement, les réseaux organisationnels à son origine et l’actualisation des répertoires d’action hérités de la longue trajectoire de lutte étudiante durant la première moitié du XXe siècle.

Les origines du mouvement

12 Les réseaux organisationnels peuvent favoriser la production et la circulation de ressources affectives, cognitives et symboliques (Fernandez et McAdam 1988, Snow et McAdam 2000, Diani 2004) et influencent aussi bien la configuration d’alliances possibles que les moyens et les objectifs de la lutte. La compréhension du mode de constitution de ces réseaux permet, en outre, de mettre en partie au jour les mécanismes de la démobilisation à partir du moment où se modifient l’équilibre et le soutien des organisations qui les composent.

13 La lutte étudiante au Mexique s’inscrit dans la vague contestataire de 1968, cette année constituant une étape de transition structurelle. La succession d’événements qui surviennent durant les années 1960 prend corps dans les soulèvements pour la justice sociale menés à l’ombre de la Guerre froide. La mort d’Ernesto Che Guevara en 1967 marque la naissance du mythe révolutionnaire et l’effervescence des positions de la gauche. Le Mai français montre aux étudiant-e-s mexicain-e-s mobilisé-e-s l’exemple d’une jeunesse radicalisée, intellectualisée et politisée. La révolte étudiante allemande, le printemps de Prague, la contestation à la guerre du Vietnam, le mouvement hippie, la théologie latino-américaine de la libération influencée par le marxisme théorique ou encore la grève de l’Association nationale des éducateurs salvadoriens (ANDES) sont autant d’exemples de luttes de libération.

14 Les dernières années de la décennie sont marquées par la rébellion : Hobsbawn (2000) s’y réfère davantage comme une porte qui se referme, la fin de la révolution de l’ancien monde, mais en même temps, dans le cas de la plupart des pays d’Amérique latine il s’agit d’années marquées par des transformations importantes, de luttes quasi permanentes. Au Mexique, culmine au cours de ces années le modèle de développement économique qui s’était auparavant imposé comme projet dominant : substitution des

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importations, développement et soutien aux entreprises nationales, essor de l’État- providence. L’année 1968 constitue une transition en germe depuis plusieurs années, un nouvel horizon de modernité qui donnera forme à ce que seront les grands changements des sphères politique, sociale et culturelle du pays (Tamayo 1998).

15 Au cours des années 1960, la citoyenneté signifie un ordre social sous le contrôle étroit du pouvoir gouvernemental du président Gustavo Díaz Ordaz (Tamayo 1998). Ce modèle a émergé très progressivement au cours des années 1940, décennie au cours de laquelle l’État mexicain contribue à faire des secteurs intermédiaires sa nouvelle base sociale, impliquant un renouvellement des formes de domination. Les projets populaires qui caractérisaient la période de gouvernement de Lázaro Cárdenas dans une perspective socialiste sont abandonnés.

16 Diverses mobilisations se développent en réaction : le mouvement des cheminots et des étudiants des écoles de formation d’enseignants de 1958 à 1959, puis d’autres davantage liées aux mouvements ouvrier et paysan. Dans un contexte d’expansion des classes moyennes qui favorise un développement accéléré des zones urbaines, on assiste à une forte polarisation sociale. Au niveau éducatif, l’éducation supérieure devient plus massive et la sphère du travail se restructure exigeant désormais une formation plus poussée, sans toutefois pouvoir absorber l’ensemble des personnes issues de la formation supérieure. Martínez Della Rocca (2010) souligne le décalage entre le processus de massification des universités et l’offre limitée d’emploi dans un contexte de précarité salariale.

17 Les données suivantes de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), l’établissement d’enseignement supérieur numériquement le plus important du pays jusqu’à nos jours, au cœur du conflit étudiant en 1968, permettent d’illustrer la demande croissante dans l’éducation supérieure (tableau 1) :

Tableau 1. Evolution du nombre d’étudiant-e-s à l’UNAM (1950-1980)

Année Nombre d’étudiant-e-s inscrit-e-s (en milliers)

1950 29,9

1960 77,1

1970 271,3

1980 825,5

Source : tableau élaboré à partir de données de Martínez Della Roca (2010)

18 Au cours des années 1960, le mécontentement des étudiant-e-s par rapport à leur avenir professionnel est clairement visible. Ce facteur contribue à la politisation des établissements d’enseignement supérieur ; les critiques émergent précisément à l’intérieur des groupes sociaux de classe moyenne historiquement perçus comme étant loyaux à l’État. La prospérité liée au « miracle mexicain » depuis les années 1940 s’étiole rapidement et laisse place à une série d’expressions alternatives et de résistances dans toutes les sphères sociales.

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19 L’ère de la contre-culture imprègne différentes universités et facultés en questionnant les principes artistiques, familiaux et sociétaux dominants. Le conflit s’exacerbe au début des années 1960 et se poursuit durant toute la décennie avec des conflits dans les universités du centre et du sud du pays : Guerrero, Puebla, Michoacán et Mexico ; à la fin de la décennie, le conflit s’étend dans les États de Sinaloa et de Durango (nord- ouest). Parmi ces luttes, on peut mentionner celles des professeurs du Syndicat national des travailleurs dans l’éducation (SNTE) et de l’École nationale d’agriculture Chapingo qui demandent la fin de la répression et la libération des prisonniers politiques.

20 Dans ce cadre nous observons deux processus : le premier renvoie à la perte de légitimité de l’État face à l’université ; le second à la croissante politisation à l’intérieur de l’université. Les différentes mobilisations étudiantes, par exemple en soutien à la révolution cubaine et contre la guerre du Vietnam, reflètent les aspirations à un monde différent. À l’intérieur de l’UNAM, des groupes de gauche sont créés qui affrontent le contexte de crise universitaire, en particulier les actions répressives des autorités académiques pour empêcher les meetings et assemblées, tout en participant aussi aux luttes sociales à l’extérieur de l’université (Martínez Della Rocca 2010). Ainsi le 68 mexicain n’est pas une explosion isolée mais le résultat de l’accumulation d’un ensemble de manifestations (Récappé 2008, chap. 5 et 6) qui débutent dès la première moitié du XXe siècle et qui prennent de l’ampleur à la fin des années 1950. Entre 1963 et 1968, on compte au moins 53 révoltes étudiantes (Cruz Flores 2011).

21 On peut dès lors affirmer, d’une part, que les événements de 1968 ont été précédés au cours des décennies antérieures par au moins une centaine de mobilisations étudiantes, certaines étroitement liées au contexte éducatif, d’autres d’ordre politique et social plus général. D’autre part, des organisations étudiantes sont créées et développées dans tout le pays (tableau 2). Certaines organisations, en particulier la Fédération nationale des étudiants de l’enseignement technique (FNET) sont très proches du gouvernement et jouent le rôle de « démobilisateurs internes ». D’autres, à l’inverse, sont les principaux détracteurs de l’autoritarisme du gouvernement et luttent pour une véritable indépendance par rapport à l’État et en faveur de la démocratisation du pays.

Tableau 2. Organisations étudiantes au Mexique (1920-1967)

Nom et année de création Caractéristiques générales

Federación de Estudiantes del Distrito Federal – Fédération des Première organisation étudiante enregistrée. Sa lutte principale, étudiants du District fédéral en 1929, est en faveur de l’autonomie universitaire. (FEDF). 1920

Confederación Nacional de Promeut la mise en place de normes de participation Estudiantes – Confédération démocratique, l’acceptation en son sein d’expressions politiques nationale d’étudiants (CNE). 1924 diverses et la prise de décision consensuelle.

Federación de Estudiantes Universitarios – Fédération Libérale et indépendante de l’État. Fonctionne jusqu’en 1948. d’étudiants universitaires (FEU). 1933

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Federación Nacional de Réunit les écoles supérieures techniques, avec à leur tête Estudiantes Técnicos – l’Institut polytechnique national (IPN). Liée au Parti de la Fédération nationale révolution mexicaine (PRM), puis au Parti révolutionnaire d’étudiants de l’enseignement institutionnel (PRI). technique (FNET). 1936

Confederación de Jóvenes Émerge de la Confédération des étudiants socialistes du Mexique Mexicanos – Confédération des (CESM) et des Jeunesses socialistes. Participe au renforcement jeunes Mexicains (CJM). 1938 du corporatisme étudiant sous le parti hégémonique.

Federación Nacional de Estudiantes Campesinos Rassemble 29 écoles normales rurales de tout le pays. Liée au Socialistas – Fédération PRM. nationale des étudiants paysans socialistes (FNECS). 1938

Federación de Estudiantes de Occidente (FEO) de la Universidad de Guadalajara – Liée au PRM. Fédération des étudiants de l’Ouest (université de Guadalajara). 1938

Consejo de Estudiantes Técnicos en defensa del IPN – Conseil des Rassemble trois délégués de chaque école supérieure étudiants de l’enseignement d’enseignement technique et un membre de la FNET. Liée au technique en défense de l’IPN PRI. (CETDIPN). 1956

Émergence de la désarticulation de différentes organisations Central Nacional de Estudiantes étudiantes à la suite des processus de démobilisation orchestrés Democráticos – Centrale par des organismes étudiants liés au PRI. Les objectifs sont :1) la nationale des étudiants consolidation d’une organisation indépendante de l’appareil démocratiques (CNED). 1963 officiel du gouvernement ; 2) la lutte pour ses revendications et plus largement pour une transformation politique du pays.

Produit de la grève de l’UNAM de 1966. La perspective Consejo Estudiantil Universitario démocratico-organisationnelle est reprise dans les principes de – Conseil étudiant universitaire base de la Confédération nationale des étudiants de 1929 et des (CEU). 1966 Comités de lutte de l’éducation populaire de 1936.

Source : synthèse élaborée par les auteurs.

22 En dépit du fait que le gouvernement s’appuie sur certains groupes pour formuler ses stratégies d’intervention dans le domaine du contrôle éducatif, d’autres organisations parviennent à demeurer indépendantes et adoptent un fonctionnement démocratique. On verra dans le cas du CNH de 1968 que cet élément constitue un enjeu central de la lutte.

23 Ces dimensions contextuelles et organisationnelles montrent ainsi que, contrairement à la vision spontanéiste de la mobilisation politique, les luttes étudiantes de 1968 s’inscrivent dans une longue trajectoire de mobilisations politiques et d’oppositions à

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l’intérieur même du mouvement étudiant entre organisations corporatives du régime du PRI et groupes de tendance démocratique. Et, comme nous allons le voir à présent, lorsqu’un premier conflit éclate en juillet 1968, c’est précisément la légitimité de la FNET, alignée au gouvernement, à représenter les attentes démocratiques d’une partie des étudiant-e-s, qui va être remise en question.

1re phase : la mobilisation et l’orchestration de la technologie répressive (23-30 juillet)

24 Le mouvement étudiant mexicain est le résultat d’une réponse sociale aux représailles des autorités locales qui mettent en œuvre une sorte de « répression préventive ». Cette politique préventive était en vogue durant la période de la Guerre froide : elle devait garantir la tranquillité et la stabilité politiques, en réprimant les acteurs individuels et collectifs dérangeants pour le gouvernement autoritaire. « On réprime pour éviter le complot » indique Monsivaís (Varios Autores 2007 : 32). À la tête du régime est fermement installé un président autocrate qui perçoit comme « bruissement menaçant ou intelligible » tout ce qu’il ne voit pas d’un bon œil (Varios Autores 2007 : 33).

25 Le gouvernement provoque et attribue la responsabilité des troubles aux groupes rebelles. Il a ainsi faussement accusé le Parti communiste mexicain (PCM) de transgression, au moment même où celui-ci réalisait des efforts désespérés de rapprochement avec le gouvernement en vue d’obtenir son inscription comme parti légal. En même temps, le gouvernement considère la révolte comme un moyen de marginaliser le PCM, au moins pendant la durée des 19es Jeux Olympiques qui doivent débuter le 12 octobre à Mexico. Le discours de l’État se construit sur une simple argumentation : la révolte est un plan d’agitation et de subversion. Durant toutes les actions collectives postérieures, les autorités agissent selon les même intentions constantes : provoquer la division interne entre les réseaux et alliances obtenues, provoquer la violence pour justifier l’intervention de l’État, multiplier les infiltrations des mouvements pour identifier les leaders et les déstabiliser, provoquer une réaction des citoyens basée sur une fausse interprétation de la confrontation, contrôler les médias, les corps de police et l’armée. Les autorités étatiques utilisent l’émotion comme moyen pour contrôler la situation et mettre fin aux sympathies croissantes envers le mouvement : la peur, d’abord des étudiant-e-s et ensuite de la population de la ville.

26 Le mouvement se développe rapidement comme résultante de la répression provoquée par les autorités. Dans un premier temps, la répression ne réduit pas la participation ; elle amplifie au contraire l’engagement et les attentes. Les réponses étudiantes augmentent à mesure que s’intensifie la répression des forces du maintien de l’ordre. Durant quatre jours (du 26 au 29 juillet), on assiste à l’occupation de lycées par l’armée, à des encerclements policiers, à des incendies de bus transformés en barricades, à des blessures contre des manifestants, à des arrestations d’activistes dont certains sont portés disparus ou meurent en prison. La violence de l’État est présente du début à la fin du mouvement. Le gouvernement cherche clairement la confrontation (Anguiano 2010 : 75) pour justifier l’encerclement et mater la révolte.

27 Comme nous l’avons mentionné, le rôle de la répression fonctionne comme un mécanisme de mobilisation-démobilisation. Les mesures répressives sont un acte de réprobation exercé par l’autorité sur les subalternes. En termes politiques, cette

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contrainte va de pair avec la pratique du consensus dans la construction de l’hégémonie (Gramsci in Portelli 1992). En fonction de son degré d’utilisation, il s’agit d’un acte d’assujettissement ayant pour objectif de soumettre des individus ou des groupes subordonnés. Mais tous les actes de répression n’ont pas ces effets. Selon les circonstances politiques et culturelles d’une configuration particulière, la réponse collective des subalternes peut varier. Un fait de répression peut générer l’éclatement de l’indignation et de l’agitation sociale. Dans le mouvement étudiant, on observe ce double mouvement, avec au départ une perception de la répression comme moteur de la mobilisation, à l’instar de ce qu’indique l’une des intégrantes du mouvement : « Je pense que la force et l’importance du mouvement étudiant lui ont été données par la répression. Plus que n’importe quel discours politique, le fait même de la répression a politisé les personnes et a permis que la grande majorité participe activement aux assemblées »4.

28 La caractéristique singulière du pouvoir telle qu’elle se donne à voir à partir des premiers affrontements avec les étudiant-e-s est un autre élément expliquant le processus de mobilisation-démobilisation. L’intolérance par le pouvoir de toute dissidence dans un contexte de transformations sociales et culturelles a un impact très clair sur la société mexicaine. Dans ce contexte, aucun fonctionnaire de l’État n’avait prévu la mobilisation étudiante. Lorsque le recteur de l’UNAM, Barros Sierra, met le drapeau du Mexique en berne le 30 juillet et appelle à la défense de l’autonomie universitaire à la suite de la destruction de la porte du lycée no 1 de l’UNAM à coups de bazooka par l’armée, personne ne saisit clairement ce qu’il est en train de se passer (Rodríguez Kuri 2003 : 221 ), dans la mesure où il semblait aller de soi que tous les niveaux d’autorité étaient détenus par les élites, les élites universitaires incluses. Le gouvernement ne parvient pas non plus à comprendre la spirale de violence qu’il avait lui-même produite.

29 L’action de la police contre les lycéens (d’un lycée privé et d’un lycée de l’IPN) qu’elle avait affrontés lors d’une rixe génère l’indignation de nombreux secteurs. L’absence de compréhension de la situation politique par la police est à l’origine de l’extension de son attitude répressive à d’autres établissements d’enseignement supérieur et au PCM, de même qu’à l’UNAM et à l’IPN. À la répression répond la violence des étudiant-e-s. Une violence verticale (Bulhan 1985) se déchaine entre lycéen-ne-s et forces de l’ordre, qui provoque la présence de l’armée durant cinq jours dans le quartier universitaire du centre historique de la ville. L’armée force l’accès à un site de l’UNAM qui n’avait rien à voir avec le conflit initial. L’attitude du recteur Barros Sierra qui appelle au droit de manifester contre « le tir de bazooka » et le pouvoir présidentiel « sans se soumettre au règlement de la police qui imposait le dépôt d’une demande préalable de permis et une autorisation accordée par le gouvernement local » (Anguiano 2010 : 89) donne aux étudiant-e-s une plus grande confiance en eux et une conscience du mérite de leur action protestataire. Tous ces acteurs se sentent soudainement autorisés à donner une réponse née de l’indignation et à s’unir au sein d’un même réseau contre une attitude d’autorité.

30 En effet, à partir de ce moment s’élaborent rapidement de fortes alliances entre des groupes qui s’étaient auparavant souvent opposés lors de rixes impliquant supporters et fraternités étudiantes à l’occasion de compétitions sportives (il existait en particulier une opposition très forte entre l’IPN et l’UNAM). Face à la répression de l’État, les étudiant-e-s de l’IPN, de l’UNAM, des écoles normales (Superior, para Profesores, Rurales), l’École nationale d’agriculture Chapingo, les universités privées

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(Iberoamericana, Anáhuac, El Colegio de México), les universités fédérales (Escuela Nacional de Antropología e Historia – ENAH) tissent des liens. En outre, les réseaux d’action intègrent plusieurs degrés d’enseignement (lycées, écoles préparatoires, facultés et écoles professionnelles), des enseignants, intellectuels et artistes, mais aussi des groupes urbains de colonias (quartiers) populaires, des bandes de jeunes des quartiers, des parents d’élèves. La participation des femmes est très importante (Cohen et Frazier 2004). Plus encore, des liens s’établissent entre groupes politiques illégaux et étudiant-e-s. La politique de l’État vise alors à rompre ce réseau d’alliances stratégiques, en premier lieu à travers la répression extensive et prolongée, mais aussi avec l’infiltration, les tentatives de cooptation de leaders et le contrôle des médias. Il optera par la suite pour la répression intensive.

2e phase : développement et intégration de répertoires de mobilisation et stratégies étatiques de fragmentation (1er – 28 août)

31 L’analyse des mouvements subversifs, dans la perspective du maintien de l’ordre, consiste à construire des formes contrastées de désarticulation de l’activité protestataire. La correspondance entre insurrection et mouvements sociaux est considérée comme ontologique pour l’intelligence militaire. Le travail du commodore D’Odorico consacré à « la guerre non conventionnelle » est en ce sens utile pour penser les éléments qui doivent être pris en compte par les forces armées, en particulier la première loi relative à la « connaissance des ennemis ». Les formes de mobilisation, la planification et l’élaboration de stratégies sont liées à la compréhension des leaderships, la diversité des idéologies libertaires, la cooptation, les liens des groupes insurgés avec la société ou les communautés, l’instruction et l’éducation politiques, entre autres. Sur cette base, les forces armées doivent être capables « d’utiliser toutes les ressources disponibles pour décourager le plan insurrectionnel » (D’Odorico 2011b : 63 ; 2011a). C’est dans ce contexte que l’on peut expliquer la production de technologies répressives. Nous établirons ici la correspondance entre mobilisation et démobilisation à partir d’une analyse ayant quatre dimensions.

Structure organisationnelle et leadership

32 Le répertoire de mobilisation rassemble une combinaison de formes d’organisation et d’action politique. Une première initiative consiste à créer une structure dynamique, massive, de représentation démocratique de la part des étudiant-e-s. Le CNH est conçu comme lieu de centralisation et de définition de la politique pour l’ensemble du mouvement. Il est formé par près de 300 délégué-e-s de tous les établissements en grève. Chacune d’entre elles est, à son tour, un noyau de mobilisation, d’organisation et de débat au travers d’assemblées propres à chaque établissement où sont discutées la situation du conflit, la trajectoire du mouvement et où sont désigné-e-s les délégué-e-s au CNH. Là s’organisent les comités de lutte, conçus comme la partie exécutive du mouvement, en commissions presse et propagande, finances, cuisine et brigades. Certains leaders coïncident dans la caractérisation des acteurs du mouvement en signalant le CNH comme le « cerveau », les assemblées comme « le système circulatoire », les manifestations massives publiques comme « le muscle » et les

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brigades comme la courroie de transmission et les « points névralgiques » de création d’énergie et de construction de vastes réseaux sociaux5. Tant que fonctionne cette structure structurante, le mouvement continue comme entité vivante qui accroît ses horizons de participation. Pour les autorités, la définition du mouvement part de sa tête, c’est-à-dire des délégué-e-s qui composent le CNH, en particulier de celles et ceux qui apparaissent publiquement au fur et à mesure du conflit. Pour le gouvernement, décapiter le mouvement équivaut à briser sa structure en vue de générer la démobilisation.

33 La démobilisation du mouvement est d’abord recherchée à travers la cooptation de leaders ou activistes ayant une certaine influence sur l’orientation de la lutte. La corruption étatique a pour objectif de mettre fin à l’identification entre les groupements et les leaders ; l’ambition est alors de transformer le mouvement, en l’institutionnalisant sous les auspices du parti dominant. Le leadership du mouvement est collectif, représentatif, composé par des activistes ayant pour certains d’entre eux une expérience politique préalable. De fait, une majorité d’entre eux étaient préalablement membres d’organisations de gauche, du PCM, du courant spartakiste créé par l’écrivain José Revueltas suite à une scission avec le PCM, d’autres courants du trotskysme, du maoïsme et du guévarisme ou encore de partis institutionnels comme la droite Action Nationale et Démocrates chrétiens6.Tant que le mouvement se structure de manière horizontale, avec une direction politique ouverte à une représentation collective, les initiatives de démantèlement du gouvernement échouent. Quoi qu’il en soit, l’infiltration apparaît très délicate à gérer pour les mouvements.

Médias et brigades : gagner des soutiens

34 Une autre des réponses de l’État à l’essor du mouvement est le contrôle des médias. L’objectif est là de dissoudre le lien entre le mouvement étudiant et la population. La théorie des cadres (Hunt, Benford, et Snow 1994) montre comment émergent les champs identitaires (l’identification des attributs des groupes) pour les protagonistes, les opposants et les publics. Il s’avère que celui des publics est l’objectif le plus important des acteurs belligérants dans un espace de conflit. Aussi bien les protagonistes que les opposants cherchent à attirer les publics en direction de leurs constellations discursives. Les publics reçoivent l’information par différents moyens, mais les médias institutionnalisés généralement contrôlés par l’État jouent un rôle prépondérant. Tant que les médias sont contrôlés par l’État, c’est le discours et l’interprétation institutionnelle du mouvement qui est davantage relayé auprès de la population. Or, si la critique faite au mouvement est forte et partagée, le gouvernement peut recourir à des mesures politiques de répression et de dissuasion de la mobilisation, sans s’exposer au « jugement public » (Manin 1995).

35 Pour sa part, le mouvement cherche à contrecarrer l’interprétation officielle grâce à ses propres médias. Dans le cas du mouvement étudiant, en plus de la radio de l’UNAM, un élément fondamental qui permet de relayer le discours du mouvement auprès de la population urbaine de la ville de Mexico est la création de brigades politiques qui essaiment dans toute la ville. Elles sont généralement composées de 3, 5 ou 10 étudiant- e-s très mobiles qui distribuent des tracts et des communiqués, réalisent des meetings éclair, demandent le soutien du public pour maintenir le mouvement, peignent les messages du mouvement sur les murs et les autobus ; les meetings éclairs se réalisent

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sur les marchés, dans des écoles, des fabriques, des bureaux, des carrefours, des parcs et des places ; des chiens et des chats arborent des messages politiques. On peut voir l’importance des brigades dans le témoignage suivant : « Tu sais, les brigades étaient la vie du mouvement. Les gens allaient aux manifestations grâce aux brigades. Pourquoi est-ce que tout le monde appuyait les étudiants ? À cause des brigades, parce qu’avant on avait tracté dans les bus, les trolleybus, les marchés, les grands magasins, les ateliers, les coins de rue où l’on faisait des meetings éclairs et on filait comme des éclairs dès que l’on reniflait un policier. Ah ! Comme je me souviens des brigades ! »7.

36 Des brigades massives, comptant parfois plusieurs centaines d’étudiant-e-s, réalisent également des blocages de la circulation automobile et distribuent des tracts. Leur travail est extrêmement important pour la sensibilisation des habitants de la ville et l’obtention de leur soutien, l’essor du mouvement en est largement tributaire8. Les femmes activistes y sont particulièrement nombreuses et jouent un « rôle primordial » de « médiatrices et traductrices entre secteurs » (Cohen et Frazier 2004 : 612)9. Briser le réseau des brigades signifie rompre le lien entre le mouvement et les appuis dans la société mexicaine ; il devient l’un des objectifs centraux du gouvernement.

37 Les brigades travaillent activement à élargir le soutien de la population. Après la manifestation du 13 août, par exemple, les étudiant-e-s récoltent de l’argent « en brouettes »10. Les brigades sont également un moyen efficace pour transmettre les revendications du mouvement. Les comités de lutte impriment des milliers de tracts avec de brefs messages, comme par exemple : « Les seuls agitateurs sont la misère et l’oppression » ou « Une manifestation sans policiers est une manifestation pacifique ». On produit le matériel à fournir aux membres des brigades : des milliers de gravures, banderoles, pancartes et autocollants11. Se crée ainsi l’image symbolique du mouvement.

38 Les brigades réalisent également des visites périodiques aux universités de l’intérieur du pays pour obtenir des soutiens. Ceux-ci s’organisent à travers l’articulation à d’autres mobilisations, comme la Coalition des pères de famille, la Coalition des professeurs de l’éducation intermédiaire et supérieure Pro Libertés Démocratiques, l’Assemblée des écrivains et artistes et les actions collectives des étudiant-e-s et professeur-e-s universitaires de l’intérieur du pays12.

Manifestations et rôle stratégique de l’espace public

39 Les manifestations permettent également de mettre en scène les revendications politiques du mouvement. Le gouvernement réagit en se lançant dans l’organisation de contre manifestations publiques censées démontrer la dimension minoritaire du mouvement en rébellion. Celles-ci visent également à générer des divisions parmi les étudiant-e-s et à semer la confusion parmi les participant-e-s. Conjointement aux actions de harcèlement que réalisent les membres de la FNET à l’IPN et à d’autres manifestations organisées sous les auspices du gouvernement par des groupements des jeunesses catholiques d’extrême-droite, les contre manifestations font clairement partie de la stratégie de démobilisation du gouvernement13.

40 Les manifestations sont des répertoires de mobilisation qui agissent comme rituels ou actes performatifs dirigés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du mouvement. On voit l’impact politique qu’elles peuvent avoir en constatant l’ampleur des stratégies de discrédit que leur opposent les autorités par l’intermédiaire des médias officiels. Les

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actions répressives sont précisément orientées vers ce type de mobilisations. Elles s’ajoutent aux occupations policières des bureaux et des lieux de réunion des organisations dissidentes, comme par exemple le local du PCM, l’intervention de l’armée à l’UNAM et la violente occupation de l’IPN. La récupération des espaces physiques par l’intermédiaire de la violence est là encore une stratégie visant à la démobilisation. Les lieux de réunion, où se tiennent les assemblées générales, où s’organise l’activité des brigades, où se consolident les comités de lutte de chaque établissement d’enseignement supérieur participant au conflit, permettent une circulation de l’information et la prise de décisions collectives : il s’agit d’une « école de politisation, de réflexion collective et de socialisation » (Anguiano 2010 : 83). Le gouvernement tente de contrôler ces lieux de formation politique afin de dissoudre les noyaux physiques du réseau de la mobilisation.

41 En plus de la première manifestation organisée par le recteur Barros Sierra le 1er août, le mouvement organise quatre manifestations et un rassemblement de masse sur la place de Tlatelolco (cf. tableau 3). La première manifestation est fondamentale dans la mesure où elle ouvre la voie à l’organisation des étudiant-e-s pour occuper les rues. Ensuite, la manifestation du 5 août montre un mouvement en voie de consolidation ; les trois dernières manifestations sont profondément symboliques, en lien direct avec les revendications du mouvement. En effet, la manifestation du 13 août a pour objectif de clore la première marche sur le Zócalo (place de la Constitution) et de réaliser un meeting devant le Palais national, représentation symbolique du pouvoir. Comme mentionne l’un des participants, « le Zócalo était interdit à toute manifestation qui ne soutenait pas [le gouvernement] »14 et cette action d’effervescence symbolise un moment fort du processus de mobilisation. L’objectif est de montrer aux opposants que le mouvement est représentatif, de par son importance numérique, constitué par la majorité des étudiant-e-s ; il s’agit aussi de donner à voir la légitimité de ses actions et de ses revendications. Cette manifestation rassemble plus de 250 000 étudiant-e-s « craignant d’être brutalement réprimés, mais avec une ferme conviction… » (Martínez Della Rocca 2010 : 306).

Tableau 3. Manifestations et participant-e-s au cours du mouvement étudiant de 1968 à Mexico

Manifestations Nombre de participant-e-s

1er août 80 000

5 août 100 000

13 août 150 000

27 août 250 000

13 septembre 200 000

Note : Martínez Della Rocca (2010) estime que la participation aux manifestations du 13 août est de 250 000, à celles du 27 août de 500 000 et à celles du 13 septembre de 300 000 personnes. Source : Anguiano 2010

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Négociation politique et (dé)mobilisation

42 La négociation politique, définie comme le processus par lequel se génère un accord ou la compréhension d’un problème public, peut être utilisée comme stratégie aussi bien de mobilisation ou de démobilisation, selon l’usage des formes de la négociation, de ses résultats et de la volonté politique des parties présentes. Si, institutionnellement, elle est définie comme une nécessité pour les gouvernements démocratiques de parvenir à des accords, ceci dépend en réalité des rapports de force des acteurs impliqués dans le conflit.

43 De leur côté, les pouvoirs publics peuvent voir dans la négociation un moyen de déstructurer symboliquement les liens entre dirigeant-e-s et participant-e-s. À travers la négociation, il est possible de corrompre des leaderships, de coopter des dirigeant-e- s ou d’établir une argumentation qui fasse prévaloir les intérêts individuels au détriment des intérêts collectifs. La négociation peut être utilisée pour ne pas négocier ou, en d’autres termes, pour exprimer publiquement la volonté de dialogue sans pour autant y souscrire, afin de ne pas reconnaître la légitimité des revendications de l’interlocuteur. Éviter la négociation consiste à nier la reconnaissance des revendications de l’autre. Cela peut par ailleurs provoquer la confusion au sein du mouvement voire provoquer la sécession de soutiens. Refuser la négociation avec l’acteur central du mouvement peut s’accompagner d’une stratégie de recherche d’allié chez une des parties du conflit afin de peser sur l’orientation du mouvement à travers une fausse négociation qui contribue à créer la confusion chez les membres du mouvement. Ainsi, la négociation peut être un élément clé de la démobilisation.

44 Jusqu’au 13 août (jour de la seconde manifestation, dont l’objectif est de souligner la représentation étudiante du mouvement), le président de la République reste silencieux face au CNH. Toutefois, selon le discours officiel, le gouvernement est en pourparlers avec la FNET, alignée sur la politique gouvernementale et le conflit est proche de sa résolution (Martínez Della Rocca 2010 : 306). Le CNH se dit être prêt à dialoguer, mais en public.

45 La négociation peut être un mécanisme de division à l’intérieur d’un mouvement par définition pluriel. La théorie des cadrages montre comment sont élaborés les discours de diagnostic qui définissent le mouvement à l’interne, à partir des injustices perçues, du mérite des actions collectives et de l’identification des adversaires. Toutefois, elle laisse de côté le fait que ce diagnostic très général est le résultat de visions distinctes et de constellations discursives de groupes aux expériences politiques diverses. L’émergence d’un mouvement montre le succès des liens qui peuvent s’établir entre ces discours ; il montre également que ce succès est le résultat d’une lutte interne pour son hégémonie politique. Il n’en reste pas moins que le discours de diagnostic peut avoir des bases fragiles et que les opposants internes peuvent tenter de les miner via la négociation.

46 Le 23 août, les autorités soumettent une proposition peu claire de dialogue aux étudiant-e-s ; elles le font indirectement, à travers la Coalition de professeurs. Cette situation provoque une série de divisions entre les groupes participant à la mobilisation. En effet, la proposition du mouvement d’un dialogue public génère plusieurs lignes de fracture en son sein. Les débats consacrés par exemple à « l’opportunité des manifestations unitaires au centre de la ville ou leurs déploiements par zones industrielles » (Anguiano 2010 : 94) s’accroissent. Se multiplient également

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les questions quant à la possible instrumentalisation du dialogue public ou quant aux conséquences des relations de contact direct que celui-ci implique avec les représentants du gouvernement. Le CNH « ne [peut] se décider à temps pour forcer une sortie négociée du conflit » (Anguiano 2010 : 94). De manière générale, se définissent deux positions principales : une représentée par un groupe plus modéré, lié au PCM, qui insiste sur la nécessité d’établir une négociation avec l’État ; l’autre, portée par des groupes plus radicaux, certains d’entre eux contrôlant la coordination des brigades de la Cité universitaire, refuse la négociation15. En outre, les discussions en assemblée et la prise de décisions sont compliquées par des oppositions idéologiques liées aux conflits de la Guerre froide qui n’ont rien à voir avec le conflit étudiant : maoïstes et prosoviétiques se heurtent sur l’interprétation de la guerre sinosoviétique ; de longs discours sont prononcés, avec des références ouvertes à Mao Tse Toung, Trotski, Lénine, Bakounine…16 Enfin, il existe des dissensions à l’intérieur du mouvement quant aux priorités et stratégies : « Après avoir passé toute la journée dans une brigade, ça me faisait rire et me mettait en colère de revenir à la Cité universitaire et d’assister à une assemblée pour écouter les piques entre groupes et voir que les gars prenaient cinq heures pour aboutir à une satanée résolution. […] Les théoriciens n’allaient pas dans les brigades ; ils restaient enfermés en jacassant, en perdant leur temps. Ils parlaient, par exemple, des prisonniers politiques. Nous, les membres des brigades, on a commencé à comprendre ce qu’étaient les prisonniers politiques quand on a commencé à nous poursuivre sans que l’on ne fasse rien d’illégal… Au niveau de la base, on était tous amis : IPN, UNAM, Chapingo. Mais au CNH, qui les maoïstes, qui les trotskos, qui les “pécés” [PC], quel bordel ! J’étais de la base et je sais que l’on aurait accepté le dialogue avec qui que ce soit, mais au CNH non, on ne pouvait accepter le dialogue avec aucun fonctionnaire qui était dans la répression. Si le gouvernement entier était la répression ! Dans les assemblées ils se lançaient dans des péroraisons de plus d’une heure sur Althusser, Marx et Lénine, mais ils ne disaient rien de ce [qui nous intéressait]. Que va-t-on faire demain ? De vrais enculages de mouche ! Ils avaient perdu par principe, parce que c’étaient des théoriciens qui passaient leur temps à nous expliquer pourquoi le gouvernement ne pouvait résoudre nos revendications »17.

47 À côté des luttes pour l’obtention de soutiens, pour occuper l’espace public et – à travers la négociation – pour déstabiliser à l’interne le mouvement, l’État intervient encore par la diversification du recours à la violence : actions répressives ouvertement violentes, invasions dans les établissements d’enseignement supérieur, attaques par les membres des porras (groupes de choc promus par les autorités scolaires et gouvernementales) des barricades montées par les étudiant-e-s, dépôt de pierres dans les poubelles jouxtant le trajet des manifestations pour accuser ensuite les participant- e-s de violences durant les événements (pierres parfois récupérées des égouts par les activistes les plus radicaux)18. Ces dispositifs répressifs se combinent avec d’autres actions massives, comme l’expulsion des étudiant-e-s de la place du Zócalo le 28 août, les occupations des installations universitaires et le massacre du 2 octobre à Tlatelolco. On assiste ainsi à la fin de cette deuxième phase à la mise en œuvre d’une répression institutionnalisée (González 2013).

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3e phase : le début de l’éclatement (29 août – 2 octobre)

48 Le gouvernement avait répondu depuis le début de la mobilisation par des mesures répressives, comme par exemple lors de l’expulsion des étudiant-e-s de la place du Zócalo par l’armée au prétexte d’un outrage au symbole de la patrie et aux traditions catholiques du peuple mexicain en pénétrant dans la cathédrale. Pour certains, ce moment marque les débuts d’une seconde étape caractérisée par l’escalade de la répression du mouvement : « l’État [repasse] à l’offensive » (Martínez Della Rocca 2010). Vient ensuite l’intervention de l’armée à l’UNAM et à l’IPN le 18 septembre et finalement l’assaut du 2 octobre à Tlatelolco. Toutefois, ces événements, même s’ils sont les plus marquants, ne sont pas les seuls cas de répression officielle ; s’y ajoutent les attentats de groupes de porras et de paramilitaires dans les établissements en grève, de même que l’emprisonnement et les jugements partiaux de participant-e-s et de leaders étudiants, les interrogatoires sous torture et le harcèlement constant des prisonniers politiques par des prisonniers du droit commun sous le regard bienveillant des autorités pénitentiaires. La répression est la politique la plus tenace et au final efficace de la démobilisation.

49 À partir du 29 août, le gouvernement durcit sa stratégie. Des centaines de membres des brigades sont traqués et faits prisonniers. Un témoignage mentionne un étudiant arrêté dans la rue, puis abattu d’une balle dans la tête. Le policier auteur de cet acte est libéré deux mois plus tard. Des groupes paramilitaires mitraillent les établissements en grève (Martínez Della Rocca 2010 : 318). La ville est mise en état de siège, avec des centaines de rondes policières et des tanks patrouillant dans les rues.

50 L’image associée à l’étudiant-e est celle du-de la délinquant-e. La peur s’empare des étudiant-e-s mais aussi de leurs familles et des habitant-e-s de la ville ; les coûts de la mobilisation contribuent à la démobilisation.

Escalade de la répression

51 Sur la base de témoignes, nous considérons que la mobilisation étudiante atteint son apogée lors de la manifestation massive du 27 août. Nous situons le point d’inflexion du mouvement, qui marque une démobilisation persistante, au moment de l’expulsion des étudiant-e-s de la place du Zócalo le 28 août. Le mouvement commence alors à se fragmenter, au début presque imperceptiblement, sur la base d’un incident le 29 août, lors d’un meeting organisé par les autorités du District fédéral pour réaffirmer les symboles de la patrie et les valeurs religieuses traditionnelles « outragées » par les activistes. Lors de la manifestation, les agents du secteur public obligés d’assister à l’événement réagissent contre les autorités et transforment le meeting officiel en action protestataire des travailleurs de la fonction publique. L’acte est réprimé par des soldats et des tanks de l’armée mexicaine. La perception des étudiant-e-s est alors que la lutte pour le soutien de la population est gagnée et que la rupture du contrôle corporatif par les syndicats de la fonction publique est un symbole du changement. Toutefois, cet incident « influença certainement la décision gouvernementale de pousser vers une sortie militaire » (Anguiano 2010 : 91). Dès lors, le rapport de force se modifie.

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52 Pour l’activiste Marcelino Perelló, la répression augmente à partir du 27 août. La cause en serait la consolidation de certaines alliances entre étudiant-e-s, d’un côté, ouvriers et paysans, de l’autre. Ainsi, la peur atteint les sphères institutionnelles ; le danger que le mouvement contamine d’autres secteurs populaires conduit à la répression étatique19. Pour un autre activiste, ce même événement, en ouvrant la perspective d’une sortie négociée du conflit, contribue à un déclin du mouvement. Sentant lui- même que la situation devient défavorable, le recteur Barros Sierra demande à ce que les cours puissent reprendre à partir du 9 septembre20.

53 Se rejoignent de manière dialectique le point majeur de la mobilisation et l’entrée dans la répression massive. Un témoignage signale de manière éloquente que « l’expulsion nous a fait ouvrir les yeux. Le mouvement n’était pas un jeu. Il y avait des risques que l’on prenait sans connaître clairement leurs effets funestes »21. La peur commence à s’introduire dans le cœur du mouvement.

54 La répression n’a pas automatiquement pour effet la démobilisation. Nous avons souligné que la violence du gouvernement a précisément contribué à lancer une réponse massive contre l’autoritarisme de l’État. Après l’occupation par l’armée des installations de la Cité universitaire, les brigades persistent et répondent aux attaques de la police, en particulier les groupes d’étudiant-e-s les plus radicaux. La ville de Mexico connaît alors un climat de violence d’une telle ampleur que l’on pense effectivement que les Jeux olympiques pourraient ne pas avoir lieu (Martínez Della Rocca 2010). L’occupation militaire des installations de l’IPN dans divers points de la ville réalisée au matin du 24 septembre n’est effective qu’après plusieurs heures d’affrontements entre étudiant-e-s et forces de l’ordre.

55 Toutefois, ce changement n’est pas immédiatement perçu comme tel par la direction du mouvement. Après la manifestation du 13 septembre, le déploiement militaire et la persécution s’intensifient : le CNH ne considère toutefois « même pas la possibilité d’un repli tactique alors que tous les signes annonçaient l’issue malheureuse […] et sans que personne ne soit capable d’actionner le frein d’arrêt d’urgence » (Anguiano 2010 : 94-95). Personne n’était capable ou ne voulait actionner ce frein conduisant à la démobilisation.

Négociation ou dialogue public

56 Négociation entre représentants ou dialogue public, là est toute la question. Chaque proposition implique des risques tant pour le gouvernement que pour le mouvement. Les étudiant-e-s avaient invité des représentants de la chambre des députés à dialoguer le 20 août, ce que ces derniers refusèrent. Le gouvernement propose ensuite à deux reprises des pourparlers avec le CNH, en cherchant, comme nous l’avons indiqué, à placer des représentants de la FNET comme interlocuteurs privilégiés et à passer outre la représentation véritable du mouvement22. Il propose alors, à travers le ministère de l’Intérieur, une première communication téléphonique pour établir le contact. Cette situation génère un fort débat à l’intérieur du CNH dans la mesure où cette manière de faire est vue comme un risque de déboucher sur des accords frauduleux, privés du contrôle de la base étudiante.

57 Pour le gouvernement, accepter le dialogue public demandé par les étudiant-e-s signifie rompre avec les pratiques politiques de manipulation, de clientélisme et de corruption construites depuis des décennies par les gouvernements postrévolutionnaires, à

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dominante autoritaire. Mais céder au dialogue et, plus encore, accepter les revendications du mouvement présupposerait d’encourager le surgissement d’autres mouvements. Il s’agirait d’un exemple évident de légitimation de la subversion à laquelle s’opposent les positions les plus conservatrices du gouvernement et des secteurs corporatifs placés sous la tutelle de l’État, en particulier le principal leader syndical du pays, ainsi que les groupes d’entrepreneurs nationaux et l’Église. On peut en ce sens comprendre le vif rejet par le ministère de l’Intérieur du dialogue public.

58 Face à l’impossibilité du dialogue, l’alternative de l’usage de la force publique, de l’encerclement massif et du contrôle militaire des sites d’enseignement supérieur semble être une option de plus en plus viable pour le gouvernement. Chaque mesure à considérer par les autorités est conditionnée par la temporalité, tant par le calendrier des fêtes de la patrie célébrées au mois de septembre que par le début imminent des Olympiades le 12 octobre.

59 Dans le contexte du dialogue, le dilemme se présente ainsi pour le mouvement : reprendre les cours sous la pression du recteur, ou bien continuer la grève jusqu’à satisfaction des revendications. La première option implique une démobilisation immédiate : l’activité des brigades ne pourrait plus être assurée et les ressources matérielles et en temps seraient par conséquent réduites, alors que se consolideraient le poids des cadres du mouvement et de la direction collective du CNH (Martínez Della Rocca 2010 : 334). Reprendre les cours suppose en outre la satisfaction d’au moins une partie des revendications pour éviter une perte trop importante de prestige du CNH et le déclin de la force sociale. L’autre option, pour laquelle opte l’assemblée, est de poursuivre l’action collective, avec pour conséquence d’augmenter les probabilités de répression, voire de décapitation du mouvement, de même que l’isolement total du CNH au sein de la communauté universitaire.

60 Au moment où le dialogue génère l’incertitude et la méfiance au sein du mouvement, le gouvernement agit sur deux plans. D’un côté, il construit un discours de dénigrement systématique du mouvement en l’accusant d’actes de délinquance orchestrés par une force invisible subversive provenant de l’extérieur du pays, une conjuration communiste et contre la nation23. Pour ce faire, il utilise les médias et certaines organisations de la structure corporative. De l’autre, tout en prônant officiellement la négociation, il utilise les forces du maintien de l’ordre pour réprimer brutalement le mouvement24.

61 Le gouvernement élabore alors un double objectif : d’un côté chercher la démobilisation à l’intérieur du mouvement, de l’autre, le décapiter en mettant ses leaders en prison. L’importance des leaderships dans les conflits sociaux est de premier ordre pour les autorités. Les mouvements cherchent fréquemment à réduire le risque de ciblage du leadership par les pouvoirs publics en minorant le caractère public des leaders. Au sein du mouvement étudiant, on cherche ainsi à construire des formes d’organisation plus horizontales et collectives, mais sans pour autant empêcher l’émergence de leaders au cours du processus de mobilisation, qui feront ensuite l’objet d’une répression minutieuse du gouvernement lors de la quatrième phase de la lutte.

4e phase : l’hécatombe (3 octobre – 6 décembre)

62 Comme nous l’avons mentionné, la démobilisation débute le 28 août. Peu perceptible au début, la peur s’installe ensuite de manière plus tenace. La répression de la

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manifestation du 13 septembre débouche sur l’occupation militaire de certains sites d’enseignement supérieur et sur l’arrestation de centaines de personnes. Mais la répression du 2 octobre va plus loin encore : des dizaines (350 selon le New York Times25) d’étudiant-e-s meurent sur le front de la lutte et un grand nombre d’activistes sont arrêtés et mis en détention, 200 parmi eux pendant plus de deux ans et demi, ce qui finit par décapiter la direction du mouvement. La peur prédomine ; suscitée par les autorités. Un activiste signale qu’après le massacre la désorganisation est quasi totale : « [Les étudiants] cherchaient à se réunir de nouveau et agir, parfaitement terrifiés, battus, au jour le jour, dans des conditions très difficiles parce qu’ils devaient se réunir dans les rues, les parcs, les écoles, là où ils pouvaient, et ils ont commencé à se désagréger… le contact avec les bases se perdait… il était très difficile de faire des réunions »26.

63 En découle une démobilisation accélérée. L’esprit festif et d’assurance de la victoire se transforme radicalement. Un activiste relate par exemple que le lendemain, la réunion organisée à la Cité universitaire rassemble 17 personnes27. Pour une autre adhérente au mouvement, toute manifestation publique se révèle impossible avec un tel niveau de répression : « Il n’y avait rien d’autre à faire pour sortir de cette situation. Où et avec qui pouvions-nous faire des manifestations massives après le 2 octobre ? La ville était terrifiée »28. Par ailleurs, le mouvement n’arrive plus à envisager une satisfaction, ne serait-ce que très partielle, de ses revendications.

64 La répression ne renvoie pas seulement à la dispersion des concentrations publiques, mais également aux mécanismes d’interrogation et de torture des détenu-e-s. Plus de 2000 personnes sont arrêtées et mises en détention le 2 octobre, s’ajoutant aux centaines de détenu-e-s depuis le 27 août et à la suite de l’occupation de l’UNAM. Aux tortures, aux simulations d’exécution et de castration s’ajoutent d’autres intimidations, enlèvements et violences contre les familles des détenu-e-s (Anguiano 2010) : « J’ai passé [ma détention] en travaillant et en pissant du sang à cause des coups. Ils m’ont mis dans une cellule d’un mètre et demi sur deux mètres pendant un mois. Ils me donnaient une tasse de [boisson à base de maïs] le matin et une autre l’après- midi. Sans couverture, ils m’ont mis un seau pour que je fasse mes besoins et ne le changeaient jamais. Tu sais ce que c’est ? … J’entendais : “Il est dix heures du soir !” et moi, imagine, comme si j’étais un chien de Pavlov. Ils viennent me chercher, ils vont me péter la gueule. Alors je me faisais tout petit, je commençais à trembler et à pleurer, pleurer »29.

65 Ce témoignage, comme bien d’autres, montre l’impact de la prison, mais aussi la construction d’une mémoire du travail militant, des leaders martyrs, où disparaissent les actions des femmes activistes. Cohen et Frazier (2004 : 620-621) indiquent clairement en ce sens que « [t]out comme les militants emprisonnés de 68 dépendaient dans une large mesure de l’effort ignoré des visiteuses pour leur soutien physique et émotionnel, les quêtes idéalistes des étudiants sont subventionnées par le travail nécessaire mais invisible d’autres. […]. En définitive, la possibilité qu’un étudiant mâle “étudie, lutte et travaille” nécessite la contribution reproductive spécifique de la femme, contribution que son manque de notoriété rend inappréciable (et facilement oubliable). Les restrictions de classe et de genre placent ces nobles activités hors d’atteinte de la majorité du peuple. Ces valeurs, dès lors, reflètent mieux ce que les leaders mâles ont généré et partagé dans l’espace collectif de la prison, l’utopie intellectuelle homosociale étant incarnée dans leurs narrations, où la souffrance corporelle créait le contexte pour le développement transcendant et le sens de la communauté ». Ce travail sur les émotions comme moteur d’une identification

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commune est ainsi stratégiquement mobilisé également par les activistes en faveur d’une poursuite de la mobilisation.

66 Les objectifs et stratégies du mouvement se transforment radicalement. Au sein de la direction du mouvement, le profit sociopolitique des dirigeant-e-s se modifie également, dans la mesure où la majorité des leaders sont en prison. Le Parti communiste et la Jeunesse communiste acquièrent une place prépondérante à la tête du mouvement. La seule possibilité que la nouvelle direction puisse envisager est de générer les conditions internes pour mettre fin à la grève étudiante.

67 Le mouvement réduit l’amplitude des revendications à la liberté des prisonniers politiques et au retrait de l’armée de l’IPN comme condition au dialogue. Ce qui subsiste du mouvement pousse à la démobilisation et ainsi à son isolement une fois de plus. Demeure une structure déstructurée d’assemblées avec une participation minime d’activistes, laissant sur la touche de nombreux-ses étudiant-e-s qui cessent de participer par peur et par découragement. Les témoignages des protagonistes coïncident quant à la sensation de défaite, de frustration, d’amertume et de ressentiment qui s’empare du mouvement. Ce dernier cesse d’être perçu comme un moyen d’atteindre un meilleur avenir. Les autorités parviennent ainsi à rompre le lien entre le cercle des participant-e-s les plus engagé-e-s et actif-ve-s et ceux-lles moins expérimenté-e-s mais majoritaires du mouvement.

68 Les autorités modifient dès lors leur stratégie. Les Jeux olympiques se déroulent sans problème et 34 jours après l’occupation des sites de l’IPN, l’armée se retire, à l’exception de la Vocacional 7 qui perd son statut de centre d’enseignement supérieur. La pression se maintient via des porte-paroles, comme le président du PRI, qui diffuse des menaces voilées contre les établissements d’enseignement supérieur.

69 À partir du 19 novembre, malgré la volonté de certains groupes et activistes, les assemblées commencent à céder face à la pression exercée sur le mouvement pour mettre fin à la grève. La décision n’est pas facile à prendre. Les groupes les plus radicaux mettent l’accent sur les émotions pour trouver un appui dans l’assistance clairsemée. Les morts et prisonniers politiques sont élevés au rang de martyres dans un cadre affectuel afin de maintenir la grève jusqu’au bout et de tenter d’élargir à nouveau le mouvement dans l’attente d’une action spontanée qui pourrait le redynamiser ; la lutte adopte alors le slogan : « En mémoire de celles et ceux qui ont perdu la vie pour défendre la liberté ». Les assemblées qui auparavant, malgré la durée des réunions et les tensions en leur sein, constituaient le système nerveux du mouvement, s’opposent de plus en plus fréquemment aux comités de lutte et aux activistes de gauche, ces derniers finissant par les dominer totalement.

70 Les répertoires de la mobilisation qui fonctionnaient précédemment comme facteurs d’agrégation et d’intégration se transforment en éléments de démobilisation : la grève, produit de l’effervescence de milliers de personnes, devient une charge pour ceux qui veulent la poursuivre car elle ne permet plus d’attirer de nouveaux activistes et sert d’argument à la répression. En outre, les brigades ne peuvent plus agir ; il devient ainsi impossible d’obtenir des ressources et du soutien. Cette situation conduit la nouvelle direction du CNH à repenser les formes de la lutte du mouvement, en particulier concernant la poursuite de la grève.

71 Jusqu’à la fin, les divisions entre groupes accentuent la décomposition du mouvement. La décision finale du CNH de mettre fin à la grève le 21 novembre est considérée par

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certains représentants de la faculté de Philosophie comme une décision unilatérale ; ces derniers proposent de ne pas reconnaître l’autorité du CNH. Au contraire, ceux qui soutiennent la décision la justifie par l’importante désertion des étudiant-e-s.

72 La combinaison des stratégies des autorités parvient ainsi à mettre fin au mouvement. Le CNH est incapable de trouver une réponse à la violence officielle et la répression contribue à la démobilisation. Le mouvement éclate et perd sa cohésion interne. Divers groupes commencent à agir au nom du CNH provoquant une perte de prestige ou plus de confusion encore. Certains représentants du CNH ont des contacts avec des fonctionnaires du gouvernement sans en informer les autres membres, générant un processus de délégitimation de celui-ci. Les actions d’infiltration, de division et de cooptation des étudiant-e-s donnent peu à peu leurs fruits, contribuant à l’affaiblissement du mouvement. Le CNH se transforme ainsi en organisme « d’avant- garde » sans base sociale. Ce sont finalement les groupes politiques qui imposent la reprise des cours (Martínez Della Rocca 2010 : 439-440). Les ressources et les répertoires de la mobilisation se transforment, dans une sorte de cercle vicieux, en facteurs de démobilisation.

Conclusion : les dimensions plurielles de la répression

73 Le 68 mexicain souligne la nécessité d’une analyse contextualisée de la dynamique de la mobilisation-démobilisation et du rôle de la répression. D’un côté, la répression peut stimuler la participation, l’action du gouvernement contribuant à rassembler des personnes et des organisations face à un adversaire commun. De l’autre, cette même répression peut conduire à la démobilisation, surtout si à la répression visible s’ajoute une répression « diffuse ». Comme le mentionnent Combes et Fillieule (2011 : 1057) : « De même que le pouvoir ne saurait se mesurer à son exercice effectif, la répression doit prendre en compte aussi la menace, l’incapacitation et le renseignement ». Le 68 mexicain montre clairement, en plus des actions visibles, l’importance de cette répression souterraine.

74 L’augmentation constante de la répression de l’État face aux étudiant-e-s révèle les limites d’un gouvernement peu préparé à lutter contre un mouvement qui sort des canons établis de la culture politique postrévolutionnaire. Finalement, ce qui contribue au dénouement violent est que l’État considère qu’il affronte « un ennemi autonome qu’il ne peut contrôler avec ses méthodes clientélistes » (Anguiano 2010 : 97). Le déroulement du processus illustre comment, à l’aide des techniques et des stratégies du gouvernement, on passe du risque au haut risque. La perception, de la part des étudiant-e-s, des coûts de l’engagement dans la lutte se modifie à la fin du mois d’août, face à l’action gouvernementale incessante de répression visible, de minage des réseaux d’appui et des alliances du mouvement et de discrédit vis-à-vis des citoyens, ce qui contribue à sa fragmentation et à la démobilisation.

75 La lutte étudiante au Mexique révèle le rôle central des émotions dans ce double processus de mobilisation et démobilisation. À l’indignation initiale face à la répression provenant de l’armée et de la police se superpose, pour ensuite s’imposer, la peur : arrestations, infiltrations, intimidations physiques et verbales, violences conduisant parfois à la mort. Ces émotions sont ainsi liées aux perceptions des activistes s’agissant de la possibilité ou non de poursuivre la lutte. Mais le travail sur les émotions joue également à d’autres niveaux de la mobilisation. S’agissant de femmes activistes en

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particulier, le travail affectuel permet une désectorisation de la lutte et un accroissement de ses bases sociales (Cohen et Frazier 2004). Ce travail est également très important lors des derniers soubresauts du mouvement lorsque l’on en appelle aux morts et aux prisonniers politiques pour poursuivre la lutte.

76 En dépit de son dénouement tragique, le mouvement étudiant a eu au moins trois conséquences majeures. D’abord, il a montré à la face du monde les limites du système politique mexicain et de la légitimité d’un gouvernement de parti unique. Ensuite, il a ouvert le champ des possibles de la participation politique : « dans sa trajectoire brève et fulgurante le mouvement étudiant n’est pas seulement politique mais aussi, très largement, social et culturel, en rendant visible la possibilité de la citoyenneté et en construisant diverses alternatives, la première d’entre elles étant la certitude d’autonomie possible en marge des corporations et des contrôles du gouvernement » (Monsivaís 2005 : 15). Il faudra certes encore des années pour que le pluralisme politique et la participation citoyenne s’affirment, notamment lors du mouvement étudiant de 1986. Cependant, le 68 mexicain constitue une brèche dans l’autoritarisme étatique et dans la perception de l’engagement citoyen, en particulier pour les femmes (Cohen et Frazier 2004). Finalement, la démobilisation ne signifie pas la disparition des réseaux d’activistes, réseaux « dormants » qui se réactivent à plusieurs reprises : lors d’autres luttes étudiantes, mais également dans la création de partis politiques et d’organisations en lutte pour la transition démocratique au Mexique. Annexe : Chronologie du mouvement étudiant de 1968

Date Événement

Répression policière contre des étudiant-e-s et enseignant-e-s des écoles 22 juillet préparatoires, résultats d’une rixe entre jeunes assistant à un match de football.

La manifestation qui commémore la Révolution cubaine conflue avec une 26 juillet manifestation organisée par des étudiant-e-s qui protestent contre la police. Toutes deux sont durement réprimées.

Les combats entre les étudiant-e-s et la police continuent dans le quartier 28 juillet universitaire du centre historique. La grève se généralise dans les établissements d’enseignement supérieur.

Javier Barros Sierra hisse le drapeau en berne en protestation de la violation de 30 juillet l’autonomie universitaire.

1er août A lieu la première grande marche convoquée par le recteur Javier Barros Sierra.

2 août Le CNH est créé.

5 août 100 000 étudiant-e-s de l’IPN réalisent une manifestation massive.

13 août 250 000 étudiant-e-s et autres citoyen-ne-s assistent à la marche du Zócalo.

27 août 300 000 personnes à la manifestation du musée d’Anthropologie au Zócalo.

28 août L’armée déloge les étudiant-e-s du Zócalo.

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Le président de la République, Gustavo Díaz Ordaz, donne son IVe rapport de 1er septembre gouvernement et aborde le problème étudiant avec des menaces voilées d’intervention militaire.

250 000 personnes assistent à la marche du Silence, la plus significative du 13 septembre mouvement.

La nuit, l’armée occupe la cité universitaire ; des centaines d’étudiant-e-s sont 18 septembre arrêté-e-s.

L’armée occupe le centre d’enseignement de l’IPN après plusieurs heures de tirs 24 septembre croisés avec les étudiant-e-s.

30 septembre Les autorités rendent les installations de la cité universitaire.

2 octobre Début des discussions entre étudiant-e-s et représentant-e-s du gouvernement. (matin)

2 octobre Un meeting se tient à la place de Tlatelolco. L’armée et le bataillon Olimpia le (après-midi) répriment brutalement et tuent des dizaines d’étudiant-e-s.

Inauguration des XIXes Jeux olympiques qui ont comme devise « Tout est 12 octobre possible dans la paix ».

Entre le 26 juillet et le 24 octobre ont lieu 5000 arrestations. 10 % (500) des 24 octobre personnes arrêtées sont incarcérées.

27 octobre Fin des Jeux olympiques.

Après plusieurs tentatives pour maintenir le mouvement, il est convenu de la 11 novembre nécessité que le CNH appelle à cesser la grève lors d’une réunion entre représentant-e-s d’étudiant-e-s, d’enseignant-e-s et du recteur.

6 décembre Le CNH est officiellement dissout.

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NOTES

1. Entretien de Marcelino Perelló Vals, in Echevarría 2008, 5e partie, 1 :18-1 :20. 2. Nous avons consulté des entretiens effectuées par Tamayo (1998 ; 1999) ainsi que par Echevarría (2008), réalisés entre 2006 et 2007 (n = 57), disponibles au Centre culturel universitaire de Tlatelolco, ainsi que des témoignages repris dans des sources secondaires entre le début des années 1970 (Poniatowska 1971) et la seconde moitié des années 2000 (González Marín 2003 ; Varios Autores 2007). Toutefois, le recours à ces sources est limité, dans la mesure où se pose à la fois le problème de la sélection par les chercheuses et chercheurs des paroles retenues (comme nous le verrons dans la suite de cet article, les entreprises mémorielles sont principalement le fait d’hommes activistes occupant une position influente au sein du mouvement), du contexte de l’entretien et des reconstructions subjectives des enquêté-e-s. Par rapport à ce dernier élément, nous rejoignons Bertaux lorsqu’il indique, dans un autre contexte, que s’il existe des « médiations subjectives et culturelles entre l’expérience vécue “brute” et sa mise en récit », on ne peut considérer pour autant que l’acteur ne fait pas état de son propre parcours et, surtout, que « [l]’intervention des médiations signalées ne touche guère à la structure diachronique des

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situations, événements et actions qui ont jalonné ce parcours. Pour employer une métaphore, son “dessin” est bien restitué ; en revanche la remémoration peut en modifier rétrospectivement les couleurs » (2005 :40-41). 3. Une chronologie de la lutte étudiante est consultable en annexe. 4. Carolina Pérez Cicero, étudiante de la faculté de Philosophie et Lettres de l’UNAM, in Poniatowska 1971 : 16. 5. Cf. le témoignage de Marcelino Perelló in Echevarría 2008, 2ème partie, 13 :00-14 :00. 6. Témoignage de Miguel Yoldi Marín, in González Marín 2003 : 86. 7. Salvador Martínez Della Rocca, du comité de lutte de la faculté des Sciences de l’UNAM, in Poniatowska 1971 : 30-31. 8. Pour Arturo Anguiano, activiste du mouvement, les étudiante-e-s ont, avec les brigades, « récupéré l’espace public, revendiquant la ville dans la pratique » (Anguiano 2010 : 80). 9. Comme le soulignent clairement les auteures, les actions des femmes, moins présentes dans les comités, sont largement minorées dans la construction de la mémoire historique tandis que le travail militant réalisé par les hommes activistes est magnifié. 10. Avec l’argent obtenu les activistes achètent des équipements de sonorisation, des haut- parleurs, des génératrices, des projecteurs, etc. (témoignage de Raúl Álvarez Garín, in Varios Autores 2007 : 52). 11. Témoignage de Raúl Álvarez Garín (Varios Autores 2007 : 58). 12. Les grèves n’éclatent pas uniquement dans les universités du centre du pays : 70 écoles de 19 États de la République sont concernées (Jardón, in Anguiano 2010 : 82). 13. Ces groupements adhèrent au Mouvement universitaire d’orientation rénovée (Movimiento Universitario de Renovada Orientación, MURO) fondé en 1961, de même qu’au Front universitaire anticommuniste (FUA) créé quelques années auparavant dans la ville de Puebla. 14. Témoignage de Luís González de Alba in Echevarría 2008, 2ème partie, 12 :00-12 :10 15. Témoignage de Raúl Álvarez Garín in Varios Autores 2007 : 61. 16. Témoignage de Miguel Yoldi Marín in González Marín 2003 : 106. Voir également celui de Paco Ignacio Taibo II in Varios Autores 2007. 17. Salvador Martínez Della Rocca, dit Pino, du comité de lutte de la faculté des Sciences de l’UNAM, in Poniatowska 1971 : 35. 18. Témoignage de Jaime García Reyes in Varios Autores 2007 : 22. 19. Témoignage de Marcelino Perelló in González Marín 2003 : 70-71. 20. Témoignage d’Arturo Martínez Nateras in González Marín 2003 : 142. 21. Echevarría 2008, 2ème partie, 30 :00-31 :28. 22. Témoignage de Raúl Álvarez Garín in Varios Autores 2007 : 63. 23. Les accusations à l’encontre des universitaires sont également directes, touchant aussi le recteur Barros Sierra. Sous la pression, le recteur donne sa démission à la junte de gouvernement de l’UNAM. Celle-ci est refusée, notamment grâce aux nombreux témoignages de sympathie d’instances universitaires et de personnalités publiques. Le retrait de l’armée de l’université découle en partie des pressions croissantes de la presse internationales, des réactions d’autres établissements d’enseignement supérieur et de l’impossibilité pour le gouvernement de destituer directement le recteur. Au moins sept établissements de différents États du pays manifestent contre la démission ; de même, des étudiant-e-s – majoritairement mexicains – organisent des manifestations dans onze pays. Cette situation renforce la survie du mouvement et « l’esprit de triomphe » du CNH et des « masses en lutte » (Martínez Della Rocca 2010 : 356-357) et contrecarre provisoirement les effets de la démobilisation. 24. On le remarque en particulier avec le courrier du 18 septembre du ministre de l’Intérieur, Luis Echeverría Alvarez, dans lequel il est proposé une première réunion de négociation le matin du 2 octobre. Le 18 septembre, alors que le dialogue est planifié, la cité universitaire, puis l’IPN sont occupés militairement ; le 2 octobre, dans l’après-midi, a lieu le massacre de Tlatelolco.

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25. Témoignage de Raúl Moreno Wonchee in González Marín 2003 : 73. 26. Témoignage de Luis Tomás Cervantes Cabeza de Vaca in González Marín 2003 : 100-101. 27. Témoignage de Marcelino Perelló in Echevarría 2008, 5ème partie, 0 :01-1 :48. 28. Témoignage de Margarita Suzán in Echevarría 2008, 5ème partie, 6 :58-7 :37. 29. Témoignage de Luis Tomás Cervantes Cabeza de Vaca in Varios Autores 2007 : 80-81.

RÉSUMÉS

Cet article est consacré à l’analyse de la mobilisation et démobilisation dans le cas du mouvement étudiant de 1968 dans la ville de Mexico. En partant d’un rappel du contexte où s’enracine la lutte et en suivant les échanges de coups entre protagonistes durant les sept mois du conflit, il s’intéresse au rôle de la répression dans le processus de mobilisation et démobilisation. En étudiant, d’une part, la dynamique interne du mouvement en lien avec la configuration sociopolitique qui la rend possible ou la limite et, d’autre part, des témoignages d’activistes afin de cerner la perception des coûts et des risques de la mobilisation, cet article souligne que le poids de la répression dans le cycle de protestation prend sens quand la répression est liée aux risques de la participation et à sa dimension émotionnelle dans une configuration spécifique.

This article analyses the process of mobilization and demobilization in the case of the 1968 student movement in Mexico City. It begins with a reminder of the context in which the struggle is rooted, and goes on analyzing the fight between protagonists during seven months of conflict; it focuses on the role of repression in the process of mobilization and demobilization. By studying, on the one hand, the internal dynamics of the movement in relation to the socio- political configuration making possible or limiting this same dynamics, and, on the other, testimonies of activists to identify the perception of the mobilization’s costs and risks, this article highlights that the weight of repression in the protest cycle makes sense if linked to the costs and risks of participation and to the emotional dimension of repression in a specific configuration.

INDEX

Mots-clés : Démobilisation, émotions, Mexique, mouvement étudiant, répression. Keywords : Demobilization, emotions, Mexico, repression, student movement.

AUTEURS

GUADALUPE OLIVIER-TÉLLEZ Universidad Pedagógica Nacional, Mexico

SERGIO TAMAYO FLORES-ALATORRE Universidad Autónoma Metropolitana, unité Azcapotzalco, Mexico

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MICHAEL VOEGTLI Université de Neuchâtel

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Postface Quelques réflexions sur les milieux étudiants dans les dynamiques de démobilisation Some thoughts on student circles in demobilization dynamics

Olivier Fillieule

1 La place des étudiant.e.s dans la dynamique des luttes sociales n’a fait que croître au cours du XXe siècle, en lien avec le développement des études secondaires et universitaires à partir des années soixante dans de nombreux pays du monde développé ou en développement. Dans la période la plus récente, comme le suggère d’entrée de jeu Jordi Tejel Gorgas dans l’introduction au dossier que l’on vient de lire, il est frappant de constater que les étudiant.e.s sont bien souvent aux avant-postes des mouvements de masse qui ont bouleversé la donne politique en Tunisie, en Égypte puis dans de nombreux États de la région, jusqu’au mouvement suscité par le projet de transformation du parc Gezi à Istanbul, à première vue porté par une fraction de la classe moyenne jeune, éduquée et laïque. Plus généralement, peu de mouvements révolutionnaires des 60 dernières années ne sont pas marqués par l’engagement décisif de ce groupe. Que l’on songe à la révolution hongroise de 1956 qui débute par des mobilisations étudiantes, aux manifestations étudiantes de 1960 en Corée du Sud qui font tomber le régime (et en Turquie avec moins de succès), à la première phase de la révolution culturelle chinoise en 1966-1968, aux nombreux mouvements de Mai 1968, à la Grèce de 1973, à l’Iran de 1978 et bien sûr au soulèvement des étudiants chinois en 1989. C’est dès lors très logiquement que la littérature historique et de sociologie politique sur les mobilisations étudiantes se révèle très riche.

2 Il n’est pas certain pourtant que toutes les dimensions propres aux mobilisations de ce groupe social aient été entièrement explorées. Autour notamment de trois éléments. D’une part, dans la mesure ou la sociologie des mobilisations est peu articulée aux travaux sur la socialisation1, et donc aux recherches sur les effets d’âge et de génération, il manque une exploration systématique des effets sur l’engagement de

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l’âge biologique comme de l’âge social des individus dans cette période de l’existence marquée par le phénomène des ‘années impressionnables’ relevé naguère par Mannheim (1928) et plus généralement par de multiples transitions dans toutes les sphères de l’existence (Fillieule 2013a et b) D’autre part, si les mouvements étudiants sont assez largement explorés per se, la littérature est plus rare sur la manière dont les étudiant.e.s s’inscrivent dans les milieux militants et dans les luttes qui dépassent les seules revendications étudiantes. Par exemple, la coexistence de cohortes d’âge dans les mouvements sociaux et ses effets, les rapports entre les étudiant.e.s et les autres membres de leurs classes d’âge n’occupant pas la même position structurale. Ce qui revient à explorer tout ce qui dans le statut d’étudiant.e favorise ou défavorise l’engagement politique. Ici la prise en considération de données macro sociologiques contextuelles ou culturelles fait parfois défaut, les auteur.e.s se contentant souvent d’invoquer la notion de ‘disponibilité biographique’. Enfin, le devenir politique des étudiant.e.s, ce qu’ils ou elles deviennent et ce qu’ils ou elles font une fois sorti.e.s des études est surtout étudié au niveau micro sociologique des expériences biographiques des individus, aux dépens d’une réflexion plus large sur les cycles de mobilisation, sur la contribution d’unités de générations forgées dans les luttes d’étudiant.e.s à d’autres mouvements subséquents soit pour les initier soit pour les nourrir. C’est notamment sur ce dernier point que ce dossier de l’EJTS se révèle précieux. En prenant le parti de centrer le propos sur le devenir militant des étudiant.e.s politisé.e.s, dans une perspective comparée et autour des questions liées de la démobilisation, du désengagement et plus généralement des reconversions, c’est bien la question des mondes étudiant.e.s comme vivier de militant.e.s qui est posée.

3 Dans ce qui suit, sans prétendre opérer une synthèse des résultats offerts par ce riche dossier dont l’article introductif résume parfaitement les enjeux, je me contenterai de poursuivre quelque peu le débat en avançant quelques remarques autour des mobilisations étudiantes et des logiques de la démobilisation et du désengagement.

Effets d’âge et de génération. ‘The elephant in the room’

4 Dans un article consacré à la question de l’importance des cohortes d’âge au sein des mouvements, Hank Johnston (2012) souligne un paradoxe : les facteurs générationnels sont aussi visibles qu’un éléphant dans une pièce mais ils ne sont que très rarement au cœur des recherches sur les mobilisations sociales et politiques. Pourtant celles-ci sont bien souvent autant le fruit de phénomènes générationnels qu'un facteur de la construction de ce phénomène. De ce point de vue, le mouvement des droits civiques, le mouvement féministe, le mouvement étudiant des années 1960’ aux USA, le mouvement de Mai 1968 et les luttes qui en découlent dans la décennie suivante sont tous fortement marqués par des facteurs générationnels dont la prise en compte permet de mieux saisir à la fois leur émergence, leurs développements, via les effets produits par la succession et la coexistence de micro-cohortes (Whittier 1995 ; Fillieule, Blanchard 2013), et leurs conséquences, tant sur le plan individuel des conséquences biographiques, sur le plan organisationnel de la diffusion et des transferts de savoir- faire, de capital relationnel et de constructions idéologiques que sur le plan des changements macro sociaux à plus long terme dans les valeurs, les représentations sociales et les conduites (Goldstone, McAdam 2001). En centrant l’attention sur les

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mouvements étudiant.e.s et le devenir de leurs membres, le présent dossier appelle à mettre ces questions au cœur du dispositif d’enquête.

5 En premier lieu, en se demandant par quel processus l’exposition d’individus à une ‘dynamique de déstabilisation’ peut générer un ‘ensemble générationnel’ au sens de Karl Mannheim (1928), ou dit autrement, comment ‘le temps court parvient à accoucher d’un temps long’ (Ihl 2002 : 125), tout particulièrement lorsque ce temps court est marqué par des épreuves particulièrement douloureuses et marquantes du fait de la répression subie (interruption forcée des études, clandestinité, emprisonnement, torture, etc). Ainsi Élise Massicard (2013) montre-t-elle, à propos des entrepreneurs politiques du mouvement aléviste, comment pour la génération en âge de poursuivre des études supérieures à la fin des années 1970, la répression a signifié l’interruption des cursus et l’impossibilité d’atteindre dans les décennies suivantes des professions valorisées et des positions de responsabilité dans les organisations alévistes, alors que pour la génération suivante, le coup d’État de 1980 ne vient pas interrompre des études supérieures, lesquelles détermineront pour des militant.e.s issu.e.s le plus souvent de milieux modeste, une ascension sociale en même temps que des engagements à haut niveau de responsabilité. De son côté, Kostis Kornetis distingue de la même manière deux générations dans le mouvement étudiant grec des années soixante. La première voyant ses destins sociaux et son champ des possibles totalement modelé par l’expérience de la dictature alors que la génération suivante n’était qu’au tout début de l’adolescence : ‘Those teenagers would come of age under the regime and for that reason would better understand its logic, exploiting the political opportunities that the dictatorship unwillingly allowed, in order to develop political disruption and everyday creativity. By that time, people of the first cohort, who had experienced the toughest years of the junta’s authority, restrictions, martial law and full-blown preventive censorship, and who had been more prone to clandestine networks and armed resistance, were already imprisoned or exiled.’ (2013: 84)

6 Kostis Kornetis suggère que pour la première génération, l’échec est tellement cuisant que ses membres vont développer une très grande méfiance à l’égard de la résurgence de l’action de masse, sombrant dans une sorte de mélancolie après avoir passé leur vingtaine en prison. Du coup ils ne soutiennent pas ou fort peu le mouvement étudiant de 1973. À l’inverse, pour la génération suivante qui sera au cœur du mouvement de 1973, la lutte armée et la clandestinité apparaissent comme des modes d’action totalement dépassés, inefficaces, voire ringards : ‘In Greece by the end of 1972, and with a mass student movement that generated an entirely different repertoire of action, it was clear that ‘vanguard organizations’ were becoming increasingly obsolete.’ (Kornetis 2013:87)

7 En second lieu, en s’interrogeant sur la spécificité des mécanismes socialisateurs propres aux jeunes adultes. Le modèle longtemps dominant dit de la persistance, pour lequel les apprentissages ‘préadultes’ perdurent tout au long de la vie, et se renforcent avec le temps, avec pour effet de rapporter les attitudes politiques à de simples effets d’âge sans prendre en compte les effets de cohorte, de cycle de vie et de période, est depuis longtemps battu en brèche (Searing, Schwartz, Lind 1973 ; Jennings, Niemi 1981). Cela n’a pas pour autant débouché sur une exploration très poussée des modèles alternatifs, comme celui du cycle de vie ouvert (lifelong openness model), qui met l’accent sur les possibilités de changement tout au long de l’existence (Sigel 1989 ; Sapiro 1994) et qui de ce fait est très proche d’un autre modèle, celui des années impressionnables,

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dans lequel les préférences et attitudes individuelles continuent à se cristalliser entre la fin de l’adolescence et le début de la vie adulte, après quoi elles sont relativement stabilisées (Sears, Levy 2003). Ce modèle est directement inspiré d’un ouvrage important de Karl Mannheim, Le problème des générations (1928), lequel suggère que les années durant lesquelles se constitue un horizon politique personnel et réflexif commencent autour de 17 ans : l’individu aménage alors consciemment son ‘tréfonds psychique’, autrement dit remet en cause ses dispositions au profit d’une ‘nouvelle orientation’ imposée par la configuration socio-historique dans laquelle il s’inscrit. Pour Karl Mannheim c’est donc au cours de cet âge (qu’il fixe de manière sans doute trop rigide entre 17 et 25 ans) que les individus recomposent leurs apprentissages primaires et ‘fixent’ leur rapport au monde. Cette analyse pose les jalons d’un questionnement approfondi sur les processus concrets qui nourrissent cette phase de la construction individuelle et, par extension, la dynamique des générations. Plus encore, en forgeant la notion d’unité de génération, Karl Mannheim souligne combien les individus appartenant à une même génération politique, même s’ils partagent un certain nombre de caractéristiques, lesquelles expliquent en partie leur ralliement à un moment donné à une cause et une organisation, connaissent cependant des degrés variés de proximité les un.e.s aux autres, en raison de leurs dispositions et positions et, partant, de leurs intérêts, de leurs motivations à s’engager, de leur perception des enjeux de la lutte et, finalement de la manière dont ils endossent telles ou telles identités collectives. Ce dernier point suggère, ce que les auteur.e.s du présent dossier font de manière parfois trop rapide, de bien distinguer d’un côté ce qui contribue à faire des étudiant.e.s dans tel ou tel contexte un groupe unifié (un statut et des activités partagés, la fréquentation d’espaces concrets et symboliques communs, une distance objective et subjective aux autres personnes appartenant à leurs classes d’âge, ce tout particulièrement dans des situations où l’accès aux études est réservé à une petite élite) et de l’autre tout ce qui au sein de ces groupes contribue à distinguer différentes unités, en fonction des positions des un.e.s ou des autres dans les rapports de domination liés à l’âge, à la classe, au sexe et à la race. Kostis Kornetis montre par exemple très bien dans son ouvrage consacré au mouvement étudiant grec des années 1960 comment la massification de l’enseignement, l’absence corrélative de perspectives professionnelles pour les nouveaux diplômés dans un pays peu développé, plutôt que de contribuer à constituer un groupe homogène lié par une communauté de destin, exacerbe au contraire les écarts, en faisant coexister des héritiers et des transfuges de classe, des individus dont les diplômes ne sont que la sanction d’un statut social et de chances objectives déjà acquis et d’autres pour lesquels le diplôme est l’unique voie d’ascension sociale possible. Kostis Kornetis conclut que la position de classe ‘could be a major deterrent to activism, because risking a university degree was a dangerous possibility for people from the lower classes. […] To this one could add the relative social isolation that students with solid working-class backgrounds might experience at the universities.’ (Kornetis 2013: 108)2

8 En troisième lieu, signalons une dernière piste de recherche, qui s’appuie sur les progrès récents des sciences cognitives et de la psychologie du développement pour tenter de reposer à nouveaux frais les éléments propres aux comportements des jeunes adultes et donc des années impressionnables comme étape distincte du développement (Arnett 2000). À ce propos Hank Johnston (2013) distingue quatre résultats : Premièrement, l’idée qu’il existe des schémas cognitifs spécifiques à la manière dont les 18-25 ans affrontent les situations d’incertitude. Les jeunes adultes chercheraient des

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stratégies innovantes alors que les plus âgés, face à l’inattendu, se replieraient plus volontiers sur les routines apprises, les expériences passées (Blanchard-Fields, Kalinauskas 2009: 3). Remarque qui n’est pas sans intérêt pour qui cherche à comprendre comment les acteurs calculent en situation de fluidité politique, lorsque les échanges de coup tendent à ne plus fonctionner selon une logique ordinaire. Ce que suggèrent ces travaux, c’est que plutôt que d’une ‘évasion des calculs’ (Dobry 1986) généralisée et touchant tous les acteurs au même titre, sans doute que les individus les plus jeunes, dont on a souligné plus haut l’importance dans tout un ensemble de crise politique, sont moins soumis.e.s aux ‘anticipations mutuelles’ (Goffman 1969 : 85-145) et aux ‘processus d’alignement’ (Ermakoff 2008) que leurs aîné.e.s, ouvrant potentiellement une voie à une meilleure compréhension des micro-fondations de l’action en situation de crise et aux mécanismes d’agrégation en situation d’incertitude. Deuxièmement, le constat que les jeunes adultes sont plus prompts à s’engager dans des conduites à risque que leurs aînés, ayant moins à disposition d’expériences permettant d’évaluer les risques et les coûts (Blanchard-Fields 2007 ; Blanchard-Fields, Mienaltowski, Seay 2007). Troisièmement, la capacité régulatrice des émotions serait positivement associée avec l’âge chronologique (Carstensen, Mikels, Mather 2006 ; Mather 2010). Dès lors en situation de mobilisation, les actions spontanées suscitées par l’émotion seraient plus fréquentes que chez des personnes plus âgées. Donc la densité des émotions décroîtrait avec l’âge. Enfin, les mécanismes de déclenchement cognitifs (ce que Hank Johnston nomme le cognitive triggering), soit le fait de rompre avec les schémas appris du passé et de voir des opportunités et des possibilités d’action nouvelles en situation, serait un des traits marquant des mobilisations étudiantes : ‘It partly accounts for the general phenomenon of student unrest and mobilization, for they see things in ways their elders do not. Interpretative schemas of 18 to 25 yo are less encumbered by past experiences; which allows for greater processing speed and the ability to make connections with other schemas more quickly.’ (Johnston 2013: 50)

9 D’une certaine manière tous ces résultats nous ramènent aux intuitions de Mannheim, notamment autour de l’idée des années impressionnables comme succession de ‘fresh encounters’ avec des situations inédites poussant à l’invention et l’accumulation rapide d’expériences et fait aussi écho aux travaux de Kenneth Keniston (1968). Il reste que pour l’heure les recherches dans le domaine demeurent fragiles dans leurs résultats et les techniques liées à l’imagerie cérébrale auquel il est le plus souvent fait recours est encore loin d’offrir des protocoles de recherches entièrement convaincants et suffisamment solides pour autoriser de telles généralisations à propos des logiques de l’action protestataire.

Démobilisation et désengagement

10 On ne sait pas grand-chose sur les mécanismes qui président au déclin des mouvements sociaux et aux formes variées de démobilisation individuelle ou collective qui génèrent ce déclin ou le soldent (Taylor 1989 : 772 ; voir aussi Fillieule 2005, 2010)3. Pourtant, la contrepartie logique des processus de mobilisation initiale et de recrutement est bien la démobilisation collective et le désengagement individuel.

11 La notion de démobilisation renvoie à une pluralité de phénomènes allant du désengagement individuel à la démobilisation politique d’une société toute entière, la

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somme des comportements individuels produisant des cycles macro sociaux d’engagement ou de retrait sur la sphère privée (Hirschman : 1983). Plus précisément, au-delà des cycles d’intérêt pour la politique, l’on peut distinguer analytiquement quatre autres types de situation. Premièrement les phénomènes de démobilisation d’un champ multi organisationnel (Curtis, Zurcher 1973), c’est-à-dire d’un secteur entier de lutte, avec ses organisations formelles ses réseaux de soutien et ses compagnons de route. Les articles de ce dossier en donnent un certain nombre d’illustrations. Deuxièmement, la démobilisation peut porter moins sur un secteur que sur une campagne de mobilisation lorsque celle-ci s’essouffle, du fait de sa réussite ou de son échec, associée parfois à un désinvestissement de tel ou tel lieux concret de lutte au profit d’autres. Au niveau mesosociologique, la démobilisation peut frapper une organisation spécifique de mouvement social, soit par autodissolution, soit du fait d’un déclin général d’une cause soit encore sous l’effet de la répression (interdiction, décapitation du leadership) comme l’attestent plusieurs des études de cas réunies ici. Au niveau micro sociologique enfin, le désengagement individuel peut s’inscrire dans tous ces cas de figure mais aussi renvoyer à des trajectoires idiosyncrasiques. De ce point de vue, la démobilisation individuelle n’est pas toujours volontaire. Elle peut aussi bien résulter de l’auto dissolution d’un collectif, du déclin d’une idéologie, comme l’illustre Verta Taylor (1989) à propos du féminisme américain d’après-guerre, d’une exclusion, d’une déprogrammation, soit encore d’une mise hors-jeu par l’exil forcé, une peine de prison.

12 Les modalités de la défection individuelle, aussi bien, sont variables. Celle-ci peut être isolée ou collective, à l’occasion par exemple d’une scission, ou lorsque les départs se font dans une logique de groupes affinitaires. Massimo Introvigne distingue les defectors, qui partent de manière négociée, les apostats, qui deviennent des ennemis professionnels de leur organisation, les partants ordinaires, enfin, qui disparaissent sans qu’apparemment leur désengagement ne représente un coût sensible, pour eux ou pour l’organisation (1999). Typologie qu’il faut compléter par toutes les formes de défection passive et de mise en retrait (Fillieule, Bennani-Chraïbi 2003), mais aussi par tous les cas dans lesquels le désengagement est suivi, et quelquefois provoqué, par l’entrée dans une autre organisation.

13 Tout se complique cependant dès lors que l’on envisage tout un ensemble de situations pouvant s’analyser en terme de désengagement, mais de ‘désengagement dans la fidélité’4. Sans développer ce point complexe, mentionnons à titre d’exemple la poursuite des engagements militants dans une direction réformiste, particulièrement fréquente dans les cas des activistes des mouvements étudiants arrivés en fin d’études ou encore subissant une répression accrue. Dina El Khawaga l’a bien montré dans son analyse du devenir des jeunes militant.e.s des mouvements de 1968 puis de 1972 en Égypte. À la fin des années 1970, trois facteurs favorisent l’abandon des stratégies confrontatives : la dureté de la répression des mouvements de 1968 et de 1972 ; la normalisation des rapports avec Israël et l’essai de démocratisation par le haut ; la fin des études enfin, qui implique l’entrée sur le marché du travail. C’est dans un premier temps ‘de l’intérieur’ que ces militant.e.s vont essayer de continuer la lutte, en participant aux ‘comités spécialisés’ des partis et dans la recherche de tribunes libres alternatives, à travers le métier de journaliste ou d’avocat, autant de professions qui permettent de ne rien renier de ses convictions militantes tout en assurant un reclassement professionnel. Les limites de la démocratisation partisane se font cependant vite sentir et c’est alors sur le militantisme au sein des organisations

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professionnelles que se concentrent ces militant.e.s : ‘les ordres professionnels, les syndicats d’avocats, de journalistes, et dans une moindre mesure d’ingénieurs et de médecins’. L’analyse permet ici d’articuler les changements dans la sphère des engagements publics avec les changements dans la carrière professionnelle (sortie des études et entrée dans la vie active), en rapportant les conditions de possibilité du militantisme comme de la défection à la possible variation des opportunités professionnelles, tout particulièrement dans les configurations où les ressources disponibles peuvent faire l’objet d’une reconversion dans le champ des activités salariées5.

14 Pour des raisons évidentes liées à la nécessaire entrée sur le marché du travail à un moment donné du parcours, l’articulation entre pratiques professionnelles et pratiques d’engagement est particulièrement intéressante à explorer lorsque l’on travaille sur le devenir des étudiant.e.s contestataires. Ce notamment dans trois directions : en se centrant sur la politisation des pratiques professionnelles (e.g. Muel-Dreyfus, 1983 ; Israël, 2005 ; Lechaux, Roussel, 2010), la reconversion de ressources acquises dans le militantisme dans la sphère des activités professionnelles (e.g. Ollitrault 2008 ; Broqua 2005 ; Tissot et al. 2006 ; Voegtli 2009), l’orientation des choix de carrière en fonction des convictions idéologiques et des expériences militantes (e.g. Fendrich 1993 ; Whalen, Flacks 1989 ; McAdam 1989 ; Dauvin, Siméant 2002 ; Willemez 2003 ; Pagis 2009 ; Champy, Israël 2009 ; Neveu 2008), sans oublier les riches travaux sur le cause lawyering (dont on trouvera une présentation dans Agrikoliansky 2010).

15 Si, on le voit bien à la profusion des références, l’articulation entre sphères de vie militante et professionnelle est assez largement explorée, il est plus rare de trouver des travaux qui en même temps s’intéressent à une troisième sphère de vie, celle des relations affectives et familiales. Et pourtant, si l’on se penche sur le devenir des activistes dans les mouvements étudiants, il apparaît bien difficile de négliger cette dernière dimension, les contraintes de l’entrée sur le marché du travail et les aspirations à remplir les obligations de ‘l’ethos familial’ étant assez largement consubstantielles. Comme le souligne Patrick Haenni à propos des jeunes militants islamistes Égyptiens, ‘le “besoin de famille” auquel est exposé tout mouvement de jeunes [est] un facteur clé de la démobilisation […] à partir de la fin des années 1980. En effet, après cinq ou six ans d’engagement, ils furent nombreux à se trouver placés devant l’échéance du mariage. L’engagement militant ne permettait que difficilement d’accéder au statut d’époux qui suppose une situation économique et sociale stable ainsi qu’une bonne image de moralité dans le quartier. Or, depuis la fixation du mouvement sur le pourchas du mal, cela cadrait mal avec l’engagement militant. Chez beaucoup, celui-ci céda devant le désir d’insertion sociale et économique. L’invocation du désaveu de la violence “islamiste” servira alors d’argument à leur sortie de militance qui est surtout un transfert d’allégeance vers des réseaux plus porteurs d’opportunités par rapport aux demandes d’insertion sociale et professionnelle des jeunes’ (2001: 204).

* *

16 Si la recherche a accompli d’indéniables progrès dans la compréhension des mécanismes de la démobilisation individuelle, et le présent dossier en est un nouveau témoignage, un certain nombre de pistes demeurent insuffisamment explorées. Ainsi par exemple, au niveau mesosociologique, nous manquons encore d’une typologie bien

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assurée de la diversité des trajectoires suivies par les organisations de mouvement social qui connaissent un processus de démobilisation. Certains cas de figure sont bien identifiés, à commencer par les trajectoires de bureaucratisation, d’institutionnalisation et d’assimilation par l’État, ou à l’inverse de radicalisation, à quoi on ajoutera encore les périodes d’abeyance, mises en lumière par Leila J. Rupp et Verta Taylor (1987) et parfaitement illustrées par Maryjane Osa (2003), mais cela demeure encore insuffisant. Aussi bien, la recherche pourrait plus systématiquement étudier la manière dont tels ou tels contextes macrosociaux freinent ou favorisent telles ou telles trajectoires de démobilisation. L’existence ou la mise à disposition (le plus souvent par l’État) de possibilités de reconversion en est un exemple. De ce point de vue, la littérature sur les mouvements dits terroristes ou sur les sorties de conflits armés, autour notamment de la question des repentis et des programmes de réhabilitation, mais aussi des politiques publiques de sortie de crise pour favoriser le désarmement des groupes armés constitue un outil précieux pour réfléchir à ce qui freine ou accélère les phénomènes de démobilisation au niveau meso comme microsociologique (Björgo and Horgan, 2009 ; Sommier 2012 ; Fillieule 2013c).

17 Enfin, les conséquences à court et moyen terme des phénomènes de démobilisation politique posent aussi une série de questions passionnantes auxquelles pour l’instant la littérature a accordé peu d’attention, si ce n’est sur le plan des conséquences biographiques de l’engagement. Ainsi par exemple, et pour finir, si l’on s’interroge beaucoup sur la diffusion des mouvements sociaux dans une perspective positive, il serait intéressant aussi de poser la question des effets dans le temps et dans l’espace de l’échec d’un mouvement, d’une campagne ou d’une organisation sur d’autres campagnes ou mouvements, que ces derniers s’inscrivent dans un champ d’alliance ou un champ de conflit. L’on accèderait ainsi à une meilleure compréhension des conséquences de l’écrasement de la Commune de Paris en 1871, des révolutions de 1848, du mouvement étudiant chinois en 1989 et, plus récemment, de l’échec pathétique de la révolution égyptienne de ce siècle.

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NOTES

1. La socialisation politique renvoie à l’ensemble des mécanismes d’acquisition de valeurs politiques et d’attitudes face au vote et aux institutions représentatives. Elle peut ainsi être conçue comme l’acquisition d’une ‘compétence politique’ indexée sur un ensemble de savoirs légitimes. On en retient ici une acception plus extensive et dynamique en la concevant comme un processus relationnel et continu d’intériorisation de schèmes de perception et d’action relatifs au monde politique ou participant d’un rapport politique au monde social. Autrement dit, tous les éléments de la socialisation sont susceptibles de fonctionner comme des opérateurs d’identification et d’appréciation politiques dès lors qu’ils structurent le rapport des individus à eux/elles-mêmes, à leurs univers d’appartenance et au monde environnant. Cette définition repose sur trois éléments. En premier lieu, la socialisation politique est un processus socialement et historiquement déterminé, dépendant des systèmes d’appartenance des individus et des contextes dans lesquels ils s’inscrivent. Deuxièmement, la socialisation politique est un processus continu et dynamique au cours duquel les acquisitions enfantines et adolescentes (la ‘socialisation primaire’) sont aménagées ou transformées au cours du cycle de vie. Enfin, la dimension politique est constamment en jeu dans le processus de socialisation sans se résumer à un domaine de connaissances et d’activités spécialisées : elle renvoie à un système de schèmes cognitifs et pratiques reconnus ou non comme ‘proprement politiques’ mais ayant des effets de politisation (Fillieule 2013a). 2. Ailleurs dans son ouvrage, Kostis Kornetis souligne aussi la ligne de clivage entre étudiants issus de la campagne et citadins, cette différence recouvrant, mais partiellement, les différences de classe. Dans son analyse des ex soixante-huitards français, Julie Pagis (2009) a bien montré à quel point les variations dans les incidences biographiques de l’engagement étaient aussi redevable des formes de politisation antérieures à l’événement, au sexe, à l’origine sociale, à l’âge, etc. 3. À quelques rares exceptions bien entendu, parmi lesquelles notamment Sandell (1999) ; van der Veen, Klandermans (1989). 4. Nous empruntons le terme à Yann Raison du Cleuziou (2010 : 748 et suivantes). Celui-ci pointe par là une forme de désaffiliation par reconversion des formes renouvelées de fidélité à la cause ou à l’institution ‘historique’, ici l’ordre dominicain. Voir également Olivier Grojean (2013) pour une même remarque à propos du maintien d’une mouvance PKK aux côtés de l’organisation au sens strict après le tournant historique opéré suite à l’arrestation d’Abdullah Öcalan. 5. Voir notamment, sur la question des reconversions : Suand (1982) ; Collovald et al. 2002 ;Bennani-Chraïbi, Fillieule 2003 ; Devaux 2005 ; Tissot, Gaubert, Lechien, 2006.

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AUTEUR

OLIVIER FILLIEULE Université de Lausanne, Institut d’études politiques et internationales Centre de recherche sur l’action politique de l’Université de Lausanne (CRAPUL)

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Where are all the students? Demobilisation and re-engagement in higher education in Turkey and beyond

Jordi Tejel Gorgas Translation : Liath Gleeson

AUTHOR'S NOTE

I wish to thank the Swiss National Science Foundation for the financial support that allowed me to complete my research project, “States, Minorities and Conflicts in the Middle East (1948-2003)”, conducted between 2010-2014 at the Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva. This issue is one of the most valuable outcomes of that project. However, it goes without saying that the opinions expressed here belong to no one but the author.

1 When the mass demonstrations against the Turkish government’s development projects in Gezi Park took place between late May and mid-June of 2013, I was in Istanbul, conducting interviews for my own research about the student movements of the 1960s-1980s in Turkey. Although the Istanbul-based movement was outside my sphere of interest,1 I couldn’t help swapping roles from ‘historian’ to ‘anthropologist’ and making regular visits to Gezi Park to observe, in situ, western Turkey’s largest protest movement of the last twenty years. After two weeks going back and forth and several discussions with protestors, as well as with participants in the student demonstrations of the 1960s-1980s, several observations are I think directly linked to the subject of this issue of the European Journal of Turkish Studies.

2 Firstly, the Gezi Park movement was both leaderless and extremely heterogeneous, encompassing a wide variety of groups (environmentalists, students, defenders of LGBTQ and women’s rights, etc.) and a broad spectrum of political leanings, ranging

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from far left to far right by way of Kemalist-adjacent groups, Islamists and Kurdish nationalists.2 Alongside groups representing ‘civil society’ and political, trade-union and professional organisations were a significant number of protesters with no affiliation, a fact borne out by the results of the first survey conducted during the protests. Between June 3 and 4, 2013, Esra Ercan Bilgiç and Zehra Kafkaslı, lecturers at Bilgi University (Istanbul), organised a survey of 3,000 protesters gathered between Gezi Park and Taksim Square. According to the interviews carried out, 70% of protest participants claimed not to be affiliated with any political party, the majority identifying as ‘libertarians’ (özgürlükçü), while only 7.7% claimed they had come to Taksim square at the encouragement of an organisation, even though more than half of those surveyed also did not consider themselves ‘apolitical’. Finally, 53.7% of those interviewed stated that this was their first time taking part in a street protest.3

3 Secondly, a large number of the protesters not affiliated with any party or organisation were predominantly young – a fact again confirmed by the aforementioned survey (40% between 19-25 years, 24% between 26-30 years) –, students of higher education, middle class, secular – although there were a noticeable number of (anti-capitalist and feminist) ‘Muslim’ groups – and very plugged into social media. However, their identity as students did not seem to be the determining factor in this context, as the majority of protesters had not tried to rally around the few student organisations present at Gezi, but had come Taksim Square ‘spontaneously’.

4 Finally, the university professors interviewed in Istanbul expressed surprise at this sudden mobilisation, in the mould of the revolts seen in the Arab world between 2010-2011. By their accounts, nothing could have predicted the significant role their students would play in the Gezi movement. Demonstrations on university grounds were almost non-existent in the months prior, and support for student unions was at an all- time low. And yet, the number of third-level students at Gezi was so high that some university directors eventually proposed extending the end of year exam period, despite pressure from YÖK (the Board of Higher Education) and the Turkish government.

5 In addition, and in step with most of the Arab countries that have seen popular uprisings since 2010, a “minor” event involving some slightly over-zealous security forces appears to have driven thousands of people to occupy a defined urban space (Taksim Square and Gezi Park) – a zone now considered “free” and “protected” – and contributed to an “expedited” process of socialisation and politicisation. (Fillieule, 2013; 287-308). Despite the violent evacuation of protesters from Gezi on June 15, the experience of ‘occupying’ Istanbul and other Turkish cities that expressed their solidarity with the movement marked, for some, the start of a new era in Turkish politics; the end of a long ‘cycle of demobilisation’.

6 The intention here is not to analyse these ‘events’ in the purely semantic sense of the term,4 nor to take a position in the debate over the end (or not) of the ‘cycle of demobilisation’ in Turkey and the Middle-East more generally. We propose a different focus, one which draws from two sources. Acknowledging the mass demonstrations around Gezi Park and their ramifications across Turkey (Bilgin, 2013; Gökay and Xypolia, 2013; Kongar and Küçükkaya, 2013; Özbank, 2013, Yıldırım, 2013) while also heeding the call of Olivier Fillieule and other researchers to further examine the phenomenon of activist defection (Filleule, 2005; Fuchs-Ebaugh, 1988; Björgo and Horgan, 2009), this issue aims to scrutinise some of the dominant paradigms

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surrounding core issues that remain under-investigated in the study of collective action; namely, its decline, and in particular, questions relating to individual disengagement and collective mobilisation.

7 To do this, the contributions included in this special issue, which are drawn from various disciplines (history, political science, sociology), address a range of different territories (from Turkey to Mexico by way of Egypt and Morocco) and are cognisant of early analyses of individual disengagement in countries where mass demonstrations have recently occurred (Egypt and Morocco), are focused on a specific social group: students of higher-level education. Students were considered the leaders of social change in the years after the Second World War, particularly in developing countries. However, while students of higher education are the starting point for all the articles included in this issue, several authors have also added a minor or major focus on other important actors in the university sphere.

8 Student movements certainly do not occur in isolation; they are positioned in interrelation with numerous actors belonging not only to the sphere of higher education (coordinating bodies of higher-level institutions, professors, deans, chancellors, lecturers) but also with other categories that must be taken into consideration (‘Foyers Idéalistes’ [Trans. note: Ülkü Ocakları, a Turkish ultranationalist militant group], intellectuals, political parties, second-level schools, security forces, etc). Accordingly, some submissions have tackled the challenge of studying the phenomenon of individual disengagement among higher education students from a process- and/or relation-based perspective, incorporating both long-term developments and actors who, as part of their mission, have decisively impacted both mobilisation and disengagement among the student population.

9 Naturally, the issue contains a number of blind spots, such as examining the phenomenon of individual disengagement within Islamist-oriented political movements. Furthermore, future analyses rooted firmly in a comparative approach should help advance our understanding of an issue that remains largely neglected within research on social mobilisation.

The “front line” of the nation

10 Our interest in students of higher education has multiple roots. The Middle-East has a tradition of mass student demonstrations, going back to at least the early 20th century. The considerable engagement of students in secondary schools and on university campuses, as well as in national-level political debates, made them a true social and symbolic force within the Arab world (Abdalla, 1985; Haggai, 1989; Bashkin, 2009; Watenpaugh, 2002: 325-347) in the fight against colonialism. The expansion of compulsory education and universities from the 1950s on, as well as the ‘modernisation’ projects of the new state elites, only strengthened the student position at the forefront of the region’s society and politics. In the process, the universities and colleges of the post-colonial era inherited a dual role: “servant of the State and crucible for nation-building” [Trans. note: “service de l’État et creuset de la construction nationale”] (Rey, 2010: 29).5

11 However, the opening up of colleges and universities, previously characterised by a certain elitism, to a greater number of students lead to a series of significant socio- political transformations throughout the 1960s-1970s:6 the spectrum of students’ social,

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ethnic and religious backgrounds broadened considerably; a process of massification occurred in some universities, provoking tension around the resources allocated to education; and finally, the emergence of ‘students’ as a distinct social group, which translated into the first state political initiatives aimed specifically at the ‘youth’ – still thought of primarily as the ‘educated and urban youth’7– with the creation of the ministries of youth and education in the 1970s-1980s.

12 In many Arab countries faced with the accelerating disappearance of pluralism and freedom of expression in the political sphere, from Tunisia to Iraq by way of Egypt, the university became, a “substitute political arena” [Trans. note: “champ politique de substitution”] to varying degrees, as well as a vessel for the “hopes, frustrations and demands” [Trans. note: “aspirations, des frustrations et des revendications”] (Guiter, 1997: 93) of Arab societies in a post-colonial environment. During the 1960-1980s, university students positioned themselves at the spearhead of societal debates, particularly (in both a metaphorical and a literal sense) in the clashes between the various political currents dominating the Middle-East as a region: , Pan-Arabism, Arabic socialism and Islamism.

13 Turkey, having never experienced colonialism, followed a unique path of development in the first half of the 20th century. As a result, unlike in the majority of Arab nations, Turkish universities remained outside the sphere of colonial influence. Under the Republic of 1923, higher education was seen by the modern elites as a key tool for modernising Turkish society and creating “True Turks” (öz Türkler) loyal to the Turkish republic. While all groups in Turkish society had some responsibility in the task of modernising Turkey, the (educated) ‘youth’ had a special role to play. In his famous Speech (Nutuk) delivered in October 1927, Mustafa Kemal sacrilised the task bestowed on the youth by the State: “ Oh, Turkish youth, we have built the Republic; it is up to you breathe life into it and allow it to grow” [Trans. note: “Ô jeunesse turque, nous avons bâti la République, c’est à vous de la faire vivre et de lui permettre de s’élever”] (Kemal, 1989: 1197). This has been noted by Leyla Neyzi, among other authors (Neyzi, 2001: 411-432: Lüküslü, 2005: 31-32). However, the conception of ‘youth’ presented in Kemalist discourse was a construction of the state; in other words: “The youth received this mission, they did not choose it for themselves” [Trans. note: “la jeunesse reçoit cette mission, elle ne se l’octroie pas”] (Şeni, 2007: 241).

14 There were dedicated national youth holidays, and attention was paid to education. From 1924 onwards, the law for the unification of education placed all educational institutions under the control of the national Ministry of Education. Additionally, all religious schools were closed. The majority of university graduates was recruited straight into the civil service, leaving the private sector of the economy “abandoned” [Trans. note: “orphelin”] (Aypay, 2003: 109-135). In 1937, the Reorganisation Law decided on the closure of the first Ottoman university – Darülfünün (1863) – in order to make way for Istanbul University. The universities act of 1946 granted complete autonomy to centres of higher education, and between 1956 and 1960, the number of university students grew from 20,000 to 65,0000 (Szyliowicz, 1973: 417).

15 Certain tensions regarding the resources allocated to universities notwithstanding, the student body, in contrast to the Arab countries, did not establish itself as a force for protest. This was because, as we have seen, students were ideologically locked into defending the values of a republic which happened not to have experienced colonial influence. The reality was that the majority of student organisations of this period,

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contrary to certain preconceived notions that too often label student movements as exclusively left-wing, were positioned firmly on the right of the political chessboard, their sole credo being Atatürkist nationalism.

16 After the Second World War, however, Turkey’s path of development was comparable to that of the other Middle-Eastern countries. As such, in 1946, the university system became one of the core points of debate in Turkish politics due to the simultaneous introduction of both political pluralism and the law on the autonomy of universities (Turan, 2010: 142-164). In addition, attempting to meet the pressing demands of a rapidly growing youth that had its sights set on becoming a key actor in the nation’s economic and political structures, the Turkish state supported the construction of new universities across the country. Thus, between 1957 and 1977, the number of Turkish universities grew from six to seventeen, while the number of students went from 65,000 to 340,000 (Ozankaya, 1978).

17 These developments, concurrent with the events of history both international (the Cold War, the Cyprus Crisis, increased internationalisation of the Turkish economy, reinforcement of America’s presence in the region) and domestic (rapid urbanisation, social tension and proletarianisation of the economy, growing tensions between the Kemalist left and the conservative right, military interventionism in the country’s politics), propelled vast numbers of high school and university students to the centre of Turkey’s social and political stage. (Alper, 2010). Universities, as “hosts to these processes of polarisation and escalating violence, consequently became sites of politicisation of the individual” [Trans. note: traversées par ces processus de polarisation et de montée de violence, deviennent alors des sites de politisation des individus”] (Gourisse, 2010: 362).

18 However, it is worth paying special attention to the role played by university students over these two decades for a number of other reasons. First, the ‘alliance’ forged between university students and professors, leftist intellectuals and the ‘progressivist’ factions of the army that laid the groundwork for the coup d’état of May 27, 1960 cemented higher-level students into a central role in the Turkish activist sphere from that point on (Mutlu Ulus, 2011); students considered themselves to have a moral duty and felt unable to simply turn their back on their ‘responsibilities’. This alliance also paved the way for a partial liberalisation of the country’s political and social arenas, as well as for the expansion of leftist forces from across the entire spectrum within trade unions, politics and student circles (Abadan, 1963; Aydınoğlu, 2011). Furthermore, the participation of university students in the demonstrations that led to the military coup d’état of May 27, 1960 left a deep impression on the “generation of ‘68” (Monceau, 2007: 97-130), which hoped in vain for an adapted broad alliance of the ‘progressivist’ groups that would bring about the ‘socialist revolution’ in Turkey.

19 Second, higher-level students played a major role in the politicisation of “young wolves” in high schools of big cities like Istanbul and Ankara. Accounts by former activists provide evidence that university activists oversaw certain activities by the secondary school students – sit-ins, marches, acts of sabotage – provided written propaganda – brochures, flyers – to their youngest acolytes and sometimes physically protected if they felt threatened by their “enemies” on their way home from school (Mardin, 1977: 229-254).8 Their knowledge of the “terrain” let them quickly rebuild trust with old followers, who had since become ringleaders inside the secondary schools, thus demonstrating the importance of the self-perpetuation dynamic for

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politicisation within the student circle (Crossley, 2008: 19-38). In this way, the youngest university activists became the critical link to achieving coordination between high schools and universities, and ultimately, to coordinating the mass student demonstrations of the 1960-1970s.9

20 Third, “revolutionary passions” (Bozarslan, Bataillon and Jaffrelot, 2011), with its attending urban violence, struck university students first. Little by little, clashes on campus and in the streets between far left and far right (the ‘Grey Wolves’) activists became interspersed with other, more violent actions. From 1970 onwards, some radical-leftist groups shifted to urban guerrilla warfare in order to hasten the ‘revolution’. While the coup d’état of 1971 put a temporary halt to student activities, the repression aimed primarily at leftist organisations and the execution of university leaders such as Deniz Gezmiş in 1972 had a counter-productive effect; they created ‘youth’ icons, ‘heroes’ fighting for the ‘resistance’ against ‘imperialism’ and ‘fascism’.10 Paradoxically, but in line with an approach similar to that of the extreme left in Japan, Italy and Germany, the radicalisation of certain student organisations led to the left- wing forces becoming progressively marginalised, weakened both by successive divisions and repression by a state apparatus that was increasingly establishing itself as a “fragmented tyranny” [Trans. note: “tyrannie fragmentée”] (Tilly, 2003).

21 Finally, alongside this last point, examining the university student community allows for up-close examination of both the new techniques of repression applied by the Turkish state (and elsewhere in the Middle East), intended to depoliticise a ‘youth’ that had become a threat to social order, and the new forms of re-engagement that arose in an environment seemingly marked by social demobilisation. In practice, the coup d’état of September 12, 1980 dealt a fatal blow to the ‘revolutionary left’ and associated movements, while right-wing organisations were targeted less by the punitive measures. Intellectuals, student leaders and activists were detained, tortured and, in some cases, condemned to exile. The tally of the military putsch – 650,000 arrests, 1,683,000 judicial investigations, 517 death sentences (49 of which were carried out), 30,000 public service employees dismissed, 667 organisations and foundations banned, hundreds of suspicious deaths – is unequivocal (Massicard, 2010: 6; Duclert, 2010: 32).

22 At the same time, the state was developing insidious techniques to depoliticise Turkish society, particularly the student sphere. This led to YÖK becoming one of the cornerstones of the university ‘normalisation’ policy. Founded in November 1981 under law No. 2547 on higher education, the organisation was central to the depoliticisation and, ultimately, the collective demobilisation of university students, as described in Murat Yılmaz’s contribution to this issue. New administrative regulations, stripping universities of their autonomy and the surveillance of students and teachers were used to ‘pacify’ campuses, while a military-neoliberal coalition allowed a partial implementation of the Turko-Islamic synthesis11 in universities (Ateş, 1984; Dinç, 1986; Şimşek, 2006).

23 Paradoxically, despite the reforms introduced by successive governments to try and fit Turkey to meet the European Union’s requirements regarding YÖK and face the criticisms levelled against it by numerous intellectuals (and even the majority of parties sitting in government), this embarrassing (to say the least) relic of the military intervention of 1980 has been neither abolished nor significantly reformed, thanks to the political stranglehold it provides over the university system – something that no

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party in power has been prepared to sacrifice (Monceau, 2005: 129-142; Yılmaz, 2012: 153-168).

On the “cycle of demobilisation”

24 Collective demobilisation and disengagement are seen by researchers as social and individual processes that encompass a range of phenomena: from the almost total political demobilisation of a society to activist individuals retreating into the private sphere or “exiting” (Hirschman, 1983). In truth, however, beneath this individual and/ or collective retreat lie much more complex social dynamics.

25 In his very thought-provoking work of synthesis, Sociologie politique du Moyen-Orient (2010), Hamit Bozarslan highlights a fundamental contradiction that researchers – be they historians, political scientists or sociologists – must consider when studying the countries of the Middle East. While on the macro level, we see a “glaring [...] absence of collective action” [Trans. note: “faiblesse […] criante de l’action collective”] between 1980 and 2010 (with a few exceptions), the micro level reveals “a myriad of actions and acts of resistance” [Trans. note: “myriade d’engagements et d’actes de resistance”] (Bozarslan, 2010: 65). In this regard, the author points to the need to consider not only the processes of demobilisation which have been at work for decades in some countries, but also the reach of quotidian collective actions; the “everyday forms of resistance” beloved of James C. Scott (1985; 1990), the “bottom-up politics” elevated in the works of Jean-François Bayart (2008) or the cumulative practices of “non-movements”, a concept put forward more recently by Asef Bayat (Bayat, 2010).

26 While this contradiction is still relevant, Bozarslan makes the deliberate choice not to turn to the sociology of social movements and collective action, a field too often mired in “somewhat abstract modelling practices” [Trans. note: “modélisations quelque peu abstraites”]. Instead, he takes an approach grounded in historical sociology, in the vein of Charles Tilly, which pays special attention to the mechanisms and processes that aid the study of the consistencies and explanatory principles of mobilisation (Bozarslan, 2010: 65). Thus, it is from a macro-sociological and long-term perspective that the author regards the 1940-1970s as a “period of mobilisation”, owing to a “de facto alliance between the civil and military intelligentsia, the university-level and secondary-level youth and the working class” [Trans. note: “période de mobilisation… alliance de fait entre l’intelligentsia civile et militaire, la jeunesse universitaire et lycéenne et la classe ouvrière”], in contrast to the three subsequent decades of “general demobilisation” (1980-2010). The ‘street’ was gradually abandoned in favour of forums of dissent that were less vulnerable to state coercion, such as residential neighbourhoods or remote regions where Islamist groups and ‘separatist’ groups like the PKK in Turkey were being revived (Bozarslan, 2010: 69-81).

27 Written accounts by former activists, primarily on the left, as well as works based on oral history tend to further support this division of the time period. Indeed, several ‘witnesses’ to the ‘revolutionary’ years have actually highlighted their sense of having been swept up by an invisible force, an all-powerful and irresistible wave of energy: “We were all involved in those days” and “it was difficult not to be politicised” [Tran. note: “à cette époque, on était tous engages” … “il était difficile de ne pas être polities”] are a few of the statements that surface regularly in interviews with former activists, as well as in their autobiographies (Harun, 1975; Yüksel, 1992; Oral, 2003; Mater, 2009). While

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such remarks may well illustrate the uncertainty and radicalisation that formed the backdrop of the period, they nonetheless create a narrative that leaves no space to consider the varying degrees of engagement amongst higher-level students or the differences in mobilisation between universities, or even between colleges within the same university. For instance, it should be noted that the involvement of many ‘activists’ between 1960-1970 was limited to sometimes one-off, ‘acritical’ participation in the protests, boycotts and sit-ins organised by ‘real’ leaders. As with any individual, or indeed collective, memory, what is really at play is the construction of a selective narrative that broadly aims to legitimise the choices made by the actors during and after their period of involvement.

28 Furthermore, as Emin Alper points out, the accounts of the various political generations connected to both the ‘great demonstrations’ of the university sphere and Turkey’s military coups (Monceau, 2007) have become a twofold ‘burden’ for new generations of activists. On the one hand, comparison of the protests of 1990-2000 to the “golden age” of political engagement has given rise to a shared sense of guilt and failure among Turkish students, “incapable” of repeating the “feats” [Trans. note: “gestes”] of their elders (Alper, 2009: x). On the other hand, the shadow of the “heroic” generations still hangs over the young activists of today, so much so that the “‘90s generation” – considered to be apolitical, consumerist and passive (Lüküslü, 2005) – are viewed in public opinion as their antithesis.

29 In this issue, we have opted to alternate between different scales of analysis – macro, meso and micro – in order to refine several findings around the process of demobilisation and the factors contributing to disengagement. Placing these different levels of inquiry in dialogue with each other allows us to consider a range of variables, such as the degree of students’ engagement, multiple affiliations, organisation types, costs and rewards, repertoires of collective action and ‘biographical’ details.

30 To what degree are the dichotomies between ‘mobilisation/demobilisation’ and ‘politicised/apolitical’ relevant beyond the macro level when considering the phenomenon of activist defection? What do the most detailed analyses of meso-level trends, “which shape and support collective action over time” [Trans. note: “qui façonnent et soutiennent l’action collective dans le temps”] (McAdam, 2005: 53), and micro- level trends reveal about collective demobilisation and individual disengagement? Likewise, how does a processual analysis of disengagement help us grasp the factors (the ‘why’) and trajectories (the ‘how’) of the phenomenon? The contributions in this issue take these questions as the starting point for a double-pronged goal. First, while acknowledging the impact of repression and the undermining of political opportunity in an authoritarian or quasi-authoritarian setting, they refine understanding of the direct link, too often assumed as self-evident, between coercion and individual disengagement (Combes and Fillieule, 2011: 1047-1072). Second, based on an examination of student movements from a variety of countries and periods, the articles as a whole open the door to possibly identifying variations concerning both the degree of demobilisation of organisations and the impact of repression on groups and their activists in relation to different stages, as well as the relationship between personal resources and the costs of disengagement.

31 Certainly, the collective demobilisation of the student community in Turkey may readily be explained by a number of structural factors broadly shared by other countries both near and far, such as the active ‘depoliticisation’ policy imposed on

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universities by YÖK, the global decline of leftist ideologies, ‘neoliberal’ education reforms that have spurred increased competition between students in the ‘global university’ (Marginson, 2008: 87-107), the impoverishment of public universities and consequent ‘desacrilisation’ of their legitimacy in society, the economic troubles faced by Turkey in the 1990s, which prompted higher-level students to realign toward the centre in their personal goals, or even the ‘societal fatigue’ that affected many spheres of Turkish society following a period of intense mobilisation that sometimes carried a significant cost: prison, inability to obtain a college degree, exile, the physical and/or psychological after-effects of torture, etc. Lastly, we should not forget that thirty years after the coup d’état led by General Kenan Evren, the state repression executed between 1980-1983 remains a trauma in Turkey’s collective memory – one that fuels the idea of activism as a dangerous activity to this day (Berrak Tuna, 2011: 69).12

32 However, while the establishment of YÖK unquestionably had immediate consequences for student movements generally, the collective demobilisation of the ‘leftist forces’ should not make us forget that Turkish universities witnessed a revival of the student sphere marked by Islamism (Güven, 2005: 205) and Kurdish nationalism towards the end of the 1980s.13 In other words, the military intervention of September 1980 gave a temporary jolt to collective action, which is understood as “any concerted action carried out by one or multiple groups seeking to achieve shared aims” [Trans. note: “toute action concertée de un ou plusieurs groupes cherchant à faire triompher des fins partagées”] (Fillieule, 1993: 9), within the university community and within all spheres of Turkish society. In the medium to long term, however, it had differing effects depending on political leaning and movement: right-wing, left-wing, Islamist or Kurdish nationalist. Furthermore, state coercion could not stifle the engagement of new generations of students (Birikim, 2011), nor the emergence of new forms of action within the student community – such as ‘post-it activism’ or distance activism – that were less risky and less demanding in terms of time, but still taken seriously by the Turkish government (Berrak Tuna, 2011). Thus, a more fine-grained analysis of the phenomena of demobilisation and individual disengagement is needed.

Individual disengagement

33 While Murat Yılmaz’s contribution does, to a great extent, affirm the prominent role of repression in the collective demobilisation of leftist student communities in Turkey, Yılmaz also adds several important nuances to this point. First is that not all Turkish universities were transformed into dissident spaces in the late 1970s. Some universities stayed away almost entirely from the mass demonstrations, which should indicate the need for further research on the differing participation levels of higher education students within the same political context. Secondly, he shows how much the response to repression may vary within the same generation or political cohort. For example, while state repression certainly had biographical consequences for the activists interviewed by Yılmaz – prison, torture, temporary/permanent suspension of studies – it in no way meant complete disengagement. They attempted to regroup, but faced with a highly oppressive environment and a ‘new generation’ of seemingly ‘apolitical’ students, they felt forced to overhaul their action playbook and even to abandon the university as a privileged site of resistance.

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34 In fact, in Turkey, as elsewhere in the Middle-East (Duboc, 2010: 61-79; Khawaga, 2003: 271-292), many ‘former’ activists maintained long-term engagement (Braungart and Braungart, 1993: 62-64) in spite of their sometimes painful experiences, continuing their ‘activist careers’14 by adopting new forms of ‘apolitical’ engagement or ‘moral activism’, as well as working to consolidate ‘civil society’ in Turkey – professional associations, human rights defenders, intellectual foundations – and foster particularistic mobilisations, such as Alevism (Massicard, 2010: 1-18). To this effect, the ‘activist reconversions’ of former student activists should prompt us to problematise the dichotomy between mobilisation and demobilisation (McAdam, 1988), since the disengagement of former ‘real activists’ does not necessarily mean actual disengagement. Very often, what we observe is a phenomenon of re-engagement/re- disengagement; in other words, an alternation between periods of withdrawal and re- engagement that actually corresponds to an activism trajectory common to a large number of individuals (Corrigall-Brown, 2012).

35 Drawing our attention to another part of the world – Mexico – the collaborative article by Guadalupe Olivier-Téllez, Sergio Tamayo and Michael Voegtli offers a similar examination of the effects of repression on the Mexican student movement of 1968. This compelling body of ethnographic research highlights how the effects of repression can vary based not only on activists’ plurality – their degree of engagement, their biographies, etc – but also across different time frames. In other words, the paper posits that the effects of repression should be discerned through a processual, dynamic perspective – power/protest movement/media/counter-movements – that considers the subjectivities of the actors at each stage of a revolutionary ‘moment’, rather than assuming that the impact of coercion will be uniform across time.

36 Işıl Erdinç’s text opens the door to a broader examination of the questions in focus. A study of the student union at Genç-Sen, a higher-level institution, shows how much continuity exists between mobilisations past and present. As such, and in the vein of Verta Taylor’s study on the American women’s rights movement from 1945 to the mid-1960s (Taylor, 1989: 761-775), Erdinç argues that, despite the repression that followed the coup d’état of 1980, the link between some of today’s student movements and those of the 1960-1970s has never been fully broken, be it only through slogans or personal ties between new and old generations of activists. Furthermore, this continuity may contribute to disengagement if new activists view the attachment to ‘old ideas’ as, essentially, a roadblock to revitalising mobilisation of the student youth. Facing ‘inertia’, either real or imagined, potential recruits will choose to withdraw, either to seek out a new experience in a different movement or to remain among the ‘apolitical masses’ denounced, sometimes unfairly, by a large segment of public opinion.

37 But the reality is that multiple factors contribute to demobilisation, none of which is necessarily linked to the authoritarian or semi-authoritarian nature of the regime in power. Joseph Hivert’s paper on Morocco’s ‘February 20’ movement presents a compelling hypothesis: when activists are poorly dispersed and/or the capacity for collective action is low, the probability of defection increases. As such, even if activists who have chosen to ‘exit’ may, at first glance, give other reasons to ‘justify’ their disengagement – such as their demands having been met – it is the lack of biographical availability, and not necessarily the political environment, that proves the determining factor for a certain type of activist.

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38 Benjamin Geer’s analysis of the “March 9 Group”, the movement of faculty members striving for the autonomy of universities in Egypt, presents a very rich paradox. While traditional structural analysis of activist engagement would stress the importance of favourable conditions – notably, a democratic framework – for the development of social mobilisation, Geer’s case study challenges the underlying principles of this approach by examining the structure of political opportunities. Geer shows how, in an authoritarian or semi-authoritarian environment, the movement sparked in 2004 by academics aiming to defend the autonomy of universities allowed these activists to establish themselves as a point of reference for ‘pro-democracy’ student bodies and intellectuals. In contrast, the same cultural and symbolic capital – reputation, recognition, popularity – lost its value in a (theoretically) more favourable setting following the fall of ‘dictator’ Hosni Moubarak and the start of a period of uncertainty and fluidity (Dobry, 1986) ushered in by the popular revolts in Egypt. This loss of capital led to the defection of a portion of the activists, namely university professors and lecturers, who saw the return on their engagement, whether objective or subjective, as minimal.

39 The revolts in the Arab world between 2010 and 2011, the ‘indignados’ movement in Spain, ‘Occupy Wall Street’ in New York and the ‘resistance’ in Istanbul’s Gezi Park have once again reminded researchers that mass demonstrations and dissidence are topics worthy of study, as the number of publications and conferences dedicated to them attests. Beyond this, does the revival of student demonstrations in Egyptian universities in 2013 – or the protests of students of the Middle East Technical University in Ankara against the construction of a motorway threatening to destroy a large swathe of their tree-lined campus – herald the return of the university as a bastion of protest in the Middle East (Akyol, 2013; Hamed, 2013; Mohammed, 2013)? It is, of course, still too early to answer such a question. For now, it would seem that while the university is again a space of dissidence, it is not the privileged site of protest in these countries. Whatever the case, and somewhat against the tide, this issue hopes to have contributed to the understanding of demobilisation and disengagement as phenomena through examination of the student community, highlighting once again that both of these are, in spite of everything, an ingrained part of social movements and social mobilisation.

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1. The Gezi demonstrations opposed the pedestrianisation of Taksim Square, the demolition of Gezi Park and the construction, in its place, of a replica Ottoman military barracks containing a shopping centre and a mosque. 2. For analyses written during the protests, see the blog of the IFEA [Trans. note: the French Institute for Anatolian Studies] (http://ovipot.hypotheses.org/page/2) and Jadaliyya-Turkey (http://turkey.jadaliyya.com/). 3. Between June 6 and 7, 2013, the private company KONDA conducted a second survey of 4,411 participants, which produced similar results (Kongar and Küçükkaya, 2013). 4. Alongside the semantic sense of the term “event”, Bénédicte Récappée echoes Paul Ricoeur, for whom “not everything that happens is an event” [Trans. note: “tout ce qui arrive ne fait pas événement”] when she writes that “the importance of the way in which facts are perceived

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reminds us of the constructed nature of the event, from perception to recounting, from interpretation to transmission” [Trans. note: “l’importance de la façon dont les faits sont perçus nous rappelle le caractère construit de l’événement, de sa perception à son récit, de son interprétation à sa transmission”] (Récappé, 2009: 210). 5. Thus, for example, Fadhil Abbas al Mahdawi, presidential court judge under d’Abdul Karim Kassem in Iraq, declared that: “Students all over the world are soldiers of science, literature and arts, which are the essential elements of building nations and bringing progress to countries […]. Besides students are always soldiers of justice, democracy, liberty and peace”. Hoover Institution Archives, U.S.N.S.A, Box 221. “L’étudiant irakien”, published by the Fédération générale d’étudiants dans la République irakienne, n°1, June 1959, p. 3. 6. Following the Second World War, new universities sprang up very rapidly all across the Middle-East: Egypt (1942, 1949, 1950), Syria (1946), Lebanon (1950), Libya (1955), Iraq (1956), Morocco (1957), Saudi Arabia (1957), Tunisia (1958), Jordan (1962) and Kuwait (1966). While the academic year 1961-1962 saw 157,00 students spread across the 20 universities then operating in the Arab world, ten years later, 48 universities took in more than 375,000 higher-level students. 7. The category of ‘youth’ does not refer to a distinct social unit, and thus, cannot be considered a homogeneous category (Bourdieu, 2002). Furthermore, as historians and anthropologists of the concept point out, ‘youth’ is a social construct whose definition and attributes vary according to its historical and socio-economic context. In this sense, the Turkish ‘youth’ of the 1960-1970s, with its ‘modern’ practices (leisure time, easy access to public transport, dress codes, etc) and language codes, was limited almost exclusively to students and urban youth (Bayat, 2011; Wyn and White, 1997; Bucholtz, 2002: 525-552; Farag, 2007: 49-78; Mauger, 2010: 9-24). 8. While right-wing students were trained in the ‘foyers idéalistes’ (Can, 2000: 335-373), training of activists on the left tended to take place on university grounds and in student dormitories. Notable among the left-wing student unions from 1964 onwards were the Thought Clubs (Fikir Kulüpleri), which became the Revolutionary Youth Organisation (Türkiye Devrim Gençlik Teşkilatı or Dev-Genç) in 1969 (Feyizoğlu, 2002). 9. The mass demonstrations of the 1960-1970s should not blind us to the fact that, despite the image portrayed in the memoirs of old activists and by the newspapers of the time, the majority of students did not belong to a student union. Hence, according to a survey carried out in 1955 at Ankara University, 78.2% of respondents were not registered with any student organisation, 19% were members of a non-political student organisation and 3.8% were part of a political student organisation (Dirks, 1975: 261). Similarly, while there is proof of some student involvement in armed combat groups, it was still a rare phenomenon. The engagement level of ‘politicised’ students varied greatly and should not be overestimated. 10. Deniz Gezmiş was the leader of the People’s Liberation Army of Turkey (THKO). Other similar groups included the Workers and Peasants Liberation Army of Turkey (TIKKO) and the People's Liberation Party-Front of Turkey (THKP). 11. The Turko-Islamic synthesis, as an underpinning ideology of Turkish politics since 1980, was nothing new in terms of the intertwining of Islam and Turkism. Developed in the “Turkish salons” of the mid-20th century, it was applied in practice following the military coup of 1980, and was particularly present in the spirit of the constitution of 1982, which introduced ‘authoritarian democracy’, an end to the autonomy of universities, the formation of State Security Courts and a centralised administrative system (Üstel, 1994: 387-400). 12. A perception that is by no means inaccurate. Activism in Turkey remains a risky choice, as proven by the waves of arrests that followed the evacuation of Gezi Park in July 2013. More broadly, it is notable that Turkey has been condemned by the European Court of Human Rights on several occasions for failing to respect freedom of expression and for abuses committed against activists in detention. In the student community alone, the Initiative for Solidarity with

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Incarcerated Students (TÖDI) has documented around eight hundred students behind bars, awaiting trial or serving a sentence, of whom ninety percent are Kurds (Girardot, 2013: 29). 13. Through my 2013 survey of students who had attended Dicle University in Diyarbakır between 1986 and 1990, I was able to conclude that the student movement in this majority Kurdish city was a reality. Yet, unlike in the late 1970s, ethnic claims within the student movement became hegemonic, to the detriment of groupings aligned with the Turkish left. 14. Howard Becker (Becker, 1985) expanded the concept of the career, in the sense of profession, to include different manifestations of engagement. The idea of an ‘activist career’, subsequently adopted by other researchers within the sociology of mobilisations (Filleule, 2001: 199-217), is desirable in that it emphasises the processual aspect of activist trajectories as well as the interconnectedness between individual stories and the broader situational context.

ABSTRACTS

The uprisings that erupted unexpectedly in the Middle East between 2010 and 2011 propelled the region’s youth to the forefront of the political and media spheres. According to some scholars, we are witnessing a re-politicisation of Middle Eastern youth, a marked contrast to their ‘depoliticisation’ and ‘apathy’ as a group in recent years. Yet, although the youth (incidentally, the majority of the population in the region) have unquestionably participated in popular protests, student unions seem not to have played a role thus far. From a macro-level perspective, the marginal role of student associations may seem natural; whilst nationalist and revolutionary leaders encouraged students to actively participate in politics ‘for the sake of the nation’ until the 1960s, both revolutionary and conservative regimes progressively sought to ‘depoliticize’ them. This turned higher education into a privileged ‘sandbox’ for testing methods of repression which would then be extended to all segments of society. However, while scholars should consider the political context of a given society, namely, the authoritarian or semi-authoritarian regimes of most Middle Eastern countries, we must ask: what can meso- and micro-level analysis reveal about the complex and multi-layered phenomena of collective demobilization and individual disengagement? This special issue offers some responses to that central question, analysing different case studies within higher education, from Turkey and Egypt to Morocco and Mexico, over the last forty years.

INDEX

Keywords: demobilization, disengagement, militant trajectories, repression, higher education

AUTHORS

JORDI TEJEL GORGAS Research professor of International History at the Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva

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