Yvonne De Gaulle
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Isabelle Chave et Nicole Even (dir.) Charles de Gaulle Archives et histoire Publications des Archives nationales Yvonne de Gaulle Frédérique Neau-Dufour DOI : 10.4000/books.pan.399 Éditeur : Publications des Archives nationales Lieu d'édition : Pierrefitte-sur-Seine Année d'édition : 2016 Date de mise en ligne : 24 février 2016 Collection : Actes ISBN électronique : 9782821868106 http://books.openedition.org Référence électronique NEAU-DUFOUR, Frédérique. Yvonne de Gaulle In : Charles de Gaulle : Archives et histoire [en ligne]. Pierrefitte-sur-Seine : Publications des Archives nationales, 2016 (généré le 10 septembre 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pan/399>. ISBN : 9782821868106. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pan.399. Ce document a été généré automatiquement le 10 septembre 2020. Yvonne de Gaulle 1 Yvonne de Gaulle Frédérique Neau-Dufour 1 La place d’Yvonne de Gaulle au sein d’une journée d’étude consacrée à Charles de Gaulle ne se dessine pas aisément. Au-delà de sa fonction d’épouse, son rôle aux côtés du Général semble bien contingent, à tel point qu’il serait aisé de conclure qu’avec ou sans elle, le destin de Charles de Gaulle eût sensiblement été le même. Pourtant, l’image de Charles de Gaulle reste paradoxalement liée à celle d’Yvonne de Gaulle, comme si ce couple, que caractérisent sa fidélité et sa longévité, participait de l’épopée gaullienne, en révélait les valeurs et annonçait la face apparente d’une histoire intime très protégée. C’est dans cette perspective qu’une approche biographique d’Yvonne de Gaulle prend son intérêt. 2 Le principal écueil, lorsque l’on souhaite évoquer la femme du fondateur de la Ve République, est l’étroitesse du chemin. Soit l’on cantonne Yvonne à ses fonctions de première dame, et l’exercice devient rapidement fastidieux. Son influence est certes indéniable, mais ne suffit pas à en faire un personnage politique à part entière. Quant aux autres facettes de sa vie, peu accessibles au chercheur, elles restent finalement assez banales. Soit l’on inscrit Yvonne de Gaulle dans le sillage de son mari, en s’appuyant sur la chronologie gaullienne et en observant point par point l’attitude de sa femme en telle ou telle circonstance. Tout aussi lassant, l’exercice présente l’inconvénient de noyer Yvonne de Gaulle dans l’ombre de son époux et de la priver de son existence propre. 3 Pour éviter ces deux travers, il paraît nécessaire d’autonomiser Yvonne de Gaulle, c’est- à-dire d’insister sur les traits propres de sa personnalité, pour considérer ensuite comment elle participe à l’œuvre de son mari, ou au contraire s’extraie parfois de celle- ci. 4 Bien que rarement mentionnée, une évidence s’impose : Yvonne de Gaulle est une gaulliste de la première heure et même la première de tous les gaullistes. Le « Ce sera lui ou personne », qu’elle prononce après sa rencontre initiale avec le jeune capitaine de Gaulle en 1920, inaugure ce que sera plus tard le gaullisme politique : un lien inconditionnel à un homme plutôt qu’à un parti, avec ce que cela suppose de fidélité, de foi, de sacrifice et parfois d’intransigeance. Charles de Gaulle Yvonne de Gaulle 2 5 En dépit de son antériorité et de son intensité, le gaullisme d’Yvonne de Gaulle est rarement pris en considération par les collaborateurs du Général et par les chercheurs. Il est vrai que cette femme, discrète et réputée conservatrice, semble à mille lieues de l’élan, de l’audace et de la modernité constitutifs du gaullisme politique. Au contraire, elle incarne avant tout, pour la majeure partie de l’opinion, la « femme de » par excellence, vouée à son mari et n’ayant d’autre mission que de le servir. La jeune Yvonne Vendroux a du reste été éduquée dans ce seul objectif par sa famille de la haute société calaisienne : « Je me demande à quoi va s’employer Yvonne toute la journée », écrit sa mère en 1918, alors que sa fille âgée de 18 ans est sortie de l’école depuis longtemps. « Je renoue pour elle des relations que la guerre a distendues »1. L’intention est claire : trouver un bon parti pour sa ravissante fille, qui ne manque pas de prétendants mais se montre exigeante sur le choix. 6 À une époque où les femmes sont encore des mineures sur le plan civique, civil et financier, le mariage d’Yvonne de Gaulle en 1921 la place logiquement sous l’autorité de son mari. Le fait qu’il soit un officier renforce sa dépendance, car l’astreinte sociale est particulièrement forte dans le milieu militaire. Au régiment et bien souvent dans le civil, la fonction supplante l’individu et les épouses s’effacent derrière le grade de l’homme : Yvonne de Gaulle devient successivement Madame le capitaine de Gaulle, Madame le commandant de Gaulle, avant de devenir plus tard Madame le général, puis Madame la présidente… La démission de Charles de Gaulle de ses fonctions de chef de l’État en avril 1969 marque finalement l’accès de son épouse à une certaine autonomie, ou, du moins, lui restitue l’intégralité de sa vie privée. Une lettre qu’elle écrit le 6 octobre 1969 en témoigne : « Puisque la mode est aux simplifications, adressez vos lettres s’il vous plaît à Madame Charles de Gaulle »2. 7 Le gaullisme se présente comme une alliance spécifique du verbe et de l’action. Pour De Gaulle, le verbe n’est autre chose que l’annonce du geste ; le geste n’est autre chose que la mise en œuvre du verbe et l’écriture des Mémoires permet de boucler par l’écriture ce cycle vertueux. Autant dire que le gaullisme d’Yvonne de Gaulle demeure sans exception étranger à cette démarche. Si son mari présente et commente son action dans de nombreux discours, messages, notes, Yvonne de Gaulle reste radicalement muette sur tout ce qui concerne le domaine public. Elle est certes une épistolière assidue qui entretient des dizaines de correspondances, mais elle ne semble pas avoir laissé de notes, ni de journal, ni rien qui puisse nous renseigner sur sa vision du monde. La plupart de ses lettres se résument à des commentaires sur ses thématiques préférées, résumées de la sorte par le colonel Jean d’Escrienne, qui fut un des aides de camp de son époux : « Il y avait pour Madame de Gaulle trois sujets […] inépuisables. Il s’agissait, sans ordre de préférence, des enfants, des fleurs et des voyages »3. 8 Maladivement discrète, elle érige dès le départ un mur opaque et infranchissable entre sa vie privée et sa vie publique. Vis-à-vis des journalistes qu’elle considère comme des fouineurs prêts à tout pour récolter des informations, elle développe une méfiance qui tourne à la paranoïa. Ses prises de parole publiques ne sont pas rares ; elles sont inexistantes. Alors que son mari fut le « général Micro » de la Seconde Guerre mondiale, puis se distingua par sa maîtrise de la langue française tant à l’oral que dans ses écrits, il n’existe aucune interview d’Yvonne de Gaulle, aucun enregistrement de sa voix. Quant à ses apparitions télévisuelles ou photographiques, elles sont systématiquement liées à celles de son époux, dont elle apparaît comme la compagne, l’ombre portée, presque caricaturale à force d’être protocolaire. Même Jackie Kennedy, Charles de Gaulle Yvonne de Gaulle 3 en un seul cliché resté célèbre, dégage plus d’intimité avec le Président de Gaulle qu’Yvonne de Gaulle, en des milliers de supports iconographiques officiels… 9 Une telle description est certes décevante, mais elle appelle un questionnement. Comment se fait-il qu’Yvonne de Gaulle soit restée pendant des décennies résumée à l’image qu’elle a cherché à donner d’elle-même, celle d’une femme simple et sans intérêt, un brin revêche ? Pourquoi les collaborateurs du général de Gaulle furent-ils si rares à prendre sa défense (le colonel d’Escrienne fait partie de ceux-là, de même que Pierre-Louis Blanc et, sur le tard, André Malraux) et si prompts à l’accabler (Claude Guy étant l’un des plus tranchants) ? Pourquoi, derrière la femme en apparence indifférente au monde, nul ou presque n’a voulu voir une gaulliste originale ? Le dédain que l’entourage du général de Gaulle montre à l’égard d’Yvonne de Gaulle n’empêche pourtant pas cette dernière de bénéficier d’une réelle sympathie au sein de l’opinion, ni d’avoir été aimée de son grand homme de mari toute une vie durant. Dès lors, il faut se détacher des apparences et s’intéresser de plus près à cette femme venue au gaullisme par des voies détournées, qui n’a cessé de soutenir le fondateur du mouvement et de jouer tour à tour pour lui un rôle de vigie et de référence. La connivence qui règne entre elle et lui explique la solidité du couple de Gaulle autant que son amour si réservé en public et si chrétien dans son enracinement. 10 Bien qu’Yvonne de Gaulle ait laissé peu d’écrits, plusieurs sources de première main permettent de travailler sur son parcours. Un certain nombre de témoignages oraux restaient à recueillir, notamment ceux des épouses des collaborateurs du général de Gaulle. Martine de Courcel, épouse du secrétaire général de l’Élysée Geoffroy de Courcel, Solange Galichon, épouse de Georges Galichon, directeur de cabinet du président de la République, et Éliane Dromer, épouse du conseiller technique pour l’économie, les finances et le social au secrétariat général de la Présidence, ont notamment accepté de répondre à mes questions et de me dévoiler les lettres échangées avec Yvonne de Gaulle.