Institut – Discours de Georges Pompidou

ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION DE

27 SEPTEMBRE 1964

Mots-clés : Calais – Commémorations/cérémonies – Histoire/mémoire – Royaume-Uni – Seconde Guerre mondiale – Transports – Tunnel sous la Manche

Jacques Vendroux, frère d'Yvonne de Gaulle, est député UNR depuis 1958 et maire de Calais depuis 1959, et à ce titre accueille les cérémonies anniversaires. D'autre part, le 6 février 1964, la et le Royaume-Uni ont publié un communiqué commun estimant qu'un tunnel sous la Manche est réalisable du point de vue technique et serait proftable du point de vue économique.

À propos de ce document L'Institut Georges Pompidou, association reconnue d'utilité publique, consacre ses eforts à la recherche sur l'activité de Georges Pompidou comme Premier ministre et comme Président de la République, par le biais de colloques, de publications et de documentation en ligne, dans le cadre d'un partenariat étroit avec les Archives nationales. L'Institut a entamé la saisie systématique des discours de Georges Pompidou, dont il possède une collection presque complète (environ 1 mètre linéaire). Il s'agit de photocopies des originaux déposés aux Archives nationales, fonds présidentiel 5AG2, cartons 1086 à 1091. Certains textes peuvent se révéler incomplets ou partiellement lisibles. Les textes des discours prononcés à l'Assemblée nationale proviennent des compte rendus des débats publiés par le Journal ofciel et disponibles en ligne sur le site des archives de l'Assemblée nationale (http://archives.assemblee-nationale.fr/). La saisie a été assurée par les chargés de recherche de l'Institut, Cédric Francille et Émilia Robin, avec l'appoint de stagiaires recherche. Ces discours font l'objet d'un travail éditorial réalisé par Émilia Robin. Il s'agit d'une part de leur description par un jeu de mots-clés indexant les thèmes abordés. Il s'agit d'autre part d'une transcription à fns de consultation et de recherche : se reporter à nos originaux pour les éventuelles marques de correction ou encore pour la mise en page d'origine.

Contact : Institut Georges Pompidou – 6 rue Beaubourg – 75004

1/5 Institut Georges Pompidou – Discours de Georges Pompidou

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En ce jour anniversaire de sa libération j'apporte à Calais le salut du Gouvernement. Certes, notre pays a depuis près d'un siècle durement subi l'épreuve des guerres sur son sol mais il n'est pas de ville qui plus que Calais ait au long de cette histoire fait preuve de courage et d'héroïsme. Le fait presque unique pour une ville d'avoir à la fois la Croix de Guerre de 1914-1918, la Croix de Guerre de la Deuxième Guerre mondiale et la Légion d'honneur est là pour en témoigner. 1914-1918, pendant quatre année Calais est un objectif d'autant plus important que Calais est le port par lequel arrivent des centaines de milliers de soldats britanniques, de soldats canadiens, d'autres encore qui devaient tomber aux côtés des nôtres, lutter pour la liberté et tomber en nombre incalculable. On aurait pu penser que de pareils sacrifces étaient devenus défnitivement inutiles, que le bon sens triompherait et avec lui la paix. Calais aurait pu le penser qui avait perdu près de 3 000 des siens dans cette première guerre. Pourtant vingt ans à peine après que l'encre du traité eût séché voici qu'à nouveau la guerre éclate. Au moins de mai 40 à la stupeur de nos dirigeants, de nos états-majors surpris dans leurs doctrines, les divisions cuirassées de Guderian déferlent sur la France et en moins de quinze jours arrivent sous les murs de Calais. Une fois encore les soldats français sous le commandement du capitaine de frégate de Lamberty, les soldats britanniques sous le commandement du général Nicholson et du colonel Holland luttent pour défendre la ville. Combat désespéré, on le sait d'avance, mais qui a pour but de permettre au plus grand nombre possible de soldats de s'embarquer vers la Grande-Bretagne. Londres devient à partir de ce moment-là le pôle commun de nos espoirs et de notre salut. À Calais c'est la nuit et le brouillard qui commencent, plus de quatre années d'occupation pendant lesquelles la population de Calais fera preuve de courage et d'abnégation. Les jours succèdent aux jours dans les privations, dans les soufrances. Mais la nuit c'est le passage de plus en plus bruyant des avions qui vont vers l'Est ; c'est les combattants de l'intérieur qui s'animent et c'est la voix de Londres, la voix du général de Gaulle qui vous parvient. Enfn 1944. Tout à coup c'est le débarquement, débarquement en Normandie, débarquement en Provence, et l'avance des troupes alliées, la libération de Paris. Et Calais ? Le sens même et la marche des armées alliées condamnait Calais à être libérée plus tard que d'autres. Et puis, bien sûr, pour l'adversaire Calais restait une position capitale. Aussi la libération donna-t-elle lieu à des combats particulièrement acharnés. Pendant des jours et des jours les avions alliés déversèrent sur cette ville, sur ses défenses, des dizaines de milliers de tonnes de bombes. Enfn voici que la IIIe division canadienne, celle du major-général Spry, après avoir participé glorieusement à la libération de Boulogne, arrive prête à donner l'assaut à Calais et à libérer votre ville. C'est alors seulement dans les tous derniers jours que la

2/5 Institut Georges Pompidou – Discours de Georges Pompidou population accepte de quitter la ville. Les combats font rage, les résistants de l'intérieur, ceux du corps franc de Saint-Vaast-la-Capelle, ceux du lieutenant Bonhomme entrent en liaison avec les glorieux soldats canadiens et tous ensemble fnissent par briser la résistance ennemie. Ce jour-là, celui qui était entré le premier, qui avait fait la liaison entre l'armée canadienne et les Français de la Résistance, le commandant Mangin, tombait aux côté du capitaine Jacques Vendroux aujourd'hui député-maire de Calais. Calais est libérée mais dans quel état : le port détruit, 75% des habitations touchées par les bombardements, tout à refaire. La population, celle qui sort des caves après les bombardements, celle qui revient à la ville ne trouve que ruines. Il faut repartir et c'est ici qu'au courage et au patriotisme le peuple de Calais montre qu'il joint des qualités obstinées de confance, d'espoir, de volonté de vivre. Ces qualités que vous manifestez au mois d'août 1945 en recevant ici dans un enthousiasme délirant le général de Gaulle, symbole de notre patrie et de la Libération, ces qualités on les met immédiatement en œuvre : la reconstruction commence, celle du port, celle des équipements d'abord, le confort vient après. Il fallait d'abord penser au plus utile, au plus pressé, c'est ce que la population de Calais a compris. Dans cette foi dans l'avenir, elle a dépassé les objectifs du passé. Il ne s'agit plus de refaire Calais, il s'agit de la reconstruire plus vaste, plus riche, plus active. Dans cet efort où les pouvoirs publics apportent leur appui à votre municipalité et aux autorités locales et régionales, dans cet efort plusieurs directions sont marquées. C'est d'abord le logement : développement de la ville même, création de nouvelles zones à urbaniser, création de zones d'habitations balnéaires, tous projets que votre maire nourrit et qu'il faudra réaliser. C'est ensuite la diversifcation industrielle. Calais traditionnellement est la ville de la dentelle mais une cité de cette importance ne peut vivre sur une seule industrie et c'est pourquoi depuis des années un efort constant est fait pour diversifer. Trois zones industrielles déjà installées, deux autres en projet. Enfn c'est un efort particulier pour le développement du tourisme qui tient à la place particulière de la ville de Calais, qui après avoir été longtemps enjeu de la lutte entre la couronne de France et la couronne d'Angleterre est devenue le lien naturel entre la France et la Grande- Bretagne comme entre la Grande-Bretagne et le continent européen. C'est pourquoi Calais devient le premier port de France au point de vue du trafc des voyageurs, l'aérodrome de Calais est un des premiers également pour le transport des voyageurs. Un grand efort doit être fait pour que Calais non seulement soit un lieu de passage mais un lieu d'accueil et de séjour, en même temps qu'une porte vers l'intérieur de la France, que ce soit par le chemin de fer ou par la route. Tous ces projets sont aujourd'hui symbolisés par le tunnel sous la Manche qui se fera, nous l'espérons, nous le voulons, qui aboutira tout près d'ici et qui transformera le rôle de Calais. Il aura sans aucun doute des conséquences qu'il faudra mesurer, par exemple sur le port, mais il aura pour efet d'amener à Calais des foules de plus en plus nombreuses de Français se dirigeant vers l'Angleterre, de Britanniques venant en France ou

3/5 Institut Georges Pompidou – Discours de Georges Pompidou en Europe ; tout cela fera de Calais un lieu de communications capital et lui donnera un essor exceptionnel. Il faut noter à quel point ces liens qui se sont créés à Calais entre la Grande-Bretagne et la France, ces liens, qui sont symbolisés par le jumelage de votre ville avec une ville britannique, se retrouvent dans toutes vos activités puisque nous savons qu'une des plus importantes sources d'emplois industriels à Calais vient de l'installation de fliales de sociétés britanniques dont certaines sont en cours de réalisation. Il y a là quelque chose que je tiens à mettre en lumière, au jour où nous célébrons le sacrifce commun des soldats français et alliés dans la dernière guerre.

Voilà comment votre ville sous ce soleil radieux témoigne de sa vitalité, de sa résurrection et de son espoir dans l'avenir, vingt ans après les ruines et les désastres. Vingt ans ! Vingt ans déjà. Oh ! Il ne s'agit pas de méditer sur la fuite du temps mais plutôt de chercher à en tirer des leçons pour l'avenir. Ces vingt années écoulées, cela signife que les Français âgés de moins de trente ans ne peuvent avoir aucun souvenir précis et en tout cas aucun souvenir réféchi de ce que nous avons vécu, de ce que Calais a si durement ressenti : la défaite de mai 40, plus de quatre années d'occupation, les ruines et les soufrances qu'a coûtées la libération. Et cela veut dire que les Français qui n'ont pas trente ans, c'est-à-dire 23 millions de Français dont la masse chaque année est rejointe par près d'un million de nouveaux-nés, ignorent tout cela. C'est pourquoi c'est notre devoir, c'est le devoir de nos générations qui ont connu et vécu cette période de notre histoire de rappeler sans cesse jusqu'à en imprégner les jeunes les leçons de l'efondrement de 1940 et de ce qui s'en est suivi. Il y en a me semble-t-il trois qui sont essentielles. La première c'est qu'il n'y a de protection que fondée d'abord sur la défense nationale. Les alliances, si nécessaires soient-elles, si puissantes, si fdèles soient-elles, et Calais peut témoigner de ce que furent l'efort et le courage du peuple britannique et du peuple canadien – les alliances peuvent nous promettre la libération. Elles ne peuvent nous garantir ni la dissuasion de l'adversaire, ni le succès initial. Et à notre époque cela veut dire qu'elles ne peuvent pas nous assurer la survie. La deuxième leçon c'est qu'il n'est pas de défense nationale capable de décourager un agresseur sinon fondée sur les armes les plus modernes et les plus terribles, c'est-à-dire, en 1940, les divisions cuirassées et les avions de combat, et aujourd'hui l'arme nucléaire. Et la troisième leçon, qui n'est pas la moins importante, c'est qu'un pays risque de disparaître si ses institutions ne sont pas en mesure de résister au choc des armes, si elles ne sont pas incarnées dans un chef d'État qui détient de la nation toute entière la charge et la responsabilité sans équivoque et sans partage du destin du pays aux heures décisives. Voilà les leçons que le général de Gaulle a tirées de la guerre et des événements, voilà les leçons qu'il nous a apprises. Il n'est pas de ville qui plus que Calais soit en mesure de les comprendre et d'en tirer les

4/5 Institut Georges Pompidou – Discours de Georges Pompidou conséquences.

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