Le Premier Janvier 1960
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LE 1er JANVIER 1960 Du même auteur LES IMPITOYABLES, nouvelles. AU-DELA DE LA MONTAGNE, roman (Le Livre de Paris). LES OISEAUX N'Y SAVENT PAS CHANTER, essai (Julliard). LA LÉGENDE DE PABLO CASALS, essai (Editions Proa). LES ETONNEMENTS DE MISTER NEWBORN, roman - Prix Courte- line 1955 (Julliard). LES PROMENADES DE M. TRIPOIRE, roman (Julliard). LA VIGNE SOUS LE REMPART, roman - Prix Sully-Olivier de Serres 1957 (Julliard). LES HOMMES NE SONT PAS DES HÉROS, roman (Julliard). LA SUCCESSION, essai (Julliard). YALTA, OU LE PARTAGE DU MONDE - Prix Historia 1964, Prix Plaisir de lire 1964 (Robert Laffont). BANDOUNG, UN CARREFOUR DE L'HISTOIRE (Robert Laffont). SIRE, ILS ONT VOTÉ LA MORT, essai sur la mort de Louis XVI (Robert Laffont). UN PRINCE CHERCHE UN ROYAUME, essai (Hachette). SANS DE GAULLE, essai (Pion). LÉNINE ET STALINE, essai (Plon). L'EPOPÉE MONDIALE D'UN SIÈCLE, essai (Hachette). LES FRÈRES BURNS, roman (Julliard). HOMMES LIBRES... (Plon). ... ET LES COYOTES HURLERONT (Julliard). LE PREMIER JANVIER 1900 (Plon). LE PREMIER JANVIER 1920 (Plon). LE PREMIER JANVIER 1940 (Plon). Prix Agrippa d'Aubigné 1978. En préparation L'AVENTURE EUROPÉENNE. 1. De Minos aux Rois Soleils. 2. De Mozart à Gagarine. ARTHUR CONTE Le 1er Janvier 1960 PLON La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une " col-un lective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes cl^tions dans u but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou rePr°îuflon grale, ou partielle, faite sans le consentement de 1 auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de 1 article ). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce so , constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 4lo et vants du Code pénal. © Librairie Plon, 1978. ISBN 2-259-00399-0 A mon petit-fils, Guillaume. 1 Le Réveillon Paris, vendredi 1er janvier 1960, 0 heure : Charles de Gaulle règne, toute la ville danse et il fait très doux. En vingt ans, la France a dévoré trois Constitutions et trois Sau- veurà. La Troisième République n'a pas survécu en 1940 au plus lourd désastre jamais subi par nos armées, écrasées en quelques jours par les troupes allemandes ; l'Etat Français, capitale Vichy, dura ce que dura la guerre ; la Quatrième République, minée par des crises ministérielles incessantes, trop faible ou incertaine pour maîtri- ser les énormes drames de la décolonisation, trop aisément harcelée par des ennemis « tous azimuths », abdiqua il y a vingt mois, un 13 mai, consécutivement à treize complots bien comptés et après seulement treize ans d'existence. Des trois « Sauveurs », Edouard Daladier, « le sauveur de la paix » à Munich, fut chassé du premier rôle en mars 1940, avant même de voir anéantir ses armées ; le maréchal Philippe Pétain, « le sauveur de Verdun », sacré « Chef de l'Etat Français » pour assumer toutes les corvées de l'armistice, termina la plus glorieuse des carrières sur le banc de la Haute-Cour, jugé à plus de quatre-vingt-dix ans pour « atteinte à la sûreté inté- rieure de l'Etat et intelligences avec l'ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes » ; le général de Gaulle, « le sauveur de la Libération », salué en 1944 par le Parlement comme ayant « bien mérité de la patrie », ne put longtemps s'accom- moder du « régime des partis » et ne se maintint au pouvoir qu'un peu plus d'une année, dès lors, exilé pour de longs mois en son asile familial de Colombey-les-Deux-Eglises, en Haute-Marne. Jus- qu'en 1958, l'on pourrait d'ailleurs presque citer cinq sauveurs, en comptant dans la série, pour 1952, le sage et modeste Antoine Pinay, « le sauveur du franc », notre nouveau Poincaré, « Monsieur Tout-le-Monde », si typiquement Français moyen avec son petit chapeau, sa moustache courte et son bon sens, lui aussi vite renvoyé à ses foyers, aussitôt que jugé inutile, et, pour 1954, le radical messia- nique Pierre Mendès France, sauveur de gauche, prototype du tribun visionnaire, voix de velours, profil de boxeur poids moyen, appelé pour signer la perte de l'Indochine, congédié aussitôt après. Le plus étrange est que l'un de ces sauveurs ait pu retrouver le trône. C'est peu dans la coutume du pays. Ce fut pourtant fait assez promptement, lorsque, désespérant de sauver l'Algérie française et appliqués à éviter la guerre civile, tous les chefs de la Quatrième République, de René Coty, président de la République en exercice, à Vincent Auriol son prédécesseur, du socialiste Guy Mollet au démocrate-chrétien Pierre Pflimlin, du radical Félix Gaillard à l'indépendant Antoine Pinay lui-même, se résignèrent à faire appel « au plus illustre des Fran- çais » : seuls, parmi les anciens ministres importants, Pierre Mendès France, François Mitterrand et Maurice Thorez ne donnèrent pas leur voix. Ainsi Charles de Gaulle — essentiellement rappelé et supplié pour garder Alger à la France — a-t-il dès le 2 juin 1958 retrouvé le pouvoir, entreprenant aussitôt de fonder la Cinquième République, dont il a été élu président il y a treize mois, dans le cadre d'une Constitution étrange qui a rapidement pris tout le style et le fond d'un régime monarchique. Les premiers Capétiens aussi étaient élus, a dit le général avec cet inimitable humour, si féroce, qui lui est propre. Au demeurant, l'avènement du souverain ne va pas sans un autre paradoxe : on commence par se demander si, en principe rappelé pour « sauver » l'Algérie, le héros ne sera pas fina- lement venu pour la perdre. La France est volontiers cynique dans l'utilisation de ses héros. En vérité, elle avait besoin de celui-là pour larguer un empire colonial devenu trop lourd. Elle n'y manque pas. Ainsi s'efface mieux la plus grande France, avec les mots de la grandeur. On n'en danse pas moins avec allégresse et frénésie. Une fois de plus, guerre ou pas, honte ou pas, peur ou pas, toute la ville ne vit que pour la fête. Embrasés de néons du Rond-Point à l'Etoile, les Champs-Elysées retentissent depuis quelques instants d'un fantastique concert d'avertisseurs donné par les automobilistes. Et, sur les boule- vards, passants et fêtards rôdeurs de s'embrasser à bouche que veux-tu. Les établissements de regorger de clients. Ils le peuvent : cent tonnes de foies d'oie et deux millions de bouteilles d'Armagnac ont été vendues cette année dans le seul département du Gers pour le réveil- lon national. L'évènement de masse était de fait prévisible : non seule- ment il fait doux, avec comme température un agréable 11° et comme ciel une ouate basse qui ne fait même pas redouter la pluie, mais encore l'énorme affluence qui s'est constatée toute la journée dans les grands magasins et dans les boutiques, de plus ouverts au-delà des heures habituelles, faisait aisément augurer de déchaînements collectifs pour le soir. Place de la Madeleine, où règnent d'un côté les fleurs, de l'autre les plus fines charcuteries, on n'a jamais vu de telles queues d'amateurs de mimosas de Grasse ou de ballottine truffée. Rue Lepic, rue Montorgueil ou rue du Poteau, et dans toutes les rues que le commerce transforme quotidiennement en marchés, les étalages débordaient jusque sur les chaussées pour mieux proposer gâteaux, jouets, dindes, bimbeloterie, ananas et pam- plemousses, car les échanges mondiaux sont devenus si actifs et rapides que les réveillons se fêtent désormais avec autant de merveilles d'Abidjan ou des Antilles qu'avec des délices de l'Alsace ou du Périgord. Le soir n'a pu que décupler l'entrain de la journée. De surcroît, radio nationale et télévision sont en grève : c'était enlever à beaucoup de sédentaires un de leurs meilleurs arguments. Dès lors, voici à qui prendra d'assaut nos milliers de restaurants, si typiques avec leurs néons, leurs petites nappes à carreaux, leurs pick-up, leurs maîtres d'hôtel en habit noir et leurs garçons en veste blanche. Les plus modestes cafés-brasseries annoncent un plantureux réveillon sur la devanture, avec souvent des caractères en couleur, des illustrations fantaisistes à la craie et une avalanche de flocons blancs : seule neige visible, cette année, que cette neige dessinée. Rue Tronchet, l'accordéoniste aveugle qui joue sur le trottoir son sempiternel Quand les lilas blancs est en train de battre tous ses records de recettes. On offre de toutes parts attractions, cotillons, saxophones, tambours, confettis. C'est pourquoi sans doute rues et boulevards sont le théâtre inattendu de si invraisemblables embouteillages : le temps doux aidant, on roule de café en café, de bar en bar. Les autocars du réveillon-surprise, autre institution des temps nouveaux, ont du mal à se frayer un passage. Et de danser tangos ou rock and roll. Et la chaleur de faire couler les fonds de teint. Et les chœurs de pousser mille refrains... On ne soupe d'ailleurs point que sur terre : on réveillonne aussi sur l'eau et dans les airs. Les bateaux-mouches de la Seine sont surchargés de passagers-dîneurs. Un biréacteur Cara- velle emporte soixante-treize voyageurs-spectateurs-gastronomes à 800 kilomètres à l'heure et à 90 000 francs par tête dans une frénétique ronde aérienne, Europ by night, entre Paris, Rome, Londres et Berlin. De toutes parts, rarement néons auront illuminé autant de charre- tées d'oies, de poulets et de dindes faisant la roue, les plumes en éventail, ou alors plats de galantine truffée, ourlée de gélatine rousse, de gâteaux somptueux à la crème Chantilly ou de colliers de bou- dins noirs et blancs.