Revue des études slaves

LXXXVI-1-2 | 2015 Villes postsocialistes entre rupture, evolutioń et nostalgie

Andreas Schönle (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/res/629 DOI : 10.4000/res.629 ISSN : 2117-718X

Éditeur Institut d'études slaves

Édition imprimée Date de publication : 15 septembre 2015 ISBN : 978-2-7204-0537-2 ISSN : 0080-2557

Référence électronique Andreas Schönle (dir.), Revue des études slaves, LXXXVI-1-2 | 2015, « Villes postsocialistes entre rupture, evolution et nostalgie » [En ligne], mis en ligne le 26 mars 2018, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/res/629 ; DOI : https://doi.org/10.4000/res.629

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Revue des études slaves 1

SOMMAIRE

Introduction. Les défis de la condition post-postsocialiste Architecture et histoire en Europe centrale et orientale Andreas Schönle

Traitement du patrimoine

‘Scientific Reconstruction’ or ‘New Oldbuild’? The Dilemmas of Restoration in Post-Soviet St. Petersburg Catriona Kelly

Beyond Preservation: Post-Soviet Reconstructions of the Strelna and Tsaritsyno Palace- Parks Julie Buckler

Московское зарядье: затянувшееся противостояние города и градостроителей Аleksandr Možaev

Les monuments étrangers : la mémoire des régimes passés dans les villes postsocialistes Marina Dmitrieva

Reconfiguration urbaine

Olympian Plans and Ruins: the Makeover of Sochi William Nickell

Perm′, laboratoire de la « révolution culturelle » ? Aleksandra Kaurova

« Localisme agressif » et « globalisme local » – La poétique des villes postsocialistes en Europe centrale Alfrun Kliems

Politique mémorielle

The Repositioning of Postsocialist Narratives of Nowa Huta and Dunaújváros Katarzyna Zechenter

Kafka’s Statue: Memory and Forgetting in Postsocialist Alfred Thomas

Le Musée juif et le Centre pour la tolérance de Moscou Ewa Bérard

Некрополи террора на территории Санкт-Петербурга и ленинградской области Alexander D. Margolis

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Chronique bibliographique

Paul GARDE, l’Accent Limoges, Lambert-Lucas, 2013, 169 pages Robert Roudet

Pierre PASCAL, Journal de Russie (1928-1929) Paris, Éditions Noir sur Blanc, 2014, 767 pages Véronique Jobert

Elena SIMONATO et Patrick SÉRIOT (eds.), Polivanov Evgenij : pour une linguistique marxiste Limoges, Lambert-Lucas, 2014, 252 pages Roger Comtet

Natalija Sergeevna АVTONOMOVA, Открытая структура: Якобсон-Бахтин-Лотман- Гаспаров М. – SPb, Centr gumanitarnyx iniciativ, 2014, 509 pages Catherine Depretto

Andrej PLATONOV, “… я прожил жизнь”. Письма. 1920-1950 гг Moskva, Astrel′, 2013, 685 pages Catherine Depretto

Piotr Pałys, Państwa słowianskie wobec Łużyc w latach 1945-1948 Opole, Stowarzyszenie instytut śląski, 2014 Jean Kudela

In memoriam

Edward L. KEENAN 1935-2015 Pierre Gonneau

Jean-Paul SÉMON 1934-2015 Hélène Włodarczyk

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Introduction. Les défis de la condition post-postsocialiste Architecture et histoire en Europe centrale et orientale

Andreas Schönle

1 À l’heure actuelle, les villes ex-socialistes de l’Europe centrale et orientale se trouvent dans une période que l’on pourrait qualifier de post-postsocialiste. Plus de vingt-cinq ans après la chute du Mur de , l’urgence d’une réaction contre l’urbanisme socialiste s’est estompée et la rhétorique de transition, avec sa téléologie néolibérale implicite, ne convainc plus personne1. Depuis sont intervenus d’autres événements d’envergure, tels l’accession à l’Union européenne pour certains pays, la crise économique de 2008, et les changements politiques internes, qui ont tous diminué l’importance du repoussoir de l’ère socialiste. Si dans un premier temps, le rejet du modèle socialiste fut marqué par l’ouverture du secteur de la construction aux forces du marché, les résultats de cette insertion apparurent rapidement. Le développement sauvage provoqua de nombreux débats concernant la préservation du patrimoine architectural, la légitimité démocratique des interventions dans le tissu urbain, l’articulation entre les sphères publique et privée, le rôle des politiques et des citoyens, et le respect de la légalité. Mais surtout ce sont les questions identitaires qui refirent surface. Si, pour endiguer l’arbitraire d’une construction privatisée incontrôlée, l’architecture doit dans l’idéal s’insérer dans une vision du futur, un plan de développement agréé par les édiles et les parties intéressées, l’élaboration d’une telle conception ne peut réussir que si elle se base sur une idée plus ou moins consensuelle de l’identité d’une ville particulière. Pour inventer le futur, il faut donc aussi réinventer le passé, savoir mettre en exergue certaines périodes, certaines personnalités, certains lieux ou paysages susceptibles de définir la particularité d’une ville ou d’un quartier. Mais alors que faire du reste, des résidus d’un passé encombrant que l’on ne peut pas complètement ignorer du fait de sa matérialité obstinée ?2 Pour conjuguer le passé que l’on désire à celui que l’on ne peut complètement éviter, suffit-il d’invoquer des ressources narratives, de tramer une nouvelle histoire, avec un nouvel agencement des divers pans du passé, ceci afin de donner un nouveau vecteur au futur ? C’est à cet effort de repositionnement du passé, qui vise à élaborer une cohérence à travers

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l’hétérogénéité de l’histoire au niveau tant matériel que discursif, que se consacre ce numéro thématique de la Revue des études slaves.

2 Comment faut-il penser les défis de la condition post-postsocialiste ? Contrairement aux mathématiques, deux “moins” ne font pas un “plus”, et le redoublement du “post” ne signifie ni un retour à la condition initiale, le socialisme, ni une dérobade complète à la dialectique de la négation, le rejet du passé immédiat au profit d’une reconstruction ou réhabilitation du passé antérieur. Le deuxième “post” est encore moins une simple manière d’atténuer les effets limitatifs du rejet, une espèce de dialectique amollie. Peut- être pourrait-on dire que le “post-post” conçoit le passé non comme un repoussoir, mais comme un palimpseste, une surimposition de couches diverses, dont la visibilité est variable et les relations internes tendues sans être nécessairement contradictoires. En effet, le “post-post” reste un espace de tension : l’architecture socialiste ou soviétique, en l’espèce, continue de déranger, même si, après une phase d’abandon ou de destruction hâtive, on observe maintenant diverses tentatives de l’intégrer dans le paysage urbain et sa mythologie3. Il ne s’agit donc pas de banaliser ou de neutraliser les différences entre couches architecturales historiques successives. Toutefois, la condition du “post-post” est aussi un moment d’ouverture : elle introduit une fissure qui permet de repenser le passé de manière créative, de réorganiser la trame narrative qui légitime le présent, d’imaginer une alternative à la dialectique du rejet. Une fissure, certes, qui permet une certaine distance, mais pas une rupture. La condition du “post- post” est aussi une manière de repenser la continuité, de tisser des fils qui s’attachent au passé sans ligoter le présent, d’imaginer le changement sans tomber dans le travers des oppositions binaires4.

3 Au moment du tournant historique de la chute du communisme, les villes des pays ex- socialistes héritaient d’un patrimoine architectural dégradé ainsi que des conséquences d’un monumentalisme urbanistique inhospitalier. Aux yeux du public, des architectes et des autorités, étaient fondamentalement compromis les mégaprojets de développement basés sur une conception rationnelle de l’espace et la séparation des fonctions, sur une esthétique épurée moderniste, et avant tout sur la planification centrale. La nécessité objective d’une restauration fondamentale s’allia à l’afflux de moyens financiers souvent considérables, soutenu par la décision des politiques de miser sur l’architecture pour asseoir leur pouvoir. Les orientations prises depuis 1989 furent diverses. Si certaines villes, comme Prague ou , mirent en exergue leur centre historique (et parfois leur passé multiculturel), au prix, certes, d’une commercialisation prononcée, d’autres, comme Moscou, cherchèrent à se profiler comme ville globale par excellence5. À Berlin, on proposa une doctrine de “reconstruction critique” qui consistait à reproduire une densité urbaine dite caractéristique du Berlin wilhelminien, manifestée par un découpage parcellaire compact, un réseau de rues serré, et des gabarits de construction limités, une vision qui s’inscrit dans la réaffirmation d’une certaine identité nationale. Cette doctrine ira jusqu’à mandater le traitement des façades en pierre agrafée, une “retraditionalisation” de l’Allemagne à l’encontre de l’utilisation omniprésente du verre, matériau de prédilection du style postmoderniste international6. À Varsovie, au contraire, un pluralisme éclectique, à dominance néo-moderniste, créa une ville globale juxtaposée à la ville socialiste, une nouvelle étape dans le développement d’une société détraditionnalisée et dépourvue de mémoire7. À Pristina, on constate un “turbo urbanisme”, facilité par l’absence totale de planification, au détriment même de

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l’infrastructure de base, qui esthétiquement se solda par la prolifération de références éclectiques internationales à l’exclusion de tous styles vernaculaires8.

4 La légitimité démocratique de ces transformations, elle aussi, divergea. On pense, d’une part, en Allemagne, aux débats éternels au Bundestag et dans les médias à propos du démantèlement du Palais de la République à Berlin et, d’autre part, aux destructions sauvages, souvent en marge de la légalité, dans les villes russes et ailleurs. Avec l’effondrement de la planification centrale, dans de nombreuses villes, les mécanismes de protection du patrimoine architectural furent considérablement affaiblis, alors que les sanctions pour entorses aux règles de construction semblaient dérisoires en regard des volumes des investissements étrangers. Adam Kowalewski, par exemple, constate la dégradation prononcée de Varsovie, due à l’impuissance de la municipalité, le manque de volonté politique, l’absence de schéma directeur et même de cadre juridique, et l’indifférence de la population9.

5 La reconfiguration de l’histoire est un des enjeux principaux de cette transformation, un problème exacerbé par les ruptures dramatiques que ces villes ont subies au cours de leur histoire. Que faire de la coexistence des diverses strates du passé ? Les villes ex- socialistes ont été décrites comme des villes postmodernistes par excellence : citation fragmentée du passé, souvent empreinte de nostalgie ; retour à une échelle de développement plus modeste donc humaine ; absence de planification maîtresse et tolérance pour l’improvisation, la spontanéité, le bricolage urbain, et la mixité des fonctions ; et enfin repli du secteur public et domination de la privatisation et des intérêts commerciaux10. Mais cette conception, si séduisante qu’elle puisse paraître à première vue, ne manque pas de poser un certain nombre de questions. L’esthétique du pastiche et du collage, dans sa facilité, n’est-elle pas une capitulation face aux intérêts financiers ? On le voit bien dans l’emprise de la publicité sur le paysage urbain et dans la destruction quelque peu frivole du patrimoine architectural au profit d’une reconstruction à l’identique. Cette désinvolture à l’égard du passé peutelle être soutenue dans le temps ? Ne conduit-elle pas à niveler la différence et donc, en dernière analyse, à détruire les particularités du passé historique, donc aussi à effacer la mémoire et à déjouer les contributions de l’histoire à la quête identitaire du présent ? Le postmodernisme mène-t-il inéluctablement à une surmodernité homogène internationale, lieu de transit sans ancrage local ?11 Quels sont, en définitive, les enjeux idéologiques d’un tel rapport au passé ? Le postmodernisme avait déjà fait tout un parcours quand les villes de l’Europe de l’Est s’attelèrent à se redéfinir et il était évident que son avènement dans le contexte postsocialiste ne pouvait guère résoudre les problèmes identitaires de ces villes. Les traumatismes du passé, gravés dans le paysage urbain, offraient trop de résistance à un traitement si cavalier. Et même la pratique d’un postmodernisme atténué, réduit à l’éclectisme stylistique et à l’expérimentation chaotique, comme on l’a observé dans certaines villes, ne saurait offrir un modèle durable de négociation entre les diverses strates du passé. En effet, l’intersection entre la condition postsocialiste et le postmodernisme suscita une aporie fondamentale : si l’objet de la première était de surmonter et dépasser le socialisme, et surtout ses effets pervers, le second banalisait la rhétorique de la destruction et la quête de la nouveauté 12.

6 Les contributions rassemblées dans ce numéro thématique se proposent donc d’examiner comment diverses villes ex-socialistes ont défini ce rapport entre le présent et la multiplicité de leur passé, que ce soit à travers le tissu urbain lui-même ou leur

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production discursive et identitaire. Nous avons dégagé trois volets principaux de cet examen : le traitement du patrimoine, la reconfiguration urbaine, et la politique mémorielle.

7 Le traitement du patrimoine est bien entendu un des points névralgiques des rapports entre le présent et le passé. Catriona Kelly analyse les diverses conceptions de la préservation et de la reconstruction de l’héritage, telles qu’elles étaient pratiquées à Leningrad et Saint-Pétersbourg vers la fin de l’ère soviétique et jusqu’au présent. Julie Buckler propose une analyse de deux reconstructions et conversions hautement contestées, celles de Strelna près de Saint-Pétersbourg et de Tsarytsino à Moscou, deux ruines appropriées pour des projets politiques, où la raison d’État imposa une logique en contradiction avec le respect du passé, tout en donnant à ces édifices une nouvelle vocation. Aleksandr Možaev se penche sur un cas encore en évolution, la création à Moscou d’un parc emblématique des diverses zones climatiques de la Russie, et ceci sur un territoire à proximité immédiate du Kremlin qui est saturé de mémoire collective, une mémoire qu’on enfouirait ainsi sous les aménagements d’un climat exogène. Marina Dmitrieva enfin, dans un plaidoyer pour le palimpseste, se pose la question du destin des monuments soviétiques laissés dans les villes affranchies de l’influence russe, à Berlin, Bucarest, , Riga et Varsovie. Certains de ces monuments retrouvent un rôle grâce au support d’une communauté locale qui déjoue ainsi la logique de la déshérence d’un passé révolu.

8 La reconfiguration urbaine intégrale présente des risques et des opportunités particuliers. Dans son analyse de la transformation de Soči en ville olympique, William Nickell montre que l’ambition de créer une vitrine pour une Russie résurgente conduisit à la destruction non seulement de certains édifices, mais surtout de l’atmosphère caractéristique de cette ville-parc, une atmosphère créée par un urbanisme horizontal et espacé. La rivalité entre deux principes urbanistiques produit une contradiction visuelle qui dramatise le rejet du passé égalitaire et collectiviste de la ville. À Perm′, comme nous l’explique Aleksandra Kaurova, une tentative d’utiliser l’art contemporain pour rehausser le cadre urbain, à savoir convertir le patrimoine décrépit en plateforme d’innovation artistique, se brisa contre la mécompréhension de la population locale et la résistance des politiciens. À Varsovie, Prague et Bratislava, le propos d’Alfrun Kliems, c’est au niveau de la poétique du roman que s’amorçe une réflexion sur l’articulation entre le “localisme” et le “globalisme”, une réflexion qui met le doigt sur les pathologies sous-jacentes de ces villes et propose diverses conceptions d’une marginalité qui se veut à contre-pied du cours de l’histoire.

9 Mais c’est au niveau de la politique mémorielle, plus que dans les réalisations concrètes, qu’on discerne les éléments d’une revalorisation des couches multiples du passé. Katarzyna Zechenter analyse les efforts de deux villes éminemment “soviétiques”, Nowa Huta en Pologne et Dunaújváros en Hongrie, pour redéfinir et mettre en valeur leur identité sans renier leurs origines. Alfred Thomas nous montre, à travers l’exemple de la réception de Kafka à Prague, comment la figure de l’écrivain permet à la capitale tchèque de se réinventer. Finalement, en Russie, où l’emprise étatique sur la mémoire est si forte, ce sont les organisations civiques et les communautés minoritaires qui s’appliquent à dégager les pans de mémoire ensevelis. Ewa Bérard nous propose une analyse de la création récente d’un musée juif à Moscou, entreprise certes entachée d’une certaine conformité officielle. Et Aleksandr Margolis décrit la découverte progressive et encore inachevée des charniers secrets de la terreur

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stalinienne dans les environs de Saint-Pétersbourg, grâce notamment à la société Mémorial.

10 Le bilan de ce tour d’horizon, bien que nécessairement partiel et provisoire, n’est guère encourageant. Le défi de la condition post-postsocialiste de repenser la multiplicité et la cohérence de l’histoire ne s’est traduit que de façon très restreinte dans l’aménagement de l’espace urbain. Et pourtant, à la sortie d’une crise économique profonde (et peut-être à la veille de la prochaine), il est patent que ni le modèle d’une ville globalisée envahie par les capitaux étrangers et la spéculation immobilière, ni le repli nationaliste sur une tradition réinventée trop sélectivement n’offrent une solution satisfaisante et durable. L’un et l’autre contribuent à une similaire dérive discriminatoire et, à terme, à une forme de nettoyage social ou ethnique. Cette aporie n’est cependant pas l’apanage des villes postsocialistes, puisque certaines capitales européennes, Paris et Londres notamment, se trouvent confrontées à des enjeux similaires. On ne peut que souhaiter que les villes postsocialistes sachent mieux négocier leur multiplicité palimpsestique et ainsi mettre en valeur leur spécificité historique. Car bien qu’elle constitue une forme d’exceptionnalisme, cette spécificité ne manque pas de présenter des leçons applicables à la plupart des villes affectées par la mondialisation.

NOTES

1. Pour une critique du paradigme de la transition et une discussion de la condition post- postsocialiste d’un point de vue anthropologique, voir Manduhai Buyandelgeriyn, « Post-post Transition Theories : Walking on Multiple Paths », The Annual Review of Anthropology, 37, 2008, p. 235-250. 2. Mélanie van der Hoorn, Indispensable Eyesores : An Anthopology of Undesired Buildings, New York, Bergahn Books, 2009. L’auteur affirme le rôle multiple des monstruosités (eyesores) dans le paysage urbain, notamment pour susciter les débats publics et servir de lien entre macro-histoire et expérience individuelle. 3. Le célèbre Palais de la Culture et de la Science de Varsovie, “don” de l’Union soviétique à la Pologne, a obtenu le statut d’objet protégé en 2007, par exemple. Sur la “banalisation” et “patrimonialisation” de l’architecture socialiste à Varsovie et , voir Lydia Coudroy de Lille et Miléna Guest, « Towards Banalization ? Transforming the Legacies of the Post-Socialist City », The Post-Socialist City : Continuity and Change in Urban Space and Imagery, in : Alfrun Kliems et Marina Dmitrieva (eds.) , n.c., Jovis verlag, 2010, p. 34-51. 4. Pour un volume consacré à l’existence ultérieure des structures héritées de l’architecture socialiste, voir Halb-Vergangenheit : Städtische Räume und urbane Lebenswelt vor und nach 1989, éd. Tímea Kovács, Berlin, Lukas Verlag, 2010. La contribution d’Arnold Bartetzky « Wem gehört die Stadt ? » propose un survol des formes de rejet et de conversion, p. 15-32. Voir également Mariusz Czepczynski, Cultural Landscapes of Post-Socialist Cities : Representation of Powers and Needs, Aldershot, Ashgate, 2008, p. 109-147. 5. Sur Riga, voir Krzysztof Nawratek, « Urban Landscape and the Postsocialist City », CLCWeb : Comparative Literature and Culture 14.3, 2012, dx.doi.org/10.7771/1481-4374.2044. L’auteur

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examine la crise dans laquelle Riga se trouve à l’heure actuelle, après l’échec de deux modèles de développement, la ville nationale lettonne et la ville tributaire du capital global. Il propose de repenser “l’hybridité” entre structures égalitaires héritées de l’époque soviétique et liberté de marché néocoloniale. Sur Prague, voir Ludek Sykora, « Changes in the internal spatial structure of post-communist Prague », GeoJournal 49, 1999, p. 79-89. 6. Florian Hertweck, « La reconstruction de Berlin : entre enjeu identitaire et pragmatisme économique », Architecture au-delà du mur : Berlin, Varsovie, Moscou 1989-2009, éd. Ewa Bérard et Corinne Jaquand, Paris, Picard, 2009, p. 165-178. 7. Marta Lesniakowska, « Varsovie, ville palimpseste », Architectures au-delà du Mur..., p. 241-249. 8. Kai Vöckler, « Turbo Urbanism in Prishtina », The Post-Socialist City : Continuity and Change, p. 210-229. 9. Adam Kowalewski, « Varsovie 1989-2009 : la transition difficile de la ville socialiste en métropole démocratique », Architectures au-delà du Mur..., p. 191-199. 10. Sonia Hirt, Iron Curtains : Gates, Suburbs and Privatization of Space in the Post-socialist City, Chichester, Iley-Blackwell, 2012, p. 60-80. 11. Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1995, p. 188-210. 12. Zygmunt Bauman, Intimations of Postmodernity, London, Routledge, 1992, p. 29.

AUTEUR

ANDREAS SCHÖNLE Queen Mary, University of London

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Traitement du patrimoine

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‘Scientific Reconstruction’ or ‘New Oldbuild’? The Dilemmas of Restoration in Post-Soviet St. Petersburg « Reconstruction scientifique » ou « nouvelle construction d’ancien » : les dilemmes de la reconstruction dans le Pétersbourg postsoviétique

Catriona Kelly

In they call that ‘reconstruction’. All that’s left of the building is a mummy, a dead effigy (online comment, 2010).1

1 In today’s Russia, one of the most controversial areas of heritage preservation, as the epigraph to this article indicates, is the question of how far the restoration of historic buildings should be taken. Everyone agrees they should be conserved, in the sense of stopped from falling down. How much should be done to replace details that have disappeared over the course of time, and the extent of the redecoration that may be necessary, are far more divisive issues. The pejorative word novodel (‘new oldbuild’) is widely used to stigmatise the results of restoration that has been done carelessly, or has left the given building looking as if it had been finished yesterday morning.2 As one critic of the latter process has put it, the ‘patina of time has completely vanished’.3 Yet there is not necessarily an overall distaste for extensive restoration, which may be considered acceptable where it is based on archival research (according to the principles of the ‘scientific reconstruction’, nauchnaya rekonstruktsiya).4 It is these debates and ambiguities around what one architect and restorer has termed the ‘crisis of authenticity’ with which the present article is concerned.5

2 My discussion is not an attempt to resolve this so-called ‘crisis’, or to adjudicate, in a final sense, the merits of the different sides. The standard Soviet view that nauka (which translates as ‘scholarship’ or ‘knowledge’ as well as ‘science’) was an absolute good has been cogently criticised in a variety of recent academic disciplines, whose

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participants have drawn attention to, for example, the widespread practice among researchers of simply removing objects that were considered of ‘scientific’ interest, such as icons and manuscripts, from the communities that used these.6 The Soviet-era habit (which has persisted, in many respects unaltered, up to the present day), of resolving restoration policy without reference to the views and needs of the broader community – other than politically or socially powerful groups – provides analogous evidence that ‘scientific’ practices are not always ethically pristine.7 And ‘scientific’ restorations are of course also always limited by the nature of the evidence available: even the most thorough search of material and documentary traces may provide little guidance as to the precise pigmentation of paints, wall coverings, and textiles. The case of the reconstructed panels of the Amber Room at Tsarskoe Selo – which, once a surviving fragment of the original turned up in , were revealed to be the wrong colour – shows the fragility of even the bestintentioned and most meticulously researched restoration processes.8

3 The fate of the reconstructed panels – now in storage, classed as valueless – also points to another potential blind spot in ‘scientific’ restoration. A reconstructed object will always differ in some respect from the one that it augments and replaces; the case of the Amber Room is unusual simply because the distinction, quite fortuitously, came to light.9 Why should the panels not be on display in the space that once held their eighteenth-century predecessors, but labelled as an artefact of the late twentieth century? The import of the 1964 Charter of Venice was, famously, to underline the integrity of a given building in its current state (buildings were described in it as ‘living witnesses’ and were to be passed down in ‘the full richness of their authenticity’). This principle was enacted also in, for example, the British regulation of work in ‘listed buildings’, which requires planning consent even for the removal of recent alterations. 10

4 From a strictly historical point of view, a ‘scientific’ restoration may be just as negative a phenomenon as a conversion on purely pragmatic principles, since both efface some of the evidence of how buildings were used in the (recent or distant) past. And the widespread tendency to repudiate ‘non-scientific’ restorations as also aesthetically unpleasing ignores the fact that an eighteenthcentury room with a colour-scheme based on paint-scrapings may equally well strike the contemporary viewer as ‘ugly’: could those brash blues and pinks really have found favour back then?11 Thus, asking ‘how should restoration be done?’ becomes, when one is writing the history of restoration, a question mal posée: instead, we need to understand how it has been done, to make the discussions about practice themselves the subject of analysis.

5 Debates on what and how to restore are, of course, as old as restoration itself – or rather, as old as restoration in its nineteenth-century, highly self-conscious manifestation, which expressed the would-be scrupulous historicism later to be embodied also in the early music movement.12 Terms such as ‘conservation’ and ‘restoration’ rest on the assumption that it is possible and desirable to preserve, or to recover, an authentic phase of a cultural product’s existence, which can be laid bare by the educated gaze. The paradox is that this integrity is usually seen to be under threat – that is, the authentic past speaks less to the present than it does to the future.

6 The fact that arguments about authenticity, while often resting on microscopic detail, also address themselves to the abstract scale of ideal time may in turn help explain why commitment to the preservation of art works could be assimilated by the political

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cultures of twentieth-century socialist societies, the USSR among them.13 Yet the precise ways in which preservation should take place, and the nature of the heritage on which it should concentrate, were tricky questions. There was an obvious conflict between the radical modernisation espoused by Soviet political leaders (accompanied by stigmatisation of the ‘backward’), and the attempt to preserve relics from the past; further, the economic and practical demands of the ‘military-industrial bloc’ and those of cultural retrospectivism constantly threatened to (and often did) collide.14

7 At the same time, one of the most famous aspects of Soviet preservation policy is the sheer amount of time, effort, and indeed money that was spent on reconstructing key sites. As some historic buildings crumbled, others underwent elaborate programmes of restoration that sought not just to preserve, but to improve, their condition and appearance.15 In turn, this heritage of highly interventionist restoration was to shape attitudes to the management of historic buildings in the post-Soviet era. In the discussion here, I shall concentrate particularly on work done in Leningrad, a city that was universally acknowledged to be of special architectural importance, and one where historical revivalism had a particularly powerful hold. Throughout the late Soviet period, these two features complemented and reinforced one another, making the place an excellent illustration both of how salient historicising ambitions were in late Soviet culture, and of the contradictory elements in these. In the post-Soviet era, the city has been home to a large number of controversial restoration projects that have crystallised some of the crucial issues of the day.

8 A necessary first point in the discussion is a disambiguation of the term ‘reconstruction.’ The most famous (or infamous) cases of this in post-1991 Russia involved buildings that were rebuilt from the ground up, having been effaced from the earth: for example, the Kazan′ Cathedral on Red Square, and the Cathedral of Christ Redeemer, also in Moscow. Yet such cases are extraordinarily rare, given the vast number of buildings destroyed during the Soviet period. To date, remarkably few such ‘total reconstructions’ have taken place outside Moscow, and St. Petersburg – where discussions about the rebuilding of major churches have so far remained discussions – is in this respect typical.16 Much commoner has been the organisation of works that fundamentally reshape existing buildings, while setting out to ‘restore’ or ‘reconstruct’ these. A case in point is the transformation of Bazhenov’s Tsaritsyno Palace, which has turned a building never completed in the eighteenth century from a shell into a fully functioning museum and state reception venue, with the interiors that the original architect never got round to supplying.17 It is such cases of ‘reconstruction’ in an intermediate sense, where the original building is preserved in transmuted form, on which I shall concentrate here.

9 My contention is that the debates around reconstruction in this second sense offer more revealing evidence of historical change than the construction and demolition of monuments with which Western commentators on postsocialist space have been so extensively preoccupied.18 If the iconoclastic removal of statues, or the sudden rebuilding of vanished structures, suggest the easy transformation of one set of ideological and symbolic values into another, the modification of buildings that are actually left in place points to a more complex process, whereby consensus or disagreement may cut across obvious party lines, and where social and cultural, as well as political, processes are in play. If one focuses on buildings, one is also able to move discussion of Soviet and postSoviet city history into a different international context.

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Emphasis on vanishing statues and altering street names produces a highly particularist representation of the (post)socialist urban environment, given that symbolic transformations of this kind rarely occur in urban centres of the so-called West. By looking at buildings, on the other hand, we can see how planners, architects, and city populations across a range of countries were grappling with similar issues, and often adopting similar solutions. And in turn, small but important differences in the conceptualisation and practical management of the city environment emerge.

10 If the word ‘reconstruction’ has an ambiguous resonance – meaning radical transformation of existing buildings on the one hand, and recuperation or rehabilitation of a particular building’s authentic past on the other (that is, both restoration and preservation) – terminology in Russian is both more and less precise. Perestroika (literally ‘transbuilding’) can be applied only to radical transformation, but rekonstruktsiya also to recuperation. This second sense, however, did not develop immediately. In the early Soviet period, the term rekonstruktsiya was used to signify the large-scale rebuilding and replanning that went with the process of ‘socialist construction’ (sotsialisticheskoe stroitel′stvo).19 It was the years after the Second World War when the term rekonstruktsiya first acquired significant visibility in the sense of recuperation (alongside vosstanovlenie, a term with a wide application including ‘regeneration’, ‘recreation’, ‘revival’). While it was not only or even mainly the cultural heritage that was the object of concern – the pressing need of the day was the ‘reconstruction’ of domestic and industrial buildings – the ‘reconstruction’ of architectural monuments nevertheless became a key issue.20 In 1944, an article by Academician Igor′ Grabar′ in the newspaper Sovetskoe iskusstvo – setting out a case that was later to be enshrined in official policy – argued strongly for the large-scale rebuilding of monuments that had been destroyed and damaged during the recent conflict: Now that the has driven the last fascist invaders from our soil, the time has come to think about recreating the wonderful works of art and heritage upon which the German vandals trampled roughshod in perpetrating their wicked crimes. Some things cannot be recreated, since some monuments that once astonished the world with their perfection were razed to the very foundations, but anything that has survived in any form can and must be resurrected, no matter what. Never before has the world witnessed such a grandiose and enormous work of restoration as faces our country in the approaching decades.21

11 Reconstruction thus became a patriotic duty, a way of recovering the Soviet (more specifically, Russian)22 patrimony. War damage was (understandably if inaccurately) always blamed entirely on the foreign invader; making good such damage was an act of national self-assertion.

12 Grabar′ was careful to distinguish the Soviet policy of ‘recreation’ from the radical restoration of the nineteenth century, when ‘totally incompetent restorers [gore- restavratory] would, say, heedlessly construct entire new buildings on the foundations of a medieval castle’.23 Now, Soviet principles followed international best practice: ‘One must simply liberate [the building] from later additions, without, however, adding anything new’. Yet he immediately conceded that, in practice, more might be required: ‘An exception to this rule may be made only in cases where the condition of the monument requires this.’ Here he gave the example of a fragile brick building that had either to be protected by modern roofing (‘which would make the monument look

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ugly’, chto obezobrazit pamyatnik), or be partly rebuilt (‘or one has to recreate the missing wall on the basis of data assembled on the spot, from the surviving masonry of the wall, and in the rubbish that has cascaded over the collapsed fragments of this’.24

13 Notable in Grabar′’s statement was the combination of arguments and rhetoric drawn from nauka (cf. the reference to the ‘assembling of data’), and a primary attachment to aesthetic criteria: the reason for not simply protecting the ruined wall and letting it stand there was the fact that this would ‘look ugly’.

14 This double legacy – of restoration as a ‘scientific’ activity and simultaneously an aesthetic (artistic) one – was retained in later Soviet practice too: the term for a professional restorer, after all, was an ‘artist-restorer’ (khudozhnikrestavrator), and such restorers trained not in workshops, but in art colleges and academies.25 Thus, while great emphasis was placed on the scientific nature of the methods of restoration, at the same time the principles of what to restore were selective. Restorers returned to original architects’ drawings, plans, and historical photographs, where these were available. But they also used evidence from the material traces of the building itself to determine its putative appearance at the ‘optimal date’, the point at which it had reached maximal aesthetic coherence.26 For example, the belfry in the Monastery of the Dormition at Tikhvin (originally dating from 1600, and remodelled at a range of different times between 1623 and the late nineteenth century), had its extant capping removed in 1973, and replaced by the elegant pinnacles that were held to be consonant with governing stylistic principles at the point when it was built.27 In other words, Soviet restorers worked in much the way that Viollet-le-Duc had while carrying out his restorations to Notre Dame and the Basilica of Saint Denis; their methods of restoration involved extensive rebuilding.28

15 ‘Reconstruction’ of this meticulous historicising kind went alongside ‘reconstruction’ in the sense of rebuilding on the grand scale. Administrators saw the repair of wartime damage as an opportunity for extensive replanning of entire areas. For example, the architect Aleksei Shchusev proclaimed that in the city of Minsk, the narrow streets of the past were gone for good: ‘Through the centre of Minsk will stretch a wonderful park, like the Jardin des Tuileries in Paris’.29 More generally, city streets and yards were given a new ecology: the remains of buildings that were held not to have architectural significance were cleared, and space made for new building, or else for green space. Infill parks appeared in formerly crowded streets; modern apartment blocks replaced traditional tenements, now denigrated as ‘slums’.30 During the decades after the War, this process transformed city environments, affecting primarily, but not exclusively, survivals of the nineteenth-century past (fig. 1).

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Fig. 1. Project for the reconstruction of internal courtyards on Vasilievsky Island, Leningrad

On the left-hand side is the original layout, while the second and third images show the process of demolition in order to increase green space and the through-passage of light. Памятники архитектуры в структуре городов СССР, A. V. Ikonnikov, N. F. Gulyanitsky (eds.), Moskva, Stroizdat, 1978, fig. 110.

16 This process was generally characteristic of European cities in the post-war era, as is immediately illustrated by a visit to such bomb-devastated urban landscapes as Groningen and Rotterdam in the Netherlands, Coventry and Southampton in Britain, and Brest in France, not to speak of Berlin and many other German cities. Here too, a new city ecology based on green space, modernist architecture, broad streets, and scattered buildings took hold.31 But if rebuilding as such took place on similar lines across the former war zones, the issues of what to do with the shattered fragments of historic buildings inspired quite diverse responses. There is a widespread view that Soviet culture was particularly characterised by radical discontinuities in the relationship with the past, and by extension, a mission to reshape history (as in the joke of the perestroika era, ‘Russia is a country with an unpredictable past’). However, it would be hard to find a Soviet example dating from the period after the Second World War where historical architecture was effaced on a scale to match the case of St John’s Church Horsleydown. Built by Nicholas Hawksmoor in 1726-1733, St John’s was badly damaged by bombing during the London Blitz (suffering a direct hit on 20 September 1940).32 But most of the walls survived up to roof height, though the interior fittings and roof were destroyed. The church stood in this condition until the early 1970s, when it was summarily demolished. On its site now stands a building that Nicholas Pevsner’s influential architectural guide describes as reusing the foundations ‘most successfully’, 33 but which – as a plain brick and glass structure – differs in terms of materials, as well as style and dimensions, from the original church. The results are curiously similar to

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the handling of demolished church sites in Leningrad when the ‘militant atheism’ of the 1930s was in full sway (fig. 2).34

Fig. 2. The site of St John Horsleydown with 1970s overbuilding

© Catriona Kelly, 2014

17 No war-damaged building in Leningrad (or indeed, any other major Soviet city) received comparable treatment. This suggests that war damage could, in the context of Soviet culture, be a ‘fortunate’ occurrence for a major architectural site, leading to a rise in its perceived value. (Cases illustrating this point include the Church of the Saviour at Nereditsa, in Novgorod, rebuilt with exquisite care in 1956-1958.) From the late 1940s onwards, preservationism was actually more powerful in major Soviet cities than it was in many Western ones. If it is hard now to re-imagine the pre-1939 fabric of many central districts of London, Munich, or Berlin, to name only three cities that suffered extensive war damage, most observers of St. Petersburg who are not architectural historians will simply not be aware of the extent of restoration work that took place after the War.

18 At the same time, Soviet architects did not adopt the position characteristic in some non-European cultures, where replacements were seen as the most appropriate form of tribute to a prized original.35 Buildings were not demolished to their foundations and rebuilt from scratch on their historical sites. Indeed, ‘imitations’ were anathema. As D. S. Likhachev wrote in 1965: ‘It stands to reason that one must never construct forgeries of old buildings, create architectural falsifications. This is repellent to historical and aesthetic principles’.36 Soviet attitudes to reconstruction, in sum, were placed somewhere in the middle of the continuum of possible attitudes – which runs from systematic demolition of ruins to the meticulous conservation of these without

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restoration of any kind. If the former was not characteristic of Soviet practice, neither was the latter.37

19 The principle of ‘moderated historicism’ that emerged had its most famous expression in the painstaking restorations of the former royal palaces on the outskirts of Leningrad. As Grabar′ pointed out, the condition of the individual buildings was in fact quite variable, but some required extensive replacement of lost architectural and decorative features: In the case of some buildings, it would be hard to find even one stone standing on another. Thus, the English Palace at Petrodvorets, the great Italian architect Quarenghi’s earliest and perhaps most splendid building in Russia, has been damaged beyond recall. Only the foundations are left, and it has been decided it should not be rebuilt.38

20 The Cameron Gallery and the Mon Plaisir Palace at Petrodvorets, on the other hand, had been preserved to a far greater extent, and large-scale reconstruction of other buildings that had survived in worse shape was certainly possible, as in the case of the Catherine Palace: ‘The rooms are in rather variable condition, but recreation will in general be possible’.39

21 In the ensuing decades, the palaces were duly restored in the meticulous, highly interventionist style that Grabar′ had anticipated. The famous and muchlauded work done here both honoured and entrenched the concept of ‘optimal date.’ The palaces were restored to the condition they were assumed to have been in during the so-called ‘Golden Age’ of Petersburg culture – the Baroque, rococo, and neo-classical architecture from the turn of the eighteenth and nineteenth centuries. The additions of the nineteenth and early twentieth century – the Maples panelling and Liberty prints beloved of Tsaritsa Alexandra – were unhesitatingly ignored. And in turn, the palaces became the model for local architects and craftsmen in the ensuing decades; textbooks and popular surveys of conservation history celebrated these restorations as the crowning achievement of the ‘Leningrad School’.40

22 One result of this constant stress on the importance of the palace reconstructions was to legitimate the principle of remodelling as an appropriate way of dealing with other historical buildings as well. In 1953, the Kikin Chambers (Kikiny Palaty), burnt out during the War, also underwent restoration. Rather than recreating the building’s appearance immediately prior to the bomb damage (which had been affected by extensive alterations, most recently in 1829-1830), restorers decided to rebuild the façade in ‘Petrine’ style, not deterred by the absence of accurate plans or pictorial representations. The result was accepted at the time, and in later decades of Soviet history, as textbook example of successful restoration.41 In the early 1970s began a comparable reconstruction of the Men′shikov Palace (Giovanni Maria Fontana and Gottfried Johann Schädel, 1710-1727) on the University Embankment, part of Leningrad’s most famous architectural ensemble, on the Point of Vasilievsky Island, featuring in every postcard, architectural album, and guidebook (fig. 3-4).42

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Fig. 3. The Kalinin Institute of Law (former Menshikov Palace) in the early 1950s

Виды Ленинграда, M. E. Kunin (ed.), Moskva, Izobrazitel′noe iskusstvo, 1954, p. 154.

Fig. 4. The Menshikov Palace after reconstruction and conversion into a museum in the late twentieth century

© Catriona Kelly, January 2013.

23 At the same time, not everyone unambiguously backed the principle of reconstruction. During the late 1960s, plans were drawn up to remodel the district traditionally known

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as Srednyaya Rogatka, now to be the site of the city’s premier war memorial complex (the obelisk and figures commemorating the ‘Defenders of Leningrad’, eventually completed in 1975).43 One issue was what to do with the travel lodge (putevoi dvorets) constructed in the early 1750s for Empress Elizabeth by the renowned architect Rastrelli, but now (after many years in use as a typography) in a condition where it was unrecognisable except to local historians. A project was evolved to restore the building and have it serve as the local Palace of Nuptials (the 1960s saw large-scale development of these institutions for the ceremonial registration of marriages, first at city-wide and later at district level).44 In 1967, the architect and restorer Lev Medersky, head of the Learned Council of GIOP, produced a discussion paper (dokladnaya zapiska) that touched not only on this specific case, but on the whole principle of reconstruction. To move the lodge from its present site to a position 150 metres away and ‘resurrect’ it (vosstanovit′) upon the new site was, said Medersky, ‘exactly the same as rebuilding from scratch and putting up NEW OLDBUILD [NOVODEL]’.45 In his agitation, Medersky placed the loaded term in capitals, and in case the point was missed, he immediately went on to explain its resonances: Over the 25 years that I have been working at GIOP, I have got used to this term / new oldbuild/ as referring to a negative and even pejorative concept. The term ‘new oldbuild’ is often understood to mean the same as the denigratory terms ‘forgery’, ‘counterfeit goods’, and at best – ‘imitation’, ‘copy’, or ‘maquette’!46

24 Looking back to a meeting of the Union of Architects in 1946, Medersky recalled how the famous architect Aleksei Shchusev (whose authorship of the Lenin Mausoleum had lent him unchallengeable authority in the world of Soviet architecture) had acknowledged that rebuilt monuments of architecture would always be novodely, yet had defended their value all the same – primarily in an educational capacity: Shchusev fully acknowledged and understood the fact that the recreated Great Palace at Peterhof would be ‘new oldbuild’, that it would lose its historical value associated with Rastrelli, its ‘monumental’ character, so to speak. He did not take fright at this odious word and vehemently called for the recreation of the ruins of the palaces round Leningrad, contending: ‘If we do not do this, those of us with memories of how the palaces looked before they were destroyed, then the next generation of architects will never be able to recreate them’.

25 The new Travel Lodge, Medersky observed, would be comparable: it would not be a ‘monument of architecture’ (and hence would not require protection), but it would be a life-sized maquette, a large version of the scale models regularly to be found in museums. On this basis, he did not oppose the reconstruction.47 This rather tortuous argument pointed to his inner confusion about the essential principles.

26 In the event, the Travel Lodge was demolished, rather than reconstructed, but plans for the rebuilding continued to be developed until at least 1970, with the expectation that ‘planning methods based on the study of historical materials’ would be used.48 Thus a contrast was developing between the ‘new oldbuild’ (an exercise in vulgarity and mendacity) and a reconstruction – however wideranging – legitimated by ‘scientific principle’. If the former inspired horror, the latter was not just permissible, but indeed admirable. This assumption went essentially unchallenged, since the care of old buildings, like other elements of planning policy, was regulated by a close-knit alliance between city officials and specialists.49

27 From the late 1960s, an element of pluralism in heritage preservation began emerging. Leningrad, like other Soviet Russian cities, had its own branch of the voluntary society

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VOOPIiK (the All-Russian Association for the Protection of Monuments of History and Culture, founded in 1965).50 VOOPIiK’s members, working independently from the official monuments inspectorate, GIOP, regularly put forward proposals for the restructuring of individual buildings and architectural complexes (ansambli). At the same time, the arguments used by VOOPIiK espoused the same academic historicism that had become traditional among city officials. Its members and officials also advocated radical reconstruction where this was felt to be necessary. For example, in 1970, the Vasilievsky Island section of the society pressed the local authorities to think again about their plans for preserving the 1873 remodelling of the facade of no. 108, Pervaya liniya, claiming that this would result in a ‘stylistic muddle’.51 The mild institutional tension between VOOPIiK and GIOP (the latter’s officials felt that VOOPIiK’s members were duplicating their own efforts, and at a lower level) did nothing to hinder consensus on the goals of heritage preservation, and on the methodologies to be used.

28 Yet Medersky’s very hesitation – and the increasing vehemence with which those writing about the post-war reconstructions defended the policy of the period – 52 bespoke an inward change of heart. Alongside this, from the 1960s onwards, the cult of pre-revolutionary St. Petersburg became increasingly entrenched among members of the oppositional intelligentsia, who saw Sovietera reconstructions as a falsification of the past.53 By the late 1980s, there were open debates on whether the traditional adherence to ‘optimal date’ was justified. The proposed restoration of another early eighteenth-century building – the Church of St Panteleimon – to its ‘original appearance’ became, in 1986, the source of a prolonged argument in the Leningrad architectural press, pitting an architectural amateur who disapproved of reconstructing individual buildings against a professional architect who spoke in favour of this.54 In fact, it was the former who represented the growing trend: the 1980s saw an effort to create ‘conservation zones’ (zapovednye zony) on the pattern of those also set up in Western Europe.55 At this point, historicising, holistic views of preservation began to assert themselves over monument-based views. But this in turn required new forms of reconstruction, since the historical layering that was de rigueur in a conservation zone demanded that the environment be de-Sovietised, with, say, cobbles laid down in yards instead of tarmac, and wood sheds and privies rebuilt to replace those triumphantly demolished by the city maintenance department in the middle of the twentieth century.56

29 Significant also was the fact that perestroika and the collapse of Soviet power profoundly altered the institutional character of heritage preservation. With the emergence of new, genuinely voluntary, and considerably more radical preservation groups, such as ERA (Ekologiya ryadovoi arkhitektury, The Ecology of Rank-and-File Architecture), VOOPIiK lost the leverage it had enjoyed in the late Soviet period.57 Official preservation policy (whether enacted by GIOP or guided by VOOPIiK) was now stigmatised as wrong-headed. By an irony of fate, the assignation of Leningrad to the category of UNESCO World Heritage status in 1990 (a notable victory for heritage protection) came just at the point when consensus about how to preserve the heritage broke down.

30 The context of debates was altered also by the desire of the new post-Soviet leaders, such as Anatoly Sobchak, to invoke the pre-revolutionary past as legitimation, yet also to present themselves as dynamic, modern, and pro-Western. If Communist leaders

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such as Grigory Romanov (First Secretary of the Provincial Committee of the Communist Party in 1972-1986) had been at best indifferent to old buildings, now Sobchak and his successors strove to bring the city’s architecture up to ‘European standards’. ‘The results of history have left the city with a lot of free spaces, which are empty, or not properly developed’, Sobchak commented in 1999. ‘Therefore, over the next 25-30 years we can expect it to “expand inwards” as these spaces are brought into use’. He looked forward to ‘the creation on the site of the Obvodnyi Canal (or above it – on a flyover) of an up-to-the-minute Autobahn [sic!] and the replacement of the factory zone by a residential quarter’. Petersburg, Sobchak concluded, was ‘still waiting for its Hausmann or a new Leblanc, who would be able not just to “touch up” old districts of the city centre, but essentially to give them a completely new identity’.58

31 Autobahn-building and the creation of new identities was to become a mainstream preoccupation of the next decade: among the grands projets ushered in by Sobchak’s successors were the so-called ‘Posh Neighbourhood’ (Paradnyi kvartal), a luxurious gated estate on a former industrial area close to the Tauride Garden, one of the main concentrations of fashionable housing, and a freeway (nepreryvnaya magistral′) thundering past the city’s oldest academic institution, the early eighteenth-century Military-Medical Academy, itself scheduled for relocation to a dim suburb while the territory was reused to more profitable ends. It was difficult to distinguish between real-life propositions and grotesque rumours. Should one credit information that the city authorities proposed to evict the Vaganova Dance Academy, one of the world’s most distinguished schools of ballet, from its historic premises next to the Aleksandrinsky Theatre, and turn the whole of Rossi Street into a shopping mall?59 It would hardly have been more fantastic than some of the developments that were already in hand.

32 Yet the 1990s and 2000s saw a large number of high-profile restoration projects, particularly to the facades of historic buildings, and lavish work on individual buildings, including the Mikhailovsky Theatre, the Marble Palace and the Stroganov and Sheremet′ev Palaces in St Petersburg itself, and the Oranienbaum and Gatchina complexes outside the city. Many of the city’s churches also underwent programmes of restoration, including the Kazan′ Cathedral, the Church of the Dormition on Lieutenant Schmidt Embankment, and the TrinityIzmailovsky Regiment Cathedral.60 The enhanced possibilities for co-operation with restorers abroad, added to the availability of better- quality materials, meant that, in theory, restoration to high standards had become much easier. It was common now also for a more reflective attitude to be taken to the procedures of restoration. For example, in the palaces of Oranienbaum and Gatchina, and in the Stroganov Palace, late nineteenth-century alterations to the interiors were not only left in place, but turned into an important section of the display. And the exhibitions and excursions gave visitors a considerably stronger sense of how the process of restoration had been carried out. In the Great Menshikov Palace at Oranienbaum, small sections cut into the plaster allowed one to compare surviving sections of the original wall decorations and coverings with the restorations; at Gatchina, tours passed not just through the finished halls (where sections of lost detailing had been allowed to remain) (fig. 5), but also through sections of the palace that were still to undergo reworking.

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Fig. 5. Section of lost plasterwork at Gatchina

© Catriona Kelly, September 2012.

33 In the circumstances, the fact that heritage campaigners in the 2000s generally took a bleak view of the condition of historic buildings may seem surprising. One reason for this was that people tended to forget that in the Soviet period care for all except the most famous monuments (those with museum status, such as the Peter and Paul Fortress) had been haphazard, with GIOP constantly having to chivvy lessees into carrying out their duties of care.61 But there were also objective grounds, in that monument protection legislation was now far more toothless. With the leases for buildings in public ownership now administered by the Committee on State Property (KUGI), GIOP now had an advisory function only. In the Soviet period (from the late 1930s onwards), the monuments office had been able to threaten disobedient lessees with eviction, and thus to hinder major alterations and demolitions on the part of these lessees. Now, the capacity to regulate had been severely diminished. It was also much harder for GIOP to intervene to stop demolitions.62 At the same time, the most aggressive inroads into the fabric of the city were at the level of ‘rank-and-file building’ (ryadovaya zastroika) – the handsome, but anonymous, nineteenth-century cityscape. Where acknowledged monuments, or at least those assigned ‘state significance’ (gosudarstvennoe znachenie) were concerned, things were different.

34 But a new, and from the point of view of heritage campaigners disturbing, feature was the rash of costly reconstruction projects that were designed to transform buildings not into museums (as with the palace restorations), but into workplaces or leisure facilities. In the late Soviet period, it had been taken for granted that the best purpose for a listed building was something cultural – a library, an institute, a concert hall. Now, it was business interests that enjoyed hegemonic status. The preferred lessees

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were the proprietors of hotels and shops. And it was commercial buildings on which most attention was lavished.

35 The fixation of businessmen on ‘glamour’ and ‘prestige’ naturally reinforced the traditional assumption that the best way of treating a historic building was to return it to how it might have looked when brand new. The danger now was less neglect than ‘killing with kindness’. For example, the interior of the House of Leningrad Trade (DLT), an elegant exercise in metal and glass style moderne, was transformed by the use of contemporary lighting and marble cladding into the sort of global luxury store that could have been found in any modern city (which was exactly the point) (fig. 6).

Fig. 6. The reopened DLT

The three figures at top left are mannequins; only the lady on the right is a customer. Note the nostalgia gas-lamps (not from the same period as the building, and not meant for an interior either.) © Catriona Kelly, September 2012.

36 A contradictory problem was economising. Government institutions tried to do up the buildings in their care on the cheap. So, too, did religious communities. Despite widespread conviction that the ROC was fabulously wealthy, money for building works was decidedly limited. Hence the restoration of the Kazan′ Cathedral’s interior with artificial marble and gold. As a feature in the parish newspaper argued, ‘In our country, reconstructions are the only way of acquiring a cultural heritage and sacred places and objects. The forced approximation that characterises restoration works and the loss of authenticity are the price that one has to pay for bringing a monument to life’.63 Whether professional restorers were called in, or work simply done by volunteers, also depended on the attitude of the nastoyatel′ (presiding priest). Some projects – a striking example was the Church of the Dormition on Lieutenant Schmidt Embankment – underwent lavish and meticulous reconstruction, in this case requiring extensive

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repainting (by a team of over 50 highly-qualified restorers) of the wall-paintings, which had been catastrophically damaged when the building was in use as an ice-rink in the Soviet period.64 But some other work was done to a much lower standard, as even church insiders readily admitted.65

37 To be sure, there were some strikingly successful restorations of functional buildings. The Vitebsk Station, for example, looked magnificent after extensive work to celebrate Petersburg’s tercentenary in 2003, though this had included replacement of practically all the ironwork in the roof. But if this was a case where extensive rebuilding was both unavoidable, and achieved to remarkable levels of craftsmanship, the term rekonstruktsiya now also became attached to more dubious types of interventionism, amounting not so much to creative restoration, as to actual rebuilding. All over St. Petersburg, new buildings sprang up on the footprints of old ones, with a decidedly tenuous relation to what had stood there before. The loss of detailing, the construction of features that were not traditional for the locality, such as mansard roofs, and the alteration of proportions were ubiquitous. It was hard to see the difference between these and wholly new buildings in a loosely retrospective style. In both cases, UPV windows with non-traditional proportions, flat plasterwork, and inept decoration were the rule. (fig. 7)

Fig. 7. ‘Reconstructed’ nineteenth-century building in front of modern apartment block ‘in traditional style’

Peski district, March 2008 © Catriona Kelly, September 2012.

38 While plans for ‘reconstructions’ might cite archival records, the developers who commissioned them were mainly concerned to provide enough historical

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documentation in order to get the officials of GIOP to ‘put a tick in the right place’ (postavit′ galochku). There was simply not enough time for thorough work.

39 It was ‘reconstructions’ in this sense that provoked the outrage of heritage preservationists, who expended on them the full range of derogatory terms: ‘new oldbuild’, fakes, forgeries, mock-ups (mulyazhi).66 It did not help that a large number of buildings were ‘reconstructions’ of an intermediate kind – only gesturing vaguely in the direction of architectural styles from the past. A turret and a bay window (erker) became the ‘markers’ of style moderne, even if the dimensions of the building were swollen beyond anything built in the early twentieth century. While Petersburg was far from the only place to undergo torture by architectural banality during the late twentieth and early twenty-first centuries,67 the signal failure of planners and developers to learn from the experience of other cities was among the factors frustrating campaigners.

40 The most widely disliked ‘reconstructions’ were those of famous shops. According to a ‘Disgusting Reconstructions Poll’ (‘Reiting skandal′nykh rekonstruktsii’) on Live Journal (29 September 2012), top (or bottom, depending on one’s point of view) came DLT, which commentators felt had been ruined not just because, once again, UPV windows had been used, but because the interior space had been turned into a multi-storey atrium, with much of the architectural detailing gone.68 In the Eliseev Stores, an upstart pineapple (definitely not part of the decoration at any period) inspired irritation: Right in the middle of the shop, where the cash registers used to be, they’ve stuck this vast pineapple, made to look like a palm. What do we need that tasteless rubbish for? fumes Sergei Lebedev, historian and specialist on Petersburg. You can’t even see the wonderful gilded plasterwork ceiling any more, that palm gets in the way. And what do we see in the corner? A pianola. There was never anything like that before!69

41 One has to conclude that perhaps the decorators were enraptured by the sound-chime between pianino (pianola) and ananas (pineapple), because there certainly seemed no historical or visual justification for the additions.

42 The demolition of houses on Nevsky to make room for Stockmann’s department store and a new shopping centre (with an intrusive glass mansard, but otherwise in a watered-down imitation of the nineteenth-century buildings it had replaced) was another inflammatory case, bringing calls, on the part of campaigners, for a boycott of Stockmann’s in revenge.70 By the early twenty-first century, rekonstruktsiya sounded as pejorative as novodel: both were ways of naming ‘new oldbuild’ in a critical way.

43 In Soviet and post-Soviet Leningrad alike, the fact that consultation by planners extended – at best – only to members of professional associations such as the Union of Architects, and to recognised public organisations such as VOOPIiK lent a particular force to the opinions of these individuals. In turn, the lack of consultation makes it difficult to assess what members of the public in a broader sense made of these heritage debates. At the same time, sources such as the postbag of the Soviet media, and more recently, online discussions, make it possible to draw some inferences.

44 In the Soviet period, awareness of danger to heritage was directly dependent on the amount of attention given to this in the press, and on TV and radio. From the late 1960s onwards, the high media profile of D. S. Likhachev had a direct resonance in the mailbag of local journalists, and of Likhachev himself.71 But the majority of Leningraders who felt strongly enough about heritage preservation to make official

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representations about this were primarily concerned with emphasising the need for restoration, rather than challenging the principles that were used by restorers. For example, in December 1984, a woman who had formerly lived next to the Smol′nyi Cathedral wrote to VOOPIiK in order to voice her disquiet about the condition of the building, which she had seen on a recent nostalgic visit to her former district: I spent my girlhood years on Tverskaya Street, which is next to Smol′nyi – the headquarters of the Russian Revolution. I often used to go walking across the gardens outside it to Smol′nyi Cathedral, admiring the beauty of the architecture and the shining domes. The Cathedral is linked for me with deeply personal memories that have stayed with me all my life. It was painful to see, I felt as though a bit of my heart had been ripped out, when they took one of the side golden domes down. I can see that maybe it was necessary to do this, and the hope that it’ll soon be restored won’t leave me alone. Now I live at the address given on the envelope [in a different part of Leningrad], but I often visit the spots that hold so many memories for me, and I look with sadness at the beheaded tower – and for how long already! I went into the Institute of Party History to ask, since it’s in the wing under that tower, but they couldn’t tell me anything much. Dear editors! Please answer: why did they take the dome down? Who was responsible? And, most important of all, when will that yawning gap be filled?72

45 For this observer, the measure of whether a building looked appropriate or not was how she herself recalled it had looked before. And it was the gaps in the building’s recollected appearance, rather than a sense of what it ‘ought’ to look like historically, that mainly concerned her.

46 This sense that the city’s built environment was important above all for personal reasons was to prove more durable in the post-Soviet period than the old consensus about what should be understood by ‘scientific restoration’. In the words of an online comment that appeared in response to a newspaper report about the reopening of the Eliseev Stores: I just don’t understand all the stuff about ‘based on the historical record’. Several generations of people remember that chandelier and the central counter and I couldn’t care less what the shop looked like in 1912. What me and my dad and granddad remember and love is what we actually saw, and not that pot-plant in the middle. They should bring back the chandelier and the central counter and redo the shop and sell everything by weight.73

47 With DLT, commentators were, similarly, less preoccupied with the niceties of the restoration from a historical point of view than with what they recalled about the shop in the recent past, when it was Leningrad’s leading outlet for children’s goods, rather than a store selling exclusive designer clothing: So where are the toys???? I hope they haven’t been forgotten? We just don’t need boutiques. More soap and lipstick... Who said we needed it? What kind of set-up is Mercury anyway? Put back the toys! Yes! It was [my] favourite shop when I was a child because of the toys. I often got brought in just to gawp at them... And the ice-cream on the first floor in that little cubby-hole café by the stairs... So what now? The usual boutiques and other horrors? Who needs them, the centre’s crammed with them anyway.74

48 Thus, experts and campaigners on the one hand, and lay observers on the other, espoused quite different ‘memory politics.’ The former championed a supra-personal, historicist, and purist attitude to the inherited fabric of the city, while the latter based

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their sense of what should be done on the fragile ground of personal memory. On the one hand stood the documented realities of ‘1912’, on the other, what ‘me, my dad, and grandad’ happened to recall. But to see the divide in terms of ‘reflective nostalgia’ – or the analytical attitude to the past – versus ‘restorative nostalgia’, or a sentimental and intrinsically conservative longing for lost material culture, would be to over-simplify.75 In fact, both sides of the argument were at once ‘reflective’ (in the sense of rooted in particular perceptions of local history) and ‘nostalgic’ (in the sense of adopting a celebratory attitude towards the past), and their interest could come together in the ‘radical conservatism’ of civic action, defending not just the showpieces of local architecture, but the large-scale urban reconstruction that had taken place in the post- war years.

49 A central effect of rising land values, which launched a powerful push in the direction of greater housing density and reduced green space, was to call into question the macro planning principles of the late Soviet era. Development was now tolerated even within the UNESCO-protected centre, provided this was on ‘lacunae’ – such ‘lacunae’ to be determined at official whim.76 The most internationally (in)famous example of this policy was the project to construct an enormous high-rise block, the so-called ‘Gazprom Tower,’ in Okhta district, which would have been visible directly behind Rastrelli’s Cathedral of the Resurrection at Smol′nyi. In December 2010, the plans were declined by Valentina Matvienko, then Governor of St. Petersburg, after a lengthy and acrimonious campaign, and the site was moved to Lakhta, on the outskirts of the city.77

50 Opposition to the drive for ‘restructuring’ at this level – the spread of infill building and the assault on green space – united heritage campaigners and local residents; defence of the city’s ecology in the abstract, and the struggle to maintain the integrity of one’s own particular ‘home patch’ – and with this the general and the particular echoes of local memory – could form an effective alliance.78 And with the fusion of interests came the chance that – for the first time in the city’s history – criticism of unwelcome developments might result in a broader process of consultation that would not only place restoration, reconstruction, and new building under effective professional scrutiny, but also give everyone who used the city’s architecture a say in the way that they wanted planning to progress.79

51 This article has examined the persistence of an attachment to the radical reconstruction (effectively, rebuilding) of dilapidated structures held to be of architectural interest in Leningrad and St. Petersburg during the late Soviet and post- Soviet periods, despite the opposition to this policy among some architects and members of the public. It has also assessed the impact of this policy on urban space. The commitment to reconstructing lost buildings goes back to the years immediately after the ‘Great Patriotic War,’ after which emerged a determination to ‘liberate’ major architectural monuments damaged in the fighting both from the harm that had been done to them by the invading Nazis, and from the depredations of previous generations, the ‘later layers’ that had accreted over the purity of the original. The general consensus that a ‘scientific restoration’ was the most desirable way of returning such buildings to their former condition still persisted in the late Soviet period, though the governing principles of such restorations had altered, substituting pluralism for the former emphasis on chronological and aesthetic harmony. At the same time, once strict historicism had become established as a defining characteristic of appropriate restoration, it reinforced hostility not just to alternative methods of

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restoring old buildings, but to the entire idea of ‘reconstruction’ – aided by the fact that this term was used by developers and municipal officials to refer not to restoration, but to pastiche rebuilding. The arguments about authenticity, too complex and slippery to be ‘won’ by either side, proved extremely tenacious, continuing to fuel battles about the city’s environment until well into the twenty-first century. Only ‘virtual’ reconstruction, which allowed those living in the city to see the past and present of their surroundings in perfect harmony (as with Arina Glazova’s 2008 photo-montages of vanished churches in St. Petersburg, appearing like ghosts in a modern setting), offered a relatively uncontroversial way of restoring what time and human action had removed from the city environment.80

NOTES

1. ‘В москве [sic.] это называется “реконструкция”. От дома остается мумия, мертвое чучело’. Comment from December 2010, raskalov-vit.livejournal.com/102752.html#comments. Last accessed 28 June 2014. 2. In 2006, critics of Mayor Yury Luzhkov’s project for the restoration of Catherine II’s Tsaritsyno Palace dismissed the results as ‘new oldbuild’, pointing to the use of breezeblocks and UPV triple- glazing units as instances of the shoddy nature of the work. ‘Дворец Екатерины II в Царицыно : новодел со стеклопакетами’, Gorod.lv, 26 May 2006, http://www.gorod.lv/novosti/29588- dvorets_ekaterinyi_ii_v_tsaritsyino_novodel_so_steklopaketami. Last accessed 16 October 2013. According to the National Corpus of the (Национальный корпус русского языка, ruscorpora.ru), novodel is occasionally used in the meaning ‘new building’, but most of the examples cited are of ‘fake old’, for example, ‘new oldbuild of a medieval koch (type of sailing skiff)’, 1989, ‘all the “ancient things” that have been built there since are new oldbuild’, 2011. 3. See e.g. Mikhail Mil′chik, ‘The Crisis of Authenticity’, in : Clementine Cecil and Elena Minchenok (eds.), St. Petersburg : Heritage at Risk/Sankt-Peterburg : nasledie pod ugrozoi, Moskva, MAPS, 2012, p. 145. 4. As, for instance, Mil′chik, ‘The Crisis...’ : as well as expressing a generalised anxiety about ‘patina’, Mil′chik favourably assesses the recent work at Oranienbaum, described by him as ‘restoration works [...] based on scientific methodologies’, p. 145, but sharply criticises the work done in the Summer Garden and in the building of the Senate and Synod, as well as in the Strel′na Palace, where the decisions made were more arbitrary. I was told in January 2015 by an architect in St. Petersburg that the fashion for reconstruction had now passed, but if true, this is perhaps more a result of Russia’s current economic difficulties than an aesthetic change of heart. 5. Mil′chik, ‘The Crisis...’ 6. See particularly the comments of Serafima Nikitina on the practices of archaeographers working in Old Believer settlements : ‘The notable impoverishment of Old Believer libraries and the oral tradition of spiritual songs has many causes, but these include the assiduous collecting activities of archaeographers, who in some cases did not even have the decency to supply photocopy duplicates of the precious books and manuscript verse collections they took away, which were an essential psychological support for members of the community who wanted to

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sing the texts included’. (‘Forum 2 : The Research Object and the Subjectivity of the Researcher’, Forum for Anthropology and Culture 2, 2005, p. 61). 7. Cf. the observations of Adam Wilkinson about the importance of community consultation in the preservation of Edinburgh’s heritage : ‘Managing a World Heritage Site – Edinburgh’, in : Cecil and Minchenok (eds.), St. Petersburg..., p. 240. I am not aware of any Russian cities where such consultation in the process of planning is the general practice, though the early 2010s did see some attempt to reach out to lobby groups such as Zhivoi Gorod (Live City) in St. Petersburg. 8. As reported by Mil′chik, ‘The Crisis...’ 9. Mil′chik, ‘The Crisis...’ 10. For the text of the Charter of Venice, see international.icomos.org/charters/venice_e.pdf. (Last accessed 16 October 2013). Note esp. Article 9 : ‘The process of restoration is a highly specialized operation. Its aim is to preserve and reveal the aesthetic and historic value of the monument and is based on respect for original material and authentic documents. It must stop at the point where conjecture begins, and in this case moreover any extra work which is indispensable must be distinct from the architectural composition and must bear a contemporary stamp’. The Charter makes no attempt to define terms such as ‘authenticity’, which are simply taken for granted. According to the information made available by English Heritage (which acts as an advisory body on planning consent for listed buildings), ‘Listed status covers a whole building, inside and out. Common works requiring consent might include the replacement of windows or doors, knocking down internal walls, painting over brickwork or altering fireplaces’. english-heritage.org.uk/professional/advice/our-planning-role/consent/ lbc/, last accessed 16 October 2013. 11. I remember myself having this reaction when visiting as a child, in the 1970s, Culzean Castle, which contains a famous suite of rooms designed by Robert Adam, and was the subject of intensive restoration in the decades after the National Trust for Scotland took the building over in 1945. The bright colours of the paintwork then seemed (against the background of a contemporary taste for ‘Victorian’ browns and creams) implausibly harsh and ‘modern’. 12. There is a widespread view that the preoccupation with the past is an essentially modernist phenomenon (see e.g. Svetlana Boym, The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2001), drawing on the work of Peter Fritzsche, for example, ‘Specters of History : On Nostalgia, Exile, and Modernity’, American Historical Review, vol. 106, no. 5, December 2001, p. 1587-1618. It might be more accurate to state that modernism is associated with particular ways of viewing the past, which often place weight on professional expertise. For the rise of conservationism, see e.g. Pierre Nora, (ed.), les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992. On historicism in musical performance, see e.g. John Butt, Playing with History : The Historical Approach to Musical Performance, Cambridge, University Press, 2002. 13. Elidor Mëhilli, ‘The Socialist Design : Urban Dilemmas in Postwar Europe and the ’, Kritika 13, no. 3, Summer 2012, p. 641-643, points to the importance of heritage preservation in late socialist cultures, but without attempting to explain this. Of course, another factor was the rising importance of national history within socialist patriotism : for the early years of this development, see David Brandenberger, National Bolshevism : Stalinist Mass Culture and the Formation of Modern Russian National Identity, 1931-1956, Cambridge, MA, 2002 ; on the post- Stalin period, see Petr Vail′ and Aleksandr Genis, 60-е. Мир советского человека, Ann Arbor, 1988 ; Denis Kozlov, ‘The Historical Turn in Late Soviet Culture : Retrospectivism, Factography, Doubt’, 1953-1991, Kritika 2, 3, 2000, p. 577-600 ; Catriona Kelly, ‘“A Dissonant Note on the Neva” : Historical Memory and City Identity in Russia’s Second Capital During the Post-Stalin Era’, Journal of Eurasian Studies, vol. 1, no. 1, 2010, p. 72-83. 14. I have discussed these issues in detail in my Remembering St. Petersburg, the companion volume to St. Petersburg : Shadows of the Past, New Haven, Yale University Press, 2014, chapter 3, published online at oxford.academia.edu/CatrionaKelly. Two periods when aggressive

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modernisation was particularly dominant were the years of the First and Second Five-Year Plans (1928-1938), and the Khrushchev leadership (on the latter see M. G. Meierovich, У меня появилась мечта, Yaroslavl′, 2004, p. 177, which records an outburst by the leader, ‘Why repair old things no-one needs ?’ when visiting Trakai Island Castle, Lithuania in the early 1960s). 15. For a detailed study of preservation policy and practices in post-war Leningrad, with extensive use of archival documentation, see Steven Maddox, ‘Healing the Wounds : Commemorations, Myths, and the Restoration of Leningrad’s Imperial Heritage, 1941-1950’, Ph.D Thesis, University of Toronto, 2008. Maddox emphasises the importance of a double standard that ensured lavish funding for the out-of-town palaces and for buildings with ideological resonance, such as the Tauride Palace (associated with revolutionary history) or that were nationally and internationally famous (the Hermitage), and limited, if any, funding for others (see e.g. p. 79-80, p. 116, p. 124, p. 170). Material that I have seen for the post-Stalin era confirms the pattern by which the lion’s share of funding went to these palaces : see e.g. ‘О проекте решения Исполкома Ленгорсовета “ Об улучшении дела охраны и реставрации памятников культуры города Ленинграда”’, 1957, TsGALI-SPb., f 105, op. 1, d. 727, l. 13. 16. The most intensive discussions have focused on the Haymarket (Sennaya ploshchad′), as will be discussed later. 17. See Julie Buckler’s contribution to this volume, ‘Beyond Preservation : Post-Soviet Reconstructions of the Strel′na and Tsaritsyno Palace-Parks’. 18. See e.g. Katherine Verdery, The Political Lives of Dead Bodies : Reburial and Postsocialist Change, New York, Columbia University Press, 1999 ; Mark Bassin, Christopher Ely, and Melissa K. Stockdale (eds.), Space, Place, and Power in Modern Russia : Essays in the New Spatial History, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2010. 19. The National Corpus of the Russian Language (ruscorpora.ru) includes numerous examples of such usages from the late 1920s and 1930s, often qualified by the adjective sotsialisticheskaya, alongside ones referring to a psychological or metaphysical process of transformation, such as ‘the reconstruction of human material’ (rekonstruktsiya chelovecheskogo materiala) from Yury Olesha’s ‘Human Material’, Chelovecheskii material, 1928. 20. A good study of this process at the local level is Karl D. Qualls, From Ruins to Reconstruction : Urban Identity in Soviet Sevastopol after World War II, Ithaca, NY, 2009. 21. Academician Igor′ Grabar′, ‘Восстановление памятников культуры’, Советское искусство, 28 November 1944, p. 2. 22. In line with the general upsurge of post-war Russocentrism initiated by Stalin’s famous toast ‘To the Russian People’ (24 May 1945), the restoration drive focused on the monuments of Russia (in the broadest historical sense, including those of, for example, Kiev, capital of the medieval Rus′). For example, the buildings of Novgorod were repeatedly cited as primary objects of restoration : see Grabar′, ‘Восстановление’, and also Academician Aleksei Shchusev, ‘Города возрождаются’, Советское искусство, 7 November 1944, p. 3. For an informative general survey of the post-war restoration drive and its priorities, see A. S. Shchenkov, Памятники архитектуры в Советском Союзе. Очерки истории архитектурнои◌̆ реставрации, Moskva, Pamyatniki istoricheskoi mysli, 2004. On Leningrad, see Maddox, ‘Healing the Wounds’. 23. Grabar′, ‘Восстановление...’, p. 2. 24. Ibid. 25. The word restavrator could be applied to builders (master masons etc.) as well as the architects who planned and guided the restoration work, but it was – as in other countries – primarily the latter who drew up the rationale for the restoration work and planned the precise tasks to be carried out, as well as inspected the work afterwards. See, for example, the deed (akt) about necessary repair work to the Church of St Simeon and St Anne, 28 May 1937, which records a meeting attended by D. I. Krizhanovsky of the Lensovet Monuments Department (Otdel

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okhrany pamyatnikov) and two architect-restorers, as well as representatives of the district soviet, the parish, the building’s clerk of works, and of the city’s building authority, the leading role being taken by the architects : NA KGIOP, papka 173, tom 1, l. 149. 26. This was in line with the general emphasis in Soviet architectural theory and practice on the ansambl′ (ensemble), or integrated nature of the building or buildings. See further in Dmitry Shvidkovsky and Ekaterina Chorban, ‘Russian Traditions in Teaching the History of Architecture’, The Journal of the Society of Architecture Historians, vol. 62, no. 1, 2003, p. 113 (complete page span 110-120). 27. phototravels.narod.ru/Tikhv2.htm ; visit to the monastery in June 2012. 28. On Viollet-le-Duc, see Bruno Foucart, ‘Viollet-le-Duc et la restauration’, in : Pierre Nora (ed.), les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997, vol. 1, p. 1615-1643. 29. Shchusev, ‘Города возрождаются’, p. 3. 30. Here I focus on urban settlements, but equally interesting would be a survey of the work done in villages and small towns, which included extensive building of wooden houses with a regular appearance and layout. The reconstruction of wooden architecture characterising folk parks is discussed in : Stephen A. Smith, ‘Contentious Heritage : Churches in Russia and Temples in China in Communist and Post-Communist Times’, Past and Present, 2015, 226 (suppl 10), p. 178-213. My thanks to the author for making a copy of this article available to me in advance of publication. See also Sanami Takahashi, ‘Church or Museum ? The Role of State Museums in Conserving Church Buildings, 1965-85’, in Journal of Church and State, vol. 51, no. 3, 2009, p. 502-517. 31. See the good discussion in Florian Urban, ‘Recovering Essence through Demolition : the “Organic” City in Postwar West Berlin’, Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 63, no. 3, Sep., 2004, p. 354-369. 32. For a picture of the church, see skyscrapercity.com/showthread.php ?t =442332&page =14. Last accessed 11 January 2015. 33. Bridget Cherry and Nikolaus Pevsner, The Buildings of England : London 2 : South, London, Yale University Press, 2002, p. 606. The design was by John Ainsworth (1972-1976), ibid. 34. As Gavin Smith has pointed out (‘Hawksmoor Redivivus’, Apollo : The International Magazine for Collectors, vol. 168, July-August 2008, Issue 556, p. 92), the architect’s reputation was at a low ebb during the 1960s and 1970s, which was another factor behind the demolition. 35. ‘Those who strive to preserve not materials but processes of manufacture honor the past not by saving traditional relics but by replicating them. The world’s most renowned instance is the wooden Ise Shinto temple in Japan that has, over the past millennium, been dismantled every twenty years or so and then replaced by a faithful replica built exactly as before’. David Lowenthal, ‘Material Preservation and its Alternatives’, Perspecta, vol. 25, 1989, p. 66-77. For a discussion of the rebuilding of temples in the People’s Republic of China (where, for instance, ‘in 17 counties and cities of Zhanjiang (Tsamkong) in southwest Guangdong, 2173 temples were rebuilt in 1963’), see Smith, ‘Contentious Heritage’. 36. D. S. Likhachev, ‘Четвертое измерение’, Литературная газета, 68, 10 June 1965, p. 2. 37. In European context, it is striking that the deliberate preservation of bombed-out building shells as a form of admonitory reminiscence (exemplified by the Gedächtniskirche in Berlin) was for the most part eschewed not just in Russia, but in France and Britain (with the rule-proving exceptions of Coventry Cathedral and Hawksmoor’s St George in the East, London, the latter saved by its congregation : see Stamp, ‘Hawksmoor Redivivus’). Evidently, it was those who had lost the War who were supposed to contemplate ruins, rather than to transcend these. 38. Grabar′, ‘Восстановление...’, p. 3. No attempts have been made since to rebuilt the Palace either ; a memorial stone has now been erected to mark the foundations. 39. The main loss, not mentioned here, was the Amber Room. 40. For a popular discussion of the palaces making these points, see e.g. A. A. Kedrinsky, M. G. Kolotov, L. A. Medersky, A. G. Raskin, Летопись возрождения : восстановление памятников

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архитектуры Ленинграда и пригородов, разрушенных в годы Великой Отечественной войны немецко-фашистскими захватчиками, Leningrad, Izdanie literatury po stroitel′stvu, 1971, p. 5-21. 41. For instance, Kedrinsky, Kolotov, Medersky, and Raskin, Летопись возрождения, p. 22, celebrates the recuperation of the building from its former ‘dreary, dry, barrack-like appearance’ (унылый, сухой, казарменный вид), p. 22. For the extrapolation of a general principle from post- war restoration, see A. A. Kedrinsky, M. G. Kolotov, B. N. Ometov, A. G. Raskin, Восстановление памятников архитектуры Ленинграда, Leningrad, Stroiizdat, 1983, p. 31 : ‘Because many buildings had been partly or completely destroyed, the restorers could not stick to the traditional methods of retaining structures in the condition in which they had come down to us and conserving them from future damage. Another, more complex task, confronted us : to restore monuments that might have seemed lost forever, and the loss of which would have done irreparable damage to world culture, to recreate them in all the fullness and authenticity of their architectural and artistic identity. [...] Thanks to the in-depth study of the history of how these monuments had been created and transformed, the architect-restorers were able, in many cases, not only to restore the buildings, but also to uncover their primal beauty, having liberated them from later encrustations’. 42. The Lensovet order to begin restoration was passed in 1969 (BILGS 19 (1969), 9). It optimistically stated that the restoration should be completed by 1971. But work ran into problems early on, with GIOP expressing dissatisfaction about the project documentation (see TsGANTD-SPb. 386/1-1/53/ 53-61 : documentation relates to meetings from August 1969). The restoration was not in fact complete till 1981. There was also a heated discussion in the mid-1970s about whether to reconstruct the bell-tower of the Church of the Saviour on the Haymarket (Spas na Sennoi), or even the entire church. See Catriona Kelly, ‘From “Counter- Revolutionary Monuments” to “Architectural Heritage” : The Preservation of Leningrad Churches, 1964-1982,’ Cahiers du monde russe, vol. 54, 2013, no 1, p. 131-64. 43. For discussions of the building of the complex, see Kirschenbaum, 208-226. 44. K. L. Emel′yanova, Первый в стране, Leningrad, Lenizdat, 1964. 45. L. A. Medersky, ‘Докладная записка’, 1967, TsGANTD-SPb. (Central State Archive of Scientific and Technical Documentation, St. Petersburg), f. 386, op. 1-1, d. 31, l. 86. Words capitalised in the original. 46. Ibid. 47. Ibid., l. 89. 48. TsGANTD-SPb., f. 386, o. 1-1, d. 98, l. 77. 49. Indeed, GIOP was an example of how these two roles could be united in the same person. 50. For general discussions of the work of VOOPIiK in Leningrad, see Kozlov, ‘The Historical Turn in Late Soviet Culture’ ; Kelly, ‘A Dissonant Note on the Neva’. 51. TsGALI-SPb. 229/1/39/51-2. 52. See e.g. Kedrinsky, Kolotov, Ometov, and Raskin, Летопись возрождения..., p. 31-32. 53. I recall myself that in the 1980s, friends belonging to this group dismissed the interiors of the Catherine Palace at Tsarskoe Selo as ‘uninteresting’, much preferring Oranienbaum (precisely because the latter had survived the War relatively intact). 54. I have discussed this in detail in ‘“Исправлять ли историю ?’’ Споры об охране памятников в Ленинграде 1960-1970-х годов’, Неприкосновенныи запас 2, 2009, http:// magazines.russ.ru/nz/2009/2/kk7.html 55. See my Remembering St. Petersburg, Chapter 3. 56. The principle of ‘conservation zones’ had been laid down in local legislation of 1967, implementing central legislation of 1966, but it was not until the mid-1980s that work began on a specific zone, covering the Champs de Mars over to Konyushennaya ploshchad′. The plans were,

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for instance, to ‘restore cobbling, sheds with firewood, and the painted signs for artisans’ workshops’ in the courtyards, and ‘traditional elements used for house maintenance and domestic conveniences’ (e.g. the former laundries, outside privies, etc.). See B. M. Kirikov, A. D. Margolis, ‘О создании заповедной зоны Ленинграда’, Градостроительная охрана памятников истории и культуры, Moskva, Ministerstva kul′tury SSSR, Nauchno-metodicheskii sovet po okhrane pamyatnikov kul′tury, 1986, p. 156. An architect who worked extensively at this period remained, in the late 2000s, vehemently opposed to ‘piecemeal’ reconstruction : see the interview by Alexandra Piir, Oxf/AHRC SPb-09 PF9 AP. 57. Общественная жизнь Ленинграда в годы перестройки. 1985–1991, E. K. Zelinskaya (ed.), O. N. Ansberg, and A. D. Margolis, Санкт-Петербург : Серебряный век, 2009. For an excellent discussion of this period, see Boris Gladarev, ‘Культура вместо политики : рождение петербургскои общественности из дукха города’, in : M. Pugacheva, V. Vakhshtain (eds.), Пути России. Будущее как культура, Moskva, Novoe literaturnoe obozrenie, 2011, https://cisr.ru/team/ gladarev/. 58. A . Sobchak, Из Ленинграда в Петербург. Путешествие во времени и пространстве, SanktPeterburg, Kontrfors, 1999, p. 7. 59. This plan has been reported to me by sources in a position to know (FN September 2012). For a good discussion of the issues facing St. Petersburg, see Cecil and Minchenok (eds.), St. Petersburg : Heritage at Risk, a joint report of Save Europe’s Heritage and the Moscow Architecture Preservation Society. 60. The word ‘cathedral’ is a slightly inaccurate title of sobor, since properly ‘cathedral’ renders kafedral’nyi sobor, while sobor unqualified refers simply to a large or important church. However, the rendering ‘cathedral’ for sobor is sanctioned by tradition, and hence adopted here. For the same reason, I use the title Kazan′ Cathedral (rather than Cathedral of the Kazan′ Icon of the Mother of God), and so on. 61. Corners were sometimes cut even with famous buildings : for instance, even the official and generally relentlessly upbeat study of Kedrinsky, Kolotov, Ometov, and Raskin, Воссоздание, p. 55, includes the information that when regilding the dome of the Peter and Paul Fortress, ‘the Leningrad master builders decided not to use the old method’ of red lead on linseed oil as an anti-corrosion strategy, since ‘the lead primer takes a very long time to dry, which increases the length of the entire building operation’. The discussion does not reveal whether tests were done to establish the relative stability and durability of the substitute. 62. See my Remembering St. Petersburg, Chapter 3, for a more detailed discussion of this 63. E. A. Sevast′yanova, ‘Реконструкция убранства Казанского собора’, Казанский собор : официальное издание Казанского кафедрального собора 5 (41), 2009, p. 9. 64. In an interview with me in 2009, one of the restorers at the church described this process (which I was also able to see for myself on a visit to the church, including ascent up the scaffolding), but he also made highly critical remarks about restorations taking place in some other ecclesiastical buildings, including an eighteenth-century parish church where the local priest had arranged for overpainting of damaged wall paintings without consulting GIOP. Oxf/ AHRC SPb-09 PF6 CK. 65. Ibid. 66. See e.g. Elena Minchenok, ‘The Crisis of Authenticity’, in St. Petersburg : Heritage at Risk, p. 137-146. 67. See, for instance, Owen Hatherley, The New Ruins of Great Britain, London, 2010. 68. See e.g. ‘ДЛТ после реконструкции открывают на два года позже’, http:// kanoner.com/2012/09/06/60125/, last accessed 28 October 2012. 69. ‘Обновленный Елисеевский магазин разочаровал петербуржцев’, http:// www.rosbalt.ru/piter/2012/03/15/957509.html, last accessed 28 October 2012.

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70. ‘“Живой город” призывает бойкотировать Стокманн’, Regnum 30 November 2010, 71. These comments are based on extensive reading of materials from the archive of VOOPIiK in TsGALI –SPb. (f. 229, see further below) and from Likhachev’s personal archive in the Manuscript Department of the Institute of Russian Literature, Russian Academy of Sciences (OR IRLI RAN). Behind the scenes, the most influential ‘layperson’ in planning decisions from the late 1950s to the early 1980s was Vladimir Ivanovich Pilyavsky (1910-1984), architectural historian, professor at the Leningrad Institute of Construction and Engineering (LISI), and former doctoral supervisor of L. A. Medersky. See my ‘“Одна из грубейших ошибок городского архитектора т. Каменского” : конфликты по поводу реконструкции Сенной площади в (пост)советское время’, publication forthcoming. 72. Letter from Valentina Toporovskaya, 8 December 1984. TsGALI-SPb., f. 229, op. 1, d. 564, l. 6. For a comparable letter from a woman living near the Troitsky-Izmailovsky Regiment Cathedral about the sorry state of the building (Letter of G. L. Burkazova, sent to the Leningrad TV Studios, and from there to VOOPIiK. No later than 13 November 1984), see TsGALI-SPb. 229/1/540/154-154 ob. 73. User Leha in the comments to ‘Елисеевский магазин открывается после реконструкции’, gazeta.spb.ru/664271-0/. 2 March 2012. Accessed 28 October 2012. By ‘pot plant’ the writer refers to the large wooden pineapple that has been a source of derision among many observers of the new interior (see above). 74. http://www.kvadrat.ru/news/04092012_dlt_otkroetsja_posle_rekonstrukcii_6_sentjabrja, users Keti, Miron, Denis. 75. For the distinction, see Boym, The Future. 76. Sobchak seems to have started this : see his Из Ленинграда в Петербург... 77. See, for example, the official site of the project, ohta-center.ru/ru/, accessed 18 October 2013. It should be said that this has not stopped the protests completely, both because the site is said to be of archaeological importance, and because the building of a high-rise is held to distort St. Petersburg’s traditional aesthetic of horizontal construction. (See e.g. the ‘Скажем нет Газпром ’ page on the Vkontakte social website, https://vk.com/club45764, accessed 25 June 2014.) 78. As in the case of the campaign against the redevelopment of the park outside Lomonosovskaya metro station in the 2000s, which united preservationist campaigners against building on a site that had originally housed one of the city’s oldest cemeteries and locals who wanted to retain a ‘green lung’ in their locale. ‘Защитники сквера на ст. метро“Ломоносовская” провели митинг’, http://ikd.ru/node/6593, 3 July 2008, accessed 11 January 2015. See restate.ru/material/53257.html for a report on the campaign as of August 2008, last accessed 18 October 2013. Later materials can be found in the blog entry of 10 March 2010 by Nikolai Lavrent′ev and Ivan Puchkov, forestier.livejournal.com/82236.html, last accessed 18 October 2013. 79. This might seem like so much empty rhetoric, but in fact United Russia’s focus on local issues in campaigning (as in the ‘Vote Petersburg’ sloganeering of December 2011) has made the party vulnerable to criticism where it has been seen as insufficiently responsive to public opinion in the city. Take, for example, the jeering of President Medvedev by Petersburg drivers in October 2012 after the city was brought to a standstill by traffic jams resulting from road closures to accommodate his motorcade (‘Полтавченко и жлобы в Петербурге’, rln.fm/arhiv/politics/ russian/816-poltavchenko-i-zhloby-v-peterburge.html, last accessed 18 October 2013), or the shouts of ‘Poltavchenko Sell Your Dacha’ by Zenit supporters in the same month, after the city governor suggested that the club’s fans should dig into their own pockets and pay for the completion of the former Kirov stadium, whose conversion into a new home for Zenit was way over deadline and budget (Andrei Lyamasov, ‘Фанаты “ Зенита” призвали Георгия

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Полтавченко продать свою дачу’, Ekspressgazeta, 22 October 2012, http://www.eg.ru/daily/ sports/34596/, accessed 29 October 2012). From the early 2010s, the city government in St. Petersburg adopted a rather more conservative attitude to historic buildings (under the new governor Georgy Poltavchenko), though the ties between some major figures in the administration and property development remained close. 80. http://www.liveinternet.ru/community/769936/post87160101/, posted 11 October 2008. Last accessed 18 October 2013. The comments on this site were uniformly positive, so far as the idea of the photo-montage was concerned, though a few criticised the images from a technical point of view (‘mediocre montage’, etc.)

ABSTRACTS

This article addresses the history of attitudes to reconstruction among professional restorers and interested public in Russia. It argues that, in the second half of the twentieth century, an ingrained tendency to disparage reconstruction went alongside an extensive history of highly interventionist projects that, for example, aimed to return a building to its supposed appearance at the so-called ‘optimal date’ (sometimes, but not always, the date when it was completed by the original architect). During the post-war years, this process acquired an ideological overlay because of its association with the drive to put right war damage, and particularly that caused by the invading German forces. ‘Liberation’ of buildings from ‘laters layers’ was accepted policy. This ‘moderated historicism’ was in notable contrast to the treatment of war-damaged historic buildings in some other European countries, for instance Britain (e.g. Coventry Cathedral), though the extensive replanning of entire urban areas in order to reduce density and clear away slums was found in the Soviet Union as well. Remodelling continued to be the professional standard until at least the 1970s, but by the early 1980s, with increasing impact of the Charter of Venice on Soviet practice, it was no longer automatically accepted as best practice. The conflicts continued into the postSoviet period too, with the word ‘reconstruction’ applied both to pastiche newbuild (attacked by some for its flimsiness in historical terms) and to carefully-researched work by professional restorers. The article concludes with material on some particularly controversial recent rekonstruktsii, such as the House of Leningrad Trade department store and the Eliseev Delicatessen.

Ce qu’on appelle « reconstruction » a été diversement perçu et accepté par les restaurateurs professionnels et le public amateur en Russie. Dans la seconde moitié du XXe s., deux tendances se sont opposées : déprécier la démarche elle-même, ou monter des projets hautement interventionnistes qui voulaient rendre à un bâtiment son apparence supposée à une soi-disant « date optimale » (parfois, mais pas toujours, la date à laquelle le bâtiment avait été terminé par son concepteur). Durant les années qui ont suivi la guerre, ce processus a revêtu une dimension idéologique parce qu’il s’est associé aux réparations des dommages de guerre, en particulier ceux qu’avaient causés les forces allemandes. La « libération » des bâtiments des « couches ultérieures » était une démarche acceptée. Cet « historicisme modéré » contrastait avec le traitement des bâtiments historiques abîmés durant la guerre dans d’autres pays européens, par exemple au Royaume-Uni (la cathédrale de Coventry), même si en Union soviétique également ont eu cours des plans d’aménagement urbain radicaux, en vue de mieux répartir la population ou d’éradiquer l’habitat précaire et insalubre. Le remodelage a été le modèle suivi par les

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professionnels jusqu’aux années 1970, voire au-delà ; mais au début de la décade suivante, avec l’impact grandissant de la Charte de Venise sur la pratique soviétique, son influence a été moindre. Durant la période postsoviétique, les conflits n’ont pas cessé, d’autant que le mot « reconstruction », réservé à des restaurations minutieuses et consciencieuses, a été aussi appliqué à des nouvelles constructions au style pastiche (et pas toujours fidèle, d’après certains). Quelques rekonstrukcii récentes sont particulièrement controversées, telle la Maison du commerce de Leningrad et l’épicerie Eliseev.

AUTHOR

CATRIONA KELLY University of Oxford

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Beyond Preservation: Post-Soviet Reconstructions of the Strelna and Tsaritsyno Palace-Parks Par-delà la conservation : les reconstructions postsoviétiques de Strelna et de Tsaritsyno

Julie Buckler

1 Cultural memory turns the past to present purposes, and cultural properties – those physical remains of the past recast as “tangible cultural heritage” – must serve the needs of their changing contemporary circumstances if they are to survive.1 Repurposing physical heritage structures such as historical buildings and monuments proposes a usable past to the public mind, but rarely without controversy.2 Such adaptive re-use projects also foster accompanying forms of cultural production – narratives, representations, practices, and identities that engage the idea of “heritage” as they reconceive it. In David Lowenthal’s blunt formulation, heritage “mandates misreadings of the past.”3

2 This essay tells the story of two Russian imperial palace-parks – Petersburg’s Strelna and Moscow’s Tsaritsyno, both federally protected imperial heritage sites reclaimed from physical ruin in twenty-first century post-Soviet Russia. Both palace-parks were subjected to major, highly controversial reconstruction, and in their new incarnations now assert post-Soviet Russia’s status as the inheritor-heir of imperial Russian cultural property. Both projects also bring into sharp relief the terms of contemporary debate and cultural politics surrounding heritage and preservation in the two cities.4

3 Neither Strelna nor Tsaritsyno had ever attained their originally conceived purposes as major imperial palace-complexes. Both projects were initially embraced by a powerful Russian ruler – Peter the Great (Strelna) and Catherine II (Tsaritsyno) – who then lost interest, turning royal attentions to other projects. Neither Strelna nor Tsaritsyno had been of particular importance during the imperial period – Strelna was a residence for Romanov Grand Dukes and the Tsaritsyno parklands were a popular “romantic” strolling grounds. Neither place had been effectively exploited as a cultural memory

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site or cultural resource during the Soviet period. During the early post-Soviet years, the Strelna and Tsaritsyno palaces lay in ruins as “could-have-beens,” intriguingly suggestive of alternative histories.5

4 At the turn of the twenty-first century, as Vladimir Putin began his first term as Russian President and Moscow mayor Yuri Luzhkov contemplated a second decade in office, Strelna and Tsaritsyno both offered ideal opportunities for the post-Soviet repurposing of cultural heritage – reclaiming the imperial past by fulfilling its unrealized promise, and reconstructing heritage with a creative hand.6 In so doing, post-Soviet Moscow and St. Petersburg might also alleviate their respective sense of historical wrongs, both symbolically and specifically – the abandonment of Moscow as the imperial capital by Peter the Great in 1713 and the dethroning of St. Petersburg by the in 1918. Moscow would construct its own imperial palace-park to rival those in Petersburg, and Petersburg would share Moscow’s status as the symbolic center of state power.7

5 By 2007, Strelna and Tsaritsyno had become the most expensive showpiece restoration projects undertaken in their respective cities. The completed restorations were marked by major post-Soviet jubilee celebrations – the St. Petersburg 2003 tri-centennial for Strelna and the 860th city anniversary of Moscow in 2007 for Tsaritsyno. Strelna is now the presidential “Palace of Congresses,” most recently the site of the September 2013 international “G20 Summit.” Tsaritsyno is a popular imperial-themed recreational museum-park.

6 In Pierre Nora’s famous characterization, a lieu de mémoire is a cultural site, physical or symbolic, where collective memory “crystallizes and secretes itself.”8 For Nora, lieux de mémoire are dynamic entities, constructed and reconstructed across history in response to new circumstances. In writing their histories, he declared himself “less interested in ‘what actually happened’ than in its perpetual re-use and misuse, its influence on successive presents; less interested in traditions than in the way in which traditions are constituted and passed on.” Nora’s memory sites thus figure “neither a resurrection nor a reconstitution nor a reconstruction nor even a representation but, in the strongest possible sense, a ‘rememoration’.”9 While “remembering” strives to resurrect an imagined past, “rememoration” narrates the cyclical histories of forgetting and reclaiming that shape collective memory sites.

7 The influential concept of lieux de mémoire from modern French cultural history is not a bad fit for post-imperial Russia, since French lieux arose from the need to retool ancien régime sites and signs following the French Revolution, just as the Bolsheviks had to find ways to re-use the vast cultural properties of tsarist Russia they had inherited after 1917.10 Nora’s massive history-of-memory project countered France’s uncertain sense of itself as a modern state during the 1980s-90s Mitterrand period, a time perhaps loosely analogous to post-Soviet Russia’s search for cultural continuities during a time of political transition. For Georges Nivat, the discontinuities in Russia’s history have made the collective cultural memory under study all the more fragile and thus essential to articulate. In Nivat’s view, post-Soviet Russia has suffered from “hypermnesia,” caused by a confusing array of often contradictory historical narratives that then call forth a firm official settling of debates.11

8 The major Russian imperial palace-parks are “classic” examples of Russian lieux de mémoire, vested with enormous symbolic capital today, having triumphed over the vicissitudes of history, akin in this respect to Versailles or the Louvre. Beginning in the

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time of Peter the Great, the Petersburg palace-parks – including Peterhof, Oranienbaum, Tsarskoe Selo, Pavlovsk, and Gatchina – were summer residences for the tsars, as well as showy platforms for impressing foreign dignitaries and the Russian people. The palaces were filled with rich furnishings and art treasures, and their landscaped grounds were dotted by monuments and architecturally diverse auxiliary buildings. In 1917, the St. Petersburg tsarist palace-parks were symbols of a monarchy that had fallen out of touch with the times, and after 1918, they were museums with somewhat uncertain status whose collections were nationalized by the Soviet government.12 In 1941, the palace-parks were threatened by the invading Germans and heroic efforts were made to rescue their contents before they were occupied and largely ruined. In the wake of the war, the Petersburg palace-parks were precious repositories of Russian cultural heritage that merited all possible resources for their careful restoration.13 During the late Soviet period, the palace-parks were beloved cultural sites, a favorite destination for Russian families and foreign tourist groups. In 1990, UNESCO added to its World Heritage list the St. Petersburg historical center and surrounding environs, a protective move intended to assure the safety of these major cultural heritage sites during a time of political transition in Russia.14 In 2008, Peterhof was named one of the “Seven Wonders of Russia.” Tsarskoe Selo celebrated its tri- centennial with great pomp in 2010, as did Oranienbaum to a lesser degree in 2011.

9 Despite the untouchable status of the main palace-parks in Petersburg and the federally protected status of both Strelna and Tsaritsyno heritage sites, however, these latter two reconstruction projects took what specialists considered unforgivable liberties, overwriting historical design, adding completely new structures to the grounds, and blurring the boundaries between copies and authentic artifacts, reproductions and inventions.15 Nevertheless, as I hope to show, the controversial reconstructions of Strelna and Tsaritsyno, although they differ in many ways from the professional restoration treatment given to the established Petersburg palace-parks, nevertheless enact contemporary versions of “rememoration” as Russian lieux de mémoire in the active process of cultural movement. This essay is based on my own visits to both Strelna and Tsaritsyno, as well as on scholarly literature and journalism.

10 As a point of departure for the controversies, the 1964 Venice Charter for the Conservation and Restoration of Monuments and Sites provides an international framework for the preservation and restoration of historic buildings. Restoration is serious business that entails returning buildings16 or monuments to their original appearance, using materials and technologies as close as possible to the original, striving to “preserve and reveal the aesthetic and historic value of the monument,” the whole supervised by public authorities for the preservation of cultural heritage. Reconstruction, in contrast, is a slippery concept, referring to the fundamental rebuilding of a structure based on its remains, without absolute recourse to the strict requirements regarding materials and technology that govern restoration. Specialists see reconstruction as closer in spirit to restoration, whereas non-specialists are more likely test the limits on use of new materials and changes to the historical structure, especially those not visible from the façade.

11 In Russian, the terms restavratsija and rekonstrukcija correspond closely to their English counterparts, and these terms were in use during the late Soviet period when restoration work was considered a science. Descriptions of the postSoviet Strelna and Tsaritsyno projects do use the terms restoration and reconstruction, but just as often

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choose non-scientific terms with ideologically-charged overlapping valences – words like vossozdanie (re-creation), vosstananovlenie (rebuilding, renovation), vozroždenie (rebirth, renaissance, regeneration), and vozobnovlenie (renewal, revival). These terms obscure the hard questions that preservation specialists pose, while presenting the projects to the public in strongly positive terms. And yet, the multivalent vocabulary used to characterize their reconstructions does correspond to the terms of Nora’s lieux de mémoire discourse, and the Strelna and Tsaritsyno reconstructions do warrant some comparison to the vigorous repurposing of royal remains in Republican France. This is why today’s Strelna and Tsaritsyno, in addition to reviving traditions from the past, actively assert and celebrate themselves by choreographing tours, mounting museum exhibitions, holding conferences, and publishing guidebooks and scholarly works about themselves.

12 At both Strelna and Tsaritsyno, imperial palace-parks were “restored” to post-Soviet Russia, conferring cultural authority by positing as heritage that which “should have been.” In this sense, Strelna and Tsaritsyno are “reconstructions” – of cultural heritage itself – and in this, they perform the primary modern cultural function of memory lieux.

Strelna: Seat of State Power and Imperial Showcase

13 Visible from the Peterhof road from behind its guarded gates, the pale-yellow Italian Baroque-style Konstantinovsky palace anchors the grounds of the Strelna complex, an area of more than five hundred acres and one of only three major French-formal landscape parks in Russia. The Strelna website trumpets the significance of the palace reconstruction project, completed in 2003: “Konstantinovsky Palace is not just the architectural dominant of Strelna, it is the new symbol of St. Petersburg. In the twentieth century, Peter the Great’s idea of creating a ‘Russian Versailles’ as a diplomatic ‘window to Europe’ has come to full fruition. ”17 And indeed, the triple arcade of the Konstantinovsky Palace, as seen from the parade ground in front of the palace, frames the Finnish Gulf, in a literal rendering of the famous “window to Europe” metaphor from Alexander Pushkin’s narrative poem, ‘“The Bronze Horseman.” The poem’s opening is set at the turn of the eighteenth century, when Peter contemplated his grand project of founding a new Russian capital.18 Casting Konstantinovsky Palace as the new symbol of Petersburg rewrites Peter the Great’s legacy, however, since Peter abandoned the Strelna construction project in the early 1720s, after discovering the superior topographical situation of nearby Peterhof for his planned system of elaborate fountains. (fig. 1)

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1. Strelna as Window to Europe

© Julie Buckler

14 The new Strelna is at great pains to emphasize its direct link with Peter the Great, in ways that sometimes seem inadvertently ironic. A conventional equestrian monument to Peter, installed in 2003, stands prominently in front of the palace. This particular monument is neither a valuable period original nor a vibrantly conceived contemporary monument, however. It is a copy of an undistinguished Peter monument installed in Riga in 1911 to commemorate the 200th anniversary of Lifland’s incorporation into the , an event not very warmly celebrated there in 1711, 1911, and not regarded with any great enthusiasm in 2003.19 On the other hand, in 2004, the whimsical sculptural composition “Tsar Strolling” was installed in the Strelna park, close to the water –the work of Mikhail Shemyakin, creator of the irreverent 1991 seated Peter sculpture at the Peter-Paul fortress. Standing together to welcome guests arriving at Strelna by boat and looking outward to the Gulf, stylized figures of Peter and his wife Catherine hold hands, accompanied by two borzois and a dwarf. The co- presence of these two very different Peter sculptures creates an uncertainty of tone; unreflective conventionality clashes with updated contemporary characterization.

15 The new official mythology of Strelna makes this palace-park central in a way that was never historically the case. “The restoration of the Strelna palacepark ensemble has become one of the symbols of great Russia’s rebirth and its national cultural heritage,” the website declares. In fact, the new “Palace of Congresses” somewhat awkwardly combines the functions of state facility, historical-cultural preserve, and high-level venue for businesses and cultural groups. Strelna is not a museum, although it does have an art collection, some of it permanently displayed, and features diverse small temporary exhibitions in its auxiliary buildings. Strelna resembles the more traditional Petersburg palace-parks in the décor of its grand halls, but in contrast to Peterhof and

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Tsarskoe Selo, public access to Strelna is unpredictable, the level of state security is marked, and visitors are not allowed to wander freely through the grounds. (fig. 2)

2. Security at Strelna

© Julie Buckler.

16 The second half of the nineteenth century was Strelna’s heyday, when Grand Duke Konstantin Nikolaevič and his large family lived there, and the palace was renamed “Konstantinovsky.”20 Konstantin Nikolaevič was an active official personage – Admiral- General of the Russian Navy, chairman of the Russian Geographic Committee, and president of the Russian Musical Society. The maritime affinity between these two former masters of the palace-park undergirds the mythology of the new Strelna complex. Alongside Strelna’s association with Peter the Great, the Konstantinovsky Palace is thus touted as “a reborn monument of Russian nineteenth-century architecture, a former residence of the Great Princes of the Romanov House.” Invoking the Konstantinoviči creates a direct link between the contemporary Russian Federation and several symbolically weighted imperial military and cultural institutions, repairing the ruptures created by the Soviet period.

17 In 1911, the Strelna palace passed from Konstantin Nikolaevič’s widow to his son Dmitri, who lived there until his 1918 arrest and 1919 execution at the Peter-Paul Fortress. After the Bolshevik revolution, Konstantinovsky palace’s contents – the paintings, furnishings, precious objects, and books – were emptied out and dispersed. Some items were absorbed by museums, others were offered at auctions in Europe by the Soviet government, some things simply disappeared.

18 Strelna deteriorated rapidly during the 1920s when the palace served as a facility for homeless children.21 In this, Strelna’s fate paralleled that of the palaces and mansions within Leningrad city territory that housed local political organs, trade unions, retirement homes, and pioneer clubs. During the late 1930s, the Konstantinovsky

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palace was prepared for conversion to a neurological sanatorium, but in 1941, the invading Germans occupied Strelna. The extensively damaged palace-park was liberated in 1944, and the palace was partially reconstructed to house the Leningrad Arctic Institute. After the Institute’s liquidation in 1991, Strelna was leased to the investment company “ROLS” while potential investors for renovation were sought. Strelna stood ruined and deserted throughout the 1990s, a poignant place for a post- Soviet stroll.

19 In 2000, the possibility was raised that a reconstructed Strelna could become a maritime “presidential residence” and museum. The Strelna project seemed a hopeful sign in light of the major restoration work needed for Petersburg’s historic center, and was welcomed by the press and public.22 With private companies and citizens donating funds and allegedly little or no state money involved, the project eventually cost in excess of three hundred fifty million dollars.23 The extensive restoration project – dubbed “Putinhoff” by the press – spurred a great deal of agitated discussion.24 It was eventually settled that Strelna would be a “state residence-museum” (gosrezidentsija) rather than a higher-status “presidential residence. ”25 In its new incarnation as the “Palace of Congresses,” Strelna would host “scientific, cultural, and civic-political functions at the state and international level,” and be open to the public at other times. 26 But one journalist mused, “Such is the gift that the president confers upon his native city [for the 300th anniversary of its founding]... Or is the gift actually for the president himself?”27 Spokespeople for the Konstantinovsky project were at pains to emphasize that the president would not live in the main palace, despite the symbolic formal presidential apartments that would be constructed upstairs.

20 Six thousand workers in round-the-clock shifts completed the Strelna restoration in time for St. Petersburg’s tri-centennial celebration in spring 2003.28 Some of the facades and interiors of the palace from the Konstantinoviči period were reconstructed from original plans by the nineteenth-century architect Andrei Štakenshnejder, with the Hermitage Museum overseeing the interior decoration of the reception rooms. The recreated Marble and Blue grand reception rooms were intended for primary large- scale summit meetings. Builders followed Jean-Baptiste Alexandre Le Blond’s original Petrine-era designs to embellish the park with pavilions, bridges, and canal-ways that had previously existed only on paper. The Strelna restoration thus combined park elements from the early eighteenth century of Peter the Great with interior restorations from the nineteenth-century “Konstantinovsky” period.29 Other aspects of the “restoration” were more questionable. A fantasy ship’s-cabin Belvedere Room in dark wood was created for intimate high-level diplomatic armchair conversations. The “Consular Village,” a grouping of twenty VIP-class cottages arranged to resemble a map of Russia in miniature, each cottage bearing the name of a Russian town, adapted a device used on the topography at Versailles. The new five-star Hotel Baltic Star offered state-of-the-art conference facilities, a fitness center, and the restaurants Russian Versailles and Northern Venice. The extensive wine cellar that had existed at Strelna in the eighteenth century was recreated. A Pavilion of Negotiations was constructed on the site of the Temple of Water designed by Le Blond. The former imperial stables were designated for the administrative offices of the “Palace of Congresses,” and the former imperial Yacht Club became the new Press Center.

21 In 2008, for the five-year anniversary of the Strelna restoration, businessman Ališer Usmanov purchased the large and diverse Rostropovich-Višnevskaja collection of

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Russian art from Sotheby’s for a fabulous sum and had it installed in the Konstantinovsky palace museum on indefinite loan. Including works by Antropov, Borovikovskij, Venecianov, Repin, Serov, Aivazovskij, Levitan, Korovin, Grabar′, Bakst, Roerix, Sudejkin, Gončarova, and Nesterov, the collection has been termed a “smaller Russian Museum.”30 The symbolically weighted “return” of material artifacts to Strelna and its prestigious art collection adds to the presidential luster at the Palace of Congresses. Strelna exists within a network of powerful cultural institutions that includes the Hermitage, which took a direct hand in Strelna’s rebirth, lending its credentials to the restoration project. Strelna is also under direct supervision of nearby Peterhof as part of the network of Petersburg palace-park museums. Strelna hosts lecture series for the public and is developing its profile as a scholarly conference venue for museum specialists and other culture workers.31

22 Strelna also functions as a historical-cultural center, engaged in resurrecting many imperial traditions. Strelna’s musical concerts are dedicated to the rebirth of the Russian Musical Society, an organization important to the Konstantinoviči. On May 29, 2010 the “War and Peace” ball, held since 1988 in London, took place at Strelna, two hundred years after Natasha Rostova’s first ball in St. Petersburg.32 Members of today’s titled aristocracy, both Russian and European, were in attendance, and invitations were made to the heir to the Russian throne, his Imperial Highness Tsesarevič-Heir and Grand Prince Georgy Mixailovič Romanov. The Palace holds a formal annual reception for the graduates of Russian Federation military schools, at which young lieutenants receive the gold “Konstantinovsky” medal. And each Victory Day (May 9), the cadet corps joined by WWII veterans demonstrate military formations on the Konstantinovsky parade-square. The Soviet period is not neglected, however, and Strelna has commemorated the Leningrad Blockade with several different events in early 2015. The well-equipped Strelna facility also hosts diverse additional functions at the “highest level” – a mantra reverently repeated on the website – such as scientific and political forums, corporate presentations, society galas, charitable auctions, and fashion shows, all of which partake in a share of Strelna’s reconstructed imperial grandeur.

23 Strelna enjoys a higher cultural status today than it ever did, and the Strelna website displays a prominent home-page link to the Russian Federation’s presidential website – udprf.ru/. As the new “Palace of Congresses,” the renovated Konstantinovsky Palace hosted more than fifty heads of state during St. Petersburg tercentenary celebrations in 2003. Three years later, in July 2006, Strelna hosted the 32nd G8 summit, an event widely covered in the international press and throughout Russia.33 Most recently, the G-20 economic summit of September 2013 was held at Strelna. Among other high-level events, Strelna has also hosted heads of the European Union, leaders of the Independent States (SNG), the Council of Eurasian Economic Cooperation, and leaders of the Baltic and other neighboring states. Strelna also functions as a post-Soviet-style “business center,” as attested by the photos and descriptions of many such events on the complex’s website.

24 Is it fair to call the new Strelna a “Russian Versailles”? Certainly, Strelna cannot claim the imperial pedigree and grandeur of historical Versailles – the Russian “Sun King” never reigned at Strelna, after all – and Strelna cannot compete with the world-class status of Versailles as an architectural monument, art museum, or tourist destination. Still, Versailles, like Strelna, suffered the denuding of its imperial furnishings after a

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revolution, and experienced the humiliation of occupation – by new German Emperor Wilhelm in 1871 and by Hitler in 1940. Versailles had to renew and diversify its cultural functions at many different historical junctures.34 Like Strelna, Versailles today is a government “facility,” used to host the 1987 G-7 economic summit and broadcasting portions of the proceedings on television. Like Versailles, Strelna has claimed the status of a Russian lieu, concealing the historical discontinuities that inevitably shape cultural memory, while remaining, in Nora’s words, “forever open to the full range of its possible significations.”35

Tsaritsyno: Twenty-First Century Museum-Park And Imperial Fantasyland

25 The Tsaritsyno website proudly asserts the oxymoronic nature of the palacepark’s restoration: “The nearly unbelievable rebirth of Catherine the Great’s unrealized residence in the Moscow environs has come to pass in our time.”36 Tsaritsyno’s contemporary multi-functionality is signaled by the contrasting hyphenated terms that define its identity – historical-cultural and leisure-recreational. The reconstructed palace-park’s hybrid historicity is also reflected in first impressions: on entry to the grounds from the Orexovo metro station, as the visitor passes through a gate punctuated by the Romanov two-headed eagle emblem, an electronic signboard advertises Tsaritsyno excursions. From the heights of the paths that lead to the palace complex, distant construction cranes, new post-Soviet housing, and older Khrushchev- era apartment blocks are visible.

26 In 1775, Catherine the Great purchased the estate-settlement, which had belonged to a succession of noble families, and named it Tsaritsyno. From 1776-1785 architect Vasilij Baženov worked on the new palace complex – a neo-gothic design in red brick and white stone. In 1786, however, a dissatisfied Catherine ordered the structure significantly dismantled. Architect Matvej Kazakov then took charge, modifying the design, but the Tsaritsyno project was plagued by problems, and the Grand Palace remained unfinished when the Empress died in 1796. The parklands were developed in the early nineteenth-century and became a favorite destination for late-imperial strollers, while the abandoned palace structures deteriorated. During the second half of the nineteenth century, plots of Tsaritsyno land were leased for dacha construction, accessible via a new railway line.

27 In 1880, the roof of the main palace partially collapsed, and in 1891, cultural historian Mikhail Pyljaev wrote, “The building, with its eight high towers resembles some kind of gigantic coffin, standing on the catafalque and surrounded by what appear to be gigantic monks with candles in their hands, standing motionless. This unlucky construction creates a melancholy, oppressive impression.”37 Pyljaev was repeating an observation that had often been made about Tsaritsyno, attested in numerous nineteenth-century sources, and reflecting the site’s mythos of “romantic ruins.”38

28 After the 1917 Revolution, Tsaritsyno was placed under supervision of the Moscow museum section Glavnauka, and in 1927, a small historical museum was established there. In 1937, the museum was closed, replaced by a workers’ club and a movie theater. In 1939, the church on the complex was closed and the church building was outfitted with a transformer substation. An auxiliary building in the complex was given

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over to the regional executive committee (raiispolkom) and a Lenin statue appeared out front. The Bread House – the palace’s kitchen complex – housed communal apartments. 39 A plan was floated to turn the Tsaritsyno complex into a sanatorium, but as in Strelna’s case, World War II intervened.

29 In 1960, Tsaritsyno along with the rest of the regional center Lenino was incorporated into the expanding Moscow city territory and the area was transformed from a rural settlement to a city suburb.40 Specialists prepared a comprehensive restoration plan for the palace complex, but progress was slow. In 1984, Tsaritsyno was slated by the Ministry of Culture for re-purposing into the new State Museum of Decorative Arts, a consummately Soviet project in the works since the late 1950s, and for which a substantial collection had been amassed.41 Upon the dissolution of the Soviet Union in 1991, however, the idea of a museum with traditional arts from each Soviet republic lost some of its force, although the existing artifacts were exhibited in various locations and the collection continued to grow. In 1993, the site was renamed the State MuseumPreserve Tsaritsyno and added to the federal register of historically and culturally significant monuments. Gradual restoration work on the complex’s various auxiliary structures continued, but the Great Palace and the Bread House still lay in a ruined state throughout the 1990s and the early 2000s.42

30 In 2004 the Russian federal government transferred Tsaritsyno to the supervision of the Moscow City government, providing Mayor Yuri Luzhkov license to forge ahead with his pet project. Luzhkov’s stated intention was to build “Moscow’s Peterhof” for the post-Soviet era and to create a museum with standing comparable to that of the Hermitage.43 In short order, “romantic ruins” were transformed into an “imperial palace-park ensemble for the people.”44 The new Tsaritsyno, with the Great Palace halls decorated in “eighteenth-century style,” proposed post-Soviet Moscow as the heir to Catherine the Great’s “Golden Age,” issuing a brash challenge to St. Petersburg’s Tsarskoe Selo. But the Tsaritsyno project also brought into sharp focus the inability of watchdog institutions such as Rosoxrankul′tura, Moskomnasledie, and the Federation’s General Prosecutor to enforce federal heritage protection laws and to limit the scope of the reconstruction plans.

31 Aleksej Komeč, the respected director of the Moscow Art History Institute, pronounced the planned approach of the intended restoration incompatible with modern scientific standards of restoration.45 Komeč termed the new Tsaritsyno a ‘fantastical restoration’ and famously warned, “We will choose whatever past takes our fancy and we will have the historical legacy that we invent for ourselves.” Mixail Posoxin, director of Mosproyekt-2, the architectural firm that oversaw the Tsaritsyno restoration, argued that “authenticity” could not serve as the standard precisely because the buildings and their interiors had never been completed.46 Still, in earlier years, some specialists had advocated for preserving the Great Palace as a “lasting historical ruin” like the Acropolis or the Coliseum, accessible through a modern museum “shell,” with new facilities constructed for other exhibitions.47 Luzhkov’s plan for Tsaritsyno went forward despite all objections, and the mayor famously exclaimed, “Fairwell, melancholy ruins! Hail to the reborn Tsaritsyno!”48

32 Seven thousand workers accomplished the 2005-2007 Tsaritsyno restoration work, which cost well over half a billion dollars. The construction of a glass cupola over the inner courtyard of the Bread House was particularly controversial, as this significantly altered the building’s silhouette, although it did create a striking atrium space for

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classical concerts.49 The greatest objections were raised about the restored roof of the Great Palace – a composite of plans made by Baženov and Kazakov – now light-green instead of the former gloomy black, and finished off with invented gilded detailing. Several completely new objects appeared within the palace complex territory and its environs, including a transformer booth in a “Gothic” style and an infamous computer- synchronized fountain with music and colored lights. (fig. 3)

3. Bread House and Tsaritsyno Main Palace

© Julie Buckler.

33 A flashy new Catherine Hall was created by combining rooms from the first and second floors of the never-previously-furnished Great Palace. The theme “Catherine’s Triumph” dominates the Hall, which features a triptych of her coronation, and gilded letters spelling out the monarch’s declaration: “Power without the people’s trust is meaningless” (Vlast′ bez doverija naroda ničego ne značit).50 The Hall’s centerpiece is a historical marble Catherine statue, a late nineteenth-century three-ton sculptural work by Alexander Opekushin that languished for decades in the storage vaults of museums in Petersburg, Moscow, and Erevan, after gracing the Moscow Duma for the brief period 1896-1917. (But like Strelna’s Shemyakin sculpture, Tsaritsyno also features a whimsical contemporary signature piece – Leonid Baranov’s 2007 rendering of architects Baženov and Kazakov, in the friendly stance of “two pals,” greeting visitors to the museum courtyard.) Like the Catherine Hall, the new Tauride Hall, which features a white Steinway piano for concerts, includes paintings that present contemporary renderings of historical themes in historical styles, creating a confusing irreality-effect. The Tsaritsyno guidebook justifies the new grand interiors as “an interesting pop (postmodern) interpretation of the devices of classical Russian art by contemporary artists.”51 (fig. 4)

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4. Tsaritsyno’s Catherine Hall

© Julie Buckler.

34 Aleksej Klimenko, Vice President of the Academy of Artistic Criticism, claimed the Tsaritsyno restoration broke fifteen different laws, for which comment Luzhkov launched an anti-defamation suit against him.52 Edmund Harris, a trustee of the Moscow Architectural Preservation Society (MAPS), compared the hasty and inauthentic “restoration” at Tsaritsyno unfavorably with the painstaking reconstruction of the Petersburg palace-parks following the Nazi invasion, declaring the result “an entirely new building incorporating historic fragments.”53 Journalist Grigory Revzin wrote, “The actual monument has been destroyed – irretrievably, in an irremedial manner, and I must add, triumphantly – spitting in the face of all of academic Russia – historians, art historians, museum specialists.”54

35 Tsaritsyno’s museum collections in the Great Palace and the Bread House now make use of new exhibition space that the Tsaritsyno website terms “a museum of the 21st century.” A glass pavilion in the main palace inner courtyard, modeled after the Louvre, leads down by escalator or elevator to the museumexhibition complex. Among the permanent exhibitions in the Great Palace basement is “The Past and Present of Tsaritsyno,” as reflected in visual materials, including drawings, sketches, and old photographs.55 The guidebook for this particular exhibition is titled “The Empress’s Secret,” and invites visitors to investigate the mysteries of Tsaritsyno’s troubled history and to vote for the explanations that seem most persuasive.56 In this way, the populist atmosphere promoted by the museum-preserve is made to confirm the purportedly legitimate, scholarly nature of the reconstruction. In contrast, the temporary exhibitions at Tsaritsyno emphasize imperial glamour – its images and ephemera. The exhibition “The Grand Ball of the XVIII-XX Centuries” featured elaborate period costumes, paintings and posters, and accessories such as fans, playing

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cards, shoes, and snuffboxes. “The Eighteenth Century on the Screen: Catherine the Second and Friedrich the Second” treated period-style films and used multiple screens to project the films, also displaying film production equipment, costumes, and royal props. The second floor of the Bread House houses the permanent exhibition “Art within the Borders of the Soviet Union,” which exhibits traditional arts and crafts from the old Soviet State Museum of Decorative Arts collection, a nostalgic if sometimes incongruous tribute to the old Soviet past, countered by the growth of the collection to include contemporary works from the former republics.

36 The English-style “landscape” park at Tsaritsyno and its pavilions have been updated, with the addition of new statues in “antique” styles by contemporary sculptors such as Alexander Burganov. The reconstruction results in some curious temporal juxtapositions, as in the case of the 1804 “Ruined Tower,” a typical caprice of Pre- Romantic landscape parks, which had become a real ruin by the end of the nineteenth century. The spruced-up contemporary version of the “Ruined Tower” includes an incongruous metal staircase that allows visitors to enjoy the view from the top.

37 The Tsaritsyno grounds have struck cultural commentators as a hybrid of two distinct public park types.57 The first type, the Soviet “people’s park” (Park kul′tury i otdyxa), was itself a hybrid of cultural recreation-space for the masses and exhibition-space for their production achievements. The second type of public outdoor recreation space evoked by the new Tsaritsyno is the contemporary multi-functional mass-entertainment theme-park.58 Tsaritsyno also maintains a staunchly populist and communitarian image, with its many family programs, annual festival of honey producers, children’s events, folkdance performances, and traditional Russian festivals.59 And now Tsaritsyno is one of the sites of Moscow’s popular new annual Circle of Light festival, which features intricate lighting installations and illumination spectacles, including 3D video mapping projections on building facades, and accompanied by music and live performing artists.

38 More than anything else, however, Tsaritsyno is a portal into an imperial fantasyland. The Tsaritsyno museum-preserve offers special “theatricalized” and “interactive” excursions, populating the rooms of the Great Palace with actors in costume to enhance corporate or other private functions “at the very highest level.” These programs present Tsaritsyno as an authentic reanimation of the imperial past, rather than a contemporary creation that manifests a fictional version of history – the Catherinian court atmosphere that never actually reigned at Tsaritsyno.60

39 Tsaritsyno has been reviled by its critics as a “Russian Disneyland,” but is the Tsaritsyno “reconstruction” more deserving of this epithet than, for example, the late nineteenth-century Russian Revival architectural style favored by Alexander III, which proposed a visual unity with the sixteenth-century St. Basil’s Cathedral and posited a continuity of style that had not existed in history?61 The State Historical Museum, old Moscow City Hall building, and the Upper Trading Rows – all faux-Russian Revival buildings – are now seen as valuable federally-listed heritage structures, no less valuable than their “authentic” Muscovy-era predecessors, which were themselves updated over the centuries in ways that today’s specialists would deplore. Might Tsaritsyno also someday be seen as a valuable heritage structure in these same terms? Andreas Huyssen argues, “We cannot simply pit the serious Holocaust museum against Disneyfied theme parks... Once we acknowledge the constitutive gap between reality

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and its representation in language or image, we must in principle be open to many different possibilities of representing the real and its memories.”62

40 The new Tsaritsyno raises the challenging question of historical “authenticity” and cultural heritage, the extent to which our embrace of authenticity as a cultural imperative for heritage structures in the present is itself a relatively recent historical phenomenon. Without in any way mitigating the violations of preservation principles at both sites, we might also consider Strelna and Tsaritsyno along a much wider spectrum of heritage re-uses, both historical and contemporary, in Russia and elsewhere.

Comparisons and Conclusions

41 Despite the strenuous efforts and insistent rhetoric surrounding their contemporary incarnations, the reconstructed versions of Strelna and Tsaritsyno share an eerie air of unreality. Although Strelna is officially a presidential residence, no one actually lives there, and no one has ever lived at Tsaritsyno. The palace interiors of both sites feature paintings, sculptures, furnishings, and panels that are either copies of real historical works or original works by contemporary Russian artists executed in historical styles or depicting historical scenes. In some cases, the visitor may actually be in the presence of the original historical work of art, but it is often impossible to understand the origin, authenticity, or author of any given object. The uninhabited nature of both palaces – except for very brief and purely symbolic state affairs at Strelna – coupled with the manifold contemporary multi-functionalities of both, gives them a hollow quality. In Nora’s words, the palaces have been “torn away from the movements of history, then returned: no longer quite life, not yet death, like shells on the shore when living memory has receded.”63 But in fact, the massive and ostentatious palace-parks were always cavernous half-realities that served as sites for staging “invented traditions.”64

42 What has been lost at both Strelna and Tsaritsyno is their authentic “ruinvalue.” In the words of Julia Hell and Andreas Schönle, ruins suggest a transcendence of the present, evoking “divergent memories,” provoking “democratic debate” vital to a civil society “properly cognizant of its own historicity.”65 Tsaritsyno might have continued its long life as a beloved nineteenth-centurystyle romantic ruin, but perhaps canonized as such within a self-aware contemporary museum frame. Strelna, in contrast, might have served as a standing ruin to the combined destructive force of the Soviet state and the German invaders, a monument to the ill-treatment meted out by the twentieth century to so many Russian heritage structures.

43 In the 1990s, both Strelna and Tsaritsyno in their ruined states represented, by virtue of their respective misfortunes, what Alois Reigl called “unintentional monuments” – structures with age-value that illustrated their contingent histories.66 These are precisely the heritage structures that are most vulnérable to uncertainties of the present, often treated ruthlessly or even torn down to create room for contemporary needs. With a view to their use-value in the postSoviet present, both Strelna and Tsaritsyno have been remade as “intentional monuments,” and thus have a renewed life. But who is to say how either will be perceived in the future, and in what condition they will exist?

44 Post-Soviet Strelna and Tsaritsyno represent diverse forms taken by contemporary Russian reclamation, repatriation, and revival of traditions from the imperial period.

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Strelna is committed to resurrecting official tsarist traditions such as military cadet graduation ceremonies and grand balls. Tsaritsyno mounts lavish exhibitions with high-imperial themes. Both also serve popular as well as elite purposes, staging “mass” celebrations of folk holidays and popular anniversaries “(World War II, Pushkin’s birthday) a practice in keeping with imperial times.”

45 Post-Soviet nostalgia for the imperial past is unmistakable at both Strelna and Tsaritsyno, but the ornate tsarist trappings also paradoxically evoke a wistful sense of the Soviet era. “Palace of culture” was, after all, an imperial concept both semantically and physically rehabilitated for ordinary Soviet citizens after the 1917 Revolution, as was the Soviet cultural institution of the “Park of Culture and Rest” that transformed so many imperial gardens. Today, the general tenor of the many occasions for recognizing civic contributions and awarding prizes at Strelna and Tsaritsyno evinces a stuffy and carefully-performed formality strongly reminiscent of Soviet times. And the stern security-heavy atmosphere at Strelna has a distinctly Brezhnev-era tone. The significant portion of the Tsaritsyno Bread House devoted to a permanent exhibition from the old USSR decorative-arts museum project may remind some visitors of the incongruous Soviet-era uses of the ruined Tsaritsyno palace-complex – communal apartments, movie theater, hippie hang-out, and alpinist training resource, among others.

46 As sham “reconstructions,” Strelna and Tsaritsyno figure a specious historical continuity as sites for remembering what never was. But as Nora reminds us, lieux de mémoire “only exist because of their capacity for metamorphosis, an endless recycling of their meaning, and an unpredictable proliferation of their ramifications.”67 Lieux are defined by their talent for escaping from history, adapting to changing historical circumstances, and profiting from historical discontinuities by reinventing themselves. This would make today’s Strelna and Tsaritsyno lieux de mémoire par excellence.

NOTES

1. Strong expressions of this view can be found in Kevin Lynch, What time is this place?, Cambridge, MA, The MIT Press, 1972, and Stewart Brand, How buildings learn: what happens after they’re built, New York, Viking, 1994. 2. For studies of cultural heritage objects and their contemporary predicaments, see David Lowenthal, The Past is a Foreign Country, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 1985; Raphael Samuel, Theatres of Memory, Vol 1.: Past and present in contemporary culture, London, Verso, 1994; Alexander Stille, The future of the past, New York, Farrar, Straus, and Giroux, 2002; Andreas Huyssen, Present pasts: urban palimpsests and the politics of memory, Stanford, Calif., Stanford University Press, 2003; and the “Time and Memory” section of Twilight memories: marking time in a culture of amnesia, New York, Routlegde, 1995. For a broader treatment of the present past, see Jacques Le Goff, History and memory, trans., Steven Rendell and Elizabeth Claman, New York, Columbia University Press, 1992; and Alon Confino, “Collective Memory and Cultural History: Problems of Method,” The American historical review 102, no. 5, December 1997. For general background on the modern notion of monuments, see Françoise Choay, The invention of

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the historic monument, Cambridge, UK, 2001. See also Alois Riegl, Der moderne denkmalkultus, sein wesen, seine entstehung, Vienna, W. Braumüller, 1903. For an English translation of Riegl, see K. W. Forster and D. Ghirardo, “The modern cult of monuments: its character and origin,” Oppositions 25, 1982. 3. David Lowenthal, The heritage crusade and the spoils of history, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 1998, p. 129. 4. For investigation into the current fate of cultural heritage monuments in Russia’s two most important cities, see Edmund Harris, ed., Moscow Heritage at Crisis Point (second edition), Moskva, MAPS et al., 2009, and Clementine Cecil and Elena Minchenok, eds., St. Petersburg: Heritage at Risk, London, MAPS et al., 2012. Other studies of post-Soviet attitudes toward cultural heritage include Bruce Grant, “New Moscow monuments, or, states of innocence”, American ethnologist 28, no. 2, May 1, 2001, and Benjamin Forest and Juliet Johnson, “Unraveling the Threads of History: Soviet- Era Monuments and Post-Soviet National Identity in Moscow,” Annals of the association of American geographers 92, no. 3, September 2002. See also selected essays in: Julie A. Buckler and Emily D. Johnson, (eds.), Rites of Place: Public Commemoration in Russia and Eastern Europe, Evanston, Ill., Northwestern University Press, 2013. 5. This suggestion of alternative histories is one of the primary functions of ruins, as described in the introduction to Andreas Schönle, Architecture of oblivion: ruins and historical consciousness in modern Russia, DeKalb, Ill., Northern Illinois University Press, 2011, p. 28. 6. Luzhkov’s most famous Moscow project was the reconstruction of the Cathedral of Christ the Savior in the 1990s. See Dmitri Sidorov, “National monumentalization and the politics of scale: the resurrections of the Cathedral of Christ the Savior in Moscow,” Annals of the association of American geographers 90, no. 3, September 2000; Kathleen E. Smith, “An old cathedral for a new Russia: the symbolic politics of the reconstituted Church of Christ the Saviour,” Religion, state and society 25, no. 2, 1997; Ekaterina V. Haskins, “Russia’s postcommunist past: the Cathedral of Christ the Savior and the reimagining of national identity.” History & memory 21, no. 1, Spring/Summer 2009. See also Nurit Schleifman, “Moscow’s Victory Park: a monumental change,” History and memory 13, no. 2, October 1, 2001; and Cordula Gdaniec, “Reconstruction in Moscow’s historic centre: conservation, planning, and finance strategies — the example of the Ostozhenka district,” GeoJournal 42, no. 4, August 1997. 7. For background on the culturally constituted relationship between the two cities, see K. G. Isupov (ed.), Москва-Петербург: pro et contra. Диалог культур в истории национального самосознания, SanktPeterburg, Iz-vo russkogo khristianskogo gumanitarnogo instituta, 2000. 8. Pierre Nora, “Between memory and history: les lieux de mémoire,” Representations, no. 26, Spring 1989, p. 7. 9. Id., “Preface”, in Realms of memory: the construction of the French past, New York, Columbia University Press, 1996, vol. 1 p. xxiv. 10. Georges Nivat offers a substantive first installment of a larger collaborative project that uses Nora’s methodology for a broad, multi-volume examination of Russian lieux with contributions by dozens of scholars, many from Russia. See Georges Nivat (ed.), les Sites de la mémoire russe, t. 1: Géographie de la mémoire russe, Paris, Fayard, 2007. Especially pertinent in the context of this article are the essays on Moscow (W. Berelowitch) and St. Petersburg (G. Nefedev), as well as the essays on country estates – Ostafievo by E. Dmitrieva and Muranovo by A. Peskov and A. Bodrova. None of the Petersburg palace-parks are the subject of a dedicated essay in the volume, although A. Schönle’s essay on parks and gardens provides an overview of their landscaped environs. 11. Georges Nivat, “Mémoire russe, oubli russe,” his introduction to les Sites de la mémoire russe, p. 21-22. 12. A . V. Lunac◌̌arskij, “Почему мы охраняем дворцы романовых (путевые впечатления),” Об изобразительном искусстве, t. 2, Moskva, Sovetskii khudozhnik, 1967. See

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also Anne Odom and Wendy Salmond (eds.), Treasures into tractors: the selling of Russia’s cultural heritage, 1918-1938, Seattle, Washington University Press, 2009. 13. See A. A. Kedrinskij and I. A. Bartenev, Летопись возрождения. восстановление памятников архитектуры Ленинграда и пригородов, Leningrad, Stroizdat, 1971; Ia. I. Shurygin, Петергоф. Летопись восстановления, Sankt-Peterburg, Abris, 2000; X. I. Topaž, Петергоф, возрожденный из пепла, SanktPeterburg, Dmitrii Bulanin, 2009; M. I. Gromova, and A. M. Kučumova. “Павловский дворец-музеи научная реставрация павловского дворца после великой отечественной войны, 1944-1969 годы,” Павловск. Императорский дворец. Страницы истории, Sankt-Peterburg, Art-Palas Lenart, 1997. See also Christopher Morgan and Irina Orlova, Saving the tsars’ palaces, Clifton-upon-Teme, Polperro Heritage, 2005; Suzanne Massie, Pavlovsk: The life of a Russian palace, Boston, MA, Little Brown, 1990. 14. The exact boundaries of the environs for each palace-park are not clear, however, and these pleasant small satellite towns are now considered prime real estate and are under assault by developers. UNESCO has taken the matter under study since 2014, closely examining the boundaries and buffer zones defined throughout the widely dispersed environs. 15. For an overview of specialists’ standards, see Проблемы воссоздания утраченных памятников архитектуры: pro et contra, Moskva, Zhiraf, 1998, a product of the Russian Academy of Architecture and Construction. 16. http://www.icomos.org/fr/docs/venice_charter.html 17. http://www.konstantinpalace.ru/ 18. The large body of secondary literature in English and French that treats St. Petersburg mythology and cultural memory includes Joseph Brodsky, “A Guide to a Renamed City,” in Less than one: selected essays, New York, Farrar, Straus, Giroux, 1986; Wladimir Bérélowitch, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, 1996; Ewa Bérard (ed.), Saint-Pétersbourg, une fenêtre sur la Russie : ville, modernisation, modernité, 1900-1935, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2000; Julie A. Buckler, Mapping St. Petersburg: imperial text and cityshape, Princeton, N. J., Princeton University Press, 2005; Emily D. Johnson, How St. Petersburg learned to study itself: the Russian idea of kraevedenie, University Park, Pennsylvania State University Press, 2006; Helena Goscilo and Stephen M. Norris (eds.), Preserving Petersburg: history, memory, nostalgia, Bloomington, Indiana University Press, 2008; Olga Matich (ed.), Petersburg/Petersburg: Novel and City, 1900-1921, Madison, WI, University of Wisconsin Press, 2010; Catriona Kelly, St. Petersburg: shadows of the past, New Haven, Yale University Press, 2014 and Remembering St. Petersburg, Triton Press, 2014. 19. M . V. Nikolaeva, “Скульптура в ансамбле государственного комплекса ‘Дворец конгрессов’, ” in Константиновский дворцово-парковый ансамбль в Стрельне. история и современность, SanktPeterburg, Dmitri Bulanin, 2006. See also Svetlana Evdokimova, “Sculptured history: images of imperial power in the literature and culture of St. Petersburg (from Falconet to Shemiakin),” The Russian Review 65, no. 2, 2006. 20. For a description of life at Strelna during this period, see V. V. Gerasimov, Большой дворец в Стрельне – без четверти три столетия, Sankt-Peterburg, Almaz, 1997, p. 72-131 and E. P. Chernoberežskaja, Стрельна и Петергоф. Подробный путеводитель, Sankt-Peterburg, Paritet, 2008, p. 19-42. 21. For a description of Strelna during this transitional period of Soviet repurposing, see V. Ia. Kurbatov, Стрельна и Ораниенбаум, Leningrad, Leningradskogo gubernskogo soveta professional′nykh soiuzov, 1925, p. 16-25. 22. See , for example, “Политика и экономика. имперские сны Санкт-Петербурга,” Московский комсомолец, March 13, 2001. 23. Elena Mazneva and Maria Cvetkova, “Нефтяной дворец,” Ведомости, no. 182, September 28, 2010. See also “Это была воистину народная стройка,” Санкт-Петербургские ведомости, January 27, 2004.

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24. See, for example, “Привелегии. Пожить по-царски”, Московские новости, October 3, 2000 and “Дворцовая болезнь прогрессирует,” Общая газета, March 15, 2001. 25. A “presidential” residence must be able to serve as the locus for the commander in chief of the armed forces, whereas a “state” residence is not expected to support those special systems. In addition, a “state” residence can be used for functions of any level or format. 26. “Помоги реставраторам,” Санкт-Петербургские ведомости, February 6, 2002. 27. Viktor Kostjukovskij, “Благотворительная стройка под Питером,” Новые известия, March 20, 2002. 28. The literature on St. Petersburg at this hopeful moment includes the Petersburg chapter in Svetlana Boym, The future of nostalgia, New York, Basic Books, 2001; Elena Hellberg-Hirn, Imperial imprints: postsoviet St. Petersburg, Helsinki, SKS, Finnish Literature Society, 2003; Pertti Joenniemi, “The New : Trapped in Time?,” Alternatives: global, local, political 28, no. 5, November 1, 2003; Пространство Санкт-Петербурга. Памятники культурного наследия и современная городская среда: материалы научно-практической конференции, Sankt- Peterburg, Filologicheskii fakul′tet SPbGU, 2003; Joyce Lasky Reed, Blair A. Ruble, and William Craft Brumfield (eds.), St. Petersburg, 1993-2003: the dynamic decade: a series of essays on the transition from the end of communism to the beginning of Putin’s ascendance, Washington, D.C., St. Petersburg Conservancy, 2010. 29. See Стрельна и Петергоф, p. 123-135, for guidebook description of a visit to Strelna today. For specific information about the restoration, see the essay by head architect G. B. Mixailov, “ Проблемы реконструкции и реставрации Константиновского дворца в Стрельне,” in Константиновский дворцовопарковый ансамбль в Стрельне, which ends with a call to enable old buildings to “adapt” to twenty-firstcentury needs. See also N. I. Ivanov, “О воссоздании некоторых музейных и парадных интерьеров Константиновского дворца,” in the same volume. The very technical Реконструкция Константиновского дворца. специальный выпуск журнала Реконструкция городов и геотехническое строительство, SanktPeterburg, ACB, 2003, opens with a short forward by Hermitage Director M. B. Piotrovskij. 30. See Aleksej Erofeev, “Стрельнинское чудо,” Парламентская газета, no. 36, May 29, 2009. See also Константиновский дворцово-парковый ансамбль и его художественные коллекции, Sankt-Peterburg, 2009. 31. Strelna has created an entire scholarly apparatus to study and celebrate itself. Strelna hosts an annual conference and produces an annual volume in the series Константиновские чтения, intended to broaden public awareness about the Konstantinoviči and their historical role, and publishes the results. 32. saint-petersburg.ru/m/234511/w_peterburg_na_perwyy_w_rossii_bal_woyna_i_mir_s.html 33. “Стрельна ждет лидеров. Встреча ‘восьмерки’ в интерьере старой России,” Эхо планеты, May 26, 2006. 34. See the essays “Versailles: Functions and Legends” by Hélène Himelfarb in Rethinking France, Chicago, Chicago University Press, 2001, vol. 1 and “Versailles: The Image of the Sovereign” by Édouard Pommier in Realms of memory, vol. 3 – respectively from the Chicago and Columbia abridged translations of Nora’s original project. 35. Nora, “Between memory and history,” p. 24. 36. http://www.tsaritsyno-museum.ru/ 37. M. I. Pyljaev, Старая Москва : рассказы из былой жизни первопрестольной столицы, Sankt- Peterburg, 1891, p. 226. 38. See the section Мифы и легенды Царицыно on the museum-preserve website, tsaritsyno.net/ru/history/legendy/myths_and_legends_of_the_tsarina.php

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39. For an account of growing up in the Tsaritsyno environs during the Soviet period, beginning in the early 1920s, see A. L. Grišunin (Andrei Vissor), Царицыно. записки старожила, Moskva, IITS “DS”, 2000. 40. For an account of Tsaritsyno that predates this development, see E. N. Šemšurina, Царицыно, Moskva, Gos. iz-vo literatury po stroitel′stvu i arkhitekture, 1957. 41. See T. E. Berdnikova et al, Царицыно, Moskva, Bioinformservis, 1996, p. 3-4. 42. For a thorough historical account of Tsaritsyno encompassing all periods of its history as well as the environs, see L. V. Andreeva, Музей-заповедник Царицыно: дворцовый ансамбль, парк, коллекции, Moskva, Gos. muzei-zapovednik “Tsaritsyno”, 2005. A historical encyclopedia for Tsaritsyno is currently being prepared by the museum-preserve’s scholars. 43. Olga Nikoljskaja, “Москва обзаводится своим Петродворцом,” Вечерная Москва, November 14, 2005. See also “В Москве появится свой Эрмитаж,” ИА Regnum, December 22, 2004. 44. Note the subtitle of the guidebook by I. Goljdin, Царицыно: императорский дворцово- парковый ансамбль для людей (книга-альбом), Moskva, Kul′turno-sportivno-ozdorovitel′nye kompleksy, 2010. 45. See “Строительство в Царицыне: с императорским размахом pro и contra,” Известия, January 18, 2006 and “Нигде в мире так со своими дворцами не обращаются: интерьвю Алексея Комеча,” ИА Regnum, January 19, 2006. See also “Судьба исторического наследия в руках дрожащей вертикале,” ИА Regnum, May 12, 2006. 46. “Архитектурные рубежи: творчество и ответственность. задача невыполнима? Обращайтесь в Моспроект-2,” Московская правда, August 9, 2005. 47. See the opinion of Tsaritsyno General Director Viktor Egoričev, “В Царицыно достроят древний дворец,” Комсомольская правда, October 18, 2004. 48. Olga Nikoljskaja, “Прощай, печальная руина!,” Вечерная Москва, June 6, 2006. 49. For a history of the Bread House with excellent illustrations, see the Tsaritsyno museum- preserve’s 2013 booklet, Быль и новь Хлебного дома. 50. At Tsaritsyno’s opening in 2007, Putin declined to comment on the controversial restorations, declaring in answer to questions from journalists that everything was done at Tsaritsyno “as would be best for the people.” See Царицыно музей-заповедник. Путеводитель по историческим памятникам и достопримечательностям, Moskva, Gos. muzei-zapovednik “Tsaritsyno”, 2013, p. 17. 51. Царицыно музей-заповедник..., p. 69. In fact, the reconstructed Tsaritsyno has been characterized as an unwitting postmodern parody in its simulation of an imaginary epic past. See Boris Stepanov and Darja Xlevnjuk, “Музей после истории: несколько веков и несколько лет из жизни усадьбы Царицыно,” Неприкосновенный запас, no. 1, 2011 (Царицыно: история одной модернизации), p. 199. 52. Rustam Raxmatulin, “За Царицыно ответишь,” Известия, January 21, 2009. 53. Edmund Harris, “Thorny Issues,” in Moscow Heritage at Crisis Point, (2nd edition), Moskva, MAPS et al., 2009, p. 242-248. 54. G. Revzin, “Пустое вместо что построили в Царицыне под видом памятника XVIII века,” Коммерсант, September 1, 2007. For additional critique, see Olga Vaxoničeva, “‘Муляж вместо памятника’. Царицыно открывается после реставрации,” Радио свобода, August 20, 2007, as well as the series of articles by Rustam Raxmatulin, among them “Царицыно: губернаторская архитектура побеждает императорскую,” Известия, January 29, 2007, and “Царицыно: радоваться или придираться?,” Известия, September 5, 2007. See also the transcript of the program Культурный шок: “Царицыно: новодел или Версаль?,” August 9, 2007, echo.msk.ru/programs/kulshok/54664/

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55. See also the many poignant seasonal photographs of the ruined Tsaritsyno structures by Iu. V. Artamonov in: K. I. Mineeva, Царицыно: дворцово-парковый ансамбль, Moskva, Iskusstvo, 1988. 56. See Тайна императрица. Путеводитель по выставке “Быль и новь Царицыно”, published by the Tsaritsyno museum-preserve in 2013. 57. Natalija Samutina, Natalija Komarova, “Тонны воды летят по немыслимым траекториям: фонтанаттракцион и новая образность парка Царицыно,” Неприкосновенный запас, no. 1, p. 213-5. 58. For an account of the new Tsaritsyno as exemplifying contemporary post-Soviet public cultural space, see N. V. Samutina and O. N. Zaporožec, Свой среди других: антропология нормы в пространстве царицынского парка, Moskva, Vyshaia shkola ekonomiki, 2012. See also the edited volume Царицыно: аттракцион с историей, N. V. Samutina (ed. ), Moskva, NLO, 2014. 59. See the array of children’s programs outlined in the 2013 booklet Учимся в Царицыно: в помощь родителям и педагогам. Interactive programs, such as “Are You Going to the Ball?” and “Dinner is Served, Your Majesty” teach Russian schoolchildren to practice the social norms of 18th century court culture. 60. For a broader look at this phenomenon, see Catherine Merridale, “Redesigning history in contemporary Russia,” Journal of contemporary history 38, no. 1, January 2003. 61. Boris Sizov, “Царицыно: реставрация или ‘ гламурный Диснейлeнд’?”, ИА Regnum , November 20, 2008. 62. Huyssen, Present pasts, p. 19. 63. Nora, “Between memory and history”, p. 12. 64. Eric Hobsbawm, “Introduction: Inventing Traditions”, in: E. J. Hobsbawm, and T. O. Ranger (eds.), The Invention of Tradition, Cambridge, UK, Cambridge University Press, 2012. 65. Julia Hell and Andreas Schönle (eds.), Ruins of modernity, Durham, Duke University Press, 2010, p. 10. 66. Riegl, p. 23. 67. Nora, p. 19.

ABSTRACTS

This essay tells the story of two Russian imperial palace-parks – Petersburg’s Strelna and Moscow’s Tsaritsyno, both federally protected imperial heritage sites reclaimed from physical ruin in twenty-first century post-Soviet Russia. Both palace-parks were subjected to major, highly controversial reconstruction, and in their new incarnations now assert post-Soviet Russia’s status as the inheritor-heir of imperial Russian cultural property. Both projects also bring into sharp relief the terms of contemporary debate and cultural politics surrounding heritage and preservation in the two cities. During the early post-Soviet years, the Strelna and Tsaritsyno palaces lay in ruins as “couldhave-beens,” intriguingly suggestive of alternative histories. At the turn of the twenty-first century, as Vladimir Putin began his first term as Russian President and Moscow mayor Yuri Luzhkov contemplated a second decade in office, Strelna and Tsaritsyno both offered ideal opportunities for the post-Soviet repurposing of cultural heritage – reclaiming the imperial past by fulfilling its unrealized promise, and reconstructing heritage with a creative hand. The major Russian imperial palace-parks in the

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environs of St. Petersburg (Tsarskoe Selo, Peterhof, etc.) are “classic” examples of Russian lieux de mémoire, to use Pierre Nora’s famous term. To what extent, in what different ways, and to what effect do the new postSoviet versions of Strelna and Tsaritsyno assert their own status as Russian cultural lieux de mémoire?

Cet article s’intéresse au cas de deux palais impériaux russes et à leurs jardins: Strelna à Petersburg et Tsaritsyno à Moscou, deux sites de l’héritage impérial sauvés au XXIe s. Les deux palais ont subi une reconstruction majeure et hautement controversée ; ils affirment désormais que la Russie postsoviétique est l’héritière de la culture impériale russe. Les deux projets ont cristallisé le débat actuel à propos de la politique culturelle concernant l’héritage impérial et sa préservation dans les deux villes. Durant les premières années de l’après-soviétisme, les ruines des deux palais suggéraient une fascinante histoire alternative. Au tournant du siècle, alors que Putin commençait son premier mandat de président russe et que Lužkov envisageait une seconde décennie à la tête de la mairie de Moscou, Strel′na et Tsaritsyno offrirent tous les deux l’occasion idéale de prendre une nouvelle direction dans l’appropriation de cet héritage culturel : récupérer le passé impérial en lui donnant d’accomplir enfin sa promesse, reconstruire de façon créative. Ces reconstructions sont à comparer avec ces lieux de mémoire que sont les grands palais impériaux russes des environs de SaintPétersbourg (Tsarskoe Selo, Peterhof, etc.). Comment et pourquoi les versions postsoviétiques de Strel′na et Tsaritsyno affirment-elles leur propre statut de lieux de mémoire ?

AUTHOR

JULIE BUCKLER Harvard University

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Московское зарядье: затянувшееся противостояние города и градостроителей Le quartier du Zarjad′e à Moscou : un conflit entre la ville et les architectes qui s’éternise Moscow Zariad′e: a Long Conflict between the City and Urban Developers

Аleksandr Možaev

1 Одним из судьбоносных этапов биографии Москвы является резкий слом её градостроительной структуры, произошедший в 20 столетии. На смену постепенному развитию города пришли революционные архитектурные теории, ни одна из которых не была реализована полностью. В восприятии образа столицы ощутим конфликт между памятью о прежнем архитектурном облике и бросающимся в глаза случайным, а часто хаотичным нынешним. Старая Москва была городом противоречивым, полным как и любой мегаполис социальных контрастов, но с художественной точки зрения это был исключительно цельный образ, в основе которого лежала сложная взаимосвязь между многочисленными доминантами богато украшенных храмов, башен и дворцов, окруженными малоэтажной, в массе своей подчеркнуто скромной застройкой. Центр нынешней Москвы представляет собой нестройное сочетание нескольких отдельных пластов : • разрозненные части веками складывавшейся исторической основы ; • застройка эпохи второй половины 19 – начала 20 века, положившая начало разрушению традиционных пространственных связей ; • фрагменты не доведенных до конца советских генпланов, изменивших масштаб и планировочную структуру города ; • беспорядочная коммерческая застройка новой эпохи. 2 Тем не менее, несмотря на драматические исторические вторжения в профиль города, память о прошлом еще так насыщена, что характер Старой Москвы

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дает себя знать даже там, где исторические кварталы уничтожены до основания. И пустоты на месте разрушенных памятников иной раз оказываются не менее значительны, чем сами утраченные объекты. Фантомные боли старого города не дают игнорировать прошлое, сколь бы упрямо не открещивалась от него современность.

3 В этом смысле Зарядье – один из композиционно важнейших и одновременно один из наиболее неустроенных районов центра столицы – является ярким примером квартала, потерявшего формы и смысл, но продолжающего жить в памяти. С 1930-х годов ведутся поиски нового образа этого места, но в данный момент оно представляет собой огромный огороженный пустырь под стенами Кремля. Тем временем, этот пустырь сам по себе успел стать одним из ярких символов Москвы начала XXI столетия. (fig. 1-2)

1- Зарядье в 2013г.

© Александр Можаев.

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2- Зарядье в 2013г.

© Александр Можаев.

Историческое прошлое зарядья

4 Имя Зарядья обозначает его расположение – « за рядами», за торговыми рядами, ограничивавшими с востока Васильевский спуск, склон меж рекою и храмом Василия Блаженного. В нынешней топографии район очерчен Васильевским спуском с запада, улицей Варваркой с севера, Китайгородским проездом с востока, Москворецкой набережной с юга.

5 Археологи подтвердили, что застройка этого места начала складываться в XII веке. Его основой стала дорога в город Владимир, также соединявшая Кремль с речной пристанью, так что здесь селились не только ремесленники, но и купцы, и « гости» – осевшее в Москве богатое купечество из других городов и стран. В начале Варварки находились дворы купцов-сурожан, торговавших с Италией и Турцией через крымский город Сурож. Известно, что именно сурожане построили в начале 16 столетия первые каменные здания Зарядья, привлекая для этого и придворных княжеских мастеров, прибывших из Италии1. 6 В 1530-е годы Зарядье, как и вся центральная часть города, примыкающая к Торгу, была обнесена каменной стеной, примкнувшей к угловым башням Кремля двумя своими концами. Крепость, выстроенная итальянским мастером Пьетро, и вся огороженная ей территория получили название Китай-города2. Таким образом, Зарядье стало частью укрепленного городского центра. В XVI – XVII вв. Варварка по-прежнему оставалась одной из наиболее « европеизированных» улиц города – царь Иван Грозный дарит

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старые палаты сурожан Английской торговой компании ; на соседней улице Ильинке возникает Посольский двор, где останавливались и жили посольства иностранных держав ; меж Ильинкой и Варваркой появляются постройки Гостиного двора – рынка международной торговли. Зарядье, ставшее одним из самых богатых районов центра, украсилось множеством каменных храмов и палат, среди его богатых усадеб был и двор бояр Романовых.

7 В 18 веке, вследствие проблем с водостоками в приречной части, Зарядье стало постепенно превращаться в ремесленный, тесный, местами вполне трущобный район. Со временем богатые усадьбы ушли и из верхней части Китай-города, но там они уступили место коммерческой и торговой застройке, а Зарядье дольше всего (до 1950-х годов) сохраняло жилую функцию. Застройка всё более уплотнялась, на смену усадьбам приходили дешевые доходные дома без подъездов. Вход в отдельные квартиры или комнаты осуществлялся с дворовых обходных галерей, в Москве именовавшихся « гальдерейками», и именно они стали одной из самых узнаваемых черт Зарядья второй половины ХIХ века. Глядя на старые фотографии, мы понимаем, что этнографического своеобразия здесь больше, чем архитектурного. В 1828 году вышел указ, позволивший еврейским купцам останавливаться в Зарядье и спустя 30 лет евреи составляли около половины населения района3. Но в 1891 году указом губернатора из Москвы были принудительно выселены более 20 тысяч еврейских семейств. В результате этих выселений, в начале ХХ века Зарядье обрело окончательно трущобную славу – по крайней мере, так о нем вспоминали советские писатели, например потомственный зарядец Леонид Леонов : Жизнь здесь течет крутая и суровая. В безвыходных каменных щелях дома в обрез набилось разного народу, всех видов и ремесел : копеечное бессловесное племя, мелкая муравьиная родня. Окна в дому крохотные, цепко держат тепло... Городские шумы и трески не заходят сюда, зарядцы уважают чистоту тишины. Глухо и торжественно, как под водами большой реки. Только голубей семейственная воркотня, только повизгивающий плач шарманки, только вечерний благовест. Тихо и снежно. Жизнь здесь похожа на медленное колесо, но все спицы порознь4. 8 Закономерно, что уже в ранние годы советской власти начались разговоры о необходимой санации этого района. Впрочем, поначалу это отнюдь не означало его полной зачистки : в 1925-1926 гг. была отреставрирована часть Китайгородской стены, при этом её освободили от торговых пристроек и набережная из торговой улицы превратилась в немноголюдный променад. Хотя бытовые условия района продолжали оставаться тяжелыми, большинство людей воспринимали их уже не как безысходность, а как временные трудности в ожидании лучших времен. Старожилы, которые помнят Зарядье до его сноса, вспоминают о нем как о месте странном, но отнюдь не страшном. Вот что говорит старейший краевед Москвы Владимир Муравьёв о предвоенном Зарядье : Самое большое мое впечатление – там было очень уютно. Тихий провинциальный город в самом центре столицы, не тронутый перестройкой по социалистическому плану. Самые высокие дома 4-5

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этажей, очень крепкие, купеческие. Улицы не прямые, а с косиной. Росли деревья, хотя специальных посадок не было, трава среди булыжников. Гора вниз с улицы Разина5 тоже булыжная, и особенно хорошо там было весной, когда ручьи текли по камням, умывая все, и появлялась первая зелень6.

9 То, что в XX веке воспринималось как « провинциальный город» и есть старая Москва, не тронутая не только советским, но и предреволюционным многоэтажным строительством, сохраняющая сложную средневековую планировку, систему визуальных связей с доминантами Кремля и Красной площади, преобладание жилой функции и простой, уклад жизни. Зарядье можно трактовать как условную матрицу московского посада, « самый московский» район Москвы, крепко укоренившийся в памяти города после своего исчезновения.

10 Судьба Зарядья, как и Москвы, резко переменилась с приходом к власти Иосифа Сталина7. В августе 1934 года журнал Строительство Москвы сообщил : Китайская стена обратилась, по меньшей мере, в никому не нужный археологический хлам, не имеющий даже ценности исторического памятник8.

11 И уже к концу года была ликвидирована большая часть стены, включая парадный вход Зарядья – древние Варварские ворота9. В 1930 году прошел первый, « тренировочный» конкурс на Дом промышленности. В 1934 году правительство объявило масштабный конкурс на здание Министерства тяжелой промышленности (« штаба социалистической индустрии»), предполагавший снос практически всей застройки Китай-города. Многие проекты предусматривали создание здесь парка, например, в версии Заславского и Файфеля предлагалось трактовать Зарядье как « парадную часть Китай-города с системой террас, каскадов, бассейнов, фонтанов и декоративной зелени10». Постановление 1935 года « О Генеральном плане реконструкции Москвы» утвердило сооружение монументального здания Дома промышленности и с оформлением сходов к реке11. В 1936 году Зарядье стало конкурсным участком для здания Наркомтяжпрома, в 1940 году проводился ещё один конкурс, уже на Второй Дом Совнаркома. Проекты были титаническими, а зачастую заведомо невыполнимыми (как знаменитые варианты Мельникова и Леонидова 1934 года) ; политика партии, дух которой должна была воплощать архитектура, не была постоянной – таким образом, к началу Великой Отечественной войны окончательный вариант так и не был выбран. (fig. 3)

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3. Зарядье с востока в 1939 г.

репродукция с разрешения Артема Задикяна.

12 Тем временем большая часть исторической застройки района на площади в 13 га была поэтапно ликвидирована. Снос кварталов Зарядья был начат в 1937 году и продолжался в 1940-1950-е. Были разрушены два храма и десятки неисследованных зданий XVI–XIX вв. Большая часть археологической информации также была утрачена.

13 В 1947 году, в день 800-летия Москвы в Зарядье было наконец заложено 32- этажное, 275-метровое административное здание – центральное в кольце « высоток», новая доминанта, которая должна была уравновесить Дворец Советов, заложенный ранее по другую сторону Кремля. Функция новостройки не уточнялась, но по слухам, на неё претендовала Госбезопасность. Металлический каркас здания был возведен на значительную высоту, но вскоре демонтирован, поскольку после смерти Сталина идеологический вектор резко изменился. В 1956 году постановлено отдать Зарядье всего лишь под гостиницу. Зарядье так и не стало новым идейным центром столицы. 14 Меж 1964 и 1969 годом над Москвой-рекой всё-таки поднялось здание гостиницы и концертного зала « Россия» высотою от 12 до 23 этажей. Его автором стал тот же Дмитрий Чечулин, который проектировал непостроенную центральную высотку. Он же является автором реализованного высотного здания на Котельнической набережной (окончено в 1952), стоящего чуть ниже по течению реки и визуально напрямую связанного с « Россией». Интересно сравнить перемену архитектурного курса в стране и в творчестве одного автора. Функционализм « России» противопоставлен торжественному, но романтическому образу высотки и столь же противопоставлен силуэту Кремля и его исторического окружения. 15 Однако даже советские путеводители 1970-х указывали на то, что « авторы проекта гостиницы недостаточно продумали ее взаимодействие с ансамблем Кремля, нарушив восприятие некоторых силуэтов». В то же время, отмечалось, что « непосредственное взаимодействие громадного объема новой постройки с цепочкой исторических памятников вдоль южной стороны улицы Разина дало довольно интересные результаты12». 16 Действительно, улица Разина стала классическим примером « сувенирного» подхода к сохранению наследия, когда образцово восстановленные, но оторванные от градостроительного контекста памятники становятся лишь

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украшением витрины, одновременно скрашивая монотонный фасад огромной новостройки. (fig. 4)

4. Карта Зарядья в 1853г. и в 1960-90-ые годы

Переложение Романа Цеханского.

17 Несмотря на роскошные виды из окон, к началу XXI столетия гостиница окончательно вышла из ряда престижных. Тем не менее, принятое в 2004 году решение не только о закрытии, но и о полном сносе огромного, не выработавшего свои ресурсы здания, было неожиданным. В официальных комментариях говорилось о том, что сносится объект, чуждый центру города, но очевидно, что эта отчаянная затея была задумана не только для красоты, но еще и для интересов строительного комплекса столицы, обеспечивая титанический объем работ уже на стадии подготовки стройплощадки. Демонтаж « России» начался в 2006 году, длился около трех лет и так и не был доведен до конца, а вокруг пустыря вырос огромный, вдвое выше кремлевской стены строительный забор, ставший самой дорогой рекламной поверхностью столицы.

Поиски смысла

18 Вновь пошла череда сменявших друг друга идей и проектов, поначалу « спускавшихся сверху» без конкурсов и обсуждений. Был эклектичный вариант Михаила Посохина13 и модернистский вариант приглашенной звезды Нормана Фостера14 : оба они предполагали плотную застройку с разбивкой на 4-7-этажные кварталы не оставляющие шанса восстановлению

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исторических панорам. Позже Посохин « поженил» эти варианты, добавив объёмам Фостера псевдоисторическую декорацию фасадов. Решения диктовались исключительно вкусом и аппетитами сменявшихся инвесторов, в чём признавался сам Посохин : « Каждый инвестор требовал учесть его требования. Одному нужно было больше офисов, другой хотел застроить участок магазинами, третий вообще изъявил желание отдать немалую часть квартала под жилую застройку. Лавируя между желаниями инвесторов и стараясь не выходить за пределы разумного, архитекторы без устали перекраивали проект15».

19 Было очевидно, что инвесторы тверды в намерении выбить из этой территории предельно допустимый максимум коммерческих площадей, и что сколь бы ни была чужда центру города архитектура « России», есть все шансы испортить картину ещё больше. Звучали шутки о том, что правильнее и безопасней всего было бы здесь вообще ничего строить, а насадить сосновый бор либо устроить филиал главного советского некрополя на Красной площади. Всерьёз мысль о парке в Зарядье, кажется, впервые была озвучена архитектором Юрием Аввакумовым в 2006 году : Мне, например, « Россию» не жаль, но судя по тому, на каком этапе находится развитие российской архитектуры, ясно, что ничего лучшего сейчас не сделают. Даже жалко, что в свое время здесь Наркомтяжпром Леонидова не построили – высокие башни, поднимающиеся среди парка, разбитого на месте Китай-города, который тогда воспринимался грязной трущобой. Заметьте, что Центральный парк Нью-Йорка тоже был обустроен сознательно, в эпоху капитализма, на очень дорогой земле16. 20 Ситуацию спасла отставка мэра Юрия Лужкова в 2010 году. Казалось, что взят некоторый тайм-аут, в процессе которого профессионалы и критики смогут просчитать не только коммерческие возможности вариантов развития территории. Однако весной 2011-го в прессе появились сообщения17 о том, что у правительства возникла идея строительства в Зарядье федерального Парламентского центра. Идея была вдохновлена тем, что рядом находится Кремль, и также несколько кварталов, издавна занимаемых государственной администрацией и из этого удобно сделать « единое охраняемое пространство» – то есть, возник риск того, что район вновь будет надолго исключен из общественной жизни города.

21 В июле 2011-го года сайтом градозащитного движения « Архнадзор» была опубликована статья Петра Мирошника, в которой говорилось : Зарядье – зеркало, в которое смотрится Кремль. Не удивительно, что в последние годы это место было как будто вырезано ножницами из городской ткани – страна не очень хотела смотреть в зеркало. Сегодняшний выбор содержит в себе решение не столько архитектурное, но идеологическое. И то, что возникнет на месте « России» станет важнейшим символом страны. Из множества архитектурных скандалов последних лет первые места стабильно занимают скандалы вокруг застройки площадей, скверов и парков. Ощущение тесноты – вечная городская фобия. И тут самое время напомнить, что годы за забором благотворно сказались на зелени Зарядья : деревья разрослись, птицы свили гнезда [...] Предложу новую парадигму, новый символ России : покрытое разнотравьем большое поле в

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самом центре города с березовой рощей вместо затянутого рекламой забора до небес18. 22 « Забор до небес», за которым кроме руин гостиницы отчего-то скрыты и два примыкавших к ней сквера, и церковь Зачатия Анны 16 века, был понижен до трех метров лишь в 2012 году. И взорам москвичей впервые открылась широкая панорама Кремля и его окрестностей. Замечательно, что ранее её не видел никто и никогда – уже в XIX веке вид был искажен строительством высоких (выше трех этажей) зданий. Фактически, в Москву вернулись виды Кремля и Варварки допетровской эпохи, но обогащенные силуэтами храмов, возникших в XVIII-XIX веках, и сталинских высоток на заднем плане.

23 В самом центре города появилось пустое пространство площадью в половину Кремля, одной своей пустотой сделавшее центр Москвы заметно прекраснее, но, в силу местоположения, требующее очень серьёзного осмысления. Однако, как говорил в личной беседе один из членов экспертного сообщества, « не с нашим пониманием добра и зла браться за такие проекты» – разговоры о бессилии текущего момента в решении проблемы Зарядья витали в воздухе. Неожиданностью для всех стало созвучное этим настроениям заявление Владимира Путина (на тот момент премьер-министра), сделанное перед телекамерами в январе 2012 года : премьер лично предложил не застраивать Зарядье, но подумать о создании в нём парковой зоны. Учитывая коммерческий потенциал места, жест был действительно широкий. 24 В 2013 году состоялся международный конкурс, к участию в котором приглашались консорциумы из зарубежных и российских специалистов. В тексте проектного задания было отмечено, что « это будет главный парк Москвы и России», который должен « идентифицироваться с Россией, избегая прямых ассоциаций19». 25 Основной идеей проекта-победителя, выполненного консорциумом Diller Scofidio + Renfro, стало сочетание « знакового города Москвы со знаковыми ландшафтами России», представлять которые будут искусственно созданные тундра, степь, лес, и – довольно неожиданно – болот20. По словам экспертов, предпочтение этому проекту было отдано в силу его технической сложности – новый парк должен быть необыкновенным, удивительным на уровне не только Москвы, но и мира. Символом России избрана её бескрайняя природа, как бы не окультуренная людьми и идеологами. В русской литературе « родные просторы» являются важнейшим знаком с начала XIX столетия21, теперь они будут представлять Россию в пространстве столичного центра, что отчасти совпадает с приведенной выше парадигмой Петра Мирошника, а также с ёмкой формулировкой архитектора Петра Попова : Богатство России – это её просторы. Позволить себе ничего не строить на своей земле, оставить её « под паром» – удел сильных22. 26 Характерно, что в ходе дискуссий о судьбе Зарядья один из телеканалов провел уличный опрос горожан на тему « что бы вы хотели видеть в этом месте». Практически все пожелания носили глубоко личный характер : деятели искусств просили филармонию, футбольные болельщики требовали стадион, нимфетки мечтали о гигантских танцполах. То же произошло и с конкурсом – несмотря на подробно прописанное задание, его участники

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исходили скорее из собственного видения темы, нежели из обоснованных исходных данных. Исторический раздел и требования к интеграции объектов культурного наследия (в том числе археологических) были проработаны достаточно хорошо, но несмотря на это, конкурсанты предложили варианты устройства парка практически вне связи с традицией места. Лишь в одном из проектов присутствовала игра в наложение контуров исторических планировок (XIX век, Центральная высотка и гостиница) на поверхность парка. Лишь один проект предполагал воссоздание крепостной стены. Решения прочих авторов произвольны – где-нибудь здесь пруд, там павильоны, холмы или рощи (в победившем проекте на месте храма Николы Мокрого обозначен вход в ресторан).

27 Прикроет ли парк смысловую пустоту этого важнейшего места, если его идея является вольной авторской импровизацией, никак не связанной с многовековой предисторией ? Архитектор Кирилл Асс в статье « Спасти Зарядье от Путина и его парка» (2012) писал : Результатом градостроительной политики стало резкое падение плотности смыслов. Под плотностью смыслов следует понимать количество различных форм жизнедеятельности и форм пространства на единицу городской площади. Когда три торговые и жилые улицы с сотней домов заменяет одно здание, хотя бы и с десятью функциями, то город проигрывает в насыщенности, хотя, может быть, и начинает выглядеть более цельно. Но цельность сама по себе не имеет ценности, ценность города как раз в повышении смысловой плотности ландшафта, общества и культуры. Китай-город этой ценности был лишен многократно и разными способами, а Зарядье – пример самого жестокого уничтожения городского смысла... Парк не усложняет городскую среду и, строго говоря, ничего не добавляет городу23. 28 Конечно, парк, призванный стать новым образом России, это больше, чем просто парк, но не так просто « идентифицировать» страну средствами ландшафтной архитектуры, когда её идентичность находится в затянувшемся розыске. Тем временем, Зарядье уже стало красноречивым и, пожалуй, вполне правдивым символом текущего момента : огражденный иррациональным глухим забором, прекрасный в своей неопределенности пустырь, который многое обещает, но ничего не даёт. Задача, казалось бы, упрощена до предела – не нужно ничего строить, только благоустраивать – но многих экспертов терзают тревожные предчувствия24. Пресса уже сообщает о почти 100 тысячах квадратных метров бонусных новостроек, которые будут прилагаться к Зарядскому парку25, и возникает подсознательное желание того, чтобы пустырь оставался здесь подольше. Пока инвестор судит да рядит, за этим забором живёт мечта о прекрасном саде, и каждый видит его по своему, и никто не разочарован.

29 Так какими же единицами смысла – если не вести счет только в количестве построек и функций – может быть наполнено Зарядье ? Что в нем есть сейчас и что может быть добавлено согласно логике места, а не чьейлибо импровизации ? 30 Следует напомнить о том, что для большинства москвичей старое Зарядье было открыто заново всего несколько лет назад. В советские годы были

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уничтожены не только огромные пласты исторической застройки, но в значительной степени была истреблена и сама память о многих знаковых монументах и целых районах города. До конца 1980-х сталинские сносы шедевров русской архитектуры были совершенно закрытой темой – равно как и сама личность Сталина. Об уничтоженных монастырях, храмах, палатах и так далее, знали в основном лишь старожилы и архивисты26. 31 Что касается самой территории, освободившейся после сноса гостиницы, то она по-прежнему остается terra incognita. Выше было сказано о том, что огромный строительный забор был понижен в 2012 году, но эта полумера открыла лишь несколько панорамных видов. Город вообще не знаком с площадкой, которую пытается осмыслить. Участники профессионального конкурса были допущены на территорию, но все остальные – и критики, и просто горожане – совершенно не представляют себе, что скрывается за оградой. Архитектурная общественность обращалась к московским властям с предложением сократить огороженную территорию до пятна руин стилобата гостиницы, но просьба осталась без ответа. 32 Снаружи Зарядского забора имеется великолепный комплекс архитектурных памятников, эффектные видовые точки и Москва-река, ныне отрезанная от склона транспортной магистралью набережной. Недавно выяснилось, что здесь есть ещё одна река, о существовании которой до последнего момента знали немногие. Как известно, Кремль возник у слияния рек Москвы и Неглинки, которая в 19 веке была убрана в подземную трубу под нынешним Александровским садом. Но в 1970-е годы, по причине регулярных разливов её вод, был устроен коллектор, который перенаправил нижнее течение Неглинки от Александровского сада к Китай-городу (сейчас Неглинка впадает в Москву у Москворецкого моста, почти в Зарядье). В 2012 году, во время круглого стола с участием американских и европейских специалистов по планированию парков, прозвучала мысль о том, что парку необходим полноценный водоем̈ с естественным источником. Тогда и вспомнился забытый коллектор, до сего момента известный лишь диггерам и краеведам. Это совпадение, пожалуй, можно считать подсказкой самой Москвы, её соучастием в разработке нового сюжета. 33 Теперь попытаемся рассмотреть подоснову Зарядья, скрытого по ту сторону забора. По справедливому замечанию археолога Владимира Дукельского, « на сегодняшний день там есть только археология и нет более ничего, и абсолютно правильно вести проектирование, отталкиваясь от неё, как от базового элемента27». Но уже восемь лет археологи тщетно напоминают о необходимости проведения предварительных, а не охранных (в процессе строительства) работ. Речь идет о территориях, не попавших в пятно котлована гостиницы, а это 25-30 % свободной территории28. Характерно, что ни один из проектов, представленных на международный конкурс 2013 года, не делал акцента на экспонировании археологических архитектурных объектов даже там, где их наличие несомненно. Археология должна определять и некоторые принципиальные проектные решения – скажем, от сохранности подземной части южной крепостной стены зависят варианты

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устройства надземных или подземных переходов из парка к Москве-реке, и т.д.

34 Игнорирование проектировщиками археологической составляющей места, отношение к ней как к не очень обязательному обременению, которое можно будет привести в соответствие с проектом в процессе дальнейшей работы, отчасти можно объяснить тем, что Москва почти не имеет опыта консервации археологических руин и включения их в современное городское пространство. Но показательно само отсутствие интереса к этой, новой для города теме : на уникальной площадке, где есть возможность организовать единственный в своем роде музей, зримо показать срез девяти веков московской истории, разыгрывается сценарий степей, тундр и переосмысленного болота. Демонстрация зримой глубины исторической памяти не является приоритетом для этого нового российского символа. 35 Кроме археологии, существует большое количество нематериальных свидетельств Зарядской истории – архивные чертежи, планы, фотографии, которые также могут в той или иной степени быть использованы в работе над новым образом района. Согласно российскому законодательству, охранный статус этой территории допускает только регенерацию, то есть « восстановление утраченных элементов архитектурных или градостроительных ансамблей»29, но как трактовать это положение в ситуации, когда ансамбль утрачен почти полностью – вопрос открытый. 36 В принципе, здесь возможно реставрационное воссоздание отдельных структурно важных элементов, в первую очередь, Китайгородской стены и храма Николы Мокрого. Но также возможны либо « программа максимум» – условное воссоздание исторической застройки по « варшавскому принципу», либо творческая регенерация исторической планировки с разбивкой на кварталы и домовладения, застроенные в едином масштабе по проектам разных авторов. Европейский опыт послевоенного восстановления исторических городов имеет множество самых разных вариантов решения проблемы30. Однако вопрос о возможности даже частичного воссоздания прежних кварталов не нашел широкой общественной и профессиональной поддержки31.

37 Возможно, общество не доверяет идее воссоздания (равно как идее освоения района средствами современной архитектуры) вследствие печального опыта последнего двадцатилетия. В 1989 было объявлено о начале воссоздания первого памятника, уничтоженного советской властью – Казанского собора на Красной площади. Следом за ним были восстановлены Иверские ворота Китай-города, начато второе строительство храма Христа. Основным мотивом было общее покаяние, признание свершившегося преступления и попытка сколь возможно загладить его последствия. Возрождались святыни и латались очевидные дыры в городском ансамбле, но каждый новодел был событием исключительным и серьёзно мотивированным. Однако довольно скоро « воссоздание памятников архитектуры» стало обыденным до такой степени, что оказалось возможным нарочно сносить памятники « в рамках реставрации с заменой строительного материала». Понятия « реставрация»,

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« реконструкция», « реновация», « регенерация» смешались, причём не только в головах журналистов, но иной раз самих реставраторов32. 38 Интересный парадокс : если бы пустырь на месте гостиницы « Россия» почему-либо существовал в начале 1990-х, то в рамках тогдашней покаянной логики, Зарядье теоретически могло бы стать предметом воссоздания, даже самого схематичного. Недаром тема воссоздания Китайгородской стены вдоль набережной неоднократно обсуждалась ещё до сноса гостиницы « Россия». Но в то же время, если бы сама историческая среда зарядских переулков дожила до 1990-х, значительная её часть наверняка была бы уничтожена как не представляющий интереса хлам – точно такая же колоритная средовая застройка XIX века в эти годы кварталами шла под ковш в верхней части Китай-города. Пафос политических жестов всегда оказывается важнее истинной заботы о сохранении наследия. 39 Сейчас тема покаяния менее актуальна, чем в годы Перестройки. И, принимая во внимание вкус и меру московского строительного комплекса, даже горячим сторонникам воссоздания старого Зарядья очевидно : как в Варшаве здесь не будет. Впрочем, архитектурные символы прежнего Зарядья, проявляющие глубину его истории, могут быть выражены разнообразными художественными приемами, проверенными европейской практикой33. Главные условия – внимание и тактичность, подчинение идеологических и творческих амбиций характеру района, поскольку очевидно, что даже парк, изначально предложенный как нейтральное заполнение пространства, может стать серьёзным разочарованием. 40 Зарядье воплотило в себе все основные вехи московской биографии, все взлеты и падения великого города. Освоение места, современное строительству первой крепости на кремлевском холме. Подъем, начавшийся в годы становления Москвы как общерусской столицы, первое московское « окно в Европу». Рождение новой царской династии и расцвет на пороге Нового времени. Нищета и забвение, начавшиеся после переноса столицы России в Санкт-Петербург, разорение после присвоения статуса столицы СССР. Крушение больших утопических проектов и символичное истребление советской « России» в постсоветские годы, без внятных планов на будущее. 41 Занавешенное глухим забором « зеркало Москвы», бывшее когда-то средоточием московского духа, по-прежнему, как ни один другой район сопротивляется любым волевым, умозрительным решениям. Представитель метафизической школы москвоведения Рустам Рахматуллин объясняет это сопротивление, сравнивая градостроительные идеи Москвы и Петербурга : Санкт-Петербург создан, придуман и вычерчен волей императора, а Москва является городом никем не основанным, не умышленным. Его происхождение теряется в глубине времен, его улицы проведены не рукой архитектора. Те, кто продолжает творить судьбу древнего города, удачливы, когда следуют его течению, а не пытаются развернуть русло : « Великий зодчий в Петербурге есть игра свободы на свободном поле. Москва – путь узкий. Великий зодчий по-московски – тот, кто умалил себя и тем возвысился». Далее Рахматуллин приводит пример истинно московского

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зодчего – одного из главных мастеров русского классицизма Матвея Казакова : Казаков – о, как он ясно виден ! И кто ж его не видел, нанимая мастера поставить дачу или печь. Он нюхает, как лис. Он месяцами молча, с прищуром, скитается по стройке. Он курит днями, сидя на бревне. Бросает на свою нормальность подозрения. Тут ему смета, погода, бригада, указ : он не слышит. Он слушает и слышит про другое. И – вписывает в глупый, варварский средневековый угол стены и улицы ротонду своего Сената34. А уже ротонда с её куполом приходится на ось кремлевской башни, становясь последним камнем Красной площади и новым образом державы. Сенат словно всегда стоял на этом месте. Всегда готов был стать – и вот увиден, воплощен35. 42 Эти рассуждения относятся к области мифологии, но мифология сама влияет на историческую память. Впрочем, сопротивление Зарядья авторитарным замыслам, помимо метафизики, объяснимо и рядом практичных факторов. Градостроительство – сложная наука, а проектирование « с чистого листа» губительно для любого старого города : в процессе участвует слишком много факторов, веками сраставшихся в единый организм. За последние 80 лет на Зарядских склонах пошли прахом сотни смелых проектов и начинаний. Вскоре мы, вероятно, узнаем, готовы ли московские градостроители к тому, чтобы наконец осознать ошибки своих предшественников и научиться « слышать про другое».

NOTES

1. Наиболее подробная книга об истории Зарядья написана архитектором, изучавшим и реставрировавшим его начиная с 1950 года: И. Казакевич, Московское Зарядье, Москва, Искусство, 1977. Также об истории застройки района см.: Памятники архитектуры Москвы. Кремль, Китай-город, центральные площади, Москва, Искусство, 1983, с. 437-459. 2. Это название созвучно с русским вариантом слова Chinatown, но не имеет никакого отношения ни к Китаю, ни к Великой китайской стене. По одной из версий, название происходит от итальянского сitta (citadelle). 3. И. Белоусов, «Ушедшая Москва», Московская старина, Москва, Правда, 1989, с. 323-324. 4. Е. Леонов, Барсуки, Москва, Голос, 1995, с. 15. 5. Советское переименование Варварки, 1933–1993 гг. 6. А. Можаев, К. Михайлов, «Зарядье. Потерянный мир», Московское наследие, Москва, 2007, No3, с. 88. 7. Сносы храмов начались в 1924-м, вскоре после смерти Ленина. В 1929 была показательно уничтожена знаменитая святыня – древние Кремлевские монастыри. Весной 1934-го Сталин сказал известные слова «Советские люди смогут создать более величественные образцы архитектурного творчества», что дало широкую дорогу сносу безусловных шедевров. 8. Цит. по: С. Романюк, Москва. Утраты, Москва, Центр, 1992, с. 49.

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9. Южная часть стены была снесена в начале 1950-х, сейчас остался лишь отрезок без башен, ограничивающий Зарядье с востока. По сведениям археологов, под землей хорошо сохраняются нижние части стен и подвалы башен. 10. И. Бондаренко, Красная площадь Москвы, Москва, Стройиздат, 1991, с. 234. 11. Там же, с. 245. 12. А. Иконников, Каменная летопись Москвы, Москва, Московский рабочий, 1978, с. 111. 13. monab.ru/rossia.php 14. http://www.archi.ru/projects/world/671/zaryade-zastroika-raiona 15. О. Грекова, «”Россию” разрезали как торт», Московский комсомолец, Москва, 11 ноября 2011. 16. А. Можаев, «Бумага всё стерпит», Большой город, Москва, 14 марта 2006. 17. Б. Ляув, «Парламентская Россия», Ведомости, Москва, 23 марта 2011. 18. http://www.archnadzor.ru/2011/07/09/vmesto-rossii/ 19. monab.ru/rossia.php 20. «Восприятие болота сейчас претерпевает медленные изменения: от образа вредной, сложной для проживания территории – к пониманию его биоразнообразия и важности как среды обитания и экосистемы, а также его необычной красоты». http:// www.zaryadye.org/1053108610741086108910901080/-diller-scofidiorenfro 21. См. Emma Widdis, “Russia as Space,” in: Simon Franklin and Emma Widdis (eds), National Identiy in Russian Culture: An Introduction, Cambridge, Cambrige UP, 2004, p. 30-49. 22. http://www.archnadzor.ru/2013/07/22/za-zaborom/ 23. http://www.zaryadye.org/1053108610741086108910901080/5 24. Ведущий московский архитектурный критик Григорий Ревзин высоко оценил проект-победитель конкурса 2013 года. Однако в нижних строках своего текста он рекомендует недовольным поберечь силы до момента «когда окажется, что мы это не можем построить, когда начнут укреплять Диллера и Скофидио Михаилом Посохиным» – намекая на судьбу проекта Нормана Фостера и большинства иных проектов, сделанных в последние 20 лет для Москвы иностранными знаменитостями: http://www.zaryadye.org/1053108610741086108910901080/19 25. http://www.riarealty.ru/news/20141017/403730972.html 26. В широкий доступ фотографии старой Москвы и в частности Зарядья попали лишь в 2000-е, с наступлением эпохи Интернета. Большинство из них собраны на ресурсе https://pastvu.com/ 27. http://www.archnadzor.ru/2012/09/12/arheologiya-zaryadya/ 28. Первые раскопки на территории Зарядья проводились в 1946-1961 гг. Была изучена лишь небольшая часть котлована, но и она дала богатейший материал, были обнаружены фрагменты деревянных и каменных средневековых построек в прекрасной сохранности. Несколько раскопов было также заложено в 1980-е и в 2006 г., они подтвердили сохранность лицевой кладки крепостной стены на высоту двух и более метров. 29. Закон г. Москвы от 14.07.2000 N 26 « Об охране и использовании недвижимых памятников истории и культуры» 30. О. Пруцын, Б. Рымашевский, В. Борусевич, Архитектурно-историческая среда, Москва, Стройиздат, 1990. 31. Из цитируемой выше статьи П. Мирошника : « Строить новое Зарядье по образцу старого означает набивать чучело, надеясь, что в него вернется дух и чучело оживет. Не оживет». http://www.archnadzor.ru/2011/07/09/vmesto-rossii/ 32. 7 декабря 2013 года Правительство Москвы наградило премией « Московская реставрация» дом Всеволжских в Хамовниках – старейший деревянный особняк

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города, в процессе « реставрации» замененный 100 % новоделом. http:// www.archnadzor.ru/2013/12/09/otnyine-moskva-vyidaet-nagradyi-za-snos- pamyatnikaarhitekturyi/. См. также : Moscow heritage at crisis point 2004-2007, Моskva, MAPS, 2007. 33. Активное включение в среду археологических объектов in situ, сигнация мест утраченных памятников и трасс улиц, воссоздание структурно важных элементов, таких как крепостная стена, возможно, в самой условной манере (убрать транспорт с набережной, примыкающей к парку, невозможно, а значит, некая разграничительная линия всё равно понадобится) : использование мотивов, ассоциирующихся с традицией места (например, тема галерей и переходов), сохранение архитектурно оформленных фрагментов стилобата как свидетелей истории 20 столетия, и так далее. 34. Сенат в московском Кремле, построен в 1776-1787. Его купол поставлен Казаковым по оси Сенатской башни, обращенной к Красной площади. Позднее на эту же ось будет ориентирован Мавзолей Ленина. 35. Р. Рахматуллин, Две Москвы, или метафизика столицы, Москва, АСТ/Астрель, 2008, с. 18.

RÉSUMÉS

Les sites déserts des quartiers détruits dans les villes historiques acquièrent souvent leur propre biographie, leurs propres significations et images. Zarjad′e, l’un des plus vieux quartiers du centre de Moscou, attenant à la Place rouge, a été détruit dans les années 1940. Depuis, des douzaines de concours architecturaux ont eu lieu et Rossija, l’un des plus grands hôtels de l’Union soviétique, a été construit, puis démoli. Durant les neuf dernières années, Zarjad′e, est devenu un terrain vague, ce qui a provoqué des débats sans fin sur son futur. Cet article examine les propositions anciennes et actuelles pour le développement urbanistique de ce quartier hautement symbolique. Il analyse le conflit entre l’évolution traditionnelle dans les villes historiques et les idées interventionnistes des architectes soviétiques et postsoviétiques.

The empty sites of destroyed neighbourhoods in historical cities often acquire their own biography, their own meanings and images. Zariad′e, one of the oldest districts in the centre of Moscow, which is adjacent to Red Square, was destroyed in the 1940s. Since then, dozens of architectural competitions took place, and Rossiia, one of the largest hotels of the Soviet Union, was built and then demolished, while for the last nine years, Zariad′e has become a wasteland, which has prompted endless debates over its future. This article examines the former and current proposals for the urbanist development of this most significant district. It analyses the conflict between traditional evolution in historical cities and the interventionist ideas of soviet and post-Soviet architects.

AUTEUR

АLEKSANDR MOŽAEV Arxnadzor, Moscou

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Les monuments étrangers : la mémoire des régimes passés dans les villes postsocialistes Alien Monuments: The Memory of Occupation in Postsocialist Cities

Marina Dmitrieva Traduction : Alexis Berelowitch

1 Au cours de l’été 2013, dans le cinéma Udarnik, à Moscou, on pouvait voir une exposition des œuvres de Griša Bruskin intitulée « La Collection d’un archéologue1 ». Selon la présentation de l’artiste, il s’agissait d’un récit montrant comment une civilisation se transformait en ruines et comment les ruines, elles, étaient à l’origine de nouveaux mythes. Pour ce faire, Bruskin a enfoui dans la terre des fragments de figures en bronze de divers héros du microcosme soviétique : un milicien, un soldat, un jeune pionnier, etc. La civilisation soviétique, présentée sous forme de fragments, devient ainsi l’objet des recherches d’archéologues et se trouve projetée dans un passé lointain, qui n’est plus en relation directe avec le présent ; elle est « distanciée » et devient même, malgré sa laideur, séduisante par son étrangeté. On nous propose de reconstruire cette époque révolue, comme quelque chose que nous ignorons partiellement. L’exposition est accompagnée d’un film qui montre toute l’histoire de ce projet, depuis les opérations de fonderies jusqu’aux fouilles et la découverte des artefacts. C’est une installation d’une mémoire décontextualisée.

2 L’écroulement du système socialiste, n’a pas eu pour seule conséquence la nécessité d’éditer de nouvelles cartes de l’Europe politique. Il entraîna des cassures profondes dans les consciences et, en premier lieu, une transformation fondamentale du rapport à l’histoire, à la culture, à la politique mémorielle2. À cela, plusieurs raisons. On peut y rapporter l’ouverture des archives, les nouvelles approches historiographiques libérées des cadres idéologiques rigides et, également, l’arrivée, plus de vingt ans après l’écroulement du Mur de Berlin, d’une nouvelle génération de chercheurs, avec d’autres horizons intellectuels et d’autres méthodes de recherche. Le tournant mémoriel a entraîné un flot d’études en histoire et en particulier en histoire culturelle. Nombre

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d’entre elles se rapportent aux régions historiques de l’Europe centrale et orientale3. Cette mémoire varie selon l’optique et le point de vue adoptés par l’auteur, elle varie selon le lieu historico-géographique à partir duquel ce dernier examine son objet, d’un côté ou de l’autre du « rideau de fer », à partir d’une grande puissance (la Russie) ou d’un petit pays (par exemple, la Lettonie4), elle varie selon l’appartenance de l’auteur au camp des vainqueurs ou des vaincus de l’histoire récente. Le chercheur américain Andreas Huyssen a constaté, il y a déjà quelques années, le rôle crucial que jouait « l’hypertrophie de la mémoire » dans la vie de la société. Il estimait même que cet intérêt pour la mémoire se manifestait aux dépens de l’intérêt pour l’histoire. Il constatait, en outre, que l’intérêt pour le passé prévaut sur celui pour le futur et il y voyait une différence avec les premières décennies du XXe siècle quand tout se faisait au nom du futur5. De même, selon la chercheuse allemande Aleida Assmann, on assiste aujourd’hui, dans le domaine de la mémoire à un « déplacement tectonique » : « Le futur a perdu sa force et n’apporte plus la lumière, en revanche le passé pénètre de plus en plus dans nos consciences ». On ne se focalise plus sur le « futur présent », mais sur le « passé présent6 ».

3 Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la fin du système socialiste, qui a eu pour conséquence de sérieuses transformations dans la structure et le corps des villes. Les premières études, qui sont apparues vers la fin des années 1990, avaient pour objet les grandes villes, avant tout, les capitales du camp socialiste, qui connaissaient les processus douloureux du passage d’un ordre social à un autre. On s’intéressait avant tout aux transformations spatiales, liées au nouveau découpage de la carte politique de l’Europe. Il n’est pas étonnant que le « tournant spatial » apparu dans l’historiographie et l’histoire culturelle soit directement lié aux changements politiques radicaux sur la carte du monde7. Par la suite, l’attention des chercheurs fut attirée par l’alternance des systèmes de signes qui menaient souvent à une banalisation et à une « bagatellisation » des normes idéologiques anciennes8.

4 Si l’on examine ces processus du point de vue des transformations urbanistiques, ils ont beaucoup de points communs dans l’ensemble de l’espace postsocialiste. L’affaiblissement du diktat de l’État a eu pour conséquence aussi bien une accélération de la construction avec des projets de qualités diverses, y compris avec des architectes de réputation mondiale, qu’une construction chaotique due à une absence de plan général de la ville, comme par exemple à Moscou ou Varsovie, et d’une vision du développement ultérieur de la ville. Le revers de la médaille est la migration forcée de la population locale chassée du centre-ville devenu trop cher pour elle, ainsi que la destruction de monuments historiques ou architecturaux, le déploiement du consumérisme, la création dans toutes les villes de non-lieux uniformes, délibérément dépourvus d’une mémoire historique9. Ces processus d’expulsion ne touchent pas seulement les personnes, ils concernent également les édifices que les nouveaux propriétaires considèrent comme malcommodes ou que tout simplement ils n’aiment pas. Parmi les mal-aimés, se retrouvent le constructivisme trop démocratique en comparaison de l’architecture « totalitaire » de l’époque stalinienne, ainsi que l’architecture poststalinienne du modernisme socialiste10. Est considéré comme malcommode tout ce qui peut entraver les plans du riche commanditaire (par exemple l’hôtel particulier du XVIIIe siècle, dit la « Maison des Bolkonskij », décrit dans Guerre et paix par Tolstoj, tout proche du Kremlin, sauvagement modifié par son riche et influent propriétaire). En réponse à ces remodelages de la ville venus d’en haut, on voit apparaître des initiatives citoyennes venant d’en bas qui mobilisent un nombre

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toujours croissant de participants. Autrement dit, à côté de la « ville de Michel Foucault », ville de surveillance et de contrôle de la population par l’État, il y a, dans les villes postsocialistes, une « ville de Henri Lefebvre », où des citoyens actifs, des artistes, des défenseurs de la ville, des défenseurs des droits de la personne, de simples habitants de quartiers veulent participer à la vie et à la formation du milieu urbain. On l’a vu à Moscou en mai 2012 avec le mouvement Okkupaj Abaj (Occupons Abaj11) et auparavant avec les manifestations pacifiques d’artistes dans les jardins de la ceinture des boulevards ou encore avec le mouvement Arxnadzor (Surveillance de l’architecture)12. On peut caractériser la ville postsocialiste par la dynamique radicale pour ne pas dire dramatique des transformations provoquées par le changement de l’ordre social et de tout le mode de vie de la population, et par l’extrême polarisation et fragmentation de la mémoire historique. Ce développement mouvementé, ces contradictions, la violence exercée sur la ville et ses habitants font de la ville postsocialiste un objet d’étude intéressant pour les urbanistes et les anthropologues, mais un milieu de vie inconfortable pour les gens qui y habitent.

5 Les processus communs à tous les pays postsocialistes de construction d’une mémoire nationale, qui était opaque, mutilée, fragmentaire, suscitent chez les chercheurs un intérêt particulier. De nombreux projets, surgis pendant la période transitoire (comme la restauration, ou plus précisément la reconstruction à partir de zéro, du Palais des grands-ducs de Lituanie à Vilnius ou bien la « restauration » des palais du tsar à Kolomenskoe ou Tsaritsyno, dans les environs de Moscou, qui n’ont jamais existé sous une forme achevée), ont conduit à la production de simulacres, nés de la fantaisie des restaurateurs et en accord avec le souhait des commanditaires de « faire beau ». Ces fantaisies, matérialisées dans le béton, illustrant le thème « comme notre histoire nationale était belle, riche, colorée, éclatante », sont des projets officiels de visualisation de la mémoire apparus au cours des dernières décennies13.

6 Mais il existe dans certaines villes-palimpsestes des monuments qu’on ne peut sûrement pas considérer comme siens même s’ils font partie de l’histoire du pays14. Ce sont des « Varègues », des monuments venus d’ailleurs, créés par des architectes et des sculpteurs n’appartenant pas au pays ou bien conçus dans une tradition qui lui est étrangère. Leurs auteurs, architectes et sculpteurs, envoyés de l’étranger ou nommés par les dirigeants étrangers, ont travaillé sur une commande qui leur a été dictée par les conquérants et dans le contexte créé par ces derniers.

7 Que faire des monuments appartenant à un régime révolu, incarnant la mémoire d’occupations, de répressions, de dominations étrangères ? Quel est leur sort aujourd’hui, vingt ans après l’écroulement du système socialiste ? Quelle place dans la ville postsocialiste occupent ces monuments « étrangers » et « mal-aimés » de l’époque socialiste ?

8 J’essaierai de montrer les divers rapports à ce type de monuments, en m’appuyant sur des exemples pris en Allemagne, et Pologne.

De la destruction de la mémoire à la marginalisation

9 Damnatio memoriae, la destruction de la mémoire, accompagne, en fait, presque toujours les changements de régime. La destruction d’ensembles sacrés, architecturaux ou sculpturaux, pendant la révolution de 1789, fut menée à grande échelle et elle eut, à cause de son caractère blasphématoire, une grande portée propagandiste. Compagnon

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habituel des changements de régime radicaux, l’iconoclasme a caractérisé également les transformations systémiques dans les pays de l’ex-camp socialiste en Europe centrale et orientale. Il convenait de détruire les monuments, signes de ce passé socialiste. Nombreux sont ceux, parmi nous, qui se souviennent de la statue de Dzeržinskij, renversée place de la Lubjanka, dans les journées d’août 1991, de l’euphorie et des espoirs liés à cet événement. L’image qui se trouvait derrière cet événement était peut-être celle de l’épisode du film d’Èjzenštejn, Octobre, où on voit la foule renverser la statue d’Alexandre III.

10 Parmi les monuments détruits ou démontés et déplacés au cours de cette période dans les pays ex-socialistes, on peut citer le Lenin de Berlin (sculpture de Nikolaj Tomskij, 1970 sur l’ancienne place Lenin) en 1991, le Lenin de Tallinn, renversé à la même date, les monuments à Lenin et le Mausolée à Georgi Dimitrov en Bulgarie, les monuments de dirigeants soviétiques en Hongrie et dans d’autres pays de l’ex-camp socialiste. Toutes ces destructions furent suivies de près par les médias comme une manifestation de la « guerre des mémoires ». C’est ainsi, par exemple, que fut perçu le déplacement du monument au soldat soviétique et l’enterrement de ses ossements dans un autre emplacement à Tallinn15. La vague iconoclaste et la série de destructions de monuments qu’a connue l’Ukraine pendant l’« Euromajdan » nous démontrent leur force propagandiste. La vague de destructions a commencé en décembre 2013 par la destruction du Lenin en granit du sculpteur Sergej Merkulov à Kiev, qui avait survécu sans dommage au changement de régime au début des années 1990, et elle s’est poursuivie par le renversement des monuments à Lenin et aux tchékistes à travers toute l’Ukraine durant l’année 2014.

11 Le changement de paradigmes a conduit, au début, à une « bagatellisation » de l’idéologie. Il en a résulté la création de parcs du communisme : le Memento park à Budapest ou le Parc Grutas en Lettonie16. Ces parcs, au début assez populaires, n’ont pas tenu leurs promesses tant sur le plan commercial que propagandiste en raison du changement de générations, et de l’apparition de nouvelles générations ayant une autre expérience politique, sociale et esthétique. Les monuments déchus dédiés aux dirigeants soviétiques, réunis à Moscou dans le square derrière la Maison centrale des artistes située à Krymskij val, se sont perdus aujourd’hui dans un ensemble plus vaste de sculptures hors de toute visée idéologique. À la négation totale, qui avait mené à la destruction de nombreux monuments, ou à leur « distanciation », grâce à leur déplacement hors de leur contexte initial, jetés littéralement dans « les poubelles de l’histoire », a succédé, dans la majorité des cas, une attitude plus complexe, parfois contradictoire à l’égard de ces monuments et de leur place dans le milieu urbain. Les leaders d’« Euromajdan » appelaient les destructeurs de monuments à accorder de l’attention à la valeur historico-artistique de ces derniers et à les inclure dans des registres, ce qui aurait été impossible dans les premières années de la période postsocialiste. La situation des monuments dans les villes frontalières, qui, par leur emplacement même, étaient destinées à changer leur appartenance et leur citoyenneté symbolique, est complexe. C’est le cas, par exemple, à L′viv. Le palimpseste culturel attire depuis longtemps l’attention des chercheurs. Les transformations sémantiques au cours des processus de soviétisation, polonisation, ukrainisation de l’espace urbain, peuvent se voir dans le changement des noms de rue, mais aussi dans l’édification (ou la destruction) de monuments17. La concurrence des mémoires peut être observée sur l’exemple des monuments à deux personnages historiques : d’une part la statue

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équestre du fondateur de L′viv, le prince Daniel de Galicie, souverain médiéval de la Galicie-Volhynie, couronné par le pape et incarnant la part « européenne » de l’identité de L′viv (1202), et d’autre part la statue de Stepan Bandera, icône du mouvement de la droite extrémiste des nationalistes ukrainiens (2007).

12 Le cimetière de Lyšakiv constitue un des lieux les plus controversés de L′viv. Créé au tout début de l’incorporation de la Galicie et de la Lodomerie dans l’Empire austro- hongrois, ce cimetière reflétait jusqu’à la Première Guerre mondiale le caractère multinational de l’Empire. Si les Polonais constituaient la majorité des habitants de la ville, y vivaient également des Juifs, des Autrichiens et des Ukrainiens. C’était le cimetière de la ville de L′viv ou plus précisément la Nécropole de la Galicie. On y édifia, dans l’entre-deux-guerres, un Panthéon à la mémoire des défenseurs de la ville, dont les « Aiglons », enfants-guerriers tués lors du conflit polono-ukrainien de 1918-1919 et de la guerre polono-russe de 1919-1921. À l’époque soviétique, le Panthéon fut rasé. Dorénavant la place centrale dans le cimetière était occupée par le « Mont de la gloire », monument à la mémoire des combattants soviétiques tombés lors de la prise de la ville à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Panthéon fut reconstruit après la fin de l’URSS grâce à l’initiative de la Pologne et à son financement ; la composante commémorative ukrainienne, avec ses héros et ses martyrs était dans le même temps renforcée. En 2005, furent inaugurés le Monument aux Aiglons et, simultanément, le Monument à l’Armée d’Ukraine et Galicie durant la Première Guerre mondiale, en tant que projet commun de la Pologne et de l’Ukraine. Le Mont de la gloire fut conservé, comme mémorial, malgré les propositions de le détruire. Les excursions touristiques sont adaptées aux types variés de visiteurs et construisent en conséquence leur récit historique. Ainsi, même si ce n’est pas toujours de façon apaisée, les divers monuments dans la même ville desservent et incarnent la mémoire culturelle de différents groupes sociaux et nationaux, qui tous, traditionnellement et émotionnellement, considèrent la ville de L′viv comme leur.

13 De quelle manière fait-on siens les monuments étrangers ? Quelle est leur place dans le milieu urbain ?

14 Prenons deux monuments en Allemagne orientale, tous deux ayant pour auteur le sculpteur soviétique Lev Kerbel′, celui de à Chemnitz (1971) et celui d’Ernst Thälmann à Berlin (1986). Cet « héritage encombrant », pour reprendre la formule d’Arnold Bartetzky18, nous montre, néanmoins, les possibilités et les limites d’une resocialisation des icônes de l’époque socialiste, grâce à leur adaptation à une nouvelle réalité sociale et leur inclusion dans le contexte urbain local. Mais ce processus peut prendre des formes diverses.

15 L’inauguration solennelle de la gigantesque tête en granit de Karl Marx eut lieu à Chemnitz en 1971, quand cette ville s’appelait encore Karl-Marx Stadt. En dépit des attentes et suppositions des réformateurs radicaux, le monument ne fut pas détruit après la réunification de l’Allemagne, ni même déplacé. Bien au contraire, l’énorme tête de granit du « fondateur du mouvement communiste » devint un lieu-culte, le signe distinctif de la ville, objet des visites touristiques et même, sous la forme de souvenir, emblème de la ville (fig.1). Une fois, elle fut livrée à des artistes pour y réaliser leurs projets : ils construisirent à ses côtés une autre tête, creuse, et on pouvait en entrant à l’intérieur, découvrir le « marxisme vu de l’intérieur ».

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Fig. 1 Monument à. Karl Marx à Chemnitz – Karl-Marx-Stadt

Sculpteur Lev Kerbel′, 1971 © Wikimedia

16 Le monument à Ernst Thälmann, créé par Lev Kerbel′ en 1986, sur une commande du dirigeant de la RDA de l’époque Erich Honecker, a eu moins de chance (fig. 2). Le massif buste de bronze fut érigé sur son piédestal de granit dans un ancien quartier ouvrier, Prenzlauer Berg, au centre d’une des dernières cités modèles construites en RDA, à côté du parc portant son nom19. Son monumentalisme grandiloquent était déjà, alors, en dehors du contexte du modernisme modéré qu’affectionnait la RDA de l’époque. Le monument se retrouve, aujourd’hui, à la lisière d’un quartier de la ville dont le prestige (et les prix) grimpent rapidement. Bien qu’inclus dans la liste des monuments protégés par l’État, Thälmann est laissé à l’abandon ; abandon qui illustre sa disparition de la mémoire historique. Ainsi, Thälmann a été à deux reprises victime de l’histoire : en tant que dirigeant du KPD (Parti communiste d’Allemagne) pendant la République de Weimar, il fut arrêté dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Après 10 ans de prison, il fut envoyé au camp de Buchenwald où il fut fusillé. Il était donc un des principaux héros et martyrs du panthéon de la RDA. Le monument fut l’objet d’un fort rejet de la part des habitants qui souhaitaient son élimination durant les premières années qui suivirent la réunification de l’Allemagne ; aujourd’hui il se trouve sous la protection (très relative) des autorités de la ville. Couvert de graffitis anticapitalistes, il est devenu le lieu de rencontre des anarchistes et de l’extrême-gauche.

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Fig. 2. Monument à Ernst Thälmann à Berlin

Sculpteur Lev Kerbel′, 1986. © Marina Dmitrieva, 2014.

17 Le premier des deux monuments du sculpteur soviétique est ainsi devenu le symbole central de Chemnitz. On peut trouver également une certaine résistance de la ville contre la politique mémorielle générale en Allemagne et une tentative pour conserver son identité dont faisaient partie le passé socialiste et le nom même de la ville. Le second monument, lui, s’est trouvé évincé des mémoires, aussi bien de la mémoire officielle que de celles de différents groupes et, en conséquence, ne fait pas partie des préoccupations des autorités de la ville. Mais nos deux monuments « étrangers », grâce à leur inclusion dans le contexte d’une ville ou dans un cadre étroitement régional, ou même, en ce qui concerne celui de Thälmann, dans la culture des groupes radicaux de la ville, se retrouvent privés de leur propre contexte historique, naguère encore si controversé, et ont donc été appropriés.

18 Les destinées des gratte-ciel staliniens, témoins architecturaux particulièrement visibles de la domination soviétique en Europe centrale et orientale, à Varsovie, Riga, Bucarest, sont à la fois curieuses et emblématiques.

19 Le Palais de la culture et de la science du nom de Stalin à Varsovie (1952-1955) a été édifié d’après un projet de Lev Rudnev, l’architecte de l’Université de Moscou, qui l’avait repris à , tombé en disgrâce. Les architectes polonais n’avaient qu’un rôle consultatif. Ce gratte-ciel au centre de Varsovie était un don de l’Union soviétique à la République populaire de Pologne et avait été conçu pour être l’axe vertical de la ville, en opposition au projet national de la reconstruction de la vieille ville, totalement détruite pendant la guerre. Ce bâtiment moderne en béton et acier a été construit au même moment que les gratte-ciel staliniens de Moscou, les vysotki, qui, à leur tour, avaient pour modèle les gratte-ciel américains20. Mais en même temps, les détails architecturaux, par exemple les attiques, qui sont connotés, dans la littérature spécialisée, comme polonais, reproduisaient sous une forme simplifiée et grossière des éléments de l’architecture polonaise de la Renaissance. Les matériaux pour le décor extérieur et intérieur venaient de diverses régions : le grès clair et le marbre venaient de carrières polonaises et du Caucase ; les céramiques étaient fabriquées à Moscou et en Estonie ; les constructions métalliques l’étaient à Dnepropetrovsk, alors que le travail

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sur bois était réservé aux artistes et artisans polonais. C’était donc bien, comme le voulait la propagande, un projet inspiré par « l’amitié des peuples ». Il avait été conçu dès le départ comme un bâtiment multifonctionnel et non comme un lieu de pouvoir. Il abritait (et, pour une part, abrite encore) des studios de théâtre, des salles de cinéma, une maison de la jeunesse avec une piscine couverte, des salles de sport et des salles pour les loisirs actifs. Plus tard, vinrent s’y adjoindre des salles d’exposition, un musée des sciences et techniques, une salle de congrès et des départements de l’Académie des sciences avec leur bibliothèque (fig. 3).

Fig 3. Palais de la culture et de la science à Varsovie, 1952-1955

Architecte en chef de projet Lev Rudnev, équipe d’architectes et ingénieurs soviétiques. © Marina Dmitrieva, 2014.

20 Ce bâtiment qui s’est dressé au centre de la capitale polonaise, détruite par les Allemands et conquise par l’Armée rouge, était devenu le symbole des nouveaux rapports de pouvoir et avait une signification idéologique particulière. La place devant le Palais, Plac defilad (Place des Défilés) était prévue pour les défilés et les meetings. Le rôle symbolique du Palais aurait dû être souligné grâce à l’édification d’un monument à Stalin. La mort de ce dernier interrompit le projet et le monument de Xawiery Dunikowski ne fut jamais réalisé.

21 La construction du Palais était accompagnée d’une campagne de propagande intense. Cette dernière était axée sur le fait que le gratte-ciel était un « cadeau de Stalin » et « un don fraternel des peuples de l’Union soviétique au peuple polonais ». Quand commença la réalisation du projet, la forme de l’édifice n’était pas encore définitivement arrêtée : on peut voir au Musée de l’architecture de Moscou les différentes esquisses de Rudnev qui démontrent qu’il réfléchissait à diverses variantes21. Elles témoignent aussi du fait que Rudnev étudiait l’architecture polonaise et qu’il la caractérisait comme une architecture « légère » et « joyeuse »22. Mais le fait que, finalement, la forme retenue fût celle des vysotki moscovites et qu’elle s’inspirât de

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la silhouette des tours du Kremlin, transforma cet objet architectural en un signe de l’occupation.

Fig. 4. Le « Combinat polygraphique Scinteii » à Bucarest, 1950-1956

Architecte Horia Maieu, équipe d’architectes et ingénieurs roumains. © Arnold Bartetzky, 2009.

22 Le gratte-ciel roumain Casa Scânteii à Bucarest (1950-1956) était encore une manifestation visuelle du nouvel ordre politique, de type soviétique, en Europe. Le « Combinat polygraphique », qui portait, tout comme le Palais de la culture à Varsovie, le nom de Stalin, était le centre de la propagande communiste. Il logeait, entre autres, la rédaction et l’imprimerie du journal Scînteia, l’organe central du Parti ouvrier roumain, mais aussi d’autres rédactions et des maisons d’édition ; il abritait également une salle de congrès. L’importance de cet édifice était soulignée par le caractère triomphal de son architecture. L’édifice, avec sa partie centrale conçue autour d’une verticale et ses quatre éléments architecturaux, était visible de très loin au bout d’une via triumphalis (fig. 4). Il devait embrasser la place Stalin avec sa tribune officielle et sa statue de Stalin ; autrement dit, ce devait être le lieu, comme la place devant le Palais de la culture à Varsovie, des manifestations de masse. Il est vrai que la Casa Scânteii, à la différence du Palais de la culture varsovien, n’avait pas été placée au centre de la ville mais dans ses confins, dans une zone verte au nord de la capitale et dans l’axe d’un boulevard qui lui préexistait. Contrairement à ce qui s’était passé en Pologne, la Casa Scânteii a été construite, elle, par une équipe d’architectes roumains avec Horia Maieu comme chef de projet. Ils se sont appuyés sur l’expérience des experts soviétiques et ont étudié sur place les gratte-ciel moscovites. L’Union soviétique a également apporté son soutien sous forme de machines et d’équipements techniques. Selon Horia Maieu, son projet devait montrer le triomphe de l’homme sur la nature, le rôle dirigeant du parti ainsi que la sagesse de Stalin qui indiquait la voie à suivre23.

23 Il voyait parmi les qualités du projet roumain sa forte inclusion dans l’environnement. C’est pour atteindre ce but que l’édifice reste d’une hauteur relativement modeste : cent mètres. En ce qui concerne le style architectural, l’architecte avait choisi, tout

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comme ceux du gratte-ciel de Varsovie, de s’appuyer sur la tradition nationale. La charge idéologique de cette architecture pleine de pathos qui devait être, selon la formule du réalisme socialiste, « national par sa forme et socialiste par son contenu » fut fatale pour ces édifices avant même qu’ils ne soient achevés. À Bucarest, tout comme à Varsovie, il fallut, après la mort de Stalin et le changement de cours qui s’en suivit, reporter la composante glorificatrice au second plan. La rhétorique pompeuse de l’architecture stalinienne fut peu de temps après condamnée pour ses « excès architecturaux ». Même Lev Rudnev critiqua publiquement cette architecture qui vieillit si rapidement. Le décor extérieur de la Casa Scânteii resta inachevé et on termina le projet dans un genre plus modeste. Ce monument de l’époque socialiste est devenu marginal, en comparaison, par exemple, du palais de Ceausescu.

24 La Maison du kolkhozien à Riga (1951-1958), avec sa silhouette moscovite, connut le même sort. Elle fut projetée en tant que centre multifonctionnel, devant démontrer les avantages de l’agriculture socialiste qu’il convenait d’introduire en Lettonie. Située au centre d’une vaste exposition agricole permanente, elle devait abriter une salle de 1 200 places pour des assemblées générales, un hôtel pour les kolkhoziens, une bibliothèque, des laboratoires de recherche. Elle fut construite sur le modèle des vysotki moscovites sous la direction d’un important architecte letton Osvalds Tilmanis. Tout comme les gratte-ciel de Varsovie et Bucarest, la Maison du kolkhozien avait repris, pour son décor, les traditions locales, ce qui n’effaçait pas sa silhouette moscovite. Étant située à la périphérie de la ville, elle ne causa pas de dommages au centre de la capitale, à la différence du Palais de la culture à Varsovie. La construction de l’édifice fut si lente qu’elle n’était pas achevée quand l’ère de Stalin prit fin. Son style cessa de correspondre à l’esthétique du régime.

25 Par la suite, la fonction éducative des détails trop parlants du décor intérieur et extérieur suscitait de la gêne, tout comme l’archaïsme du langage architectural, qui répétait de manière servile les vieux modèles américains. Les bâtiments vieillissaient, on continuait à les utiliser mais sans le respect d’antan. Ainsi la Casa Scânteii est-elle pratiquement absente des histoires de l’architecture roumaine publiées dans la période socialiste poststalinienne. Il en va de même de la Maison du kolkhozien de Riga. À l’heure actuelle, cette dernière est occupée par diverses institutions de l’Académie des sciences, mais on ne peut pas dire qu’elle joue un rôle, même minime, dans l’image que la ville veut donner d’elle-même. Si l’on examine l’identité que se construisent aussi bien Bucarest que Riga sur les cartes postales ou dans les études historiques, on constate que les vysotki staliniennes en sont absentes. L’œuvre de Tilmanis, même sur une carte postale de l’époque soviétique semble avoir été pudiquement repoussée à l’arrière-plan, alors que le Palais de la culture, à Varsovie, occupe une place centrale et se dresse fièrement au milieu d’autres bâtiments de grande hauteur. Riga se positionne comme une ville de vieilles traditions, alors que Varsovie, grâce au don soviétique, comme une city moderne.

26 À la différence des autres gratte-ciel staliniens, y compris ceux de Moscou, le Palais de la culture a fait une carrière brillante et a acquis quasiment le statut d’un objet culte : à la suite d’une commercialisation bien organisée, il s’est transformé d’un sujet de blagues malveillantes (le plus bel endroit de la ville, car quand on est à son sommet, on ne le voit pas) en un symbole de Varsovie et est devenu l’objet d’un intérêt scientifique24. Le Palais de la culture est donc un exemple intéressant de la création d’un lieu de mémoire, réunissant en tant que signe divers groupes de la population,

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même si c’est avec des émotions contraires. Pour l’intelligentsia polonaise, il s’agit du symbole honni de la domination étrangère qui est venu prendre la suite de la cathédrale orthodoxe Aleksandr Nevskij, détruite pendant la Deuxième République. Ainsi, Tadeusz Konwicki, dans son roman La petite Apocalypse dit à son sujet : Cette immense construction toute pointue faisait peur et inspirait de la haine mêlée à une sorte d’horreur sacrée. Monument d’orgueil, statue de la dépendance, ce grand gâteau de pierre semblait se dresser là en signe d’avertissement25.

27 Il apparaît dans de nombreux films et romans, dont ceux de Konwicki. Pour les habitants de la ville, cet édifice est le lieu traditionnel de concerts, par exemple, celui, légendaire, des Rolling Stones en 1967, et de festivals de jazz, célèbres à l’époque socialiste, les Jazz Jamboree. On y conduit les enfants à la piscine ou aux clubs sportifs, on y fréquente un théâtre et des salles de cinéma populaires. Au moment du changement de régime, des discussions fort vives se sont déroulées à propos du sort qu’il fallait réserver au Palais de la culture : fallait-il le détruire, le conserver sous forme de ruines, en faire un musée du communisme ou de la dictature ? Tout récemment encore Radoslaw Sikorski, alors ministre des Affaires étrangères polonais, s’est prononcé pour sa destruction. Mais l’édifice a été, en 2007, classé monument historique, placé sous la protection de l’État et soigneusement restauré. Il est devenu, sans aucun doute, un élément du visage de Varsovie et un bâtiment culte, ce qui est habilement utilisé sur son site26. Mais, dans le même temps, ce monument du stalinisme ne perd pas de sa virulence et reste l’objet de débats infinis entre divers architectes et urbanistes qui proposent des solutions variées pour diminuer son caractère dominant dans la ville. Le Palais de la culture a réussi, d’une part, son intégration sinon dans son environnement architectural, du moins dans la vie de la ville. Il continue, avec succès, sa vie de bâtiment multifonctionnel. D’autre part, il connaît diverses tentatives de « mythologisation », et d’interprétation. Par exemple, il a été l’objet d’interprétation dans le cadre de la théorie postcoloniale et, dans cette lecture, le discours public autour de la construction de ce bâtiment est présenté comme symptomatique de la position de victime passive d’un traumatisme, alors qu'on ignore le rôle des sympathisants du régime, qui ont facilité sa construction, ainsi que le succès populaire du bâtiment27.

Le parc de Treptow, Berlin

28 L’un des monuments les plus connus de Berlin-Est, le monument du Soldat-libérateur du parc de Treptow (1949) a eu un destin compliqué. Le Mémorial fut l’un des premiers complexes monumentaux érigés à la mémoire des combattants soviétiques-libérateurs en Europe centrale et occidentale. Le tout premier fut un monument réalisé par Evgenij Vučetič sur la place Schwarzenberg à Vienne. Il fut installé dès 1945, aussitôt après la libération de Vienne et sa division en zones d’occupation. Le Mémorial de Treptow, qui est l’un des trois monuments militaires soviétiques à Berlin28, est dédié à la mémoire des combattants soviétiques tués pendant la prise de la capitale du Reich ; il abrite la sépulture de plus de 5 000 combattants soviétiques. C’était l’un des principaux monuments de Berlin-Est. Le géographe américain Paul Stangl estime que ce monument, établi par un État totalitaire, « constitue l’expression extrême du pouvoir de l’idéologie sur l’espace29 ».

29 Les auteurs de l’ensemble du parc de Treptow sont le sculpteur Evgenij Vučetič et l’architecte Jakov Belopol′skij. On créa un atelier spécialement pour ce monument

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auquel travaillèrent des artistes soviétiques et allemands, sculpteurs, peintres, mais aussi tailleurs de pierre, ferronniers, etc. Le matériau utilisé était les blocs de granit provenant des ruines de la Chancellerie du Reich, construite par Albert Speer, le principal architecte de Hitler, ce qui avait une importance non seulement pratique, mais aussi symbolique.

30 On accède au Mémorial des deux côtés d’un axe horizontal par des portails en forme d’arcs de triomphe romains, décorés de panoplies. On se retrouve, ensuite, sur une place dressée de saules pleureurs, au centre de laquelle est placée la statue d’une mère pleurant son fils mort. Et ce n’est qu’alors qu’on découvre l’axe principal, vertical, qui culmine avec la figure gigantesque du soldat-libérateur, se dressant sur une sorte de tumulus. Des drapeaux en granit rouge se baissent à l’entrée du mémorial proprement dit, composé d’un grand espace de forme rectangulaire, au fond duquel se dresse ce soldat-libérateur, un pied posé sur une svastika brisée, une fillette contre sa poitrine et un glaive à la main (fig. 5). Sur les côtés du rectangle, avec les tombes des soldats, sont disposés des sarcophages, ornés de bas-reliefs, et surmontés de stèles où sont gravées des citations de Stalin à propos de la guerre et de l’héroïsme du peuple soviétique (fig. 6). Les représentations, des deux côtés de l’espace rectangulaire sont identiques et les textes sont d’un côté en allemand et de l’autre, en russe. Le visiteur, quand il entre dans cet espace, est forcé de suivre la ligne de déplacement qui lui est proposée, ou plutôt imposée, le long des inscriptions des paroles de Stalin. Ces citations sont toujours restées visibles, y compris pendant la période de la « déstalinisation » khrouchtchévienne, même si elles ont perdu beaucoup de leur éclat durant l’existence de la RDA.

Fig. 5. Statue du Soldat-libérateur, Mémorial de Treptow

© Marina Dmitrieva, 2014.

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Fig. 6. Stèle avec citation de Staline, Treptow

© Marina Dmitrieva, 2014.

31 Le récit que conte cet ensemble est l’histoire de la guerre, racontée par le vainqueur. Les bas-reliefs illustrent, d’une manière passablement naïve, la version soviétique de la guerre, d’où est exclu, bien évidemment, le pacte MolotovRibbentrop ; le récit commence par la vie de labeur paisible de l’Union soviétique avant le début de la guerre, interrompue brutalement par l’attaque traîtresse de l’Allemagne, narre la défense héroïque contre les envahisseurs et se conclut par la libération de l’Europe par les combattants soviétiques. Une stèle, consacrée à cette dernière période, montre des protagonistes « extérieurs » qui accueillent avec reconnaissance les libérateurs et elle nous montre où cela se passe : on devine, à l’arrière-plan, le pont Charles à Prague. À la différence d’autres monuments, comme, par exemple, celui du même Vučetič à Stalingrad, la composante commémorative domine ici par rapport à la composante triomphaliste : ce sont les blessés et les morts, c’est la figure de la Mère-Patrie à l’entrée du complexe mémoriel proprement dit, figure qui remonte, à l’évidence, à la mère pleurant son fils tué à la guerre de Käthe Kollwitz, et qui nous attire par ses dimensions modestes proches des dimensions humaines, bien différentes des dimensions gigantesques, si largement diffusées par la suite dans l’iconographie soviétique, qui caractérisent la Mère-Patrie de Stalingrad, ou celle de Kiev. À Treptow, nous avons affaire à la mémoire des morts, thème qui n’eut pratiquement pas de suite dans la symbolique triomphaliste de la guerre adoptée par l’Union soviétique. Mais ce récit victimaire ne parle que des morts parmi les vainqueurs et non parmi les vaincus. On retrouve le même thème dans la frise en mosaïque qui fait le tour de la salle à l’intérieur du piédestal du soldat-libérateur.

32 La précision des détails vestimentaires contemporains, dans le Mémorial, sert à produire une impression d’exactitude documentaire, bien que viennent s’y mêler des éléments « historiques » (le glaive médiéval dans la main du soldat portant l’uniforme de l’Armée rouge, les pleureurs et pleureuses de la frise en costumes modernes mais avec des draperies à l’antique, l’emploi de formes empruntées à l’architecture antique ou paléochrétienne ou encore de la Renaissance), le tout réunissant profane et

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religieux. Cette juxtaposition, selon R. Koselleck, est caractéristique de l’iconographie mémorielle où les motifs iconographiques de diverses époques viennent se superposer les uns aux autres30. Seul le soldat libérateur avec le glaive dans la main droite et la fillette allemande sur le bras gauche n’incarne pas seulement le mythe officiel de la guerre apportant la paix, mais est également porteur d’une certaine menace contre l’ennemi potentiel. Comme le confie Vučetič lui-même, il a eu recours, pour créer son monument, à de nombreux éléments, devenus des classiques, appartenant à l’art du mémorial à travers le monde entier, depuis les pyramides et les temples antiques, mais il a finalement créé quelques chose de parfaitement nouveau31. Vučetič n’a pas mentionné une source évidente : le monument de la Bataille des Nations à Leipzig (1913). Cet énorme édifice en forme de ziggurat ou de pyramide tronquée, ayant pour auteurs l’architecte Bruno Schmitz et les sculpteurs Christian Behrens et Franz Metzner, se caractérise, tout comme le mémorial de Treptow par son « monumentalisme sacral32 ». Il est généralement considéré comme un exemple parfait du pesant style impérial à la veille de la Première Guerre mondiale et de l’écroulement de l’Empire. Cependant, il faut noter que l’empereur Guillaume II, lui, avait pris ses distances par rapport à ce monument, qui n’était pas dans ses goûts ; de plus il n’appréciait pas la présence de symboles maçonniques (l’initiateur du projet, le président de l’Association patriotique, Clemens Thieme était maçon). La conjonction d’un monumentalisme païen avec des motifs chrétiens, tout comme la silhouette générale du monument, ont indubitablement influencé la composition et l’esprit général du Mémorial de Treptow. Selon Rudy Koshar, qui a travaillé sur les lieux de mémoire allemands, la parenté entre ces deux monuments, tant dans leur gigantisme impressionnant que dans l’interprétation de l’exploit héroïque de la nation, s’incarne dans les figures des héros33. Le Völkerschlachtdenkmal de Leipzig se trouve à une heure et demie de route de Berlin et était d’ailleurs largement connu dans les milieux professionnels grâce à de nombreuses publications dans la presse. Tout comme le Mémorial de Treptow, il s’agit d’un monument à la mémoire des combattants tombés à la guerre, mais, dans ce dernier cas, il s’agit des victimes allemandes de la Bataille des Nations. Les figures gigantesques des génies dans le style égyptien qui font cercle à l’intérieur du mémorial représentent les « vertus allemandes ». Bien que ce monument, construit grâce aux fonds collectés par « l’Association patriotique », ne puisse en aucun cas être considéré comme « étranger », on observe un certain désarroi à son égard de la part des régimes qui ont succédé à l’Empire. Son monumentalisme hors norme, son pathos démodé et son étrange symbolique païenne rendaient malaisée l’inclusion du monument dans le discours mémoriel, à l’exception notable de la période nazie.

33 La République de Weimar tenta d’en faire un monument de la paix, tandis que sous le régime de la RDA il fut reconverti, de manière grotesque, en monument à l’amitié russo-germanique : son intérieur, à l’acoustique remarquable, fut utilisé comme salle de concert pour un chœur allemand spécialisé dans la musique russe et soviétique. Après la réunification de l’Allemagne, et la tonalité dominante, étrangère au pathos et au patriotisme, dans le discours public, on observe une volonté d’atténuer le caractère emphatique et nationaliste du monument. La restauration complète du mémorial fut achevée pour le 200e anniversaire de la Bataille des Nations, en octobre 2013. Une certaine réconciliation avec le monument s’est produite à cette occasion, même si la tentative d’en faire progressivement un des symboles de la ville n’a pas encore abouti.

34 Cela n’a pas été non plus le cas pour le monument du soldat-libérateur à Berlin. Après des tentatives de diffamation et de détérioration du monument, un accord fut conclu

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entre la RFA et la Russie sur sa protection. Une restauration soigneuse du monument a été effectuée par les spécialistes allemands. Les citations de Stalin ont été restaurées et redorées (mais pas le nom du dictateur). Mais, estime l’historien Andriy Portnov, cela ne l’a pas sauvé d’une marginalisation34. Le mémorial de Trepow, qui fut le lieu de mémoire officiel le plus important en RDA, n’est pas, aujourd’hui, mentionné dans tous les guides et n’est pas inclus, loin de là, dans les visites de la ville prévues pour les touristes35. Il est devenu le lieu de rencontre des anciens combattants russes le jour- anniversaire de la Victoire ainsi que des « nostalgiques ». Les jeunes Russes habitant Berlin, l’ont, depuis peu, redécouvert pour s’y faire photographier le jour de leur mariage, sur le modèle de ce qui se pratique en Russie. Le monument aux vainqueurs, détaché de son contexte idéologique initial, s’est retrouvé en dehors du discours mémoriel de l’Allemagne réunifiée. Son esthétique grandiloquente semble inopportune et est perçue comme une survivance exotique du passé. Le monument minimaliste de l’Holocauste (2005) à Berlin, conçu par l’architecte américain Peter Eisenman, correspond mieux à l’esprit du temps et au rôle d’un monument à la mémoire des victimes d’un régime totalitaire.

En guise de conclusion

35 Tous les exemples examinés ici montrent l’importance des artefacts dans la formation de la mémoire historique. Les monuments, témoins de régimes récemment disparus, ne se sont pas encore transformés en histoire, c’est-à-dire en une partie du passé ; ils ne sont pas non plus devenus de ces monuments sur lesquels, comme l’a dit Robert Musil, le regard glisse comme des gouttes de pluie. Ces monuments se remarquent plus que les autres au sein de la ville, plus que les monuments aux rois, aux généraux ou aux poètes. On les couvre de graffitis, ils sont étudiés par les anthropologues et les historiens de l’art, et s’ils ont le malheur de nous tomber, on les jette à bas de leur piédestal. Grâce à une analyse détaillée des monuments d’aujourd’hui, nous sommes en mesure de comprendre comment les monuments ont pu changer de signification dans un passé plus lointain, par exemple, comment s’est effectuée la resémantisation des monuments antiques à la période paléochrétienne.

36 Les monuments « étrangers » deviennent visibles principalement grâce à l’intérêt que portent les médias à leur destruction. Sur You Tube ou dans les films artistiques36, on voit encore et encore les monuments des régimes disparus jetés à terre, se transformant d’un objet matériel concret en une réalité virulente, constamment présente bien que virtuelle, de la ville postsocialiste. En ce sens l’iconoclasme se révèle plus efficace que l’iconolâtrie, c'est-à-dire l’érection de nouveaux monuments.

37 La mémoire de la société postsocialiste, à la différence de ce qui se passait sous le régime totalitaire, n’est plus, après sa chute, une mémoire officielle et unique imposée à la population. La mémoire est devenue multiple et fragmentée, composée de la mémoire des rares témoins encore en vie de la Seconde Guerre mondiale (ou, pour la Russie, de la Grande Guerre patriotique), mais aussi des anciens combattants des autres guerres, en Afghanistan, dans les Balkans, en Tchétchénie, ce qui diminue la singularité de la Seconde Guerre mondiale. C’est la mémoire aussi bien des dissidents que des responsables du parti communiste, aussi bien des citadins depuis plusieurs générations que des migrants récents, aussi bien des majorités que des minorités nationales. Et chacune de ses mémoires s’appuie sur ses lieux de mémoire.

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38 Le rôle et la position des monuments « étrangers » dépendent du segment de cette mémoire multiple dans lequel ils ont réussi à s’insérer. Le monument de Marx, œuvre du sculpteur soviétique Lev Kerbel′ (sculpteur fort prospère mais loin d’être dépourvu de talent), est maintenu par la mémoire de la RDA avec les éléments de nostalgie qu’elle comporte. Son monumentalisme quelque peu grotesque suscite une sorte de fierté locale. Une autre œuvre du même sculpteur, que nous avons également examinée, s’est trouvée moins bien protégée et est tombée dans la niche d’une subculture urbaine. Cela peut s’expliquer par son statut « liminaire » puisqu’elle a été créée à la veille de l’écroulement du régime et qu’elle est placée à la frontière entre un quartier « à la mode » et un quartier socialiste de la ville.

39 Les gratte-ciel de Bucarest et Riga se sont trouvés en dehors du contexte de la ville d’aujourd’hui. Ni le « petit Paris » (Bucarest) ni la « ville médiévale de la Hanse » (Riga) n’ont trouvé de place pour intégrer des vysotki soviétiques copiées sur des modèles moscovites. Les deux édifices se sont retrouvés, au sens propre, sur les bas-côtés de la mémoire culturelle. On peut en dire autant à propos du Mémorial de Treptow. L’esthétique grandiloquente et la sémantique de vainqueur ne s’inscrivent pas dans le paysage actuel de la mémoire et se trouvent sans usage. En revanche, le Palais de la culture et de la science à Varsovie s’est trouvé, lui, dans un autre contexte. Il est, certes, considéré sans équivoque comme le symbole d’un pouvoir étranger, mais il inclut néanmoins de nombreux registres des mémoires de divers groupes. Il a pour sauf- conduit son statut de monument architectural et son « accent polonais » facilement discernable dans le texte russe. Il trouve un garant supplémentaire pour son bon fonctionnement comme lieu de mémoire dans la ville d’aujourd’hui dans le motif victimaire auquel il est associé et qui constitue le leitmotiv de la mémoire culturelle dans tous les pays de l’ancien camp socialiste.

40 De nombreux chercheurs, parmi ceux qui travaillent sur la mémoire dans l’ancien camp socialiste, notent le déplacement évident du centre d’intérêt, passé de la mémoire des vainqueurs à celle des victimes. Comme le dit l’historien russe Nikolaj Kolosov, l’Holocauste et le Goulag sont devenus les symboles de la mémoire du XXe siècle. Mais l’histoire qu’ils incarnent est une histoire criminelle. Kolosov note, parallèlement à la croissance de la mémoire historique, la « criminalisation » et la « victimisation » du passé, qui constituent, l’une et l’autre, des matrices importantes de sa perception37.

41 Cela concerne, en premier lieu, la mémoire historique douloureuse des pays de l’Europe centrale et orientale, qui se positionnent comme des victimes des deux régimes totalitaires, le régime nazi et le régime soviétique. Milan Kundera avait défini, il y a de cela un certain temps, les pays de l’Europe orientale ou, comme il disait de l’Europe centrale, comme une petite Europe « archieuropéenne » et comme un « Occident kidnappé » ; dans l’article qui porte ce titre il parle de la mémoire commune de cette région historique38. Après l’écroulement du camp socialiste, la mémoire compliquée de ce passé récent devint commune, devint commune également cette tonalité victimaire dont sont pénétrés les musées de l’occupation créés dans de nombreux pays de l’Europe centrale et orientale. C’est ce qu’avait en vue la femme politique lettone Sandra Kalniete quand elle appelait l’Europe à se souvenir de l’expérience des victimes. Mais l’expérience traumatique de ce passé récent n’est pas devenue, pas plus aujourd’hui qu’à l’époque où Kundera écrivait son article, une composante du discours mémoriel paneuropéen.

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42 C’est dans ce contexte contradictoire qu’il convient de comprendre l’usage qui est fait des monuments « étrangers » dans l’espace postsocialiste : c’est à la fois une forme de protestation contre l’oppression et un moyen d’oublier le passé.

NOTES

1. Voir le Pompéi du pays des Soviets, rg.ru/2013/05/21/bruskin-poln.html, 3 mars 2014. 2. La notion de « culture mémorielle » (Erinnerungskultur) est particulièrement élaborée dans la tradi-tion scientifique germanique, alors que les travaux anglo-américains utilisent plutôt la notion de « politique de la mémoire » (politics of memory). 3. À propos de la culture de la mémoire en général, voir : Aleida Assmann, Der lange Schatten der Ver- gangenheit. Erinnerungskultur und Geschichtspolitik, Bonn, 2007 ; Günther Lottes, „Erinnerungskulturen zwischen Psychologie und Kulturwissenschaft“, in Erinnerung, Gedächtnis, Wissen. Studien zur kulturwis- senschaftlichen Gedächtnisforschung, éd. Günter Oesterle, Göttingen, 2005, p. 163-184. Pour un apercu concernant l’Europe centrale, cf. Stefan Troebst, Postkommunistische Erinnerungskulturen im östlichen Europa. Bestandsaufnahme, Kategorisierung, Periodisierung, Wrocław, wyd. Uniwersytetu Wrocławskiego, 2005 (Berichte des Willy Brandt Zentrums 7) ; Id., Erinnerungskultur – Kulturgeschichte – Geschichtsregion. Ostmitteleuropa in Europa, Stuttgart, Steiner, 2013. 4. Sandra Kalniete, l’ex-ministre des Affaires étrangères de Lettonie, appelait dans son discours à l’inau- guration de la Foire du livre à Leipzig en 2004 de prendre en compte les positions non seulement des « grands » peuples de la « nouvelle Europe », mais aussi des « petits », qu’elle a qualifiés de « victimes de l’histoire » et elle a appelé à ne pas faire de différence entre le nazisme et le stalinisme ce qui provoqua l’in- dignation des représentants du Conseil central des Juifs en Allemagne. 5. Andreas Huyssen, Present Pasts: Urban Palimspsests and the Politics of Memory, Stanford, Stanford University Press, 2003, p. 1-6. 6. Aleida Assmann, « Transformations du nouveau régime temporel » (en russe), in Новое литера- турное обозрение, no 16, 2012, http://nlobooks.ru/node/2522. 7. Edward W. Soja, Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Social Theory, London, Verso, 1989. Sur le lien entre le spatial turn dans les recherches sur l’histoire culturelle et l’écroulement du système socialiste, voir en particulier : Karl Schlögel, Im Raume lesen wir die Zeit. Über Zivilisationsgeschichte und Geopolitik, München, Carl Hanser, 2003. 8. Nancy Condee (éd.), Soviet Hieroglyphics: Visual Culture in Late Twentieth Century Russia, Bloomington-London, Indiana University Press, 1995. 9. Voir la fort convaincante analyse comparativiste de ces processus, menée à partir du point de vue de diverses disciplines, sociologie, urbanisme, histoire culturelle : Ewa Bérard et Corinne Jaquand (eds.), Architectures au-delà du Mur, Berlin-Varsovie-Moscou 1989-2009, Paris, Picard, 2009 ; John Czaplicka, Nida Gelazis, Blair A. Ruble (eds.), Cities after the Fall of Communism. Reshaping Cultural landscapes and European identity, Washington-Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2009 ; Tsypylma Darieva, Wolfgang Kaschuba, Melanie Krebs (eds.), Urban Spaces after Socialism. Ethnographies of Public Places in Eurasian Cities, New York, Campus, 2011.

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10. Von der Ablehnung zur Aneignung? Das architektonische Erbe des Sozialismus in Mittel-und Osteuropa, Arnold Bartetzky, Christian Dietz, Jörg Haspel (eds.) , Köln – Weimar – Wien, Böhlau, 2014. 11. Du nom du poète et penseur kazax Abaj Kunanbaev devant le monument duquel les protestataires se réunissaient. 12. http://www.archnadzor.ru/ 13. 13. Arnold Bartetzky, Nation – Staat – Stadt. Architektur, Denkmalpflege und visuelle Geschichtskultur vom 19. bis zum 21. Jahrhundert, Köln – Weimar – Wien, Böhlau, 2012. 14. Par monuments j’entends dans le présent article des édifices et sculptures réels (ou démolis, mais présents dans la mémoire collective), qui ont laissé une trace symbolique sur le tissu urbain, dans la mesure où ils préservent le souvenir d’événements historiques clefs et représentent les idées de certains groupes de la population. 15. Karsten Brüggemann, Andres Kasekamp, « The Politics of History and the War of Memories in Estonia », in Nationalities Papers 36, 2008, p. 425-448. 16. Der Kommunismus im Museum. Formen der Auseinandersetzung in Deutschland und Ostmitteleuropa, Volkhard Knigge, Ulrich Mählert (eds.), Köln – Weimar – Wien, Böhlau, 2005; Past for the Eyes. East European Representations of Communism in Cinema and Museums after 1989, ed. Oksana Sarkisova, Péter Apor, Central European University Press, Budapest–New York, 2008; Post-Communist Nostalgia, éd. Maria Todorova et Zsuzsa Gille, New York – Oxford, Berghahn, 2010. 17. Yaroslav Hrytsak, Victor Susak, « Constructing a national city. The Case of L′viv », in Composing Urban History and the constitution of civic identities, éd. John J. Czaplicka et Blair A. Ruble, Washington, Woodrow Wilson Center Press, 2003, p. 140-164. 18. Arnold Bartetzky, « A cumbersome heritage. Political monuments and buildings of the GDR in the reunited Germany », in The Post-Socialist City (voir FN 16), p. 52-65. 19. Pour une analyse du contexte « étranger » de ce monument en comparaison du monument à Marx et Engels créé par des sculpteurs allemands, voir : Brian Ladd, « East Berlin Political Monuments in the Late German Democratic Republic : Finding a Place for Marx and Engels », in Journal of Contemporary History, vol. 37, 2002, p. 91-104. 20. À propos de la sémantique des gratte-ciel en Europe orientale, voir : Marina Dmitrieva, „Einholen und überholen. Amerikanismus in der Sozblock-Architektur“, in Fixstern Amerika. Ideal und Illusion Mitteleuropas. [=Osteuropa, 61. Jg., (2011)], p. 223-241. 21. Fonds Rudnev, Musée d’architecture Ščusev (Moscou). 22. À propos du sentiment de joie qu’était censé susciter le Palais, voir: Jerzy Janicki, O Pałacu Kultury i Nauki im. J. Stalina, Warszawa, Wiedza Powszechna, 1955. 23. Horia Maieu, « Architektura doma „Skynteji“ v Buchareste », in Architektura SSSR, vol. 2, 1952, p. 28-31; Grigore Ionescu, Histoire de l’architecture en Roumanie, Bucuresti, Éditions de l’académie, 1972, p. 495, 497. 24. Pałac Kultury i Nauki. Między ideologią a masową wyobraźnią, Zuzanna Grębecka, Jakub Sadowski (éd.), Kraków, Zakład Wydawniczy “Nomos”, 2007; Michał Murawski, « Palaceology, or Palace-as- Methodology: Ethnographic Conceptualism, Total Urbanism, and a Stalinist Skyscraper in », in Laboratorium, no 2, 2013; soclabo.org/index.php/laboratorium/article/view/97/840, 3 mars 2014. Sur la carrière du monument: Jakub Sawicki, „Der Warschauer Kulturund Wissenschaftspalast in der polnischen Öffentlichkeit. Eine historisierende Verortung des größeren Hauses Polens vor und nach 1989“, in Von der Ablehnung zur Aneignung? (s. fn. 17), p. 127-140. 25. Tadeusz Konwicki, Mała apokalipsa, Warszawa, Niezależna Oficyna Wydawnicza NOWA, 1979 , trad. du polonais par Zofia Bobowicz, La petite Apocalypse, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 10. 26. http://pkin.pl/ 27. Małgorzata Omiłanowska, « Post-Totalitarian and Post-Colonial Experiences. The Palace of Culture and Science and Defilad Square in Warsaw », in The Post-Socialist City (s. fn. 17), p. 120-139.

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28. Les deux autres sont le monument à Tiergarten, qui s’est retrouvé dans Berlin-Ouest et celui de Schönholzer Heide, dans le quartier de Pankow à Berlin-Est. Voir : Steffi Töpfer, „Das Sowjetische Ehrenmal in Berlin-Tiergarten. Zur prekären Lage eines prominenten sowjetischen Erinnerungsortes im geteilten Berlin 1945 – 1990“, in Jahrbuch für historische Kommunismus- Forschung, 2013, p. 273-280. 29. Paul Stangl, « The Soviet War Memorial in Treptow, Berlin », in Geographical Review, vol. 93, no 2, avril 2003, p. 213-236. 30. Der politische Totenkult. Kriegerdenkmäler in der Moderne, ed. Reinhart Koselleck, Michael Jeismann, München, Wilhelm Fink, 1994. Einleitung (p. 9) : « Les signes iconographiques s’accumulent. S’ils étaient auparavant purement païens, puis purement chrétiens, ils se superposent à partir de l’Époque contemporaine, ce qui pouvait se produire déjà avant [dans les temps modernes, Note du traducteur] ». Koselleck utilise ici une métaphore du domaine de la photographie. À propos de l’utilisation des motifs sacraux dans le Mémorial, voir : Steffi Töpfer, „Das sowjetische Ehrenmal im Treptower Park in Berlin. Anlage, Formensprache und ikonographische Tradition“, in Erinnern an den Zweiten Weltkrieg. Mahnmale und Museen in Mittelund Osteuropa, éd. Stefan Troebst and Jan Wolf, Leipzig, 2011, p. 127-135. 31. Das Treptower Ehrenmal, Berlin, Staatsverlag der DDR, 1987. 32. Stefan-Ludwig Hoffmann, « Sakraler Monumentalismus um 1900. Das Leipziger Völkerschlacht denkmal », in Der politische Totenkult (fn 21), p. 249-280. 33. Rudy Koshar, From monuments to traces: artefacts of German memory, 1870-1990, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 193. 34. Blog visuel d’Andriy Portnov sur le site de Ab Imperio à propos des lieux de mémoire dans Berlin : net.abimperio.net/node/2866, 3 mars 2014. 35. Il n’est même pas mentionné dans le livre que Karen Till a consacré aux lieux de mémoire à Berlin : Karen E. Till, The New Berlin. Memory, Politics, Place, Minneapolis – London, University of Minnesota Press. 36. Pour l’Ukraine, voir : youtube.com/watch?v=haR9WhrFOXs Pour la Roumanie : youtube.com/watch?v=hc2XGHA7NK4, 10 décembre 2014. Voir également les longs métrages, dans lesquels les déplacements d’un monument occupent une place importante dans la trame narrative : Good Bye Lenin (Allemagne, Wolfgang Becker, 2003), où la statue est transportée à travers le ciel par une grue, et Budapest (Brésil, Walter Cavalho Roteiro, 2009) – en barge sur le Danube. 37. Voir le chapitre « Politique de la mémoire » (en russe) du livre de Nikolaj Koposov, Память строгого режима (Mémoire à régime sévère), Moskva, NLO, 2011, publié sur le site de Русский журнал : http://russ.ru/pole/Politika-pamyati-i-memorial-nye-zakony, 3 mars 2014. 38. Milan Kundera, « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale », in le Débat, vol. 5, no 27, 1983, p. 3-23, http://www.cairn.info/revue-le-debat-1983-5-page-3.htm, 3 mars 2014.

RÉSUMÉS

Après la disparition du régime socialiste, les monuments dits « étrangers » dans les pays d’Europe centrale et orientale – Pologne, Allemagne et Ukraine – ont été diversement gérés. Ces monuments « étrangers », érigés par des architectes venant de l’extérieur du pays et qui ne sont pas en harmonie avec la tradition architecturale locale, paraissent comme surajoutés dans

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l’environnement urbain. Qu’arrive-t-il à ces structures, qui incarnent la mémoire de l’occupation, de la domination extérieure ? Quelle est leur place dans les villes postsocialistes ? On s’interrogera en particulier sur les monuments à la mémoire d’événements et de héros dont la signification était importante pour les autorités d’occupation.

This article examines the various strategies through which ‘alien monuments’ in East and Central European countries – in , Germany, and Ukraine – have been handled after the collapse of the socialist regime. ‘Alien’ monuments are monuments that have been erected by architects from outside the country and that clash with established architectural tradition and continue to look as if they have been imposed upon the contemporary urban environment. What happens with such structures, which embody the memory of occupation, of external domination? What is their place in the postsocialist city? This article considers monuments that carry the memory of the occupying powers’ key events and iconic heroes.

AUTEURS

MARINA DMITRIEVA Université de Leipzig

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Reconfiguration urbaine

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Olympian Plans and Ruins: the Makeover of Sochi Projets olympiens et ruines : les transformations de Soči

William Nickell

1 The reconstruction of Sochi in preparation for the 2014 Olympiad has dramatically transformed the city and raised a series of issues relating to preservation of architectural landmarks of regional and national significance. Some structures have been lost, including the popular Sputnik movie theatre and several sanatoria; but while residents lament these casualties, a more audible outcry has been raised over the compromise of the overall look and feel of the city, as a new generation of high-rise buildings appears on what had historically been a relatively flat architectural horizon. Redevelopment has transfigured the appearance, but also the atmosphere and ethos of the city, as the once democratic resort increasingly orients its marketing and design to Russian and international elites.

2 Preservation efforts have been marginal, in spite of a palpable consensus among city residents regarding the demise of the city’s charm. “They’ve ruined the city,” concluded a woman selling local tour packages from a kiosk in September 2013, and it is a sentiment that is echoed frequently. Longtime Soviet mayor (1955-1977) Viacheslav Voronkov stood up for the old Sochi, but died in 2009 and proved no match for the forces that have wrought change upon the city. Redevelopment has been directed from Moscow, and has been shaped by national objectives. The entire territory of Greater Sochi has been appropriated by eminent domain in order to develop a world-class host city – for tourism, but also for international sporting, investment and diplomatic events.

3 In fact, the city has long been designed from Moscow because of its unique climatic and geographic status within Russia and the Soviet Union. Its proximity to mineral waters, long stretches of coastline, and sub-tropical and alpine climates have captured the imagination of Kremlin visionaries from Stalin to Putin – and as a result, the city has repeatedly been the object of dramatic development plans. In the Soviet period the city was envisioned as a national health resort for workers, a model space in which the new

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Soviet woman and man could be cultivated. In the post-Soviet period, Sochi figures as an international resort and host city for world-class events, but also as an environment in which new national objectives can be modeled and projected. These periods of intensive development have produced discreet architectural layers, which now collide on the contemporary landscape.

4 The conflict of progress with preservation in Sochi has produced struggle over buildings and spaces, but is best understood as a problem centered in nonmaterial culture. In the pages below we will examine some case studies involving individual properties, but will focus more deliberately on the question of governing principles that have been used to approach the balance of development and preservation in Sochi. It will become clear that the primary heritage properties of the city are as much social and philosophical as they are physical, and that in many cases the protection of structures has not managed to stem the erosion of old systems of cultural architecture.

City of the future

5 The title of Soviet-era mayor Voronkov’s 2005 book Sochi and Sochians: Memoirs of the Future points to an abiding futuristic orientation in Sochi. The city was not situated on a historic trade route, nor did it have any longstanding local industry. The pre-Russian history of the territory features indigenous populations, and has not been widely acknowledged: following the ceding of the Caucasus to Russia by Turkey, native inhabitants were forcibly relocated as Russian settlers gradually occupied the land.1 Russian narratives of the region describe it as undeveloped and inhospitable before the 20th century. The mineral waters of Matsesta were first developed in 1902, and the beginnings of a resort industry were charted on the idea that this atypical Russian clime could be transformed into a Caucasian Riviera. Pre-revolutionary entrepreneurs made relatively little progress in this direction, though: some private properties, such as the Khludova dacha (1896), were followed by a series of hotels, including a large resort, the Caucasian Riviera (1909), and the Pansion Svetlana (1910), a favorite of revolutionaries before and after 1917. At the time of the Bolshevik revolution, however, Sochi was still a sleepy seaside town, with a few sanatoria that catered to a modest number of annual tourists.

6 Things did not change much in the early Soviet years. In 1916 the town’s population was 13,254, and ten years later it had dropped slightly. Beginning in 1934, however, intensive construction took place that would eventually lead to the creation of the most popular tourist destination of the Soviet Union. As a 1934 Pravda article explained: The reconstruction of Sochi-Matsesta, the transformation of a picturesque seaside nook from a preserve of wild Russian aristocrats into a health resort for thousands and hundreds of thousands, will be listed among the great works of the second Five- Year Plan, along with the industrial constructions, canals and power stations.2

7 By the end of the 1930s, the city’s population had increased five-fold, and the number of annual visitors had entered the hundreds of thousands. As the Soviets built a socialist vacation industry, Sochi became its capital. Hopes for this system were grand: it would produce health, and thus higher productivity, but would also instill new values and play a key role in shaping the Socialist future.

8 Today the city continues to embrace this sense of destiny. Its current marketing slogan, emblazed on billboards and souvenirs, is “Sochi – City of the Future.” One can find it

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everywhere, more typically in English than in Russian. The past, so heavily inflected by the Soviet project in the city, has lost a good part of its cultural currency. Tourism dropped from four and a half million visitors in 1987 to less than a million in 1995. During the boom years of the mid2000s the number rose again to three million, but was still significantly lower than during the Soviet period. who could afford a vacation in the south were often flying past Sochi to Turkey, where prices and service were better. Most importantly, the socio-economic infrastructure that had supported Sochi’s tourism industry had crumbled. The trade unions that once financed the city’s sanatoria no longer had the financial resources or political incentives to sponsor restorative vacations for their members. Some sanatoria supported by branches of government (military, police, secret service, federal tax service, executive branch) still thrive, but those that served the industrial sector have been privatized, and in some cases, closed or demolished.

9 An aggressive redevelopment plan has been devised to stem this tide. Billions have been spent to upgrade and modernize the tourist industry, and huge stakes were placed on bids for the 2014 Olympics and 2018 World Cup, which would showcase the city as a world-class destination. The engine for this development was speculative investment, and the city has been positioned as a financial vehicle: assets could be safely risked in this market, as real estate values were certain to grow as the Games approached and redevelopment progressed. Leonid Tyagachyov, head of the Russian Olympic Committee, told a correspondent of Rossiiskaya gazeta that “investments in the Olympics in Sochi will pay off, because a new resort comparable to St. Moritz or Courchevel will appear on the map which will generate a profit of at least $1 billion annually.”3 Olympic-standard ski slopes at Krasnaya Polyana, for instance, would give Sochi an edge over popular European resorts.

10 On top of this financial model stood another, in which the city represented a resurgent Russia entering a period of dramatic economic ascendance. In this scheme the city was situated on the edge of an economic frontier, and served as a kind of model home, showcasing possibilities that could be realized by developing the country’s heartland. This was a wager that Moscow, and specifically Putin, had placed on the project even before the Olympic bid was secured. The first International Investment Forum Sochi was held in 2002. Since then it has become an annual gathering and is seen as one of the main investment events on the Russian economic calendar. Once Russia found success in selling Sochi as a site for major international events (Olympic, G-8 and World Cup), it seemed that the entire process was working. (fig. 1)

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Fig. 1. “The Future is Beautiful” proclaims a 2011 billboard

©William Nickell

11 As of 2014, however, it appears that these conditions may have produced a classic market bubble. In the wake of securing the Olympic bid, which was gained at the height of the world economic and real estate boom, Sochi went through a period of overconfident investment and planning. Real estate prices rose precipitously, and the city’s transformation from a working-class to a spa-style resort gathered dramatic momentum. The financial crisis slowed this process, and a number of grandiose projects were stalled or abandoned, but the government continued to push its initiative, convinced that Sochi could become a hub of new economic opportunity. As the world economy improved and the 2014 Games approached, construction once again moved at a frenetic pace, but narratives of the city's future continue to be oriented toward a still-unachieved tipping point, at which the city would achieve international renown, its economy would boom, and the new Russian idea would be sold.

12 As suggested above, the resting of such hopes on a seaside resort is not a uniquely post- Soviet phenomenon. The Soviets viewed the city as a model for other health resorts, as a Pravda article explained in 1935: Indeed, this is only the first example, the first model to show how dozens of other resorts should be developed and built, of joyous, happy cities of rest and health.4

13 They also used the city to demonstrate values and social programs to the rest of the world: Sochi became a showplace, where foreign dignitaries could be entertained and see Soviet policy in its best lights. The resort system could restore the health of workers, but also generate faith in national values and legitimate the system in the eyes of the world. As the architect Aleksandr Samoilov explained, health resorts were considered a crucial element of cultural construction – and since Sochi was a model resort, it represented a carefully designed tool in social engineering.5

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14 Thus in both the Soviet and post-Soviet periods Sochi has been treated as an instrumental space, in which national ideas could be modeled and developed. As such, it has reflected with particular drama the epochal changes that have swept the territory of the former Soviet Union over the past twenty years. Any contemporary post-Soviet city represents an architectural palimpsest, but in Sochi the layers stand in heightened contrast because the old style, and the ideas it represented, are still so legible. Top this past with a new model city, and the result is distinct architectural registers that express the fundamental social tensions of post-Soviet Russia. The city’s skyline has become a topographic representation of the transitional economy: an older generation of buildings representing Soviet attention to the broad masses suffers neglect, while towering new complexes devoted to the upper classes assert their dominance visually. The elite high-rises offer daily provision of luxuries enjoyed only temporarily by vacationers during the Soviet period, such as resepshen and concierge desks, alongside carefully controlled privacy and security. The naming and marketing of the new constructions underscores these changing values, as a snobbish nomenclature overwrites a Soviet lexicon of populist names and principles. Even the rebranding of Sochi as an alpine resort conforms to this tendency: the new signature entertainment is an upper class diversion that contrasts sharply with the democratic tradition of bathing at sea level.

15 And while officials continually refer to the necessity of preserving the city’s identity as a resort, they use the latter term in a new way. The Soviets had laid out the parks and sanatoria in a coherent plan oriented to the worker vacation on a collective and mass scale. In the intensive planned construction of the 1930s and after the war, architects and city planners collaborated to create a common visual language. The projects of today are more notable for their singularity: towers that trump one another, competing for prominence in the skyline and on the market. They do not blend with the existing architecture, but resonate instead with the foreign resorts with which the Russian authorities see themselves contending: the Riviera, Monaco, and Dubai.

The Sochi we have lost

16 Oleg Sheveiko, who served as the city’s chief architect from 2009 to 2012, suggested that he was striking a balance between old and new when he argued for some zoning restrictions for high-rises, and for the creation of a new style for the city that would be refined, or courtly (izyskannyi), combining elements of resort style with high-rise construction.6 These zones do not appear to have been successful in preserving the historic quality of the city, however. A website devoted to “The Sochi We Have Lost” details a series of defeats on the preservation front, and a report on a 2011 public hearing on new plans for the city described those citizens attending as “trying to preserve at least the little that is left of their city-park.”7 (fig. 2)

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Fig. 2. A view from the city’s main square in 2011

©William Nickell

17 This latter term, gorod-park, is not taken lightly by long-time residents of Sochi. As they observe the haphazard development around them, they refer nostalgically to the past, when the city was laid out like a large park, its individual elements integrated by landscaped paths and unifying stylistic and structural elements. As Samoilov noted, Sochi and other resort projects should “have a conceptual basis uniting all of the individual projects into a common system” – coherent planning of these elements would result in artistic architectural expressiveness and organization, which would in turn contribute to meeting the objectives of the Soviet rest industry.8

18 Many of Sochi’s new residential complexes also claim to create a comprehensive atmosphere of care and rest, but do so in the language of exclusivity, and often refer to security and seclusion from the outside environs. Those outside these enclaves complain, on the other hand, that the new high-rises are “oppressive,” making the landscape stressful, rather than restful. Tall buildings obstruct what were breezy, unobstructed views of the sea, overshadowing parks and the city’s famous palm trees. The head of Cultural Affairs at Ordzhonikidze sanatorium spoke at length about the great wisdom of the Soviet architects who integrated the individual resorts along Kurortny Prospect into a unified plan. She could point to a diorama displayed on the grounds of her resort, showing the way Ordzhonikidze was incorporated with neighboring sanatoria, sharing a common landscaping design. Today many of the sidewalks that formed the network of pedestrian communication between these sites have fallen into disrepair, or, in some cases, into private hands. A recent public waterfront path, beautifully laid out, is lined with private beaches.

19 Implicit in many of these reflections on the city’s changing landscape is a nostalgia for the horizontal socio-economic architecture represented by the old pedestrian paths. Trade unions, the party, and the government committed vast funds to the construction of health resorts and paid the lion’s share (usually 85%) of the cost of most vacations. In

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his book on sanatorium architecture, Samoilov explicitly identified this link of the physical to the social: Every success in this domain confirms the victory of socialist humanism, and the reality of Stalinist care for the individual.9

20 In the 1930s, key government figures like Kliment Voroshilov and Sergo Ordzhonikidze personally oversaw construction of Sochi’s sanatoria, for which many of the country’s best architects were recruited, including N. V. Zholtovskii, V. A. Shchuko, A. V. Shchusev, M. I. Merzhanov, A. V. Samoilov, I. S. Kuznetsov, and the Vesnin Brothers. Fifteen new sanatoria were built between 1934 and 1940, most with the columns, fountains, statues, porticos, and grand facades characteristic of the so-called Stalinist “empire” style. The most famous of these worker palaces was the Ordzhonikidze Sanatorium, which featured high arched ceilings painted by artists from Palekh. In propaganda of the time, Sochi was represented as a place of many mansions, a temporary paradise, and some still remember it that way.

21 The city’s permanent residents were also the beneficiaries of Soviet planning. In his aforementioned book, Voronkov claims that housing projects constructed during his terms as mayor were built with large courtyards intended as “a continuation of the sanatorium parks with their rich greenery.”10 Residential complexes were constructed according to the pavilion method, spacing buildings apart to preserve a sense of openness. Residents of the Boulogne Forest complex in Paris paid exorbitant fees for similar design features, he noted, but in the Soviet case the government had paid this premium. As a result, the sea breeze and mountain winds of Sochi circulated properly through residential areas built according to this principle. More recent construction, “chaotic” extensions and additions (pristroiki, sploshnye zastroiki, nadstroiki), on the other hand, resulted in building densities that raise temperatures of 3-4 degrees higher during the summer in some areas of the city. While the pavilion method required greater expense, it was suitable for a city serving as a resort of international stature.11

22 During Voronkov’s tenure development was realized according to a general Project for the Organization of Work (Proekt organizatsii rabot). This model rationalized the workflow, created efficiencies of scale, and established quality standards. A plant for production of prefabricated construction blocks was built in order to facilitate the process. According to this plan, with its rapid pace of construction, the city’s less desirable housing (“barracks”) was being replaced by new construction, and the waiting list for apartments in Sochi would have been eliminated by 1985. Now, however, the interests of Sochi’s citizens were being compromised to serve those wishing to exploit the land for their own profit. In Voronkov’s view, post-Soviet development in Sochi has been characterized by poor oversight, secrecy and corruption, and the fundamental interests of the city’s inhabitants have neither been addressed nor even officially clarified. During his regime, on the other hand, the city’s objectives and approval processes were “clear and transparent.”12

A New Sochi on The Rise

23 Voronkov’s Soviet optimism may not ring true, but his narrative resonates with popular views on the value of the old versus the new in Sochi. “The whole center of the resort-city of Sochi is becoming unsuitable not only for rest and healing, but for living,” he argues, with particular disdain for the new high-rise “monsters” (a common

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pejorative for the buildings in Sochi.)13 Current mayor Anatoly Pakhomov predictably promotes a different story. In his view the city was in dire need of renovation, and was unable to compete with foreign resorts with its former, Soviet infrastructure.14 Russia needed “a tourist center with high-rises and world class service” in order to stem the tide of travel abroad. Prices in Sochi exceeded value, a problem that would be rectified by reconstruction. Acknowledging that in the run-up to the Olympics prices continued to be unrealistic, he believed that the market would produce the necessary adjustments, making the new Sochi more accessible.15

24 The roaring real estate boom has required other interventions, however. In the summer of 2013 an eighteen-month moratorium on new construction was enacted for the entire Krasnodar region resulting from a series of building violations. Perm′its were acquired for private homes, for instance, and the recipients would build multi-storied apartment complexes. Violations were so extensive that officials could not keep up with their inspection (and demolition) schedule. The moratorium also aimed to quiet the frenzy of construction in anticipation of the Olympiad. Regional governor Aleksandr Tkachev explained: There are times when the interests of one’s home town and its inhabitants need to be placed above commercial interests. During the Games Sochi will become the face of the country in the full sense of the term. And we cannot allow uncontrolled construction, noise, and dust to disfigure it.16

25 While discussion of the moratorium focused on the transgressions of private landowners, developers and city planners have also been susceptible to rogue excess. A number of projects approved by the local and national government also went too high, for instance, or proved out of scale with real needs and possibilities. Most troubling for local citizens were cases where older buildings, such as the Sputnik movie theatre and the Chaika hotel, perished as a result of abortive projects.

26 The Sputnik opened in June 1962 (architect Evgenii Serdiukov), and was one of the film palaces that thrived during the heyday of Soviet cinema. (It resembled the famous Rossiya theatre on Tverskaya in Moscow.) In accord with its name, the Sputnik had an airy design, with a tall glass enclosure of its foyer that was dominated by a large space- themed mosaic by Arthur Skripnikov. Situated near the waterfront, it had been the city’s most popular cinema, a cultural center that was often featured in promotional material for Sochi. The port authority even built a small replica of the theatre to house an observation deck in the harbor. A new project for the site proposed by the Gras Group was also to have included a movie theatre, but along with it a 21-story structure housing the city’s first premiere business center and a broad range of commercial and recreational enterprises.17 Only after the old theatre was demolished did the project’s engineers determine that the new structure was not feasible for the location, situated in the flood plain of the nearby Sochi River.18 Today there is simply a parking lot where the theatre once stood.19

27 The Hotel Chaika was centrally located, across from the city railway station. As with the Sputnik, it was demolished with the intention of adding, rather than subtracting: a grandiose complex named Sochi City would include a five star hotel in a suite of buildings serving a host of other functions.20 The project was approved by the city, its trademark registered, and the original Chaika was demolished. Construction was begun in January 2008, funded by the Newland (N′uland) investment group, but as with the Sputnik, geological conditions stalled this Beulah Land.21 It was reassigned to a Czech

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firm in 2010, before finally being bought back by the city because the project did not conform to new zoning prerogatives, which now prohibited high-rises in this part of the city.22

28 As with the Sputnik, the site was converted to parking.23

29 The intervention of zoning concerns is notable in this case, but does little to dispel the sense of chaotic planning that has disturbed observers. A Russian saying, “It is easier to demolish than to build,” (lomat′ – ne stroit′) has been popular in discussions of these projects. It has also proven easier to plan than to build. This has been the case with proposals to construct artificial islands off the city’s coast. Sochi Island was to be connected to the central part of the city, and featured a high-rise resembling the Olympic torch, with ten floors devoted to a boutique hotel and another twenty to apartments.24 The 6.2 billion dollar Federation Island project was approved by Putin in 2007, and would have created a six-hundred-acre archipelago in the shape of Russia. It was supposed to be built in 2009, but instead that year the developers were discussing ways of relocating it in shallower waters.25 In February 2012 it was reported that construction might begin in the summer of that year if permission was received from the regional government. At present there is no sign that either of these projects will be carried out.26

30 The financial crisis of 2008 introduced additional instability to Sochi’s construction market. The Gras Siti apartment complex, begun on the grounds of the former Zarya sanatorium, stood for a number of years as nothing more than a foundation. The developers were not able to take orders for the property because it was unclear whether the building was going to be constructed. Meanwhile, construction fencing was covered with advertising showing a young man pulling back a wrap to reveal the future buildings – four magnificent, brightly colored high-rises. “Discover your Sochi,” buyers were encouraged. Other promotional materials for the project featured the desired denizens of the new Sochi: Vanity Fair types in white clothing, lounging about on boats and decks. The original structures were never built, but in this case two imposing buildings did appear, which were briefly the tallest in the city. They featured a new design, and were christened with a new name: San-Siti, which in years past might have suggested San(atorium) City, but in the new idiom represents a phonetic rendering of the English “Sun City.” (fig. 3)

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Fig. 3. Construction fencing at Gras Citi covered with advertising, encouraging buyers to discover “their” Sochi at the exclusive development

©William Nickell.

31 Two notable sanatoria have also perished. Nauka, designed by Aleksandr Samoilov, featured cascading steps leading past fountains and gardens from the main corpus to the sea. Built in the 1930s and 1940s, it housed the sanatorium for the ministry of higher education before being taken over by, and renamed, Intourist. Neil Armstrong joined for a stay there, and the sanatorium’s register lists a host of other significant guests. In the post-Soviet period it had fallen into complete disrepair – windows broken and walls covered with graffiti. In 2006 a proposal was made for a hybrid project to be named Kamelia that would include a reconstruction of the original building, enhanced by a new complex featuring a twisting modern tower. When a new general plan clarified height restrictions in this section of the city, these towers were replaced with buildings of seven stories. The old buildings were demolished, and the new complex opened shortly before the Olympics as the Swisshotel Sochi Kamelia. Though this was perhaps a victory in terms of landscape preservation, the historic original structure was lost, and its reconstruction compromised stylistically.

32 Another painful failure on the preservation front can be laid at the feet of the Olympic Committee. One of the conditions of Sochi’s gaining the games was the construction of an International Olympic University, which was completed in 2013 on the territory of the former Maurice Thorez Sanatorium. This Soviet institution had assimilated, and thus preserved, the pre-revolutionary hotels Rossiia, Peterburgskaia, and Grand-Hotel. 27 (The latter had been considered the best hotel in Sochi before the appearance of the Kavkazkaia Riv′era.) During the Soviet period new structures were added, including a wing by B. V. Efimovich. The complex was known as Red Moscow (Krasnaia Moskva) Sanatorium until 1964, when it was renamed upon the death of Thorez, the longtime General Secretary of the French Communist Party who had been a frequent visitor to Sochi.

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33 A token nod to this history was made with the preservation of a bust of Thorez, which has been remounted with a plaque, satisfying a demand by the Krasnodar Region Department for the Preservation of Historical Monuments.28 The larger memorial represented by the sanatorium and its grounds is gone, however, and the Olympic University was built at fifteen stories, in the heart of one of the city’s main pedestrian districts – and not far from the Kamelia, where such height was prohibited. A perception of provisional, discretionary zoning, overseen by executives with compromising political or economic motivations, was again justified. (A number of other cases of this sort of irregularity have been noted, and the former chief architect Sheveiko has been imprisoned for such derogations.) As with a number of the city’s other megaprojects, it is multi-functional, with only one of its four high-rises actually devoted to the University’s facilities. The adjoining buildings house luxury accommodations (hotels and apartments), providing financial support for the university as a social institution.

34 The conversion of social space to enterprise zones is taking place on the grounds of other former sanatoria as well, but economic retrofitting has not always been easy. The city’s most famous sanatorium, the Ordzhonikidze, and the beautiful hilltop complex of the Kirov both stand empty, waiting for a developer and a plan. The Kirov was at one time to be converted to a casino, but when this was not permitted two of its wings were rented out as apartments. It is now a haunting ghost of its former glory, where parquet floors and chandeliers meet signs warning guests who dispose of garbage in undesignated areas that they will be caught and forced to eat what they have dumped. Ordzhonikidze was closed in 2010. It is protected as an architectural landmark, and is supposed to be restored following the Olympics, but stands in ominous decline, its Stalinist Empire style lending it the look of ancient ruins.

Conclusions

35 A 1982 guide to Soviet design notes the importance of urban spaces in the shaping of consciousness and the promotion of worker productivity. Cities were to integrate monumental propaganda, design and green space into a common, ideologically informed architectural language that would be implicitly apprehended in daily life, absorbed during everyday movements and communications. “The formation of the new person is one of the most important tasks of communist construction.”29 Today in Sochi it is clearly New Russians who are being courted, and perhaps cultivated, in the city’s redevelopment. They figure prominently in advertising, but are also themselves the developers. The yachts of the oligarchs stand in the town harbor, and rumors abound regarding the often shadowy doings of the country’s one percent with what had once been packaged as a “ninety-nine-percent” town. The Kirov was bought by Victor Baturin (currently in prison for fraud), whose sister Yelena is the wife of former Moscow mayor Yuri Luzhkov and the richest woman in Russia. The new Hyatt complex was developed by Snegiri, a company co-owned by Roman Abramovich. Locals believe that Ordzhonikidze was acquired through circuitous means by Vladimir Putin as a gift for Alina Kabaeva.

36 These machinations seem to reprise the history of the 1930s, when Stalin’s inner circle built their own dachas in the hills above Sochi, and sometimes put their names on sanatoria for the workers situated below. The cultural overtones are entirely different,

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however. Some of the virtues of Sochi are being preserved, but now as luxuries for an elite clientele; complexes are constructed as little “sitis” within a city, microcosms that are cut off from their surroundings as realms of exclusivity. A promotional video for Gras-Siti describes a funicular that will transport residents to a private beach, which shares a unified architectural style with the main complex. “What could be more romantic?” the voice asks; “Sea, beach, sand, and your beloved city: the siti that is being built by Gras.” A brochure for the Actor Galaxy promises: “You will find yourself in the land of your dreams. You will feel like a Hollywood Star!” A promotional video for Crystal Tower depicts a lifestyle of remarkable isolation: an ideal computer- animated couple interact only with a doorman who meets their car when they arrive and a hostess who escorts them to a rooftop helicopter when they leave. The woman (shopping) and the man (working) are depicted spending their day alone, before retiring for the evening to their private penthouse.30

37 The spectral figures of oligarchs acquiring the spectral spaces of old sanatoria in order to build a series of fanciful (and often unfinished) projects and attempting to attract a clientele of new tourists – who themselves have remained highly spectral – has made the imagined future appear as something of a mirage. Many of the new complexes are notably dark at night. The “if you build it they will come” approach is perhaps unintentionally reflected in the name of one of Sochi’s most active development firms, Macon Realty. New toponymic conventions contribute to the effect, mixing languages and cosmological registers: Миллениум тауэр (Millenium Tower), Идеал House (Ideal дом), АктерГэлакси (Actor-Galaxy). Citizens have responded with pejorative nicknames: a tall line of apartments has been called Китайская стена (Great Wall of China), and a looming tower shaped like the bow of a ship has been dubbed the Titanic. In both cases, the nicknames suggest gigantism, but also that the structures are out of place. (fig. 4)

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Fig. 4. A new apartment building looms over the courtyard and entrance to Metalurg Sanatorium (1)

©William Nickell

Fig. 4. A new apartment building looms over the courtyard and entrance to Metalurg Sanatorium (2)

©William Nickell

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38 The director of Macon Realty, Ilya Volodko, has acknowledged that the massive build- up of Sochi may have over-fulfilled the plan. In his view, five times more apartment units were constructed in Sochi than can be sold over the next three years.31 With the passing of the Olympiad, real estate prices have already peaked, leaving little reason to view acquiring property as an investment opportunity. Putin continues to position Sochi as a resort and international event center, but a June 2014 meeting of the G-8 was relocated from Sochi to Brussels in protest at events in Ukraine and Crimea. A new Formula One track is being built, and in June 2014 Putin instructed regional officials to develop a plan for gaming zones in Sochi, but one wonders if any of these enticements will enable the new scheme for the city to play out as planned.

39 Communism also never arrived, of course, but for many the Soviet past is more coherent than the present, and the Soviet future more attractive than current visions. In April 2014 Aleksandr Valov, author of blogsochi, posted a series of panoramic photographs taken from the top floor of the Olympic University, with ironic captions to the new constructions (one high-rise is labeled a “Pakhomov permitted” building, suggesting the role of the mayor’s office in circumventing building codes), while a shot of the Soviet-era Arts Square “gladdens the eye.”32 The square features a beautifully manicured park connecting the Art Museum to a statue of Lenin, integrating health, beauty and power in one flow. The square is eye-catching in a way that its surroundings are not, and reminds of a time when Sochi’s space felt more public.

40 The planning principles that shaped the development of Sochi during the Soviet period were especially apt for the kurort environment, but many of them were characteristic of Soviet urban design more generally. In his Introduction to Urban Construction of 1963, Andrei Stramentov distinguished between congested urban spaces in capitalist countries and the open, monumental squares in new Soviet urban centers. His book was illustrated with photographs of vertical crowding on multiple scales in western cities: narrow alleys between four-story buildings and congested streets squeezed between skyscrapers.33 Stramentov includes a quote from Frederick Gibberd’s Town Planning, which had been translated into Russian in 1959, suggesting that the large city was responsible for numerous social evils: higher death and lower birth rates, increases in crime and gang activity, and inhibitions to what Gibberd had called “the full life” of the ordinary citizen.34 Stramentov cites Ebenezer Howard’s Garden Cities of the Future as an example of a tradition of protest against the chaos of the western city.35

41 In a 1979 book Mikhail Barkhin drew a similar contrast between socialist and capitalist cities, using photographs of a western urban nightscape and the Novyi Arbat development in Moscow. The former glares with chaotic neon advertisements, while the latter features four identical buildings lit with a simple holiday greeting, 1 MAY, writ large by selective illumination of office lights, one symbol per building.36 Another illustration, of a prototypical Soviet family (mother, father, and one child) walking on a spacious seaside boardwalk, is captioned with a UNESCO declaration that the principle and purpose of cities are their people.37

42 The people of Sochi have long been reared to love the conceptual and aesthetic framework of their old city. A 1935 Pravda article noted that the number of tourist beds in Sochi would total about 25,000, allowing 300,000 to rest there over the course of the year. They acknowledged that this was only half the number available in Miami “during the period of the boom and speculation” – but also that at present western resorts were in crisis; a group of hotel owners from the French Riviera had recently sought financial

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assistance from the government because their flow of guests had dropped off to practically nothing. “No, we prefer our firm 25 thousand Soviet kurort visitors, unaffected by either the crisis or speculation,” they explained, and promised that there would be many more similar resorts – “joyous and happy cities of rest and health.”

43 Today Sochi has entered that world of speculative investment derided in the Pravda article, and has been greatly transformed in a market economy that is probably destined for a harsh correction. Miami, meanwhile, continues to serve as an object lesson for planning, as the architectural density of the city’s coastline is often cited as a warning against similar development strategies for Sochi. Disdain for the city’s new cultural identity also alludes to South Beach: a respondent to Dmitri Medvedev’s Presidential blog complained that Sochi was being transformed from a kurort city into a festival center and subtropical discotheque.38 For many, the city is becoming less substantive. Even those apartments that are sold in the new high-rises are not typically being purchased for year-round residency. Maiya Danilovskaya, marketing director of the firm that developed the Sochi Hyatt Regency, acknowledges that in the city’s new buildings lights are often seen in only one or two windows. “It is probably uncomfortable to live in a big, empty building,” she acknowledges.39 As a result, the apartment complex at the Hyatt is linked to the hotel, so that a lonely resident can enjoy the buzz of hotel life. Many of the new apartments are precisely this – hotels for the wealthy, in which rooms are either secured for exclusive enjoyment, or purchased as a means of speculation in the Sochi real estate market.

44 The same story can be told of many post-Soviet spaces, but the ambitions that have been exercised on Sochi bring the contrasts between old and new into heightened contrast. The result is a palimpsest in which the still legible passages through the old city haunt the memories of those who preserve the values that the Soviet resort represented. The same coherence that appeals to admirers of the Soviet Sochi, however, sealed the city’s fate in recent years: the sanatorium system broke down because of the weakening of trade unions, which itself resulted from a decline in industrial production caused by radical changes to political and economic structures. Once these changes took place, there was little chance that the old city and its temperament could have been maintained. As a planned city, the Soviet Sochi was deeply integrated into the project of nation building, and was shaped by a complex network of financial and social commitments. As such, it spoke to the eye in profound ways that have not, and could not have been, preserved.

45 One might conclude that Sochi’s unique geopolitical potential within Russia was more viably fulfilled in the Soviet period than it has been in recent years, despite record levels of investment in the region’s latest redevelopment. The city continues to be used to promote national ideas, but now appears as a financial contrivance – an investment instrument drawing money to the region with little regard for human and environmental costs. A city built by the people and for the people is being remade by migrant workers according to exploitative labor and emigration policies for the benefit of a small, privileged class. As an architectural model, it is a pyramid that has thus far reflected the worst features of both Wall Street and Egypt. Frank Lloyd Wright once called the modern capitalist city a “haphazard money-mountain” made to “confuse men and materials,” and described the skyscraper as a fitting habitation for the “rugged individualist” of modern industrialism. As we have seen, the new Sochi reflects an individualism that is neither rugged nor industrial, but ephemeral. It is a capital of

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the new Russia, bold but uncertain, praying daily toward the capitalist Mecca of growth. Perhaps the city’s new gaming establishments, set to open in 2015, will pay off in ways that Putin’s own wagers have not, bringing new tourism and investment to the city. They will, at the very least, continue a tradition of exploiting the “Caucasian Riviera” for the cultivation of values and habits – values and habits that are themselves suggestively represented in the changing architecture of Sochi.

NOTES

1. Recently Circassians have drawn attention to this episode, which they describe as genocide. 2. Mikhail Kol′tsov, “На советкой Ривьере,” Pravda, October 30, 1934, p. 2. In January 1934 the city was added to the list of “shock projects” alongside the Stalin Canal and Magnitogorsk. Aleksander Metelev was placed in charge of the project, with a budget of 1.4 billion rubles –much more than that devoted to TurkSib highway (1 500 kilometers, 230 million R.) or the first stage of the Moscow metro (760 million). 3. Ilya Zubko, “Подъемник на Олимп. Леонид Тягачев : Сочи принесет нам миллиарды”, Российская газета, https://rg.ru/2007/08/08/tyagachev-sochi.html 4. Kol′tsov, “На советкой Ривьере.” 5. A. V. Samoilov, Санатории и дома отдыха, Moskva, Akademii arkhitektury SSSR, 1948, p. 3. 6. Oleg Sheveiko, “Курорт – не мегаполис,” Sochi, Mir & Dom 8, 2009, p. 39-40. For zoning restrictions, which both Sheveiko and mayor Pakhomov have endorsed, see http://arch- sochi.ru/2009/07/genplan/. The 2009 general plan for Greater Sochi can also be accessed through this site. 7. “Публичные слушания 13 и 15 апреля 2011 года,” Архитектура Сочи, http://arch- sochi.ru/2011/04/publichnyie-slushaniya-13-i-15-aprelya-2011-goda/, April 17, 2011. 8. Samoilov, p. 11. 9. Id., p. 3. 10. Vyacheslav Voronkov, Сочи и сочинцы (воспоминание о будущем), Moskva, Vest-Konsalting, 2005, p. 146. 11. Ibid. 12. Voronkov, p. 146. 13. Ibid., p. 147-148. 14. Before reconstruction the city was not capable of meeting its energy needs–requiring 300 megawatts of power per day, but receiving only 240, and necessitating regular brownouts. 15. Interview with Andrei Kozenko. See “The People are Happy, but Will Never Admit It” (Народ доволен, но никогда об этом не скажет), http://anapa-pro.com/category/16/article/5640 16. http://www.vedomosti.ru/realty/articles/2013/04/17/ v_sochi_obyavili_moratorij_na_liboe_stroitelstvo 17. “Деловой центр ‘Спутник’,” http://arch-sochi.ru/2009/10/sputnik/ 18. Ibid. 19. “Кинотеатр Спутник,” http://arch-sochi.ru/2009/11/kinoteatr-sputnik/ 20. This was reportedly a deal brokered in 2002 by Leonid Mostovoi, the mayor of Sochi (2001-2003) – in part as a favor to the brothers Udalov, who had helped him get elected. Ivan Miloserdov, “Небоскребы, небоскребы, а я маленький такой,” Деловой Сочи, bs-sochi.ru/

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node/980. Like the Sputnik project, Sochi City was to have featured an exhaustive array of attractions (billiards, boutiques, bowling, buddo bar, business zone, etc.) ranging from business to entertainment to living accommodations. 21. N′uland is, fittingly, a limited liability company (Общество с ограниченной ответственностью). 22. See http://arch-sochi.ru/2010/02/sochi-siti/ and arch-sochi.ru/2010/10/administratsiya- goroda-dogovorilas-ovozvrate-territorii-byivshey-gostinitsyi-chayka/ 23. Local bloggers have documented Sochi’s “long construction” (dolgostroi) and destruction sites. One 2010 inventory noted a series of yellow construction fences in locations where no building was taking place : Potseluevskiy deli, reconstruction of Camellia and Intourist hotels, two lots near the Winter Theatre and Svetlana for which several projects were proposed, including Crystal Towers ; Russian Riviera Plaza (now the Hyatt), the Actor Galaxy (now built), Gras City (now built as Sun City), Olympic Plaza, and the demolition of the third housing unit of the Kavkazskaia Riviera. “Долгострои Сочи / Зона желтого забора :” http://privetsochi.ru/blog/ bred_sochi/1917.html 24. “Комплекс ‘Остров Сочи’,” https://sochi.com/news/ ?id =17743 25. Anastasiia Sal′nikova, “Остров ‘Федерация’ рядом с Сочи подвинут из соображений экономии.” Rossiiskaia gazeta, https://rg.ru/2009/07/17/federacia-site-anons.html, 17 July 2009 26. speech.su/projects/urban_concept/82-morskoj-kurort-ostrov-federacii-sochi.html 27. The Rossiia was at one point reconstructed and renamed first as Obnovlennaia Rossiia, or “Renewed Russia,” and then again as the Bell′-Viu (to suggest a European, and thus higher quality, experience). Prerevolutionary Russia was thus subject to some of the same tendencies we observe today. 28. “На территории Сочи снова появился бюст Мориса Тореза,” http://vesti-sochi.tv/ obshhestvo/22039-na-territorii-sochi-snova-pojavilsja-bjust-morisa-toreza 29. Iu. N. Skripchenko, Эстетическое оформление города, Kijiv, Budivel′nik, 1982, p. 5. 30. https://www.youtube.com/watch ?v =GZseeamRqTM 31. Stepan Kravchenko, “Перегрев рынка недвижимости помешает Сочи стать мировым курортом,” http://www.finanz.ru/novosti/aktsii/peregrev-rynka-nedvizhimosti-pomeshaet- sochi-stat-mirovym-kurortom-863592 32. Aleksandr Valov, “Пейзаж с крыши Олимпийского университета,” http://blogsochi.ru/ content/peizazhs-kryshi-olimpiiskogo-universiteta-rmou 33. A. E. Stramentov, Введение в городское строительство : лекции о советском городе, Moskva, Gosudarstvennoe izdatel′stvo literatury po stroitel′stvu, arkhitekture i stroitel′nym materialam, 1963, p. 12-13. 34. Livability indices are now often used to convey this last idea, but this term does not fully capture the ideal of self-realization suggested by Gibberd (and Stramentov, who uses the term polnotsennaia zhizn′. See Frederick Gibberd, Town Planning, London, The Architectural Press, 1953, p. 21. 35. Stramentov, p. 12. 36. M. G. Barkhin, Архитектура и человек : проблемы градостроительства будущего, Moskva, Nauka, 1979, p. 120-121. 37. Ibid, p. 122. 38. Nikolai Golubev, comment on Dmitri Medvedev’s blog, March 29, 2009. http://blog.da- medvedev.ru/theme/7?page=74. This letter forcefully summarizes many of the criticisms of the reconstruction of Sochi, decrying the decline of the city’s medical infrastructure, green space, and heritage. 39. “‘Карат’ у моря : все грани идеала,” Spravochnik nedvizhimosti—Sochi, 2013, p. 47-48.

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ABSTRACTS

Sochi has undergone two major reconstructions in the past one hundred years: in the 1930s the formerly quiet town was rapidly expanded into a model Soviet health resort zone, and in recent years the area has been redeveloped as an event venue and investment vehicle for the new Russia. Both projects were undertaken on a massive scale and at a rapid pace, and each was intended to model and promote new national ideals. The result today is a dramatic architectural palimpsest, in which the imprints of these very different value systems overlap with particular contrast. Preservation efforts in the city have been especially attentive to the ways in which the architectural and socio-economic practices of the recent redevelopment project clash with those represented in the city’s Soviet layer. While many of the buildings and parks representing the city’s Soviet heritage have been protected, most agree that the former atmosphere they created has been lost. Contemporary Sochi thus provides an instructive case study on cultural landscape as a problem in architectural preservation.

Au cours du siècle passé, Soči a subi deux reconstructions majeures. Dans les années 1930, l’ancienne petite bourgade s’est transformée en une station balnéaire soviétique moderne. Ces dernières années, la région a été redéveloppée pour devenir un lieu de rendezvous de la nouvelle Russie et un vecteur de ses investissements. Les deux projets ont été entrepris à une grande échelle et à un rythme rapide, et chacun d’entre eux a été pensé pour modeler et promouvoir des idéaux nationaux nouveaux. Le résultat aujourd’hui est un palimpseste architectural dramatique, où les empreintes de ces systèmes de valeurs très différents se chevauchent sans harmonie. Les pratiques architecturales et socio-économiques du récent projet de redéveloppement jurent avec la couche soviétique. Alors que beaucoup de bâtiments et de parcs représentant l’héritage soviétique ont été protégés, les commentateurs tombent d’accord pour dire que leur ancienne atmosphère a été perdue. Le Soči contemporain présente ainsi une étude de cas instructive concernant le paysage culturel comme problème de préservation architecturale.

AUTHOR

WILLIAM NICKELL University of Chicago

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Perm′, laboratoire de la « révolution culturelle » ? Perm as a Laboratory of ‘Cultural Revolution’

Aleksandra Kaurova

1 À partir de 2008, les autorités de la ville de Perm′ ont lancé une nouvelle politique culturelle très controversée. Au centre des débats : l’ouverture du Musée d’art contemporain (PERMM), ainsi que l’apparition d’œuvres d’art contemporaines dans l’espace public, sans parler des nombreux événements culturels (festivals, spectacles). Une des figures de proue de cette « révolution culturelle », le galeriste et spécialiste en marketing politique Marat Gel′man avait pour ambition de faire de Perm′ un modèle régional en matière de modernisation et d’amélioration de la qualité de vie. Différents groupes sociaux (députés locaux, artistes, citoyens ordinaires...) se sont mis à interpréter, critiquer et militer pour ou contre la présence de l’art contemporain dans la ville. Dans notre article, nous analyserons ces différents points de vue, caractéristiques de la société postsoviétique en pleine mutation, en nous servant d’exemples concrets, notamment, l’installation sur la place principale d’immenses sculptures surnommées Red People (Bonshommes rouges), signées par deux jeunes artistes pétersbourgeois.

Le vent du changement

2 À la fin de la première décennie du nouveau millénaire, l’art contemporain commença à conquérir des territoires en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg : un phénomène sans précédent, en grande partie initié par les intellectuels et hommes politiques d’une nouvelle génération. Dans la ville industrielle de Perm′, située au pied de l’Oural, à 1 400 km à l’est de Moscou, qui compte environ un million d’habitants, l’irruption de l’art contemporain sous toutes ses formes dans la vie quotidienne fit l’effet d’une bombe. Sur les places qui avaient connu pour tout décor les statues des chefs du parti communiste et des compositions monumentales datant de l’époque du réalisme socialiste apparurent durant l’année 2010 des sculptures et des installations colorées,

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ludiques et forcément étranges pour une population habituée à un style plus consensuel en matière d’art.

3 Devant leur théâtre municipal, les habitants stupéfaits découvrirent le nouveau logo de leur ville : la lettre П1 de deux mètres de haut, issue de l’atelier du designer Artemij Lebedev. En face de la bibliothèque, la sculpture Pomme entamée de l’artiste ukrainienne Žanna Kadyrova laissa bouche bée les passants qui ne s’attendaient pas à voir dans un lieu culturel la représentation d’un objet aussi profane. Cette pomme mérite qu’on la contemple : sa peau luisante conçue en carreaux verts contraste avec la « morsure » fabriquée en vieilles briques rouges. Celles-ci proviennent des morceaux de bâtiments historiques du centre-ville, tombés en ruines ou détruits. Selon l’auteur, la morsure sur la pomme rappelle qu’il s’agit d’un objet de consommation et évoque la fragilité de notre monde2. Une autre installation frappa l’œil des curieux derrière le parlement régional : le mot vlast′ (pouvoir) de l’artiste Nikolaj Ridnyj composé de gros caractères en béton, censés servir aussi de bancs publics. Posés ici et là, les Trashmen, œuvre des designers pétersbourgeois Andrej Ljublinskij et Marija Zaborovskaja, invitaient les passants à jeter leurs déchets dans la poubelle intégrée à la sculpture anthropomorphe en plastique jaune. Enfin, les Bonshommes rouges signés par les mêmes designers marquèrent particulièrement les esprits. Ces sculptures anguleuses de quatre mètres de haut, fabriquées en bois et peintes en rouge vif, peuplèrent plusieurs lieux du centre- ville. À partir de l’été 2010, les mariés fraîchement sortis de la mairie venaient s’y faire photographier. (fig. 1-4)

Fig. 1. Red People, Perm′

© Andrej Ljublinskij

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Fig. 2. Red People, Perm′

© Andrej Ljublinskij

Fig. 3. Red People, Perm′

© Andrej Ljublinskij

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Fig. 4. Red People, Perm′

© Andrej Ljublinskij

4 Les auteurs des Bonshommes rouges déclarèrent que leurs sculptures avaient été conçues comme des taches de couleur dans l’environnement gris et anonyme des métropoles contemporaines. « C’est avant tout un jeu de construction par le biais duquel on fabrique un objet anthropomorphe. Grâce à sa structure modulable nous pouvons obtenir une variété considérable de personnages. Ce jeu permet non seulement de manipuler les éléments qui le composent, mais également de pénétrer au-delà des frontières entre les époques, genres et mouvements dans l’histoire de l’art », précisa Andrej Ljublinskij3. Passionnés par les jouets depuis dix ans ces artistes diplômés de la Haute école des arts appliqués de SaintPétersbourg explorent le paysage urbain à l’aide de leurs sculptures. Les jouets sont leur thème de prédilection. D’ailleurs, ils comptent parmi les premiers artistes dans l’espace postsoviétique à fabriquer des jouets design, destinés autant aux enfants qu’aux adultes.

5 Marija Zaborovskaja et Andrej Ljublinskij reconnaissent qu’ils furent influencés dans leurs choix esthétiques aussi bien par les formes épurées de Malevič que par les sculptures anthropomorphes de Giacometti ou d’Antony Gormley. Le côté minimaliste de ces sculptures rappelle le design industriel du Bauhaus. Le contexte de la création de leurs sculptures est tout à fait international.

6 Et lorsqu’ils utilisent un slogan soviétique dans la sculpture Slava trudu ! (Gloire au travail !) ils le transforment en objet du Pop art. À l’instar de ces artistes qui rendirent hommage à Robert Indiana, en reproduisant son célèbre LOVE à Perm′, Artemij Lebedev et Žanna Kadyrova s’inspirent également du mouvement Pop art, en se penchant sur l’exploration des objets de la vie courante et des graphies colorées.

7 En été 2010, les sculptures furent installées dans la ville de Perm′. Le premier “bonhomme rouge” trônait sur le toit de la Salle d’orgue de la Philharmonie ; le deuxième, coqueluche des enfants, faisait de la trottinette sur une place publique et le

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troisième était tranquillement assis sur une chaise blanche, saluant de son bras rectangulaire les passants.

8 Ces sculptures suscitèrent une polémique féroce, opposant Boris Milgram, ministre de la Culture de la région de Perm′ à l’époque, aux députés du parlement, durant le Forum économique, qui se tint en septembre 2010. Voici un extrait de leur dialogue cité par plusieurs médias russes : — Nous nous demandons ce que cela signifie, ces « bonshommes rouges » ? s’étonna le chef de la section régionale du Parti Russie unie. — Figurez-vous que cela ne veut rien dire de particulier, répliqua Boris Milgram. Ce sont des objets d’art qui ont pour but de transformer le visage de notre ville... — Mais les gens exigent des explications ! Quand j’ai apporté mon soutien au Centre du design, on m’a promis qu’il y aurait des choses uniques, petits formats, utiles pour la population… — Mais pourquoi vous parlez au nom de la population ? — Parce que je suis un élu ! Vendredi dernier, nous avons été obligés de débrancher le téléphone car nous avons reçu 49 appels injurieux de la part de gens fâchés, exigeant des explications ! — Regardez plutôt ce que cela va devenir dans un an ! C’était une place triste et maintenant elle est devenue un territoire urbain européen digne de ce nom ! Et le ministre de la Culture expliqua qu’il s’agissait d’une tentative pour transformer l’espace urbain, afin d’envisager sa nomination comme « capitale européenne de la culture » à l’horizon 20174.

9 Le partisan de la nouvelle politique culturelle, Boris Milgram, âgé de 59 ans, était un homme de la nouvelle génération. Metteur en scène renommé, issu de l’intelligentsia des années 1970 et doté d’une ouverture d’esprit propice à la création, il se distinguait fortement des fonctionnaires du type soviétique qui avaient pour réflexe de rejeter toute initiative ne correspondant pas à leur système de valeurs. Après avoir été nommé en 2008 ministre de la Culture de la région de Perm′, il fit partie de l’équipe du gouverneur de région, Oleg Čirkunov jusqu’à la démission de ce dernier, en avril 2012.

10 Milgram n’agissait pas tout seul. Sa volonté de remodeler l’image de la cité postsoviétique avait reçu l’appui du parlementaire Sergej Gordeev. Et surtout, il était conseillé par Marat Gel′man, galeriste et curateur moscovite, auteur de nombreux projets culturels d’envergure. Reconnus dans les milieux artistiques contemporains, Gordeev et Gel′man inaugurèrent l’exposition Russkoe bednoe dans le bâtiment désaffecté de la gare maritime (dont l’état était proche d’une ruine), en 2008. Le titre de cette exposition traduit par Russian povera se réfère à la tradition de l’arte povera dans l’art italien des années 1960-1970. Les artistes proches de ce mouvement utilisent volontairement les matériaux « non nobles » et banals tel que carton, bois, chiffons... Dans le contexte russe la notion de la « pauvreté » sous-entend une certaine attitude sociale qui consiste à développer un esprit créatif face à la précarité.

11 Cette exposition réunissant les artistes contemporains russes les plus en vogue (Nikolaj Polisskij, Ol′ga et Alexandre Florenskij, Valerij Košljakov, Dmitrij Gutov, Anatolij Osmolovskij, Alexandre Brodsky, Vladimir Arxipov, etc.) abordait un sujet très délicat : l’identité nationale. Les artistes se penchèrent sur les mythes fondateurs, sur les traditions populaires des siècles passés et sur l’histoire soviétique récente tout en s’appropriant des matériaux issus de leur quotidien. L’exposition s’inscrivait dans un projet plus ambitieux intitulé « Perm′ : capitale culturelle ». Selon la presse moscovite, il fallait s’attendre à un « effet Bilbao » au pied de l’Oural. La création d’un nouveau Musée d’art contemporain, baptisé PERMM, dans les locaux fraîchement restaurés et

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bien équipés fut une véritable révolution dans la vie de la région toute entière. Une série de petits Bonshommes rouges tenant les lettres Slava trudu ! décora l’entrée du PERMM.

12 Les manifestations se succédèrent : parmi les plus marquantes expositions à thème, citons Rodina (Patrie, exposition collective), Evangel′skij proekt (Projet évangélique, exposition de Dmitrij Vrubel′ et Viktorija Timofeeva), Gosudarstvo (L’État, exposition personnelle de Dmitrij Cvetkov), Icons, Anonymous (expositions collectives). Tous ces projets continuaient à explorer les différentes facettes de l’histoire nationale russe, ses symboles, ses épisodes tragiques, ses lieux de mémoire et ses moments de gloire. Une place à part dans cette recherche artistique d’envergure fut consacrée à la spiritualité chrétienne orthodoxe et à la nouvelle vision de l’art sacré. L’exposition Anonymous se focalisa sur le problème de l’anonymat dans l’art et fut inspirée par la condamnation récente des Pussy Riot.

13 La vie culturelle locale s’enrichit grâce à la manifestation Živaja Perm′ (Perm′ vivante) mobilisant les jeunes poètes, metteurs en scène, musiciens, artistes-plasticiens... Le Festival Belye noči (Nuits blanches) organisé chaque année, canalisa encore plus d’énergie créatrice : selon ses fondateurs, en 2012, il accueillit un million de visiteurs5. Il est également intéressant de citer quelques chiffres, indiquant la dynamique du développement culturel de la région : selon la Haute école d’études économiques de Perm′, le festival fut fréquenté par 25 000 touristes, dont le quart n’avait auparavant jamais mis les pieds à Perm′6.

14 Marat Gel′man le compara à celui d’Édimbourg, en précisant que le festival de Perm′ avait trouvé sa formule : un mariage entre culture et divertissement7. Il se référait aux statistiques récentes, annonçant fièrement qu’avant la nouvelle politique culturelle, 60 % des jeunes avaient l’intention de quitter la ville, alors qu’à présent, ce chiffre était tombé à 11 %8. Il est à souligner que sur le territoire de ce festival la culture traditionnelle et l’art contemporain cohabitèrent avec succès : des villages « oudmourte » et « kazakh » avec leurs artisans attirèrent autant de public que les expositions et performances du PERMM. Le Centre des projets culturels et de la politique de la jeunesse, responsable de l’organisation, précisa que l’interaction entre les formes de l’art traditionnel, voire ethnique, et l’art actuel serait le leitmotiv des prochaines manifestations. Cette vision de l’avenir plutôt optimiste contrastait fortement avec une vague de critiques de la « révolution culturelle » qui déferla à travers les médias et les blogs. Une polémique sans précédent se déclencha au sein de la société civile en faisant apparaître les enjeux sociaux, politiques et esthétiques concentrés autour de l’art contemporain.

L’art contemporain au cœur d’un débat public

15 Il est intéressant de comparer la perception de l’art contemporain dans la Russie postsoviétique et dans les pays occidentaux. Une nette différence existe dans la manière qu’ont les citoyens ordinaires de réagir face aux créations artistiques.

16 En Occident, l’époque où l’artiste était capable de bousculer le « bourgeois bien pensant » semble révolue. L’art contemporain est définitivement intégré dans l’espace urbain (place publique, giratoire, entrée d’une banque, etc.) À tel point qu’on le remarque à peine. Il suscite beaucoup moins de polémique qu’au temps des avant-

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gardes. La critique d’art française Catherine Millet dans son ouvrage l’Art contemporain pose cette question rhétorique :

17 Les artistes contemporains dont les œuvres circulent dans le marché et qui reçoivent des subventions de la part des institutions, ou ceux qui s’approprient les productions de la société de consommation [...] trahissent-ils l’esprit révolutionnaire des premiers modernes ?9

18 Bien sûr, il existe encore des artistes, tel un Banksy qui parvient à provoquer les réactions spontanées des passants ordinaires face à ses œuvres. Mais la tendance générale est plutôt de laisser l’art contemporain entre les mains des spécialistes qui sauront l’expliquer, le conserver et le vendre.

19 En Russie, la situation est très différente. Un geste artistique employé à bon escient peut avoir un tel impact sur la société russe qu’il serait approprié de le comparer à une action politique. Il est de plus en plus fréquent, d’ailleurs, de voir les artistes faire de la politique leur terrain de prédilection10. N’est-ce pas une situation idéale qui aurait fait rêver un artiste comme Joseph Beuys, avec sa conception de la « sculpture sociale » ou les situationnistes français prêchant l’union entre l’art et la vie ?

20 Afin de mieux prendre conscience de l’ampleur du phénomène, passons en revue les différentes phases du succès de la nouvelle politique culturelle, avant d’analyser les causes de son déclin. Quelques mois après leur installation, les Bonshommes rouges devinrent les ambassadeurs de choc de la bonne ville de Perm′, assoupie au pied de l’Oural. Ils figuraient dans les génériques d’une série télévisée à la mode, servaient de décor pour le clip d’un rappeur, apparaissaient comme marionnettes dans un spectacle pour enfants. Ils se transformèrent même en gadget : magnets, cartes postales, autocollants ! Dans leur blog, les artistes Andrej Ljublinskij et Marija Zaborovskaja publièrent les photos de la sculpture en miniature (40 cm environ) photographiée par les fans, dans différentes villes européennes11. Un groupe d’alpinistes de Perm′ emporta dans leurs bagages le petit bonhomme coloré au sommet du Kilimandjaro, en transitant via Moscou Le Caire-Zürich-Nairobi12. Enfin, le Bonhomme rouge était présent sur le stand de la région de Perm′ du Salon du tourisme ITB au printemps 2011, à Berlin13. Les sculptures voyagèrent également à l’intérieur de la Russie : démontées provisoirement entre février et mai 2011, elles furent emmenées à Moscou pour l’exposition dans la prestigieuse école de business et gestion Skolkovo et à Saint Pétersbourg dans le centre culturel Ètaži. Le chroniqueur de la plus grande agence d’information RIA Novosti s’enthousiasma : « Vraisemblablement, avec ces Bonshommes rouges commencera l’histoire du public art, très populaire en Europe, mais pas encore bien représenté dans notre pays14 ». Les médias étrangers n’ignorèrent pas le phénomène : dans la version électronique du magazine Der Spiegel Eric Follath mit en exergue le contraste entre deux images de Perm′ : la ville industrielle au passé sombre et la « Bilbao russe » en devenir.

21 Les journalistes du New York Times observent de près les événements à Perm′, en consacrant plusieurs articles à l’émergence des nouveaux cultural hot spots dans cette ville15.

22 Dans ce contexte, il est particulièrement intéressant d’analyser les réactions négatives d’une partie des habitants de Perm′ qui ne tardèrent pas à se manifester. Le portail Segodnia.ru à tendance populiste qui affiche le soutien quasi absolu au pouvoir en place et n’hésite pas à utiliser des sources douteuses pour compromettre l’opposition, intitula

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son article « Les habitants de Perm′ sont contre Gel′man16 ». Ainsi, d’entrée du jeu, Marat Gel′man fut présenté comme un ennemi idéologique par les habitants de Perm′. Ensuite, l’art contemporain fut catalogué comme une « curiosité amusante », sans valeur esthétique véritable. Les mots « artistes contemporains » et « création » furent placés entre guillemets et souvent précédés par les qualitatifs « prétendus » ou « soi- disant ». Le style de l’article rappelle celui de la Pravda de l’époque soviétique avec son ton moralisateur. Dans le même article, on apprend que près de deux cents « représentants de l’intelligentsia locale » se sont réunis le 30 juin 2011 devant le Théâtre dramatique, afin de dénoncer « la pseudoculture ». Leur principale exigence : augmenter les salaires des « employés de la culture » locale et soutenir les artistes autochtones. Les membres de l’Union professionnelle des artistes locaux se joignirent aux protestataires pour dénoncer « l’invasion » des acteurs culturels moscovites, qu’ils qualifièrent de « Vikings » (varjagi).

23 Ceux qui exprimèrent ainsi leur colère n’étaient pas conscients de cette loi de la communication moderne selon laquelle une mauvaise critique sert tout de même la promotion d’une œuvre détestée. Cette prise de conscience est venue un peu plus tard, avec le blogueur Zapolskix17 qui proposa d’ignorer « le phénomène Gel′man ». Quoiqu’il ne put s’empêcher de qualifier de « sacrilège » les Bonshommes rouges qui, à son avis, parodiaient la sculpture en bois le Christ dans la prison, datant du Moyen Âge. « Se moquer des choses sacrées est la stratégie préférée de Gel′man », affirma Zapolskix, en se référant au célèbre épisode du découpage à la hache des icônes par l’artiste Avdej Ter-Ogan′jan18.

24 La diabolisation du galeriste fut appuyéе par l’œuvre de fiction de l’écrivain ultranationaliste et xénophobe, Aleksandr Proxanov, pour qui les Bonshommes rouges étaient comme des robots téléguidés par la volonté d’un diable, incarné par un curateur étranger !19 Présenté comme l’incarnation des forces du Mal, comme un « agent étranger » envoyé pour détruire le patrimoine local et pervertir la jeunesse, Gel′man devint un personnage quasi mythologique. Son entreprise à Perm′ canalisa les peurs les plus archaïques et provoqua les interprétations les plus folles.

25 Par exemple, un des Bonshommes rouges saluait les passants avec son bras en bois rectangulaire. Son geste en interpella plus d’un : certains parlementaires y virent une caricature d’eux-mêmes en train de voter et se sentirent offensés car « les bonshommes n’ont pas de tête20 ». Cette réaction des députés eut des conséquences : Marat Gel′man fut contraint de les enlever pendant la discussion du budget régional. Une fois le budget accepté, les sculptures retrouvèrent leur place.

26 L’agitation médiatique enfla pour la deuxième fois en automne 2011, lors de la campagne électorale. Le candidat aux législatives Konstantin Okunev se fit surprendre à utiliser les photos des Bonshommes rouges pour sa campagne électorale sans avoir obtenu de droit d’utilisation. Durant sa visite à Perm′, le ministre des Ressources naturelles et le représentant du parti Russie unie Jurij Trutnev exigea du gouverneur de région Oleg Čirkunov d’enlever les sculptures. Selon Marat Gel′man, les stratèges de Russie unie l’avaient convaincu que la disparition des sculptures apporterait 10 % de voix supplémentaires à leur parti21. Face aux journalistes, il justifia sa décision par sa volonté de soutenir Russie unie. Mais selon d’autres versions, Marat Gel′man n’avait pas le choix, les politiciens lui ayant posé un ultimatum. Ces déclarations furent plusieurs fois contredites dans les médias par des personnes proches du gouverneur qui n’apportaient pas plus d’éclairage sur la disparition des sculptures. Les aventures

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carnavalesques des Bonshommes rouges n’étaient pas terminées pour autant. Une fois les élections passées, ils réapparurent dans le centre-ville, déguisés en Père Noël !

27 Les protestataires de la « révolution culturelle » trouvèrent un porte-parole, en la personne de l’écrivain Aleksej Ivanov, connu grâce à ses romans historiques et sociaux, dont l’action se déroule sur la terre de Perm′. En bon patriote, Ivanov défendit le patrimoine local, reprochant au gouverneur de région Čirkunov de sacrifier les institutions culturelles existantes (la galerie des Beaux-arts, la bibliothèque, mais aussi son propre projet littéraire Perm′ comme texte ) au profit des « gardes rouges » de Gel′man22. L’écrivain accusa Gel′man d’avoir volé l’argent du peuple et de manipuler les autorités afin de détourner les flux financiers.

28 Concernant la qualité des œuvres d’art exposées par Gel′man, cet intellectuel diplômé en histoire de l’art se contenta de dire qu’elles ne supporteraient pas la concurrence si elles étaient exposées à Paris, raison pour laquelle Gel′man les vendait à Perm′...

29 Ces arguments ne tiennent pas la route, car le PERMM expose non seulement les artistes russes présents sur la scène internationale (Il′ja Kabakov, Aleksandr Brodsky, Valerij Košljakov, Dmitrij Vrubel′, Vitalij Komar et Aleksandr Melamid, etc.), mais aussi les artistes européens et américains tels que Bill Viola, Fischli &Weiss, Nam June Paik. Il suffit de prendre connaissance de la programmation pédagogique du site internet du PERMM (dans son état actuel) pour se convaincre de la diversité et de la qualité des manifestations offertes : des conférences sur l’architecture, l’urbanisme et le public art données par des experts américains, un workshop adressé aux personnes âgées et un autre aux enfants, rencontres avec des curateurs et critiques d’arts russes et étrangers, spectacles, films, concerts et tables rondes. Chaque événement est pensé comme un moment d’échange et de réflexion autour du monde contemporain et de ses enjeux.

30 Dans ce contexte-là, la critique formulée par Igor′ Averkiev sur le site d’association des citoyens de Perm′23, paraît pour le moins infondée. Il affirma que l’art et la culture avaient été réduits par Gel′man et ses collaborateurs à un simple « show », à un mauvais divertissement. Averkiev poussa son argumentation plus loin, en comparant les festivals Belye noči et Živaja Perm′ aux manifestations des régimes totalitaires (soviétiques et nazis) qui cherchaient à hypnotiser le peuple, tout en le manipulant.

31 En se basant sur l’analyse des critiques exprimées dans la presse écrite et sur internet, nous pouvons constater que la position idéologique des opposants « à la révolution culturelle » se résume à la posture psychologique de « victime ». La terminologie utilisée dans ces propos est symptomatique : on parle du « viol » de la région par la « bande de Gel′man » (Ivanov), on déforme le nom de famille du galeriste pour l’humilier (gel′mint, le ver solitaire), en évoquant ses origines juives, en parlant du Mal, des mensonges et du complot entre les autorités de la région et les « arnaqueurs moscovites ». Dans cette marmite bouillante d’émotions, la question de l’argent reste un sujet de première importance.

Le prix et la valeur des nouvelles créations

32 En effet, est-il raisonnable de financer l’art contemporain dans une ville où les bus n’ont pas été remplacés depuis quarante ans ? Les routes et les conduites de gaz nécessitent une rénovation urgente et les équipements sociaux (hôpitaux et écoles) manquent de moyens.

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33 Le très populaire quotidien Komsomolskaja Pravda titra : « À Perm′ surgissent des Bonshommes rouges à 200000 roubles, issus du budget régional24 ». Les autres médias citèrent des sommes tout aussi importantes, attribuées successivement au PERMM et au Centre du design.

34 Marat Gel′man se défendit en affirmant que le financement de ces institutions a été effectué en très grande partie par la fondation Russkij avangard, appartenant au sénateur Sergej Gordeev ainsi que d’autres sponsors privés25. Quant au coût de fabrication des Bonshommes rouges, selon l’artiste Andrej Ljublinskij, il atteindrait la somme de 277 000 roubles (10 000 dollars environ) et serait en effet financé par le budget régional. « À côté des autres projets, c’est peut-être celui qui a coûté le moins cher26 », commente Ljublinskij. Cet argument ne convainquit pas le candidat aux législatives, Oleg Mitvol′, qui adressa au Procureur général une demande d’enquête judiciaire sur l’attribution de l’argent public aux projets culturels de Gel′man27. Plusieurs inspections eurent lieu dans les bureaux du PERMM et au Centre du design, afin d’évaluer les dépenses et trouver d’éventuelles traces de fraudes. Sans résultat. Mais l’affaire ne fut pas classée, puisqu’en juin 2013 le Procureur examina le budget du Festival Belye noči et notamment les honoraires payés aux organisateurs, c’est-à-dire Marat Gel′man et Vladimir Gurfinkel′28.

35 Aujourd’hui encore, les critiques continuent à pleuvoir sur le festival qui serait, selon certains journalistes, un luxe inutile dans une ville où les bâtiments classés monuments historiques sont en train de s’écrouler au sens propre du terme, en attendant leur restauration29.

36 Le destin des objets d’art urbain (public art) après leur création et leur installation constitue un autre aspect de la problématique de la « révolution culturelle ». Quelques mois à peine après leur installation, les œuvres d’art furent l’objet de malveillances intentionnelles et à la fois d’une négligence habituelle envers l’espace public, propre à toutes les villes postsoviétiques. Le président de l’Union professionnelle des artistes Ravil′ Ismagilov, voyant d’un mauvais œil leur apparition dans l’espace public « ce n’est pas de l’art », déclara en septembre 2010 : « J’aurais brûlé ces Bonshommes rouges !30 ». Des vandales anonymes prirent visiblement cet aveu pour un appel à l’action, en coupant un pied au Bonhomme rouge sur la chaise et en renversant celui en trottinette. Plusieurs tentatives d’incendie furent signalées. Les trashmen (hommes-poubelles) reçurent des coups de bottes ; des plaisantins volèrent leurs poubelles.

37 En hiver, les sculptures se retrouvèrent presque complètement ensevelies sous la neige. Les services de la voirie, n’ayant pas reçu mandat d’entretenir les sculptures, refusèrent de s’en occuper. Le banc public en forme de lettres vlast′ fut transformé en poubelle par les usagers. Les mauvaises langues avaient ironiquement salué ce comportement : le pouvoir ne serait-il pas associé dans l’inconscient collectif à une déchetterie ? Métaphores mises à part, force est de constater que l’entretien et la conservation de ces objets de public art n’étaient pas prévus au programme.

38 Un autre exemple de la dépréciation de la création des artistes contemporains par le public est le projet de rénovation des abribus. Les anciens abris datant de l’époque soviétique étaient plus que rudimentaires, brûlés, abîmés par la glace et la neige ; il n’en subsistait souvent que des structures métalliques rouillées et tordues. L’atelier du designer moscovite Artemij Lebedev avait gagné le concours et la ville accueillit une série d’abribus coquets, conçus avec des matériaux contemporains et équipés

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d’éclairage nocturne. Un trait caractéristique de ce mobilier urbain : ses parois semi- transparentes, décorées par des illustrations uniques afin de « minimiser les éventuels effets de tags et graffitis ». Les voyageurs pouvaient admirer des reproductions de tableaux célèbres, les portraits du Mahatma Gandhi, de Frida Kahlo ou Joseph Brodsky... (sur le site d’Artemij Lebedev il est toujours possible d’admirer ces merveilles du design postsoviétique31). Originaux, colorés et fonctionnels, ces abribus avaient pour but non seulement de protéger les usagers des intempéries, mais également de leur apporter un plaisir esthétique, durant le temps d’attente dans les transports publics. Hélas, deux ans après leur installation, les parois des nouveaux abris étaient brisées ou recouvertes de petites annonces. Peu à peu, ils se métamorphosaient en bonnes vieilles structures soviétiques. Finalement, les autorités prirent la décision de les remplacer par des structures basiques sans aucune touche esthétique.

39 En analysant de près ces situations de confrontation des habitants aux phénomènes de la création contemporaine, nous observons que les objets du public art dans les rues agirent comme un indicateur de PH, en relevant les déséquilibres de la vie socio- économique sur plusieurs niveaux. La présence de ces objets ludiques et colorés dans un environnement urbain portant les traces d’abandon, provoqua une réflexion sur les valeurs à préserver (patrimoine architectural, respect de l’espace public, qualité de vie) ainsi que sur l’avenir de cette ville d’un million d’habitants.

Alliance et divorce avec le pouvoir

40 Afin de comprendre ce phénomène culturel de la dernière décennie, il est nécessaire d’observer le contexte global dans lequel il naquit et évolua. La figure de proue de ce mouvement, Marat Gel′man, fit de Perm′ un laboratoire d’expérimentation pour un projet très ambitieux, consistant à transformer les villes provinciales en pôles de création artistique contemporaine. Déjà à partir de la fin des années 1990, Gel′man se consacra à la recherche de nouveaux artistes à Saint-Pétersbourg, Rostov-sur-Don et Novossibirsk qu’il invita à Moscou. En 2010, il noua une collaboration étroite avec le parti au pouvoir Russie unie, en créant l’association Alliance culturelle, destinée à favoriser les échanges culturels entre les régions. Russie unie était-elle à la recherche de nouvelles idées, suite à sa baisse de popularité ? L’art contemporain était-il considéré comme un moyen de redorer l’image de Russie unie auprès du jeune public ? Dans les cités postsoviétiques où le taux de chômage est plutôt élevé, les courants politiques ultra-radicaux ont souvent du succès. La promotion de l’art contemporain associé avec un style de vie « cool » figurait peut-être parmi les intentions de ceux qui avaient appuyé les initiatives de Marat Gel′man, à Perm′.

41 L’idée de décentraliser la politique culturelle et de promouvoir les artistes de la périphérie en contournant les institutions officielles fut le leitmotiv de l’exposition Art contre la géographie, inaugurée en 2011 au sein du centre culturel moscovite Vinzavod. Selon les organisateurs de l’exposition : Le projet Alliance culturelle ne peut pas effacer la distance entre les villes, mais il peut la diminuer. En plus de créer des liens entre les artistes de différentes villes, il forme un territoire de l’art unique en son genre. Cette exposition en est un exemple. Les acteurs de l’art contemporain ne vivent pas seulement à Moscou et Saint-Pétersbourg. Plus de vingt artistes de Perm′, Ufa, Ekaterinburg, Samara, Tver′, Togliatti, Kirov, Kazan′, Nižnij Novgorod et Iževsk exposent leurs œuvres et matérialisent en même temps les liens horizontaux à l’intérieur de la culture

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contemporaine russe. Si auparavant les courants culturels étaient concentrés dans les grandes villes, aujourd’hui l’énergie du renouveau si recherchée dans les mégapoles, vient de la province32.

42 Néanmoins, en 2012 le financement apporté par l’État aux initiatives de Marat Gel′man s’arrêta brusquement. Le nouveau gouverneur de région, Viktor Basargin, nommé par Vladimir Putin33, se montra méfiant vis-à-vis du concept « Perm′ – capitale culturelle » et afficha l’intention de déplacer tous les objets d’art contemporain. Le clivage idéologique entre les représentants du pouvoir et les partisans de la « révolution culturelle » était devenu trop grand. Déçu, Marat Gel′man déclara ne plus vouloir collaborer avec le pouvoir, mais affirma sa volonté de continuer le développement culturel des régions34.

Les artistes face à la censure

43 Le 19 juin 2013, Marat Gel′man perdit son poste de directeur du PERMM. Il expliqua la raison principale de son licenciement : Je pense que mon contrat a été interrompu à cause de mon conflit récent avec le ministre de la Culture de Perm′ qui avait interdit le Festival Belye noči et notamment les trois expositions qui en faisaient partie. Mais comme nous n’acceptons pas la censure, toutes les trois expositions au musée étaient ouvertes...35

44 Les œuvres de l’artiste Vasilij Slonov qui tiraient à boulets rouges sur les Jeux olympiques de Soči irritèrent les fonctionnaires. Contrairement aux auteurs des Bonshommes rouges, cet artiste puisa son inspiration dans la culture nationale et chargea ses œuvres d’un message politique. Slonov utilisa le format des panneaux propagandistes et les personnages du folklore populaire pour parler de la réputation actuelle de la Russie en Occident : corruption, terrorisme, violence d’État et manque de libertés... Sous chaque image figurait le slogan : « Welcome ! Soči 2014 ». Cette ironie fut jugée antipatriotique par le nouveau gouverneur de Perm′, Viktor Basargin, et, par conséquent, incompatible avec la mission du Musée d’art contemporain. Serait-ce une stratégie habile de la part de l’artiste et du directeur du musée PERMM Marat Gel′man visant à provoquer la répression de la part des autorités et ainsi s’approprier la notoriété d’un geste avant-gardiste ? Une hypothèse intéressante, mais dans ce cas, l’artiste et son curateur jouent avec le feu. L’année 2012 fut marquée par une série de lois (sur le droit de manifester, sur la « propagande » de l’homosexualité, sur internet etc.) qui restreignent l’accès à l’information et justifient les cas de censure. L’historien d’art et responsable de la section de l’art contemporain au Musée national russe à Saint-Pétersbourg, Aleksandr Borovskij, associe les mesures punitives avec l’action du groupe Pussy Riot à la cathédrale du Christ Sauveur en février 2012 : La haine pour l’expression libre, pour l’art est partagée par beaucoup de gens et après l’action de Pussy Riot, les politiciens ont décidé que le temps était venu de serrer la vis et de chasser la culture contemporaine de la place publique36.

45 Les articles de la loi concernant « des activités extrémistes37 » ainsi que « l’atteinte aux sentiments des croyants38 » sont désormais utilisés par le pouvoir pour museler tous ceux qui le critiquent. Mais curieusement Marat Gel′man restait assez intouchable, malgré les scandales qui accompagnent ses expositions. Dans ce contexte, on peut rappeler le vernissage d’une autre exposition organisée par Gel′man à Saint- Pétersbourg intitulée Icons et traitant de sujets religieux du point de vue des artistes contemporains. Elle fut d’abord repoussée par la Rizzordi art foundation suite aux

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pressions de la part des autorités. Les œuvres furent considérées comme « provocantes » et « portant atteinte aux sentiments des croyants ». Les manifestations organisées au centre-ville par les milieux ultra conservateurs renforcèrent les tensions existantes entre les représentants du pouvoir et les milieux artistiques. Finalement, après le refus de Gel′man de montrer l’exposition dans ces conditions, l’événement eut quand même lieu à l’espace Tkači. La confrontation entre les apologistes de l’art sacré et les adeptes de l’art contemporain continua par le biais des médias.

46 Le thème des Jeux olympiques à Soči est un sujet presque « sacré », puisqu’il touche à l’identité nationale et à l’image de la Russie à l’étranger. Vasilij Slonov en fit une caricature en se servant de la bonne vieille opposition idéologique entre la Russie et l’Occident répandue à l’époque de l’URSS. Suite à la fermeture de son exposition, les artistes israéliens qui avaient installé leurs œuvres dans les mêmes salles témoignèrent leur solidarité avec leur collègue censuré, en rendant hommage à son travail sur une des parois. Cette exposition fut fermée aussitôt. Faut-il s’étonner que la troisième exposition baroque russe de l’artiste Sergej Kamennoj contenant les photographies des opposants au régime politique actuel, fut également interdite ?

47 Aussitôt, plus d’une centaine de personnalités (architectes, artistes, curateurs) issues de différentes villes russes signèrent une lettre ouverte adressée aux autorités de Perm′. Parmi les signataires, on comptait l’écrivaine Marija Arbatova, le poète Lev Rubinštejn, l’artiste Dmitrij Vrubel′. Dans la lettre, les intellectuels réclamèrent le droit de connaître les raisons exactes du licenciement de Marat Gel′man et menacèrent d’interrompre toute collaboration dans le domaine culturel avec l’administration de la ville. Nous sommes convaincus que Marat Gel′man, en tant que directeur du musée, avait le droit d’exposer les œuvres de Vasilij Slonov au musée d’art contemporain PERMM, car l’art contemporain ne doit pas éviter de parler de l’actualité politique. C’est au directeur du musée de décider ce qu’il convient d’exposer, cela fait partie de ses compétences professionnelles. Sans indépendance et responsabilité, il est impossible de développer l’art39.

48 Finalement, Marat Gel′man fut contraint de quitter son poste de directeur du PERMM. Il redéploya une partie de ses activités en Croatie. Son bébé, le PERMM contenant l’immense collection d’œuvres d’art contemporain russe réunie par ses soins resta orphelin. Faute de financement, les activités du musée commencèrent à ralentir. En 2014, le musée déménagea dans un bâtiment provisoire en attendant sa rénovation complète. La nouvelle direction fit des efforts pour promouvoir les jeunes artistes contemporains et conserver l’ambition initiale de ce musée en tant que centre éducatif et culturel répondant aux standards internationaux. La nouvelle directrice artistique, Nailja Allaxverdieva organisa au mois de mars 2014 une exposition d’envergure entièrement dédiée aux formes du street art. Ayant coincidé avec l’occupation de la Crimée par les troupes russes, cet événement engloba les œuvres d’art présentant un regard critique sur l’actualité. Mais l’avenir de ce musée reste toujours incertain. Comme témoigne Nailja Allaxverdieva, la censure représente un obstacle sérieux dans son activité de curatrice. Un autre problème de taille est l’absence d’une politique culturelle d’État claire, tout particulièrement dans le domaine de l’art contemporain40.

49 La situation est réellement complexe. Dans la Russie actuelle, il devient de plus en plus difficile (et parfois dangereux) de s’exprimer sur l’actualité politique, sur la religion et, depuis peu, sur son orientation sexuelle. L’Église orthodoxe (comme autrefois le parti

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communiste) intervient de plus en plus souvent dans diverses sphères de la vie sociale pour y imposer ses normes morales. L’habitude de suivre un modèle culturel unique hérité sans doute de l’époque soviétique caractérise les couches de la population active et représente un frein à toute initiative nouvelle. La liberté d’expression est souvent associée dans l’imaginaire collectif à l’anarchie totale et à l’absence de tout critère moral. La censure devient une arme courante contre toute liberté d’expression. Cette tendance concerne la société en entier et pas seulement les milieux artistiques (pensons aux manifestants de la place Bolotnaja toujours détenus en prison, à la persécution des homosexuels, aux cas de censure et de pression sur les enseignants dans les écoles et les universités). Enfin, l’enseignement des arts plastiques, souvent basé sur une approche très académique héritée du XIXe siècle, ne simplifie pas la tâche aux curateurs de l’art contemporain. La campagne militaire en Ukraine menée par le chef du Kremlin et accompagnée par une propagande des valeurs ultra-patriotiques et traditionnalistes n’a fait que renforcer la pression sur les artistes et les intellectuels qui tâchent de préserver leur liberté d’expression.

50 Existe-il encore des artistes et des curateurs capables de présenter des points de vue multiples sur ces sujets et d’offrir au public une possibilité de réflexion ? L’exemple de Nailja Allaxverdieva qui se bat pour la survie du PERMM redonne un certain espoir. Marat Gel′man en faisait partie avant son départ. Ses rapports avec le pouvoir étaient ambigus : il collabora avec les idéologues du Kremlin en façonnant pour Russie unie une politique culturelle « jeune et cool », puis il se transforma en dissident, affrontant le pouvoir avec des projets de plus en plus audacieux. Quel que soit son rôle exact dans les coulisses du pouvoir, son activité en tant que promoteur de l’art contemporain à Perm′ porta quelques fruits.

51 Les Bonshommes rouges anguleux sont devenus pour un laps de temps un symbole identitaire d’une génération postsoviétique en quête d’une vie colorée. Conçus comme de grands jouets dénués de tout message politique, ils fonctionnèrent comme des véritables écrans de projections de l’inconscient collectif, en suscitant les peurs, la fascination, la colère. Critiqués, méprisés, adorés et cassés, ils sont stockés dans un dépôt provisoire, en attendant d’être (éventuellement) réintégrés dans un projet d’aménagement urbain. Le Festival Belye noči continue d’exister en attirant en ville les metteurs en scène, les musiciens, les intellectuels et les plasticiens qui font découvrir aux habitants de Perm′ la diversité des formes artistiques. Malgré de nombreuses péripéties, le PERMM a survécu ; son équipe tient à préserver sa fonction de foyer de création contemporaine de qualité.

52 Mais en l’absence de réformes politiques et économiques globales, dans la situation de crise économique aggravée par les tensions entre la Russie et les pays occidentaux, cette tentative d’innovation reste pour l’instant « une expérience » anthropologique intéressante. L’art contemporain a joué le rôle crucial de révélateur des mutations de la société russe.

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NOTES

1. П est la première lettre du mot Пермь (Perm′). 2. http://www.kadyrova.com/#!apple/c1h14 3. Sur sur le site du musée d’art contemporain PERMM les pages consacrées au programme du publicart : publicartperm.ru/project/gruppa-pprofessors-red-people 4. Irina Peljavina, « Депутаты проявили бесчеловечность », Коммерсант, édition régionale Prikam′e. Perm′,no 175 (4473), 22.09.2010 (http://kommersant.ru/doc/1508315) ; Il′ja Žegulev, « Революция красных человечков », Forbes, http://www.forbes.ru/svoi-biznes-column/ marketing/57034-revolyutsiya-krasnyh-chelovechkov, 23 septembre 2010. 5. https://ru.wikipedia.org, « Gel′man Marat Aleksandrovič ». 6. Il′ja Izotov, « Фестиваль “Белые ночи в Перми-2013” станет масштабнее », blog d’auteur sur le site internet de России◌̆ская Газета, https://rg.ru/2013/01/27/reg-pfo/perm-nochi- anons.html 7. Marija Orlova, « “Белые ночи в Перми” соберут миллион зрителей », Российская Газета, https://rg.ru/2013/05/14/reg-pfo/perm-nochi.html 8. Interview de Marat Gel′man, youtube.com/watch?v=k-W0FPaDuao 9. Catherine Millet, l’Art contemporain : histoire et géographie, Paris, Flammarion, 2006. 10. Nous pouvons citer comme exemple relativement récent les actions du groupe Voina et particulièrement celle du groupe Pussy Riot à la cathédrale Saint-Sauveur en 2012. Même si les avis sur la valeur artistique de leur performance divergent, il est désormais impossible d’ignorer son immense effet sur la réalité politique, sociale et culturelle de la société russe. 11. http://pprofessors.livejournal.com/ 12. « Пермяки и “красный человечек” покорили Килиманджаро ». 13. elovoper.ru/news/krasnye_chelovechki_punkt_naznachenija_berlin/2011-03-06-367 14. Art-guide Ria Novosti, ria.ru/art/20110225/338778000.html 15. Erich Follath, « The Miracle of Perm′: From Russian Gulag to Avant-Garde Mecca », Spiegel online International, 23 octobre 2009; Celestine Bohlen, « In a Sleepy Russian City, Not All Welcome a Cultural Revolution », The New York Times, 26 November 2010; Finn-Olaf Jones, « A Bilbao on ’s Edge? »; idem, 22 Juillet, 2011. 16. Zelimxan Livšic, « Пермяки против Гельмана », segodnia.ru/content/12298, 4 juillet 2011. 17. zapolskikh.livejournal.com/131894.html 18. Il s’agit d’une exposition « Art manège » qui a eu lieu en 1998 durant laquelle l’artiste découpa à la hache les images religieuses imprimées sur toile et non consacrées. Avdej Ter- Ogan′jan est consideré par les milieux conservateurs comme « protegé » de Gel′man. Ce dernier a organisé en 1999 dans sa galerie une exposition de l’artiste qui a provoqué le mécontentement des milieux ultra-orthodoxes et des actes de vandalisme envers les œuvres par des cosaques.

19. Aleksandr Proxanov, Человек звезды, Moskva, Veče, 2012. 20. artprotest.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1625&2010- &catid=4&2011-0304-14-58-14&ordering2=4 21. Dmitrij Čupaxin, « Тайна красных человечков », Business Class, business-class.su/ article.php?id=20869, 5 décembre 2011. 22. antichirkunov.livejournal.com/205778.html 23. http://old.pgpalata.ru/page/persons/remarks - n8 24. Irina Sevost′janova, « В Перми появились красные человечки за 200 тысяч бюджетных рублей », Комсомольская правда, kp.ru/daily/24557/732830, 14 septembre 2010. 25. http://rupo.ru/m/1743/marat_gelyman_protiw_alekseya_iwanowa.html

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26. Blog de Jurij Kuroptev, publicartperm.ru/blog/konstruktor-dlya-goroda-avtor-krasnyh- chelovechkov-andrej-lyublinskij-sozdal-dlya-permi-esche-o 27. Ekaterina Ž eltyševa, « Oleg Mitvol pilit Marata Gel′mana », 59.ru/text/news/447257- print.html 28. Voir l’information publiée sur le site de RIA Novosti, ria.ru/incidents/ 20130607/942050566.html 29. Elena Mokrušina, « “Белые ночи” и пермская архитектура », AIF, http:// www.perm.aif.ru/blogs/blogs/123468, 17 juin 2013. 30. Elena Mokrušina, « Равиль Исмагилов пригрозил сжечь красных человечков в Перми », AIF, http://www.perm.aif.ru/culture/details/118995, 21 septembre 2010. 31. Site officiel d’Artemij Lebedev, https://www.artlebedev.ru/perm/bus-stop/ 32. http://winzavod.livejournal.com/432386.html 33. À partir de 2004 Vladimir Putin modifia la législation afin de pouvoir nommer directement les gouverneurs des régions sans passer par les élections locales. Son administration justifia cette mesure par la volonté de limiter l’accès au pouvoir des groupes criminels. 34. Il est intéressant de noter que suite à la rumeur diffusée dans les médias sur le départ des “bonshommes rouges”de Perm′, la Fondation du développement de la ville de en Sibérie proposa dans une lettre ouverte à la municipalité de Perm′ « un asile politico-culturel pour les “bonshommes rouges” » (expression utilisée par les auteurs de la lettre), obzor.westsib.ru/ article/370101. 35. top.rbc.ru/viewpoint/19/06/2013/862464.shtml 36. Inga Slažinskajte, « Цензура – новый тренд в жизни культурной столицы », Baltinfo, baltinfo.ru/2012/12/29/Tcenzura---novyi-trend-v-zhizni-kulturnoi-stolitcy-327117 37. D’ailleurs les œuvres de Slonov furent l’objet d’un examen du procureur général pour « extrémisme ». 38. Expression couramment utilisée par les fonctionnaires d’État après l’action des Pussy Riot à la Cathédrale du Christ Sauveur. Récemment le projet de loi protégeant les sentiments des croyants fut proposé par la Douma. Selon ce projet de loi l’atteinte aux sentiments des croyants doit être punie par l’emprisonnement jusqu’à 5 ans. 39. Blog d’Il′ja Izotov, Rossijskaja Gazeta, https://rg.ru/2013/06/25/reg-pfo/perm-pismo.html 40. 40. Interview de Nailja Allaxverdieva par Svjatoslav Ivanov, http://zvzda.ru/interviews/ e7ee041b0a27

RÉSUMÉS

Dès 2010, Perm′ développe un projet sans précédent en créant un musée d’art contemporain et en installant divers objets artistiques dans l’espace public. Cette initiative bénéficie d’un soutien politique en haut lieu et d’un budget confortable. Ainsi voient le jour des abris-bus confiés à l’atelier d’Artemij Lebedev, des expositions d’envergure internationale au musée d’art contemporain et surtout, des sculptures de “bonshommes rouges”, en bois, qui sont devenues le symbole d’une ville dynamique et moderne. Nous avons analysé la réception de ces œuvres par la classe politique locale et par les habitants de Perm′. Le public art peut-il révolutionner les mentalités et transformer le quotidien comme le prétend Marat Gel′man, célèbre galeriste et

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commissaire d’expositions ? Quel avenir pour ce type de projet dans la Russie poutinienne ? Le débat ne fait que commencer.

Since 2010, the city of Perm has developed an unusual project: the creation of a museum of contemporary art and the installation of various artistic objects in its public spaces. This initiative enjoyed high-placed political support and a comfortable budget. It included bus shelters created by the studio of Artemii Lebedev, international exhibitions in the museum of contemporary art, and, most notably, the deployment of ‘red figures’, made of wood, which became the symbol of a city that wants to be dynamic and modern. This article analyses the reception of these works by local politicians and the residents of Perm. Can public art revolutionize mentalities and transform everyday life, as the famous gallerist and curator Marat Gelman maintains? The debate has only started.

AUTEUR

ALEKSANDRA KAUROVA Historienne de l’art, commissaire d’expositions, Suisse

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« Localisme agressif » et « globalisme local » – La poétique des villes postsocialistes en Europe centrale The Poetics of ‘Aggressive Localism’ and ‘Local Globalism’ in Literary Works of Central Europe

Alfrun Kliems Traduction : Andreas Schönle

1 Les villes postsocialistes imposent une double expérience de la globalisation : celle de la différence, autant que celle de la suppression de la différence de ceux qui y résident, marquant ainsi le lien entre cosmopolitisme et nationalisme. À travers sa notion d’ ethnoscapes, Arjun Appadurai décrit le rapport imaginatif entre déterritorialisation et enracinement local comme une pratique sociale de l’imaginaire. Bien que cet état de fait ait d’une certaine manière toujours caractérisé l’humanité, Appadurai souligne un glissement croissant des récits d’inspiration locale vers une optique globale1.

2 Dans leurs œuvres sur les villes postsocialistes de Varsovie, Prague et Bratislava, le Polonais Andrzej Stasiuk (né en 1960), le Tchèque Jáchym Topol (né en 1962) et la Slovaque Jana Beňová (née en 1974), qui sont tous restés plus ou moins fidèles à leurs lieux respectifs, montrent comment fonctionne, dans le contexte de la globalisation, la double perspective du cosmopolitisme et du nationalisme. Seul Stasiuk échange Varsovie de façon programmatique pour un isolement au pied des Carpates. Varsovie selon Stasiuk, Prague selon Topol et Bratislava selon Beňová représentent ici divers procédés poétologiques qui servent à esquisser le paysage urbain de l’Europe centrale et à saisir ces cités à travers une oscillation entre proposition identitaire et absence d’ancrage local, pluralité cosmopolite et étroitesse nationale.

3 À regarder de plus près, au centre de l’expression artistique, dans l’expérience et le traitement de la différence, on trouve une négociation plus générale entre lieux urbains et localités en mouvance. Ces œuvres se font le miroir d’un malaise provoqué

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par l’hésitation entre différence et suppression de la différence, ou, pour anticiper notre propos, elles proposent un dépassement positif de cette problématique et un enracinement réussi dans l’hétérogénéité. Ces œuvres ont été créées dans un contexte de globalisation. Leur univers sémiotique forme des non-lieux urbains, ou ce que le théoricien de l’architecture hollandais Rem Koolhaas appelle des Junkspace, à savoir des aérogares, stations d’essence, centres commerciaux, ou complexes de bureaux en miroirs. Notons que Koolhaas ne fait pas allusion à la junk food, mais au space junk, abandonné sur orbite par les hommes durant leurs voyages dans le cosmos2.

4 La texture urbaine dont il est question ici opère avec des topographies qui sont constituées comme ce Junkspace. Dans ce contexte, la poétique urbaine ne traite pas de récits classiques, de réflexions sur l’urbanisation ou sur l’expérience de l’urbanité. La ville n’est pas restreinte ici au rôle d’environnement concret où échouent les protagonistes. Elle n’est pas non plus une métonymie de la société, comme le Berlin d’Alfred Döblin ou le New York de John Dos Passos. Elle devient plutôt le sujet même, c’est-à-dire l’actant du monde fictif. Ou alors elle devient un objet contentieux paradigmatique, dont l’enjeu est la condition globale, notre rapport à celle-ci. La « globalisation froide », écrit Wolfgang Müller-Funk, « écarte toute différence culturelle sous une sorte de doux totalitarisme » et « écrase des pieds la dignité de nombreuses cultures, en particulier les non européennes ». Et de continuer : La nouvelle situation d’interaction culturelle est ce qui produit le malaise. Les certitudes de la culture propre commencent à vaciller, et les nouvelles incertitudes détruisent précisément ce qui était si caractéristique du rôle fondamental de la culture de produire un inconscient collectif, qui s’incarne dans le corps de ses adhérents en évitant les écueils tranchants de l’intellect3.

5 Dans quelle mesure les textes reproduisent ce colonialisme destructeur qui devient omniprésent, cette non-culture globale, et quelle modalité narrative, quelles stratégies esthétiques en découlent ? La localisation des textes dans la semi-périphérie d’une Europe centrale de l’est, qui s’affirme en entité culturelle discursive, suggère déjà un modèle stratégique de réaction contre cette articulation d’un malaise dans la perception du temps.

Andrzej Stasiuk : le localisme agressif

6 Andrzej Stasiuk est surtout connu comme conteur de l’isolement campagnard. Mais il sera ici question de Neuf (Dziewięć), son roman policier sur Varsovie paru en 1999. Le texte lui-même reprend cette différentiation puisqu’il raconte l’afflux des gens de la campagne dans la ville après la chute du communime. Il est question de « masses humaines » : [...] des cohortes de gens affublés de tenues tape-à-l’œil, qui tentaient ainsi une opération de débarquement – ces Łochowo, Małkinia, Pustelnik, Radzymin, Poświętne, Guzowacizna et Ciemne, (avec l’incontournable caserne des pompiers), le cri des coqs dès potron-minet et l’horizon plat comme le dos de la main, labouré à perte de vue où, chaque matin, au lieu du soleil, se profilait l’ombre de la grande ville, tel un mirage du désert [...]4.

7 Selon le narrateur, une invasion des habitants des bourgades campagnardes déferle quotidiennement dans la Varsovie postsocialiste. Il n’est donc pas surprenant que dans Neuf la ville semble être étrangement rurale, païenne, et que le texte avance continuellement une sémantique des steppes. Pour qualifier ce phénomène, Stasiuk

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utilise le terme codé de równina (la plaine), une représentation par l’absence. Les odeurs qui flottent en entrant et sortant, les mouvements des protagonistes, décrits dans le style des trajets frénétiques d’une caméra, font que les environs, la banlieue et le centre de Varsovie s’interpénètrent et se fondent les uns dans les autres. Contrairement à Tadeusz Konwicki, Stasiuk ne s’intéresse guère à l’ancienne incarnation soviétique de la ville. Néanmoins, il s’appuie sur le roman varsovien de Konwicki La petite apocalypse (1979), notamment en reprenant le topos d’une expansion des steppes. Le fantasme colonial de Konwicki se centre sur le Palais de la culture de Varsovie, un « site don urbain », dans le sens d’Augustin Ioan : Un lieu qui du fait d’une violente intrusion manque de cohérence, de logique urbaniste et de gabarit humain et dont les dimensions se reflètent dans les environs, de sorte qu’il devient un lieu empoisonné, qui perd lui-même progressivement son caractère propre à cause d’une contamination par ces “germes” toxiques5.

8 Le gigantesque Palais de la culture, un « don » au peuple polonais, fut conçu et construit en marge du centre historique de la ville par des architectes soviétiques dans les années 1950. Comme icône de l’urbanisme stalinien et symbole du communisme, il domine Varsovie, ainsi que le discours varsovien, jusqu’à l’époque actuelle. Dominik Bartmanski ira même plus loin en interprétant l’édifice qu’Ioan qualifiait de contaminé comme un « totem moderne ». Le palais aurait survécu grâce à son « potentiel de déni », qui ne peut être contrôlé, à l’encontre du traitement des édifices iconiques6. Il met en garde contre la confusion entre le symbolique et le discursif.

9 Contrairement à Konwicki, Stasiuk ignore ce palais icône, qui ne fait que briller à travers les arbres et jette son « ombre géante » sur la ville7. Ce qui néanmoins réunit les deux écrivains, c’est le regard qu’ils portent sur Varsovie comme une ville de la plaine, de la steppe, de la dévastation. Chez eux, c’est l’Asie qui est arrivée en Europe : Ma ville me fait penser à la célèbre Irkoutsk de Sibérie. Autrefois, c’était une ville européenne infirme, aujourd’hui, ce n’est plus qu’une robuste citadelle asiatique. Je suis prisonnier de cette ville8.

10 De surcroît, Konwicki développe le motif d’une nécropole pluri-centenaire : Plus de la moitié de ma vie j’ai vécu dans cette ville infirme de naissance, régulièrement violée par les occupants, écartelée par les envahisseurs, étranglée par les hordes asiatiques. J’ai dû un jour me glisser dans son cadavre9.

11 Agata Anna Lisiak examine la transformation et soumission des villes de l’Europe centrale dans la période suivant la chute du communisme, mettant en évidence la figure du colonisateur venu de l’Ouest10. De même, pour Stasiuk, la Varsovie postsocialiste est avant tout une ville colonisée par l’Ouest. Dans Comment je suis devenu un écrivain (Jak zostałem pisarzem), son « je » narratif semble convaincu que tout le mal provient des métropoles. Dans ses essais sur l’Europe centrale, Stasiuk fait de Varsovie, qui vient juste de se rendre, une entropie de la domination étrangère. Les occidentaux « arrivèrent dans un pays des mille miroirs, se retrouvèrent au milieu d’immenses surfaces de verre [...] et purent admirer en perpétuité leurs multiples images reflétées11. »

12 Si le verre, ce moyen mythique de la tromperie, est le matériau principal que Stasiuk associe à l’Ouest, le reflet spéculaire du paysage urbain peut aussi symboliser le retour de manivelle de l’autoperception des Polonais, comme le suggère Maria Janion dans son étude « L’inquiétante étrangeté de la slavitude » (Niesamowita słowiańszczyzna). L’auteur se réfère à « l’avance coloniale » du Christianisme, qui mena à une « occidentalisation

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latinisante » de la culture polonaise. Il en résulta un oubli, ou plutôt un refoulement des influences byzantines et slaves païennes. Cette absence de foyer, de repères culturels, selon la thèse centrale de cet ouvrage, aurait créé une inquiétante étrangeté (Unheimlichkeit) freudienne12. Janion déploie un double concept pour caractériser le traitement par la Pologne de son double rôle historique : colonisée, d’une part, par la Russie et par « l’ouest », et colonisatrice, d’autre part, de l’Ukraine, de la Lituanie et de la Biélorussie. Dans la mémoire collective, d’après Janion, on décèlerait un blocage entre arrogance et avilissement de soi-même, entre les figures mythiques éternelles de la victime sacrificielle et de l’antemurale christianitatis. Elle reproche ainsi à la littérature polonaise de ne pas être « un pays multiculturel », mais « un monolithe pauvre, plat, et de façon prépondérante nationalcatholique13 ».

13 Si l’on devait contribuer à ce diagnostic, on pourrait y intégrer la phobie du verre- occident de Stasiuk : elle redouble et radicalise la pensée pessimiste de la plaine, dans la mesure où Neuf répète cette planéité fermée, scellée psychologiquement, du colonisateur colonisé, en la tournant de 90 degrés et en l’érigeant en façade spéculaire, qui propulse les personnages du roman dans un égarement sans auteur et sans intention. Et c’est ainsi que l’autoritarisme distant et étranger s’établit et structure la Fata Morgana urbaine de l’époque postsocialiste. Et à ce titre la ville-verre dépasse même ses limites.

14 Varsovie est représentée comme une ville fractale, soustraite à une perception totalisante et dénuée d’intégrité. Encore plus tracassée que ses habitants qui la traversent hâtivement, la figure de Varsovie se compose de non-lieux sans connexions mutuelles à la Marc Augé : arrêts de bus, centres commerciaux et croisements14. Ainsi Stasiuk s’intègre dans une tradition plus que centenaire d’une vision littéraire négative de Varsovie, que l’on comprend toujours comme inauthentique.

15 Ce qui s’oppose aux ravages de l’inauthenticité, c’est la campagne, l’espace culturel de la sphère locale. Si Varsovie prétend représenter la Pologne, alors la Pologne s’incarne dans le local, qui peut aussi très bien se comprendre comme une Europe centrale élargie. Il est question ici d’un localisme que Stasiuk s’applique à rendre encore plus virulent dans ses essais sur l’Europe centrale. Le syntagme du « localisme agressif » s’entend comme une posture d’écriture qui pose le local de façon autoritaire au-dessus du global, alors que la condition de la globalisation est présentée comme destructive, comme anéantissante.

Jáchym Topol : le globalisme local

16 Jáchym Topol représente un mode de réaction esthétique en partie complémentaire et en partie contradictoire. Dans ses romans sur Prague, rédigés après la chute du communisme, Sœur (Sestra) de 1994 et Ange exit (Anděl) de 1995, Topol opte pour une poétique que nous pourrions caractériser de « globalisme local ». Les textes de Topol présupposent une population pragoise d’origine diverse, et ce implicitement, à l’encontre de Stasiuk, qui dans Neuf partait tacitement d’une population ethniquement homogène : Une fois encore il se tenait au carrefour. Un carrefour des plus ordinaires, de ceux que la civilisation duplique à la photocopieuse, tramways, autobus, voitures, mères de famille et vagabonds, foules entrant dans le métro, foules en sortant, sacs à vin

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et piétaille criante, habitants de toujours, manouches, chinetoques, mendiants et flicards, poussettes pleines d’aspirants tout nouveaux, smog15.

17 Dans le mélange catégoriel de la Prague postsocialiste, tous les habitants se pressent à travers le même Junkspace, les « indigènes de longue date » et les Vietnamiens, les mendiants et les Tsiganes – tous des fantassins de la globalisation. Cependant la ville, si peu accueillante qu’elle soit devenue, ne se réfère aucunement à un arrière-plan rural marqué. Au lieu de ceci, ce sont des renvois à certaines couches temporelles qui apparaissent, ne serait-ce que lorsqu’un des protagonistes se soulage sur les stèles gravées en hébreu d’une ancienne synagogue : Près de la synagogue, il avait senti une odeur d’urine. Depuis la guerre, c’était la quantième génération d’ivrognes qui se soulageait là ? Là, sous l’arcade, sur la porte fermée. Il y avait des panneaux d’affichage, il avait déchiffré les caractères des annonces : le club Perun recrutait des membres féminins, l’association Pour un Prague plus beau et plus clair faisait construire, tandis que le club de boxe Tatra Smíchov affichait un calme complet. [...] Il avait préféré relever la tête. Il savait qu’au-dessus des coulisses changeantes et amibiennes, disons les coulisses du quotidien, il verrait une inscription gravée en hébreu et en tchéque : Paix et félicité au lointain comme au proche. C’est ça. C’est ça, se disait Jatek16.

18 En décrivant cet édifice, Topol fait référence à la population juive de la Prague d’autrefois et à son héritage abandonné. Prague fonctionne ici comme un palimpseste, ou mieux comme une colonne d’affiches. De nouvelles couches sont collées sur le passé, sur la synagogue. Bulletins, annonces, et proclamations parlent d’autres habitants, et de bouleversement social, culturel et politique, sans que les couches inférieures ne disparaissent complètement. Les bâtiments fermés et croulants comme la synagogue se dressent encore dans l’espace et portent la trace de la mémoire historique, même si pour la majorité des passants, ils servent d’établissements publics de délestage. Cette image que Topol projette souligne la stratification historique dans la mémoire des habitants de la ville.

19 Au XXe siècle, ce ne sont pas moins de trois topoi qui constituent le « texte urbain » de Prague : premièrement l’ancienne « Tripolis » (la ville des trois peuples Allemands, Juifs et Tchèques) ; deuxièmement le topos slave de la « ville d’or » (zlatá Praha), une ville qui fleurit et prospère entre les mains de ses habitants tchèques ; et enfin le topos de la Prague magique (magická Praha), dont l’architecture et l’histoire sont liées au règne de l’empereur Rodolphe II.

20 Topol actualise la Prague postsocialiste en locus communis, en fléchissant la convention dans une autre direction pour transformer l’ancienne tripole en une cité globale de l’ underground. Il jette ainsi sur la ville un jour différent de celui que jettent presque simultanément dans leurs œuvres Michal Ajvaz, Daniela Hodrová et Miloš Urban, qui ne rejettent pas fondamentalement les caractérisations urbaines reçues, même si tous esquissent un déplacement du centre vers la périphérie et une « monstrueuse reconfiguration mythique du quotidien17 ». Daniela Hodrová s’éloigne le plus du centre, et ceci encore avant la chute du communisme, dans la mesure où elle se tourne vers Žižkov et Vinohrady, des quartiers populaires natifs qui, selon Eduard Schreiber, « sont plus proches du deuil, de la souffrance, du tourment et ont moins de lustre, moins d’or, moins de magie18 ». Le point tournant et le point d’ancrage du roman de Topol Ange exit sont une intersection dans le quartier de Smíchov à Prague dont le nom est Anděl, donc Ange. Auparavant, une pharmacie du nom de Zum Engel s’y trouvait, et elle aurait donné son nom à cette intersection. Smíchov appartient à Prague V et était

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anciennement une banlieue industrielle située sur le côté gauche de la Vltava. Alors qu’avant le XIXe siècle, cette région présentait de nombreux jardins et villas, elle était devenue au tournant du XXe siècle un triste paysage de d’usines. Plus tard, à l’époque socialiste, on construisit un métro sous le tramway et la station de métro reçu le nom de Moscovite19. Il y a quelques années, ce sont des complexes de bureaux et des centres commerciaux qui sont apparus autour de la place Anděl, maintenant renommée la porte Smíchov, et c’est pourquoi le quartier est souvent désigné comme le « west-end » de Prague.

21 Plus axés sur l’histoire que Neuf de Stasiuk, les romans de Topol sur la Prague postsocialiste associent des lieux comme Smíchov à une tension entre identité locale et condition globale, et ceci en utilisant la sémantique de la Prague textuelle. La ville postsocialiste se présente tel un palimpseste, une surimpression ostentatoire et teigneuse d’une ville déjà maintes fois réécrite. La gueuserie du langage, du lieu, des protagonistes correspond à celle esquissée dans Neuf de Stasiuk. Le roman de Topol Sœur pose même le diagnostic d’une langue « Kanak » babylonienne. Par analogie, le protagoniste du roman se trouve confronté à un discours qui affirme qu’il y aurait « des taches slaves jaunes », et qu’il serait« un somnambule celte, un crétin germanique, un malfrat juif20 ». Dans Sœur, personne n’est vraiment ce qu’il semble être. Topol décrit comment des mendiants roumains se révèlent être des voleurs portugais, un étudiant en théologie bulgare est une sorcière indienne, des Arméniens en fuite sont des Azerbaïdjanais déroutés, alors que les dissidents serbes sont en fait des musulmans bosniaques. C’est alors que le narrateur fait encore une volteface, et voici que tombe la phrase finale : « Nous sommes tous des Kanaks, la méga-race du tunnel21. » Le mot-clef ici est le tunnel, qui représente symboliquement l’underground et le localise dans la sémantique du roman. Au lieu de l’identifiant du lieu d’origine caractéristique de la haute culture, c’est le lieu de transit dans les bas-fonds, typique de la sous-culture, qui compte. Cependant, Sœur équipe le peuple souterrain de la dignité d’une ethnie ou d’une nation, ce qui rehausse sa valeur. En d’autres termes, sous le régime de la modernité, le peuple du souterrain est admis dans la ligue des collectivités légitimes. Alors que dans son roman policier varsovien Stasiuk opposait la condition globale à la survie résiduelle du local, dans les romans de Topol, la condition globale s’adapte à la sphère locale. Et ceci en utilisant des points d’appui trouvés dans la stratification historique de la ville de Prague. Le « globalisme local » de Topol propose néanmoins une option postidentitaire en réponse aux divisions culturelles, linguistiques et sociales. À la différence de la majorité de la littérature sur Prague, il offre ainsi une optique fondamentalement neuve, qui met en exergue les ruptures temporelles dans le paysage urbain postsocialiste, dans lequel les protagonistes de l’underground doivent à nouveau s’affirmer : À la Croix d’Or beaucoup de bâtiments merveilleux avaient poussé, en fait il n’y en avait pas tant, mais ils brillaient tellement avec leurs façades de verre qu’ils créaient auprès du passant, qui se trouvait d’un coup pressé sous un horizon bas, un sentiment de multitude [...] et je fus projeté en arrière. Ceci, je ne pouvais pas le comprendre, j’étais pourtant bien entraîné pour les couloirs, murs, trous et trappes [...] et prêt à pénétrer partout. Mais rien n’y fait. Pas de garages, de grilles, d’entrées de service, et les murs du gratte-ciel étaient lisses... Finalement je compris que c’était logique. Cet expert vient de la même école que moi, il sait comment on s’embarricade...22

22 Avec ce regard sur les édifices miroitants et lisses, Topol propose une optique démythifiée sur la ville postsocialiste en tant que symbole par excellence de l’Europe

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centrale. Ainsi Prague émerge dans un pêle-mêle fantastique d’objets de toute sorte, qui se confondent dans une urbanité sous-culturelle de l’identité canaque. Un symbole qui ne relève plus de l’histoire, mais ne fonctionne que dans la contemporanéité23.

Jana Benova : le bip global dans l’aquarium local

23 Dans le roman de Jana Beňová sur Bratislava publié en 2008 Plán odprevádzania. Café Hyena24, la condition postsocialiste apparaît comme une culture du marché et de la consommation omniprésente. Son signe, littéralement, est le bip d’une caisse de supermarché, lorsqu’elle déchiffre un code-barres. Avec une certaine insistance, ce bruit sous-tend le déroulement des journées des protagonistes, pour enfin gonfler monstrueusement comme dans un grotesque spectacle d’horreur, s’incarnant dans le leitmotiv d’un petit chien qui fait des bips qui glissent sous la porte et pénètrent dans la chambre à coucher de l’héroïne du roman. Aussi la dernière page du roman consiste en un élargissement typographique du mot « bip ». Auparavant, la figure principale du roman, Elza, combinait à travers ses promenades les deux mondes contraires des rives opposées du Danube : d’un côté la vieille ville de Bratislava avec le café Hyène et, de l’autre, la cité nouvelle socialiste ordinaire Petržalka, ou « Persil ». Dans son « plan d’accompagnement » qui prend naissance en parallèle à ses déplacements, Elza élabore une topographie de la ville qui se base sur une mnémotechnique hautement subjective. Peter Zajac parle très justement de « nœuds sur une carte sentimentale de la mémoire25 ». Ce plan accompagne les protagonistes dans diverses situations existentielles, souligne arrivées et départs, séparations et adieux, et finalement mène à la mort. Une double tension croisée émerge : entre vieille ville historique et quartier (post)socialiste de Petržalka, et entre la monstrueuse trivialité de la circulation informatisée des biens et une localité saisie à travers la réflexion lyrique. Ce faisant, le roman Café Hyène développe aussi le motif de la méconnaissance ou de la tromperie, cette fois-ci en associant le sentiment que les supercheries semblent anodines au fait qu’elles sont créées avec une insolente désinvolture. À un certain moment, un des nombreux flâneurs qui habitent la vieille ville s’approche de l’héroïne en promenade et lui confesse qu’on le paie pour se balader, et qu’en flânant, il forme la ville : « Je fais la ville. Je lui crée une image », dit-il26. C’est là une scène clef. Cette assertion provoque dans le quatuor des protagonistes de Beňová une réaction paranoïde. Leur propre perspective de flâneur leur devient suspecte. Et pourtant ils ne l’abandonnent pas, ni ne la changent. Au contraire, comme dans un redoublement rehaussé de la contemplation oisive, ils s’imaginent dans leurs rêves se trouver sur une colline au-dessus de Bratislava. La description plus détaillée de cette scène se trouve sur la jaquette du livre. Il s’agit d’une espèce de manifeste, uniquement imprimé là, et qui porte un commentaire sur le texte de l’extérieur ou plus exactement d’en-haut.

24 Ainsi ce manifeste prend lui-même la position qu’il reproduit : Une cabane sur la colline, avec vue sur toute la ville. Certains murs sont en verre comme dans un aquarium. Dans ce chantier gigantesque, une petite caravane brille, avec les portes ouvertes, et devant elle se trouve le maître de chantier, assis dans un fauteuil. À la meilleure adresse de la ville, dans la meilleure partie du bâtiment futur, là où on jouit de la meilleure vue. Il prend son dîner au milieu de la résidence de luxe non encore achevée. Le vent la traverse encore. La ville s’étale à ses pieds. Nous apportons des fauteuils supplémentaires, posons nos assiettes dans l’attente.

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25 Ceci est un site utopique urbain : le texte extrait les protagonistes de leur contemplation participative, les soustrait à l’emprise d’une ville envahissante et la leur révèle comme une ekphrasis contemplée du haut. En d’autres termes, Café Hyène propose une lecture hautement artificielle, résolument mythopoétique de la ville. Par contre, à la différence de Topol, Beňová renonce à faire des allusions re-mythifiantes au discours historique de la ville. Bien qu’elle ait à sa disposition le topique établi et stable de la ville frontière ou porta hungarica de Bratislava, alias Pozsony-Prešporok- Pressburg, son roman crée une topographie subjective intérieure. Il n’existe aucun lieu externe, ni dans l’espace ni dans le temps, aux biographies de Bratislava. À l’exception toutefois des non-lieux qu’on y trouve aussi, notamment du bip global des scanners de codebarres – un Junk noise. Dans le récit, certaines figures deviennent des victimes sacrificielles du bip et à la suite d’hallucinations « bipantes » sont internées dans une clinique psychiatrique ou alors ramènent ces hallucinations de la clinique. Et à la fin, c’est bien le son du bip, en pénétrant dans le sanctuaire intime d’Elza, qui transforme le rêve en folie.

26 Il est évident que Beňová partage la vision de Stasiuk du malaise de la condition postsocialiste ainsi que son souci pour la sphère locale, mais on voit bien aussi la distance avec la notion réelle du local et l’esthétique réaliste de celui-ci. De même, on entrevoit des parallèles avec la localisation, chez Topol, de l’identité culturelle dans l’individu. Mais Café Hyène n’opère pas avec une conception de la culture collective, car le localisme de Beňová est en quelque sorte individuel. Le texte constitue l’objet narratif de « Bratislava » comme un acte conséquent d’appropriation poétique subjective. De cette manière il le transpose en un site mémoriel utopique et mythique.

27 Les textes que nous avons examinés présentent la ville postsocialiste comme point de controverse où se jouent les enjeux de la condition globale. Le lecteur est confronté à trois modes de réaction, dont deux au moins, ceux de Stasiuk et Topol, ont une valeur que nous pouvons qualifier de paradigmatique. Par contraste, le roman de Beňová incarne la largeur du spectre de variations entre et contre ces modèles. Les modes de « localisme agressif » et de « globalisme local » font figure de procédés artistiques idéalement typiques, que l’on retrouve non seulement chez Stasiuk et Topol, et pas uniquement en Europe centrale et orientale.

NOTES

1. Arjun Appadurai, „Globale ethnische Räume. Bemerkungen und Fragen zur Entwicklung einer transnationalen Anthropologie“, Perspektiven der Weltgesellschaft, Ulrich Beck (ed.), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998, p. 10-40, ici 20. 2. Rem Koolhaas, « Junkspace », in October, vol. 100, Obsolescence, Spring, 2002, p. 175-190. 3. Wolfgang Müller-Funk, Niemand zu Hause: Essays zu Kultur, Globalisierung und neuer Ökonomie, Wien, Czernin 2005, p. 95.

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4. Andrzej Stasiuk, Dziewięć, Wołowiec, Wydawnictwo Czarne, 2003 [1999]; trad. fr.: Neuf, trad. Grażyna Erhard, Paris, Christian Bourgois, 2009, p. 143-144. 5. Augustin Ioan, « ScarCity », in Zurück aus der Zukunft. Osteuropäische Kulturen im Zeitalter des Postkommunismus, Boris Groys, Anne von der Heiden et Peter Weibel (eds.), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2005, p. 364-403, ici 376. 6. Dominik Bartmanski, „Ein postmodernes Totem. Wie man als kommunistische Ikone den Kommunismus überdauert“, in Spielplätze der Verweigerung. Gegenkulturen im östlichen Europa nach 1956, Christine Gölz et Alfrun Kliems (eds.), Köln-Wien-Weimar, Böhlau Verlag, 2014, p. 202-221, ici 221. 7. Stasiuk, Dziewięć…, p. 33. 8. Tadeusz Konwicki, La petite apocalypse, trad. du polonais par Zofia Bobowicz, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 172. 9. Ibid. 10. Agata Anna Lisiak, Urban Cultures in (Post)Colonial Central Europe, West Lafayette, Purdue University Press, 2010. 11. Stasiuk, « Dziennik okrętowy », in: Jurij Andruchowycz, Stasiuk, Andrzej, Moja Europa: dwa eseje o Europie zwanej Środkową, Wołowiec, Wydawnictwo Czarne, 2001, p. 75-140, ici 115. 12. Maria Janion, Niesamowita słowiańszczyzna. Fantazmy literatury, Kraków, Wydawnictwo Literackie 2007, p. 13-18. 13. Maria Janion, Niesamowita słowiańszczyzna..., p. 330. 14. Marc Augé, Non-Lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Le Seuil, 1992. 15. Jáchym Topol, Ange exit, trad. du tchèque par Marianne Canavaggio, Paris, Robert Laffont, 1999. p. 83. 16. Ibid., p. 131-32. 17. Alexander Kratochvil, « Fastfood und Speed? Beobachtungen zur Popliteratur », in Ost-West- Gegeninformation 3, 2006, p. 11-14, ici 13. 18. Eduard Schreiber, „Die Suche nach dem Muff. Jenseits des magischen Prag. Bücher von Daniela Hodrová und Peter Demetz über eine europäische Stadt“, in Der Freitag, 6 juillet 2001, p. 16. 19. Fritz Böhm, 6 mal Prag, München-Zürich, Piper, 1990, p. 199-202. 20. Jáchym Topol, Sestra, Brno, Atlantis, 1994, p. 47. 21. Topol, Sestra...,p. 213 22. Ibid., p. 444-445. 23. Pour une analyse plus poussée du Prague de Topol, voir, Alfrun Kliems, « Tsiganes et Vietnamiens à Prague. Les adieux de Jáchym Topol à la Tripolis Praga », in Cultures d’Europe Centrale, t. 8, 2009, p. 189-204. 24. Jana Beňová, Plán odprevádzania. Café Hyena, Bratislava, L.C.A. 2008 ; trad. fr., Café Hyène, traduit du slovaque par Diana Jamborova Lemay, Paris, Le Ver à soie, 2015. 25. Peter Zajac, „Nachrichten aus der Heimat auf der anderen Seite des Flusses“, novinki.de/ zajac-peternachrichten-aus-der-heimat-auf-der-anderen-seite-des-flusses/ (consulté le 27 février 2012). 26. Beňová, Plán odprevádzania..., p. 50.

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RÉSUMÉS

La poétique du « localisme agressif » et du « globalisme local » réunit les œuvres des écrivains Andrzej Stasiuk (Pologne), Jáchym Topol (République tchèque) et Jana Beňová (Slovaquie). Tous trois se font l’écho des révolutions de 1989 en Europe centrale et orientale et, plus spécifiquement, explorent la façon dont cette rupture a transformé leurs sociétés en entités postsocialistes. Dans cette perspective, ils envisagent Varsovie, Prague et Bratislava comme cadre de référence dominant pour représenter les courants conflictuels du cosmopolitisme, du nationalisme et de la globalisation. Leurs personnages font face à la solitude urbaine et à la mort, au rôle changeant du flâneur archétypal, ainsi qu’aux fissures (post-) multiculturelles dans la (grande) ville. Cependant, ils n’ont pas la même intention. Stasiuk imagine une structure agressive : une Varsovie ethniquement pure, re-ruralisée. Topol, au contraire, chercher à subvertir ces prétentions ethniques de la ville et ses hiérarchies spatiales, démystifiant Prague par la mise en scène de la non-conformité sociale, de la marginalité urbaine. Enfin, Beňová dépeint la Bratislava post-socialiste comme un endroit imprégné de consumérisme et du symbolisme de l’économie de marché. Ce que ces romans ont en commun, ce sont des moyens littéraires qui correspondent au modèle du junk space, un concept esthétique développé par Rem Koolhaas. De surcroît, ils s’efforcent tous d’éviter une re-mythification des espaces urbains pluralisés, ce qui a valu à la nouvelle littérature d’Europe centrale et orientale des louanges répétées.

This essay discusses the poetics of ‘aggressive localism’ and ‘local globalism’ in literary works by Polish author Andrzej Stasiuk, Czech author Jáchym Topol, and Slovak author Jana Beňová. All three of them reflect on the revolutions of 1989 in East and Central Europe and, more specifically, explore how and to what result that rupture turned their respective societies into ‘postsocialist’ entities. In doing so, they employ the cities of Warsaw, Prague, and Bratislava as dominant frames of reference to represent conflicting currents of cosmopolitism, nationalism, and globalization. Their literary characters face urban solitude and death, the changing role of the archetypical flâneur, as well as (post-) multicultural fissures in the (big) city, albeit for divergent purposes. Thus, Stasiuk’s aesthetic strategies generate a structurally aggressive fantasy of a re- ruralized, ethnically pure Warsaw. Topol, in contrast, seeks to subvert such ethnic claims for the city and its spatial hierarchies, demystifying Prague by playing out the urban marginalized, social nonconformity. Finally, Beňová depicts postsocialist Bratislava as a place pervaded by ubiquitous consumerism and market economy symbolism. What all novels under scrutiny have in common is a reliance on literary means that correspond to patterns of ‘junk space’, an aesthetic concept developed in reference to Rem Koolhaas. Moreover, all of them strive to avoid a re- mystification of the pluralized urban spaces – and with it the exact feature for which the ‘new literature’ from East Central Europe has been repeatedly praised.

AUTEURS

ALFRUN KLIEMS Université Humboldt, Berlin

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Politique mémorielle

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The Repositioning of Postsocialist Narratives of Nowa Huta and Dunaújváros La reconfiguration des récits postsocialistes de Nowa Huta (Pologne) et de Dunaújváros (Hongrie)

Katarzyna Zechenter

1 In June 2014, for just a few days, a statue of Lenin returned to Nowa Huta, close to the spot where once a huge monument of Lenin used to stand, dominating this socialist city visually (but not only so).1 The statue that ‘returned’ was small, less than half-a-meter tall and made of bright kitschy, greenish plastic:2 it was peeing in the same manner as the Manneken-Pis in Brussels. And yet the installation of the statue which proved popular with passers-by, was enough for two members of the main opposition Party in Poland, the Law and Justice Party,3 to file a complaint that this green ‘pissing’ Lenin ‘promotes’ Communism; and promoting Communism in post-1989 Poland is considered a crime. Even earlier, in 2008, representatives of the Law and Justice Party argued that ‘any official commemoration of Nowa Huta’s founding would be tantamount to proCommunist propaganda’,4 suggesting to what degree Nowa Huta’s past was still a thorny issue for many Poles.

2 How could the insignificant event during the summer festival of street art called ArtBoom ‘awake the Polish demons’5 and cause such a heated response? In some postsocialist countries that are troubled by their own Communist legacy (Russia being a separate case6) references to the Communist past can prove popular, even attractive: suffice it to cite the example of the revival of a sausage in Lithuania named ‘Soviet sausage’ and promoted by large, Soviet-style advertisements.7 Why not in Poland? And specifically, why not in Nowa Huta?

3 This article investigates not only what such incidents suggest about the identity of postsocialist spaces 25 years after the collapse of Communism, but also, more importantly, what is necessary for a successful, i.e. generally acceptable and coherent, redefinition of the collective identity of a postsocialist space. ‘Successful’ in this

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context suggests such a narrative that emphasises the organic and national character of a space rather than its forced communist origin and its negative associations with the Soviet Union and . It sets forth that the successful creation of a new identity through various forms of symbolism needs to correspond to the nation’s collective identity within a larger process of reconfiguration of the Communist past. My analysis explores two such places: Nowa Huta in Poland or Dunaújváros in Hungary, while taking into account similarities between the histories of Poland and Hungary.8

4 I focus on various representations of these two well-known socialist cities because of the degree of similarity in their histories. Built in the 1950s to supply workers for enormous steel mills, and visually associated with socialism (and other socialist cities) through their monumental architecture which was meant to suggest a new culture and a break with the past, Nowa Huta and Dunaújváros share their transformation from being ‘ugly’ symbols of socialism to becoming symbols of opposition to the system (Dunaújváros in 1956 and Nowa Huta in 1980-1982 as well as during 1989), and later morphing into economically successful, or semi-successful, postsocialist towns with a strong innovative art scene.9

5 My goal is to investigate whether, and to what degree, their popular success as seen through institutionalized and official narratives such as found in press articles, films,10 TV, theatre as well as non-institutionalized informal memory in social media11 such as private films found on Youtube,12 blogs, comments in on-line newspapers or websites expressed over the last 25 years depends on reinterpreting their multi-layered narratives in accordance with the continuous repositioning of postsocialist national identity in these countries. I argue that the success of postsocialist spaces within growing globalization and diversification depends on aligning the cities’ narratives with the essential aspects of their countries’ national identity and thus further distancing them from Communism, which brought them to existence as an ideal example of socialist modernity. Given how elusive the concept of national identity is, this article simply assumes that natural identity is complex and multi-layered or, as Anthony D. Smith says, that it has various ‘categories and roles’13 that are never constant and necessarily evolve over the years.

6 There is little doubt that in the last years, Dunaújváros and Nowa Huta have once again become a focus of attention (albeit to a different degree)14 as the number of books and articles about each city suggests, not to mention the range of artistic events and projects centred on and in them, be they feature and documentary films, exhibitions, concerts, or even operas.15 In the case of Nowa Huta, one might go so far as to speak of a boom in various narratives over the past ten years, as well as in projects to develop this part of Kraków: Nowa Huta was originally planned as a separate city, but in 1951, it was incorporated into Kraków and grew into the largest administrative unit in the Kraków conurbation.

7 From its very beginnings in 1949, Nowa Huta was seen through two opposite narratives: the official and the unofficial or the public (political, institutionalized) and the private, of which major parts have become known only recently.16 The official state narrative promoted a vision of Nowa Huta as a new city that was to be ‘exemplary in its unconditional devotion to socialism’,17 ‘the pride of the nation’, and ‘the symbol of our great 6-year plan – the plan to industrialise our country – the plan to raise the standards of living for the working classes’,18 but also to created a ‘good life’ for a modern worker. As a symbol of the new system that was completely to transform Polish

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society,19 the early interest in Nowa Huta was politically motivated, representing only the officially constructed memory. The official texts on Nowa Huta were thus anything but truthful, although some of them, such as Nowa Huta: duma narodu, purported to present the individual memories of its uneducated, but class-conscious inhabitants. Whether in newspaper articles, books, propaganda films, or on stamps and postcards, such texts deployed an officially idealised and sanitised version of reality, where ‘Cracow was presented as a background to Nowa Huta, not the other way around, highlighting not only the implied importance of Nowa Huta, but also the transforming powers of Communism’.20 Privately, in the memories of many of its inhabitants recorded after 1989, not to mention the citizens of Kraków proper,21 the situation was vastly different, with Nowa Huta being sometimes no more than ‘Sodom and Gomorrah, plague and malaria’.22 Nowa Huta was seen as a brutish socialist city built ‘against’ the old and royal Kraków; a new city intended as a workers’ town opposing the ostensibly conservative and anti-socialist Kraków.23

8 For many, including some scholars, Nowa Huta constituted a punishment for Kraków for voting ‘no’ in the June 1946 referendum, despite the fact that this is not historically accurate.24 The short-lived liberalization of the 1950s enabled official journals for the first time to present some aspects of the unofficial narrative of Nowa Huta, which was vastly different from the official one, such as Ryszard Kapuściński’s reportage ‘This is also the truth about Nowa Huta’ published in one of the leading newspapers, The Banner of .25 With time, the social situation of the inhabitants improved and when in 1974 Bolesław Prażmowski published his pamphlet on Nowa Huta in a series Knowledge for All, he was able to acknowledge some problems such as the lack of infrastructure and pollution, but in general, he presented a picture of life in Nowa Huta that did not differ much from other cities.26 Works such as Stanisław Panek and Edmund Piasecki’s extensive anthropological study of more than 20,000 children27 created another positive, accurate and precise picture of Nowa Huta’s inhabitants. The scholars concluded that despite initial differences, Nowa Huta in the 1970s did not differ from that of any other large city in Poland and was in many respects broadly typical of Communist Poland, although salaries in Nowa Huta were still among the highest in the country.28 Yet, despite such studies and the never-ending propaganda texts of the official press that focused on benefits, improvements and attempts to ‘fulfil’ the needs of the inhabitants of Nowa Huta,29 negative images of the city that were closer to the reality of the early 1950s – those relating to, say, alcoholism30 or the high crime rate (major elements in the unofficial narrative) – did not go away.31 This negativism, although slightly mitigated by Andrzej Wajda’s film on Nowa Huta, Man of Marble (1977), 32 was still visible in 1993, when Marcin Świetlicki compared Nowa Huta to Gomorrah in his song ‘Spat On’ (Opluty)33 or in the fact that Nowa Huta’s real estate prices are still the lowest in all of Kraków.34

9 The siting of a huge statue of Lenin in Nowa Huta in 1973 did not help endear the image of the city to many Poles, including some inhabitants of Nowa Huta itself.35 Some tried unsuccessfully to destroy the monument by blowing it up in April 1978.36 The fact that Nowa Huta was to be dissociated from Kraków’s religious monuments (notably St. Mary’s Basilica or the Wawel Cathedral) and related traditional narratives, which carried a huge symbolic load in Polish history and national identity, further alienated Nowa Huta. Here is a case in point: the medal minted to commemorate the erection of the Lenin monument in Nowa Huta was adorned with a poorly-known image of the

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Barbican in Kraków (the fortified outpost that used to be connected to the city walls), and not with some other easily recognizable symbol.

10 The second contrast between official and private narratives in Nowa Huta is visible through the presentation of religion, or rather its institutionalized expression. There had to be no connection between Nowa Huta and religion any more than in the general case of any socialist city.37 The original, but unofficial plans did include the construction of a church, although Bolesław Bierut, the then president of Poland, ‘wanted no church in Nowa Huta, but he wanted a “tower” because “it might remind people of a church”’,38 There were, however, older churches near Nowa Huta, especially a Cistercian Abbey in the village of Mogiła and at Bieńczyce, but they quickly became too small for Nowa Huta’s rapidly growing population. Although the authorities agreed in 1956 to build a new church, they also mounted countless obstacles and later decided to use the presumed site for a much-needed primary school.39 The riots that broke out in April 1960 to defend a cross erected where the church was to have be located became known as the Battle for the Cross.40 Although passed over in complete silence in the official Polish press, the riots went on for several days and resulted not only in the destruction by fire of some party buildings in Nowa Huta (Dzielnicowa Rada Narodowa), but also in the deaths of some of the protestors.41 The events became known outside Poland through Radio Free Europe and an article in The New York Times.42 Eventually, however, the supressed stories of the ‘struggle for the Cross’ became an essential part of Nowa Huta’s unofficial communicative memory and of the city’s new identity.43

11 By the mid-1970s the two parishes of Mogiła and Bieńczyce had over 200,000 parishioners. Cardinal Karol Wojtyła (later Pope John Paul II) began efforts to obtain a permit to build the new church that he finally consecrated on 15 May 1977, ten years after construction began.44 Such a long campaign to build a church in this iconic socialist city despite various and multiple obstacles allowed John Paul II to present Nowa Huta as ‘built on the foundations of the Cross of Jesus,’ thus adding a Christian dimension to Nowa Huta narratives by connecting the city with an important aspect of what has been seen, since the times of the partitions (both within Poland and abroad), as the essence of traditional Polish identity – Catholicism.45

12 This rift between official and unofficial narratives about Nowa Huta is also prominent within the narrative of the 1980s struggle for Poland’s independence. However, at the very beginning of the Solidarity movement in the summer of 1980 it was not obvious that Nowa Huta would go on strike alongside other Polish factories, most notably the Lenin Shipyard in Gdańsk, which had already gone on strike in August that year. The oft-quoted scurrilous saying of the period, ‘the people of Kraków are fu..ers, not Poles (‘ Krakowiacy ch... nie rodacy’),46 and the fact that Nowa Huta had a much higher percentage of its workforce who were Party members (up to 25%)47 clearly suggest the tensions over Nowa Huta’s stance at that time. Jadwiga Staniszkis concludes that in general the ‘process of identity formation among the workers was slow and tedious’,48 but in the summer of 1980, in Nowa Huta, this process was slower than, for instance, in the Gdańsk shipyard, as evidenced by the above-mentioned saying.

13 Eventually, however, 90% of the workers at the Lenin steel plant joined Solidarity,49 and The Workers’ Committee of the Steel Industry became the strongest organization in the regional structure of the independent trade union, which resulted in ‘the work of rebuilding national identity, weakened by the communist government’.50 The struggle became clearly visible during the period of martial law, when the steelworkers and

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around 150 students from AGH University of Science and Technology51 barricaded themselves in the plant. The occupation ended only on 16 December because of the overwhelming presence of 2,000 soldiers and 2,150 militiamen, who broke down the two main entrances to the plant, while the workers had made the conscious decision to use only passive resistance.52 As Jerzy Sadecki concluded: ‘the city that was built on the ideology of soc-realism rejected this ideology completely’.53 After the milicja killed one young steelworker, Bogdan Włosik, the demonstrations and street fights with police became bloody and widespread.54 They also became widely known through photos, especially one of the most famous photos of the martial law period taken by Stanisław Markowski in Nowa Huta on 13 October 1982,55 showing three young men running holding a large Polish flag.56

14 After 1989, ‘the Struggle for the Cross’ and ‘the Struggle for Freedom’, these two aspects of Nowa Huta’s unofficial, private memory that had been suppressed by the communist system, came to form the very basis of Nowa Huta’s new identity now based on Poland’s struggle with Communism. More importantly, however, the rejection of the official narrative represented a successful attempt to insert Nowa Huta into the traditional discourses of Polish history and national identity, within its essential elements of struggle for independence and struggle for religion. Thus, by fully rejecting Communism and accepting ‘traditional’ Polish values such as ‘faith and fatherland’,57 the new Nowa Huta narrative consolidated the link of the city with what has been seen as the core of Polish identity over the last two hundred years. Nowa Huta was reborn, now not as a symbol of socialism, but a hero of opposition to socialism.

15 The post-1989 narratives of the city of Dunaújváros follow a different path from Nowa Huta, despite the fact that similarly to Nowa Huta, Dunaújváros had been constructed as a model socialist town during the period of forced industrialization, with concentration on heavy industry, massive collectivization, and the absence of religion, although for the majority of workers this was difficult to accept.58 It was built and later inhabited by uneducated farmers who came from the countryside59 next to an old village, Dunapentele. The construction of the city began in 1950, and despite many initial problems, soon the city boasted, unlike Nowa Huta, a successful infrastructure such as efficient transport, good housing, and large schools.60 During the first years, the official narrative was omnipresent, with daily radio reports, speeches, and more than twenty newsreels and short films publicising the modernity of the new city.61 In the unofficial narratives, it was, however, regarded as ‘the ugliest city in Hungary, the muchpublicized exemplar of Soviet city planning, emblematic of Hungary’s subordination to the Soviet Union’.62 Two years after construction began, on 4 April 1951, the city took the name of Sztálinváros, parallelling Stalingrad and thus joining other Stalin cities in Central Europe: Stalin (Varna, ), Stalinstadt (Eisenhüttenstadt, Germany) and Orașul Stalin (Brașov, Romania).63

16 During the 1956 Hungarian Revolution, the socialist town rejected its official name and reclaimed the name of Dunapentele. Revolutionary organizations and independent radio64 were set up in the city on 28 October 1956 (and in other towns outside Budapest as well) while the city tried to defend itself from the Soviet Army, but on 7 November 1956, martial law was declared and the city pacified.65 It also had to return to its Communist name.66 Only five years later, after normalization and destalinization, was the city officially renamed Dunaújváros67 (New City on the Danube). It continued to grow, with the majority of families working in the steel mill.68 The city was modern and

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comfortable, and its workers well paid, so ‘the socialist model seemed to work, and to work well in Dunaújváros’.69 In general, during this period in Hungarian history, in the 1960s and 1970s, the quality of life grew rapidly under the leadership of János Kádár. The improvement in ‘material prosperity relative to other Soviet bloc countries was made possible by what became known as “goulash communism,” or a combination of central planning with economic reforms and a high tolerance for a second or informal economy’.70

17 Today, after serious economic difficulties during the early period of transition after the collapse of Communism71 and the economic restructuring that hit all post-Communist countries hard, Dunaújváros is again a busy city of almost 50,000 inhabitants,72 with a large part of the population (7,500 workers) still working in the steel industry, although since 2007, people were also employed in the Hankook tyre factory (2,000 workers), the seventh largest tyre producer in the world; in a paper mill, the Hamburger Hungaria Kft, which employs 300 workers; and in the country’s biggest concrete prefabricator company, Ferrobeton Zrt, employing around 1,000 workers. All this results in the fact that Dunaújváros has a lower unemployment rate than the rest of Hungary (similar to Nowa Huta),73 although the success of Hungarian economic reform is another matter.74 Since 1953 the city also features the College of Dunaújváros (Dunaújvárosi Főiskola), now prosperous and successful with more than 3,500 students (many of them international) and a large new European Campus.75 The College aspires to be a centre of intellectual innovation, and its reputation is enhanced by its own publishing house and by a large research project on conflicts in post-1989 Hungary.76

18 Nowadays the city rarely appears in international media except in the business pages, but its success is visible through information about young Dunaújváros photographers77 or the 80-strong amateur choir from Dunaújváros performing in the prestigious Carnegie Hall in New York in January 201478 or the works of an internationally known artist and designer, Miklós Kiss.79

19 Unlike Nowa Huta, the modern Dunaújváros narratives emphasise not the struggle with the Communist system, but rather the metamorphosis and mutability of the old Dunapentele (the original village next to which the Communist city was built) through its incarnations as Sztálinváros and Dunaújváros.80 The focus is not on the break from Communism, but rather on the continuous transformation of the city since Roman times, exemplified by various narratives arguing, for instance, that the location of the city was to a high degree not a communist decision, but an organic result of the desire of Hungarian nineteenth-century patriots and statesmen, who wanted to develop the country and boost its economy through heavy industry. One of the websites of the steel works in Dunaújváros calls Count István Széchenyi ‘the initiator’ and quotes his letter of 5 April 1842 to the English engineer William Tierney Clark, the designer of the Széchenyi Chain Bridge across the Danube in Budapest, stating that he doubts that ‘anything could be more important in a developing country on the two sides of the River Danube than building good iron factories’.81 Considering that Széchenyi ‘has been almost canonised in his native Hungary’82 because of his role in modernising the country and because his name carries considerable weight even among the young generation,83 adding Széchenyi’s name to the history of Dunaújváros suggests greater inclusion of the city’s narrative into national narratives. The seeds of this narrative emphasising Dunaújváros’s organic character were visible even under Communism, when the residents ‘fiercely defended the town’s credentials as a modern, Hungarian

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city – the successful realization of a centuries-long dream that Hungary would one day produce its own steel’ while at the same time being aware of ‘the stigma’ that they come from a city symbolising ‘Hungary’s subordination to the Soviet Union’.84

20 To some degree, the narrative of the transformation of the city had already been admitted by the communists, who could not ignore the existence of the Roman settlement Intercisa85 in this place as well as that of the medieval village: in a highly propagandistic book on Sztálinváros from 1959, the emphasis is not only on the benefits of the new socialist city in comparison with the backwardness of the countryside, but also on the Roman past, highlighted by photographs of Roman artefacts.86 The new,87 post-1989 coat of arms of Dunaújváros also supports the narrative of transformation, as it incorporates the Roman past (the image of a column), a lamb with a cross symbolizing the original mediaeval settlement, and the silver-and- red-chequered fields representing metallurgy and the organized, planned character of the city. Some scholars argue that such an acceptance of the Communist past, from the economic point of view, might be the result of the high standard of living in Dunaújváros, which was heavily subsidised during Communism88 and now offers many new employment opportunities, unlike Nowa Huta, which despite some efforts to economic revitalization, is still struggling. Andras and Molnar thus argue that the particular effect of the ‘happy Socialist time’ proves to be long-lasting in Dunaújváros. For twenty years since the transition began, it is mostly Socialist party candidates who won seats in the local assembly and national Parliament.89

21 In post-1989 narratives, this mutability is emphasized even further through non- institutionalized narratives.90 Miklós Kiss, for instance, a young artist from Dunaújváros, received a prize for his black-and-white print on canvas entitled Metamorphose of Dunaújváros,91 in which all names of Dunaújváros: Intercisa (the Roman settlement and military post from the first to the fifth centuries92), Pentele (the original village), Dunapentele (medieval to 1951), Sztálinváros (1951-1961) and Dunaújváros (1961-), mutate into one another, thus visually incorporating the Communist, even Stalinist history of Dunaújváros, yet without emphasizing its importance. (fig. 1)

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Fig. 1. Mikl.s Kiss, Metamorphose of Dunaújváros

Reproduced by permission of the author.

22 Rasa Balockaite argues that planned socialist towns adopt various strategies to deal with their ‘unwanted past’, namely ‘ironic remembrance of the socialist past alongside ironic mimicry of the West, private nostalgia of the socialist past and public denial of its existence, and, finally, the use of de-ideologized images of green, young towns while other symbolic recourses are absent, insufficient or considered illegitimate’.93 While until very recently Nowa Huta’s narratives follow with some exceptions the path of rejection of its past,94 Dunaújváros’s narratives stress organic change, emphasizing not just the city’s Roman past, but more importantly, its roots in the ideals of nineteenth- century Hungarian reformists such as Széchenyi, and thus presenting the Communist period only as a part of the city’s identity while also emphasizing the city’s smart design, which, for instance, separated the steel mill from the city with a green belt.95

23 The narratives about Nowa Huta and Dunaújváros suggest that the symbolic success of postsocialist cities depends on aligning the city’s identity with the general prevalent understanding of national identity. As László argues, all kinds of texts, including those derived from individual memories, contribute to the construction of national identity. 96 Identity is, after all, a complex issue that has divided philosophers, psychologists, and historians. In Eastern Europe the issue is made more complex by growing European integration since the Treaty of Maastricht in 1992, although some scholars claim that the feeling of being European has been overestimated because it ‘has always been enmeshed with national agendas’.97 As Maurice Halbwachs has argued, nations, people, and spaces have their complex identities, connected through continuously re-shaped collective memory.98 Furthermore, as Jan Assmann maintains, communicative (that is unstructured, ‘everyday’ memory that is shared and exchanged within a social group over a time span of around 80 years) and cultural memory (the way a society ensures its

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collective identity is maintained ‘through cultural formations (texts, rites, monuments)’ also contribute to their elaboration.99

24 The contradictory narratives of Nowa Huta and the almost complete rejection of its socialist past indicate that modern Poles still do not feel comfortable with Nowa Huta’s past despite various initiatives to change this approach and despite visual evidence suggesting that Nowa Huta’s past included ‘normality’ and not just struggle against the system.100 Some texts on the region attempt to suggest that the creation of the city was, in fact, mostly an eradication of a successful agricultural region for political gains.101 Even when the narrative is not directly connected with Communism but only with Nowa Huta’s individual lives, often the past is presented as a problem and a corruptive force. Two narratives, one from 1952 and the other from 2008, serve as a case in point. Nowa Huta: duma narodu from 1952 presents stories of various people who built Nowa Huta.

25 Although the book includes stories of people connected with Nowa Huta, its obligatory narrative allows only one reading: through poverty and persecution in pre-war Poland to the happiness of a communist Nowa Huta, where the workers are building ‘the happy tomorrow’.102 The style of this collection of stories employs vulgar simplifications, direct approach and poor vocabulary based on propaganda clichés, while strongly resembling the formulaic nineteenth-century stories for the uneducated peasantry. The readership of such stories was guaranteed anyway, but the authors tried to attract the readers through inclusion of elements of fairy tales (‘How Gustek become a smith’), 103 humour (‘Freedom of Staszek Talarczyk’104) and names of characters typical of Polish peasantry. In 2008, a young journalist, Renata Radłowska, published her collection of short stories about Nowa Huta entitled ‘Nowa Huta soap opera.’ Unlike the 1952 publication that presented Nowa Huta in glowing terms, Radłowska presents a different reality of Nowa Huta, but in a style recalling that of Nowa Huta: duma narodu: her stories of various individuals who worked in Nowa Huta ‘undo’ the happiness promised by Nowa Huta: duma narodu. At times naïve and melodramatic, as any proper soap opera should be, Radłowska’s stories use the same simple language of uneducated speakers from Nowa Huta: duma narodu, but this time emphasising the unhappy lives of former steelworkers: their happiness is equated with their youth and not with the socialist city.

26 Interestingly, Radłowska’s stories belong to a growing number of narratives about average individuals from Nowa Huta who were not influential in creating the city, but worked there nonetheless, yet were ignored by official past narratives, because of their lack of appropriate political engagement. They are beginning to be seen as those who might bring ‘a new meaning to this space’, a starting point in constructing a new identity for Nowa Huta in the twenty-first century.105 This process of focusing on Nowa Huta through individual understandings of the place using interviews, family photographs or short, private films is becoming more pronounced and includes other narratives next to the national narratives of struggles and religion.106 This process might have been initiated by a large exhibition on Nowa Huta which took place in 2009 in Kraków and whose title My Nowa Huta strongly focuses on the individual, not the social perspective. A new interactive website, entitled NHpedia, also emphasises individual forms of memory of the place, which, with time, will affect Nowa Huta’s identity.107

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27 Dunaújváros narratives, in contrast, suggest that the city’s past might be accepted because, despite being built by communists, it can be presented as a part of Hungary’s national history, an ultimate result of modernisation that started in the nineteenth century, not just a Soviet imposition.108 At the same time, the continuous transformation of the narratives of Dunaújváros resonates well with the rapid changes in European social and cultural landscapes after 1989 and growing globalisation, while still emphasizing that ‘Hungary is a country where questions of national identity’ are highly influential, especially in politics.109 Hungarian national identity is strongly tied to the Hungarian language, to culture, and to certain territories (some of them evoked in the Hungarian national anthem), which Hungarians call Historic Hungary (formerly the Kingdom of Hungary): Dunaújváros simply plays no role in such understanding of identity, which might explain why its Communist past does not arouse such hostility as it does in Nowa Huta.110 Furthermore, as the current far-right political parties in Hungary focus more on their resentment towards those who they perceive as Others (e.g. Romani, Jews, Muslims) or the ‘threat’ of the multicultural EU, their interest in honest discussion about Hungary’s past, including WWII or Communism, is weaker.111 So strengthening of national identity is accomplished more by the rejection of other groups that an in-depth analysis of Hungary’s own past.

28 The traumas that Poland and Hungary underwent in the twentieth century can thus be read differently through the narratives of these two socialist cities. Nowa Huta’s narrative suggests the strength of Polish attachment to the romantic concept of national struggle,112 because ‘Poles inject communism [...] into a long narrative vein of conquest, occupation, and oppression by powerful neigbors’.113 This attitude towards collective victimhood, however, might be changing, as suggested by the approach towards Nowa Huta of the youngest generation born after 1989,114 whose attitude towards national mythology is more critical than their parents. This is supported by research that emphasises the generational aspect of various narratives of repression and resistance but, at the same times, exhibits pride in Nowa Huta’s history.115

29 The organic narratives of Dunaújváros suggest that it is possible to minimise the trauma of Communism by emphasising the national elements in the narratives even in spaces that used to belong to the symbolic spaces of the Communist system such as Sztálinváros, ‘the Disneyland of Hungarian socialism’.116 So the success of postsocialist cities depends not only on their financial and social reality, but also on finding a way to accommodate their past in keeping with national narratives. Most importantly, however, the success depends on the alignment of the cities’ individual histories and stories with the way countries want to be seen: either by rejecting Communism in its entirety (Nowa Huta) or by ‘nationalising’ it (Dunaújváros). By repositioning their various narratives, societies constantly attempt to construct their ‘true’ identity, as ‘social representation of history or collective memory are narratively constructed’.117

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NOTES

1. I would like to thank Dr Thomas Lorman of UCL SSEES and Prof. Tom Burns of Emory University for their comments and suggestions during my work on this paper. 2. Neon green was being promoted as one of the most fashionable colours in summer 2014 and has an element of subversion through its high-visibility association. 3. Adam Kalita and Marcin Szymanski of the Law and Justice Party (PiS) believe that the statue of a pissing Lenin promotes Communism, which is illegal according to article 256 of the penal code: tvn24.pl/krakow,50/sikajacy-lenin-w-krakowie-pis-protestuje-zalozylismy-mu-prezerwatywe, 438788.html 4. Katherine Lebow, Unifinished Utopia, Nowa Huta, Stalinism, and Polish Society, 1949-1956, Ithaca – London, Cornell University Press, 2013, p. 179. 5. http://rafalstanowski.natemat.pl/106037,sikajacy-lenin-wywolal-polskie-demony, ‘sikajacy- lenin-wywolal-polskie-demony’ 6. Svetlana Boym, The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2001. 7. ‘In 2004, Samsonas “Soviet” brands captured about 20% of the sausage market share in Lithuania’. Neringa Klumbyte, ‘The Soviet Sausage Renaissance’, American Anthropologist, 1, 2010, p. 27. 8. Ferenc Glatz (ed.), The Hungarians and Their Neighbors in Modern Times, New York, Columbia University Press, 1995. 9. Nowa Huta’s youngest theatre Łaźnia Nowa is probably one of the most revolutionary theatres in Poland in its attempt to become an inhabited space that crosses various social boundaries. (http://www.laznianowa.pl/english). In Dunaújváros, the art scene includes artists such as Tamás Kaszás or Miklós Kiss who grew up there and whose works form a dialogue with political and social symbols; see Maja and Reben Fowkes, ‘Tamas Kaszas’s Art Laboratory: Anticipating Collapse, Practicing Survival’, http://translocal.org/pdfs/ArsH_2013_3_Fowkes.pdf; kissmiklos.com/ 10. Including documentary films such as Papieros od prezydenta, dir. Grzegorz Kwinta, 1987. 11. Anna Karwiński, ‘The role of contemporary media in creating an identity for a postsocialist city dis- trict: The case of Nowa Huta’, in Media and Urban Space. Understanding, Investigating and Approaching Mediacity, Frank Eckardt (ed.), Berlin, Grank & Timme, 2008. 12. Including music such as Rap z Nowej Huty (Rap music from Nowa Huta) youtube.com/watch? v=qgqAiDB6ovQ 13. Anthony D. Smith, National and Other Identities, Reno, University of Nevada, 1991, p. 4. 14. Both in the Polish and foreign press: see, for example, The Guardian, 3 April 2011, ‘New Europe, The Life of a Polish family’, or Krisztina Fehérváry’s extensive study Politics in Color and Concrete. Socialist Materialities and the Middle Class in Hungary, Bloomington, Indiana University Press, 2013. 15. Nowa Huta opera, within the project Projekt Nowa Huta. Dlaczego nie?! is based on Adam Ważyk’s poem ‘Poemat dla dorosłych’ with music by Wu Hae, precursor of cross-over music in Poland. It is part of an ongoing project running since 2002, with 32 concerts and film projects that attract thousands of spectators. krakownh.pl/wydarzenia/1/27.html 16. Maciej Miezian, Socjalistyczna w formie, fascynująca w treści, Kraków, Bezdroża, 2004 or Nowa Huta. Księga uwolnionych tekstów, Kraków, Małopolski Instytut Kultury, 2005, which is the result of a project entitled ‘nowa_huta.rtf (relacje, teksty, form)’. 17. Jan Kubik, The Power of Symbols Against the Symbols of Power. The Rise of Solidarity and the Fall of State Socialism in Poland, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1994, p. 53. 18. Nowa Huta – duma narodu, Kraków, WKWFN, 1952, p. 5.

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19. Zygmunt Bauman, ‘Living without an alternative’, The Political Quarterly 1, 1991, p. 35-44. 20. Katarzyna Zechenter, ‘Evolving Narratives in Post-War Polish Literature: The Case of Nowa Huta (1950-2005)’, SEER 4, 2007, p. 661. 21. The antagonism between Kraków and Nowa Huta has become proverbial: it originated initially as a response to the lawless behaviour of the young builders of Nowa Huta. See Barbara Klich-Kluczewska, ‘Nowa Huta: skąd przychodzimy’, in Moja Nowa Nowa. 1949-2009. Wystawa jubileuszowa, Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa, 2009, p. 23. 22. Renata Radłowska, Nowohucka telenowela, Wołowiec, Czarne, 2008, p. 119. 23. Anne Applebaum, Iron Curtain. The Crushing of Eastern Europe 1944-1956, London, Penguin Books, 2012, p. 388; Jamie Stokes, ‘Nowa Huta: Krakow’s Brutal Brother?’, 25 Feb. 2011: polishclubsf.org/ Nowa%20Huta.pdf 24. ‘Folklore says that Kraków was singled out for retribution because of its unique resistance in the noto- rious 1946 People’s Referendum. The plebiscite asked Poles to say “yes” or “no” to three proposals [...] Only in Kraków were opposition parties able to publish truthful returns [...]. The myth says that this embarrassment was punished by the construction of giant polluting chimneys looming over the city’s ancient churches.’ Jamie Stokes, ‘Nowa Huta Krakow’s Brutal Brother’, 25 Feb 2011, Krakow Post, http://www.krakowpost.com/2509/2011/02. See also: Bogumil Korombel in the film Miasto gniewu i nadziei: Nowa Huta. Czesc 1/2, 4:20; Franciszek Jóźwiak in the same film 7:36: https://www.youtube.com/watch?v=wVW5tgKpPcg; and Kubik: ‘no churches were planned,’ p. 53. 25. Ryszard Kapuściński, ‘To też jest prawda o Nowej Hucie’, Sztandar Młodych, 1955, nr. 234. 26. Bolesław Prażmowski, Nowa Huta, Nauka dla Wszystkich 213, Warszawa, PWN, 1974. 27. Stanisław Panek, Edmund Piasecki, Integracja ludności w świetle badań antropologicznych. Integration of population of Nowa Huta in the Light of Anthropological Data, Wrocław, PAN, 1971, p. 237. 28. Michael D. Kennedy, Professionals, Power and Solidarity in Poland: A Critical Sociology of A Soviet- type Society, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. 29. Nowa Huta, Trybuna Robotnicza, 17 June 1974 or the text around the erection of Lenin’s monument in Nowa Huta on 22 April 1973. Polskie Radio: http://www.polskieradio.pl/39/156/ Artykul/826361/ 30. The first Nowa Huta newspaper, Budujemy socjalizm (We are Building Socialism), often wrote about alcoholism among the young ‘builders’. Jakub Bladek, in Moja Nowa Huta. 1949-2009, Wystawa jubileuszowa, K. Jurewicz (ed.), Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa 2009, p. 175. Jan Franczyk, ‘Mieszkańcy Huty nie narzekają’, 1 Jan 2013, radiokrakow.pl/www/index.nsf/ID/ KORI-9C3GZA. In August 1958, The New York Times wrote: ‘This is Poland’s newest town, a raw and youthful town, a town that works hard, drinks too much vodka and eats too much sausage, boasts of a million tons of steel and fifteen musicians and is not quite sure whether it is the pride of the nation or its stepchild’, The New York Times, A. M. Rosenthal, 1 Aug. 1958, p. 15. 31. Leszek L. Sibila, Kryptonim Gigant. Dzieje nowohuckiego kombinatu w latach 1949-1958, Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa, 2008, p. 25; Katherina Lebow, Unfinished Utopia: Nowa Huta, Stalinism and Polish society, Ithaca – New York, Cornell University Press, 2013, p.181. 32. The sequel of Man of Marble, Man of Iron also directed by Andrzej Wajda in 1981 ties Nowa Huta to an even more critical approach to the Communist regime. Lisa DiCaprio, ‘Man of Marble’, ‘Man of Iron. Polish Film and Politics’, Jump Cut. Review of Contemporary Media, 27, 1982, p. 7-12, http:// ejumpcut.org/archive/onlinessays/JC27folder/ManMarbleIron.html 33. Marcin Świetlicki, ‘Opluty, Kraków i Nowa Huta – Sodoma z Gomorą,/ z Sodomy do Gomory jedzie się tramwajem. /Chodzę po mieście,/ Chodzę po mieście / Opluty.’ teksty.org/swietliki, opluty,tekst-piosenki 34. Kinga Pozniak, ‘Generations of memory in the “model socialist town” of Nowa Huta, Poland’, Focaal, 66, 2013, p. 59. 35. http://www.polskieradio.pl/39/156/Artykul/826361/

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36. Moja Nowa Huta. 1949-2009. Wystawa jubileuszowa. Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa, 2009, p. 244. 37. Religion During and After Communism, M. Tomka, P. M. Zulehner (eds.), Concilium 2000/3, London, SCM Press, 2000, p. 5-11. 38. Lebow, p. 30. Some sources claim that ‘the original plans for Nowa Huta included a site for a grand church and the Union of Polish Architects held a competition to find a winning design in the 1950s’, Jamie Stokes, ‘Nowa Huta: Krakow’s Brutal Brother’, 25 Feb. 2011. Jan Kubik states that in Nowa Huta no churches were planned for the city, p. 53; krakowpost.com/article/2509. 39. Antoni Mroczka, former 1st Secretary of the PZPR in Nowa Huta, [In the film:] Miasto gniewu i nadziei, Cześć 1/2, 29:11, https://www.youtube.com/watch?v=wVW5tgKpPcg. 40. Anna Zechenter, Pod czerwoną okupacją. Adam Macedoński w rozmowie z Anną Zechenter, Kraków, Wydawnictwo A A, 2013; Jerzy Ridan, ‘Walka o krzyż w Nowej Hucie’, Karta. Kwartalnik Historyczny, 21 1997, p. 119-141. 41. Malik speaks of 493 arrests, 17 people hospitalised after being shot by the people’s militia (milicja), 87 imprisoned, and 119 fined, Andrzej Malik, ‘Nie można oddzielić krzyża od ludzkiej pracy...’, Komisja Robotnicza Hutników NSZZ „Solidarność” Huty im. Lenina (sierpień 1980 – grudzień 1981), Warszawa, IPN, 2013, p. 22-23. 42. The New York Times, May 15, 1960, ‘Gomulka Scores Riots; Visits Nowa Huta and Assails “Hooligans” on Church Issue’. 43. Jan Franczyk, Na fundamencie krzyża : Kościół katolicki w Nowej Hucie w latach 1949-1989, Kraków, Rafael, 2004. 44. Jerzy Aleksander Karnasiewicz, Nowa Huta. Okruchy życia i meandry historii. The crumbs of life and the meandering of history, Kraków, Wydawnictwo Towarzystwa Słowaków w Polsce, 2003, p. 39; Marian Kordaszewski, ‘Arka Pana.’ Przewodnik. Historia i symbolika, Kraków, Wydawnictwo Benedyktynów, 1995. 45. ‘A golden opportunity,’ Special report: Poland, The Economist, June 28, 2014, p. 10-11. 46. Jaroslaw Szarek, ‘Solidarna Nowa Huta 1980-1989,’ in U progu wolności. Nowa Huta w latach 19801989, Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa, 2005, p. 10. Often only the polite version of the saying is quoted: ‘Krakowiacy nie Polacy – czemu nie strajkujecie,’ in: Maciej Miezian, Leszek Sibilia, ‘Kalendarium Nowej Huty’; Futuryzmy miast przemysłowych. 100 Lat Wolfsburga i Nowej Huty, Kraków, Korporacja Ha!art 2007, p. 62. 47. Szarek, ‘Solidarna Nowa Huta 1980-1989...’, p. 10. 48. Jadwiga Staniszkis, Ontologia socializmu, Warsaw, Plus, 1989, p. 117. 49. Malik, ‘Nie można oddzielić krzyża od ludzkiej pracy...’, p. 296. 50. Szarek, ‘Solidarna Nowa Huta 1980-1989...’, p. 12. 51. Marek Domagała, Relacja, http://www.encysol.pl/wiki/Strona_główna 52. Malik, ‘Nie można oddzielić krzyża od ludzkiej pracy...’, p. 286-287. 53. Jerzy Sadecki, Ziarna gniewu, Paris, Éditions Spotkania, 1989, p. 7. Quotation translated by K. Zechenter. 54. Bogdan Włosik was killed by police near the Arka Pana church on 13 October 1982. Stan wojenny w Małopolsce. Relacje i dokumenty, Zbigniew Solak, Jarosław Szarek, Henryk Głębocki, Jolanta Nowak, Adam Roliński (eds.), Kraków, IPN, 2005, p. 161-173. 55. Szarek, ‘Solidarna Nowa Huta 1980-1989...’, p. 8. 56. google.com/search?q=nowa+huta+stan+wojenny+markowski&client=firefox- a&hs=KVw&rls=org.m ozilla:en- US:official&channel=sb&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ei=DUfCU4jKKcKkyATdoYHQAw&v ed=0CAgQ_AUoAQ&biw=1131&bih=574#facrc=_&imgdii=_&imgrc=p35r- xVds2prsM%253A%3BEiwITuXtXJCiHM%3Bhttp%253A%252F%252Fwww.wszechnica.solidarnosc.org.pl%252Fwpcontent%252Fuploads%252F2010%252F10%252F Markowski-N.Huta-pod-Ark%2525C4%2525851510-1982-

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82. P. Vaci Sandor, ‘William Tierney Clark and the Buda-Pesth chain bridge’, Proceedings of the ICE Engineering History and Heritage, 2, 2011, p. 109. 83. György Csepeli, National Identity in Contemporary Hungary, trans. M. D. Fenyo, Boulder, Atlantic Research and Publications, 1997, p. 149. 84. Fehérváry, Politics in Color and Concrete..., p. 2. 85. Visy Zsolt, The ripa Pannonica in Hungary, Budapest, Akadėmiai Kiadó, 2003. 86. Sztálinváros, Miskolc, Tatabánya. Városépítésünk fejlődése, A. Sós, F. Kálmán (eds.), Budapest, Műszaki Könyvkiadó, 1959, p. 27-34. 87. http://duol.hu/hirek/pentele-leendo-cimere-1600872 88. Although towns like Dunaújváros are inhabited by no more than 4% of Hungary’s population, they nonetheless used around 30% of the energy resources (1986). Pál Germuska, Indusztria büvöletében: Fejesztéspolitika és a szocialista városok, Budapest, 1956-os Intézet, 2004. 89. Andras, Molnar, Confligo, p. 165. 90. See for instance: dunaujvaros.com/varostortenet or jakd.hu/ 91. kissmiklos.com/metamorphose-of-dunaujvaros 92. Thomas S. Burns, Rome and the Barbarians, 100 B.C.A.D.400, Baltimore – London, The Johns Hopkins University Press, 2003, p. 221-222. 93. Balockaite, Rasa, ‘Coping with the Unwanted Past in Planned Socialist Towns: Visaginas, Tychy, and Nowa Huta’, Slovo 1, 2012, p. 59. 94. Jacek Salwiński, Leszek J. Sibilia, Nowa Huta przeszłość i wizja. Studium Muzeum Rozproszonego, Kraków, Muzeum Historyczne Miasta Krakowa, 2005. 95. Dunaújváros városképére jellemzőek a tágas zöld területek, virágos parkok, amelyek jól tompítják az egyes épületek monumentalitását. Az ipari területeket is erdős részek választják el a várostól. A természetes környezet jelenléte biztosítja a település ökológiai egyensúlyát, in dunaujvaros.com/varostortenet 96. János László, Historical Tales and National Identity: An introduction to Narrative Social Psychology, London, Routledge, 2014, p. 163. 97. John Hutchinson, ‘Enduring nations and the illusion of European integration’, Europeanisation, National Identities and Migration. Changes in Boundary Construction Between Western and Eastern Europe, W. Spohn, A. Triandafyllidou (eds), London, Routledge, 2003, p. 36. 98. Maurice Halbwachs, On Collective Memory, Chicago, The University of Chicago Press, 1992. 99. Jan Assmann, ‘Collective Memory and Cultural Identity’, trans. J. Czaplicka, New German Cri tique 65, 1995, p. 125-133. 100. Robert Kosieradzki, Nowa Huta. Lata sześćdziesiąte i siedemdziesiąte, Kraków, Nowohuckie Centrum Kultury, 2006; Wiktor Pental, Nowa Huta. Lata pięćdziesiąte, Kraków, Nowohuckie Centrum Kultury 2009. See also nh.pl/ludzie.htm, nh.pl/teatr.htm 101. Jerzy Aleksander Karnasiewicz, Nowa Huta. Okruchy życia i meandry historii. The Crumbs of Life and the Meandering of History, Kraków, Towarzystwo Słowaków w Polsce, 2003. 102. Nowa Huta: duma narodu, p. 55. 103. Id., p. 59. 104. Id., p. 63. 105. Nowa Huta. Księ ga uwolnionych tekstów, Kraków, Małopolski Instytut Kultury, 2000. 106. Moja Nowa Huta, p. 6. 107. http://www.nhpedia.pl/ 108. Maya Nadkarni, ‘The Master’s Voice: Authenticity, Nostalgia, and the Refusal of Irony in Postsocialist Hungary’, Social Identities, 5, 2007, p. 611-626. 109. Agnes Batory, ‘Kin-state identity in the European context: citizenship, nationalism and constitutionalism in Hungary’, Nations and Nationalism, 1, 2010, p. 45. 110. George W. White, Nationalism and Territory: Constructing Group Identity in Southeastern Europe, Boston, Rowman and Littlefield, 2000, p. 67-118.

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111. Katalin Halasz, ‘The Rise of the Radical Right in Europe and the Case of Hungary: Gypsy crime’ defines national identity’, Development, 4, 2009, p. 490. gla.ac.uk/0t4/crcees/files/ summerschool/readings/school 112. Alexandra Wangler, Rethinking History, Reframing Identity. Memory, Generations, and the Dynamics of National Identity in Poland, Bremen, Springer, 2012. 113. Geneviève Zubrzycki, ‘Polish Mythology and The Traps of Messianic Martyrology’, [In:] National Myths. Constructed Pasts, Contested Presents, Gérard Bouchard (ed.), London, Routlege, 2013, p. 117. 114. Patrick Kingsley, ‘New Europe: the life of a Polish family’, The Guardian, 4 April 2011: https:// www.theguardian.com/world/2011/apr/04/new-europe-poland-family-life. See also: Maciej Miezian, Nowa Huta: socjalistyczna w formie, fascynująca w treści, Kraków, Bezdroża, 2004. 115. Kinga Pozniak, ‘Generations of memory in the “model socialist town” of Nowa Huta’, Poland, Focaal, 66, 2013, p. 63-66. 116. Ferenc Zsélyi, Istvan András, Mónika Rajcsányi-Molnár, ‘Exegi Mo(nu)mentum – The Media Iconology of Dunaujvaros’, in Metamorphosis: Global Dilemmas in Three Acts, Dunaujvaros, Új Mandátum Kiadó, 2013, p. 63. 117. János László, Bea Ehmann, ‘Narrative Social Psychology and the Narrative Categorical Content Analysis (NarrCat) in the Study of Social Representations of History’, Papers on Social Representations, 22, 2013, p. 3.1, psych.lse.ac.uk/psr/PSR2013/2013_1_3.pdf

ABSTRACTS

This article examines the changing narratives of two postsocialist cities: Nowa Huta in Poland and Dunaújváros in Hungary. By comparing the post-1989 narratives of these two planned socialist towns, I argue that the current presentations of their socialist heritage reflect the changing post-1989 narratives of Polish and Hungarian identity. Nowa Huta’s story has become transformed from a crude communist imposition to suppress anti-communist feelings in Polish society to a place that, instead, fought with the system in order to remain Catholic and that strongly participated in Poland’s struggle for independence in the 1980s. Similarly, Dunaújváros has been transformed from ‘the ugliest city in Hungary’ constructed during the period of forced industrialization to what is now a modern city with two thousand years of history, including its Roman and medieval past, ultimately fulfilling the dreams about economic independence of Hungarian patriots of the 19th century. As such, both cities are successfully repositioning their ‘unwanted past’ within the broader context of changing national narratives.

Nowa Huta, en Pologne, et Dunaújváros, en Hongrie, partagent une certaine histoire. En comparant les récits post-1989 de ces villes planifiées par le socialisme, on constate qu’ils reflètent les transformations identitaires qui ont eu lieu alors dans ces deux pays. À l’origine construction communiste nourrissant les sentiments hostiles de la population, Nowa Huta est devenue un haut lieu de la résistance catholique au régime, berceau de la lutte pour l’indépendance dans les années 1980. Dunaújváros, « la ville la plus laide de Hongrie», construite durant la période d’industrialisation forcée, est devenue quant à elle une ville moderne, ayant deux mille ans d’histoire et où s’accomplissent les rêves d’indépendance économique des patriotes hongrois du XIXe siècle. Ainsi, les deux villes repositionnent avec succès leur « passé indésirable » dans le contexte plus large des récits nationaux.

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AUTHOR

KATARZYNA ZECHENTER University College London

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Kafka’s Statue: Memory and Forgetting in Postsocialist Prague La statue de Kafka : mémoire et oubli dans la Prague postsocialiste

Alfred Thomas

All history was a palimpsest, scraped clean and reinscribed exactly as often as was necessary. George Orwell, Nineteen Eighty-Four.

1 In the early 1980s, as a graduate student of Czech literature studying in Prague, I walked into a house on (German: Alchemistengasse) near the Castle, where Franz Kafka had once lived as a guest of his favourite sister Ottla in order to devote himself to writing.1 The small wooden house, dating from the sixteenth century and allegedly used by the alchemists seeking to turn base metal into gold – hence its German name – then served as a tourist gift shop (fig. 1). To my astonishment the sales assistant kept repeating the same slogan in English, German and Czech over and over again like an automaton: “Since 1968 Franz Kafka has been passé” – “Seit 1968 ist Franz Kafka passé” – “Od roku 1968 je Franz Kafka passé.”

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Fig. 1. The Golden Lane, Prague (sixteenth century)

Reproduced by permission of Art Resource NY.

2 What is interesting about this bizarre episode is that I had not been thinking about Kafka when I entered the little house; and there was certainly no external indication that the famous writer had lived there. And yet, prompted by the saleswoman’s admonition to forget Kafka as passé, I suddenly remembered that Kafka had lived for a while on the Golden Lane. Here, in nuce, was Prague’s complex and ambivalent relation to its most famous writer: while seeking to efface his memory, the saleswoman was actually reinscribing him in our thoughts. Memory and forgetting were inextricably intertwined.

3 Within ten years or so of this scene of official “forgetting,” the wheel had turned full circle: Kafka is now a major source of tourist interest and income; stalls on the sell Kafka memorabilia such as tee-shirts and coffee mugs etched with the writer’s tragic, gaunt features, and a new Kafka museum has been built with a fountain in dubious taste (two men facing each other and urinating). Sealing his fate as a writer indissolubly linked to a new postsocialist Prague, a statue by Jaroslav Rona – depicting Kafka riding on the shoulders of a headless figure and invoking his only Prague-based story “Description of a Struggle” (“Beschreibung eines Kampfes,” 1912) – was erected in the Jewish Quarter of the Old Town in 2004 (fig. 2).

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Fig. 2. Statue of Franz Kafka

4 In the unfinished story the narrator jumps on the shoulders of his burly friend and is carried through the wintry streets of Prague during an oneiric, nocturnal walk. In fact, this story is the only work by Kafka to reference Prague’s landmarks in an explicit way, although even here he does not mention the city by name. In his subsequent fiction Kafka would efface any reference to the city of his birth. Rona had thus deliberately selected the one text by Kafka that links him directly to his native city; the rest of his oeuvre, in which Kafka effaces Prague as a visible entity, was overlooked or forgotten.

5 This essay is not about Kafka’s Prague – a veritable industry of scholarship – but Kafka’s statue; or rather, what Kafka’s statue signifies both about his fate as a writer in the city of his birth and what that fate may tell us about the complex history of modern Prague and Czechoslovakia. My essay explores how Kafka’s transformation from a largely overlooked writer in 1930s Czechoslovakia, his belated emergence as the hero of the counter-cultural generation of the 1960s, his status as a victim of politically-induced oblivion in the post-1968 “Normalization” to a major cultural icon in postsocialist Prague describes a familiar dialectic between memory and forgetting that has characterized the history of the city in the twentieth century. I argue that Prague’s postsocialist reinvention as the city of Kafka represents neither a radical departure from the past nor the continuation of a specifically Czech tradition of tolerance but perpetuates a familiar interplay between remembering and forgetting that has characterized key moments – and key religious and cultural figures – in the history of the city. I conclude that the city’s latest incarnation as the birthplace of one of European modernism’s greatest writers represents a history of constant reinvention in which political-cultural self-fashioning and economic calculation have all played – and continue to play – an integral role.

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Kafka and Prague

6 After he abandoned “Description of a Struggle” in 1912, Kafka strove to escape his oppressively natal city discursively by effacing all references to it from his major fiction. This reflected his unsuccessful desire to leave the city physically as well. In 1912 Berlin was his destination of choice but, as Reiner Stach has pointed out in his exhaustive biography of the writer, the outbreak of World War I in August 1914 foreclosed Kafka’s planned escape from the stiflingly parochial city of his birth.2 By 1915 Kafka was so desperate to leave his punishing job at the Workers’ Accident Insurance Institute and the city where he lived that the destination was no longer the issue: He did not wish to arrive somewhere, as he had in 1912; he wanted to get away from here, at almost any cost.3 The result is the anonymous city of his writings.

7 The problem was not only the unbearably taxing job which prevented Kafka from devoting himself to writing. Part of the problem was Prague itself, a provincial city of the Austro-Hungarian Empire lacking the vitality and cosmopolitanism of Berlin, Vienna, and Budapest and plagued with ethnic tensions between Czechs, Germans and Jews. The constant squabbling over Prague’s identity among Czechs and Germans – and its citizens’ obsession with controlling that identity – is brilliantly explored in Kafka’s allegorical story “The City Coat of Arms” (“Die Stadtwappe,” 1920)4 written two years after the establishment of an independent Czechoslovakia. In this fable about the building of the Tower of Babel, what impedes the tower’s completion is not the problem of hubris – as in the original version recounted in the Hebrew Bible – but the sheer slowness of progress in the face of so much disagreement about the best way forward. It is tempting to read the story not just as a universal fable about the ethnic and national conflicts of the twentieth century, but as an account of the more localized tensions between Czechs, Germans, and Jews. As Stach has shown, finger-pointing and recriminations between these groups preceded the breakup of the Habsburg Empire during World War I when those men (like Kafka) not fighting on the front were regarded as unpatriotic.5 Faced with a legacy of such internecine conflicts, the first president of the new state of Czechoslovakia, T. G. Masaryk, chose the pragmatic path of compromise and what he termed “small-scale progress.” It is this hyper-cautious attempt to move forward that is reflected sardonically in Kafka’s story, since no progress is actually made at all in the building of the tower, which rapidly degenerates into squabbling between the various groups responsible for its erection. Kafka’s fable was prophetic for, in the end, Masaryk’s pragmatism was not sufficient to harmonize so many discordant voices and Czechoslovakia ultimately became what Mary Heimann terms “a failed state” with the dissolution of the Czech and Slovak unity in 1992.6

8 Tensions were always bubbling below the surface and sometimes they broke through in acts of mob-like vandalism against Prague’s ancient monuments. A few days after the establishment of an independent Czechoslovakia on October 28, 1918, the baroque , which had been erected on the Old Town Square in 1650 to celebrate the Habsburg defeat of Sweden, was demolished by an anti-clerical nationalist crowd. In fact, the monument had nothing to do with the defeat of the Bohemian Estates at the battle of the White Mountain in 1620, but it was nonetheless tarred with that oppressive brush in the minds of Czech nationalists.7 Three years earlier, in 1915,

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Ladislav Šaloun’s monumental statue of the proto-Protestant religious reformer Jan Hus had been erected not far from the Marian Column on the Old Town Square. The erection of the former and the demolition of the latter signalled not only an anti- clerical mood at the twilight of the Habsburg Empire but a newly independent Czechoslovak Republic which would trace its intellectual and spiritual origins to the Hussite reformation of the fifteenth century. President Masaryk’s identification with the Hussites and the Bohemian Brethren in his Ideals of Humanity (1900)8 is reflected in the new-found centrality of Hus’s statue on the Old Town Square, its prominence no longer threatened by the Marian symbol of centuries of Catholic devotion in the Bohemian Lands.

9 The subsequent erasure of Kafka in Czech literary circles between the wars was inseparable from the larger political desire to repress the memory and the legacy of the Austro-Hungarian hegemony before 1918. The fact that Kafka did not identify with that hegemony was neither here nor there; as a Germanspeaking Jew he was automatically identified with the dominant culture in which he had lived and the German language in which he continued to write after Czechoslovak independence in 1918.

10 The National Monument on Vítkov Hill (1950) is another example of a statue of a local hero that has undergone revisions and appropriations by successive political regimes. Work on this enormous equestrian statue of the Hussite military commander Jan Žižka (the largest in the world) by Bohumil Kafka was begun in 1928, during Masaryk’s presidency, but was interrupted by the Munich Crisis of 1938 It was completed during the Stalinist era and was intended as a mausoleum for the first Communist President of Czechoslovakia, Klement Gottwald, who died in 1953. This plan also failed to materialize since the attempt to embalm Gottwald’s body was unsuccessful, and it was cremated in 1962. A monument inaugurated to commemorate a Czech military hero of the late Middle Ages was initially harnessed to Masaryk’s vision of Hussitism as the ancestor of his own creed of humanita, a pragmatic philosophical system that attempted to synthesize various disparate strands of modern thought into a coherent system based on the idea of tolerance and human dignity. Ironically, the statue was later revised by the Communists who appropriated the religious phenomenon of Hussitism in the very different interests of its atheistic-nationalist ideology. Yet a new museum was opened at the National Monument in October 2009. With each successive ideological appropriation of the monument, elements were modified, but the core image – the statue of a heroic military commander – remained the same. In other words, forgetting and remembering were not mutually exclusive but dialectically intertwined.

Kafka and the Czech Dissidents

11 As the new President of a democratic Czechoslovak Republic, the dissident playwright Václav Havel gave a speech at the Hebrew University in Jerusalem in 1990 in which Kafka figures prominently. In this speech Havel presents Prague’s greatest Jewish son as the quintessential writer of modernist alienation. Havel sees this quality as foreshadowing the Czech dissidents’ status of exclusion in their own country during the Communist era. But this characterization of Kafka as the prophet of political oppression in the post-war era overlooks an important – even crucial – aspect of his attitude to Prague: the desire to belong coexists with Kafka’s life-yearning for

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anonymity. As Noah Isenberg points out in his astute analysis of Havel’s speech, “it fails to acknowledge the flipside – the side that conveyed his unfulfilled yearnings for ‘belonging’ and the acutely felt exigencies of community.”9 This tension between belonging and nonbelonging, community and anonymity, is the complex dynamic that motivates Josef K to search for justice in The Trial and K. to seek access to the castle in the eponymous novel even as this quest becomes increasingly absurd and forlorn. Yet it is a dynamic that is radically simplified in Havel’s speech to render Kafka the arch-poet of alienation, the political precursor and prophet of the Czech dissident movement.

12 This political appropriation of Kafka has always characterized the Czech attitude towards him. It certainly explains his growing popularity in the 1960s when Kafka’s work began to influence writers and filmmakers in his native land. In the 1930s Czech intellectuals were more or less ignorant or indifferent to Kafka. His position as a Germanophone writer as well as a Jewish one undoubtedly contributed to his status as an outsider in Czech literary circles in the interwar years. Writing in 1934, the prominent interwar Czech critic F. X. Šalda referred in passing to Kafka’s growing influence as a writer “with whom the French are very much preoccupied at present.”10 Šalda was referring to Kafka’s increasing popularity among the French existentialists, including Jean-Paul Sartre and Albert Camus. The latter’s early story “Death in the Soul” (“La mort dans l’âme,” 1937), based on Camus’ brief unhappy sojourn in Prague in the summer of 1936, does not mention Kafka by name but the author’s desire to visit a Jewish cemetery far from the city centre probably alludes to Kafka’s grave in Olšanská Cemetery.11 Today the grave has become one of the city’s most prominent tourist sites; but in 1936, during Camus’ visit, it was remote and unvisited even as the writer’s fame was growing in western intellectual circles.

13 This official overlooking of Kafka changed dramatically in the 1950s after Czechoslovakia had succumbed to Communism. Suddenly the real-life fate of thousands of political prisoners appeared to reflect the fictional fates of Josef K. and K. Kafka’s own highly oblique mode of writing was appropriated and emulated in the interests of political circumspection. Now Kafka’s former status as an outsider in interwar Czech literary circles turned him into an insider and a hero of the politically oppressed. The first evidence of Kafka’s political influence on Czech artists was in film rather than in literature. The Czech New Wave cinema bears the unmistakable imprimatur of Kafka’s bleak vision of modern life and the modernist city. The anonymous contours of the city in Kafka’s novels and short stories are brilliantly reproduced in some of the most important films of the Czech New Wave, first and foremost in the 1965 classic Josef Kilián directed by Pavel Juráček and Jan Schmidt. In the film the narrator’s journey through a bureaucratic labyrinth ends with the absent statue of Stalin at the embankment of the river Vltava. The enormous statue of Stalin erected in 1955 – the largest in the eastern bloc – was removed in 1962 shortly after Nikita Khrushchev’s second denunciation of Stalin in 1961 (the first one – the so-called “secret speech” to the Twentieth Congress of the Communist Party of the USSR – had taken place in 1956). But even after its demolition the gargantuan statue of the dictator continued to haunt the city of Prague and its inhabitants.

14 Josef Kilián was released two years after the international conference on Kafka in Liblice in 1963; the latter was a rare opportunity for western and eastern European academics and intellectuals to come together and share ideas about the great writer and his universal significance. By 1968 Kafka’s influence was evident everywhere in Czech

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literature and film. Jan Švankmajer’s thirteenminute short The Flat (Byt, 1968) combines familiar elements from the work of the French Surrealist René Clair with Kafkian elements of the absurd in which a young man, flung into an apartment inimical to his well-being, attempts to hack his way out of the prison-like space, only to find a stone plinth etched with the names of previous residents. The protagonist kneels and inscribes his name “Josef...” This climactic moment clearly reveals the influence of Kafka’s fiction whose protagonists have no way out of their hellish circumstances. The skill of Švankmajer’s film is that it recreates so perfectly the bleakly comedic atmosphere of Kafka’s œuvre, although the date of its release – 1968, the year in which the short-lived Czech experiment of “socialism with a human face” was forcibly curtailed by the Warsaw Pact invasion of Prague – automatically lends the film a political significance as well: the no-exit of the hapless hero would soon become the real-life fate of millions of Czechoslovak citizens trapped within their own country.12

15 These citizens were divided among those who complied and those who defied the authorities. The latter became victims of a policy of exclusion (exile or imprisonment) that was extended to undesirable figures from the past and troublesome figures from the present. Most famously, Milan Kundera went into exile in France in 1977 and his books were banned. Similarly, the founder of the Czechoslovak Republic, T. G. Masaryk, also slipped into oblivion, his works proscribed and all evidence of his political prominence at the threshold of modern Czech history obliterated. Kafka’s fate mirrored the fate of Masaryk. His works were removed from the bookstores and were nowhere in evidence in Prague in the late 1970s and early 1980s. (I recall going into a Prague bookstore in the early 80s and asking, rather provocatively, if they stocked any works by Kafka only to be greeted with smirks of derision.) It was not until 2007 that Kafka’s complete works were published in Czech translation. All that remained of Kafka’s historical memory was a small bust of a gaunt middle-aged man, which had been installed in front of the building on Kapr Street near the Old Town Square where Kafka was born in 1883 (fig. 3). Here was the arch-poet of alienation evoked by Havel in his Jerusalem speech in 1990: the tragic, gaunt features of a dying man. But dissident writers within and beyond Czechoslovakia continued to remember him through works that bear the unmistakable imprint of Kafka’s world of alienation and non-belonging, novels like Ivan Klíma’s Judge on Trial, Bohumil Hrabal’s Too Loud a Solitude (1976), and, most famously, Kundera’s The Book of Laughter and Forgetting, published in France in 1979.

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Fig. 3. The house on Kapr Street, Prague, where Kafka was born

Reproduced by permission of Art Resource NY.

Kafka and The Velvet Revolution

16 With the Velvet Revolution of 1989 that brought to an end forty years of Communism in Czechoslovakia, Kafka was rehabilitated just as other undesirable figures from the past were restored to favour. Kafka now became a major icon of the postsocialist city. The sudden need to memorialize Kafka through a visible monument correlated with debates about other monuments such as the clamour to re-erect the Marian Column demolished in 1918. The argument could be made that such debates reflect a new-found democratic openness in Czech society; but the situation is more complicated since plaques intended to revive the memory of the column have been defaced by vandals. The desire to restore the Marian Column to its former glory and opposition to its restoration from oldtime nationalists replays the persistent anxiety about the city’s historical and religious identity. In this sense the constant urge to restore or erect monuments is merely the obverse of the desire to demolish or deface them. At stake in both acts of erection and demolition is the need to control the image of the city and its historical identity.

17 The same kind of debate about the Marian Column has raged over Kafka’s birthplace. The house where Kafka was born was demolished as part of the slum clearance of the Jewish Quarter in 1883 (the year in which he was born) and was partially reconstructed later. The recent desire to commemorate it has led to requests for the square to be renamed Kafka Square. This request, supported by the city’s Franz Kafka Society, was opposed by the city council, partly for bureaucratic reasons but also because, according to the aptly named mayor Jan Burgermeister, Kafka would have been appalled by the idea of a square named after him. No doubt Kafka would have felt the same way about the idea of having statues erected in his honour; but this is not really the point. The

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real point is that the mayor felt the urge to speak for Kafka, to coopt his voice in the interests of a larger vision of the city’s identity. Havel does the same thing in his speech at the Hebrew University in Jerusalem: Kafka is appropriated as the arch-poet of political alienation, the prophet of Soviet totalitarianism.

18 Sceptics in Prague have also pointed out that the desire to commemorate Kafka through statues and squares serves the interests of the city’s tourist economy. There is certainly much truth in this claim. But there is a deeper impulse at work in the post-1989 desire to reinscribe Kafka’s presence in the city he himself sought to erase in his fiction; and that is the need to recuperate Kafka’s legacy as one of the greatest European modernist writers in the interest of Prague’s new-found status as the multi- cultural capital of Europe. The form assumed by this recuperation is the museification of Kafka’s life and work. The real interest for me is not the rights and wrongs of the argument but the fact that there is a discussion in the first place. After all, no one has ever debated whether there should be a statue to Goethe in Weimar or to Shakespeare in Stratford-upon-Avon. The debate over Kafka’s name and statue is symptomatic of the postsocialist city’s fraught relationship with its own past and its present identity. This has not merely been a discursive struggle but one that has shaped the physical appearance of the city. Changing the names of Prague landmarks has also been a central component of this conflicted relationship with the past: the metro station named after V. I. Lenin during the Communist era (Leninova) has now become Dejvická just as the metro station Gottwaldova was renamed Vyšehradská after the end of the Stalinist cult of personality in the 1960s.

19 This constant renaming of monuments is not simply about the city’s and the nation’s nationalist identity. It has now become an integral feature of the desire to reinvent postsocialist Prague as the cultural capital of Europe in competition with other major cities like Berlin and Warsaw. Needless to say, much of this showcasing is motivated by economic advantage as well as civic or nationalist pride. The broad avenue that leads from the Old Town Square to the Jewish Cemetery, the Old-New Synagogue and the Jewish Town Hall – Paris Street (Pařížská) – is now lined with top-end luxury stores like Hugo Boss that cater to Russian oligarchs. This quarter of Prague, historically the Jewish Quarter known as Josefov, was formerly submitted to a very similar reinvention in the interests of “progress” in the 1880s and early 1890s. Inspired by Baron Haussman’s reinvention of Paris with its broad, tree-lined boulevards, whole swaths of Jewish Prague were demolished in the twinned interests of hygiene and modernity, including Kafka’s birthplace. For sure, the Old-New Synagogue and other important historical Jewish sites such as the medieval cemetery were spared in the interests of historical tradition (the city fathers were patriotic liberals not crude anti-Semites); yet the effect of this partial demolition of the Jewish Quarter was to recast fin-de-siècle Prague in the desired image of Napoleon III’s Paris.

20 A similar desire to emulate western European multiculturalism by foregrounding Kafka as a Prague-Jewish writer has been at work in postsocialist Prague. Where previously Kafka’s status as a Jew writing in German was a source of opprobrium or indifference, now it is a source of pride in the city’s cosmopolitan past. Inevitably this has entailed not simply a policy of diversity and restitution with regard to overlooked or banned figures from the socialist past (of which Kafka is most obviously emblematic) but also the urge to efface all evidence from the past that conflicted with the reputation of the city as the (multi-)cultural capital of Europe. The Czechs’ reluctance to deal with their

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history in all its complexity – a history that involved complicity and collusion as well as victimhood – has been inseparable from their ambivalent response to Kafka. The fact that Kafka in his own country was largely ignored between the wars as well as banned during the Communist era is now conveniently overlooked. To this extent the Czech treatment of Kafka – an interplay of forgetting and remembering – is symptomatic of Czech history in the twentieth century. And the tendency to treat Kafka as a museum exhibit – in fact the leading exhibit in a city that paradoxically he was at such pains to escape and efface from his work – is also symptomatic of the city’s treatment of its Communist history.

21 The Museum of Communism in Prague is a case in point. Forty years of Czechoslovak history is reduced to a museum-space, conveniently consigned to the historical past. The effect of forty years of Communism on the national psyche is of course something still deeply embedded in the present, an on-going trauma of repetition, but this fact is denied by relegating the past to an historical artefact. Yet it is the very inability to integrate the past into the present that constitutes the core of the historical trauma and is the motivating mechanism for the repetition compulsion itself. What Andreas Huyssen has written about the German writer’s obsessive engagement with the Nazi past is equally true of the Czechs’ cultural attempt to come to term with their past. Both are doomed “to repetitions, reinscriptions, and rewritings that make any account of postwar literary developments as a stable progression through the decades inherently problematic.”13

22 To this extent, the notion of Prague as a multi-cultural city is more programmatic than real, more prescriptive than descriptive of the complex interplay between memory and forgetting, tolerance and intolerance, that has been the history of Prague, Czechoslovakia and Europe in the twentieth century. As I have argued in this essay, and more expansively in my book Prague Palimpsest,14 the interplay between forgetting and remembering has been a constant of Prague’s history that reaches back to the beginnings of modern Czechoslovakia and beyond. Far from being what Derek Sayer has termed “the capital of the twentieth century,”15 Prague has at times virtually disappeared from the cultural map of Europe altogether. Most obviously this happened during the Nazi occupation of Czechoslovakia (1939-1945) and the dark days of Stalinism from the Communist putsch of January 1948 until the early 1960s when Czechoslovakia emerged from the doldrums of hard-line Communism with a desire for “socialism with a human face.” Yet this oblivion was not always induced by external political threat or Communist takeovers but by an internally created crisis of identity. What struck Camus when he visited Prague in 1936 was an oppressive sense of “death in the soul” that made him yearn for the freedom and openness of his native Algiers. By this time the dynamism of the interwar avant-garde was coming to an end as the Czechoslovak Surrealist Group broke up in 1937 under internal dissension among its members. The Czech Left was in disarray and the country was increasingly menaced by the German threat as well as by disaffected Bohemian Germans in the Sudetenland. Two years later this region was ceded to Germany under pressure from the Western powers at the Munich Conference; and one year after that, in spring 1939, German troops invaded Czechoslovakia.

23 Camus was not the first great writer to remark on the oppressive atmosphere of Prague between the wars: it pervades every aspect of Kafka’s fiction. As Kafka famously

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expressed it as early as 1902 in a letter to his friend Oskar Pollak: “This little mother” (Mütterchen) has claws. One must conform or....”16

24 The ellipsis at the end of the sentence points to Kafka’s lifelong yearning to leave Prague, not simply the physical space itself but above all the suffocating debates about its identity. Now that Prague has become a museum-city – with Kafka as the main exhibit – Kafka in death is confronted with the same problem as Kafka in life: how to escape the maternal claws of this all-devouring city? The problem is not simply whether Kafka should be remembered or forgotten. No-one these days is advocating that Kafka be obliterated from the collective memory of the city; and in a sense this was never the case even in the socialist era. After all, the lady in the shop on the Golden Lane, who was instructed to inform us that “since 1968 Kafka has been passé,” was acknowledging Kafka’s significance even as she was attempting to repudiate his political relevance.

25 It is within the terms of either argument – for or against Kafka – rather than on either side of it that this contradiction or tension resides. Just as the Communist spokeswoman was at once remembering and attempting to forget Kafka within the same formulation, so too Rona’s postsocialist statue of Kafka memorializes Kafka as the quintessential Prague writer but “forgets” Kafka’s desire to leave the city by linking him to the only story about Prague that he ever wrote. Moreover, what Robert Alter terms the “Anycity”17 of Kafka’s mature work – a city of complete alienation stripped bare of any familiar contours – is systematically elided or overlooked in the entrepreneurial interests of Prague’s wouldbe status as the multi-cultural “capital of Europe.” Just as the writer himself sought to escape from Prague while evoking its oppressive atmosphere, so his supporters and detractors have been torn between the urge to elide Kafka while needing to evoke his memory in one form or another. This is true both of the socialist-era bust of Kafka, that depicts the writer as passive, gaunt and consumptive, and the postsocialist statue which does not acknowledge Kafka’s anonymous aspirations at all but turns him into a kind of home-grown Czech surrealist.

26 The same tension between the urge to forget and the need to remember problematic figures from the past illuminates the final moments of Jan Švankmajer’s animated surrealist short The Death of Stalinism in Bohemia (Smrt Stalinismu v Čechách, 1990), made soon after the Velvet Revolution. This time the subject is not the fate of a writer’s statue but the bust of a dictator – Josef Stalin. The title of the film is ironic since what it depicts is not the death of Stalinism at all but its continued survival in a transmuted form: at the end of the film a bust of the dictator’s head emerges from a pile of newspapers, no longer white but painted with the colours of the Czechoslovak flag. The kitschy bust that graced every official public space in the Communist era before the Thaw is replaced with an equally kitschy bust painted red, white and blue. Throughout the film the constant dissolution and recreation of the bust of Stalin signals the tension between inscription and forgetting that has been the history of Prague and Bohemia. Just as Kafka’s name and image were effaced from the history of the city between the wars and in the 1950s, so was Stalin’s image – so prominent after the Communist takeover of power in 1948 – removed after Khrushchev’s speech denouncing the cult of personality in 1956. By 1962 not only the statue of Stalin mentioned earlier but all other images of the dictator were removed in conformity with the new policy emerging from the Kremlin.

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27 The film takes the form of a highly accelerated history of Communist Czechoslovakia as it cuts between gynaecological sounds of a screaming baby’s delivery from Stalin’s bust – what turns out to be another bust, this time of Stalin’s monstrous “off-spring” Gottwald – and montage sequences of propaganda posters and official photographs from that past, culminating in the Velvet Revolution. Mini clay statues of workers move down a conveyor belt only to be hanged from ropes and dropped back into a bucket of clay, a grim allusion to the fate of the eleven Jewish Communist leaders hanged as traitors in 1952. Death-heads burst through the official photographs of Stalin, Gottwald, and other Communist leaders and chew them up, a memento mori motif derived from the Czech baroque culture of the seventeenth century. The point of this detail is clearly subversive: tyrants are as vulnerable to death as everyone else. The film ends on an even more subversive note as the opening sequence of the monstrous baby plucked from Stalin’s bust is repeated, this time with the same bust painted with the colours of the Czechoslovak flag. The implication of this “agitprop film” is clear: another monstrous creature will emerge from the democratic body politic, although its shape and form is not specified. The great insight of this surrealist masterpiece is that historical trauma is not foreclosed by the end of tyranny but is perpetuated and repeated even in a democratic context: the ideological colours may have changed but the core reality – the statue of Stalin – remains the same.

28 The fate of Stalin’s bust in the film – a series of infantile repetitions – is also true of Kafka’s statues in Prague: instead of the tragic arch-poet of alienation depicted in the socialist-era bust of Kafka we now have an icon of the great Prague writer. They seem very different: the first presents Kafka as a tragic prophet of alienation through the eyes of the socialist era, the second presents him as a multi-cultural icon for a mass- tourist age. But the statues are really the same; and both are more symptomatic of Prague’s on-going crisis of cultural and political identity than dispassionate attempts to understand the life and work of its greatest writer. At two moments in Švankmajer’s film the surgeon who extracts the statue-baby from Stalin’s bust is shown scrubbing his hands under running water. This is not just the hygienic necessity of a surgical operation but the obsessive collective act of a culture seeking to scrape clean its past only to reinscribe it endlessly in the present. The gaping hole in the Rona statue of Kafka correlates with Švankmajer’s film in ways that were probably unconscious. The vaginal-shaped hole invites the possibility that yet another statue will be born in the future, constituting an endless succession of monuments and bearing witness not to the triumph of multi-cultural tolerance but the traumatic repression of the past in the interest of an ideologically inflected present.

NOTES

1. I would like to thank my friend and colleague Peter Rutland for reading the article carefully and making helpful suggestions for its improvement. 2. Reiner Stach, Kafka: The Years of Insight, translated by Shelley Frisch, Princeton – Oxford, Princeton University Press, 2013, p. 16.

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3. Ibid., p. 76. 4. Franz Kafka, “The City Coat of Arms”, in Collected Stories, translated by Willa and Edwin Muir, New York, Alfred A. Knopf, 1993, p. 400-401. 5. Stach, Kafka: The Years of Insight..., p. 80. 6. Mary Heimann, Czechoslovakia: The State that Failed, New Haven, Yale University Press, 2009. 7. See Nancy M. Wingfield, Flag Wars and Stone Saints: How the Bohemian Lands Became Czech, Cambridge, Harvard University Press, 2007, p. 144-147. 8. T. G. Masaryk, Humanist Ideals, translated by W. Preston Warren, Lewisburg, Pennsylvania, 1971. 9. See Noah Isenberg, Between Redemption and Doom: The Strains of German-Jewish Modernism, Lincoln, University of Nebraska Press, 1999, p. 19-20. 10. Quoted from J. P. Stern, The Heart of Europe: Essays on Literature and Ideology, Oxford, Blackwell, 1992, p. 63. 11. Albert Camus, “Death in the Soul,” in Lyrical and Critical Essays, Philip Thody (ed.), translated by Ellen Conroy Kennedy, New York, Vintage, 1970, p. 189-198. 12. See Alfred Thomas, “Dada and its Afterlife in Czechoslovakia: Jan Švankmajer’s The Flat and Věra Chytilová’s Daisies,” in Dada and Beyond, vol. 2: Dada and its Legacies, Elza Adamowicz and Eric Robertson (eds.), Amsterdam, Rodopi, 2012, p. 245-261. 13. Andreas Huyssen, Present Pasts: Urban Palimpsests and the Politics of Memory, Stanford, Stanford University Press, 2003, p. 15. 14. Thomas, Prague Palimpsest: Writing, Memory and the City, Chicago, University of Chicago Press, 2010. 15. Derek Sayer, Prague, Capital of the Twentieth Century. A Surrealist History, Princeton, Princeton University Press, 2013. 16. Kafka, Briefe 1902-1924, in Gesammelte Werke, Max Brod (ed.), Frankfurt-am-Main, Fischer, 1975, p. 14. 17. Robert Alter, Imagined Cities. Urban Experience and the Language of the Novel, New Haven, Yale University Press, 2005.

ABSTRACTS

This essay is not about Kafka’s Prague – a veritable industry of scholarship – but Kafka’s statue; or rather, what a modern statue of Kafka in postsocialist Prague signifies both about his fate as a writer in the city of his birth and what that fate may tell us about the complex history of twentieth-century Prague and Czechoslovakia. My essay explores how Kafka’s transformation from a largely overlooked writer among the Czech intelligentsia in the 1930s to his belated emergence as the hero of the reformist generation of the 1960s, and from his deliberate erasure by the Soviet-backed regime after the invasion of Prague in 1968 to his reinvention as a national icon following the collapse of Communism in 1989, describes a familiar dialectic between memory and forgetting that has characterized the history of the city in the twentieth century. I argue that Prague’s postsocialist reinvention as the city of Kafka represents neither a radical departure from the past nor the continuation of a specifically Czech tradition of tolerance. I conclude that the city’s latest incarnation as the birthplace of one of European modernism’s

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greatest writers represents a history of constant reinvention in which political-cultural self- fashioning and economic calculation have all played – and continue to play – an integral role.

Cet essai ne porte pas sur la Prague de Kafka – véritable industrie de la critique – mais sur la statue de Kafka ; ou plutôt, sur ce qu’une statue moderne de Kafka dans la Prague postsocialiste dit du destin de l’écrivain dans sa ville natale, et plus largement de l’histoire de Prague et de la Tchécoslovaquie au XXe s. Kafka a d’abord été largement ignoré par l’intelligentsia tchèque dans les années 1930 ; il a ensuite tardivement fait figure de héros pour la génération réformiste des années 1960, ce qui a provoqué son oubli délibéré par le régime après l’invasion de Prague en 1968. À la chute du communisme, en 1989, on l’a réinventé en icône nationale. Cette dialectique de la mémoire et du pardon est familière à l’histoire de la ville au XXe s. La réinvention postsocialiste de Prague comme cité de Kafka ne représente ni une rupture radicale avec le passé, ni la continuation d’une tradition de tolérance spécifiquement tchèque. La dernière incarnation de la ville comme lieu de naissance de l’un des plus grands écrivains du modernisme européen résulte d’une réinvention constante dans laquelle l’auto-invention politico-culturelle et le calcul économique jouent un rôle majeur.

AUTHOR

ALFRED THOMAS University of Illinois, Chicago

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Le Musée juif et le Centre pour la tolérance de Moscou The ‘Jewish Museum and Centre for Tolerance’ in Moscow

Ewa Bérard

L’auteur remercie les collaborateurs du Musée qui lui ont consacré leur temps et vaillamment répondu à ses questions. Il est évident que les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur lui-même.

1 Après le spectaculaire Musée juif de Berlin construit par Daniel Libeskind en 2001, deux autres capitales de l’est de l’Europe, Varsovie et Moscou ont décidé de suivre son exemple. Le Musée juif de Moscou a ouvert ses portes en novembre 2012.

2 Le musée est situé dans le quartier de Mar′ina Rošča, à la périphérie nord de Moscou, près du domaine Ostankino du comte Šeremetev. Pauvre à l’origine et fréquenté par des bandes de malfrats, le faubourg n’a été intégré dans la ville qu’au début du XXe siècle. C’est aussi un vieux quartier juif : après la Révolution, c’est ici que fut construite, en 1926, l’unique synagogue de l’époque soviétique. C’est également ici que se sont installés, en 1982, les célèbres acteurs léningradois Aleksandr et Konstantin Rajkin et leur légendaire Théâtre des textes miniature (rebaptisé ensuite Satirikon). Cinq ans plus tard, le quartier a accueilli un nouvel hôte : Dov-Ber-Pinhos Berel Lazar, Juif italien venu en URSS en touriste, qui est bientôt devenu le rabbin de la synagogue, puis, en 1999, le Grand Rabbin de Russie. Au cours de cette même année, sa synagogue a été incendiée. Les amis milliardaires du rabbin, les russo-israéliens Lev Levaev et Vladimir Gusinskij, ont immédiatement offert de verser des fonds pour sa reconstruction, mais le rabbin a préféré utiliser ceux-ci pour ouvrir une yeshiva (école d’étude des textes religieux) et remettre à flot le centre communautaire avec ses institutions caritatives, éducatives et sportives.

3 L’idée du musée est justement venue du rabbin Berel Lazar. Quelques mots sur ce personnage haut en couleur : il appartient au puissant et ancien mouvement hassidique Xabad (acronyme hébraïque de « sagesse-compréhensionconnaissance ») qui avait prospéré sur les marches orientales de l’Empire russe, dans la « zone de résidence » des Juifs. Au tournant du XXe siècle, ce mouvement mystique s’est invité dans la vie civile

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en la personne de son sixième rabbin, Josef Icxak Šneerson. Originaire de Ljubavič, près de , Icxak Šneerson avait acquis un charisme extraordinaire en Russie impériale puis soviétique grâce à son combat en faveur des droits des Juifs à sauvegarder leur mode de vie et leurs observances religieuses. Arrêté, condamné à mort et finalement exilé en 1927, il a vécu ensuite en Lettonie et en Pologne, jusqu’à ce que l’arrivée des nazis le force à émigrer outre-Atlantique. Avec lui, le centre de Xabad s’est déplacé à New York, mais son cœur est resté en Russie, voire dans la diaspora.

4 Avec la chute de l’URSS, les hassidim de Xabad-Ljubavič se réinstallent en Russie où la communauté juive, libre désormais d’émigrer, ne cesse de fondre ; il est urgent de la retenir et de la reconstruire. Sur 1 449 167 Juifs recensés en URSS en 1989, 700 000 ont émigré dans la décennie suivante1. Ceux qui sont restés, se sont concentrés pour la plupart dans la Fédération de Russie. Les Juifs soviétiques sont devenus les Juifs russes. La même année, un congrès des organisations juives de l’Union soviétique jette les bases d’une structure représentative, la Confédération des communautés et des organisations juives, dite Va′ad (Conseil), en référence au « Va′ad des quatre terres », instance communautaire qui gérait la vie juive dans la République des Deux Nations polonaise de 1580 jusqu’aux partages. La désintégration de l’Union soviétique fin 1991 secoue Va′ad selon les lignes de partage nationales et réduit considérablement son emprise. Les premiers oligarques de la perestroïka émergent, et trois d’entre eux, d’origine juive, Vladimir Gusinskij, Mixail Fridman, Vitalij Malkin, fondent en grande pompe le Congrès des Juifs russes et remplissent conséquemment ses caisses. Salué par le maire de Moscou, Jurij Lužkov, le Congrès lance des projets spectaculaires, telle la synagogue-mémorial sur le Mont du salut, mais reste absent des projets caritatifs et éducatifs sur le terrain. Les premières années postsoviétiques voient aussi réapparaître, en Russie et en Ukraine, deux anciennes agences étrangères, la Jewish Agence for Israel et le American Jewish Joint Distribution Committee. Reviennent aussi les mouvements religieux jadis bannis de l’URSS et ancrés depuis à l’étranger, notamment de différents courants des hassidim, parmi lesquels Xabad. Très actifs sur le terrain, ils mettent en place des crèches et des écoles, des hospices et des centres médicaux, des centres communautaires. Avant la perestroïka, il n’y avait pas une seule école juive, dix ans plus tard, on compte quatre-vingts établissements préscolaires et scolaires, avec dix mille élèves, huit yeshivot et quatre établissements d’études supérieures réunissent huit cent cinquante étudiants. Selon les données de 1997, la plupart des rabbins d’Ukraine, de Bélorussie et de Russie s’identifient avec le hassidisme (mais pas nécessairement avec l’obédience Xabad-Ljubavič).

5 Au sommet, la judaïque et officielle Confédération se voit disputer le leadership par les hommes de Habad et les frictions sont constantes. Berel Lazar entretient en revanche les meilleurs rapports du monde avec le gouvernement russe et le président Putin. Ce qui rapproche l’association hassidique et la Présidence, c’est l’enjeu de la diaspora. Juive ou chrétienne orthodoxe, elle est le point de mire de la diplomatie soft power du Kremlin. Un exemple parmi d’autres : en 2012, le gouvernement russe se joint aux trois oligarques moscovites (Mixail Fridman, Piotr Aven et German Xan) pour fonder le « prix Genesis », une cagnotte d’un million de dollars attribuée annuellement aux résultats d’excellence dans les domaines les plus divers, à condition qu’ils soient obtenus au nom de valeurs juives2. L’annonce de ce prix a été faite conjointement par le Premier ministre d’Israël et le président Putin lors de la visite de celui-ci à Jérusalem. Mais autant les relations de la Russie avec l’État hébreu connaissent des hauts et des

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bas, autant l’entente avec Xabad est au beau fixe, scellée qu’elle est par des projets à long terme.

6 Le Musée juif et le Centre pour la tolérance moscovites ont été ouverts le 8 novembre 2012, en présence du président d’Israël Shimon Pérès et du ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergej Lavrov. Le président Putin, initialement annoncé, s’est finalement abstenu mais a fait savoir qu’il avait versé un mois de salaire au fonds du Musée. Le Musée est le fruit de financements privés, de subventions du gouvernement russe et de la Fédération des communautés juives de Russie, émanant de Xabad.

7 Le Musée est situé sur le terrain du Centre communautaire Xabad-Ljubavič de Mar′ina Rošča. De la pittoresque et mouvementée histoire du lieu, on ne trouvera ici aucune mention. Cette amnésie, disons-le tout de suite, n’est pas particulière au Musée juif. L’histoire locale n’est pas à l’honneur dans la capitale russe, et il serait difficile de citer un seul quartier, à part le Kremlin et la place Rouge, qui aurait mis en exergue son identité historique.

8 À l’entrée sur le terrain du Centre, une bonne surprise nous attend : alors que le Moscou d’aujourd’hui est défiguré par des constructions boursouflées et monumentales, alors qu’on annonce, à Dnepropetrovsk, la construction du « plus grand Beth [temple] Xabad du monde », le bâtiment du Musée, qui est en fait l’ancien dépôt d’autobus de la rue Baxmetev, a sauvegardé son volume et sa silhouette. Conçue par Konstantin Mel′nikov et Vladimir Šuxov en 1926-1927, cette icône du constructivisme avait été classée, en 1990, monument d’architecture, mais seulement pour être « déclassée » sept ans plus tard, transférée sur la liste de monuments à privatiser et cédée gracieusement par la ville au Centre communautaire, dont la présidence est entre-temps échue à l’oligarque Roman Abramovič. Les travaux de restauration ont suivi les vicissitudes bien connues du « patrimoine privatisé », le « monument d’architecture » a failli être défiguré définitivement, mais l’intervention de l’opinion publique et des professionnels a permis de limiter les dégâts3. En attendant l’élaboration du projet de musée – qui à l’époque devait porter le nom de Musée russe- juif de la tolérance (Rossijskij evrejskij muzej tolerantnosti), le bâtiment a été investi, en juin 2008, par le Centre de culture contemporaine Garage (CCC Moscow « Garage »), fondé par Daria Žukova, compagne de Roman Abramovič. Le CCC Garage a quitté les lieux fin 2011, laissant en guise de souvenir un Centre d’avant-garde posé sur une petite plateforme surélevée, dédiée aux deux architectes constructivistes. Centre modeste, certes, quand on pense au formidable apport des Juifs de l’Empire à l’art d’avant-garde du XXe siècle, mais qui affiche sa volonté de s’agrandir.

9 Les architectes du Musée ont pris le parti de laisser le volume de l’ancien bâtiment industriel ouvert, sans le diviser en salles fermées. L’espace d’exposition est organisé selon un schéma circulaire : un centre à double noyau est entouré de parois formant deux cercles plus ou moins concentriques. Ce double noyau est réservé à ce qu’on pourrait appeler, d’une part, le « grand cosmos juif » – berceau du judaïsme, anciens Hébreux et première diaspora – et, d’autre part, un « petit cosmos » – le shtetl. Sur la paroi qui entoure ces deux noyaux s’affichent les photos illustrant le « judaïsme vivant », ses rites et ses préceptes. Une deuxième paroi, plus excentrée, créée avec la première comme un couloir, dans lequel s’organise le parcours chronologique. Au fond, de grandes salles sont réservées chacune à une période historique. Des parapets fixés des deux côtés de la paroi fournissent des informations plus circonstanciées. Sans être exhaustives, elles signalent des problématiques, suscitent des questionnements,

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indiquent la direction des recherches. L’ensemble est parfaitement lisible, l’organisation de l’espace astucieuse guidant aisément les pas et l’attention du visiteur.

10 Le Musée affiche l’ambition de dépasser le côté « muséal » traditionnel et de susciter l’intérêt par sa performance technologique, « unique en Russie », nous dit-on. Il se veut un lieu de distraction, capable d’attirer les jeunes ; c’est, nous l’avons vu, une mission capitale de Xabad. La conception du design a donc été confiée à l’agence américaine de Ralf Appelbaum, connue pour sa réalisation du Musée de l’Holocauste à Washington. Le résultat est, en effet, extraordinaire : le visiteur ne rencontre sur son parcours que des écrans : grands, petits et moyens, plats et incurvés, tantôt interactifs, tantôt en 3D, accompagnés de légendes écrites ou sonores. Des artefacts au sens strict, pourvus de consistance matérielle, il n’y en a pratiquement pas. Ils sont relégués dans l’espace dédié aux expositions temporaires, situé à la périphérie des trois cercles. Ce qui rend cet univers d’écrans complètement surréaliste, ce sont les paroles du poète Iosif Brodsky, gravées au-dessus... de la boutique du Musée : « Les objets que nous produisons de nos mains en disent plus long sur nous que nos confessions » (Naši izdelija govorjat o nas bol′še, čem naši ispovedi). Des confessions, on n’en trouvera d’ailleurs pas davantage ici que des « produits de nos mains ». Le peuple d’artisans et le peuple du Livre n’est plus. Il s’est effacé devant un peuple virtuel.

11 L’espace shtetl est à cet égard exemplaire : les visiteurs sont invités à se déguiser en costumes traditionnels juifs virtuels, à toucher des harengs virtuels surnageant dans de vrais tonneaux, à reconnaître leurs aïeux dans des figures en plâtre, comme celle qui est assise sur un banc de synagogue, plongée dans la lecture du Livre, la tête recouverte du talit (par un inexplicable oubli, ce vieux Juif en plâtre n’est pas interactif et ne se balance pas). La meilleure trouvaille, c’est sans conteste un rouleau virtuel de la Thora qui se déploie à la vitesse voulue sous la pression d’une baguette électronique. Comme quoi la technologie de pointe ne protège pas contre une esthétique de pacotille. La cohabitation de cette partie de l’exposition avec le futur Centre d’avant-garde, si tant est qu’il voie jamais le jour, promet d’être houleuse.

12 De la forme, passons au contenu. Comment l’histoire des Juifs de l’Empire russe (1775-1917) et de l’Union soviétique (1918-1991) est-elle conçue4 ? Exercice ardu, qui ne manque pas d’écueils. Non seulement il fallait trouver une version cohérente et consensuelle de ce passé tortueux, mais il était nécessaire de l’harmoniser avec les injonctions idéologiques. Or la « ligne générale », telle que formulée par la première directrice du Musée et du Centre, Natalija Fišman (ving-et-un ans, conseillère du ministre de la Culture de Moscou Sergej Kapkov) annonçait d’emblée que le Musée ne devait pas être une représentation de « l’antisémitisme soviétique » (sic) : Nous n’allons pas verser des larmes sur nous-mêmes. Il ne s’agit pas d’exposer nos offenses ; il s’agit de montrer comment nous avons vécu, comment l’histoire de notre pays nous a façonnés et comment nous avons façonné son histoire5.

13 À l’entrée du parcours chronologique, une carte de la « zone de résidence » et du Royaume de Pologne (encore qu’à la date du recensement de 1897, qui a fourni les chiffres cités dans les légendes, celui-ci ne s’appelait plus que « pays de la Vistule ») est affichée qui indique le pourcentage des Juifs dans la population des villes et des villages et l’intensité des pogroms. Cette entrée en matière est digne d’être soulignée, dans la mesure où toute notion d’ouverture sur le monde extérieur disparaîtra par la suite. La séquence consacrée au XVIIIe siècle est, quant à elle, très claire sur la provenance polonaise de la majeure partie des Juifs de Russie, annexés à la suite des partages de la

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Pologne, et sur leur culture, si distincte de celle des Juifs méridionaux et caucasiens (bien que soit passé sous silence le fait que les Juifs de la République des Deux Nations jouissaient, jusqu’aux partages, de la sécurité de personne, de culte et de commerce).

14 S’ouvre la section intitulée « Villes et au-delà. 1795-1913 ». Le mur de fond de la grande salle est occupé entièrement par la photo d’une artère urbaine, symbole un peu étonnant de la vie juive au XIXe siècle, mais qui impose d’emblée le thème central de cette séquence : urbanisation, assimilation, ascension sociale. Dans la salle même, est exposée une « installation » avec des tables de café et les mêmes figures en plâtre blanc censées incarner, ici, Simon Dubnov, Šolem Alejxem, et quelques autres personnalités de la culture urbaine juive. La banalité de cette mise en scène aseptique est largement compensée par la « Chronique des événements » fixée sur la paroi. Là, les illustrations proposées sont d’une grande variété, les titres sont percutants et les légendes formulées dans une langue claire qui révèle une grande maîtrise du savoir. Citons quelques-uns des thèmes présentés : Xaskalax (Les lumières juives), presse juive, réveil culturel, assimilation, pogroms, émigration, courants politiques, nouvelles tendances religieuses, etc. Si des questions surgissent, elles relèvent moins de lacunes dans l’exposition que de sa diversité. Encore que le célèbre faux antisémite, Les Protocoles des Sages de Sion, aurait pu y trouver sa place. Pour qui est pris de vertige devant tant d’informations, une heureuse trouvaille (toujours virtuelle) intitulée « Destins juifs » permet d’entrer dans le temps individuel et de suivre, à l’aide d’écouteurs et d’un petit écran, les biographies de personnalités célèbres de l’époque.

15 La section suivante est intitulée « La guerre et la révolution, 1914-1921, 1921-1941 ». Sur le grand écran, défilent les documentaires sur les exactions commises par l’armée allemande, les scènes de la révolution de Février et celle d’Octobre 1917, la guerre civile et ses pogroms « plus cruels que les pogroms de Xmelnitskij » (mais l’antisémitisme programmatique des Blancs est gommé). On aborde les questions difficiles : la « zone de résidence » est enfin abolie, les Juifs sont libres de leurs mouvements, obtiennent les droits civiques. Ils doivent tout à la révolution, et les stéréotypes de la mentalité sont tenaces qui les présentent comme des profiteurs de celle-ci, habiles à se hisser promptement jusqu’aux instances dirigeantes de l’appareil bolchevique et de ses organes de terreur. Sur les piliers, décorés de figures géométriques de la propagande avant-gardiste, un portrait de Trockij côtoie celui de Lenin. À l’écran, la voix d’un spécialiste d’outre-Atlantique explique qu’avec la prise du pouvoir par les bolcheviks, le peuple juif « a été placé devant l’alternative : s’adapter ou disparaître ». On se demande quel était le choix offert aux autres peuples de l’URSS... Tout comme d’autres croyants, les Juifs, nous dit-on encore, étaient sommés d’abandonner leurs pratiques religieuses mais, grâce à leur niveau d’éducation supérieur, ils ont vite réussi leur ascension sociale, notamment au sein des nouvelles élites intellectuelles et professionnelles.

16 On commence à saisir la fonction du grand écran : il doit inscrire coûte que coûte l’histoire des Juifs dans des généralités russes, gommer les conflits, dire les choses à peu près comme elles étaient et à peu près comme elles n’étaient pas, tuer dans l’œuf toute velléité de verser des larmes comme celle de ressentir de la fierté – excepté celle qui revient légitimement au grand peuple de l’URSS. Une table basse en forme d’étoile à cinq branches incarne cette jeune nation soviétique ; sur sa surface interactive évoluent, comme perdus dans l’espace, les portraits en forme de bouton de personnalités juives. Dès qu’un bouton est à la portée du visiteur, celui-ci peut le toucher et la personnalité se déploie dans sa courte biographie. Ce n’est plus le cruel

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coup de tampon bureaucratique qui détermine le sort de l’individu, comme le voulait le Lazik Roschwantz d’Il′ja Èrenburg dans sa fameuse tirade, c’est le hasard de l’interactif6. D’ailleurs, on chercherait en vain Lazik parmi les célèbres personnalités juives. Lazik- l’éternel-perdant n’est pas de ce musée-là.

17 On approche de la salle consacrée à la Grande Guerre patriotique, 1941-1945. La plus grande de toutes les salles, plongée dans la pénombre, avec un écran étiré sur toute sa longueur pour faire place à plusieurs projections simultanées. La projection commence par les images de l’offensive de la Wehrmacht sur les territoires de l’est de l’URSS, abandonnés par l’Armée soviétique ; le pourquoi de ce retrait n’est pas évoqué. Suivent les séquences prises à Babij Jar. De longs moments terribles, pénibles, écrasants. On ne pense plus au Musée. Pourtant, la guerre continue, on approche de Stalingrad, des vues connues, des bruits d’explosion assourdissants, la gloire des vainqueurs, des chants, et de nouveau des scènes de bataille et de marches forcées, cette fois direction Berlin. Les soldats traversent les villages brûlés de la Biélorussie et de la Lituanie : ruines et la désolation, mais pas de ghettos, trop terrible. Et déjà les photos canoniques de la prise de Berlin et de Dresde détruite (subtilité de l’apposition !). Puis ce sont les lendemains de la victoire : on revient sur le lieu du massacre de Babij Jar où les centaines de milliers de victimes n’ont pas eu droit au kaddish ni même à une mention de leur identité juive sur la plaque commémorative, sur les tombes, dont les étoiles à six branches ont été retouchées en étoiles soviétiques... et on ne comprend rien de ce revirement, on cherche en vain les raisons de ce nouveau malheur qui s’est s’abattu sur les Juifs. Monte un sentiment d’incompréhension, de lacune, d’absence. Quelque chose, quelqu’un, manque dans ce ruban d’images qui vient de défiler devant nos yeux : mais oui, c’est Stalin, le grand Stalin : il n’est apparu sur l’écran que l’espace d’une seconde, présidant le défilé du 8 novembre 1941, sur la place Rouge. Le Généralissime qui a porté le grand peuple soviétique à la victoire, qui a sauvé la vie des millions de Juifs soviétiques et de quelques-uns d’autres pays (quand il ne les a pas livrés à la Gestapo ou ne les a pas fait fusiller), le grand Stalin est quasiment absent de cette histoire de la guerre. Il ne s’agit plus d’arrondir les angles ; c’est une chape de silence qui tombe sur celui qui, dès la victoire de Stalingrad, fut l’ordonnateur de l’antisémitisme d’État et, en parallèle, de la propagande chauvine grand-russienne.

18 On pense à cet autre musée de Moscou, situé au sud-ouest de la ville, sur le Mont du salut, le célèbre Musée de la Grande Guerre patriotique. Stalin y est omniprésent, sous toutes les formes, sous tous les angles, dans toutes les poses... Dans les deux musées, on table sur un public avide de divertissement, conditionné par le son et les images, indifférent, voire hostile aux vicissitudes de l’histoire. Bonnet blanc ou blanc bonnet ? Non, la différence est de taille : le mémorial de la Grande Guerre patriotique est conçu pour réanimer le mythe et exalter la vertu de la citoyenneté patriotique. Le char grandeur nature posé dans la salle de guerre du Musée juif (unique endroit où l’on voit exposés quelques documents authentiques), isolé dans sa matérialité, est loin d’avoir la force de nourrir un mythe. Stalin absent, le Musée n’est pas en mesure d’offrir refuge à l’œuvre qui cristallise l’expérience juive de la guerre, à savoir le roman Vie et destin de Vasilij Grossman7. Les intérêts des deux parties prenantes du Musée se sont conjugués dans cette stratégie d’évitement : la doxa poutinienne, qui exclut d’avance tout ce qui pourrait ternir l’image de la Grande Guerre patriotique, a fortiori une mise en parallèle des régimes stalinien et hitlérien (axe central du roman de Grossman), et Xabad, qui n’a

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aucune raison de remettre à l’honneur la culture des Juifs soviétiques laïcs, ci-devant communistes. Le résultat n’est pas édifiant.

19 Pris de détresse face à cette histoire tronquée, on se tourne vers les panneaux explicatifs. Les grands moments qu’on a attendus en vain sur le grand écran, les retrouvera-t-on ici ? Oui, le pacte Ribbentrop-Molotov est évoqué, ainsi que ses conséquences pour les Juifs polonais. Oui, on parle des ghettos et de la collaboration de la population locale. Le Comité antifasciste juif, le CAJ, crée en 1942, est présent mais sans que soit mentionnée sa vocation mondiale – « Brider un shvester, yiden fun der gantzer velt ! » – ni l’assassinat, sur l’ordre de Stalin, de ses deux initiateurs, Henryk Erlich et Victor Adler, juifs polonais. Du célèbre Livre noir, le visiteur peut voir la couverture avec les noms de ses deux rédacteurs, Èrenburg et Grossman, mais il ne connaîtra ni son origine (c’est Albert Einstein, au nom du Comité des artistes, écrivains et scientifiques juifs américains, qui a proposé au CAJ de publier un livre sur le sort des Juifs dans les pays occupés) – ni sa fin. Le commentaire du Musée affirme que le Livre noir a été « interdit de publication », alors qu’il a été détruit jusqu’à ses racines : les plombs, de même que tout le matériel d’imprimerie de la maison d’édition Der Emes, ont été saccagés par un commando du NKVD, les épreuves détruites8. Un autre moment fort méritait de figurer en exergue, puisqu’il avait immortalisé l’Armée rouge auprès des Européens : la libération des camps de Majdanek et d’Auschwitz-Birkenau sur le territoire polonais. L’événement figure sur un panneau, mais la légende reprend le terme-clef de la propagande socialiste : « camp de concentration », alors que dans le monde entier le terme consacré est celui de « camp d’extermination ». On se creuse la tête pour comprendre les raisons de cette malhonnêteté. Elle est peut-être la suivante : si l’on entend par le terme Shoah, employé en référence à la « solution finale » nazie, la liquidation des Juifs indépendamment de leur pays d’origine par des moyens industriels – alors on peut dire que le Musée moscovite passe ce sujet sous silence. De la Shoah il ne reste, dans son approche, que la « Shoah par balles » des Juifs d’URSS, et rien ne doit lui porter ombrage9.

20 Après les émotions de la section consacrée à la guerre, on aborde la suite avec une certaine appréhension. Il s’agit, tout de même, de la période de l’antisémitisme d’État qui n’a d’égal que celui de l’Allemagne hitlérienne des années trente10. Qu’on se détrompe : en tout et pour tout une petite salle, sans appareil d’information auxiliaire sur les parois. À l’entrée, un panneau qui annonce : « Le Temps des troubles : années 1940-1950 ». Dans l’historiographie russe, l’expression « le Temps des troubles » désigne traditionnellement la vacance du pouvoir au XVIIe siècle, quand le pays a été en proie aux usurpateurs et aux armées étrangères. L’incongruité de ce titre projeté sur l’année 1945 ne signifie certes pas que, aux yeux des concepteurs du Musée, le Kremlin était à prendre et le pouvoir de Stalin vacillait ; mais à force de taire le nom du Guide, la vision historique, forcément, se brouille.

21 Sur le mur du fond – aux dimensions fort réduites – une photo des cellules souterraines de la Lubjanka. En guise d’exposition, cinq piliers munis chacun d’un écran. Ils sont placés de façon libre, ce qui exclut un parcours chronologique et enlève d’emblée toute logique à ces « années troubles ». Sur certains écrans, il y a des photos, sur d’autres il n’y a que des titres. Dans le désordre, donc, les piliers présentent au visiteur : 1. La photo d’Andrej Ždanov, avec une légende sur son célèbre rapport d’août 1946 qui a lancé la « campagne contre les cosmopolites » ;

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2. les photos des treize membres du CAJ fusillés (avec la voix de Solomon Lozinskij lors du procès du CAJ) ; 3. la photo de Solomon Mixoèls, président du CAJ, avec une légende concernant son assassinat en janvier 1948 et le début de la période « de l’antisémitisme d’État et de la répression des organisations et de l’intelligentsiajuives » (le tailleur Lazik Roitschwantz a de nouveau raté sa chance d’entrer dans l’histoire) ; 4. l’annonce de la création de l’État d’Israël en mai 1947, avec le soutien d’Andrej Gromyko, à la tribune des Nations Unies. La légende parle du « sentiment de fierté » que cet événement « a éveillé dans les cœurs de nombreux Juifs soviétiques » mais se garde bien de mettre en regard la liquidation sanglante des institutions et des leaders juifs qui a suivi quelques mois plus tard ; 5. « l’affaire des blouses blanches », signalée par la manchette d’un journal (anonyme !) de l’époque (fig. 1).

Fig. 1. Manchette de la Pravda annonçant “l’affaire des blouses blanches” : « Ignobles espions et assassins sous un masque des professeurs-médecins »

L’exposition passe sous silence le titre du journal. © Ewa Bérard.

22 Le nom de Stalin apparaît une seule fois ; sa photo, jamais. Le Musée, dans cette séquence, abandonne son rôle et ses ambitions : ni documents, ni jeux interactifs, ni pédagogie, ni divertissement, et, surtout, il ne peut en aucun cas prétendre au rôle de gardien de la mémoire.

23 À mesure que l’on se rapproche du jour présent, le passé devient encombrant. Les deux salles suivantes sont réduites à l’anecdote. Pour parler des Juifs soviétiques des années 60, 70, 80, aucune carte de l’émigration, comme cela a été le cas pour le XIXe siècle, aucune mention de la production culturelle, aucune trace du samizdat, sans parler, évidemment, de la répression et de l’antisémitisme d’État. Deux écrans seulement : le premier, en 3D, présente un appartement moscovite où deux jeunes gens bien de leur personne échangent des blagues juives tandis qu’une jeune femme sort d’un carton des cadeaux envoyés par les parents aux États-Unis. Sur le deuxième écran un groupe de Juifs se réunit clandestinement dans une forêt pour encourager, dans l’esprit communautaire, les activités sportives de leurs enfants. La jeune génération grandit, saine de corps et d’esprit.

24 La visite est terminée – ou presque. Il reste encore le Centre pour la tolérance, car, rappelons-le, l’ensemble porte le nom de « Musée juif et Centre pour la tolérance ». Le sens de l’apposition de ces deux entités n’est d’ailleurs pas facile à comprendre : est-ce

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le fait d’avoir construit un musée juif qui est une preuve de tolérance ou est-ce le musée lui-même, ainsi que ses fondateurs, qui va répandre la tolérance ? Dans l’espace du Musée, le Centre est représenté par quelques rangées de sièges munis d’écran interactif, et un grand écran de projection. Ses activités, m’explique-t-on, se déroulent sous forme de stages. Qu’apprend-on dans ces stages, de quoi y discute-t-on ? Les questions d’actualité qui préoccupent la société russe, telles que l’attitude envers les personnes « d’orientation sexuelle hors-norme » ou encore envers les migrants asiatiques, y sontelles soulevées ? Non, me répond la responsable du Centre, ces questions-là ne concernent pas son institution. Effarouchée, elle me propose deux brochures d’information. On y apprend que les stages s’adressent aux écoliers ; ils remplissent les critères établis par les programmes d’éducation de l’État. Leur grand attrait, c’est l’équipement high-tech, unique en Russie. Parmi les buts à atteindre « sur le plan personnel » figurent : 1. Motivation et orientation sur la participation active et créative dans la vie de la société et de l’État ; 2. valeurs, fondées sur les idées du patriotisme, de l’amour et du respect pour la Patrie ; 3. valeurs, fondées sur la reconnaissance des droits égaux des nations et de l’unité de différentes cultures11.

25 Est-ce donc dans ces petites brochures, dans cette éducation de la « tolérance » qui n’est en fait que le conditionnement à l’ingénierie sociale et à la discipline d’État, que se trouve la clef de la lecture de cette stupéfiante version de l’histoire des Juifs soviétiques qui est présentée dans les murs du Musée ? Mais cette version, il faut le dire, semble avoir gagné l’adhésion des Moscovites, car ils sont nombreux à revenir pour une deuxième visite. Fascinés par la performance des gadgets high-tech, les mêmes intellectuels qui dénoncent, indignés, le retour des pratiques soviétiques dans les manuels d’histoire abandonnent ici volontiers, semble-t-il, tout esprit critique.

26 Le président Putin a hautement apprécié l’activité du Musée et du Centre. Il a recommandé, par l’instruction no Pr-350 du 19 février 2013, la création de onze « Centres pour la tolérance » analogues dans les grandes villes de Russie12.

27 Quant au Musée, la récompense est plus substantielle encore : le président est intervenu personnellement dans l’affaire de la bibliothèque du rabbin Icxak Šneerson (dont il a été question au début de cet article) qui oppose la branche new-yorkaise de Xabad à sa branche russe. Une partie de l’immense collection d’ouvrages et de manuscrits religieux d’Icxak Šneerson, dont certains datant du XVIe siècle, lui avait été confisquée lors de son départ en exil. Le rabbin avait été contraint de laisser l’autre partie à Varsovie en embarquant pour les États-Unis en 1940. Les nazis s’en sont emparés et l’ont transférée en Allemagne, où elle a été récupérée par l’Armée rouge et envoyée dans les archives militaires à Moscou. Après la chute de l’URSS, la communauté Ljubavič de New York a saisi la justice américaine pour réclamer la restitution de l’ensemble de la collection dont elle s’estime héritière. Le jugement, rendu en 2010, a non seulement condamné la Russie à une astreinte journalière, mais a autorisé le mouvement Ljubavič à demander la saisie des biens russes. Autant dire que l’affaire a pris des proportions diplomatiques. Finalement, le président Putin a tranché : le 13 juin 2013, il a inauguré, dans le Musée juif, la salle où sera déposée la bibliothèque du rabbin Šneerson. Ce formidable cadeau donne au Musée une occasion unique de déployer son rayonnement et ses activités de recherche. Chassés par la porte, « les produits de nos mains » reviennent au Musée par la fenêtre – grâce au président Putin.

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Un grand homme, décidément ! Peut-être même, un jour, réussira-t-il à faire réintroduire Stalin dans l’histoire des Juifs soviétiques ?

NOTES

1. Les renseignements et les chiffres cités dans ce paragraphe proviennent de Zvi Gitelman, « The Postsoviet era: winding down or starting up again? », in A century of ambivalence: the Jews of Russia and the Soviet-Union, 1881 to the Present, 2e ed., Bloomington, Indiana University Press, 2001, p. 212-244. 2. New York Times, 26 juin 2012. Si vous pensez que ce prix a été attribué à Mixail Xodorkovskij, vous vous trompez. 3. On trouvera les détails de ces transformations sur le site Baxmet′evskij garaž. ru.wikipedia.org/wiki/Бахметьевский_гараж 4. Pour les précis de l’histoire des Juifs russes on consultera, par exemple: Simon Dubnow, History of Jews in Russia and Poland, Philadelphia, Jewish Publication Society, vol. 3, 1920; Salo Baron, The Russian Jews under tsars and soviets, New York, Schoken Books, 1978; Antony Polonsky, The Jews in Poland and Russia, The Littman Library of Jewish Civilization, vol. II-III, 2010-2012. 5. http://jewish.ru/news, 25 septembre 2012. 6. Il′ja Èrenburg, Бурная жизнь Лазика Ройтшванеца, Berlin, 1927. Cf. aussi Ewa Bérard, la Vie tumultueuse d’Ilya Ehrenbourg : Juif, Russe et Soviétique, Paris, Ramsay, 1991 (édition russe mise à jour, NLO, Moskva, 2009). 7. On consultera, entre autres, Simon Markish, le Cas Grossman, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1983. 8. Sur l’histoire du Livre noir, voir Il′ja Al′tman, préface à Il′ja Èrenburg, Vasilij Grosman, Черная книга, Moskva, 1993 ; et aussi Ewa Bérard, la Vie tumultueuse d’Ilya Ehrenbourg..., op. cit. 9. Pour la mémoire soviétique de la Seconde Guerre mondiale, voir Zvi Gitelman (ed.), Bitter legacy : confronting the Holocaust in the USSR, Bloomintgton, Indiana University Press, 1997. 10. Cf. G. V. Kostyrčenko (éd.), Государственный антисемитизм в СССР. От начала до кульминации. 1938-1953, Moskva, Meždunarodnyj Fond « Demokratija », 2005. On consultera aussi Yehoshua Gilboa, The Black Years of Soviet Jewry, Boston, Little-Brown, 1971. 11. Программа « Урок в центре толерантности », Еврейский музей и Центр толерантности, p. 9. 12. Ibid. p. 18.

RÉSUMÉS

En novembre 2012, à Moscou, eut lieu l’inauguration du « Musée juif et Centre pour la tolérance ». Le musée est situé sur le terrain du Centre communautaire Xabad-Ljubavič, dans un bâtiment constructiviste classé monument d’architecture. L’article se penche sur la place de ce musée dans la topographie urbaine, présente les parties prenantes de cette entreprise et son

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évolution. Une « visite guidée » de l’exposition, qui impressionne autant par sa richesse que par le déséquilibre dans le traitement qu’elle accorde aux époques et aux sujets successifs, tente de mettre au jour les tenants et les aboutissants de ce projet.

The inauguration of the ‘Jewish Museum and Centre for Tolerance’ in Moscow took place in November 2012. The museum is situated on the site of the community centre of Habad-Lubavich, in a constructivist building listed as a monument of architecture. This article examines the role of this museum in the urban topography, discusses the various stakeholders of this initiative and its evolution. A ‘guided visit’ to the exhibition, which impresses both by its richness and by the imbalance in the treatment of various epochs and subjects, reveals the various ramifications of this ideological project.

AUTEUR

EWA BÉRARD CNRS

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Некрополи террора на территории Санкт-Петербурга и ленинградской области The Memorialization of the Mass Burial Sites of the Victims of Soviet Terror in St. Petersburg from the Late 1980s to Nowadays Les nécropoles de la Terreur à Saint-Pétersbourg et ses environs de la fin des années 1980 à nos jours

Alexander D. Margolis

1 По официальным данным с 1918 по 1953 год в Петрограде-Ленинграде было казнено по политическим мотивам 58 тысяч человек. В последние четверть века выявлено несколько мест, где проводились расстрелы и/или захоронения казненных1.

2 В первую очередь это три места, которые образуют своего рода “треугольник террора”: Петропавловская крепость – Левашовская пустошь – Ковалевский лес. Два первых некрополя находятся на территории Санкт-Петербурга, третий – на территории Ленинградской области.

Петропавловская крепость

3 В 1988 году при прокладке коммуникационной траншеи у стены левого фаса Головкина бастиона Петропавловской крепости на глубине около метра были найдены человеческие останки. Они были извлечены из земли и почти 10 лет хранились в фондах Музея истории Санкт-Петербурга без экспертизы и вообще без какой-либо огласки. (fig. 1)

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Fig. 1 Головкин бастион Петропавловской крепости, у стены которого найдены останки казненных в период красного террора

© А. Д. Маргoлис. Перепечатается с разрешением общества Мемориал.

4 В марте 2007 года в ходе работ по замене инженерных коммуникаций вблизи Головкина бастиона на глубине двух метров от дневной поверхности вновь обнаружились человеческие кости. На этот раз строительные работы были приостановлены и о найденном захоронении сообщено Петроградскому РУВД. Собранные останки вместе с аналогичными находками 1988 года поступили в Бюро судебно-медицинской экспертизы. В августе 2007 года эксперты пришли к выводу, что фрагментированные останки принадлежат как минимум 6-ти мужчинам в возрасте от 20-ти до 60-ти лет. Огнестрельные пулевые повреждения одного из черепов не оставляли сомнений относительно причины смерти. Констатировалось, что “расположение найденных останков позволяет с большой долей вероятности утверждать, что погребенные являются частью более многочисленного захоронения”. На месте находок 2007 года поисковый отряд Ингрия заложил шурф 5 х 5 метров, но новых захоронений не выявил.

5 5 марта 2008 года Председатель правления Фонда имени Д. С. Лихачева писатель Даниил Гранин обратился с письмом к губернатору Санкт- Петербурга Валентине Матвиенко, в котором писал, что после революции “Петропавловская крепость служила не только тюрьмой, но и “лобным местом”. Полные списки расстрелянных в крепости людей пока не известны, но там погибли сотни людей. [...] Казненных хоронили, вероятно, у наружной стены крепости со стороны Кронверкского протока. Как раз там, где находят человеческие останки”. В заключение Гранин предлагал установить у стены

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Головкина бастиона “памятный знак, напоминающий об этих трагических событиях2”.

6 Администрация города ответила на это обращение отказом. Вице-губернатор Сергей Тарасов сообщил писателю, что “факты о массовых расстрелах на территории Петропавловской крепости не подтверждены документальными свидетельствами. В опубликованных мемуарах того времени встречаются лишь отрывочные свидетельства о выстрелах в крепости. Кроме того, Петропавловская крепость является памятником федерального значения, в связи с чем размещение на фасадах зданий Петропавловской крепости каких-либо мемориальных досок, либо установка памятного знака, изменяющего внешний облик Петропавловской крепости, недопустимы в соответствии с требованиями действующего законодательства. Учитывая вышеизложенное, установка памятного знака на территории Петропавловской крепости не представляется возможной3”. 7 Оба утверждения вице-губернатора не соответствовали действительности: к тому времени было опубликовано несколько свидетельств современников о казнях на Заячьем острове в первые годы советской власти4, а в Петропавловской крепости устанавливали и продолжают устанавливать памятные знаки и мемориальные доски. 8 Тем временем через территорию предполагаемого некрополя красного террора началась прокладка асфальтовой дороги к новой стоянке автотранспорта, устроенной возле Кронверкской куртины Петропавловской крепости. В ходе дорожных работ, 20 декабря 2009 года у стены Головкина бастиона (в 18 метрах к юго-западу от левого фаса) на глубине немногим более 1 метра вновь обнаружились человеческие останки. Строительные работы были остановлены сотрудниками Музея истории Санкт-Петербурга и на этот раз проведены тщательные археологические исследования под руководством научного сотрудника Института истории материальной культуры РАН Владимира Кильдюшевского. В расстрельной яме находились останки 16-ти человек с явными следами насильственной смерти (черепа с отверстиями от пулевых повреждений в затылочной части). Среди казненных был инвалид с давно ампутированной ногой и женщина средних лет. При расчистке останков обнаружилось большое количество разнообразных предметов, прежде всего фрагменты офицерского обмундирования и гражданской одежды. Кроме того, среди костей были обнаружены гильзы и пули от трехлинейной винтовки, револьвера системы Нагана и пистолета Кольта. Все найденные останки переданы для проведения исследований в Лабораторию судебно-медицинской экспертизы Ленинградской области профессору В. Л. Попову.

9 Находки декабря 2009 года и первые результаты их исследования вызвали большой общественный резонанс. Далее замалчивать тему некрополя террора у стен Петропавловской крепости стало невозможно. При активном содействии дирекции Музея истории Санкт-Петербурга в июне -июле 2010 года были проведены археологические поисковые работы на площади свыше 1 200 кв. метров у стены левого фаса Головкина бастиона. В результате экспедиция Владимира Кильдюшевского обнаружила еще 6 захоронений

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общей численностью свыше 90 человек, среди них – 5 женщин. Таким образом, общее количество казненных, останки которых были найдены вблизи Головкина бастиона, достигло к середине 2010 года 112-ти человек5. 10 После этого в исследовании некрополя террора наступила пауза, продолжавшаяся до осени 2013 года. Причина – отсутствие финансирования археологических работ и экспертизы останков. Соответствующие обращения за помощью со стороны Музея истории Санкт-Петербурга, “Мемориала” и других общественных организаций, адресованные властям различного уровня – от Правительства Санкт-Петербурга до Президента России, долгое время не давали никаких результатов. Только в 2012 году, наконец, руководством города было заявлено, что финансирование продолжения археологических раскопок будет открыто в следующем году. Экспедиция Кильдюшевского возобновила работу в октябре 2013 года. На этот раз исследовали территорию к северу от трассы, проложенной в 2009 году к автостоянке у Кронверкской куртины Петропавловской крепости. Археологи обнаружили здесь еще 4 захоронения с останками около пятидесяти казненных. В дальнейшем предстоит провести поисковые работы на площади более 1000 кв. метров, где могут быть расстрельные ямы. 11 Только после этого можно будет говорить об истинном масштабе первого некрополя советского террора и адекватных формах его мемориализации. Стоит отметить сделанное исследователями некрополя в Петропавловской крепости открытие, внушающее осторожный оптимизм в деле сохранения Памяти о жертвах террора. Как сказано выше, в расстрельной яме, обнаруженной в декабре 2009 года, находились останки 16-ти человек, среди которых, как установили эксперты, были инвалид и одна женщина средних лет. Сотрудники Музея истории Санкт-Петербурга обратили внимание на то, что в газете Петроградская правда от 20 декабря 1918 года (No 279, с. 3) опубликован список расстрелянных по постановлению Петроградской ЧК 13 декабря 1918 года. В этом расстрельном списке были названы именно 16 человек, в том числе генерал-майор флота Александр Николаевич Рыков и совладелица одного из петроградских кафе Вера Викторовна Шульгина. Выяснилось, что военный моряк Рыков лишился ноги при обороне Порт- Артура в 1904 году. Вслед за этим удалось разыскать внука Александра Рыкова, в семье которого хранили память о казненном деде. Генетическая экспертиза с участием потомков позволила окончательно идентифицировать останки генерала, расстрелянного в декабре 1918 года6.

Левашовская пустошь

12 Весной 1989 года в урочище “Левашовская пустошь” на Карельском перешейке поисковой группе общества Мемориал под руководством Валентина Муравского удалось обнаружить тайный могильник НКВД. Кладбище площадью 11,5 га около поселка Левашово было засекречено, обнесено глухим забором и охранялось органами госбезопасности7.

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13 19 апреля 1989 года начальник Ленинградского Управления КГБ генерал- лейтенант Анатолий Курков направил председателю КГБ СССР Владимиру Крючкову письмо, в котором, в частности, говорилось: [...] В последнее время со стороны определенной части общественности и работников средств массовой информации резко активизировался интерес к вопросу о наличии в Ленинграде мест захоронения жертв политических репрессий, предпринимаются инициативные попытки их поиска. Наряду с домыслами и инсинуациями проявилась осведомленность о кладбище в районе станции Левашово. [...] Имеется мнение о назревшей необходимости придать гласности сведения о кладбище в районе станции Левашово, что предпочтительно сделать после 14 мая с. г. (день повторных выборов народных депутатов СССР – А. М.). Однако не исключено, что до указанного срока обстановка по данному вопросу может осложниться, и в этом случае потребуется, на наш взгляд, ускорить доведение до средств массовой информации имеющихся у нас данных8. 14 18 июля 1989 года постановлением Исполкома Ленгорсовета тайный могильник был признан “Левашовским мемориальным кладбищем жертв политических репрессий”, первым и до сих пор единственным некрополем террора, получившим официальный статус в Санкт-Петербурге.

15 В 1965 году Ленинградским Управлением КГБ была составлена схема захоронений в Левашовской пустоши по опросам шоферов, которые отвозили тела казненных и умерших в тюрьмах и хоронили их (этот документ опубликован в 1995 году9). По данным Управления ФСБ по Санкт-Петербургу и Ленинградской области здесь с сентября 1937 по 1964 год похоронены 19 450 человек (в том числе около 8 тысяч в годы “большого террора”). Если же верить упомянутой схеме расположения захоронений, то в Левашово погребены 24 100 человек. В литературе можно встретить и иные числа – 46, 47 и даже 50 тысяч, но они документально не подтверждены. 16 Имена похороненных здесь неизвестны. Исключением являются шесть расстрелянных 1 октября 1950 года по “Ленинградскому делу” (Алексей Кузнецов, Петр Попков, Николай Вознесенский, Яков Капустин, Петр Лазутин, Михаил Родионов) и четверо расстрелянных 19 декабря 1954 года по делу министра госбезопасности Виктора Абакумова. 17 Еще до официальной передачи кладбища от Управления КГБ городу и снятия охраны, на его территории были отслужены первые панихиды по погибшим (21 октября 1989 и 14 апреля 1990 года). С весны 1990 года на деревьях стали появляться памятные знаки, фотографии, надписи, таблички. Первым общественным мемориальным знаком стал камень, положенный у развилки дорожек в центре кладбища, возле которого стали служить панихиды и ставить поминальные свечи. В мае 1992 года был установлен памятный крест-голубец.

18 В начале 1990-х годов по заказу городских властей 9-й мастерской института ЛенНИИпроект под руководством архитектора Алексея Лелякова был разработан проект строительства мемориального комплекса. Но этот проект так и не реализован. Все ограничилось тем, что благоустроили вход на кладбище со стороны Горского шоссе, а напротив входа мэр СанктПетербурга

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Анатолий Собчак 15 мая 1996 года открыл памятник Молох тоталитаризма (скульп. Нина Галицкая и Виталий Гамбаров). Характерно, что после Собчака ни один из руководителей городской администрации не нашел времени посетить Левашовскую пустошь, демонстрируя отсутствие интереса к судьбе мемориального кладбища. (fig. 2)

Fig. 2 Памятник Молох тоталитаризма перед входом на Левашовское мемориаль ноекладбише,1996

скульп. Нина Галицкая и Виталий Гамбаров. © А. Д. Маргoлис. Перепечатается с разрешением общества Мемориал.

19 Однако стихийное общественное благоустройство и мемориализация Левашовского кладбища не прекращались и продолжаются по сей день. В помещении бывшей караулки НКВД была создана выставка, посвященная памяти о расстрелянных. В 1993 году Ассоциацией жертв необоснованных репрессий сооружена деревянная звонница, колокол отлит на средства Российского Фонда мира. Различными общественными организациями и дипломатическими представительствами в Санкт-Петербурге установлены Белорусско-Литовский памятник (открыт 8 мая 1992 года, в церемонии приняли участие православный и католический священники и кантор Большой хоральной синагоги), Русский православный и Польский католический (октябрь 1993), Ингерманландский финский (октябрь 1994), Еврейский (октябрь 1997), Немецкий (январь 1998), Норвежский (октябрь 1998), Эстонский (октябрь 1999), Ассирийский (август 2000), Украинский (август 2001), Латышский (июнь 2004), Литовский (сентябрь 2004), Итальянский (июнь 2007) памятный знаки. 28 октября 2010 года состоялось освящение памятника “Католикам СССР – епископам, священникам, монашествующим и мирянам

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всех обрядов и национальностей – жертвам политических репрессий”. Региональными отделениями Мемориала и другими организациями поставлены памятники погибшим землякам – псковичам (1998), новгородцам (2006) и вологжанам (2010). Появились памятники расстрелянным насельницам Горицкого Воскресенского женского монастыря (1999), адвентистам седьмого дня (2007), членам Ленинградского общества глухонемых (2008), ленинградским энергетикам (2008), членам общины трезвенников-чуриковцев (2012), участникам Первой мировой войны 1914-1918 годов, расстрелянным в годы террора (2014), кенотафы протоиерею Федору Окуневу, заместителю председателя Совета Министров СССР Николаю Вознесенскому, физику Матвею Бронштейну, поэтам Николаю Олейникову и Борису Корнилову и многим другим. (fig. 3)

Fig. 3 Русский православный крест, установленный на Левашком кладбищеобществом Мемориал

© А. Д. Маргoлис. Перепечатается сразрешением общества Мемориал.

20 В течение последних двух десятилетий на Левашовскую пустошь приезжают родственники и друзья погибших в годы сталинского террора и стихийно обустраивают там надгробия-кенотафы, устанавливают самые разные памятные знаки – от монументов и крестов с фотографиями и датами жизни до скромных табличек, прикрепленных прямо к деревьям. При этом многие заведомо знают, что их близкие погибли и похоронены в других местах. Постепенно Левашовская пустошь стала уникальным мемориалом, свидетельством современной народной памяти о терроре, личной и семейной.

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21 С 2007 года Петербургский Научно-информационный центр Мемориал ведет учет памятников и памятных знаков на Левашовском кладбище, фиксируя каждый из них на карте-схеме. К началу 2008 года был зафиксирован и описан 901 памятный знак. В следующие три года их число достигло тысячи. Процесс стихийной мемориализации некрополя террора продолжается и в наши дни10. Особенно многолюдно на Левашовском мемориальном кладбище в поминальные дни: в первое воскресенье февраля – в День Собора новомучеников и исповедников российских и 30 октября – в День памяти жертв политических репрессий. 22 В 2010 году общественности был представлен эскизный проект строительства на территории кладбища православного Храма Всех Святых, в земле Санкт- Петербургской просиявших. Он получил благословение митрополита Владимира и патриарха Кирилла11. В настоящее время идет сбор средств на строительство этой церкви. По мнению общества Мемориал строительство храма возможно только за оградой мемориального кладбища, которое должно быть взято под охрану государства в качестве памятника истории и культуры. В Меморандуме Санкт-Петербургского общества “Мемориал”, принятом 28 января 2011 года, говорится: [...] строительство храма, относящегося к какой-то определенной конфессии, на территории кладбища, где покоятся останки людей самых разных религиозных убеждений, а также атеисты, – неуместно и нетактично. Появление православного храма на территории Левашовского кладбища [...] откроет дорогу строительству культовых сооружений иных конфессий, что приведет к фактическому уничтожению исторически сложившегося облика кладбища12. 23 У этой точки зрения есть много сторонников и общественная дискуссия продолжается.

Ковалевский лес

24 В декабре 1994 года в ответ на запрос Мемориала об архивных материалах о расстрелах в Петрограде в 1918 1921 годах заместитель начальника Управления ФСК по Санкт-Петербургу и Ленинградской области В. Л. Шульц сообщил: Сведениями о местах расстрелов и захоронений граждан к В[ысшей] М[ере] Н[аказания] в период с 1917 по 1937 год Управление не располагает13. 25 За прошедшие с тех пор 20 лет позиция хранителей материалов официального делопроизводства не изменилась.

26 Руководителю Петербургского Научно-информационного центра Мемориал Вениамину Иофе, который занимался поисками мест казней в годы красного террора, пришлось опираться исключительно на мемуарные свидетельства современников и доступный картографический материал. В этих свидетельствах в числе прочих (Петропавловская крепость, Кронштадт, Царское Село, Лисий Нос и так далее) упоминались в качестве мест расстрелов “Артиллерийский полигон на Ириновской железной дороге”, “овраги и болота между Ковалево и Приютино”, “окрестности Старого

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Ковалева”, “пойма реки Лубьи за Приютино” и т. п. В одном из свидетельств (В. Т. Будько) содержалось конкретное указание: Говорили старики о пороховом погребе у Приютина, что он был накопителем, то есть туда привезут, а потом выводят на расстрел. Так он стоит до сих пор, это точно14. 27 Действительно, на территории Ржевского артиллерийского полигона, который существует по сей день, между 4-м километром Рябовского шоссе и левым берегом реки Лубьи (Луппы), примерно в 300 метрах от оживленной трассы сохранились руины двухэтажного склада боеприпасов и лаборатории полигона. Это сооружение местные жители и называли то “пороховым погребом”, то “тюрьмою”15. В итоге своего скрупулезного исследования Вениамин Иофе пришел к выводу, что вблизи этого “порохового погреба” и следует искать останки расстрелянных в годы Гражданской войны, в том числе участников Кронштадтского восстания 1921 года и осужденных по делу Петроградской боевой организации, среди которых был поэт Николай Гумилев16.

28 Мемориальская группа Поиск, в которую входили Геннадий Филиппов, Михаил Пушницкий, Сергей Рощин, Леонид Лемберик и Виктор Хроменков в 1997 году начали исследование территории Ковалевского леса. Летом 2001 года примерно в 100 метрах от “накопителя” были обнаружены расстрельные ямы с человеческими останками. Простреленные черепа, найденные здесь пули и стреляные гильзы не оставляли сомнений в причинах насильственной смерти. Это подтвердила и организованная Мемориалом судебно-медицинская экспертиза. 25 августа 2001 года мемориальцы установили на фасаде “порохового погреба” памятный знак Жертвам красного террора. С тех пор Ковалевский лес стал известен городу и миру в качестве некрополя террора. Он активно посещается, идет знакомый нам по Левашовской пустоши процесс стихийной мемориализации. (fig. 4)

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Fig. 4 Мемориальная доска “Жертвам красного террора” на фасаде бывшего склада боеприпасов (“пороховой погреб”) в Ковалевском лесу

© А. Д. Маргoлис. Перепечатается с разрешением общества Мемориал.

29 Есть основания полагать, что расстрелы в Ковалевском лесу прекратились зимой 1921-1922 года. Приговоренных к смерти чекисты стали отправлять с Гороховой, 2 в основном на стрельбище Царского cела (с 1918 года – Детское cело) вблизи Казанского кладбища. Однако казни в 1920-х и в 1930-х годах продолжались и на Ржевском полигоне. Они были перенесены вглубь полигона на север, в район пустоши Койранганс, ближе к поселку Токсово.

30 В 2009-2010 годах Научно-информационный центр Мемориал (Санкт-Петербург) разработал концепцию создания в Ковалевском лесу Парка Памяти с Музейно-мемориальным комплексом. В основе концепции общенационального Мемориала памяти жертв террора лежит “средовой подход”: музейный центр, мемориальное кладбище, культовые сооружения – все это предполагается включить в единую ландшафтную среду (Парк Памяти). Концепция была одобрена Рабочей группой во главе с президентом Союза музеев России Михаилом Пиотровским и представлена на рассмотрение Президента страны. За прошедшие четыре года выросла гора бюрократической переписки, в которой приняли участие президент Медведев и многие другие государственные и религиозные деятели разного калибра. Никто не сказал нет, но дело так и не сдвинулось с мертвой точки. Это “скорбное бесчувствие” характеризует отношение современных российских властей к сохранению памяти о жертвах политических репрессий.

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NOTES

1. И. Флиге, «Кладбища жертв репрессий», в кн.: Санкт-Петербург: Энциклопедия, 2-е изд. испр. и доп, М., 2006, с. 368-369. 2. А. Марголис, «Первый остров архипелага ГУЛАГ», в сб.: Право на имя. Биографика 20 века: седьмые чтения памяти Вениамина Иофе, 20-22 апреля 2009, СПб., 2010, с. 150. 3. Копии писем Д. А. Гранина и С. Б.Тарасова хранятся в Архиве НИЦ “Мемориал” (СанктПетербург). 4. Н. Петрова, «Неизвестные захоронения на территории Заячьего острова», в сб.: Труды Государственного музея истории Санкт-Петербурга, СПб., 2007, вып. 15, с. 132-133. 5. В. Кильдюшевский, Н. Петрова, «Находки жертв красного террора в Петропавловской крепости», в сб.: Красный террор в Петрограде, М., Айрис-Пресс, 2011, с. 477-503. 6. Там же, с. 486-490. Наряду с Александром Рыковым в расстрельном списке, опубликованном в Петроградской правде, 20 декабря 1918 года, названы Кальман Абрамсон, Юрий Бетулинский, Михаил Веселкин, Александр Грабовский, Владимир Ковалевский, Иван Логин, Владимир Морозов, Павел Плен, Анатолий де Симон, Иван Смирнов, Георгий Соловьев, Иван Трифонов, Владимир Туманов, Иосиф Христик, Вера Шульгина. 7. «Левашовское мемориальное кладбище», в сб. “Нам остается только имя...”: Памятники жертвам политических репрессий Петрограда-Ленинграда, СПб., ДЕАН, 1999, с. 6-11. См. также: François-Xavier Nérard, «Visiter Levachovo, cimetière du stalinisme (1989-2010)», in: Delphine Bechtel et Luba Jurgenson (eds.), le Tourisme mémoriel en Europe centrale et orientale, Paris, Éditions Pétra, 2013, p. 239-259. 8. В. Иофе, Границы смысла: статьи, выступления, эссе, СПб., 2002, с. 77-78. Копия письма хранится в Архиве НИЦ “Мемориал” (Санкт-Петербург). 9. Ленинградский мартиролог: 1937-1938, т. I, СПб., Российская Национальная Библиотека, 1995, вклейка, илл. 26. 10. А. Баркова, «Левашовский мемориал как исторический источник», в сб: Право на имя..., с. 61-66. 11. «Проект часовни-памятника Всех Святых в Земле Санкт-Петербургской просиявших», в кн.: А. Разумов, Левашовское мемориальное кладбище, СПб., 2012, с. 44-45. 12. Архив НИЦ “Мемориал” (Санкт-Петербург). 13. Иофе, Границы смысла..., с. 136. 14. Там же, с. 132. 15. Неподалеку от руины “порохового погреба”, чуть ближе к Ржевке, в память детей блокадного Ленинграда в 1968 году был воздвигнут мемориальный комплекс “Цветок жизни”. 16. Иофе, « Первая кровь (Петроград, 1918-1921) », Звезда, СПб., 1997, No 8, с. 173-177.

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RÉSUMÉS

In the late 1980s, work began to identify, study, and memorialize the mass burial sites of the victims of Soviet terror. According to official data alone, between 1918 and 1953 in Petrograd/ Leningrad 58,000 people were executed for political reasons. A few sites of execution and burial have been identified so far, among which the Peter and Paul Fortress, Levashovo, and the Kovalevsky forest. This article is devoted to the history and analysis of these sites and their memorialization. In Levashovo more than 19,500 people were secretly buried, who had been executed or died in prison between 1937 and 1954. In 1989, city authorities declared this mass grave created by the NKVD the Levashovo Memorial Cemetery of the Victims of Political Repression. Since then, with the help of public organizations, more than 20 national or confessional monuments have been installed, as well as about 1000 personal memorial signs. In 2001, the society Memorial discovered the mass graves of the civil war in the Kovalevsky forest and placed a memorial sign ‘To the Victims of Red Terror’. In the Peter and Paul fortress, systematic archaeological study of the execution site near the Golovkin bastion has been under way since 2010 and has already exhumed the remains of 160 victims executed in the first years of the Soviet regime. But there is yet no agreement on the shape of a future memorial near the walls of the fortress.

À la fin des années 1980, on a commencé à identifier, étudier et transformer en mémorial les sites d’inhumation massive des victimes de la terreur soviétique. Selon les seules sources officielles, entre 1918 et 1953 à Petrograd/Leningrad, 58 000 personnes ont été exécutées pour des raisons politiques. Quelques sites d’exécution et d’inhumation ont été identifiés jusqu’à présent, parmi lesquels la Forteresse Pierre-etPaul, Levašovo et la forêt Kovalevskij. Cet article est consacré à l’histoire de ces sites. À Levašovo, ont été secrètement inhumées plus de 195 000 personnes, exécutées ou mortes en prison entre 1937 et 1954. En 1989, les autorités de la ville ont donné à cette fosse commune créée par le NKVD-MGB le statut de « Cimetière mémorial de Levašovo des Victimes de la Répression Politique ». Depuis, avec l’aide d’organisations publiques, plus de 20 monuments nationaux ou confessionnels ont été érigés, ainsi qu’environ 1000 signes mémoriels personnels. En 2001, la société « Mémorial » a découvert des fosses communes de la guerre civile dans la forêt Kovalevskij et a placé un monument «Aux victimes de la terreur rouge ». Dans la forteresse Pierre-et-Paul, une étude archéologique systématique du site d’exécution près du bastion Golovkin a été entreprise depuis 2010 et a déjà exhumé les restes de 160 victimes exécutées dans les premières années du régime soviétique. Mais il n’y a pas encore d’accord sur la forme d’un futur mémorial près des murs de la forteresse.

AUTEUR

ALEXANDER D. MARGOLIS Société pour la protection du patrimoine historique et culturel Saint-Pétersbourg

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Chronique bibliographique

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Paul GARDE, l’Accent Limoges, Lambert-Lucas, 2013, 169 pages

Robert Roudet

RÉFÉRENCE

GARDE Paul, l’Accent, Limoges, Lambert-Lucas, 2e éd. corrigée et augmentée, 2013, 169 p. ISBN 978-2-35935-089-0

1 Cet ouvrage est une réédition du livre de 1968 sous le même titre et comporte quelques ajouts et quelques précisions. La première édition a été traduite en italien, espagnol et croate et une traduction russe de la nouvelle édition est en préparation. Cet indéniable succès éditorial est dû, d’une part, à la rareté d’ouvrages de linguistique générale consacrés aux problèmes d’accentologie, et d’autre part, à la nouveauté de la démarche de l’auteur qui n’hésite pas à introduire une série de concepts originaux rendant compte de faits d’accents mal interprétés jusqu’alors.

2 La première partie, intitulée « Les constantes de l’accent » aborde tout d’abord la question de la définition de l’accent. Il est défini par sa fonction qui est une fonction contrastive, ce qui oppose l’accent aux traits distinctifs (tels que nasalité, sonorité, etc.) dont la fonction est oppositive. Ce point est précisé par la suite (2e chapitre) : des critères sont donnés permettant de distinguer les traits accentuels des autres traits phoniques pertinents. Cette différenciation de l’accent et des traits distinctifs se fait sur l’exemple du russe. Une distinction est tracée entre ce qui est dû à un déplacement d’accent et ce qui est dû à des alternances de traits distinctifs. Ce point est illustré par des exemples de l’allemand (avec le phénomène de Umlaut), du tchèque avec le problème de longueur, et de langues amérindiennes. L’auteur introduit les concepts d’unité accentuable et d’unité accentuelle, qui sont des unités radicalement différentes l’une de l’autre : les premières sont très généralement la syllabe, les secondes le mot. Le mot, qui manque souvent d’une définition un tant soit peu précise, est ici défini comme étant un syntagme normalement accentogène. Ceci rétablit l’unité du rôle de l’accent dans les langues à accent fixe et à accent libre : la seule différence entre ces deux

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systèmes est que dans le cas de l’accent libre, il existe un lien entre la place de l’accent et la subdivision du mot en morphèmes, lien absent dans les langues à accent fixe.

3 Une différence est tracée entre les procédés accentuels positifs (intensité, hauteur et longueur), c’est-à-dire des procédés prosodiques, et les procédés négatifs (en russe les réductions vocaliques). Notons que cette notion de procédé accentuel négatif a été introduite par P. Garde. Une notion intéressante est également celle d’écho de l’accent. L’écho de l’accent se manifeste en russe par une réduction vocalique moindre dans certaines syllabes ; un cas curieux est mentionné avec le japonais où l’écho de l’accent se manifeste sur toute une série de syllabes précédant la syllabe accentuée. L’accent secondaire est défini, lui, comme un accent venant mettre en relief une syllabe d’une autre unité accentuelle que l’accent principal (comme en allemand dans les mots composés tels que B’’ürgerm’eister). Sont examinés ensuite les procédés accentuels négatifs (que toutes les langues n’ont pas, mais le chinois ne connaît au contraire que ces procédés-là) et qui consistent de façon générale en la réduction des capacités distinctives des syllabes inaccentuées.

4 La seconde partie (« Les variables de l’accent ») commence par un essai de délimiter l’unité accentuelle. Les langues se répartissent en deux catégories : les langues à morphèmes accentogènes (notion introduite également par l’auteur), comme l’allemand entre autres, et les langues à syntagmes accentogènes (langues slaves et romanes). On voit bien la différence en comparant W’’asserf’all (chaque racine conserve son accent) et vodop’ad (chute d’eau) qui représente une seule unité accentuelle avec, donc, un seul accent. Dans le cadre de l’examen du problème des clitiques, il convient d’attirer l’attention sur le fait que les clitiques ne sont pas inaccentuables mais seulement non accentogènes, comme le prouve le cas du russe avec l’accent de n’a golovu où la préposition, enclitique, porte l’accent. Ensuite est abordé le problème des unités accentuelles hiérarchisées et le comportement d’un certain nombre de langues à cet égard.

5 On en arrive au problème de la place de l’accent (chapitre V). L’auteur fait une distinction très nette entre langues à accent fixe où la place de l’accent dépend des limites du mot et langues à accent dit « libre » où cette place dépend de la structure morphologique du mot en tant qu’unité accentuable. Ainsi, en français ou en tchèque il suffit de savoir que l’accent tombe sur la dernière syllabe (en français), ou la première (en tchèque). Mais dans les langues telles l’italien, l’allemand ou le russe, ce sont les propriétés accentuelles des morphèmes qui déterminent la place de l’accent. Ces propriétés accentuelles sont de trois types : la force accentuelle, la place de l’accentuation et la dominance.

6 La force accentuelle est définie comme la capacité de certains morphèmes (morphèmes forts) à déterminer la place de l’accent par rapport à eux-mêmes, les morphèmes n’ayant pas cette capacité étant des morphèmes faibles ; un mot composé uniquement de morphèmes faibles a un accent récessif, c’est-à-dire le plus à gauche possible, un mot contenant plusieurs morphèmes forts a un accent déterminé par le premier d’entre eux.

7 Vient ensuite la place de l’accentuation, propriété des morphèmes qui peuvent être autoaccentués, préaccentués, ou postaccentués. Deux règles tout à fait claires sont données sous les noms remarquablement évocateurs « d’effet boomerang » (l’accent repart « en arrière ») et « effet ricochet » (il saute plus loin) pour les conflits dans les

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séquences composées par de tels morphèmes (séquence morphème postaccentué / morphème préaccentué, par exemple).

8 Enfin un trait simple peut jouer, celui de la dominance qui est la propriété d’un morphème d’imposer ses propriétés accentuelles indépendamment des autres morphèmes (le suffixe imperfectivant ‘-iva préaccentué par exemple).

9 Ces principes (dont l’exposé ci-dessus n’est qu’un aperçu simplifié) permettent de donner une description tout à fait satisfaisante du fonctionnement de l’accent en russe, en particulier de sa mobilité lors de la flexion. La démonstration en est faite sur la déclinaison des substantifs en -a. On pourrait donc considérer que l’on arrive à des règles qui rendent la place de l’accent prévisible une fois établies les propriétés accentuelles des différents morphèmes, mais un point vient restreindre cette prévisibilité : il s’agit du problème des allomorphes. En particulier, la désinence de nominatif pluriel, qui est normalement faible, connaît une variante forte préaccentuée, de même que les autres désinences de pluriel, elles, normalement fortes autoaccentuées. La désinence d’accusatif singulier, normalement faible, a une variante forte autoaccentuée. Le caractère de ces morphèmes n’est pas prévisible, rien ne permet a priori de dire à quelle variante nous aurons affaire. Aucun type de description ne peut éviter cet écueil qui tient à la langue elle-même et à son évolution. La prévisibilité plus ou moins grande de la place de l’accent dépend bien sûr de la fréquence relative de la réalisation de ces variantes allomorphes.

10 Ce livre se termine enfin par l’examen des cas des langues à plusieurs types d’accent (grec, serbo-croate, lituanien en particulier). On notera plus spécialement une tentative d’ordonner et de simplifier les faits du serbo-croate. La théorie générale de l’accent proposée ici, qui date dans tous ses grands traits de 1968, n’a apparemment jamais été remise en cause, et Paul Garde a donc sans doute atteint le but qu’il s’assignait : clarifier toute une série de questions d’accentologie et donner un cadre général dans lequel puisse s’inscrire l’ensemble des faits accentuels des langues du monde. Ce livre est donc toujours parfaitement d’actualité et il reste irremplaçable pour un linguiste russisant.

AUTEURS

ROBERT ROUDET Université Jean Moulin Lyon 3

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Pierre PASCAL, Journal de Russie (1928-1929) Paris, Éditions Noir sur Blanc, 2014, 767 pages

Véronique Jobert

RÉFÉRENCE

PASCAL Pierre, Journal de Russie (1928-1929), édité et annoté par Jacques Catteau, Sophie Cœuré, Julie Bouvard, Paris, Éditions Noir sur Blanc, 2014, 767 p. ISBN 978-2-88250-354-1

1 Quatre volumes du journal de Russie de Pierre Pascal, couvrant les années 1916 à 1927, avaient été édités de son vivant. Le journal qu’il a tenu au cours des années 1928 et 1929, en revanche, était resté en l’état de manuscrit et n’avait pas été annoté ni commenté par l’auteur lui-même. Il est enfin publié, grâce à l’énorme travail fourni par Jacques Catteau, Sophie Cœuré et Julie Bouvard pour composer ce texte et rédiger les multiples notes indispensables au lecteur (sans oublier l’importante chronique biographique). D’innombrables noms propres sont en effet cités, qui concernent des personnages historiques ou politiques bien souvent tombés depuis dans l’oubli. Beaucoup d’entre eux figurent de façon tronquée ou codée en raison des précautions prises par l’auteur vis-à-vis de la censure qui sévissait à l’époque. Toute correspondance, surtout avec l’étranger (or il reçoit des lettres de Boris Souvarine), était de plus en plus surveillée, la tenue d’un journal personnel était dangereuse, surtout pour quelqu’un, comme Pierre Pascal, qui fréquentait les milieux de l’opposition.

2 En effet, la période concernée, les années 1928 et 1929, est celle du « grand tournant » opéré par Stalin, qui lance la collectivisation des campagnes et l’industrialisation forcée, au prix d’une répression impitoyable. Elle sonne le glas de tous les espoirs qu’avait pu nourrir Pascal en la révolution bolchevique en 1917. Il continue pourtant, malgré son progressif désengagement de la lutte politique, à côtoyer des syndicalistes,

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anarchistes, sociaux-révolutionnaires, membres du Komintern devenus entre-temps des opposants, en butte aux persécutions. Ce journal, écrit méthodiquement et consciencieusement quasiment jour après jour, nous permet d’abord de nous faire une idée de la vie quotidienne en URSS. Les difficultés éprouvées par la population soviétique sont évoquées à maintes reprises.

3 La misère est générale, en raison de la cherté de la vie, dont Pierre Pascal donne maints exemples chiffrés, en tournant à l’occasion en dérision les baisses de prix annoncées qu’infirment les hausses réelles. En juin 1928, il y a pénurie de pain en Ukraine (qui fut naguère le grenier à blé de l’Europe). Ce sera le cas à la fin de l’année à Moscou (p. 420), où de surcroît on ne trouve pas d’œufs, ni de beurre. En mars 1929 les cartes de rationnement pour le pain seront introduites dans la capitale et à la fin du mois de mai il est impossible de se procurer de la viande. Aussi n’est-il pas étonnant que l’auteur note, le 24 août : « Impression de famine – et sensation de faim » (p. 644). Le lancinant problème du logement oblige à recourir à des combinaisons invraisemblables, y compris des mariages blancs, pour garder ou trouver une chambre (p. 302). La hausse des loyers frappe tout le monde. Les punaises sont un fléau. Les rares artisans ou petits commerçants privés ont la vie impossible. Écrasés d’impôts, ils sont souvent contraints d’abandonner leur activité qui pourtant était tellement utile aux consommateurs. Ainsi en est-il d’un cultivateur de fraises (p. 368). La désorganisation économique, la gabegie et l’incurie, qui allaient être la constante de la vie économique en URSS pendant les décennies suivantes, sont également relevées par l’auteur. Ainsi des wagons entiers de légumes pourrissent (p. 691), des machines-outils toutes neuves rouillent sur place.

4 En décembre 1928, Moscou se retrouve « sans Noël » (p. 421) car la vente des arbres de Noël a été interdite. La lutte antireligieuse qui sévit prend aussi des formes plus odieuses : coupoles décapitées de leur croix, églises détruites, etc. Comme on s’efforce également de supprimer les fêtes religieuses, « c’est le chaos le plus complet avec les fêtes » (p. 530). La préoccupation des autorités devant le fléau national que représente l’alcoolisme est évoquée avec une certaine ironie et moult chiffres à l’appui, puisés dans la presse soviétique de l’époque. Le scandale des emprunts d’État prétendument volontaires, mais en fait forcés, avec obligation de souscrire jusqu’à un mois de son salaire, est dûment relaté par Pierre Pascal, qui refuse d’obtempérer, malgré les risques encourus (p. 311). La misère est due notamment à des salaires dérisoires, le travail se fait aux pièces, les normes de production imposées aux travailleurs dans l’industrie ont tendance à augmenter sans cesse (p. 219) et toutes les occasions sont bonnes pour réduire la paye (p. 238). Les conditions de vie des ouvriers sont scandaleuses, que ce soit dans le Donetsk ou dans les mines d’amiante de l’Oural, aussi les accidents de travail sont-ils fréquents. De pauvres mères passent en justice pour vol de nourriture destinée à leurs enfants et sont sévèrement punies, ce qui révulse Pierre Pascal qui se rappelle la position de Saint Thomas d’Aquin (p. 265) légitimant le vol en cas de nécessité urgente.

5 Mais au-delà de toutes ces observations sur la vie quotidienne consignées par l’auteur, c’est un réquisitoire virulent que l’auteur, écœuré par l’orientation prise par le pouvoir, prononce contre le régime en place. Il est scandalisé par l’inégalité qui règne partout, entre ouvriers et employés, directeurs et subordonnés, travailleurs étrangers et nationaux. Il cite ainsi le cas d’un consultant allemand touchant « 500 r. or par jour » (p. 235) pour des conseils relevant du pur bon sens. Les citoyens « privés de droits » ne reçoivent pas de cartes de rationnement et doivent payer leur pain deux fois plus cher.

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Les enfants d’intellectuels ou de ci-devant ne sont pas admis à l’université, bien qu’ayant réussi le concours d’entrée.

6 L’hypocrisie des autorités est tout aussi scandaleuse. En avril 1928 Jénie, la femme de Pascal, est licenciée, pour des raisons vraisemblablement politiques, et ce dernier note avec amertume que l’administration soviétique fait semblant de respecter les lois, tout en instaurant un régime de surveillance constante. « L’esclavage rétabli » (p. 179) conclut-il, dégoûté.

7 Pierre Pascal est un observateur attentif de la réalité qui l’entoure. Il lit assidûment la presse soviétique de l’époque (Pravda, Komsomolskaja Pravda, Trud, Rabočaja gazeta, Krasnaja gazeta, Kovš, etc.) qui lui fournit à l’occasion les données chiffrées servant à étayer son argumentation. Il apprend aussi à lire entre les lignes, comme le feront pendant des décennies les intellectuels soviétiques. Alors qu’un incendie a éclaté à l’Institut Lenin, les autorités s’efforcent tellement de cacher ce fait divers, que tout observateur averti finit par être convaincu qu’il s’agit d’un acte malveillant. À lire ce journal on peut s’étonner du nombre de révoltes, grèves, de troubles divers qui éclatent ici ou là. En Adjarie une révolte aura duré 22 jours ; des jacqueries paysannes sont signalées dans la province de Pskov (p. 542) ; des manifestations ont lieu dans une gare de Moscou en solidarité avec le départ forcé d’exilés (p. 459).

8 L’A. nous informe systématiquement sur les poches de résistance, bien plus nombreuses qu’on ne l’imagine, qui existaient encore à l’époque, du fait de l’activité inlassable de groupes oppositionnels avec lesquels Pascal était en relation. C’est ainsi que l’on apprend, jour après jour, le nombre d’opposants arrêtés, exilés, emprisonnés, expulsés. Des noms célèbres sont cités, tels que Trotski, Radek, Victor Serge (le beaufrère de l’A.), Vaganian, Preobraženskij et tant d’autres. 42 arrestations sont signalées le 20 mai 1928 ; 6 000 nepman sont déportés (p. 360). Pascal remarque qu’à la veille des fêtes il y a une augmentation du nombre d’arrestations : près de cent en novembre 1928, encore une centaine en janvier 1929 ; 250 opposants sont arrêtés pour le 1er mai 1929 à Moscou.

9 La répression, est en effet, impitoyable dans cet État policier, où l’enregistrement des postes de radio est obligatoire, où les correspondants ouvriers (rabkory) sont en fait des espions à la solde des autorités, où des rafles totalement arbitraires sont pratiquées dans la rue, des gens disparaissant du jour au lendemain sans laisser de traces. Pierre Pascal a l’honnêteté de faire des comparaisons qui ne font pas honneur au régime en place en Union soviétique. Il signale ainsi la multiplication d’exécutions capitales. Il lit dans Le messager socialiste qu’il y a eu depuis la révolution 25 000 à 30 000 prisonniers et exilés politiques. Il en conclut : « C’est beaucoup plus que sous l’ancien régime » (p. 413). Et comme cela laisse tout le monde indifférent il pense que l’on assiste à une régression de l’humanité. À son corps défendant Pascal est obligé de reconnaître « qu’il ne reste plus rien de l’idéal de 1917 » (p. 226).

10 Si l’A. est profondément attristé par l’évolution politique et sociale du pays, il est scandalisé de voir la trahison des communistes et intellectuels de gauche étrangers. Les voyages organisés pour des touristes étrangers le sont de façon à leur cacher avec beaucoup d’habileté la réalité. Ainsi, un ouvrier français trouve Moscou admirable et Pascal reste médusé par la façon dont on a su le tromper. Le ralliement d’intellectuels tels que Romain Rolland et tant d’autres laisse supposer qu’ils se laissent acheter, vu les honoraires exorbitants qu’ils touchent. Même Istrati déçoit Pascal par son embourgeoisement (il se fait payer un voyage à travers la Russie « aux frais de la princesse ») et le manque de courage qu’il manifeste en n’intervenant pas pour faire

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libérer Victor Serge (p. 268). Sans parler de Barbusse, thuriféraire du pouvoir soviétique, dont un livre sur le Caucase « ment si effrontément qu’on n’ose pas le publier en russe » (p. 384). La conclusion qui s’impose est affligeante : « À l’étranger dire la vérité, c’est ruiner la foi dans le socialisme » (p. 424).

11 Mention particulière doit être faite des nombreux calembours, anecdotes et histoires drôles qui circulent à l’époque et que Pascal consigne avec gourmandise. Citons ne serait-ce qu’un exemple : « Qu’est ce que le mausolée ? C’est le tombeau de Lénine. Et qu’est-ce que Lénine ? C’est le tombeau de la Russie », explication donnée par un jeune père à son petit garçon sur la Place Rouge. Ce goût pour la satire que manifeste le peuple russe tout au long de son histoire ne tarira jamais.

12 Dans un registre tout autre, il y a aussi un point qui mérite d’être relevé : l’A. signale à maintes reprises des suicides, tellement nombreux qu’on peut évoquer une « épidémie » (p. 236). Cela en dit long sur le désespoir dans lequel sont plongés tant de Soviétiques à l’époque.

13 Heureusement, Pierre Pascal sait aussi trouver quelque consolation dans la campagne russe, qui lui inspire de magnifiques descriptions lyriques. Cela montre l’exceptionnel témoignage que représente ce Journal de Russie 1928-1929. On retrouve bien entendu sous sa plume des observations qui ont été faites dans d’autres correspondances, mémoires ou journaux intimes concernant la période stalinienne. Mais ces notes, prises au jour le jour par ce futur éminent slaviste amoureux du peuple russe, ont le mérite de nous révéler l’extrême complexité de la situation en Union soviétique. En effet, l’A., en tant qu’étranger, bénéficiant d’un recul dont ne jouissaient pas les Soviétiques, sait se livrer à des analyses étonnantes, pour l’époque, par leur justesse et leur subtilité. Cet ouvrage constitue une contribution importante à l’histoire de l’Union soviétique.

14 Deux petites erreurs doivent être signalées : les rues Chpalernaïa (Špalernaja) et Gorokhovaïa (Goroxovaja) sont situées à Leningrad et non pas à Moscou (p. 215) ; il y a confusion entre le nouveau calendrier (grégorien) et l’ancien (julien) : le 2 mars c’est la date du nouveau calendrier (p. 529).

15 Enfin, dans la lettre au langage crypté de Souvarine reçue par Pascal (p. 229), « Pellico » est sans doute une allusion à Silvio Pellico (1796-1854), poète patriote italien qui fut condamné à mort en 1820 et passa quinze années en prison. Le 9 janvier 1932 Ol′ga Aleksandrovna Voejkova utilise dans une lettre le même procédé pour signaler l’arrestation d’un ami1. Elle recourt aussi fréquemment à des métaphores médicales dans le même but, comme Pascal l’évoque en mai 1928, en relatant un quiproquo amusant (p. 240).

NOTES

1. Когда жизнь так дёшево стоит... Письма O. А. Толстой-Воейковой, 1931-1933 гг., publication et commentaires de Véronique Jobert, Sankt-Peterburg, Nestor-istorija, 2012, p. 162.

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AUTEURS

VÉRONIQUE JOBERT Université Paris-Sorbonne

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Elena SIMONATO et Patrick SÉRIOT (eds.), Polivanov Evgenij : pour une linguistique marxiste Limoges, Lambert-Lucas, 2014, 252 pages

Roger Comtet

RÉFÉRENCE

Polivanov Evgenij : pour une linguistique marxiste, Elena Simonato et Patrick Sériot (eds.), articles choisis, édités et présentés par Elena SIMONATO, trad. Elena SIMONATO et Patrick SÉRIOT, Limoges, Lambert-Lucas, 2014, 252 p. ISBN 978-2-35935-079-1

1 Avant même que Polivanov ne soit réhabilité en 1963 avait commencé un important travail de redécouverte et de réédition de son œuvre qui s’est prolongé jusqu’aux années 1970 et au début de la décennie suivante ; désormais, on en est au temps de la récolte, avec l’évaluation et l’interprétation de l’œuvre d’un linguiste à la pensée profondément originale, à la destinée aussi romanesque1 et exceptionnelle que tragique et dont les multiples facettes sont encore loin d’avoir été toutes explorées. Rappelons qu’un colloque lui avait déjà été dédié à Paris en 2009 : « Evgenij Polivanov (1891-1938) et sa contribution à la linguistique »2, cependant que le japonisant Vladimir Alpatov s’emploie à éclairer avec érudition les zones d’ombre qui entourent encore ce linguiste hors normes3.

2 C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’édition dont nous rendons compte et qui ne saurait se limiter à une simple traduction en français de textes emblématiques de cet auteur, tant le travail annexe de présentation, de commentaire et de mise en contexte y est important. Le titre de l’ouvrage reprend bien sûr celui du recueil publié par Polivanov en 19314 ; des onze composantes de celui-ci, n’ont été retenus que quatre textes à même de « donner un échantillon représentatif des sujets de prédilection de

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notre auteur » (p. 29) et qui trouvent leur place parmi les cinq grandes parties du recueil. Il s’agit de « Linguistique historique et politique linguistique » (p. 41-87), « La phonétique du parler de l’intelligentsia » (p. 101-125), « Caractéristiques phonétiques des dialectes des groupes sociaux et en particulier du russe standard » (p. 131-171) et « À propos du jargon des élèves et des “slavonismes” de la révolution » (p. 183-205).

3 L’introduction d’Elena Simonato (p. 11-30) est suivie de la traduction de ces textes assortis chaque fois d’une présentation et de « notes des traducteurs » ; on rappellera que, conformément aux principes de la collection « Bilingues en sciences humaines » des éditions Lambert-Lucas et selon une présentation désormais bien rodée, on nous propose chaque fois une confrontation, page par page, du texte russe et de sa traduction française ; la pagination originale est par ailleurs indiquée au fil du texte, pratique peu courante et pourtant appréciée par les chercheurs.

4 La première partie où figure « Linguistique historique et politique linguistique » est placée sous l’en-tête de « Le planificateur linguistique » (p. 31-92). On trouve ensuite, dans une deuxième partie intitulée « Le pionnier de la linguistique urbaine », « La phonétique du parler de l’intelligentsia » (p. 101-125) et « Caractéristiques phonétiques des dialectes de groupes sociaux et en particulier du russe standard » (p. 131-175). Le recueil se termine sur une troisième partie, « Penser l’avenir linguistique » (p. 177-208), articulée autour de « À propos du jargon des élèves et des “slavonismes” de la révolution » (p. 183-205). Le tout est complété par d’utiles annexes (p. 209-269) où l’on trouvera un index des auteurs et personnages cités par Polivanov, un relevé chronologique de ses œuvres connues à ce jour, un autre des inédits les plus importants conservés dans les archives, une bibliographie générale5, et, pour finir, trois lettres adressées par Polivanov à Nikolaj Marr, l’une sans date, les deux autres de 1925 (p. 237-249), assorties de leurs fac-similés et qui sont conservées dans les archives de l’Académie des sciences à Saint-Pétersbourg.

5 De toute évidence, la thématique qui sous-tend la présentation des textes est celle de la sociolinguistique, thème qui est loin d’épuiser l’infinie variété de l’œuvre polivanovienne, avec son ouverture aux langues orientales et extrême-orientales, son intérêt pour la phonologie, la didactique des langues, la théorie littéraire (voir sa collaboration à l’Opojaz), etc. Ce choix a été visiblement orienté par les centres d’intérêt personnels d’Elena Simonato dont on connaît les contributions au thème de la planification linguistique et de la sociolinguistique en URSS entre les deux guerres6.

6 Pourtant, le premier texte est axé sur la défense de la méthode historico-comparative qui avait dominé la linguistique jusqu’alors contre ceux qui la remettent en cause ; Polivanov réfute soigneusement tous les arguments qui voudraient en faire une science bourgeoise marquée d’a priori contre les langues non indo-européennes ; il montre que ses acquis sont un noyau dur résultant d’un autodynamisme du système, noyau qui n’est pas plus discutable que les formules de la chimie et de l’algèbre, et que sa méthode a pu s’appliquer déjà avec succès au domaine non indo-européen, en fonction des aléas de l’histoire et de la géographie (par exemple, les langues finnoises ont été étudiées par les savants occidentaux plutôt que les langues caucasiennes pour des raisons évidentes de proximité dans l’espace). Apparaît ici en filigrane la critique du japhétisme, de « nos révisionnistes idéologiques » qui pourfendent l’« aristocratisme racial » (p. 72-73)7 et Elena Simonato aurait pu insister sur cet aspect polémique du texte alors que son introduction (p. 33-39) concerne en fait l’ensemble de Pour une linguistique marxiste et non spécifiquement ce texte polémique.

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7 Le texte qui suit, consacré à la phonétique du parler de l’intelligentsia, est d’abord le prétexte à un long exposé consacré au rapport entre l’influence de la société sur la langue et les lois purement linguistiques qui en règlent l’évolution ; la conclusion, comme dans le texte précédent, préserve les acquis de la linguistique traditionnelle dans une sorte de distribution complémentaire des deux approches : « En réalité, reconnaître le fait que le langage dépend de la vie et de l’évolution de la société (et, par conséquent, du développement économique en premier lieu) n’annule et ne nie aucunement le rôle des “théories de l’évolution langagière” historico-naturalistes. » (p. 105) Polivanov constate aussi que les changements linguistiques induits par la Révolution concernent en fait surtout le vocabulaire, c’est-à-dire les superstructures de la langue ; on croirait déjà ici lire la réfutation du marrisme par Stalin en 1950 ! Ceci fait, Polivanov passe au vif du sujet en montrant que les particularités phonétiques du parler de l’intelligentsia russe s’expliquent par l’influence des langues étrangères avec lesquelles ses représentants sont familiers.

8 La problématique du texte suivant consacré à la phonétique des dialectes sociaux est du même ordre ; Polivanov s’interroge sur la langue standard de l’époque postrévolutionnaire, pense que l’on s’oriente vers un certain nivellement favorisé par la loi d’économie et constate que, si le changement s’opère surtout dans le domaine lexical, il subsiste encore des particularités phonétiques qui caractérisent les différents dialectes sociaux, à commencer, comme dans le texte précédent par celui de l’intelligentsia ; en observant son phonétisme propre8, Polivanov ajoute ici à l’influence de la connaissance des langues étrangères sur les habitudes de prononciation celle des formes écrites, qui ne transcrivent pas toujours exactement la phonologie de la langue ; tout cela aboutit en fait à esquisser un véritable marqueur social.

9 Le dernier texte qui s’intitule « À propos du jargon des élèves et des “slavonismes” de la révolution » fait écho aux préoccupations des puristes, inquiets de l’ « abaissement du style » (p. 185), de la « corruption du langage » (p. 87) ; pour lutter contre le premier phénomène qui sévissait déjà avant la Révolution (et qui va être valorisé dans un premier temps par les bolcheviks), Polivanov nous invite à en chercher les causes qu’il trouve dans le besoin de la jeunesse de s’affirmer à travers un code identitaire provocateur emprunté à l’argot criminel ; il s’en prend ensuite aux nouveaux « slavonismes », c’est-à-dire à des clichés éculés repris dans le discours politique et pratiquement vidés de sens qu’il convient d’éliminer au profit de la « parole vivante » (p. 205) dans la mesure où ils ont perdu toute « fonction communicative réelle » (p. 201)9. On découvre ainsi un Polivanov partisan d’une conception normée du langage.

10 Des trois lettres de Polivanov à Marr qui figurent à la fin du recueil, la troisième, datée du 20 août 1925, avait déjà été publiée dans la monographie de V. Larcev consacrée à Polivanov en 198810 qui signalait aussi l’existence de la deuxième lettre11 ; même si elles ne nous apprennent rien de vraiment nouveau, ces missives nous rappellent que les relations entre les deux savants demeurèrent longtemps empreintes d’une neutralité bienveillante et Polivanov ne trouva guère à redire au japhétisme tant que celui-ci se cantonna aux langues du Caucase méridional (c’est d’ailleurs avec Marr que Polivanov s’était initié au géorgien) ; c’est peu après, à partir de 1926, que les choses se gâtèrent lorsque s’affirma la « Nouvelle théorie du langage » que n’aura plus de cesse de critiquer Polivanov. Mais on n’est ici encore qu’en 1925 et on voit Polivanov, qui réside à Tachkent depuis 1921 et s’y sent isolé, demander au « très respecté Nikolaj Jakovlevič » de faciliter ses projets de publication et de l’aider à obtenir un poste à

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Léningrad et aussi de s’opposer au démantèlement de la bibliothèque de l’ancien Institut Lazarev (fonds géorgiens et arméniens, ces derniers en représentant « la partie la plus précieuse », p. 242) ; Polivanov consulte aussi le spécialiste des langues caucasiennes sur des étymologies dont il a besoin dans ses recherches sur les « “japhétismes” dans les langues finnoises » (p. 248) ; on pourra d’ailleurs se reporter à l’introduction au recueil pour en savoir plus sur les relations entre les deux savants à cette époque (p.18-22). Peut-être aurait-il été indiqué ici de préciser si les projets de publication évoqués par Polivanov furent suivis d’effet et de rappeler, si ce fut le cas, leurs références bibliographiques.

11 Tel qu’il se présente, l’ouvrage peut constituer une introduction utile à l’œuvre de Polivanov pour les non russisants, dans la mesure où nous ne disposions jusqu’alors de pratiquement aucun texte en français du grand linguiste, exception faite de l’article classique de 1931 consacré à la « surdité phonologique »12 et de quelques autres textes moins connus publiés à la même époque hors de l’URSS13. On disposera là désormais d’une traduction à la fois exacte, précise et fluide, avec des choix judicieux qui nous rendent parfaitement accessible un texte parfois assez technique. Les anglophones étaient plus chanceux, ils disposaient depuis 1974 d’une traduction du recueil des articles de linguistique générale publié en 196814. Quant aux linguistes capables de lire le russe, ils auront accès en version originale à des textes peu aisés à consulter et seront à même d’apprécier le travail des traducteurs. Il est donc évident que l’on a ici affaire à un document de travail des plus utiles, avec un appareil critique de qualité (les « notes des traducteurs »), le tout appuyé sur un travail de documentation important qui inclut des recherches menées dans les archives conservées par l’Académie des sciences à Saint-Pétersbourg.

12 Cela n’empêche pas que l’on peut parfois trouver dans le recueil des interprétations discutables ; ainsi en est-il quand il est affirmé, à propos de l’école constituée par les élèves pétersbourgeois de Baudouin de Courtenay, que « plusieurs de ses membres deviendront d’éminents linguistes, dont des adeptes du “formalisme” : I. Jakubinskij, V. Šklovskij, Ju. Tynjanov, B. Eichenbaum » (p. 13) ; il s’agit ici, à l’exception de Jakubinskij, de théoriciens de la littérature plutôt que de linguistes véritables. Par ailleurs, dans une traduction à quatre mains, on sera surpris de lire à propos des difficultés de traduction : « Voici deux exemples de difficultés de traduction auxquelles j’ai été confrontée. » (p. 28) (souligné par nous) ; il est sûr qu’ici l’usage du nous de modestie s’imposait doublement. On peut aussi relever que les introductions aux différents textes sont souvent décalées et trop générales, comme pour les deux premiers textes pourtant clairement axés sur la polémique. On trouve également des citations non référencées comme celle mise en exergue au volume (p. 11), ou celle de la note [m], p. 91-92, ou les renvois de la note [n], p. 92. Il faudrait aussi préciser que le Dictionnaire des termes linguistiques et littéraires rédigé en 1937 et signalé comme publié en 201015 l’avait été dès 1991 dans le recueil des Travaux de linguistique orientale et générale16. Relevons encore, entre autres choses, que les éditeurs du recueil des Articles de linguistique générale publié en 196817 ont été confondus avec les auteurs de l’introduction au même ouvrage intitulée « Vie et œuvre de E. D. Polivanov » (voir p. 25). Le renvoi à Genty 1988 correspond certainement à Genty 1977 (p. 21). Par ailleurs, très curieusement, dans la translitération du russe, le groupe {ь + lettre voyelle} est assez souvent rendu par {j + lettre voyelle}, contrairement à l’usage habituel (voir par exemple Vorobjev pour Vorob′ev, p. 19 ; Vasiljevskij pour Vasil′evskij,

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p. 21 ; Grigorjev pour Grigor′ev, p. 23 ; statji pour stat′i, p. 25 ou n. 15, p. 233 ; Djakonov pour D′jakonov, p. 235, etc.) ; il s’agit là certainement d’une interférence de la notation phonologique, cependant que l’on trouve aussi likvidatsija pour likvidacija (p. 17) ; japhetičeskij pour jafetičeskij (p. 24, 25) ; samojë pour samoë (p. 178) ; jazykoznanije pour jazykoznanie (p. 230)...

13 Ces quelques menus défauts ou erreurs n’entament cependant guère l’intérêt de cette édition bilingue, même si une relecture attentive et minutieuse aurait pu permettre de les éliminer, et laisse entier l’intérêt de cette traduction de Polivanov que l’on peut considérer de fait comme une première dans l’édition française ; on ne peut ici que rendre hommage aux traducteurs et à l’éditeur qui, après une série d’autres publications, poursuit sa politique audacieuse de mise à la disposition du public francophone de grands textes des sciences humaines où figure en bonne place le domaine russophone.

NOTES

1. Au point d’inspirer à V. A. Kaverin le personnage du professeur Panaev dans Grand jeu et celui de Dragomanov dans le Faiseur de scandales ou les soirées sur l’île Vassilevski de 1929 (voir C. Depretto, « Entre l’histoire et le mythe : E. D. Polivanov (1891-1938) » ; in id., le Formalisme en Russie, Paris, Institut d’études slaves, 2009 [1977], p. 267-269). 2. Les actes en ont été publiés dans l’édition suivante : S. Archaimbault et S. Tchougounnikov (eds.), Penser le langage au temps de Staline, Paris, Institut d’études slaves, 2013. 3. Voir entre autres « Е. Д. Поливанов », in : V. M. Alpatov, История лингвистических учений, Moskva, Jazyki slavjanskoj kul′tury, 2001, p. 245-253 ; le chapitre 2 intitulé « Следственное дело Е. Д. Поливанова », in : F. D. Ašnin, V. M. Alpatov et D. M. Nasilov, Репрессированная тюркология, Moskva, Vostočnaja literatura, 2002, p. 21-50 ; « Евгений Дмитриевич Поливанов », in : F. М. Berezin (éd.), Отечественные лингвисты ХХ века, Moskva, Rossijskaja akademija nauk, t. 2, 2003, p. 97-110 ; sans oublier les textes de présentation dans E.D. Polivanov, За марксистское языкознание : сборник популярных лингвистических работ, 2e éd., Smolensk, Smolenskij godudarstvennyj pedagogičeskij universitet, 2003 [1931], p. 184-226. 4. E. D. Polivanov, За марксистское языкознание..., Moskva, Federacija, 1931 ; le texte a été depuis réédité à Smolensk, ville natale de Polivanov, en 2003 (voir supra, n. 4). 5. Reprise de celle établie en 1957 par Vjač. Vs. Ivanov, « Лингвистические взгляды Е. Д. Поливанова », Вопросы языкознания, 3, p. 73-76, qui compte 5 entrées de plus que celle qui figure dans les œuvres choisies de 1968 (E. D. Polivanov, Статьи по общему языкознанию, Moskva, Glavnaja redakcija vostočnoj literatury, 1968, p. 31-45). 6. Voir entre autres le recueil Elena Simonato (éd.), la Linguistique urbaine en Union Soviétique, Lausanne, Université de Lausanne, 2014, 127 pages (Cahiers de l’ILSL, no 39), dont nous avons rendu compte dans la Revue des études slaves, t. LXXV, fasc. 2, 2014, p. 380-384. 7. La critique se fait directe quand Polivanov rappelle que cela nie les prétentions de la japhétodologie à édifier une nouvelle linguistique (p. 72-75). 8. Déjà, au XVIII e siècle, Trediakovskij recommandait de se prendre soi-même comme objet d’étude en se plaçant devant un miroir pour étudier l’articulation des sons russes.

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9. On est proche ici de ce que Kornej Čukovskij appellera pour s’en moquer dans les années 1960 kan- celjarit, comme si c’était une maladie (d’après le mot kanceljarizm désignant les tournures figées du russe traditionnel de chancellerie). Voir K. Čukovskij, Живой как жизнь, Moskva, Detskaja literatura, 1966, chapitre VI. 10. V. Larcev, Евгений Дмитриевич Поливанов. Страницы жизни и деятельности, Moskva, Glavnaja redakcija vostočnoj literatury, 1988, p. 280-281. 11. Ibidem, p. 281. 12. Polivanov, « La perception des sons d’une langue étrangère », Travaux du Cercle linguistique de Prague, t. 4, 1931, p. 79-96 (repris sous une forme très abrégée in Change 3, Paris, Le Seuil, 1969, p. 111-114). 13. Signalons cependant la traduction de « Le principe phonétique commun à toute technique poétique », Change 6, Paris, Le Seuil, 1970 ; un court extrait de l’introduction Pour une linguistique marxiste a été publié dans le recueil de F. Gadet, J.-M. Gayman, Y. Mignot et E. Roudinesco, les Maîtres de la langue : avec des textes de Marr, Staline, Polivanov, Paris, Maspero, 1979, p. 51-52, accompagné de « Les particularités spécifiques de la dernière décennie 1917-1927 dans l’histoire de notre pensée linguistique (1929). En guise de préface », p. 53-54 et de « La révolution et les langues littéraires de l’U.R.S.S. », p. 55-76. 14. Polivanov, Selected works. Articles on general linguistics, Berlin, Mouton de Gruyter, 1974 [Janua linguarum. Studia memoria Nicolai van Wijk dedicata. Series Major, 72]. 15. Polivanov, Словарь лингвистических и литературоведческих терминов, Moskva, Librokom, 2010. 16. Id., Труды по восточному и общему языкознанию, Moskva, Glavnaja redakcija vostoc◌̌noj literatury izdatel′stva « Nauka », 1991, p. 318-506. 17. Id., Op. cit. (voir n. 6), p. 31-44.

AUTEURS

ROGER COMTET LLA – CREATIS Université Jean Jaurès Toulouse

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Natalija Sergeevna АVTONOMOVA, Открытая структура: Якобсон- Бахтин-Лотман-Гаспаров М. – SPb, Centr gumanitarnyx iniciativ, 2014, 509 pages

Catherine Depretto

RÉFÉRENCE

Avtonomova Natalija Sergeevna, Открытая структура : Якобсон-Бахтин-Лотман- Гаспаров, М. – SPb, Centr gumanitarnyx iniciativ, 2e éd. rev., corr., 2014, (« Российские пропилеи »), 509 p. (1re éd., ROSSPÈN, 2009, 502 p.) ISBN 978-5-98712-156-6

1 Il n’est pas aisé de rendre compte de cet ouvrage de Natalija Avtonomova, à la fois parce qu’il embrasse une matière considérable et parce qu’il pose, dans le même temps, des questions centrales. Traitant apparemment de l’histoire de la philologie, il s’adresse également aux philosophes : cette double destination, qui reflète la double formation de l’auteur, est ce qui a, semble-t-il, retenu en priorité l’attention de la critique en Russie lors de la parution de la première édition de l’ouvrage, couronné d’un prix Andrej Belyj, dans le domaine des sciences humaines1.

2 Personne, en effet, n’était mieux préparé que N. Avtonomova pour s’attaquer à pareille entreprise. À la fois philologue et philosophe, introductrice en Russie des travaux français en sciences humaines (Foucault, Lacan, Derrida principalement)2, et ce bien avant le boom éditorial des années 1990, elle a effectué de longs séjours en France et en Suisse où elle a animé des séminaires sur le structuralisme occidental en particulier. Elle a particulièrement bien étudié la réception des auteurs russes par le structuralisme français, comme les différences entre structuralisme occidental et russe.

3 Depuis la fin des années 1980 et le développement des approches poststructuralistes et postmodernistes, l’analyse strictement philologique des textes a eu tendance à céder la

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place à des approches transdisciplinaires, souvent inspirées de la philosophie, d’où un certain antagonisme entre les deux domaines dont témoigne, par exemple, une table ronde « Philosophie de la philologie », reproduite dans les colonnes de la revue Le Nouveau panorama littéraire en 19963.

4 Le premier objectif affiché de l’A. est de contribuer au dialogue des deux disciplines. Il s’agit, d’une part, de montrer aux philosophes tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer de la lecture des philologues dont l’œuvre critique a une valeur conceptuelle générale et, de l’autre, de traduire le travail de ces philologues dans le langage de la philosophie, afin de faire mieux sentir aux philologues les implications à long terme de leurs travaux. Plus que des résultats, le livre avance des pistes et suggère tout le bénéfice à tirer de la notion de « structure », comprise non comme modèle interprétatif rigide, mais comme un cadre ouvert, admettant le non-structurel, dans l’objet comme dans la méthode. Ainsi est éclairé le titre en apparence surprenant de « structure ouverte », qu’il faut sans doute comprendre comme « conception ouverte de la structure ».

5 L’exploration des potentialités heuristiques de la « structure ouverte » se déploie à partir de l’étude de quatre grands noms de la science russe du XXe. Le choix de ces quatre personnages correspond certes à des figures de prédilection de l’A., mais est également caractéristique de sa démarche, qui procède par recoupement, confrontation, mise en dialogue. Si trois d’entre eux, Jakobson, Lotman, Gasparov peuvent, à des titres divers, être rattachés аu même mouvement de la critique qui vise la recherche d’une certaine scientificité dans l’étude de la littérature (et sont de fait pleinement légitimes dans un livre consacré à la structure, ouverte ou pas), le quatrième, Baxtin, était, on le sait, aux antipodes de cette démarche. Mais son débat avec le formalisme comme avec le structuralisme permet précisément de faire apparaître sous un jour nouveau la notion même de « structure » et de mieux saisir, par contraste, la position de ses trois « interlocuteurs », sans compter que, même s’il a écrit sur la littérature, il est, on le sait désormais de façon avérée, un philosophe.

6 Dans l’histoire de la structure, la première place chronologique et conceptuelle revient sans conteste au linguiste Roman Jakobson (1896-1982). Plutôt que d’en parler de manière globale, l’A. choisit de revenir sur certains contextes qui ont, à des degrés divers, influencé la manière dont il a présenté le structuralisme, dans sa période pragoise, puis dans les années 1950, à partir de sa nomination à Harvard. Il n’est pas possible de revenir sur le détail du matériau exposé, ni de reprendre les analyses proposées. Disons pour résumer que le chapitre dédié à Jakobson éclaire un moment peu connu du cheminement du philologue russe, celui où pour des raisons sans doute diplomatiques, mais aussi philosophiques (influence de la pensée eurasienne ?), il a présenté le formalisme (et partout le structuralisme naissant) comme une affaire slave et russe et a dressé une généalogie pour le moins surprenante, incluant parmi ceux qui avaient préparé le terrain de son éclosion des penseurs tels que Dostoevskij ou Fedorov4. N. A. s’arrête également sur un autre moment important pour Jakobson, la rencontre avec Claude Lévi-Strauss aux États-Unis et termine le chapitre par l’évocation des destinées ultérieures du structuralisme, en particulier son implantation sur le sol français dans les années 1960-1970 et la remise en cause qui a suivi. Centré sur Jakobson, ce chapitre peut se lire comme une brève histoire du structuralisme, de ses différentes étapes et de ses contextes.

7 Pour des raisons de proximité générationnelle et de contraste intellectuel, le chapitre suivant est consacré à Mixail Baxtin (1895-1975), figure aux antipodes de Jakobson s’il

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en est, par la forme de la pensée et le mode de vie. Si le premier est le philologue par excellence, celui qui aimait déclarer que « rien du langage ne lui était étranger » et le modèle du savant cosmopolite, l’autre était un philosophe dans l’âme qui n’a jamais quitté son pays et a vécu loin de toute vie publique, exilé entre 1930 et 1950, ne connaissant que tardivement un début de reconnaissance, grâce au soutien d’un cercle d’admirateurs. On sait aussi que, malgré les efforts déployés par Jakobson, Baxtin fit en sorte de ne jamais le rencontrer5. Pourtant Baxtin serait celui qui donnerait au structuralisme occidental son second souffle, grâce à la médiation de Julia Kristeva et qui, à partir des années 1980, deviendrait en Russie la grande figure de référence. Revenir sur la réception de Baxtin et ses aléas, comme sur les débats que continue de susciter l’interprétation de son héritage demanderait là encore trop de temps : N. A. ne peut éluder la question et en donne les clés principales. Elle reprend ensuite quelques- unes des principales catégories bakhtiniennes et esquisse les contours de leur réception (dialogue, carnaval). Elle s’arrête sur la conception bakhtinienne de la langue, comme sur la question de ses traductions en langue étrangère. Mais Baxtin lui sert aussi à introduire les deux figures suivantes, M. Ju. Lotman et M. L. Gasparov.

8 Si entre Lotman et Baxtin, il est possible de relever des points de dialogue et d’intersection, Gasparov est sans doute celui qui s’est affirmé comme le plus radical dans sa critique, en particulier à cause du rôle que Baxtin accordait au genre antique de la ménippée dans la genèse des formes romanesques. Pour le spécialiste de la littérature grecque et latine qu’était Gasparov, cette ménippée bakhtinienne n’avait purement et simplement jamais existé. L’opposition de Mixail Gasparov (1935-2005) s’explique sans doute par sa formation et par le modèle philologique qui en dépend pour une bonne part et auquel il aspirait. Des quatre personnages du livre, il est sans doute celui qui s’est efforcé le plus possible de rapprocher la philologie de l’exactitude scientifique, au sens des sciences dures (mathématiques), reprenant dans ses travaux sur le vers russe la lignée de Boris Jarxo (1889-1942) et de Kirill Taranovskij (1911-1993)6. Or, on sait que l’application de méthodes quantitatives à l’étude du vers est héritée de la philologie classique qui pour dater certains textes anciens, en particulier poétiques, recourt à ce type de méthode. De ce point de vue, il est difficile de considérer M. Gasparov comme un structuraliste, même s’il lui arrivait de participer aux conférences de sémiotique et écoles d’été de Tartu. Mais sa recherche de lois, de régularités, de ce qui constitue l’ossature objective du vers peut certainement s’apparenter à la recherche de « structure ». On se trouve face à un cas manifeste d’application de l’idée de « structure ouverte », où le terme de structure ne renvoie pas forcément à une démarche structuraliste au sens strict. On sait les liens de longue date qui ont uni N. Avtonomova à M. Gasparov : celui-ci l’a accompagnée depuis ses premiers travaux et a été ensuite jusqu’à la fin de sa vie son interlocuteur privilégié, ce qui nous a valu ce magnifique échange épistolaire publié en 2008 et dont de larges extraits figurent en annexe7. Nonobstant les publications qui lui ont été consacrées, l’organisation régulière de « Lectures à sa mémoire », Gasparov trouve là sans doute l’un de ses plus fins portraits.

9 Il reste à évoquer Jurij Lotman, qui, pour des raisons générationnelles (il est né en 1922) et scientifiques, en tant que figure de proue de l’école de sémiotique de Moscou-Tartu, s’insère tout naturellement entre la génération des aînés, Jakobson, Baxtin et celle des quasi-contemporains, Gasparov. Mais là encore, arriver à cerner le profil scientifique de Lotman n’est pas chose aisée : de qui serait-il le plus proche ? quelles seraient ses sources philosophiques ? Outre des ambitions théoriques générales, il avait une

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orientation d’historien de la littérature très marquée, ce qui n’a pas été sans influence sur la forme qu’il a donnée à ses études sémiotiques. Sa pensée a, en outre, connu une évolution importante entre des débuts proches du formalisme qu’il a contribué à faire redécouvrir dans son pays et une maturité qui le ramène vers les problématiques culturologiques (autour de la notion de vzryv, explosion), si bien qu’aujourd’hui certains critiques auraient tendance à minimiser la part du Lotman sémioticien8. L’A. cherche à mettre en évidence les constantes de ce parcours, et les résonances actuelles de son programme scientifique. Dans cet ensemble, elle accorde une place importante à une question soulevée par Lotman, et qui lui est particulièrement proche, celle de la traduction comme condition de la culture et de l’existence d’une multiplicité de langages, suscitant précisément la volonté de traduire. Et, dans son cas, c’est cette conception de la langue comme espace ouvert, combinant des « structures nécessaires » et des « sens facultatifs » qui renverrait le mieux à l’idée générale de l’ouvrage. La traduction renvoie bien évidemment à la question centrale de l’ouvrage, comment traduire le langage d’une discipline dans le langage d’une autre afin de faciliter leur intercompréhension.

10 Ces quatre portraits de savants sont encadrés par un cinquième chapitre qui revient sur le thème central du livre, à savoir les rapports entre philosophie et philologie et le nécessaire rapprochement des deux disciplines autour de certaines questions centrales de l’étude de la langue et des textes.

11 Compte tenu de notre propre spécialité, nous avons préféré parler de l’ouvrage essentiellement en philologue9. De ce point de vue, un de ses premiers mérites et non des moindres, est de dresser implicitement les jalons d’une histoire de la philologie russe du XXe siècle, histoire qui n’a pas encore été écrite dans sa totalité, malgré l’existence de très nombreux travaux sur différents auteurs ou sur des points particuliers. Les chapitres consacrés à Jakobson, Baxtin, Lotman, Gasparov ne proposent pas un résumé systématique de leur œuvre, mais s’efforcent plutôt, par le choix d’un angle d’approche original, de donner une idée globale de l’apport de chacun d’entre eux. Ils montrent surtout les liens tissés entre ces pensées, les échos qu’elles ont suscités réciproquement. Ainsi s’incarne dans la pratique l’idée centrale du livre, à savoir qu’il n’y a rien d’isolé, mais que tout ne prend son sens que rapporté à une structure, à un contexte. Il y a enfin un va-et-vient constant dans l’ouvrage entre exposition d’un matériau précis et mise en perspective théorique, à la fois respect d’un principe chronologique d’exposition et distanciation conceptuelle. Et pour cette raison, le livre peut se lire dans sa totalité, mais également comme une suite de monographies sur chacun des auteurs abordés.

12 Il va de soi enfin que ce bref compte rendu ne donne qu’une idée très superficielle de l’ampleur du matériau traité, de la richesse des sources comme de la bibliographie (p. 475-494, sans compter les innombrables références des notes infra-paginales). Il ne reste qu’une chose à souhaiter, que l’ouvrage soit traduit en français et connaisse la large diffusion qu’il mérite.

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NOTES

1. Cf. par exemple « “Открытая структура” в контексте междисциплинарности. Обсуждение книги Н. Автономовой », Вопросы литературы, 2010, 6. 2. Ses premiers articles sur le sujet paraissent dans la revue Voprosy filosofii au début des années 1970 et sa traduction des Mots et des choses date de 1977. Elle a ensuite traduit la majeure partie de l’œuvre de Derrida et a publié récemment Философский язык Жака Деррида, М., Rosspèn, 2011. De sa pratique de la traduction est nourri l’ouvrage Познание и перевод. Опыты философии языка, М., Rosspèn, 2008. Elle a également traduit en russe le Dictionnaire de la psychanalyse (Laplanche et Pontalis). Et ce n’est là qu’un faible aperçu de son activité de traductrice et de chercheur. 3. Cf. « Философия филологии », Новое литературное обозрение, 1996, 17, p. 45-93. 4. Cf. Roman Jakobson, Formalistická škola a dnešní literární věda ruská : Brno 1935, Tomáš Glanc (ed.), Praha, Academia, 2005 ; en russe : R. Jakobson, Формальная школа и современное литературоведение, Tomáš Glanc (ed.), traduit du tchèque par E. Borakova-Timokina, M., Jazyki slavjanskix kul′tur, 2011. À partir des années 1990, c’est Patrick Sériot qui a exploré systématiquement le contexte eurasien de la pensée linguistique de Jakobson et Troubetzkoy. Cf. en priorité Patrick Sériot, Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale, Paris, PUF, 1999. En ce qui concerne le chapitre sur Jakobson, N. Avtonomova reprend un certain nombre de ses publications antérieures, comme « Roman Jakobson : deux programmes de fondation de la slavistique 1929/1953 », Cahiers de l’ILSL, 9, 1997, p. 5-20. 5. Cf. T. Todorov, « Jakobson et Bakhtine », la Signature humaine : essais 1983-2008, Paris, Seuil, 2009, p. 103-137. 6. À cette liste, on pourrait ajouter Andrej Belyj (1880-1934) pour ses décomptes, consacrés au tetramètre iambique russe, Sergej Bobrov (1889-1971) et surtout Boris Tomaševskij (1890-1957). 7. Ваш М. Г. Из писем М.Л. Гаспарова, M., Novoe izdatel′stvo, 2008. L’ouvrage contient les lettres échangées avec N. V. Braginskaja, I. Ju. Podgaevskaja, N. Avtonomova. 8. Sans oublier une influence certaine du marxisme académique. 9. Pour une discussion plus conceptuelle, cf. Viktorija Fajbyšenko, « Великий спор о территории », (N. S. Avtonomova, Открытая структура : Якобсон – Бахтин – Лотман – Гаспаров. М., 2009), in Нoвое Литературное Обозрение, 2011, 107.

AUTEURS

CATHERINE DEPRETTO Université Paris-Sorbonne

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Andrej PLATONOV, “… я прожил жизнь”. Письма. 1920-1950 гг Moskva, Astrel′, 2013, 685 pages

Catherine Depretto

RÉFÉRENCE

PLATONOV Andrej, “... я прожил жизнь”. Письма. 1920-1950 гг., Moskva, Astrel′, 2013, (« Наследие Андрея Платонова »), 685 p. ISBN 978-5-271-46785-1

1 La publication de ce qui est présenté comme l’édition complète des lettres d’Andrej Platonov (1899-1951), actuellement accessibles, a certainement constitué l’un des événements majeurs de l’année 2014. Depuis la Perestroïka, l’œuvre de Platonov a été l’objet d’une attention soutenue, grâce, en particulier, à Natalija Kornienko, chercheur à l’IMLI et, depuis 1997, membre correspondant de l’Académie des Sciences de Russie. Maître d’œuvre de l’édition de la correspondance, des carnets (zapisnye knižki), comme des œuvres complètes de Platonov en huit tomes, parues entre 2009 et 2011 aux éditions Vremja, elle totalise à son actif un nombre impressionnant d’articles et de publications sur Platonov et sur ses contemporains. Elle est également à l’origine de la collection, Le pays des philosophes (strana filosofov), sept volumes parus, qui rassemblent les matériaux des conférences régulières consacrées à l’écrivain.

2 Pour ceux qui auront suivi l’actualité platonovienne, le livre n’offrira peut-être pas de révélations majeures, mais il présente néanmoins un intérêt considérable, celui de rassembler la totalité d’un matériau pas toujours facile à localiser (trois cent cinquante lettres et télégrammes), présenté en ordre chronologique et accompagné d’une annotation extrêmement minutieuse, donnant ainsi à voir la totalité d’une vie et d’une trajectoire. D’autre part, la publication n’exclut aucun domaine et, à côté des lettres ayant trait à l’activité littéraire de Platonov, on trouve aussi des courriers relevant de son travail d’ingénieur, préposé à l’amendement des sols (meliorator), et surtout ses

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lettres personnelles, adressées à sa femme et à son fils. L’ensemble est précédé d’une introduction extrêmement dense de Natalija Kornienko (p. 7-72). L’adoption du principe chronologique ne dissimule pas pour autant les quelques « sujets particuliers » ou cycles de lettres qui structurent l’ensemble, sans doute bien plus vaste à l’origine (il nous manque surtout, dans le cas des lettres familiales, celles de son épouse).

3 On retrouve tout d’abord de façon attendue les courriers échangés par Platonov avec ses correspondants littéraires, les épisodes bien connus de ses démêlées avec la critique et la censure, après la publication de Makar pris de doute (Усомнившийся Макар, 1929) et de À l’avance (Впрок, 1931). On découvre aussi l’incompréhension dont il a été entouré dès ses premières tentatives de publication. De ce point de vue, nous voudrions signaler la lettre du 21 août 1920, adressée à la rédaction du journal de Voronež, Trudovaja armija. Platonov répond vraisemblablement à des critiques qui lui ont été adressées par la revue à propos du récit « Čul′dik i Epiška » qu’il avait soumis à la rédaction. Même si les expressions, les termes ne sont pas les mêmes que lors des polémiques ultérieures, on devine en filigrane le même reproche, fait à l’écrivain, celui de donner à voir une réalité qui n’est pas belle. Or répond Platonov, vivant pourtant sur terre depuis vingt ans, je n’ai pas vu la beauté dont vous parlez. Et il poursuit : « Je suis convaincu que l’avènement d’un art prolétarien sera informe. Nous sommes issus de la terre, de toutes ses saletés, et tout ce qui se trouve sur terre est aussi en nous.1 » On peut comparer avec ce qu’il écrit à la Pravda, en réponse aux attaques de L. Averbax contre Makar pris de doute : « En un mot, accuser Makar d’anarchisme et de caractère petit-bourgeois est parfaitement justifié : Makar est né et a grandi dans la Russie paysanne. Je ne peux pas écrire différemment de ce que je sens et vois2. »

4 Les réponses de l’écrivain aux critiques constituent pour nous un matériau inestimable, compte tenu des difficultés d’interprétation que continue à poser son œuvre. Platonov reste, en effet, un des écrivains les plus déroutants de la littérature russe de la période soviétique et l’accès désormais possible à l’ensemble de son œuvre ne l’a pas rendu plus explicite pour autant. Ses sources philosophiques, littéraires sont nombreuses et éclectiques, sa manière de s’exprimer absolument unique3. Quel que soit le paradigme dont on use pour l’approcher, la création platonovienne continue à poser un défi majeur à la critique : il lui faut, en effet, rendre compte d’une œuvre qui résonne comme un farouche réquisitoire contre un régime dont l’écrivain se voulait le porte- parole. De tous les écrivains soviétiques, Platonov était sans doute le plus authentiquement prolétarien4, ce qui ne l’a pas empêché de subir de la part des autorités littéraires et politiques l’un des traitements les plus cruels. S’il n’a pas été personnellement inquiété, la majeure partie de son œuvre n’a pu être publiée de son vivant et lorsque certains textes passaient les barrières de la censure, il n’était pas rare qu’ils soient l’objet de campagnes diffamatoires.

5 Aussi les lettres font-elles bien sentir la précarité extrême de son existence, tant pour des raisons matérielles qu’intellectuelles. Obligé pour survivre d’accepter tel emploi qui l’éloignait de sa famille, jamais satisfait ni de lui, ni des autres, il était en guerre constante avec son entourage professionnel et littéraire. L’un des traits les plus terribles de cette biographie est sans doute l’extrême solitude de l’écrivain, tant à cause de l’opprobre dont il était entouré qu’en raison de son caractère fier et entier, du peu de sympathie que lui inspiraient la plupart de ses confrères. Il est alors d’autant plus bouleversant de voir l’incompréhension de ceux qu’il respecte et dont il attend le soutien comme Gor′kij, adversaire résolu de son talent si original : « Volontairement ou

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non, vous avez présenté la réalité sous un jour lyrico-satirique, ce qui, cela va sans dire, est inacceptable pour notre censure. En dépit de votre commisération, et de votre tendresse étendue à tous, vos personnages sont traités sur le mode ironique et le lecteur les voit non comme des révolutionnaires, mais comme des “extravagants” et des “simplets”5 », lui écrit-il par exemple après avoir pris connaissance de Čevengur.

6 Encore plus révoltant est le silence d’écrivains de sa génération comme Aleksandr Fadeev auquel Platonov est contraint de s’adresser, pour demander simplement ce à quoi il a droit, l’édition ou la réédition de ses textes, pour survivre tout simplement. La série des lettres envoyées par Platonov aux responsables de l’Union des écrivains dresse un réquisitoire impitoyable contre une institution qui loin de défendre ses membres ne faisait qu’aggraver la situation de ceux qui étaient stigmatisés.

7 On notera également le grand intérêt que présentent les lettres liées à son travail d’ingénieur, et aux travaux d’amendement des sols. Cette activité a certainement nourri son œuvre d’abord sur un plan thématique, mais aussi sur un plan social et politique, en lui montrant la grande misère des campagnes, mais aussi l’incurie de la machine bureaucratique. Les courriers, liés à cette activité et qui concernent principalement la région de Voronež, sa ville natale, et Tambov où il est affecté en 1926-1927, mettent en évidence tout le sérieux avec lequel il s’attelle à cette tâche comme les déconvenues qu’il essuie un peu partout. Là encore Platonov se retrouve isolé, en butte à tous, impuissant à faire triompher son point de vue ou son bon droit.

8 Les lettres lèvent également le voile sur les aspects personnels les plus dramatiques de son existence, l’arrestation de son fils unique en 1938, sa condamnation, puis son retour, suivi bientôt de sa mort. Platonov essaie en vain d’obtenir la garde de son petit- fils, ce qui aurait été pour lui une grande consolation ; il tombe lui-même bientôt malade de tuberculose, sans doute contractée en s’occupant de son fils. Pour essayer d’arracher son fils au système répressif, l’écrivain n’avait pas ménagé ses efforts et avait sacrifié, comme d’autres, au genre de la lettre au pouvoir. Ces missives officielles dont celles adressées à Stalin lui-même montrent un père inquiet et aimant, sachant faire preuve de ténacité et gardant toujours la plus grande dignité.

9 Enfin, un cycle à part est constitué par l’ensemble des lettres, adressées à sa femme et datant des années 1920-1930, lorsqu’ils sont souvent séparés. Platonov avait même envisagé d’en faire un roman par lettres, qui aurait porté pour titre « Однажды любившие ». Dans ces échanges plus intimes, l’écriture ne se distingue pas fondamentalement de la langue des autres lettres, de celles dans lesquelles il parle de son œuvre, par exemple. Cette interpénétration du privé et du public n’est pas sans évoquer d’autres tentatives contemporaines de renouvellement de l’écriture par la rupture avec le fictionnel.

10 Même s’il y a dans l’ensemble publié des télégrammes, des mots brefs, l’essentiel est constitué de magnifiques lettres qui sont autant de témoignages littéraires de première importance sur la façon dont vivait, pensait et ressentait Platonov. Dans son cas, il ne s’agit pas de petits détails du quotidien, même, si par la force des choses, il doit parfois s’en soucier, mais de ce qui le fait vivre et créer.

11 Il faut donc saluer cette publication, à la riche iconographie, capitale d’un point de vue éditorial et critique et qui constitue peut-être, en définitive, la meilleure introduction à l’œuvre de Platonov.

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NOTES

1. « Я уверен, что приход пролетарского искусства будет безобразен. Мы растем из земли, из всех ее нечистот, и все, что есть на земле есть на нас », ouvrage recensé, p. 80. 2. « Словом, обвинения Макара в анархизме и мелкобуржуазности вполне уместны : Макар родился и вырос в крестьянской России. Не могу же я писать иначе, чем чувствую и вижу. », ouvrage recensé, p. 272. 3. Jurij Levin, « От синтаксиса к смыслу и далее (Котлован А. Платонова) », Семиотика и информатика, vyp. 30, М., 1990 ; repris dans Избранные труды. Поэтика. Семиотика, М., Škola jazyki russkoj kul′tury, 1998, p. 292-419. 4. Cf. par exemple sa déclaration à Gor′kij, disant en substance qu’il n’était pas un ennemi de classe et qu’il n’en deviendrait jamais un, quoi qu’il se passe et aussi durement dût-il souffrir pour des œuvres telles que À l’avance « parce que la classe ouvrière est ma patrie et que mon avenir est lié au prolétariat. », lettre du 24 juillet 1931, ouvrage recensé, p. 304. 5. « Хотели вы этого или нет, — но вы придали освещению действительности характер лирикосатирический, это, разумеется, неприемлемо для нашей цензуры. При всей нежности вашего отношения к людям, они у Вас окрашены иронически, являются перед читателями не столько революционерами, как ‘чудаками’ и ‘полуумными’. », lettre du 18 septembre 1929, citée note 2, p. 266.

AUTEURS

CATHERINE DEPRETTO Université Paris-Sorbonne

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Piotr Pałys, Państwa słowianskie wobec Łużyc w latach 1945-1948 Opole, Stowarzyszenie instytut śląski, 2014

Jean Kudela

RÉFÉRENCE

PAŁYS Piotr, Państwa słowianskie wobec Łużyc w latach 1945-1948, Opole, Stowarzyszenie instytut śląski, 2014. ISBN 978-83-7126-301-9

1 L’auteur resitue la question sorabe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par rapport à l’attitude des pays slaves. Il rappelle l’attitude spontanée des populations nourries du slavisme ambiant après l’effondrement de l’Allemagne nazie, et montre que l’attitude des gouvernements s’explique, dans la plupart des cas, par des considérations d’ordre politique et d’intérêt national. Il souligne que c’est la position soviétique qui aura une influence prédominante sur les gouvernements slaves, dont les États se situent tous dans l’orbite du Kremlin.

2 Ce fait était connu, mais le mérite de Piotr Pałys est de faire le point après avoir méthodiquement consulté les Archives culturelles sorabes de l’Institut sorabe, les archives diplomatiques des différents États, les documents des universités de Wrocław et Poznań en rapport avec la question sorabe, les archives des associations d’amitié tchéco- et polono-sorabes, la presse de l’époque, les études sur la question ainsi que des correspondances privées, et d’apporter une documentation très riche, précise et en partie nouvelle. L’auteur rappelle au début de son étude l’évolution du mouvement national sorabe entre les deux guerres et sa renaissance à l’issue de la Seconde Guerre mondiale dans un nouveau contexte. Il décrit en détail les rapports qui se gâtent entre la Domowina refondée et installée en Lusace et le Comité national sorabe de Prague, en raison de l’alignement de la Domowina sur les positions du SED.

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3 Le chapitre 2 qui porte un titre éloquent « La Tchécoslovaquie : les espoirs déçus » rappelle les liens historiques entre Tchèques et Sorabes, l’action d’Adolf Černý au début du XXe siècle, la venue à Paris de deux émissaires sorabes dans le cadre de la délégation tchécoslovaque lors de la Conférence de la Paix, le rôle de Vladimír Zmeškal et de l’association des Amis de la Lusace, la création du Sokoł sorabe sur le modèle tchèque et les distances prises peu à peu par le gouvernement tchécoslovaque à l’égard de la question sorabe, les problèmes territoriaux gardant la priorité pour les Tchécoslovaques. Occasion manquée de créer un État de Lusace qu’on pense pouvoir faire aboutir entre 1945 et 1947, grâce au soutien tchécoslovaque. Il y a de fait un immense mouvement populaire en faveur des Sorabes et des manifestations à Prague. Mais les mêmes espoirs sorabes seront de nouveau déçus, pour d’autres raisons cette fois : alors que le président Beneš annonce à la Noël 1945 que tous les Allemands ont quitté la Tchécoslovaquie, les Tchèques sont peu pressés de recréer une nouvelle minorité qui comprendra nécessairement des germanisés. Quant à la revendication sorabe visant à remplacer en Lusace les troupes soviétiques par des unités tchécoslovaques, on comprend qu’en dépit des droits historiques, le gouvernement n’est pas chaud, peu soucieux de se faire accuser d’impérialisme sur le terrain de l’Armée rouge... Un sous-chapitre intitulé « Žytawa / Zittau une Lusace tchèque ? » rappelle la revendication tchécoslovaque qui incluait aussi certaines localités polonaises et qui fut finalement abandonnée.

4 L’A. s’intéresse ensuite aux positions polonaises « La Pologne veille sur la Lusace ! » ou bien « Liberté pour la Lusace ! ». Il remonte à l’avant-guerre où de nombreux jeunes Sorabes vinrent étudier dans les universités polonaises : on retiendra les noms des écrivains Jurij Brězan, Michał et Anton Nawka et du professeur Nowotny. En Allemagne même, les rapports étaient étroits entre l’Union des Polonais d’Allemagne et les patriotes sorabes comme le publiciste Jan Skala, rédacteur de la revue des minorités Kulturwehr, ou le dessinateur Měrćin Nowak-Njechorński. Un développement intéressant est consacré aux relations des patriotes sorabes avec les services de renseignement polonais dès l’avant-guerre dans le cadre de l’action « Michał ».

5 Pendant la guerre déjà, les Polonais songent à avancer leurs frontières en direction de l’ouest ; à Londres, Józef Majewski propose même de créer entre Oder et Elbe un État slave de Lusace. La position polonaise sur la question sorabe évoluera du soutien accordé aux solutions les plus radicales à la plus grande prudence. Il y a là plusieurs raisons, et d’abord la revendication tchécoslovaque sur Zittau, qui complique le problème sorabe. Et puis les dissensions entre la Domowina et le Comité national sorabe de Prague, qui nomment l’une et l’autre d’autres représentants officiels à Varsovie avec des consignes différentes. Enfin la politique internationale de l’Union soviétique, derrière laquelle le gouvernement polonais va s’aligner. Un long développement est consacré à l’intérêt porté à la Lusace par la société civile polonaise grâce à des associations comme l’Union polonaise Occidentale ou Prołuż animées par d’ardents militants tels que Alojzy Matyniak.

6 Après un rappel des relations anciennes entre Sorabes et Russes sur le plan scientifique et universitaire, l’auteur décrit ensuite l’attitude de l’administration militaire soviétique, qui reste très réservée à l’égard des revendications sorabes, notamment celles formulées par des éléments conservateurs. D’où la fin de non-recevoir opposée à la demande d’autorisation d’un parti socialiste sorabe ou de la libération des prisonniers d’origine sorabe. Les Soviétiques liaient la question sorabe au règlement

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général du problème allemand et donnaient la priorité à l’activité diplomatique internationale. Ils étaient au courant de l’hostilité du parti SED à toute solution menant à une indépendance ou à une autonomie réclamée par les Sorabes. Or, ils devaient impérativement s’appuyer sur le SED pour construire une Allemagne de l’Est à partir du moment où la rupture était consommée entre l’Est et l’Ouest sur l’application du Traité de Potsdam. En revanche, les Soviétiques imposèrent aux Allemands un statut de simple autonomie culturelle sorabe en exigeant des Sorabes le respect d’une activité politique dans le sillage du SED.

7 En ce qui concerne la Yougoslavie, les rapports étroits d’avant-guerre entre Slaves du sud et militants sorabes expliquent le rôle joué par les Yougoslaves au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un membre sorabe du Comité national sorabe, Jurij Rjenč, qui avait étudié à Zagreb, fut investi par le Comité des fonctions de représentant officiel et reçu comme tel par Tito. C’est à la délégation yougoslave à l’ONU que furent confiés les Memorandums sorabes, et les gens du Comité National Sorabe de Prague eurent un temps l’illusion d’une reconnaissance internationale officielle. Une brigade de la Jeunesse sorabe participa à la construction d’une voie de chemin de fer en Yougoslavie et se distingua comme la plus efficace. Malgré ses efforts, la Délégation militaire yougoslave à Berlin ne parvint pas à faire évoquer la question sorabe à la conférence de Moscou en avril 1947. Le Comité Panslave, dont le président était le général soviétique Gundurov, avait déjà depuis longtemps banalisé le rôle des Sorabes. La résolution du Kominform condamnant la Yougoslavie de Tito enterra définitivement tous les espoirs.

8 Reste enfin la position des Bulgares. Ceux-ci se limitèrent essentiellement à des déclarations et à des gestes de bonne volonté, l’alignement rapide de la Bulgarie sur l’Union soviétique mettant fin à toute avancée dans le domaine.

9 La rhétorique antiallemande et panslave de 1945 – partagée par toutes les opinions slaves de l’époque – céda vite la place à la prise de conscience par l’Union soviétique de ses intérêts propres et de la nécessité de faire taire tous les nationalismes pour assurer son emprise sur des frères slaves réduits à l’état de satellites.

10 Cet ouvrage est complété de trois résumés en anglais, en sorabe et en allemand, d’une liste des abréviations employées, d’une bibliographie qu’on est tenté de qualifier d’exhaustive, d’un index des toponymes, d’un index des noms de personnes citées, de cartes et de photos d’époque. Ce livre de 466 pages est une somme et un trésor de références qui fait le tour de la question dans ses moindres détails. On ne peut qu’en chaudement recommander la lecture.

AUTEURS

JEAN KUDELA Inalco

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In memoriam

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Edward L. KEENAN 1935-2015

Pierre Gonneau

1 Edward L. Keenan s’est éteint le 6 mars 2015. Il laisse une œuvre placée sous le signe de la controverse et une génération de spécialistes profondément marquée par sa personnalité et son style. Parlant un russe impeccable et volontiers charmeur à l’oral, il s’amusait de la perplexité de ses interlocuteurs qui lui supposaient des origines slaves qui n’étaient pas les siennes. Pratiquant un scepticisme de bon aloi, parfois teinté d’iconoclasme, il a suscité autant de « Keenaniens » que d’ « anti-Keenaniens », et réussi à nouer des amitiés dans les deux camps, puisque son collègue russe R.G. Skrynnikov, chargé de réfuter « le livre hérétique » de Keenan (expression de Keenan lui-même) sur la correspondance entre Ivan le Terrible et Andrej Kurbskij, avait fini par nouer une complicité avec lui et figure en bonne place parmi les contributeurs aux Mélanges Keenan de 19951.

2 Formé à l’Université d’Harvard entre 1957 et 1965, E. L. Keenan y a occupé divers postes d’enseignant à partir de 1970, terminant sa carrière comme titulaire de la chaire d’histoire Andrew W. Mellon. Étroitement associé à la fondation du Harvard Ukrainian Research Institute (1973), dirigé par son ancien directeur de thèse Omeljan Pritsak, il est membre du Comité exécutif de cet institut et du comité de rédaction de la revue Harvard Ukrainian Studies jusqu’en 1997. Il devient ensuite directeur de la Bibliothèque de Dumbarton Oaks, principal centre de recherches sur les études byzantines aux États- Unis (1998-2007).

3 D’abord tenté par l’étude des peuples turcophones de l’Union soviétique, il s’oriente rapidement vers l’histoire de la Moscovie et de ses rapports avec la steppe. Il soutient en 1965 son doctorat intitulé « Muscovy and Kazan′, 1445-1552 : A Study in Steppe Politics ». Ce premier travail donne lieu à deux publications. Un court article, paru en 1967, constitue les positions de la thèse2. L’année suivante, un texte plus fouillé remet en cause la datation communément admise de l’Histoire de Kazan, récit historique russe original, hybride de chronique et de roman de chevalerie, structuré en chapitres, qui s’affranchit de la structure annalistique et se distingue, par son ampleur, des povesti insérées dans les chroniques3. Alors que les spécialistes dataient le texte des années

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1564-1566, soit très peu de temps après la conquête russe du khanat de Kazan (1552-1556), Keenan apporte de sérieux arguments suggérant une rédaction postérieure à 1640. Plusieurs études russes sur la Kazanskaja istorija sont parues depuis, mais aucune, à mon sens, n’a répondu sur le fond aux objections de Keenan quant à la datation du texte, ou de certaines de ses parties. Ce début remarqué n’était toutefois qu’un coup de semonce.

4 Le scandale éclate en 1971, quand Keenan publie un livre s’employant à démontrer que la célèbre correspondance entre Ivan le Terrible et le prince Andrej Kurbskij est un faux du XVIIe siècle. Cette fois, la communauté scientifique soviétique se mobilise pour réfuter l’hérésie. Comment admettre, en effet, que le souvenir d’enfance traumatique d’Ivan le Terrible est une invention romanesque ? La fameuse scène au cours de laquelle le jeune souverain orphelin est témoin de la désinvolture avec laquelle le prince Šujskij prend ses aises dans les appartements de feu son père a déjà été immortalisée dans le film d’Eisenstein et fait partie du patrimoine culturel russe... Le duel entre partisans et adversaires de l’hérésie a suscité une énorme production4. Stimulés par le défi qui leur était lancé, les chercheurs russes n’ont pas retrouvé d’autographes, mais ont mis la main sur des manuscrits prouvant que les premières copies de la correspondance existent dès la fin du XVIe siècle, ce qui a rétabli la présomption d’authenticité, même si certains Keenaniens n’en démordent pas5. Entre- temps, Keenan avait élargi l’offensive en attaquant l’Histoire du grand-prince de Moscou attribuée au prince Kurbskij6. Sensée être composée en Pologne-Lituanie dans les années 1573-1580, elle semble n’y avoir laissé aucune trace, mais connaît en revanche une véritable vogue dans la Moscovie des années 1676-1680. Une fois de plus, un auteur brillant n’aurait-il pas pris le masque de Kurbskij pour développer un dialogue entre le présent et le passé ? La remise en question de Keenan a certainement contribué à susciter les vocations de nouveaux biographes de Kurskij et spécialistes de son œuvre. Si leurs apports son précieux, ils n’ont pas réussi à écarter tous les soupçons qui pèsent sur l’Histoire du grand-prince de Moscou qui est, au demeurant, un texte passionnant7.

5 Le coup de grâce est toutefois la publication, en 2003, de Josef Dobrovský and the Origins of the Igor′ Tale. Alors que la guerre de l’authenticité du Slovo o polku Igoreve semblait gagnée grâce à la sainte alliance de D. S. Lixačev, en URSS, et de Roman Jakobson, aux USA, Keenan reprend les armes. Élève de Jakobson, il se retourne contre son maître et livre aux spécialistes un coupable idéal : Josef Dobrovský, ce savant qui revendiquait l’étiquette de slavophile, aurait fabriqué le Slovo lors de son séjour à Pétersbourg, par jeu ou par souci de donner à la Russie sa Chanson de Roland. Après son retour en Bohème, le bibliophile Musin Puškin et ses proches auraient organisé la mise en scène de la découverte du manuscrit, opportunément disparu par la suite...8 Une fois encore, la riposte à Keenan s’est organisée. Les bibliothécaires ayant renoncé à retrouver une quelconque copie du Slovo, ce sont les linguistes qui ont concentré le feu sur Dobrovský, afin de prouver qu’il n’était pas en mesure de produire un faux aussi parfait.

6 Le fracas des polémiques étant retombé, deux essais me semblent être l’héritage le plus précieux d’E. Keenan. Le premier, examine de manière particulièrement fine les dilemmes, ou l’impasse dans laquelle se trouvait la création littéraire et plus précisément l’historiographie russe au XVIIe siècle. Les auteurs sont conscients des limites que leur imposent les anciens genres, mais ne parvient pas à rompre leurs carcans autrement qu’en empruntant des formes documentaires fictives : pseudo- correspondance, fausses suppliques, prétendus actes de procès. L’histoire s’écrit sous

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forme de povesti militaires, parfois mâtinées de récits de miracles, ou bien reste prisonnière du moule annalistique. Ces impasses expliquent sans doute en partie la rupture du XVIIIe siècle où les écrivains se tournent résolument vers des modèles étrangers9. Le deuxième article, paru après avoir circulé une dizaine d’années comme inédit, tente de faire une synthèse des mœurs politiques traditionnelles de la Moscovie. Il met en évidence des normes communes, comme la neglasnost′, autrement dit l’opacité, la dissimulation qui règne vis-à-vis des non-initiés et, bien entendu, des étrangers. De ce fait même, la Moscovie ne possède pas d’idéologie politique articulée et même ses postulats les plus évidents, comme le caractère monarchique et autocratique du régime cachent en fait un système oligarchique et bureaucratique. D’autre part, la culture russe n’est pas uniforme, mais se décline en trois niveaux distincts, sans être totalement étanches : la cour, la bureaucratie et la paysannerie10.

7 La longue liste des contributeurs aux Mélanges Keenan de 1995 prouve assez l’influence du maître. À lui seul, le « premier cercle » des éditeurs du volume réunit une distribution fort prestigieuse : Nancy Shields Kollmann, Donald Ostrowski, Andrej Pliguzov (alors pensionnaire de Harvard), Daniel Rowland. E. Keenan avait des relations jusqu’en France, où il était proche de l’équipe des Cahiers du monde russe, revue dans laquelle il avait publié l’un de ses premiers articles11. Il était venu à Paris donner la primeur de ses thèses sur le Slovo o polku Igoreve avant la parution de son livre. En reconnaissance envers André Mazon, qu’il n’avait pas personnellement connu, il a tenu à collaborer au numéro spécial de la Revue des études slaves consacré au slaviste français qui avait, comme lui, défendu la thèse de la non-authenticité du Slovo12.

NOTES

1. Kamen′ Kraeug′′l′n′′: Essays presented to Edward L. Keenan on his Sixtieth Birthday by his Colleagues and Students, Cambridge, Mass., 1995 (Harvard Ukrainian Studies, 19). Voir notre compte rendu dans les Cahiers du monde russe, t. 39, 1998, p. 413-424. 2. « Muscovy and Kazan’: Some Introductory Remarks on the Patterns of Steppe Diplomacy », Slavic Review 26.4, 1967, p. 548-558. 3. « Coming to Grips with the Kazanskaya Istoriya: Some Observations on Old Answers and New Questions », Annals of the Ukrainian Academy of Arts and Sciences in the United States, vol. 9, n. 1-2 (31-32), 1964-1968, p. 143-183. 4. Citons seulement R. G. Skrynnikov, Переписка Грозного и Курбского: парадоксы Эдварда Кинана, L., Nauka, 1973; N. Rossing, B. Rønne, Apocryphal or not Apocryphal? A Critical Analysis of the Discussion concerning the Correspondence between Tsar Ivan IV Groznyi and Prince Andrey Kurbskii, Copenhagen, Rosenkilde and Bagger, 1980; E. Keenan, « Aprocryphal – Not Apocryphal? – Apocryphal! », Canadian-American Slavic Studies, 16.1, 1982, p. 95-112. 5. B . N. Morozov, « Первое послание Курбского Ивану Грозному в библиотеке странствующего монаха Ионы Соловецкого: (К вопросу о распространении переписки в конце XVI-XVII в.) », dans Moskovskaja Rus′ (1359-1584): kul′tura i istoričeskoe samosoznanie, Moskva, 1997, p. 475-494.

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6. « Putting Kurbskii in His Place, or: Observations and Suggestions concerning the Place of the History of the Grand Prince of Muscovy in the History of Muscovite Literary Culture », Forschungen zur osteuropäischen Geschichte 24, 1978, p. 131-162. 7. B. J. Boeck, « Eyewitness of False Witness? Two Lives of Metropolitan Filipp of Moscow », Jahrbücher für Geschichte Osteuropas 55, 2007, p. 161-177. 8. Voir notre compte rendu, Revue des études slaves, t. LXXVI, fasc. 1 , 2005, p. 69-72. 9. « The Trouble with Muscovy: Some Observations upon Problems of the Comparative Study of Form and Genre in Historical Writing », Medievalia et Humanistica. Studies in Medieval and Renaissance Culture. New Series 5, 1974, p. 103-126; trad.russe, « Проблема Московии: некоторые наблюдения над проблемами сравнительного изучения стиля и жанра в исторических трудах », Arxiv russkoj istorii 3, 1993, p. 187-208. 10. « Muscovite Political Folkways », Russian Review 45, 1986, p. 115-181. Complété par une réponse aux critiques suscitées par l’article, « Reply », Russian Review 46, 1987, p. 199-210. 11. « Remarques sur l’histoire du mouvement révolutionnaire à Bakou (1904-1905) », Cahiers du monde russe et soviétique 3.2, 1962, p. 225-260. 12. « André Mazon (1881-1967) et les études slaves », Revue des études slaves, t. LXXXII, fasc. 1, 2011.

AUTEUR

PIERRE GONNEAU Université Paris-Sorbonne

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Jean-Paul SÉMON 1934-2015

Hélène Włodarczyk

1 Les nombreux collègues, disciples et amis qui s’étaient joints à la famille de Jean-Paul Sémon pour lui dire adieu lors de ses obsèques à la paroisse Saint-Serge de Radonège le 5 février 2015 témoignent à nouveau de la sympathie et de l’admiration qui s’étaient exprimées lors de la parution de l’imposant recueil de travaux1 offerts au maître en 2008 après son départ en retraite.

2 Mais toutes ces manifestations de sympathie ne sauraient assez dire l’exceptionnelle valeur scientifique de l’œuvre du linguiste Jean-Paul Sémon. Œuvre malheureusement peu connue au-delà du petit noyau des slavistes de langue française à notre époque où le milieu international de la slavistique est, lui aussi, dominé par l’anglais. Cette œuvre monumentale2 se compose de plusieurs cercles dont les parties publiées ne sont que la pointe immergée d’un iceberg. Les travaux linguistiques s’appuient sur une familiarité avec les textes que Jean-Paul Sémon explorait avec passion et minutie depuis le vieux- slave et le vieux-russe jusqu’à la littérature la plus contemporaine et la plus diversifiée, sans oublier les genres dits mineurs dont le linguiste faisait son bonheur, tels que les blagues soviétiques ou les romans policiers les plus scabreux parus après l’effondrement de l’Union soviétique. Tout cela était pour le linguiste une précieuse source sur l’évolution de la langue russe. Ses travaux, d’une rigueur et d’une précision exemplaires, fruits chacun de plusieurs années d’observation et de réflexion, concernent tous les domaines de la langue depuis la phonologie (dont un ouvrage sur les neutralisations en russe moderne utilisé par des générations de russistes) jusqu’à la structure du texte avec une attention particulière consacrée à l’aspect et au temps ainsi qu’à la syntaxe. Menées systématiquement en relation avec la sémantique et – il ne faut pas l’oublier – la pragmatique (surtout la présentation de l’information comme ancienne ou nouvelle), les recherches aspectuelles et syntaxiques de Jean-Paul Sémon ont conduit à des théories innovantes, bien en avance sur leur temps.

3 Sa vie tout entière consacrée à la linguistique russe avait commencé par des études à la Sorbonne complétées au moment de sa maîtrise, en 1956, par un séjour mémorable dans une Russie à peine entr’ouverte aux Occidentaux à la faveur de la déstalinisation3.

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4 Sa carrière d’enseignant débute en 1958 ; après son succès à l’agrégation de russe, il enseigne dans deux lycées, d’abord à Marseille (Saint-Charles) puis à Paris (Henri IV) avant de devenir en 1966 assistant à l’Université de Paris X-Nanterre où il fut aux premières loges des événements de mai 1968 qu’il avait analysés avec humour et clair- voyance. En 1972, il rejoint l’Université de Lille où il est élu professeur de linguistique russe après avoir soutenu sa thèse d’État en 1982 à la Sorbonne (Paris IV) où il est ensuite élu professeur en 1985. Il y enseignera la linguistique russe jusqu’à son éméritat en 2004. C’est pendant toutes ces années à la Sorbonne où Jean-Paul Sémon était au sommet de sa pensée scientifique que j’ai eu la chance d’être sa collègue. Les étudiants de linguistique polonaise et de linguistique slave du Sud suivaient avec assiduité et, à l’époque, sans aucune obligation statutaire, son stimulant séminaire sur l’aspect. Jean- Paul Sémon savait en effet se faire comprendre de tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement des langues, il tirait parti, pour approfondir la réflexion, de la présence d’étudiants de Corée du Sud ou du Japon qui cherchaient auprès de lui sur le russe d’autres sources que les soviétiques. Dans ces années-là, grâce à la présence de Jean- Paul Sémon, l’idée de nous réunir en séminaire de linguistique slave fut un succès : nous y discutions avec des collègues de différents pays de la linguistique des langues slaves, des plus aux moins connues en France.

5 Ses écrits se composent de sa thèse d’État de près de 1 000 pages (quatre volumes) soutenue en 1982 à la Sorbonne, des cours polycopiés d’une abondance et d’une minutie exceptionnelles4, des traductions de trois romans d’Alexandre Soljénitsyne et de poèmes de Joseph Brodsky. Cet énorme ensemble sert de soubassement aux articles de linguistique publiés dans des volumes collectifs ou des revues scientifiques. Ainsi préparé par de longues recherches, chaque article est un petit chef-d’œuvre dont la concision est rendue possible, malgré le corpus important sur lequel il se fonde, par la longue et exigeante réflexion qui l’a précédé aboutissant à une théorie générale, parce que confrontant le russe à d’autres langues, et innovante, puisqu’elle intégrait dans une perspective commune des problèmes jusqu’à lors traités isolément. La puissance explicative, l’élégance et la cohérence des théories sont renforcées par une terminologie parfois nécessairement néologique mais toujours parfaitement expliquée. Cette terminologie bien maîtrisée a permis de créer une cohérence et une correspondance entre les théories locales jusqu’à parvenir à une vue d’ensemble de la langue. Aux slavistes francophones qui ont la chance de pouvoir accéder à une telle œuvre on ne saurait trop conseiller de relire et méditer chacun de ces articles relativement courts mais d’une densité rare, aussi bien ceux encore dispersés mais pour la plupart accessibles à partir de la version numérisée de la Revue des études slaves5 et ceux réunis et publiés en 2014 par Christine Bracquenier dans la collection des travaux de l’Institut d’études slaves6.

6 Jean-Paul Sémon a consacré ses recherches aux domaines les plus épineux de la langue russe. Non seulement l’aspect mais aussi la syntaxe et la sémantique de l’adjectif (court et long), la phrase à coordination (notamment la conjonction a), le problème très débattu du génitif-accusatif. La réussite de ses études est due à l’observation attentive des corpus en mettant de côté les idées linguistiques reçues, qu’elles soient les plus traditionnelles ou les plus à la mode. Le chercheur se donnait la peine de refaire le parcours menant aux théories connues pour les infirmer, confirmer ou modifier. Il y réussissait grâce à sa connaissance de l’histoire de la langue russe et à la typologie linguistique. Il savait que l’évolution ne s’arrête jamais et que, pour comprendre

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certains phénomènes contradictoires, il fallait prendre en compte la coexistence à une même époque (sans oublier la contemporaine) d’états de langue différents, ceux du passé et ceux de l’avenir. Il réussissait également grâce à l’intégration de perspectives considérées isolément par d’autres : notamment l’examen des questions de syntaxe et morphologie en liaison avec la sémantique et la pragmatique. J’appelle pragmatique notamment l’attention à la structure du texte, à l’alternance de l’information nouvelle et ancienne, à la respiration du texte entre tension et détente. Cette attention au texte permet de relier systématiquement les problèmes de la forme linguistique (morphologie, phonologie, intonation) à ceux de l’expression du sens. Pour toutes ces raisons, on ne saurait trop encourager les jeunes chercheurs à méditer les travaux de Jean-Paul Sémon en espérant même que des slavistes étrangers pensent à en faire connaître au moins quelques-uns au-delà du monde francophone par des traductions en russe ou en anglais.

7 La valeur scientifique exceptionnelle de ce collègue n’éclipsait pas sa qualité humaine. Bien qu’il fût d’une parfaite discrétion sur sa vie privée quelques paroles sur ses proches laissaient deviner son exemplaire dévouement à sa famille. Il partageait le goût des lettres russes avec son épouse Marie, née Lossky, professeur de littérature russe à l’Université de Nanterre. Ils eurent deux filles dont il fut un père aimant et attentif. Le mariage de l’aînée et la naissance de trois petits enfants firent de lui le plus heureux des grands-pères qui savait faire partager sa joie à ses collègues. Il fut attentif au développement du langage et de l’intelligence des petits, passionné et réjoui de leurs progrès, s’amusant à redécouvrir le monde avec eux. Enfin, vint le grand âge de sa mère à qui il rendait visite régulièrement. Sous les soucis de la vie quotidienne on devinait, par quelques remarques peu banales, une longue recherche spirituelle. Son attention au bonheur comme à la peine, Jean-Paul Sémon en gratifiait tous ses étudiants depuis les débutants jusqu’aux plus avancés ; ceux qui, attirés vers la linguistique par son enseignement stimulant, ont soutenu sous sa direction une maîtrise et un doctorat gardent de leurs années de recherche un souvenir inoubliable qu’ils ont tenu à évoquer dans le recueil offert à leur maître pour son éméritat. Tous se sont sentis orphelins à son décès.

8 Sa modestie, sa droiture, son refus des compromis, ses formules pleines d’ironie mais aussi d’indulgence envers les travers de ses semblables montrent que sa pensée ne se nourrissait pas seulement de l’observation des textes. Doué pour “entendre” la musique des langues, il savait imiter toutes sortes d’accents. L’homme est aussi un style, celui de Jean-Paul Sémon se distingue par une concision, une limpidité, un sens de l’humour et un don de la formule, bref, une virtuosité en français qui donne à la présentation scientifique sa force de persuasion et son accent personnel. Pour apprécier la formule de Jean-Paul Sémon : “L’Aktionsart est aujourd’hui un terrible capharnaüm7”, il faut prendre en compte que son idée, formulée très tôt, de considérer les verbes non pas dans le cadre d’un couple mais dans un ensemble de dérivés aspectuels, appelé “arsenal aspectif” de la notion verbale, fait depuis peu son chemin dans la slavistique mondiale où s’impose le concept “d’amas aspectuel de verbes” (en anglais aspectual cluster8). Il faut aussi savoir, que dans la première moitié du XXe siècle, l’idée de séparer radicalement l’aspect dit grammatical de l’Aktionsart était considérée comme un progrès de la science. Agacé par la manie de réduire – au nom de la simplification pédagogique – l’arsenal verbal slave à un couple, Jean-Paul Sémon ose une malice verbale : “l’accouplement pédagogique9” ; tout en expliquant que cet “accouplement” est le résultat d’une projection de la binarité de la catégorie d’aspect sur la richesse

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dérivationnelle des verbes slaves. Attentif aux causes mêmes des errances des linguistes, ce n’est qu’au terme d’un très attentif et impartial examen des efforts des slavistes français pour comprendre l’aspect slave que Jean-Paul Sémon se permet de glisser : “La soif de briller prime souvent le devoir d’éclairer10.”

9 Au contraire, Jean-Paul Sémon se tenait, lui, à l’écart du salon intellectuel. Au terme d’un long et solitaire travail d’exploration de corpus appuyé sur une réflexion théorique remettant en cause les idées reçues, ses écrits manifestent que, plus d’une fois, il a vu s’illuminer devant ses yeux une beauté et une ordonnance dépassant les limites de l’entendement humain. C’est alors seulement qu’il tenait à faire partager ses découvertes, mu par un véritable “devoir d’éclairer”.

NOTES

1. Construire le temps construit : études offertes à Jean-Paul Sémon, réunies par Jean Breuillard et Serge Aslanoff, Paris, 2008, IES, 719 p. 2. Une bibliographie de ses travaux se trouve dans Construire le temps..., p. 707-714. 3. Le professeur Georges Nivat évoque dans le volume Construire le temps..., ce stage en Union soviétique où il devint l’ami et l’acolyte de Jean-Paul Sémon dans leur joyeuse résistance à la normalité soviétique par leur humour et leurs blagues d’étudiants. 4. Christine Bracquenier, professeur de linguistique russe à l’université de Lille, une des premières à avoir soutenu sa thèse sous la direction de Jean-Paul Sémon travaille à l’édition de ses cours après avoir réuni plusieurs de ses articles en un volume en 2014. 5. http://www.persee.fr/collection/slave 6. Jean-Paul Sémon, Questions de syntaxe sémantique en russe contemporain, Paris, Institut d’études slaves, 2014, 196 p. 7. « Postojat ou la perfectivité de congruence », article de 1986 repris dans Questions..., p. 21. 8. Laura A. Janda, « Aspectual clusters of Russian verbs », Studies in Language, vol. 31 (3), 2007, p. 607-648. 9. « Les Russisants français et l’aspect », in Construire le temps..., p. 689. 10. Ibid., p. 703.

AUTEUR

HÉLÈNE WŁODARCZYK Université Paris-Sorbonne

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