LE 1er JANVIER 1960 Du même auteur

LES IMPITOYABLES, nouvelles. AU-DELA DE LA MONTAGNE, roman (Le Livre de Paris). LES OISEAUX N'Y SAVENT PAS CHANTER, essai (Julliard). LA LÉGENDE DE PABLO CASALS, essai (Editions Proa). LES ETONNEMENTS DE MISTER NEWBORN, roman - Prix Courte- line 1955 (Julliard). LES PROMENADES DE M. TRIPOIRE, roman (Julliard). LA VIGNE SOUS LE REMPART, roman - Prix Sully-Olivier de Serres 1957 (Julliard). LES HOMMES NE SONT PAS DES HÉROS, roman (Julliard). LA SUCCESSION, essai (Julliard). YALTA, OU LE PARTAGE DU MONDE - Prix Historia 1964, Prix Plaisir de lire 1964 (Robert Laffont). BANDOUNG, UN CARREFOUR DE L'HISTOIRE (Robert Laffont). SIRE, ILS ONT VOTÉ LA MORT, essai sur la mort de Louis XVI (Robert Laffont). UN PRINCE CHERCHE UN ROYAUME, essai (Hachette). SANS DE GAULLE, essai (Pion). LÉNINE ET STALINE, essai (Plon). L'EPOPÉE MONDIALE D'UN SIÈCLE, essai (Hachette). LES FRÈRES BURNS, roman (Julliard). HOMMES LIBRES... (Plon). ... ET LES COYOTES HURLERONT (Julliard). LE PREMIER JANVIER 1900 (Plon). LE PREMIER JANVIER 1920 (Plon). LE PREMIER JANVIER 1940 (Plon). Prix Agrippa d'Aubigné 1978.

En préparation

L'AVENTURE EUROPÉENNE. 1. De Minos aux Rois Soleils. 2. De Mozart à Gagarine. ARTHUR CONTE

Le 1er Janvier 1960

PLON La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une " col-un lective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes cl^tions dans u but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou rePr°îuflon grale, ou partielle, faite sans le consentement de 1 auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de 1 article ). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce so , constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 4lo et vants du Code pénal. © Librairie Plon, 1978. ISBN 2-259-00399-0 A mon petit-fils, Guillaume.

1 Le Réveillon

Paris, vendredi 1er janvier 1960, 0 heure : règne, toute la ville danse et il fait très doux. En vingt ans, la France a dévoré trois Constitutions et trois Sau- veurà. La Troisième République n'a pas survécu en 1940 au plus lourd désastre jamais subi par nos armées, écrasées en quelques jours par les troupes allemandes ; l'Etat Français, capitale Vichy, dura ce que dura la guerre ; la Quatrième République, minée par des crises ministérielles incessantes, trop faible ou incertaine pour maîtri- ser les énormes drames de la décolonisation, trop aisément harcelée par des ennemis « tous azimuths », abdiqua il y a vingt mois, un 13 mai, consécutivement à treize complots bien comptés et après seulement treize ans d'existence. Des trois « Sauveurs », Edouard Daladier, « le sauveur de la paix » à Munich, fut chassé du premier rôle en mars 1940, avant même de voir anéantir ses armées ; le maréchal Philippe Pétain, « le sauveur de Verdun », sacré « Chef de l'Etat Français » pour assumer toutes les corvées de l'armistice, termina la plus glorieuse des carrières sur le banc de la Haute-Cour, jugé à plus de quatre-vingt-dix ans pour « atteinte à la sûreté inté- rieure de l'Etat et intelligences avec l'ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes » ; le général de Gaulle, « le sauveur de la Libération », salué en 1944 par le Parlement comme ayant « bien mérité de la patrie », ne put longtemps s'accom- moder du « régime des partis » et ne se maintint au pouvoir qu'un peu plus d'une année, dès lors, exilé pour de longs mois en son asile familial de Colombey-les-Deux-Eglises, en Haute-Marne. Jus- qu'en 1958, l'on pourrait d'ailleurs presque citer cinq sauveurs, en comptant dans la série, pour 1952, le sage et modeste , « le sauveur du franc », notre nouveau Poincaré, « Monsieur Tout-le-Monde », si typiquement Français moyen avec son petit chapeau, sa moustache courte et son bon sens, lui aussi vite renvoyé à ses foyers, aussitôt que jugé inutile, et, pour 1954, le radical messia- nique Pierre Mendès France, sauveur de gauche, prototype du tribun visionnaire, voix de velours, profil de boxeur poids moyen, appelé pour signer la perte de l'Indochine, congédié aussitôt après. Le plus étrange est que l'un de ces sauveurs ait pu retrouver le trône. C'est peu dans la coutume du pays. Ce fut pourtant fait assez promptement, lorsque, désespérant de sauver l'Algérie française et appliqués à éviter la guerre civile, tous les chefs de la Quatrième République, de René Coty, président de la République en exercice, à son prédécesseur, du socialiste au démocrate-chrétien , du radical Félix Gaillard à l'indépendant Antoine Pinay lui-même, se résignèrent à faire appel « au plus illustre des Fran- çais » : seuls, parmi les anciens ministres importants, Pierre Mendès France, François Mitterrand et Maurice Thorez ne donnèrent pas leur voix. Ainsi Charles de Gaulle — essentiellement rappelé et supplié pour garder Alger à la France — a-t-il dès le 2 juin 1958 retrouvé le pouvoir, entreprenant aussitôt de fonder la Cinquième République, dont il a été élu président il y a treize mois, dans le cadre d'une Constitution étrange qui a rapidement pris tout le style et le fond d'un régime monarchique. Les premiers Capétiens aussi étaient élus, a dit le général avec cet inimitable humour, si féroce, qui lui est propre. Au demeurant, l'avènement du souverain ne va pas sans un autre paradoxe : on commence par se demander si, en principe rappelé pour « sauver » l'Algérie, le héros ne sera pas fina- lement venu pour la perdre. La France est volontiers cynique dans l'utilisation de ses héros. En vérité, elle avait besoin de celui-là pour larguer un empire colonial devenu trop lourd. Elle n'y manque pas. Ainsi s'efface mieux la plus grande France, avec les mots de la grandeur. On n'en danse pas moins avec allégresse et frénésie. Une fois de plus, guerre ou pas, honte ou pas, peur ou pas, toute la ville ne vit que pour la fête. Embrasés de néons du Rond-Point à l'Etoile, les Champs-Elysées retentissent depuis quelques instants d'un fantastique concert d'avertisseurs donné par les automobilistes. Et, sur les boule- vards, passants et fêtards rôdeurs de s'embrasser à bouche que veux-tu. Les établissements de regorger de clients. Ils le peuvent : cent tonnes de foies d'oie et deux millions de bouteilles d'Armagnac ont été vendues cette année dans le seul département du Gers pour le réveil- lon national. L'évènement de masse était de fait prévisible : non seule- ment il fait doux, avec comme température un agréable 11° et comme ciel une ouate basse qui ne fait même pas redouter la pluie, mais encore l'énorme affluence qui s'est constatée toute la journée dans les grands magasins et dans les boutiques, de plus ouverts au-delà des heures habituelles, faisait aisément augurer de déchaînements collectifs pour le soir. Place de la Madeleine, où règnent d'un côté les fleurs, de l'autre les plus fines charcuteries, on n'a jamais vu de telles queues d'amateurs de mimosas de Grasse ou de ballottine truffée. Rue Lepic, rue Montorgueil ou rue du Poteau, et dans toutes les rues que le commerce transforme quotidiennement en marchés, les étalages débordaient jusque sur les chaussées pour mieux proposer gâteaux, jouets, dindes, bimbeloterie, ananas et pam- plemousses, car les échanges mondiaux sont devenus si actifs et rapides que les réveillons se fêtent désormais avec autant de merveilles d'Abidjan ou des Antilles qu'avec des délices de l'Alsace ou du Périgord. Le soir n'a pu que décupler l'entrain de la journée. De surcroît, radio nationale et télévision sont en grève : c'était enlever à beaucoup de sédentaires un de leurs meilleurs arguments. Dès lors, voici à qui prendra d'assaut nos milliers de restaurants, si typiques avec leurs néons, leurs petites nappes à carreaux, leurs pick-up, leurs maîtres d'hôtel en habit noir et leurs garçons en veste blanche. Les plus modestes cafés-brasseries annoncent un plantureux réveillon sur la devanture, avec souvent des caractères en couleur, des illustrations fantaisistes à la craie et une avalanche de flocons blancs : seule neige visible, cette année, que cette neige dessinée. Rue Tronchet, l'accordéoniste aveugle qui joue sur le trottoir son sempiternel Quand les lilas blancs est en train de battre tous ses records de recettes. On offre de toutes parts attractions, cotillons, saxophones, tambours, confettis. C'est pourquoi sans doute rues et boulevards sont le théâtre inattendu de si invraisemblables embouteillages : le temps doux aidant, on roule de café en café, de bar en bar. Les autocars du réveillon-surprise, autre institution des temps nouveaux, ont du mal à se frayer un passage. Et de danser tangos ou rock and roll. Et la chaleur de faire couler les fonds de teint. Et les chœurs de pousser mille refrains... On ne soupe d'ailleurs point que sur terre : on réveillonne aussi sur l'eau et dans les airs. Les bateaux-mouches de la Seine sont surchargés de passagers-dîneurs. Un biréacteur Cara- velle emporte soixante-treize voyageurs-spectateurs-gastronomes à 800 kilomètres à l'heure et à 90 000 francs par tête dans une frénétique ronde aérienne, Europ by night, entre Paris, Rome, Londres et Berlin. De toutes parts, rarement néons auront illuminé autant de charre- tées d'oies, de poulets et de dindes faisant la roue, les plumes en éventail, ou alors plats de galantine truffée, ourlée de gélatine rousse, de gâteaux somptueux à la crème Chantilly ou de colliers de bou- dins noirs et blancs. Les journaux assureront demain que jamais Paris n'aura ingurgité autant d'huîtres, de crabes et de moules. La préfecture de police a été sage de mobiliser pendant toute la nuit deux mille cinq cents pompiers pour veiller sur tant de folies, et l'on comprend que la R.A.T.P. ait dû quadrupler le service des autobus nocturnes. Et de dîner russe au Dinarzade ou à la Chauve- Souris, avec sans doute caviar Khrouchtchev et vodka Boulganine. Et de réveillonner avec Pierre-Jean Vaillard au Sully du Bois ou avec Horgues et Carlo Nell chez Jean Rigaux, au Cabaret d'Auteuil. Et, aux Halles, les messieurs d'offrir aux dames, par bottes ou gerbes, glaïeuls roses, tout frais atterris de Nice, roses de Baccara, qui tiennent la tête de la cote, et « eucalyptus populus », qui constituent l'une des toutes dernières conquêtes du marché parisien. Naturellement, on rivalise d'imagination. A l'Echelle de Jacob, l'animateur Christian Nohel invite chaque spectateur à draper des morceaux de tissu sur un sculptural mannequin : mains qui s'attar- dent, hanches qui frissonnent, baisers qui se rêvent. Au Il Teatro, rue de Buci, on lance le jeu du faux clochard : ainsi voit-on Jean-Pierre de Ré mimer « un compagnon de la belle étoile » en plein état d'ébriété, sous l'œil connaisseur de Marcel Marceau, puis demander à la ronde l'autorisation de chanter. La Toison d'Or ressuscite « la danse à l'orange » ; il s'agit pour chaque couple de maintenir entre deux fronts un de ces agrumes ; l'art cesse d'en être aisé quand l'orchestre cesse de jouer slow. La Puerta del Sol propose seguedillas, jotas aragonaises, verdiales de Malaga et zapa- teados flamencos : on ovationne chaleureusement el Gitanillo Rubio, jeune Andalou à la fois chanteur et danseur qui improvise en vif- argent sur les thèmes volcaniques des passions madrilènes. Toute la Rive Gauche est dans le délire. Sur le boulevard Saint-Germain, tandis que toutes nos cloches sonnent minuit, les Giulietta, les Austin et les Rosalie roulent au pas, aile à aile. « On vous la souhaite pas trop encombrée, messieurs-dames », dira Suzanne Gabriello qui a l'imprudence de passer par là avant d'aller rejoindre à l'Echelle de Jacob Michèle Arnaud, Jean-Marie Proslier, Jacques Brel et René-Louis Lafforgue. L'Epi-Club fait foule autour de Mar- pessa Dawn, Micheline Presle, Sacha Distel et Louis Malle. Mous- tache est maître de céans au restaurant de la Sainte-Barbe. M. Gaudimbas conduit en bondissant le Mexico Lindo, pour enseigner aux Parisiens la bamba, avec au premier rang du public Danielle Darrieux, Paul Meurisse et Dario Moreno, puis on joue au pignata, jeu qui consiste à briser avec un marteau, les yeux bandés, une poterie remplie de friandises, et on vide des tonneaux de tequila, alcool de jus d'agave parfois surnommé alcool de puma. A la Grande Séverine, rue Saint-Séverin, sous des voûtes du XIIe siècle, on voit une bombe glacée rose faire explosion — en référence à la toute prochaine bombe A, au Sahara. A la Tour d'Argent, qui fait souper en habit et en smoking aux chandelles, une nouvelle pièce maîtresse fait pâlir le canard au sang, « la noisette de chevreuil à la diable, avec le nid de pommes soufflées et la purée de marrons. » Il Teatro propose « le plus vif chianti du monde ». Pierre Doris, aidé de Bob du Pac, mène le bal dans les profondeurs du Club du Vieux-Colombier : on se demande comment on parvient encore à voir parfois émerger de ce flux et reflux océanique la tête ébahie et fantomatique de Philippe Clay. Seul, le « privé » du Club Saint-Germain où l'on se régale avec Ginette Leclerc, Jean Chevrier, Alain Delon et une sensationnelle poularde à la Neva, et où l'on est assez étonné d'apprendre que l'on y attend avec Brigitte Aubert, Nicole Courcel et Laurent Terzieff, les Marx Brothers, dit « les bulldozers du rire », fait régner calme et dignité ; on a le temps de contempler les chefs- d'œuvre de nos élégantes, ici une coiffure Cyclamen, brodée de pierres taillées multicolores du Tyrol, qu'auréole un tulle illusion gris perle, là Rêve, rose en tulle vert piquée d'étamine de strass, plus loin Papillon, rose en tulle rouge que rehausse un nœud de satin rubis. Partout ailleurs, on bondit et rebondit. C'est pourquoi Françoise Sagan, Raf Vallone et ce milliardaire joyeux de Niarchos ont préféré l'Eléphant Blanc, et Porfirio Rubirosa, « le Casanova du siècle », Maria-Gabriella de Savoie, « la Blancheneige de l'Italie », Maurice Ronet, Anouk Aimée, Michel Auclair et Yvan Desny ont couru au Jimmy's, qui inaugure de surplus un nouveau cocktail d'enfer, « le don Juan ». Tous les plaisirs sont de Paris : jamais on n'aura vidé dans une nuit autant de carafes de beaujolais ou de cuves des Corbières, mais des soupeurs sélect ont pu jouer, de night- club en night-club, à élire le cocktail le plus capiteux de la nuit, le « Gin coffee », le « Punch au thé », le « Punch au Champagne », le classique « brûlot », aussi français que le pudding peut être anglais, le « Volcan des Bahamas », le « Bénédictin aux Poivres de la Jamaïque », le « Sorcier en Feu des Bermudes » ou le cocktail « Café de Paris ». dont le shaker prévoit par personne une demi- tasse de café, deux cuillerées de crème, deux cuillerées de sucre, deux cuillerées de marasquin et trois cubes de glace, tant il doit être vrai que nos gens du monde ne savent plus aimer ni boire simple. La « Rive Droite » n'est pas en reste. Au Whisky à Gogo, on fait de la Jumpologie : danser le cha-cha-cha avec un verre de whisky- on-the-rocks sur la tête. Le Nouveau Club Saint-Florentin, sur thème de fête foraine, met en loterie un verre de whisky, un réveillon complet ou un petit cochon rose, tandis que Maria Candido et son mari Pierre Havet, Irène Hilda, Armand Mestral et Philippe Lemaire écoutent une cartomancienne gitane annoncer à tous un avenir du plus beau fixe. Le Polo-Bagatelle a prévu mille chansons et mille saucissons chauds pour le rallye-surprise de l'Association sportive du Corps médical français. Inauguration : de ce côté-ci de la Seine, on s'est mis à table assez tôt pour avoir à minuit « in puncto » l'omelette-surprise. Seul Lasserre organise deux services, l'un avant minuit, l'autre après. Tous les autres optent pour « le dîner prolongé », ainsi Drouant, tout décoré de sapins verts, Berkeley, qui s'honore de proposer sa carte habituelle sans majoration de prix et Ledoyen, qui ne fermera pas ses portes avant sept heures. Si le Grand V éfour ne réveillonne pas du tout, on festoie au Fouquet's sur ses deux étages, et on farandole follement au Club Elysées-Matignon, tout harnaché de sapins givrés. Chez Laurent, on a cotillons, Lily Bontemps et Robert Rocca. Au Lido — dont toutes les tables ont été retenues depuis plus d'un mois — on a Raymond Bussières, Marguerite Monnot et Darry Cowl. A la Licorne, on a Dany Robin, Georges Marchai et Jean-Claude Pascal. Au Club de l'Etoile, où M. Feridun Cemal Erkin, le si distingué ambassadeur de Turquie, a retenu la meilleure table, on a refusé plus de deux cents personnes : Maurice Bataille, néanmoins, y a accueilli la princesse Aga Khan, mère de Saddri, et y attend Marcel Achard, qui dîne en privé chez Robert Manuel. Dinarzade fait valser à en perdre la tête. La Cabane Bambou, à Auteuil, affiche cinq attractions royales et « les jeux les plus surprenants » : par exemple, à trois heures, les danseuses devront porter leur cavalier dans leurs bras ; une prime aphrodisiaque est prévue pour le couple qui tiendra le plus longtemps. Tous les plai- sirs de cette ville sont incomparables : on va par nuées souper au bowling de la rue de Montpensier, où trône Kouba, le mannequin- vedette de Christian Dior, d'innombrables placards publicitaires recom- mandent de réveillonner « avec Ray Conniff et sa grande formation, une sonorité révolutionnaire qui renouvelle la musique de danse », et Montmartre, qui renaît soudain, vous redonne à son tour mille et un plaisirs. La place du Tertre est illuminée comme un château de la Loire. Autos et passants s'entassent à qui mieux mieux dans les ruelles, où l'on rit de tout, même quand les G.I. américains, débraillés jusqu'au nombril, jouent à boxer et bousculer bourgeois et bour- geoises. On s'entasse aussi dans toutes les boîtes. Ne jouent-elles pas à qui aura la palme de l'originalité ? Alors, on voudrait les « faire » toutes. Chez la Mère Catherine, vous dégustez un velouté de homard divin à la lueur des lampes rouges diaboliques. Chez Patachou, la merveilleuse chanteuse n'aura jamais coupé autant de cravates d'Anglais. Au Lapin Agile, on croit retrouver Bruant, tant on y regroupe des poètes habiles à réciter Verlaine et Paul Fort. Avenue Junot, tout en bas de la rue Saint-Vincent, Chez Lucienne Boyer, maison de l'ancienne diva de Parlez-moi d'amour, présente en vedette sa fille Jacqueline. Au Moulin Rouge, Jean Constantin et Jean Raymond tiennent le micro face à une foule qu'on croirait ligotée de kilomètres de serpentins. La Cloche d'Or est aux chansonniers, La Nouvelle Eve aux Vénus, naturellement nues, le Garden Club au charleston. Ne manquez surtout pas Scheherazade, le bordj y est superrrbe, même s'il n'est à peu près plus dégusté que par des gens du Massachussetts ou de la Pampa. Notre incomparable Maxim's garde tout son prestige, avec toute la mystérieuse magie qu'il doit à son paysage de velours grenat et de lianes d'acajou. Les années ont eu beau passer, depuis les saisons légendaires de Boni de Castellane et de Liane de Pougy, les temps héroïques où l'on voyait entrer André Maginot, surnommé du fait de sa haute taille le « Maxim's homme », et les soirées fantastiques où Pardailhé-Galabrun criait : « Vive l'Empereur ! » pour mieux faire la nique à Alfred Waskiewiez qui criait aussitôt : « Vive le Roi ! », Maxim's reste Maxim's. Le plus souvent, on s'y croirait encore en 1900. A peine note-t-on un peu trop d'Américaines d'un certain âge, trop voraces, friandes ou curieuses d'adolescents snobs. On entend reprendre tous les refrains du temps jadis, Froufrou, ou la Matchiche, Les Bas Noirs et En r'venant d'la r'vue. Sur le ton juste, on continue à savoir appeler les princes de sang : Monsei- gneur. On laisse l'illusion au tout venant d'être un « Monsieur le Marquis ». Le successeur d'Albert, Roger, reçoit avec l'intimité un tantinet solennelle chère à la maison depuis toujours. Le solide Humbert, venu du Caneton, a remplacé Barthe aux cuisines et un solide Pommier a été promu sommelier en chef. Mais grands plats et grands crus préservent toute la délicatesse d'antan. Les clients du 1er janvier 1900 retrouveraient en ce 1er janvier 1960 les mêmes peintures, avec les mêmes naïades dans les mêmes nénuphars, d'iden- tiques silhouettes au vestiaire-balcon, aussi discrètement empressées, le même bar, la même galerie et le même salon surnommé par le duc de Morny le Saint des Seins — avec les mêmes tables 16 et 23 réservées toujours aux hôtes de marque. On n'y remarque ce soir qu'une innovation : Maurice Carrère y fait sa rentrée dans les fonctions d'administrateur délégué ; pour la circonstance, il s'est fait confec- tionner chez Severino un uniforme d' « hôte parfait », un ensemble du plus grand chic avec veston noir en « laine sauvage », boutons d'argent ciselé et pantalon pied-de-poule noir et blanc ; il vient donner la main à Roger ; son premier mot a été pour dire que le principal est que Maxim's ne perde rien de sa classe ni de son prestige, précisant que « Maxim's n'est pas fait pour les touristes qui viennent danser le french-cancan sur le tombeau de Napoléon ». Pour autant, Maurice Carrère n'abandonne pas son restaurant de Montfort-l'Amaury, autre rendez-vous des notoriétés parisiennes. Tout au plus a-t-il pris la décision qu'il n'y organiserait plus de réveillon : celui de la Saint-Sylvestre 1959 est le dernier. Ce qui n'a pas empêché notre Carrère d'y apporter tous ses soins : comme les années précédentes, une neige artificielle givre les arbres du jardin et, à l'intérieur, le sapin traditionnel est remplacé par un mimosa. Soyons donc rassurés : Paris continue de savoir vivre. Cependant, malgré l'éclat des boîtes et des cabarets, bien des Parisiens ont préféré la chaleur de leur chez-soi. Michel Audiard, jeune homme de quarante ans mince et rieur, dialoguiste de sept films sensationnels de l'année, dont Babette s'en va-t-en guerre, les Grandes Familles et Archimède le Clochard, engagé pour écrire des dialogues des Vieux de la Vieille, un film de la « vieille vague », tourné d'après le roman de Fallet et joué par « trois croulants bavards et baveux », Jean Gabin, Pierre Fresnay et Noël-Noël, réveillonne en famille avec ses fils et sa femme Cri-Cri, dans sa belle demeure style Pompadour sur la route de Chartres. Romi a dû renoncer à rassembler chez lui pour souper, dans un salon décoré de tableaux d'Héléna Adamoff, Florent Fels, Pierre Bellemare, Henri Jeanson et Siné, comme prévu, mais a pu réquisi- tionner Savarin. On réveillonne en tête à tête, au poulet froid. Romi parle longuement de Casque d'Or, dont il a miraculeusement retrouvé les mémoires, puis d'un livre qu'il prépare sur « 1900, triste époque ». Une nouvelle fois, le duc et la duchesse de Windsor soupent chez eux, avec quelques amis, et font passer des disques de musique tyro- lienne. Les passionnés de radio sont restés à leur table. Certes, des grèves tournantes paralysent tous les réseaux de la R.T.F. (Radio-Télévision Française). Roger Frey, notre ministre de l'Information, n'a pas pu les maîtriser. Elles ont été déclenchées dès lundi soir. Il est sûr que les techniciens ne travailleront ni ce premier janvier, ni samedi, ni dimanche. Ce soir même, nous n'avons droit qu'à « des programmes de musique ininterrompue sur l'ensemble du réseau, sauf un bulletin d'informations à vingt heures ». Une entrevue, cet après-midi, avenue de Friedland, au Ministère, entre le directeur de la R.T.F., M. Chavanon, et les syndicalistes conduits par M. Simonetti n'a donné aucun résultat : seuls, notera Le Monde, ont été échangés... des vœux de Nouvel An. La R.T.F. n'a fonctionné hier normalement qu'à Alger. Nous voici du coup privés pour demain sur France III d'un admirable concert dirigé par Jean Martinon, et privés ce soir même, sur France I, de Cent ans d'Esprit montmartois, par Samy Simon, du Lapin Agile ; sur France II, de l'Ecole des Vedettes ou le Pèlerin aux Chimères, de Stéphane Pizella ; sur France III, de la pièce maîtresse du dernier festival de Bayreuth, Tristan et Yseult, avec Windgassen et Birgit Nillsson ; sur « Modulation de Fréquence » de deux remarquables concerts, l'un de musique ancienne autour de Bach et de Mozart, l'autre de musique contemporaine autour de Martinu et de Milhaud. La télévision, de son côté, a dû jeter le voile sur un programme du soir impérial, prévoyant notamment une pièce de Michèle Angot, Attention, je pique ; une parade de chansonniers de Pierre Tchernia ; On ne saurait penser à tout, de Musset, avec Yvonne Gaudeau, Jacques Charron et Robert Vattier ; Le Sire de Vergy, opérette de Claude Terrasse avec Jean Rochefort et Suzanne Lafaye ; Demain l'an 2 000, par Frédéric Rossif et Max-Pol Fouchet, des Variétés avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Robert Hirsch et les Frères Jacques, et le Bal du Châtelet, en direct de la Tour. Demain, nous n'entendrons pas davantage Paul Meurisse, Le Bel Indifférent de Jean Cocteau, Un nommé Judas de Claude-André Puget et L'Hurluberlu de Jean Anouilh, nous entretenir comme prévu, à 1 h 20, devant l'œil de Pierre Cardinal, des origines du Nouvel An. Nous devrons renoncer à applaudir de notre fauteuil Maurice Chevalier et Fernand Raynaud, les Craddocks et les Andréa- nos, Jaboune et Clo-Clo. Colette Renard ne pourra pas nous chanter Mon homme est un vrai guignol. Nous n'aurons pas à 16 h 35 un charmant court métrage agrémenté de chansons et promis sous le titre d'Inspiration, ni à 17 heures Marins, avec une présentation ori- ginale par Marcel Pagnol. Le R.P. Richard ne pourra pas nous expliquer la décision prise par Jean XXIII de convoquer un concile. Paul Guth et Jacques Gautier, en complices de la caméra de Kerch- bron, ne pourront pas nous révéler Victor Hugo intime dans leur fameuse émission sur Les Potins du Passé : tant pis, nous ne saurons pas dès demain si Victor Hugo était ou n'était pas un naïf. Roger Bénamou, chargé des programmes du jour de l'an, aura beaucoup travaillé en vain. Les sportifs eux-mêmes ne pourront dès lors assister ni à une Revue Sportive 1959 montée par Raymond Marcillac ni à l'Eurovision prévue pour une phénoménale compétition internatio- nale de saut à ski à Garmisch. Mais les postes périphériques assurent un service copieux. Radio-Luxembourg, après avoir programmé une Conférence au Sommet des Journalistes, avec Adjoubeï, des Izvestia, Marquis Childs, du Washington Post, William Connor, du Daily Mirror et Pierre Lazareff, de France-Soir, donne Nina d'André Roussin, avec Jacqueline Gauthier et François Périer. Il fait aussi présenter, par Pierre Louis, une émission spéciale, Bonne Année, dans la série de Manuel Poulet, Moi, j'aime le Music-Hall, où Jean Gabin, Jean Marais, Raf V'allone et Elvire Popesco évoquent leurs débuts sur les planches et où l'on entend également Yves Montand et Dalida. Radio-Sottens offre Bonsoir, jolie Madame ; Radio-Bruxelles la Bohème et un « Grand Bal des Artistes » ; Europe I, qui a réussi à faire présenter ses vœux par Brigitte Bardot en personne, assure la retransmission, depuis le Théâtre de la Porte Saint-Martin, de Pacifio, avec Georges Guétary et Bourvil, puis un somptueux Tour d'horloge de la danse, avec les plus célèbres vedettes internationales. Il y a de quoi passer du bon temps, tout en savourant un verre de mousseux ou une coupe de Champagne. En définitive, on ne se désolera peut- être pas trop d'être privés de la nouvelle pendule qui, sur le petit écran, a remplacé la traditionnelle pendule de cuisine, et qui, créée par Christian Hourniez dans une forme asymétrique du plus hardi style d'avant-garde, a été durant plusieurs soirs un fameux sujet de conversation pour tous nos téléspectateurs. La fête ne se limite pas à Paris. Toute la France est en liesse, à commencer par Alger et l'armée française en Algérie. Dans nos stations d'hiver, les hôtels et les auberges sont submergés. La S.N.C.F. a dédoublé ses trains pour les champs de neige. Deux cent six trains supplémentaires ont dû être prévus pour les départs de vacances de Noël. C'est par milliers que les jeunes skieurs ont dévalé les pentes de Megève. Par milliers, en pull-overs superposés, fuseaux et après-skis, ils retrouvent le soir les principales boîtes, l'Isba, les Enfants Terribles, l'Esquinade ou la Licorne, où ils retrouvent les mêmes cha-cha-chas endiablés que cet été à Saint-Tropez, tandis que les gens plus calmes, à l'hôtel du Mont-d'Arbois, ont préféré se laisser captiver par une académie de gin-rummy qui met aux prises des champions confirmés tel que Georges Cravenne, Simone Simon, Alec Weisweiller, Françoise Arnoul, et les frères Robert et Raymond Hakim, les célèbres producteurs de cinéma, promoteurs de Pépé le Moko, et de Notre-Dame-de-Paris. La Côte d'Azur retrouve sa grande saison d'hiver. Il faut dire qu'il y fait si beau qu'on y a pris ce dernier midi des bains de soleil et que « quelques audacieux, nous signale le joyeux reporter Philippe Bouvard, ont même été jusqu'à se tremper les chevilles dans la Méditerranée ». Du coup, il y a foule pour honorer ce réveillon sous toutes les étoiles, et on devine le ravissement de M. Sainteny, Commissaire général au Tourisme, qui profite des fêtes pour visiter les perles de sa couronne, de Cannes à Beaulieu. Aristote Onassis semble être le seul personnage célèbre à avoir voulu dîner en soli- taire : après une longue conversation avec New York où ses enfants ont reçu pour Noël une poupée grandeur nature et un moteur hors- bord, il réveillonne, dit-on, en tête à tête, avec la Callas, à Monaco, au Nouvel Hôtel de Paris, dans une chambre remplie d'orchidées. Mme Florence Gould elle-même, qui dans sa somptueuse résidence de Juan-les-Pins, annonçait un « réveillon familial » — rien que des intimes, affirmait le marquis de Cuevas, qui a mis son plus beau collier de perles — n'en compte pas moins quelque trois cents invités. De même, la môme Moineau, dans sa villa Bagatelle construite par le duc de La Force sur les plans du Petit Trianon, prétendait ne vouloir réveillonner qu'avec son personnel, en l'honneur duquel elle a fait sculpter par le peintre Philippe Roy, dans de la glace vive, un cheval de carrousel aussitôt recouvert de chocolat, il y a bien cent per- sonnes pour contempler la merveille. Tous les établissements de la côte, des plus fastueux aux plus populaires, sont envahis. A Monaco, au Sporting, un millier de soupeurs lancent des lieues de serpentins, et soufflent à s'égosiller dans mille sortes de trompettes. On s'embrasse sur le coup de minuit tandis qu'une pluie d'or descend derrière les vitres. Le roi de la soirée est Curd Jurgens qui a invité avec sa femme ses « vingt-huit amis les plus intimes » : il a même prié son vieil ami Georges Clouzot de quitter sa Colombe d'Or pour consoler son jeune ami José de Villalonga d'avoir refusé de tourner son dernier livre — encore que le beau José ne nous semble pas triste du tout, aux côtés de sa ravissante voisine, la troublante Martine Spina. Bernard Buffet déguste son foie gras en compagnie de l'éditeur René Julliard et de Gisèle d'Assailly, plus que jamais libellule rêveuse sous son casque de cheveux de neige ; Annabel arbore une longue tunique de velours tango bordée au col et sur l'ourlet d'une large bande de strass, avec écharpe assortie ; elle étrenne un diamant noir et porte au cou trois rangs de perles noires. Non loin, Sylvana Pampanini rit à pleines dents et essaie tous les chapeaux en papier les plus saugrenus de la soirée. On ne voit que petites tables illustres. Sur notre droite, Michel Renaud, qui vient de danser avec Liane Daydé devant le prince de Monaco, se penche vers Cléo Atichides, la fille de l'armateur, et lui annonce qu'il va « toucher cinq mille dollars pour un spectacle unique de télé à Los Angeles ». Sur notre gauche, Serge Lifar, qui s'est promené toute la journée dans une Pontiac-59 vieil or, confie à l'armateur Ambericos son rêve de l'année : « Me décentraliser ». En face, on découvre les gros joueurs : le mystérieux Invenizzi, le prince Ghyka, Kurt Reiser, « l'Hemingway d'Outre-Rhin », et le joueur numéro un, le Vénézuélien Bavero, le roi du gorgonzola. La Colombe de Saint-Paul-de-Vence affiche complet pour son souper aux chandelles dans la galerie des impressionnistes, avec pour vedettes André Cayatte, Jacques Pré vert et le prince Ali Khan, qu'accompagne son fils Karim. Au casino de Nice, comme dans tous les casinos de la côte, les joueurs inaugurent à leur façon « le Nouveau Franc » qui naît ce premier janvier 1960 : dès minuit, heure légale de l'événement- avènement, les croupiers se mettent à annoncer les unités en francs légaux — d'autant mieux que les anciennes plaques et les anciens jetons ont été modifiés par une virgule et surchargés des désormais fameuses initiales N. F. On va imprimer de nouvelles plaques pour le 31 mars : on en profitera pour changer les couleurs qui seront dorénavant le violet, le rouge, le jaune et le rose. Du moins aurons- nous vu jubiler « ceux de la Belle Epoque », qui semblent retrouver comme par miracle, leur merveilleuse monnaie sans inflation. Le marquis de Winchester, qui fête son quatre-vingt-quinzième jour de l'an, considérant les tables de roulette de un, deux et cinq francs, assure qu'il se trouve revenu aux plus beaux hivers de 1900. La Belle Otero, décidément immortelle et à laquelle on a annoncé des tables à cinq francs, s'est écriée : « Une thune ? Cela me rappelle mon entrée dans la grande vie... » A Monaco, Aimé Barelli doit se partager avec son orchestre entre le Sporting et l'Hôtel de Paris. A Magagnose, Martine Carol réveillonne gaiement avec son mari et quelques amis. On en oublie certes d'évoquer, de Menton à Marseille, l'enterrement de Clovis Dominici, le fils aîné du vieux Gaston, qui s'est déroulé ces derniers jours dans une atmosphère de drame antique : tous les habitants du Peyruis et de Lurs, la casquette à la main, ont tenu à suivre le cercueil de bois blanc contenant les restes de celui qui dénonça son père, « le patriarche de la Grand- Terre », pour éclairer la justice sur le monstrueux assassinat des deux touristes anglais Druinmond et de leur fillette ; Gaston Dominici, le meurtrier présumé, condamné à l'issue d'un procès aussi trouble que le meurtre, interné à l'infirmerie de la prison des Baumettes, est seul à ne pas savoir que son fils est mort ; la Grand-Terre, la ferme tragique où se sera déroulé « le crime le plus ténébreux du siècle » sera d'ailleurs bientôt renversée par les bulldozers pour rectifier la route nationale de Grenoble à Marseille. A Cannes, l'affluence est phénoménale. Impossible d'ajouter un seul couvert dans l'immense salon des ambassadeurs, qui a été privé de ses décors artificiels pour être entièrement paré de fleurs. A telle enseigne que Narbar Gulbenkian, « Monsieur cinq-pour-cent qui aime s amuser à « cent-pour-cent », n'a pu obtenir que deux places. On salue joyeusement le baron van Zeeland, Lucien Ventura et le Maharo de Kutch. A 23 heures, le paquebot Constellation en provenance de New York dépose dans le port une trentaine de convives yankees : ils furent sages d'avoir retenu leurs chaises. A 23 h 30, Serge Golovine, étoile des ballets Cuevas, reçoit soudain un paquet conte- nant un réveille-matin qui fait tic-tac : il croit à un attentat et ce n'est que plaisanterie. A minuit, la lumière s'éteint, un gong fatidique se met à égrener les douze coups de minuit, puis, tout à coup, de gigantesques enseignes lumineuses flamboient sur les murs, et l'on voit s'inscrire en lettres de feu : Bonne année 1960 — et les convives de se la souhaiter en quinze langues. La joie tourne à la folie. L'orchestre joue pêle-mêle hymnes nationaux, Madelon et vieilles chansons populaires. Harry Pileer et Oléo ouvrent une farandole pour diables et diablesses. Les feux d'artifice embrasent la ville jusqu'au Canet. Debout en haut de l'escalier, François André, « le grand-père de la Croisette », se frotte les mains. « C'est extraordinaire, mur- mure-t-il, la banque vient de perdre quatre-vingt-dix millions et cela m'est complètement égal... » Au même instant, à Biarritz, dans les salons illuminés du casino municipal, se déclenche une farandole aussi animée : le seul mécontent de la soirée sera Raymond Oliver, du Grand Véfour, parti furieux parce que les Espagnols n'ont pas apprécié le menu non-conformiste qu'il a proposé, sans dinde ni foie gras. A Aix-les-Bains, où un jury des plus raffinés vient d'élire Miss France 1960 en la personne de Brigitte Barazer de Lannurien, dix-sept ans et demi, arrière-petite- fille de général, étudiante à Paris, ex-Miss Côte d'Emeraude, on découvre tout à coup, parmi une cavalcade indescriptible, que des skieurs en fuseau enlacent de sculpturales Suissesses en robe du soir et que des banquiers italiens promettent « la vie en rose » à des skieuses aux joues rubicondes. A l'Hôtel du Cap-Ferrat, des journalistes ont si finement soupé qu'ils se mettent à découvrir que, si nous disposions d'un moyen de transport ultra-magique, nous pourrions à cette heure même faire le tour du monde de restaurants français en restaurants français. Miracle des miracles : nous pourrions réveillonner avec le même chic sur tous les horizons. A la Nouvelle-Orléans, la meilleure adresse est Chez Antoine, avec son décor suranné des plus belles époques, ou alors Chez Galatoire, Bourbon-Street, dont le patron est de Pau. A Los Angeles, vous savourez la langouste à la crème et le chateaubriand- pommes soufflées chez Escoffier, au huitième étage de Beverly Hilton, tandis qu'un violoniste vous joue I Love Paris. A Hollywood, vous trouvez au Romanoff Charles Boyer appréciant un ananas au fromage, et chez Robaire's Jean-Pierre Aumont découpant une côte- lette d'Argentine ou de Nouvelle-Zélande, qu'escorte une mousseline Richelieu. Un Maxim s vient d'ouvrir à Tokyo — pour mieux servir les filets de sole Mikado et les cigales à la Du Barry. Il arrive à l'Hôtel Oriental de Bangkok, dans un restaurant dit suisse, plus certai- nement savoyard, de vous servir du canard aux mangues Curnonsky ou de la sole aux bananes frites avec sauternes, même moins borde- lais que californien. A Bali, vous croyez préférer le Nazi Soreng, riz aux seiches aromatisé d'herbes javanaises, mais vous avez dans la capitale de l'île, Singaradja, une sorte de Chez Dupont ou de Chez Durand qui vous propose le homard Thermidor et les crêpes Suzette. Et soyons sûrs qu'on a universalisé nos plats les plus rares, le Jésus de Morteau à la salade de pommes de terre froide, façon l'Auberge d'Arbois, « la boîte à Raymond Escholier », les côtes de veau Tante Félicie, les œufs Pont-Biquet ou le vol-au-vent Montglas. Soyons donc rassurés, la France ne perdra pas de sitôt son plus vaste empire : celui de sa cuisine. Pour toute la soirée, il n'y aura à déplorer que les accidents de la route : le Jour de l'An sera en effet au moins aussi meurtrier que Noël, qui a compté plus de soixante morts, au point que Robert Buron, ministre des Transports, envisage de limiter à 90 km/h la vitesse horaire sur les routes les deux jours de fin de semaine. Il n'en aura pas été de même dans de nombreuses villes euro- péennes. A La Haye, la police doit charger au sabre des bandes de jeunes voyous qui jouent à incendier sapins et magasins. A Copen- hague, les policiers ont à prendre d'assaut des barricades dressées par toute une jeunesse déchaînée, parmi un vacarme inouï de pétards et de fusées. A Stockholm, la police à cheval doit rudement faire évacuer l'une des principales artères de la capitale, la Kungsgatan, envahie et ravagée par quelque mille jeunes gens en délire. A Naples, à l'issue d'identiques manifestations, on dénombre deux morts et plus de cent blessés. On ne retrouve qu'à Moscou et Londres une joie aussi sereine qu'à Paris. A Moscou, toutes fenêtres allumées, par un temps aussi doux qu'un rêve de Tolstoï, les Moscovites, en rondes à travers toutes les rues, chanteront et joueront de la guitare jusqu'à 5 heures du matin ; l'atmosphère est d'une telle paix que la Pravda, pour son premier numéro de l'année, va publier pour la première fois une caricature du chef de gouvernement : Nikita Khrouchtchev démolis- sant, avec un pic pneumatique de mineur, le vieillard glacé de la guerre froide ; le dessin est de Boris Efimov ; on verra aussi dans le même numéro l'attelage de la nouvelle troïka emmenant l'U.R.S.S. de l'année 1959 vers l'année 1960, attelage constitué par une fusée, un Spoutnik et le brise-glace atomique Lénine. A Londres, même si les Britanniques abordent la nouvelle année avec dix pour cent de plus d'argent à dépenser que l'année précédente, si, du coup, tous les records de vente sont battus, des manteaux de vison aux mouchoirs de poche, des autos pour enfants aux sifflets à roulettes, et si leur bonne humeur est telle qu'ils se sont adressés un record de 560 mil- lions de cartes de Noël, soit quinze pour cent de plus que l'an dernier, ils savent éviter toutes manifestations excessives. Ainsi s'en va 1959. En vérité, elle restera comme une année douloureuse. Elle sera surtout cotée comme « l'année des barrages assassins ». L'année finit comme elle a commencé, pourrait dire Jacques Perrot au Journal télévisé. Dans la nuit du 8 au 9 janvier, un barrage se rompait à Ribadellago, en Espagne. Coût : 16 morts. Le soir du 9 décembre, c'était au tour de notre barrage de Malpasset : un bélier d'eau de 5 mètres de haut et 70 mètres de large, lourd de 50 millions de tonnes, a semé la mort et la ruine, démolissant « la vallée des Pêchers » et la ville de Fréjus, tuant près de cinq cents personnes. Des camions chargés étaient retrouvés sur les platanes. Un bloc- moteur était plié à l'équerre par le flot qui l'avait propulsé contre un mur. Hommes, femmes, enfants, hurlaient toute une nuit dans une plaine de boue avant de s'y ensevelir. Dès lors, Fréjus ne réveillonne pas. Le gardien du barrage fatal, André Ferro, pleure sa mère, l'une des premières à avoir été emportée par « le torrent terrible ». Irène Jodar, dix-neuf ans, devait se marier ce même 9 décembre avec André Capra, vingt ans ; tout était prévu, bénédiction à l'église, déjeuner chez les Jodar, lunch pour tous les amis du quartier de la Gabelle, voyage de noces en Suisse : le lendemain du drame, on retrouva le corps d'André déchiqueté ; le plus dramatique est qu'Irène attend un bébé et que, comme le souligne Paris-Match, « la loi n'a prévu les mariages à titre posthume que pour les militaires ». Mme Legrand, directrice de l'école maternelle, a perdu dix-huit de ses élèves ; l'école avait préparé une représentation, Les Nains de la Montagne, prévue pour le Jour de l'An ; le piano, relégué dans un coin, ne chantera pas pour ces fêtes : bonnets, hachettes et costumes restent abandonnés sur les tables. Le petit Pierre Turjillo est né vingt heures avant la catastrophe à la maternité de l'hôpital ; sa mère lui doit la vie mais elle a perdu son mari et ses trois autres enfants ; on l'appelait « la Belle Espagnole » nous dit Paris-Match ; on ne la surnomme plus désormais que « la Madone crucifiée ». Les enfants Infantolino — Louis, Simone et Michel, quinze, douze et onze ans — qui ont perdu leurs parents, seront sans doute les seuls à pouvoir sourire : Saïd, le petit Iranien opéré et sauvé en France de la maladie bleue, les a invités à passer ces vacances à Téhéran. 1959 a connu d'autres tristesses. Non seulement la guerre continue de faire rage au Viêt-nam, mais nous avons vu disparaître bien des visages qui nous étaient chers. Tyrone Power, en pleine gloire, à quarante-cinq ans, « le beau ténébreux » de Hollywood, a été fou- droyé à Madrid d'une crise cardiaque sur le plateau où il tournait le rôle de Salomon : il a choisi la mort, ont dit les Espagnols. Errol Flynn, cinquante ans, inoubliable Robin des Bois, « le don Juan irremplaçable », usé par trop d'excès, est mort il y a deux mois à Vancouver, entre sa dernière conquête, la starlette Beverly Aadland, une adolescente, et Mme Caldough, à qui il était en train de vendre son yacht le Zaca. Mario Lanza, le nouveau Caruso, mi-italien, mi-américain, créateur de Arrivederci Roma !, formé à Tanglewood par Serge Koussevitzky, grand ami de Frank Sinatra, inimitable dans le rôle de Paillasse, disposant d'une voix qui pouvait aller jusqu'au ré dans l'aigu et descendre jusqu'au la dans le grave, acclamé un soir par quatre-vingt mille personnes à Chicago, a succombé en novembre à un infarctus, à trente-huit ans, indiquant par testament sa volonté de reposer dans le même cimetière que Caruso. Morts, le général Marshall, « le sauveur de l'Europe », vrai généralissime des armées Alliées durant la Guerre mondiale, le plus efficace collaborateur des présidents Roosevelt et Truman, et lord Halifax, ancien chef du Foreign Office à Londres, ancien vice-roi des Indes, l'écrivain Ventura Garcia Calderon et le doux roi du Laos, Silsavang Vong. Paris a dit adieu à Sylvia Lopez, à Henri Vidal et à l'éblouissant Gérard Philipe. L'adorable Kay Kendall a succombé à un cancer. Jean Behra s'est tué au mur de l'Avus, à Berlin. Boris Vian est mort dans un cinéma. Grock nous a quittés, de même que Sydnet Bechet sur la tombe de qui, en guise d'adieu, les étudiants vont jouer des blues. Nous avons à la fois perdu Cécil B. de Mille, géant du cinéma épique, et Foster Dulles, géant de la politique anti-communiste. Lundi soir, à Cap d'Antibes, en la villa Cossenza, s'éteignait à quatre-vingt- six ans le sympathique Fernand Bouisson, le seul socialiste que respectât Léon Daudet, « le président technicien » qui présida la Chambre des députés de 1927 à 1936, ancien président du Conseil (quatre jours), ancien maire de Marseille, ancien épéiste et rugbyman de classe internationale. Nous venons de voir mourir à l'hôpital de Neuilly, à soixante-cinq ans, Aimé Clariond : il était né dans une roulotte, mais avait une noblesse innée qui le rendait irremplaçable dans ses rôles du Soulier de Satin et d'Othello ; à l'âge de dix ans, il jouait déjà dans Les Deux Gosses ; il s'illustra dans plus de soixante films dont Les Frères Karamazov, Sans Famille et La Duchesse de Langeais ; il restera comme notre meilleur Fouché dans Madame Sans-Gêne. Nous tremblons pour Edith Piaf qui, prise d'un grave malaise en fin de réveillon, est transportée en ce moment même et de toute urgence à la clinique Bellevue de Meudon. Naturellement, 1959 a eu aussi ses sourires. Les Super-grands semblent en vouloir terminer avec les guerres froides et les autres. Le fils du Mikado a épousé sa meunière. Tout Paris s'est bousculé sous la plus grande voûte du monde pour admirer six cent cinquante millions de fleurs. Joséphine Baker a adopté un dixième enfant. Baha- montès, premier Espagnol à remporter le Tour de France cycliste, a réussi l'exploit de devenir encore plus populaire en Espagne que la corrida et le Réal de Madrid. Cannes a couronné un film « en Noirs et en couleurs », Orfeu Negro. Les Russes ont annoncé une prochaine visite à Dame Lune ; les Américains aussi. Jane Mansfield et Monsieur Muscle ont eu un fils aussi remarquablement proportionné que les parents, dénommé Miklos. On a vu Mikoyan, vraie silhouette de Groucho Marx, faire gaiement et plaisamment ses courses dans les super-markets américains. Le général de Gaulle, fort élégant dans un uniforme de gala inattendu, a fait une belle sortie au bal de Saint-Cyr. Mgr Makarios a promis la paix éternelle sur Chypre. Picasso a acheté Vauvenargues. Notre Fondation Curie a sauvé des savants atomisés yougoslaves, avec de la moelle de Français moyens. Nous avons appris qu'au Japon, on débridait les yeux pour huit dollars. Réveillonnant avec une telle joie, les Français ont dû être sensibles à tous ces sourires. De fait, les journaux vont même s'extasier du réveillon organisé par les Petits Frères des Pauvres. C'est une porte comme les autres, rue Léchevin, dans le XIe arrondissement. Le passant lit une simple inscription : « Que celui qui frappe ici sache qu'il arrive chez son frère. » Ici même siège la Compagnie, composée de laïcs qui ont consacré leur vie aux vieillards. Aventure peu commune : ils ne se contentent pas du banal : distribuer nourriture, charbon, vêtements et médicaments, assurer des soins, soulager les misères des impotents, embellir un peu et aérer ces logis misérables où flotte l'odeur fade et uniforme des vieillards abandonnés ; ils traitent les pauvres « comme des rois », les honorent comme les représentants du Nazaréen, offrent le superflu et non l'indispensable ; ils ne se veulent pas uniquement philanthropes, ils offrent à leurs « amis » les pauvres les cadeaux qui n'étaient pas attendus ; rien n'est trop beau pour eux, disent-ils. Et précisément, le réveillon de ce soir — punch, aspic de foie gras, salade de fruits au kirsch, bûche, vin d'Alsace, bordeaux, prix : 0 franc, précise le menu — est servi dans des salles décorées des plus belles fleurs, lis, tulipes, jacinthes, roses. Dans le même esprit, les maisons de vacances sont des châteaux ou des abbayes artisti- quement meublés. Chacun des Hongrois réfugiés en 1956 dans la Propriété des Frères à Achy reçoit en cadeau une montre-bracelet. Lorsque des « noces de diamant » sont fêtées, une bague de vrais diamants est offerte à la jubilaire. On préfère boucler l'année sur une note aussi optimiste. Ainsi commence 1960. Pour les incorrigibles pessimistes qui ont considéré 1959 comme un gong, un pré-round, 1960 fait quelque peur. Il y a des taches dans le soleil, disent les uns. « Les transformations » vont trop vite, expliquent les autres. Mais demande Jean Guitton dans son Journal, « qui peut jamais savoir ce qui dans une année est germe ou pous- sière ? Tacite n'avait pas remarqué la mort de Jésus et les Parisiens de 1815 riaient de voir sur la Seine une affreuse machine sans avenir : un bateau à vapeur... Les vrais événements échappent ». Allez donc savoir quels vrais bonheurs ou quels vrais malheurs s'annoncent, entre un pèlerinage d'un Soviétique aux Amériques et le ronronnement d'un spoutnik, « le Concile de l'Unité » et la guerre contre le cancer, la splendeur de nos jardins limités et l'immensité d'une steppe. En tout cas, durant les dix premiers jours, le temps sera « géné- ralement assez doux ». Le temps restera même agréable pendant tout le mois, sauf à prévoir pour la troisième semaine quelque froid et de fortes gelées dans la moitié nord-est du pays. A l'unisson, on ne comprendra que mieux l'initiative de nos confiseurs, qui lancent cette année la dragée-arc-en-ciel. L'air est si doux qu'on souriait des conseils donnés par nos chroniqueurs de mode qui, sans doute trop obsédés par le nom d'hiver, demandent à qui mieux mieux « de remplacer les bas par un collant, de prendre soin de superposer les tricots et de glisser l'un d'entre eux entre slip et gaine pour tenir chaud au ventre » et voudraient ne faire acheter que bottillons « ultra-chauds imper- méables » ou « bottes en agneau noir, porc, daim noir ou bois de rose, doublées molleton ». Est-ce le temps ? Peu d'inquiétudes percent à travers la présen- tation de la nouvelle année par les journaux. La tendance est plutôt à l'amusement ou à l'humour. L'un d'eux tient à rappeler que janvier n'est le premier mois de l'année que depuis un édit de Charles IX ; chez les Romains, Janus lui ouvrait les portes, dieu des concierges ; les Gaulois ne tenaient janvier que pour le mois où les druides agiles cueillaient le gui à la cime des arbres. Un autre souligne sa satisfaction de voir passer la population française de quelque 44 840 000 habitants au 1er janvier 1959 à quelque 45 355 000 habitants au 1er janvier 1960, « de quoi consoler notre Premier ministre, Michel Debré, de bien des soucis ». Un autre s'extasie que l'Amicale du 14' hussards ait voulu rendre honneur à la flamme du souvenir à la minute même où le jour de l'an se lève, soit à 7 h 46 : on ne sache pas qu'une autre Amicale ait choisi de déposer sa gerbe à la dernière minute où le soleil — d'ail- leurs invisible — se couchera, soit à 1 6 h 02. « 1960 passera comme un songe — précise même Marie-Claire — aussi n'oubliez pas de vous procurer dès aujourd'hui la nouvelle carte d'identité et de faire renouveler votre carte de priorité. » Et de souligner les multiples petits détails qui amélioreront notre existence. Ainsi serez-vous sages de bien vous équiper en appareils électro- ménagers. Nous sommes à l'ère du progrès. Un bœuf-mode ne prend que quarante minutes avec la cocotte sous-pression. Gain : trois heures. Une bonne lessive, au même moment, fait gagner « deux grandes heures ». En achetant un prêt-à-porter, on gagne même quarante-cinq minutes. C'est à qui vous fera gagner du temps. On finit par en avoir trop. Conseils pour ces dames sur un mois toujours difficile à traverser : ne laissez pas geler votre plante verte — rappelez-vous que l'esthétique vamp de cet hiver veut que vous ayez un sourcil diabolique au-dessus d'une paupière argentée et que la bouche, désormais, se porte dédai- gneuse — si vous avez la peau grasse, employez des fonds de teint à l'eau, qui s'étalent avec une éponge — soyez sophistiquée, troublante et sûre de vous. Rappels à préciser : les « Grégoriens » sont les seuls à fêter le Jour de l'An ; les gens du calendrier julien ou russe le fêteront le 14 janvier ; les Juifs l'ont fêté le 3 octobre, les Arabes le 7 juillet ; nous sommes dans l'An 168 du calendrier républicain depuis le 23 septembre; et l'année 1960 se trouve être la 5 720e de l'année juive, la 1 379' de l'hégire, la 63e de l'aviation, la 25e de la télé- vision et la 16e de l'ère atomique. Cadeaux recommandés : le clip à papier gainé cuir forme main ; le presse-papiers boussole ; la loupe éclairante gainée porc ; le bou- chon-pince-à-champagne. Monsieur sera ravi de recevoir une fine champagne Rémy Martin, le Transmobile, « version économique et pratique du poste-radio à transistors » ou le soulier de golf « modèle 9 309 à double tige haute articulée, matelassage mousse, corset laçage coulissant, soutien voûte plantaire et semelle translucide » ; Madame sera ravie de se voir offrir la montre Omega, la montre Yema, le dernier Nina Ricci, le nouveau flacon sac atomiseur de Robert Piguet, des brosses de sac ivoire en soies naturelles ou la croix d'Agades de Roger Meunier, « porte-bonheur en or et en argent qui étonne le monde entier ». Comble de délicatesse : Marie-Claire offre pour Noël et le Jour de l'An à nos plus grands acteurs « le rôle de leurs rêves ». Il n'y a d'ailleurs eu qu'à leur demander de le choisir. Ainsi Arletty, « Gueule d'Atmosphère », silhouette pour pont de l'Hôtel du Nord, voix acidulée, accent parigot, l'un des plus beaux visages du cinéma et le plus habile à se moquer de lui-même, folle amante hystérique en Chatte sur un Toit bridant, rêve tout haut d'être la Supérieure du drame le plus austère de Montherlant, Port-Royal, la Mère Angélique. Danielle Darrieux, qui nous reste aussi jeune et ravissante qu'à son Premier Rendez-vous, veut par contre rester si profondément elle- même, trépidante et voluptueuse charlestonneuse des Années Folles, qu'elle opte pour le dédoublement de sa personnalité : s'incarner en les Dolly Sisters. François Périer, la sympathie faite homme, hésite entre le Bon Dieu et Frankenstein. Bourvil est pour Henry VIII ; l'énigmatique Françoise Arnoul, autre Chatte, pour Poil-de-Carotte ; Robert Hirsch, ce Scapin, pour Napoléon. Zizi Jeanmaire se rêve en mime, Paul Meurisse en Othello, Jeanne Moreau en Ange Bleu. L'humour gagne jusqu'aux astrologues. Ils assurent que les dames qui naîtront sous le signe du Verseau en 1960 ressembleront à James Dean et à Frédéric Il ; elles se plairont dans les aéroports, les centres culturels et les écoles techniques ; elles seront sensibles de la cheville, moins du mollet ; elles auront à prendre du manganèse, lequel dilate la rate ; elles n'auront pas intérêt à épouser un Taureau ou un Scor- pion : mieux vaudront donneurs de tendres caresses. Il sera préfé- rable pour les nouveau-nés de n'être pas du Capricorne, qui pré- dispose à l'arthrite et aux tendances boudeuses, du Cancer, qui porte toujours aux sautes d'humeur, du Scorpion, inévitablement tracassé par des hostilités sournoises, ou de la Vierge, douce à l'excès. De même, les natives du Lion seront un peu trop romanesques, celles de la Balance un peu trop dispendieuses et celles du Sagittaire un peu trop complaisantes. Les dames seront plus heureuses de naître Bélier, malgré des migraines, Taureau, malgré trop de crises de nerfs, Gémeaux, sauf risque de surmenage, et Poissons, sauf qu'elles devront alors être infiniment prudentes au volant.

Déjà, le jour se lève. A peine si quelques nuages noirs semblent vouloir troubler l'ouate du ciel. Le jazz-man — travailleur de nuit comme le chauffeur de taxi ou l'employé de gare — qui rentre se coucher croise les premiers travailleurs du matin. Les derniers fêtards, aux bars, attaquent le dernier verre de petit blanc ou le dernier litron de gros rouge, mêlés aux ouvriers-bouchers, aux gens du gaz ou aux gars de la charpente qui prennent la relève. Dès 6 heures, Eugène Riassou, auvergnat à n'en pas douter, patron du café Au Cantal, avec son ventre rondelet demi-caché derrière le comptoir, sa chemise entre blanc et noir, sa barbe mal rasée et son accent traînard, accueille ses premiers clients de l'aube comme n'importe quel matin. Qui se souvient encore qu'il gagna ses premiers sous en transportant des sacs de charbon ? Coquilles d'huîtres, bouteilles vides, papiers et serpentins poussié- reux débordent des poubelles sur les trottoirs, que nettoient placi- dement des balayeurs évidemment espagnols ou italiens. Dans tous les cafés et restaurants, les piles de chaises s eragent encore sur les tables, tandis que les garçons grognons à long tablier bleu, manches retroussées, mégot aux lèvres, nettoient les planches à coups de grands seaux d'eau et de lourds paquets de son. Les livreurs de pains et de croissants, à toutes pédales, interpellent les porteurs de journaux et les facteurs en pèlerine, voire les agents de police qui, l'œil sommeil- leux, la savate traînante, le bâton blanc au ceinturon, déambulent de-ci de-là en bâillant. Tout le menu peuple de Paris s'éveille, femmes de ménage avec sacs en nylon à bout de bras, livreurs de vin devant les estaminets, conducteurs d'autobus qui se hâtent, pompistes qui traversent la rue pour prendre au bistro du coin un sandwich pain- saucisson ou une brioche chaude. Silencieuses comme des fourmis, enveloppées dans manteaux ou gabardines, serviette en cuir à la main ou journal sous le coude, mille silhouettes s'enfoncent dans les bouches du métro. A l'arrêt des taxis, le long des boulevards, les chauffeurs, assemblés en grappe autour d'un marchand de châtaignes ou près d'un kiosque à journaux, échangent leurs premières ciga- rettes et leurs premières impressions. Et déjà à nouveau, comme hier soir, aux éventaires des commer- çants fidèles à leur poste, on offre aux Parisiens pour cette journée de fête, avec les meilleurs vœux de la maison, des poulets enru- bannés à 4,80 NF pièce, des huîtres à 1,20 NF la douzaine et, pour les accompagner, la bouteille de Pouilly à 3,35 NF. Ces prix « suisses » ne paraissent d'ailleurs pas émouvoir outre mesure les solides ménagères pour qui, à Buci comme à Maubert, le premier jour de l'An est une journée où l'on fait les commissions comme tout le reste de l'année. Habituées aux valses périodiques des étiquettes, elles ne prêtent pas finalement attention outre mesure aux prix ante- diluviens auxquels on veut les habituer. Hormis les bouchers pour qui de longue date le bifteck vaut de « 9,75 » à « 10,25 » le kilo, tous les commerçants continuent comme hier à annoncer les prix en francs anciens. Quasiment personne ne s'exprime en francs nouveaux. Il n'y a guère que quelques camelots, toujours astucieux, à vanter les occasions sensationnelles que sont à un, deux ou trois francs les objets de pacotille vendus hier à cent, deux cents et trois cents. Poisson d'avril, pourrait-on penser. « Qu'est-ce qu'ils sont encore venus à nous imaginer? », grogne Eugène Riassou en grattant ses gros bras velus. 2 Le Premier Janvier du Général de Gaulle

Il est 7 heures. A l'Elysée, Charles de Gaulle a déjà pris son petit déjeuner — toasts, beurre et café. Une nouvelle fois, il doit maugréer contre cette prison où la charge le confine. « J'engraisse, je m'empâte... Eisenhower joue au golf. Parfois, je l'envie. J'aurais besoin d'une détente physique... » Il parle de Saint-Cloud, de Marly, rêve de s'installer au château de Vincennes. « Je pourrais marcher sous les bois... Ici, je suis un condamné total. Je n'ai même pas un bout de gazon où tourner en rond. Comme à Matignon, la pelouse est réservée aux gardes républicains... » Un palais de la main gauche, grogne-t-il aussi, avec sa goguenar- dise de vieux titi, évoquant les ombres sensuelles de Mme de Pompa- dour, ou de Mme Steinheil. « Yvonne — aime-t-il souvent lancer à Mme de Gaulle — le Louvre vous conviendrait mieux... » Voici presque un an déjà qu'il vit sous ce toit qu'il aime peu. Dernier président du Conseil de la IVe République, il fut élu le 21 décembre 1958 par le grand Collège premier président de la Ve République par 62 338 voix sur 81 233 votants, laissant le commu- niste Marrane, sénateur-maire d'Ivry à 10 354 et Chatelet, ancien doyen de la Faculté des Sciences, candidat de « l' Union des forces démocratiques », à 6 722. Il ne fut intronisé que le 8 janvier. Le dernier 1er janvier vit encore le dernier hôte, René Coty, présider aux cérémonies rituelles. Mais où aller ? Aux Invalides ? C'est alors que les anti-bonapar- tistes l'auraient belle. A l'Ecole militaire ? C'est assez d'être général. Versailles est excessif. L'austère Vincennes serait trop cher. Il pensa à installer la présidence dans le Pavillon de France à édifier à Saint-Cloud dans le cas d'une exposition universelle. Mais Montréal rafla la dite exposition. L'hôtel Biron ? Mais comment le « voler aux Dames du Sacré- Cœur » ? On se résigna donc à rester chez Badinguet. Les appartements privés sont au premier étage — à dix mètres du bureau présidentiel. Ils comportent cinq pièces principales : deux chambres d'amis, plus souvent chambre des petits-enfants, dont l'un, fils du capitaine de vaisseau Philippe de Gaulle, dit Charles de Gaulle II, a fait sa première communion cette année en la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre et aime venir promener dans le décor sévère sa blonde chevelure de Viking ; le salon jaune, avec le poste de télé, une table-bureau, un large canapé et des fauteuils accueillants, où le Président se tient le soir avec Madame et où il ne manquerait « pour un troisième Empire » aucun match du Tournoi des Cinq Nations ; le salon de la générale, avec « un méli-mélo rococo » de meubles Empire et de meubles Louis-Philippe et la table de jeux où ce fils gâté du hasard adore faire des réussites ; et la chambre du couple, donnant par deux côtés sur les jardins, qui a été aussi celle des Auriol et des Coty, sauf qu'il a fallu prévoir cette fois des lits-divans longs de deux mètres dix. Le service de table et de ménage est assuré par des marins — « Il n'y a plus qu'eux pour l'impeccable » —, sous les ordres du valet, M. Hennequin, de l'intendance maritime, embauché dès le temps où le Général était à Matignon. Moins d'une escouade doit suffire. Le budget pour « la maison » est si maigre que ce nouveau Roi-Soleil ne pourrait pas avoir de second maître d'hôtel ni de serviteurs à pleins gages. On n'a des civils qu'à la cuisine, avec Cormier comme chef. « Ils seraient beaucoup mieux payés chez nos voisins » : les voisins de palais les plus immédiats sont les Rothschild. Il est vrai que l'officier de carrière a gardé de ses popotes l'habitude d'écono- miser. Il assure lui-même sur son chéquier ses dépenses person- nelles. Il n'amène jamais en fin de semaine à Colombey les serveurs de la Présidence. Il ronchonne toutes les fois qu'il faut attribuer une voiture à un collaborateur... Et le voici, de son long pas lourd, vêtu de sa couleur préférée, anthracite, quittant la chambre, traversant le salon de la Générale, puis le salon jaune, puis un petit salon des gardes, qui saluent au garde-à-vous. Il n'a même pas de petit porte-bonheur avec quoi amuser ses doigts. Amusé, il raconte souvent que bien des chefs d'Etat ont un talisman : le roi Hussein porte autour du cou une chaînette en or ornée d'une pierre bleue, contre le mauvais oeil ; Nasser, dans son portefeuille, conserve une petite main de Fatma en or pour conjurer le mauvais sort ; le roi Séoud ne se sépare jamais d'un « hiéjab », talisman conçu par un cheik sorcier d'Er-Riad ; Kassem compte sur une pierre verte pour se protéger des mauvais coups ; Adenauer tiendrait beaucoup à une montre. Lui, comme il dit, dès le matin, « il s'en va sans casque ». Les anges gardiens invisibles, seuls, le sauveront des mauvaises rencontres. Il débouche sur la salle de bains d'Eugénie qui forme l'angle sud-est du corps central. Pensées. « Elle était aussi moderniste que charnue... » Il y a des adjectifs pour lesquels il a une prédilection : « charnue », au féminin, est de ceux-là, de même que « galopine » ou « ardente païenne ». L'amie trop cajoleuse de Félix Faure était une « galopine ». Joséphine Baker est une « ardente païenne »... Dieu merci, il n'y a pas à parcourir les cuisines. Elles sont installées en sous-sol, à l'autre extrémité du bâtiment, d'ailleurs équipées d'un monte-charge vétusté, doté d'une machinerie à cordes. Si éloignées, cela fait manger tiède, mais cela évite les odeurs de sole. La prochaine pièce à traverser est celle du directeur de cabinet, René Brouillet, ancien normalien, grand garçon au visage aigu et au premier abord nostalgique, au second examen trahissant un œil de grand observateur, au troisième révélant un exceptionnel don de vision et d'analyse, puis celle du secrétaire général, Geoffroy de Courcel, long jeune homme maigre au cou et au regard de condor, silhouette pour entourage de François 1er, ce même lieutenant qui était dans « l'avion burlesque » du 17 juin 1940 qui, avec Spears, transporta de Gaulle de Bordeaux à Londres. René Brouillet, cinquante et un ans, figura au cabinet du président du Sénat, Jules Jeanneney, avant guerre et, durant la guerre, servit comme directeur de cabinet auprès de , président du Conseil national de la Résistance après Jean Moulin. Geoffroy de Courcel, trente-huit ans, dont Jacques Soustelle dit qu' « il a l'air de sortir d'un livre d'heures », ancien capitaine au l€r régiment de spahis marocains, ancien secrétaire général permanent de la Défense nationale, ancien ambassadeur auprès de l'OTAN, n'a figuré dans nul autre cabinet que celui de De Gaulle — au demeurant figurant ici à un poste refusé par , qui était directeur de cabinet lors du « stage du Général à Matignon ». Les autres collaborateurs dits « immédiats » sont dans des salons voisins ou au rez-de-chaussée. Le colonel de Bonneval, ancien déporté de Mauthausen, dont toute la France commence à connaître le sympathique rôle de chien de berger, sert comme aide de camp. Le général Olié, cinq étoiles, discret, surnommé « le Capucin Botté » pour la ferveur de sa foi catholique, donne les interprétations militaires. Xavier de Baulaincourt tient le secrétariat et le courrier du Général depuis quinze ans. Jean Chauveau de Lignac, sobre, précis, fidèle entre les fidèles, regard juste, belle plume, est chargé de presse. Pierre Lefranc, d'une taille aussi haute que celle du Général à deux centimètres près, président de l'Association des Anciens Cadets de la France Libre, aussi habile politique que ferme dans son gaullisme et qu'on dit parfois « plus gaulliste que de Gaulle », est chef de cabinet. Le général de Beaufort, chef de l'état-major particulier, logé au deuxième étage, est si passionnément Algérie française qu'il devra bientôt céder son poste. Le commandant Desgrées du Loü est chargé de la sécurité aérienne. Bernard Tricot, conseiller d'Etat strict et précis, est conseiller technique, numéro deux du Secrétariat général, chargé de suivre les Affaires algériennes et les Affaires juridiques. Olivier Guichard, ancien chef de cabinet du Général en 1947, ancien directeur de cabinet adjoint à Matignon, préfet hors cadres, en attendant de prendre en mains la Délégation générale de l'Organisation commune des Régions sahariennes, est Conseiller politique. Jacques Foccart, conseiller technique pour les Affaires africaines et malgaches, près de remplacer Raymond Janot au Secrétariat général de la Communauté, est par excellence l'homme de toutes les confiances. Tout ce qui est gaulliste paraît sien. Il fut Secrétaire général du Rassemblement du Peuple français. Durant la traversée du désert, il fut d'une fidélité totale, accompagnant deux fois le Général outre-mer, faisant la liaison avec les chefs africains tous empressés à venir voir le Général dans son bureau de la rue de Solférino, connaissant en virtuose les dossiers politiques de tous les départements, les métropolitains comme les autres. Est-ce la confiance du héros ? Est-ce le côté feutré de son personnage, voix douce qu'il faut faire effort pour saisir, visage bouddhique à sourires volontiers mystérieux, silhouette ramassée de loutre à l'affût, regard qui va vite au-delà des apparences ? Où est-ce le besoin d'un peuple de créer toujours aux côtés du roi le sorcier chargé de tous les maléfices et de toutes les incantations les plus sombres ? Quelle que soit la vraie raison, il est devenu « le conseiller terrible », l'Ombre, qui, tel le Harry Hopkins de Roosevelt, aimante du coup les plus éton- nantes rumeurs. Tantôt on le cite pour fils d'un archevêque et d'une carmélite, né Koch-Foccart, nom francisé vers 1950 : il naquit au vrai il y a quarante-sept ans à Ambrières, dans la Mayenne, de Guillaume Foccart, agriculteur de Guadeloupe, et d'une noble créole, Elmire de Courtemanche de la Clémandière ; élève au collège de l'Immaculée Conception de Laval, il voulut tout bonnement être importateur-exportateur ; il est fort bourgeoisement depuis vingt ans le mari d'Isabelle Fenoglio. Tantôt on le surnomme « le bacille » ou « l'araignée » tout à fait le modèle d'un héros d'un roman de Lartéguy, « mélange de père Joseph, d'inspecteur des Finances et de bravo de la Renaissance » ; plus réellement, il fut un héroïque para- chutiste ; il continue encore de « sauter », pour le plaisir, avec les gars de la onzième demi-brigade parachutiste de choc ; il se présenta très officiellement à des élections législatives dans la Mayenne comme second de liste de Jacques Soustelle. « Marrant — dit Pompidou en riant de son gros rire dans sa cigarette — il est le plus limpide de nous tous et on le tiendra irrévocablement pour le plus machia- vélique. » Lui-même, Pompidou, n'a pas quitté réellement le Cabinet. Certes, à quarante-neuf ans, cet ancien professeur normalien de Lettres qui dévia soudain à l'invite de son ami Brouillet vers les coulisses de la politique gaullienne, a officiellement quitté le service du Général pour reprendre son poste de directeur général chez MM. de Roths- child frères, non sans siéger depuis février, pour se distraire, au Conseil Constitutionnel. Il goûte à fond une vie quiète dans son appartement du quai de Béthune accommodé au goût du jour et de l'occupant par sa femme Claude, bibliothèque complète de la Pléiade dans le vestibule, tableau peint par leur fils Alain dans la chambre à coucher, tableaux abstraits ou figurines abstraites de-ci, de-là, où il doit faire bon travailler à une Anthologie de la Poésie française, promise à l'éditeur pour « le plus tôt possible ». Fumant ses éternelles cigarettes à bout filtre, un œil grave, un œil malicieux, on le rencontre assez souvent dans les expositions des artistes futuristes, chez les antiquaires les plus raffinés, ou le soir chez Lipp, après un théâtre. Mais il continue de voir le Général assidûment. Il assume pour lui les missions les plus secrètes et les plus délicates — soit sur le plan de la politique intérieure, soit auprès des futurs maîtres de l'Algérie algérienne, soit auprès des plus puissants seigneurs de la banque... Cependant, le Général est parvenu jusqu'à son bureau. Il a été aménagé dans un salon Louis XV-Second Empire, appelé salon doré ou salon de musique, et donnant par trois fenêtres dans le jardin, dont les plus hauts arbres se reflètent dans les deux grandes glaces du mur d'en face. Salon dit « Louis XV-Second Empire » parce que la table date du XVIII', et le décor des murs de Napoléon III. Un énorme lustre de cristal à pendeloques est au plafond, entouré, grâce à Mme de Pompadour, d'une corniche dorée à scènes mytho- logiques. « Mes muses... » dit le Président. Deux autres muses, aussi dodues, s'amusent de part et d'autre de la cheminée. « Parce qu'elles ont froid aux seins, fatalement », dit-il encore. Au-dessus des portes, des N et des E s'entrelacent, dira Mme Sainteny dans son beau livre sur l'Elysée, « comme les fantômes obstinés de Napoléon III et d'Eugénie ». L'ameublement est disparate : trois fauteuils, un canapé, six chaises Empire en bois peint rechampé or qui proviennent du salon de Joséphine aux Tuileries, autre fantôme ; une table ronde Louis XVI en acajou marqueté ; et deux meubles d'appui Louis XVI en loupe d'orme et palissandre. Les deux tapis, un Louis XIV, l'autre Restau- ration, proviennent de la Savonnerie. La table-bureau — un meuble Louis XV en bois de violette — est attribué à Cressent. Laissons-le dire, dit le Général, qui est bon public. Un don Quichotte chevauche mélancoliquement sur le mur d'en face, en tapisserie des Gobelins, d'après un carton de Charles Coypel. C'est lui qui a voulu venir, fait l'énorme voix. Une pendule Louis XVI dort sur le marbre blanc de la cheminée, entre deux candélabres en bronze doré. A gauche, se campe un globe terrestre ancien sur un trépied, « cadeau d'avènement » signé Debré, Guichard, Foccart et Lefranc. Devant la fenêtre, une grande statue en bronze de Bourdelle figure la France ressuscitée se dégageant d'un nœud de serpents, cadeau des Français Libres. Sur la droite, se dissimule une petite table basse avec deux appareils de téléphone que les visiteurs ne voient pas. « Et savez-vous qui dormait chez Brouillet ? s'exclame volontiers le Général devant ses hôtes. Le roi, avec la reine. Et savez-vous qui se baignait chez Courcel ? La Pompadour... » Il rit. Quand il rit, c'est comme s'il barrissait. Il s'assied, compulse le lot de télégrammes adressés par les chefs d'Etat de tous azimuths. Il suffit d'en lire un, pour les connaître tous. Il ouvre le dossier où Chauveau a pris le meilleur des télégrammes des rois aux peuples. C'est moins monotone, et on en aurait presque une carte politique de l'univers. Adenauer exprime que « 1960 sera pour Berlin une année de grands problèmes, mais que l'Occident, uni, saura repousser les attaques soviétiques contre la liberté ». Le bon M. Lübke, président de la République fédérale d'Allemagne, stigmatise les manifestations antisémites. Harold Macmillan insiste sur le « devoir de relever progressivement le niveau de vie des pays sous-développés si nous voulons vraiment relever la paix mondiale ». Franco proclame que « tant que neuf nations européennes sont tenues captives derrière le rideau de fer et que le communisme étend ses tentatives de subversion dans le monde entier, nous ne saurions faire attention aux chants de sirène de leurs dirigeants ». Lester Pearson note que : « Les dix dernières années ont été pour le Canada et le reste du monde une période de mise en valeur des ressources », et espère que « la nouvelle année sera celle de la coopération au profit de tous les hommes ». Tchang Kaï-chek, de Formose, souligne que « le parti communiste chinois se désintègre rigoureusement », étant bien entendu que « comme tout être malfaisant, il est voué à la destruction ». Radio-Moscou espère que « l'an 1960 sera le digne enfant de ce siècle et que son symbole sera la branche d'olivier de la paix et de la collaboration amicale entre les peuples ». C'est du moins du bon Moscou, et l'ambassadeur soviétique à Paris, Vino- gradov, « notre ambassadeur le plus gaulliste », dit Vincent Auriol, est venu hier à l'Elysée, entre 16 h 30 et 16 h 50, retour de Moscou, porter à de Gaulle un cadeau personnel de Khrouchtchev, et des spécialités russes, avec caviar et vodka. Nous avons donc un 1er jan- vier de dégel. Cela nous change du rude dernier l"r janvier, où nous étions en plein ultimatum de Khrouchtchev sur Berlin. De Gaulle a adressé au pays ses vœux radio-télévisés hier soir : « Pour la métropole française, pour l'Algérie, pour la Communauté, je forme des vœux ardents et confiants au premier jour de 1960. Je suis rempli de l'espoir que cette année nous sera propice, parce que nous avons fait beaucoup au cours de celle qui finit. » Après s'être félicité de la stabilité du pouvoir, de l'équilibre des finances et de l'institution du franc nouveau, signe de cette féconde solidité, il a poursuivi : « En Algérie, les combats fratricides diminuent d'ampleur et de fureur. La voie de la paix est tracée. Tous peuvent et doivent s'y rencontrer afin que les Algériens puissent effectivement disposer d'eux-mêmes par le suffrage, que chaque tendance prenne part, en toute liberté et en toute sécurité, aux débats qui prépareront cette grande consultation et que soit hâtée la transformation qui fera de l'Algérie un pays moderne et prospère. » Il a terminé par une pensée pour les anciennes colonies : « Dans la Communauté, les peuples poursuivent leur évolution en accord avec la République française. Celle-ci va continuer de prêter son concours à leurs jeunes Etats pour qu'ils portent leurs responsabilités et développent leur propre pays en formant avec elle un grand ensemble d'activité économique, de culture, de défense, d'influence, qui servira la condition humaine et la civilisation. » M. Thibault, directeur de l'Information radio-télévisée, a assuré, aussitôt après l'enregistrement, que « techniquement, c'était bon ». Surtout Pierre Sabbagh fut très avisé de garder un axe unique pour le regard et de ne pas écouter les gens de l'Elysée qui demandaient que l'on changeât les axes de caméras afin que l'on pût voir le Général sous plusieurs angles. Ce fut ainsi beaucoup plus simple et direct. « Dans une telle circonstance, je n'aime pas la fantaisie », dit Sabbagh. Moi non plus, dit le Général. Quoi qu'il en soit, l'homme de « l'Appel de Londres » a rapidement maîtrisé la nouvelle technique. Il se révèle même ce que les techni- ciens appellent un grand télégénique. Cela n'alla pas du premier coup : après la première émission où il parut en direct sur le petit écran, il demanda : « C'était bon ? — Non, répondit le rédacteur en chef du journal télévisé, Jacques Anjubault, c'était mauvais, mon Géné- ral. C'était mauvais, précisa rapidement Anjubault, parce que vous avez lu ; or, à la télé, la première magie d'un orateur consiste à regarder le téléspectateur dans les yeux ; on ne lui lit pas une leçon, on lui parle, on lui fait confidence... » Dès la seconde fois, le Général avait retenu le conseil. Il n'a plus paru avec un papier. Et ce fut du grand jeu... Les vœux aux armées, « de terre, de mer et de l'air » transmis comme traditionnellement par écrit à leur ministre, ont posé moins de problèmes, encore que le texte en ait été, compte tenu des circonstances, plus fignolé que d'habitude. « Qu'elles aient à cœur, autant que jamais, l'honneur de servir, la fierté des armes, le dévoue- ment à la Nation — qu'elles se préparent techniquement et courageu- sement à assurer s'il le fallait la défense de la patrie et de la Commu- nauté, ce qui, en notre temps, implique qu'elles sachent agir à l'échelle de la terre — qu'elles accomplissent en Algérie, courageusement et humainement, leur mission d'apaisement sur le terrain et dans les âmes afin que vienne au plus tôt le jour où les enfants de cette terre déchirée pourront, en toute liberté, décider de leur destin, comme la France s'y est engagée. Je salue les drapeaux et j'adresse aux commandements, aux unités, aux services, l'expression de mon entière confiance... » Reste à bientôt donner un nouveau chef à cette armée, puisque le général Paul Ely, saint-cyrien de 1916, ancien représentant mili- taire du Haut Commandement interallié auprès de la Résistance, notre Chapolnikov, au fait de tous les dossiers, psychologue-né et homme d'un remarquable sang-froid, vient de faire connaître, au regret de tous, sa ferme intention de quitter ses fonctions de chef d'Etat-major général. Mais le choix pour la succession est facile : seul, s'impose Maurice Challe, cinquante-cinq ans, ancien brillant résistant, général de l'armée de l'Air, qui commande en chef depuis un an les Forces françaises en Algérie. Simplement, comme Challe, consulté, a fait savoir qu'il lui faudrait « encore un an pour achever la pacification », un intérim sera créé entre Ely et Challe, et confié au général Noiret... Le président peut passer à la lecture des journaux. Il le peut d'autant plus tranquillement qu'il ne part pour Colombey qu'après déjeuner, n'a qu'une audience prévue dans la matinée, à dix heures, et n'a jusqu'à midi d'autre obligation que de participer à la cérémonie intime et toujours agréable des vœux du personnel du palais. En effet, les cérémonies rituelles du Nouvel An n'auront pas lieu. Un bref communiqué a fait connaître qu' « en raison du deuil qui vient de frapper le général de Gaulle, président de la République, président de la Communauté, les réceptions prévues au Palais de l'Elysée les 31 décembre et 1 er janvier n'auront pas lieu ». Il s'agit de la mort subite du frère du général, Pierre de Gaulle, samedi soir, à l'Hôpital américain de Neuilly, au terme d'une opéra- tion chirurgicale désespérée. C'est la semaine dernière, exactement l'avant-veille de Noël, alors qu'il se trouvait à l'Elysée dans le bureau de Jacques Foccart, qu'il fut pris d'un brusque malaise : il s'affaissa soudain et demeura sans connaissance. Hospitalisé aussitôt, il subit une opération qui dura cinq heures. Mais le professeur Patel, en l'opé- rant d'un anévrisme de l'aorte, tenta en vain la greffe d'une aorte arti- ficielle en matière plastique. Le Général resta au chevet de son frère jusqu'à son dernier souffle, à 22 h 15, avec Mme de Gaulle et l'un des fils du moribond, Olivier. Les deux frères s'adoraient, et à travers les multiples péripéties de l'époque, étaient restés très proches l'un de l'autre. De plus, Pierre de Gaulle était un personnage d'une éminente qualité. Licencié en droit, diplômé des Sciences politiques, sous- lieutenant d'artillerie décoré et blessé de la Grande Guerre, capitaine en 1940, il fut arrêté par la Gestapo en mars 1943, encore à Neuilly, et déporté en Tchécoslovaquie au camp d'Eichenberg, près de Carlsbad. Après la guerre, sous-directeur de la banque de l'Union parisienne, il fut président du Conseil municipal de Paris de 1947 à 1951 et député de la Seine durant toute la législature 1951, pré- sident du groupe parlementaire R.P.F. Ensuite Commissaire général de la Section française à l'Exposition de Bruxelles, puis directeur littéraire de la maison d'édition Del Duca, il força l'estime générale dans tous les postes qu'il occupa. De son mariage avec Mlle Delé- pouve, il avait cinq enfants, et avait de surcroît adopté la fille d'un résistant exécuté par les nazis. Le Général a assisté mardi matin, en kaki, accompagné de Mme de Gaulle et d'un aide de camp, aux obsèques intimes, qui ont eu lieu à Saint-Pierre-de-Manneville, en Seine-Maritime. La messe était dite par Mgr Lecordier, évêque auxi- liaire de Paris, dans la petite église même où Pierre s'était marié. L'absoute fut donnée par Mgr Martin, archevêque de Rouen, primat de Normandie. L'inhumation eut lieu non loin du château des Etangs, propriété du défunt. Il pleuvait... Les journaux, le Général aime les lire « rapidement, mais direc- tement ». Il apprécie peu le découpage des revues de presse. Il dit encore moins aimer les journalistes charcutés que les journalistes entiers. Il est vrai que : « Les journalistes ne m'ont jamais fait de cadeau. » Encore ce matin, le héros doit faire d'entrée la grimace : dans le Figaro, lui-même — 134e année; n" 4 766 — son message du Nouvel An n'a eu droit qu'à une modeste colonne. Encore se réduit-il à un titre : « En Algérie, la voie de la paix est tracée, tous peuvent et doivent s'y rencontrer. » Le texte intégral est renvoyé à la page 6. Ces chers amis du Rond-Point ont donné plus l'importance aux raids terroristes qui ont ravagé Douala à la veille de la proclamation de l'indépendance du Cameroun, avec pour résultat une quarantaine de morts, de nombreux blessés, un camp de gendarmerie attaqué, de graves destructions sur l'aérodrome où étaient attendues les délé- gations étrangères et une proclamation guerrière du parti révolution- naire U.P.C. annonçant sa décision de boycotter toutes les cérémonies officielles prévues. Ils ont attribué encore plus d'importance au soir du réveillon. Une large photo sur trois colonnes nous montre les gens de la balle saluant l'an nouveau, en l'espèce la sympathique famille Bario, les deux clowns frères Fredy et Mello, la mutine Henny, le régisseur Robert Jodin et le nain Tony sablant le champagne traditionnel sous les feux du chapiteau parisien où ils se produisent tous les soirs. Dans les pages intérieures, on ne pêchera davantage rien de très original. Christian Herter, Secrétaire d'Etat américain, annonce que dans l'année en cours, le président Eisenhower se rendra en visite officielle en Union soviétique et en Amérique Latine et accueillera, pour sa part, le Premier ministre japonais, Nobusuke Kishi, le prési- dent de la République de Colombie, Alberto Lileras Camargo, le général de Gaulle et le roi du Népal. Décidément, les voyages des chefs d'Etat ou de gouvernement sont à la mode. Ces derniers mois, de Gaulle, qui raffole de déplacements, s'est rendu d'ailleurs lui- même en Italie, en Algérie et à Madagascar. Il paraît que, malgré l'opposition des gauches, le gouvernement italien que préside le fragile M. Antonio Segni ne paraît pas menacé dans l'immédiat. Il a même envisagé un prochain voyage du président de la République, Giovanni Gronchi, à Moscou et décidé de consacrer un budget de 80 milliards de lires à la recherche nucléaire... Cependant, le Quirinal reste inquiet sur deux points : d'une part, la démocratie-chrétienne, qui occupe le pouvoir avec l'appui des groupes parlementaires du centre-droit, est de plus en plus travaillée par son aile gauche qui aspire à la construction d'un gouvernement Tambroni- Fanfani avec les partis du centre-gauche et peut-être même le socia- liste de gauche Pietro Nenni ; d'autre part, les partis du centre-droit et de la droite ont paru réticents ces derniers temps du fait que Segni a paru vouloir s'entendre en Sicile avec Milazzo, chef du gouver- nement autonome de l'île, démocrate chrétien que soutiennent étran- gement socialistes et communistes pour une fois rassemblés. Poisons et délices du système... Les dernières nouvelles d'Algérie recoupent les télégrammes offi- ciels. De violents combats se sont déroulés dans le secteur de Frenda, sud-oranais, après la mort dans une embuscade d'un jeune médecin militaire, tué mardi, Jacques Gobenish. Au cours d'un premier accro- chage avec une forte bande rebelle, six militaires ont été tués, et dix blessés, tandis que treize rebelles étaient mis hors de combat. Sur le reste du territoire, l'activité des forces de l'ordre, favorisée par l'amélioration des conditions atmosphériques, a été très soutenue durant les dernières vingt-quatre heures. A la frontière algéro- tunisienne, plusieurs patrouilles de surveillance ont été harcelées par des tirs d'armes automatiques. On ne déplore toutefois ici aucune victime. Ainsi, même pas de trêve de Dieu. Les messages de vœux couvrent des colonnes entières. Nous saluons les peuples qui combattent pour leur libération, exprime Moham- med V. Alexandre Parodi, notre ambassadeur à Rabat, conseille : « N'ayons pas la nostalgie du passé. » Pierre Devraigne, actuel président du Conseil municipal de Paris, souhaite une année de paix, « paix intérieure sous l'égide du chef de l'Etat que le pays s'est démocratiquement donné ; paix pour nos compatriotes des dépar- tements français d'Algérie, cette Algérie si chère à notre cœur... ; paix internationale enfin ». Paul Delouvrier, Délégué général du gouvernement à Alger, a prononcé hier soir une allocution radio- diffusée : « Soyons unis derrière le chef de l'Etat. C'est la seule chance d'en terminer... Alors, cessons les critiques abusives, les procès d'intention qui, en démoralisant, retardent le succès. Alors, cessons d'attendre. Vous, les attentistes, c'est l'heure maintenant de prendre parti. C'est votre attente qui prolonge vos peines et celles des autres... ». Le général Challe proclame : « Comme nous avons disloqué les kalibas, nous materons le terrorisme. Malgré les compli- cités, les mensonges, les abstentions écœurantes qui ont aidé les rebelles, leur situation internationale, dernier espoir de la révolte, s'est dégradée. Dès lors, conscients de notre valeur et de notre force, conscients de notre foi dans la mission humaine de la France, nous ij irons encore de l'avant pour que les communautés d'Algérie puissent travailler et prospérer dans la paix française. » Le général Gambiez, commandant le corps d'armée d'Oran, annonce que : « L'activité de l'administration peut désormais s'exercer sur toute l'Oranie... 8 000 hors-la-loi ont été mis hors de combat. 5 000 armes individuelles et 60 armes collectives ont été saisies. Dans le domaine de la paci- fication, 12 000 musulmans se sont engagés dans l'armée. 75 000 villages comptant 175 000 hommes ont été constitués en auto- défense. » Battez, tambours ; sonnez, clairons...

Le Parisien libéré a la particularité de ne présenter en première page aucun corps d'article, seulement des photos, une caricature et des textes de titres. Il y a trois photos. La première est pour le directeur d'une entreprise, Manuel Coehlo, front et nez couverts de pansements, qui « se remet de ses émotions » après un hold-up dont il fut victime hier en plein jour de la part de deux malfaiteurs qui lui ont raflé deux millions. La seconde représente un délicieux bébé, Claude Maigrot qui, né le 2 mai, a été enregistré comme : « Le quarante-cinq millionnième Français » et à qui on voit sa maman faire prendre adorablement sa bouillie. La troisième est pour un réveillon joyeux où on trinque sous le gui traditionnel. La caricature croque un client de restaurant qui, sous le regard admiratif de Madame et l'œil concupiscent du maître d'hôtel, s'exclame : « Pas de doute, un bon réveillon, ça remet les idées en place. Hier soir, je croyais que j'en avais pour 8 000 francs ; ce matin, il n'y en a que pour 80... ». Les titres sont pour les incidents du Cameroun, les attentats en Algérie et l'annonce en vedette d'un nouveau feuilleton qui débutera dès lundi, Ma femme est une meurtrière, de Magali, présenté comme « un roman aussi captivant que l'Impudente Catherine et l'Homme que j'ai épousé ». En page deux, on relate toutes les gaîtés et tous les embouteillages du réveillon, et on signale en encadré que la S.N.C.F. a dû prévoir 739 trains pour les retours de vacances de fin d'année. En page cinq, sous la rubrique du Beau Langage, maître Albert se demande lon- guement dans quels cas il faut employer « an », comme dans « nouvel an » et « année » comme dans « bonne année ». Amu- sant, écrit-il : « Vous avez le droit de dire d'une guerre qu'elle a duré cinq ans ou qu'elle a duré cinq années, mais vous êtes tenus de dire la guerre de Cent Ans ou la guerre de Trente Ans. Vous avez droit de dire que Saint Louis prit telle décision la seconde année de son règne, mais vous êtes tenu d'évoquer les soldats de l' An II. Il vous est loisible de dire que vous aurez vingt ans l'an prochain ou l'année prochaine, mais il ne vous est pas possible de dire que vous aurez vingt années. » La politique intérieure est quasiment absente. La politique exté- rieure se réduit aux grandes dépêches inévitables, soit sur les incidents du Cameroun, soit sur le prochain voyage de Khrouchtchev à Paris. Les faits divers occupent une place écrasante. Deux larges pages sont réservées aux critiques et aux programmes de radio et de télévision. Toute une page est occupée par des caricatures et des bandes dessinées, Popeye, aujourd'hui « Popeye, Pommy et Pépère, le cheval général », Zoé Enfant Terrible, Scamp par Walt Disney, Les Mille et Une aventures d'Oscar, Mickey et ses amis, encore de Walt Disney, Cécile, scénario mélodramatique et dessins de Gilles, et l'Ange du Faubourg, avec dessins de Gilles sur un roman de Michel Morphy. Le « film romanesque » aligne de beaux dessins pour le Prix de l'Amour, sur un scénario de Jean d'Alvignac. La série des Destins Hors Série présente à la verticale sur deux colonnes Vidocq, texte d'Anne et Serge Golon, dessin de Delille. Michel Douay signe trois caricatures sur la vie moderne. Moisan en sort une fameuse sur le franc lourd : devant un guichet de banque, un client hurle de douleur ; il a reçu un franc lourd sur les orteils.

L'Humanité, organe du Parti Communiste français, offre ses vœux avec un grand dessin de Jacques Narec où, du haut d'un arbre, un garçonnet style Gavroche, sans doute l'un des petits vendeurs du journal, laisse tomber de belles feuilles sur une Marianne ravie. Jacques Duclos signe un éditorial encadré, Bonne Année, où, après s'en être pris selon son style habituel aux excès du pouvoir personnel, il souhaite que 1960 soit : « L'année de la négociation pour la paix en Algérie, ce qui exige de nous tous de grands efforts afin que la reconnaissance du droit à l'autodétermination du peuple algérien par le général de Gaulle soit enfin suivie d'actes » — et soit aussi « une année de développement de l'Union des Forces populaires pour l'action tant dans les villes que dans les campagnes, une année de succès pour l'organisation et les luttes de la jeunesse, une année de rassemblement de toutes les forces ouvrières et démocratiques pour préparer la restauration et la rénovation de la démocratie dans notre pays ». Vive 1960 !, titre pour sa part André Wurmser son billet quotidien. Il commence sur un ton allègre : « Pour un général de brigade, c'est un général de division ! Cent francs seront un franc, mille francs seront dix francs... Ah ! pauvre M. Boussac qui ne possède guère plus, ce matin, qu'un tout petit milliard ! » Il en conclut sur le même ton que, quant à lui-même, il terminera l'année, « un verre de Saint-Edimille à la main, mon petit-fils sur les genoux et des gâteaux entre nous — pas de religieuses, laissons-les à leur gouvernement et contentons-nous de Dix Feuilles — Je boirai à l'avenir, au temps proche où la Semeuse sèmera, pour chacun, du blé et des roses, et non plus de la poudre aux yeux. Et qu'elle aille aux cinq diables, cette république numéro 0,05 !... ». Trois photos accompagnent ces textes. L'une est pour le bébé quarante-cinq millionième Français, surpris, un nouveau billet de cent francs dans sa menotte, en son village d'Hérimoncourt, dans le Doubs, et dont « le papa, agent de planning chez Peugeot, achète actuellement à crédit le pavillon qu'il occupe avec toute sa famille ». L'autre est pour quatre journalistes de divers pays réunis autour du micro de R.T.L., dont Alexis Adjoubei, rédacteur en chef des Izvestia, qui transmet aux Français les vœux de Khrouchtchev. La troisième, avec un alléchant spectacle de Sioux, est pour l'Arbre de Noël du Bol d'Air des Gamins de Paris qui se déroulera demain samedi sous le hall 60, du Parc des Expositions de la porte de Versailles. Pour le reste, on traite largement des attentats en Algérie, on annonce pour les prochains jours des conseils pratiques sur l'usage du nouveau franc, on commente abondamment la grève de la télé et on se demande s' « il faudra assister à la honte de voir libérer de prison Oberg et Knochen, chefs bourreaux de la Gestapo, coupables de 80 000 assassinats ». Un long article, signé Max Léon, envoyé spécial, est pour Moscou buvant à l'année nouvelle : « On s'est pressé comme jamais dans les magasins regorgeant de victuailles et de jouets, de colifichets et de livres... Et comment, pour un Mosco- vite, ne pas être fier des Luniks, de l'électrification du Transsibérien que l'on poursuit par tronçons, de la construction sur l'Angara d'une centrale géante, celle de Bratsk, qui donnera à elle seule autant d'énergie que toutes les hydrocentrales de la France réunies ! ». On comprend que Khrouchtchev ait été décoré hier au Kremlin de la médaille du Travail, le président Vorochilov la remettant aussi à trois autres membres du Présidium, Ignatov, Ariston et Polianski. Dans la page sportive on se félicite du retour en France de notre meilleur footballeur, Raymond Kopa, qui a quitté le Real de Madrid pour reprendre sa place au stade de Reims, où il retrouve brillamment notre meilleur butteur, Just Fontaine. Un long papier se consacre également à l'équipe du Havre Athlétic Club, doyen des clubs français, premier club de deuxième division à remporter la Coupe de France, vainqueur du grandissime favori Nîmes en demi-finale et battant en finale — étrange année 1959 — un Olympique de Marseille qui, pour sa part, hélas, plonge pour la première fois aussi de son histoire, dans « le purgatoire » de la deuxième division. Le feuilleton est d'Agatha Christie. Dix Petits Nègres. La bande dessinée, adaptation et dessins d'Yves Etienne, est pour Tom Jones, d'après le roman d'Henry Fielding.

Une caricature de Lebon dans l'Aurore est pour le nouveau franc : « Je ne suis pas Germinal, dit le nouveau franc sous bonnet phrygien, on recommence quand même à me saluer. » Une photo illustre « le réveillon le plus animé et le plus gai depuis dix ans », d'autant plus joyeux qu'il « a rajeuni la capitale d'un demi-siècle, puisque c'était le réveillon au tarif de ceux de grand- papa » : le lecteur le croit volontiers au sourire épanoui de Nicole Courcel et d'Annie Girardot, en goguette avec d'autres vedettes. Un titre sur six colonnes recommande la Vigilance Nationale. Robert Bony signe l'éditorial : « Si des imprudences économiques et financières ne viennent pas compromettre un équilibre encore fragile, il nous sera permis de regarder l'avenir et de tabler sur ce que nous serons et sur ce que nous représenterons dans le monde. » Le billet du « Rayon Z » intitulé Le balai entre les dents vise une interview d'Adjoubei par Georgette Elgey : M. Izvestia a prédit à la jeune historienne quatre maris ; « le troisième sera Premier ministre et très mauvais époux... ce qui est sans importance car il sera balayé par la Révolution ». D'ailleurs, a ajouté Adjoubei, vous aussi vous serez balayée. Charmant. Est-il indécent de s'interroger tout haut ? titre Jules Romains dans sa chronique. La question vient parce que : « Je n'ai rencontré personne qui paraisse satisfait, sincèrement satisfait, de la façon dont on est en train de résoudre en notre nom et d'autorité les problèmes relatifs à ce que je ne sais plus comment appeler : la Communauté, l'Union française, l'Outre-Mer, ou... les débris de l'Empire. » Un bon papier fait le point sur les satellites artificiels qui pour- suivent leur « joyeuse révolution » autour de la planète. Ils sont onze sur les vingt-quatre lancés en trois ans, depuis Lunik I, lancé le 2 janvier 1959 qui a raté la Lune à 6 000 kilomètres près et est maintenant condamné à tourner à perpétuité autour du soleil, jusqu'à Discoverer 8, lancé le 20 novembre, le benjamin, qui tournera jusqu'en mars. Toute une page est vouée au réveillon. Le souper le plus « étoilé » a eu lieu chez Eddie et Nicole Barclay, éditeurs de disques, dans leur appartement hollywoodien où un buffet monstre, ouvert de 10 h 30 du soir à 5 heures du matin rassembla parmi cent invités Colette Renard, Eddie Constantine, Francis Blanche, Dalida, Bella Darvi, Henri Salvador, Jacqueline Joubert, Robert Hirsch et tutti quanti, dansant au rythme de Ben et Raymond Lefèvre, mais l'Aurore a préféré le souper « grande famille » de La Tour d'Argent où, sous l'œil de Claude Terrail, le comte et la comtesse de La Laurencie et Armand Sorel de Neufchâteau, « ont dégusté un canard au sang numéroté que Nacenta, propriétaire de la Galerie Charpentier, estimait la plus belle nature morte » ; le réveillon « volcanique » de Maxim's, où Anna Magnani, la tragédienne de l'écran italien, soupait comme dix, avec poularde au chaud-froid, truffes fraîches du Périgord, omble Chevalier en gelée et caviar de la mer Noire, et envol des colombes de minuit, après ortolans sur canapés, chez Lasserre, où les dames ont eu droit à de petites casseroles fétiches en porcelaine portant la date du l€r janvier 1960. Marlon Brando, lui, a soupé à Keur Samba, l'ex-Rose Rouge, qui s'est américano-africanisée. Dominique Wilms, la Môme-Vert-de-Gris, a enterré 1959 à la Table du Mandarin, baguettes en mains, se gavant de letchis et de pousses de bambous. Jean-Jacques Vital a réveillonné à l'italienne, chez Don Camillo, minestrone, pizza-surprise, panetoni et asti spumante. Gérard Oury, Henri Verneuil, Léonide Moguy, Jacques Dacqmine, Claudine Dupuis se virent à l' Elysée Matignon, avec poularde et bombe glacée. Le reporter Francis Humbley fêta minuit « au large des îles de Lutèce, à bord d'un bateau-mouche battant pavillon aux armes de Paris », à se régaler avec langouste douce, pintadeau gras et force bouteilles : Léo Noël, troubadour du vieux Paris, au son de son orgue de Barbarie, y conta gaiement chansons et légendes de la « vieille ville de Nantes » ; passagers et passagères s'embrassèrent sous le gui et le houx ; tandis que pleuvaient confettis, serpentins et cotillons, un ballet de « charmants mannequins à la ligne harmonieuse armés de... cannes à pêche, symbolisait le passage de la ligne 1959-1960 ». Encore à 5 heures du matin, de toutes parts à travers Paris, musique et danse s'alliaient pour chasser la fatigue « qui venait à l'assaut des joyeux réveillonneurs ». Une seule ombre au tableau : les dames des vestiaires : il faisait si doux que messieurs ou dames n'avaient aucun manteau à leur confier. La Côte a vu un tel raz de marée de réveillonneurs italiens que la Bégum a sagement soupé dans sa villa de Yakimour. Le prince Ali Khan, avec Bettina, était à Saint-Paul-de-Vence, première infidélité du « représentant du Pakistan à l'ONU » à Monte-Carlo. Le diamantaire M. Ekayan était à La Bonne Auberge d'Antibes, avec Jacqueline Delubac, Jean-Auguste Wesler, P.-D.G. de la Royal Dutch, et le comte Baudoin Drick de Castelray, cousin du roi Baudoin — 17 000 francs par tête, champagne non compris. Le seul infortuné du nouvel an est Jacques Chaban-Delmas qui inaugure année nouvelle et vacances parlementaires par une opé- ration : il entrera demain à Bordeaux en clinique et se confiera aux soins du professeur Genes. Depuis un récent match de tennis, le président de l'Assemblée nationale souffre d'une luxation du ménisque à la jambe gauche. Toute une page est occupée par une enquête de René Miquel sur les joueurs, 1 000 milliards sur la chance. C'est un vrai feuilleton. Nous en sommes au deuxième épisode, voué à étudier l'ingéniosité extraordinaire des tricheurs. Du moins apprenons-nous que dans « l'argot des tripots » la roulette est le cylindre, la table de roulette le sous-marin, la table de la banque à tout-va la grande faucheuse, que regarder dans le jeu de son adversaire est se mettre à la fenêtre, et que les tricheurs sont les philosophes. Toute une autre page est couverte par le feuilleton romanesque en images, Volonté, d'après un roman de Georges Ohnet, et par sept bandes dessinées entassées les unes sur les autres, le Bossu, avec l'immortel Lagardère, Rip Kirhy, le Fantôme, Ben Boit, Blondie, la Famille Illico et la petite Mionne, d'après un roman d'Emile Richebourg. Enfin, n'oubliez pas : aujourd'hui, au choix, on fête saint Fulgence et saint Odilon, deux éminents patrons, l'un signifiant « brillant », l'autre « patriote ». Prénoms gaulliens...

Signe des nouveaux temps : le Populaire, déjà réduit depuis quelques années à une maigre feuille, tout juste bonne à permettre à la pensée socialiste de s'exprimer tous les matins à la revue de presse de la radio, ne paraît pas aujourd'hui — sans doute par économie. Le journal de Guy Mollet est devenu l'un des plus acides. Encore dans le numéro d'hier, l'éditorialiste Claude Fuzier écrivait que : « S'il est indéniable que le président de la République conserve au milieu de l'affaiblissement général des institutions et de la poli- tique française un prestige considérable auprès des masses populaires », il est aussi vrai que : « la faillite des hommes qui l'entourent depuis les élections de novembre 1958 est totale », et que : « le grand risque de cette faillite est de pouvoir être celle du régime. » La Ve République se repose de plus en plus sur les épaules d'un homme qui s'enferme dans une solitude effrayante. « Ce n'est pas bon pour une démocratie confrontée à des tâches si considérables qu'elles imposent l'unité de l'action dans l'assentiment du peuple. » Dans les colonnes voisines, Pierre Thibault s'en prenait vivement à la conver- sion du franc, « opération coûteuse... et rentable pour certains », allant jusqu'à ironiser sur les bonheurs de M. Pinay « ministre et maître-tanneur », du fait que « la vente des porte-monnaie connaît un vif succès ».

Le France-Soir daté du 1er annonce sur toute sa manchette qu'à partir de demain le numéro passera à 0,25 centimes, manière à lui de saluer l'avènement du centime nouveau. On prend six colonnes pour titrer en lettres grasses sur les événements sanglants de Douala et les troubles en Martinique, où le Conseil général a exigé « le retrait immédiat des C.R.S. et des racistes ». En gros, le journal de Lazareff présente ainsi un visage assez pessimiste, d'autant plus qu'on annonce aussi en encadré que l'antisémitisme connaît un regain de violence en Allemagne et que l'œil est vite attiré par deux photos désagréables, l'une d'un bureau de poste saccagé par des manifestants à Fort-de-France, l'autre d'une voiture de police jetée par des étudiants noirs dans la rivière Madame. Heureusement, ce duo sinistre voisine avec une photo, en maillot de bain, de Miss Ile-de-France, Eliane Dufour, une dompteuse de dix-huit ans qui achèterait une panthère si elle était élue Miss France, mais aura affronté un lot de rivales aussi redoutables, notamment Miss Vosges, qui a la taille la plus fine de toutes les concurrentes, cinquante-cinq centimètres, Miss Paris, si ensorcelante avec ses larges yeux noirs, Miss Côte d'Emeraude, la seule à concourir sans maquillage et Miss Charme, mannequin volant couronnée cet été au Pavillon d'Ermenonville. Carmen Tessier, dans. les Potins de la Commère, se demande si Courchevel ne va pas changer de nom en l'honneur de Khrouchtchev, qui y est invité par le directeur de la station, Emile Allais, car « tous les skieurs, Pierre Daninos en tête, ont déjà adopté la dashka, bonnet de fourrure à oreillettes des soldats de l'Armée Rouge ». La page deux est pour le feuilleton d'Anne et Serge Golon, Indomptable Angélique (La Marquise des Anges) et pour une enquête de Philippe Labro encore plus passionnante qu'un feuilleton : Sœur Clara, religieuse depuis quinze ans, a été relevée de ses vœux pour devenir Ida Stradiot ; « son fiancé, le bel Italico, ayant disparu à la fin de la guerre, elle était entrée au couvent, mais l'an dernier sa cousine vint lui dire : il est revenu... » C'est un tel sujet qui a dû inspirer le grand sondage, commandé à l'I.F.O.P., dont les résultats sont donnés dans la colonne toute voisine : le grand amour existe-t-il ? 44 % des Françaises ont répondu oui ; 33 % « peut-être » ; 16 % non ; 7 % n'ont donné aucune réponse... Autres cancans ou nouvelles : Bella Darvi, qui sera vedette du film le Pain des Jules, a calculé qu'elle recevrait durant le tournage trente-deux paires de gifles, sans compter les répétitions — déjà mère de treize enfants, au Venezuela, une fermière de Barquisimeto a mis au monde hier des quadruplés, tous en excel- lente santé ; il est vrai qu'elle a quelque entraînement : âgée de trente-cinq ans, elle eut déjà deux fois des jumeaux — de Katmandou, on câble qu' « un abominable homme des neiges » aurait mangé un alpiniste russe sur les pentes de l'Everest, mais la nouvelle est à accueillir sous toutes réserves, car « personne n'a assisté au repas du Yeti ». La chronique de Courchevel nous vaut une série d'échos qui se veulent croustillants : Christiane Laage, sœur de Barbara, qui tient un magasin de couture, invite toutes ses clientes, avant d'acheter, à venir dans son arrière-boutique boire du beaujolais au tonneau, après quoi elle leur vend absolument ce qu'elle veut — pour avoir la paix, Yoko Tani, l'actrice bien connue, a demandé à sa bonne, japonaise comme elle-même, Sako, de se faire passer pour elle ; de la sorte, c'est Sako qui a à longueur de journée la corvée de signer les autographes et de répondre aux journalistes — Tino Rossi, qui ne skie pas, se fait masser tous les matins, passe des heures à répondre à son courrier, et n'oublie pas de se faire soigner la gorge par le médecin de la station, le Dr Vert, qui affirme en avoir perdu le sommeil — Jacqueline Auriol, le soir, à la Grange, le night-club en vogue, a deux merveilleux chevaliers servants : ses deux fils — le moniteur de ski Pierre Gruneberg, coqueluche de toutes nos skieuses, est, l'été, moniteur de ski nautique à Saint-Jean-Cap-Ferrat, donc adresse à retenir — et le scénariste Charles Spaak surveille de très près ses ravissantes filles de quinze et seize ans ; il explique : « Elles veulent faire du cinéma à tout prix, mais je veux qu'elles passent d'abord une licence. » France-Soir sait tout. C'est encore par lui que nous savons que Picasso a passé la soirée d'hier dans sa villa

N° d'éditeur : 10451 N° d'imprimeur : 22101 Dépôt légal : 4 e trimestre 1978