pierre Débat animé par Yves Alion après la projection du film Les Années sandwiches, à l’École Supérieure boutron de Réalisation Audiovisuelle de le 29 novembre 2007

Pierre Boutron est sans conteste de ceux qui ont fait les riches heures du petit écran, signant avec une belle régularité des films souvent selon son cœur, parfois formatés pour plaire au public le plus large, mais sans jamais renier un iota de son ambition, celle de construire une œuvre forte, qui épouse différents genres mais avec la constante de montrer les subtilités du génie humain, y compris dans les périodes les plus noires, y compris quand il s’agit de mettre en scène des monstres. C’est ainsi que notre homme a mis en lumière Dominici ou Landru. Mais aussi des justes, des êtres qui n’ont jamais renié leur foi en l’homme. n’a pas beaucoup travaillé pour le grand écran, deux de ses films pour le cinéma n’en sont pas moins superbes : Les Années sandwiches , qui raconte les années d’apprentissage d’un jeune homme sans attache au lendemain de la guerre. Et Fiesta , qui s’attache à suivre les pas d’un supplétif de l’armée franquiste pendant la guerre civile espagnole. L’occasion de montrer les limites de l’ordre moral parmi les tenants d’une Espagne « propre ». Et accessoirement d’offrir à Jean-Louis Trintignant l’un de ses plus beaux rôles. Ce qui n’est qu’à demi surprenant tant Boutron semble se régaler à diriger les plus grands, pour mieux irriguer le corps et le cœur de ses films. On l’a compris, le cinéaste a beau s’inscrire dans un registre classique, son désir de s’emparer des questions éthiques est omniprésent. Son tropisme politique est sans doute moins systématique que chez un Tasma ou un Heynemann, pour ne Les Années sandwiches parler que de ces deux-là, qui ont beaucoup œuvré pour le petit écran, son goût du théâtre traçant une autre ligne rouge à l’intérieur de sa filmo, mais Pierre Boutron n’en affiche pas moins une cohérence, laissant apparaître les contours de la personnalité de l’auteur avec davantage de netteté qu’à l’ordinaire sur le petit écran. I Pierre Boutron Je suis donc parti à Cannes alors qu’à l’époque je n’avais même pas de quoi me payer un nœud papillon ! Là-bas, tout a pris des proportions incroyables qui m’ont un peu dépassé… Ensuite, j’ai travaillé avec pas mal de monde, dont Jean-Claude Carrière, et j’y ai pris goût.

Et vous avez lâché le théâtre totalement ? P. B. : Ah non, pas du tout ! Pendant une dizaine d’années j’ai continué à travailler en parallèle pour le théâtre. Par exemple j’ai monté Léoca - dia avec Edwige Feuillère ou Le Malade imaginaire avec au Théâtre de l’Atelier, ou encore L’Importance d’être Cons - tant , de Wilde, avec Patrick Chesnay. Je me souviens que j’avais monté Le Malade imaginaire en janvier 87. J’ai tourné “... le cinéma est un Entretien Les Années sandwiches six mois plus tard. L’approche ciné - exercice à hauts matographique s’est donc faite malgré moi, ce qui a eu des risques où on ne avantages et des inconvénients. L’avantage c’est d’avoir du peut pas avancer si Cela fait dix ans que votre travail est consacré principalement à la télé - recul, énormément de recul. J’ai compris qu’un metteur en on n’est pas au bord vision. Pouvez-vous nous rappeler comment vous avez débuté votre scène qui avait des idées, il fallait s’en méfier tout de suite. du gouffre.” carrière ? Mais en même temps cela présente aussi des inconvénients Pierre Boutron : Je viens du théâtre. Quand j’étais jeune, j’ai commencé dans la mesure où il y a une sorte d’excès de prudence alors en étant assistant de Jean-Louis Barrault. J’ai travaillé avec lui pendant que le cinéma est un exercice à hauts risques où on ne peut pas avancer trois ans, puis j’ai créé une troupe de théâtre et j’ai monté si on n’est pas au bord du gouffre. Donc cet excès de prudence m’a de nombreuses pièces dont Le Portrait de Dorian Gray certainement freiné pour certains projets que je n’ai pas faits mais que d’Oscar Wilde en 1975. Ma carrière cinématographique a j’aurais dû faire. démarré sur un quiproquo : je n’avais aucune envie de tourner, ça ne me disait rien ! Mais Le Portrait de Dorian Quelle est la différence majeure entre le théâtre et le cinéma ? Gray a eu un énorme succès et quelqu’un de la télévision P. B. : Il y a une différence énorme. Par exemple au théâtre, tout se joue est venu me voir en me disant : « C’est dommage, la pièce sur 2h30 d’affilée. Ça sonne, le rideau se lève et il n’y a plus rien pour Raymond Gérôme et va s’arrêter… Seriez-vous d’accord pour que l’on en fasse se rattraper aux branches ! Il faut que ça dure 2h30. Au cinéma, un Patrice Alexsandre dans un film ? ». Sur le moment j’ai mal compris. J’ai cru que l’on allait m’en - plan c’est parfois cinq secondes. Si on se plante, on le refait. Le risque Le Portrait de Dorian Gray (1977). voyer des gens pour faire une captation de la pièce, alors j’ai accepté le est donc moins grand alors qu’il y a un travail d’équilibriste au théâtre projet. En fait, on m’a envoyé des producteurs et toute une équipe pour qui rend le risque beaucoup plus constant. De plus la connais - préparer le film ! Évidemment, je ne connaissais rien à la réalisation, sance des acteurs passe d’abord par le théâtre : je connais de “Un acteur est mais à l’époque j’étais copain avec Robin Davis qui faisait des films nombreux cinéastes qui ne savent pas réellement ce qu’est un une sorte qui avaient pas mal de succès. Je l’ai donc appelé en lui demandant acteur. Un acteur est une sorte d’animal qui renifle immédiate - d’animal qui son aide, sinon je refusais la proposition. En clair, Robin m’a répondu : ment ce qui se passe sur un plateau, et quand il ne se sent pas en « D’accord, c’est difficile de faire des films, mais fonce ! Fais comme si sécurité ou qu’il perçoit un réalisateur qui n’est pas sûr de lui, renifle tu savais réaliser, je vais t’apprendre. » J’ai donc accepté, Robin m’a cela se traduit de différentes manières. L’acteur sent ça tout de immédiatement enfermé comme à l’école dans une salle avec un tableau suite, ce qui fait que très vite il y a blocage. Alors que quand on ce qui se passe “Ma carrière noir, une craie et un scénario à écrire. J’ai donc travaillé a la connaissance de cet acteur, il arrive un moment où sur le sur un plateau...” cinématographique a avec lui et je me suis rendu compte que le cinéma était un plateau on voit comment il se développe et se laisse aller au fur démarré sur un outil qui me correspondait beaucoup mieux que le théâtre… et a mesure des prises. C’est ainsi que je suis devenu très ami avec C’est comme ça que j’ai commencé. , alors qu’on m’avait prévenu que c’était un homme dif - quiproquo : je L’Affaire Dominici , n’avais aucune envie Et puis un jour, alors que j’étais en plein montage, le télé - ficile. Sur le plateau de (2003) alors que les rythmes phone a sonné : le CNC me demandait une copie travail. de travail étaient très soutenus, nous sommes devenus complices, parce de tourner...” J’ai pris un taxi avec les bobines, c’était très lourd, je suis qu’il a tout de suite senti que j’étais de son côté. Il a dû percevoir que allé les déposer au CNC. Quelques temps plus tard, on m’a je comprenais bien les acteurs, que toute la mise en scène que je pouvais appelé pour me dire que j’étais sélectionné au Festival de Cannes, dans faire n’était pas une chose uniquement personnelle ou égocentrique, le cadre des « Yeux fertiles », devenu depuis « Un certain regard ». mais au service de l’acteur d’abord.

118 119 Pierre Boutron En réalité j’ai toujours pensé que le metteur en scène devait être suffi - samment habile pour que son égocentrisme corresponde à celui de l’ac - teur, et que pour ce faire il fallait que toute la conception qu’il pouvait avoir de son film soit adoptée sans effort par l’acteur. En ce moment je prépare un film, et j’ai un problème d’incompatibilité et de conception avec un acteur… alors qu’au stade de la préparation, c’est essentiel de savoir où l’on va, où l’on met les pieds, quelle est la confiance que l’un peut accorder à l’autre. À ce stade, l’erreur peut être corrigée. Ainsi, pour en revenir au théâtre, je pense que l’expérience théâtrale est très forte parce lorsque quand les acteurs sont plantés sur scène, que le metteur en scène doit les diriger alors qu’il est dans la salle, c’est quand même une autre paire de manches !

Vous avez dit que Robin Davis vous avait aidé à faire du cinéma. En fait, c’est le cas de nombreux metteurs en scène qui sont venus du théâtre et qui se sont fait aider parce qu’il leur faut découvrir toute la dimension technique du cinéma. Pour ce qui est du travail avec l’acteur, pensez-vous que la direction de l’acteur par un metteur en scène au théâtre et au cinéma, ce n’est pas du tout pareil ? P. B. : Cela m’a avantagé d’avoir fait du théâtre quand je me suis lancé dans le cinéma, parce qu’à partir du moment où l’on a une relation très forte avec l’acteur, il faut que l’exigence de la technique soit à la hauteur. Par exemple il y a une très grosse différence entre les cinémas américain et français. Les metteurs en scène français ont beaucoup de mal à tra - vailler aux États-Unis. Là-bas, un réalisateur arrive sur un plateau avec des papiers, des dessins, il sait où placer la caméra… S’il arrive sur le plateau en réfléchissant à ce qu’il va faire, il se fait virer au bout de trois jours. La technique est absolument essen - tielle et cette technique-là, on ne peut l’utiliser qu’une “On ne peut pas fois que l’on a fait connaissance avec l’acteur. On ne peut arriver sur un plateau pas arriver sur un plateau et tout assumer si on n’a pas et tout assumer si on déjà réglé le problème de l’acteur. Avec les responsabili - n’a pas déjà réglé le tés colossales que l’on a, c’est impossible. Je vais vous problème de l’acteur.” donner un exemple : on disait de Serrault qu’il détestait les metteurs en scène, qu’il gueulait tout le temps, etc. Sur L’Affaire Dominici , le deuxième jour de tournage, il y avait un plan dans une infirmerie, dans un long couloir où son personnage était pris d’une crise d’asthme. Il y avait un infirmier qui le poussait sur une chaise roulante, et pendant ce temps-là, il étouffait. Je me suis dit, se serait pas mal d’avoir les deux actions en même temps, sans travelling. Alors j’ai désossé la caméra, j’ai tout démonté, elle n’avait même plus d’œilleton et j’ai mis un grand angle. Puis je l’ai placée dans les bras de Michel Ser - rault qui devenait cadreur. Elle le prenait en contre-plongée, on voyait De gauche à droite et de haut en bas, plusieurs films de télévision réalisés par Pierre Boutron : Hanna Schygulla et André Dussollier dans L’Aide-mémoire (1984) ; Delphine Seyrig et dans Les l’infirmier au-dessus, et j’ai dit à Serrault qu’on allait faire 80 mètres Étonnements d’un couple moderne ; au centre Robin Renucci et Giulia Boschi dans La Dame de Berlin (1991) ; comme ça. Il m’a demandé : « Tu ne veux pas que je joue avec mes Philippe Khorsand et Robin Renucci dans Des enfants dans les arbres (1994) ; Sagamore Stévenin et Hardy Krüger Jr. dans Le Cocu magnifique (1999), Laurent Spielvogel, Catherine Jacob, et dans Les pieds ? » Je lui ai dit : « On va déjà faire ça, et puis on verra. » Et il l’a Faux-fuyants (2000) ; Francis Huster et Micheline Presle dans La Cliente (2004), Florence Pernel et fait merveilleusement bien parce qu’il a senti qu’il y avait une adéqua - dans Le Voyageur sans bagage (2004) et Christophe Dechavanne, Julia Molkhou et Michel Aumont dans Braquage en famille (2008). tion entre ce qu’on lui demandait en tant qu’acteur et la valeur du plan.

120 121 Pierre Boutron On peut demander à un acteur de faire les pieds aux murs, ou n’im - sont juste les tuyaux qui changent ! Mais en , un touche-à-tout est porte quoi, mais à condition qu’il le sente. un bon à rien. Aux États-Unis, à la cérémonie des Golden Globes, tout le monde est là. Vous imaginez la même chose ici ? C’est impossible ! Vous avez donc besoin qu’on comprenne ce que vous faites ! Les acteurs Aux États-Unis, tout le monde se mélange, les acteurs, les metteurs en ont-ils eux aussi besoin de comprendre ? scène, les scénaristes… D’ailleurs, tout le monde fait grève en même P. B. : J’ai absolument besoin de leur expliquer pourquoi ils doivent temps. En France ce mélange des genres à un caractère jouer ainsi. Mais parfois il y a des acteurs qui me disent : « Je ne veux plutôt péjoratif. J’ai fait des films avec pas mal d’acteurs pas comprendre »… qui ont fait du cinéma par la suite. Eh bien, le seul qui revendique sa filiation télévisuelle, c’est Guillaume Canet. Et puis il y a aussi des réalisateurs qui ne veulent pas expliquer. Notam - Sur La Ville dont le prince est un enfant, que j’avais monté ment Hitchcock qui regardait les acteurs comme un détail dans la fabri - au théâtre en 1994, je l’avais pris après des castings avec cation du film. une centaine d’adolescents. Guillaume le revendique mais P. B. : Oui, d’accord, mais lui ne regardait même pas le plateau. Il avait la plupart du temps si vous regardez le CV des acteurs qui Guillaume Canet et son casque, il tournait le dos au plateau. Il faisait tout à l’oreille, rien à font du cinéma, il n’y a pas une trace du moindre film de télévision. Robin Renucci dans La l’œil, même s’il utilisait des storyboards. Parce que ça fait un peu désordre. Le résultat, c’est que les choses s’ap - Ville dont le prince est un enfant (1994). pauvrissent considérablement alors que les exercices de style que l’on J’ai noté que dans votre filmographie il y avait deux films peut faire à la télévision valent nettement certains films de cinéma. pour la télévision qui avaient déjà été adaptés aupara - vant par Jean-Pierre Melville : Le Silence de la mer et Sans revenir sur votre premier film, Le Portrait de Dorian Léon Morin prêtre . Ce n’est pas un petit peu écrasant d’ar - Gray , qui est un cas particulier, n’y a-t-il pas plus d’argent et “Je trouve que la télé river après quelqu’un comme Melville ? de vedettes sur L’Affaire Dominici pour la télévision que pour est une école de P. B. : J’adore Melville, sinon je ne l’aurais pas fait. Je Messieurs les enfants , que vous avez fait pour le cinéma ? cinéma absolument trouve qu’il est non seulement un grand cinéaste mais P. B. : En fait, nous n’avions pas beaucoup d’argent pour faire formidable : le Thomas Jouannet L’Affaire Dominici dans Le Silence de la qu’il nous est toujours contemporain ; quand on regarde un film de . Les deux parties, de 1h40 chacune ont été réalisateur qui n’a mer (2004). Melville aujourd’hui, on a l’impression qu’il a été fait il y a un an. J’avais tournées en 47 jours, ce qui est vraiment peu. Je trouve que pas la dextérité envie de réaliser Le Silence de la mer d’une autre façon, un peu par la télé est une école de cinéma absolument formidable : le requise est cuit.” hommage à Melville mais aussi parce que je voulais discrètement m’im - réalisateur qui n’a pas la dextérité requise est cuit. Au cinéma, miscer là-dedans et donner mon interprétation. s’il doit faire quatre ou cinq plans par jour et qu’il peut les refaire, l’erreur Cela m’agace que l’on parle de télé. Quand on demande quelle est la est réparable. Alors qu’à la télé, il n’a pas le droit de se tromper, ou alors différence entre la télévision et le cinéma, c’est souvent compliqué de il fait de la merde. La différence elle est là ! répondre ! Hitchcock a fait Psychose en 17 jours, je crois. La différence est difficile à cerner parce que tout dépend du sujet que l’on traite. Mais Pourquoi avez-vous fait vingt-trois films pour la télévision, sans compter une chose est sûre : on peut raconter une histoire en les treize séries, pour seulement quatre films de cinéma ? trente heures à la télévision et seulement deux heures P. B. : Pour une raison très simple : la plupart de mes projets ont été “... en France on ne voit au cinéma. Malheureusement, en France on ne voit refusés ! En outre tous les projets de cinéma sont très longs et difficiles pas de la même façon le pas de la même façon le cinéma et la télévision. La à monter, surtout quand on a des idées tordues comme les miennes. cinéma et la télévision.” différence ne réside pas tant dans la manière de réali - Par exemple, ça fait trois ans que je monte un film sur l’assassinat de ser, même si évidemment il y a moins de moyens dans Garcia Lorca. J’ai écrit un scénario qui m’a pris pas mal de temps. Là, la télévision. Mais les acteurs ne lisent pas un scéna - je suis en train de monter le film avec des Français et des Espagnols, rio qu’on leur propose pour la télévision de la même manière qu’un tout ça c’est extrêmement long ! En plus les acteurs espagnols sont scénario écrit pour le cinéma. Je trouve que c’est dramatique, parce encore plus lents qu’en France, c’est-à-dire qu’il faut compter trois à qu’il y a là un regard sur la télévision qui est méprisant. quatre mois entre le moment où on leur donne le scénario et le moment Même s’il faut bien admettre qu’à la télévision 80% des productions où ils le lisent… sont à jeter. Mais il reste 20%... Nous vivons encore sur des vieux schémas qui laissent penser que les films faits au cinéma ont quelque Alors qu’à la télévision les délais sont plus rapides pour monter un chose de plus noble que ceux réalisés à la télévision. C’est absurde ! projet ? Je suis metteur en scène : j’ai fait de la télé, du cinéma, du théâtre. Je P. B. : Je suis un cas à part pour la télévision, dans le sens où l’on me laisse mélange tout ça. On me l’a reproché alors que c’est le même métier, ce une paix royale quand je veux faire un film. Je vais bientôt tourner

122 123 Pierre Boutron La Reine morte, de Montherlant, j’ai écrit un scénario et je le répète, et je suis tranquille. Mais on est vite récupéré : L’Af - faire Dominici a séduit 12,5 millions de téléspectateurs, et du coup on m’a proposé je ne sais combien d’affaires les unes derrière les autres. On m’avait proposé Dans la tête du tueur, l’histoire de Francis Heaulme, avec Thierry Frémont, que j’ai refusé pour réaliser Le Silence de la mer, car je (2009). voulais aller là où l’on ne m’attendait pas… La Reine morte

Le Rainbow Warrior, produit par Canal +, faisait partie d’une série de films tournant autour de scandales politiques. Quand on fait un film comme celui-là, existe-t-il un cahier des charges ? P. B. : Non, il n’y avait pas de cahier des charges à proprement parler. À Canal +, nous sommes assez libres. Tandis qu’à TF1 nous sommes plus dans un rapport de forces : taper du poing sur la table relève plus d’un emmerdeur que d’un homme rigoureux. À Canal +, c’est plus convivial, la liberté est quasi-totale. Ce qui est marrant avec Le Rainbow Warrior c’est que j’ai tourné une partie à Paris et une partie en Afrique du Sud, avec des équipes qui étaient habituées à travailler avec les Américains. Nous étions près d’une quarantaine à Paris, puis je suis parti en Afrique avec mon ingénieur du son, mon cadreur, mon chef op’, mon assistant et ma script. Pourtant, l’équipe est passée d’un seul coup de 40 à 130. Chacun avait sa société. Le patron du combo, un grand Blanc costaud, avait sa petite bagnole avec ses combos, des écrans plats immen - ses, et il avait trois Blacks qui faisaient le boulot à sa place, lui lisait le journal et donnait des ordres. Dès qu’on changeait de plan, la première chose qui était en place, c’était le combo. Et les WC. Quand nous sommes arrivés, on nous a pris pour

des amateurs. D’habitude c’étaient des équipes amé - Julie Gayet et Niels ricaines qui débarquaient… Et puis petit à petit, les Sud-Africains se Arestrup dans Le Rainbow Warrior sont rendu compte que nous n’étions pas si mauvais que ça, avant de (2006). reconnaître que nous étions sans doute les meilleurs techniquement… Parce que là-bas, ils sont 140, certes, mais trois fois moins compétents. Le métier d’accessoiriste de plateau par exemple, ils ne savaient pas ce que c’était, il a fallu leur apprendre. Du coup, ils étaient trois acces - soiristes alors que chez nous, nous n’en employons qu’un, mais comme les trois là-bas faisaient le tiers de ce que faisait le mec tout seul chez nous… Tout cela pour dire que notre image de marque à l’extérieur est épouvantable, mais injustifiée !

Pouvez-vous nous parler du système de financement français ? P. B. : Le système de financement est très pervers, parce que d’un côté il sauve le cinéma français, mais d’un autre côté, il le tue parce que le producteur n’a pas besoin de faire des films qui marchent. S’il fait quatre Nicole Garcia et Robin Renucci dans Léon Morin, prêtre (1991). 124 125 Pierre Boutron films dans l’année, mais que ces films ne marchent pas, il les a quand même financés. Et il gagne sa vie… Si les films ne marchent pas, c’est dommage, mais ce n’est pas son problème. Ceux qui ont mis de l’argent dans l’affaire en perdent, pas lui. Le cinéma français est en perfusion permanente, c’est un cinéma moribond. Le système facilite une orga - nisation de réseau. Au théâtre, c’est pareil… J’ai un grand ami, Gildas Bourdet, qui a créé le Théâtre de la Salamandre. Il s’est fait virer par le ministre de la Culture de l’époque alors qu’il dirigeait le Théâtre de la Criée à il y a trois ans : il faisait 98% de remplissage dans son théâtre ! Cela veut dire que la subvention était couverte et du coup il n’en avait même plus besoin pour faire marcher “Le cinéma français son théâtre. Eh bien il s’est fait virer ! Cela dit, c’est le même est en perfusion système qui permet au cinéma français de perdurer. Quand permanente, c’est un j’étais à l’avance sur recettes, j’ai vu passer le dossier du cinéma moribond.” premier film de , Tombés du ciel . Il y avait quatre sessions pour voter. Lors de la première session, le film s’est fait retoquer. Je me suis opposé à cette décision. Il y avait un scénario ! L’avance sur recettes est faite pour subventionner le doute : quand on a un doute sur quelqu’un, que l’on a un scénario dont on se dit : « Il y a peut-être quelqu’un derrière », eh bien c’est là qu’il faut mettre des sous ! Parce que c’est à ce moment-là que l’on perd ou que l’on gagne. Si on perd ce n’est pas grave, l’Avance sur recettes c’est fait pour ça. Mais on peut gagner. J’ai réussi à faire ajourner la déci - sion. Mais lors des séances suivantes, belote et rebelote, le projet a été recalé. De guerre lasse, au mois de décembre, j’avais tellement emmerdé Page de droite : Reine Bartève, Michel le monde que l’avance a fini par être accordée. Et Lioret a fait son film, Serrault et Michel ce qui lui a permis d’en faire d’autres, et des bons ! Blanc dans L’Affaire (2003). Dominici Sur tous les films que vous avez réalisés, avez-vous amené tous les sujets ou y a-t-il des films de commande, et comment votre carrière s’articule- t-elle autour de ces différents projets ? P. B. : L’Affaire Dominici était un film de commande, j’ai failli ne pas le faire parce que je trouvais que c’était casse-gueule. Mais le sujet était controversé et c’est ce qui m’a intéressé. Landru, au bout d’un moment, je me suis aperçu que ça n’avait aucun intérêt, à part le fait qu’il a tué neuf femmes… Dominici, en revanche, quand il a été condamné, en 1952, tous les gens de droite et d’extrême-droite lui tiraient dessus. Cin - quante ans plus tard, c’est exactement le contraire qui se produit : tous les journaux de gauche ont reproché à TF1 d’avoir exploité le filon du pognon en mettant en lumière l’innocence de Gaston Dominici. En d’autres termes, pour cette presse, Gaston Dominici était coupable et on le rendait innocent parce que cela rapportait. Ce qui est troublant dans cette histoire, c’est qu’elle revêt le caractère d’une tragédie grecque, celle d’un vieillard qui protège ses enfants…

Que pensez-vous des scénaristes français ? P. B. : Il y a quelques années, j’ai fait quatre films avec Jean-Claude Car - rière. Jean-Claude venait chez moi comme à l’école, lui qui était auréolé

126 127 Pierre Boutron de grands films comme ceux de Buñuel, de du moment où il faut développer le sujet, bureau est à côté, tu vas reprendre ton scé - est un film absolument admirable, est resté Milos Forman, et bien d’autres, prenait le c’est du travail. Et tout travail mérite salaire. nariste et te mettre au boulot. On travaille sept ans dans un tiroir. Un jour, un produc - métro et venait à la maison chez un petit J’ai une idée de scénario avec Tonino Benac - sur un autre film pour rattraper le pognon teur en panne de sujet mais non de fonds est jeune pour travailler de 10 h du matin à 14 quista depuis trois ans. Cette idée, beaucoup que tu vas perdre sur celui-là ». Ce n’était venu voir un ami producteur avec son d’ar - h. Il m’a appris beaucoup de choses, notam - de producteurs la trouvent géniale jusqu’à pas du tout la même mentalité. gent, il voulait désespérément un sujet pour ment l’art et la manière de mettre à la pou - ce qu’il s’agisse de la développer… faire un film. Le producteur a ouvert le tiroir belle ce à quoi on tient le plus... Plus tard, Y a-t-il des scénaristes avec qui vous ne vous et lui a dit : « Prends ça, ça fait sept ans que je me suis retrouvé très souvent en panne de En dépit du succès de De battre mon cœur êtes pas entendu? c’est là, j’ai fait toute la place, personne n’en scénariste. Je pense que l’on manque de scé - s’est arrêté de Jacques Audiard, dont il avait P. B. : Oui. Quand cela arrive, je m’en vais. veut ! ». Le gars l’a lu, il a appelé le metteur naristes. Pourtant ils sont là. Mais en France co-écrit le scénario ? Je pars au cours de l’écriture lorsque je trouve en scène tout de suite et ils ont fait le film. il y a un problème de connexion entre les P. B. : ... à cause de son succès. que ce n’est pas intéressant. C’est ce que je trouve génial dans notre scénaristes potentiels et les réalisateurs. Les métier : il est fait d’une suite d’accidents. Et réalisateurs ont trop tendance à écrire ou à Si on compare avec la situation d’il y a trente Et à la télévision le réalisateur a-t-il le final heureusement d’ailleurs qu’il y a une forme coécrire leur scénario. ans, il y a quand même un progrès énorme. cut sur le scénario ? d’injustice dans le cinéma, sans cela, les Nous sommes sortis de la Nouvelle Vague et P. B. : On agit à la télé comme certains cinéas - financiers nous diraient ce qu’il faut faire et Ce que vous faites… aujourd’hui il y a des gens qui vivent du tes faisaient des films pendant l’Occupation. ne pas faire, parce que l’on saurait ce qui P. B. : Ce que je fais, mais j’aimerais ne pas métier de scénariste. Certains sont surboo - Faut se démerder. Faut être plus malin et marche et ne marche pas. Seulement ils sont avoir à le faire, je préférerais travailler en kés… arriver à faire le film qu’on a envie de faire. coincés à cause de cette chose impalpable relation avec un scénariste. Le problème, P. B. : Certains… Les autres… Alors je m’y qui relève de l’imprévu… c’est que les producteurs ne veulent pas finan - colle. On a toujours la tête dans le guidon cer ce qui n’est encore qu’un projet. Vous quand on écrit. Il m’est arrivé la même chose “Jouvet dit du théâtre qu’« un succès c’est un échec qui a mal tourné ».” “Si on commence dès le départ à donner dans la nuance et la digression, c’est qu’il y a un problème de sujet.”

Des projets comme Fiesta ou Les Années Et puis il y a la postérité. La Règle du jeu, de avez une idée, c’est une ligne et demie dans à chaque fois que j’ai fait un film : il faut un sandwiches auraient-ils été différents si vous Renoir ou Drôle de drame de Carné n’ont Pariscope . Si l’idée dépasse cette ligne et an pour écrire le scénario, deux pour monter les aviez tournés pour la télévision ? pas marché à leur sortie, mais ils font aujour - demie, c’est qu’il y a un problème, même si la production, un an de plus pour le tour - P. B. : Ils auraient été inexistants. Pour Les d’hui partie des classiques du cinéma fran - le film fait deux heures. Une fois qu’on a nage, et enfin un an pour la postproduction… Années sandwiches, la télévision n’a pas mis çais… Je pense que quand on verra Fiesta , trouvé cette ligne et demie, il faut travailler Quand le film est fini, je me dis « Pourquoi un rond. Je suis allé chercher des gens for - on pensera que c’est l’un des deux ou trois avec un scénariste. Je parlais de Lioret. Le je n’ai pas écrit ça ? ». On a passé un temps tunés à droite et à gauche qui n’ont rien à films qui ont le plus marqué la carrière de nœud dramatique de Je vais bien, ne t’en fais fou pour un résultat qui aurait pu être voir avec le cinéma. Il n’y a que Canal + dans Jean-Louis Trintignant ! pas, c’est que l’on cache à une jeune fille meilleur. Le temps est capital. le financement de chaînes. Le film a été très P. B. : Dieu vous entende… J’en ai parlé avec que son frère jumeau est mort et on lui dit difficile à monter. Par la suite, nous sommes Trintignant il y a trois ou quatre jours, juste - qu’il est parti. Terminé. Une ligne et demie. La relation entre le scénariste et le réalisa - allés au Festival de Venise avec le film, qui a ment. Lorsqu’il a vu Fiesta , il a pris peur. Il ne Si on commence dès le départ à donner dans teur n’est pas la même au cinéma et à la télé - fait un triomphe. Mais il y avait des critiques se reconnaissait pas. Quel compliment de la la nuance et la digression, c’est qu’il y a un vision. Au cinéma, l’idée vient le plus souvent français qui ont démoli le film et j’ai senti part d’un si grand acteur ! Fiesta, à sa sortie, problème de sujet. Le sujet d’abord, les du metteur en scène, mais en télévision c’est que nous étions cuits parce que nous n’é - a été à moitié encensé et à moitié assassiné, chemins pour le développer ensuite. Pour en la chaîne qui propose une idée et qui trouve tions pas à l’intérieur du cercle ! Ça aussi alors qu’aujourd’hui je reçois des lettres d’ex - revenir à la question, le problème c’est que un scénariste, le metteur en scène arrivant à c’est très pervers : quand on n’est pas dans le cuses de journalistes qui m’ont flingué parce les producteurs ne veulent pas payer. Plu - la dernière minute. système où tout le monde vit des mêmes qu’ils croyaient que c’était un film fasciste sieurs fois un producteur est venu me voir et P. B. : Oui c’est vrai, mais je suis plus nuancé. fonds, y compris la presse, eh bien il y a un réalisé par un « téléaste ». Ce film est le m’a dit : « On va faire un film ensemble, Quand Frank Capra faisait un film qui ne problème. C’est pour ça que j’aime bien le contraire d’un film fasciste : il tente de etc. ». Je lui ai dit : « Il y a tel sujet… » Il me marchait pas, son producteur, au lieu de le mot de Jouvet quand il dit du théâtre qu’« un démonter les mécanismes de la séduction du répondait : « Formidable on va le dévelop - virer, l’appelait pour lui dire : « On va perdre succès c’est un échec qui a mal tourné ». Je fascisme lorsque le terreau de la société est per ». C’est là que ça se gâte, parce qu’à partir tant de millions de dollars sur ce film. Le trouve ça assez juste. La Vie des autres, qui favorable.

128 129 Pierre Boutron Si on regarde Fiesta on se rend pourtant compte que les Franquistes comme les Républicains sont assez bordéliques… P. B. : J’ai voulu que le film montre cela. Quand vous voyez les actua - lités d’époque, les fascistes, les grands dictateurs sont des personnages d’opérette. Comment se fait-il que des millions de gens aient été fasci - nés par des gugusses pareils ? C’est cela aussi que j’ai voulu montrer. J’ai voulu faire Fiesta parce que j’ai essayé de comprendre comment la jeu - nesse à travers ce jeune homme pouvait subir la séduction d’une idéo - logie qui faisait basculer la société d’un côté. C’est ce qui s’est passé en Allemagne, et en France aussi, avec pas mal d’intellectuels… Et puis j’y ai mis un petit côté Caligula.

Tout cela était dans les mémoires de Villalonga ? P. B. : Non, mais le personnage de Trintignant a existé.

Dans le film, vous lui prêtez un discours de grande lucidité qui bascule dans le cynisme… P. B. : C’est ce qui m’a été reproché et c’est pour cela qu’on m’a traité de fasciste. Le personnage de Trintignant a un pouvoir de séduction énorme dans sa dialectique. Certains critiques ont pensé que mon propos Page de gauche : était ambigu, car je montrais un fasciste très séduisant. Mais s’il n’était Fiesta (1995) avec entre autres, Jean- pas séduisant, personne ne serait fasciste, jamais. Le personnage a une Louis Trintignant, conscience et une intelligence supérieures : il a fait les mauvais choix Grégoire Colin, Laurent Terzieff et et il le sait. Dayle Haddon.

Vous considérez-vous comme un auteur ? P. B. : Non. Je considère seulement que j’ai des choses à dire. Et en même temps je me méfie beaucoup des gens qui ont des choses à dire. Il y a des gens qui n’ont rien à dire et qui le disent avec beaucoup de talent. Il y en a d’autres qui ont des choses à dire et qui sont très ennuyeux. J’essaie de rester le plus modeste possible quand j’ai un truc à raconter. En ce moment c’est Lorca . J’ai écrit un scénario “Je me méfie sur le type qui a flingué Lorca et sur les conséquences qui en beaucoup des découlent dans sa famille d’une génération à l’autre. Ainsi le film gens qui ont des se déroule sur trois générations. Parce que j’ai envie de raconter choses à dire.” comment la destruction de toute la créativité d’un être humain se répercute dans la société d’une génération à l’autre. Parce que je suis persuadé que la société hérite de tout cela et je ne suis pas certain que ce qui s’est passé il y a 60 ou 70 ans soit étranger à la mentalité de la société française d’aujourd’hui.

Le point commun entre Fiesta et Les Années sandwiches est qu’ils dépeignent le passage d’adolescents à la vie adulte. Si l’on ajoute que Messieurs les enfants montre des adultes qui redeviennent des enfants et que Le Portrait de Dorian Gray est l’histoire d’un homme qui ne vieillit pas, on se dit qu’il existe une véritable unité... P. B. : Catherine Jacob et Michel Peut-être, mais pour moi c’est surtout le passage à l’ado - Caccia dans Messieurs les lescence qui est important, parce qu’il s’agit du moment où un être enfant s (1996).

130 131 Pierre Boutron humain découvre qu’il peut dire non. Tout se fasse le film, il m’avait téléphoné : « Mon tion… C’est ainsi qu’il a été engagé en ne un peu... Quelque chose m’a bouleversé à joue à ce moment-là. Daniel Pennac me disait fils tournera avec moi ou il ne tournera parlant pas un mot de français… la mort de mon père et je voudrais faire un que pour ce qui est des relations entre les jamais »… Mais la mère de Thomas pensait film là-dessus. Mais je ne le ferai jamais… enfants et leurs parents il y a trois stades : l’ad - le contraire… En fait je me suis servi incons - Et sur Les Années sandwiches , parlait-il fran - Mon père était un grand résistant, bardé de miration, la déception et la tolérance. Quand ciemment d’une certaine carence familiale. çais ? décorations, Croix de Guerre, Médaille de on s’intéresse à un adolescent, on se pose Thomas souffrait d’avoir un père toujours P. B. : Globalement il s’en sortait. Il avait juste la Résistance, Médailles de l’Empire Britan - immédiatement la question de savoir de quelle absent, en raison de sa passion pour le besoin d’une direction d’acteur différente nique et j’en passe, mais il était très solitaire, manière il va devenir adulte… cinéma. Sur le plateau, il m’appelait Papy, quant au phrasé, à la technique. Mais je le il ne voulait personne à son enterrement. c’est dire (j’avais 39 ans). Ma relation avec lui voulais. À l’époque j’avais un film avec un Nous étions donc sept ou huit ce jour-là au Dans Les Années sandwiches , les deux pre - relevait plutôt de la complicité que d’une budget de 25 millions et dans lieu d’être 3000… En sortant du cimetière, mières minutes sont contemporaines, avant direction d’acteur que l’on peut avoir avec un le casting. Mais je ne voulais pas Lino j’ai vu une Bentley immatriculée en Grande- d’entrer dans le cœur du film, qui se déroule comédien confirmé. Quand j’ai fait les essais, Ventura… J’ai beau être goy, je pensais qu’il Bretagne en CD. En est sorti un mec très en 1947. Était-ce indispensable pour montrer il n’était pas très bon, d’autres étaient bien fallait une âme plus juive et plus authen - major Thompson, impeccablement habillé. l’évolution du personnage ? meilleurs que lui. Mais j’avais déjà des tique... Du coup le budget est passé de 25 à Il nous a fait un petit salut de la tête et a P. B. : C’était plus une question de mémoire. images du film dans la tête, et je savais que 12 millions. Je me suis débrouillé avec. remonté l’allée. En me retournant, j’ai vu qu’il J’avais tourné une suite pour la fin du film. Je son visage, sa silhouette, sa façon de se tenir était au garde-à-vous devant la fosse. Je me ne l’ai pas montée. Dans mon scénario, Félix correspondaient tout à fait à ces images. Pensez-vous que Lino Ventura aurait été suis renseigné : c’était l’attaché naval de l’am - prenait le bouquin, montait dans sa bagnole Quand il est venu chez moi, qu’il a sonné à capable d’avoir la fragilité du personnage ? bassade d’Angleterre en France. Il était venu

“Aujourd’hui Thomas Langmann est un producteur comblé. “Je suis arrivé en France à l’âge de sept ou huit ans Mais à l’époque il était paumé... ” sans savoir parler un mot de français.” et se rendait au magasin. De sa voiture il la porte, en le voyant, j’ai vu la scène où il P. B. : Serrault, maintenant que j’ai tourné tout seul à Chambors-en-Vexin, quarante voyait son pote Victor engueuler son commis voit une concierge dans l’embrasure de la avec lui, oui. Mais pas Ventura. Je ne crois habitants, pour le compte de la couronne exactement de la même manière que Max porte de la loge et qui n’est pas la concierge pas. Ventura est un acteur prodigieux, mais d’Angleterre. Pour un officier de marine coulé engueulait Victor. La scène était boulever - qu’il a connue jadis. L’image de Thomas était en brocanteur juif à Aubervilliers en 1947, à Mers el Kébir, quel symbole ! Cette image sante. Je l’ai montée mais ça ne marchait pas exactement telle que mon imagination l’avait on n’y aurait pas cru une seconde. Pour en était tellement forte que je me suis dit qu’il y du tout : en fait on se fiche de ce qui leur gravée dans ma tête. Alors, peu importe que revenir à la direction d’acteur, je me sou - a des personnes qui appartiennent au passé, arrive… La voix off, à la fin, je l’ai ajoutée les essais soient moyens. Je me suis dit qu’il viens d’une phrase formidable de Wojciech qui ont fait des choses hallucinantes dont très quand j’ai réalisé que cette scène ne mar - y avait une telle fêlure dans le personnage sur son personnage : « C’est un homme qui peu de gens se souviennent, mais sans les - chait pas. Poubelle (Merci Monsieur Jean- que ce n’était pas possible que ça ne se voie est tellement prudent que quand il ouvre une quelles nous ne serions pas là. Quel a été Claude Carrière). Ils ne se retrouvent pas… pas à l’écran… porte pour sortir il lève le pied sur le seuil de leur parcours ? C’est pour cela que la période S’ils l’avaient fait, cela aurait tout changé, et peur qu’il y ait une marche ». Ce sont des de la guerre, qui est aussi une période de pas en bien parce que ce n’est pas le sujet du D’après ce que l’on sait Wojciech Pszoniak trucs d’acteurs qui leur passent dans la tête… choix, m’a toujours intrigué, parce que je film. Le sujet c’est la mémoire et comment parlait à peine français quand il est arrivé suis entouré de gens qui ont dû faire des une identité se forge à travers des événe - en France ! Il est un autre thème commun à vos films : la choix, souvent tragiques d’ailleurs. Donc c’est ments qui ont l’air totalement anodins mais P. B. : C’est vrai. Wojciech était à Varsovie guerre. Fiesta se situe au début de la guerre vrai que le thème me taraude… Mais la ques - qui sont absolument essentiels à un moment quand Claude Régy l’a appelé pour une d’Espagne, Les Années sandwiches au len - tion, c’est : « Comment se projeter dans l’a - donné pour ces adolescents. pièce. Sa femme a décroché, et elle a demain de la Seconde Guerre mondiale… venir avec cet héritage du passé » ? convenu d’un rendez-vous téléphonique. Vous n’appartenez pourtant pas à la généra - Pouvez-vous parler du travail de direction Comme elle parlait français, contrairement à tion qui a subi la guerre… N’y a-t-il pas une question corollaire autour d’acteur ? son mari, elle a préparé trente fiches avec P. B. : Je suis d’origine espagnole : ma mère de la perte de l’innocence, qu’elle soit indi - P. B. : C’est un travail de voleur. Aujourd’ - les réponses possibles en français phoné - était espagnole et je suis arrivé en France à viduelle ou collective ? hui Thomas Langmann est un producteur tique. Quand Régy a rappelé, la femme de l’âge de sept ou huit ans sans savoir parler P. B. : Je ne pense pas. C’est plus une ques - comblé. Mais à l’époque il était paumé... Wojciech avait l’écouteur et elle désignait à un mot de français. D’où Fiesta , ou encore tion d’honnêteté. Il y a des choix que l’on ne voulait absolument pas qu’il son mari la fiche correspondant à la ques - le film sur Lorca , car tout cela me travaille fait et que l’on a peur de faire mais dont est

132 133 Pierre Boutron

Les Années sandwiches (1988). Avec entre autres Wojciech Pszoniak, Thomas Langmann, Nicolas Giraudi et .

134 135 Pierre Boutron assez fier, au fond. Un jour j’ai fait le mur pour aller voir Citizen Kane être de plus en plus dans l’épure et j’essaie se trompe c’est moins grave, on peut recom - d’Orson Welles, j’avais 14 ans. Je m’en suis pris plein la gueule mais ça de faire en sorte que mes films aillent à l’es - mencer. Mais quand l’erreur coûte de l’ar - valait le coup : j’ai compris ce que je voulais faire. sentiel. Mais la technique évolue en paral - gent, on essaie de ne pas se tromper… J’ai lèle. Le poids des caméras, la compétence pensé à un moment que si je passais au Des enfants dans les arbres aborde le sujet le plus délicat qui soit, celui des techniciens, la sensibilité de la pellicule numérique, j’allais être tenté de tourner dans de la Shoah… ne sont plus les mêmes… tout est remis en tous les sens, de monter les rushes vingt-trois P. B. : Je reviens en effet sans cesse à cette période. La traque des juifs a question et les tournages se font de plus en fois, dans quarante-trois versions différen - été évidemment l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire contem - plus en numérique. En outre le public est de tes… alors que tout dépend du tournage. Si le poraine. Mais le racisme traverse les âges. Les Français ont d’abord été plus en plus exigeant en matière de technique réalisateur tourne son film de manière précise, antisémites, puis le racisme s’est déplacé dans les années 50 vers les Ita - et cela parce qu’il a accès à une technologie il n’y a pas tant de solutions de montage que liens, les ritals comme on disait. Tonino Benacquista a écrit un polar dont il acquiert désormais une connaissance. cela. On peut améliorer le premier jet, on absolument fabuleux sur ce sujet, La Comédia des ratés . Quant à moi, le numérique, j’y viens à recu - peut opérer des changements, on peut essayer Et puis les Italiens se sont intégrés, alors il a fallu trouver lons parce que je n’aime pas beaucoup ça… des choses bien sûr, mais toujours dans la d’autres boucs émissaires. Ça a été les Blacks et les En fait le numérique n’est pas synonyme de même direction. Arabes. Depuis l’affaire Dreyfus il faut absolument que légèreté, contrairement à ce que l’on croit. l’on stigmatise des groupes. Mais dans mes films, j’aime bien ne pas directement mettre en avant ce dont je parle. Le cinéma est le seul art à ma connaissance qui

Gérard Depardieu, puisse se permettre le luxe de montrer quelque chose Bernard Blier et Jean et de dire son contraire. Dans Buffet froid, Bernard Blier est dans une Carmet dans Buffet froid (, 1979). chaise longue, dans une campagne de rêve, et il gueule contre les oiseaux, parce qu’ils font trop de boucan. Or l’image montre absolument l’in - verse de ce qu’il dit. Il n’y a qu’au cinéma qu’on puisse faire ça.

Le cinéma permet-il, à partir d’histoires très simples, de toucher des thèmes très forts ? P. B. : Plus l’histoire est simple, plus le thème est compliqué. La sim - plicité de départ est essentielle. Je me souviens de ce que disait Billy Wilder : « C’est l’histoire d’un mec qui de temps en temps rêve dans son sommeil d’une histoire extraordinaire, mais le lendemain matin il ne s’en souvient plus. Et donc un jour il prend le soin de prendre un crayon et un calepin, il les pose sur sa table de “Le cinéma français nuit, les nuits passent et il ne se produit rien. Et une nuit, est en perfusion tout à coup, il rêve de son scénario. Il se réveille à peine, grif - permanente, c’est un fonne dans le noir son sujet sur le calepin et se rendort satis - cinéma moribond.” fait. Le lendemain matin, il se précipite sur le calepin et il lit : Moi, j’aime bien travailler avec du matériel Et il ne vous manque jamais de plans au “C’est l’histoire d’un homme qui rencontre une femme”. » léger. Je sais que tout cela va changer bientôt moment de monter ? C’est bien résumé : on peut avoir en tête un thème com - mais j’attends encore un peu, et pour l’ins - P. B. : Rarement. plexe, mais qui repose toujours sur un sujet simple. tant je tourne encore en argentique. Le pro - blème se pose également au montage. Je me Que vaut un découpage technique avec un Vous tournez depuis trente ans. Avez-vous mis du temps à acquérir la méfie du montage virtuel : tout le monde peut comédien comme Serrault par exemple ? technique ? Cette technique a-t-elle évolué, a-t-elle eu une influence s’en mêler. Je suis peut-être rétrograde, je P. B. : Il est très important. Serrault donne sur votre façon de travailler et sur le résultat final ? trouve que dans la vie tout va trop vite. Le l’impression de faire tout ce qu’il veut, mais P. B. : Il est évident que la technique a évolué et que ça a eu une influence fait de prendre du temps, de toucher de la pas du tout ! Il a toujours été extrêmement sur mon travail. Je fais un métier où la formation est permanente. Et pellicule, d’attendre que l’assistant opérateur précis en dépit de ses problèmes de mémoire. j’espère que mon cinéma évolue dans le bon sens. Quand on commence, ait chargé le magasin, de faire attention aux Il pouvait faire dix prises, il n’y en avait Page de droite : Michel Serrault dans L’Affaire on a tendance à céder à la facilité. On colmate certains manques en prises parce que la pellicule coûte cher, etc., jamais deux d’identiques. Mais cela n’em - Dominici (2003). faisant des plans esthétisants qui ne veulent pas dire grand-chose. Je crois moi je trouve ça bien. En numérique, si on pêchait pas Serrault d’être d’une précision

136 137 Pierre Boutron diabolique. Je me suis régalé avec lui. Il ne savait pas ce qu’était la semaine de 35 heures. On pouvait tourner dix ou douze heures d’affi - Filmographie lée, il était là, il ne bougeait pas. Quand on tournait avec lui, il venait sur le plateau et il se mettait sur une petite chaise au milieu de l’effer - Pierre Boutron est né le 11 novembre 1947 à Lisbonne (Portugal). vescence générale. Je lui disais : « Michel, tu devrais aller dans ta loge ! ». Il avait à disposition une caravane luxueuse avec tout le nécessaire pour 1977. LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY . Avec Raymond Gérôme, Patrice Alexsandre, Denis s’y reposer. Mais il me répondait : « Non, moi je veux être là ! ». Ser - Manuel. 1982. L’ACCOMPAGNATEUR (TV). Avec Jean-Claude Brialy, Bernard Haller, Fran - rault, c’était une éponge qui s’imprégnait du travail des autres, qui repé - çoise Dorner. JE TU IL (TV). Avec , Nelly Borgeaud, Magali Renoir. 1984. rait où les caméras étaient placées et qui pigeait très bien déjà ce que L’AIDE-MÉMOIRE (TV). Avec André Dussollier, Hanna Schygulla, Pierre Étaix. CHRISTMAS nous allions faire. Quand nous nous apprêtions à répéter le plan, lui il CAROL 1986. LES ÉTONNE - était archi prêt, car il avait déjà tout compris. (TV). Avec Michel Bouquet, Pierre Clémenti, Georges Wilson. MENTS D’UN COUPLE MODERNE (TV). Avec Delphine Seyrig, Jean Carmet, Judith Magre. Quel est le plus grand écueil quand on veut raconter une histoire ? UNE FEMME INNOCENTE (TV). Avec , Pierre Clé - P. B. : Pour moi, il est capital de ne pas être trop explicite, trop lourd, il menti, Catherine Wilkening. 1987. LE BUVARD À L’ENVERS (TV). faut laisser des respirations, des moments de doute pour le spectateur. Avec Wojciech Pszoniak, François Perrot, Pascale Petit. 1988. LES Sinon, on fait des films qui sont des successions de pléo - ANNÉES SANDWICHES . Avec Wojciech Pszoniak, Thomas Langman, nasmes. Moi, en tant que spectateur, j’aime me faire piéger. “C’est très important Clovis Cornillac, Michel Aumont. 1990. SOS DISPARUS (TV). Avec Quand je vois un film où le réalisateur m’amène petit à de raconter l’histoire 1991. LÉON petit à son propos, qu’il arrive par surprise à dire ce qu’il Alexandra Stewart, Jean-Pierre Sentier, Bernard Waver. de chacun à l’intérieur avait envie de dire, je trouve que c’est plus riche et plus MORIN PRÊTRE (TV). Avec Robin Renucci, Nicole Garcia, Brigitte de l’histoire intéressant que s’il m’avait asséné ses vérités. Je pense Roüan. LA DAME DE BERLIN (TV). Avec Robin Renucci, Christopher principale.” qu’un film qui raconte une histoire ne vaut que si les per - Plummer, Alain Doutey. 1993. VOICES IN THE GARDEN (TV). Avec sonnages qui lui donnent vie ont en parallèle leur propre Anouk Aimée, Joss Ackland, Samuel West. 1994. RAPT À CRÉDIT (TV). Avec Christophe histoire à eux. C’est très important de raconter l’histoire de chacun à Malavoy Philippe Brigaud, Valeria Cavalli. DES ENFANTS DANS LES l’intérieur de l’histoire principale. On peut raconter une histoire formi - ARBRES (TV). Avec Robin Renucci, Isabel Otero, Jean-Louis Richard. dable mais qui au final s’avère complètement creuse si les personna - 1995. FIESTA ges n’ont pas leur propre histoire. . Avec Jean-Louis Trintignant, Grégoire Colin, Laurent Ter - zieff. Marc Lavoine. LA FILLE AINÉE (TV). Avec Florence Pernel, Fran - Même si le plan est furtif dans Les Années sandwiches , l’équilibre ne serait çoise Christophe, Maxime Leroux. 1996. MESSIEURS LES ENFANTS . pas trouvé si à un moment donné on n’avait pas Wojciech Pszoniak Avec , François Morel, Zinedine devant la photo des disparus de sa famille ? Soualem. L’ENFANT DE L’ABSENTE (TV). Avec P. B. : Tout à fait. Idem quand Wojciech dit à Thomas : « Viens, je vais Florence Pernel, Frédéric Dienfenthal, Jacques te montrer où tu vas crécher », et il l’emmène dans une pièce qu’il n’a Perrin. 1998. LE RACHAT (TV) Avec Florence pas ouverte depuis qu’il est rentré des camps. Mais personne ne le dit dans 1999. LE COCU MAGNIFIQUE le film. Je ne dis d’ailleurs jamais qu’il est rentré des camps, à aucun Pernel, , Marc Lavoine. moment. À l’exception d’une scène où il retrousse sa manche et laisse (TV). Avec Isabelle Carré, Sagamore Stévenin, Yves Pignot. L’USINE entrevoir un numéro de matricule tatoué, et je ne suis pas sûr que le DU PÈRE NOËL (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dienfenthal, plan fasse plus de deux secondes. Donc quand il ouvre les volets dans Cécile de France. EXCÈS DE POUVOIR (TV). Avec Florence Pernel, la chambre où il y a des jouets d’enfants, toute l’histoire de cet homme Frédéric Dienfenthal, , LA FACE CACHÉE (TV). Avec surgit à ce moment-là. Et la scène est émouvante parce que rien ne se dit Florence Pernel, Frédéric Dienfenthal, Claire Keim. 2000. LES FAUX-FUYANTS (TV). Avec mais tout se révèle. Quand il balaie la pièce avec sa canne il dit juste : Arielle Dombasle, Catherine Jacob, Laurent Spielvogel. ANIBAL (TV). Avec , « Ben t’es chez toi », parce que tout est déjà dit. Je pense que c’est mer - SUSPECTES veilleux de parvenir par petites touches à raconter l’essentiel. I Isabelle Gélinas, Michel Duchaussoy. (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dien - fenthal, Malik Zidi, BON POUR ACCORD (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dienfen - thal, Jean-Michel Dupuy. CADEAU D’ENTREPRISE (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dienfenthal, Nicolas Vaude. 2001. CŒUR SOLITAIRE (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dienfenthal, Bruno Slagmulder. 2002. MADEMOISELLE ELSE (TV). Avec Julie Delarme, Béa - trice Agenin, François Marthouret. LES DÉLICES DU PALAIS (TV). Avec Florence Pernel,

138 139 Pierre Boutron Frédéric Dienfenthal, Aurélien Wiik. SOUMISSION (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Pierre Boutron à l’ESRA avec Dienfenthal, Marine Delterme. JUGE CONTRE JUGE (TV). Avec Florence Pernel, Frédéric Dien - Yves Alion et Max Azoulay, directeur de l’école. fenthal, Marine Delterme. 2003. L’AFFAIRE DOMINICI (TV). Avec Michel Serrault, , Thomas Jouannet. 2004. LA CLIENTE (TV). Avec Micheline Presle, Francis Huster, François Marthouret. LE VOYAGEUR SANS BAGAGE (TV). Avec Jacques Gamblin, Micheline Presle, Florence Pernel. LE SILENCE DE LA MER (TV). Avec , Thomas Jouannet, Julie Delarme. 2005. DÉSIRÉ LANDRU (TV). Avec Patrick Timsit, Julie Delarme, Cathe - rine Arditi. 2006. LE RAINBOW WARRIOR (TV). Avec , Julie Gayet, Pascal Elbé. MONSIEUR LÉON (TV). Avec Michel Serrault, Clémentine Célarié, Florence Pernel. 2008. BRAQUAGE EN FAMILLE (TV). Avec Michel Aumont, Christophe Dechavanne, Julia Molkhou. 2009. LA REINE MORTE (TV). Avec Michel Aumont, Thomas Jouannet, Gaëlle Bonna. 2010. DOUBLE ENQUÊTE (TV). Avec Thomas Jouannet, Catherine Demaiffe, Aladin Reibel. VIVACE (TV). Avec Pierre Arditi, Armelle Deutsch, Thomas Jouannet. 2012. L’INNOCENT (TV). Avec Patrick Timsit, Isabelle Gélinas, Frédéric Pierrot. I

140 141