95 9 ans n a 0 5 Paix de Iles

© Sarah Ide IATA juin 2012 de de développement TransitionsTrimestriel – Iles de Paix – rue du Marché 37 – 4500 Huy

Orange: -N:0% -J:0% -M:55% C:0% Bleu: C:100% - M:75% - J:0% - N:0% Bleu: -N:0% -J:0% -M:75% C:100% BELGIQUE –BELGIËBELGIQUE Couleurs quadri: Bruxelles X PP –B- 22 Hier, aujourd’hui, demain,

changer le cours des choses 95 juin 2012

L e temps passe, le monde change et évolue monde ont croisé le chemin de l’association. Témoins sans cesse. Chaque seconde, sur terre, quatre de la perpétuelle évolution de la planète et de la enfants naissent et deux personnes décèdent, une constante adaptation d’Iles de Paix, ils évoquent, Éditeur responsable nouvelle voiture sort de l’usine, 11 hectares de forêt dans ce numéro spécial, ce que représente pour eux Laurence Albert 37, rue du Marché sont incendiés, 3,4 millions de mails sont envoyés, notre ONG quinquagénaire, la place qu’elle occupe 4500 Huy 15 000 kilos de riz sont produits… Des chiffres dans leur vie et leurs vœux pour l’avenir. éditoqui donnent le tournis.* D’autre part, outre son contenu atypique, ce Ont collaboré à ce numéro Imaginez-vous en 50 ans, l’ampleur du Transitions présente une seconde particularité, Laurence Albert changement, la pression exercée sur notre planète qui ne vous a sans doute pas échappée dès le Gaël de Bellefroid mais aussi le nombre d’actions, à petite ou grande premier coup d’œil. Reflet de l’évolution continue Laurent Deutsch Ludovic Joly échelle, qui ont pu changer une vie, améliorer d’Iles de Paix, ce numéro fait office d’exemplaire un quotidien, rendre le sourire à un homme, une intermédiaire et préfigure la nouvelle configuration Rédaction Jacques Bodeux femme ou un enfant. de notre magazine. Transitions s’apprête, en effet, 50 ans, c’est l’âge qu’a Iles de Paix. Et c’est à à faire peau neuve et vous aurez prochainement Graphisme l’occasion de ce demi-siècle d’existence que ce la surprise de découvrir une revue en couleur, Vincent Steinert numéro de Transitions est doublement particulier. relookée et enrichie de nouvelles rubriques. Transitions est édité par D’une part, il nous a semblé important de nous L’évolution des procédés d’impression est telle que Iles de Paix asbl 37, rue du Marché arrêter un instant pour regarder en arrière le chemin le passage à la couleur n’engendre que des frais 4.500 Huy parcouru. Non pas par Iles de Paix uniquement, mais dérisoires. Cela nous a décidés à sauter le pas. Tél.: 085/23.02.54 aussi et surtout dans le champ de la coopération Nul changement n’est anodin et l’évolution RPM: 408.908.151 [email protected] au développement à l’échelle du monde. Une ligne que va connaître ce magazine témoigne de notre www.ilesdepaix.org du temps illustre cette évolution marquée par volonté d’aller de l’avant et surtout à la rencontre des inflexions majeures et bien des remises en de tous ceux qui nous soutiennent. Dans ce monde Belgique C.C.P. question. Elle retrace les événements marquants qui tourne chaque jour un peu plus vite, chaque BE97 0000 0000 4949 des 50 dernières années, les grands rendez-vous geste, chaque savoir transmis, chaque échange BNP PARIBAS FORTIS planétaires, les faits majeurs liés à la pratique du humain, chaque module vendu peut faire la BE04 2400 2962 6531 CBC développement et les pensées ou théories qui différence. Une différence durable. C’est ce qu’Iles BE30 1963 6001 1111 ont influencé cette histoire. Nous tenions à vous de Paix s’attèle à faire depuis 50 ans, maintenant et Déduction fiscale à partir offrir cet outil, que vous pourriez conserver comme pour longtemps encore : bâtir l’avenir. l de 40 euros par an. base pour des travaux futurs ou comme piste de GD Luxembourg réflexion pour toutes les générations… Laurence Albert, DEXIA Le développement, c’est aussi des hommes Secrétaire générale LU24 0023 1454 6660 0000 CCPL et des femmes, acteurs ou observateurs de ce LU61 1111 0227 5355 0000 processus. Certains ont choisi de faire de la «Iles de Paix-Luxembourg» coopération internationale leur métier. Riches de leurs expériences, ces experts nous livrent leur vision des changements qu’ont connus les enjeux du développement au cours du demi-siècle passé, Dans ce Transitions ils nous parlent de succès et aussi de désillusions. spécial 50e anniversaire… Tournés vers le futur, ils nous font part également l Pages 3 à 9 Visions du développement : de leurs questionnements et de leurs analyses Des personnalités s’expriment librement des défis de demain. sur le développement l Pages 10 à 19 À côté de ces grandes mutations planétaires Le grand réseau : Des membres de la « famille » et de ces réflexions d’experts, d’autres personnes, Iles de Paix livrent une parcelle de l’association partout dans le monde, ont apporté leur pierre à l la construction d’une société plus solidaire. Depuis Page 20 50 ans de coopération : l 1962, lorsque Dominique Pire jetait les bases de la Le parcours d’Iles de Paix En encart première « île de paix », des centaines de citoyens du central 50 ans de développement sur une ligne du temps

(*) Pour une vision plus concrète de l’allure à laquelle change

notre monde, visitez le site www.worldometers.info/fr Transitions

95 juin 2012

© Léna Pleuger IATA Namur Visions du développement e développement est-il un mythe, une sorte environnement. La réponse tient en une expression : d’horizon que nos efforts pour l’atteindre ne le développement durable. Ce qui suppose sans font que repousser, toujours un peu plus loin ? doute que celui poursuivi jusque-là ne l’était pas. LL’aide au développement des pays pauvres Reste à préciser ce que recouvre cette notion déploie ses projets et programmes depuis plus de de durabilité. S’il semble acquis qu’il n’est pas cinquante ans. Nos efforts et nos investissements réaliste de prétendre généraliser à l’ensemble ont-ils été à la hauteur de l’enjeu ? Ne nous de l’humanité les standards de développement sommes-nous pas fourvoyés dans des propositions qui prévalent dans les pays les plus riches, quelle inadéquates ? Avons-nous eu vraiment la volonté réponse apporter à tous ceux, massivement d’atteindre l’objectif fixé dans les années 1960 : majoritaires, qui n’ont en partage que la pauvreté ? permettre aux pays que l’on disait alors sous- Est-ce au prix d’une certaine décroissance ici – développés de se hisser au niveau des nations théorie qu’ont l’audace de défendre quelques industrialisées ? Nos politiques économiques et économistes – que pourra se construire à l’échelle commerciales ont-elles donné leur chance à ce de la planète un développement enfin équitable ? rattrapage ou l’ont-elles au contraire contrecarré ? On retrouve ces interrogations, plus que des L’aide au développement est-elle en mesure certitudes, dans les contributions que nous ont de provoquer des déclics significatifs ou n’est-elle livrées des personnalités qui sont concernées, que ce pansement appliqué sur les plaies les plus à des titres divers, par la problématique du voyantes, qui les cache mais ne les guérit pas ? développement. Et le développement, qu’est-ce que c’est au Analyse, témoignage ou encore fiction, juste ? La question est de plus en plus au cœur chacun nous apporte très librement sur le sujet des interrogations contemporaines, alors que un éclairage singulier. Ces contributions, par la nous avons pris conscience du caractère limité des diversité de leurs approches, ont de quoi stimuler ressources de la planète et de la fragilité de son la réflexion. l Transitions N°95 / JUIN 2012 3 Objectifs du millénaire : le développement comme un droit

e premier sommet du millénaire allait ouvrir le de ce même millénaire. On glosera sur cet idéalisme. premier millénaire du développement. Certes, On raillera les lacunes techniques de ces objectifs. On depuis que l’espèce humaine existe, elle n’a eu de regrettera leurs excès comme leurs insuffisances. On Lcesse de vivre mieux, plus longtemps et si possible en ricanera devant la faiblesse de leur financement. Mais paix. La seconde moitié du vingtième siècle a vu sortir il reste que les objectifs du millénaire pour le dévelop- plus de personnes de la pauvreté que l’ensemble de pement (OMD) ont jeté les bases du filet de sécurité notre histoire. Néanmoins, pour la première fois, des sociale global dont notre planète intégrée, et à neuf objectifs globaux ont été consensuellement adoptés milliards d’habitants, a besoin. En projetant dans et, dans une certaine mesure, mis en œuvre : réduire les consciences de chacun et les engagements des la pauvreté, améliorer le niveau éducatif de la plané- gouvernements ces huit thèmes et projets d’action, te, réduire la mortalité et la morbidité, réduire notre les inventeurs des OMD ont aussi favorisé l’accéléra- empreinte écologique… Les huit objectifs du millé- tion de l’implication de la société civile, et permis de naire, et leurs déclinaisons, ont introduit un profond rassembler les énergies de tous dans une direction changement de paradigme : auparavant, le dévelop- commune. La tache qui demeure est immense. 2015 pement fut une option. Il est devenu, d’une certaine est proche, et il faudra trouver de nouveaux moyens manière, un droit pour tous ceux qui s’engagent sur de renouveler la gamme d’objectifs, de consolider son chemin, puisque nul ne peut en être écarté faute leur légitimité, d’améliorer leur opérationnalité, et de moyens, comme l’affirme la fameuse déclaration de les financer mieux. Mais il n’y aura désormais plus de planète sans objectifs communs et partagés, qui construiront progressivement la communauté © AFD internationale et nous permettront de converger vers un monde plus juste, celui où le développement sera devenu un fait, un droit, une obligation. l

Jean-Michel Severino Ancien directeur général de l’Agence française de développement, Jean-Michel Severino allie des activités de recherche sur le développement à la gestion d’une société de financement qui investit dans des PME africaines et des institutions de microfinance. Il a notamment publié, avec Jean- Michel Debrat, Le temps de l’Afrique et Le grand basculement. La question sociale à l’échelle mon- diale (Éditions Odile Jacob, 2010 et 2011). Les nouveaux enjeux du développement n un demi-siècle, les relations internationales l’ensemble de la planète le mode de développement en général et les enjeux du développement en de la société de consommation de masse. Aujourd’hui particulier ont radicalement changé. Certes, que nous connaissons l’impact des émissions de gaz Eaujourd’hui comme hier, les inégalités Nord-Sud sont à effet de serre sur les changements climatiques, criantes et une minorité de la population mondiale cette vision du développement se révèle obsolète. En continue de s’approprier la majorité des ressources effet, nos modes de production et de consommation et des revenus. Nombre d’institutions du dévelop- impliquent que nous consommons chaque année pement fondées après la Seconde Guerre mondiale une planète et demie, et que si le modèle de dévelop- restent au centre des politiques internationales de fi- pement des Etats-Unis était généralisé à l’ensemble nancement du développement. Toutefois, le monde a de la planète, il en faudrait cinq ! En d’autres termes, changé, et avec lui la manière d’aborder les politiques si les processus de développement en cours dans cer- de coopération. tains pays d’Asie et d’Amérique latine, qui connaissent D’une part, l’objectif initial de ces politiques est enfin leur révolution industrielle, est une bonne nou- devenu insuffisant, à un tel point qu’il est susceptible velle d’un point de vue économique et social, cela l’est de provoquer de nouveaux types de problèmes. En nettement moins d’un point de vue environnemen- effet, il y a cinquante ans, les théoriciens du déve- tal : les émissions de gaz à effet de serre augmentent loppement avaient tendance à réduire celui-ci à la suffisamment dans ces pays pour dépasser à terme croissance économique. Le but était de généraliser à les limites mondiales considérées comme acceptables 4 N°95 / JUIN 2012 Transitions par les scientifiques. Bref, le vieux rêve de généraliser très pauvres étant de plus en plus marginalisés dans le développement occidental au reste de la planète l’économie mondiale. Ainsi, les caractéristiques éco- nous mènerait tout droit vers un krach climatique ! nomiques entre des pays émergents comme la Chine D’autre part, alors que les politiques de coopé- ou l’Inde et des pays pauvres comme le Congo ou le ration au développement n’étaient envisagées que Niger ne sont plus comparables. D’ailleurs, les pays du Nord (riche) vers le Sud (pauvre), les choses ont émergents investissent de plus en plus dans les pays sensiblement évolué. Le Sud s’est en effet diversifié, pauvres, entraînant une augmentation importante de entre des pays émergents enregistrant des augmen- la coopération Sud-Sud. Depuis les quinze dernières tations significatives de leurs revenus et des pays années, les échanges Sud-Sud ont ainsi augmenté deux fois plus vite que les échanges Nord-Sud. La coopération internationale n’est donc plus un simple enjeu Nord-Sud. Cette transformation a en outre été exacerbée par le contexte de l’actuelle crise finan- © CNCD-11.11.11 cière et économique, dont le foyer se trouve depuis 2010 en Europe. Ce sont en effet désormais des pays européens du Nord qui sollicitent des financements auprès de pays émergents du Sud, comme la Chine qui a alloué 30 milliards de dollars à son fonds souve- rain pour racheter des actifs économiques européens. Ainsi, dans un monde qui devient de plus en plus multipolaire, la manière traditionnelle d’aborder les politiques de coopération au développement selon l’axe Nord-Sud est désormais partiellement dépassée. En conclusion, si les problèmes économiques et sociaux à régler restent nombreux, et sans doute encore plus complexes que par le passé, il est temps d’adapter le logiciel de la coopération au dévelop- pement aux enjeux du 21e siècle. Cela implique notamment d’intégrer la dimension environnemen- tale aux stratégies de développement et de mener des politiques de coopération internationale dans le cadre de partenariats globaux, plutôt que dans le cadre de relations Nord-Sud paternalistes. l

Arnaud Zacharie Secrétaire général du CNCD-11.11.11. Pour un développement vraiment durable epuis le Sommet de la terre de Rio de Janeiro entre des espaces dits vierges et des hommes consi- en juin 1992, le développement durable est dérés comme proliférants et irresponsables ? devenu le maître mot des actions publiques et La dernière mondialisation est à la fois celle d’un Dprivées. La mise en œuvre des agendas 21 nationaux immense progrès pour l’humanité, avec des millions et locaux mobilise de nombreuses énergies. En juin d’êtres humains qui sortent de la pauvreté, mais aussi 2012, Rio plus 20 consacre cette prééminence. celle du creusement des inégalités entre les régions, Nous ne pouvons que nous féliciter qu’enfin les secteurs économiques, les classes sociales qui en les sociétés se préoccupent de leur impact sur les tirent profit, et ceux qu’elle marginalise : régions en territoires dans lesquels elles s’inscrivent et essaient crise, secteurs d’activité laminés par la concurrence, de réfléchir aux moyens de préserver l’avenir tout en populations déclassées et paupérisées. améliorant le présent. Le clivage n’est plus entre un Nord développé et Pourtant, il est un écueil qui menace tous ceux un Sud qui appartiendrait toujours au Tiers Monde : il qui considéreraient le développement durable de passe désormais à l’intérieur même des pays, des ré- façon trop restrictive : finir par ne plus se préoccuper gions, et même des villes. D’un côté, ceux qui gagnent, que de la Planète (avec un grand P), de la Nature (avec de l’autre, ceux qui sont restés au bord du chemin. Les un grand N) et oublier les hommes qui l’habitent, anciens pays ateliers sont devenus des pays émergents, façonnent les paysages et aménagent l’espace. puis des pays émergés. On parle désormais de « conver- A quoi sert de protéger la Nature, si elle n’est pas gence des indices de développement humain » au mise au service du bien-être du plus grand nombre ? niveau mondial, tant les progrès enregistrés sont fulgu- A quoi sert d’encenser la Planète, si les actions rants : en une génération, deux milliards de personnes menées aboutissent à dissocier les sociétés de leurs ont changé de statut. Elles appartiennent désormais à milieux de vie, à dresser des clôtures infranchissables la « classe moyenne » mondiale, celle qui a le choix de Transitions N°95 / JUIN 2012 5 la mobilité et du temps libre. Pourtant, les inégalités ments de méfiance, voire de rejet, face aux pauvres : intra-régionales se sont creusées dans l’intervalle. sous prétexte de lutter contre la pauvreté, ce sont les Et surtout, au nom du changement climatique et pauvres qu’on tient à l’écart du progrès technique et de la prétendue sauvegarde de la Planète, le clivage de la nécessaire solidarité mondiale. entre les intégrés et les exclus connaît une évolution La croissance verte ne serait-elle que l’argument préoccupante : une nouvelle guerre froide oppose ultime des nantis pour se réserver leurs privilèges ? La désormais les pays développés et ceux qui ont décidé nouvelle trouvaille du capitalisme pour se perpétuer de les imiter. Elle se fonde sur des peurs (peur de à l’identique ? manquer, peur du nombre, peur du climat), aux sou- Catastrophisme, fausses assertions, apparition bassements largement biaisés. Ces peurs infondées d’une nouvelle religion fondée sur la peur, l’obscurantis- engendrent des discours alarmistes et des comporte- me et la culpabilisation, essor de prédicateurs d’autant plus influents qu’ils appartiennent aux plus hautes sphères de la société, catéchisme vert et contrôle social exercé au nom du prétendu bien-être collectif, ne som- mes-nous pas en train de faire fausse route ?

© David Monniaux © David Il est urgent d’inventer de nouvelles solidarités planétaires. C’est vrai, nous sommes tous engagés sur le « même bateau » et il n’existe « pas de planète de rechange », ces slogans si souvent ressassés. Existe-t- il meilleure raison pour refonder la coopération ? Le développement durable, c’est produire, répartir, protéger. Le deuxième verbe doit être remis au centre de l’agenda international. Oui à la solidarité durable. l

Sylvie Brunel Sylvie Brunel est professeur de géopolitique du dé- veloppement durable à la Sorbonne (Paris IV) après dix-sept ans passés dans l’humanitaire, d’abord à MSF puis à Action contre la Faim. Son dernier ouvrage en date, Géographie amoureuse du monde (éditions Jean-Claude Lattès) est un hommage à la capacité humaine de changer le monde et de rendre la terre accueillante. De l’importance des relations humaines e me souviens de ma première mission pour le prochain vol sur Bissau, mais cette solution ne Iles de Paix à l’époque où je présidais le Conseil me convenait guère pour la simple raison que les d’Administration. Je devais faire une explora- liaisons Dakar-Bissau étaient peu fréquentes et que Jtion des possibilités d’établir un projet dans les îles la re-programmation de mon voyage aurait en fait Bijagos en Guinée-Bissau, à la demande des autorités réduit la durée de ma mission en Guinée-Bissau de de ce petit pays nouvellement indépendant. J’eus en pas moins de trois-quatre jours. Je fis remarquer chemin une mésaventure qui ne s’est jamais plus ceci au directeur de l’aéroport qui décida alors de se reproduite durant mes missions et voyages ultérieurs. mettre en contact avec Dakar. Au bout d’un temps qui Vous allez vite comprendre pourquoi. me parut interminable mais ne l’était pas en réalité, Le vol Air Sénégal qui devait m’amener à Bissau il m’annonça le plus sérieusement du monde qu’on partait de Dakar et devait faire escale à Ziguinchor en allait m’envoyer un avion de Dakar qui me prendrait Casamance. Toutefois, à l’arrêt de Ziguinchor, l’avion à Ziguinchor pour m’emmener ensuite sur Bissau ! se vida rapidement et, me voyant confortablement Ma réaction immédiate fut : Un avion pour moi tout installé dans mon fauteuil, l’unique hôtesse à bord seul, un avion tout exprès pour moi ? La réponse fut vint me dire qu’il me fallait descendre de l’avion. affirmative. Le miracle se produisait et je deman- J’objectais que je me rendais à Bissau, mais elle me fit dais alors si ce genre d’initiatives était fréquent. Le remarquer que l’avion dans lequel je me trouvais n’y directeur me répondit que non, mais que mon cas allait pas, mais retournait à Dakar. Il apparut rapide- était spécial. Spécial ? Oui, en ceci que le directeur de ment, à mon plus grand étonnement, que j’avais à l’aéroport de Dakar s’était souvenu de moi et m’avait Dakar embarqué dans le mauvais avion. Distraction trouvé sympathique. En conséquence de quoi il tenait de ma part, bien sûr, mais aussi négligence des servi- absolument à me venir en aide. ces de l’aéroport qui n’avaient pas convenablement Je n’eus aucune peine à reconstruire les événe- contrôlé mon billet. ments. En effet, à l’intérieur de l’aéroport de Dakar, A l’aéroport de Ziguinchor, on me proposa im- j’avais été abordé par un homme qui me demanda médiatement de retourner sur Dakar et d’y prendre si j’étais français (une question assez courante au 6 N°95 / JUIN 2012 Transitions Sénégal). Je répondis que non, que j’étais belge. ensemble en attendant mon avion. Il me révéla alors Il me rétorqua alors : Ah oui, les Belges ! Les assassins qu’il avait fait ses études en Union Soviétique, ce de Patrice Lumumba ! Je lui dis alors que je m’étais qui expliquait l’orientation de sa conscience politi- informé sur cette question et que, de fait, la respon- que. Suite à une annonce de départ d’un vol pour sabilité du gouvernement belge dans cet assassinat Ziguinchor, mon compagnon m’invita à me presser me paraissait bien établie et qu’il s’agissait d’un vers la porte pour ne pas manquer mon avion… et la tragique événement qui faisait honte à mon pays. méprise se produisit ! Il se détendit alors, et me proposa de boire un verre L’avion arriva deux heures plus tard à Ziguinchor et je fis le trajet Ziguinchor-Bissau seul, dans un avion d’une cinquantaine de places. J’eus ainsi le temps de méditer calmement sur l’importance des relations humaines en Afrique et sur la nécessaire humilité dont il nous faut faire preuve lorsque l’on aborde des moments délicats de l’histoire des relations entre © Daniel Van Acker/FUNDP Van © Daniel l’Europe et l’Afrique. Par ailleurs, je compris aussi pourquoi des dépenses publiques excessives peuvent être effectuées dans ce continent dès que des rela- tions personnelles entrent en jeu, et les problèmes de mauvaise gouvernance qui peuvent en résulter. l

Jean-Philippe Platteau Économiste, spécialiste du développement, Jean-Philippe Platteau enseigne aux Facultés universitaires de Namur. Il a présidé le Conseil d’ad- ministration d’Iles de Paix et est membre de son assemblée générale. La coopération : de l’idéal à la pratique a coopération au développement reste un noble humaines restent et resteront le vecteur essentiel idéal. Noble parce qu’il défend la dignité hu- à toute forme de coopération. maine, idéal parce que le développement restera Une agence de développement s’inspire d’une Léternellement une symphonie inachevée. vision, d’objectifs, de stratégies précises, de métho- La Coopération belge a essayé tous les types dologies adaptées à ses secteurs d’intervention. Elle d’aide durant les cinquante dernières années : l’aide professionnalise sa gestion, ses systèmes de contrôle technique, l’aide aux institutions, l’aide budgétaire, en et d’évaluation. Cela est positif, mais trouver l’équilibre passant par l’aide humanitaire, l’aide non gouverne- entre le niveau de la réflexion et de la conceptua- mentale, l’aide déléguée… lisation, d’une part, et le niveau de la gestion de la Quel qu’en soit le type, ces aides se cadrent toutes coopération, d’autre part, est un défi constant. dans un partenariat légal avec les gouvernements des Pour bien gérer, des procédu- pays bénéficiaires. Ce partenariat implique des droits res administratives et financières et des engagements mutuels négociables et se base standardisées, simples et pertinen- © Reporters sur un contrat de confiance. Hélas, la méfiance a priori tes sont nécessaires. Mais quand caractérise depuis cinquante ans notre coopération. une agence choisit de s’investir de Le partenariat est un partage de responsabilités façon excessive dans les procédu- entre les deux parties signataires. D’un côté, le pays res et développe une obsession du bénéficiaire, avec le niveau de compétence de son risque zéro, elle court le danger de personnel, les capacités de ses systèmes, la force de passer à côté de son objectif qui est résilience de sa population, l’appropriation critique d’aider des pays et des personnes des transferts de savoirs et d’argent, le respect ou à atteindre un certain niveau de non des engagements signés, son degré de trans- développement et de stabilité. Car parence ou de corruption, son niveau de résistance la procédure n’engendre ni la créa- aux changements proposés par l’expertise et enfin, tivité ni la flexibilité opérationnelle, l’engagement des services publics en faveur des elle les freine. Les procédures pous- populations démunies, ce qui est loin d’être une évi- sent à obtenir des résultats dans dence dans de jeunes démocraties. les taux de dépenses des projets et De l’autre, le pays donateur, avec l’envoi d’une programmes sans se soucier du fait assistance technique, qui doit trouver un équilibre que le développement d’un pays et entre se substituer aux politiques locales de dévelop- d’une société ne coïncide pas néces- pement ou s’aligner sur elles. Il ne faut pas oublier sairement avec le cycle de l’aide au qu’à côté de cette expertise technique, les relations développement. Transitions N°95 / JUIN 2012 7 Les agences ‘développeuses’ applaudissent toutes montrer des résultats, des bilans d’engagements et les principes de la Déclaration de Paris sur l’effica- des taux de dépense performants, avec des montants cité de l’aide, mais en réalité ne s’alignent que très les plus impressionnants possibles. Or, la réussite ou partiellement et de façon non réfléchie, voire trop non d’un projet/programme de coopération ne peut peu critique, sur les stratégies de développement des se mesurer à l’aune de l’argent qui aura été dépensé pays bénéficiaires de l’aide. Comment transformer un pour sa mise en œuvre. l alignement critique en un renforcement des capa- cités locales du pays partenaire, comment s’inscrire Reginald Moreels dans la rythme d’appropriation de capacités transmi- Chirurgien, ancien Président de Médecins sans fron- ses et de réformes engagées du pays partenaire sont tières et ancien secrétaire d’État à la Coopération des sujets très peu approfondis part nos organes de au développement, Reginald Moreels a créé la coopération. Accepter que le rythme d’évolution de Coopération technique belge (Agence belge de la société partenaire guide le processus de l’aide et développement) qu’il a rejointe depuis quelques non l’inverse est un principe très peu compris, voire années comme conseiller à la santé publique. Il accepté. Les indicateurs de suivi de la Déclaration de vient de publier aux éditions l’Harmattan Médecin, Paris par pays démontrent que l’intention première un autre monde, le parcours d’une vie. de toute agence de développement est surtout de

Développement durable et biens communs : Sortir de la marchandisation de la vie

rente-cinq ans après son inclusion dans l’agen- rôle que de soutenir et favoriser da politique de la communauté internationale la finance privée. Il ‘n’y’a plus de (Rapport Bruntdland, 1987), le développement « biens communs », de « biens © Reporters Tdurable non seulement n’a pas tenu ses promesses, sociaux », de « biens collectifs », mais il a été, vite, détourné de sa nature et de ses fi- de « biens universels » à la base nalités originelles. Farouchement opposé, au début, le de la reconnaissance des droits monde du business et de la finance se l’est approprié, à l’eau, à la santé, à l’alimenta- avec la complicité des pouvoirs publics de l’Amérique tion, à la solidarité, à la vie, à la du Nord et de l’Europe, et a transformé le développe- fraternité. Les groupes domi- ment durable en une vision politique et des pratiques nants considèrent de tels mots économiques axées sur l’idée que la « sustainabi- comme du bla-bla, ou, au mieux, lity » n’était rien d’autre que de continuer à créer de de l’idéologie. Ils pensent que le la richesse pour le capital (‘la croissance’) avec un développement durable doit plu- moindre impact sur l’environnement (selon la charte tôt parler de choses « concrètes » : sur la « sustainabiity » du World Business Council on d’efficacité, d’efficience, d’écono- Sustainable Development de 1993). micité, de coûts, de performance, Ainsi, nous avons assisté ces vingt-cinq dernières de gouvernance, de rentabilité années à la fagocitation du paradigme du « dévelop- des investissements, d’innovation pment durable » par les logiques industrielles privées technologique, de compétition, et surtout par la financiarisation de l’économie et de de rendements. Les stratégies la valeur des choses et des biens. Le développement dominantes nationales et inter- durable aurait dû conduire à un changement radical nationales du développement de nos économies et à une plus grande participation durable ont relégué les biens com- des citoyens au gouvernement de la « res publica ». muns, les biens publics collectifs, La financiarisation a réduit les programmes de lutte au domaine de la rhétorique, de la contre la déforestation et la désertification à des ins- nostalgie du passé. truments favorisant la création de nouveaux marchés Si rien ne change, à RIO+20, les pour les capitaux privés. La financiarisation a fait sau- groupes dominants parviendront ter la souveraineté des États et transféré aux mains à faire disparaitre de l’Agenda Mondial de la Terre des marchés financiers le pouvoir politique décision- l’importance de la sauvegarde et de la promotion nel. La financiarisation a imposé la monétisation de la des biens communs publics collectifs essentiels et nature et de l’ensemble des expressions de la vie. irremplaçables pour la vie et le vivre ensemble, cela au La monétisation de la nature est l’une des nom de cette nouvelle « narration » mystificatrice du dernières attaques majeures de destruction de monde qu’est devenue « la croissance par l’économie­ l’autonomie et de la gratuité de la vie. Par la moné- verte ». Il est temps que les citoyens descendent de tisation tout est traité comme une marchandise. La nouveau, une fois de plus , dans les rues et aillent vie est subordonnée aux « logiques » du marché et de dans ces maisons des citoyens que sont les conseils la finance privée. La finance publique n’a plus pour municipaux, les parlements régionaux, nationaux et, 8 N°95 / JUIN 2012 Transitions dans notre cas, européen, pour obtenir que le droit à la vie pour tous et non pas la croissance de l’économie Riccardo Petrella verte soit l’objectif prioritaire des politiques de déve- Economiste et politologue, Riccardo Petrella est loppement durable. La croissance par l’économie verte président de l’Institut européen de recherche sur ne fera que renouveler et renforcer les conditions la politique de l’eau (IERPE, www.ierpe.eu). Il a matérielles, technologiques et sociales à l’origine des beaucoup travaillé et enseigné, notamment à mécanismes de création des inégalités économiques, l’Université catholique de Louvain, sur la mon- politiques et humaines entre les êtres humains et les dialisation. Figure de l’altermondialisme, il milite peuples, du niveau des communautés locales à celui contre la marchandisation des biens communs, ces de la communauté mondiale. l ressources essentielles pour l’humanité. L’eau des gens de là aul regarde la pluie dévaler contre la fenêtre de Trois éperviers dansent avec son bureau, s’abattre dans son jardin, et il se un oiseau immaculé que l’on met à songer que cela profitera aux hortensias, nomme berger. Des libellules

Paux roses, aux poiriers. Que la terre avait soif. cherchent quelque chose à boire, © Sabine Baudson Le ruisseau du fond du jardin doit grossir joyeu- des crapauds s’enfoncent dans la sement, couler vers la rivière qui parcourt le village. vase molle, on aperçoit un rollier Paul pense d’un coup aux autres rivières du pays, aux d’Abyssinie perché sur un épineux, champs qu’elles traversent, aux arbres qui dressent la un goukal sur la cime d’un figuier. tête sous l’averse et l’accueillent avec soulagement. Amtandi regarde ses bêtes Les récoltes seront bonnes, les fruits seront beaux car efflanquées, il en éprouve de la l’eau est tombée en abondance et au bon moment. peine. Il n’est pas bien costaud C’est une bénédiction. Le pays de Paul est béni, l’eau y non plus. Pour se fortifier, il aurait coule sur terre et sous terre, elle ne manque pas. besoin de boire le lait de ses On aperçoit des merles que la pluie semble vaches, de manger des tomates réjouir. Des mouches volent entre les gouttes rondes. et des galettes de millet, mais Un renard vient boire au bord de la rivière et, dans les vaches donnent peu de lait, le les prairies, les vaches dressent les cornes vers le ciel. potager du village donne peu de Des grenouilles se hissent au bord des mares et sur tomates, et les récoltes ne seront les feuilles plates des nénuphars. Dans les ruelles en pas abondantes cette année. pente, des enfants dressent des barrages pour voir Amtandi paît les vaches de son l’eau grossir, et rient de bon cœur. père et son père ne possède nulle Paul est satisfait de vivre dans un tel pays et il a autre richesse que ces vaches. Si l’eau raison de l’être. manque, les vaches maigrissent. Paul est gros. Il pèse cent vingt kilos. Il mange bien, C’est difficile. il a toujours aimé les repas généreux, les plats en sauce. D’ailleurs Paul est riche : il possède trente-quatre Paul endosse son pardessus et sort de chez lui. mille euros sur un compte d’épargne et ne se prive Il est 19h14. pas d’un bon restaurant chaque fois qu’il en a le désir Il n’a pas réellement faim mais il se réjouit du bon ou l’opportunité. repas qui l’attend. Il va manger au Chalet gourmand, C’est bien. un restaurant réputé qu’il fréquente avec plaisir. Il va dépenser 58 euros et prendre 4000 calories mais cela Autre part, au village de Sougoudou, commune n’a pas d’importance. de Yamba, province de Gourma, dans une république Il se réjouit à l’avance et il a raison : pourquoi d’Afrique de l’Ouest, un petit garçon mène boire les refuserait-on les petits bonheurs que la vie nous bœufs et les vaches de son père sur la berge d’une présente ? Mais, s’il y a une question qui se tient éloi- retenue d’eau. Il se nomme Amtandi et ne sait rien de gnée de Paul, qu’il n’a jamais songé à se poser, c’est ce qui se passe au-delà de la piste en latérite qui tra- de savoir le prix d’une pompe hydraulique et de son verse son village. Tout ce qu’il sait, c’est que les pluies installation au village de Sougoudou. ont été rares cette année, que les récoltes ne seront D’une pompe hydraulique qui permettrait aux pas bonnes et que l’eau manque pour ses bêtes. gens de Sougoudou d’abreuver leur bétail, d’irriguer Amtandi est un Gourmanché. Il lui arrive de leurs cultures. En toute autonomie. rencontrer des Peulhs, des Mossis, ça va bien. Mfanda. Et de boire de l’eau saine. l Le soleil se tient droit, il se tient haut et droit, et l’eau manque à tous. Xavier Deutsch D’autres bêtes viennent boire. Elles sentent l’eau de Xavier Deutsch est écrivain. Il y a quelques années, il loin, émergent de la brousse à la bonne heure. Moutons, s’est rendu au à la demande d’Iles de chèvres, quelques ânes. Il y a beaucoup de bêtes mais peu Paix. Il en a ramené une nouvelle, Carnaval à Fada d’eau pour elles cette année, les bêtes sont maigres, elles N’Gourma (Éditions Couleur Livres). se poussent et meuglent pour boire dans le marigot. Transitions N°95 / JUIN 2012 9

Le grand réseau les de Paix, c’est au départ l’intuition de Dominique Pire, un homme de cœur et d’action qui, entouré d’une petite équipe, s’est lancé dans l’aventure encore balbutiante de l’aide au développement. ITrès vite, cette poignée d’homme a pu compter sur l’appui d’un réseau solidaire qui lui a permis de passer de l’idée à l’action. Au fil du temps, pas à pas, ce réseau s’est étoffé, enrichi de personnalités les plus diverses pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : une grande chaîne de solidarité reliant le Nord au Sud. Dans ce numéro spécial 50e anniversaire, nous avons voulu donner un espace d’expression à quelques-uns de ceux qui, ici ou là-bas, parfois ici et là-bas, ont été ou sont encore un maillon de cette chaîne. A travers un mot, une expression, une idée qui leur ont été proposés, ils livrent très librement une parcelle d’Iles de Paix, de sa démarche, de son passé, de son futur. l

Mon rêve serait que tout adulte, où qu’il vive et qui qu’il soit, se sente personnellement concerné par tout drame humain, où qu’il se passe.

Dominique Pire, Prix Nobel de la Paix 1958

10 N°95 / JUIN 2012 Transitions L e XXI e s i è c l e

st-ce bien Malraux qui a déclaré que le XXIe avec cette question lancinante de siècle serait religieux ou ne serait pas ? Nous la raréfaction de la ressource et de y sommes, mais au lieu d’élévation spirituelle, la nécessité de s’adapter aux im- Eje ne vois que débordements intégristes provenant pacts d’une modification du climat d’institutions et d’hommes de toutes confessions. qui s’accélère. Je préfère de loin croire que le siècle que nous ve- L’eau est une ressource natu- nons de commencer sera africain et devra se focaliser relle aussi mal répartie que les sur une meilleure gestion de l’eau. L’Afrique frémit, minéraux précieux, le gaz et le pé- avec ses espaces immenses qu’il faut désenclaver, trole. La mise en place d’un modèle avec de larges ressources naturelles encore trop peu et de gestion durable et équitable, trop mal exploitées, mais surtout avec une population sans guerre de l’eau entre pays jeune qui secoue les rigidités des systèmes qui vou- assoiffés, sera un des principaux draient l’encadrer. Nous, vieux européens, regrettons enjeux qui nous attendent. le relâchement des liens familiaux et constatons les Mon premier contact avec dégâts provoqués par l’individualisme. L’Afrique doit Iles de Paix remonte à la prépara- encore construire son modèle propre de société où la tion du programme de Tombouctou. tradition ne s’opposera plus à la modernisation. Il n’est C’était encore le XXe siècle, mais les certainement pas pragmatique de copier notre mo- défis qu’affrontait l’association ap- dèle de développement et de gouvernance qui montre partenaient déjà au siècle suivant. des limites, et il n’y a pas de recettes universelles. C’est donc confiant dans le rôle que Le XXIe siècle sera donc un bouillonnement créatif doit continuer à jouer Iles de Paix en Afrique : n’essayons pas de l’évaluer avec nos que je lui souhaite une bonne route critères trop souvent dogmatiques, mais soyons prêts vers 2162 ! l à soutenir toutes les initiatives qui vont dans le bon sens, d’où qu’elles viennent ! Charles Courtoy L’eau : une préoccupation qui redevient centrale, Ingénieur agronome, Charles a longtemps siégé au que ce soit dans les objectifs du millénaire (accès à Conseil d’administration d’Iles de Paix. Il est toujours l’eau potable, assainissement), dans la gestion parta- membre de son Assemblée générale. gée entre les différents usagers à l’amont et à l’aval,

Le choc des cultures

ien des choses ont été écrites, dites et redites à En mars 1965, Dominique Pire me fait part d’un propos de cette expression; des plus fantaisis- projet de texte où il écrivait précisément ceci : L’humain tes au plus caricaturales, des plus simplistes au est souvent lâche. Il est aussi villageois, casanier. A une Bplus interpelantes. En fonction de nos expériences, époque où il devrait se faire une conscience et avoir nous lui accordons une connotation négative ou une conduite de citoyen du monde personnellement positive, selon les cas. Les plus enthousiastes pensent concerné et responsable, son intérêt s’arrête souvent à que le choc culturel peut être considéré comme une son village, son parti, son clan, son milieu, sa secte. chance sublime pour le développement personnel, Force est de constater que 47 ans plus tard, les une occasion unique de maturation. choses n’ont pas fondamentalement changé. Le Aux yeux de certains, le choc culturel concerne ex- vieux dicton « l’homme est un loup pour l’homme » clusivement les personnes vivant à l’étranger. Erreur, me reste malheureusement toujours d’actualité. Le fort semble-t-il, car, au sein d’un même pays, chaque citoyen continue à opprimer le faible, souvent avec lâcheté, peut un jour ou l’autre, dans une situation donnée, se cynisme et sournoise hypocrisie. trouver ébranlé, totalement déconnecté d’un milieu qui Il est bien connu que le choc culturel commence ne lui est pas familier ; et ce, peu importent les raisons, parfois par l’émerveillement de la découverte : on est qu’elles soient d’ordre idéologique, social ou autre. en mode touriste, en extase devant l’exotisme. Hélas, Nul n’échappe au choc culturel. au bout d’un certain temps, le naturel revient au Le plus souvent hélas, nous vivons en blocs galop. Faute de fournir l’effort nécessaire pour com- étanches, en groupes, en clans où l’on construit, prendre et découvrir les codes référentiels de l’autre, consciemment ou non, les préjugés et où l’on cultive la frustration succède à l’euphorie. C’est alors que le la méfiance a priori, celle qui risque de conduire à choc culturel peut démoraliser et désorienter au lieu l’exclusion de l’autre. En dépit des propos de circons- d’enthousiasmer et de pousser à vaincre les défis. tances, beaucoup « d’humains » restent férocement La notion de « choc des cultures » est définie par dressés contre ceux qui ne partagent pas leurs règles certains comme une théorie qui consiste à démontrer ou qui ne sortent pas de leur «moule». que deux cultures différentes ne peuvent cohabi- Transitions N°95 / JUIN 2012 11 ter. En cas de confrontation, l’une serait écrasée par pureté identitaire. N’est-ce pas un signe d’appauvris- l’autre. Vu sous cet angle, ce n’est plus de choc des sement intellectuel ? Pourtant, tôt ou tard, ils devront cultures qu’il s’agit mais bien de choc des ignorances. se rendre à l’évidence : le multiculturalisme l’em- Se prévaloir d’une telle théorie permet de cacher ha- portera quand bien même les frontières resteraient bilement sa xénophobie, le mépris de ce qui n’est pas solidement fermées. Tôt ou tard, ils comprendront conforme à sa propre visée ou à son identité. Ceux que l’identité de chacun est complexe et précieuse. qui se comportent ainsi cultivent le fantasme de la Elle se construit et s’enrichit jour après jour en fonction de nos appartenances et du regard porté sur nous par les autres. Tôt ou tard, le choc culturel déve- loppera une sorte de « fusion », la diversité culturelle sera notre référence. Le secret de notre cohabitation en paix et en har- monie sera le Dialogue Fraternel et rien d’autre. Trop simple, pensent certains. Quelle erreur : c’est là sa force, c’est là la garantie de sa pérennité. Les idées les plus simples sont souvent les plus grandes et surtout les plus humaines. Le Dialogue Fraternel a besoin de nous tous pour se perpétuer, se renforcer, se répandre. Il vise à réduire cette envahissante justification de soi, cet orgueil, cette arrogance des hommes, cette peur des autres. Dominique Pire nous donne à tous le rendez-vous du devenir de notre terre des Hommes. N’y manquons pas, et méditons sur l’intuition de Saint-Exupéry : Si je diffère de toi, loin de te léser je t’augmente. l

Moha Héni Compagnon de route de Dominique Pire, Moha a animé, durant plus de quarante ans, la campagne d’Iles de Paix. Il se veut citoyen du monde.

Dominique Pire

ominiquePirePrixNobeldelaPaix1958... c’est Les modules enfin, s’ils n’ont presque comme un seul long mot cadencé, pas été inventés par lui, s’atta- festonnant les affiches orange et bleues de chent à son image – terme que Dtoutes dimensions qui fleurissent en hiver pour an- tant d’enfants auront connu sous noncer la campagne Iles de Paix. cette forme colorée et légère avant Un nom, un slogan, un visage qui ont pénétré d’entendre parler de modulation, l’esprit un peu machinalement pendant des années, moduler et autres modules de avant de s’ancrer plus profondément. formations... Un personnage formant à lui seul une Ile de Paix, Chez lui, pas de vaticinations, une véritable institution. de redondance, rien que des mots Touché au cœur par les malheurs et catastrophes qui résonnent comme sur une qui abattaient tant de ses contemporains de par le enclume, épousant si parfaitement monde, il a répondu par le cœur. Les plus anciens ses actes, des réalisations si solides d’entre nous se souviendront de la petite publication qu’à passé 50 ans, elles résistent à envoyée aux donateurs et sympathisants intitulée « du toutes les modes, les inventions qui Cœur au Cœur », et du « Cœur Ouvert sur le Monde », se succèdent à un rythme échevelé. sis au 35 Rue du Marché à Huy. Je n’ai pas connu le Père Pire, « le pire des Pères » (qui Pas seulement avec le cœur. avait dit cela ?), mais côtoyé tant de ceux qui ont marché Bien avant que tant d’autres repolissent sans l’amble avec lui qu’il m’est devenu familier. l cesse la roue, il avait imaginé et lancé ce fameux développement durable qui ne portait pas encore Edith Willame son nom et qu’il appelait le « self help » (on lui par- Edith est coordinatrice de la campagne Iles de Paix à donnera cet anglicisme, limpide au vu des termes Arlon. Elle a travaillé à la Fondation Dominique Pire ampoulés ou à roulettes qui encombrent nos écrits jusqu’en 1985 et est membre de l’Assemblée générale et conversations) ; le partenariat véritable qu’il appe- de l’association. lait « dialogue fraternel ». 12 N°95 / JUIN 2012 Transitions Artisans de l’invisible

l était une fois, dans un pays lointain, un village de qu’on a tiré la leçon que la technique ou l’argent ne gens pauvres mais travailleurs. Arrive un étranger résoudrait pas durablement les problèmes de déve- plein de bonnes intentions. Pourquoi n’utilisez-vous loppement. L’artisan de l’invisible sait que le véritable Ipas l’eau de votre lac pour y faire pousser des légumes ? changement réside dans le changement social et non Vous ne mourrez plus de faim ! Regardez, c’est facile, je pas dans le changement matériel : oser assumer des vais vous montrer… Les villageois, un peu intrigués, responsabilités, faire des choix, prioriser, réclamer ses répondent à l’appel et se mettent à cultiver les par- droits, s’organiser pour être plus fort, penser à long celles de tomates que l’étranger leur a installées. Un terme, tisser des liens, mobiliser des ressources, se an plus tard, l’étranger revient, découragé de voir son réinventer… L’artisan de l’invisible sait qu’il n’existe travail complètement abandonné par les villageois. Si pas de recettes toutes faites pour développer ces tu nous avais demandé notre avis, nous t’aurions parlé capacités, que la qualité de la relation humaine est du riz, les tomates cela ne nous a jamais intéressés… un facteur fondamental et que les questions d’argent Dix ans plus tard, grâce aux efforts de l’étranger et sont plus souvent des freins que des opportunités. des paysans, la plaine ondule du vert et or du riz à Investir dans la capacité de groupes et de personnes maturité dans les champs irrigués. Les tonnes de à prendre leur avenir en main est un travail d’arti- riz produites permettent d’envi- san, complexe, frustrant, fait d’allers et retours, aux sager plus sereinement l’avenir : résultats non garantis. Ce travail nécessite aussi une manger à sa faim, investir dans bonne dose de courage pour oser se lancer dans l’outillage, entretenir le système l’inconnu. d’irrigation… Satisfait, l’étranger Put put put put put… Un ronronnement distant pense que le village est prêt à vo- intrigue l’étranger. Il se rapproche du lac et aperçoit ler de ses propres ailes et fait ses des dizaines de motopompes qui arrosent des plants adieux. Mais on n’efface pas d’un de tomates et des champs d’oignons à perte de vue. trait quinze ans d’amitié… Trois Tu sais, même si on ne le cultive plus, c’est grâce au riz ans plus tard, nostalgique, il re- que nous en sommes là ! Avec le riz, on a compris plein vient dans le village pour trouver de choses : notre production agricole, on peut aussi les champs irrigués mal entre- la vendre ; cela a un sens d’investir ; négocier avec les tenus, à peine cultivés et parfois commerçants pour avoir les meilleurs prix,… Merci, et même complètement abandon- désolé d’avoir abandonné les champs de riz, mais avec nés. Tous les efforts n’auraient-ils les oignons et tomates, on vit beaucoup mieux ! l servi à rien ? Serait-il là l’artisanat de Denis Dubuisson l’invisible ? Travailler des années Economiste, spécialiste du développement, Denis pour ne laisser au final que très a été responsable du service Programmation, suivi peu de traces ? Non, l’artisan de et évaluation des interventions d’Iles de Paix dans l’invisible est celui qui sait que le Sud. Il est actuellement coordinateur du dé- les meilleures traces qu’il ou elle partement Appui-qualité à Acodev, la fédération peut laisser quelque part sont francophone et germanophone des associations de celles qu’on ne peut ni toucher coopération au développement. ni voir. Cela fait plusieurs années

Iles de Paix

a dénomination de notre association est, à Ce n’est pas nouveau : c’est une question à laquelle a première vue, assez déconcertante. En effet, les été confronté Dominique Pire juste avant le lance- terroirs où nous engageons des actions de dé- ment de son premier projet à Gohira, au Pakistan Lveloppement ne sont pas situés sur des îles et notre oriental. Certains s’étonnent que j’appelle mon futur ONG n’a pas pour finalité la propagation du pacifis- travail une « île de paix ». C’est pourtant un beau et me. Plus grave : il est arrivé que, prenant notre nom à compréhensible symbole, une « île » étant un tout la lettre, on nous reproche de prétendre créer des îlots petit point d’espérance dans une immensité vide. Et de de prospérité dans un océan de misère. poursuivre : Une île de paix, c’est avant tout un travail Des tels propos sont heureusement fort rares et, entrepris en commun. Je crois, en effet, que le meilleur après 50 ans d’utilisation continuelle de l’appellation chemin de paix consiste à travailler tous ensemble à « Iles de Paix », l’habitude fait que l’on ne s’amuse gé- une chose utile. Et quoi de plus utile que de procurer néralement pas à décortiquer les mots. Reste que l’on pain et santé aux plus pauvres ? peut se demander pourquoi diable notre association, Pas plus que celles qui vivent aujourd’hui, l’« île de vouée au développement, a été dotée d’un tel nom. paix » de Dominique Pire n’était une enclave fermée Transitions N°95 / JUIN 2012 13 sur elle-même mais un projet à petite échelle appelé à essaimer pour susciter autour de lui l’espoir et la volonté d’agir pour le développement. De plus, la « paix » était devenue une image de marque de Dominique Pire : il venait d’être cou- ronné du prix Nobel de la Paix et il concevait cette récompense non comme un aboutissement, mais au contraire comme un tremplin pour le lancement de nouvelles initiatives. Il avait créé dans la foulée une Université de Paix, espace d’apprentissage et de ren- contre de toutes les diversités. À une époque où les esprits demeuraient marqués par les stigmates d’une guerre épouvantable, la paix apparaissait comme un acquis d’autant plus précieux qu’il semblait fragile et menacé par la guerre froide et de nouveaux conflits meurtiers. Le monde d’aujourd’hui est-il si différent ? Les an- tagonismes ont changé de face mais les clivages, les injustices, les fractures sociales ou les replis identitai- res continuent à compromettre l’établissement d’un monde réconcilié avec lui-même. À sa manière, avec modestie mais ambition, Iles de Paix s’inscrit aux côtés de tous ceux qui pensent que le développement et la paix sont étroitement liés, et agissent en conséquence. l

Michel Coipel Professeur de droit émérite, président du Conseil d’administration d’Iles de Paix.

Le module

e jour-là, des producteurs de grenadilles (sorte José se mit à rire et me de- de fruits de la passion) du district de Santa manda de le prendre en photo Maria del Valle étaient de passage au bureau. avec « ce petit homme qui l’aide CIls étaient de retour d’un voyage d’étude à Oxapampa ; à réaliser son projet ». Et puisqu’il fatigués mais extrêmement satisfaits des savoirs le proposait lui-même, je m’em- acquis auprès des producteurs de cette région. pressai de capter le regard de José Nous échangions sur la suite du projet et, comme sur le symbole de notre action. Car il m’arrivait souvent de le faire, j’occupais mes mains c’est bien là que se trouve la force avec un jeu de modules Iles de Paix qui se trouvait du module : un petit objet, appa- sur mon bureau. José Cercédo, bien que suivant la remment insignifiant, mais un conversation de près, semblait intrigué par ces petits objet symbolique qui nous fédère personnages que je faisais virevolter de gauche à et auquel nous nous identifions. droite. Je lui tendis alors l’objet qu’il s’empressa de Un petit objet qui nous dit simple- saisir. Alors qu’il scrutait de près les bonshommes ment que lorsqu’on fait un rêve bleus, verts, rouges, jaunes se tenant la main, je lui seul, cela n’est qu’un rêve, mais dis que c’est en vendant cet objet dans les rues de la que lorsqu’on fait un rêve ensem- Belgique que nous finançons une bonne partie des ble, c’est le début de la réalité. l activités que nous menons sur le terrain. Regard interrogateur de José. Les voyages d’étu- Olivier Genard des, les formations, les parcelles pilotes… tout cela Du Burkina Faso au Pérou en financé par la vente de ces petits objets en plastique ? passant par l’Équateur, Olivier Je lui expliquai alors le réseau de campagne qui s’est a beaucoup bourlingué au tissé autour d’Iles de Paix, les 40 000 personnes service d’Iles de Paix. De retour qui se mobilisent chaque année et qui se donnent en Belgique, il est responsable de la main pour donner vie au projet de l’association. l’unité qui appuie les programmes L’accueil positif et chaleureux que nous réserve cha- de développement dans le Sud. que année le public qui achète ces modules. 14 N°95 / JUIN 2012 Transitions Apprendre à pêcher

our le développement, il faut mettre quelqu’un Les paysans amènent les derrière toi et quelqu’un devant toi. cailloux, il trouve le camion. Après, Celui qui est derrière, tu lui dis : Tu dois me ils choisissent ensemble le bon Psuivre pour voir comment je fais pour développer. Tu endroit pour mettre la digue et ils vas apprendre à faire la même chose pour développer la font. À côté, ils installent des par- toi-même. À celui qui est devant, tu dis : Écoute-moi celles de culture. Tous ceux qui ont bien, prends le chemin à droite, prends ce caillou-là. travaillé à ramasser les cailloux et à Regarde, il y a une ravine qui se crée dans ton village. Si faire les parcelles en reçoivent une. tu la laisses grandir, toute l’eau va s’échapper et le puits Finalement, les paysans arrivent qui te permet de jardiner et de donner à boire à tes à avoir du riz à l’hivernage suivant. animaux sera bientôt à sec. Mais si tu arrives à fermer Tout le monde a une bonne récolte. le trou avec des cailloux, l’eau restera et ton puits ne Celui qui a donné les bons sera jamais à sec. conseils et les a aidés leur dit alors : Un peu plus tard, le paysan voit que son puits, Je peux maintenant vous laisser. il ne doit plus le creuser encore et encore, parce qu’il C’est comme ça que vous devez a bouché la ravine et que quand il pleut, l’eau ne continuer à travailler pour vous en s’échappe plus. sortir, avoir quelque chose à manger Dans un autre village, il y a une nappe d’eau en et à vendre. Ce n’était pas à moi à saison des pluies, mais l’eau ne s’arrête pas longtemps vous donner du riz, sinon qui vous et part vite plus loin. Les paysans savent qu’il faudrait aurait donné à manger après mon barrer le passage de l’eau pour que la terre reste départ ? humide plus longtemps, mais ils pensent que seuls, Le développement d’Iles de ils n’y arriveront pas. Ils le disent à celui qui a donné Paix, c’est comme ça : on vous de bons conseils pour sauver le puits. Il leur répond : montre comment pêcher, on ne Ce que vous dites est vrai. Je vais vous aider, mais il vous donne pas le poisson. l faut que vous participiez. Les paysans disent : Nous connaissons un endroit où il y a beaucoup de cailloux, Baga Bayouré mais c’est loin et nous n’avons pas assez de charrettes Baga est le plus ancien des employés d’Iles de Paix au pour les transporter. L’homme de bon conseil répond : Burkina Faso. Comme chauffeur, il a pu découvrir tous On va faire comme ça : vous rassemblez les cailloux, les projets que l’association a réalisés dans on pays. et moi je vous trouve un camion pour les transporter.

Tombouctou

oût 1975, nous quittons Bamako et son la Mosquée de Sankoré (Université islamique au XVIe environnement tropical pour embarquer sur siècle), vêtues et parées de leurs plus beaux atours. le bateau « le ». Le fleuve Niger vient Les fêtes musulmanes, la caravane de sel (Azalai) Ade débuter sa crue et redevient le poumon du pays. rythment paisiblement la cité aux 333 saints. Partout, la vie reprend. Assez vite, nous distinguons en périphérie de la A l’aube du cinquième jour de navigation, dans ville, sur les dunes, de nombreuses tentes informes la brume du matin, nous découvrons une immense qui nous rappellent que la population nomade se étendue d’eau et plus loin, à perte de vue, des terres remet difficilement d’une très grande sécheresse. de sable et d’argile et de rares touches de vert ; tout L’administration est militaire et méfiante, nous est miel et ambre. Nous accostons au port de Kabara. sommes assignés à résidence en attendant de démar- Selon les expressions populaires, c’est la rencontre de rer le projet. Petit à petit, le contact et les relations la pirogue et du chameau ; de l’or et du sel ; du peuple s’établissent grâce à la création d’un jardin d’enfants noir cultivateur et du nomade éleveur... en ville et le réaménagement de plaines à blé le long Enfin apparaît la ville de Tombouctou ! du fleuve. Tombouctou la mystérieuse surgie de nulle part, Selon la crue du fleuve, l’acheminement du maté- du fond des âges, comme elle a dû être révélée aux riel permettra l’établissement des infrastructures de premiers découvreurs. De hautes maisons avec toit la station de pompage et l’aménagement de la plaine en terrasse, construites en argile et en pierre d’Alhor de Korioumé. Projet qui laisse tout le monde scep- forment des ruelles qui procurent un peu d’ombre tique. Ce chantier immense débute cependant avec et protègent tant soit peu des vents et du sable la pleine collaboration du commandant de Cercle. chaud qui règne partout en maître. On croise très Œuvre de trois années qui demandera de gros efforts peu de femmes. Elles ne sortent publiquement qu’à et coûtera la santé à plusieurs collaborateurs, tant les la fête de Maouloud, rassemblées sur la terrasse de conditions sont dures. Enfin, la mise en eau de 610 Transitions N°95 / JUIN 2012 15 hectares de rizières, sublime étendue verte pleine continué « son développement », soutenu par des de promesses, les trois vis d’Archimède importées de projets et financements internationaux. Belgique émerveillent... La grave crise qui frappe aujourd’hui tout le nord Reste la gestion à mettre en œuvre avec des du Mali lui volera-t-elle son âme ou restera-elle fidèle cultivateurs issus de milieux différents, de castes et à son dicton, sa véracité : « L’étranger est comme la traditions séculaires, l’application de nouvelles tech- rosée du matin » ? niques (passer du riz flottant au riz irrigué) et surtout Nous y avons gardé des amis. l une discipline collective. Dès la première récolte, Korioumé devient un succès et le point de mire des autorités et d’instan- ces internationales car Tombouctou est entre-temps devenu chef-lieu de Région. Par la suite, des projets de même nature, mais plus modestes, ont vu le jour le long du fleuve, à tel point que lors d’années favora- bles (crues et pluies), le riz sera excédentaire. Au cours de ces nombreuses années et avec la diversification des activités (puits dans le Sahara, structures socio-sanitaires dans les villages riverains du Niger), il nous a été donné de partager les pro- blèmes et les coutumes des différentes populations : Sonrai et Bozo établis le long du fleuve et nomades Touaregs et Maures. La ville de Tombouctou est une vraie mosaïque pittoresque où vivent en bonne intelligence de nombreuses ethnies blanches ou noires issues des guerres et échanges commerciaux et culturels d’antan. Que de contacts chaleureux et typiquement différents dans un cadre souvent éprouvant : tempé- ratures excessives, vents de sable… et une nouvelle Eugène et Gertrude Van Camfort sécheresse en 1982. Ils ont été les chevilles ouvrières des trois premières Au fil du temps, malgré d’autres sécheresses, Iles de Paix : Gohira (), Kalakad (Inde) et guerres, heurts et malheurs, une évolution du climat Tombouctou (Mali). et le la crue, Korioumé a résisté et Tombouctou a

L’inattendu

vril 2010, les vacances de Pâques. Après deux gorgé d’eau et des premiers émois du printemps, ses années d’intenses préparations, nous voilà visages familiers et son ciel si bas que les clochers enfin partis pour la grande aventure avec le déchirent. Qu’est-ce qui nous attend, là-bas, en AIles de Paix. Nous quittons la Belgique, ses nuages Afrique ? Quelles sont donc les pensées qui courent chargés de pluie et d’œufs en chocolat, son paysage dans la tête de ces dix-neuf élèves de Techniques et Générales que nous accompagnons ? Enfin, nous y sommes. Nous arrivons en pleine nuit, il fait 37° ! L’équipe d’Alfred nous accueille et – déjà – nous immerge dans la poussière et la chaleur du Pays des Hommes Intègres. Le tourbillon des acti- vités nous emporte, petits fétus belges et pâles, dans la moiteur et la touffeur, dans l’aridité des paysages et les sourires si vrais, si spontanés, des burkinabè qui nous invitent au partage. L’école des correspon- dants à Fada N’Gourma, l’Auberge de la Belle étoile de Delphine, les boulis, les forages, les rizières, les ma- raîchages de Yalogo, les mosquées de Bani, les dunes d’Oursi dans le Sahel, aux portes du désert et du Mali, le grand marché et ses épices, ses odeurs nouvelles, ses pains de singe, ses pharmacies debout et ses multiples étals de denrées inconnues, les concessions où l’on nous invite à boire l’hydromel fait maison, les maquis où il fait si bon se mettre à l’ombre, siroter des sucreries et danser, le Festival Dilembu au Gulmu 16 N°95 / JUIN 2012 Transitions à Tiantiaka et ses artisans incroyablement habiles, qui brûle encore dans nos souvenirs, deux ans après, son folklore, ses chants traditionnels et d’aujourd’hui et ces noms qui dansent encore dans nos mémoires, avec notamment Les Players, Mama Jacky et Harouna. Alfred, Roland, Georges, Inoussa, Ali, Kali, All Peace, Ido, Que de rencontres le long du goudron et des pistes, Delphine,… et qui sonnent comme seuls sonnent ces que de sourires et de mains tendues dans les haltes et instants qui vous marquent à jamais. Inattendu d’avoir les bivouacs… L’inattendu jalonnait notre route à cha- tant reçu et… si peu à donner. l que instant. Inattendue, cette joie de vivre alors que tout ou presque manque à nos habitudes de Belges Nicole Thiry et Aurélie Furnémont nantis ; inattendu de toucher à l’eau, si précieuse, cet or Enseignantes à l’Institut Notre-Dame de Philippeville, bleu dont nous ne manquons pas sous nos latitudes ; Nicole et Aurélie ont effectué avec un groupe d’élèves inattendue, cette pauvreté qui pousse les élèves des un voyage de formation au Burkina Faso. marabouts à la mendicité ; inattendus, cette flamme

La fête

ête et développement, bigre, voilà une associa- tion d’idées quelque peu singulière… à première vue. Le développement ne serait-il donc plus Fune affaire de spécialistes et d’experts, un parcours complexe, jalonné d’études préalables, piloté par des gens expérimentés, et organisé pour atteindre des résultats bien définis ? Que viendrait donc faire la notion de fête ici ? Faisons tout d’abord une distinction nette entre la coopération au développement, d’une part, et le dé- veloppement lui-même, d’autre part. La coopération au développement peut revêtir des formes multi- ples, qui se déclinent en autant de modalités d’aide, souvent combinées : appuis techniques, logistiques ou strictement financiers. Ces appuis s’organisent en principe dans le cadre d’un dialogue entre les parte- naires concernés. Cette coopération est une forme de cogestion convenue entre partenaires qui s’enten- dent à accomplir un changement ensemble. C’est de cet arsenal de modalités que l’on discute au sein d’un cercle restreint de prétendues sommités, à Monterrey, à Paris, à Accra, à Busan et j’en passe. Le développement, quant à lui, n’appartient qu’aux groupes qui ont décidé de modifier leurs ou sans retenue, selon les cultures et selon l’éducation. conditions d’existence ainsi que la nature et la qualité Puis, l’exubérance, la joie profonde d’avoir pu se réunir de leurs relations avec leur environnement humain, et relever, ensemble, avec succès, d’improbables défis. sociopolitique et physique. Un processus de déve- C’est la fête dans les yeux, dans les accolades, dans les loppement est difficile à définir car il est à chaque paroles de circonstance. C’est la fête encore dans la fois différent, dans son rythme, ses orientations, narration émue et partagée du chemin parcouru. C’est sa complexité et son intensité. Mais il est toujours la fête d’avoir pu ouvrir de nouvelles fenêtres, d’avoir reconnaissable. Le développement est au départ une pu créer des courants d’air dans sa vie et de démon- prise de conscience de vouloir et de pouvoir vivre trer que le destin n’est pas affaire de fatalité, mais de mieux, autrement. Ensuite, il est fait d’intensité, volonté. Et caractéristique unique chez Iles de Paix, ce d’efforts, de sacrifices, de persévérance : réfléchir, se bouillonnement est entretenu et partagé tant par les réunir, se cotiser, se mobiliser, s’organiser, travailler, populations au Sud que par le réseau de toutes celles créer, résoudre des conflits et gérer le changement. et ceux qui s’activent en Belgique. Et l’on entendrait Enfin, il suscite une grande fierté individuelle et presque les Snuls clamer haut et fort : Iles de Paix est collective sur le chemin parcouru. Il procure plus un plaisir et doit le rester ! l d’assurance. À l’adrénaline inhérente aux risques assumés et aux décisions prises sans filet, face à un Luc Langouche futur aujourd’hui inconnu, se mêle l’endorphine, qui Luc a consacré toute sa vie professionnelle – et suscite un état de béatitude, le fait de se dire qu’on même un peu plus – au développement. Il fut y arrive, que l’on a réalisé cette ambition, que l’on a durant douze ans secrétaire général d’Iles de Paix. transformé l’essai, comme au rugby. Depuis 2011, il est directeur des opérations à la Alors, c’est la fête, dans toutes ses déclinaisons. Coopération technique belge. Soit comme force tranquille, irrésistible, longue, avec Transitions N°95 / JUIN 2012 17 L’essaimage

e flux, dans le sens de l’accumulation de l’eau fondément ancrée dans les populations rurales. qui transite par un ruisseau et inonde de vie les Un système excluant a conduit les paysans dans localités et les prairies, est l’analogie de l’action une situation de marginalisation socio-économique. Ldes abeilles quand la reine se déplace vers une autre Le défi que nous nous sommes fixé est de restaurer colonie pour essaimer ou reproduire. Dans le domai- la dignité et l’estime de soi des individus comme ne du développement, cela s’apparenterait à l’effet préalable aux actions de soutien du développement multiplicateur que peut avoir un projet, une action. local. Dans cette optique, nous avons mis au point des L’histoire du flux de la solidarité commence avec actions et des stratégies qui permettent à ce program- l’arrivée d’Iles de Paix dans la commune équatorienne me de formation d’avoir une résonance, un impact au de Pallatanga en 2001. Un groupe de paysans, hom- niveau des familles et des communautés. mes et femmes, jeunes et vieux, dans une certaine Et de fait, fin 2011, toutes les communautés mesure sceptiques, mais dans l’attente de quelque recelaient d’incontestables talents humains, en parti- chose, descendent des communautés vers le centre culier parmi les femmes et les jeunes. Ces talents, tel de la commune. Ils ont appris qu’allait être lancé un un flux de solidarité, ont permis à de nombreuses fa- programme de formation de techniciens paysans. milles rurales, motivées par l’exemple des techniciens Ils ont le désir de progresser en tant que personnes paysans, de reproduire sur leurs terres des pratiques pour contribuer au développement de leur famille et d’agriculture durable, et aussi de se joindre à la dyna- de leur communauté. Une utopie, peut-être, mais pro- mique des organisations sociales et communautaires, de participer de manière proactive au développement local dans différentes instances de pouvoir. Le scepticisme qui prévalait en 2001 a fait place à un sentiment d’estime de soi et d’autonomie propice à la conduite autonome du développement. En témoigne la création de l’Association des tech- niciens paysans de Pallatanga. Cette organisation se profile comme un acteur local qui voit à long terme. Elle entend notamment perpétuer le programme de formation de techniciens paysans, le renforcement des valeurs de solidarité et le développement local, mais selon ses propres conceptions. Cela renforce notre conviction que nous avons répondu aux attentes que les paysans portaient en eux. Aujourd’hui, la propaga- tion du flux de solidarité fait partie du patrimoine des paysans. Ils en ont pris la responsabilité. l

Nely Montero Coordinatrice des programmes d’Iles de Paix en Équateur, Nely est très engagée dans une démarche fondée sur l’éducation populaire.

(R)évolution

vant, je vivais dans la « puna », en altitude. Je ils m’ont remis un mâle reproducteur. Grâce à cela, j’ai ne suis allée à l’école primaire que jusqu’à la obtenu des agneaux améliorés. Aujourd’hui, je vends troisième année. Je vis seule avec mes deux des agneaux de 4 à 6 mois 200 soles, alors qu’avant, Aenfants. Avant de recevoir l’appui d’Iles de Paix, je je vendais des animaux de 3 ans seulement 70 soles. consacrais presque tout mon temps à ma maison, Comme ils ont vu mon intérêt pour ce travail, j’élevais des moutons de race locale, des cochons et ils m’ont sélectionnée comme candidate technicien des poules. J’avais très peu d’argent. Comme j’ai deux paysan. Ils m’ont alors enseigné comment reconnaître enfants en bas âge, j’ai été inscrite comme bénéfi- et traiter les maladies du bétail, donner des sels miné- ciaire du programme « Juntos » (ensemble), qui donne raux, faire des injections. Avec tout ce que j’ai appris un peu d’argent chaque mois aux familles les plus depuis deux ans, c’est maintenant moi qui fournis pauvres. C’était la seule aide que je recevais. dans ma zone l’assistance technique en santé pour À partir de 2009, Iles de Paix m’a invitée à participer les grands et petits animaux. au projet d’appui à l’élevage de moutons de race amé- On m’appelle souvent ici de bien plus loin pour liorée. J’ai participé à toutes les formations et après, soigner des animaux. On me paye très bien pour ce 18 N°95 / JUIN 2012 Transitions travail. Chaque mois, je gagne facilement 360 soles et jusqu’à 700 pendant la période des vaccinations. On me paie aussi en nature : poules, cochons d’Inde, etc. et cela m’aide beaucoup pour nourrir ma famille. Et j’allais oublier : avec les bénéfices, j’ai pu construire ma maison, et quand la commune a construit des latrines dans le village, j’ai demandé qu’ils me fassent des vraies toilettes, avec de l’eau courante. Pour ce faire, j’ai acheté moi-même les tuyauteries et autres matériaux. J’ai montré ce modèle à mes voisins, et maintenant ce sont eux qui essayent de construire également de la même façon. Avant je ne pensais pas pouvoir éduquer mes enfants. Aujourd’hui, mon fils aîné voudrait étudier à l’université pour devenir vétérinaire. Si Dieu m’aide, je crois que je vais pouvoir lui payer ses études. Enfin, grâce à mon habileté (mes capacités), ils m’ont choisi comme promotrice de santé dans le système de suivi communal, et je fais partie de l’équipe d’appui aux programmes de vaccination contre la rage qu’organise le poste de santé de mon secteur. Je suis aussi leader du programme «Juntos» dans ma communauté. Maritza Sacramento Orbezo Finalement, je peux vous assurer que même Éleveuse et technicienne paysanne, Maritza habite la quand Iles de Paix s’en ira, je continuerai à travailler, communauté de Caserio Miraflores, dans le district car ils m’ont donné une sorte d’héritage pour amélio- de Molino, situé dans les Andes péruviennes. rer ma vie. l

Le sérieux

a Commune de Toucountouna entretient avec dans cet accompagnement. Il a appuyé l’élaboration Iles de Paix des relations de partenariat très des premier et deuxième plans de développement fonctionnelles depuis 2001, bien avant l’avène- communal (PDC) de Toucountouna. Il a soutenu à Lment de la décentralisation. Ce partenariat a connu plus de 90 % la mise en œuvre du PDC de première son apogée avec les premières élections communales génération : construction de modules de classes, de décembre 2002. En effet, dans le souci de répondre modernisation du marché central, construction aux exigences de la décentralisation, Iles de Paix n’a d’ouvrages de franchissement, appuis en équipement pas hésité à se conformer à ce changement. C’est et en formation. alors qu’il a signé une convention de partenariat avec Iles de Paix est une structure sérieuse, pratique le premier conseil communal. Cette convention a per- et respectueuse de ses engagements. Respectueuse mis à la commune de bénéficier d’un important appui également des lois et textes qui gouvernent le pays. technique et financier dans une période où tous les Ainsi, conformément aux règles de la décentralisa- partenaires hésitaient encore à accorder leur appui tion, la maîtrise d’ouvrage a pu être assurée par la aux communes naissantes, sans ressources financiè- mairie, grâce à l’appui d’un personnel technique com- res ni humaines qualifiées. Iles de Paix a osé se lancer pétent et rompu à la tâche qui a contribué à renforcer les capacités des acteurs communaux. Le sérieux du partenariat avec Iles de Paix se traduit également dans sa volonté de transfert de technologie. Les producteurs de la commune ont ainsi bénéficié d’un important appui sur des théma- tiques telles que la fertilité des sols, le maraîchage, le microcrédit, etc. Grâce à Iles de Paix, la commune de Toucountouna jouit d’une visibilité qu’elle n’avait pas auparavant. Nous profitons de ces lignes pour rendre hommage aux femmes et aux hommes qui se sont succédé sur notre terroir, pour les actions ô combien satisfaisan- tes qu’ils ont accomplies. l

Thomas T. Yombo Maire de Toucoutouna (Bénin)

Transitions N°95 / JUIN 2012 19 Iles de Paix Cinquante ans de coopération

’est en Asie, au Bangladesh, alors Pakistan les années 1970, à la suite des grandes famines qui oriental, puis en Inde, que Dominique Pire a avaient frappé le Sahel, puis, au milieu des années installé les deux premières Iles de Paix. Prix 1990, en Amérique du Sud, dans la région andine. CNobel de la Paix 1958 pour son action en faveur des D’autres avaient pris le relais, fidèles aux idéaux réfugiés laissés à l’abandon à l’issue de la Seconde humanistes et aux intuitions d’un homme qui avait Guerre mondiale, il avait été invité au Pakistan pour vu juste et loin en prônant le dialogue fraternel, la se pencher sur le sort des nombreux réfugiés qu’avait solidarité internationale, une coopération fondée sur générés l’éclatement de l’Empire des Indes. le respect de tous, quels qu’ils soient. Plus que jamais, Il y fut frappé par la misère, le dénuement des les hommes apprennent à se connaître et s’apprécier campagnes et de ce choc naquit sa volonté de faire en travaillant ensemble à quelque chose d’utile. quelque chose de concret et d’utile pour y répondre. Aujourd’hui, Iles De Paix est actif en Afrique de Il imagina avec quelques amis les principes d’une l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Mali) et en Amérique coopération qui, loin de la charité ou de l’assistanat, du Sud andine (Équateur et Pérou). Dix communes, se fonde sur les talents, les ressources, la prise de res- quelque 200 000 personnes, sont concernées par ses ponsabilité des populations partenaires. Il entendait interventions. Elles ciblent trois dimensions essen- non pas se substituer aux gens à qui il tendait la main, tielles pour un monde rural très précarisé : la sécurité mais leur permettre de prendre en main leur propre alimentaire et des revenus décents, un accès aux développement. Il fut l’inventeur du self help (aide-toi services de base (santé, éducation, eau potable) et toi-même) qui, tout à la fois, préserve la dignité et une bonne gestion, participative, des affaires locales. assure la durabilité de ce qui est entrepris et réalisé. Avec toujours, au cœur de toute initiative, le souci de Décédé prématurément en 1969, renforcer les capacités d’action et de réaction Dominique Pire n’a pas vécu la des partenaires. La pratique du self transposition du concept help est à ce prix : Si tu apprends Iles de Paix en Afrique à pêcher, tu mangeras toute de l’Ouest, dans ta vie… l

Bangladesh Équateur Inde

Pérou

Mali Burkina Faso Guinée-Bissau Bénin

20 N°95 / JUIN 2012 Transitions