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Nathalie Guillaumond

Exemple de rédaction de compte rendu (pour le web) :

COMPTE RENDU DES CONFÉRENCES DU FORUM BLANC 2015

Un événement dédié au transmédia organisé par CITIA du 14 au 16 janvier 2015 au Grand-Bornand

Ces textes, ici regroupés et présentés en un fichier PDF pour illustrer mon travail, avaient été mis en ligne à cette adresse : http://www.forumblanc.org/a-propos/archives/edition-2015/restitutions-2015. SOMMAIRE

Keynote Narration interactive : après l'excitation, où est l'envie ? où est l'argent ?...... 3 Plénière Tendances, défis et opportunités : l'évolution des industries télévisuelles et médias numériques...... 7 Plénière Gamification et enrichissement des contenus TV...... 12

Plénière La qualité HBO à travers sa stratégie transmédia...... 19 Plénière Unity pour les productions transmédias...... 29

Plénière Un studio transmédia : Small Bang...... 37 Plénière Storycode : pour un écosystème transmédia...... 45

Étude de cas "Do Not Track"...... 50 Étude de cas "Easy Coming Out"...... 54

Étude de cas "Fort McMoney"...... 59 Étude de cas "Soundhunters"...... 63

Étude de cas "Lune"...... 68 Études de cas "Who Are the Champions" & "Refugee Republic"...... 74

Étude de cas ToonYou: "My Dream Jobs"...... 80 Étude de cas "The Reward ‒ Tales of Alethrion"...... 84

Table ronde Distribution numérique...... 93 Table ronde Comment peut-on être producteur transmédia ?...... 98

Atelier Transmédia : quels auteurs ? quelles formes ? quels droits ?...... 106

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 2/119 Keynote

Narration interactive : après l'excitation, où est l'envie ? où est l'argent ?

Intervenant : Michel Reilhac, architecte narratif, designer d'expérience, Melange, France

Résumé

Après avoir fait le buzz, la narration interactive semble susciter l'amertume, et pas seulement dans l'Hexagone. Médias et investisseurs constatent que les résultats ne sont pas au rendez-vous ; auteurs et producteurs peinent à convaincre les diffuseurs. Inutile pourtant de céder au pessimisme : ce moment difficile relève d'un cycle propre à toute technologie émergente. Il ne fait qu'annoncer une phase de reconstruction. Aux différents acteurs d'anticiper cet avenir lumineux.

Mots clés narration interactive ‒ transmédia ‒ Hype Cycle ‒ Gartner ‒ MOOC ‒ gamification ‒ réalité augmentée ‒ webdocumentaire

Synthèse

Quand les médias se sont emparés du transmédia, ils l'ont fait avec enthousiasme. Pourtant, depuis un an et demi ou deux, aux États-Unis en particulier, ils font preuve à son égard d'une attitude critique. Faut-il donc douter du potentiel de la narration interactive ? Ne serait-elle qu'une mode ?

Souvenons-nous de ce qui s'est passé avec Internet. Années 90 : cette nouvelle technologie suscite un engouement faramineux. Des entreprises sont montées sur la base de paris fous, jusqu'à ce que les attentes ne deviennent impossibles à satisfaire et ne provoquent, en 2000, l'éclatement de la bulle internet, extrêmement traumatisant pour les acteurs du milieu. Cette économie ne s'en est pas moins relevée pour devenir celle, florissante et solide, que nous connaissons aujourd'hui.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 3/119 Le cours du Nasdaq et la bulle Internet Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bulle_Internet

Or ce phénomène est connu comme étant propre à l'innovation en général. Il a été théorisé par des analystes de marché, des psychologues, des sociologues... Le groupe Gartner l'a modélisé sous le nom de Hype Cycle (cycle des tendances). Mettant en abscisse et en ordonnée le temps et la visibilité, il montre comment l'apparition d'une technologie, idée, d'un objet ou service innovant est suivie d'une rapide ascension dans le cœur des médias et du public, qui culmine avec un "pic des attentes exagérées" entraînant une déception tout aussi brutale et une descente dans la "fosse de la désillusion", avant de connaître une "remontée vers la lumière" pour atteindre finalement le "plateau de la productivité".

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 4/119 Le Hype Cycle de Gartner Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_du_hype

Hype Cycle des technologies émergentes, version 2014 Source : https://www.gartner.com/en/documents/2809728/hype-cycle-for-emerging-technologies-2014

Prenons le cas des MOOCs : le terme se répand en 2012/2013. Ces cours en ligne accessibles gratuitement suscitent un enthousiasme frénétique et sont dépeints comme l'avenir de l'université.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 5/119 Mais le retour de manivelle ne se fait pas attendre : 2014, année de la désillusion, les MOOCs sont au contraire accusés de menacer la vénérable institution. Selon les analystes, ces dispositifs mettront 10 ans à devenir une partie intégrante du paysage, avec le système universitaire payant.

Suivant un même mouvement, il semble que transmédia et narration interactive se heurtent au désamour des investisseurs. Les chaînes de télévision y voyaient une occasion d'augmenter la fréquentation de leur site web mais, dans l'ensemble, cela n'a pas fonctionné. Et pour cause : les institutions opposent naturellement une certaine résistance au changement, la participation du public ne se déclenche pas par magie, et le langage de la narration interactive n'en est qu'à ses balbutiements (il a fallu une génération entière pour que celui du cinéma ne s'impose).

Nous ne pouvons que remonter la pente. Passer de l'innovation et de l'expérimentation, à l'adaptation puis l'adoption définitive. Quels sont les signes de ce rebond ?

D'une part, la migration des annonceurs sur le web, qui pousse les chaînes TV à muter malgré tout vers des contenus interactifs consommables sur l'ensemble des écrans disponibles. Encore faut-il qu'elles cessent d'y voir un outil de marketing au service de leurs programmes classiques, pour soutenir des contenus "nativement" interactifs.

D'autre part, l'auteur transmédia peut et doit désormais compter avec de nouveaux interlocuteurs :

► la presse ex. la production documentaire interactive sur l'assassinat de Kennedy mise au point par National Geographic : kennedyandoswald.com

► les musées ex. l'opération immersive, autour de la restauration de L'atelier du peintre de Courbet, préparée par le Musée d'Orsay en collaboration avec Orange : www.musee-orsay.fr/fr/info/mecenat/operation-courbet.html www.orange.com/fr/actualites/2014/octobre/plongee-au-coeur-de-L-Atelier-du-peintre-grace-a-la- realite-augmentee

► les marques ex. avec sa pub Chok! Chok! Chok!, Coca-Cola recourt à la gamification comme véhicule diversifié de sa communication : www..com/watch?v=VgxsTEBTdEo

► le jeu vidéo ex. la dernière version d'Assassin's Creed, dont la narration sophistiquée, ajoutée à la démocratisation prochaine de la réalité virtuelle, devrait convaincre le cinéma, qui snobe l'interactivité, de l'urgence de se réinventer : www.youtube.com/watch? v=gHt2Do0Ggvg&index=20&list=PL8za59GW8txSYyfsoyheS3tRCflbDkx18

► potentiellement toutes sortes d'interlocuteurs liés à la vie quotidienne ex. ce dispositif de sécurité routière : www.youtube.com/watch?v=SB_0vRnkeOk

En conclusion, il vous semble difficile de diffuser les œuvres interactives que vous concevez ou produisez ? C'est bon signe ! Cette phase va passer, à condition d'apprendre de nos erreurs et de savoir diversifier plateformes et commanditaires.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 6/119 Plénière

Tendances, défis et opportunités : l'évolution des industries télévisuelles et médias numériques

Intervenante : Catalina Briceño, directrice veille stratégique, Fonds des médias du Canada, Canada

Résumé

2014 marque un tournant : aux États-Unis, le nombre d'abonnés à Internet dépasse celui des abonnés à la télévision par câble. Une poignée de multinationales règnent sur le Net ; plus les utilisateurs sont connectés, moins il est facile de capter leur attention ; l'essor du numérique ne fait que renforcer l'influence de la culture américaine... Telle est la nouvelle donne. Aux industries des médias canadienne et française de jouer.

Mots clés

Fonds des médias du Canada ‒ FMC Veille ‒ Rapport sur les tendances ‒ convergence des écrans ‒ game watching ‒ e-sport ‒ chronologie des médias ‒ YouTubers ‒ fan labor

Synthèse

Six tendances clés

Le Fonds des médias du Canada a été créé en 2009.

Son mandat est triple : – Financer l'innovation dans les secteurs de la radiodiffusion et des médias interactifs (360 M$ en 2013-2014). – Promouvoir les contenus canadiens. – Favoriser et développer l'industrie grâce à l'intelligence économique. Tel est le rôle du département que Catalina Briceño dirige, FMC Veille.

Une fois par an, avec une mise à jour à mi-année, FMC Veille publie un Rapport sur les tendances de fond qui modifient l'industrie des médias sous l'impulsion de la révolution numérique.

Il a identifié 6 tendances clés qui constituent sa grille d'analyse.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 7/119 Source : Fonds des médias du Canada

Le Rapport sur les tendances 2015 – Le Défi du grand flou présenté ci-dessous adopte certes un point de vue nord-américain, mais ses observations peuvent aisément être recontextualisées en fonction de la réalité française.

1 – Toujours connectés : la "découvrabilité" devient le nerf de la guerre

L'hyperconnectivité se poursuit, mais on note cette année : – une fatigue des utilisateurs, qui sont submergés d'informations ; – une concentration des points d'accès, qu'il s'agisse des moteurs de recherche, des portails vidéo ou des médias sociaux (Google, YouTube et Facebook dominent ces marchés) ; – une saturation du marché de l'applicatif (le temps passé à naviguer sur le mobile bondit mais le nombre d'applications téléchargées ralentit).

Conséquence : les réseaux sociaux sont en train de se substituer aux moteurs de recherche, les utilisateurs comptant sur les premiers pour trier les contenus.

Il va donc devenir impératif de bâtir des communautés le plus vite possible dans la vie des projets pour en assurer l'adoption.

2 – Convergence des écrans : les modes de consommation fusionnent

Le passage de la consommation de contenus devant la télévision au tout-en-ligne et à la demande se poursuit. Aux États-Unis, on compte désormais plus d'abonnés à Internet que d'abonnés à la TV par câble.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 8/119 On observe du coup une flexibilité du côté de la chronologie des médias : les pilotes sont lancés sur les réseaux avant de rejoindre le petit écran.

Alors, sommes-nous face à la mort de la TV ? Pas encore : les minutes de visionnement, le nombre d'abonnés et les budgets de programmation de la TV classique restent colossaux par rapport à ceux des nouveaux joueurs de l'OTT (Over- The-Top content).

3 – Transmédia : la montée en puissance du secteur des jeux vidéo s'accélère

Phénomène incontournable cette année : le game watching. En 2013, 71 M de personnes ont regardé d'autres personnes jouer en ligne.

Les géants du web surfent déjà sur cette tendance : Microsoft a racheté le jeu Minecraft pour 2,5 Mrd$ ; Amazon a racheté la plateforme Twitch pour 1 Mrd$.

Le visionnement de jeux en ligne a son corollaire : l'e-sport, soit le fait de se réunir dans un stade ou d'aller sur Internet pour regarder 2 équipes faire un tournoi de jeu vidéo. La saison 3 de League of Legend a été suivie de cette façon par 32 M de personnes, dont 8,5 M de spectateurs en direct.

Autant de concurrence pour le secteur de l'audiovisuel – ou d'opportunités, à condition d'arriver à s'approprier le phénomène.

4 – Force du nombre : de nouveaux créateurs qui comptent

De même, difficile d'ignorer l'importance grandissante des YouTubers. Certains de ces autodidactes maîtrisent à merveille les outils de production, d'auto-promotion, d'auto-distribution et de monétisation : PewDiePie compte plus de 34 M d'abonnés et amasserait 4 M$ par an !

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 9/119 Source : https://www.youtube.com/user/PewDiePie

Web participatif et UGC (contenu généré par les utilisateurs) ne sont donc plus synonymes d'amateurisme et, comme le montre un sondage paru dans Variety, les personnalités du numérique réinventent les règles de la célébrité.

5 – Monétisation : moins d'intermédiaires

Le débat sur le fan labor et sa rémunération équitable ne peut donc que s'intensifier. Ces fans et utilisateurs, qui parviennent à attirer des millions d'auditeurs en recourant très fréquemment à des contenus protégés par le droit d'auteur, devraient-ils payer des redevances aux ayants droit ? Ou, au contraire, les marques devraient-elles payer pour l'énorme visibilité que ces productions indépendantes confèrent à leurs produits ?

La monétisation devrait devenir de plus en plus directe et régulière. La dévalorisation des revenus dans le numérique (les fameux digital pennies, la nécessité d'accumuler des millions de vues ou d'écoutes sur les plateformes telles que YouTube ou Spotify pour générer des revenus conséquents), incite à éliminer des intermédiaires. D'où l'apparition d'un mode de financement par les fans qui versent, par abonnement, leurs dons aux créateurs.

6 – David contre Goliath : polarisation de l'écosystème des contenus

Parmi les principaux acquéreurs d'entreprises technologiques aux États-Unis ces dernières années, on observe :

– l'omniprésence des géants du web dans le top 3 (ex. Google) ; – la disparition progressive de certains barons traditionnels (ex. IBM) ; – la progression d'autres joueurs du web (ex. Twitter).

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 10/119 Source : Fonds des médias du Canada

On voit donc se dessiner la domination d'une poignée de méga protagonistes du web (concentration de revenus, augmentation des coûts de production et des investissements marketing, énormes franchises), dont la plupart sont étrangers. Mais aussi, en parallèle, un autre modèle : celui d'une multitude de petits joueurs (autodistribution, coûts de production bas et mise à disposition de contenus volumineuse).

La compétition a lieu tous azimuts : entre les représentants des médias traditionnels, avec les nouveaux entrants, et avec l'auditoire, qui produit lui aussi des contenus.

Conclusion : le défi du grand flou

On est encore dans un environnement de mutation, fait de paradoxes : plus de choix / moins d'attention ; plus d'accès aux marchés mondiaux / homogénéisation (américanisation) des préférences culturelles. C'est à la lumière de ces paradoxes qu'il nous faut maintenant examiner nos industries nationales TV et médias numériques et choisir notre positionnement.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 11/119 Plénière

Gamification et enrichissement des contenus TV

Intervenants : Laurent Fonnet, directeur associé, AuRC Conseil, France – Nicolas Mercouroff, président fondateur, TiVine Technologies, France

Résumé

Le "petit écran" se décline désormais au pluriel. Des applications pour tablette et smartphone permettent au téléspectateur de savoir ce que regardent ses amis, s'informer sur les programmes en cours, connaître les statistiques des matchs, participer aux jeux en direct, acheter en ligne des produits dérivés, etc. On invente des écritures télévisuelles alternatives. Si le public apprivoise peu à peu les usages du second écran, les chaînes de télévision sont-elles prêtes à jouer le jeu ?

Mots clés second écran ‒ analyse sémantique automatique ‒ information push ‒ télévision augmentée ‒ télévision connectée ‒ social TV ‒ flux télévisuel ‒ enrichissement du contenu télévisuel ‒ délinéarisation ‒ monétisation des audiences ‒ expérience audiovisuelle ‒ univers audiovisuel ‒ télénaute ‒ ATAWAD ‒ Best Social Time ‒ social media marketing ‒ dispositif digital ‒ marketing de l'offre

Synthèse

TiVine Technologies

Question initiale

Aujourd'hui, 80 % des Français sont concernés par la télévision et passent environ 3h40 par jour devant (les chiffres sont supérieurs aux États-Unis). Le moins qu'on puisse dire, c'est que la TV n'est pas encore morte.

Environ 77 % d'entre nous avons un second écran (téléphone, tablette, ordinateur) à portée de main quand nous regardons la TV (92 % des jeunes aux États-Unis). Proportion non négligeable et en croissance continue.

Que faisons-nous sur ce second écran, hormis le fait de jouer à Angry Birds, regarder sa page Facebook ou traiter ses courriels ? Que faisons-nous sur ce second écran en lien avec la TV ?

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 12/119 Nous avons des besoins liés à la TV et le second écran permet d'y répondre : il nous aide à choisir, nous informer, nous divertir.

Plus précisément, quelle est l'attitude des téléspectateurs face à la "lucarne" ? Il y en a trois (qui peuvent d'ailleurs caractériser la même personne devant la même émission). 1 – Ça m'intéresse et j'ai envie d'avoir des informations complémentaires (ex. distribution d'un film, biographie d'un acteur) et côté réseaux sociaux, j'ai envie de partager quelque chose (photo, commentaire, citation). 2 – Je m'ennuie, l'attention commence à baisser. Cet acteur, dans quel autre film a-t-il joué, déjà ? Quels sont les dernières actus, buzz sur ce chanteur ? Que disent mes amis sur les réseaux sociaux ? Tout cela va un peu relancer mon intérêt. 3 – Sortez-moi de là ! Cela ne m'intéresse pas du tout (mais ce n'est pas forcément moi qui ai la télécommande...). Qu'y a-t-il sur les autres chaînes ? Que disent mes amis sur les réseaux sociaux, à propos des programmes qu'ils regardent ?

Tels sont les besoins identifiés et auxquels TiVine Technologies vise à répondre.

Un peu de technologie

Qu'a mis au point la start-up pour répondre à ces besoins ?

La plateforme TiVine, qui repose sur un moteur d'analyse sémantique automatique du contenu de 36 chaînes télévisées. 24h/24, des serveurs analysent la vidéo, l'audio, les balises télétexte, le DVB (diffusion vidéo numérique), mais aussi des contenus qui viennent d'ailleurs : description du programme TV, flux Twitter.

Derrière, des informations recueillies sur Wikipédia, l'IMDB, The Movie Database ou des bases de données payantes sont agrégées, puis poussées vers le téléspectateur. Il s'agit d'un processus entièrement automatisé ‒ et non de petites mains comme dans le Turc mécanique d'Amazon !

L'application développée à partir de cette technologie, TiVipedia, est disponible sous iOs et Android.

Source : http://www.youtube.com/watch?v=u7Sw0ss5kWg

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 13/119 Par exemple, dans un jeu télévisé, Sébastien Loeb est cité. Immédiatement, sur le second écran, en l'occurrence la tablette sur laquelle tourne TiVipedia, l'appli pousse une fiche d'information sur Sébastien Loeb, comprenant sa biographie, ses dernières actus, des pubs pour des maillots à son effigie... Le flux d'informations et de services se synchronise avec le contenu de l'émission sur la chaîne regardée.

Retour d'expérience

L'application a été lancée au milieu de l'année 2014. Devant quels types d'émissions les utilisateurs s'en servent-ils ? Des films dont ils veulent connaître la distribution, mais aussi du contenu live (sport, débat, journal télévisé, variétés, jeu...).

L'appli collecte des données analytiques sur le parcours utilisateur. Mais elle ne demande pas aux gens quel âge ils ont et où ils vivent. TiVine dispose malgré tout de quelques statistiques d'utilisation. Par exemple : – Les utilisateurs peuvent mettre en favoris une personnalité, leur village natal... pour recevoir une notification à chaque fois qu'il en est question à la TV. On constate que la personnalité n° 1 est Cyril Hanouna, la n° 2 Laurent Baffi, la n° 3 Clint Eastwood ; on peut donc en déduire que le public est plutôt jeune en majorité. – Les personnes âgées (+ de 65 ans) répondent très positivement à cette offre de TV augmentée. – Les utilisateurs sont de tous types lors des grands matchs de foot. – Toutes sortes de contenus les intéressent : biographie de l'invité surprise de l'émission, anecdotes sur le tournage du film, livre vanté dans l'émission littéraire, clip du chanteur sur YouTube, flux Twitter, flux Facebook...

Concernant les sujets détectés à l'écran, TiVipedia en est à 1 million et demi pour ce qui est des personnalités.

Réseaux sociaux : TiVine note une forte demande, pourtant la majorité des téléspectateurs restent passifs face à leur poste. Effleurer leur second écran après qu'on ait poussé l'info vers eux, comme le fait TiVipedia, sans qu'ils aient eu besoin de formuler des questions, c'est à peu près le seul effort qu'on parvient à faire faire aux gens – intéressant, pour un débat sur le transmédia.

Quel business model ?

– En B2C, l’audience générée avec l'application TiVipedia est monétisée (affiliation, sponsoring, publicité ciblée). – En B2B, l'appli ainsi que les flux de contenus et de services sont proposés sous licence en marque blanche à des partenaires intéressés.

TiVine Technologies souhaite rencontrer : – Offre B2C : des annonceurs souhaitant adresser au public de TiVipedia des messages et des produits ciblés. – Offre B2B : des fournisseurs de services télévisuels (diffuseurs, chaînes, éditeurs, producteurs) souhaitant enrichir leur service par un flux de métadonnées télévisuelles.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 14/119 AuRC Conseil

Entre autres publications, Laurent Fonnet est l'auteur d'une étude (AuRC-IMCA) sur la télévision connectée. Les convictions qu'il y expose, il les a mises en œuvre pendant une année (2014) chez NRJ 12. C'est son retour d'expérience qu'il partage ici avec nous.

Quelques convictions

La télévision connectée, c'est multisupport.

Attention à l'ambiguïté : la télévision, ce n'est pas que le téléviseur. C'est avant tout une attitude du public qui, à un moment donné, a envie de regarder des images présentées par un éditeur pour se distraire, s'informer, s'éduquer. Aujourd'hui, la TV, c'est tout ce qu'on peut en faire sur une tablette, un téléphone. Donc TV connectée, cela signifie qu'on peut regarder la TV sur n'importe quel support.

De tous ces écrans, le téléviseur a toutefois une particularité fondamentale : c'est le seul qui soit collectif. D'une part, on peut être plusieurs devant (toujours plus confortable quand on a envie de partager la même émotion). D'autre part, on va regarder tous ensemble la même chose, et c'est le seul écran qui apporte cette spécificité – pour partager ses émotions tous en même temps sur Twitter, il faudrait se fixer un rendez-vous.

La télévision connectée, c'est multiservice.

Les univers tels que celui de Game of Thrones ont une vie avant, pendant et après la diffusion sur le petit écran, sur toutes sortes de plateformes : en social TV, en catch-up, en replay. Mieux vaut ne plus parler de programme audiovisuel (ce qui renvoie à la notion de télévision avec toute son ambiguïté), mais d'expérience audiovisuelle ou d'univers audiovisuel.

L'évolution de la TV se construit autour de la capacité que des chaînes – mais ce terme est-il toujours approprié ? donc des prescripteurs, des éditeurs, des gens qui réfléchissent en permanence à ce qui pourrait plaire au public – ont à pousser des marques ou univers médias qu'on va pouvoir retrouver sur toutes les plateformes avec la possibilité de s'y connecter ATAWAD (any time, anywhere, any device : quand on veut, où on veut, comme on veut).

La télévision connectée, c'est "en plus" et pas "à la place".

Certains pensent que les chaînes vont mourir parce que le télénaute a la capacité de se connecter ATAWAD. En réalité, il s'agit d'un service en plus : même si 77 % ont un second écran à portée de main, les téléspectateurs continuent à regarder passivement la TV. Pour cette TV connectée, il faut donc mettre en place une nouvelle écriture.

Même si son modèle éditorial est en train de changer, NRJ 12 a un cœur de cible : cette chaîne qui propose beaucoup de téléréalité vise les 11-24 ans, et par capillarité les 25-34 ans, donc un public en permanence connecté – smartphones, ordinateurs portables, mais peu de tablettes, parce que c'est cher. En social TV, c'est la 2e chaîne après TF1, avec, en 2013, 13 millions de tweets (année Nabilla). La question était : comment préserver ce statut ?

Les téléspectateurs seront d'autant plus présents en direct à 18h05 au moment où on lance un épisode inédit des Anges de la réalité, qu'ils auront passé leur journée à baigner dans cet univers. Si dès le matin, ils ont échangé dans la cour de récré quelques tweets ou se sont servis

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 15/119 d'une app qui parle des Anges, alors ils seront devant le direct pour pouvoir tweeter en même temps et partager avec leur tribu leurs émotions face à une évolution de l'histoire.

Conclusion : ne jamais proposer au public un nouveau programme sans un dispositif digital associé.

Retour d'expérience

" Les Anges de la téléréalité "

Sachant que l'année précédente était celle du "raz-de-marée" Nabilla, la problématique était : une nouvelle saison va commencer, comment satisfaire les attentes du public en termes de nouveauté, sans investir beaucoup d'argent (il s'agissait déjà du programme majeur).

Il a été décidé d'adapter un dispositif digital qui avait fait ses preuves sur les NRJ Music Awards : le Best Social Time. Le spectateur se connecte et on lui dit à intervalles réguliers quelle séquence a généré le plus de tweets, pour lui permettre de la regarder à nouveau. C'est de la social TV. On pousse les téléspectateurs, à travers Le Mag des Anges de la téléréalité et les hashtag, à tweeter pour faire évoluer ce Best Social Time.

Résultat : cette saison 6, de 85 épisodes, a été suivie par 935 000 téléspectateurs tous les jours pendant environ 4 mois, sachant que 200 000 regardent en replay. Une vingtaine d'épisodes ont dépassé le million, générant 7,4 millions de tweets, soit plus de 50 % des tweets de l'année de NRJ 12, leader national sur les 15-24 ans (devant TF1 et M6) et 3e chaîne nationale, leader TNT sur les femmes de moins de 50 ans.

Source : http://best-social-time.nrj12.fr/

" Les People passent le bac "

Le problème était différent : il fallait être perçu sur un concept assez classique, mais avoir une présentation moderne et cohérente avec l'image de NRJ 12.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 16/119 Au centre de l'émission, des questionnaires. Donc l'idée a été de développer rapidement une webapp et de la proposer au public pour sélectionner des inconnus et créer un peu de buzz.

Autre spécificité : un certain nombre de candidats ont été choisis parce qu'ils sont très présents et très actifs dans la social TV, notamment sur Twitter et sur Facebook. – Pierre Ménès : 717 000 followers sur Twitter – David Carreira : 615 000 abonnés sur Facebook – Caroline Receveur : 495 000 followers sur Twitter – Fauve Hautot : 317 000 followers sur Twitter, 276 000 abonnés sur Facebook

L'objectif était double : – offrir au public un dispositif digital cohérent l'incitant à faire autre chose sur le second écran éventuellement avant l'émission ; – créer un buzz sur la social TV de façon à amener les gens à regarder l'émission.

Résultats : 3 épisodes, 817 000 téléspectateurs pour le 1er et 8 000 tweetos générant 17 000 tweets, 4 000 utilisateurs quotidiens de l'appli.

Ordinateur, tablette, smartphone : la télévision ne se réduit plus au téléviseur. Source : http://www.stephanelarue.com/Les-People-passent-le-Bac-NRJ12-voici-le-dispositif-second-ecran_a9692.html

" Friends Trip " : Qui sera le meilleur ami ?

Friends Trip est la première émission de téléréalité dont le dispositif digital fait d'emblée partie du concept.

L'idée, c'était que le public participe lui aussi à l'élection du meilleur ami. Pour ce faire, le public était incité, en tweetant, à la fois à soutenir son équipe préférée et débloquer des contenus (vidéos, selfies...), mais encore à augmenter jusqu'à doubler le prix à remporter par le gagnant. D'une manière plus classique, il pouvait aussi retrouver sur le site des portraits (photos, bios...) des candidats en compétition.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 17/119 Résultat pas terrible : 16,4 % de part de marché sur les 15-24, leader TNT et 2e chaîne nationale ; un peu moins de 300 000 téléspectateurs en moyenne ; le cash price n'a pas été multiplié par 2 ; les 2,7 millions de tweets espérés ont-ils été atteints ?

Plusieurs enseignements

Objectivement, personne ne sait à l'avance ce qui va marcher. Ce n'est qu'en proposant des choses au public, en le faisant réagir, qu'on sait si le programme plaît. On est bien dans le marketing de l'offre. Il faut oser innover.

L'historique étant très limité, on dispose de peu de retours d'expérience. On entend dire que Game of Thrones et consorts, c'est formidable. Mais quand un programme a du succès, c'est souvent parce que l'histoire elle-même est bonne. Ensuite seulement, on a à sa disposition tous les dispositifs et les produits dérivés.

On ne peut pas se prétendre dans l'air du temps sans proposer au public cette possibilité d'utiliser un autre écran ou de vivre l'histoire différemment. Un dispositif digital est indispensable, la TV traditionnelle, c'est dépassé.

En revanche, cela ne suffit pas non plus. Rising Star (M6) et Face à la bande (France 2) en sont deux bons exemples. Si le programme n'est pas bon, ce n'est pas l'existence d'un dispositif digital qui va le sauver.

D'autre part, il faut se méfier des chiffres. Les NRJ Music Awards représentent 5,4 millions de téléspectateurs en moyenne ; 2,8 millions de tweets lus dont 2,1 millions pendant l'émission, générés par 180 000 tweetos et lus par 700 000 utilisateurs.

Si on les monétise, sur la base classique de 1 000 contacts = 1 EUR, 50 millions de tweets produiraient 50 000 EUR : ce ne serait rien au regard des 2 millions de publicité que TF1 a dû générer sur l'émission. Donc ces dispositifs digitaux ne coûtent pas très cher à mettre en place, et les résultats peuvent paraître énormes, mais cela ne rapporte rien.

Il reste par conséquent à concevoir l'expérience audiovisuelle d'aujourd'hui. Trop souvent, on part d'un pitch TV, et on essaie de voir ce qu'on pourrait faire en termes de dispositif digital associé. Il faudrait arriver à concevoir une histoire avec une vraie création multiforme. On voit au Forum Blanc que des projets de cette nature sont menés à bien.

Ce média restant le plus efficace en termes de volume de contacts, on a besoin de la TV pour faire émerger ces univers, et notamment de la TV gratuite (Lune est un produit formidable, mais malgré la promotion, il fera moins d'audience que s'il était porté par TF1). Est-elle prête à jouer ce rôle ?

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 18/119 Plénière

La qualité HBO à travers sa stratégie transmédia

Intervenante : Mélanie Bourdaa, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne, France

Résumé

HBO a la réputation d’offrir des programmes de qualité à ses abonnés, et son fameux slogan "It's not TV. It's HBO" marque l’introduction de la complexité narrative dans les séries télévisées. Si le transmedia storytelling préexistait avec Star Wars, il s'est généralisé depuis le début des années 2000 en matière de stratégie promotionnelle. Game of Thrones et True Blood, les deux séries phares de la chaîne, ont fait l'objet de campagnes particulièrement spectaculaires grâce au savoir- faire de Campfire New York.

Mots clés transmedia storytelling ‒ univers étendu ‒ Henry Jenkins ‒ télévision de qualité ‒ sérialité ‒ cliffhanger ‒ narration complexe ‒ HBO ‒ Heroes ‒ Les Soprano ‒ stratégie promotionnelle transmédia ‒ activité de fans ‒ cosplay ‒ convention de fans ‒ live-tweeting ‒ engager les audiences ‒ fidélisation du public ‒ Pretty Little Liars ‒ Scandal ‒ #BooRadleyVanCullen ‒ fansubbing ‒ fanfiction ‒ fanart ‒ mème ‒ George R. R. Martin ‒ Frank Rose ‒ deep media ‒ extension narrative ‒ Game of Thrones ‒ Campfire New York ‒ fan advertising ‒ création de fans ‒ principe de multiplicité ‒ stratégie second écran ‒ True Blood ‒ réalité alternée

Synthèse

Contexte de mutations

Aujourd'hui, on entend souvent parler du transmedia storytelling.

Cette pratique n'est pas nouvelle. Avec Star Wars, la narration avait été déployée sur plusieurs plateformes (jeux vidéo, BD, romans) et on parlait alors de "l'univers étendu" de Star Wars.

Henry Jenkins l'a conceptualisée. Il a parlé de transmedia storytelling en 2003 dans un article de la MIT Technology Review puis en 2006 dans Convergence Culture: Where Old and New Media Collide.

Par la suite, à la faveur d'un contexte de mutations, ce syntagme s'est démocratisé.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 19/119 Mutations technologiques

On assiste de plus en plus à une intégration des nouvelles technologies dans les stratégies de production. Des sites accompagnent la diffusion des séries (américaines ou autres) à la télévision.

Aux États-Unis, c'est NBC qui a lancé cet usage – c'est d'autant plus original qu'il s'agit d'un network (une chaîne historique américaine) et non d'une chaîne câblée (comme HBO).

Sur une plateforme baptisée NBC 360, la chaîne proposait, pour chacune de ses séries TV, un site compagnon offrant les traditionnels trailers, présentations des personnages, récapitulatifs des épisodes, "behind the scenes"..., ainsi que des modules augmentant la narration par rapport à la série TV.

Par ex. pour Heroes, qui était sa série phare, on trouvait un webcomics consacré à des personnages secondaires, un jeu interactif dans lequel l'internaute pouvait se créer un personnage de héros, et des sites internet satellites pour chacun des personnages clés.

Toutes les autres chaînes ont bien pris la mesure de cette innovation et proposent désormais des sites internet autour des séries TV pour en renforcer la narration.

Mutations narratives

Dans l'histoire du petit écran, des chercheurs en cinéma et audiovisuel ont mis en évidence un mouvement qu'ils appellent la télévision de qualité. Au-delà du jugement de valeur que cette expression induit, on peut dégager différents critères en ce qui concerne les séries, dont les deux suivants.

Une sérialité de plus en plus travaillée Pour favoriser la sérialité et engager les publics dans la narration, différentes stratégies sont mises en place. Citons le cliffhanger, suspens ménagé à la fin de chaque épisode ou de chaque saison, qui va inciter les téléspectateurs à regarder la suite et stimuler leurs interactions sur les forums et réseaux sociaux.

Une narration complexe Cette narration complexe inclut la sérialité ainsi que des personnages psychologiquement de plus en plus fouillés et un univers complet autour de la série.

HBO – dont le slogan est justement "It's not TV. It's HBO" – a participé à ce tournant de la TV qualitative avec des séries comme Les Soprano et The Wire.

Mutations participatives

Les fans ont toujours existé, mais avec l'apparition d'internet et des nouvelles technologies, ils sont de plus en plus visibles et se regroupent en communautés virtuelles. Se développe alors une réception active des séries.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 20/119 Activités de fans

HBO s'appuie beaucoup sur ce public. La chaîne en fait la cible privilégiée de ses stratégies transmédias autour des séries TV, car ce sont les fans qui vont se charger de relayer les contenus officiels.

Activités de création du lien social

Le cosplay

Si les fans hantent les forums, ils se retrouvent aussi volontiers physiquement, dans ce qu'on appelle des conventions de fans. La plus célèbre est le Comic-Con International: San Diego. Ainsi réunis autour d'une même passion, ils pratiquent le cosplay, qui consiste à se déguiser comme ses personnages préférés et à recréer, ensemble, l'univers de la série ou du film.

Un groupe de cosplayers lors de la convention Yukicon 2014 en Finlande Photo : Matias Tukiainen Source : http://en.wikipedia.org/wiki/Cosplay#/media/File:20140118174713IMG_5618_M_- _Desucon_Frostbite_2014_-_matiast1.jpg

Le live-tweeting

Le phénomène, relativement nouveau, consiste à tweeter les épisodes d'une série en direct, ce qui permet de recréer un pseudo-visionnage en commun.

On se retrouve sur Twitter autour d'un hashtag officiel, mais les fans se créent aussi le leur, ce qui donne naissance à une communauté à l'intérieur de la communauté. Seuls ceux qui connaissent bien la série peuvent se retrouver autour de ce hashtag particulier.

Pretty Little Liars fait partie actuellement des 5 séries les plus tweetées en direct. Le hashtag officiel est #PLL, mais les fans se retrouvent pour une lecture ironique autour de #BooRadleyVanCullen ‒ en référence à l'un personnage, Toby, sorte de mélange de Boo Radley (To Kill a Mockingbird) et d'Edward Cullen (Twilight).

Les producteurs se servent de plus en plus de ce phénomène de live-tweeting pour "engager les audiences".

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 21/119 Pour sa série Scandal, dont la première saison avait généré des résultats honnêtes, Shonda Rhimes a demandé à ses acteurs de live-tweeter avec elle les épisodes suivants. Cela a donné lieu à un phénomène social. La série a aujourd'hui de très bons scores de mesure d'audience pour un network et des taux d'engagement très importants à travers le live-tweeting.

Activités de médiation

Cette médiation est principalement culturelle.

Le fansubbing

C'est le fait de sous-titrer gratuitement les épisodes. Des traducteurs, encodeurs et relecteurs amateurs jouent ainsi les passeurs, et même les prescripteurs, pour leurs compatriotes, leur permettant de découvrir des séries qui ne sont pas encore visibles dans leur pays mais qui circulent sur les plateformes de téléchargement ou de streaming.

Activités de création

C'est ce qui paraît le plus évident quand on parle d'activités de fans.

Les fanfictions

Récits par lesquels les fans prolongent ou transforment les romans, films, jeux vidéo... qu'ils affectionnent. Fifty Shades of Grey, au départ, était une fanfiction de Twilight !

Tumblr

Sur cette plateforme de microblogage, les fans postent gifs, textes, photos... permettant de recréer des scènes de la série.

Les mèmes

Pas mal de mèmes internet ‒ éléments, idées, phénomènes repris et déclinés en masse sur internet, souvent de manière humoristique ‒ circulent autour de Games of Thrones, notamment en ce qui concerne les Stark ou encore l'auteur de la série romanesque dont la série TV est adaptée, George R. R. Martin.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 22/119 Exemple de mème concernant George R. R. Martin, épinglé par ses fans pour le plaisir qu'il semble prendre à tuer ses personnages. Source : http://nigelgmitchell.blogspot.fr/2014/04/10-funniest-george-r-r-martin-jokes.html

Activités d'intelligence collective

La création de wikis

Les fans y agrègent tout l'univers qu'ils ont rassemblé dans la série mais aussi dans les stratégies transmédias développées autour, proposant ainsi une sorte de cartographie de la série.

Ex. LOSTpedia, wiki consacré à Lost

Activités d'engagement civique

Il s'agit du degré ultime en matière d'activités de fans. Celui-ci va se servir de ce que dit la série, le film, à des fins d'activisme social ou politique.

Ex. des fans de The Harry Potter Alliance se sont organisés avec des fans du film Hunger Games pour mettre en place tout un dispositif autour de Hunger Games, en alliance avec Oxfam. Après avoir créé un hashtag #hungerisnotagame, ils ont entrepris de récolter des fonds pour essayer de lutter contre la famine en Afrique.

Définitions du transmedia storytelling

Henry Jenkins

C'est en découvrant Matrix que Jenkins a appréhendé le transmédia pour la première fois.

En effet, les Wachowski, auteurs-réalisateurs, avaient pensé Matrix comme un univers global

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 23/119 dès le début. En plus du grand écran, la narration était augmentée par des comics, des séries animées, un MMORPG et autres jeux vidéo. Si l'on veut bien se plonger dans cet univers, il faut non seulement regarder la trilogie, mais aussi aller à la pêche aux indices sur toutes les autres plateformes.

Jenkins définit ainsi le transmedia storytelling : "processus dans lequel les éléments d'une fiction sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée" (Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, 2006). Le but du jeu est de créer un univers global en veillant à ce que le développement de chaque plateforme apporte des infos complémentaires et cohérentes.

Frank Rose

Alors que Jenkins se place plutôt côté production, l'auteur de The Art of Immersion (2011) se place plutôt côté réception. Frank Rose parle de l'expérience du "deep media" parce que justement, il recentre cette expérience sur les fans et les publics experts.

Mélanie Bourdaa

"La stratégie de narration augmentée s'appuie sur un contenu central fort [la série TV, qui fait qu'il y a déjà un univers, des personnages] pour ensuite déployer des extensions narratives complémentaires [sur les lieux, les personnages, les intrigues...] sur diverses plateformes médiatiques, numériques ou non [le transmedia storytelling, ce n'est pas forcément du tout- numérique]." (2013)

Stratégies de HBO

Étude de cas : "Game of Thrones"

Dans le lieu imaginaire de Westeros, 7 familles se battent pour le trône de fer. Source : http://www.youtube.com/watch?v=BpJYNVhGf1s

Pour promouvoir chaque saison et fidéliser les publics de l'une à l'autre, HBO a décidé de mettre en place une stratégie transmédia. La chaîne a pour cela fait appel à Campfire New York, société

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 24/119 de marketing et de publicité. Entre les saisons, le principe était de s'appuyer sur les fans pour faire la promotion (fan advertising), partant du principe que le public ne demande qu'à participer.

I/ Une expérience sensorielle

En amont de la saison 1, Campfire et HBO ont proposé au public une expérience sensorielle autour des 5 sens. L'objectif de cette stratégie multiplateforme, combinant monde réel et monde numérique, était double : d'une part, rester dans l'optique de qualité par laquelle HBO se définit ("It's not TV. It's HBO") ; d'autre part, rendre tangible un univers qui ne l'est pas, puisque Game of Thrones, c'est de la fantasy (il y a des dragons...).

Stratégie n° 1 : l'odorat

A été envoyée à des blogueurs influents et autres fans des livres Game of Thrones, une boîte en bois contenant 15 fioles de parfums censés représenter les senteurs caractéristiques des 7 royaumes de Westeros. Un parchemin était joint, sur lequel figurait une carte du continent permettant de se repérer et de situer les personnages. Le public allait, à partir de là, relayer l'info.

Stratégie n° 2 : l'ouïe

Une auberge importante dans la saison 1 a été recréée pour proposer une expérience sonore et spatiale. Grâce à un avatar, l'utilisateur pouvait se déplacer entre les tables et écouter les conversations entre les différents personnages, ce qui lui permettait de savoir qui était allié avec qui, de connaître les stratégies politiques qui se dessinaient.

Stratégie n° 3 : la vue

Dans un jeu en Flash, le joueur se créait un avatar de "gardien de la nuit", grâce auquel il pouvait monter sur le mur d'enceinte du royaume, s'y déplacer et avertir les habitants de Westeros des dangers potentiels qu'il pouvait apercevoir.

Stratégie n° 4 : le toucher

Une appli iPad et iPhone a été proposée : Game of Thrones, a Song of Ice and Fire. Le but : faire connaître les lieux de la série par un rapprochement météorologique avec des lieux réels aux États-Unis. En effet, la météo est importante dans GOT ‒ le slogan de la série est "Winter Is Coming" car à Westeros, les hivers peuvent durer 9 ans.

Stratégie n° 5 : le goût

Des camions restaurants (food trucks) ont été positionnés pendant 5 jours à New York et 5 jours à Los Angeles. Chaque jour, un menu différent était proposé (créé par le chef Tom Colicchio), censé représenter ce que mangent les personnages de GOT. Les coordonnées GPS du camion étaient relayées sur le compte Twitter officiel de HBO et sur celui de la série.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 25/119 Le camion Game of Thrones (ici dans une rue de New York) a servi environ 300 repas par jour. Photo : Campfire Source : http://www.flickr.com/photos/campfirenyc/5569533751/in/photostream/

II/ Un générateur de bannière

Pour promouvoir la saison 2, un générateur de bannière (dans GOT, chaque clan familial en a une) a été proposé aux fans. Ils pouvaient ainsi créer la leur, avec leurs propres slogan et blason. Après quoi ils les faisaient circuler, ce qui donnait de la visibilité à la série. C'est donc un exemple de création – contrôlée – des fans.

III/ Un Tumblr

Pour promouvoir la saison 4, le Tumblr Beautiful Death a été mis en place. Le but : que les fans créent des fanarts sur les morts emblématiques de GOT. Là encore, il s'agissait de s'appuyer sur la créativité des fans pour à la fois promouvoir la série et faire du même coup un résumé des saisons 1, 2 et 3.

IV/ Une plateforme

Pour promouvoir la saison 5, une plateforme a été proposée, sur laquelle les fans pouvaient s'inscrire pour accéder à des informations, des trailers...

V/ Un jeu vidéo

Un jeu vidéo a été édité par Telltale Games : Game of Thrones: A Telltale Games Series. Cela raconte GOT, mais par l'intermédiaire de nouveaux personnages. C'est ce que Henry Jenkins appelle le principe de multiplicité : on multiplie les points de vue sur un même événement, ce qui renforce la narration de la série.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 26/119 VI/ La mise en place de stratégies de live-tweeting

GOT est la 5e série la plus live-tweetée en 2014, au moyen du hashtag officiel et d'autres relatifs à certains épisodes, comme #redwedding.

VII/ Des stratégies locales

En dehors des stratégies de la chaîne officielle HBO, d'autres stratégies transmédias spécifiques, avec implication du public (fan advertising) sont mises en place dans les pays où la série est diffusée.

En Espagne, pour promouvoir la saison 4, on a proposé aux fans de se déguiser en "gardiens de la nuit" et de se retrouver quelque part dans Madrid. Là, ils étaient filmés en train de chanter le générique de GOT.

En France, la chaîne OCS propose les diffusions à plus de 24h. Aux États-Unis, elles ont lieu sur HBO le dimanche soir. Les épisodes sous-titrés se retrouvent le lundi soir sur le bouquet français. Avec OCS, Orange a mis en place une stratégie transmédia second écran pour la saison 4 : une application qui se synchronisait avec le son des épisodes (reconnaissance sonore) et proposait des informations complémentaires sur ce qui se passait dans la série (ex. une carte interactive).

Étude de cas : "True Blood"

HBO a fait mettre en place une stratégie promotionnelle transmédiatique pour cette série également, toujours par Campfire New York.

True Blood est une série de genre, en l'occurrence d'horreur. Ce n'est pas un genre télévisuel habituellement proposé par HBO. Campfire a donc dû, en amont, à la fois expliquer au public quelle sorte d'environnement allait être développé, et le convaincre du fait que la qualité des programmes HBO serait conservée.

Campfire a opté pour ce qui relève de la réalité alternée. La société a conçu un prequel (œuvre racontant ce qui se passe avant le début de la série) multiplateforme destiné à immerger le spectateur dans l'univers de la série.

Bien sûr, HBO et Campfire disposent de budgets conséquents, mais cela permet de voir comment on peut organiser une stratégie promotionnelle transmédiatique autour d'une série TV.

Le but du jeu : postuler que les vampires vivent déjà parmi nous, idée que la série allait développer, comme les romans dont elle est adaptée le faisaient.

Pour ce faire, la stratégie tenait en trois grandes parties.

Deux factions étaient mises en opposition : les provampires (American Vampire League), avec sites internet, représentants médiatiques... et les contre (Fellowship of the Sun), avec sites internet, représentants médiatiques...

Un troisième chapitre, Focus, présentait les personnages de la série et le lieu (Bon Temps).

Enfin, la boisson True Blood était créée réellement, ce qui donnait lieu à une campagne de publicité massive (panneaux d'affichage dans tous les États-Unis, encarts dans les magazines...). Il était même permis au consommateur de choisir son "groupe sanguin".

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 27/119 Pour lancer True Blood, Campfire a mis sur pied une campagne publicitaire bluffante, dans tous les sens du terme. Source : http://vimeo.com/8268162

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 28/119 Plénière

Unity pour les productions transmédias

Intervenant : Mathieu Muller, ingénieur de terrain, Unity Technologies, France

Résumé

Initialement positionné sur le développement de jeux multiplateformes, Unity met progressivement la création de contenu à la portée du plus grand nombre et de tous les secteurs. Le moteur de jeu peut sous-tendre un large pan des développements transmédias : la gestion d'objets 2D, 3D, du son, de l'image, de la vidéo, de l', des interactions utilisateurs et des plateformes cibles. Mathieu Muller l'a illustré par une présentation de projets suivie de la démonstration en direct de l'outil.

Mots clés

Unity ‒ jeu vidéo ‒ application ‒ convergence des écrans ‒ développement ‒ moteur de jeu ‒ création de contenu 2D/3D ‒ asset ‒ visualisation ‒ GameObject ‒ convergence des écrans ‒ physically-based shading ‒ realtime global ‒ free-to-play ‒ monétisation ‒ premium app ‒ business model ‒ engagement du public ‒ durabilité

Synthèse

Introduction, par Cédric Guiard Au cours de ce Forum Blanc, il a été question de narration, de contenus, de modèles d'affaires, mais paradoxalement assez peu de la manière dont on crée des œuvres interactives, dont on développe des contenus hybrides, concrètement.

C'est d'autant plus étonnant qu'il y a eu des questions sur notre capacité à déployer ces œuvres sur plusieurs plateformes et à les maintenir dans le temps.

D'un autre côté, on a pu souligner et questionner à quelques reprises les relations entre les œuvres transmédias et le jeu vidéo.

Il est pertinent de donner la parole à Unity pour plusieurs raisons. • C'est une plateforme de développement multisupport : elle permet de mettre au point des applications à la fois pour PC, Mac, tablettes et consoles. • Initialement positionnée sur le jeu vidéo, elle s'est progressivement diversifiée vers des applications en ligne type web, BtoB, BtoC.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 29/119 • Unity a révolutionné le business model du jeu vidéo, avec un modèle de renting à l'utilisation. • La mise à disposition d'assets sur l'Asset Store, à la fois sur le plan des fonctionnalités et des contenus. Unity intègre aujourd'hui des fonctionnalités spécifiques au transmédia quant à la gestion du son, de la vidéo, des interfaces utilisateurs. • Unity a généré une énorme communauté. Le simple fait de mettre à disposition ses contenus sur cette plateforme facilite énormément la communication autour de ses œuvres.

Matthieu Muller est ingénieur de terrain. C'est la personne qui vous accompagne sur le développement de vos projets, qui est capable de faire remonter vos besoins spécifiques, également de vous tenir informé des évolutions de Unity.

Présentation de Unity, par Mathieu Muller

Qu'a-t-on fait avec Unity jusqu'à présent ?

Unity Technologies a été créée en 2003 par Joachim Ante, Nicholas Francis et David Helgason. La société compte aujourd'hui plus de 500 collaborateurs.

Les trois Danois ont d'abord voulu faire un jeu, mais se sont rendu compte qu'il était moins difficile pour eux de mettre au point une bonne technologie. Ils ont laissé tomber le jeu et ont gardé la technologie.

Au même moment, l'iPhone est arrivé, or leur moteur de jeu était sur Mac. Ils ont donc décidé d'en faire un pour l'iPhone ‒ bonne idée au bon moment, car il n'y en avait pas.

Puis les développeurs sur PC ont manifesté leur désir de faire des jeux pour l'iPhone mais sur PC, donc l'éditeur a été mis sur PC.

Ensuite, ceux qui faisaient des jeux pour l'iPhone ont voulu en faire pour les mobiles sous Android, du coup le moteur a reçu une nouvelle adaptation. Et ainsi de suite, d'Android à Windows Phone, aux consoles, et aux smart TV.

Aujourd'hui, 3,3 millions de personnes ont installé Unity. Plus de 600 000 utilisateurs sont actifs tous les mois.

Des équipes de toutes tailles travaillent avec (taille typique : entre 1 et 10 personnes, mais certains projets englobent jusqu'à 30 personnes). Unity tient son nom du fait que ses créateurs voulaient mettre au point un moteur qui permette aux membres de l'équipe (développeurs, artistes, musiciens, webdesigners...) de travailler ensemble sur une même plateforme, comme un studio pour un groupe de musique.

Le moteur a du succès auprès des développeurs de l'industrie du jeu vidéo, mais Unity met son expertise au service de nombreux autres secteurs d'activité.

A/ Jeux vidéo

La moitié des jeux disponibles sur l'App Store ont été réalisés sous Unity.

Ex. Monument Valley, Hearthstone, Gone Home, Gang Beasts, Superhot, Hitman, Assassin's Creed Identity, The Room, CSR Racing, Temple Run, République

Depuis la création de la société, on compte plus de 6 milliards d'installations de jeux élaborés avec Unity, soit environ 15 millions par mois.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 30/119 Florilège des jeux vidéo que Unity a permis de développer Source : http://www.youtube.com/watch?v=lXfOqY0JMng

B/ Transmédia

Type:Rider a fait l'objet d'une étude de cas lors du Forum Blanc 2014. Source : http://vimeo.com/71277832

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 31/119 L'appli iOs Art and Skin, un magazine interactif sur le tatouage Source : http://vimeo.com/79444926

Device 6 combine littérature, son, illustration, interaction... Source : http://www.youtube.com/watch?v=-VdeB9_q9nU

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 32/119 C/ Autres industries

L'expertise de Unity en matière de création de contenu 2D/3D et de visualisation s'étend à l'architecture, la formation médicale, l'éducation, la réalité augmentée... et à toute autre industrie soucieuse de captiver son public.

Toute industrie ou toute personne : Yann Minh, un artiste numérique, utilise le moteur comme support de conférence. Selon lui, il permet au public de mieux mémoriser et de refaire aisément, mentalement, le chemin de la présentation. Yann Minh a d'ailleurs, avec Karen Guillorel, développé un carnet de voyage sous Unity qui a remporté le prix du carnet numérique.

Florilège des projets que Unity a permis de développer hors du secteur des jeux vidéo Source : http://www.youtube.com/watch?v=CLPBFlA1DAw#t=35

Quels sont les avantages de Unity ?

A/ Sa facilité Les principes sont simples et peu nombreux. Les 2 fondamentaux : tout est un GameObject et tout GameObject est constitué de composants qu'on rajoute à l'envi.

Et quand on ne sait pas comment faire, il suffit de chercher sur internet. Depuis 4 ans, une version gratuite de Unity est disponible, ce qui fait qu'une grande communauté d'utilisateurs s'est développée. Sur le site officiel ou ailleurs, on trouve rapidement toutes les réponses.

B/ La prise en compte de la convergence des écrans Aujourd'hui, on n'a pas le choix, il faut être sur tous les écrans, or développer pour chaque écran prend du temps. Justement, le principe de Unity est de créer dans l'éditeur et ensuite de déployer sur toutes les plateformes.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 33/119 C/ Unity Asset Store Unity n'est pas qu'un moteur. L'enjeu, c'était de proposer tout ce qui va avec : la communauté, de bons outils...

100 000 assets sont disponibles : • textures, modèles, sons ; • mécaniques de jeu (ex. lancer quelque chose, à la Angry Birds), disponibles gratuitement ou pour moins de 100 $ ; • effets spéciaux : nuages, cascades, explosions... ; • outils : direction de caméras, séquenceurs d'animation multipistes... ; • importateurs, permettant par ex. de récupérer dans Unity des réalisées avec After Effects (coût : environ 25 $).

Quand ce dont on a besoin n'est pas dans Unity, il est probable que quelqu'un l'ait fait et mis sur l'Asset Store ; sinon, on peut le faire et l'y placer, ce qui peut constituer une source de revenus.

D/ Les services • Unity Cloud Build : quand on fait des applis pour iOs, Android, etc., il faut les builder sur toutes les plateformes, ce qui est chronophage. Avec ce service, il suffit d'indiquer où sont vos assets et le travail sera fait pour vous. À chaque changement, ils seront rebuildés et vous recevrez par courriel un lien pour lancer l'appli sous iOs ou Android... • Unity Adds : un moyen de gagner de l'argent en convaincant le joueur de regarder des publicités au cours du jeu. • Unity Analytics : permet d'analyser les données des utilisateurs (qui utilise l'appli ? pendant combien de temps ? jusqu'à quel niveau il est allé?).

Unity pour l'animation, l'interactivité et le transmédia

Schéma : Mathieu Muller

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 34/119 Mathieu Muller a effectué, pour le public du Forum Blanc, une démonstration en direct de Unity 5 alors encore en bêta. Cette version intéressera, entre autres, les professionnels du cinéma, car elle inclut des fonctionnalités telles que la realtime global illumination ou encore le physically-based shading, une technologie inventée par , désormais intégrée dans le moteur en temps réel.

Unity 5 : un tour d'horizon Source : http://www.youtube.com/watch?v=AJ6Mkx1KEns

Quels modèles économiques ? Sur le terrain, Matthieu Muller visite beaucoup de studios de jeu et a noté quelques modèles d'affaires récurrents.

• Lancer une campagne Quickstarter

• Proposer une premium app (beaucoup de gens croient encore à son retour) Ex. Monument Valley ou Type:Rider, pour lequel la stratégie a été d'utiliser Unity en se disant que le jeu serait ainsi disponible sur toutes les plateformes y compris le web, l'occasion d'établir un partenariat avec Arte (présence du jeu sur leur site, avec des niveaux jouables gratuitement ; invitation des utilisateurs à acheter la premium app).

• Monétiser le produit et engager le public Ex. Hearthstone ou Crossy Road : lointain descendant du jeu Frogger (Konami, 1981) ou même du dessin animé Bip Bip et Coyote, ce jeu d'arcade a été développé par Hipster Whale en 12 semaines avec Unity. Il s'agit d'un free-to-play, mais le studio indépendant vend le simple fait de pouvoir changer d'animal, soit en l'achetant, soit en le gagnant après avoir accepté de regarder des publicités (Unity Ads). Il a aussi intégré au jeu Unity Everyplay, une plateforme permettant d'enregistrer et de partager, via son téléphone, les vidéos de ses meilleurs moments de jeu. Le résultat ? Un million de dollars 4 mois après le lancement.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 35/119 Matt Hall, cocréateur de Crossy Road avec Andy Sum, en propose une démonstration sur Unity Everyplay. Source : http://everyplay.com/videos/9371274

Conclusion Les technologies sont parfois limitatives pour créer, elles entraînent des problèmes de maintenance ‒ Google change son API, l'Apple Store change ses conditions et oblige les développeurs à passer du 32 bits au 64 bits... Le but, avec l'Asset Store, c'est que les clients se consacrent entièrement à la création et laissent Unity régler les problèmes techniques.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 36/119 Plénière

Un studio transmédia : Small Bang

Intervenant : Pierre Cattan, producteur transmédia, fondateur, Small Bang, France

Résumé

Depuis 2012, Small Bang crée des expériences multiplateformes qui relient les mondes physique et numérique. De la science participative de BirdLab aux fictions balades de Cinemacity, en passant par la fresque physique de Phallaina et l'Open Bidouille Camp, Pierre Cattan et ses équipes explorent les nouvelles formes de narration spatialisée. Small Bang se définit volontiers comme un orchestre interactif, un laboratoire des innovations culturelles et citoyennes qui place l’expérience humaine au cœur du parcours digital.

Mots clés révolution numérique ‒ zéro carbone ‒ prospective ‒ paywall ‒ pure player ‒ presse en ligne ‒ webémission ‒ géolocalisation ‒ websérie ‒ sciences participatives ‒ jeu sérieux ‒ design d'expérience utilisateur ‒ défilement parallaxe ‒ street art ‒ consommation collaborative ‒ hacker ‒ do it yourself ‒ maker

Synthèse

Small Bang, studio transmédia natif

Dans le monde actuel, on choisit de moins en moins un moyen d'expression (papier, audiovisuel...) plutôt qu'un autre. On considère que plusieurs peuvent concourir à une même dynamique. Small Bang a été conçu d'emblée comme un studio transmédia parce qu'il était urgent de s'affranchir de cette question des supports de destination et de coller à leur porosité de plus en plus évidente. Chez Small Bang, on ne trouve pas que des "gens du web" ; n'ayant que faire des étiquettes, les membres du studio font beaucoup de choses différentes.

Le mot d'ordre : se concentrer exclusivement sur le fait de dessiner des expériences qui vont raconter des histoires mais aussi, pourquoi pas, offrir des expériences et des services qui, à l'ère du numérique, permettent de réinventer un peu le monde.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 37/119 L'industrie audiovisuelle a décidé d'accompagner la révolution du web, de soutenir la création ; elle est la maternité du transmédia aujourd'hui dans le monde. Mais toutes les autres industries sont concernées par le besoin de produire des discours, du storytelling, de relier des communautés entre elles. Small Bang tient beaucoup à revenir au réel à travers le numérique, à revenir au territoire, au local, au lien social. Ses futurs clients seront à n'en pas douter des maisons de retraite, des universités, des musées, des crèches, des syndics de copropriété... et tous autres acteurs ayant besoin d'œuvres qui s'adressent au public et le fidélisent.

L'hôpital est un bon exemple de territoire où développer des projets transmédias, en tout cas des projets ayant vocation à réunir. Il met en présence trois communautés : les patients, le corps médical et les proches. Comment pourra-t-on, demain, dessiner des expériences et produire des contenus qui rapprocheront ces différentes communautés, leur donneront des occasions de créer ensemble (n'oublions pas que l'art brut est né à l'hôpital) et feront en sorte qu'il devienne un lieu de vie et de rencontres ?

Par rapport aux modèles précédents, un studio, une agence, une société de production transmédia ou de contenus numériques et interactifs a tout intérêt à se comporter comme un groupe de musique, en faisant en sorte qu'il y ait une cohérence dans les œuvres qui sortent. Les albums d'un groupe musical ne sont pas tous identiques, ils surprennent parfois leurs audiences ; mais ils relèvent d'un style reconnaissable. De même, il est important d'associer une signature, un label à ses activités transmédias. De ne pas se contenter de répondre à la demande, ici ou là, des diffuseurs et de faire des choses très hétéroclites, mais garder une continuité dans le travail, une dynamique globale de ligne éditoriale, un certain positionnement, voire un engagement.

"Minidocs"

Small Bang est né avec la série documentaire Minidocs, explorant l'univers du jeu vidéo d'Éric Viennot, Alt-Minds (2012), coproduit par Orange et Lexis Numérique.

Pendant 60 jours, 10 personnes ont produit 40 minutes de film, de la page blanche jusqu'au PAD (prêt à diffuser), totalement en "do it yourself" et sur des thèmes de prospective. L'idée était d'être assez astucieux pour réaliser un tournage "zéro carbone", dans les locaux encore en travaux du studio. Ce projet a construit l'équipe car tout devait aller vite et chacun des collaborateurs avait beaucoup à apporter. La production a donc été totalement horizontalisée, de l'écriture au mixage. La réalisation des films, tous très différents les uns des autres, s'est faite en relais, pendant 2 mois. Deux personnes écrivaient les scénarios, une troisième préparait les tournages avec une quatrième qui assumait la direction artistique, puis les tournages duraient entre 2 et 12 heures pour chaque épisode. Une méthode de travail a été mise au point sur le tas, et l'idée d'orchestre et de sport collectif est née à ce moment-là. Sauf dans le cas de quelques projets d'artistes que Small Bang produit dans une forme plus classique, la création des projets est très distribuée. L'ingénieur du son, le monteur, le cameraman ajoutent à leur savoir-faire des atouts artistiques. Et ils ne sont pas, comme c'est souvent le cas ailleurs, bridés dans leur propre créativité.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 38/119 Des sociétés de production aux méthodes de plus en plus intuitives, elles aussi ? Source : http://www.dailymotion.com/video/xvnr50

En direct de Mediapart

Depuis 2011 (alors avec sa précédente société, 5ème Étage Production), Pierre Cattan et son équipe se chargent des lives de Mediapart , des rendez-vous en clair inspirés du Grand Journal de CANAL+. Le principe : pour un média ayant un paywall (l'accès au contenu du site est facturé 9 EUR par mois), mettre en place une émission en direct, tous les mois, gratuite, accessible à tous, et qui permet de teaser l'audience sur ce qui se trouve derrière le mur de paiement. Il s'agit de travailler sur cette audience pour essayer de la transformer en public.

Une cinquantaine de soirées transmises en direct ont ainsi été organisées, dont plusieurs depuis le théâtre du Châtelet, le théâtre de la Ville, le cirque Romanès... Ces tournages se font donc sans aucun filet, et ne sont pas montés ; puis, suivant une politique de replay, dès le lendemain, les émissions sont découpées, thématisées et mises à disposition sur les pages Dailymotion ou YouTube de Mediapart. Et cela fonctionne : le live comme le replay ont leur public.

Les journalistes de Mediapart, progressivement, ont profité des plateaux de ces directs pour inviter leurs sources, leurs interlocuteurs, des chercheurs, un grand nombre d'hommes et femmes politiques, des intellectuels, pour un temps long de prise de parole et une espèce de contre- programmation par rapport aux émissions politiques d'aujourd'hui, où l'on privilégie le format court. Et au fur et à mesure, ils réutilisent ces archives par extraits dans les articles de Mediapart. Pour les lecteurs de Mediapart, les lives représentent l'accès à un dialogue direct entre un journaliste et son interlocuteur. C'est donc aussi un outil citoyen.

Et l'idée, c'était de transformer l'audience en public, sachant que Mediapart, en 2011, avait 55 000 abonnés payants et plus de 600 000 followers sur Twitter. Chaque soirée live permet d'inviter ces personnes, de les faire bénéficier d'une offre commerciale et d'enregistrer des pics d'abonnement. C'est un outil de transformation basé sur le contenu éditorial.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 39/119 "La Tête à Tuto"

Sous la plume de dessinateurs et de journalistes, La Revue dessinée, un trimestriel de 220 p., propose des enquêtes, des reportages et des documentaires entièrement en bande dessinée. Fin 2014, en coproduction avec cette équipe, Small Bang a créé L’Émission dessinée. L'idée : décliner la ligne éditoriale de La Revue dessinée en webémission. On y trouve des débats, de la musique et du dessin en direct. Ce dernier sert de langage, de véhicule journalistique.

L'émission, trimestrielle, suit la parution de la revue. L'une des séquences s'intitule La Tête à Tuto, en hommage à Cabu ‒ c'est avec lui, en regardant Récré A2, que la génération de Pierre Cattan a appris à dessiner. Elle montre aux internautes comment caricaturer des personnalités politiques.

Small Bang ne vend pas de montage, il s'agit plutôt d'un transfert de technologie, d'outils pour les rédactions. Pour maintenir les coûts de fabrication (la vidéo coûte cher), l'idée est d'optimiser le temps et les moyens de production en procédant à un gros tournage plutôt que de fabriquer plusieurs émissions. La Tête à Tuto, ce sont en fait 5 heures d'émissions enregistrées et ensuite découpées.

Saurez-vous croquer Copé ? Source : http://www.youtube.com/watch?v=wOxEeGa8ZOw

"Cinemacity" ‒ Fictions balades

Coproduite avec Arte et Michel Reilhac en 2013, présentée au Forum Blanc en 2014, Cinemacity fait sortir de chez soi. Grâce à cette application, l'utilisateur peut, en se déplaçant et d'un épisode à l'autre, faire le tour d'un quartier de Paris pour (re)découvrir la capitale et des extraits de films à l'endroit même où ils ont été tournés. Dans le cadre de ce projet, Small Bang a produit des fictions balades, petites séries géolocalisées à l'échelle d'un quartier, en 5 épisodes.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 40/119 Balades cinéphiles dans les rues de Paname Source : http://vimeo.com/66319660

Websérie

Small Bang développe actuellement, avec le soutien du CNC et d'Arte Creative (Daniel Khamdamov), une websérie mettant en scène des animaux empaillés. L'écriture des 10 épisodes de 3 minutes est en voie d'achèvement. L'initiative artistique du projet revient à Adam Traynor, ancien leader des Puppetmastaz et réalisateur d'Ivory Tower, primé à Locarno.

BirdLab

Mise au point avec Vigie Nature, le laboratoire de sciences participatives du Muséum national d'histoire naturelle, l'application BirdLab est sortie mi-novembre 2014.

Les sciences participatives existent depuis plusieurs années. Souvenons-nous de l'expérience Foldit en 2008. Bloqués dans leurs travaux sur le sida, des chercheurs de l’université de Washington décidèrent de mettre à contribution la matière grise des internautes. Le département de biochimie et celui d'informatique mirent au point un jeu sérieux (serious game) expérimental, un puzzle en ligne visant à découvrir la structure d'une protéine. Le laboratoire de recherche avait prévu 5 années de travail pour venir à bout de ce mystère. Les internautes y sont parvenus en moins d'une semaine. Autant d'économies en termes de budget aussi.

Avec BirdLab, il s'agissait pour Small Bang de construire des outils applicatifs rapprochant les scientifiques et les citoyens. Vigie Nature avait mené cette campagne un an auparavant, mais selon une autre méthode et le taux de participation était resté très modeste. L'application lancée en novembre comprend une phase d'identification, dans laquelle on peut jouer n'importe où, et une phase de construction d'une mangeoire et de suivi d'un protocole scientifique. Le studio s'est efforcé, tout en travaillant avec les scientifiques, de rendre les choses les plus ludiques possible.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 41/119 La complexité en termes de design d'expérience utilisateur, c'est qu'on s'adresse à deux publics très différents : d'un côté les ornithologues, les passionnés de nature, dont un certain nombre est apparemment en froid avec la technologie ; de l'autre des technophiles qui connaissent comme tout le monde le pigeon et le moineau, mais ne font pas la différence entre un geai et une mésange. Il fallait donc concilier deux apprentissages : se servir d'une application et reconnaître les oiseaux. Dans l'un des scénarios de personas du studio, l'appli allait permettre, au sein des familles, un dialogue intergénérationnel.

Plus de 1 400 protocoles ont été renvoyés à Vigie Nature, contre 80 l'année précédente. C'est très positif pour le laboratoire, d'autant que BirdLab est un moteur réutilisable et qu'il est possible de programmer cette application pour mener d'autres campagnes à l'avenir, avec des papillons, des vers de terre, etc.

L'expérience a aussi plu aux participants du Forum Blanc, qui pouvaient télécharger l'appli et observer le comportement des oiseaux sur les mangeoires installées au Grand-Bo pour l'occasion !

Identifier 24 oiseaux de proximité et participer à leur étude Source : http://www.dailymotion.com/video/x2btb8j_observez-les-oiseaux-avec-l-application- birdlab_animals#from=embediframe

"Phallaina"

Phallaina est un projet mené à bien avec les Nouvelles É critures de France Télévisions . Cette application en cours de production sortira en janvier 2016. Marietta Ren, qui évolue dans le milieu de l'animation depuis 10 ans, propose une narration horizontale en noir et blanc, pour cette appli conjuguant sound design et défilement parallaxe. L'histoire mêle sciences cognitives et mythologie. L'appli sera gratuite en France. À cette expérience viendra s'ajouter celle d'une fresque physique de 115 mètres environ. Installée dans la rue (ou en pleine nature), elle invitera à déambuler et constituera donc une terminaison nerveuse narrative de Phallaina, avec une dimension street art. Dans ce système complexe, les utilisateurs pourront choisir leur langue et recevoir du son au fur et à mesure de leur déambulation.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 42/119 "Les Saisons"

En décembre 2015 sortira une autre application, destinée à accompagner le nouveau film naturaliste de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud : Les Saisons.

Toujours avec les Nouvelles Écritures de France Télévisions, le but est d'offrir une application qui raconte, de l'ère glacière (moins 18 000) à aujourd'hui, les métamorphoses des écosystèmes ; comment, par exemple, les loups ont été apprivoisés par les hommes et sont devenus des chiens. Il sera question d'environnement, de climat, de vie sauvage et de notre relation au vivant et à la nature.

La vie share, l'autre dimension de Small Bang

Airbnb, Uber, tous ces services issus du numérique ont, sans en avoir l'air, totalement changé notre façon de vivre et nous ont rapproché les uns des autres. La "vie share" est cette révolution collaborative que le studio a fait sienne.

Beaucoup de ses membres se sentent héritiers de l'open source, des valeurs qui ont été lancées dans les années 1970 au MIT (où le mouvement hacker est né) : le libre, la protection des données personnelles et l'ouverture des données publiques, bref, ce qui va totalement à rebours du projet commercial du web qui consiste à monétiser nos données personnelles et privatiser les données publiques.

Après les pirates du web, les corsaires : ces Surcouf et consorts des temps modernes se revendiquent des précédents tout en menant leurs activités conformément à la législation en place. Small Bang, financé par les fonds publics, porte souvent des projets à vocation servicielle et s'estime héritier de ces valeurs.

Avec l'agence Oikos et Francesco Cingolani, le studio a monté dans ses locaux un espace de coworking : Superbelleville.

L'Open Bidouille Camp

Small Bang a aussi cofondé, en 2012, l'Open Bidouille Camp, rassemblement populaire et festif s'inspirant de la Maker Faire, immense salon né aux États-Unis, regroupant des exposants adeptes de la créativité et de la débrouille, dans la droite ligne des mouvements ou cultures do it yourself et maker. L'Open Bidouille Camp, initié à Saint-Ouen, essaime désormais à Brest, Bordeaux, Nancy, Lille... et propose aux grands comme aux petits des ateliers soudure, impression d’objets en 3D, robots dansants en LEGO ®, fabrication de bombes végétales...

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 43/119 Ateliers, système D, convivialité Source : http://vimeo.com/50136721

Conclusion

Livres, revues, webséries, fictions... : Small Bang n'a pas envie de tourner la page sur quoi que ce soit. Le studio n'est simplement pas dans une approche linéaire des supports. L'important est plutôt de comprendre quel genre d'histoire le client veut raconter.

Côté applications, il se donne pour objectif de projeter l'utilisateur dans des expériences qui le mettent en contact avec le monde. La scène applicative, c'est un peu comme la scène rock dans les années 1960 : il y a des modèles d'affaires, des gens qui en vivent et des gens qui n'en vivent pas, mais cela n'en est pas moins le lieu d'une inventivité colossale. Beaucoup d'applis sont des jeux vidéo, c'est vrai, mais de nombreuses autres proposent des modes de narration différents. Les enjeux du transmédia ne se bornent pas à ceux de l'industrie du divertissement. Ces nouveaux outils, qui modifient la société en profondeur, sont autant de nouveaux territoires de liberté à explorer.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 44/119 Plénière

Storycode : pour un écosystème transmédia

Intervenants : Nadia Berg, cofondatrice, Storycode France – Benjamin Hoguet, cofondateur, Storycode France

Résumé

Né à New York en 2011, présent sur cinq continents et comprenant plusieurs sections en France, Storycode constitue désormais un réseau global regroupant des milliers de professionnels de la création, la production et la diffusion de projets innovants et transmédias. La communauté se réunit régulièrement lors de conférences et autres ateliers. Ces événements permettent à tous de mieux comprendre les problématiques auxquelles sont confrontés les acteurs du transmédia et d'ouvrir la voie à la création d'un écosystème viable, fonctionnel et efficace.

Mots clés open source ‒ Creative Commons ‒ méthode agile ‒ gestion de projet ‒ écosystème transmédia

Synthèse

Pas facile, d'établir une définition exhaustive du transmédia. Mais ce qui compte, n'est-ce pas l'innovation, qu'elle porte sur le format, le contenu, la structure scénaristique ? Explorer collectivement des choses nouvelles, passer en revue les succès mémorables pour s'en inspirer, tout comme les échecs pour éviter de les répéter, en somme instaurer de bonnes pratiques : telle est la raison d'être de Storycode, une série d'événements mensuels qui s'attellent à décortiquer l'écosystème du transmédia.

Storycode a été lancé fin 2011/début 2012 à New York, par deux producteurs transmédias, Mike Knowlton et Aina Abiodun, qui ont souhaité proposer un espace de dialogue commun à cette communauté émergente et précaire, sur les problématiques rencontrées par les différents acteurs du transmédia.

Depuis, Storycode est en croissance permanente. À ce jour, ce sont 7 sections locales (chapters) aux États-Unis, 1 en Amérique latine, 7 en Europe dont 4 en France (Paris, Grand Ouest, Grand Est et Paca) et 2 en Asie/Océanie.

Les fondateurs ont cherché à étendre le mouvement dans l'esprit de l'open source – les projets présentés eux-mêmes ne le sont pas forcément, c'est le concept de Storycode qui l'est, un peu comme les conférences TED. Dans chaque région, des projets intéressants sont élaborés dans leur coin. Ce qui préside à la création des différentes sections locales, c'est une dynamique de

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 45/119 mutualisation des ressources et des expériences, un esprit d'ouverture et de collaboration. Storycode Paris est la première section locale à avoir été lancée, en avril 2013, en dehors des États-Unis. La communauté est ouverte, rejoignez-la !

Environ une conférence par mois

10 conférences sont programmées en 2015. Elles se déroulent comme suit. – Un retour d'expérience (étude de cas) de 45 minutes, sur un projet qui est abouti. – Puis 3 porteurs de projets à des niveaux d'avancement différents (simple idée, prototype, teaser) disposent de 5 diapositives pour présenter leurs projets et faire part à la communauté présente de leurs besoins (ex. un auteur pour finir d'écrire, un graphiste, un développeur pour mettre en place un site), qui les relaie auprès du réseau. – Une carte blanche de 40 minutes permet à une personne de revenir sur un concept original, décortiquer un projet ayant été mené à bien, élargir la réflexion en abordant un grand thème entrevu. Libre à elle d'évoquer la production internationale, les problèmes de développement d'une application, le documentaire radiophonique ; le choix des sujets est vaste et ne se cantonne pas forcément au transmédia.

Au total, 2 heures d'échanges. Chaque intervention est ponctuée de questions-réponses entre le public et le porteur de projet. Il s'agit souvent de questions d'ordre budgétaire, les jeunes auteurs présents étant souvent curieux de savoir comment les projets ont pu être financés.

Chiffres Storycode Paris en janvier 2015 : – 13 conférences, chacune sur une thématique différente (en novembre : la fiction) – 1 105 inscrits au total – 82 inscrits en moyenne – 30 % de nouveaux inscrits à chaque fois, du fait que le spectre soit justement étendu à la fiction, au jeu vidéo, à l'édition numérique... – il ne s'agit pas forcément d'un public parisien – 54 projets ont été présentés : The Brussels Business, Cut ! (comment le community management a été géré sur cette série), MediaEntity (lors de la thématique édition), Génération quoi, C'est un beau pays (en avant-première avant diffusion sur France Télévisions), etc.

À retrouver en ligne, les podcasts et autres Storify de ces conférences.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 46/119 Storycode Paris, première conférence : retour d'expérience concernant The Brussels Business Source : http://www.youtube.com/watch?v=WUd7i10ujCQ

Des ateliers pour une méthode

Chiffres Storycode Paris en janvier 2015 : – 6 ateliers (workshops) – 48 heures de travail collaboratif – entre 35 et 40 personnes à chaque fois – 37 projets élaborés (tous n'ont pas perduré, certains sont arrivés à terme, d'autres sont en cours de production)

Mais au-delà des projets, la promesse de Storycode avec ces ateliers est d'aider les participants à trouver une méthode de travail, de création, et des partenaires potentiels ; apprendre à parler le langage du développeur, du designer de son équipe ou des autres équipes, pendant 2 jours, se mettre au diapason sur un certain nombre de dynamiques, de jargons, de problématiques propres à chacun et qu'on ne connaît pas avant d'en avoir fait l'expérience. Les organisateurs (un membre de l'équipe Storycode par projet ainsi que des mentors : auteurs, producteurs, journalistes, game designers...) essaient d'encadrer cela au maximum, et la méthode s'affine à chaque atelier.

Cette méthode, la voici. – Les 2 journées débutent par une séance de pitchs. Soit les storycoders viennent avec des projets déjà tout préparés, soit un thème leur est attribué et ils disposent d'un quart d'heure pour trouver une petite phrase qui amorce la réflexion. – Puis des équipes se constituent, composées de professionnels aux compétences différentes et complémentaires (développeurs, designers, auteurs, producteurs...). Elles travaillent pendant 48 heures, il y a des séances de brainstorming sur les arcs narratifs. Le format n'est pas encore évoqué à ce stade, on parle de structure, de personnages. – On intègre dans la démarche la typologie des utilisateurs ciblés. – Choix de l'environnement technologique, des plateformes sur lesquelles on va vouloir décliner son projet.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 47/119 – Enfin, les groupes ont des livrables à rendre, comme une intention d'auteur, un scénario utilisateur, et un pitch à la fin, voire un prototype. Cela se fait devant un jury de qualité (France Télévisions, Arte, Orange Lab...), qui fait part de ses appréciations.

Cette méthode relève du Creative Commons. Et le but, c'est de faire en sorte qu'elle ne soit pas consommatrice de ressources (sauf en post-it !). Elle se veut très agile, adaptable en fonction des spécificités des uns et des autres, des compétences dont on est entouré.

Premier atelier Storycode Grand Ouest à Nantes, en présence de Mike Knowlton, cofondateur de Storycode Source : http://www.youtube.com/watch?v=z7u_BnQ8EC0

Peut-on vraiment parler d'écosystème transmédia ?

Quelques professionnels témoignent.

"Je ne pense pas qu'un écosystème transmédia solide existe déjà, mais la meilleure chose qui puisse arriver, c'est que l'ensemble des projets aujourd'hui pensés en silos soient pensés en transmédia, c'est-à-dire pour plusieurs supports à la fois, en termes de distribution dans un premier temps, et idéalement aussi d'un point de vue narratif."

"En France, il y a un écosystème transmédia qui commence à se mettre en place. La première preuve de cette structuration, c'est l'aide aux projets pour les nouveaux médias du CNC qui date déjà de 2007. Arte puis France Télévisions, CANAL+, et même TF1 se sont dotés soit de départements, soit en tout cas de ressources et de personnel dédiés à ces nouvelles écritures. Il y a donc des financements à la fois institutionnels, publics, et un peu privés, mais pour que ça devienne vraiment une industrie dynamique, il manque encore des acteurs financiers plus importants."

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 48/119 Pourquoi rejoindre la communauté des storycoders ?

Les storycoders sont variés : webdesigners, créatifs, artistes, personnes souhaitant travailler avec des musées, professionnels du livre, professionnels de la publicité ou du marketing, beaucoup d'étudiants, chômeurs, professionnels des médias, journalistes voulant développer une branche nouveaux médias. Ils viennent chercher des idées, former de nouvelles équipes.

Qu'apporte Storycode à ces participants, à cette communauté qui grandit ?

"Storycode est nécessaire parce qu'il participe à ce foisonnement créatif collectif... parce que c'est un événement récurrent, et pas de manière annuelle mais presque de manière mensuelle, et c'est en cela qu'il peut aider notamment les créateurs et ceux qui n'ont pas toutes les adresses nécessaires et ont du mal à ouvrir les portes... Storycode est important pour mettre un pied à l'étrier à des auteurs qui méritent ce coup de pouce."

"Des initiatives comme Storycode peuvent mettre en contact des professionnels qui n'ont pas l'habitude de se parler, faire découvrir des projets aussi, en cours de développement ou déjà produits. Ce que j'ai découvert à Storycode, c'est une façon d'élargir le public, lui faire découvrir un genre de projet qu'il ne connaît pas forcément, et je pense en particulier à la communauté des développeurs."

"Il est important d'accompagner et de faire découvrir ces nouvelles formes de narration et d'expérience interactive et ça passe par des cycles de conférences, des réunions de présentation et d'échanges, pour montrer le champ des possibles, tant d'un point de vue narratif que d'un point de vue créatif, interactif et technologique."

"Ce que Storycode fait très bien, c'est la mise en relation de différents univers, notamment ceux du web et de l'audiovisuel, mise en relation très précieuse, à travers les soirées et les hackathons, qui permettent d'apprendre à travailler ensemble."

"Ce qui me semble le plus précieux... c'est cette constitution d'un réseau très opérationnel de créateurs, à travers plusieurs disciplines : des auteurs nouveaux médias, des développeurs, des directeurs artistiques, des concepteurs. Beaucoup de développeurs souhaitent se lancer là- dedans parce qu'ils en ont entendu parler et trouvent ça passionnant, mais ils ne connaissent pas d'auteurs. Des auteurs qui ont peut-être une bonne idée mais ne sont pas des développeurs et n'en connaissent pas."

Où va Storycode ?

Les bénévoles de cette association ont dégagé quelques pistes de réflexion.

– Mettre en place, avec tous les participants, un annuaire leur permettant de se recontacter après ces deux journées intensives. – Au-delà de la section francophone, développer une association professionnelle regroupant tous les sections locales dans le monde. Cela permettrait de mettre en place des fiches pratiques en open source, à la disposition de la communauté (ex. comment produit-on aux États-Unis ? à Singapour ? y utilise-t-on les mêmes outils ? comment y travaille-t-on avec les développeurs ?). – Constituer une boîte à outils concernant des applications, des logiciels qui vont servir dans la création (ex. tutoriel sur Celtx pour écrire des scénarios). – Mettre en place un think tank...

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 49/119 Étude de cas

"Do Not Track"

Intervenante : Margaux Missika, productrice, Upian, France

Résumé

L'exploitation des données personnelles promet des avancées majeures dans certains champs de recherche. En attendant, derrière la gratuité du web, leur collecte nourrit une gigantesque économie dont nous sommes le produit. Et à quoi ressemblera notre société si ces données deviennent accessibles aux assureurs, aux créanciers ? Do Not Track est une série documentaire sur le tracking, qui piste le visiteur pour lui faire saisir par l'expérience comment cette surveillance de nos vies numériques s'opère à notre insu.

Mots clés webdocumentaire – données personnelles – tracking – gratuité du web – cookies – vie privée – économie de l'attention – big data – compatibilité – durabilité – coproduction internationale

Synthèse

Le réalisateur canadien Brett Gaylor et Upian ont décidé d'adopter une approche grand public et souhaité, avant toute prise de position, informer les internautes.

Sept épisodes de 5 à 10 min seront diffusés de mars à juin 2015. Différents sujets y seront abordés : les cookies, le péché originel du web (genèse du tracking) ; les réseaux sociaux ; le téléphone mobile ; l'économie de l'attention ; jusqu'où on peut aller dans la personnalisation ; le big data, ses bienfaits et méfaits ; l'avenir du tracking.

Une démarche pédagogique originale

L'astuce consiste à proposer, via un player vidéo, des épisodes en apparence relativement linéaires, alors qu'en réalité ils se nourrissent en partie d'éléments issus instantanément du web.

Il s'agit en effet d'un programme personnalisé sur la personnalisation, qui utilise les outils du tracking pour expliquer le tracking.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 50/119 Le but du 1er épisode est double : introduire le sujet et, à la manière des entreprises de marketing qu'Upian s'est efforcé d'imiter, obtenir l'adresse électronique de l'utilisateur.

Dans chaque épisode, des données le concernant sont collectées, explicitement (les informations qu'il saisit, les gifs qu'il envoie...) ou pas (pays depuis lequel il se connecte, environnement PC ou Mac, data aspirées au cours de sa navigation sur d'autres sites...), et lui sont "resservies" au fur et à mesure.

Tous les utilisateurs ne voient donc pas la même chose au même moment. Le film diffère même pour chacun d'entre eux, selon les infos récupérées à l'instant T.

De plus, la série est localisée : il existe deux versions francophones, une anglophone, une germanophone, qui mettent en scène des hôtes différents (le Français Vincent Glad, la Québécoise Sandra Rodriguez...) et respectent les spécificités culturelles des pays.

Enfin, le programme intègre un système de conversation permettant de tenir compte en temps réel du message de l'internaute, mais aussi de l'actualité analysée par nos partenaires (2015, année du big data selon Deloitte) pour proposer les contenus les mieux à même d'informer.

Pour obtenir ce niveau de personnalisation, il a fallu relever un certain nombre de défis.

1 ‒ Récupération de données

N'étant pas Google, Upian a dû se soucier de générer une participation plus active des utilisateurs.

2 ‒ Compatibilité

Mettre au point un player fonctionnant très bien sur un ordinateur n'a pas posé de problème ; mais faute de standard aujourd'hui, le rendre opérationnel sur tel mobile ou telle tablette a démultiplié le temps de R&D.

3 ‒ Durabilité

La durée de vie du projet est contractuellement de 3 ans : lancement des épisodes sur 4 mois, période de grande visibilité ; puis sur 2 ans et demi, période de longue traîne. Ensuite ? À rediscuter avec les diffuseurs.

Une question se pose néanmoins : comment maintenir un projet dans le temps, quand son fonctionnement dépend de technologies tierces soumises au changement (ex. mise à jour de Google Maps API) ?

C'est là tout l'avantage d'être aussi un studio de création : contrairement à une société de production classique, Upian dispose d'une équipe de développeurs prompts à réagir.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 51/119 "Let's track the trackers!" avec le réalisateur Brett Gaylor

Une coproduction internationale

Pour ce projet, Upian s'est entouré de ses partenaires historiques Arte et le CNC ; et d'autres partenaires étrangers : la chaîne BR (Bayerischer Rundfunk), l'ONF (Office national du film du Canada), Tribeca Film Institute et CBC/Radio-Canada. Quant aux membres de l'équipe, certains étaient basés à Vancouver, Seattle ou encore Washington.

Cette dimension internationale a permis de mutualiser les budgets. Avantageux, quand on sait que la production d'un documentaire interactif, parce qu'elle fait intervenir d'autres métiers et qu'on est encore sur un terrain expérimental, coûte plus cher que celle d'un linéaire.

Elle a aussi soulevé deux difficultés principales.

1 ‒ L'absence de cadre régulateur

Concernant les nouveaux médias, il n'existe pas actuellement de cadre régissant les coproductions internationales. À l'heure de la mondialisation, il n'est donc en fait pas simple de passer un contrat avec un diffuseur d'un autre pays ou de rémunérer des collaborateurs étrangers.

Or une collaboration internationale est un gage de visibilité.

En effet, on ne distribue pas un contenu web comme un contenu audiovisuel : des milliers de sites sortent chaque jour, et il ne suffit ni de localiser le sien, ni de traiter d'un sujet concernant un territoire donné, pour sortir du lot.

Et si chaque diffuseur étranger apporte un budget, il apporte aussi un carrefour d'audience. Mieux : il a été décidé pour ce projet de mettre en place un partenariat éditorial. Cela représente une vraie puissance de frappe car le média partenaire sait comment formuler le contenu du programme numérique pour toucher sa propre audience ; il peut aussi le favoriser en consacrant des dossiers à des thématiques qui y sont abordées.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 52/119 2 ‒ Des divergences culturelles

Tous les pays n'ont pas la même conception de la vie privée et des données personnelles. Par ex., le fait que Google ou Amazon collectent leurs données scandalise les Français ; que le gouvernement le fasse scandalise les Américains.

Concernant la langue française, les emprunts acceptables pour les Québécois ne sont pas les mêmes que pour les Français. Le titre sera donc Do Not Track partout dans le monde sauf au Québec. Et le programme sera diffusé en français de France, français du Québec, anglais et allemand.

Les modes de taggage pour calculer l'audience sont différents et posent des problèmes d'éthique. Et implémentés sur un même site, ils le ralentissent.

Ces particularismes sont malgré tout très intéressants : en tenir compte permet de toucher ces publics si différents. Ils permettent en outre, pour les initiateurs du projet, de prendre du recul sur un sujet aussi sensible que celui des données personnelles.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 53/119 Étude de cas

"Easy Coming Out"

Intervenants : Méline Engerbeau, productrice transmédia, Once Upon, France – Gilles Freissinier, directeur du développement numérique, Arte, France – Manon Harsigny, chargée de production, scénariste nouveaux médias, Once Upon, France

Résumé

Easy Coming Out ‒ Le Coming out facile est un faux programme de coaching en ligne. Savant mélange d'information et de dérision, ce webdocumentaire tord le cou aux préjugés sur l'homosexualité. Comme toute innovation, il apporte son lot d'enseignements : la multiplication des niveaux de narration et des outils numériques est un écueil ; le travail de community management ne doit être minimisé ni en temps ni en budget ; une expérience interactive décalée, pour un public que le mot transmédia laisse perplexe, c'est possible !

Mots clés coming out ‒ webdocumentaire ‒ homosexualité ‒ mariage pour tous ‒ homophobie ‒ narration interactive ‒ coaching ‒ LGBT

Synthèse

Développement : juin 2012 ‒ juillet 2013 Production : septembre 2013 ‒ juin 2014 Diffusion : juin 2014 ‒ juin 2017

Budget total : 285 000 € Soutiens : CNC, Région Aquitaine, Têtu/Yagg

Casser les codes

Arte avait retenu ce sujet avant même le débat sur le mariage pour tous.

L'objectif était double. D'une part, s'intéresser à une question de société, ici sous l'angle de l'intime. D'autre part, la traiter de manière originale en se servant des outils du numérique et en adoptant un ton léger, décalé, pour ce sujet sérieux.

La cible ? Prioritairement les 15/25 ans, plus nombreux à souffrir en silence (30 % des

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 54/119 homosexuels de moins de 25 ans auraient déjà tenté de se suicider). Ensuite leur entourage. Donc au final, nous tous.

D'où le parti pris éditorial d'un webdocumentaire comique : l'humour est universel.

Le contenu du programme se répartit en 3 registres. - La ligne narrative principale : une parodie de programme de coaching en ligne, l'intention étant de passer par le second degré pour capter l'attention et aborder un sujet difficile. - Le faux coach (Manuel Le Coac'h) s'appuie sur de vrais témoignages collectés lors d'une résidence d'écriture au Refuge à Montpellier. Des moments de coming out ont été recréés sous forme de saynètes. - Un volet journalistique (les Easyfiles) documentant les problématiques soulevées par le coach. Les internautes y trouvent des statistiques, des articles sur le genre, l'histoire du coming out, l’homophobie, homosexualité et ADN, etc.

Le résultat est un webdocumentaire satirique finalement pas si simple à appréhender. Les différents niveaux de langage et la navigation ont pu poser quelques difficultés.

N'oublions pas que les projets transmédias tiennent encore aujourd'hui du prototype. Le langage de la narration interactive en est encore à ses balbutiements (voir la Keynote).

Mais l'intérêt du numérique, c'est qu'on peut procéder à des ajustements, faire évoluer le programme régulièrement.

Et les difficultés rencontrées permettent d'orienter la réflexion concernant les projets à venir : même si on a envie d'être exhaustifs sur le fond parce que le sujet est complexe, et riches dans la forme parce que sur le web on n'est pas limité par un type de média, l'accessibilité doit rester un maître-mot.

Le ton est donné ! Source : https://www.youtube.com/watch?v=iqtkq-HWIRs

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 55/119 Se partager les tâches

Once Upon a commencé à communiquer sur le programme dès la phase de développement, sur un profil et une page Facebook dédiés, un compte Twitter, un Tumblr et une campagne publicitaire sous la marque Manuel Le Coac'h.

Arte a communiqué sur le programme en tant que programme, sur ses propres supports (site web, magazine, comptes sociaux), via une campagne de pubs Facebook institutionnelles, ses relations presse et la recherche de partenaires médias.

Préparer le terrain

La communication en amont s'est faite surtout auprès des professionnels.

Un ensemble de dispositifs ont toutefois été mis en place dans le but d'animer une communication offrant déjà des contenus et de créer une communauté avant le lancement.

‒ Création d'une page d'attente pour collecter les courriels des internautes souhaitant être avertis de la sortie du programme

‒ Création d'un compte Twitter et d'une page Facebook Easy Coming Out, destinés à opérer une veille sur ce sujet peu traité, faire des appels à témoignages, travailler sur les followings pour se faire connaître de médias et d'influenceurs

‒ Création d'un faux profil Facebook pour Manuel Le Coac'h et demandes d'amis adressées à des personnes susceptibles de servir de relais d'opinion au moment du lancement

‒ Réalisation d'une bande-annonce

‒ Recueil de témoignages sur la plateforme Tumblr pour commencer à générer de l'audience avant le lancement du programme

‒ Achat d'espaces publicitaires pour la méthode, par le faux coach, sur de vraies régies

La plupart de ces dispositifs ont été proposés en français, anglais et allemand.

Faire l'événement ou surfer dessus

Lancement a eu lieu le 24 juin 2014. Le gros des moyens y a été consacré.

Il s'est fait comme pour un programme TV, avec une annonce à la presse 3 semaines avant la diffusion, l'envoi régulier de communiqués de presse.

Un programme web, ça ne se lance pas au petit bonheur la chance, ça s'"événementialise".

Première stratégie : traiter le webprogramme comme un événement en soi

‒ Avec les médias partenaires, soit généralistes, ex. LeMonde.fr (puissance de frappe mais

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 56/119 risque que le contenu soit noyé) ; soit spécialisés (affinités plus fortes avec la cible mais audience moins importante) ; l'idéal étant d'avoir les deux. Sur ce projet, les seconds ont été davantage sollicités, avec une mise à disposition d'espaces publicitaires valorisée à 5 000 €, avec 2 articles de mise en avant du programme au moment de son lancement (un sur Yagg.com, un sur Têtu – habillés pour l'occasion).

‒ Sur les réseaux sociaux : habillage de la page Facebook dédiée, de la page Facebook Arte (qui a plus d'1 M de fans) ; habillage et animation du compte Twitter.

‒ Lancement de la campagne de fausses pubs de Manuel Le Coac'h.

‒ Création d'une nouvelle bande-annonce, grand public, mis en ligne sur YouTube.

‒ Mise en avant sur la page d'accueil d'arte.tv et de la plateforme ARTE Info.

‒ Rédaction du dossier de presse et des supports de communication.

Cette campagne de promotion a duré 2 semaines.

Seconde stratégie : se raccrocher à une actualité précise

Qu'il s'agisse d'un événement mondial (ex. Journée du coming out le 11 octobre) ou de la diffusion à l'antenne d'un programme portant sur le même thème (ex. double page dans Arte Magazine des 5 et 6 juillet 2014, liée à un temps fort de l'antenne : le Pink week-end).

3 000 € ont été dépensés en achat d'espaces. Il reste reste 1 000 € qui serviront à une future campagne commune : en juin 2015, Arte diffusera le documentaire Tellement gay qui sera l'occasion de remettre en avant Easy Coming Out après avoir corrigé quelques bugs.

Une webproduction peut, on le voit ici aussi, avoir une vie à la fois au moment de son lancement, mais aussi ultérieurement.

Bilan : qualité contre quantité

Page web

D'après Google Analytics, Easy Coming Out suit le schéma classique d'un webprogramme en termes d'audience : - page d'attente : + de 2 600 visites - jour du lancement : + de 4 500 visites - 3 premières semaines de diffusion : environ 50 000 sessions - depuis : presque 3 000 visiteurs par mois (sans promotion) La relance de juin 2015 pourrait permettre d'atteindre les 100 000 visites.

Durée de session : 4 min 30, moyenne satisfaisante étant donné quelques problèmes techniques.

Éditorial : taux de rebond de 59 %. À cause du ton des saynètes ?

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 57/119 Partenariats médias

Nombre de visites générées par le partenariat avec Têtu.fr et Yagg.com plutôt décevant. Un regret : le programme s'adresse aussi aux hétérosexuels, mais le choix des médias partenaires a renforcé l'idée qu'inspirait déjà le sujet : qu'il appartiendrait à une communauté.

Réseaux sociaux

La majeure partie du travail de communication a été effectuée sur les réseaux sociaux. Les réseaux ont généré près d'un tiers des visites.

Twitter : très efficace, en particulier comme outil de lancement : 280 followers mais 500 mentions recommandant le programme (leaders d'opinion généralistes ou LGBT, et professionnels des médias).

Tumblr et YouTube : peu de visites mais outils qualitatifs (durée moyenne de session : 9 min)

Facebook (pages programme et coach) a touché une majorité de visiteurs : outil viral.

Nombre de fans pas exceptionnel, mais tel n'était pas le but (les moyens de l'animation que ça aurait supposé n'étaient pas réunis). Il s'agissait plutôt d'obtenir une qualité de conversation avec des relais d'opinion (résultats très satisfaits).

Choix de la vraie-fausse campagne publicitaire particulièrement efficace Les pubs sont devenues de véritables contenus du programme, suscitant de nombreux clics, likes, partages et commentaires.

Pubs les plus efficaces : celles aux couleurs arc-en-ciel et celles qui ciblaient des personnes qui likaient déjà Têtu.fr ou Barbieturix.com. Là encore, difficile de toucher les hétérosexuels.

Important de surveiller les statistiques pour optimiser en temps réel communication, navigation et production.

Intéressant aussi de dégager un verbatim en servant par ex. de Radarly. Vocables récurrents : expérience, ovni, truc marrant, bon moment. Peu d'internautes parlent de webdocumentaire. Donc la cible principale est atteinte : un public de jeunes. Et la volonté de dédramatiser le coming out semble avoir porté ses fruits.

Tumblr

- 3 500 visiteurs avant le lancement (donc fort rôle de teaser) - 6 000 visiteurs à ce jour - plus de 60 contributions longues et de qualité, émanant de LGBT comme d'hétéros

Retombées presse

Pas énormes mais enthousiastes, et avec une longue traîne (Slate.fr a récemment cité le programme à l'occasion de l'outing d'un homme politique). Un seul article négatif, expliquant que le programme cherchait à banaliser le coming out des personnes LGBT : bien vu ! <*><*><*>

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 58/119 Étude de cas

"Fort McMoney"

Intervenant : Philippe Lamarre, producteur, Toxa, Canada

Résumé

Fort McMoney est une plongée documentaire, interactive et ludique dans Fort McMurray, ville champignon jaillie de l'exploitation pétrolière de ses environs. Entre les partisans de l’or noir et ses opposants, la tension est forte. Il en va de milliards de dollars, d’indépendance énergétique, d’écologie et d’enjeux sociaux. Soucieux de démocratie, le jeu amène les utilisateurs à se pencher sur un sujet sérieux et leur donne la possibilité de faire des choix éclairés aiguillant le destin virtuel de la cité.

Mots clés

Fort McMoney – Fort McMurray – sables bitumineux – exploitation pétrolière – démocratie – SimCity – navigation immersive et gamifiée – expérience collective en temps réel – jeu documentaire

Synthèse

Fort McMoney est un jeu documentaire web & iPad produit par Toxa et l’ONF en collaboration avec Arte. Il a été coréalisé par David Dufresne (auteur) et Philippe Brault (directeur de la photographie). Une version long métrage sortira en 2015.

"SimCity" plus vrai que nature

Fort McMoney est le jumeau virtuel de Fort McMurray, ville réelle de l'Alberta. Capitale mondiale de l'exploitation des sables bitumineux, elle se caractérise par son gigantisme industriel, sa démographie galopante – et par son taux de participation aux élections, le plus bas du Canada.

Alors, la démocratie est-elle soluble dans le pétrole ?

Souhaitant faire un documentaire qui serait un genre de SimCity, David Dufresne nous propose d'"aller des deux côtés – industriels, environnementalistes – comme sur une ligne de front (…) d'écouter les logiques des uns et les convictions des autres" puis de débattre avec les autres joueurs, répondre à des référendums, et sceller le sort de Fort McMoney.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 59/119 Un projet pharaonique

Le projet a convaincu les partenaires (l'ONF, le FMC, Arte) avant tout parce qu'il ne s'agit pas d'un film militant, mais un jeu qui laisse les clefs de la ville à l'utilisateur.

Son arborescence témoignage de son ampleur, qui ne fait que refléter celle du projet politique d'exploitation des sables bitumineux de Fort McMurray.

Abondance de contenu ne nuit-elle pas ?

Quelques chiffres donnant une idée de son envergure : – 2 ans d'enquête – 1 940 heures de développement – 60 jours de tournage à -20/-30° – 55 interviews – 22 lieux à explorer dans la ville – plusieurs centaines de parcours possibles – 515 choix de dialogues – 8 heures de contenu – adaptation en 3 langues

Trois ingrédients majeurs

Ce qui fait la particularité de ce projet, c'est sa matière première : du contenu documentaire vidéo et photo obtenu sur place.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 60/119 C'est aussi la navigation immersive et gamifiée. Certes, elle se fait à l'aide de menus et autres boutons, mais l'interface, ce sont des personnages, des lieux, un univers réel.

C'est enfin l'expérience collective en temps réel qu'il propose. Le but est d'amener les joueurs non seulement à naviguer et consommer du contenu, mais surtout à participer aux débats et voter.

Partenariats : tendre vers l'objectivité

Noués avec Radio-Canada (Canada francophone), The Globe and Mail (Canada anglophone), Le Monde (France), Süddeutsche Zeitung (Allemagne), Neue Zürcher Zeitung (Suisse) et Rue89 (France), les partenariats sont intéressants à plus d'un titre.

Ils ne s'agit pas seulement pour ces médias de diffuser des bandes-annonces du projet, mais de l'intégrer sur leurs plateformes, en cohérence avec leurs dossiers sur l'extraction petroliere. C'est ainsi que Süddeutsche.de a amene environ 20 % de l'audience totale.

En tant que super-joueurs, des journalistes de différentes couleurs politiques s'affrontent.

Dans chacune des 3 langues, un maître de jeu prend en charge l'animation des débats et relance ces derniers en s'appuyant sur des articles des partenaires.

Ces partenariats ont permis de légitimer le projet auprès de l'ONF, qui est une branche du gouvernement fédéral, et alors que celui-ci est favorable à l'exploitation des sables bitumineux.

Ils offrent la possibilité à un panel d'internautes international et non tendancieux (lecteurs de médias politiquement mixtes, donc de tous bords politiques) de montrer ce qu'ils feraient si on leur donnait le contrôle de la ville.

Fort McMoney : à vous de jouer ! Source : http://www.youtube.com/watch?v=Cwd8PoLt3y4

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 61/119 Mission accomplie

Les objectifs sont atteints... – Réinventer la forme : grâce au jeu documentaire, susciter l'intérêt pour un sujet peu évident (green fatigue). – Offrir une profondeur de contenu apte à pérenniser Fort McMoney comme illustration d'un moment de l'histoire de l'industrie pétrolière. – Conclure des partenariats médias sur plusieurs territoires, vrai challenge (temps et argent) mais gage de grand retentissement. – Bénéficier d'une liberté créative et éditoriale laissée par les partenaires (seule condition : traiter le sujet avec rigueur).

… en dépit de certaines difficultés. – Tourner et ensuite seulement scénariser l'expérience : complique la gestion des échéanciers et du budget. – Trop de matière, c'est comme pas assez : certains contenus de qualité plus difficiles d'accès ont été peu visionnés. – Des équipes peu préparées à un tel marathon : en général, les projets web ne s'étalent pas sur 3 ans, mais sur 6 mois/1 an. – Un délai de livraison obligeant à escamoter les phases de test, d'où un certain nombre de bugs.

Les résultats chiffrés : – 2 000 000 de pages vues – 650 000 visites – 425 000 joueurs – 22 000 joueurs hardcore

Surtout, avec 7 000 commentaires substantiels, Fort McMoney ne se contente pas de valider une nouvelle forme de narration : il convainc le public de s'impliquer dans un débat sur des questions énergétiques majeures.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 62/119 Étude de cas

"Soundhunters"

Intervenants : Nicola Blies, cofondateur, producteur, a_BAHN, Luxembourg – François Le Gall, producteur interactif, Camera Talk Productions, France

Résumé

Avec Soundhunters, nous sommes tous invités à découvrir la richesse sonore du monde et à y contribuer. En abordant les langues et les bruits du quotidien comme un matériau brut pour la création musicale, le programme compose une photographie sonore de notre environnement et transfigure l'échantillonnage en une empreinte humaine. Puisque la musique est une langue universelle, et le monde, son instrument, la production d'un album musical collectif viendra ponctuer l'expérience.

Mots clés webdocumentaire – sampling – échantillonnage – musique concrète – musique électronique – soundhunter – chasseur de son – Jean-Michel Jarre – Björk – Guarani

Synthèse

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 63/119 Genèse et intention

Sorti de terre il y a 2 ans déjà, le projet sera achevé au printemps 2015 pour un budget de 730 000 € (hors développement).

Cette première coproduction transmédia Luxembourg-France créée par Marion Guth, François Le Gall, Stéphane Hueber-Blies, Beryl Koltz et Nicolas Blies comprendra : ‒ un film unitaire de 52 min destiné à la TV ‒ un webdocumentaire composé de 4 courts métrages interactifs ‒ une application de création musicale collaborative pour desktop, mobile et tablette (iOS et Android) ‒ un album de musique.

Le monde qui nous entoure est sonore : il est peuplé de voix, des bruits de la nature ou de l'espace urbain... Ces sons bruts auxquels on ne prête pas toujours attention sont pourtant dotés d'un potentiel émotionnel, créatif, narratif, parce que chacun d'entre eux a un contexte, porte une histoire. Ce sont ces histoires que le projet veut raconter.

De Pierre Schaeffer dans les années 50 à Björk aujourd'hui, des artistes ont détourné et recyclé ces matériaux sonores pour en faire des œuvres musicales.

De même, Soundhunters propose à chacun d'entre nous ‒ profane, musicien amateur ou professionnel ‒ de devenir un chasseur de sons du quotidien et de les mettre en scène pour générer une création musicale exprimant notre vision du monde.

"Parler ensemble du réel avec une approche sensible du monde" ‒ Nicolas Blies

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 64/119 Côté éditorial

La narration a été structurée en 4 grands pôles : Listen, Watch, Rec et Play, qui correspondent à des expériences utilisateurs différentes. L'idée ? Faire entrer les publics par toutes les portes dans le projet, puis les faire circuler au sein des contenus. On peut imaginer une multitude de parcours possibles. En voici 3.

Harold, 29 ans, Luxembourg, pas musicien mais détenteur d'un compte Spotify et actif sur les réseaux sociaux

Sur Facebook, Harold apprend que son ami Ziad a publié une création musicale. Or Ziad n'est pas plus musicien que lui. Sur le site qui héberge le morceau, il découvre que son ami a déjà réalisé 56 échantillons sonores, 8 créations musicales, et noué un certain nombre de contacts.

Il écoute les créations des uns et des autres, notamment Lucid Dream du compositeur de musique électronique Daedelus. Puis visionne le film qui lui est proposé, un documentaire retraçant l'expérience immersive que Daedelus a menée à Berlin durant une semaine, avec pour mission de capter des sons en extérieur et d'en tirer cette composition musicale.

À la fin du film, proposition est faite à Harold de télécharger une application mobile et tablette dotée de plusieurs fonctionnalités. La première est l'outil Rec, qui permet de sampler son environnement ; offre une palette d'effets pour transformer cette matière première sonore (ajouter de l'écho...) ; est doté d'une fonction de taggage et de géolocalisation du son.

La volonté de mémoriser le contexte de chaque son est en effet au cœur du projet. Où a-t-il été enregistré ? De quel type de son s'agit-il ? Quelles étaient les conditions météorologiques ? Ces informations permettront d'enrichir une immense base de données (1 300 sons à l'heure du Forum Blanc).

Le réseau social de la plateforme permettra de l'étendre encore. Par ex. un musicien se trouvant à Annecy et ayant besoin de bruits de mer, pourra solliciter les soundhunters situés sur la côte.

Harold découvre donc un nouveau vecteur d'expression. Il crée son compte pour rejoindre la communauté des chasseurs de sons.

Paula, 36 ans, Stuttgart, friande de documentaires de création

Devant son petit écran, elle découvre le film Soundhunters qui présente 8 profils de musiciens reconnus à l'international : Matmos, Björk, Matthew Herbert, Chassol, Jean-Michel Jarre, Blixa Bargeld, Cosmo Sheldrake et Luke Vibert. Tous ont pratiqué le soundhunting, chacun dans une démarche singulière, poétique ou engagée, populaire ou conceptuelle.

Beryl Koltz, la réalisatrice, a mis en place un dispositif documentaire original : 2 personnages muets accompagnent le spectateur dans un tour du monde à la découverte de ces musiciens chevronnés.

À la fin de la diffusion à l'antenne, Paula est invitée à découvrir le site pour prolonger l'aventure documentaire.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 65/119 Là, elle lance un webdoc sur Simonne Jones, jeune musicienne américaine envoyée une semaine au Brésil pour y suivre une ethnie guaranie et s'intéresser en particulier à sa langue. C'est pour Simonne Jones une expérience forte (initiation à des rites chamaniques) dont elle tire une œuvre musicale, que Paula peut écouter.

En tout, 4 artistes actuels ont été envoyés en mission de soundhunting, à São Paulo, Lagos au Nigeria, Berlin et New York. Résultat : 4 films d'une dizaine de minutes, faisant la part belle aux langues (en danger, en renouveau, en mutation). Ces films pédagogiques incitent l'utilisateur à tenter l'expérience à son tour.

Celui consacré à Simonne Jones a été enrichi de quelques-uns des samples restants sur les centaines recueillis lors du tournage. Ils ont été placés tout au long du court métrage pour évoquer certains aspects qui n'y ont pas été traités. Paula réalise qu'elle n'est pas devant un documentaire classique. Elle va pouvoir utiliser ces échantillons sonores, les détourner, les recycler, en faire des performances artistiques sur l'application de composition musicale, dans l'espace Play.

À terme, un algorithme reprendra les samples enregistrés par les internautes pour générer automatiquement un flux sonore sur lequel l'internaute pourra influer en temps réel. Il sera possible de modeler ce flux en modifiant la vitesse ou le ton ; mais aussi d'intervenir sur la nature des samples qui le composent.

L'interface est dotée d'un moteur de recherche permettant de filtrer le flux au moyen de mots clés entrés dans la base par l'ensemble des utilisateurs. On peut par ex. ne retenir que les sons ayant été enregistrés à Paris, les sons pris la nuit, et filtrer le flux avec ces 2 tags.

C'est à ce moment que naît la magie, car on ne joue plus seulement avec du son mais avec du sens ; on est à même, en cumulant ses choix, de bâtir des univers.

La dimension participative et collaborative du programme étendra de la même façon les limites du possible : quand un utilisateur fera une composition musicale, n'importe qui pourra partager ce flux et le modifier par ex. en ajoutant ses propres sons.

Mike, 26 ans, Los Angeles, étudie la musique à Dubspot

Des partenariats ont été noués avec des écoles dans le monde, afin de créer une première audience et de bêta-tester les fonctionnalités Rec et Play.

L'un des professeurs de Mike lui parle d'un concours musical organisé dans le cadre de Soundhunters. L'étudiant découvre le projet transmédia et constate que Luke Vibert y a pris part. Il écoute la composition The Listening Machine issue de l'expérience immersive du professionnel à New York. Comme c'est un musicien, Mike dispose d'une panoplie d'outils, de logiciels de musique.

Un partenariat a été conclu avec le premier éditeur de logiciels de musique au monde, Native Instruments. Des kits sonores (le best of des sons des artistes du programme) ont été mis au point, qui pourront être téléchargés gratuitement par la clientèle de Native Instruments et s'intégrer dans ses logiciels. Cette stratégie vise à atteindre les musiciens qui n'auraient pas eu vent du projet. Au lancement des logiciels, il leur sera proposé de télécharger des sons, l'occasion pour eux de découvrir le reste du projet transmédia.

Le concours est réellement organisé avec Native Instruments et d'autres partenaires. Il propose

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 66/119 aux musiciens amateurs ou professionnels d'utiliser des samples du projet pour créer une œuvre musicale, puis d'uploader cette dernière sur la plateforme pour la rendre éligible à l'édition d'un album digital. Cet album sera le fruit d'une sélection opérée par Jean-Michel Jarre. Il comprendra les 4 musiques originales du projet (celles de Daedelus, Luke Vibert, Simonne Jones et Mikael Seifu), plus 6 autres sélectionnées parmi celles des participants. Des contrats seront signés avec le label et un très grand éditeur musical...

Happy end : la création de Mike est sélectionnée. Il touchera des royalties sur l'exploitation de l'album collectif.

Une partie de la production de ce projet transmédia sera donc monétisée.

Un avant-goût du programme, même si le titre a changé ! Source : https://vimeo.com/81731435

Côté production

Il s'agit d'une coproduction a_BAHN et Camera Talk Productions, en collaboration avec Arte et SWR. Elle a reçu le soutien de Film Fund Luxembourg et du CNC. Les partenaires sont Native Instruments (1 800 000 utilisateurs, force de frappe en termes de communication), Soundcloud (260 000 000 utilisateurs, hébergera tous les sons), Les Inrocks, Tsugi, Ohm Force, Blend. L'équipe continue à démarcher, au niveau international, les médias spécialisés dans la musique.

Par son travail de captation des sons et en particulier des langues, le programme contribue à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dans sa diversité, ce qui lui vaut le haut patronage de l'Unesco.

Soundhunters a déjà reçu le Fipa d'or Smart Fip@ 2015.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 67/119 Étude de cas

"Lune"

Intervenante : Chloé Jarry, productrice nouveaux médias, Camera Lucida, France

Résumé

À l'origine, le désir du réalisateur François de Riberolles d'exposer les influences de notre unique satellite sur la naissance et le développement de la vie sur Terre. Coïncidence avec l'actualité : le 20 mars 2015 au matin se produira un événement rare, une éclipse solaire qui plongera une partie de l’Europe dans l’obscurité. La richesse du sujet justifiait l'élaboration d'un projet global aux supports et modes de narration différenciés.

Mots clés lune – éclipse – cycles lunaires – vie sur Terre – calendrier lunaire – Cité des sciences et de l'industrie – Claudie Haigneré – communication agile – smart data

Synthèse

Le projet aura exigé un peu plus d'un an et demi de développement et un budget de 1,5 M€. Il s'adresse au grand public, familial et scolaire. Universcience (Cité des sciences et de l'industrie, Palais de la Découverte) apporte sa caution scientifique à l’ensemble du programme.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 68/119 "Raconter l'histoire de la Lune, c'est aussi raconter l'histoire de la vie sur Terre." Sur PLANÈTE+ la semaine du 16 mars 2015

Un film à grand spectacle L'astre lunaire constitue un thème très vaste. Lune, la face cachée de la Terre conte l'histoire singulière du couple Terre-Lune depuis la formation du satellite jusqu'à son exploration par l'homme.

La lune a été mythifiée par la plupart des religions et des civilisations. Des astronomes, des écrivains, des compositeurs l'ont imaginée peuplée d'êtres incroyables. On a mis au point la lunette astronomique pour la scruter... Et puis, le "grand pas pour l'humanité".

Le rythme de la vie sur Terre se calque sur les cycles lunaires : on connaît le phénomène des marées, mais qui connaît les limules ? Une fois par an, ces curieux animaux marins sortent de l'eau et se regroupent, sur certaines plages, par centaines de milliers. Explication dans le film.

Le tournage a été mené sur un an, à chaque pleine lune et sur 5 continents. Les limules de Floride, l'éclipse en Australie, la savane d'Afrique, la fête de la Lune en Chine ou au Sri Lanka, et les fêtes du Ramadan en Turquie : autant de sujets abordés au gré des chapitres de cette fresque de 90 minutes.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 69/119 Pour rendre à l'écran la dimension onirique de la lune, 20 minutes d'animation 2D et 3D ont été concoctées par Miyu Productions et réparties sur différentes séquences.

PLANÈTE+ diffusera le film en exclusivité les 16 et 20 mars. France 5 le fera 12 mois plus tard.

Un DVD Lune, la face cachée de la Terre, édité par STUDIOCANAL, est également disponible. Il contient le film plus 30 minutes de bonus vidéo exclusifs.

La limule : une sexualité sous influence ! Copyright : Didier Descouens

La parole aux experts Indépendant et complémentaire par rapport à cet unitaire, La Lune dans tous ses états est un documentaire scientifique de 2 x 52 min.

En véritables conteurs de lune, des biologistes, des astrophysiciens, des spationautes, des historiens des sciences, des mythologues partagent une partie de leurs connaissances ou expériences.

Comme Claudie Haigneré qui, à défaut d'être allée sur la Lune, a séjourné à bord de la station orbitale Mir, ce qui suffit à changer la perspective : "On fait 16 fois par jour le tour de la Terre, [ce qui signifie] la voir de jour, pendant 45 minutes ; la voir de nuit, pendant 45 minutes. Et donc c'est voir aussi 16 levers de soleil à l'horizon de la Terre, 16 levers de lune à l'horizon de la Terre."

Le premier volet, Lune, sous la lumière de la lune, retrace l'évolution du regard de l'homme sur la lune, de la préhistoire jusqu'à la révolution copernicienne.

Le second, Lune, de la Terre à la Lune, traite de l'avancée des connaissances sur la Lune depuis Copernic jusqu'à l'aventure spatiale.

PLANÈTE+ diffusera les deux films en exclusivité les 18 et 20 mars. France 5 le fera 12 mois plus tard.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 70/119 En outre, une dizaine de modules mettant en scène les mêmes experts seront proposés sur une autre chaîne du groupe CANALSAT, Campus (chaîne pédagogique).

En phase avec l'astre Les premiers hommes, déjà, devaient contempler l'astre sélène. Selon des préhistoriens, certaines peintures de la grotte de Lascaux représenteraient les phases lunaires. De même, Stonehenge constituerait l'un des premiers calendriers.

Dans le cadre du projet Lune, il a été tout naturellement décidé de mettre au point un calendrier lunaire sous forme d'application tablette et smartphone (iOS).

Celle-ci offre l'occasion, pour chacun d'entre nous, de recréer un lien de manière ludique avec la lune. Elle permet de : ‒ (sa)voir à tout moment, en réalité augmentée, où la lune se situe autour de soi ‒ découvrir un panorama lunaire à 360° ‒ manipuler les planètes pour comprendre l'engrenage dans lequel les cycles lunaires entraînent la nôtre ‒ être tenu informé, via un système de notification, des différents événements naturels ou culturels synchronisés sur ces cycles ‒ visionner des extraits de films et autres contenus inédits, en rapport avec ces événements annuels ‒ accéder à un système de questions/réponses avec les experts d'Universcience.

À télécharger gratuitement à partir du 10 mars sur l'App Store.

L'ancêtre du calendrier lunaire tactile ? Copyright : David Ball ‒ www.davidball.net

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 71/119 De la Villette à la Lune Une éclipse solaire se produira donc le 20 mars 2015. En France, elle sera visible, le matin, à 85 % (celle de 1999 l'était à 99 %). Nous n'aurons plus de chance semblable avant 70 ans.

Trajectoire de l'éclipse du 20 mars 2015 Copyright : A. T. Sinclair - NASA

Une semaine avant ce phénomène exceptionnel et à l'occasion de la sortie du film sur PLANÈTE+, la Cité des sciences et de l'industrie organise Destination Lune, un week-end festif et gratuit en l'honneur du satellite. Les 13, 14 et 15 mars 2015, plus d'une trentaine d'animations (simulateur de marche sur la Lune, fauteuil 3 axes...), spectacles et conférences permettront au public d'explorer chaque recoin de la Lune, ses mythes et son histoire.

Source : http://www.youtube.com/watch?v=skxvTHWGzDg

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 72/119 Fait toujours impression Un beau livre accompagnera ce dispositif numérique. Écrit par Bernard Melguen (conférencier et chargé de cours d'astronomie à l'université de Nantes), Catherine Sauvat (journaliste et écrivain), avec la participation de dix experts, il contiendra une iconographie d'archives, des extraits des entretiens menés pour les deux 52-minutes, ainsi que des images de l'unitaire. Un QR code renverra vers les supports en ligne du programme. Lune, la face cachée de la Terre sortira le 12 mars aux É ditions de La Martinière .

Fédérer les chasseurs de lune Enfin, un site sera lancé sous peu. Il servira à communiquer sur le projet tout en rassemblant une communauté d'amateurs de photographie et d'astronomie ayant l'astre lunaire pour sujet de prédilection.

Vers une communication agile La bande-annonce du film :

Source : http://www.youtube.com/watch?v=Y41_wXw1Kfk

Quelques-uns des partenaires : ‒ le groupe CANAL+ ‒ la Cité des sciences et de l'industrie ‒ PLANÈTE+

‒ FlameFy : Camera Lucida est en train de mettre en place un parcours de communication avec la start-up qui propose entre autres une plateforme innovante B2B2C et un outil de smart data. L'objectif : surveiller le comportement des utilisateurs afin d'automatiser la distribution des contenus (ex. un utilisateur scanne avec son iPhone le QR code figurant dans le livre, le lien le fait accéder à la bande-annonce de l'appli qui sera disponible sur l'App Store) et d'adapter en conséquence (et en temps réel) les contenus concernant le projet Lune sur les réseaux sociaux.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 73/119 Études de cas

"Who Are the Champions" & "Refugee Republic"

Intervenant : Yaniv Wolf, producteur interactif, Submarine, Submarine Channel, Pays-Bas

Résumé

Les trois dernières Coupes du monde de football se sont déroulées en Allemagne, en Afrique du Sud et au Brésil. Quel regard les riverains des stades portent-ils sur ces événements ? Who Are the Champions? s'appuie sur Google Street View pour livrer leurs témoignages les plus éloquents.

Domiz est un camp de réfugiés syriens situé dans le nord de l'Irak. Une petite équipe de créatifs en brosse le quotidien grâce à un savant mélange de sons et d'images fixes ou en mouvement. Bienvenue à Refugee Republic.

Mots clés webdocumentaire ‒ FIFA ‒ Coupe du monde de football ‒ Google Maps Street View ‒ Domiz ‒ camp de réfugiés ‒ Syrie ‒ Irak ‒ scrolling experience ‒ effet parallaxe ‒ Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

Synthèse

Fondé en 2000 à Amsterdam, Submarine explore de nouvelles méthodes de narration basées sur les technologies numériques. Le studio produit des webdocumentaires, des animations interactives et des jeux narratifs qu'il met en ligne sur Submarine Channel.

"Who Are the Champions?"

Une idée qui tombe à pic

Who Are the Champions? est un documentaire interactif en cours de production, sur la Coupe du monde de la FIFA. Le premier des 3 volets a été mis en ligne en 2014.

Lorsqu'un pays est désigné hôte de l'événement, ses habitants accueillent rarement la nouvelle par l'indifférence ou par une réaction unanime (enthousiasme/réprobation). En général, l'annonce ne fait que renforcer une polémique ayant surgi dès la phase de candidature.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 74/119 L'équipe à l'origine du webdocumentaire avait envie de raconter ce que cela signifiait pour la population, en particulier la plus modeste, de ces pays organisateurs. Au lieu de le faire de l'extérieur, elle a eu l'idée de personnaliser le récit en donnant la parole à ces personnes, afin qu'elles témoignent elles-mêmes des conséquences, positives ou négatives, dans l'immédiat comme à plus long terme.

L'idée du projet a germé en janvier 2014, or la Coupe du monde allait se dérouler l'été suivant au Brésil. Et de nombreux habitants manifestaient contre. Au "país do futebol", les héritiers de Pelé en venaient à souhaiter la défaite de leur équipe ! Une manière de dénoncer les sommes colossales dépensées pour l'occasion, alors qu'il y avait d'autres priorités (santé publique, éducation...).

Décision a donc été prise de consacrer le premier volet du webdoc au Brésil. Les deuxième et troisième volets porteraient sur les pays hôtes précédents : l'Afrique du Sud (2010) et l'Allemagne (2006). Les répercussions sont-elles les mêmes dans ces différentes régions du monde ?

Le but étant de montrer les conséquences sur les riverains immédiats, il a fallu trouver des stades qui ne soient pas excentrés (nouvellement construits, à l'écart de la ville). Ceux de Rio de Janeiro, Johannesburg et Leipzig répondaient à ce critère.

Le programme offre pour le moment une visite virtuelle de Rio ou plus exactement des quartiers situés aux alentours du stade Maracanã, le plus grand des stades brésiliens ayant accueilli la Coupe en 2014. On y croise entre autres un officier de police chargé du maintien de l'ordre, des enfants passant leur temps à jouer au football dans la rue et un homme ayant été expulsé de chez lui.

Coupe du monde 2014 : de l'autre côté du stade Maracanã Copyright : Leonardo Wen Source : http://instagram.com/submarinechannel/

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 75/119 Des procédés en amélioration constante

La recherche de financements a commencé en janvier et les réponses ont été très favorables : le projet était convaincant.

L'équipe n'avait plus qu'à produire le programme, et elle ne disposait pour cela que de 4 mois ! Il avait en effet été décidé de le mettre en ligne juste avant le début de la Coupe.

L'idée du documentaire interactif s'est imposée d'elle-même.

Pour ce qui est des supports, les intervenants se sont mis d'accord pour utiliser, avant même de se rendre sur place, Google Maps et des captures d'écran de Street View. Puisque ce matériel était déjà en ligne, pourquoi ne pas l'utiliser ?

Un photographe local et des documentaristes radio ont rejoint l'aventure. Submarine estime que la photo est un support très puissant pour raconter une histoire, peut-être plus encore que le film. Et que son couplage avec le carnet de voyage sonore fait des merveilles.

La principale difficulté est comme toujours de capter l'attention des internautes. Or les clips de ce premier volet ont quelque chose de poétique et de lent. Le danger est que le public ne les perçoive pas comme assez divertissants, et ne s'attarde pas.

C'est pourquoi Submarine cherche, pour les volets 2 et 3, mais aussi pour le 1 dont la première version a été réalisée dans l'urgence, des moyens d'intriguer et de retenir les visiteurs plus longtemps sur le site, par exemple à l'aide d'un teaser au début de chaque séquence.

De plus, l'image sera beaucoup plus grande, ainsi que la carte, et l'utilisateur pourra passer à tout moment de l'une à l'autre.

La narration se fera par scrolling (à la manière de Killing Kennedy). Grâce à une meilleure intégration, dans les photos, des histoires écrites et des articles de presse associés (permettant de replacer les témoignages dans un tableau d'ensemble), la navigation sera rendue plus fluide.

Seront aussi proposées des histoires semblables ‒ pour celle d'un petit commerçant à Johannesburg, celle d'un autre à Leipzig ou à Rio. Comme ces villes sont radicalement différentes, les effets de la Coupe sur ces personnes ne sont pas les mêmes. Les cas seront donc reliés pour permettre au visiteur de passer à tout moment d'un lieu à un autre et de voir ces différences en un clin d'œil.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 76/119 La photo et le reportage audio pour engager l'internaute Source : http://www.youtube.com/watch?v=adz_rxMjX7U

"Refugee Republic"

Contre une idée fausse

Situé à 10 km de la ville de Duhok, Domiz est le plus grand camp de réfugiés au Kurdistan irakien. Conçu pour accueillir jusqu'à 38 000 personnes, il en accueille à l'heure actuelle plus de 60 000, en majorité des Kurdes de Syrie.

L'intention de Refugee Republic : montrer la vie quotidienne d'un camp de réfugiés et bousculer au passage l'idée que l'on s'en fait. Nous avons tous ces images en tête : des gens déracinés, assis devant des tentes, attendant qu'on les aide dans cette situation ne pouvant être que transitoire.

Cela correspond bien à la réalité, quand ces hommes et ces femmes viennent d'arriver. Mais dans certains camps, au bout de quelques jours seulement, ils reprennent leur vie en main. Cherchant naturellement à se recréer un semblant de foyer, ils se mettent à construire, renoncent peu à peu à l'idée de rentrer chez eux, improvisent une économie locale. Malgré les manques et les traumatismes, ils travaillent, se marient, ont des enfants... Et ces camps temporaires deviennent de vraies villes, où l'on trouve des tuktuks (taxis collectifs), des cafés internet et des salons de coiffure. Des villes où les réfugiés ne séjournent pas quelques mois, comme on l'imagine, mais en moyenne 17 ans (chiffre UNCHR).

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 77/119 Bienvenue à Refugee Republic ! Source: http://www.youtube.com/watch?v=9mClM-ywlcs

Trouver la combinaison gagnante...

À l'origine de ce webdocumentaire, Jan Rothuizen (dessins), Martijn van Tol (sons, textes, montage), Dirk Jan Visser (vidéo, photographie), Aart Jan van der Linden (développement web et traitement vidéo), Jorgen Koolwijk et Christiaan de Rooij (design).

Interview "making of" des créateurs de Refugee Republic Source : http://www.youtube.com/watch?v=USBDtNijQR8

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 78/119 Une fois les financements obtenus, l'équipe s'est rendue sur place. Tâchant de se faire oublier pour mieux montrer la vie du camp, elle en a rapporté une grande quantité de matériaux relevant de techniques traditionnelles : dessins (dont quelques planches extrêmement détaillées), photographies, vidéos, sons, musiques et textes.

Toute la question était de savoir comment combiner les différents supports pour obtenir en ligne une navigation fluide et un contenu parlant. Elle avait 2 mois pour le faire.

Sur la carte interactive du camp, 4 routes ont été mises en évidence pour servir de repères à l'utilisateur. Les clips du webdoc ont été répartis le long de chacune d'elles. Quand il les survole, il obtient un aperçu de ce qu'il va voir. Il clique et se retrouve à un endroit du camp représenté par des dessins et de courts textes (ce qui a l'avantage de laisser une grande place à l'imagination du visiteur), par des photos avec enregistrements sonores, ou par des vidéos (ce qui a l'avantage de lui fournir des informations plus objectives). La narration s'appuie sur le scrolling et l'effet parallaxe, ce qui donne au visiteur l'impression de se déplacer réellement dans le camp.

… et faire mouche !

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n'est pas impliqué dans ce projet, il y essuie même quelques critiques. De nombreux agents du HCR n'en ont pas moins manifesté, par des tweets, des courriels ou des appels téléphoniques chaleureux, leur enthousiasme pour ce programme qui montre la vie quotidienne dans un camp de réfugiés, donc d'une certaine manière, leur cœur de métier. Plusieurs autres ONG ont eu la même réaction.

Submarine est très satisfait des critiques, en particulier de celles qui émanent des réseaux sociaux, y compris de gens non familiers des documentaires interactifs. C'est l'un de ses programmes ayant eu le plus de succès et le studio de production pense qu'il peut servir de base, en termes de format, pour des projets ultérieurs.

Quelques chiffres

La mise en ligne du premier volet de Who Are the Champions? a été soutenue par NRC Handelsblad, l'équivalent de Le Monde aux Pays-Bas. D'où un grand nombre de visites, qui a chuté dès que le webdocumentaire a disparu de la page d'accueil. Et comme la Coupe du monde commençait, l'heure n'était plus à la critique mais à l'engouement. Difficile alors d'obtenir l'attention de la presse. Submarine réfléchira davantage au timing pour le lancement des autres volets.

Refugee Republic a été lancé avec l'appui du journal de Volkskrant. Le premier week-end, 30 000 internautes ont visité le programme. À l'heure du Forum Blanc, on en compte 60 000. Se fiant à des projets antérieurs comme Collapsus ou Last Hijack, Yaniv Wolf estime que celui-ci peut durer dans le temps et bénéficier de nouveaux pics d'audience en fonction de l'actualité.

Who Are the Champions? a bénéficié d'un budget de 120 000 €, Refugee Republic de la moitié moins. Le premier webdoc a été tourné dans 3 villes, avec une équipe assez conséquente ; le second, avec 4 à 6 personnes seulement, mais totalement investies dans le projet.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 79/119 Étude de cas

ToonYou: "My Dream Jobs"

Intervenant : Alexandre Touret, fondateur, en charge du contenu et des ventes, Contentinuum, Belgique

Résumé

Dans son sommeil, un enfant découvre tous les métiers du monde. Chaque jour au petit déjeuner, il raconte celui dont il a rêvé, jamais ordinaire et toujours incarné par l'un de ses parents. Cette série de 140 épisodes accessibles tout le temps et sur tous les écrans existe dans une version standard et dans une personnalisable avec les photos du bambin et des parents. Basée sur la psychologie du développement, elle divertit intelligemment tout en s'adaptant aux nouveaux usages.

Mots clés pédopsychologie ‒ métiers ‒ customisation ‒ ludoéducatif ‒ série interactive ‒ application ‒ freemium ‒ sharing ‒ génération Y ‒ drive-to-web ‒ famille nucléaire ‒ homoparentalité ‒ RTBF ‒ MIPCOM

Synthèse

L'abonnement au service ToonYou donne accès mensuellement à 6 épisodes personnalisables de sa première série, My Dream Jobs.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 80/119 Le contenu et le contenant

L'innovation : un programme étudié pour plaire à un cœur de cible un peu plus large que d'habitude, les 2-6 ans et leurs parents connectés (génération Y) ; un espace permettant de personnaliser ce programme en incrustant les visages de l'enfant et ses parents ; la possibilité de partager cette version sur les plateformes sociales.

Les supports : - Une série de 140 épisodes x 3 min en version standard, destinée aux chaînes traditionnelles qui auront acheté le produit. Chacun sera consacré à un métier : chef cuisinier, musicien, coiffeur, astronaute ou encore... lutin du Père Noël. Les 24 premiers sont déjà prêts. En tout, 50 épisodes devraient être achevés fin août 2015. Ils seront disponibles en trois langues : anglais, français et allemand. - Une plateforme web permettant de regarder les épisodes en streaming et d'uploader les portraits de la famille pour obtenir la version personnalisée. Elle peut aussi éventuellement servir de plateforme de rattrapage aux petites chaînes qui n'en auraient pas. - Une application dupliquant ces possibilités sur smartphone et tablette. Disponible sur Google Play et l'App Store, elle sera, dans un premier temps, destinée à la France, la Belgique francophone, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. En plus des 3 langues dans lesquelles l'outil éducatif sera développé, les discussions pourront se dérouler en néerlandais, espagnol ou italien.

La série conjugue l'animation en volume, les effets spéciaux et une pincée d'images de synthèse. Le tout-petit y suit des personnages en papier évoluant, selon les recommandations de psychologues pour enfants, dans des décors assez épurés. Le propos est de favoriser la découverte des différents métiers et de la valeur forte qu'ils véhiculent.

L’objectif est aussi, pour le studio audiovisuel et interactif, de développer une expertise sur les nouveaux modes de diffusion de contenus.

"Papa, maman et moi" pour incarner 140 métiers, mais aussi un écrivain et un DJ célèbres... Source : http://www.youtube.com/watch?v=wh80vk9_UXs

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 81/119 Personnalisation : un simple gadget ?

Contentinuum ne s'est pas lancé dans l'aventure par hasard. Pour convaincre les fonds privés, le studio s'est appuyé sur un certain nombre de sondages (réalisés pour l'Amérique du nord mais qu'il n'est pas difficile d'interpréter pour l'Europe).

Côté parents de la génération Y, il ressort que : ‒ 85 % des abonnés à des chaînes payantes disent éteindre leur poste sans avoir trouvé ce qu'ils cherchaient. ‒ 53 % utilisent le téléphone ou la tablette pour calmer leurs enfants. ‒ 74 % ont déjà téléchargé une application pour leurs enfants. ‒ 88 % veulent une application comprenant un élément éducatif. ‒ 60 % ont sur leur téléphone ou leur tablette plus de 5 applications dédiées à leurs enfants. ‒ 21 % des pères âgés de 18 à 35 ans dépensent environ 300 $ par mois pour divertir la famille (sans doute en partie parce qu'il y a plus de choses payantes dans cette région du monde). ‒ 88 % des applications pour enfants ont été téléchargées gratuitement.

Côté bambins : ‒ 80 % disent qu'ils voudraient passer plus de temps avec leurs parents. ‒ 90 % les considèrent comme leurs héros. ‒ 60 % utilisent déjà la tablette et le mobile pour regarder du contenu ou lire des histoires. ‒ Une donnée cognitive : le visage de ses parents permet de mieux capter l'attention du tout-petit.

Si la thématique de la famille est récurrente dans l'animation, il manquait quelque chose pour répondre à une véritable attente des jeunes spectateurs : leur permettre de s'identifier au protagoniste et faire jouer un rôle important à leurs parents.

Quant aux parents de cette génération Y qui a grandi avec les réseaux sociaux et le personal branding, quoi de mieux que de devenir les narrateurs de l'histoire et montrer sur Facebook ou Twitter, aux grands-parents éloignés ou à toute la planète, qu'on éduque ses enfants de manière originale ?

La personnalisation et le partage sont donc au cœur de la stratégie de contenu.

Grâce au moteur de personnalisation, c'est à vous de jouer ! Source : http://www.youtube.com/watch?v=qhtPLNVZU7Q

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 82/119 Un webdoc pour tous

"Papa, maman et moi" : la série a été testée sur le modèle traditionnel de la famille nucléaire, mais des épisodes représentant les familles recomposées, monoparentales et homoparentales sont en cours d'écriture. Contentinuum réfléchit à un spin-off qui serait dédié aux parents homosexuels, et basé sur un financement participatif.

Le freemium avant tout

Dans un premier temps, Contentinuum/ToonYou a décidé de mettre en place une formule semi- payante. ‒ Les utilisateurs auront accès gratuitement à un épisode qu’ils pourront suivre dans sa version standard (avec des comédiens ou des célébrités) ou personnalisée (avec leurs propres portraits). ‒ Après quoi leur seront faites plusieurs offres payantes. ‒ La monétisation du programme passera aussi par la commercialisation de produits dérivés : livres, T-shirts du héros de la série avec le visage de l’utilisateur, ou encore produits inspirés de la tendance de l'impression 3D.

De la lucarne à la toile

Dans un second temps (ce n'était pas prévu initialement), Contentinuum a souhaité utiliser toutes ces possibilités pour proposer aux chaînes de mettre en place une stratégie drive-to-web. Il s'agit d'inviter le spectateur, au moment du générique de fin, à poursuivre l'expérience sur le site de rattrapage de la chaîne, où il a accès aux épisodes personnalisables pendant 7 jours via un IFram placé pour l'instant sur le site de la RTBF (OUFtivi) et qui contient le dispositif de personnalisation.

À noter que le studio est accompagné par Microsoft Innovation Center pour le paramétrage et l'optimisation des serveurs.

Appel à collaboration

Contentinuum cherche de nouvelles propriétés intellectuelles à coproduire, soit pour faire des séries dérivées de ce programme, soit pour utiliser sa technologie et son processus de création sur d'autres thématiques.

Déjà remarquée

La série a décroché une mention spéciale du jury lors du dernier marché international des programmes et de l'audiovisuel (MIPCOM) à Cannes.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 83/119 Étude de cas

"The Reward ‒ Tales of Alethrion"

Intervenants : Charlotte de la Gournerie, productrice, Sun Creature Studio, Danemark – Mikkel Mainz Elkjær, réalisateur, Sun Creature Studio, Danemark

Résumé

Avec sa websérie animée, Sun Creature Studio vise le public devenu incontournable des adulescents. Pour le pilote, le studio a bénéficié du soutien financier de donateurs Kickstarter (143 000 $) et de fonds publics danois (170 000 €). Prêt à produire les autres épisodes et plusieurs contenus multiplateformes, il envisage une nouvelle campagne de crowdfunding et recherche des partenaires financiers, des diffuseurs traditionnels et numériques, ainsi que des éditeurs de jeux vidéo ou de livres.

Mots clés financement participatif ‒ crowdfunding ‒ Kickstarter ‒ websérie ‒ bromance ‒ fantasy ‒ adulescent ‒ cross-promotion

Synthèse

Fiche d'identité

Crédit : Sun Creature Studio Source : http://www.kickstarter.com/projects/1862188728/the-reward-tales-of-alethrion

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 84/119 Sun Creature Studio a été créé en 2013 par Kenneth Ladekjær, Bo Juhl Nielsen et Mikkel Mainz, trois anciens étudiants de The Animation Workshop (Viborg, Danemark).

Surfer sur un premier succès

Dans une bourgade dénommée Tohan, un jeune homme s'occupe comme il peut. Un jour, un héros surgi de nulle part laisse tomber à ses pieds une carte au trésor. Wilhelm s'apprête à la ramasser, mais un autre garçon, Vito, la lui dispute. La carte finit déchirée en deux et le duo se lance dans une aventure fabuleuse avec l'espoir de trouver le trésor et d'accéder à son tour à la gloire.

The Reward (2011/2012) est le film de fin d'études de nos compères danois.

Source : http://www.youtube.com/watch?v=0Cw7aAFS5oc

Pas facile de se lancer dans l'animation. La fine équipe a donc décidé de commencer par une websérie, The Reward – Tales of Alethrion , basée sur le succès et l'univers du film initial.

Cette bromance sur fond de fantasy ‒ truffée de références à Donjons et Dragons et Le Seigneur des anneaux ‒ s'adressera aux adulescents dont les réalisateurs avouent faire eux- mêmes partie. Mais c'est pratique, d'être sur la même longueur d'onde que son public, quand on communique avec lui sur les réseaux sociaux !

Chaque épisode sera consacré à un thème et à certains personnages du film. Il s'agira d'une série de petites histoires sans ordre chronologique. Leur unité tiendra au fait qu'une fois tous les épisodes visionnés, le spectateur saura enfin tout sur le périple et les motivations profondes des êtres peuplant cet univers.

Le projet a reçu le prix CITIA-IMAGINOVE lors du marché international du film d'animation d'Annecy 2014.

Une campagne Kickstarter rondement menée

Pour mettre en œuvre ce projet à la cible atypique au yeux des diffuseurs, le mieux était de s'adresser d'abord à ses pairs. Deux avantages : récolter une mise de départ et prouver aux financeurs professionnels qu'il y a bien un public pour ce produit.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 85/119 Une campagne de financement participatif en don a été lancée sur le site offrant la plus grande puissance de feu : Kickstarter.

D'aucuns conseillent de préparer une telle opération 10 mois à l'avance. La joyeuse équipe a relevé le défi en 3 semaines.

La page de la campagne a été créée sur la plateforme. Mais pour une société danoise, impossible de faire cavalier seul. Le géant américain du crowdfunding allait toucher un public essentiellement situé en dehors du pays.

Les Danois ont alors demandé à un ami vivant aux États-Unis de recevoir les paiements collectés par Amazon Payments et de les leur envoyer au Danemark (avantage : la valeur du dollar est supérieure à celle de la couronne danoise).

Deuxième initiative : ils se sont appuyés sur un incubateur d'entreprises leur fournissant conseils, publicité, et mettant à leur disposition gratuitement des stations de travail (pas de risque financier, l'équipe n'investissait "que" son temps et son énergie).

La campagne s'est déroulée du 7 mars au 6 avril 2013. Somme visée : 115 000 $. Au bout d'une semaine à peine, 20 000 $ ont été réunis, puis les choses ont stagné, et tout s'est accéléré la dernière semaine.

Pour que la campagne soit un succès, il fallait sortir du lot. La stratégie suivante a été mise au point.

1/ Faire une sorte de calendrier de l'Avent

La carte au trésor a été découpée et à mesure que de l'argent était récolté, une petite histoire était racontée sur le nouvel itinéraire des personnages principaux. De cette manière, le public pouvait suivre l'évolution de la campagne et voir ce que l'équipe était en mesure de faire grâce aux dons : storyboard, layouts, décors, etc.

2/ Organiser un événement chaque semaine

Le but : s'amuser avec le public, renforcer son attachement au projet et faire en sorte qu'il partage la campagne sur les réseaux sociaux.

‒ Un concours de dessin : chacun pouvait dessiner un personnage qui allait peut-être se retrouver dans la série. 2 020 dessins ont été reçus.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 86/119 Créer de l'événement pour relancer sa campagne Kickstarter Crédit : Kalen Knowles Source : http://www.kickstarter.com/projects/1862188728/the-reward-tales-of-alethrion/posts/444917

‒ Un fil "Ask Me Anything" sur reddit : les gens pouvaient demander à l'équipe de dessiner ce qui leur faisait plaisir et les dessins étaient postés en direct sur le site d'hébergement d'images imgur.

‒ Une séance d'animation collective en direct : l'équipe a donné rendez-vous à ses fans sur join.me, pour leur montrer ses techniques d'animation. Sun Creature Studio possédait déjà un compte tumblr, mais le studio a mis en place un sideblog pour poster des vidéos de ces sessions.

3/ Distribuer des récompenses

‒ Beaucoup de récompenses matérielles, attribuées en fonction du montant des dons : T-shirts, illustrations originales, livres, etc.

‒ La plus grosse récompense a été d'inviter 4 personnes à jouer avec l'équipe durant un week- end à un jeu de rôle basique de type Donjons et Dragons et situé dans l'univers de The Reward. Deux sont venues au studio et 2 l'ont rejointe virtuellement, pour jouer en ligne sur Roll20.net.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 87/119 Entretemps, le studio a défini 2 objectifs financiers suffisamment difficiles à atteindre pour être stimulants. Le premier, fixé à 130 000 $, une fois réalisé, rendrait accessible à tous les backers ayant donné 30 $ et plus une bande dessinée racontant l'histoire des 3 bandits avant leur rencontre avec Vito et Wilhelm. Le deuxième, fixé à 160 000 $, concernait le jeu de rôle.

Cette stratégie complexe a exigé presque autant d'heures de travail que le projet lui-même. Elle sera simplifiée lors d'une prochaine campagne Kickstarter.

Elle a tout de même permis de réunir plus d'argent que les 115 000 $ visés initialement, soit 143 000 $, qui ont été utilisés pour le premier épisode.

Des illustrations originales des animateurs du studio pour remercier les backers Crédit : Sun Creature Studio Source : http://alethrion.com/illustrations/

Impliquer les fans, les sponsors et la concurrence

Le projet du studio a fédéré divers types de fans : ‒ les utilisateurs : presque 2 M ‒ les subscribers/likers/followers des réseaux sociaux : YouTube : 7 900 ; Facebook : 5 000 ; tumblr : 4 000 ; Vimeo : 450 ‒ les backers de Kickstarter : 4 000 ‒ les ambassadeurs, qui créent du contenu : plus de 300

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 88/119 Posté sur le site Newgrounds, The Reward y a généré près de 250 000 vues. Sun Creature Studio a décidé de reprendre le logo du site pour en faire un personnage qui figurera dans la série, forme de clin d'œil à la communauté Newgrounds qui renforcera le succès du programme.

La campagne Kickstarter a réuni des donateurs de partout. Parmi eux, Headless, studio d'animation basé à Barcelone. Sun Creature Studio a créé un personnage démentiel, sans tête, qui lui aussi figurera dans la série.

L'équipe de Shovel Knight menait au même moment une campagne similaire à celle des Danois. Chacune a fait de la pub pour l'autre sur sa page Kickstarter.

Même échange de bons procédés avec l'équipe d'Urbance (qui a fait l'objet d'une étude de cas lors du Forum Blanc 2014).

Cross-promotion avec d'autres projets : tout le monde y gagne. Source : http://www.youtube.com/watch?v=2PFbeQE2c60

À bon entendeur

Les leçons que le jeune studio a tirées de cette campagne de financement pourront servir à d'autres.

‒ On ne peut pas se permettre de décevoir les gens qui soutiennent un projet, encore moins quand ils font des dons financiers, ni de reculer les dates butoirs sans arrêt. C'est une grosse pression pour une petite société. ‒ Cela suppose de se forger une conception non traditionnelle de la production. Les contributeurs doivent pouvoir constater qu'ils influencent le programme en le soutenant. L'équipe aux manettes doit rester le plus transparente possible, pour laisser les fans s'impliquer dans le processus créatif. C'est bien elle qui fixe la ligne narrative, mais ce sont eux qui personnalisent les épisodes.

‒ Quand on atteint son objectif sur Kickstarter, il faut encore entretenir sa base de backers pour la suite (production d'autres épisodes). Attention à ne pas sous-estimer le travail que cela induit.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 89/119 ‒ Dans une campagne Kickstarter, il n'y a pas que l'argent levé qui compte. Les statistiques concernant le nombre, l'âge, le sexe, la situation géographique des personnes qui poussent le projet en avant sont aussi précieuses, car elles permettent de s'adresser à une marque, un diffuseur en ces termes : "Voilà combien de gens regardent notre programme, dont tant dans votre pays. Voilà quelle est notre audience cible (les fans des vidéos de Tales of Alethrion sur YouTube ont entre 15 et 34 ans et résident en Europe et aux États-Unis). Si elle correspond à la vôtre, nous pouvons sans doute faire affaire ensemble." Pour un petit studio danois, en tout cas, c'est un bon argument !

Résultat : un épisode pilote de 18 min

Durant les 7 mois de la production, de nouveaux événements ont été lancés sur les réseaux sociaux du studio : un concours de voix, des concours de dessins...

Les fans étaient invités à réaliser le portrait d'Alethrion à partir d'un croquis. Crédit : Sun Creature Studio ‒ Source : http://alethrion.com/

Le dessin gagnant, du Péruvien Jorge Noriega, figure dans l'épisode pilote. Crédit : Jorge Noriega ‒ Source : http://alethrion.com/

Cet aspect interactif, les divers supports sur lequel le projet se déclinera et le fait que chaque produit abordera l'histoire générale sous un angle différent font bien de lui un programme transmédia. La série sera diffusée sur le web mais pourra l'être aussi à la télévision traditionnelle. Dans les tuyaux : une bande dessinée papier et numérique, ainsi qu'un jeu PC conçu pour jouer à deux. Une application est envisagée.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 90/119 La récompense principale pour la campagne était le premier épisode de la série. Un financement public du Danemark de 170 000 € a permis de faire passer sa durée de 7 à 18 min. Tout juste achevé, il sera mis en ligne sous peu.

Laissez-vous conduire dans un monde merveilleux où vous irez de surprise en surprise. Découvrez les aventures d'Alethrion, le plus grand héros de tous les temps.

Teaser de The Reward – Tales of Alethrion Source : http://www.youtube.com/watch?v=F299CCkDFTA

Le premier épisode vous fera passer de l'autre côté du miroir. Vous saurez d'où vient la carte, à quel trésor elle mène et comment la légende d'Alethrion a commencé. Vous retrouverez Vito et Wilhelm à l'autre versant de leur vie. Puis de nouveaux aventuriers entreront dans la danse.

Trailer de The Reward – Tales of Alethrion Source : http://www.youtube.com/watch?v=63DxneFO0YA

Comme le film initial, cet épisode pilote sans dialogue laisse apprécier les compositions de Mathias Winum et Johan Petersen.

L'étape suivante ? Trouver le moyen de financer 6 nouveaux épisodes de 6 min.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 91/119 Qu'attendent les diffuseurs européens ?

La série est donc destinée à un public de jeunes adultes. Seulement voilà : tandis que les États- Unis ont South Park et Family Guy depuis... la fin du siècle dernier, il reste très difficile en Europe d'obtenir des financements en animation pour cette audience cible.

Quand elle a voulu vendre ce projet élaboré par des Danois, des Français, des Suisses et des Norvégiens, la productrice Charlotte de La Gournerie a trouvé porte close du côté des chaînes de télévision françaises et européennes. Trop innovant.

À l'inverse, des Américains ‒ et pas des moindres : Amazon et Frederator ‒ ont déjà manifesté leur intérêt.

Alors, "où sont les diffuseurs européens pour soutenir les jeunes créateurs européens ?"

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 92/119 Table ronde

Distribution numérique

Intervenants : Vincent Dondaine, cofondateur, directeur général, Bulkypix, France – Gilles Freissinier, directeur du développement numérique, Arte, France

Résumé

Le service web d'Arte a une double mission : développer la création audiovisuelle sur toutes les plateformes connectées et assurer l'adhésion du public. Or, la distribution d'un programme transmédia ne peut pas s'opérer comme celle d'une production linéaire. BulkyPix se propose d'éditer des jeux vidéo et des applications de qualité. Mais comment tirer son épingle du jeu à l'heure du free-to-play et des produits de consommation de masse ? Les deux intervenants livrent quelques-unes de leurs stratégies.

Mots clés distribution numérique ‒ webdocumentaire ‒ enrichissement ‒ viralisation ‒ Fort McMoney ‒ jeu vidéo ‒ application ‒ Hype Cycle ‒ Gartner ‒ free-to-play ‒ Type:Rider ‒ réalité virtuelle

Synthèse

Gilles Freissinier, sur la distribution des webproductions et des programmes transmédias

En télévision classique, pour favoriser une émission, on joue sur sa programmation. Mais sur le web, où la concurrence est encore plus rude et les home pages plus forcément un passage obligé, comment donner de la visibilité à ses contenus ?

Par une réflexion sur la distribution, avec les producteurs, dès la création du contenu. D'autant que le numérique permet de mieux cibler son audience.

Une fois les contenus mis en ligne sur son site propriétaire, Arte utilise plusieurs leviers de communication :

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 93/119 1 ‒ Le marketing classique

2 ‒ Les réseaux sociaux

Ex. 1914, dernières nouvelles Pour combiner enrichissement et viralisation, un quiz a été lancé sur les réseaux sociaux, qui a généré près d'une centaine de milliers de visites sur les 800 000 que le programme a reçues au total.

3 ‒ Les plateformes de partage de vidéos

Ex. Blow up, webmagazine sur l'actualité du cinéma 90 % de l'audience se fait sur YouTube et Dailymotion. Donc paradoxe : pour attirer le public sur le site de la chaîne, il faut avant tout participer de l'hégémonie de ces plateformes.

4 ‒ L'autopromotion

La promotion de l'antenne par le site semble naturelle, mais pour les projets web, elle doit aussi se faire sur l'antenne pour le site.

Ex. Type:Rider et Culture Touch

L'efficacité est difficile à mesurer. Mais dans le cas du programme bimédia 24 h Jérusalem , on constate que le site a bénéficié de pics d'audience correspondant aux moments où il a été vanté à l'antenne.

5 ‒ Des partenariats avec d'autres médias en ligne

Le partenariat avec un pure player ou un organe de presse traditionnel peut être éditorial (articles, dossiers), marketing (achat d'espaces publicitaires) ou financier (cofinancement de projets) ‒ cette dernière forme étant encore balbutiante.

Ex. Fort McMoney Des partenariats avec des médias français ou étrangers (ex. Le Monde, Süddeutsche Zeitung, The Globe and Mail) ont permis d'accroître considérablement l'audience de ce jeu documentaire. Süddeutsche.de a ainsi amené environ 20 % de l'audience totale du projet, grâce à la cohérence entre ses contenus éditoriaux sur l'extraction pétrolière au Canada et le jeu.

Ex. BiTS, le magazine des cultures geek Il était logique de cibler des partenaires tels que Le Journal du geek.

Ex. Do Not Track Avec cette série documentaire interactive, Arte va un cran plus loin en matière de distribution : plusieurs épisodes seront diffusés sur des médias partenaires. Cela suppose d'accepter l'ouverture de nos programmes et de pouvoir mesurer les audiences sur ces sites.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 94/119 Le partenariat média, l'une des clés de la distribution numérique Source : Sueddeutsche.de ‒ Photo : Philippe Brault

Quelle est la durée de promotion d'un webprogramme ? Il n'y a pas une règle unique, mais plusieurs possibilités.

1 ‒ Le webdoc unitaire Ex. Futur par Stark

Sa promotion s'étale sur un mois et va decrescendo.

Mais s'il a une vie au moment de son lancement (ex. contenus liés au festival de Cannes), le programme unitaire peut en avoir d'autres ultérieurement (quand le film sort au cinéma, quand il arrive à la TV...), et même générer alors davantage d'audience. Pour cela, en TV, on dispose de la rediffusion ; sur le web, le contenu est toujours en ligne, encore faut-il lui redonner de la visibilité via les réseaux sociaux.

2 ‒ Le webdoc qui dure Ex. Fort McMoney

La durée de la promotion correspond à celle du programme.

Mais pour ne pas perdre en efficacité auprès des partenaires (LeMonde.fr ne va pas faire un article par jour pendant 4 semaines sur le sujet), il faut sélectionner des moments promotionnels (début, sessions de vote...).

3 ‒ Le programme récurrent Ex. Blow Up ; BiTS, le magazine des cultures geek

La promotion dure tout le long de l'année.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 95/119 La difficulté consiste donc à recréer de l'événement chaque semaine. Il faut pour cela nouer des partenariats avec des médias très ciblés. Par ex. s'il est question de Tolkien dans le mag, autant s'adresser aux communautés fans de Tolkien.

Vincent Dondaine, sur la distribution numérique des jeux vidéo et des applications

Pour reprendre le Hype Cycle de Gartner, la distribution numérique des jeux vidéo et des applications se trouve actuellement dans la fosse de la désillusion.

Hier, l'euphorie : grâce à la distribution dématérialisée, tout le monde peut s'auto-éditer. Aujourd'hui, les éditeurs reviennent dans la boucle et on assiste à une destruction de la valeur des produits : ils sont de plus en plus aseptisés pour s'adapter au plus grand nombre ; le free-to- play (FTP) est érigé en business model.

Or en réalité, le FTP est un miroir aux alouettes : il reste quasiment inaccessible pour les acteurs petits ou moyens. Sur Android, seuls 1,8 % des développeurs vivent de ce qu'ils produisent.

C'est pourquoi BulkyPix reste un fervent défenseur du modèle payant et des productions originales destinées à des niches.

Même si, pour survivre sur le marché ultra concurrentiel des applis, où le marketing traditionnel s'avère inefficace (un bon service presse ne permet d'assurer qu'1 à 3 % des ventes), tout éditeur a intérêt à intégrer à son catalogue quelques jeux du genre Candy Crush.

Cette stratégie n'est d'ailleurs pas si aisée. Ce type de produit implique des moyens énormes, en particulier pour fidéliser les utilisateurs, les monétiser (ex. avec de la publicité) et ainsi rentabiliser le jeu. Pas évident, car nous sommes actuellement dans un marché de monopole.

Toujours est-il que le mouvement indépendant, dans l'audiovisuel et le jeu vidéo, résiste. D'ailleurs, pour passer ce cap du FTP et ramener du contenu à valeur ajoutée, mais aussi sortir du carcan des joueurs et élargir son audience, les deux secteurs ont tout lieu de s'allier.

Première bonne nouvelle : ils ont déjà commencé à le faire., par ex. avec Type:Rider. Et le jeu, dont la qualité est remarquable à toutes les étapes de la chaîne de valeur, a été déclaré App of the Week par Apple et classé numéro 1 des ventes en France sur iPhone et iPad (plus de 3 M de téléchargements).

Les joueurs préférant ces jeux ne sont pas majoritaires actuellement, mais il est possible de les fédérer en une communauté, de compter sur eux pour fidéliser de nouveaux joueurs via les réseaux sociaux. C'est de cette façon que des contenus payants, innovants et artistiques réussissent encore à se vendre.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 96/119 Type:Rider : l'originalité aussi, peut être gage de succès.

Autre raison d'espérer : la réception excellente, contre toute attente, des deux nouvelles consoles (PS4 et Xbox One).

Troisième signe d'une remontée vers la lumière : le développement de la réalité virtuelle, qui va renouveler le secteur du jeu vidéo et donner lieu à de beaux projets.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 97/119 Table ronde

Comment peut-on être producteur transmédia ?

Intervenants : Nicolas Blies, cofondateur, producteur, a_BAHN, Luxembourg – Pierre Cattan, producteur transmédia, fondateur, Small Bang, France – Florence Gastaud, déléguée générale, Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP), France – Philippe Lamarre, président, producteur, Toxa, Canada – Yaniv Wolf, producteur interactif, Submarine, Submarine Channel, Pays-Bas

Résumé

Producteur transmédia ? Comme le Persan de Montesquieu, c'est une chose extraordinaire. Dans ses modalités de création et de consommation, ce secteur constitue une rupture sensible. Pourtant, avec plus ou moins d'optimisme, Français et étrangers témoignent d'une même difficulté : comment y évoluer, sachant qu'il est soumis aux conditions traditionnelles de la production ? S'ouvrir à la coproduction internationale ; modifier les modèles de diffusion ; ne négliger aucun support, pour multiplier les sources de financement ; générer soi-même son auditoire : voilà quelques propositions.

Mots clés producteur transmédia ‒ Syndicat des producteurs indépendants ‒ régulation des médias ‒ régulation d'internet ‒ chronologie des médias ‒ stratégie de diffusion ‒ stratégie de distribution ‒ coproduction européenne ‒ coproduction internationale ‒ monétisation ‒ partenariat média ‒ business model ‒ modèle économique ‒ Commission européenne ‒ Philippe Garrel ‒ Virginie Despentes ‒ Quentin Dupieux ‒ fidélisation

Synthèse

Pierre Cattan

Si les producteurs transmédias ont en commun le goût de l'exploration, il n'y a en revanche pas de format unique, très peu de routine dans leur quotidien. Ils reflètent leur propre projet. Difficile de parler "du" producteur transmédia. L'être chez Endemol ou dans un petit studio indépendant n'est pas du tout la même chose.

D'autant que ce type de projet se caractérise par une meilleure distribution de la créativité. Tous les participants, y compris le producteur, jouent un rôle créatif. La production transmédia, c'est donc avant tout une accumulation d'expériences individuelles avec des projets collectifs.

Par contre, la grande différence avec la production audiovisuelle classique, c'est qu'il n'y a pas de modèle d'exploitation des œuvres, qu'elles ne génèrent pour l'instant quasiment pas de recettes et que les producteurs doivent vivre des budgets de production.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 98/119 Avec la révolution numérique, les producteurs transmédias ont optimisé le travail. Il n'en fallait pas davantage pour être accusés d'avoir dévalué le marché. Or ils n'ont pas décidé que tout serait gratuit, de casser les modèles précédents.

C'est pour essayer de faire dialoguer les deux types ou générations de producteurs qu'un certain nombre de producteurs transmédias ont récemment rejoint le Syndicat des producteurs indépendants.

Il est temps que tout le monde comprenne qu'ils ont besoin de soutiens ‒ même si la création française bénéficie d'aides publiques pratiquement uniques au monde.

On peut faire des choses en transmédia avec 40 000 € là ou le budget pour une production classique serait de 250 000, mais il faut faire en sorte que tous ceux qui travaillent à 250 000 € ne se retrouvent pas à travailler demain pour 40 000 € sur un projet équivalent.

Les producteurs nouvelle génération ont pensé que les budgets augmenteraient, qu'il était normal de souffrir quelques années, mais ils se rendent compte que ce sont les producteurs historiques qui vont devoir apprendre à travailler comme eux.

Florence Gastaud

La régulation des médias a permis de faire en sorte que 50 à 60 % du milliard d'euros investi dans le cinéma français soit couvert principalement par les chaînes TV. L'argent public, dont on entend beaucoup parler, représente en réalité environ 7 %.

Et dans la liste des films produits en France, on en trouve beaucoup de très grande qualité, par rapport à d'autres pays.

Par conséquent, le cinéma incarne un modèle économique équitable et idéal pour la création.

Sur ce, le numérique est arrivé. Comme outil de diffusion, il s'est surtout fait connaître dans le milieu audiovisuel et cinématographique sous l'angle de la piraterie. Il a fallu du temps pour convaincre chaînes de TV, producteurs, distributeurs et cinéastes, des opportunités qu'il représentait.

Reste que la "perfection" du modèle économique en place rend ces acteurs très peu enclins à le réformer. 90 % d'entre eux préconisent d'autoriser le moins possible à imaginer pour les œuvres des déclinaisons en TV de rattrapage, applis, etc.

Pourtant ce modèle repose sur l'exclusivité. Les diffuseurs doivent se plier à un préfinancement et se voient accorder des fenêtres d'exploitation successives dans le temps (chronologie des médias). Qui dit exclusivité, dit valeur. Et qui dit fenêtres d'exploitation, dit équité.

Or le numérique a bouleversé la perception du temps et de l'espace. Ce qui était créateur de valeur, la rareté, ne l'est plus, car aujourd'hui la rareté d'une œuvre signifie l'oubli ou le piratage. Il est donc temps d'imaginer de nouveaux modèles.

Une centaine de films par an ne sont pas dans l'économie d'exploitation précitée, sans pour autant être mauvais ou sans public potentiel. Pourquoi ne pas modifier la stratégie de diffusion pour leur donner de la valeur ?

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 99/119 Quelqu'un a-t-il déjà vu un film de Philippe Garrel en salle à Nice ? Si l'on en propose un en VàD le jour de sa sortie dans quelques salles françaises, et qu'on voit que ça génère 50 000 clics à Nice, quelles seront les conséquences, à part montrer qu'il y a du potentiel pour une sortie salle élargie ?

Cassons le modèle, qui est magnifique mais qui va s'essouffler. Accaparons les nouveaux outils pour créer de nouveaux schémas de diffusion et inverser la tendance.

Cessons de fabriquer en fonction des modes de financement dont on dispose, pour le faire avant tout en fonction de la manière dont on veut que les œuvres soient vues. Peut-être retrouvera- t-on alors un financement plus sain.

La Jalousie, de Philippe Garrel (2013) Source : http://www.youtube.com/watch?v=_YObnrZz4Wg

Yaniv Wolf

Aux Pays-Bas, les producteurs se réjouissent de bénéficier du Transmedia Programme, instauré récemment par le Creative Industries Fund, en collaboration avec le Dutch Media Fund et le Netherlands Film Fund.

Cela fait déjà plusieurs années que leurs homologues français bénéficient d'un programme équivalent. Ceci expliquerait-il en partie leur attitude moins enthousiaste ?

La bonne nouvelle, c'est que les diffuseurs publics néerlandais sont donc actuellement à la recherche de documentaires interactifs. La mauvaise est que d'ici 2 ans, la dotation sera moindre. Il faudra alors trouver de nouvelles stratégies.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 100/119 Nous pouvons aussi faire beaucoup de coproductions internationales, ce qui rend évidemment les budgets plus confortables.

La différence avec les films est qu'en ce qui les concerne, la stratégie de distribution est déjà en place. Pour le transmédia, cela n'existe pas encore ou bien très peu.

Le producteur doit se charger lui-même des relations publiques et des ventes internationales, de la visibilité du produit... Or aux Pays-Bas, le financement décroché pour un webdoc ou une série animée interactive doit être essentiellement réservé à la production.

Malgré tout, les producteurs sont heureux de pouvoir sortir ce type de production, sachant que ce n'était pas le cas il y a seulement 3 ans.

Submarine Channel est particulièrement chanceuse : elle reçoit pendant 2 ans des fonds du gouvernement néerlandais, ce qui couvre le développement de ses projets. Mais il lui faut encore trouver comment faire de la coproduction internationale mieux qu'elle ne le fait actuellement, afin d'obtenir des budgets plus conséquents. Cela suppose de travailler à se faire un public, par exemple autour des deux webdocs présentés dans le cadre de ce Forum Blanc.

Nicolas Blies

Le webdocumentaire souffre sans doute d'une certaine précarité, mais le transmédia ne doit pas être réduit au web et représente autant d'opportunités qu'il y a de supports.

Au Luxembourg, étant donné que le marché est étroit (550 000 habitants), les producteurs doivent d'emblée s'orienter vers l'Europe et l'international ‒ comme a_BAHN l'a fait avec son dernier projet, Soundhunters, qui a fait l'objet d'une étude de cas lors de ce Forum.

Cela implique de réfléchir à une certaine audience, et partant, faire preuve de pragmatisme et de réalisme pour se demander comment le projet doit être vu. Du coup, le transmédia apparaît comme quelque chose d'extraordinaire car il y a autant de possibilités, et de guichets correspondants, qu'il y a de supports.

Donc un conseil : se montrer davantage ouvert aux coproductions européennes et internationales pour profiter de ces guichets. a_BAHN le fait aussi bien sur des projets qu'elle porte elle-même depuis le Luxembourg, que sur des coproductions plus diverses.

C'est intéressant, aussi, d'un point de vue éditorial et narratif : on se confronte à de nouveaux auteurs, à d'autres problématiques nationales.

Le transmédia apparaît avant tout comme une véritable opportunité. La société de production luxembourgeoise, qui vit de ce type de projets, prouve qu'il faut rester optimiste !

Philippe Lamarre

Une partie des problèmes surgissent quand on aborde la production transmédia sous l'angle du mode de financement TV ou cinéma : un créateur confie son œuvre à un diffuseur qui a la responsabilité de lui faire rencontrer le public.

Or générer un auditoire fait partie de la création d'un projet, c'est une responsabilité dont le producteur transmédia ne doit pas se décharger.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 101/119 C'est à cette condition que cette industrie pourra se pérenniser. Parce qu'en ce moment, on raisonne par projets, au cas par cas, on n'a pas de modèle économique qui régisse notre univers, donc on crée des œuvres qui ne sont pas monétisables.

C'est de sa responsabilité de trouver un modèle économique pour qu'elles aient une valeur. Si l'on veut générer une valeur, il faut générer une communauté autour des projets. Et une fois qu'on l'a, la question est : comment la monétiser ?

Avoir sa propre marque média est une façon de se bâtir un auditoire. C'est pourquoi Toxa a créé Urbania.

Faire des partenariats avec d'autres médias en est une autre. Associer les deux carrefours d'auditoire, trouver une façon d'exploiter l'œuvre ensemble.

Au Canada, les producteurs transmédias ont la chance d'être soutenus par : - le Fonds des médias, malgré la concurrence féroce du monde du jeu vidéo (qui dispose, lui, d'un modèle économique) ; - l'ONF ; - Radio-Canada, qui investit malgré tout moins qu'à une époque, faute d'avoir eu un retour sur investissement ; - la Sodec, qui va instaurer un nouveau programme de financement pour le transmédia et le numérique ‒ pas seulement comme soutien à la création, mais aussi à la diffusion, et là réside sans doute une partie de la solution.

Conclusion : les producteurs transmédias canadiens sont plutôt bien lotis, mais surtout, ils se prennent par la main.

Wrong Cops, de Quentin Dupieux (2014) : la chronologie des médias, à tout prix. Source : http://www.youtube.com/watch?v=5Ty2s0DhzGE

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 102/119 Interventions du public

1/ Jean-Marie Guilloux (cabinet Guilloux) Pour les jeux vidéo, la TV, la VàD, on trouve un auditoire prêt à payer. À quoi tient la difficulté d'en trouver un pour les projets multisupports ?

Pierre Cattan

La difficulté tient au caractère pléthorique de l'offre. Difficile d'exister tandis qu'en 2009, 10 000 applis sortaient déjà sur l'App Store chaque semaine.

Les producteurs transmédias existent sur un marché où l'on n'envisage pas la sortie d'un film au cinéma sans un service de presse, un lancement, des relais... Or pour la plupart de leurs projets, le budget de production ne comporte aucune dimension marketing ‒ si ce n'est la viralisation ou le fait de lancer des campagnes basées sur du contenu, mais ce n'est pas de l'achat d'espaces publicitaires.

Quant aux stratégies d'alliance avec des médias, conclure un partenariat avec une marque drainant des millions de visiteurs par mois ne signifie pas que l'on sera en première page et que tous les visiteurs iront voir le projet. Un partenariat média n'est pas une campagne de publicité massive.

Enfin, par rapport à d'autres budgets que les producteurs font valider par leurs partenaires de diffusion ou ceux qui soutiennent la création, un budget de promotion est hors de question : le CNC ne finance pas le marketing ; de même, les diffuseurs refusent, expliquant que c'est leur partie.

Florence Gastaud

À l'initiative du Parlement européen et sous l'égide de la Commission européenne, l'Arp mène actuellement une expérimentation (TIDE) sur les sorties simultanées salles/VàD concernant un type de cinéma exigeant, sur très peu de copies et différents territoires. Pour résumer, le but est d'apprendre à exister sur le web pour assurer une meilleure circulation des films en Europe à l'heure du numérique. Constat : malgré une subvention non négligeable, et même si l'on tient compte du caractère confidentiel des films choisis, le moyen d'assurer un marketing web efficace autre que le fait d'y consacrer des sommes exorbitantes (comme peut le faire) n'a pas encore pu être cerné.

Yaniv Wolf

Parce qu'il n'y a pas encore de business model pour les productions transmédias accessibles gratuitement en ligne, les vendeurs et distributeurs ne sont pas prêts à investir comme ils le font pour les films dans le cadre de la VàD, Netflix, parce qu'ils savent qu'il n'auront pas de retour sur investissement.

Pour l'instant, même quand Submarine Channel établit un partenariat avec un média aussi important que Le Monde, les visiteurs sont nombreux à visiter les sites des productions (de 10 000 à 30 000 la première semaine), mais leur temps de visite moyen n'excède pas 3 min. Habitués à regarder des films par ex. sur YouTube, ils ne s'attendent pas à cette sorte d'expérience (à la base, ils consultent le site du média pour y lire les nouvelles) et n'ont pas l'habitude d'interagir. Reste à espérer que, d'ici quelques années, le public sera prêt et qu'on trouvera alors un modèle d'affaires.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 103/119 2/ Domenico La Porta

Quand Philippe Garrel est présent sur un festival (ex. Venise), il y a toute une communication autour de son film. Or à ce moment-là, ce dernier n'est pas disponible. Il sortira 3 mois plus tard, dans quelques salles puis en VàD, mais tout le monde l'aura oublié. C'est quand il fait l'événement qu'il faut le sortir. Wild Bunch l'a fait pour Welcome to New York au moment du festival de Cannes. À J+1 après la mise en ligne sur les plateformes de VàD, le film avait déjà généré 48 000 clics. Mais personne ne s'inspire de cette rupture avec la chronologie des médias.

Pour Bye Bye Blondie de Virginie Despentes, le CNC a financé le salaire d'un community manager qui a réussi à fédérer 9 000 personnes sur Facebook. Une avant-première en VàD leur a été proposée. 2 000 fans se sont préinscrits. Mais le distributeur s'y est fermement opposé. Au final, 2 000, c'est le nombre total d'entrées en salle que le film a générées en France et en Belgique.

3/ Laurent Philton (Philéas Production) Le modèle économique n'existe pas encore dans le transmédia. Mais n'est-il pas une sorte de saint Graal ? Les œuvres sont tellement diverses. Ne sera-t-on pas obligé, pour chaque œuvre transmédia, et plus précisément pour chaque webdoc, d'en réinventer un ?

Florence Gastaud

Le problème est peut-être moins le modèle économique du transmédia que comment on régule internet. Les acteurs qui diffusent ont toute liberté pour définir la valeur d'une œuvre. D'où l'importance pour les producteurs d'inverser la donne en se rapprochant de groupements comme le SPI.

Pierre Cattan

Pour faire amende honorable : internet comme véhicule de communication sur les projets nous a tous profondément enthousiasmés. Voir son projet sur internet, accessible à plus de 2,5 milliards de personnes : difficile de résister à cette possibilité. Mais cela a participé de la dégradation de la valeur des œuvres. Les chats qui font la toupie sur un robot aspirateur sont devenus des concurrents terribles pour les professionnels.

Philippe Lamarre

Inutile de s'autoflageller. Le secteur de la production transmédia est tout jeune (voir la keynote inaugurale de ce Forum 2015). Entre des vidéos de chats et des œuvres extrêmement pointues, on peut trouver un juste milieu. Concernant les webdocs, pour le moment les points de repères ce sont des marques médias, des diffuseurs. Le rôle du producteur transmédia est d'instaurer un label de qualité à l'intention du public. Cette fidélisation de l'auditoire, il ne doit pas la déléguer. Et cela suppose de faire plusieurs œuvres.

4/ Margot Nadot, concernant la difficulté à trouver une audience Nous avons appris à anticiper, à avoir envie de voir un film ou de lire un livre. Ce sont des médias que nous avons apprivoisés en tant que consommateurs. Le public sait-il assez ce qu'est le transmédia pour désirer en consommer ?

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 104/119 Philippe Lamarre

Mais chaque projet transmédia est un prototype. Le film et le livre sont effectivement des formats qu'on connaît, contrairement aux œuvres transmédias, mais prises dans leur singularité : chacune d'elles oblige à apprendre une nouvelle grammaire – c'est ce qui fait à la fois leur charme et leur difficulté.

5/ Grégory Faes (Rhône-Alpes Cinéma, membre de l'Arp) Florence Gastaud, n'est-il pas contradictoire de dire que l'Arp défend un modèle fondé sur la régulation, alors que celle-ci est fondée aujourd'hui, justement, sur la chronologie des médias ? Par ailleurs, 1 milliard d'euros par an investi dans le cinéma : cette manne en réalité n'est pas investie dans cette nouvelle forme de création qu'est le transmédia ; le milieu du cinéma s'y refuse fermement, à quelques exceptions près.

Florence Gastaud

Il n'y a aucune contradiction : réformer la chronologie des médias ne veut pas dire la détruire, mais la réinventer. Pour qu'elle soit efficace, il faut cesser de privilégier à tout prix le hertzien. Celle de 2009 a été pensée pour préserver les acteurs de ce secteur, qui investissent énormément, mais son rôle consistant à booster les nouveaux médias a été abandonné parce qu'on pensait que ça revenait à délaisser les anciens médias. Quand un film n'est pas financé par une chaîne, qu'il soit soumis à cette chronologie est absurde. Laissons-le vivre. Peut-être qu'un service de VàD voudra le prendre, pour 10 000 € au lieu de 500 000, mais c'est mieux que 0. Cela permettrait à ces services de s'intéresser à un cinéma différent.

Le milieu du cinéma s'interdit le transmédia de manière majoritaire mais pas complètement. Des choses se font alors que justement elles ne sont pas permises aujourd'hui par la chronologie. Par ex. Wrong Cops de Quentin Dupieux : au début, il s'agissait de 7 courts épisodes, puis il a tout reformaté en un film. Dommage, car s'il en avait fait un buzz, il aurait eu plus d'audience le jour de sa sortie en salle. Il y a donc bien des gens qui ont des initiatives, mais sous le coup d'une réglementation qui leur barre la route.

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 105/119 Atelier

Transmédia : quels auteurs ? quelles formes ? quels droits ?

Animateurs : Catherine Cuenca, auteure, administratrice SACD déléguée à la création interactive – Andrés Jarach, auteur réalisateur de documentaire

Intervenants : ‒ Rodolphe Morin-Diolé, directeur de l'audiovisuel, SACD ‒ Sandrine Antoine, responsable du service programmation et barèmes, direction de l’audiovisuel, SACD ‒ Isabelle Meunier-Besin, responsable du service de négociation des contrats de production audiovisuelle, SACD ‒ Guillaume Thoulon, juriste, direction des affaires juridiques, Scam ‒ Jean-Jacques Gay, président de la commission des écritures et formes émergentes, Scam ‒ Carine Bled-Auclair, les Étoiles de la Scam, direction de l'action culturelle, Scam

Résumé

Le webdoc existe-t-il ? Si le secteur est toujours en phase de construction, la Scam a fait un pas de géant en 2014 en versant les premiers droits d'auteurs pour des œuvres interactives. Reste à passer des accords avec davantage de diffuseurs et à peaufiner les critères d'attribution. À partir de la présentation de trois expériences personnelles par Andrés Jarach et Catherine Cuenca, les participants ont abordé la situation de la création transmédia et confronté leurs visions du travail d’auteur.

Mots clés auteur transmédia ‒ œuvre transmédia ‒ webdocumentaire ‒ déclaration d'une œuvre interactive ‒ droit d'auteur ‒ valorisation ‒ moteur de jeu ‒ univers persistant ‒ monétisation ‒ bible transmédia ‒ univers transmédia ‒ convention de collaboration

Synthèse

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 106/119 Catherine Cuenca, sur le développement d'un projet

Avec l'aide du fonds nouveaux médias du CNC, Bug Busters Biz est en cours de développement au sein de 3 Singes Production.

Cette comédie destinée aux 18-40 ans se déroule dans la sphère du jeu vidéo. Les 2 personnages principaux, Carotte et Garbo, sont des artisans du débogage. Ils luttent contre un petit fantôme personnalisant le bug, et connaissent des problèmes de chefs d'entreprise aux fins de mois difficiles.

Cet univers est conçu pour être présent sur plusieurs médias : ‒ un site internet qui promeut le travail des 2 artisans ; ‒ un jeu en ligne en rapport avec des formations au métier de "bug buster" ; ‒ une série entre la série TV et la websérie (reste à déterminer) ; ‒ un petit jeu sur smartphone permettant de fidéliser les utilisateurs.

Le projet est passé par un grand nombre de phases d'évolution et s'est heurté à beaucoup d'écueils. Il s'agit apparemment d'une constante concernant les projets transmédias.

Au niveau littéraire (base du projet), l'univers était dès le départ à peu près ce qu'il est aujourd'hui.

Au niveau visuel et graphique, les choses ne se sont pas du tout passées comme prévu. Avait été envisagé le développement de la série avec des auteurs graphiques travaillant dans l'audiovisuel ou l'animation. Mais la réflexion sur l'ensemble des métiers et la logique globale n'a été menée qu'en cours de route. Faire cette impasse est fortement déconseillé...

Principales difficultés rencontrées : ‒ Les auteurs d'animation n'avaient pas de culture jeu vidéo. ‒ Les auteurs de jeux vidéo n'ont pas le même statut que les précédents. ‒ Une personne qui était venue non pour faire de la création, mais pour accompagner l'univers en termes de communication (faire des flyers...), a créé un petit fantôme qui est apparu comme l'élément qui manquait pour matérialiser les bugs. De logo, le fantôme est devenu un personnage clé. Il a donc bien fallu proposer à son créateur de faire partie des auteurs. ‒ Enfin, quid de la direction artistique globale ?

À partir de l'intention artistique de départ, le projet avançait, l'équipe se confrontait à la réalité (artistique, des équipes, des moyens financiers, des technologies), de nouvelles idées surgissaient (travail de maturation artistique), et plusieurs personnes se retrouvaient auteures, mais avec des statuts différents.

Or on pouvait par ex. avoir les droits d'exploitation de personnages sur le site, mais trouver soudainement pertinent de les emmener dans la série ou le jeu. Et il n'était pas pensable de développer un graphisme pour chacun des médias. Il fallait donc se garantir une certaine souplesse et éviter tout problème.

Ce besoin d'un cadre juridique pour accompagner auteurs et producteurs dans ces nouvelles formes de création a conduit les créateurs de ce projet à travailler avec les services de la SACD.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 107/119 Andrés Jarach, sur la production et la circulation

Passons au cas de 2 œuvres achevées, réalisées en parallèle mais pour lesquelles le travail d'auteur a été très différent.

Check-in

Check-in est un projet sur le tourisme de masse, écrit et réalisé par Andrés Jarach, développé par la société de production lyonnaise Cocottes Minute, avec le soutien d'Arte (pour le développement et la production), de la Région Rhône-Alpes et de Rhône-Alpes Cinéma.

La promesse : un tour de l'Europe en 5 escales de 5 min sur le mode de la comédie documentaire.

"On est partis du postulat que nos usages de l’internet ont profondément changé la manière dont on voyage. On a donc voulu faire un webdocumentaire sur le tourisme de masse auquel on participe tous avec nos expériences individuelles" explique Jérôme Duc-Maugé, le producteur.

Grâce à un système de gamification en temps réel, le webdoc reproduit, pour mieux l'interroger, l'habitude qu'a l'internaute de consulter et de laisser des commentaires ou des photos de voyage sur les différentes plateformes web dédiées.

Initialement, le projet devait comporter un webdocumentaire de 52 min sur les vacances ratées, ainsi qu'une plateforme participative proposant 12 destinations en Europe.

Aléas du financement obligeant (le CNC n'a pas répondu présent), le concept a été maintenu intact, mais les 2 volets ont été réduits à un webdoc de 30 min et 5 destinations au choix sur la plateforme. L'auteur a opté pour une certaine simplicité, dans la réalisation comme dans ses rapports avec le producteur (comme dans le linéaire), les diffuseurs, le coauteur, un scénariste interactif, un monteur et une agence assurant une prestation technique.

Escale à Lyon : des oreilles de cochon confites aux flash des touristes japonais, Check-in vous fait voyager au second degré ! Visuel : Cocottes Minute

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 108/119 Générations 14 ‒ Mémoires intimes de la Grande Guerre

Coécrit par Andrés Jarach, Kévin Accart et Éric Thébaut, Générations 14 ‒ Mémoires intimes de la Grande Guerre est un projet interactif produit par Fabienne Servan-Schreiber et David Bigiaoui, coproduit par Cinétévé, France Télévisions ‒ France 3 Nord-Est, Canopé, avec la participation du Figaro et le soutien de Pictanovo, du CNC ainsi que du ministère de la Défense et de la mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.

Sur le site, l'internaute est invité à retrouver les fiches de ses aïeux dans le registre des "Morts pour la France" et à découvrir leur quotidien dans les journaux des marches et opérations militaires. Après quoi il peut déposer ses archives personnelles, avant de les partager avec ses proches via les réseaux sociaux tout en les conviant à enrichir ces portraits à leur tour.

Sous l'égide des Archives de France, entre autres, une grande collecte a été organisée auprès des particuliers en novembre 2013. Elle a permis de réunir et numériser des milliers de photos, cartes postales et autres documents. Dix films en sont issus ; réalisés par Kévin Accart, ils ont été diffusés sur France 3 Régions et se retrouvent dans le projet.

La société de production a employé un community manager pour faire vivre les histoires déposées sur un fil Twitter et un compte Facebook.

La durée de vie prévue pour cette œuvre est de 4 ans.

Quant aux droits d'auteurs, Andrés Jarach n'en touche ni sur les 10 films, ni sur ce qui transite via les réseaux sociaux.

Ce que la production lui a demandé, c'est de monter un projet sur la base des documents issus de la collecte et de ceux consultables sur le site du ministère de la Défense, Mémoire des hommes. Andrés n'a pas été tenté de réaliser les films d'archives. C'est l'intention globale, qu'il a trouvée pertinente ‒ n'a-t-on pas tous secrètement envie d'avoir un héros dans sa famille ? À partir de là, le projet est rapidement devenu une œuvre collective.

Mais dans ce cas, quelle est la place, juridique et morale, de l'auteur ?

Andrés se retrouve dans ce projet, au sens où il se caractérise par une certaine simplicité et par l'émotion qu'il provoque chez le visiteur qui retrouve la trace d'un aïeul mort pour la France. En tant qu'auteur en revanche, il a du mal à y trouver sa place, beaucoup plus floue que dans le premier projet. S'il considère Check-in comme l'une de ses œuvres, il n'en dirait pas autant de Générations 14.

Andrés a mis en place la structure globale du projet, puis quelqu'un d'autre est intervenu sur les morceaux filmés. Il s'agit au final d'une coréalisation, pas au sens d'un travail en parallèle, mais plutôt en alternatif.

Il a joué le rôle d'une sorte de show-runner, il est l'auteur de la note d'intention de ce projet en tant qu'auteur documentaire. Tout le long du projet, il a suivi toutes les étapes, avec l'aide technique d'une développeur. Résultat : tous les gens qui ont contribué à ce projet ont l'impression d'avoir fait un peu, mais pas le tout. Certains comparent ce travail à la direction artistique (conception initiale + suivi du projet), mais c'est en réalité plus complexe. Difficile, dans le cas d'une œuvre transmédia, de délimiter qui a fait quoi.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 109/119 Source : http://cineteve.com/nouveaux-medias/generations-14/

Rôle de l'auteur ? Rôle du producteur ?

Question du public

Andrés Jarach et Catherine Cuenca ont témoigné de leur ressenti en tant qu'auteurs transmédias. Mais quelles relations ont-ils avec les producteurs ? Le rôle de ces derniers est-il différent de celui qu'ils ont dans les projets linéaires ? En particulier, leur rôle artistique n'est-il pas très flouté avec celui des auteurs puisque, apparemment, les uns et les autres interviennent sur cette dimension des projets ?

Réponse d'Andrés Jarach

Oui, clairement. En l'occurrence, les divers interlocuteurs et producteurs de Générations 14 ont beaucoup plus géré l'aspect web que l'auteur. De même, il y a une identité Upian, une Small Bang, une Agat films & Cie ‒ Ex nihilo.

Pour les auteurs issus du linéaire, l'adaptation se fait plus ou moins facilement. Pour la jeune génération, c'est plus naturel de laisser la place à quelqu'un comme Alexandre Brachet ou Pierre Cattan, car ils ont une expérience confirmée dans ce domaine.

Réponse de Catherine Cuenca

Sans doute aussi en vertu de la durée de vie du projet. Dans le linéaire, on a l'habitude que le produit soit livré, diffusé, et que ce soit fini pour les auteurs. Au contraire, le projet transmédia continue à vivre (on doit surveiller les commentaires...).

L'auteur peut aussi prendre le parti d'assumer une partie de la production pour garder la main sur le développement de son projet et ensuite seulement passer la main à un producteur, à la fois coproducteur et producteur exécutif, pour que ce dernier accompagne la vie ultérieure du projet.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 110/119 Mais l'intention artistique concernant la vie des entreprises, Catherine a voulu se laisser la possibilité de rebondir longtemps sur l'actualité, d'être entièrement autonome dans la production et de trouver une solution low cost.

Bug Busters Biz se déroule dans un univers 3D. L'équipe a donc décidé d'utiliser un moteur de jeu, de faire des machinimas. Un premier essai a été fait sur Source Filmmaker, avant de passer à Second Life, à l'interface plus simple.

Il est donc possible de récupérer des univers visuels et techniques existants et persistants, d'y insérer les éléments, personnages et décors du projet. Il n'y a plus alors d'urgence à achever l'œuvre. Il suffit de la faire vivre en allant sur le site pour créer de petits films au fur et à mesure (des gens peuvent aussi éventuellement s'en emparer pour réaliser leur film à eux). Cela suppose un investissement initial un peu lourd, mais une fois que tout est mis en place, cela ne coûte plus rien à faire tourner. C'est pour financer le pilote qu'une aide est nécessaire.

En conclusion, la durée de vie des programmes est une question nouvelle, qui fait que soit l'auteur intervient à un moment mais pas sur toute la durée, soit il assume le rôle de producteur et continue à vivre avec son œuvre (tel un romancier alimentant la même thématique avec de nouveaux romans). Pour la visibilité, l'installation dans la durée est intéressante, même si elle n'est pas sans poser des problèmes de financement et de rentabilité.

Du bon usage d'un moteur de jeu existant

Question du public

Vous utilisez le moteur de Second Life. Justement, comment avez-vous réglé les choses avec le créateur de ce jeu ?

Réponse de Catherine Cuenca

Tout simplement en faisant appel à un avocat qui s'est penché sur les conditions générales d'utilisation de Second Life. Elles prévoient très clairement qu'on a le droit d'utiliser gratuitement tout ce qu'on veut dans Second Life, y compris pour une exploitation commerciale, avec une limite : l'utilisation d'éléments graphiques appartenant un autre utilisateur (ex. un décor créé par un joueur) doit être soumise à son accord. S'il est dans une logique commerciale, il peut demander une rémunération ; ça reste contractuel. L'éditeur s'y retrouve commercialement : l'utilisateur qui veut implanter ses propres décors et personnages doit louer des terrains.

Faut-il déclarer son œuvre transmédia ?

Question du public

Je suis l'auteur-réalisateur d'un webdoc diffusé sur un média régional. Je ne pensais pas que je pourrais être rétribué pour ce type de création. Ne connaissant pas la Scam, je n'y ai pas inscrit mon œuvre. C'est grave, docteur ?

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 111/119 Réponse d'Andrés Jarach et Guillaume Thoulon

La place de l'auteur transmédia/web/nouveaux médias n'est pas encore figée, et depuis 2 ans, à la Scam, un groupe de travail se penche sur la question ici soulevée. Il a établi le Bulletin de déclaration d'une œuvre interactive.

Aujourd'hui, la Scam a des accords avec 3 grands groupes : France Télévisions, Arte, Radio France, pour rétribuer l'auteur. Depuis novembre 2014, il y a une première répartition des droits, qui est une avance.

Certes la Scam est une société de gestion des droits collectifs et ne couvre pas tous les droits de tous les diffuseurs. Compte tenu de l'économie de certains sites de presse (LeMonde.fr, Rue89 ou Médiapart), il va être très difficile de négocier avec eux pour percevoir et répartir des droits.

Mais il est important de déclarer ses œuvres, pour que la Scam ait du poids dans les négociations avec les diffuseurs. L'intérêt de passer par la Scam, c'est la force collective dans la gestion collective.

Cette démarche peut d'ailleurs se faire a posteriori, après sortie du webdoc. C'est un processus long et complexe, mais certains auteurs déclarent des webdocs qui datent de 2011/2012 et obtiennent quelque chose.

Vous êtes l'auteur d'un webdocumentaire ? La Scam, en tant que société d'auteurs, de perception et de répartition de droits, est votre maison. Déclarez, et en fonction de la date de mise en ligne et du média, la Scam verra si vous pouvez être rétribué.

Rétribuer : selon quels critères ?

Question du public

Comment ces rétributions sont-elles calculées ?

Réponse de Guillaume Thoulon

On a bien parlé d'avance : on a fait un premier geste.

Il existe plusieurs types de webdocumentaires. À la Scam, pour les œuvres audiovisuelles diffusées, un barème a été établi selon le format : documentaire unitaire, reportage, série... Pour les webdocs, certains se caractérisent par une simplicité dans la mise en œuvre, le parcours, le scénario interactif ; d'autres par leur complexité, comme Fort McMoney, présenté dans le cadre de ce Forum Blanc. Le travail fourni n'étant pas le même, on ne peut les rémunérer de la même façon.

Justement, la Scam travaille actuellement à des critères de valorisation pour déterminer, en fonction de la somme globale qu'elle va recevoir, le montant qu'elle reversera à l'auteur d'un webdoc.

Intervention du public

Les calculs tiennent compte du temps de travail, mais les webdocs les plus élaborés ne sont pas forcément ceux sur lesquels les internautes passeront le plus de temps. Que tous les gens dans la salle qui sont allés au bout de Fort McMoney lèvent la main.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 112/119 Réponse d'Andrés Jarach

On s'efforce de dégager des critères objectifs, en dehors des critères d'audimat, de clics, sans quoi cela deviendrait quelque chose de très commercial. La durée ? C'est un mauvais critère pour le web : tout le monde peut proposer 8 heures de contenu que personne ne va voir. On réfléchit alors sur les degrés d'interactivité : une websérie où le clic sert juste à choisir quel clip on va regarder, ce n'est pas le même degré d'interactivité que Type:Rider. Ainsi que sur le code : se base-t-il sur un modèle existant ou s'agit-il d'un nouveau ?

Il y a eu une première répartition forfaitaire sur des avances par rapport à l'argent que la Scam a perçu de ces droits, mais la détermination de critères objectifs pour cette répartition est très complexe : qui est l'auteur ? quelles œuvres vont toucher combien d'argent ? Tout reste à inventer.

Comment ne pas tenir compte du travail induit, entre autres critères de valorisation d'une œuvre interactive ? Photo : Fort McMoney

Les conventions de collaboration

Intervention de Tanguy Roosen, directeur juridique de la SACD-Scam Belgique

Il est intéressant de comparer les deux dispositifs de création évoqués. Dans un cas, le producteur est au centre du dispositif et fait appel à des gens, auteurs ou pas, puis les paie ou pas, ça se passe plus ou moins bien et il est amené à devoir gérer des différends, à faire des arbitrages. Dans l'autre, l'auteur ou les auteurs est/sont au centre et vous posez la question : comment va-t-on travailler ensemble ? quels seront les apports des uns et des autres ? qui va diriger le travail ?

En ce sens, par suite de conflits entre auteurs, la SACD-Scam Belgique a mené une réflexion sur l'élaboration de conventions de collaboration.

Qui fait quoi, quand, comment ? Que fait-on quand l'un des auteurs s'en va ? Comment accueille-t-on un nouvel auteur dans le dispositif ? Comment se répartit-on l'argent ? Comment

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 113/119 règle-t-on des conflits en plein milieu de la production, de sorte qu'ils ne viennent pas polluer le dispositif de production déjà suffisamment lourd et coûteux ? Qui aura le pouvoir de faire des arbitrages ? Le producteur ? Le directeur artistique ?

Avec des documents contractuels réglant ces collaborations, il ne s'agit pas de tout figer, puisqu'on est dans un dispositif évolutif (ex. quelqu'un venu effectuer une prestation de community management fait un dessin qui devient important dans l'œuvre), mais d'aider les auteurs à formaliser une collaboration pour éviter des pépins et permettre à ces projets fragiles de survivre en cas de divergence.

Qui est auteur ?

Question d'un producteur

Avant de penser à la manière de répartir l'argent entre les auteurs, il faudrait finir de répondre à la question : qui est l'auteur d'un webdocumentaire ?

Comment allez-vous collecter l'argent auprès de ceux qui diffusent les œuvres ? Vous avez parlé des médias (France Télévisions, Arte, LeMonde.fr) mais, de plus en plus, les partenaires privés (Coca-Cola...) vont être amenés à financer mais aussi à diffuser des mini-séries... via leurs réseaux sociaux, et pourtant ce sont des auteurs qui les fabriquent.

Réponse de Rodolphe Morin-Diolé, directeur de l'audiovisuel, SACD

À la SACD, le travail porte aujourd'hui davantage sur le transmédia à proprement parler que sur les webdocumentaires. Il s'agit de déterminer qui est l'auteur de la bible transmédia, qui est à l'origine du projet dans sa complexité.

Un univers transmédia est formé de plusieurs œuvres indépendantes (une BD, un feuilleton TV, un site web interactif...) qui ne soulèvent pas de problème juridique. Ce qui manquait, c'est ce travail d'auteur de l'univers ‒ auteur ne faisant forcément pas de réalisation, de scénario, etc.

D'où la mise en place, en juin 2013, du Bulletin de déclaration ‒ Bible transmédia qui permet à cet auteur de couvrir son intention et de s'assurer une rémunération sur les exploitations qui seront rendues possibles par son travail.

On n'en est qu'aux balbutiements : seuls un ou deux projets ont été soumis à ce jour.

Sur la monétisation des webdocumentaires : si on établit un parallèle entre webdoc et webfiction, auprès de qui va-t-on percevoir des droits ? En webfiction, c'est par ex. auprès de CANAL PLAY, YouTube, France Télévisions. Si l'on prend en compte la problématique de l'interactivité, alors ce sera au nombre de clics.

Réponse d'Andrés Jarach

En dehors des aspects économiques ou juridiques de la chose, les films réalisés par Kévin Accart dans le cadre de Générations 14 sont passés sur France 3 Régions, et moralement, je ne me sens pas concerné par des droits d'auteurs s'y rapportant. C'est de la définition des grandes lignes du projet dont je suis l'auteur.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 114/119 Autre réponse

On en revient toujours à la même remarque : tout en est encore au stade du prototype.

Quelles que soient les déclinaisons d'un projet, elles sont assez bornées juridiquement, il existe des contrats pour chacune d'elles. La question soulevée par les projets de fictions qui nous ont été présentés est celle de la place de celui qui a travaillé dès le départ à l'élaboration de cette espèce de super structure qui sous-tend tout cela et qu'on appelle un univers transmédia.

Ces auteurs n'étaient pas réellement pris en compte alors qu'ils avaient pourtant fourni un réel travail de création avec une vraie originalité au sens du droit d'auteur, à prendre en compte. On a donc travaillé sur un contrat de bible transmédia et sur un bulletin de déclaration.

Tous les auteurs qui travailleront sur une série TV auront des contrats classiques série TV, mais il y aura un partage de droits entre eux et les auteurs de l'univers transmédia.

Question du public

Celui qui, au-delà de dire "On va faire une histoire sur ceci, cela", va construire l'algorithme au sens de l'arche narrative, l'architecture intellectuelle qui va faire tout le côté attractif du transmédia, en disant "Il va se passer ci ou ça à tel moment", sera-t-il considéré comme l'auteur de la bible ?

Réponse

Pas forcément. Il pourra n'être que l'un des auteurs de la bible, qui fera ensuite appel à d'autres auteurs pour remplir chacun des chapitres qui auront été déterminés, et ce, à condition que, dès le départ, tout le monde soit d'accord pour reconnaître que son intervention est un travail d'auteur et que ce qu'il apporte rentre dans les conditions classiques du droit d'auteur. Par tout le monde, on n'entend pas la production, mais les auteurs entre eux.

Question du public

Quelle est la limite ? Un groupe de personnes dit : "Toi tu es auteur, toi non" ? Mais qui décide que ces gens eux-mêmes sont auteurs ?

Réponse

Il y a des conditions juridiques qui fondent la protection par le droit d'auteur, et notamment la grande tarte à la crème : le critère de l'originalité. Le droit d'auteur est déterminé par un apport personnel, l'empreinte de la personnalité.

Mais quand le groupe de travail a vu arriver des projets de bibles transmédias avec une vraie originalité, narration, création, dès lors qu'il a considéré qu'il s'agissait d'un véritable travail d'auteur, la question ne s'est pas posée, de savoir ce qu'un juge en penserait.

Le jour où il y aura un vrai problème, c'est le juge qui tranchera. À partir du moment où tout le monde considère que c'est un travail d'auteur, où est le problème ? Mais d'où l'intérêt de passer des conventions.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 115/119 Question du public

Dans le cadre d'un webdoc, mettons que des gens aient participé à la recherche de personnages, apportent leur petite contribution... Doit-on pour autant les considérer comme coauteurs de l'œuvre dans son ensemble ? Doit-on parler d'œuvre de collaboration pour des projets transmédias comme cela aussi ?

Réponse

La Scam a répertorié à ce jour près de 80 webdocs ‒ ce n'est pas forcément du transmédia ‒ sans avoir connu le moindre litige concernant la place de l'auteur. Beaucoup de producteurs s'impliquent énormément dans la création même de l'œuvre, mais sans pour autant réclamer de droits d'auteur car ils savent rester à leur place. Leur rôle consiste à donner des directives au directeur artistique, mais ce n'est pas parce qu'ils vont avoir une idée, conseiller un angle, qu'ils seront coauteurs.

Question du public

Sur la question du statut de l'auteur de l'architecture, "à partir du moment où les autres auteurs sont d'accord, pourquoi pas" : en qualité de producteur, je ne suis pas sûr que ce soit dans mon intérêt de multiplier le nombre d'auteurs sur un projet. Cela me fait plusieurs interlocuteurs, qui peuvent même changer au fur et à mesure que le projet évolue. Et il vaudrait mieux statuer rapidement sur le travail de chacun. Sinon une monteuse, considérant qu'elle intervient véritablement sur la structure, sur les personnages, etc., revendiquera le statut de coauteure.

Réponse 1

D'où l'intérêt de passer par : ‒ soit des conventions de collaboration ; ‒ soit des dispositifs qu'on voit maintenant en matière de séries TV, appelés fiches généalogiques de l'écriture et qui consistent à lister tous les auteurs qui sont intervenus dans le projet et à l'annexer au contrat, pour ne léser personne.

Mais dès lors qu'il y a un apport créatif avec l'empreinte de la personnalité de quelqu'un, il n'est pas normal que même si cette personne quitte le projet, elle n'ait pas à un moment un petit pourcentage qui lui revienne. De nombreux projets, grâce au travail de personnes qui n'en font plus partie, ont fait des bonds de géants parce que ces gens ont eu un apport créatif qui a permis de débloquer plein de choses (ex. le fantôme de Bug Busters Biz). En série TV, on connaît parfaitement la problématique d'auteurs qui partent ou se font "remercier" !

Réponse 2

Et ce n'est pas au bon vouloir des autres auteurs, que celui de la bible est reconnu. Il doit avoir fourni un vrai travail d'écriture, pas juste une idée, et il faut que sa qualité d'auteur ait été reconnue par le producteur. C'est un document concret et détaillé, qui sera demandé à l'appui de la déclaration.

Réponse 3

Mais les droits d'auteur ne sont pas une médaille.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 116/119 Le problème se présente souvent, de monteurs, de chefs opérateurs de prises de vue, qui en réclament. Or dans la convention collective de l'audiovisuel, ils travaillent sous la responsabilité et la directive du réalisateur. Dans une œuvre audiovisuelle, les auteurs sont l'auteur du scénario, l'auteur de la réalisation, de l'adaptation du texte parlé ; pas le monteur. N'y a-t-il pas, de même, dans une œuvre transmédia, quelqu'un qui va diriger, donner des directives ?

Question du public

Le problème, en ce qui concerne la convention de collaboration, c'est quand on ne sait qu'a posteriori si quelqu'un a influé.

Réponse

C'est pour cela que les avenants ont été inventés. Ne pas hésiter à multiplier les rendez-vous entre auteurs au fur et à mesure de l'évolution du projet et à faire des avenants concernant l'apport créatif des uns et des autres (des projets se développent sur 3 ans : dans ce laps de temps, les choses changent). Cela permet d'éviter des désaccords entre auteurs au final.

Question du public

Et quelle est, à ce moment-là, la place du producteur ?

Réponse

Toujours garder à l'esprit que ce type de projet est de l'ordre du prototype. D'un point de vue juridique, le producteur n'a pas à intervenir. Quand un nouvel auteur arrive, il faut repartir de la somme allouée au départ au projet et repenser les partages, envisager des augmentations de budget.

Droit et convergence des médias

Question du public

Je suis producteur et auteur d'un projet transmédia. Cela signifie que je vais peut-être signer avec des chaînes TV, un éditeur papier, un éditeur de jeux vidéo, autrement dit des diffuseurs ne relevant pas des mêmes réglementations. Alors en termes de droits d'auteur, comment cela se passe-t-il ?

Réponse

Inutile de réinventer la roue. Sauf en matière de jeu, des contrats très clairs existent pour chacune des briques d'un projet transmédia : contrat d'édition, contrat série TV, etc. Ce qui posait problème, c'était le cas des créateurs de l'univers transmédia. Il faut donc passer différents contrats en fonction des déclinaisons de son projet, avec une superstructure contractuelle qui règle la question des auteurs en amont.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 117/119 Au-delà, on constate qu'un projet transmédia met en œuvre : ‒ des problématiques de télécommunications à cause de l'internet ; ‒ des problématiques audiovisuelles ; ‒ des problématiques de droits de propriété intellectuelle.

D'où une discussion qui se tient actuellement au niveau européen. Il existe en effet 3 directives (sur les télécoms, l'audiovisuel et la propriété intellectuelle) que la convergence des médias impose de réunir.

En matière de protection du droit des auteurs, tout est déjà prévu par le Code de la propriété intellectuelle. Ce qui reste à inventer, c'est par quel mode ces droits d'auteurs circulent. Ils circulent aujourd'hui sur Internet, à la TV, au cinéma, mais ce sont les législations des médias concernés qui se heurtent et doivent faire l'objet d'une convergence.

La discussion est ouverte !

Question de Nadia Berg, Storycode France

Ces concertations que vous avez à la SCAD, à la Scam, sont-elles ouvertes, peut-on y participer ?

Réponse de Catherine Cuenca

On ne demande que ça !

Réponse d'Andrés Jarach

Moi je suis auteur, je ne suis pas salarié de la Scam, et je participe au groupe de travail parce que je fais partie d'une commission de la Scam. L'administration (la Scam) cherche des gens qui travaillent comme interlocuteurs sur le terrain, même si elle ne peut pas inviter tout le monde.

Pour rappel, il existe d'autres lieux de discussion : ‒ les réunions entre la SACD et les producteurs, les sociétés d'auteurs, le CNC ; ‒ dans les sociétés, les comités professionnels où l'on établit les résolutions qui vont être présentées en conseil d'administration.

Question de Nadia Berg, Storycode France

On se sent un peu comme de jeunes auteurs face à l'impressionnante administration... La première fois qu'on a entendu dire que les droits d'auteurs allaient être versés, les réflexions qui ont fusé étaient du type : "Oui, mais ça va encore être au nombre de clics !" Et aucune info n'apparaissait sur la page d'accueil du site. Quelle transparence ?

Réponse

Le processus de décision de la Scam et de la SCAD n'a rien d'obscur. Les règles de répartition sont votées par les auteurs en assemblée générale et sont bel et bien accessibles sur le site de la Scam.

Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 118/119 Conclusion

Catherine Cuenca

Reste à espérer que la rémunération des auteurs sur ces nouveaux médias sera bientôt à la hauteur de ce qu'on est en train de mettre en forme ‒ et de ce qui est perçu sur les programmes télévisés !

Andrés Jarach

Toutes ces questions de droit ne sont intéressantes qu'à partir du moment où l'on admet que la place de l'auteur, dans un projet transmédia, n'est pas la même que dans un projet linéaire, et qu'elle est encore en cours de définition. Comme l'a rappelé Michel Reilhac, les auteurs du cinéma ont mis une génération à trouver la leur !

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Compte rendu du Forum Blanc 2015 ‒ p. 119/119