Panique Aux Seychelles À L'approche De L
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Panique aux Seychelles à l’approche de l’ouragan « Démocratie » (1) Jean-François Dupaquier Afrikarabia, 9 avril 2016 L’archipel de l’océan indien n’est pas seule- de s’étendre sur les raisons de son limogeage. Le nu- ment la destination huppée des touristes oc- méro 2 de la police est bien placé pour savoir que sa cidentaux et des voyages de noces. Afrikara- liberté d’expression est récente, et qu’il ne doit pas bia vous propose de regarder derrière son dé- trop en dire. Il y a quelques années, le moindre écart cor de plages et de cocotiers de mer, avec un de langage lui aurait coûté beaucoup plus cher. grand reportage de notre envoyé spécial Jean- François Dupaquier. Premier article consacré « James Michel voit venir la fin de son à la violence politique aux Seychelles depuis l’indépendance. système » L’hebdomadaire Le Seychellois Hebdo titre en pre- Après la longue dictature du président France- mière page de son édition du 18 mars 2016 : « Is Albert René et de son parti unique le SPPF (« Sey- the victimisation axe starting to fall ? » (est-ce que chelles People Progressive Front »), les Seychellois la hache de la victimisation commence à tomber ? »). reçoivent avec une prudence teintée de crainte toute « Victimisation » est un terme anglais dont le créole information politique inattendue. Jean-François Fer- seychellois fait un usage particulier. Il dit l’entrée de rari, 56 ans, un homme de belle prestance, nous reçoit la personne dans l’ère de la sanction, de la punition, dans son bureau qui jouxte le jardin botanique de de l’exclusion. En cause ici, la démission forcée du Victoria, la capitale des Seychelles. Cet ancien jour- numéro deux de la police, Godfra Hermitte, un haut naliste, cadre du Parti National Seychellois – princi- fonctionnaire qui jusqu’ici en imposait. Devant la pe- pal parti d’opposition –, commente l’affaire Godfra sante propagande des médias d’Etat, les Seychellois Hermitte : « A peine réélu au prix de nombreuses qui bénéficient d’une connexion internet font plutôt fraudes, le président James Michel commence à se confiance aux réseaux sociaux. débarrasser de tous les officiels suspectés d’avoir des liens avec l’opposition. Il voit venir la fin de son sys- tème ». Ne pas trop en dire Hermitte a annoncé lui-même sa mésaventure sur Quarante ans sans alternance poli- sa page Facebook. Son alternative était une rétrogra- tique ! dation comme chef de la prison Montagne Posée [la principale prison des Seychelles], ou le grand départ. Le Seychellois Hebdo tient la liste de ces « vic- Sur Facebook, le haut policier attribue vaguement timisés ». Premier par ordre chronologique, Timothé son infortune à « l’administration Michel » histoire Sinon, chef exécutif (Chief Executive officer, CEO) de de ne pas s’en prendre trop directement à l’actuel la Property Managemeng Company (PMC) un orga- président de la République James-Alix Michel . Ni nisme d’État qui joue un rôle stratégique pour l’assise 1 2 clientéliste du régime. A suivi Roselyne Houareau, Ce dernier est également un coureur de jupons invé- patronne de l’agence de développement national hu- téré, mais surtout un ambitieux en politique. L’archi- main (ANHRD), virée du jour au lendemain. « A qui pel des Seychelles semble minuscule, avec ses 62 000 le tour », demande l’hebdomadaire. habitants répartis sur 115 îles et îlots. Mais il offre A l’origine de ce mini-tsunami dans le micro Etat des sites paradisiaques pour les touristes et dispose des Seychelles, la laborieuse réélection de James Alix d’une zone maritime exclusive très poissonneuse de Michel le 19 décembre dernier. A Victoria, il n’y a ja- plus d’un million de kilomètres carrés. Pendant que mais eu d’alternance politique démocratique depuis James Mancham batifole, son premier ministre, com- l’instauration de la République le jour de l’indépen- plote. France-Albert René s’empare du pouvoir par dance, le 29 juin 1976 – presque quarante ans –. Le la force. Le 5 juin 1977 est une date noire pour les premier président James Mancham, et avec lui la dé- Seychellois, un peuple convivial et légèrement indo- mocratie, n’ont pas fait long feu. lent. Incrédules, ils voient s’instaurer une démocratie populaire sous les cocotiers de mer. France-Albert René admire Fidel Castro, Julius Londres concède l’indépendance en Nyerere et plus que quiconque Kim Il sung, le 1976 « Grand leader » nord coréen « Professeur de l’Hu- manité toute entière », « Chef bien-aimé », etc. Vite, Plus qu’un président, Mancham était un play boy. il adore plastronner parmi les leaders des pays de Lorsqu’il ne se trouvait pas en visite d’Etat à l’étran- la « ligne de front » contre l’impérialisme. Comme ger, il sillonnait les rues de Victoria dans sa Rolls Kim Il sung, France-Albert René se voit bien en décapotable en collectionneur d’aventures féminines. « Président éternel » des Seychelles et s’en donne les Les Seychelloises adoraient cet enjôleur. Il avait fondé moyens. Le Seychelles People’s United Parti devient en 1964 le Seychelles Democratic Party (SDP) qui parti unique. Le régime se revendique marxiste, révo- caracolait en tête des scrutins locaux concédés par lutionnaire et « non-aligné ». Transports collectifs et Londres, et ça suffisait à sa gloire. James Mancham hôtels sont nationalisés. Une « armée populaire de sé- ne voulait pas de problèmes. Il affichait sa loyauté curité » est mise en place avec des experts militaires à la Grande Bretagne. Il avait fallu la hargne de venus de la « république socialiste sœur » de Tanza- l’avocat France-Albert René, fondateur d’un parti ri- nie, tandis que Cuba dépêche médecins et spécialistes val, le Seychelles People’s United Parti (SPUP), pour en « renseignement ». que James Mancham réclame l’indépendance du bout des lèvres. Londres l’avait accordée en 1976. Il était temps. Service national de pionniers Comme en Corée du Nord, France-Albert René Un admirateur de Kim Il sung aux com- instaure un « Service national » de pionniers qu’il mandes ne manque pas de faire visiter aux chefs d’Etat de passage. « Plusieurs grandes propriétés sont confis- Mancham se retrouve président de la République le quées, ainsi que des maisons des opposants, raconte jour de l’indépendance octroyée par la Grande Bre- Jean-François Ferrari. Par la suite, personne ne de- tagne, le 28 juin 1976. vait avoir plus qu’une maison – sauf bien sûr quelques La colonie des Seychelles devient le 36e membre du amis proches. Les îles de l’archipel qui ne sont pas Commonwealth et Paris inscrit d’office la nouvelle habitées de façon permanente se retrouvent nationa- République aux sommets de la Francophonie (envi- lisées, tout comme les transports publics et un certain ron 30 % des Seychellois parlent français, leg de la nombre d’hôtels de luxe. Toujours au nom de la lutte colonisation française achevée en 1814). anticolonialiste et nationaliste. France-Albert René James Mancham est partageur : il confie le poste se voulait un modèle parmi les « libérateurs », un de Premier ministre à l’avocat France-Albert René. modèle qui lui vaudrait une place dans l’histoire. » 3 Les touristes sont sacrés, pas les liber- guides touristiques y voient l’influence du discours de tés publiques... la Baule, prononcé par François Mitterrand au som- met des chefs d’État africain en juillet 1990, où il En 1977 le tourisme explose. Grâce à l’aéroport in- annonçait que l’aide de la France serait subordon- ternational de Mahé (cadeau de Londres en 1971), née à l’ouverture d’un processus de démocratisation l’archipel accueille plus de cinquante mille touristes. et de fin du régime de parti unique. En réalité, le Les Occidentaux qui se dorent sur les plages ignorent rôle de la France est faible aux Seychelles. L’archi- presque tout de la réalité politique et sociale des Sey- pel figure dans les zones d’influence de la Grande- chelles. Mamelle de l’Etat, le touriste est sacré. Les Bretagne. Et bien avant François Mitterrand, les Bri- Tontons Macoutes de tonton René ont ordre de ne tanniques s’étaient montrés très critiques sur la dérive pas les ennuyer. autoritaire des potentats africains. L’envers du décor paradisiaque, du sable intermi- nablement ratissé et du personnel aux petits soins, L’inoxydable binôme René/Michel ce sont des suspects arrêtés, souvent torturés, parfois victimes d’assassinats « scénarisés » ou de « dispa- France-Albert René, tout comme son homme lige, ritions », destinés à provoquer la terreur muette de James-Alix Michel, doit finalement tenir compte de la population. A sa façon, le régime copie en carton- la quasi faillite économique du régime. « Les Seychel- pâte la farce démocratique qui se joue derrière le ri- lois ne sont pas les esclaves des touristes », avait pro- deau de fer et la Constitution de l’Union des Répu- clamé martialement France-Albert René dans une de bliques Socialistes Soviétique, « la plus démocratique ses improvisations lyriques. Aussitôt, c’est la grève du du monde » selon Joseph Staline et ses thuriféraires. zèle dans les hôtels. Le tourisme bat de l’aile. Titillé France-Albert René visite plusieurs fois la Répu- par les bailleurs de fonds, France Albert René s’est blique Populaire Démocratique de Corée et prend donné le luxe d’annoncer le retour du multipartisme des notes. Promulguée en 1979, la Constitution de en 1991 mais les bonnes vieilles méthodes d’intimida- la désormais « République socialiste souveraine des tion, de clientélisme, de débauchage et de corruption Seychelles » (RSSS) ne limite pas le nombre de man- continuent de faire merveille. A chaque élection légis- dats du président. L’opposition durablement « victi- lative, l’ex-parti unique SPPF ramasse la mise.