LA POUDRIÈRE DES

PIERRE SOUBIRON

La poudrière des Seychelles

roman En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie.

© by Éditions Denoël, 1992 73-75 rue Pascal, 75013 Paris ISBN-2.207.23970-5 B 23970-5 Avertissement de l'auteur

Par prudence et respect pour mes amis sey- chellois, les noms de certains personnages secondaires de ce livre ont été remplacés par des noms d'emprunt. P. S. Cet archipel, paradis du tourisme, est composé d'une foulti- tude de petites îles dont les principales sont celles de Mahé et . Il se situe en Afrique, dans l'océan Indien occidental, à 1 100 kilomètres de . D'une superficie globale de 408 km, sa population est d'envi- ron 65 000 habitants, en très grande majorité catholiques. La monnaie s'appelle la roupie, les langues parlées sont le créole, l'anglais et le français. La capitale, sur l'île de Mahé, est Victoria, 30 000 habitants. Peuplée pour l'essentiel de Franco-Créoles, elle comprend aussi des minorités noires et malaises. Les Seychelles ont déjà une longue histoire. Au Moyen Age, les marchands arabes y faisaient souvent escale. Les premiers Européens à y débarquer au XVI siècle furent les Portugais. L'archipel fut ensuite exploré puis colonisé par les Français qui s'y installèrent en 1742. Ils lui donnèrent le nom de Moreau de Sèche lles, contrôleur général des Finances. Occupé par les Anglais en 1811 qui l'administrèrent en même temps que l'île Maurice et exploitèrent le cacao, les noix de coco, le guano dont les Seychelles sont un grand exportateur à partir du port de Victoria. La chasse à la tortue et la pêche représen- tèrent aussi des ressources importantes. En 1903, l'archipel dépend directement de la Couronne britannique. En 1976, sous la poussée du Parti démocratique (S.P.D.) et du Parti du peuple uni (S.P. U.P.), les Seychelles devinrent indé- pendantes dans le cadre du Commonwealth, J.R. Mancham devenant président de la République. En 1977, son premier ministre Albert René fomente avec suc- cès un coup d'Etat. C'est ici que les aventures véridiques racon- tées dans ce livre commencent, alors que les touristes affluent en raison du climat très doux de l'archipel : 24 à 29 degrés dans la période dite fraîche de juin à novembre. La saison des pluies est très courte durant les périodes chaudes, l'archipel est pro- tégé, peu de tempêtes et de vents forts, ce qui explique que le tourisme soit devenu largement la première industrie de l'île qui excite beaucoup de convoitises et de complots en tout genre... Chapitre 1

«Naviguer au plus près du bonheur. » .

1976, île de Mahé, Victoria

Un cardinal s'envole, affolé par l'ouverture brutale d'une porte. Il se réfugie sur les plus hautes branches d'un flam- boyant. Un grand et vigoureux barbu apparaît sous la véranda de la massive maison blanche, de style colonial, noyée dans la verdure tropicale. James Mancham, chef- ministre des Seychelles, va prendre son breakfast avant de rejoindre son bureau. Sa chemise hawaiienne piquée d'hibiscus rouges et de feuilles vertes sur fond blanc est en parfaite harmonie avec son humeur du réveil. Largement échancrée sur son torse puissant elle laisse voir une chaîne où pend une énorme dent de requin sertie d'or. Il aime ce symbole, son pendule à fem- mes. Il attire le regard et provoque la curiosité. Son charme naturel, son esprit et sa joie de vivre font le reste. James Mancham, Jimmy pour les intimes, est heureux. Il a laissé à l'étage, dans la vaste chambre, Brita, une ath- létique Suédoise, authentique blonde, alanguie sous les pales du ventilateur. Elle dort encore. La veille, dîner aux chan- delles sur la terrasse. A la fin du repas, il s'est dressé pour lui déclamer des poèmes en anglais, de sa composition. Puis des chansons en français. Et lui fit, enfin, l'amour en créole. Rien ne peut entamer la bonne humeur du chef-ministre en ce beau matin de janvier. Les queues de mousson s'éloi- gnent de l'archipel, le ciel est limpide, profond. Il chan- tonne Paloma bianca. Hier, le gouverneur, au nom de sa Très Gracieuse Majesté, lui a fait savoir que le principe de l'indépendance des Seychelles était acquis. Lui, James Mancham, chef- ministre du gouvernement de transition, serait tout natu- rellement appelé à prendre en main la destinée des îles. Les îles... Ses îles. Elles s'étalent devant lui dans la mer émeraude, posées sur leur coussin de sable blanc. Là, tout près, l'île aux Cerfs, Sainte-Anne, l'île Longue... et plus loin, comme s'il les voyait, Praslin, la Digue et toutes les autres... Plus de 90, dispersées sur 640 000 km de super- ficie maritime, forment l'archipel des Seychelles. Son « royaume »... Il sait bien que le scénario de l'indépendance et sa dési- gnation à la présidence ne doivent rien au hasard. La Grande-Bretagne ne serait pas ce qu'elle a su rester sans préparer longtemps à l'avance ce genre de situation. Il y a dix ans déjà que cette éventualité et le choix de l'homme ont été programmés. Jimmy n'y voit aucun inconvénient puisqu'il est le bénéficiaire du montage. Depuis que les Seychelles s'ouvrent au tourisme, les aven- tures vécues avec des visiteuses de différentes nationalités lui ont permis de savourer une manière d'exotisme à rebours. Les dames le trouvent séduisant et les Anglais, eux, affirment qu'étant le plus intelligent, il est le plus apte à gouverner. Que demander de mieux ? Il savoure avec bonheur ses œufs brouillés et sa man- gue bien mûre, découpée en lamelles avec amour par Flora, sa vieille et grosse nounou, attentive à tous ses caprices. Un crissement sur les graviers de la cour. Une antique Jaguar blanche conduite avec précaution par Séraphin Qua- trevent vient le chercher pour le déposer à son bureau, situé à 300 mètres. La marche n'est pas digne d'un chef-ministre. — Bernadette, tape-moi cette lettre concernant l'affaire Loizeau, tu la déposeras dans la boîte de la Cour, en ren- trant chez toi. Je pars pour l'aéroport. -Albert René est tracassé, son cabinet d'avocat vivote, et en politique le courant ne passe pas bien. Peu de participants aux réunions, son mouvement, le SPUP ne fait pas recette. Il sent l'hostilité des Anglais entrete- nue par Mancham, ce play-boy ! Bientôt dix ans que le SPUP existe mais rien n'a vrai- ment évolué depuis la grève de 1972. Le S.P.D. et son leader, le chef-ministre Mancham, s'étaient inclinés. Les bourgeois avaient dû céder 39% d'augmentation sur les salaires. Mais depuis, René n'avait pas vraiment su tirer parti de cette victoire. A l'inverse de son rival, il a choisi la sobriété d'appa- rence. Sa taille courte et sa silhouette un peu lourde lui interdisent les excentricités vestimentaires. Son visage aux traits réguliers sous des cheveux châtains, ondulés, ne par- vient pas à faire oublier la froideur du regard clair, calcu- lateur, marqué sans doute par son passage au séminaire suisse de Martigny-en-Valais. France-Albert René est inquiet. Sur la route semée d'ornières qui le mène à l'aéroport, à la pointe sud-est de l'île, il pense à l'avenir. Le système démocratique à l'anglaise ne lui inspire pas confiance. Bientôt, les élections auront lieu. Décidé à mettre toutes ses forces dans la bataille, il va réveiller les «zoms3 ». Il se sent proche d'eux quand il les harangue en créole, il reprend confiance. Un cahot plus rude l'arrache à ses pensées. Devant lui se dresse la seule industrie digne de ce nom existant sur l'archipel : les Seychelles Breweries. Tout un symbole ! La première industrie implantée par les « protecteurs » anglais

1. SPUP : Seychelles People's Unity Party, tendance socialiste marquée. 2. S.P.D. : Seychelles Party Démocratic, libéral anglophone. 3. «Hommes» en créole. est une brasserie, montée de toutes pièces par des Alle- mands. Pour abrutir de bière le travailleur seychellois et reprendre son maigre salaire arraché aux propriétaires. René aborde maintenant la longue ligne droite qui longe le hameau de Cascade. Une jolie petite église vert et blanc, accrochée à une grosse tête de granite qui jaillit de la végé- tation, surplombe une molle chute d'eau. Les Seychelloi- ses du district viennent y battre le linge en gazouillant les rumeurs apportées depuis l'aube par radio-cocotiers. L'aéroport approche. Peu de voitures, peu de monde. Le nouveau vol ouvert par Airways n'a pas encore obtenu le succès escompté. Mais dans le moment présent, le tourisme n'est pas la préoccupation principale d'Albert René. Il vient mettre à l'avion un jeune créole de vingt ans, Ogilvy Berlouis. Destination finale du garçon : Dar es- Salaam. Seul, Albert René connaît le but et la raison de ce départ. Ogilvy est envoyé en Tanzanie en formation, sous l'aile protectrice du docte et très marxisant Julius Nyerere. Ce stage, Albert l'a obtenu au cours d'une rencontre pas du tout fortuite avec un Tanzanien haut placé dans le parti, qui lui a fait part de l'attention avec laquelle le président Nyerere suivait les efforts entrepris par le SPUP, et René en particulier, pour plus de justice et vers une réelle indé- pendance. C'est ainsi qu'Albert René avait été autorisé à ouvrir un bureau du SPUP à Dar es-Salaam, un an aupa- ravant, sûr de trouver en Tanzanie l'appui dont il aurait besoin pour servir ses desseins.

Le Dr Maxime Ferrari quitte sa villa Chandolin, ainsi nommée en souvenir d'une journée magique dans les Alpes suisses. Cette maison à laquelle il est très attaché, située dans les hauts de Victoria, il l'a gagnée en accouchant la moitié de la population féminine des Seychelles. D'abord à Praslin, une île située à une quinzaine de kilomètres de Mahé où il a fait ses premières armes de gynécologue, puis à Mahé, l'île capitale. Petit à petit, il a amassé suffisam- ment de roupies pour construire sa maison. Il l'a posée au sommet de la route traversant le morne Blanc, à l'ouest de l'île, au lieu dit Sans-Souci. Quatre cents mètres plus haut, habite Albert René. Ce voisinage lui semble un signe du destin. Deux ans auparavant, le bon docteur est entré en politique. Il se sent libéral, sa générosité naturelle, son humanisme l'inclinent à adopter une ligne socialiste. C'est donc tout normale- ment qu'il a offert sa conviction et sa capacité de travail au SPUP d'Albert René. Celui-ci a ouvert grands les bras, trop heureux d'accueillir au sein de son parti un homme dûment titré et incontestablement populaire. Préoccupé par l'échéance électorale prochaine, Albert René a senti en Maxime Ferrari un dragueur de voix fort appréciable pour l'avenir du parti. Le Dr Ferrari, chauffeur prudent et peu doué, descend vers Victoria, la capitale, seule vraie ville de l'archipel. Il négocie les virages avec la même circonspection qu'il aborde la cinquantaine. Sa belle chevelure blanche, ses yeux en amande, sa barbe courte et soignée lui confèrent un charme et une dignité qu'il promène sans ostentation. Avec l'assu- rance des hommes en règle avec eux-mêmes et avec les autres. Comme chaque matin, il serpente avec ravissement au milieu de la luxuriance des mille espèces qui composent la flore unique des Seychelles. Le soleil, jouant à travers la forêt, dessine sur la route des ombres fantasques : sandra- gons, bois de rose, takamakas, arbre de fer, jaquier... Leurs senteurs épicées, violentes, enivrent... Première halte au ministère du Travail, son ministère. Nomination entérinée depuis un an par le chef-ministre Mancham, avec l'accord d'Albert René, lui-même minis- tre du Plan et du Développement du gouvernement de transition. C'est un portefeuille peu important puisque l'administration est toujours entre les mains du gouverneur britannique, mais qui permet un apprentissage de la chose publique qui sera fort utile, le moment venu. Le docteur-ministre fait le tour des trois pièces de la vieille maison en bois, très seychelloise de style — large véranda, portes-fenêtres, fines colonnes — mais peu relui- sante, plantée au fond d'un jardin-parking donnant sur la route. Qu'importe! Le luxe n'est pas son affaire... Il salue les employés du ministère : deux secrétaires, deux techniciens seychellois et un Anglais. Il s'enquiert de la santé de chacun, lit son courrier, dicte quelques réponses puis se rend à son cabinet médical situé à deux cents mètres, dans l'immeuble Arpent Vert qui abrite le consulat de France au premier étage. Une voix l'interpelle avant qu'il atteigne sa porte. Frank Biesel, fraîchement nommé, le salue. — Monsieur le Ministre, comment allez-vous? — Bien, monsieur le Consul. Le consul, après un coup d'œil circulaire, saisit le coude du ministre et lui glisse à mi-voix : — Le chef-ministre Mancham se rendra prochainement à Paris pour rencontrer quelques personnalités du gouver- nement français. Des discussions sont prévues au Quai... Il nous serait très agréable que vous assistiez à ces entre- tiens, monsieur le Ministre. Je vous souhaite une bonne journée.

Le 747 d'Air France entame son approche pour se poser à Mahé. Dans vingt minutes, une centaine de passagers vont débarquer à l'escale. Les autres, trois cents environ, continueront sur Maurice et la Réunion. Le front collé au hublot, Pierre Soubiron regarde défi- ler des îlots verdoyants ourlés de plages pâles et baignant dans des eaux turquoise. A ses côtés, René le cameraman et Michel l'ingénieur du son. L'équipe. Derrière, Robert Violain et des amis discutent, rient. L'œil fixé sur l'hori- zon à la recherche de la grande île, Pierre ne peut s'empê- cher d'ébaucher un sourire. Il nage dans le baroque. Un mois plus tôt, il n'avait jamais entendu parler des Seychelles. Violain, rencontré par hasard, le récit de son aventure, l'enthousiasme du conteur, sa bonne mine, avaient donné naissance à quarante lignes de synopsis. Huit jours plus tard, avis favorable de TF1. O.K. pour un repor- tage de vingt minutes. Vingt minutes pour raconter une histoire exemplaire. Comment, avec de l'audace, de l'imagination et sans grands moyens financiers, réaliser un rêve, sortir du ronron et du gaz carbonique, du R.E.R. et des feux rouges. Robert Vio- lain, enfoncé dans une dépression physique et financière consécutive à un désastre immobilier, était tombé sur un reportage de Paris-Match décrivant ces îles du bout du monde. Il avait consacré ses derniers francs à ce voyage qui était presque une fuite. La douceur de la vie et le climat émollient eurent tôt fait leur œuvre bienfaisante. En trois jours, il commença à rire de ses malheurs. Au bout d'une semaine, il s'en souciait comme d'une guigne. Initié au sega par de jeunes et accor- tes autochtones, il se mit à consommer local, dans la bonne humeur et sans arrière-pensée. Foin de la faillite ! Que la fête commence !... Au dixième jour, profitant d'un passage offert sur un boutre, il avait abordé sur une île appelée Silhouette, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Mahé, cerclée d'une barrière de corail. Il y avait passé deux jours de rêve et de folie. Le jour il explorait ce qui lui parut le plus bel endroit du monde. Plages, rivières, cocoteraies, cascades et les mille essences rares d'une forêt équatoriale trouée de reliefs chaotiques donnaient à ce lieu une allure d'Eden. Est-ce la magie de cette nuit passée avec les villageois à dan- ser le cantolé, danse d'inspiration vieille France, mélange de valse, de polka piquée et de contredanse ? Est-ce le calou, alcool de sève de cocotier fermentée, bu à même la cale- basse ? Est-ce enfin la douceur de la petite Mariette, qui à l'aube était venue se blottir contre lui dans la vaste case Dauban, la maison du maître ? Quelle qu'en soit la raison, et certainement pour toutes à la fois, Violain repartit envoûté. Cette île devint une obsession. Il s'informa à Victoria sur l'objet de sa passion. Sil- houette appartenait à une famille d'origine française : les Dauban. Hervé, le patriarche, y récoltait le coprah et l'huile qui font vivre toute l'île. Les enfants ne désirant pas pour- suivre son œuvre, il avait, à contrecœur, décidé de s'en séparer. France Morel du Boil était en charge de la tran- saction. Le notaire reçut Robert Violain et d'une phrase coupa l'enthousiasme de son visiteur : — Mais l'île n'est plus à vendre, mon bon monsieur, elle a été achetée hier. — Par qui? Combien ? ne put s'empêcher de deman- der Violain. C'est ainsi que Robert Violain apprit que « son » île avait été achetée par un éminent exilé, Mgr Makarios, archevê- que de Chypre, pour la somme de 8 000 000 de roupies seychelloises. Sans réfléchir aux conséquences, obnubilé par le paysage de l'île enchantée, Violain proposa la somme de 8 300 000 roupies. — Je transmettrai, monsieur, dit le notaire. Violain passa deux jours moroses sous les cocotiers. Il n'entendait plus les rires des filles. Il ne répondait plus aux saluts des dizaines de relations nouées au fil des bars, des plages et des piscines. Il sombrait à nouveau dans la déprime. Le troisième jour, Morel du Boil lui annonça que le digne ecclésiastique en fuite ne tenait pas à ce que le monde apprenne qu'il avait quitté Chypre avec des liasses dans la soutane. A nouveau, les deux mille huit cents hectares de Silhouette étaient à vendre. Robert Violain signa. France Morel du Boil tint à lui assurer sa profonde satisfaction de savoir que l'île reste- rait sous la houlette française. C'est alors que l'amoureux comblé prit conscience qu'il venait de s'engager pour huit millions trois cent mille roupies, lui, le « failli » de Marseille ! De retour en France, il se transforma en pèlerin- marchand. Armé d'un album de cent cinquante photos, d'un film super-huit et de son don de convaincre, il réunit en six mois quatre-vingt-deux acheteurs de l'île : la copro- priété de Silhouette était née. C'est cette histoire, cette aventure dont Pierre était chargé de faire le récit pour TF1. Le ding-dong de l'hôtesse annonçant la descente sur Mahé le tire de ses pensées. Pierre se tourne vers Violain. — Robert, tu m'as parlé des Seychelles, de Silhouette, mais tu ne m'as rien dit du contexte politique. — Les Anglais ne sont plus là pour très longtemps, répond Violain. Il y a un gouvernement seychellois, une sorte de shadow government dirigé par un homme extraor- dinaire : James Mancham. Je l'ai rencontré deux fois pen- dant mon dernier séjour. Avec lui on ne s'ennuie pas ! — J'aimerais bien faire sa connaissance. — Sans problème ! Ici, il n'y a pas de protocole. Tout se passe en famille ! Pierre se penche à nouveau vers le hublot. L'extraordi- naire bigarrure végétale, tous ces tons de vert, ponctués de rouge flamboyant, de jaune acide, monte vers lui. L'île, orientée nord-sud, est une succession oblongue de collines tourmentées. Les reliefs dégringolent en vagues bourrues dégorgeant dans l'océan Indien des masses de granite gris ou rose où se brise une écume blanche. Dans les creux, le sable pâle se dilue paresseusement dans la mer qu'il teinte de jade. Plus loin, il aperçoit une ville. Non. Un gros vil- lage arrondi au creux d'une baie, escaladant les collines : Victoria, la capitale. Violain lui apprend qu'ici réside le quart de la population de l'archipel qui compte environ 65 000 habitants, lesquels résident à 90 % sur l'île de Mahé. Une grande famille... Le mastodonte se pose.

Comme annoncé, Robert Violain a obtenu rendez-vous avec le chef-ministre Mancham. Debout dans l'anticham- bre, Pierre et Robert attendent. Trente-six heures de Sey- chelles, et Pierre est déjà sous le charme. Il comprend la passion de Violain, et pourtant il n'a fait que le tour de Mahé. Le sud de l'île est un enchantement : l'exubérance des palmes, la préciosité des criques léchées d'une mer où se mêlent toutes les teintes de vert, du sombre presque noir à une transparence opaline, reprises par la végétation où se nichent des hameaux, l'arrondi des mornes, les plaines ombreuses, toute une harmonie de couleurs vives, de sen- teurs étranges et de douce moiteur qui caresse les sens et où l'on voudrait plonger comme dans l'océan toujours proche... — Bienvenue aux Seychelles, messieurs. Une voix forte, bien timbrée, ramène Pierre à la réalité. Devant lui se tient James Mancham, le chef-ministre. Impossible d'ignorer la chemise du maître des lieux. Sur fond jaune paille, des aras flamboyant de rouge, vert, vio- line et bleu pétard semblent participer à une exposition au jardin d'acclimatation. Surprenante tenue pour un futur chef d'Etat. Le visage aux traits vaguement asiatiques est avenant. La barbe noire est taillée en collier, les lèvres épais- ses entrouvertes par un large sourire laissent apercevoir l'éclat des dents. La poignée de main est franche, virile. — Entrez, gentlemen. Que puis-je faire pour vous ? — Monsieur le Ministre, dit Pierre, je réalise un repor- tage de vingt minutes sur vos îles. M. Violain et Silhouette en sont le sujet de base, mais je pense ouvrir mon enquête au contexte économique, social et politique de l'archipel. — Excellente initiative. Très bonne idée. Comment vous appelez-vous ? — Pierre Soubiron, monsieur le Ministre. D'un coup d'œil, Mancham jauge le journaliste : car- casse solide comme lui, traits nets, visage énergique, avec au coin du regard noisette l'humour de ceux qui ne se lais- sent pas facilement duper. Examen réussi. — Je suis à ta disposition, Pierre. Tout ici est magique. Tu vas en avoir des choses à raconter à mes amis français. Dieu nous a tout donné pour être heureux. Il enchaîne sans transition : — Il était un gars heureux A la mer, en voiture, au lit. Il a toujours été un insensé romantique. Il se tourne vers une étagère, se saisit d'un opuscule et le tend à Pierre. — C'est un extrait d'un de mes poèmes, L'Insenséroman- tique. En lisant ce livre, vous saurez beaucoup de l'âme sey- chelloise. Quant au pays, il vous suffira d'ouvrir les yeux ! Pierre reste sans voix, abasourdi par tant d'aisance et de simplicité. Tandis que Violain parle de Silhouette avec le chef-minis- tre, Pierre découvre une surprenante galerie de portraits dédicacés de personnages célèbres. Le général de Gaulle et Indira Gandhi, J. F. Kennedy et Chaban-Delmas. Une superbe créature en maillot de bain paraît chaperonnée par Mgr Makarios et le pape Paul VI. Pierre s'approche pour lire quelques dédicaces. La pin-up n'a pas fait dans la demi- mesure. Miss Cantal a signé : «A Jimmy pour la vie» ! L'entretien prend fin. Rendez-vous fixé pour le lende- main matin avec l'équipe pour l'interview. Mancham pose la main sur l'épaule de Pierre : — J'ai mieux à vous faire voir ! Il s'agenouille, ouvre un coffre-fort entamé par la rouille et en sort un numéro de Play-Boy. L'œil pétillant, il exhibe une grande photo : la playmate du mois. Une superbe blonde, aux seins abondants, américains... Molly Harn — Miss Texas 75. Une écriture enfantine a tracé au-dessous : I'll never forget. Kisses and love. Molly. Triomphant, Jimmy toise ses deux visiteurs. — L'amour, messieurs ! L'amour ! Le secret de notre paradis !

Le séjour de Pierre tire à sa fin. Le reportage est bou- clé. L'interview de Mancham a été une réussite. Les pro- pos du chef-ministre, clairs, teintés d'humour, collent aux images. Au cours des quinze jours, Pierre a eu l'occasion de revoir Jimmy Mancham plusieurs fois. Le courant passe entre eux, une relation amicale se tisse doucement... Avant son départ, Jimmy a tenu à déjeuner avec lui en tête à tête. Tous deux, installés dans la vieille Jaguar blan- che aux pneus lisses, roulent à vingt à l'heure. Malgré sa prudence, Séraphin ne peut empêcher le train de couiner dans les virages. Au sommet de la route de Beauvallon, avant de plonger sur Victoria, la petite capitale qui exhale un parfum de nostalgie coloniale dans un style Nouvelle- Orléans, à hauteur de Pascal-Village, un groupe de Sey- chellois reconnaît la voiture officielle. Des cris fusent. — Jimmy ! Jimmy ! U bien? Hommes, femmes, enfants gesticulent, sautillent. Jimmy fait arrêter la voiture. Il s'avance vers le rassemblement. Tout d'abord Pierre a cru à une manifestation de mécontentement, mais les faces hilares le rassurent. Jimmy est au milieu du groupe, ébauchant une pantomime. Aux gestes, Pierre devine un récit salace. Le mime improvisé entre peu à peu dans son rôle. Il saute sur le muret bordant la route et donne libre cours à sa création. Le tata montant stoppe. Les véhicules suivants égale- ment. Les passagers du bus à claire-voie, accrochés aux

1. Nom donné par les Seychellois aux bus indiens des transports en commun. ridelles, deviennent spectateurs de loges. Les occupants de voitures arrêtées s'approchent, la foule grossit. La circu- lation est bloquée dans les deux sens. Inouï ! Mancham, ravi de son succès, s'emballe sur sa scène de fortune. Il en rajoute, tend la main à une gaillarde mamma aux formes arrondies et à l'œil malicieux, la hisse avec dif- ficulté à son côté. Commence alors un inénarrable duo en créole. Les rires fusent. Un couple d'Anglais descendu d'une Moke est venu aux nouvelles et demande à Pierre : — What happens, sir ? — Nothing. Only the chief minister offers an entertain- ment to his people. — Oh ! Strange ! La grosse Noire dans les bras de Mancham semble se consoler d'un dépit amoureux. Gardant sa partenaire con- tre lui, le joyeux drille conclut en français : — Le bonheur naît où la compréhension commence. Quand vous le voyez tout seul et désolé, Écoutez mes amis, soyez bons. Sautant de son estrade sous les acclamations de l'assis- tance, James Mancham rejoint sa vieille guimbarde bri- tish et, tapant sur la cuisse de Pierre, s'écrie : — Tu vas goûter un vrai repas seychellois et une des spé- cialités de nos îles : le civet de chauve-souris. Séraphin, à La Marmite ! Dès l'entrée, la patronne se précipite au-devant du popu- laire barbu et lui saute au cou. Le ton est donné. Son mari, tout sourire, accourt. On serre chaleureusement la main de Pierre. Les amis des amis... A peine assis, Mancham se relève. — Attends-moi, je vais en cuisine voir si tout est au point. Il disparaît par une porte. Pierre l'aperçoit par l'ouver- ture du passe-plats. Il salue les cuisiniers, soulève les cou- vercles, touille dans les casseroles, et avise une jeune mar- mitonne qui le regarde, béate d'admiration. Elle est noire, vêtue d'une blouse blanche, deux nattes raidies partent de chaque côté de son visage rond, tenues par deux papillons en velours rouge vif. Faussement menaçant, Mancham s'empare d'une lon- gue broche et fonce sur la fille qui s'enfuit en couinant dans la grande salle. Le satyre barbu la poursuit. Une course folle s'engage autour des tables jusqu'à ce que le bout pointu de la broche picote le «charnu» rebondi de la gamine sous les acclamations de l'assistance...

La salade de zourite servie en entrée est excellente. Un rosé de Provence bien frais l'accompagne. Arrive le fameux civet, posé à côté d'une assiette de patates douces bouil- lies. La méfiance de Pierre fait sourire Jimmy. — Ne fais pas cette tête ! Nos chauves-souris ne sont pas des vampires. Elles sont frugivores. J'ai souvent vu ma mère en préparer, c'est le même principe que la daube fran- çaise. Tu laisses les morceaux mariner six heures avec des oignons, du poivre, du vinaigre, du thym, quatre-épices et clous de girofle. Tu les fais revenir. En même temps et à côté, tu fais suer un lit d'oignons sur lequel tu couches tes morceaux roussis. Un peu de farine. Au four quelques minutes. Tu ajoutes un verre de vin et un peu d'eau, tu laisses cuire une demi-heure. Voilà. Ici, ils le préparent dans les règles, je veux que tu goûtes le meilleur. Inutile de finasser. Il faut déguster. « Tremper le bec. » Du lapin, non, plus exactement du lapereau. Un arrière-goût de venaison. Mangeable. Mieux, bon. Très bon après tout. Mancham est satisfait. Il a suivi sur le visage de Pierre les étapes de sa découverte gustative. — Tu aimes ? — Oui. C'est bon. Très bon, même... — J'aime bien faire subir l'épreuve à mes hôtes. Les Bri- tanniques ou les Américains auraient quitté la table. J'aime les gens sans préjugés. J'aime beaucoup la France. Le ton devient sérieux, Jimmy se confie : — J'ai terminé mes études à la Sorbonne. Ma vie à Paris a été un rêve. J'y ai de nombreux amis, tous avocats comme moi. Mes études finies, je suis rentré au pays, pour ma famille. J'ai essayé le mariage avec une Anglaise. Elle ne me comprenait pas. Je ne pouvais pas m'habituer à sa froi- deur, à sa rigidité. Elle ne supportait pas que je la trompe. Je l'aimais pourtant... Demain je serai Président, mon parti est largement majoritaire. Je vais constituer un gouverne- ment d'union nationale pour éviter des rancœurs et des hai- nes qui n'ont aucune place dans ce pays. Naviguer au plus près du bonheur. Ma devise. Elle deviendra celle de ma nation. Nous avons tout pour être heureux. Une terre géné- reuse, un climat merveilleux, des eaux poissonneuses, pas de pollution. Que demander de plus au Bon Dieu? La Suisse de l'océan Indien. Voilà mon ambition pour mon pays. Dans l'avion du retour, encore étourdi, Pierre ne peut s'empêcher de penser à la simplicité bonhomme du futur Président : un bon père de famille soucieux du bonheur des siens... Avant le départ, Mancham a fait promettre à Pierre de revenir tourner les fêtes de l'Indépendance. Pro- messe à tenir. Plutôt deux fois qu'une.

France-Albert René a convoqué à Anse-la-Mouche les têtes pensantes du SPUP, dans une villa isolée, au sud de l'île. Autour de lui, assis en demi-cercle : Philibert Loi- zeau, Guy Sinon, Maxime Ferrari, Jacques Hodoul et Sylvette Frichot. L'auditoire est attentif. Le chef parle : — Sous couvert d'indépendance, les Anglais vont don- ner le pouvoir à Mancham et à sa clique bourgeoise. Nous devons gagner les législatives. Ce sera l'occasion de ren- dre le pouvoir au peuple. Si nous ratons ces élections, nous serons exclus du pouvoir, pour longtemps... Vous avez cha- cun un rôle important à jouer. L'assistance est suspendue aux lèvres de l'orateur. Il parle lentement, sans élever la voix. Deux roussettes se battent au sommet d'un flamboyant. Leurs cris stridents rompent le silence. La faible lumière donne à l'assemblée un air de conspiration. Pointant un doigt vers Loizeau, René poursuit : — Philibert, je compte sur toi pour bouger les Malabars. Mets-les en garde contre les Chinois. Rappelle qu'avec Mancham, les commerçants jaunes auront la partie belle pour organiser le pillage de l'île. Quart de tour. Le doigt toujours à l'horizontale. — Toi, Sylvette, les femmes. Leurs fils, leurs filles n'ont aucun avenir avec le S.P.D. L'école des curés est réservée aux bourgeois. Explique-leur notre programme d'éduca- tion pour tous, de Sécurité sociale... Sylvette Frichot opine. René se tourne vers Ferrari : — Toi, docteur, à l'hôpital et à ton cabinet, tu vois du monde. Parle de nos projets de nouvel hôpital. Ce n'est pas grâce au play-boy qu'ils auront l'électricité dans leurs cases, des dispensaires et des médecins. Ferrari acquiesce. René se penche vers le géant noir, Guy Sinon. — Quant à toi, Guy, les Noirs. Ils doivent savoir le mépris de Mancham à leur égard. Les Jaunes ont toujours détesté les Noirs. Dis-le, répète-le... Il ne hausse pas le ton mais s'anime. Ses gestes sont plus saccadés, ses yeux clairs luisent. Guy Sinon reste énigma- tique. René n'insiste pas, il connaît son bonhomme. Pas toujours facile, mais fiable. Face à lui, Jacques Hodoul approuve, avec l'éternel sou- rire de ses lèvres minces. Une masse de cheveux ondulés encadre un visage romain, jeune, où les yeux ne se fixent jamais. Quoi qu'il fasse — recherche vestimentaire, fausse aisance —, Hodoul sera toujours le contraire de Man- cham : bilieux, amer, jaloux, introverti. Sa haine viscérale de Jimmy en fait un allié sûr. Hodoul est xénophobe et misanthrope. Il canalise toutes ses rancœurs sur le «barbu». Il est en parfaite harmonie avec Albert René, sauf sur un point : il préférerait que celui-ci parle claire- ment de révolution. René s'y oppose. Les autres ne sont par mûrs. Il faut procéder par étapes, gagner des voix au parti, le renforcer... René conclut : — Il faut en finir avec l'exploitation des Seychelles par le colonialisme britannique et le règne de l'argent amassé par les grands Blancs sur le dos du peuple. L'archipel doit organiser son indépendance économique, en finir avec le paternalisme des grandes puissances. Tous approuvent gravement.

Tandis que les membres du SPUP délibèrent à propos de l'avenir de l'archipel, Londres met une dernière main au passage du pouvoir qui doit avoir lieu en juin 1976. Edwin Gibson, chef de service au Foreign Office — département océan Indien —, feuillette ses dossiers. Des rigides notes de synthèse il ressort, outre quelques portraits malgré tout cocasses de certaines personnalités, que deux partis dominent les Seychelles. Le S.P.D., mené par un colosse plutôt porté sur l'alcool et les femmes, et le SPUP, qui serait un repaire d'anciens séminaristes formés en Europe, convertis au marxisme. Rien de bien original. L'Angleterre n'a plus les moyens de tenir à bout de bras une poussière d'îles situées à des dizaines de milliers de kilo- mètres... Ainsi donc, pour Dieu et pour la reine... A Washington, le passage de pouvoir donne lieu à un échange de routine entre Pentagone et C.I.A. : les Seychel- les abritent une Tracking Station, un des six relais radar chargés de guider et contrôler les satellites d'observation, 24 heures sur 24. Un fonctionnaire décroche son téléphone, appelle la C.I.A., s'identifie et demande le responsable océan Indien. — Fitzsimons, Pentagone. J'ai à terminer une note sur les Seychelles. Pouvez-vous me faire le point sur la situation ? — Rien d'important. Les British se tirent et mettent en place un type à eux. Jimmy Mancham. Pas de problèmes pour nous. Don't be worry... — O.K., thanks. La note sera vite expédiée.

A Moscou, Alexandrovitch Gornine, au siège du K.G.B., place Dzerjinski, a reçu une information transmise par Londres dans la nuit. Les Anglais se retirent des Seychel- les. Ce départ va laisser un vide où s'engouffrer. Il vient d'être décidé d'installer là-bas un « ambassadeur », le cama- rade Mikhaïl Orlov. Gornine soupire : Orlov est connu pour ses goûts du luxe, du jeu et du cognac français. Ses performances passées lui valent aujourd'hui ce voyage dans l'enfer capitaliste. Connaissant le dossier des Seychelles, le camarade Gornine se dit qu'il prendrait bien la place du méprisable Orlov, dût-il y perdre son âme...

Paris, trois mois plus tard

James Mancham somnole dans la luxueuse suite Renoir de l' Intercontinental, rue de Castiglione. Son ami Adnan Kashoggi, comme à son habitude, a bien fait les choses. Tous frais payés pour le séjour du chef-ministre des Sey- chelles à Paris. Un investissement comme un autre, quel- ques milliers de francs jetés à la roulette de l'« internatio- nal business». Mancham n'est pas dupe des « attentions » de l'Orien- tal, mais il y est sensible. Très vite, il a compris ce que l'honorable commerçant — redoutable trafiquant d'armes — attendait de lui. Il se trouve que leurs projets se rejoi- gnent : développer le tourisme aux Seychelles... Un an plus tôt, à Paris déjà, Kashoggi lui avait fait par- venir une invitation pressante pour une petite fête à Can- nes, le soir même. A Cannes ? Un avion l'attendait au Bourget et ses amis seraient les bienvenus. Un étage du Carlton était retenu à leur intention. M. Kashoggi sait rece- voir. Jimmy Mancham est toujours partant pour ce genre d'aventure ! Quelques coups de fil, quelques vêtements jetés dans une valise et bientôt quatre Rolls amènent une bruyante troupe au Bourget. Un Bœing 737 les attend. Un avion de deux cents pla- ces pour douze bambocheurs ! A l'intérieur, un vaste salon- bar avec fauteuils club en cuir bordeaux, moquette lie-de- vin, parois tendues de soie grège. Un équipage aux ordres, des hôtesses de rêve... La troupe fait silence, impressionnée. Décollage immédiat. Toasts au caviar. Champagne. Hôtesses aux petits soins vêtues Givenchy, parfumées Rochas. Altitude 8 000 mètres. La lumière baisse dans le salon volant, un écran se déplie contre la cabine de pilo- tage. Un petit homme rond, tout de blanc vêtu, chemise, pantalon, mocassins, apparaît sur l'écran. — Bienvenue à bord, vous êtes mes hôtes aujourd'hui, peut-être mes amis demain. Je me présente... Dix minutes à la gloire du nabab. Ses origines, son œuvre, ses activités, ses biens, sa famille... sa puissance... sa gloire... sa fortune. A Cannes, les Rolls, le Carlton et ses suites. Tout le monde se retrouve chez Félix, le restaurant le plus snob de la Croisette. Une cuisine très ordinaire pour un prix exorbitant ! Le petit homme rond du documentaire est là. Tout est rond chez lui. Sa taille, sa tête, ses yeux, sa bou- che en cul-de-poule aux lèvres gourmandes, ses doigts, ses gestes. L'arrondi est sa nature propre. Sa façon d'accueil- lir lui ressemble. Il met à l'aise les inconnus, assisté par tout le personnel du restaurant. Les garçons voltigent. Pla- teaux de verres, toasts chauds et froids circulent, zigzaguent autour des douze convives. Jimmy n'a conservé aucun détail marquant de cette soi- rée, sinon le souvenir d'une plongée dans un luxe insensé. A son tour, il avait invité l'onctueux Saoudien à venir aux Seychelles. — Avec grand plaisir, cher ami, courant mars, je vous le promets. A la fin des moussons. Vous pouvez compter sur moi. Kashoggi a tenu sa promesse. Il est venu aux Seychelles plusieurs fois déjà mettre sa fortune à la disposition du futur maître de l'archipel, en échange de quelques petites facilités. Rien n'est jamais gratuit dans la vie...

Depuis trois jours donc à Paris, aux frais du milliardaire, Jimmy prépare son accession au pouvoir. Les nuits sont chaudes. Brûlantes ! Mais le chef-ministre récupère vite et les journées sont consacrées à nouer des contacts politi- ques au plus haut niveau. Son intelligence et sa capacité de travail le lui permettent quoique son programme poli- tique tienne plutôt du catalogue de club de vacances. Foin du capitalisme ! Foin du communisme ! Rien à faire aux îles... Avec 64 000 habitants et 2 000 000 de cocotiers, inutile d'entrer dans la sarabande des « nations ». Tenir sa place avec bon sens et sans tapage. Le moyen ? Une image de marque collant au produit, principe élémentaire du mar- keting. Dans quel but ? Le TOURISME, pétrole des répu- bliques « cocotières ». Un seul homme peut mener à bien cette tâche : LUI. Mancham, James ; Jimmy, le play-boy poète, qui sait apprécier la mer, le soleil et l'amour. Pour ce qui est des investissements, déjà une adresse : Adnan Kashoggi... Ce soir, fini les durs travaux de la politique. Olga Bichera le rejoint. Elle arrive de Rome à 17 heures. Olga, c'est l'amour, le vrai, le sérieux. Il veut la protéger de ses amis peu recommandables, de ses propres démons... Il décide de l'emmener loin de Paris, des solliciteurs, des mauvais génies... mais où ? Il songe alors à Pierre Soubiron, le jour- naliste qui habite Marseille. Il saurait bien lui trouver une retraite ! Il décroche le téléphone. — Allô, Pierre... Jimmy. Silence. — Mancham ! Je suis à Paris ! Je peux passer trois jours en Provence avec toi, comme convenu. Je prends l'avion demain matin. Je te rappelle pour te donner l'heure. Je ne serai pas seul.

C'est ainsi que Jimmy Mancham et Olga passent trois jours idylliques au bord de la Sorgue à Fontaine-de- Vaucluse. Un couple les a précédés en ce lieu : Pétrarque et Laure. On en parle encore. Comblé par son séjour, avant de quitter ses amis fran- çais, munificent, généreux, reconnaissant, le futur Prési- dent des Seychelles récompense le fils de l'hôte en promet- tant de l'employer comme conseiller juridique, au titre de la coopération. Et, dans l'élan, à Pierre l'organisateur, comme on adoube un preux : — Tu seras mon représentant. Je te nomme consul des Seychelles pour le sud de la France.

Ile de Mahé, mai 76

Soubiron est dans l'île pour un mois, en repérages. Man- cham lui a demandé de couvrir les fêtes de l'Indépendance pour la télévision française. TF1 a accepté. Il compte bien profiter de son séjour pour acquérir une meilleure connais- sance de l'archipel. Déjà, il découvre qu'ici les nouvelles vont vite. Il n'est pas plutôt installé dans un bungalow en bois niché au milieu d'une minuscule baie — l'anse de Sun- set, un site paradisiaque où la végétation semble envahir la mer — que le voici invité à «gran ban couillons », à Machabee-Village. Mystère de ce créole poétique et trivial. Une vingtaine de personnes s'affairent, installent, aident, décorent avec une gaieté en rafale. Des renforts arrivent, le bruit augmente. L'orchestre est opérationnel. Deux tonneaux de Seybrew, la bière nationale, sont en perce. Le whisky en batterie derrière les glaçons. Un bref silence annonce à l'entrée de la terrasse un personnage dont l'allure et la prestance sem- blent provoquer le respect. Des cheveux blanc argent, des traits fins, réguliers, où une fine barbiche gomme ce que le visage pourrait avoir d'empâté, évoquent l'apparition d'un faune débonnaire. Le Dr Maxime Ferrari, ministre du Tra- vail. Présentations. La poignée de main est franche. Ils sont de même taille et de même envergure de poitrail. — Vous êtes le journaliste de Marseille? Celui qui a tourné un film ici, il y a trois ou quatre mois. Le docteur est affirmatif, il sait. — Je suis content de vous rencontrer. Je connais bien votre pays. Je suis un Provençal de cœur. Daudet, Mis- tral, Pagnol, j'ai lu tous vos auteurs et les relis. — Je vous avoue, docteur, que je ne m'attendais pas à croiser ici un amateur de littérature provençale ! — Je m'appelle Maxime. Ici on se tutoie. On gagne du temps ainsi pour connaître les gens. L'orchestre couvre sa voix : un séga... La terrasse se remplit de couples ondulant au rythme chaloupé de la musi- que. Le docteur se penche vers Pierre et lui parle à l'oreille pour être entendu : — La danse nationale, d'origine africaine... Elle nous vient de Maurice et de la Réunion. Elle fait partie du Mou- tia : la fête et la danse. Casanova, depuis toujours, a prévu cette éventualité. Il a planqué des fusils dans toutes les pièces. Au-dessus de chaque meuble, à portée de la main, il peut trouver un riot-gun. Calme, il se lève, s'approche de la bibliothèque, s'empare d'une arme. Il fait signe à son fils d'en faire autant dans l'autre pièce. Sa femme et ses filles s'inquiètent. Il les immobilise d'un geste autoritaire. L'aîné s'embusque dans l'entrée et couvre la pièce de sa pétoire à chevrotines. Casanova descend par l'escalier intérieur. Dans l'obs- curité, il peut voir dans le jardin sans être vu. Très vite, il découvre les visiteurs insolites. Il se glisse sans bruit par une porte-fenêtre entrouverte, jaillit comme un diable et enfonce le canon de son fusil dans le dos du plus gros. — Si tu bouges, je tire. Si l'autre bouge, je tire aussi. Compris ? Le gros se dégonfle aussitôt : — Ne tirez pas. On obéit. On le dirait soulagé. Il lève les bras sans hésiter. Le petit, devant lui, l'imite. Ils ont plutôt l'air contents de la tour- nure des événements, même quand ils se retrouvent dans le séjour, menottés au radiateur. — Etes-vous seuls ? — Non, il y en a trois autres. — Où? — Un dans l'allée, deux sur la route. Casanova ouvre la porte d'entrée et tire en direction des arbustes. Des branches brisées, une cavalcade, des ronfle- ments de moteur, la question est réglée. Casanova revient dans le living et appelle la police. Kiko fouille les prison- niers, donne le portefeuille du gros à son père. Outre les papiers d'identité, il trouve des chèques avec une signa- ture qu'il connaît bien : Mario Ricci. Sirène. Un inspecteur, deux policiers en tenue. Présen- tations. A l'étonnement des hommes de l'ordre, le ménage est déjà fait. Les pièces à conviction sont étalées sur une table, les truands menottés. Un plaisir. On se détend. On s'assoit. On procède. Dans l'ordre et la bonne humeur. L'inspecteur Scarella, après avoir enregistré la déposi- tion de Casanova, prend conscience de l'importance de l'affaire. Il ne s'agit pas d'une tentative de vol avec effrac- tion mais d'une affaire politique. Il va devoir en référer à ses supérieurs. En attendant, il fait embarquer les deux épaves pleines de bonne volonté, récupère les papiers, les chèques, le revolver, le cran d'arrêt, et prend congé. Le calme revenu dans la maison, Federico tient conseil en famille : — Le coup a été monté par Ricci. Il m'a volé, mainte- nant il veut me tuer. Il va nous falloir désormais être encore plus prudents, changer nos habitudes. Les aveux du privé ne lui ont laissé aucun doute sur l'objectif visé. On n'a cherché à le tuer que par-dessus le marché. La vrai cible, la cible principale, c'est Gérard Hoareau.

Mahé

Albert René est pâle de rage. Ricci vient de lui rendre compte de son ratage. Il s'en veut d'avoir confié sa sécu- rité à cet Italien sans envergure. Il se maudit de s'être com- mis avec ce mafioso d'opérette pour un résultat nul. Rien ne va aujourd'hui. Ce matin, sa femme Jivah s'est jetée sur sa maîtresse Sarah. Les deux Indiennes en ont décousu près de vingt minutes d'une bataille homérique. Sarah, bonne fille, s'est contentée d'esquiver, Jivah étant de trente ans son aînée. Le bilan est lourd pourtant, la villa offerte récemment — le nid d'amour — est à refaire entiè- rement, aux frais du peuple. Tout cela n'est rien comparé au désastre signé Ricci. Pas un instant le Président ne doute que la police fran- çaise et les services spéciaux remontent jusqu'à lui. Tôt ou tard on lui présentera la facture diplomatique du cafouil- lage. Il faut empêcher ses ennemis d'aller plus loin dans leurs découvertes. René se maîtrise : il a fait le vide autour de lui, il est obligé de compter sur ce barbu blafard. — Si avant octobre Hoareau n'a pas été descendu, je te vire ! Ricci s'empresse, servile : — Il le sera, il le sera. Je t'en fais serment. — Tu as intérêt. Va-t'en!

Londres, 36, Alford Street W. 7, siège du Seychelles Natio- nal Movement

Gérard Hoareau doit boucler le numéro d'octobre du Seychelles Freedom Herald, le mensuel du S.N.M. Il a attendu le dernier moment pour relater en détail l'agres- sion de Casanova. Une course de vitesse s'engage désor- mais entre lui et Albert René. Plus vite il fera éclater les scandales et plus vite le tyran rouge sera isolé, mis à l'index par les Occidentaux, du moins l'espère-t-il. Sa rencontre à Genève avec l'informateur payé par Casa- nova a été fructueuse. Il possède désormais un début de preuve des trafics du Président : des talons de virements de la Worldfin, de la Gentrusco et de la Banco della Swiz- zera, sur un compte numéroté à Genève. Pour deux cent mille francs suisses, son contact lui a promis une copie de la disquette sur laquelle figure le nom du propriétaire du numéro. Convoqué pour onze heures, le comité exécutif du mou- vement doit lui donner les pleins pouvoirs pour mener à bien cette action déstabilisatrice. Gérard met la dernière main à son article. Il en profite pour dénoncer la mainmise de la Mafia sur son pays. Des extraits de lettres émanant du ministère du Développement national et de la Barclays Bank servent de révélateur. Le mois prochain, il s'attaquera au trafic de drogue et à celui des roupies, beaucoup plus grave.

Washington, 22 novembre

L'ambassadeur David Fisher accompagne en personne Ogilvy Berlouis à Washington pour un événement d'impor- tance. La solennité de la démarche n'entame en rien les relations amicales des deux hommes. La voiture officielle, une limousine Lincoln, glisse sans bruit sur le highway. Ogilvy sent monter en lui des bouf- fées de fierté. Quel chemin parcouru du camp de Dar es- Salaam aux portes de la Maison-Blanche pour le colonel Berlouis, ex-petit employé de bureau, aujourd'hui capa- ble de mener une difficile négociation avec les puissants Etats-Unis ! Le trouble de son voisin n'échappe pas à David. Il lui tapote le bras amicalement : — Are you right, Ogi ? — More is difficult, Dave! Ils rient. Dans vingt minutes, ils ont rendez-vous avec Edward Aldridge, secrétaire adjoint pour l'Armée de l'air, pour con- clure une transaction menée à l'arraché, au grand dam des Russes. L'accord qui va être signé reconduit jusqu'en 1990 le bail de la station d'observation des satellites. Le loyer annuel a été fixé à trois millions de dollars, en augmenta- tion de 20%. Berlouis a mis tout son poids dans la balance pour le faire accepter, malgré les manœuvres d'Orlov. Personne n'a fait le rapprochement entre le nouveau pro- gramme militaire américain et l'intérêt renouvelé manifesté pour cette «tracking station» de l'océan Indien. Encore secret, même pour le K.G.B., l'I.D.S., Initiative de défense stratégique, a besoin de s'appuyer sur ces radars, relais indispensables de la guerre des Etoiles. La limousine con- tourne l'énorme bâtiment pour se ranger sous le dais de l'entrée d'honneur. Six marines présentent les armes. Les MI6 voltigent et jouent des claquettes entre les gants blancs des soldats. Le colonel Berlouis se sent vraiment ministre de la Défense des Seychelles.

Londres, 42, Victoria Avenue, S. W.2

Jusqu'au dernier moment Ian Whiters a gardé l'espoir que l'échec de la tentative contre Casanova annule le pro- jet. Mais Ricci s'est montré catégorique, menaçant même. Whiters a un mois pour fournir un marquage complet d'Hoareau, ses entrées, ses sorties et ses habitudes. Il a compris que l'objectif de ce travail est l'élimination de la cible. Qu'il refuse ou qu'il accepte, il est piégé par son dou- ble jeu : les prisons de Sa Majesté ou les foudres de la Mafia. Le journaliste marron préfère sauver sa peau en étant bien payé. Ricci lui offre la propriété d'un restaurant, à deux pas de la plage de Beauvallon, confisqué « à la sey- chelloise ». Comment résister au charme des îles?

Le rapport détaillé transmis par Whiters, après un mois de surveillance, a permis de déterminer le jour propice pour accomplir le forfait : le 29. Son travail accompli, Ian Whi- ters fait ses valises. Ses instructions sont claires, il doit rejoindre New York. Avant de partir, il a pour dernière mission de réserver une chambre au nom de Justin Denis, au London Penta Hotel, près de Victoria Station. Moyen- nant cent livres, il a chargé un de ses anciens collabora- teurs au chômage, Al Gurney, de conduire le faux Seychellois au coin de Greencourt Avenue, vendredi 29 novembre, à neuf heures trente du matin. Il a retenu et payé d'avance une voiture chez Hertz au nom du chômeur. Peu lui importe de transformer à son insu un pauvre bougre en complice de meurtre. Il ne veut pas prendre de risques. Gurney, aux abois, ne s'est pas montré curieux, il s'est confondu en remerciements.

Tous les vendredis matin, Gérard Hoareau quitte son appartement entre dix heures dix et dix heures quinze pour se rendre à pied à une salle de gymnastique située trois rues plus loin. Il sort en survêtement, un sac de sport en ban- doulière, et part à petite foulée. L'occasion rêvée pour tout tueur professionnel. Whiters a appris de la bouche même de Ricci que la nou- velle « gâchette » avait été gracieusement prêtée par Cas- tro. Castro qui a chassé Batista de Cuba à cause de la Mafia offre un tueur pour ancrer la Mafia aux Seychelles. Con- torsions surréalistes de l'Histoire ! Mais bon, le problème de Whiters serait plutôt : comment devenir un bon gargo- tier aux Seychelles ?

Justin Denis, alias Fernando da Silva, fait très rasta avec ses cheveux afro, son collier de barbe. Le métis planque depuis un quart d'heure dans Greencourt Avenue. Il est neuf heures quarante-cinq, la pluie fine suinte d'un ciel crasseux. Il ne sent pas le poids de la mitraillette prolon- gée d'un silencieux qu'il tient sous son waterproof dont il a coupé les poches pour manipuler son arme avec aisance. Il a l'habitude de s'en servir sans déboutonner, en gardant la crosse et la culasse à l'abri des intempéries. La porte du 16 s'ouvre. L'homme au survêtement appa- raît, il est dix heures quinze. Justin se contracte. Le canon du silencieux remonte le long de sa cuisse droite et se fau- file entre deux boutons de l'imper. Sans hâte, le rasta tra- verse l'avenue. Gérard Hoareau referme la porte et se retourne pour des- cendre les trois marches de l'entrée. Une succession de « ploufs » à peine audibles. Gérard tressaute, haché par une traînée de balles en diagonale de la hanche gauche à l'épaule droite. Il tombe en arrière. Il ne sent pas sa tête heurter la dernière marche du cottage. Il est déjà mort. Calme, le métis replaque sa mitraillette contre sa jambe et se dirige vers le coin de la rue, rejoindre Gurney et la voiture louée, direction l'aéroport. Personne n'a rien vu ni entendu.

Victoria, State House

« Papa » est d'humeur folâtre aujourd'hui. Tout lui sou- rit. Hoareau est mort, les nuages menaçants disparaissent. Pour la première fois depuis dix ans, il chantonne. Le soleil est de la fête. Il inonde le bureau du bunker, les tourterel- les se fracassent avec entrain contre les vitres-miroirs. Tout danse le sega. La vie est vert dollar, blanc maltais, rouge Corée. — Bernadette, fais entrer Bigornette Lafortune. Albert, généreux, reçoit le peuple. Mme Lafortune est une accorte métisse, la poitrine arrogante, bien mise, l'œil canaille. Il n'écoute pas sa requête, la pousse gentiment vers un fauteuil en malaxant ses seins. Elle se laisse faire, béate, honorée. Cette soumission excite le Père de la Nation. D'un geste ample, il ouvre sa braguette et sort son bâton de maréchal. Sa badine africaine. Sa papaye royale. La stupeur affichée sur le visage de Bigornette multiplie son désir. Sentimental, il ordonne : — Prends ! Elle s'empare de l'objet si délicatement offert, le met dans sa bouche. Elle s'applique, elle ne veut pas déce- voir... Un Blanc! Un Président! Fais bien, ma fille! Fais gentil ! Fais plaisir ! ne cesse-t-elle de se répéter. Elle risque un œil plus haut, elle se rassure : zom content ! Albert se pourlèche un moment puis se retire, prend la coquine sous les aisselles, la redresse, retrousse sa robe, arrache le slip et la pousse contre son bureau. Les fesses bombées prennent appui sur le takamaka. Elle s'arc-boute sur ses avant-bras pour ne pas déranger le désordre prési- dentiel. Docile, elle écarte les jambes pour accueillir le scep- tre royal. Il l'enfourne à la hussarde. C'est son droit, son privilège, c'est ainsi que l'on gouverne. Un grognement. Le maître exprime sa satisfaction. Il pousse aimablement Bigornette à la porte. Elle n'a pas eu le temps de se rajuster. Un sein dénudé, elle franchit le seuil du bureau. Il y a du monde. Dans son dos, le maî- tre ordonne : — Bernadette, fais en sorte de donner satisfaction à Mme Lafortune. Je suis d'accord. Au suivant... Ricci entre, accompagné d'un inconnu. — Mario, mon ami ! Le qualificatif fait chaud au cœur du chevalier-mafioso. — Albert, je te présente Ian Whiters, l'ami qui nous a si bien aidés à Londres. — Enchanté de vous connaître. Je vous attendais. René se dirige vers son bureau, saisit une grande enve- loppe et la tend au Britannique : — Nos amis sont toujours récompensés selon leurs méri- tes. Voici vos titres de propriété. Whiters se confond en remerciements. Il n'espérait pas toucher son « denier » aussi vite. — Quant à toi, Mario, regarde ! Le Président tend un exemplaire de la Gazette au barbu. Un décret est entouré de rouge. Il annonce la fin de la con- cession de la Shell. Il y aura appel d'offres... — Merci, Albert. J'espère que tu ne m'en veux plus pour le retard apporté à résoudre le problème... D'un geste, René coupe court. Le roi est magnanime ce matin. Guy Morel vient de signer un accord avec Air France et le Méridien. La compagnie aérienne française va assu- rer une troisième rotation hebdomadaire, pendant que sa filiale va gérer le Fisherman' s Cove et le Barbarons, léga- lisant ainsi les nationalisations... Ogilvy Berlouis rentre des Etats-Unis, contrat en poche, et les « popovs » vont distribuer leur mauvais ciment pour les logements sociaux et du carburant pour l'armée. — Décidément, une belle journée, dit Albert René, pré- sident de la République populaire des Seychelles.

Consternation au 10, Downing Street. Walter Olfin, secrétaire aux Affaires africaines, attaché au cabinet du Premier ministre, chargé par la « Dame de fer » de remet- tre une note de synthèse sur l'assassinat de Gérard Hoa- reau, patauge lamentablement. Deux jours après l'attentat, Scotland Yard a appréhendé deux hommes. Ils s'introduisaient, sans précautions par- ticulières, au domicile du défunt leader de l'opposition sey- chelloise. Pris en flagrant délit de démontage de matériel d'écoute, ils ont avoué la vérité. La personnalité et les déclarations de David Coghlan, ancien membre du SAS et du MI5, ont tôt fait d'orienter l'enquête sur le Foreign Office. Wenban-Smith, honnête haut fonctionnaire, a admis avoir traité avec Ian Whiters pour obtenir un double des écoutes. Celui-ci, bien entendu, est introuvable. Une enquête tardive a retracé son périple : New York, Hong Kong et les Seychelles avec British Airways par la ligne Hong Kong/Johannesburg. Un comble ! En mouil- lant le gouvernement avec une banale écoute téléphonique, il en a fait le complice d'une exécution. Diabolique ! Son thé est froid dans la tasse, il la repousse. Walter Olfin ne sait pas par quel bout écrire sa synthèse. Il veut en arrondir les angles pour rendre la pilule moins amère, mais les faits sont là. Depuis la disparition du président du S.N.M., la presse nationale et internationale ne s'est pas privée de désigner le vrai commanditaire du crime. Celui à qui il profite, bien sûr, le « papa doc » rouge de l'océan Indien. Le Sunday Times n'a pas hésité à faire la corrélation entre les divul- gations dont il devait hériter, avant la mort de Gérard Hoa- reau, et sa disparition. Il y a pire : la Lettre de l'océan Indien, une feuille con- fidentielle éditée en France, et toujours bien informée. Le titre, comme un coup de poignard : «Les Britanniques savaient. » En vingt-deux lignes, la machination est démon- tée avec les noms et les circonstances. L'exposé cru des faits est tel qu'il accuse les Anglais de complicité. Dénoncer l'inconséquence du Foreign Office serait pire que démentir. Olfin ne peut pas tricher. Il se décide, prend son stylo... Margaret Thatcher ne va pas aimer !

Albert René est perplexe. Paris d'abord, l'ambassadeur de France ensuite, insistent pour qu'il reçoive Jean-Claude Duvalier et sa smala. Il n'est pas contre, mais les services doivent se payer. Il a lâché un prix : quatre millions de dol- lars. Il sait la cassette du dictateur déchu emplie de pièces d'or et de dollars volés à la sueur des Haïtiens. L'ambas- sadeur n'a pas pipé mot et s'en est retourné transmettre en haut lieu. Ce problème réglé, le Président attend la visite d'un cer- tain Ian Fergusson. Deux jours plus tôt, cet individu l'a appelé d'Afrique du Sud pour lui demander rendez-vous. Une communication de la plus haute importance touchant à sa sécurité. Afrique du Sud, sécurité, deux sésames. Le type se trouve dans le bureau voisin, fouillé, inspecté. Grand, blond, la trentaine, bien mis, crédible, il se présente : — Ian Fergusson, monsieur le Président. Il s'incline légèrement. — Je vous écoute. — J'ai les preuves que deux groupes, en France et en Grande-Bretagne, sont en train d'organiser une invasion de votre pays. Fidèle à sa politique — obstinée et inefficace — de ter- reur indirecte, Orlov a sorti cette taupe sud-africaine de sa manche avec pour mission de déstabiliser René encore davantage. Avec le début de l'ère Gorbatchev, l'entreprise n'a plus beaucoup de sens mais rien n'est plus difficile à vaincre que l'habitude... Fergusson est tout de même étonné de l'efficacité du bobard : — Les preuves ! Quelles preuves ? — Je détiens la liste de tous les gens impliqués dans ce «coup ». Dix-neuf pour la France, vingt-trois pour la Grande-Bretagne. — Donnez-la-moi ! — Je ne l'ai pas sur moi. — Combien en voulez-vous ? — Un million de dollars. — Vous les aurez ! Fergusson reste muet d'étonnement. Lui qui pensait se faire éjecter au mieux, emprisonner plus sûrement. Mal- gré les ordres reçus, il n'a jamais cru faire avaler une pareille sornette à un chef d'Etat. — Mais je veux d'abord la liste. Le grand blond se ressaisit. — La semaine prochaine, Président. Le temps de faire un aller-retour. — Bien entendu, j'exige la vérification de son authenti- cité. Comment vous l'êtes-vous procurée ? — Je peux vous donner immédiatement les premiers élé- ments. Quelqu'un à Londres peut vérifier. — Précisez, je vous prie. Ian Fergusson récite sa leçon. Donne le nom du diplo- mate en poste à l'ambassade d'Afrique du Sud, celui du fonctionnaire du Foreign Office. L'adresse où les deux hommes se retrouvent et un tas de détails. — D'accord, je vais m'informer. Mais cela ne m'expli- que toujours pas comment ni pourquoi vous êtes entré en possession de ces deux listes. — Fortuitement. Par l'intermédiaire d'un des anciens mercenaires de l'attaque de 1981. Un de ceux qui se sont échappés par Air India. Il a été contacté pour faire partie du prochain coup. Il est allé à Londres, il y a passé huit jours. Pendant son séjour, il a eu l'occasion de rencontrer l'attaché d'ambassade dont je vous ai parlé. Au cours d'une party, les deux homosexuels ivres lui ont montré les listes. Il les a soûlés et a profité de leur sommeil pour les recopier.

Ogilvy Berlouis est d'humeur bougonne. Il conduit de la main droite et caresse de la gauche sa mitraillette Uzi, couchée sur le siège passager. Il maugrée : — Encore une connerie... encore une connerie ! Derrière lui, sur le siège arrière, il a jeté les deux listes que vient de lui remettre le Président. Il en connaît le prix et les tient pour de l'escroquerie. Il n'a pas caché son sen- timent à Albert. L'entretien a mal tourné. Pour la première fois, les propos entre eux ont été vifs. A bout d'arguments, faisant preuve d'une évidente mauvaise foi, le Président a usé d'autorité pour clore la discussion. Les faiblesses de cet homme pour lequel il s'est tant battu lui sautent au visage. A quand remontent ses premiers dou- tes ? Au départ de Ferrari sûrement. La fuite de cet homme intègre l'a troublé. Aussi l'attitude couarde de René pen- dant la première révolte militaire, terré sur son île, prêt à s'enfuir... Il conduit machinalement, aborde les derniers virages menant à Beauvallon. Arrivé à la fourche de la station de police, sans savoir très bien pourquoi, il prend à gauche, vers Bel-Ombre. Il grommelle entre ses dents. — Baisé, le Président ! Un million de dollars à un escroc... Il crie : — Un couillon, un grand couillon... Il sait aussi pour Baby Doc. Le refus poli par la France et les Etats-Unis du pot-de-vin exorbitant. Quelle honte pour son pays... et maintenant un faux complot pour ter- nir les relations avec la France et la Grande-Bretagne. Il n'y a plus de limite au ridicule. Trop, c'est trop ! Sans s'en rendre compte, il est arrivé à hauteur de L'Auberge des Seychelles, le complexe hôtelier de Mario Ricci. Berlouis se sent un besoin de bière et de com- pagnie : — Ogilvy, quelle surprise ! Quel plaisir ! — Bonjour, Mario... — Je t'offre à boire ? Tu me sembles bien sombre. As- tu des soucis ? — Oui et non. Je suis contrarié. Une dispute avec le Pré- sident. Il lui raconte, sans entrer dans les détails, l'histoire du faux complot. Il tait l'affaire Duvalier et conclut : — Nous pourrions être tranquilles, desserrer l'étau, et nous voilà repartis pour la guerre de l'ombre avec son cor- tège de fantômes, d'arrestations et de sévices. J'en ai marre de servir d'épouvantail... Ricci saute sur l'occasion. Il connaît la force et la popu- larité du jeune ministre de la Défense. Une carte à jouer à l'occasion... — Merci de cette preuve de confiance, Ogilvy. Moi aussi, depuis quelque temps, Albert me déçoit. Il a beaucoup changé. Je le sens moins présent, moins reconnaissant des services rendus. L'influence d'Hodoul est de plus en plus marquée. Elle va à l'encontre des intérêts du pays et à l'inverse du courant international. — Ne te plains pas trop, Mario, tu viens d'obtenir le marché pétrolier — Bien sûr, mais tout le monde y trouve son compte, non? Berlouis ne relève pas l'allusion. Il connaît les relations privilégiées que Ricci entretient avec René. Un peu naïve- ment, il vide son sac, imaginant que l'Italien pourrait jouer de son influence sur le Président.

L'ambassadeur de France vient d'être informé sèchement par la Présidence qu'à compter de ce jour la sécurité des ressortissants français n'était plus assurée par le gouver- nement seychellois. Raison invoquée : organisation d'un complot contre la personne du Président et la sécurité d'un Etat souverain. Les Affaires étrangères averties sont tom- bées des nues. Pour un peu, on lui adressait un blâme... Heureusement pour lui, son collègue britannique était con- fronté à la même accusation fantaisiste. En France, de tous les noms cités par les services de René, un seul avait une chair, l'inspecteur Chevalereau, déjà mouillé quelques années auparavant dans une prétendue affaire de soulèvement aux Seychelles. Le brave homme avait été expulsé à l'époque et voilà qu'aujourd'hui on res- sortait le nom de ce policier pantouflant au pied des arè- nes de Nîmes.

Marsan convoque son premier attaché. — Vous êtes au courant de la situation ? — Oui, monsieur l'Ambassadeur. — Bien. Faites contacter nos ressortissants, qu'ils pren- nent toutes les précautions. Prenez les mesures de sécurité habituelles pour l'ambassade et organisez un système de liaison par talkie-walkie si possible. Au moment où l'attaché va sortir, l'ambassadeur ajoute : — Je voudrais bien savoir quel est le tordu qui a monté ce coup. Je ne crois pas le président René assez intelligent pour l'avoir imaginé.

Mikhaïl Orlov se frotte les mains. Un verre ballon de Rémy Martin aux trois quarts plein entre ses doigts bou- dinés, il jubile. Il a mouillé la D.G.S.E., le Quai d'Orsay, le MI5 avec un zeste de C.I.A. Il a poussé la fantaisie jusqu'à donner l'importance du commando de débarque- ment : trente mercenaires et trois cent cinquante partisans. Excusez du peu. Et ça marche ! Depuis quelques heures, le Président a demandé à son factotum, le coopérant français Jacques Larcin, de se ren- dre à Paris dénoncer l'horrible machination. Orlov ima- gine la tête du président Mitterrand apprenant qu'il est complice d'une prochaine invasion des Seychelles par D.G.S.E. interposée, un an après l'affaire Greenpeace... Il semblerait d'autre part que les relations entre René et Berlouis ne sont plus au beau fixe, à cause de l'affaire. Le Président va se sentir bien nu. Dans un jour ou deux, il va supplier pour l'avoir, son bateau chargé de comman- dos ! Cette fois, il le paiera bon prix. Albert René s'est déplacé pour pardonner à la France ses velléités d'invasion fabriquées. En échange de nouvel- les subventions, il vient lui offrir un strapontin à la com- mission de l'océan Indien, depuis le temps qu'elle le souhaite. Après avoir sacrifié au rite habituel, Elysée, Quai d'Orsay, ministère de la Coopération, le Président a con- senti à accorder une interview exclusive à Maurice Botbol, directeur de La Lettre de l'océan Indien, dans un petit salon de l'hôtel Crillon. Maurice Botbol branche son magnéto- phone et commence l'entretien. Il a préparé ses questions, la plupart embarrassantes : l'assassinat d'Hoareau, le départ du ministre Ferrari, les écoutes, la mafia, Mario Ricci... Tout ce qui se dit, s'écrit, se murmure aux Seychelles et ailleurs... En quittant le Crillon, Maurice Botbol n'en revient pas. Ce qu'il vient d'enregistrer est tellement énorme... C'est la première fois qu'un chef d'Etat reconnaît avoir prati- qué des écoutes à l'étranger, par l'intermédiaire d'un mafioso installé dans son pays avec rang d'ambassadeur. — Les grands pays écoutent, nous le faisons aussi et nous continuerons à le faire, a dit René sèchement. Le départ du ministre Ferrari est ramené à une fâcherie entre lui et le ministre Hodoul parce que ce dernier n'a pas voulu épouser sa fille cadette. Hoareau assassiné ? Evidem- ment, mais par qui? Whiters aux Seychelles ? C'est son droit ! Pourquoi ne se présente-t-il pas devant la justice de son pays ? — Vous iriez, vous ? Ogilvy Berlouis rentre de New York où il vient de passer deux semaines de vacances avec sa femme Elda. Ils ont été reçus par les Fisher avec qui ils ont découvert l'Amérique fascinante en dehors des visites officielles. Ogilvy a beau- coup discuté avec son ami l'ambassadeur. Il a mesuré le fossé séparant les deux mondes. Il revient à Mahé, décidé à en finir avec le quatuor qui règne sur l'archipel, sans contrôle ni légi- timité : Hodoul, James Michel, Ralph Adam et Albert René. Il sait pouvoir compter sur quatre commandants sur six. Il devra se méfier de James Michel, sectaire primaire. Il lui faudra neutraliser le commandant Claude Vidot, chef de la garde présidentielle, inconditionnel béat, benêt cou- rageux. Il pourra compter sur l'aide financière de Ricci, à condition de se méfier. Enfin, le plus important, en cas de succès... soutien total et immédiat des Américains. Fisher lui a clairement exprimé la position de son gouvernement, les conditions sont sim- ples. Elles correspondent à sa façon d'envisager l'avenir : rétablissement du multipartisme, liberté d'expression. Des points de détail qui font les démocraties.

Berlouis va retrouver le commandant Marc Marengo, pour lui faire part de ses intentions. Ils sont amis depuis toujours. A l'école, en Tanzanie, et à partir de 1977, dans l'armée, Marc a toujours été à ses côtés. Berlouis a été informé de la participation d'Albert René au sommet des non-alignés. Du 7 au 14 septembre, le Pré- sident se trouvera à Harare, au Zimbabwe, pour les hui- tièmes assises du mouvement, dans deux semaines. N'est-ce pas ainsi que René a usurpé le pouvoir, 9 ans plus tôt, aux dépens de Mancham? Une ombre au tableau toutefois, la responsabilité de l'Etat sera à la charge de James Michel, le ministre de l'Education et de l'Information. Berlouis se méfie de cet insaisissable apparatchik. Il le soupçonne de rouler pour Orlov, tout en nourrissant des ambitions personnelles démesurées. En aucun cas il ne peut s'en faire un allié. Il doit le considérer comme un ennemi et s'en défier. Ce « cent pieds pique au moindre contact. Marc Marengo s'apprête à quitter la caserne quand la voiture de son ami et ministre se présente à l'entrée. Celui-ci lui fait signe : — Monte ! Sans discuter, le major obéit. A hauteur de Pascal- Village, près de l'ambassade soviétique, Berlouis tourne à gauche et s'engage sur la route du Niol. — Nous allons visiter la batterie. Berlouis engage son 4x4 Toyota sur le mauvais chemin conduisant au sommet du Morne. Depuis un an, une bat- terie et une vingtaine d'hommes stationnent là-haut, ser- vant un lance-missiles sol-air, guettant toute invasion. Ils sont également chargés de scruter l'horizon nord-nord- ouest, à droite et à gauche de l'île Silhouette, pour détec- ter un improbable débarquement. — Pourquoi cette promenade, Ogilvy? — On va s'arrêter au-dessus de Bel-Ombre. Je te dirai. La vue est somptueuse sur la baie en bas, ourlée de sa cocoteraie. L'air est transparent. A droite de Silhouette, coiffée d'un petit nuage, l'île du Nord, un des potagers de l'archipel, détache avec netteté son relief accidenté. Mar- chant lentement sur le chemin de terre, Berlouis prend le bras de Marengo, expose son projet et conclut : — Puis-je compter sur toi, Marc ? La réponse est conforme à son attente. — Comme toujours. — Bien, maintenant il faut mettre Bonté, Marie et Lucas dans le coup. Demain, j'organise avec eux une réunion

1. Cent pieds : scolopendre à piqûre venimeuse. d'état-major avec visite de quelques points d'appui dans le Sud et je les mets au courant. — Il faut choisir un endroit sûr, loin de tout. Police Bay serait indiqué. — Va pour Police Bay. Départ demain matin, dix heu- res. Nous passerons par Takamaka-Village, je veux éviter de rouler devant La Sirène pour ne pas donner à réfléchir à Bob Nodin. — D'accord. Il faut penser à la radio. — Je suis en bons termes avec Marjorie Baker. Le mois dernier, René m'a demandé d'arrêter Cedrars, son mari. J'ai noyé le poisson et Marjorie le sait. Je lui remettrai une cassette enregistrée qu'elle diffusera sur mon ordre. — Alors, nous n'attaquerons rien? — Inutile. On s'empare du Président à sa descente d'avion. Nous l'obligeons à démissionner. Dans l'heure qui suit, on arrête Michel, Hodoul et les dix autres. On les expulse, proclamation à la radio et le tour est joué sans un coup de feu. — Si ça marche, chapeau, Ogilvy! Chapeau...

Lugano

Le président à vie Johannes Marius I alias Mario Ricci, du faux ordre des chevaliers de Malte vient d'être félicité pour les résultats obtenus. Les délégués de Rome, Milan et Turin l'ont congratulé. Le remplacement de la Shell par la Sasea pour la fourniture de l'essence et du fuel aux Sey- chelles est considéré comme un coup de maître. Grâce à la filière de drogue Colombie/Pays-Bas via les Seychelles, il arrive en tête des profits réalisés, largement devant la famille milanaise, une des plus actives et dyna- miques du vieux continent. Cependant, depuis deux mois, ses relations avec le Président ne sont plus aussi chaleu- reuses. René se montre plus distant, moins amical. Depuis l'exécution de Gérard Hoareau, la bavure de Cannes et l'arrestation des « plombiers » à Londres, l'ami est devenu simple relation. Mario s'applique pourtant à verser scrupuleusement la part due sur le compte numéroté. Il en est venu à se deman- der si cette bouderie commençante ne cacherait pas un appétit plus grand. « L'argent fait naître l'ogre, et l'ogre a toujours faim. » Ce vieil adage lombard ressassé par son grand-père lui revient en mémoire. Par prudence, Ricci s'est empressé de satisfaire à la demande d'Ogilvy Berlouis. Il a donné ordre à Londres d'imprimer les tracts que le ministre réclamait et de les expé- dier par l'Air Seychelles du jeudi. Tout homme a un prix et lui, Johannes Marius I sait acheter. Ignorant la date de la tentative de Berlouis et ses chances de succès, Mario décide de ne pas bouger de Lugano.

Mahé, 9 septembre 1986

Marjorie Baker fredonne en refermant derrière elle la porte du studio. Du haut de la résidence de la Mare Anglaise, elle jette un coup d'œil au magnifique panorama s'offrant à elle. A l'horizon, le soleil décline. Il va bientôt toucher la couronne de nuages ceignant le sommet du morne de Sil- houette. C'est l'heure où la lumière est douce. L'heure de la pause entre le jour et la nuit. Une bouffée de bien-être enfle sa poitrine épanouie. Elle sort des bras de son amant, le commandant Claude Vidot. Depuis six mois, elle vit avec lui une aventure essentiellement charnelle. Elle tient à Cedrars, son mari, mais aux Seychelles on ne craint pas ces petits « coups de feu » qui pimentent la vie. Avant le major, c'est à son supérieur qu'elle accordait ses faveurs : le ministre Berlouis. Avec lui, c'était diffé- rent. Il y avait du sentiment, il était en vérité le grand amour de sa vie... jusqu'au jour où il lui avait annoncé son mariage avec Elda. Ils étaient cependant restés bons amis. Hier, Ogilvy lui a donné rendez-vous à Anse-Royale, sur la côte est, au sud de Mahé. Elle a cru à une rencontre secrète pour reprendre leur idylle où ils l'avaient laissée. Elle se trompait. Il s'agissait de parler d'un projet de com- plot. D'abord fâchée et déçue, elle avait ensuite dit oui : elle n'avait jamais su résister à la moue un peu enfantine d'Ogilvy, à son visage de tendre voyou aux traits fins... D'autant que depuis longtemps elle haïssait le régime du président René, cet homme fourbe, son amant d'un temps — une passade vicieuse dont elle avait honte depuis qu'il avait fait des îles un bagne muet. Ogilvy avait sauvé maintes fois son mari, connu pour son opposition, des règles du « recyclage ». Elle n'a pas hésité à prendre la cassette qu'il lui a tendue, et promis de la diffuser sur son ordre. Avant de la quitter, il lui a soufflé : « Les commandants sont avec moi. » Entre deux étreintes, tantôt, elle n'a pu s'empêcher de parler du complot au commandant Vidot. Il l'a écoutée, les yeux mi-clos, répondant par des grognements vagues. Avec un sentiment de liberté neuve, elle avance vers le parking. Dans une heure, l'antenne. Elle va annoncer le départ du président René pour Harare, en attendant de pouvoir annoncer son départ définitif. Elle invente un sega : Président, bon voyage. A ton retour, il y aura la cage... Elle saute sur le terre-plein à côté de sa Honda. Sa robe s'envole dévoilant ses cuisses et son string. Elle rit.

Claude Vidot observe derrière le rideau du studio le départ de sa maîtresse. A peine voit-il la voiture de Mar- jorie disparaître en direction de Beauvallon qu'il se préci- pite vers la sienne. Il démarre en trombe et emprunte pour se rendre à Victoria la route du nord. Plus longue mais moins fréquentée. Il a réussi à jouer l'indifférence devant l'incroyable nou- velle : son chef, son ministre, monte une conspiration con- tre le Président ! Depuis sa nomination à la tête de la garde présidentielle, il a senti naître chez Berlouis une certaine défiance à cause de son intimité avec le Président. Si Ber- louis — sans doute jaloux de son nouveau pouvoir — l'exclut du complot, c'est qu'il en sera victime lui aussi. Il doit donc avertir le Président par intérim, James Michel. Il se met ainsi à l'abri et démontre son innocence. Il con- naît la haine profonde de Michel pour Berlouis. Il n'aime pas l'homme mais, en cette circonstance, il est sûr de s'en faire un allié. Arrivé au palais, il interroge le garde : — Ministre Michel là-haut ? — Oui, major. Soulagé, il grimpe le long du parc. Le ministre Michel est au secrétariat de la présidence. — James, viens, j'ai quelque chose de grave à te dire. Ils s'enferment dans le bureau du Président, Vidot le met au courant, guette la réaction du ministre. Celui-ci garde le silence tandis que son visage se couvre des taches roses de l'urticaire géant. — J'appelle le Président ! Sa main tremble légèrement en décrochant le combiné. Les plaques le brûlent, il souffre le martyre, il écoute Albert René qui donne ses instructions d'une voix sèche. Il trans- met à Vidot : — Le Président veut que la fille parle, qu'on arrête les majors et qu'on les mette au secret. — Et Berlouis ? — Berlouis aussi, bien sûr. Je compte sur toi, Claude. La fille, je m'en occupe. Prends les éléments les plus fia- bles de la garde et procède aux arrestations à l'aube. Ogilvy Berlouis a arrêté son plan. En cette saison, l'atter- rissage de l'avion présidentiel se fera dans le sens nord- sud. Il lui suffira de bloquer l'avion lors de la manœuvre en bout de piste pour capturer son homme. Ce bout de piste communique avec la caserne chargée de protéger l'aéro- port. Il aura donc sur place les hommes et le matériel néces- saire. Il conduira ensuite le Président à State House, exigera sa démission et une confession. Il lui laissera choisir sa terre d'exil tandis qu'on fera le plein de son avion pour un départ sans retour. Dans les quarante-huit heures, son pays entrera dans le concert démocratique des nations. Enfin !

Marjorie Baker, comme d'habitude, quitte la radio la dernière. Les techniciens la saluent dans le couloir, lan- cent quelques plaisanteries et s'en vont. «Dans deux jours la liberté », fredonne-t-elle en rega- gnant sa voiture, tout excitée de porter ce terrible secret. Le ciel est couvert, il fait sombre, la ville est déserte. Elle se glisse derrière son volant et enclenche le démarreur. Un mouvement dans son dos la fait sursauter. Une cordelette serre son cou, lui coupant la respiration. Une voix mur- mure à son oreille : «Roule doucement en direction de Pointe-Conan. » Terrorisée, elle met la première, prend la route du nord. La pression se relâche, elle tourne un peu la tête et recon- naît Petit Claude. Elle n'ose pas se fâcher : — Qu'est-ce qui te prend, Claude ? Tu te trouves drôle ? La cordelette se tend à nouveau : — Ta gueule, salope, roule. Les mots, le ton, la terrorisent : — Mais Claude, voyons, qu'est-ce... Sa phrase s'achève sur un cri de douleur. Elle ressent comme une brûlure en haut de la cuisse gauche. Elle voit briller une lame de couteau en même temps qu'une tache de sang s'élargit sur sa robe. Elle s'affole. La voiture zig- zague sur la route. Le lutin malfaisant comprend qu'il est allé trop fort. Il saute avec agilité sur le siège avant et par- vient à maîtriser la voiture. Il calme la fille : — Fais ce que je te dis, il ne t'arrivera rien... Je veux la cassette. Marjorie parvient à hoqueter : — Quelle cassette ? — Celle que Berlouis t'a donnée. — Je ne l'ai pas... Le couteau pique à nouveau. Elle panique. — Dans mon sac. Le gnome s'en saisit, l'ouvre et le retourne sur ses genoux. Au milieu du fatras, une cassette. Petit Claude glisse la bande dans l'autoradio et écoute. La première phrase lui suffit. Il a identifié la voix. Sa mission est accom- plie. Il se tourne pour s'assurer que ses deux complices le suivent dans une Mini Moke. Marjorie pleure, sa jambe est ankylosée. Elle ne pense pas à la douleur, elle pense qu'elle vient de livrer le com- plot et trahir son ami Ogilvy. Elle s'en veut de sa lâcheté, elle aurait dû résister, crier au secours. Mais qui vien- drait à l'aide de quelqu'un entre les mains de Petit Claude ? Elle vient de dépasser anse Nord-Est quand son tortion- naire lui intime : — Descends sur la plage. — Non ! Le couteau brille. Elle obéit. Le chemin est mauvais, la voiture cahote et cale. Elle s'effondre sur le volant et gémit, ses nerfs craquent, elle est à bout. Elle comprend qu'elle va mourir. Elle ouvre la bouche pour hurler, la lame lui transperce le corps, sort, entre à nouveau. Dix-sept fois. Une boucherie. Petit Claude a le regard fixe, extatique. Ogilvy Berlouis se réveille en sursaut. Un bruit de course dans le jardin, des pas dans son living. La porte de la cham- bre s'ouvre à la volée, deux lampes électriques l'aveuglent. Il tend la main vers sa table de chevet pour s'emparer de son colt. Il n'en a pas le temps. La lumière du plafonnier éclaire six hommes en tenue de combat autour de son lit, mitraillette au poing. Dans l'embrasure de la porte, il recon- naît le major Vidot. — J'ai ordre de t'arrêter. La maison est cernée. Sans un mot, Ogilvy se lève, nu, calme. Il rassure ten- drement sa femme. — Ne t'inquiète pas, Elda, je ne crains rien. Il s'habille avec des gestes lents, réfléchit à toute vitesse. Vidot-Marjorie ! voilà l'erreur. Il n'a pas dit à Marjorie de se défier de lui. Il ne laisse rien paraître, regarde les hom- mes droit dans les yeux. Il les sent mal à l'aise. Il ne doit pas fournir de prétexte à une exécution sommaire. En sortant, il s'adresse à ses propres gardes désarmés, surveillés par un commando. — Si vous apprenez que je suis mort cette nuit, ce ne sera pas un accident mais un assassinat. Dites-le à tout le monde. Au revoir, mes amis. Sous bonne escorte, il est conduit jusqu'à un camion bâché obstruant l'allée de sa villa. Il grimpe. Bonté, Marie, Lucas, Marengo, ont été arrêtés avant lui. Son dernier espoir s'envole. Le « coup » est manqué. Il lui reste à sau- ver sa peau et celle de ses amis.

Ils sont debout, face à face, séparés par le grand bureau capharnaüm. Albert René plonge son regard dans celui de Berlouis comme pour foudroyer le traître. Le ministre cons- pirateur est calme, détendu et même un peu ironique. René entame son rôle du père trahi : — Pourquoi m'as-tu fait ça, Ogilvy? — Parce que tu es allé trop loin, Albert. — Je n'ai pas mérité... — Tu maintiens les Seychelles dans la voie du commu- nisme quand celui-ci fait faillite dans le monde. Tu as sali notre pays en ouvrant la porte à la Mafia et en t'associant avec elle. Tu détournes les fonds publics à ton profit. Tu m'as arrêté, Albert, mais tu es perdu. René a trop l'habitude de voir trembler autour de lui pour que l'assurance de Berlouis ne l'inquiète pas. Il essaie l'humilité : — Tu crois à ces calomnies ? Mais il n'y a aucune preuve ! Berlouis tire un fauteuil et s'assied : — Mon pauvre Albert, des preuves, j'en ai trop ! D'abord, j'ai récupéré à Londres le dossier de Gérard Hoa- reau. J'y ai ajouté le mien et ai remis l'ensemble à deux avocats. S'il m'arrive malheur ou si j'en donne l'ordre, une copie des pièces principales sera adressée à chaque ambas- sade et à la presse. Tu comprends ce que cela signifie... Pour le reste... Albert René s'assied à son tour. Il doit écouter Berlouis, il doit savoir jusqu'où il a été découvert et quels sont les risques. Ensuite, il pourra prendre un décision : négocier ou «juger» à sa manière expéditive. Berlouis connaît bien Albert, depuis le temps. Il prévient : — Pense au proverbe chinois : « Si tu veux te venger, creuse deux tombes. » René ramène Ogilvy au sujet qui l'intéresse : — Je ne te crois pas. Tu as perdu l'esprit. — Parlons de la drogue. — Quelle drogue? — Celle que Ricci expédie en Europe avec Air Seychel- les et ta bénédiction. — Si Ricci trafique de la drogue, il faut l'arrêter ! — Quand Elisabetta, la secrétaire particulière de Ricci, est partie, il y a un an, elle s'est réfugiée aux Etats-Unis. Elle a emporté avec elle une copie de tous les documents qu'elle a pu trouver. Notamment du carnet rouge de Ricci. Celui où il note tous les virements, les entrées et les sor- ties, avec les dates, les numéros de compte en Suisse, à Lugano et à Genève. Ça ne te dit rien, Albert ? TES numé- ros de compte. Les Américains ont constitué un dossier complet. Hoareau le détenait. Je le détiens. Conclusion? A chaque extrémité de ce trafic existe un dictateur. Noriega, tyran de droite à la production, et Albert René, tyran de gauche à la commercialisation. Tu veux toujours arrêter Ricci ? René se tait. Il baisse la tête. Piégé. — 627 822, tu situes ? Cette question le surprend. Il lève un œil interrogateur. — C'est ton numéro de compte à Genève, à l'U.B.S. et 842 729... celui de ton compte-transit à Lugano dans la même banque que Ricci. Ton trafic de devises avec Guy Morel ne troublera personne, mais l'argent de la drogue sent de plus en plus mauvais, par les temps qui courent. Les Américains veulent la peau de Noriega, et toi, ils te tiennent par les couilles. Moi aussi... Berlouis se tait, regarde René effondré sur son bureau. René réfléchit : le revolver à côté de sa main — tentative de fuite — ou la négociation ? Berlouis n'est pas seul. Ber- louis, c'est l'armée. Que devient un dictateur sans armée ? Un clochard. Berlouis poursuit, plein de mépris pour celui qu'il a tant admiré, comme s'il voulait en finir aussi avec une part de lui-même : — Je possède aussi les preuves de la vente des merce- naires d'Afrique du Sud. Je suis sûr que le peuple appré- ciera ta conception du socialisme à la seychelloise, selon ton expression. René se redresse un peu, hoche la tête, pensif, navré, joint les mains : — Ogilvy... Le pays est fragile... Il ne survivrait pas à de telles... révélations, vraies ou fausses... Il faut penser à l'intérêt supérieur de la nation... Il ne faut pas désespé- rer le petit peuple des cases... Ogilvy, qu'est-ce que tu demandes ? — La liberté pour moi et les quatre majors. — Accordé. — De l'argent. Pour moi et pour eux. — Accordé. — Ma liberté d'action. — Accordé. — Conserver ma position à la direction du parti. — Oui. — Parfait. Nous réglerons les détails plus tard. Je ressors libre et tu donnes immédiatement l'ordre de relaxer mes amis. — Tout de suite. Le Président téléphone au ministre Michel. — James, fais relâcher les majors. Je viens d'avoir une explication sincère et constructive avec Berlouis. L'affaire est réglée, c'était un malentendu. — Mais... — Ne discute pas ! dit René d'une voix de commande- ment puis, cordial : Tout est clair, James.

11 novembre 1986 Un communiqué de la présidence annonce la démission du ministre de la Défense et de la Jeunesse : Ogilvy Ber- louis, et la mise à la retraite de quatre officiers supérieurs : les commandants Raymond Bonté, Rowly Marie, Philippe Lucas, Marc Marengo.

19 septembre 1986 Remaniement ministériel, le président France-Albert René assume dans le nouveau gouvernement les postes du Plan, des Relations extérieures, des Finances, de la Jus- tice et de la Défense... 26 novembre 1986 Mario Ricci quitte les Seychelles et s'installe en Afrique du Sud. L'ambassade du faux ordre de Malte reste ouverte. Le S.M.R. — group conglomerate — regroupant les socié- tés de Mario Ricci, dont la Tea and Coffee Factory, pour- suit ses activités...

16 avril 1987 Mikhaïl Orlov, ambassadeur d'U.R.S.S. aux Seychel- les, quitte son poste. Ce départ coïncide avec le début du désarmement cubain en Angola et la réduction de l'aide soviétique à l'Ethiopie.

8 mai 1987 Jacques Hodoul, ministre du Développement national, • annonce l'acquisition par l'Etat des habitations et commer- ces des Seychellois exilés. Ils seront dédommagés en «bons» de l'Etat.

19 mai 1987 Sous la pression de la communauté diplomatique, le ministère des Relations extérieures des Seychelles met fin aux activités de l'ordre souverain copte catholique des che- valiers de Malte. Toutefois, le S.M.R. de Mario Ricci con- tinue de fonctionner.

4 juin 1987 La veille du dixième anniversaire de la prise de pouvoir d'Albert René, deux lois sont promulguées : — la vente ou don d'effets personnels sans l'accord du Seychelles Marketing Board sera punie de deux ans de prison ; — aucun recours ne sera autorisé en cas « d'acquisition » de terrain dans «l'intérêt national ». 18 juillet 1987 Avant de quitter l'archipel après deux ans d'ambassade, Irving Hicks a insisté sur l'appui de Washington apporté à la stabilité des Seychelles, et rejeté tout soupçon qui pour- rait concerner l'attitude américaine.

Juin 1988 Pour le onzième anniversaire de l'avènement du socia- lisme aux Seychelles, le président Albert René, par solida- rité avec la Corée du Nord, boycotte les J.O. de Séoul. Cuba, l'Ethiopie et l'Angola en font autant.

17 juillet Cannes. Federico Casanova retire sa plainte contre Mario Ricci. Un avocat d'Afrique du Sud représentant M. Ricci a négocié ce retrait contre deux millions de francs. Cepen- dant, l'action en justice se poursuit.

23 octobre Grasse. Mario Ricci est condamné à un an de prison ferme par le tribunal de Grasse, pour organisation d'écou- tes illicites. Le transfert en France des armes par la valise diplomatique n'est pas évoqué.

7 mai 1989 Mario Ricci devient actionnaire du seul grand hôtel privé des Seychelles : L'Equator. De source bien informée, le financement de cet hôtel provient du blanchiment de nar- codollars via le Canada. Les activités du S.M.R. de Mario Ricci sont toujours prospères.

14 juin Le président René rachète personnellement la propriété de l'ancien ministre Ferrari : 700 000 roupies. Ce dernier est à dix mois de la fin de son mandat auprès de l'ONU, en tant que directeur régional de l'Office pour l'Afrique. Il se retire près d'Aix-en-Provence et garde contact avec l'opposition au régime, plus que jamais décidé à servir son pays le moment venu. 31 décembre Le président René rappelle au cours d'une interview : « Les étrangers peuvent investir aux Seychelles et rapatrier leurs bénéfices. » Deux entreprises importantes sont con- cernées par cette largesse : le S.M.R. de Mario Ricci et l'hôtel Equator dans lequel il est actionnaire.