La Poudrière Des Seychelles
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LA POUDRIÈRE DES SEYCHELLES PIERRE SOUBIRON La poudrière des Seychelles roman En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie. © by Éditions Denoël, 1992 73-75 rue Pascal, 75013 Paris ISBN-2.207.23970-5 B 23970-5 Avertissement de l'auteur Par prudence et respect pour mes amis sey- chellois, les noms de certains personnages secondaires de ce livre ont été remplacés par des noms d'emprunt. P. S. Cet archipel, paradis du tourisme, est composé d'une foulti- tude de petites îles dont les principales sont celles de Mahé et Praslin. Il se situe en Afrique, dans l'océan Indien occidental, à 1 100 kilomètres de Madagascar. D'une superficie globale de 408 km, sa population est d'envi- ron 65 000 habitants, en très grande majorité catholiques. La monnaie s'appelle la roupie, les langues parlées sont le créole, l'anglais et le français. La capitale, sur l'île de Mahé, est Victoria, 30 000 habitants. Peuplée pour l'essentiel de Franco-Créoles, elle comprend aussi des minorités noires et malaises. Les Seychelles ont déjà une longue histoire. Au Moyen Age, les marchands arabes y faisaient souvent escale. Les premiers Européens à y débarquer au XVI siècle furent les Portugais. L'archipel fut ensuite exploré puis colonisé par les Français qui s'y installèrent en 1742. Ils lui donnèrent le nom de Moreau de Sèche lles, contrôleur général des Finances. Occupé par les Anglais en 1811 qui l'administrèrent en même temps que l'île Maurice et exploitèrent le cacao, les noix de coco, le guano dont les Seychelles sont un grand exportateur à partir du port de Victoria. La chasse à la tortue et la pêche représen- tèrent aussi des ressources importantes. En 1903, l'archipel dépend directement de la Couronne britannique. En 1976, sous la poussée du Parti démocratique (S.P.D.) et du Parti du peuple uni (S.P. U.P.), les Seychelles devinrent indé- pendantes dans le cadre du Commonwealth, J.R. Mancham devenant président de la République. En 1977, son premier ministre Albert René fomente avec suc- cès un coup d'Etat. C'est ici que les aventures véridiques racon- tées dans ce livre commencent, alors que les touristes affluent en raison du climat très doux de l'archipel : 24 à 29 degrés dans la période dite fraîche de juin à novembre. La saison des pluies est très courte durant les périodes chaudes, l'archipel est pro- tégé, peu de tempêtes et de vents forts, ce qui explique que le tourisme soit devenu largement la première industrie de l'île qui excite beaucoup de convoitises et de complots en tout genre... Chapitre 1 «Naviguer au plus près du bonheur. » James Mancham. 1976, île de Mahé, Victoria Un cardinal s'envole, affolé par l'ouverture brutale d'une porte. Il se réfugie sur les plus hautes branches d'un flam- boyant. Un grand et vigoureux barbu apparaît sous la véranda de la massive maison blanche, de style colonial, noyée dans la verdure tropicale. James Mancham, chef- ministre des Seychelles, va prendre son breakfast avant de rejoindre son bureau. Sa chemise hawaiienne piquée d'hibiscus rouges et de feuilles vertes sur fond blanc est en parfaite harmonie avec son humeur du réveil. Largement échancrée sur son torse puissant elle laisse voir une chaîne où pend une énorme dent de requin sertie d'or. Il aime ce symbole, son pendule à fem- mes. Il attire le regard et provoque la curiosité. Son charme naturel, son esprit et sa joie de vivre font le reste. James Mancham, Jimmy pour les intimes, est heureux. Il a laissé à l'étage, dans la vaste chambre, Brita, une ath- létique Suédoise, authentique blonde, alanguie sous les pales du ventilateur. Elle dort encore. La veille, dîner aux chan- delles sur la terrasse. A la fin du repas, il s'est dressé pour lui déclamer des poèmes en anglais, de sa composition. Puis des chansons en français. Et lui fit, enfin, l'amour en créole. Rien ne peut entamer la bonne humeur du chef-ministre en ce beau matin de janvier. Les queues de mousson s'éloi- gnent de l'archipel, le ciel est limpide, profond. Il chan- tonne Paloma bianca. Hier, le gouverneur, au nom de sa Très Gracieuse Majesté, lui a fait savoir que le principe de l'indépendance des Seychelles était acquis. Lui, James Mancham, chef- ministre du gouvernement de transition, serait tout natu- rellement appelé à prendre en main la destinée des îles. Les îles... Ses îles. Elles s'étalent devant lui dans la mer émeraude, posées sur leur coussin de sable blanc. Là, tout près, l'île aux Cerfs, Sainte-Anne, l'île Longue... et plus loin, comme s'il les voyait, Praslin, la Digue et toutes les autres... Plus de 90, dispersées sur 640 000 km de super- ficie maritime, forment l'archipel des Seychelles. Son « royaume »... Il sait bien que le scénario de l'indépendance et sa dési- gnation à la présidence ne doivent rien au hasard. La Grande-Bretagne ne serait pas ce qu'elle a su rester sans préparer longtemps à l'avance ce genre de situation. Il y a dix ans déjà que cette éventualité et le choix de l'homme ont été programmés. Jimmy n'y voit aucun inconvénient puisqu'il est le bénéficiaire du montage. Depuis que les Seychelles s'ouvrent au tourisme, les aven- tures vécues avec des visiteuses de différentes nationalités lui ont permis de savourer une manière d'exotisme à rebours. Les dames le trouvent séduisant et les Anglais, eux, affirment qu'étant le plus intelligent, il est le plus apte à gouverner. Que demander de mieux ? Il savoure avec bonheur ses œufs brouillés et sa man- gue bien mûre, découpée en lamelles avec amour par Flora, sa vieille et grosse nounou, attentive à tous ses caprices. Un crissement sur les graviers de la cour. Une antique Jaguar blanche conduite avec précaution par Séraphin Qua- trevent vient le chercher pour le déposer à son bureau, situé à 300 mètres. La marche n'est pas digne d'un chef-ministre. — Bernadette, tape-moi cette lettre concernant l'affaire Loizeau, tu la déposeras dans la boîte de la Cour, en ren- trant chez toi. Je pars pour l'aéroport. France-Albert René est tracassé, son cabinet d'avocat vivote, et en politique le courant ne passe pas bien. Peu de participants aux réunions, son mouvement, le SPUP ne fait pas recette. Il sent l'hostilité des Anglais entrete- nue par Mancham, ce play-boy ! Bientôt dix ans que le SPUP existe mais rien n'a vrai- ment évolué depuis la grève de 1972. Le S.P.D. et son leader, le chef-ministre Mancham, s'étaient inclinés. Les bourgeois avaient dû céder 39% d'augmentation sur les salaires. Mais depuis, René n'avait pas vraiment su tirer parti de cette victoire. A l'inverse de son rival, il a choisi la sobriété d'appa- rence. Sa taille courte et sa silhouette un peu lourde lui interdisent les excentricités vestimentaires. Son visage aux traits réguliers sous des cheveux châtains, ondulés, ne par- vient pas à faire oublier la froideur du regard clair, calcu- lateur, marqué sans doute par son passage au séminaire suisse de Martigny-en-Valais. France-Albert René est inquiet. Sur la route semée d'ornières qui le mène à l'aéroport, à la pointe sud-est de l'île, il pense à l'avenir. Le système démocratique à l'anglaise ne lui inspire pas confiance. Bientôt, les élections auront lieu. Décidé à mettre toutes ses forces dans la bataille, il va réveiller les «zoms3 ». Il se sent proche d'eux quand il les harangue en créole, il reprend confiance. Un cahot plus rude l'arrache à ses pensées. Devant lui se dresse la seule industrie digne de ce nom existant sur l'archipel : les Seychelles Breweries. Tout un symbole ! La première industrie implantée par les « protecteurs » anglais 1. SPUP : Seychelles People's Unity Party, tendance socialiste marquée. 2. S.P.D. : Seychelles Party Démocratic, libéral anglophone. 3. «Hommes» en créole. est une brasserie, montée de toutes pièces par des Alle- mands. Pour abrutir de bière le travailleur seychellois et reprendre son maigre salaire arraché aux propriétaires. René aborde maintenant la longue ligne droite qui longe le hameau de Cascade. Une jolie petite église vert et blanc, accrochée à une grosse tête de granite qui jaillit de la végé- tation, surplombe une molle chute d'eau. Les Seychelloi- ses du district viennent y battre le linge en gazouillant les rumeurs apportées depuis l'aube par radio-cocotiers. L'aéroport approche. Peu de voitures, peu de monde. Le nouveau vol ouvert par Kenya Airways n'a pas encore obtenu le succès escompté. Mais dans le moment présent, le tourisme n'est pas la préoccupation principale d'Albert René. Il vient mettre à l'avion un jeune créole de vingt ans, Ogilvy Berlouis. Destination finale du garçon : Dar es- Salaam. Seul, Albert René connaît le but et la raison de ce départ. Ogilvy est envoyé en Tanzanie en formation, sous l'aile protectrice du docte et très marxisant Julius Nyerere. Ce stage, Albert l'a obtenu au cours d'une rencontre pas du tout fortuite avec un Tanzanien haut placé dans le parti, qui lui a fait part de l'attention avec laquelle le président Nyerere suivait les efforts entrepris par le SPUP, et René en particulier, pour plus de justice et vers une réelle indé- pendance.