92515KUL_Vichy_Mep Page 2 Lundi, 9. février 2004 2:08 14 92515KUL_Vichy_Mep Page 3 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

L’ARMÉE DE VICHY 92515KUL_Vichy_Mep Page 4 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

DU MÊME AUTEUR

Vichy : Old Guard and New Order, 1940-1944, New York, A. A. Knopf, 1972 ; nouv. éd., New York, Columbia University Press, 2001. Traduction française : La France de Vichy : 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, 1973 (coll. Ç L’Univers historique È) ; nouv. éd. revue et mise à jour, 1997 (coll. Ç L’Univers historique È), 1999 (coll. Ç Points Histoire È). Europe in the Twentieth Century, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1975 ; 4e éd., Fort Worth (Tx), Harcourt College Publishers, 2002. French Peasant Fascism : Henry Dorgères’ Greenshirts and the Crises of French Agriculture, 1929-1939, New York, Oxford University Press, 1997. Traduction française : Le Temps des chemises vertes : révoltes paysannes et fascisme rural, 1929-1939, Paris, Éd. du Seuil, 1996 (coll. « L’Univers his- torique È). Avec Michael R. Marrus, and the Jews, New York, Basic Books, 1981. Traduction française : Vichy et les Juifs, Paris, Calmann- Lévy, 1981 (coll. « Diaspora È) ; rééd., LGF, 1990 (coll. « Le Livre de poche. Biblio essais È). Avec Nicholas Wahl, éd., De Gaulle and the United States : a Centennial Reappraisal, Oxford, Providence (RI), Berg Publ., 1994. 92515KUL_Vichy_Mep Page 5 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

ROBERT O. PAXTON

L’ARMÉE DE VICHY Le corps des officiers français, 1940-1944

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre de Longuemar Postface historiographique de Claude d’Abzac-Epezy

TALLANDIER 92515KUL_Vichy_Mep Page 6 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

Titre original : Parades and Politics at Vichy. The French Officer Corps under Marshal Pétain, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1966. © Princeton University Press, pour l’édition originale. © Tallandier Éditions, 2004, pour l’édition française. Tallandier Éditions – 18, rue Dauphine 75006 Paris ISBN : 979-1-02101-699-6 92515KUL_Vichy_Mep Page 7 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

Ë mes parents 92515KUL_Vichy_Mep Page 8 Lundi, 9. février 2004 2:08 14 92515KUL_Vichy_Mep Page 9 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

SOMMAIRE

Introduction ...... 11

Chapitre premier. Juin 1940. La survie de l’armée française ...... 19 Chapitre II. L’armée nouvelle ...... 55 Chapitre III. Juillet-décembre 1940. Neutralité ou revanche ? ...... 81 Chapitre IV. Ç La peste soit des deux camps È ...... 113 Chapitre V. Liberté sous contrainte ...... 163 Chapitre VI. Des officiers devenus maîtres d’école ...... 207 Chapitre VII. 1941. La neutralité installée ...... 239 Chapitre VIII. 1941-1942. Bons et mauvais usages de la liberté : les officiers Ç en politique È ...... 279 Chapitre IX. Le parti de la revanche : la résistance dans l’Armée d’armistice ...... 307 Chapitre X. 1942. La neutralité menacée ...... 337 Chapitre XI. Novembre 1942. La neutralité défendue ...... 371 Chapitre XII. Après novembre 1942. Les officiers dispersés ...... 419 Chapitre XIII. Au cœur de l’armée traditionnelle ...... 439

Annexes ...... 463 Chronologie ...... 465 Liste des ministres, et secrétaires d’État aux armées (Défense, Guerre, Marine, Aviation), 1940-1944 ...... 475 La convention d’armistice franco-allemande du 22 juin 1940 ...... 477 Introduction à l’édition américaine (1966) ...... 485 Notice bibliographique de l’édition américaine (1966) ...... 489 Liste des principaux entretiens de l’auteur ...... 517 92515KUL_Vichy_Mep Page 10 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

Ç Ë la recherche des officiers de 1940 È entretien avec Robert O. Paxton (2000) ...... 519

Postface historiographique, par Claude d’Abzac-Epezy ...... 537

Remerciements de l’éditeur ...... 569

Index...... 571 92515KUL_Vichy_Mep Page 11 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

INTRODUCTION

Ce livre puise ses origines dans une thèse de doctorat en his- toire soutenue à l’université de Harvard en 1963, et publiée en 1966 aux États-Unis, dans une version remaniée pour un public plus large1. Ce premier ouvrage d’un jeune historien encore inconnu est passé presque inaperçu en France. Une seule publica- tion française en fit le compte rendu – en huit lignes2. L’auteur a dû en offrir lui-même un exemplaire à la Bibliothèque nationale de France. On peut légitimement se demander pourquoi ce livre sort maintenant, après tant d’années, en traduction française. Une première raison en est le manque, encore aujourd’hui, d’ouvrages scientifiques en langue française sur les forces armées de Vichy. Seule l’armée de l’air de Vichy a fait l’objet d’une étude approfondie, portant sur ses dimensions politiques et sociales aussi bien que techniques et stratégiques, et fondée sur une connaissance complète des archives3. En ce qui concerne l’armée de terre, on dispose entre autres des analyses fines de

1. Robert O. PAXTON, Parades and Politics at Vichy, Princeton (NJ), Prin- ceton University Press, 1966. 2. Revue française de science politique, t. XVII, no 1, février 1967, p. 178- 179. 3. Claude d’ABZAC-EPEZY, L’Armée de l’air de Vichy, Vincennes, Service historique de l’armée de l’air, 1997. Version abrégée : L’Armée de l’air des années noires : Vichy, 1940-1944, Paris, Économica, 1998. 92515KUL_Vichy_Mep Page 12 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

12 L’ARMÉE DE VICHY

Christian Bachelier, mais elles sont présentées dans quelques articles relativement brefs4. Des ouvrages parus peu après la Seconde Guerre mondiale, fondés principalement sur les souve- nirs de participants, apportent une vision partielle du sujet, des- tinée avant tout à démontrer la contribution de l’Armée de l’armistice à la Résistance et à la libération de la France5. Si nous sommes bien informés de l’histoire des opérations de la marine française pendant le conflit grâce aux travaux de Phi- lippe Masson6 et d’autres, nous connaissons beaucoup moins bien ses aspects sociaux, culturels et politiques. Cette absence est d’autant plus regrettable que les forces armées furent des institutions centrales du régime de Vichy. Gouvernement issu des efforts des deux militaires français les plus illustres, le maréchal Pétain et le général Weygand, pour faire cesser la guerre contre l’Allemagne par un acte d’État, évitant ainsi une capitulation de l’armée française en rase cam- pagne et le transfert du gouvernement en Afrique du Nord, Vichy donne aux militaires un rôle de tout premier plan. Le chef de l’État et l’un des deux vice-présidents du Conseil – l’amiral Darlan – sont des officiers de haut rang. D’autres offi- ciers généraux deviennent ministres, préfets, ambassadeurs. Les forces armées se voient attribuer un nouveau rôle dans la for- mation de la jeunesse. La petite armée autorisée par la conven- tion d’armistice – l’Armée de l’armistice – se voue à la création d’une France nouvelle, se vantant d’incarner les valeurs de

4. Christian BACHELIER, Ç La nouvelle armée française È, in La France des années noires, sous la dir. de Jean-Pierre AZÉMA et François BÉDARIDA, Paris, Éd. du Seuil, 1993, t. II, pp. 219-240 ; id., « L’Armée », in Le Régime de Vichy et les Français, sous la dir. de Jean-Pierre AZÉMA et François BÉDA- RIDA, Paris, Fayard, 1992, pp. 389-409. Pour un point plus complet sur les tra- vaux récents, voir la postface historiographique en fin de volume. 5. Étienne ANTHÉRIEUX, Le Drame de l’armée d’armistice, Paris, Les Quatre Vents, 1946 ; Raymond SEREAU, L’Armée de l’armistice, Paris, Nou- velles Éditions latines, 1961 ; Marcel LERECOUVREUX, Résurrection de l’armée française, de Weygand à Giraud, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1955. Une bibliographie très complète figure dans C. d’ABZAC-EPEZY, L’Armée de l’air de Vichy, op. cit., p. 332, n. 10. 6. Philippe MASSON, La Marine française et la guerre, 1939-1945, Paris, Tallandier, 1991, entre autres. 92515KUL_Vichy_Mep Page 13 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

INTRODUCTION 13

discipline, d’ordre et d’autorité méconnues – aux dires de ses chefs – par la Troisième République. D’ailleurs, l’Armée de l’armistice fut une des racines de l’armée française de la Libération. La très pétainiste Armée d’Afrique a été projetée dans la guerre contre l’Axe par le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942. Après une période d’hésitation, pendant laquelle ses chefs espèrent par leur neutralité épargner à Vichy une occupation totale du territoire métropolitain par les Allemands, elle contri- bue de manière décisive à la victoire alliée de mai 1943 en Tunisie. Fusionnée, non sans difficultés, avec les unités moins nombreuses des Forces françaises libres et des Forces fran- çaises de l’intérieur, elle participe brillamment aux campagnes d’Italie, de Normandie et de Provence, libère Paris et poursuit l’ennemi jusqu’en Allemagne et en Autriche. Le général de Lattre de Tassigny, un ancien de l’Armée de l’armistice, repré- sente la France à la cérémonie de la capitulation générale alle- mande, à Berlin, le 8 mai 1945. L’armée de Vichy forme donc un des troncs principaux de l’armée française de l’après-guerre, à laquelle elle donna deux de ses quatre maréchaux de France – Juin et de Lattre. C’est cette histoire pleine de tâtonnements, où les militaires français de carrière cherchent leur devoir entre Vichy, Alger et Londres, que ce livre cherche à éclaircir.

L’expérience vécue entre juin 1940 et novembre 1942 par ceux qui voyaient le chemin du devoir dans l’obéissance au maréchal Pétain – la majorité des officiers – est au cœur de ce livre. Nous savons qu’ils travaillaient avec enthousiasme à la construction d’une France nouvelle. Préparaient-ils aussi la revanche ? Sans le moindre doute, les officiers de Vichy voulaient tous la libération de la France et le relèvement de leur pays. Mais comment atteindre ce but ? Le maréchal Pétain lui- même et les stratèges de Vichy cherchaient une troisième voie entre les deux camps belligérants. Dans leur optique, une nou- velle guerre de libération menée sur le sol français, répétition de l’hécatombe de 1914-1918, aggravée encore par une guerre civile entre la gauche et la droite, eût signifié la fin de la France. Mieux valait reconstruire une France forte de ses propres valeurs d’autorité et de discipline, qui retrouverait sa place en 92515KUL_Vichy_Mep Page 14 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

14 L’ARMÉE DE VICHY

Europe et dans le monde par un retour naturel de balancier. Mieux valait une paix de compromis qu’une longue guerre d’usure. Même ceux qui croyaient à une rentrée dans la guerre contre l’Axe la trouvaient inconcevable avant que les Alliés n’eussent acquis une telle prépondérance de force que la France se verrait épargner une autre campagne de longue durée sur son propre sol. Le neutralisme de Vichy se faisait entendre avec difficulté dans le vacarme des deux propagandes de guerre totale. Il est devenu plus inaudible encore après la victoire du camp allié et de ses partenaires français, la Résistance et la France libre. J’ai cherché, par une sorte d’archéologie des mentalités, à reconsti- tuer fidèlement – sans y adhérer du tout – cet état d’esprit. Il faut ajouter d’emblée que ce raisonnement n’a pas été suivi par tous les officiers de l’Armée de l’armistice. J’ai essayé aussi de rendre justice à cette minorité agissante qui, tout en restant généralement fidèle au Maréchal, pensait accom- plir sa volonté intime en cachant des armes, en préparant des moyens clandestins de mobilisation et, après la dissolution de l’Armée de l’armistice en novembre 1942, pour certains d’entre eux en adhérant à l’Organisation de résistance de l’armée (ORA). La fermeture des archives françaises à l’époque où j’ai écrit ce livre pourrait sembler en réduire la valeur actuelle. Il faut donc souligner qu’il repose sur des sources contemporaines fai- sant autorité. Les membres des commissions de contrôle alle- mandes (Kontrollinspektionen), se rappelant la reconstruction de l’armée allemande après 1918, scrutaient l’Armée de l’armistice avec une loupe fine. Leurs archives, saisies à la fin de la guerre, sont consultables sur microfilm à Londres et à Washington7. Des diplomates et des attachés militaires améri- cains, en service à Vichy jusqu’au retour de Laval en avril 1942, fréquentaient les officiers français. Leurs rapports à Washington donnent, eux aussi, une image contemporaine, sans

7. Quoique des historiens français, sous la direction du professeur Maurice Baumont, aient participé à ce projet interallié de microfilmage, aucun centre d’archives ou bibliothèque française ne semble aujourd’hui pos- séder des exemplaires de leur travail. 92515KUL_Vichy_Mep Page 15 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

INTRODUCTION 15

retouche, des attitudes et des réalisations de l’Armée de l’armistice. D’ailleurs, le gouvernement français avait déjà publié un recueil des archives de la Délégation française auprès de la Com- mission allemande d’armistice à Wiesbaden8. Quant aux idées sociales, politiques, militaires et stratégiques qui présidèrent à la création de l’« armée nouvelle » de Vichy, elles n’eurent rien de secret. Les publications du régime en parlent abondamment. Un certain nombre d’officiers supérieurs et généraux français étant passés devant la Haute Cour de justice après 1945, j’ai pu trouver des renseignements précieux dans les comptes rendus sténogra- phiques des séances publiques de ces procès. Enfin, j’ai pu interviewer en personne une trentaine d’offi- ciers généraux et supérieurs de l’Armée de l’armistice entre l’automne 1960 et le printemps 19619. J’ai appris énormément de ces conversations, mais le chercheur avisé doit apprécier avec soin des témoignages oraux livrés vingt ans après les faits, surtout quand les personnes interviewées ont dû se justifier devant l’opinion et parfois devant la justice. Ces entretiens por- taient plus volontiers sur des actes de résistance (bien docu- mentés, d’ailleurs), que sur la contribution de l’Armée de l’armistice à la Révolution nationale. Puisque la mémoire se déroule à l’envers, elles évoquaient plus librement les attitudes de 1944 que celles de 1941, ces dernières leur semblant à la fois plus distantes et moins en accord avec les réalités de l’après-guerre10. Même si une étude soutenue des archives du SHAT à Vincennes aurait pu, sans aucun doute, apporter un complément important de détails à cet ouvrage, la convergence de mes conclusions avec celles de Claude d’Abzac-Epezy et de

8. Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice, Recueil de documents publié par le gouvernement français, Paris, La Docu- mentation française, 1947-1959, 5 vol. 9. On pourra se reporter en fin de volume à la liste des interviews accor- dées à l’auteur. 10. Je me suis exprimé sur les problèmes posés par ces témoignages dans un entretien avec Claude d’Abzac-Epezy dans la Revue historique des armées, 2000, no 2. 92515KUL_Vichy_Mep Page 16 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

16 L’ARMÉE DE VICHY

Christian Bachelier, qui connaissent à fond ces archives, et leurs évaluations positives de ce livre11 me persuadent qu’il n’est pas périmé. Le traducteur a donc repris le texte de l’édition originale presque sans changement. Quelques erreurs de noms propres et de dates ont été corrigées. L’important effort actuel de recherche sur Vichy a permis des rectifications ou des complé- ments d’information, notamment sur quatre points précis : 1) le nombre de prisonniers de guerre rapatriés entre 1940 et 194412 ; 2) le matériel militaire fourni à partir de la Tunisie aux forces de l’Axe en Libye13 ; 3) les télégrammes d’« accord intime » que le maréchal Pétain aurait envoyé, selon ses défenseurs, à l’amiral Darlan en novembre 194214 ; 4) le nombre de victimes de l’épuration sauvage de 194415. Dans chaque cas, et parfois ailleurs, une note de l’auteur indique l’ouvrage courant qui fait autorité en la matière.

Ce livre a été écrit dans un contexte d’actualité fort différent de celui d’aujourd’hui. En avril 1961, alors que l’auteur traver- sait la France à la recherche d’anciens officiers de l’Armée de l’armistice, les Parisiens attendaient avec angoisse l’arrivée possible de parachutistes envoyés par l’Algérie insurgée. La détérioration des relations entre civils et militaires français depuis la Troisième République, et la transformation de la Ç Grande Muette » en menace contre la République dominaient alors toute la réflexion sur l’histoire de l’armée française. Le régime de Vichy et sa politique de collaboration ne faisaient

11. Ç L’étude de Paxton sur l’armée de terre reste inégalée » (C. d’ABZAC- EPEZY, L’Armée de l’air de Vichy, op. cit., p. 19). Cette thèse « reste inégalée et inédite en français È (C. BACHELIER, « L’Armée », in Le Régime de Vichy et les Français, op. cit., p. 349). 12. Chapitre IV, p. 124. 13. Chapitre VII, p. 274. 14. Chapitre XI, p. 389. 15. Chapitre XIII, p. 439. 92515KUL_Vichy_Mep Page 17 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

INTRODUCTION 17

guère partie des sujets acceptables pour la recherche scienti- fique en France. Aujourd’hui, l’importance relative de ces deux questions s’est inversée. Les relations entre civils et militaires se sont apaisées, tandis que la collaboration de Vichy avec l’Allemagne nazie se trouve au centre d’un débat public intense. Le lecteur trouvera que j’ai abordé les deux sujets, mais il se pourrait qu’il soit surpris par l’attention accordée ici au problème de l’obéis- sance militaire. C’est dans ce livre que j’ai ébauché les thèmes principaux de mes deux ouvrages ultérieurs sur Vichy, La France de Vichy16 et Vichy et les Juifs, avec Michael Marrus17 : la marge d’autonomie dont joua le régime de Vichy pour poursuivre ses propres projets intérieurs et internationaux ; ses initiatives pour obtenir de l’occupant des concessions en échange d’une colla- boration plus poussée ; les racines françaises de la Révolution nationale ; la participation allègre de beaucoup de Français (y compris des officiers de carrière) à ce projet de rénovation nationale selon des modèles très éloignés des valeurs républi- caines ; la volonté de sortir de la guerre et d’appliquer une poli- tique de défense « tous azimuts » pour protéger l’Empire à la fois des Allemands et des Britanniques. Dans ce sens, ce livre constitue le premier pas vers La France de Vichy.

Je ne peux pas nommer ici tous ceux qui m’ont aidé depuis 1960 à comprendre l’Armée de l’armistice. Plusieurs d’entre eux, pourtant, ont été indispensables à ce projet. Raoul Girardet l’a suggéré, m’ouvrant ainsi une carrière professionnelle et scientifique à la fois passionnante et passionnée. Il m’a lancé très généreusement dans une suite d’entretiens avec des offi- ciers supérieurs et généraux de l’Armée de l’armistice, à commencer par le général Weygand. Pourtant, il n’est pas certain qu’il approuve entièrement le résultat final. Henri Noguères m’a permis de travailler dans ses archives particulières, qui comprenaient les comptes rendus sténographiques des séances

16. Paris, Éd. du Seuil, 1973 ; 2e éd., 1997. 17. Paris, Calmann-Lévy, 1981. 92515KUL_Vichy_Mep Page 18 Jeudi, 19. février 2004 11:36 11

18 L’ARMÉE DE VICHY

publiques devant la Haute Cour de justice et le journal du géné- ral Bridoux. Stanley Hoffmann, mon maître à Harvard, n’a jamais cessé de m’offrir conseils et aide. Henry Ashby Turner Jr a ouvert mes yeux en 1961 sur l’importance de la documen- tation allemande. Les personnes suivantes, dont certaines sont aujourd’hui décédées, m’ont très aimablement donné accès à une partie de leurs papiers personnels : le général Paul Bourget, le colonel Clogenson, M. André Desfeuilles, le capitaine Daniel Devilliers, l’inspecteur général Pierre Jacquey, Mme la Maréchale de Lattre de Tassigny, le capitaine de vaisseau Henri Laure, M. Pierre Martin, le général Émile Mollard, M. Dominique Morin, le général Joseph de La Porte du Theil, le général Edmond Ruby, le colonel Raymond Sereau et le général Guy Schlesser. Ils n’ont pas nécessairement partagé toutes les opinions exprimées ici. Je suis particulièrement reconnaissant au traducteur de cet ouvrage, M. Pierre de Longuemar. Au-delà de sa maîtrise par- faite de la langue anglaise, son enthousiasme pour le livre (sans être nécessairement d’accord sur certains détails), et son atten- tion rigoureuse à la fidélité et à la fluidité de la traduction, il s’est beaucoup dépensé pour trouver un certain nombre de textes originaux français cités en anglais dans l’édition américaine. Par-dessus tout, c’est lui qui a eu le premier l’idée de rendre ce livre accessible aux lecteurs français. Enfin, je remercie Claude d’Abzac-Epezy pour son encouragement dans le même sens, et pour le temps considérable qu’elle a soustrait de son propre tra- vail afin de contribuer à la vérification de ce livre.

Robert O. Paxton

Buffières (Saône-et-Loire) août 2003 92515KUL_Vichy_Mep Page 19 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

Chapitre premier

JUIN 1940 LA SURVIE DE L’ARMÉE FRANÇAISE

Ç Aucune nation n’existe sans une armée, si petite soit-elle. È – Un général français anonyme, Revue des Deux Mondes, 1er février 1941 Ð

Ç Vous estimez, à juste titre, inconcevable qu’un État puisse, à la longue, exister sans une armée disciplinée et obéissante. È – Maréchal Pétain à Hitler, 5 décembre 1942 Ð

Ç La France sans épée n’est pas la France. È Ð , 1954 Ð

LE DUNKERQUE FRANÇAIS

Dans les premiers jours de juin 1940, dix divisions du corps expéditionnaire britannique en France échappèrent à l’annihilation sur les plages de Dunkerque et furent, par la suite, en mesure de reprendre le combat. Trois semaines plus tard, dans des conditions autrement dramatiques, mais non moins décisives, l’armée française fut confrontée à son propre Dunkerque : un Dunkerque politique. Quand, le 17 juin, le gouvernement du maréchal Pétain demanda l’armistice depuis son refuge temporaire de Bordeaux, Hitler avait virtuellement le pouvoir d’annihiler l’armée française en tant qu’institution. Pour la première fois depuis que la France existait en tant que 92515KUL_Vichy_Mep Page 20 Lundi, 9. février 2004 2:08 14

20 L’ARMÉE DE VICHY

nation, l’armée française aurait pu disparaître de la surface de la terre.

Quand le général Charles Huntziger quitta Bordeaux, le 20 juin, pour représenter la France aux négociations d’armis- tice, il pouvait s’attendre à des conditions draconiennes. La déclaration malencontreuse du maréchal Pétain le 17 juin Ð Ç Il faut cesser le combat » – se propagea rapidement jusqu’aux bataillons les plus reculés, réduisant les défenses françaises à quelques poches de résistance isolées. Le général Erwin Rommel qui, précisément ce jour-là, poussait sa 7e division blindée vers Brest et la pointe de la Bretagne, rencontra des unités françaises stationnant le long des routes, leurs officiers s’attendant à un cessez-le-feu immédiat. Rommel couvrit près de 250 km le 17 juin, la plus longue distance jamais parcourue, de mémoire d’homme, en un jour par une division entière1. Le général , commandant en chef des forces armées françaises, avait prévenu Huntziger contre les demandes potentielles des Allemands que la France se devait de rejeter. Si les Allemands cherchaient à obtenir des conces- sions majeures sur la flotte ou l’Empire, les deux derniers atouts non encore joués, il ne saurait être question d’un armis- tice2. Naturellement, les Français n’étaient pas vraiment en état de négocier, comme les conditions du voyage de Huntziger vers le nord le prouvèrent. Huntziger ne savait même pas où se tiendraient les pourparlers.

Prenant la route à Bordeaux dans l’après-midi du 20 juin, Huntziger et son groupe voyagèrent pendant dix-sept heures, sans nourriture ni repos, sur des routes encombrées de réfugiés affolés et de soldats désœuvrés, un tableau véritablement peu à même de stimuler la combativité des négociateurs. Charles

1. The Rommel papers, éd. par Basil H. LIDELL-HART, New York, Harcourt, Brace, 1953, pp. 69-73. 2. Général Maxime WEYGAND, Mémoires, t. III : Rappelé au service, Paris, Flammarion, 1950, p. 246 ; Général Paul-André BOURGET, De Beyrouth à Bordeaux, la guerre vue du P.C. Weygand, Paris, Berger-Levrault, 1946, p. 159 ; entretiens avec l’auteur.