Yod Revue des études hébraïques et juives

21 | 2018 Histoires transgénérationnelles Retour sur les politiques de ‘réparations’ des spoliations antisémites depuis les années 1990

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/yod/2582 DOI : 10.4000/yod.2582 ISSN : 2261-0200

Éditeur INALCO

Référence électronique Yod, 21 | 2018, « Histoires transgénérationnelles » [En ligne], mis en ligne le 14 février 2018, consulté le 10 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/yod/2582 ; DOI : https://doi.org/10.4000/yod. 2582

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À partir des années 1990, la question de spoliation des “biens juifs” dans les pays occupés par l’Allemagne nazie, parfois avec la complicité des pouvoirs locaux, a fait l’objet d’un réexamen — ces confiscations et ces pillages ressortissant directement au projet d’extermination des Juifs. Conscients de l’insuffisance des restitutions et des indemnisations intervenues depuis la fin de la guerre, plusieurs États ont ouvert une ère nouvelle dans leur politique de “réparation”. Une vingtaine d’années plus tard, quel bilan peut-on esquisser ?

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SOMMAIRE

Avant‑propos Anne Grynberg

Impossible History? Holocaust Commissions as Narrators of Trauma Alexander Karn

Second‑Wave Holocaust Restitution, Post‑Communist Privatization, and the Global Triumph of Neoliberalism in the 1990s Regula Ludi

Les « pensions de ghetto » accordées par l’Allemagne.Errements d’une indemnisation, 1997‑2015 Stephan Lehnstaedt

Not Facing the Past:Restitutions and Reparations in Italy (1944‑2017) Ilaria Pavan

L’invention d’une politique de restitution en France en 1944‑1945 et l’action décisive du professeur Émile Terroine Laurent Douzou

La politique française de « réparation » des « biens juifs » spoliés :mémoire et responsabilité Anne Grynberg

Lumière sur les « MNR » ?Les œuvres d’art spoliées, les musées de France et la Mission Mattéoli : les limites de l’historiographie officielle Johanna Linsler

Indications bibliographiques

Mots‑clés

Varia

« Ajuster l’expression occidentale aux instruments d’une langue orientale »Yakov Fichman et « l’horizon traductif » de la génération de la renaissance de l’hébreu moderne Dory Manor

The Raceless and Restless Novels of Caryl Phillips:The Nature of Blood on French Ground Kathleen Gyssels

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Avant‑propos

Anne Grynberg

1 Les articles qui composent le dossier de ce numéro de Yod sont le fruit des travaux d’un atelier de recherche international organisé par le Comité d’histoire auprès de la CIVS1 et intitulé : The Politics of Repair: Restitution and Reparations in the Wake of . Celui‑ci s’est tenu du 22 juillet au 3 août 2013 à l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington qui a pris en charge son organisation. Il a réuni une dizaine de chercheurs2.

2 Près de vingt ans après l’ouverture d’une ère nouvelle dans les politiques de « réparations » de plusieurs pays européens, souvent sous l’impulsion des États‑Unis, il nous a paru essentiel d’esquisser un bilan – sans avoir nulle prétention à l’exhaustivité – et de préciser un certain nombre de questionnements.

3 La spoliation de leurs biens matériels a été partie prenante de la politique nazie d’anéantissement des Juifs : en acculant ceux‑ci à la ruine, elle les a rendus d’autant plus vulnérables et a favorisé leur assassinat massif. C’est donc dans le cadre de l’histoire de la persécution des Juifs d’Europe que la spoliation de leurs biens doit être analysée et contextualisée. Et c’est dans celui de la reconstruction de l’après‑guerre, bientôt marqué du sceau de la guerre froide, puis dans celui des transformations survenues en Europe à partir de la décennie 1990, après l’effondrement du communisme et le réexamen du statut même de la propriété privée, que doivent être étudiées les politiques successives de restitution et d’indemnisation.

4 Pendant ces quinze jours d’échanges, nous nous sommes efforcés de préciser la chronologie, en cernant les facteurs de continuité mais aussi les changements voire les points de rupture au fil des décennies, en liaison avec l’évolution géopolitique de l’Europe et le développement de la mondialisation. C’est dans ce contexte que sont intervenus de nouveaux acteurs : les commissions historiques mises en place dans plus de vingt pays, qui ont enquêté sur le sort des « biens juifs » pendant et après la guerre. Leurs travaux ont mis en lumière la complicité plus ou moins active de plusieurs gouvernements d’Europe occupée, ainsi que l’attitude fort trouble des autorités de certains pays neutres, de la Suisse en particulier. Elles ont engendré parfois – pas

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toujours – la reconnaissance officielle des fautes commises et la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques de la mémoire.

5 Nous nous sommes demandé dans quelle mesure cette évolution avait eu un effet cathartique sur les victimes ou sur leurs ayants droit, parmi lesquels s’étaient transmis la mémoire transgénérationnelle et le douloureux sentiment de la perte des biens matériels comme symbole même de l’expérience de la persécution. Nous nous sommes interrogés sur la transformation du statut de victime depuis la fin de la guerre et sur les formes de sa transmission, sur les questions induites en termes d’affirmation identitaire et de rapport à la société environnante. Et nous avons tenté d’analyser la/les manière(s) dont les opinions publiques avaient réagi face à cette prégnance de la mémoire de la Shoah, encore complexifiée par l’intervention d’éléments financiers parfois porteurs de stéréotypes négatifs.

6 En filigrane, se posent des questionnements citoyens et éthiques fondamentaux. Ces nouvelles politiques publiques de la mémoire – auxquelles les restitutions et indemnisations mises en œuvre depuis les années 1990 ressortissent directement – ont‑elles ouvert un chapitre inédit dans la considération accordée aux victimes, au‑delà même de celles de la Shoah ? Sont‑elles synonymes, peu ou prou, d’une tentative de faire émerger une justice internationale plus déterminée et plus efficiente ?

7 Et, interrogation ultime : la restitution de biens matériels ou le paiement d’indemnités peuvent‑ils contribuer à redresser des torts historiques ? S’ils ne ramènent évidemment pas les morts à la vie, permettent‑ils au moins aux générations nouvelles de se sentir comprises et reconnues et de se tourner de manière apaisée vers un avenir plus consensuel ? Si oui, cela voudrait peut‑être dire qu’il y a plusieurs manières de comprendre l’expression « réparer l’histoire3 ».

NOTES

1. Instituée par le décret no 99‑778 du 10 septembre 1999, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’occupation (CIVS) est chargée d’examiner les demandes individuelles présentées par les victimes de spoliations matérielles ou par leurs ayants droit – www.civs.gouv.fr. Le Comité d’histoire auprès de la CIVS – placé sous la direction scientifique d’Anne Grynberg, avec la coopération active de Johanna Linsler – a été institué par un arrêté du Premier ministre en date du 3 août 2007, avec les objectifs suivants : « analyser la genèse, les conditions d’établissement et de fonctionnement de la CIVS et dresser un bilan objectif de son action ; inscrire cette histoire dans celle de la politique française d’indemnisation, depuis l’immédiat après‑guerre jusqu’à aujourd’hui, et étudier les différentes étapes des ‘réparations’ de la spoliation de biens matériels qui a été l’une des composantes de la persécution antijuive des années 1940 ; retracer l’histoire et conserver la mémoire de familles juives en France pendant la guerre et l’Occupation ainsi que dans le cadre de la reconstruction de l’après‑guerre ; mener une

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étude comparative entre le cas de la France et celui d’autres pays en Europe (de l’Ouest et de l’Est) et hors d’Europe, en confrontant les points de vue de chercheurs travaillant dans ce domaine ainsi que ceux des acteurs des diverses commissions nationales qui ont été mises en place depuis la décennie 1990. » 2. Y ont participé : Alexander Karn (Colgate University), Nathan Kurz (Harvard University, Cambridge), Jurgen Lillteicher (Willy‑Brandt‑Hauses, Lübeck), Stephan Lehnstaedt (Touro College, Berlin), Johanna Linsler (EHESS, Paris), Regula Ludi (Université de Berne), Ilaria Pavan (École Normale Supérieure de Pise), Nikos Tzafleris (Université de Thessalonique). Sont également intervenus : Diane Afoumado (USHMM/ International Tracing Service), Elazar Barkan (Columbia University, New York), Roy Brooks (San Diego University), Yukiko Koga (Hunter College, New York), Jaechyung Oh (Université Nationale de Séoul), Steven Perles (Perles Law Firm PC, Washington DC), Vervellia Randall (Université de Dayton), Mia Sussman (Equal Justice Works, Washington DC). Krista Hegburg en a assuré la logistique, et bien plus encore. Cet atelier de recherche a bénéficié du soutien du Mandel Center. L’article de Laurent Douzou est quant à lui issu d’une intervention prononcée lors du colloque organisé au Mémorial de la Shoah par le Comité d’histoire auprès de la CIVS le 14 avril 2013 : Restitutions des « biens juifs » spoliés, indemnisations, « réparations ». 3. Cf. Antoine G ARAPON, Peut‑on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah, Paris, Odile Jacob, 2008.

AUTEUR

ANNE GRYNBERG Inalco, USPC

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Impossible History? Holocaust Commissions as Narrators of Trauma Une histoire impossible ? Les Commissions historiques comme vecteur de narration du trauma הירוטסה יתלב תירשפא ? תודעוו ה האוש תורפסמכ לש המוארט .

Alexander Karn

1 Like other papers assembled here, this essay arose from a research seminar convened in the summer of 2013 at the United States Holocaust Memorial Museum1. The subject of the seminar was “The Politics of Repair: Restitution and Reparations in the Wake of the Holocaust.” I was invited to share my research for what was, at the time, still an ongoing project, i.e., a comparative study of European Holocaust commissions with special emphasis given to assessing their potential for conflict mediation.2 These commissions, despite certain limitations (e.g., with respect to long‑term impact) and the skepticism they aroused among scholars, political elites, and ordinary members of the public concerning the objectivity of their work, were nevertheless thought to be an important development in what the seminar’s participants identified as the “second wave” of Holocaust restitution.3

2 This essay builds on that earlier research, but the focus is narrower. My aim here is to explore the Holocaust commissions from a historiographical perspective, paying particular attention to the methodological and rhetorical strategies they employed when faced with the traumatic experiences and memories of Holocaust victims and survivors. Starting out from a conviction that historical understanding depends on the intertwining of texts and events and eager to interrogate what James Young once called “the consequences of interpretation,”4 I became interested in how these commissions responded, in practical terms, to the theoretical debates that arose during the 1970s and 1980s, regarding the uniqueness of the Holocaust and the possibility of its being un‑representable. The question that frames this essay is, therefore: How did the

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Holocaust commissions inquire after and narrate what many trauma theorists (and others) had come to regard as the “impossible history” of the Shoah?

Holocaust Commissions, Historical Representation, and Trauma Theory

3 The Holocaust commissions referred to here represent a subset of a more general historical commission model, which became increasingly prevalent at the end of the Cold War. Similar to the truth and reconciliation commissions that have been the subject of extensive academic study, historical commissions have appeared in a variety of contexts where “difficult” and shameful historical episodes cast a long shadow over contemporary society and where debates over the past have become the subject of political wrangling. In the case of the Holocaust commissions—several dozen were convened between the mid‑1990s and early 2000s—these inquiries were typically launched in countries where nationalist myths and revisionist histories had stymied deep historical understanding of the Holocaust and glossed over the debts still owed to its victims. At an organizing seminar for the Washington Conference on Holocaust‑Era Assets (1998), Stuart Eizenstat, U.S. undersecretary of state, highlighted both the promise of these initiatives and the obstacles they faced: It is dispiriting that, for nearly half a century, the fate of Holocaust‑era assets remained largely obscured. At the same time, it is inspiring that over the last several years, after the Cold War, and with the end of this century approaching, these issues have come to command the world’s attention and touch the conscience of humanity. There is no doubt that this is a painful undertaking: it is not easy for any country to confront periods or issues in its recent history that reopen old wounds. But I believe that this can be a healing process, which can strengthen each of our countries and bring this century to a close on a high note of justice.5

4 Eizenstat’s invocation of justice and healing gives an indication of the idealistic aspirations that were sometimes attached to these commissions and the hope that their work would help to support a burgeoning “right to truth.”6 At the same time, it is important to see how these commissions, particularly those that emerged through “official” channels, served as political troubleshooters for their governments, which were still largely guided by the logic of realpolitik. The point I want to make is merely that any consideration of the external political factors that shaped these commissions must lead as well to a careful examination of the ways in which these same political factors entered into their work and gave their written reports a particular internal structure. By “internal structure”, I mean an ideological and moral framework that shapes and determines the factuality and the moral content of their accounts. Even (and especially) where these commissions claimed to have transcended partisanship and established an objective account of the past, we need to account for this kind of structure. By doing so, we can reveal how particular methodological choices and rhetorical formulas obscure and sometime silence fundamental aspects of Holocaust history.

5 Trauma’s paradoxical quality, i.e., its being both impossible to recall (absence) as well as impossible to forget (omnipresence), creates a problem for Holocaust historians and others who wish to understand its extremity and explore its meaning. In The Writing of the Disaster (1980), Maurice Blanchot highlights this tension in his attempt to isolate and understand what cannot be forgotten (i.e., the disaster) “because it has always

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already fallen outside of memory.” For Blanchot, traumatic experience cannot be encapsulated either in memory or language, yet it cannot be forgotten or ignored, since doing so would contravene the ethical basis of our humanity. Impossible to grasp or represent externally, the disaster, Blanchot contends, must be commemorated in any case: “The disaster, unexperienced. It is what escapes the very possibility of experience — it is the limit of writing. This must be repeated; the disaster de‑scribes.”7 Construed as both the “ruin of words” and the “demise of writing,”8 the disaster, Blanchot says, must nevertheless remain in our sights. We are obliged to “[k]eep watch over absent meaning.”9

6 This aspect of Blanchot’s thinking has permeated much of the subsequent scholarship on Holocaust history and the limits of representation. Lawrence Langer, for example, recalling his experience of watching and listening to Holocaust survivors while they recounted their most painful memories of the camps and ghettos, describes: “an impassable chasm [that] permanently separates the seriously interested auditor and observer from the experiences of the […] victim.”10 This divide, which frustrates all efforts at comprehension, has led some to conclude that the Holocaust is fundamentally unintelligible. Irving Howe developed this theme in an essay titled “Writing and the Holocaust.” He notes: “Our subject resists the usual capacities of mind. We may read the Holocaust as the central event of the [twentieth] century; we may register the pain of its unhealed wounds; but finally we must acknowledge that it leaves us intellectually disarmed, staring helplessly at the reality or, if you prefer, the mystery of mass extermination. There is little likelihood of finding a rational structure or explanation for the Holocaust; it forms a sequence of events without historical or moral precedent.”11 Claude Lanzmann, the acclaimed director of Shoah (1985) has described the Holocaust in similar terms. The Shoah is unique, according to Lanzmann, “in that it constructs a circle of flames around itself.” He continues: “[T]he limit is not to be broken because a certain absolute horror is not transmittable: to pretend to do so […] is to become guilty of the most serious transgression. One must speak and be silent at the same time, to know that here silence is the most authentic mode of speech.”12 These comments resonate deeply with what Blanchot outlined in The Writing of the Disaster, and they anticipate much of what Jean‑François Lyotard pursues in The Differend (1983), particularly where the latter takes up “the negative presentation of the indeterminate.” Attempts to give this indeterminacy a fixed and final content, Lyotard warns, replicate the essence of totalitarian terror, since these are really efforts to coerce others into a common understanding of the original utterance or event. “There is no genre,” Lyotard writes, “whose hegemony over the others would be just.”13 With respect to the Holocaust, therefore, nothing can be said or written, which does not somehow damage or distort the historical truth. One might stretch this to say that no historical truth exists to be distorted in the first place. Instead, we must wrestle with inexpressible feelings and frustrated desires for linkage between the words historians use to represent the past and the events of the past themselves.

7 All of this highlights what the Holocaust commissions were up against, in terms theoretical challenges, when they were launched in the 1990s and 2000s to “deal with” the unresolved issues connected to the Nazi past. The story of the Holocaust commissions, all too often, was a tale of competing and contravening discourses (e.g., historical, legal, economic, moral, etc.). Though their members typically described their work in terms of straightforward empirical investigation, i.e., fact‑finding and truth‑telling, the Holocaust commissions were, nevertheless, made to reckon with the

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inexpressible feelings and desires that Lyotard highlighted in The Differend. What these commissions for the most part failed to appreciate, or even perceive, was the gulf of understanding that separated Holocaust survivors and their descendants, who still lived with the abject horrors of the past, from the governments of formerly complicit states, who seemed ready to acknowledge the fact of past injustices, but struggled to do so in terms that were acceptable to the survivors and their kin.

Austria’s Historikerkommission (Jabloner Commission)

8 Austria’s Holocaust commission (Historikerkommission) was established in November 1998 by a joint decree of the government’s executive and legislative branches. It arose thanks to both an inner paradigm shift (i.e., a new consciousness among Austrians regarding the conduct of their countrymen during the Nazi era) and the accrual of external pressures (e.g., class‑action lawsuits and the threat of economic sanctions). Officially, the commission’s task was “to investigate and report on the whole complex of expropriations in Austria during the Nazi era and on restitution/ compensation […] after 1945.” Clemens Jabloner, the commission’s chairman, described the work as “making some difficult and sensitive problems in recent Austrian history comprehensible to as many people as possible.” The commission, Jabloner later said, was a response to Austria’s need for “complete purification.” In terms of its composition, the Austrian commission was quite streamlined. Besides Jabloner, the commission included Lorenz Mikoletsky, the director of Austria’s National Archives, plus five other Austrian historians, and two foreign experts.14

9 While much of the commission’s work entailed basic accounting and arithmetic, the project was shadowed from the outset by the so‑called “victim theory,” which the writer Hermann Langbein once called Austria’s “life lie” (Lebenslüge). The victim theory dates back to the Moscow Declaration (1943), when the Allies, already looking ahead to the postwar order, cited Austria as the first victim of Nazi aggression. According to the theory, the Austrian state did not exist between March 1938 and May 1945; therefore, Austrians could not be responsible for crimes committed in that interval. In Austria’s general population, the victim theory dominated social memory until the 1980s and 1990s, when a string of political scandals dredged up the Nazi past and threatened Austria’s international standing. The first unfolded in 1985‑86, when it was discovered that Kurt Waldheim, the former secretary general of the United Nations and a candidate for the Austrian presidency, had misrepresented or lied about his involvement with the Wehrmacht during World War Two. At home and abroad, Waldheim’s past came to represent a more pervasive memory “syndrome,” which was a tendency among Austrians to evade responsibility for crimes committed in the nation’s name and a concern for the suffering of the national majority, over and above that of other groups. This syndrome was re‑activated in the second half of the 1990s when Jörg Haider and the Austrian Freedom Party (FPÖ) vaulted to prominence on the basis of what many saw as neo‑fascist rhetoric and policy planks. Arising from this context, the Jabloner Commission initially appeared to be an innovative and progressive way for Austrians to come terms with the role their country had played in the Holocaust and to demonstrate their commitment to rectifying past wrongs.

10 Over the course of four years, the Jabloner Commission published fifty‑four volumes (14,000 pages) on various aspects of the Nazi period.15 In its final report (January 2003),

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Jabloner touted the commission’s “multi‑disciplinary approach.” In reading the report, however, one of the most striking features is the commission’s consistent focus on the purely economic aspects of National Socialist criminality. Despite having received a broad mandate to examine “the whole complex” of expropriation, the commission focused almost entirely on compensable material losses and the monetary value of lost, looted, and destroyed properties. At the same time, there is a consistent, and seemingly determined, avoidance of the complex moral questions that stem from these episodes. Virtually everything in the final report is couched in the quantifiable language of schillings, Reichsmarks, and dollars, while almost nothing communicates the traumatic experiences of the victims and the potent, psychological effects of the anti‑Semitic violence to which they were exposed.

11 Perhaps the best example of this narrow interest in economic data and monetary impact is the commission’s treatment of the Kristallnacht pogrom. Over the course of two days, and with the encouragement of Nazi officials, mobs of adults and children throughout the Reich burned synagogues, smashed storefronts, looted homes and businesses, and subjected Jews to a raft of sadistic humiliations, while singling out some for more extreme physical violence. No less than ninety‑one Jews were murdered during the rampage, while approximately 30,000 were arrested and sent to concentration camps (resulting in additional deaths). Reading the Jabloner report, one quickly understands why this event is commonly referred to as “The Night of Shattered Glass.” The report provides estimates for the number of Jewish business damaged, the number of windows broken, the total area in square meters of all shattered glass, the insured value of these panes, which of these broken windows was the subject of an insurance claim, and so on. The report emphasizes the glass, its materiality and monetary value, rather than the men, women, and children who looked out from behind these windows and suffered profoundly, far beyond any financial loss, as a consequence of their shattering.

12 The sterility of this approach becomes more obvious if we compare the commission’s report to Marion Kaplan’s treatment of Kristallnacht in Between Dignity and Despair.16 Kaplan deals with shattered glass, the trope through which the event is customarily viewed, but she also uses diaries, personal letters, and medical records to document a spike in suicide among Jews immediately following the pogrom. Rich in numerical and statistical data, the Jabloner report is silent on what Kaplan calls the “public degradation ritual”, which Jews endured in the course of these attacks. In the commission’s narrative, broken glass and stolen furniture are depicted as compensable, whereas terrorizing one’s neighbors in a naked display of racial hatred — to the point that many Jews contemplated or committed suicide — is not. This also applies to the documented instances of rape and sexual violence, which took place in spite of strict laws prohibiting “racial miscegenation”. German court records show that Nazi party members were brought to trial in some of these cases, including one in which a member of the SA was alleged to have raped a thirteen year‑old girl and another, taken from Linz, in which a group of drunken SA men molested a young woman in the open after dragging her out of her home and ordering her to disrobe.17 One can say, of course, that history is always partial (in both senses of the word) and that historical narrative always entails the privileging of some facts over others. On the other hand, the Jabloner Commission’s reprisal of Kristallnacht shows how the marshaling of evidence both prefigures and limits the scope of the narrative. By placing Kristallnacht within an economic and material discourse, while consequently shutting out and

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closing off other discursive possibilities, the commission exercises the unjust hegemony that Lyotard anticipates in The Differend. Stringently objective and avowedly scientific, the Jabloner Commission’s account is factual, but from the perspective of traumatized victims and survivors also quite unreal. Here we might recall the testimony of Philip K.: “We’ll never recover what was lost. We can’t even assess what was lost. Who knows what beauty and grandeur six million could have contributed to the world. Who can measure it up? What standard do you use? How do you count it?”18 Inflected by anxiety and the fear of running afoul of the politics of History, the Jabloner report expunges what cannot be quantified. I have referred to this as a forensic approach to the past, i.e., one that strives at documentary realism through strict avoidance of anything considered subjective and utter dependence on the “factuality” of the archives. While there are some important achievements in the Jabloner Commission’s final report, e.g., its unambiguous linking of looting and “Aryanization” to the arrests and deportations that led to the “Final Solution”, the forensic approach is its most prominent feature. The report highlights Austrian complicity and accepts a degree of responsibility for injustices that become apparent “in retrospect,” but the content and nature of these injustices, as they are presented, do not come close to uncovering the full dimensions and impact of the trauma, which, in any case, cannot be touched by “in‑kind” restitution.

Holocaust Era Insurance Claims Commission (ICHEIC)

13 If one were to rank the Holocaust commissions in terms of their overall performance and the quality of justice provided, the International Commission for Holocaust Era Insurance Claims (ICHEIC) could only appear near the bottom of the list. During Europe’s interwar period, insurance policies became a popular savings strategy for Jews (and many others) seeking protection from economic volatility. Policies covered a range of events and assets, not only life and property, but also college savings funds and dowry for the betrothal of daughters. Following the war, Holocaust survivors who attempted to collect on these policies were often rebuffed by the companies who issued them, either because the beneficiaries lacked original policy documents or because the premiums had gone unpaid following the internment of the policyholder or, in some cases, because the companies turned over these accounts to the Nazis and therefore considered them as paid. When these policies became the object of renewed restitution claims in the 1990s, analysts for the insurance industry estimated the value of these unpaid claims to be between one and four billion dollars.19

14 The ICHEIC was established in 1998 to negotiate settlements with the six firms that wrote the bulk of these policies (or absorbed the companies which had). Among other challenges, the commission was faced with extensive loss of documentation, which necessitated a substantial investment in research. The commission contracted much of this work to independent researchers, who combed through archives on three continents looking for evidence of unpaid claims. Initially given just six months, the researchers were granted several deadline extensions to ensure that the relevant records were identified and properly evaluated. When the project finally ended, researchers had located 77,518 policies for 55,079 individual policyholders.20 The researchers also identified 16,579 individuals who were listed as beneficiaries on these polices.

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15 In April 2004, six years after it was launched, the ICHEIC released its “Final Report on External Research.”21 This was an eighteen‑page document, backed by several appendices that summarized the data recovered by the researchers. While we cannot review the full report here, one item from the appendix offers important insight into document as a whole. Table A‑5 records the country of residence for all policyholders identified through the commission’s research. The significance of the table, for our purposes, is the way it condenses the data and refers to policies (accounts) rather than to victims (people). While there are other tables that tabulate individual policyholders, this emphasis on accounts and policy records is overwhelming. Whereas the commission’s “legacy document” includes personal testimonies given by a handful of individual victims, the research report completely ignores this data. Instead, the researchers focus on three kinds of evidence: (1) Nazi archival records (e.g., asset registries); (2) loss claims submitted after the war; and (3) insurance company records associated with these claims. There are numerous arithmetic computations aligned to these data in the research report, as well as a few cursory notes on the process by which the commission arrived at valuations for unpaid claims, but again, there is no treatment of the way these unpaid policies affected the lives of individual claimants. Nor do readers get any deep insights regarding the scope and scale of the injustices to which the beneficiaries of these policies were exposed. In 1997, for example, French newspapers reported on one Holocaust victim, who, for eighteen years, had made regular payments on the life insurance policy he purchased, before being deported to a concentration camp, where he was later killed. In 1945, his children received an insurance payout of twenty‑six centimes, the approximate cost of a single subway ticket.22 Other survivors complained that the insurance companies had thwarted their attempts to collect on unpaid claims or had refused to answer their queries regarding the possible existence of family policies. This was crucial information, since approximately eighty percent of potential claimants did not know the name of the company that issued their relatives’ policies. There were also complaints from claimants who received low settlement offers after being matched to accounts identified by the ICHEIC. One claimant was offered $500 after being matched to two separate life insurance policies.23 Besides drawing attention to the obvious insufficiency of these payouts, what I am asking is whether we can understand the full dimensions and moral implications of the Holocaust through the kinds of documents and data compiled by the ICHEIC? To what extent do insurance records illuminate the experiential aspects of Holocaust history, or to turn that question around, how might these sources dull our understanding of the past by pushing us away from the victims, and therefore away from the moral debts which may be owed to them?

16 Gerald Feldman’s work on the German insurance industry during the Nazi era serves as an important counter‑example. Like the ICHEIC, Feldman searched the Nazi archives and insurance company records looking for evidence of unpaid policies. But, unlike the ICHEIC, Feldman’s research also incorporated the private papers of Holocaust victims, which the commission ignored. Describing his methodology, Feldman stated, “Periodically […] one does find valuable and usually painful, but also very illuminating, correspondence in the policies which reveal the situation of the Jews [who] had insurance as well as the way in which [insurers] dealt with them.”24 Whereas the ICHEIC considered policies and the “record groups” into which these could be most easily sorted, Feldman described the personal correspondence of Holocaust victims and survivors as “[his] primary interest.”

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17 This is not to say that statistical data cannot be used to substantiate nuanced historical narratives. Nor am I arguing that the ICHEIC’s research was irrelevant to the larger restitution and reparations project. Given that their mandate was “to locate and register information on Holocaust era life insurance policies and their owners,”25 it makes sense that commission incorporated the kinds of sources included in the research report. But there are still important questions regarding who decides what “counts” as pertinent information and how these decisions might potentially limit the quality and scope of subsequent interpretation. What can the financial records tell us, for example, about the constraints that these unpaid claims placed on survivors in the aftermath of more than a decade of racial persecution and violence? To what extent and in what ways did non‑payment exacerbate the loss of dignity, which demonization, spoliation, internment, deportation, and genocide had already produced? We can also extend the periodization here: how might the personal letters and testimonies, which are marginalized by the ICHEIC, have furthered our understanding of Jewish disenfranchisement before the war? For example, what could the commission have taught us about “[the] harried struggle to maintain adequate premium payments”26 as Nazi racial policies spread across Europe? What choices were Jewish policyholders forced to make as the threats facing them began to multiply?27 Some, as it turns out, chose to cash in their policies to pay the costs associated with their emigration attempts, while others did the same merely to cover the next month’s rent. What else is obscured by the commission’s methodology? The research report assembled by the ICHEIC is essentially a list of events (e.g., policy purchases, policy lapses, policy claims and settlements, etc.) sorted chronologically (or by location). It closely resembles what Hayden White has called the “annal,”28 particularly for the way it lacks any identifiable “social center.” The events it documents are not clearly linked to a particular point of view, nor are they imbued with any moral significance. Extreme events, the trauma theorists tell us, will always resist or elude representation. But what kind of justice can be achieved, where Holocaust history retreats into a “rhetoric of anti‑rhetoric?”29

Conclusion: Two Frameworks for Understanding Holocaust Trauma

18 Historical understanding always requires simplification. General comprehension of the past hinges on episodic knowledge. The Holocaust commissions can, therefore, be forgiven if their published reports fail to escort readers through the “circle of flames,” which, according to Lanzmann, surrounds the Holocaust and prevents our full comprehension of it. Moreover, if Lyotard is right, and no single discourse can fully represent the past except through the application of coercive force, then any insufficiencies in the reports prepared by the Holocaust commissions should be seen as a general condition of historical knowledge, rather than as a specific moral failing on the part of the authors. But, if the perfunctory rehearsal of empirical facts without serious reflection on the consequences of their interpretation does not constitute an outright failing in moral terms, we should at least be concerned with the moral possibilities that are precluded by this kind of approach. If we wish to understand the Holocaust in the context of historical injustice, and if we are serious about negotiating payback for the victims and survivors, then we develop our inquiry within the realms of morals and ethics, even if doing so means that our forays into the past will be tinged

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by subjectivity. The best and most successful Holocaust commissions understood this clearly.

19 Testifying in front of the U.S. House of Representatives Committee on Financial Services, Claire Andrieu, one of the lead historians appointed to France’s Mattéoli Commission, regretted the necessity of speaking about French Holocaust history in a cold “scientific mode” that made individual victims and the immoral policies to which they were exposed difficult to fully decipher. While she felt compelled to describe France’s Vichy‑era failings (and the restitution and reparations programs which these necessitated) in terms of dates, figures, percentages, and assorted financial jargon, Andrieu lamented that there was no way to fully comprehend what happened between 1940 and 1944 without recourse to “a more sensitive discourse.” This, I believe, was Andrieu’s way of saying that France’s contribution to the Holocaust entailed both material and moral dimensions. The latter, she insisted, were “clearly more important” in the Mattéoli commission’s thinking and in their eventual recommendations for restitution and reparations.30

20 Although the Mattéoli commission did not always function perfectly, its final report outperforms most others, including the two treated above. The biggest difference, when comparing the Mattéoli report to the others, is its defense of human rights and the willingness of its authors to investigate the Holocaust in the context of a human rights discourse. Whereas the Jabloner Commission and the ICHEIC both obsessed over infringements of property rights and how these might be repaid, the Mattéoli historians began from the notion that France’s crimes during the Holocaust were “irreparable.” In other words, no set of financial calculations, however fastidious, could generate a sum sufficient to repay the victims or repair what French policies and the actions of the French had damaged. Between 2000, when the commission published its final report, and the status quo ante, anti‑Semitic attitudes combined with a program of spoliation and a policy of genocide to produce an unprecedented disaster. While other commissions sought to clarify those aspects of the Holocaust that contravened the values of Neoliberalism (e.g., property rights and legal certainty for capitalist enterprise), the Mattéoli commission stuck to a human rights framework that placed victims and perpetrators within a moral community, whose repair and maintenance would require more than material compensation. What can be seen or heard or understood regarding the Holocaust and, therefore, what can be paid back to its victims, depends, ultimately, on which of these frameworks is employed to sift and organize the data. Only one of these frameworks, however, can take us closer to the traumatic experiences and memories which are the primary source of the Holocaust’s agonies.

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NOTES

1. This paper is also based in part on a talk I gave at the University of New Mexico on October 25, 2014. It also includes some of the findings presented in my monograph on Holocaust commissions. See no 2 below.

2. Alexander K ARN, Amending the Past: Holocaust Commissions and the Right to History, Madison, University of Wisconsin Press, 2015. 3. “Second wave” refers to restitution and reparations programs implemented in the 1990s. “First wave” describes measures undertaken in the first two decades following World War Two. 4. See James E. YOUNG, Writing and Rewriting the Holocaust: Narrative and the Consequences of Interpretation, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1988. 5. Eizenstat’s remarks can be accessed online at http://www.ushmm.org/information/exhibitions/online-features/special-focus/ holocaust-era-assets/eizenstat-comments 6. Antoon De BAETS, “The Impact of the Universal Declaration of Human Rights on the Study of History,” History and Theory 48, 2009, p. 29. 7. Maurice BLANCHOT, The Writing of the Disaster, Lincoln, University of Nebraska Press, 1995, p. 7 [L’Écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980]. 8. Ibid., p. 33. 9. Ibid., p. 42. 10. Lawrence LANGER, Holocaust Testimonies: The Ruins of Memory, New Haven and London, Yale University Press, 1991, p. xiv. 11. Irving HOWE, “Writing and the Holocaust,” in eds. Berel LANG and Aron APPELFELD, The Holocaust: Theoretical Readings, New York, Holmes and Meier, 1988, p. 186. 12. Au sujet de Shoah : le film de Claude Lanzmann, Paris, Belin, 1990, p. 310. 13. Jean‑François LYOTARD, The Differend: Phrases in Dispute, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1989, p. 158 [Le Différend, Paris, Éditions de Minuit, 1983]. 14. The full list of personnel is available at http://www.historikerkommission.gv.at/english_home.html. 15. All of the reports can be found on the commission’s official website: http:// www.historikerkommission.gv.at/english_home.html. 16. Marion K APLAN, Between Dignity and Despair: Jewish Life in Nazi Germany, Oxford, Oxford University Press, 1998. 17. Rape and sexual violence are under‑researched aspects of Kristallnacht. The court cases cited here are detailed more fully in Donald McKALE, “A Case of Nazi ‘Justice’”: The Punishment of Party Members Involved in the Kristallnacht, 1938,” Jewish Social Studies 35, no ¾, 1973, pp. 228‑238. 18. Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies, Yale University, tape T‑1300. Testimony of Philip K. See http://orbexpress.library.yale.edu/vwebv/holdingsInfo? bibld=982260.

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19. Adrienne S CHOLZ, “Restitution of Holocaust Era Insurance Assets: Success or Failure?” New England Journal of International and Comparative Law 9, 2003, pp. 297‑333. 20. See ICHEIC Legacy Document: http://www.icheic.org/pdf/ICHEIC%20Legacy%20Document.pdf. 21. See http://www.icheic.org/pdf/Research%20Report-0404.pdf. 22. Cited in “Insurance and the Holocaust,” The Economist, March 13, 1997. 23. Adrienne SCHOLZ, “Restitution of Holocaust Era Insurance Assets,” p. 319.

24. Gerald FELDMAN, “Insurance in the National Socialist Period: Sources and Research Problems” (1998). See: http://www.archives.gov/research/holocaust/articles-and-papers/symposium- papers/insurance-in-national-socialist-period.html. 25. “Legacy Document,” 2. 26. Catherine L ILLIE, “Researching Unpaid and Unclaimed Holocaust‑Era Insurance Policies: Documentary Evidence for Claims” (1998). See: http://www.archives.gov/research/holocaust/articles-and-papers/. 27. Ibid. 28. See Hayden W HITE, The Content of the Form: Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990, p. 5. 29. Paolo VALESIO, quoted in J. YOUNG, Writing and Rewriting the Holocaust, op. cit., p. 9.

30. See Claire ANDRIEU, “Two Approaches to Compensation in France: Restitution and Reparation” in eds. Martin DEAN, Constantin GOSCHLER, and Philipp TER, Robbery and Restitution: The Conflict of Jewish Property in Europe, New York and Oxford, Berghahn Books, 2007, pp. 134‑154 [Spoliations et restitutions des biens juifs en Europe : XXe siècle, Paris, Autrement, 2008].

ABSTRACTS

Historical commissions have played an important role in the most recent efforts to garner restitution and reparations for Holocaust victims and their families. Several dozen Holocaust commissions were convened in the late‑1990s and early‑2000s in European countries where histories of collaboration and complicity with the Nazi regime were either under‑documented or suppressed in the official discourse. This essay examines the Holocaust commissions from a historiographical perspective with special attention given to the methodological and rhetorical strategies they employed when confronted by the traumatic experiences and memories of victims and survivors. While the work of these commissions was shaped and influenced, to varying degrees, by external political forces and interest groups, this essay explores the ways in which “the politics of history” entered into their written reports and, consequently, obscured and silenced fundamental aspects of Holocaust history. Three commissions, in particular, are held up for scrutiny (i.e., Austria’s Jabloner Commission, the International Commission for Holocaust‑Era Insurance Claims, and France’s Mattéoli Commission), and an assessment of their

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work is given against the backdrop of ongoing debates within the field of trauma studies and in response to questions concerning the Holocaust and the “limits of representation.”

Des commissions historiques ont joué un rôle important dans les politiques récemment engagées pour procéder à la restitution ou à l’indemnisation de biens spoliés et ouvrir une ère nouvelle de « réparation » pour les victimes de la Shoah et leurs familles. Plusieurs douzaines ont été organisées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 dans les pays européens où l’histoire de la collaboration et de la complicité des autorités locales avec le régime nazi était soit sous‑évaluée, soit occultée dans le discours officiel. Cet article analyse le rôle de ces commissions dans une perspective historiographique, avec une attention particulière portée aux stratégies méthodologiques et rhétoriques auxquelles elles ont eu recours lorsqu’elles se sont trouvées confrontées à des expériences traumatisantes et aux souvenirs directs des victimes et des survivants. Alors que le travail de ces commissions a été façonné et influencé, à des degrés divers, par les forces politiques et par divers groupes d’intérêt, nous étudions la façon dont la « politique de l’histoire » s’est inscrite dans leurs rapports écrits et a, par conséquent, parfois obscurci ou même passé sous silence certains points fondamentaux de l’histoire de la Shoah. Nous nous sommes intéressé à trois commissions en particulier – la commission Jabloner en Autriche et l’International Commission for Holocaust‑Era Insurance Claims (ICHEIC), ainsi que la mission Mattéoli en France –, et nous examinons leur travail dans le contexte des débats en cours dans le domaine des études du trauma et en réponse aux questions concernant la Shoah et les « limites de la représentation ».

תקציר: לוועדות היסטוריות יש תפקיד חשוב בהליכים שננקטו לאחרונה למתן פיצויים לקורבנות השואה ולמשפחותיהם ולהחזרת רכושם. עשרות ועדות מונו בשנות ה90- של המאה ה20- ובראשית שנות האלפיים באותן מארצות אירופה, בהן שיתוף הפעולה עם הנאצים לא תועד דיו או שנמחק כליל מן השיח הרשמי. מאמר זה מבקש לנתח את תפקידן מנקודת מבט היסטוריוגראפית תוך מתן תשומת לב מיוחדת לגישות המתודולוגיות והרטוריות שננקטו נוכח החוויות הטראומטיות והזכרונות של הקורבנות והניצולים. משום שעבודתן של הוועדות הושפעה – במידות משתנות – מגופים פוליטיים ומקבוצות בעלות עניין, נבדוק כיצד ה"פוליטיקה של ההיסטוריה" המופיעה בדו"חות הכתובים גרמה לטשטושן אם לא להסתרתן של נקודות חשובות בהיסטוריה של השואה. עיקר תשומת לבנו נתונה לשלוש וועדות: וועדת יבלונר באוסטריה, הוועדה הבין לאומית לתביעות ביטוח בעידן השואה וועדת מטאולי בצרפת. נבדוק את עבודתן בהקשר של חקר הטראומה וביחס לשאלות הנגזרות מ"ייצוג השואה".

AUTHOR

ALEXANDER KARN Colgate University

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Second‑Wave Holocaust Restitution, Post‑Communist Privatization, and the Global Triumph of Neoliberalism in the 1990s La deuxième vague de restitutions, la politique de privatisation de l’ère postcommuniste et le triomphe généralisé du néo‑libéralisme dans les années 1990 לג םייוציפה ה ינש , תוינידמ הטרפהה ןדיעב טסופה ‑ יטסינומוק ןוחצינו ואנה - םזילארביל תונשב ה90-

Regula Ludi

1 Like no previous decade, the 1990s were under the grip of an obsession with Nazi‑era legacies. Grievances of Holocaust survivors, aimed at European governments and corporations, resurged in huge numbers and with unprecedented vehemence. The calls for restitution and reparations troubled diplomats and politicians on both sides of the Atlantic. Arousing public preoccupation with the Third Reich’s policies of genocide, plunder, and exploitation, the restitution campaign profoundly changed our understanding of Nazi mass murder. A new Holocaust awareness left its distinctive mark on Europe’s evolving culture of memory. It framed the notion of international obligations that arose after the collapse of the bipolar world order and undergirded the period’s enthusiasm for lofty humanitarian rhetoric. “Holocaust restitution,” Michael Marrus states, “carried with it a distinct flavor of human rights.”1

2 When Holocaust restitution claims first resurfaced in 1995, however, they took almost everybody by surprise. Following an international settlement of World War II liabilities in the early 1950s, governments, the public, and, in particular, those non‑state actors which were the main targets of survivors’ accusations considered the issue closed. But, within months of the first new claims, calls for restitution and reparations had become ubiquitous as the number of grievances ballooned. Survivors’ complaints rapidly

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expanded in scope and dimension to encompass corporations and financial institutions, churches, museums, and other public bodies in formerly belligerent and neutral countries. The ‘Holocaust‑era restitution campaign,’ as the array of differing claims was soon to be called, rapidly gained momentum. It resonated with the media and impacted on international relations once claimants started filing class‑action suits in American courts. Almost as surprising as the sudden emergence of these complaints was their resolution. By the end of the century, most of the grievances had resulted in negotiated settlements that provided considerable funds to be allocated as small compensation payments to millions of Nazi victims and their descendants all over the globe.2

3 Given the subject’s previous absence from public debate and international diplomacy, its recurrence in the 1990s is puzzling and demands explanation. The willingness of those who were targeted by the campaign to settle with the plaintiffs does too. After a brief period of denial and resistance, the accused corporations yielded and agreed to guarantee fairly large lump‑sum payments to plaintiffs. In so doing, they accepted responsibility for their past behavior‑this, at least, was the general impression. Moreover, in most countries debate over restitution went hand in hand with an extensive historical examination of Nazi‑era robbery and looting. Through this scrunity, a more complex and troubling picture of the entanglements of European societies with Nazi policies emerged. Research revealed, for example, the involvement of private business in the exploitation of slave labor and showed that large sectors of national economies, even in unoccupied and neutral countries, benefited from the spoliation of Jews and the cloaking of Nazi flight capital. It exposed the lucrative transactions conducted among financial institutions, trustees, lawyers, and other private brokers and Nazi businesses. In general, a much higher degree of complicity in the expropriation of Jews was revealed than had previously been acknowledged.

4 While the campaign sharpened our understanding of the scope of Nazi plunder and its postwar repercussions, its proponents stressed the paradigmatically moral character of survivors’ calls for redress. The Clinton administration’s Special Envoy on Property Restitution in Central and Eastern Europe, Stuart E. Eizenstat, for instance, depicted his mission as a “crusade” that “laid the groundwork for resolving future disputes arising from man’s inhumanity to man, proving that it is possible to bring justice, even imperfect justice, to an unjust world.”3 The term ‘crusade,’ and the religious imagery it conjures up, testifies to the moral significance that was ascribed to the campaign. Besides alleviating survivors’ material needs, which was clearly vital for impoverished claimants and those living in Eastern Europe and Russia, belated compensation payments apparently carried political significance as the vestige of international morality.

5 Contemporary observers accordingly invested these events with moral significance. They would serve as a “model for obtaining justice for historical wrongs,” Michael J. Bazyler, a legal scholar specializing in transnational human‑rights advocacy, prophesized. Praising the role that the American court system played in enabling transnational litigation, he added, “One of the enduring legacies of the Holocaust restitution movement is the precedent it has set for addressing other injustices of the past.”4 Sociologists and historians likewise took Holocaust restitution as indicative of broader transformations. Signifying “the increasing importance of morality and the growing democratization of political life,” restitution campaigns should be understood as the harbinger of a cosmopolitan value system that would rely on negotiated justice,

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Elazar Barkan suggested.5 For many observers, Holocaust restitution thus represented “a template for a new era of financial relief and recognition of victims of crimes against humanity.” Some authors even predicted that the campaign would produce lasting changes in corporate behavior by providing a “new idiom of responsibility” that would encourage transnational corporations to comply with universal moral standards in order to avoid future human‑rights litigation and its attendant risks to reputation.6 Sociologists interpreted these events as the catalyst of a profound transformation in the articulation of justice claims. Its gist was a shift from the forward‑looking ambition to realize a more egalitarian society to a new concern for past injustices, John Torpey, for example, argued.7 Indeed, the restitution campaign became “part of a much greater phenomenon, involving truth commissions, international criminal trials and claims to justice for historic wrongs.” 8 Likewise it impacted the new field of knowledge production that had been unfolding under the umbrella of transitional justice since the late 1980s and helped shape the evolving international vernacular for dealing with the past.9 As a result, reparations were integrated into the increasingly conventionalized toolkit that transnational experts offered to societies facing the challenges of past political violence.

6 However, few of the high expectations associated with the Holocaust‑era restitution campaign have been realized. Instead, international sensitivities have changed dramatically in the wake of 9/11. With the global war on terror and, in more recent years, the financial crisis dominating the international agenda, concerns about the legacies of systematic violence and gross human‑rights violations have rapidly faded. And, subsequent human‑rights litigation modeled on Holocaust restitution has not been successful. Rather, most of the claims that have since been filed in American courts have stalled for technical reasons. They did so even before a recent U.S. Supreme Court decision limited applicability of the Alien Tort Claims Act, the eighteenth‑century legislation excavated in 1980 to provide a legal basis for litigation involving extraterritorial acts and foreign plaintiffs or defendants. Commentators worry that this decision, which slams the door on foreign victims of human‑rights violations seeking redress in U.S. courts, might halt the trend towards universal jurisdiction.10

7 Not only have these developments lowered idealistic expectations, they also invite critical revision of the history of Holocaust‑era restitution. The dominant narrative describes the restitution campaign’s success as a realization of justice idealistically motivated by cultural developments, such as a new awareness of human rights and remembrance of the Holocaust. In fact, that narrative often resembles a parable about the triumph of good over evil in which the victims are restored, the culprits converted, and the public enlightened thanks to its cathartic soul‑searching. But has not the desired outcome, the advent of a golden age of human rights and justice, perhaps given rise to skewed representations of these events that obfuscate important aspects of the story? On a closer reading, the dominant narrative raises fundamental methodological questions and even hints at larger problems in the theory and philosophy of history.

8 At the same time, the imagery applied by the Holocaust‑era restitution campaign, its talk of “unfinished Holocaust business” and a “final accounting,” contrasts sharply with the impression of a new idealism prevailing in the struggle for justice. The metaphors used in the dominant narrative to characterize the restitution campaign and explain its moral significance are often borrowed from business and finance. They

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refer to a delayed accounting of past abuse and the payment of an outstanding debt.11 Stuart E. Eizenstat, for instance, titled the concluding chapter of his 2003 autobiographical report on Holocaust‑era restitution “A Final Accounting for World War II.”12 What makes such imagery attractive? What relationship among past injustice, its reparation, and bookkeeping does it suggest?

9 As a simple observation, the financial vocabulary pervading the discussion of restitution indicated deep ties between money and justice, ties that were further emphasized by the monetization in the 1990s of a wide range of claims including many that did not concern material losses. Polemics soon appeared. Elie Wiesel, horrified by the idea of calibrating “the greatest tragedy in Jewish history in terms of money,” saw a fundamental dilemma couched within the question: “how does one measure human suffering in terms of material reward?”13 Vitriolic denunciations of restitution litigation as a “reparations business,” a “growing scandal,” and the “Holocaust industry” targeted the campaign’s weak spot, viz., the discrepancy between the huge amounts of money involved and its advocates’, in particular class‑action lawyers’, insistence on the humanitarian sentiments driving their efforts. The controversy reflected a widespread discomfort with this mixture of money, morality, and memory politics. And, the juxtaposition, or even conflation, of moral and financial language did not help to defang the criticism.14

10 Commentators also worried that public exhibitions of victims’ suffering staged by their attorneys for their emotional impact and haggling over the prize of settlements would trivialize unforgivable wrongs. “[M]oney becomes the sorry center of the whole restitution business,” complained Michael Ignatieff in 2000. And, he was certainly not the only one to express unease about the demand for justice being framed in financial terms.15Such remarks disparagingly implied that money, as the medium of restitution, was its message. Yet, this was an equation to which some of the campaign’s protagonists had no problem subscribing. “I think there is a certain symbolic quality,” Stuart E. Eizenstat asserted, “that only money can convey to repair the injustices.”16

11 So, instead of rejecting the equation of money and justice as an aberration of the moral tenets involved, it may be more useful for our understanding of second‑wave Holocaust restitution to consider the monetization of claims as an essential precondition for their resonating as powerfully as they did. This would situate restitution in the context of larger economic changes rather than to conceive of it purely as an issue of “righting past wrongs,” a problem exclusively concerning law and morality. After all, it is only in fairy tales that justice prevails simply because it ought to. In reality, claims for justice are successful by virtue of their association with powerful interests. And, nowhere, not even in Israel, did Holocaust survivors—or any other group of Nazi victims for that matter—constitute an important voice or a constituency in control of the instruments of power. Hence, in order to understand the sudden emergence and largely successful settlement of restitution claims, one has to look for other reasons.

12 It is my contention, in brief, that Holocaust‑era restitution was so successful not despite the commodification of claims but precisely because those claims were about money, for in expressing the demands of justice and morality in the vernacular of ownership they thereby employed the imagery of the then dominating economic discourse. To support my assertion, I offer an alternative reading of the history of the 1990s restitution movement by taking into consideration the circumstances under which the call for reversing expropriation first emerged as an international issue. That

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draws attention to the fall of Communism and the subsequent transition in Central and Eastern Europe in which property restitution was an integral part of the reform packages aimed at the creation of market economies, packages originating in the neoliberal philosophy of deregulation and privatization. Marking a break in the history of the regulation of capitalism, these policies were first tested in Chile after the military coup of General Augusto Pinochet and became the main feature of the neoconservative revolution in the West that Margaret Thatcher and Ronald Reagan spearheaded in the 1980s. By the end of that decade, “market fundamentalism” had conquered mainstream economic discourse; Chicago‑school economists flocked to the sanctuaries of power and influence and, vested with the authority of international financial institutions, offered their advice to post‑Communist governments.17

13 Those transformations in global capitalism, which included the deregulation of financial markets, a global surge in privatization, profound changes in labor relations, and a shift of power to investors and shareholders, set the stage for the advent of restitution as a claim for international justice. The circumstances under which the demand to right past wrongs first surfaced left their distinct imprint on the meaning of restitution, both the envisaged instruments and practices as well as the interpretation of the underlying wrongs and their present significance. Therefore, in order to understand what Holocaust restitution in the 1990s was all about, we need to consider its origins in the post‑Communist transition. Before addressing that history, however, I will briefly summarize the dominant narrative of the Holocaust‑era restitution campaign. In the following sections, I will then sketch out the history of post‑Communist privatization in Central and Eastern Europe in order to show that claims for the return of private property were part of economic reforms long before they were again associated with Nazi crimes. As a result of those events, new ideas of ownership, which interlocked with justice and human rights in an entirely novel manner, emerged and prepared the ground for second‑wave Holocaust restitution.

A Triumph of Justice: The Romantic Narrative of Holocaust‑Era Restitution

14 It all began in the spring of 1995, the familiar narrative goes, when a series of reports accusing Swiss banks of appropriating the savings of Holocaust victims appeared in the Israeli press. For decades, the stories claimed, bankers in Switzerland had refused survivors access to the accounts of deceased family members and failed to comply with international restitution obligations regarding heirless Jewish property.18 In Switzerland, very little was known about that history and, except for a handful of specialists, everybody responded with amazement, if not irritation, to the allegations.19 Jewish organizations, spearheaded by the under Edgar Bronfman’s energetic and confrontational leadership, were quick to adopt the survivors’ cause. The political climate appeared favorable for the claimants. The attacks on Swiss banks coincided with the fiftieth anniversary of the end of World War II, a time of solemn remembrance, official demonstration of sympathy with the victims, and heightened public interest in Nazi‑era history. The campaign gained traction politically in April 1996 as Republican Senator Alfonse D’Amato, the head of the U.S. Senate Banking Committee, who was running for re‑election in the state of New York, staged public hearings at which individual survivors and representatives of the Swiss banking

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industry testified. In linking the legacy of the Holocaust to Wall Street and questions of financial regulation, the hearings transformed the campaign’s claims into a problem of American domestic politics.20

15 This gave survivors and Jewish organizations the opportunity for which they had long waited. In the fall of 1996, they filed class‑action suits against Swiss banks in American courts, probing the new weapons of transnational jurisdiction that were being forged since the early 1980s. Almost instantly, governments, parliaments, diplomats, courts, and, of course, the media were involved, in one way or another, with the campaign. “Within a short time, restitution became a global issue,” Michael Marrus observed.21 Holocaust‑era legacies became the subject of international conferences, congressional hearings, behind‑the‑scenes negotiations, and public debate. Nevertheless, the chances of court decisions in favor of the claimants were modest. No precedent existed for this type of litigation, and the plaintiffs faced enormous legal obstacles including statutes of limitation and issues of territorial jurisdiction.22 But, the campaign’s protagonists were not easily discouraged by the faint prospects for favorable court rulings. Realizing that the reputations of the accused Swiss banks were particularly vulnerable at a time when they aspired to expand their operations in the booming American market and, so, depended on American regulators’ approval of a planned mega‑merger, restitution advocates aimed for their adversaries’ Achilles heel. They issued boycott threats accompanied by a concerted press campaign. And their strategy worked. The call for sanctions resonated with the American public. It also found the support of chief financial officers and pension‑fund managers who threatened to disinvest if the banks failed to heed the survivors’ complaints.23

16 In August 1998, following two years of public criticism and behind‑the‑scenes negotiations, the accused banks gave in. Litigation ended in an out‑of‑court settlement in which the banks offered the plaintiffs a global compensation payment of $1.25 billion, a sum unprecedented in human‑rights litigation.24 This lump‑sum payment covered claims resulting from unreturned assets (heirless and “dormant” accounts) plus a wide range of injuries for which the banks did not bear legal responsibility. This latter category included, for instance, the exploitation of slave labor by Swiss companies in Nazi‑controlled areas and the expulsion of refugees at the Swiss border for which government agencies were accountable. The fact that the banks took the sins of others onto themselves reveals how little, in their perception, the case was about responsibility for past wrongs. Instead, for the banks it was simply a matter of realizing that gaining unhindered access to global markets was, at times, a demanding ambition that had a price tag attached. And, indeed, their financial concessions paid off. Compliance paved the way for expanding their banking activity in the U.S. market, and handsome profits in the following years showed that restitution had been a good investment.25

17 For the survivors, the Swiss case was only the beginning. Stimulated by its example, other groups of previously neglected Nazi victims voiced their grievances and filed claims in American courts. The restitution campaign “mushroomed into transnational public law litigation on a grand scale,” one author marveled in 2004.26 The class‑action suit against the Swiss banks served as the model for the Holocaust related action that followed among which were those of former forced and slave laborers demanding unpaid salaries from transnational corporations. Survivors and heirs of deceased Holocaust victims also filed complaints against insurance companies and art collectors

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in which they demanded the return of confiscated insurance policies and looted pieces of art, jewelry, and other valuables. In most of these cases, the legal argument innovatively replaced the concept of (individual) guilt with a notion of liability resulting from a corporation’s “aiding and abetting” state crimes. Moreover, charging corporations with unjust enrichment shifted the focus “from past injustice to the present wrongful holding of ill‑gotten gains,” Leora Bilsky explained.27

18 By the end of the century, most of the lawsuits had resulted in negotiated settlements, that is, political rather than legal resolutions. In exchange for considerable lump‑sum payments, the claimants withdrew their suits and, as urged by governments and accused corporations, agreed to desist from further legal action (“legal peace”). In the case of German forced labor compensation, the overall sum amounted to € 4.4 billion and provided benefits to a total of 1.66 million survivors. Most settlements, furthermore, were preceded by difficult multilateral negotiations involving government officials and various non‑state agents and often brokered by eminent personalities in American public life who also coordinated and monitored the allocation of money.28 In the slave and forced labor case, for instance, German government officials, the plaintiffs’ attorneys, members of Jewish organizations, delegates of the Central and Eastern European countries from which most of the forced laborers had come, and, finally, representatives of German corporations participated in the 2000 agreement establishing the foundation “Remembrance, Responsibility and Future.” Instead of delegating the implementation to reparations bureaucracies notorious for their red tape, this settlement mandated that private associations and humanitarian agencies in recipient countries allocate the funds.29

19 The restitution campaign did not only benefit a large number of previously neglected victims. It sprouted a new industry of NGOs acting as victims’ advocates and lawyers specializing in human‑rights litigation. And, by intersecting and partly coalescing with changes in the culture of memory, it informed the emergence of past injustice as a new category of political discourse. Moreover, it consolidated the Holocaust’s new significance in Western self‑reflection, a development that had been propelled by previous political controversy and cultural events, such as “Schindler’s List,” Steven Spielberg’s award‑winning film of 1992. In drawing large audiences worldwide, Spielberg’s movie popularized the American representation of the Jewish genocide, a narrative organized around the categories of good and evil, and confronted the European public with its inclination to universalize the moral lessons of the Holocaust. As a result of these developments, survivors acquired a “heightened public profile” and an aura that “elicits honor, respect, fascination, and no small degree of awe,” as students of Holocaust memory observed.30

20 In the literature, therefore, second‑wave Holocaust restitution is often understood to be a consequence of those shifts in the culture of memory. The first calls for restitution did indeed coincide with manifestations of the Holocaust’s changed meaning in European societies. In 1995, official events to commemorate the fiftieth anniversary of the end of World War II quite unprecedentedly included acknowledgments of moral responsibility for the extermination of Jews. In France, for instance, President Jacques Chirac acknowledged, for the first time, French complicity in the implementation of the “final solution.”31 Similarly, on the occasion of an official commemoration of the end of World War II, Kaspar Villiger expressed the Swiss government’s regret over his country’s restrictive wartime asylum policy and the harm

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it caused Jewish refugees. In Germany, where controversy about the place of the Third Reich in national history had repeatedly flared up in the 1980s, a travelling exhibition about the Wehrmacht’s crimes opened in 1995. Revealing ordinary soldiers’ participation in massacres of Jews and other civilians, the exhibition sparked intensely emotional responses. Fanning the flames of those controversies, in 1996, the political scientist Daniel J. Goldhagen confronted the public with his contention that anti‑Semitism was deeply ingrained in German culture and had been the driving force for those who had participated in mass‑shootings and operated the extermination machinery. According to the historian Wulf Kansteiner, these events had transnational repercussions and heralded the transformation of Europe’s “divisive memory of Nazi aggression and occupation into a shared, self‑critical memory of an era of European human‑rights abuses that unites former victims, perpetrators, and bystanders.”32

21 Research in the late 1990s, often carried out by historical commissions appointed in response to the accusations of the Holocaust‑era restitution campaign, and the subsequent grappling with the past in most European societies underscored that trend and tremendously increased the relevance of Nazi‑era history. They spurred transnational initiatives that placed the Holocaust at the center of a debate about European identity and values. Efforts to institutionalize Holocaust memory, which culminated in the Stockholm conference of January 2000, resulted in the establishment of the Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance, and Research (ITF) (later renamed the International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA)), an intergovernmental body for coordinating state and civil‑society activities for promoting public awareness of the suffering caused by Nazi crimes.33 This concurrence of Holocaust remembrance and the restitution campaign has given rise to the presumption of “the obvious, indeed, organic interconnection between the restitution of private‑property rights and the evocation of past memories.”34 Property restitution was, as a result, increasingly equated with recognition of victimhood and associated with features considered essential to personhood such as individual identity and social agency. However, the extent to which restitution was itself the result of “recovered memory,” as Dan Diner claimed, remains to be determined. In fact, the relationship between memory and restitution is more complicated and, in any case, there is no direct causal chain from Holocaust memory to appreciation of the significance of ownership for victims’ identities. Therefore, the question of why property has become so central to remembrance, identity, and recognition remains unanswered. Exploring the more recent history of property restitution and, specifically, its origins in the context of the post‑Communist transition will provide some clarification.

A Different Genealogy: Post‑Communist Privatization in Central and Eastern Europe

22 In reality, second‑wave Holocaust restitution did not begin with the claims against Swiss banks. Its origins date back to the early 1990s and programs implemented after the fall of Communism in Central and Eastern Europe. Despite the objections of former dissidents, the desirability of a “market economy anchored to the fundamental right of private property” seemed “almost self‑evident” in 1989.35 Most of the countries in the region were heavily in debt and in desperate need of help from Western governments,

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the World Bank, and the International Monetary Fund (IMF). The transition, therefore, largely followed the prescriptions laid down in the “Washington Consensus,” a reform program for eliminating structural problems in debt‑ridden countries of Latin America initially devised in 1988/89 by American policy advisers and experts in the Bretton Woods institutions. The program centered on deregulation, financial liberalization, fiscal discipline, and privatization as the key strategies for economic revitalization. In the early 1990s, the “entire package of policy recommendations was ‘offered’ to Central and Eastern Europe as well,” the economic historian Ivan T. Berend summarized.36 And, the region’s new leaders eagerly embraced it. A profound change in ownership structures—the privatization of state‑owned retail businesses, farmland, housing, banks, and industrial plants—“was widely considered one of the keystones of the entire transition process.”37 Reformers believed that a rapid transition from state planning to private enterprise was the only way to end the region’s deep structural crisis and stimulate economic growth. International financial institutions bolstered this judgment. In its 1996 Development Report, the World Bank declared that “fully specified property rights reward effort and good judgment, thereby assisting economic growth and wealth creation.”38

23 With its neoliberal thrust, the post‑Communist transition seemed to bring to completion a development that had started in the late 1970s. At that time, supply‑side economics and public‑choice theory, which promised to remedy the world’s economic problems, offered what proponents claimed was a viable alternative to the discontents of Keynesian regulation with its inability to overcome the unprecedented combination of inflation and stagnation (stagflation) characteristic of the 1970s’ recession. Their insistence on downsizing public administration and curtailing state regulation endeared neoliberals to conservatives disgruntled by growing public expenditures and high taxation. As a program for economic policy, neoliberalism made its first sweeping breakthrough in the 1980s following Margaret Thatcher’s electoral victory in Great Britain in 1979 and Ronald Reagan’s taking office in the United States in 1981. The long‑term impact was enormous. International financial institutions and governments opened their doors to the expertise offered by the mushrooming neoliberal think‑tank industry and policy advisers trained in Chicago‑school economics.39 Invigorated by the economic failure of state regulation in the Communist bloc, “market romantics” in the 1990s spread their message with an “evangelical approach.”40 Deregulation and privatization became mainstream policy; even the UN General Assembly—normally not known for particularly capitalist‑friendly attitudes —issued one declaration after another endorsing private ownership and economic liberalization.41 Neoliberalism, masquerading “as a radically populist philosophy,” succeeded in establishing “what is widely perceived nowadays as ‘simple common sense’ in the realm of politics.”42

24 Yet, privatization, as post‑Communist policy planners and reformers imagined it, was far more than an instrument to stimulate growth and spur recovery. Considered the foundation of the self‑regulating market, private ownership, they believed, would serve as the ultimate guarantor of individual agency and freedom “not only for those who own property, but scarcely less for those who do not,” as F. A. Hayek had explained in 1944. To neoliberal authors, any kind of state tampering with private property was anathema, seen as a step on “the road to serfdom” because, ultimately, it would suffocate competition and thus prevent the free interplay of market forces from

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organizing society in a manner that guaranteed individual freedom.43 Holding out the prospect of a radical break with the paralyzing restrictions and dire realities under Communist rule, such ideas proved attractive to a younger generation of economists and politicians in Central and Eastern Europe. Donald Tusk, declared in 1989, “We want to move towards a Poland where…property rights are guaranteed and where liberty stems from private property.”44

25 Reformers, therefore, did not tire of stressing the relationship between private ownership and political transformation. They expected privatization to “create a nascent middle class that has a stake in the creation and maintenance of an effective system of property rights and the pursuit of economic policies that would enable the private sector to flourish.”45 It would “counteract any concentration of power in the political system and contribute to social stability,” the World Bank expounded.46 The assumption that the widespread distribution of property rights would create a large constituency in support of radical reform also led to the equating of private ownership with democracy, a line of thought which drew on Margaret Thatcher’s vision of “popular capitalism” resulting, in her words, from “a crusade to enfranchise the many in the economic life of the nation.”47

26 Hence, there is broad consensus in the literature that privatization was not dictated by economic requirements alone but was to a large extent driven by ideology and political considerations. “The most fundamental goal of privatization was political… The dominant political aim of the reformers was to break up hegemonic state power and make private ownership the foundation of freedom and democracy,” explained the economist Anders Ålsund, a policy advisor with solid neoliberal credentials.48 Property reforms, accordingly, topped the agendas of post‑Communist governments in the early 1990s. As an “interrelated international phenomenon,” they enjoyed enthusiastic support from leading Western economists, such as Jeffrey Sachs, Lawrence Summers, and David Lipton, who acted as policy advisers to post‑Communist governments and produced a new body of knowledge that was quickly spread through the activity of transnational experts pushing for particularly radical change. Western governments offered additional incentives by funding privatization programs. The European Union spent more to advance private ownership than on any other area of aid to institutional and economic reforms in post‑Communist countries apart from infrastructure.49 As a result, Central and Eastern Europe became a huge laboratory with economic experts “using the region as a testing ground to investigate the validity of classic propositions.” At the same time, reform efforts engendered “cognitive harmonization” among their main proponents, including the Bretton Woods institutions and the EU, about the free market’s superior problem‑solving capacity.50

27 Mainly in Poland and Czechoslovakia, the new leaders opted for early and brutal “shock treatment,” the so‑called ‘Big Bang approach,’ in the belief “that a painful but fast operation was the best way to cope with the towering problems of regime change.”51 The rush to deregulate and privatize paid off. It earned reformers international approval. The World Bank rewarded Poland with generous debt relief, and Czech voucher privatization, fervently defended by Václav Klaus, the finance minister in the country’s first post‑Communist government, was soon emulated elsewhere as the road to success. This “pet idea of liberal economists,” which the University of Chicago economist Milton Friedman claimed as his own, consisted in the distribution to all citizens of vouchers for buying shares in state‑owned companies.52 Politically, it was

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meant to kill two birds with one stone. On the one hand, it appeared to be the most effective way to separate the former nomenklatura from the instruments of power. On the other hand, by transforming ordinary citizens into stakeholders, mass privatization was supposed to stimulate entrepreneurial thinking among the public and increase popular approval of the free market. In the belief that the market would provide infallible mechanisms for organizing and regulating the polity, mass privatization followed a scheme that would eventually turn the relationship between the state and the market on its head, as Michel Foucault predicted in his analysis of neoliberal philosophy. No longer would the state control the market, but, on the contrary, it would be subjected to market forces and the limits they would impose on public policy. At the same time, political power would receive its legitimacy from citizens’ economic activity; in other words, through their participation in the market as consumers and producers, individuals would automatically affirm the institutional framework.53 With individuals enfranchised by their shares in once public enterprises, citizenship would become a form of ownership, and citizen‑stakeholders would constitute the new polity. By generating conditions of competition, ownership would, according to these assumptions, be the engine of political change.

28 In reality, the results of privatization were not quite as constructive as its advocates had predicted. Instead of radically redistributing ownership, voucher privatization led to the concentration of shares in investment funds owned by banks most of which were still in state hands. And, it largely benefited those who were in a position to exploit the period’s legal uncertainty. In breading corruption, mass privatization undermined public confidence in the new system and in countries like Russia and the Ukraine allowed a group of oligarchs to enrich themselves by gaining control of key sectors of the economy and, at times, exert considerable political influence.54

29 Still, the structural impact of privatization was dramatic. By the mid‑2000s, the private‑sector contribution to GDP in post‑Communist countries often reached the levels of West‑European economies. Within less than a decade, this proportion had risen from between five and ten percent to 70 percent, even 80 percent in some places. Whether there was any direct relationship between privatization and growth, however, remains controversial in the literature.55 Less so are the social costs. In the 1990s, formerly Communist societies were hit by huge increases in unemployment, rising poverty rates, and a widening gap between rich and poor. In the first three years after the fall of the Berlin Wall, East Germany suffered the loss of five million jobs, and thousands of businesses were liquidated. In countries which privatized enormous amounts of agricultural land, such as Bulgaria, productivity temporarily dropped by almost 50 percent. The huge demand for capital made post‑Communist economies ever more dependent on foreign investment, and ownership relations clearly shifted in favor of foreign capital. In Hungary, for instance, more than 80 percent of investment is from abroad and, by the end of the last decade, roughly half of all employees were working for foreign‑owned companies.56 In sum, property reforms radically transformed societies and produced their integration into global markets with breath‑taking speed.

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Restitution and the New Language of Ownership and Human Rights in the 1990s

30 The resurgence of restitution claims cannot be separated from the larger process of property reform. From the very beginning, privatization in Central and Eastern Europe was confronted with demands for re‑privatization, that is, the return of property that had been confiscated under Communist rule. Strong lobbies called for the restoration of previous ownership to reverse the collectivization of farmland, businesses, and housing. Citizens eager to roll back the clock and forget their own compliance with the old system wished to return to the conditions that existed in the interwar period, when the countries of Central and Eastern Europe had first enjoyed national sovereignty. The desire for re‑privatization was so rampant that observers talked about “restitution frenzy in newly emerging market economies.”57 Therefore, hardly any transitional government (apart from Russia and nations in the eastern parts of the former Soviet Union) dared to ignore the call for property restitution, objections over anticipated new injustices and delays in economic reforms notwithstanding.58 At an early stage of transition, post‑Communist governments enacted special legislation defining who was entitled to restitution and simplifying procedures for obtaining it. The most extensive programs were implemented in Bulgaria, the Czech Republic, and the Baltic states; Hungary, by contrast, opted for compensation payments instead of restitution in kind. Only Poland, where conflicting demands were deeply mired in political struggles and antagonistic agendas prevented any of the more than a dozen bills from being signed into law, failed to pass special legislation.59

31 According to the literature, governments adopted restitution programs partly for pragmatic reasons. Restoration of previous ownership facilitated privatization by catering to powerful pressure groups and creating “a constituency supportive of capital reforms.”60 Restitution was also considered a clean method of de‑collectivization because it helped prevent undesirable insider privatization by managers, who were normally members of the former nomenklatura. Moreover, clarification of legal entitlement in cases of conflicting property claims was essential to wining investors’ confidence. Therefore, restitution was meant to contribute to the establishment of the firm property rights that were considered a prerequisite for economic growth.61 In addition to such pragmatic reasons, restitution also enjoyed widespread public support as a form of justice. Returning collectivized property to those from whom it had been confiscated was meant to vindicate the victims of political persecution under Communist rule. Any privatization program that did not acknowledge that Communist governments had expropriated property not only to nationalize the economy but also as a political weapon to enforce conformity and eliminate the bourgeoisie would have lacked legitimacy and public approval in the transitional period’s climate of vehement anti‑Communism. And, finally, restoring private ownership was thought of “as an aid to social regeneration” because it illustrated the sort of property regime reformers wanted to establish.62 In sum, almost all transitional governments viewed “the principle of restitution as fundamental to their programs of denationalization and as a means of granting compensation for what is now viewed as ‘illegal’ communist expropriation, the Bulgarian legal scholar Mariana Karadjova summarized.”63

32 At the same time, the call for restitution raised huge difficulties requiring political solutions. Who should be entitled to restitution? What types of confiscation should be

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redressed? And, in the case of conflicting ownership, which claimants should have priority? In a region of Europe which had experienced violent disruptions and political repression long before the Communists came to power, such questions were particularly thorny. Fascist regimes, Nazi occupation authorities, and postwar governments had all confiscated private property to harass and expel minorities and opponents. The war’s territorial changes and enormous destruction further complicated matters. Before being collectivized under Communist rule, an item could easily have been taken from a political opponent or member of a minority during World War II and later given to a resettled refugee. Who, then, was its legitimate owner? Who was entitled to claim redress for having been wronged?64

33 The new governments eliminated some of these problems by limiting claims to property that was confiscated during the period of Communist rule. Legislation typically also restricted eligibility to resident nationals excluding those, like expelled minorities and dissidents, who had been harmed in the past but had emigrated and lost their citizenship during the Communist era. In this way, governments used restitution to promote loyalty and political solidarity among their current citizens. Evidently, the restoration of ownership was meant to convey a message about shared suffering under Communism and to further the construction of new cultural identities. The following examples from Czechoslovakia and Hungary illustrate the implications of such laws. In Czechoslovakia, the new authorities adopted an extensive restitution program in 1990/91 despite the risk that it would decelerate privatization. At the same time, legislation restricted entitlements to the period of Communist rule beginning in 1948 and imposed citizenship and residence requirements.65 Hungary introduced similar cut‑off dates, but its legislation was less strict about citizenship and residency. In both countries, the intention was to exclude ethnic Germans and other minorities who had been expelled at the end of World War II from the right to claim redress. But, these laws also closed the door to victims of anti‑Semitic expropriation. In Hungary, this was a particularly sensitive issue. Long before the Nazi occupation in the spring of 1944, Hungarian Jews had suffered legal and economic discrimination under Admiral Miklós Horthy’s authoritarian regime. Moreover, Hungary was bound by the 1947 peace treaty to comply with international obligations to return Jewish property including communal and heirless assets. Previous regimes had largely ignored those obligations.66

34 As they affected claimants abroad, national restitution practices attracted external attention and international criticism including protests from international Jewish organizations and complaints from German diplomats over the exclusion of German expellees. The ensuing controversy over conflicting entitlements was a minefield of antagonistic claims and associated memories. In the eyes of foreign observers, re‑privatization emerged as the yardstick for gauging post‑Communist governments’ success at grappling with their history, for restitution arrangements seemed to indicate whether the new elites were at all sincere in their desire to acknowledge unpleasant aspects of national history and, beyond that, whether they would respect the values of equality, diversity, and tolerance in their dealing with past abuse. Not only because of the claims’ connection to the Holocaust but also because of the region’s long history of domestic anti‑Semitism, observers came to see Jewish claims as the test case. For all these reasons, ownership increasingly connoted memory, recognition, and the transnational validity of rights give the large numbers of Jewish absentee claimants.

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35 Parallel events reinforced those connotations and, in setting new parameters for addressing the unresolved legacy of the past, forged closer links between post‑Communist re‑privatization and restitution demands stemming from the Nazi era. The end of the Cold War paved the way for the formal ending of World War II that had been prevented in the 1940s by the intensifying conflict between the superpowers. In lieu of a peace treaty, the two Germanys and the former occupation powers—Great Britain, France, the United States, and the Soviet Union—concluded the Two Plus Four Agreement in 1990. This treaty prepared the ground for German unification and provided the legal foundation for addressing Nazi‑era claims, which West Germany had refused to settle during the Cold War, on the basis of the division of Europe and international agreements of the early 1950s.67 In the 1990s, however, that position was no longer tenable, and, consequently, the Federal Republic had to offer global compensation payments to Eastern European states plus Russia, Ukraine, and Belarus. Though designed as reparations for victims of the Nazis, the German government also utilized the transferred funds to encourage reconciliation and as incentives for market liberalization in the region.68 German reparations reinforced the connection between righting past wrongs and creating favorable conditions for capitalist economies.

36 Finally, the fall of the Berlin Wall created fresh opportunities for Jewish organizations to reassert unsuccessful claims against the GDR. After abandoning plans for special restitution legislation in the late 1940s, East Germany in subsequent years persistently refused to return Jewish assets. The restoration of private property contradicted party doctrine, and official propaganda, with an unmistakably anti‑Semitic edge, reviled former property owners as capitalist exploiters. Until 1990, the GDR denied any responsibility for the crimes of the Third Reich, and it did not consider Jewish victims of the Nazis as deserving special attention. Inevitably, with the collapse of Communism East Germany faced an avalanche of claims whose settlement would strain its already tense financial situation. Moreover, spontaneous privatizations in the early transition period frequently bypassed Jewish claims, outcomes that alarmed Jewish organizations and seemed to bode ill for the future of Holocaust survivors in unified Germany. Repeatedly reminding the German and American governments of outstanding restitution claims, the and the World Jewish Congress hoped to secure a binding statement from top‑level authorities in either country. During preparatory talks on monetary union, however, East and West German negotiators did not come to a conclusive agreement: the East Germans favored global compensation payments for settling Jewish claims while the Kohl administration insisted on giving restitution precedence over compensation. The West German position eventually prevailed, and restitution guarantees were included in an appendix to the 1990 Unification Treaty. Ensuing legislation gave priority to Nazi‑era confiscations, and subsequent practice in hearing Jewish claims followed the principle that “restitution of looted property appeared to be the best guarantee for the damage to be repaired.”69 In prioritizing restitution in kind, the Kohl administration both satisfied Jewish demands and exhibited its commitment to private ownership and the sanctity of property rights. Unified Germany, swayed by the “belief in the central role that private property should play in the fabric of society,” thus set an example for the region.70

37 Different developments reinforcing each other—heightened concerns about how post‑Communist countries were implementing re‑privatization and treating Jewish claims and a new awareness of the legacy of the Holocaust attendant on German

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unification—brought growing international scrutiny to restitution practices in Central and Eastern Europe. When gauged by the German model, there were serious shortcomings. In the eyes of foreign observers, inconsistencies in national restitution laws raised questions about the new establishments’ commitment to protecting private ownership.71 Transitional governments were not entirely insensitive to such concerns. Restoration of ownership, after all, signified progress in becoming a “normal society,” and popular opinion in many transitional countries equated such “normality” with the West’s way of organizing legal institutions and society in general.72 Similarly, post‑Communist governments were sensitive to pressure from abroad because they depended on foreign loans and investment. The desire to adhere to Western standards for the rule of law motivated revisions in restitution practice, which were mainly in favor of Jewish claims. In Hungary, for instance, new provisions in 1991 extended the cut‑off date to 1 May 1939 to include anti‑Semitic expropriations under Admiral Horthy’s rule. In the Czech Republic, for another example, amended legislation in 1994 and 2000 recognized the claims of Jewish citizens whose goods had been confiscated between 1939 and 1945 and settled the conflict over Jewish community assets, respectively.73

38 To defend Jewish interests in Central and Eastern Europe, advocates for Holocaust survivors founded a new agency, the World Jewish Restitution Organization (WJRO), which became an international player in the “new world order” of the 1990s and could increasingly count on American support. Its interventions with post‑Communist authorities were instrumental in raising Holocaust awareness in the region. It also drew on the pattern of cooperation with U.S. government agencies that advocates for Jewish rights had established in previous years. In the 1980s, American diplomats tended to make commercial negotiations with countries of the Eastern Bloc dependent on compliance with the human‑rights principles of the Helsinki Accords, such as the protection of minorities and facilitating Jewish emigration to Israel. In the 1990s, U.S. government agencies were even more willing to heed Jewish demands in their relations with the former Communist countries and support the activity of the WJRO.74 As a result, the U.S. State Department demonstrated a growing inclination to connect restitution and human‑rights policy and make Jewish property claims the touchstone of post‑Communist societies’ commitment to Western legal culture.

39 A key event in globalizing restitution and connecting it to unresolved Holocaust‑era issues was the meeting in November 1994 between leaders of the World Jewish Congress and the senior U.S. diplomat Richard Holbrooke. One of its results was the appointment in January 1995 of Stuart Eizenstat as the U.S. Special Envoy on Property Restitution in Central and Eastern Europe. In May of that year, Eizenstat toured the region on a fact‑finding mission and communicated his government’s strong interest in property restitution to leaders of post‑Communist countries—this was shortly before the wave of Holocaust‑restitution claims in Western Europe and the United States. At about the same time, a letter from members of Congress, indicating their growing interest in the issue, requested the Secretary of State to support “appropriate legislation providing for the prompt restitution and/or compensation of property and assets seized by the former Nazi and/or Communist regimes” in that region and framed the problem of restitution as an American concern.75

40 U.S. authorities, of course, had no legal competence to intervene in sovereign countries’ domestic matters, but they had the means, as the only remaining

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superpower, to persuade post‑Communist governments to comply with their wishes. Mounting American interest in the issue and the U.S. government’s readiness to consider the treatment of Jewish property as a touchstone of new democracies’ progress on the road to normalization prepared the ground for the massive resurgence of claims and survivors’ class‑action litigation in the second half of the 1990s. Moreover, the American approach was informed by a new theory of restitution that emphasized symbolic aspects and, in particular, the relationship between private property and memory and the idea that restitution practices expressed a society’s general attitudes vis‑à‑vis the institution of private ownership. “Property restitution,” Stuart Eizenstat explained in a 1999 congressional hearing, “is an integral part of the economic and political reform now underway in central and eastern Europe. It reflects, and contributes to, the development of democratic and pluralistic institutions. By establishing new legal protections for private and other non‑state ownership, property restitution helps establish a sound basis for a market economy.”76

41 Eizenstat’s remark, which wedded capitalism and human rights into a seemingly natural union, became the guiding principle of Western restitution diplomacy. By restoring property rights without any kind of discrimination, post‑Communist states could exhibit their readiness “to act in their political and economic interests.” There were EU and NATO memberships as rewards for good performance. “At this exciting time in history, a time when former communist nations are yearning to belong more fully to the West, …we have an opportunity to help these countries achieve their full potential. As states in Central and Eastern Europe undertake the reforms they must complete in order to qualify for NATO and EU membership, they are examining the issue of property restitution and are looking to the United States for guidance. The United States Government has continually and specifically stressed to them that uniform, fair and complete restitution is a prerequisite both to adequate establishment of the rule of law and to the safeguarding of religious and minority rights and freedoms. We have stressed that, in joining the Euro‑Atlantic mainstream and applying for membership in multilateral organizations, these countries are seeking to join a community of values,” Randolph Bell, the State Department’s Special Envoy for Holocaust Issues, outlined in a 2002 hearing before the U.S. Helsinki Commission.77

42 In sum, restitution metamorphosed, within a decade, from an instrument for facilitating privatization after the fall of Communism and promoting feelings of national solidarity in post‑Communist societies into the touchstone of political decency, the international benchmark of a society’s respect for human rights and freedom as exemplified by their willingness to protect private property. Given this new meaning, restitution testified to changing ownership practices and, at the same time, reinforced a trend that recent scholarship has described as “propertization.”78

Paradoxes of Ownership Practices under Neoliberal Hegemony

43 “A successful property restitution program is an indicator of the effectiveness of the rule of law in a democratic country. Non‑discriminatory, effective property laws are also of crucial importance to a healthy market economy,” proclaimed the U.S. State Department’s website on Holocaust issues 2013.79 Informed by the post‑Communist transition and the Holocaust‑era restitution campaign of the 1990s, ownership

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protection has crystallized into the epitome of human rights and the chief indicator of the stability of an economy’s institutional organization. This is a message that can be found, with little variation since the late 1990s, in countless declarations issued by multinational organizations and Western governments. Restitution is the practice for which ownership provides the theory. And yet, the tendency to associate, even identify, human rights with ownership is neither revolutionary nor particularly new but the legacy of more than three centuries of Western theorizing. As the supposed essence of individual agency and most fundamental precondition of liberty, it has echoed the tradition of “possessive individualism” since the days of John Locke and his assumption about the foundation of private property in the pre‑contractual, natural state of human existence.80 So, where is the novelty in the late‑twentieth century’s preoccupation with private property? And, what explains the growing practical and symbolic significance of ownership, which recent restitution campaigns have drawn on and fueled at the same time?

44 In the past three decades, possessive individualism has undergone substantial transformation under the impact of neoliberal regulation. The institution, and the legal protection, of private property, including the unrestricted employment, control, and ability to dispose of one’s assets, has gained unprecedented importance. Since the 1980s, growing global recognition of private ownership, and the social relations it encapsulates, has galvanized the institution and increasingly vested it with self‑evidence—sanctified by countless declarations of international organizations and reified by privatization efforts that created new social facts.81 The international confirmation of private property as a universal institution was concurrent with its geographical spread and its expansion to encompass a growing number of collective goods such as cultural knowledge and intellectual production; genetic material and parts of the human body; and water, air, and other natural resources. Bolstered by trade agreements, a new institutional framework, and general trends in economic globalization, new international practices have turned goods previously inaccessible to private ownership into commodities. As a result, propertization has transformed virtually every social relation into a form of ownership and, concomitantly, exposed it to competitive market forces. The restitution campaigns of the 1990s, in other words, “took place within the framework of an affirmative and universalistic discourse on ownership,” which, according to the historian Hannes Siegrist, has invigorated, systematized, and politically entrenched the notion of private property.82

45 While post‑Communist privatization has contributed to establishing private property, restitution, in associating property rights with justice and healing, has given the practice of ownership moral justification. It has provided a specific, moral vocabulary of justice, personhood, and freedom and informed a discourse that has raised the symbolic and cultural significance of private ownership by linking its denial to the memory of state crimes aimed at the destruction of the person and her identity. This discourse has boosted the emotional investment in the return of confiscated property and the (partial) restoration of the social relations believed to have been embodied in previous ownership structures. In Poland, for instance, a recent study shows how restitution claims emphasizing the connection between private property, especially real estate, and tradition have turned the institution into “a stronghold of the culturally defined nation.” This was exemplified by the fact that the Catholic Church, which embodied national survival during periods in which the Polish nation had ceased

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to existas a sovereign state, was one of the main beneficiaries of re‑privatization. Similarly, in the past two decades, the language of dispossession and ownership has become central to the configuration of destruction, loss, and mourning in cultural representations of the Holocaust.83

46 Yet, those developments, though invigorating the institution of private property by giving it new cultural meaning, do not necessarily harmonize with the principles of market fundamentalism intrinsic to neoliberal ownership practices. Rather, deregulation and the dismantling of controls on capital since the 1980s have enormously accelerated capital flows. With the support of Western governments, the Bretton Woods institutions have urged debtor nations all over the globe to liberalize financial markets, open their economies to foreign investment, and, thereby, provide incentives for mobilizing capital including land ownership.84 In the service of profit maximization, property is commoditized while capital becomes increasingly volatile, moving in and out of countries with growing speed, and, thus, a factor of destabilization to which financial crises since the 1990s have given impressive testimony.85 Such a functionalist understanding of property and its uprooting impact on societies, however, undermines the significance of ownership for social belonging and individual identity.

47 Second‑wave Holocaust restitution cannot be isolated from those broader trends and their paradoxical impact. The resurgence of claims and their successful resolutions, while strengthened by the growing importance of private property, also testify to the above‑mentioned ambiguities. On the one hand, the insistence on the return of communal property in Central and Eastern Europe was a precondition for Jewish revival in the regions and, as such, emphasized the links among ownership, identity, and belonging. The individual claims pressed by Holocaust survivors and their descendants, on the other hand, contributed to the mobilizing of property. Opposition to eligibility restrictions, such as citizenship and residence requirements, was meant to eliminate discrimination against Jewish claimants most of whom had emigrated in previous decades. Criticism of restrictions imposed on absentee claimants also targeted provisions which impeded the transnational exercise of property rights and proved to be an obstacle to the mobility of capital. This latter implication was crucial for the region’s integration into global markets and facilitated foreign investment in Central and Eastern European countries. And in associating Jewish property with remembrance and the new cultural meaning of the Holocaust, restitution eventually proved instrumental in transforming ownership into what is considered to be the very essence of universal human rights. In so doing, it contributed to the conflation of capitalism and human rights—“free market and democracy”—in the concept of ownership. Given this conflated meaning, the Holocaust restitution campaign can be understood as part of the project “to reframe the expansion of capitalist social relations as a force of emancipation and empowerment,” a process whose outcome is unpredictable and obviously difficult to equate with the triumph of even imperfect justice.86

Concluding remarks

48 It has been my aim in this article to show that Holocaust‑era restitution did not originate in the sudden changes in mentalities or sentiment that promoted the recognition of past wrongs of states and private agents but was part of a larger process

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involving major transformations in global capitalism and property regimes. Restitution, fashioned as re‑privatization, surfaced in the early 1990s in connection with the post‑Communist de‑collectivization that was included in the neoliberal reform package adopted by transitional societies in Central and Eastern Europe. By the end of that decade, however, it had attained a much wider significance as a token of justice, memory, and identity because international scrutiny of national restitution practices had turned the restoration of property rights into an indicator of post‑Communist societies’ willingness to deal with their past and their commitment to human rights. As a “travelling concept” that coupled private property with novel ideas of historical justice on its road from east to west and west to east, restitution gradually changed from a method of advancing privatization and creating new polities to a carrier of the memory of past wrongs.87 By virtue of its association with remembrance and historical justice, private property correspondingly metamorphosed from a device for expediting the transition to capitalism to the core principle of the global value system. This was a seminal shift preparing the ground for the resurgence of Holocaust‑era restitution in Western Europe and the United States and the new sympathy survivors’ claims found with the political establishment and a portion of the public. By endorsing restitution while pushing for deregulation and privatization domestically and abroad, political leaders could pose as champions of justice without contradicting their neoliberal commitments. On the contrary, in the political climate of the 1990s, their support for the Holocaust survivors’ cause ennobled the crusade for the expansion of private ownership. As the main beneficiaries of changes in global capitalism—privatization, new international investment opportunities, deregulation of financial markets, and the increasing transnational mobility of capital—multinational corporations, the primary targets of Holocaust restitution claims in the 1990s, had a genuine interest in supporting those trends by accepting novel concepts of accountability and participating in the period’s propertization frenzy by paying their entry into globalizing markets.

49 This is the broader context that has to be considered if one is to understand the wider implications of second‑wave Holocaust restitution beyond its moral significance for the victims and the achievement of belated justice. It is a context in which property claims were the most promising way to insert a call for justice into a hegemonic discourse organized around neoliberal assumptions about ownership as the foundation of human agency. The resurgence of Holocaust‑era restitution claims in the 1990s partly relied on this new notion of ownership; partly it propelled the identification of ownership with human rights in general and of expropriation, in turn, with the negation and destruction of the person. Second‑wave Holocaust restitution, therefore, was a paradigm for how justice claims could be articulated under the condition of neoliberal hegemony. Ownership provided a moral language that enabled survivors to express feelings of injustice, loss, and suffering in a new way that resonated with global leaders and economic players. This new situation allowed the project of righting past wrong to spread widely. Yet, it also included the travesty of reducing the responsibility for genocide to the settlement of property claims. And, all of this occurred against the backdrop of the obvious dilemma afflicting current ownership practice, viz., the tension between its being constitutive of personhood while serving as a highly depersonalized vehicle of capital mobility.

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50 I am indebted to Frank Haldemann and Greg Sax for their invaluable comments and suggestions on earlier versions of this essay. My gratitude also goes to the organizers of the Conference “Corporate Liability for Human Rights Violations” at , December 2012, and the 2013 Summer Research Workshop “The Politics of Repair: Restitution and Reparations in the Wake of the Holocaust” at the United States Holocaust Memorial Museum’s Center for Advanced Holocaust Studies for providing a forum to discuss the ideas expressed in this article with colleagues and specialists of restitution history.

NOTES

1. Michael R. MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s (Madison: The University of Wisconsin Press, 2009), 81. 2. Most of the available literature originates from authors who were directly involved in events. For a rare exception see the comprehensive and critical survey by Holocaust historian Michael Marrus, ibid. 3. Stuart E. E IZENSTAT, Imperfect Justice. Looted Assets, Slave Labor, and the Unfinished Business of World War II (New York: Public Affairs, 2003), blurb. 4. Michael J. BAZYLER, Holocaust Justice. The Battle for Restitution in America’s Courts (New York: New York University Press, 2003), blurb, 307. 5. Elazar B ARKAN, The Guilt of Nations. Restitution and Negotiating Historical Injustices (Baltimore and London: The Johns Hopkins University Press, 2001), 308. 6. B AZYLER, Holocaust Justice. The Battle for Restitution in America’s Courts, 307, 30. Leora BILSKY, "Transnational Holocaust Litigation," The European Journal of International Law 23, no. 2 (2012): 353. 7. John TORPEY, "‘Making Whole What Has Been Smashed’: Reflections on Reparations," Journal of Modern History 73, no. 2 (2001). Among the first to observe such a shift associated with the new rhetoric of memory and victimhood was Charles S. MAIER, "A Surfeit of Memory? Reflections on History, Melancholy and Denial," History & Memory 5, no. 2 (1993). 8. MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, XII.

9. On the emergence of transitional justice theory, see Paige ARTHUR, "How ‘Transitions’ Reshaped Human Rights: A Conceptual History of Transitional Justice," Human Rights Quarterly 31 (2009). For a critical assessment, see Christine BELL, "Transitional Justice, Interdisciplinarity and the State of the ‘Field’ or ‘Non‑Field’," The International Journal of Tranistional Justice 3 (2009). 10. On the 2013 Supreme Court decision in Kiobel v. Royal Dutch Petroleum CO. (Shell), see David P. STEWART and Ingrid W UERTH, "Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co.: The Supreme Court and the Alien Tort Statute," The American Journal of International Law 107, no. 3 (2013).

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11. See, for instance, many contributions in Michael J. B AZYLER and Roger P. A LFORD, eds., Holocaust Restitution. Perspectives on the Litigation and Its Legacy (New York and London: New York University Press, 2006). 12. EIZENSTAT, Imperfect Justice. Looted Assets, Slave Labor, and the Unfinished Business of World War II. 13. Forward by Elie WIESEL in ibid., IX.

14. Norman G. FINKELSTEIN, The Holocaust Industry. Reflections on the Exploitation of Jewish Suffering (London: Verso, 2000). Though Finkelstein’s polemic largely reflected an intra‑Jewish controversy about the role of Jewish organizations in allocating compensation funds, it particularly resonated with opponents of restitution claims and right wing circles in Europe. 15. Cited after MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, 8. 16. EIZENSTAT in his response to Jewish critics in 2001, quoted after BAZYLER, Holocaust Justice. The Battle for Restitution in America’s Courts, 294. 17. Ivan T. B EREND, Europe Since 1980 (Cambridge: Cambridge University Press, 2010), 98f., 197f. From a Marxist perspective, see David HARVEY, A Brief History of Neoliberalism (Oxford: Oxford University Press, 2005). With a special focus on Eastern Europe also Philipp THER, Europe since 1989: A History (Princeton: Princeton University Press, 2016). 18. ICE, ed. Switzerland, National Socialism and the Second World War. Final Report (Zurich: Pendo,2002). On the Swiss case also Thomas MAISSEN, Verweigerte Erinnerung. Nachrichtenlose Vermögen und Schweizer Weltkriegsdebatte 1989‑2004 (Zurich: Verlag Neue Zürcher Zeitung, 2005). With special focus on the role of the Clinton administration and U.S. government agencies, see Jan SURMANN, Shoah‑Erinnerung und Restitution: Die US‑Geschichtspolitik am Ende des 20. Jahrhunderts (Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2012). 19. A 1993 survey by historian Jacques P ICARD appeared in 1996 under the title “Switzerland and the Assets of the Missing Victims of the Nazis” (published by Bank Julius Bär, Zurich). In 1996, the government mandated two historians to examine accusations raised in the media, for the results, see Peter HUG, "Unclaimed Assets of Nazi Victims in Switzerland," in Switzerland and the Second World War, ed. Georg Kreis (London: Frank Cass, 2000). On the context Regula LUDI, "Waging War on Wartime Memory: Recent Swiss Debates on the Legacies of the Holocaust and the Nazi Era," Jewish Social Studies 10, no. 2 (2004). 20. Claimants filed several suits that were later united in one single action. BAZYLER and ALFORD, eds., Holocaust Restitution. Perspectives on the Litigation and Its Legacy, 3. Also EIZENSTAT, Imperfect Justice. Looted Assets, Slave Labor, and the Unfinished Business of World War II, 67f. 21. MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, 12. On legal developments, Robert A. SWIFT, "Holocaust Litigation and Human Rights Jurisprudence," in Holocaust Restitution. Perspectives on the Litigation and its Legcay, ed. Michael J. BAZYLER and Roger P. ALFORD (New York & London: New York University Press, 2006). 22. BILSKY, "Transnational Holocaust Litigation."

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23. MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, 81‑84. Rickman mentions that up to 800 American public finance officers were ready to participate in sanctions. Gregg J. RICKMAN, Conquest and Redemption. A History of Jewish Assets from the Holocaust (New Brunswick & London: Transaction Publishers, 2007), 217. 24. MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, 4.

25. On the recent history of the Swiss banking industry, see Malik M AZBOURI, Sébastien GUEX, and Rodrigo LOPEZ, "Finanzplatz Schweiz," in Wirtschaftsgeschichte der Schweiz im 20. Jahrhundert, ed. Patrick HALBEISEN, Margrit MÜLLER, and Béatrice VEYRASSAT (Basel: Schwabe Verlag, 2012), 499‑510. 26. Paul R. DUBINSKY, "Justice for the Collective: The Limits of the Human Rights Class Action," Michigan Law Review 102, no. 6 (2004). 27. B ILSKY, "Transnational Holocaust Litigation," 360. Critically on the unjust enrichment charge see also MARRUS, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, 91‑103. 28. Beside Stuart E. Eizenstat who participated in the settlement of several class actions suits, former U.S. Secretary of State Lawrence S. Eagleburger chaired the International Commission on Holocaust‑Era Insurance Claims established in 1998 and former Federal Reserve Chairman Paul Volcker chaired the Independent Committee of Eminent Persons appointed in 1996 to audit Swiss banks in search of “dormant accounts.” See esp. EIZENSTAT, Imperfect Justice. Looted Assets, Slave Labor, and the Unfinished Business of World War II. Also SURMANN, Shoah‑Erinnerung und Restitution: Die US‑Geschichtspolitik am Ende des 20. Jahrhunderts. 29. On the implementation of forced and slave labor compensation, see the essay collection by Constantin GOSCHLER, ed. Die Entschädigung von NS‑Zwangsarbeit am Anfang des 21. Jahrhunderts, 4 vols. (Göttingen: Wallstein Verlag, 2012). Also Susanne‑Sophia SPILIOTIS, Verantwortung und Rechtsfrieden. Die Stiftungsinitiative der deutschen Wirtschaft (Frankfurt: Fischer Taschenbuch Verlag, 2003). 30. Alvin R OSENFELD, "The Americanization of the Holocaust," in Thinking about the Holocaust. After Half a Century, ed. Alvin ROSENFELD (Bloomington and Indianapolis: Indiana University Press, 1997), 137. Suggesting “Americanization” and “globalization” of Holocaust memory in the 1990s, Peter NOVICK, The Holocaust and Collective Memory. The American Experience (London: Bloomsbury, 2000). Daniel L EVY and Natan SZNAIDER, The Holocaust and Memory in the Global Age, trans. Assenka OKSILOFF (Philadelphia: Temple University Press, 2006). On the challenges of representation, see also the contributions in Saul FRIEDLANDER, ed. Probing the Limits of Representation. Nazism and the ‘Final Solution’ (Cambridge, MA: Harvard University Press, 1992). 31. Annette WIEVIORKA, « Shoah : les étapes de la mémoire en France », in Les guerres de mémoires. La France et son histoire, ed. Pascal BLANCHARD and Isabelle V EYRAT‑MASSON (Paris : La Découverte, 2010). On French memory and grappling with the history of Vichy see also the classic by Henry ROUSSO, Le syndrome de Vichy (1944‑198...) (Paris : Éditions du Seuil, 1987). 32. From a comparative perspective, see the contributions in Richard Ned L EBOW, Wulf KANSTEINER, and Claudio FOGU, eds., The Politics of Memory in Postwar Europe (Durham: Duke University Press, 2006). Esp. Wulf KANSTEINER, "Losing the War, Winning the Memory Battle: The Legacy of Nazism, World War II, and the Holocaust in the

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Federal Republic of Germany," in The Politics of Memory in Postwar Europe, ed. Richard Ned LEBOW, Wulf KANSTEINER, and Claudio FOGU (2006). Also Jan‑Werner MÜLLER, ed. Memory & Power in Post‑War Europe (Cambridge: Cambridge University Press, 2002). 33. See the contributions in Katrin HAMMERSTEIN, ed. Aufarbeitung der Diktatur, Diktat der Aufarbeitung?: Normierungsprozesse beim Umgang mit diktatorischer Vergangenheit (Göttingen: Wallstein Verlag, 2009). Jan ECKEL and Claudia MOISEL, eds., Universalisierung des Holocaust. Erinnerungskultur und Geschichtspolitik in international Perspektive, Beiträge zur Geschichte des Nationalsozialismus 24 (Göttingen: Wallstein Verlag, 2008). 34. Dan D INER, "Memory and Restitution. World War II as a Foundational Event in a Uniting Europe," in Restitution and Memory. Material Restoration in Europe, ed. Dan DINER and Gotthard WUNBERG (New York: Berghahn, 2007), 15.

35. Jozef M. van BRABANT, The Political Economy of Transition. Coming to Grips with History and Methodology (London and New York: Routledge, 1998), 2, 5. 36. Ivan T. BEREND, From the Soviet Bloc to the European Union. The Economic and Social Transformation of Central and Eastern Europe (Cambridge: Cambridge University Press, 2009), 44. 37. Saul E STRIN et al., "The Effects of Privatization and Ownership in Transition Economies," Journal of Economic Literature 47, no. 3 (2009): 703. 38. World Bank. World Development Report 1996: From Plan to Market (Oxford: Oxford University Press, 1996), 49. 39. Daniel Stedman J ONES, Masters of the Universe. Hayek, Friedman, and the Birth of Neoliberal Politics (Princeton: Princeton University Press, 2012). See also the contributions in Philip MIROWSKI and Dieter P LEHWE, eds., The Road from Mont Pèlerin. The Making of the Neoliberal Thought Collective (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 2009). Norbert FREI and Dietmar SÜSS, eds., Privatisierung. Idee und Praxis seit den 1970er Jahren (Göttingen: Wallstein, 2012). On the 1970s crisis, see Charles S. M AIER, ""Malaise": The Crisis of Capitalism in the 1970s," in The Shock of the Gobal. The 1970s in Perspective, ed. Niall FERGUSON et al. (Cambrigde, Mass., London: Belknap Press, 2010).

40. Jeffrey M. CHWIEROTH, The IMF and the Rise of Financial Liberalization (Princeton and Oxford: Princeton University Press, 2010), 170. See also Nicolas GUILHOT, The Democracy Makers. Human Rights and International Order (New York: Columbia University Press, 2005). 41. Christian TOMUSCHAT, "Eigentum im Zeichen von Demokratie und Marktwirtschaft," in Eigentum im Umbruch. Restitution, Privatisierung und Nutzungskonflikte im Europa der Gegenwart, ed. Christian TOMUSCHAT (Berlin: Berlin Verlag, 1996), 8f.

42. Philip MIROWSKI, "Postface. Defining Neoliberalism," in The Road from Mont Pèlerin. The Making of the Neoliberal Thought Collective, ed. Philip MIROWSKI and Dieter P LEHWE (Cambridge, Mass: Harvard University Press, 2009), 425, 27. Also Stuart HALL, "The Neo‑liberal Revolution," Cultural Studies 25, no. 6 (2011). 43. F A. HAYEK, The Road to Serfdom. The Definitive Edition, vol. Chicago University Press (Chicago, 2007), 86, 71. 44. Quoted after Dorothee BOHLE and Gisela NEUNHÖFFER, "Why Is There No Third Way? The Role of Neoliberal Idelology, Networks and Think‑Tanks in Combatting Market

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Socialism and Shaping Transformation in Poland," in Neoliberal Hegemony: A Global Critique., ed. Dieter PLEHWE, Bernhard WALPEN, and Gisela NEUNHÖFFER (London: Routledge, 2006). Hayek’s writings were circulating as samizdat literature during the final years of communist rule, see editor‘s introduction in HAYEK, The Road to Serfdom. The Definitive Edition, 1. 45. Josef C. BRADA, "Privatization Is Transition ‑ Or Is It?," Journal of Economic Perspectives 10, no. 2 (1996): 67. Also Barry EICHENGREEN, The European Economy since 1945. Coordinated Capitalism and Beyond (Princeton and Oxford: Princeton University Press, 2007), 312. 46. World Bank. World Development Report 1996: From Plan to Market, 49. 47. Speech by Margaret Thatcher at Conservative Party Conference, 10 October 1986, http://www.margaretthatcher.org/document/106498. (15 December 2013) 48. Anders ÅSLUND, How Capitalism Was Built. The Transformation of Central and Eastern Europe, Russia, and Central Asia (Cambridge: Cambridge University Press, 2007), 144. 49. Hilary APPEL, A New Capitalist Order. Privatization & Ideology in Russia and Eastern Europe (Pittsburgh: Pittsburgh University Press, 2004), 26‑28. 50. Jan HANOUSEK and Randall K. FILER, "Lange and Hayek Revisited: Lessons from Czech Voucher Privatization," Cato Journal 21, no. 3 (2002): 491. Dietmar SÜSS, "Idee und Praxis der Privatisierung. Eine Einführung," in Privatisierung. Idee und Praxis seit den 1970er Jahren, ed. Norbert FREI and Dietmar S ÜSS (Göttingen 2012: Wallstein Verlag, 2012), 15,17. 51. B EREND, From the Soviet Bloc to the European Union. The Economic and Social Transformation of Central and Eastern Europe, 47, 65. On the following, also Joachim von PUTTKAMMER, "Der schwere Abschied vom Volkseigentum. Wirtschaftliche Reformdebatten in Polen und Ostmitteleuropa in den 1980er Jahren," in Privatisierung. Idee und Praxis seit den 1970er Jahren, ed. Norbert FREI and Dietmar S ÜSS (Göttingen: Wallstein Verlag, 2012). 52. Å SLUND, How Capitalism Was Built. The Transformation of Central and Eastern Europe, Russia, and Central Asia, 149. 53. See the analysis of (neo)liberal postwar theorizing by Michel FOUCAULT, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978‑1979 (Paris : Gallimard, 2004). 54. B EREND, From the Soviet Bloc to the European Union. The Economic and Social Transformation of Central and Eastern Europe, 63‑73. EICHENGREEN, The European Economy since 1945. Coordinated Capitalism and Beyond, 313. 55. For figures and a discussion of the results of privatization, see E STRIN et al., "The Effects of Privatization and Ownership in Transition Economies." 56. Figures are not as high in the Czech Republic though still considerable. B EREND, Europe Since 1980, 201‑04. 57. Michael HELLER and Christopher SERKIN, "Revaluing Restitution: From the Talmud to Postsocialism," Michigan Law Review 97 (1999): 1387. 58. On pragmatic and principal objections, see APPEL, A New Capitalist Order. Privatization & Ideology in Russia and Eastern Europe, 58. 59. In Poland, powerful constituencies, such as peasants or the Church, nonetheless succeeded in reclaiming their property based on ordinary civil legislation. See Grażyna SKĄPSKA, "Paying for Past Injustices and Creating New Ones: On Property

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Rights in Poland as an Element of the Unfinished Transformation," in Legal Institutions and Collective Memories, ed. Susanne KARSTEDT (Oxford and Portland, Orgeon: Hart, 2009). On Czech restitution Andrzej K. KOZMINSKI, "Restitution of Private Property. Re‑privatization in Central and Eastern Europe," Communist & Post‑Communist Studies 30, no. 1 (1997): 99. Roman DAVID, "Twenty Years of Transitional Justice in the Czech Lands," Europe‑Asia Studies 64, no. 4 (2012). On Bulgaria BEREND, From the Soviet Bloc to the European Union. The Economic and Social Transformation of Central and Eastern Europe, 61. For an overview also Mark BLACKSELL and Karl Martin B ORN, "Private Property Restitution: The Geographical Consequences of Official Government Policies in Central and Eastern Europe," The Geographical Journal 168, no. 2 (2002): 180‑82. 60. Hilary A PPEL, "Anti‑Communist Justice and Founding the Post‑Communist Order: Lustration and Restitution in Central Europe," East European Politics and Societies 19, no. 3 (2005): 395. 61. KOZMINSKI, "Restitution of Private Property. Re‑privatization in Central and Eastern Europe," 97. 62. Istvan POGANY, Righting Wrongs in Eastern Europe (Manchester: Manchester University Press, 1997), 156. 63. Mariana K ARADJOVA, "Property Restitution in Eastern Europe. Domestic and International Human Rights Law Responses," Review of Central and East European Law 29, no. 3 (2004): 328. 64. Addressing these dilemmas Claus OFFE, Varieties of Transition. The East European and East German Experience (Cambridge: Polity Press, 1996), 105‑30.

65. Eduard KUBŮ and Jan KUKLÍK, "Reluctant Restitution," in Robbery and Restitution. The Conflict over Jewish Property in Europe, ed. Martin DEAN, Constantin GOSCHLER, and Philipp Ther (New York & Oxford: Berghahn, 2007). KARADJOVA, "Property Restitution in Eastern Europe. Domestic and International Human Rights Law Responses," 330. The situation in Slovakia, after the division of Czechoslovakia in 1993, was somewhat different. A former satellite of the Third Reich between 1939 and 1945, Slovakia had implemented its own anti‑Semitic measures, albeit under Nazi influence. 66. For an overview, with a special focus on Jewish claims, see POGANY, Righting Wrongs in Eastern Europe. Catherine HOREL, La restitution des biens juifs et le renouveau juif en Europe centrale. Hongrie, Slovaquie, République Tchèque (Frankfurt am Main: Peter Lang Verlag, 2002). 67. To help the Federal Republic regain its credit, Western governments had postponed wartime claims against Germany in 1953 until the day of final peace treaty, a decision that almost indefinitely shelved claims of Nazi victims outside Germany. For diplomatic reasons, the Federal Republic in the 1950s offered lump‑sum payments to its Western partners, allowing for the compensation of their nationals. See the contributions in Hans Günter HOCKERTS, Claudia MOISEL, and Tobias WINSTEL, eds., Grenzen der Wiedergutmachung. Die Entschädigung für NS‑Verfolgte in West‑ und Osteuropa 1945–2000 (Göttingen: Wallstein Verlag, 2006). 68. Constantin G OSCHLER, Schuld und Schulden. Die Politik der Wiedergutmachung für NS‑Verfolgte seit 1945 (Göttingen: Wallstein Verlag, 2005), 429‑37.

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69. Jan Philipp S PANNUTH, Rückerstattung Ost. Der Umgang der DDR mit dem ‘arisierten’ Eigentum der Juden und die Rückerstattung im wiedervereinigten Deutschland (Essen: Klartext Verlag, 2007), 169‑223, esp. 191. 70. BLACKSELL and BORN, "Private Property Restitution: The Geographical Consequences of Official Government Policies in Central and Eastern Europe," 183. On the context also Charles S. MAIER, Dissolution: The Crisis of Communism and the End of East Germany (Princeton: Princeton University Press, 1997), 215‑84. 71. HELLER and SERKIN, "Revaluing Restitution: From the Talmud to Postsocialism," 1402.

72. See Timothy Garton ASH, The Magic Latern. The Revolution of '89 Witnessed in Warsaw, Budapest, Berlin and Prague (New York: Vintage Books, 1999), 105.

73. P OGANY, Righting Wrongs in Eastern Europe, 153‑76. KUBŮ and K UKLÍK, "Reluctant Restitution." 74. RICKMAN, Conquest and Redemption. A History of Jewish Assets from the Holocaust, 201. On the significance of the Helsinki Accords of 1975 for human rights policy, Daniel C. THOMAS, The Helsinki Effect. International Norms, Human Rights and the Demise of Communism (Princeton: Princeton University Press, 2001). 75. The letter dated from 10 April 1995, quoted after SURMANN, Shoah‑Erinnerung und Restitution: Die US‑Geschichtspolitik am Ende des 20. Jahrhunderts, 60‑69, esp. 67. 76. Stuart E. EIZENSTAT, Testimony Before the Commission on Security and Cooperation in Europe of the American Congress, Washington, DC, March 25, 1999, http:// www.uipi.com/modules/wfchannel/index.php?pagenum=150 (16 November 2013). 77. Helsinki Commission Hearing, Testimony by Randolph B ELL, Special Envoy for Holocaust Issues, 16 July 2002, http://www.csce.gov/index.cfm? FuseAction=ContentRecords.ViewWitness&ParentType=H&ContentRecord_id=309 &ContentType=D&CFID=40434145&CFTOKEN=10499723 (6 November 2013). 78. See, for instance, Hannes SIEGRIST, "Die Propertisierung von Gesellschaft und Kultur. Konstruktion und Institutionalisierung des Eigentums in der Moderne," Comparativ 16, no. 5‑6 (2006); Hannes SIEGRIST and David S UGARMAN, eds., Eigentum im internationalen Vergleich, vol. 130, Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft (Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1999). 79. U.S. State Department, Property Restitution in Central and Eastern Europe (http:// www.state.gov/p/eur/rt/hlcst/c12070.htm, 18 November 2013) 80. See, for instance, C.B. M ACPHERSON, The Political Theory of Possessive Individualism: Hobbes to Locke (Oxford: Oxford University Press, 1970). Also Laura S. U NDERKUFFLER, The Idea of Property. Its Meaning and Power (Oxford: Oxford University Press, 2003). 81. TOMUSCHAT, "Eigentum im Zeichen von Demokratie und Marktwirtschaft," 8f.

82. S IEGRIST, "Die Propertisierung von Gesellschaft und Kultur. Konstruktion und Institutionalisierung des Eigentums in der Moderne," 12. (my translation of the German original)

83. SKĄPSKA, "Paying for Past Injustices and Creating New Ones: On Property Rights in Poland as an Element of the Unfinished Transformation," 269. See, particularly, the contributions in Dan DINER and Gotthard W UNBERG, eds., Restitution and Memory. Material Restoration in Europe (New York: Berghahn, 2007).

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84. CHWIEROTH, The IMF and the Rise of Financial Liberalization, pp 146‑86.

85. For an early critique Joseph E. S TIGLITZ, Globalization and Its Discontents (New York & London: W.W. Norton, 2002). 86. GUILHOT, The Democracy Makers. Human Rights and International Order, 217. 87. I borrow the term from the cultural theorist Mieke Bal who uses it to denote the fact that concepts acquire new meaning when they move between disciplines and cultural contexts. See Mieke BAL, Travelling Concepts in the Humanities. A Rough Guide (Toronto: University of Toronto Press, 2002).

ABSTRACTS

This article argues show that the emergence in the 1990s of a second wave of Holocaust‑era restitution claims was not the result of a shift in mentalities leading to the sudden recognition of past wrongs or the surge of repressed memories but rather part of a larger process involving major transformations in global capitalism and property regimes. Restitution, fashioned as re‑privatization, surfaced in the early 1990s in connection with post‑Communist de‑collectivization and was included in neoliberal reform packages adopted by transitional societies in Central and Eastern Europe. By the end of that decade, restitution attained a much wider significance as a token of justice, memory, and identity. International scrutiny of restitution mechanisms implemented by post‑Communist states turned the restoration of property rights into an indicator of these societies’ commitment to human rights and their willingness to address the legacies of their totalitarian past. As a “travelling concept” linking private property with novel ideas of historical justice on its road from east to west and west to east, restitution gradually changed from a method of advancing privatization and creating new polities to a carrier of the memory of past wrongs. In this entirely new meaning, restitution became the heart of Holocaust survivors’ fin‑de‑siècle call for justice and recognition.

Cet article tend à montrer que l’émergence, dans les années 1990, d’une deuxième vague de demandes de restitutions de la part de victimes de la Shoah n’était pas le résultat d’un changement de mentalités qui aurait conduit à la reconnaissance soudaine des fautes du passé ou au retour de souvenirs refoulés, mais qu’elle s’est inscrite dans un processus plus vaste impliquant des transformations majeures dans le capitalisme mondial et le statut de la propriété privée. Cette politique de restitution, conçue comme une nouvelle privatisation, a vu le jour au cours de cette période dans le cadre de la décollectivisation postcommuniste et a été partie intégrante des programmes de réforme néolibérale adoptés par les sociétés en transition d’Europe centrale et orientale. À la fin de cette décennie, elle a revêtu une signification beaucoup plus large en tant que geste symbolique de justice, de mémoire et d’identité. Sous le regard attentif porté au plan international sur les mécanismes de restitution mis en œuvre par les États postcommunistes, la restauration des droits de propriété est devenue un indicateur de l’engagement de ces sociétés dans le domaine des droits de l’homme et de leur volonté d’assumer l’héritage de leur passé totalitaire. En tant que « concept itinérant » liant la propriété privée à des idées neuves de justice historique sur sa route d’est en ouest et d’ouest en est, la restitution a évolué progressivement : d’abord moyen de promotion de la privatisation et de la mise en place de politiques nouvelles, elle est devenue porteuse de la mémoire des fautes du passé. Dans ce

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sens, la restitution est en cette fin de siècle au cœur de la demande des survivants de la Shoah pour la justice et la reconnaissance.

תקציר: המאמר מנסה להוכיח כי הגל החדש של תביעות הפיצויים מצד קורבנות השואה בשנות ה90- של המאה הקודמת אינו פועל יוצא של מנטאליות חדשה כתוצאה מהתעוררותם של זיכרונות מודחקים או מהכרה בשגיאות העבר. הוא מהווה חלק מתהליך רחב יותר של שינויים בתפישת הקפיטליזם העולמי והרכוש הפרטי. מדיניות הפיצויים בתקופה זו היא תוצאה של הפרטה חדשה במסגרת הדה-קולקטיביזם בתקופה הפוסט-קומוניסטית וחלק מרפורמה נאו-ליברלית בחברות המשתנות במזרח אירופה ובמרכזה. בסיומו של עשור שנים זה היא קיבלה משמעות רחבה של מחווה סמלית לצדק, לזיכרון ולזהות. תוך תשומת לב ניכרת לתכנית הפיצויים הבין-לאומית, הפכה החזרת זכויות הרכוש במדינות הפוסט-קומוניסטיות לציון של מחויבותן של אלו לזכויות האדם ולרצונן ליישם את שירשו מן העבר הטוטליטארי. מדיניות הפיצויים, כמושג מובילי הקושר את הרכוש הפרטי לתפישת הצדק ההיסטורי על התוואי שבין מזרח למערב ולהיפך, השתנתה באופן הדרגתי: מאמצעי לקידום ההפרטה וליישום דרכים חדשות, היא הפכה למגלמת זכרן של שגיאות העבר. במובן זה תביעות הפיצויים של ניצולי השואה בסוף המאה הקודמת הן בקשה לצדק ולהכרה.

AUTHOR

REGULA LUDI University of Zurich

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Les « pensions de ghetto » accordées par l’Allemagne. Errements d’une indemnisation, 1997‑2015 Ghetto Labour Pensions in Germany. Meanders in Compensation, 1997‑2015 תואלמג וטגה – תוינידמ םייוציפה תינמרגה

Stephan Lehnstaedt

1 En 2000, avec la création de la fondation EVZ (Erinnerung, Verantwortung und Zukunft, « Mémoire, Responsabilité et Avenir ») chargée de l’indemnisation de ceux qui, captifs du régime national‑socialiste, avaient été soumis au travail forcé, l’Allemagne semblait enfin sortie du processus de réparations qui avait débuté à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, au moment même où aboutissait ce projet d’indemnisation, émergeait un nouveau débat – très peu présent dans les médias grand public ou dans les publications savantes – lié à l’ouverture de droits sociaux à d’anciens « travailleurs » des ghettos.

2 En effet, en 2002, faisant suite à une décision historique de 1997 du Tribunal social fédéral de Cassel1, une loi « pour le versement de retraites résultant d’un emploi dans un ghetto » (Gesetz zur Zahlbarmachung von Renten aus Beschäftigungen in einem Ghetto, ZRBG) établissait que, sous certaines conditions, le travail « rémunéré » dans les ghettos pouvait être reconnu comme une forme de salariat en Allemagne, ouvrant droit, par là même, à une retraite. D’où le nom de « loi sur les pensions de ghetto » (Ghettorentengesetz).

3 La décision de la Cour sociale de Cassel en 19972 avait en effet conclu à l’octroi d’une pension de retraite allemande au profit d’une survivante du ghetto de Łódź, dont les droits avaient été ouverts par la reconnaissance du travail qu’elle avait effectué dans des ateliers du ghetto. Au terme de cinq années de débats, ce cas ayant fait jurisprudence a abouti à un texte de loi approuvé à l’unanimité par le Parlement de la

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RFA, le Bundestag, qui rendait possible le paiement d’une pension de retraite aux anciens « travailleurs » des ghettos3.

4 Cette loi constitue donc, en quelque sorte, une nouvelle donne en termes d’indemnisation des victimes du nazisme : pour la première fois des survivants pouvaient prétendre au versement de fonds allemands, non pas en termes de « réparations » – du fait de leur « statut de victime » – mais sous forme d’ouverture de droits à une pension de retraite, eu égard à un statut de « travailleur salarié » qui leur était désormais reconnu pour les conditions spécifiques des ghettos.

5 L’objet du présent article est d’étudier la mise en œuvre concrète, au tournant du XXIe siècle, de ces mesures d’indemnisation de victimes du national‑socialisme, ainsi que d’en analyser les enjeux, en termes financiers et diplomatiques. Nous nous intéresserons également à l’impact de ces décisions politiques au niveau des interactions entre le Parlement, le gouvernement, la Justice et les différents ministères.

6 Nous interrogerons, enfin, la manière dont les responsables politiques allemands ont répondu au fait qu’il s’agissait d’une action en faveur de victimes particulièrement âgées et que nombre d’entre elles sont décédées avant la fin de la procédure : serait‑ce donc l’acte ultime de réparation ?

Les limites des logiques budgétaires

7 Lorsque les dirigeants des caisses de retraite allemandes se réunirent en juillet 1998, ils étaient loin d’imaginer ce qu’impliquerait l’application du jugement du Tribunal social de Cassel de 19974. Cette décision accordant des droits à la retraite à une survivante du ghetto de Łódź semblait, d’emblée, non transposable aux survivants d’autres ghettos mis en place sous le Troisième Reich.

8 En effet, ce jugement se fondait sur la singularité de ce ghetto : son exceptionnelle durabilité, ses très nombreux ateliers, son organisation interne spécifique allant jusqu’à l’existence d’une monnaie à usage interne, tout semblait conférer au ghetto de Łódź – lieu d’une tentative acharnée de survie par le travail – et par là même, à la décision du Tribunal de Cassel, un statut d’exception.

9 Il fallut quatre années au ministre du Travail Walter Riester – sous la pression de l’État d’Israël (en particulier lors des visites de représentants officiels allemands) ainsi que celle d’associations de rescapés – pour s’intéresser à la question, tenter de clarifier les conditions d’ouverture de droits à une pension de retraite pour les anciens travailleurs des ghettos et initier la rédaction d’un projet de loi5. Plusieurs propositions successives ont émané de la section Retraites du ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales (Bundesarbeitsministerium für Arbeit und Soziales), elles furent discutées du seul point de vue financier : il était stipulé comme préalable qu’« au regard de la situation budgétaire de la caisse des pensions », « une application maximale » était impossible6.

10 Le problème paraissait insoluble et lors d’une réunion au ministère du Travail en juin 2001, l’on en débattit à nouveau en soulignant notamment le risque de voir émerger une nouvelle catégorie de victimes du nazisme, ce qui constituerait un précédent très coûteux pour l’État7. Une proposition de loi fut cependant retenue, qui semblait « chiffrable d’un point de vue financier », politiquement satisfaisante et jugée

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« concrète et adéquate »8 dans le sens où elle ne menaçait pas de modifier le taux de cotisation des salariés aux caisses de retraite allemandes.

11 Néanmoins, il n’était pas encore possible de soumettre un texte de loi au Bundestag faute d’un accord, en particulier, avec le ministère des Finances. Certes, la question du versement de retraites à d’anciens « salariés » des ghettos ne relevait clairement pas du ressort de ce ministère plutôt chargé des politiques d’indemnisation des victimes du nazisme ; mais le ministère du Travail était d’avis qu’en aucun cas, ces pensions ne devaient être financées par les cotisations en cours de l’ensemble des travailleurs du pays. Et si elles étaient finalement versées par les caisses de retraite, il faudrait que ce fût avec un dédommagement de l’État fédéral.

12 Ce montage budgétaire nécessitait donc l’accord préalable du ministère des Finances, de la part duquel le ministère du Travail s’attendait à une attitude ferme de « résistance massive »9. Le projet de loi que le ministère du Travail soumit aux parlementaires allait néanmoins dans son sens en affirmant que « réparer les préjudices causés par les nationaux‑socialistes » était « un devoir de la société dans son ensemble », qui ne saurait être porté par les seuls cotisants aux caisses de retraite10.

13 Dans le même temps, était ébauchée une proposition alternative, sans dédommagement par l’État, qui, appuyée par le ministère des Finances, s’imposa dès février 200211. La mesure de réparation était donc assujettie à des considérations exclusivement financières : en préalable, pour les différents ministères comme pour le Parlement, il s’agissait de ne pas financer les versements effectués aux travailleurs des ghettos à partir des budgets de l’État, mais d’en faire porter le poids aux caisses de retraite. Plutôt augmenter les cotisations de retraite des salariés que les impôts.

Problèmes de terminologie et d’interprétation

14 Pour convaincre la commission du Budget du Parlement, le ministère du Travail avait annoncé un nombre limité de demandeurs potentiels estimé à 700, estimation surprenante au regard des 70 000 demandes reçues ultérieurement12. Ainsi, en raison d’un surcoût estimé relativement mineur, l’acceptation unanime de la proposition par le Parlement, dès la semaine suivante, ne fut qu’une simple formalité.

15 Cependant, après le vote de la loi, il s’avéra rapidement que celle‑ci était problématique à bien d’autres titres qu’au seul point de vue financier. Prétendre à un versement au titre de la loi ZRBG plaçait, en effet, nombre de demandeurs dans une situation difficile, voire inextricable, en raison des justificatifs à fournir. Que fallait‑il entendre par « ghetto » ? Comment interpréter le critère de « rémunération » et celui d’une « décision volontaire et personnelle » (eigener Willensentschluss) dont l’attestation était nécessaire au dépôt d’un dossier ? Ces deux critères figuraient dans le texte afin de différencier les droits ouverts par cette loi spécifique des indemnités consenties aux travailleurs « forcés », prises en charge par la Fondation « Mémoire, Responsabilité, Avenir ». Le choix du terme « décision volontaire et personnelle » était, dans le même temps, censé reconnaître le fait qu’au sein des ghettos, les internés ne jouissaient d’aucune liberté réelle et marquer une différence avec le libre choix d’un emploi. Toutefois, le texte de loi ne précisait aucunement comment, concrètement, il fallait entendre ce terme.

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16 Par la suite, le Parlement fut interpellé à plusieurs reprises – en 2003 par la CDU, alors dans l’opposition13, et en 2006 par le parti Die Linke14 – car dans les faits, la loi sur les « pensions des ghettos » ne bénéficiait qu’à fort peu de requérants. En effet, sur les 70 000 demandes reçues, 61 000 avaient été rejetées et seules 5 000 avaient été jugées recevables, soit seulement 8,2 %. Face à ces multiples refus, de nombreux survivants engagèrent des recours, mais ils perdaient généralement leur procès auprès des Tribunaux sociaux, n’étant pas en mesure de prouver que, soixante ans plus tôt, ils répondaient effectivement aux critères de « décision volontaire et personnelle » et de « rémunération ». Faute de justificatifs, l’administration des caisses de retraite et les magistrats des Tribunaux sociaux consultaient les dossiers de demandes de réparations constitués dans les années 1950 et 1960. Or, il n’y était jamais question de « décision volontaire et personnelle » ni de « rémunération ». Dans les faits, il était donc reproché à des survivants de ne pas avoir, plusieurs décennies auparavant, décrit leur situation en utilisant ces termes précis, alors même qu’à l’époque ces expressions n’étaient pas d’usage15.

17 Dans la mesure où le caractère contraint du travail dans les ghettos apparaissait comme une évidence, l’État et les caisses de retraite s’attendaient à un nombre très restreint de survivants pouvant remplir les conditions imposées par la loi ZRBG. À cette date, l’état des recherches historiques sur les ghettos n’était pas très avancé et il n’y avait, par exemple, aucune véritable définition du terme « ghetto ». L’administration allemande s’appuyait sur une liste de 400 ghettos en Europe orientale, alors que les résultats des recherches en cours, certes non encore publiées, menées par le Musée Mémorial de l’Holocauste de Washington (USHMM) et le mémorial en Israël confirmaient désormais que ce nombre relevait du mythe. En effet, ces travaux faisaient état de plus de 1 150 lieux pouvant être qualifiés de ghettos16.

18 Les questions de la « décision volontaire et personnelle » comme celle de la « rémunération » du travail se révélaient plus complexes encore. Ces deux concepts ne s’appuyaient sur aucune étude scientifique. Les quelques recherches menées sur les ghettos évoquaient une vague notion de « contrainte » (Zwang) imposée aux victimes persécutées, désignant ainsi à la fois l’obligation de résider dans le ghetto et le fait d’y être astreint au travail. Une vision aussi floue et indifférenciée ne pouvait réellement permettre à l’administration des retraites d’instruire les dossiers ouverts au titre de la loi ZRBG, ni aux magistrats de les réexaminer. Pire, c’est cette vague notion de « contrainte » qui a entraîné le rejet de la plupart des demandes des requérants.

19 Les historiens auxquels les autorités ont fini par faire appel au bout de plusieurs années, sont parvenus, grâce à leurs recherches et au dépouillement d’archives, à livrer un nouvel éclairage. Ils ont démontré que le travail était une forme de « privilège » au sein des ghettos, ce qui présuppose bien, dans la plupart des cas, une forme de « décision volontaire et personnelle ». Bien entendu, il ne s’agissait pas d’une véritable liberté de choix, mais de la maigre marge de manœuvre que pouvaient avoir les Juifs enfermés dans des ghettos où ils étaient privés de tout, spoliés et affamés, et bien contraints de rechercher toute forme de moyens de survie pour ne pas mourir de faim.

20 Un « emploi » dans un ghetto était l’un des rares moyens d’obtenir une compensation sous forme de nourriture, d’où le fait que toute forme de travail y était désespérément recherchée, car vitale. Les places étaient comptées et il y avait, presque toujours, trop de « volontaires ». Quant au terme de « rémunération », il était sans nul doute abusif et les travailleurs des ghettos étaient surexploités, mais réussir à trouver un travail

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signifiait le plus souvent augmenter ses chances de survie en limitant la faim puis, plus tard, en obtenant de rester plus longtemps dans le ghetto, face à la menace de la déportation imminente vers une mort programmée17.

21 Toutefois, ces informations, fournies au travers d’expertises d’historiens dès 2006, demeuraient ignorées de l’administration et des tribunaux allemands. Souvent, des demandes de pension étaient rejetées au seul motif que les informations fournies par les survivants ne correspondaient pas aux documents émis par les assurances retraite, par exemple parce que le ghetto mentionné ne figurait pas sur la liste officielle. Dans le même temps, l’assurance retraite réfutait toute remise en question du bien‑fondé de son traitement des dossiers, même lorsque ces interrogations émanaient du ministère du Travail18.

Vers une première prise en compte de la réalité historique ?

22 Alors que les critiques générées par l’attitude des assurances retraite s’accumulaient, le ministère du Travail de Rhénanie‑du‑Nord‑Westphalie proposa en 2004 une procédure simplifiée pour l’application de la loi ZRBG. Le ministère de ce Land le pouvait en effet puisqu’il était l’autorité de contrôle de la caisse de retraite de Rhénanie dont dépendent les ayants droits résidant en Israël. Cette procédure visait à pallier les difficultés de mise en œuvre concrète de la loi ZRBG en proposant de limiter les conditions exigées à la seule preuve d’un travail effectué au sein d’un ghetto, sans considération de « rémunération ». Pour la première fois, une argumentation prenait en compte la réalité historique : « au regard des conditions de survie inouïes qui régnaient dans les ghettos, il semble peu pertinent de fixer des minima pour la maigre rémunération, qu’elle soit ou non en nature : cela constituerait une demande excessive au regard des demandeurs. »19

23 Après une année de réflexion, Berlin rejeta cette proposition : le Bundestag était déjà allé à la limite du défendable en termes de pensions de retraite. À vouloir trop défendre les droits des survivants, on en viendrait à créer des « règles fictives » et à « assigner aux organismes officiels de gestion des pensions de retraite des missions sans rapport avec l’intérêt de l’ensemble des assurés »20.

24 À l’été 2005, les responsables de l’Union des caisses d’assurance retraite allemandes donnèrent l’impression de s’aligner sur cette position lors d’une rencontre autour de l’application de la loi ZRBG convoquée à la demande du groupe d’amitié interparlementaire germano‑israélien du Parlement. L’attitude des caisses visait à ne pas laisser transparaître les difficultés de mise en œuvre de la loi, tout en donnant à penser qu’elles étaient ouvertes aux contributions des historiens21, ce qui n’avait, en pratique, jamais été le cas.

25 Les demandes effectuées au titre de la loi ZRBG atteignirent entre temps le nombre de 70 000, pour une pension mensuelle moyenne de 250 € qui n’était alors versée, en fait, qu’à 7 % des bénéficiaires potentiels. Ces dépenses excédaient déjà les estimations effectuées en vue de la promulgation de la loi et les projections paraissaient désastreuses pour le budget des caisses de retraite. Du point de vue des victimes, estimait‑on, un apaisement ne pourrait intervenir que sur la base d’un taux d’acceptation de 90 %, ce qui représenterait un coût énorme : « des dépenses annuelles

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d’environ 270 millions d’euros, auxquels s’ajouterait, en cas de règlement des arriérés à compter du 1er juillet 1997, une somme globale de 2,5 milliards d’euros »22.

26 Au regard des faibles budgets disponibles en matière d’assurance retraite, le ministère du Travail décida de jouer la montre. Pendant ce temps, et bien qu’il leur ait été demandé de cesser ces pratiques23, les caisses continuaient à refuser des dossiers au seul prétexte que les requérants fournissaient des informations considérées comme contradictoires. Il était fréquent que les assurances retraite, comme les tribunaux, comparent les versions fournies dans des dossiers constitués à différents moments, par exemple en confrontant les demandes en cours avec des dossiers établis dans les années 1950 en vue d’une indemnisation, ne prenant en compte, le plus souvent, que les versions les plus anciennes et estimant que le demandeur avait ensuite adapté ses formulations pour tirer bénéfice de la nouvelle loi et obtenir des avantages indus24.

27 En 2007, les députés des Verts et de La Gauche réagissaient par une initiative, qui demeurera infructueuse, visant à proposer une pension forfaitaire mensuelle de 150 €. Ces deux partis d’opposition avaient demandé des comptes au gouvernement et en avaient tiré des conclusions particulièrement négatives quant à l’attitude de l’administration25. Auparavant, d’autres enquêtes sur l’application de la loi ZRBG avaient déjà montré un taux de bénéficiaires anormalement faible, sans qu’aucune suite n’y fût donnée. En 2006, le gouvernement fédéral s’en était justifié en invoquant « la méconnaissance par les demandeurs d’une législation complexe et difficile à assimiler à première lecture »26, ce qui revenait, en quelque sorte, à faire peser sur les survivants eux‑mêmes la responsabilité du taux infime d’acceptation de leurs demandes de pension.

28 Début 2006, le gouvernement fédéral s’était pourtant engagé auprès des représentants de l’État d’Israël à consentir un effort envers les survivants de la Shoah dans le cadre des « pensions de ghetto ». Un an et demi plus tard, les pressions sur l’État allemand s’accentuant, il fallait sortir de l’impasse. Durant l’été 2007, une réunion entre les ministères du Travail et des Finances27 fut convoquée afin de procéder au versement d’une somme forfaitaire aux demandeurs déboutés, dès lors qu’ils pourraient simplement justifier avoir travaillé dans un ghetto.

29 Lors d’une réunion, le ministère des Finances proposa une somme de 1 200 €28, qui fut ensuite portée à 2 000 €, pour un nombre estimé à 50 000 bénéficiaires potentiels29. Pour sa part, le ministère du Travail doutait que cette proposition pût apaiser la situation. Toutefois, pour ne pas froisser leurs collègues du ministère des Finances, ses services allaient donner un accord de principe à ce règlement qui présentait l’avantage d’être applicable sans avoir à légiférer. À l’issue de cette réunion, le commentaire du ministre du Travail Franz Müntefering était clair : « Reste à voir si ce versement forfaitaire de 2 000 euros va nous ramener la paix. »30

30 En 2008, le gouvernement ne semblait toujours pas disposé à modifier la législation alors que les statistiques des assurances retraite reconnaissaient clairement le très faible taux d’indemnisation : en septembre 200831, seules 6 177 demandes avaient été retenues, sur un total de 71 236. Le taux d’acceptation des dossiers de survivants résidant aux États‑Unis était alors de 16 %, tandis que celui des demandeurs en Israël n’était que de 5 %. Le traitement des dossiers était donc tout à fait inégal, au regard des résultats fournis par les différentes caisses d’assurance. La caisse d’assurance de Rhénanie n’avait, pour sa part, aucune raison de se remettre en cause, la Cour sociale de Düsseldorf puis le Tribunal social du Land de Rhénanie‑du‑Nord‑Westphalie ayant

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toujours ou presque confirmé ses décisions. Il a, depuis, été démontré que leur système de traitement des dossiers était autoréférentiel et restait étanche à toute évolution éventuelle d’où qu’elle provienne, comme le prouvent les différentes tentatives du juge Jan‑Robert von Renesse, qui avait mandaté des experts historiens ou auditionné des requérants en Israël32.

31 Le président du Tribunal social de Düsseldorf avait, pour sa part, fait remonter la demande de ne plus lui renvoyer de dossiers pour réexamen, ce qui « élargissait sans cesse le débat » et augmentait sa charge de travail33. Dans ce Land, les juges se montraient donc également imperméables à tout changement.

2009 : Le « revirement » de la Cour de Cassel

32 L’exécutif n’eut plus l’occasion de poursuivre ses débats : en 2009, le Tribunal social fédéral régla le contentieux par deux jugements sans ambiguïté, faisant voler en éclats les interprétations de la loi ZRBG jusqu’alors admises. En effet, les décisions des 5e et 13e chambres du Tribunal social, en date des 2 et 3 juin 2009, concluaient que les termes de « décision volontaire et personnelle » et de « rémunération » ne devraient plus à l’avenir être pris au pied de la lettre, ce qui faciliterait les moyens d’en attester34. Ces jugements étaient d’autant plus surprenants que depuis 1997, ce tribunal avait à quatorze reprises confirmé les décisions des caisses d’assurance retraite et tranché six fois seulement en faveur des plaignants. Et cela n’avait jusque‑là jamais permis d’assouplir les conditions d’obtention d’une pension35.

33 Dès lors, le critère de « décision volontaire et personnelle » fut considéré comme acquis du seul fait que dans les ghettos, le travail représentait une nécessité vitale : il participait à protéger les Juifs d’une déportation imminente et représentait l’unique possibilité de survie par un maigre accès à de la nourriture ou à une monnaie permettant de s’en procurer.

34 Antérieurement, nombre de dossiers avaient été déboutés au seul motif que, dans d’autres qui avaient été constitués par les mêmes requérants dans les années cinquante à soixante, le terme fréquemment usité était celui de « travail forcé » (Zwangsarbeit). Le choix de ce mot n’était pas surprenant de la part des demandeurs, mais pour le traitement pointilleux de leur dossier dans le cadre de la loi ZRBG, il devenait rédhibitoire. De nombreux dossiers avaient également été rejetés en raison d’un taux de rémunération si faible qu’il était perçu comme incompatible avec le fait de justifier d’une pension de retraite.

35 La décision du Tribunal social fédéral reconnaissait également qu’une indemnisation du travail, versée sous forme de nourriture, constituait non seulement, au sein d’un ghetto, une forte valeur d’échange, mais qu’elle était le prix de la survie. En effet, aussi minime fût‑elle, elle y était d’une valeur relativement inestimable, constituant l’unique moyen de survivre alors que tout devait être acheté, y compris la moindre nourriture.

36 Le « revirement de la cour de Cassel » de 200936 redressait la barre par une réinterprétation totale de la loi sur les « pensions des ghettos », tournant définitivement le dos aux précédentes : le changement était total, fût‑ce au prix d’un retour sur la jurisprudence de ce même tribunal37.

37 À Berlin, on se préparait au pire, craignant une application rétroactive remontant jusqu’en 1997, comme le prévoyait le texte de la loi ZRBG et ce, pour

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70 000 demandeurs. « En se fondant sur des estimations brutes, on peut estimer que les caisses de retraite auront à payer, une première fois, une somme de 2 à 3 milliards d’euros puis, par la suite, des montants annuels de près de 200 millions d’euros. Cependant, ces derniers seront limités dans le temps, dans la mesure où il n’y aura pas de nouvelles demandes. »38 Lors d’un échange avec le ministère du Travail, le ministère des Finances s’empressa de souligner que « le ministre Steinbrück » avait « donné des instructions dans l’objectif de limiter au maximum l’impact financier »39.

38 Pour la même raison, les assurances retraite étaient, elles aussi, opposées à l’idée d’une rétroactivité des versements à partir de 1997. Face au ministère du Travail, elles justifiaient leur position par une règle en vigueur dans le code social, stipulant que l’application d’une décision juridique rétroactive n’était possible que sur quatre années40. Sur la base d’un tel calcul, les versements ne prenaient effet qu’à compter de 2005 au lieu de 1997, ce qui permettait une économie d’un milliard quatre cent mille euros, soit les deux tiers de la somme globale.

39 Pour les médias, cette interprétation était critiquable, inappropriée, voire scandaleuse dans le cadre de l’indemnisation de victimes du nazisme41.

40 Fin 2011, le groupe parlementaire Die Linke fit une nouvelle proposition de loi qui permettait de déroger aux règles du droit social. Elle ne fut soutenue que par les Verts et rejetée par les deux partis de gouvernement, la CDU et le FPD, qui s’en remettaient à la décision au Tribunal social fédéral. Le SPD était sur la même position, se tenant prête, le cas échéant, à proposer un amendement plus favorable aux survivants. Un projet de texte en ce sens fut donc adressé à la commission du Travail et des Questions sociales du Bundestag42, avant d’être définitivement enterré en février 2012, par la confirmation du Tribunal social fédéral43 que le principe de rétroactivité s’appliquerait seulement à compter de 2005.

Quelques données chiffrées

41 Cette nouvelle décision du Tribunal social a, de fait, permis aux caisses de retraite d’économiser près d’un milliard d’euros. En effet, la pension versée au titre de la loi ZRBG atteignant une moyenne de 200 € par mois et par personne, pour les quatre années de 2005 à 2009, les versements sont estimés à une moyenne de 9 600 € par personne, soit près de la moitié des sommes qui auraient pu être versées, si les calculs avaient été faits à partir de 1997. En février 2013, selon les statistiques du gouvernement fédéral, cette loi avait déjà coûté près de 690 millions d’euros : 130 millions d’euros pour la période avant 2005 et 560 millions pour la période de 2005 à 2009, incluant les paiements rétroactifs et les taux d’intérêt. En effet, un taux de pension varie en fonction de l’âge du retraité, d’où un dépassement de 70 euros pour les demandes effectuées après 2005, par rapport aux sommes perçues entre 1997 et 2005. En multipliant le nombre de bénéficiaires actuels ‑ non décédés ‑ de la loi ZRBG par une moyenne de 200 € mensuels, on parviendrait à la somme de 1,3 milliard d’euros44 ; une somme conséquente, dans un contexte déjà tendu pour les caisses de retraite. Les « pensions des ghettos » représentaient déjà, fin 2011, une somme annuelle de 70 millions d’euros, soit plus de deux fois les sommes versées, tous organismes confondus hors loi ZRBG, aux victimes de la Shoah45.

42 Début 2012, la Cour suprême en droit social fit valoir sans équivoque que le Parlement devrait impérativement trancher quant à la possibilité d’une dérogation de

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l’application de la loi commune au profit d’un groupe46. Quoi qu’il en soit, les caisses de retraite avaient dû réévaluer les dossiers de près de 50 000 personnes précédemment déboutées, dont près de la moitié devenaient recevables. Le nombre initialement cité de 71 000 demandes est à minorer d’une part en raison d’une erreur statistique ayant ajouté 7 000 dossiers sans lien avec la loi ZRBG et d’autre part, du fait que 10 000 courriers expédiés restèrent sans réponse, probablement suite au décès des demandeurs ; et, pour 7 000 autres, le décès du requérant a été confirmé. Au total, près d’un tiers des demandes de bénéfice des « pensions de ghetto » n’ont jamais abouti. Dans le même temps, le taux de rejet de dossiers était passé à 15 %47.

43 À ces décomptes concernant les bénéficiaires de la première heure, se sont ajoutées de nouvelles demandes faisant suite à la décision du Tribunal social fédéral de 2009, les versements étant accordés, sans bénéfice de rétroactivité, en fonction de la date de dépôt. S’agissant de ces dernières, sur un total de 20 552 nouveaux dossiers, 10 299 ont été acceptés, 3 852 rejetés et 2 539 retirés à la demande des requérants ou en raison de leur décès.

44 Au total, la loi ZRBG aura permis le versement d’une pension, avec effet rétroactif à compter de 1997, à 10 500 survivants des ghettos. 25 000 ont pu bénéficier d’une pension rétroactive à la date de 2005 et enfin, pour environ 13 000 dossiers, les paiements ont débuté à compter de 2009.

45 Il demeure difficile de fournir des statistiques précises en raison du retard considérable occasionné par les rejets successifs de dossiers par les Cours sociales et les caisses d’assurance retraite : beaucoup de demandeurs sont décédés avant d’avoir été reconnus dans leurs droits. En intégrant ces décès aux statistiques, on constate que 55 % du nombre total de requérants a bénéficié d’une pension.

46 En mars 2013, la majorité CDU et FDP du Bundestag a confirmé, après audition d’experts par la commission du Travail et des Affaires sociales, ne pas avoir à modifier le droit et, par là même, ni les conditions de rétroactivité, ni celles d’une autre forme d’indemnisation48. Toutefois, le 9 mai 2014, le Parlement eut à nouveau à en débattre – lors d’une discussion qui ne dura qu’une quarantaine de minutes49.

47 Cette fois, les partis du gouvernement (SPD/CDU) étaient d’accord avec ceux de l’opposition pour améliorer la condition des anciens travailleurs des ghettos. Le ministère du Travail proposa au vote un nouveau texte accordant le bénéfice d’une pension rétroactive à compter de 1997, indépendamment de la date de dépôt de leur demande. Cette proposition intégrait également une possibilité de choisir le mode de calcul qui était le plus favorable : une pension à taux plus faible, à compter de 1997 ou à un taux plus élevé, à partir d’une date ultérieure50.

48 En février 2015, les survivants qui actuellement vivent en Pologne se virent accorder le bénéfice de la loi ZRBG, dont ils étaient préalablement exclus, du fait d’accords bilatéraux51.

Conclusion

49 En février 2015, le Bundestag parvenait donc enfin à lever les derniers obstacles du périple désastreux dans lequel s’était égarée une politique d’indemnisation en faveur de survivants de la Shoah. Tout avait débuté en 1997 avec une décision du Tribunal social de Cassel entérinée en 2002 par la loi ZRBG. Bien entendu, ce texte, en ne

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fournissant aucune information fiable pour sa mise en œuvre, n’avait pas pour intention première d’exclure la majorité des bénéficiaires, mais d’en offrir le bénéfice à un nombre, alors estimé restreint, d’ayants droit potentiels. Toutefois, les caisses de retraite n’étaient pas en mesure de faire la moindre estimation fiable. Lors d’un débat au Parlement en 2014, le député de la CDU Peter Weiss – expert en questions d’assurances retraite et chargé, depuis 2002, des questions liées à l’application de la loi ZRBG – résuma ainsi les douze années d’errance : Il n’y a pas de quoi être fier de ce qui s’est passé [après 2002] ; telle est la réalité […]. Mais je souhaite le dire clairement : en 2002, il n’était pas de l’intention des parlementaires allemands d’adopter une loi pour laquelle 90 % des personnes concernées ne recevraient aucune prestation, parce que la plupart des demandes seraient rejetées par les autorités52.

50 La Justice était également sous le feu des critiques, comme le formula le député écologiste Volker Beck : Comment est‑il possible qu’un Tribunal social s’imagine que le travail dans un ghetto puisse être juridiquement défini avec les mêmes termes que n’importe quel emploi en République fédérale allemande ? Évidemment, il s’agissait de contrainte. Personne n’était dans un ghetto de son plein gré. Évidemment, il y avait une nécessité pour les personnes d’y travailler : pour obtenir une soupe de plus, quelques zlotys, pour pouvoir acheter quelque chose à manger, pour augmenter les subsides que recevait le Conseil juif pour subvenir aux besoins des gens. Évidemment, il ne s’agissait pas de volontariat, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, même s’il y avait une certaine part de libre décision. Que l’on n’ait pas reconnu cela avec le recul, c’est tout à fait inacceptable […]. Je considère également comme un scandale que la plupart du temps les décisions aient été uniquement prises sur l’interprétation d’un dossier ou l’application formaliste de la loi53.

51 Tout au long du processus d’application de la loi ZRBG, les différentes majorités au Parlement se sont largement désengagées de ce débat. Un changement des pratiques d’accessibilité à la loi n’était pas dans l’intérêt des gouvernements fédéraux successifs qui se satisfaisaient, au contraire, de faire économiser de l’argent aux caisses d’assurance retraite en difficulté. Le ministère du Travail, quant à lui, s’est cantonné à une politique d’inertie, motivée par les difficultés financières de l’État et de son gouvernement.

52 Le cas des « pensions des ghettos » prouve à quel point les mesures de réparation des crimes nazis peuvent être sujettes aux nécessités du moment. Nombre d’errances et d’erreurs commises au XXe siècle ont été reproduites : Berlin, comme Bonn, n’ont pris de position que le couteau sous la gorge, sous la pression d’autres pays ou de l’opinion publique. Dans ce contexte, se sont révélées, au fil du temps, les lacunes des mesures de réparation dont chacune se promettait d’être la dernière.

53 Pourtant, une question évoquée au Bundestag en 2015, en lien avec la loi ZRBG, abordait le statut des anciens prisonniers de guerre soviétiques, ce qui pourrait bien correspondre à un prochain groupe susceptible d’en bénéficier54.

54 Traduit de l’allemand par Johanna Linsler et Nicolas Patin

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NOTES

1. La Cour sociale fédérale (Bundessozialgericht, BSG) traite du droit social en Allemagne. La Cour sociale est l’une des cinq juridictions suprêmes de la RFA.

2. BSG, B 5 RJ 66/95, jugement du 18 juin 1997 reproduit dans Stephan LEHNSTAEDT, Geschichte und Gesetzesauslegung. Zu Kontinuität und Wandel des bundesdeutschen Wiedergutmachungsdiskurses am Beispiel der Ghettorenten, Osnabrück, Fibre, 2011, document no1, pp. 114‑122. Concernant la loi ZRBG, voir aussi Stephan LEHNSTAEDT, „Wiedergutmachung im 21. Jahrhundert. Das Arbeitsministerium und die Ghettorenten“, Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, no61 (2013), pp. 363‑390 ; Jürgen ZARUSKY (dir.), Ghettorenten. Entschädigungspolitik, Rechtsprechung und historische Forschung, München, De Gruyter, 2010 ; une bibliographie détaillée dans Kristin PLATT, Bezweifelte Erinnerung, verweigerte Glaubwürdigkeit. Überlebende des Holocaust in den Ghettorenten‑Verfahren, München, Wilhelm Fink, 2012. 3. Loi du 20 juin 2002, Deutscher Bundestag, Drucksache 14/8583, 19 mars 2002, reproduite dans Stephan LEHNSTAEDT, Geschichte und Gesetzesauslegung..., op. cit. , document no 3, pp. 126‑133. 4. Archives fédérales de la RFA à Coblence (Bundesarchiv désormais BArch Koblenz), B 149/194038, non paginé, Union des caisses de retraite allemandes (Verband Deutscher Rentenversicherungsträger [désormais VDR] au ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales [Bundesarbeitsministerium für Arbeit und Soziales, BMAS], 21 juillet 1998. 5. Ibid., proposition de texte, BMAS, soumise au ministre, 7 mai 2001. 6. Ibid. 7. Ibid., Vorlage des BMAS an den Minister, 7 juin 2001. 8. BArch Koblenz, B 149/194031, non paginé, proposition de texte, BMAS, soumise au ministre, 12 juin 2001. 9. BArch Koblenz, B 149/194033, non paginé, proposition de texte, BMAS, soumise au ministre, 7 décembre 2001. 10. BArch Koblenz, B 149/194038, non paginé, proposition de loi Entwurf über ein Ghettorentengesetz, 13 décembre 2001 ; Ibid., B 149/194032, Internes Schreiben BMAS, 20 décembre 2001. 11. BArch Koblenz, B 149/194039, non paginé, BMAS aux fractions SPD‑ et Grüne, février 2002 (Entwurf). 12. En octobre 2003, les caisses d’assurance n’étaient toujours pas en mesure de donner une estimation du nombre global des demandeurs : LVA Rheinprovinz, Az. IV Ausl. 445/03, LVA Rheinprovinz an Landesversicherungsamt NRW, 22 octobre 2003. 13. Deutscher Bundestag, Drucksache 15/1475, 8 août 2003. 14. Deutscher Bundestag, Drucksache 16/1955, 26 juin 2006. 15. Jürgen ZARUSKY, « Hindernislauf für Holocaustüberlebende. Das „Ghettorentengesetz“ und seine Anwendung », Die Tribüne, 47 (2008), pp. 155‑161.

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16. Guy MIRON (dir.), The Yad Vashem Encyclopedia of the Ghettos During the Holocaust, Jerusalem, 2009; Martin DEAN (dir.), The United States Holocaust Memorial Museum Encyclopedia of Camps and Ghettos 1933‑1945, vol. II: Ghettos in German‑Occupied Eastern Europe, Bloomington, Indiana University Press, 2012. 17. Un aperçu général concernant les territoires occupés par l’Allemagne nazie peut être trouvé dans Jürgen HENSEL, Stephan LEHNSTAEDT (dir.), Arbeit in den nationalsozialistischen Ghettos, Osnabrück, Fibre, 2013. 18. Pour un cas représentatif, voir BMAS‑Az. 43754/40, 41, 42, VDR an BMAS, 30.1.2003. 19. BMAS‑Az. 43754/25, MAIS NRW an BMAS, 1 er octobre 2004. [Den „tatsächlichen Bezug von Verpflegung, Sachgütern etc. in einem die Versicherungspflicht begründenden Umfang zur Voraussetzung zu machen, erscheint mir angesichts der unvergleichlichen Lebensverhältnisse als wenig sinnvoll und für die Betroffenen als belastend“] 20. Ibid., BMAS an MAIS NRW, 24.11.2004, ohne Az. 21. BMAS‑Az. 43754/61, 67, 68, Protokoll eines Treffens der Deutsch‑Israelischen Parlamentariergruppe zum ZRBG, am 30.6.2005 (enregistrement audio). 22. BMAS‑Az. IVb1 – 43754/72, circulaire du BMAS aux secrétaires d’État, 24 février 2006. [„jährliche Aufwendungen von rd. 270 Mio. Euro mit abnehmender Tendenz, bei Nachzahlungen für die Zeit ab 1. Juli 1997 einmalig rd. 2,5 Mrd. Euro“] 23. BArch Koblenz, B 149 / 194038, non paginé, LVA Hamburg an BMAS, 16.3.2001; Sitzung der Ad‑hoc‑Projektgruppe „Ghetto‑Gesetz“, am 27 et 28 mai 2002 in Frankfurt a.M. 24. Ce sujet est abordé dans la monographie de Kristin PLATT, Bezweifelte Erinnerung…, op. cit. 25. Deutscher Bundestag, 127. Sitzung am 16.11.2007, Protokoll pp. 13399‑13401. S. LEHNSTAEDT, Geschichte und Gesetzesauslegung..., op. cit., pp. 23‑25. 26. Deutscher Bundestag, Drucksache 16/1955, 26 juin 2006, p. 3. 27. Sur le processus parlementaire, voir Kristin P LATT, Bezweifelte Erinnerung… op. cit., pp. 90‑94. 28. BMAS‑Az. 43754‑Vormappe 9, BMAS au BMF, 28 août 2007. 29. Ibid., Stellungnahme des BMAS zur Anerkennungsrichtlinie/Kabinettvorlage des BMF, 31 août 2007. 30. Ibid., Sprechzettel des BMAS für den Minister F. Müntefering für die Kabinettsitzung am 19 September 2007. [„Es bleibt abzuwarten, ob mit dieser Einmalzahlung von 2000 Euro eine Befriedung [!] der Situation erreicht werden kann.“] 31. BMAS, Az. 43754/93‑96, Erhebungen der DRV Bund vom 26.9.2008 ‑ Zahlen zum ZRBG. Les écarts dans les totaux sont dus à l’absence de données recueillies par les assureurs. Pour la caisse d’assurance du Nord, il s’agit d’une estimation partielle fondée sur les chiffres de juin 2007. 32. Stephan LEHNSTAEDT, Geschichte und Gesetzesauslegung..., op. cit. , pp. 89 et 99‑104; Kristin PLATT, Bezweifelte Erinnerung..., op. cit., pp. 74‑90. 33. SG Düsseldorf an LSG NRW, 23.7.2008, Az. D 283‑21. 34. BSG, B 13 R 81/08, in Entscheidungen des Bundessozialgerichts, Köln, 2010, Vol. 103, pp. 190‑201; BSG, B 13 R 85/08 R, et B 13 R 139/08 R, Ibid., pp. 201‑205, Jugement du

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2 juin 2009 ; BSG, B 5 R 26/08 R und B 5 R 66/08 R, ibid., pp. 220‑228, décision du 3 juin 2009. 35. Stephan LEHNSTAEDT, Geschichte und Gesetzesauslegung…, op. cit., pp. 90 et suivantes.

36. Matthias RÖHL, „Die Kehrtwende von Kassel. Das Bundessozialgericht erfindet das Ghettobeschäftigungsverhältnis neu“, Die Sozialgerichtsbarkeit, 56 (2009), pp. 464‑468. Voir aussi Robert PROBST, „Endlich Lohn für die Arbeit im Ghetto“, Süddeutsche Zeitung, 3 juin 2009. 37. Terminbericht Nr. 32/09 des Bundessozialgerichts, 13. Senat, 2 juin 2009. Un résumé du contenu principal du jugement et le rapport final : Nr. 33/09, 5. Senat, 3 juin 2009. Le rapport final est disponible sur la page payante du site juris.de. 38. BMAS‑Az. 43754/103, circulaire interne au BMAS, 9 juin 2009. [„Auf Basis grober Schätzungen muss damit gerechnet werden, dass die Rentenversicherung einmalige Nachzahlungen in Höhe von 2 bis 3 Mrd. Euro tragen muss und jährliche Aufwendungen von bis zu 200 Mio. Euro entstehen. Letztere werden allerdings nur über einen begrenzten Zeitraum zu zahlen sein, weil künftig keine neuen Renteneingänge zu erwarten sind.“] 39. Gedächtnisprotokoll zur Ressortbesprechung, 16 juin 2009, Aktenzeichen des Bundesfinanzministeriums : IV B 4 – O 1473/06/10001:002, voir aussi Klemm/ 2009/0412321/Caster. [„Minister Steinbrück habe die Weisung gegeben, strikt auf Begrenzung der finanziellen Auswirkungen zu achten.“] 40. §44 Abs. 4 Sozialgesetzbuch X. Sur la discussion juridique à propos de la ZRBG, voir Wolfgang BINNE, Christoph SCHNELL, „Die Rechtsprechung zum Gesetz zur Zahlbarmachung von Renten aus Beschäftigungen in einem Ghetto (ZRBG) und die Umsetzung durch die Rentenversicherung“, Deutsche Rentenversicherung (2011), H.1, pp. 12‑31, ici pp. 21‑30. 41. Pour un cas représentatif voir Christoph SCHULT, „Im Zweifel gegen die Opfer“, Der Spiegel, 8 mars 2010, p. 81. Sur les questions juridiques voir Ulrich FREUDENBERG, „Beschäftigung gegen Entgelt im Rahmen von Ghetto‑Renten“ in Ralf Thomas BAUS et al. (dir.), Im Plenum. Aktuelle Fragen des Sozialrechts. Erste rechtspolitische Gespräche zum Sozial‑ und Arbeitsrecht, St. Augustin, Berlin, Konrad Adenauer Stiftung, 2010, pp. 131‑152, ici pp. 144 et suivantes. 42. Deutscher Bundestag, Drucksache 17/7095, 30 novembre 2011; Deutscher Bundestag, 155ème séance, le 26 janvier 2012, compte‑rendu pp. 18644‑18649. 43. Compte‑rendu de réunion Nr. 7/12 des BSG, 5. Senat, 9 février 2012, réf. B 5 R 76/11 R et al. 44. Tous les chiffres proviennent du Deutscher Bundestag, Drucksache 17/13204, 23 avril 2013. Voir aussi le rapport final du ministère du Travail sur l’évaluation de la ZRBG, 2 décembre 2011. 45. José BRUNNER et al., „Komplizierte Lernprozesse. Zur Geschichte und Aktualität der Wiedergutmachung“, in José BRUNNER (dir.), Die Praxis der Wiedergutmachung. Geschichte, Erfahrung und Wirkung in Deutschland und Israel, Göttingen, Wallstein, 2009, pp. 9‑47, ici p. 14. En 2006, les indemnités versées aux survivants de la Shoah s’élevaient à 30 millions d’euros. 46. Compte‑rendu de réunion Nr. 7/12 des BSG, 5. Senat, 9 février 2012. B 5 R 76/11 R et al.

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47. Rapport final du ministère du Travail sur l’évaluation de la ZRBG, 2 décembre 2011 (voir note 25). 48. Sur la prise de position des experts, voir Ausschuss für Arbeit und Soziales, Drucksache 17(11)1022neu, 6 décembre 2012. Pour le débat en plénière et le résultat des votes, voir : 17. Deutscher Bundestag, 231, séance du 21 mars 2013, compte‑rendu, pp. 28903‑28909. 49. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière 18/34, 9 mai 2014, pp. 2917‑2924. Pour la proposition de loi, voir Drucksache 18/1308, 5 mai 2014. 50. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière, 18/39, 5 juin 2014, pp. 3402‑3409. 51. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière 18/88, 26 février 2015, pp. 8376‑8382. 52. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière 18/35, 9 mai 2014, p. 2919. 53. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière 18/35, 9 mai 2014, p. 2920. 54. Deutscher Bundestag, compte‑rendu de séance plénière 18/88, 26 février 2015, p. 8380. [NdlR] 20 mai 2015, agence Reuters : « Berlin prévoit de verser au total 10 millions d’euros d’indemnités à 4 000 anciens prisonniers de guerre soviétiques détenus dans les camps allemands entre 1941 et 1945, a‑t‑on appris mercredi de sources proches de la coalition gouvernementale. Les chrétiens‑démocrates de la chancelière Angela Merkel et leurs partenaires du Parti social‑démocrate (SPD) se sont mis d’accord sur le versement de cette somme, chaque prisonnier survivant devant recevoir 2 500 euros. Quelque 5,3 millions de soldats de l’Armée rouge ont été faits prisonniers par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale et plus de la moitié ont péri en détention – exécutés, morts de faim ou de maladie. »

RÉSUMÉS

Cet article analyse la politique de « réparation » allemande au début du XXIe siècle à travers l’exemple de ce qu’on désigne sous l’expression « pensions de ghetto ». Il se fonde sur des documents rendus accessibles par la Loi sur la liberté de l’information. À partir de 2002, d’anciens internés des ghettos ont pu bénéficier du système de sécurité sociale allemand s’ils étaient à même de prouver qu’ils avaient travaillé dans des conditions bien spécifiques. Jusqu’en 2009 cependant, plus de 90 % des requêtes ont été rejetées parce que les fonds de pension et le gouvernement souhaitaient avant tout faire des économies, sans que les juges aient marqué leur volonté de mettre fin à ce scandale. Ce n’est qu’en 2009 qu’une décision historique a modifié ce comportement mais même depuis lors il apparaît clairement qu’aujourd’hui comme dans la seconde moitié du XXe siècle, de telles indemnisations sont perçues en Allemagne comme un fardeau indésirable.

The article examines German compensation politics at the beginning of the 21st century on the example of the so‑called Ghetto labour pensions. Basis are documents acquired via the Freedom of Information Act. After 2002, former Ghetto inmates could get payments from the German

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social security system if they proved they had worked under specific conditions. However, until 2009 more than 90% of all claims were rejected, because pension funds and the government wanted to save money – and judges were not willing to put a stop to this scandal. Only in 2009 a groundbreaking verdict changed this behaviour, but even afterwards it is quite clear that compensation in Germany still is, just like in the 20th century, an unwanted burden.

תקציר: מאמר זה מנתח את מדיניות הפיצויים הגרמנית במאה ה21- על פי הדוגמא של מה שקרוי "הגימלאות של הגטו". הוא מתבסס על המסמכים שהפכו נגישים בעקבות החוק למידע חופשי. החל משנת 2002 היו כלואי הגטאות זכאים לביטוח הלאומי הגרמני אם היה ביכולתם להוכיח שאכן עבדו בגטאות בתנאים מוגדרים. עם זאת, עד שנת 2009 כ%90- מן הבקשות נדחו היות והממשלה ביקשה לחסוך בהוצאות ובתי המשפט לא הביעו כל רצון ליישב את הסקנדל. רק ב2009- שינה פסק דין היסטורי את התנהלות העניין, ואולם גם היום, ממש כמו במחצית השניה של המאה ה20-, ברור כי ממשלת גרמניה רואה בפיצויים אלו מטלה בלתי רצויה.

AUTEUR

STEPHAN LEHNSTAEDT Touro College Berlin

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Not Facing the Past: Restitutions and Reparations in Italy (1944‑2017) Ne pas se confronter au passé : restitutions et réparations en Italie (1944‑2017) אל תמעתהל םע רבעה : של תלא ה םימוליש םייוציפהו הילטיאב (1944‑2017)

Ilaria Pavan

1 In November 1950, a memorandum of the Union of Italian Jewish Communities, the central organization representing Italian Jews, bitterly noted that “while the restoration of Jewish rights has been fully achieved from a social and political standpoint, it has been totally inequitable from a financial one, especially in contrast to the treatment of those removed from their posts for Fascist ties and later reinstated, who have been paid their entire salaries for the time they were out of service. It is obvious that the mental and financial hardship visited on the victims of racial persecution are not comparable to that of expelled Fascists!!!”1

2 This document captures a paradoxical situation, in which certain measures passed in the post‑war period to accommodate former collaborators with the Mussolini regime were more generous than those on behalf of people who had suffered seven long years of persecution. Italian Jews as well found the return to normal life to be a rocky and wearisome path.2 For them, the psychological need to put the past to rest was combined with a desire to rapidly find their place within the newly founded Republic; for the new democratic institutions, a definite underestimation of the specific nature and consequences of Fascism’s antisemitic campaign was joined to an unwillingness to fully face one of the most tragic chapters in the regime’s history, that of racial persecution, tending to shift all responsibility to the country’s Nazi allies. This narrative of the “bad German” versus the “good Italian”,3 which took shape just after the war, would enjoy long‑lasting popularity, to the point that even today it is a widespread theme of public discourse about Jewish persecution.4

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3 The pages that follow attempt to provide a rapid and partial reconstruction of some measures of restitution and reparation adopted by the first post‑Fascist administrations on behalf of Jews.5These measures reached their peak in 1945‑1947 and had a final addendum in 1955, with the passage of a law‑still in force‑, that awarded former victims of persecution some compensation for their suffering in the form of a life pension. In 1955 the most significant measures on behalf of Jews came to an end, and as the above memorandum pointed out, they could be deemed vastly insufficient.

4 In the Nineties, the period of antisemitic persecution came back into the political spotlight even in Italy, as part of a new wave of international attention focused on the consequences of the Shoah from a financial standpoint as well, due to the phenomenon of the Holocaust litigations. Nevertheless, as we shall see, the Italian response was once again characterized by resistance, reticence and silence.

Restitution, compensation

5 While the confiscation of Jewish property was carried out over a relatively short span of time (in most cases, the most extensive expropriations were in 1943‑45), for former victims of racial persecution the process of recovering their property turned out to be complex and riddled with contradictions. The restitution process began on October 5, 1944, with the entrance into force of a decree that repealed the primary anti‑Jewish measures affecting assets passed by the Fascist government. Nevertheless—an initial paradox—it did not shut down the Agency of Property Management and Liquidation (EGELI), founded by the regime in the winter of 1939 to administrate and sell real estate confiscated from the Jews, and it was to this bureau that victims would have to apply for the restitution of property still in the agency’s possession. On June 5, 1946 these measures were rounded out by the decree “Claims on property seized, confiscated, or otherwise taken from those persecuted for racial motives under the regime of the self‑styled government of the Social Republic”, which became the main text governing restitutions. It established that “the owners of assets [moveable property or real estate] that had been subject to seizure, confiscation or other acts to the detriment of individuals who declared themselves or were considered to be of the Jewish race, or their heirs, could claim their property from anyone in possession or custody of it”. Nevertheless, when the Jewish property managed by the EGELI had been sold during the period of persecution, the decree limited the victims’ concrete ability to reclaim it, since the foregoing was to be “without prejudice to the rights acquired by third parties in cases where the law allows the purchase to be considered legitimate since it was made in good faith”. It therefore fell to the Jews themselves to prove the bad faith of the buyers through drawn‑out and chancy lawsuits. This provision—radically different from the analogous French and Swiss law—6ignored a proposal made by former victims two years earlier. At the end of 1944, the Minister of Justice, Umberto Tupini of the Christian Democrats, had received many requests to make it “possible to reclaim moveable property and financial assets from any third‑party buyer, whether in good or bad faith”.7 Even then the Minister had been opposed to this request, observing that it would undermine “a traditional principle central to all modern systems of law,” the fact that a purchase in good faith “erases all irregularity”.

6 “An exception in this regard,” Tupini went on to say, “would compromise the speed and security of transactions, a speed and security that are the heart and soul of

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commerce”.8The Minister’s words seem to overlook or in any case underestimate the fact that what had happened to the property of Jews in previous years had already grossly undermined “a traditional principle central to all modern systems of law”. The negation of property rights that had befallen the Jews under Fascist law was probably a circumstance that would justify legislation in the post‑war period that deviated somewhat from “traditional principles”. But the new democratic government, with the provisions contained in the decree of May 1946, had in essence chosen to favor the rights of those who had profited from persecution over those of the victims.

7 The laws on restitution contained other contradictions, however: according to an article of the aforementioned decree of 1946, former victims were to refund the EGELI, that is, the state, for what the agency had spent during the period of persecution to administrate the confiscated property; the Jewish owners were to be charged “in addition to expenses for the normal management and preservation of the assets, for all expenses regarding their management, maintenance and repair, as well as fees due to the property managers entrusted with it during the period of confiscation”. One ought to point out that the Italian law not only charged Jews for the cost of managing the property that had been expropriated from them, but did not envision any form of investigation into how EGELI or its managers had actually administered the property placed under their control in the period from 1939 to 1945. In contrast, French legislation called for all “confiscators, managers, temporary administrators or liquidators” of Jewish assets to give a detailed accounting of their management, and no form of retribution—which in any case would come from the state and not the victims— would be paid if they failed to demonstrate that they had cared for it with the proper diligence of a “bon père de famille”.9

8 As one might expect, the EGELI’s demand for payment met with protest from former victims. As one wrote in a letter addressed to the agency officials in 1947: You now nonchalantly […] refer to [the Social Republic] as a ‘self‑styled government’, yet you served it faithfully as the enforcers and perpetrators of all the abuses dreamed up by the Nazis and Fascists to persecute people for their race. […] And now, after more than 21 months, you summarily present us with a TOTAL bill of over twice the sum obtained with such effort: ethical questions aside, it would be unacceptable to have victims of persecution pay the expenses for a form of management that was conceived by their tormenters to do them injury, seizing the property of those destined for the gas chambers. We would like to point out that we never appointed you to be our guardians.10

9 Even the wording used in the demands for payment that the victims received by was paradoxical. The EGELI wrote: “you are invited to pay the sum [...] due as a result of the management of property prejudicially confiscated from you”. For many Jews the new democratic state did not appear substantially different from the previous one, at least not in terms of the Kafkaesque mechanisms of its bureaucracy, which seemed characterized by the abuse of power just as it had been in the period of persecution. Backed by the Union of Italian Jewish Communities, which explicitly advised against paying such expenses, in most cases the victims did not comply with the requests for payment, even when, in 1951, the EGELI offered a 50% reduction of the sums it was demanding. In 1956 the EGELI reissued these payment requests to the Jews to prevent them from becoming null and void, since the ten‑year statute of limitations set by the decree of May 1946 was coming to an end.

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10 This matter was finally put to rest only starting in 1957, when the official dismantlement of the bureau began. In May of 1958, a memo from the Ministry of the Treasury recommended rescinding, due in part to “ethical, legal and financial” considerations, the demands for reimbursement that EGELI had previously issued in view of the upcoming “expiry of the statute of limitations (December 24, 1958)”, and absorbing “the assets of Jewish origin [not yet claimed and still in the agency’s possession] as a fair recompense settling the case”. In January 1960 the Avvocatura dello Stato (the office responsible for defending the government in lawsuits) expressed itself as follows, putting an end to the question of unclaimed Jewish goods still in the custody of the treasury: In conclusion, it is our view that since over ten years have elapsed since June 5, 1946, the date on which decree no 393 of May 5, 1946 entered into force, the state has acquired ownership of the confiscated property, and is moreover freed of the obligation to pay back the price of sale and any revenue from the three‑year period preceding the claim. The state may therefore do as it sees fit with the aforementioned property.11

11 Realizable assets such as bonds, stocks and objects of value were therefore absorbed by the state over the course of the Sixties; they had belonged to 23 victims of persecution, 19 of whom died as deportees. The remaining assets, comprising stocks, bonds and objects “no longer of any value” were instead destroyed in April 1970: burned in the fireplace of the Liquidation Office at the Ministry of the Treasury.

12 The restitution of assets was only one of the policies meant to make amends for the wrongs suffered by Italian Jews under persecution. One must also consider the initiatives that the new republic undertook regarding reparations for the former victims, to offer some ethical remedy as well for the suffering they had endured. It took ten years after the end of the conflict for a law to be issued in March 1955, “Compensation for victims of political and racial persecution and their surviving relatives”, also known as the “Terracini Law”, after Communist senator and well‑known anti‑Fascist activist Umberto Terracini (himself of Jewish origin), who introduced it. Given the long period that had passed since the end of the war, the law’s approval and the compensation that was issued (starting in the winter of 1957) was more a symbolic acknowledgment — however significant — than a concrete means of support for those who had suffered the racial violence of the Fascist period. The bill had also had a long, difficult journey;12 introduced back in January 1952, it was approved only two years later—in the right‑wing dominated political scenario brought about by the general elections of 1953—and only after the Parliament had approved a measure granting a pension even to veterans who had served in the collaborationist army of the Italian Social Republic.

13 The Terracini Law allowed for Jews who were recognized by a special ministerial commission to be “victims of racial persecution” to be granted a life pension for the suffering they had endured. Nevertheless, this was only if certain conditions were met: the victims had a right to compensation only if, as a result of concrete anti‑Fascist activities, they had incurred a considerable impairment (at least 30%) of their ability to work, or if this disability was the result of imprisonment, exile, or “violence and torture”. Moreover, everything that happened to the Jews after September 8, 1943—the most tragic period, linked to the stage of mass deportation—was not taken into consideration. The law therefore offered no compensation to Jews for their persecution as Jews, granting it only to Jews who had played a role in the struggle against Fascism:

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as in France, the new Republic was founded on the legend of the Resistance, hence resistance fighters were the primary focus of the new state.

14 The rigid outlook of the ministerial commission tasked with examining applications— which led to more than one bitterly paradoxical episode—13 was such that as of 1998, only 55314 Jews had obtained compensation, a slim number compared to the thousands who had undergone persecution. Over the years its attitude led many former victims to turn to the courts to have their right to a pension acknowledged. As we will see, it was only in the Nineties, more than forty years after the Terracini Law was passed, that several decisions of the Corte dei Conti (Court of Auditors) helped alter the commission’s behavior.

The turning point in the Nineties: a missed opportunity?

The experience of the Anselmi Commission

15 In December 1998 the “Commission to Reconstruct Events Related to the Acquisition of Property from Jewish Citizens by Public and Private Bodies in Italy” was founded. 15Known as the “Anselmi Commission” after the senator who chaired it, Tina Anselmi, this commission reflected a phenomenon not limited to Italy: between 1996 and 2001, over twenty government commissions were set up around Europe in order to investigate the extent and consequences of expropriations from Holocaust victims.16

16 However, compared to other similar commissions in Europe, the Anselmi Commission had a series of inherent weaknesses. For example, it included very few historians: only three out of its thirteen official members, most of whom came from the upper echelons of the ministerial bureaucracy or from insurance or banking associations. These were people unfamiliar with the tasks of a historian, who in the end did not concretely contribute to the research or to drafting the report that the commission produced at the end of its investigation. Although over the months the number of researchers was expanded to reach a final total of 15 scholars, the contrast with similar European commissions remains particularly striking, given that in France the Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France could rely on the work of 149 researchers,17 and in Austria the Historikerkommission der Republik Österreich on no fewer than 160.18

17 The time that the Anselmi Commission was initially granted to carry out its task, six months, also contrasted sharply with decisions made elsewhere in Europe—the Austrian and Swiss commissions were allotted five years, while the French one was given four. The Italian government therefore seemed to show a certain obliviousness to the complexity of the investigation that the commission was called upon to carry out, an investigation hampered by the total absence of specific studies on the topic. Although the Nineties brought a new wave of Italian historiography regarding the period of Fascist antisemitism19 and led to a reassessment of many paradigms of interpretation that had been widespread up to then, at the end of 1998, research into the financial consequences of Fascist persecution lacked all footholds of reference. Considering this, it would have been wiser to grant a more appropriate and reasonable time span from the outset (the commission was later given two extensions while work was underway, meaning that it was active for a total of about 24 months). One must also wonder whether the timeframe initially assigned betrayed the biased belief that

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the events that the commission was to reconstruct would be of limited scope, given the popular opinion—deeply rooted at the time—that considered Fascism’s antisemitic legislation to have been mild, and applied by the regime and its bureaucracy without much zeal or conviction, especially in financial matters.

18 But aside from the resources and time allocated to carrying out the investigations, I believe other aspects were even more significant. The decree establishing the commission merits special attention itself due to the phrases that the Italian government chose to employ, or rather, chose not to employ. It was a brief text composed of only two articles, the first of which outlined the scope of the commission’s task, and due to its wording, ended up reflecting a certain view of the events linked to Fascist persecution of the Jews: A commission is hereby established at the Presidency of the Council of Ministers for the task of reconstructing events in Italy related to the acquisition by public and private concerns of property belonging to Jewish citizens. [...] the commission — which will interact with similar bodies in other countries — will consult the public archives, and, making the necessary arrangements, the archives of private institutions.20

19 The directive seemed both broad and vague: the commission had “the task of reconstructing events in Italy related to the acquisition by public and private concerns of property belonging to Jewish citizens”, this was, essentially, a repetition of the official name assigned to it. The commission was not explicitly tasked with investigating what happened after the expropriations, i.e., the period of post‑war restitutions (although in practice, it did attempt to carry out inquiries in this regard), as if the end of the war and the racial laws had automatically settled every question opened up by the period of persecution.

20 But what is especially striking is the lack of any reference to the specific historical context in which the events at the center of the investigation had taken place: the word “Fascism” appears nowhere in the text, nor do the phrases “Italian Social Republic” or “antisemitic persecution”. No political or historical reflection emerges regarding those events or the period in which “the acquisition by public and private concerns of property belonging to Jewish citizens” took place. As a result, the directive given to the commission by the executive branch did not contain even the subtlest trace of the Italian government’s desire to achieve any historical, political, or moral clarity through the study.21 Nor could one see any acceptance of responsibility towards the victims of antisemitism, or a commitment to redress any wrongs that might be found to still deserve some compensation or reparation, to make up for all the limitations and contradictions that—as we have seen—characterized the post‑war restitution laws.

21 The Italian text is therefore a neutral, fundamentally reticent one, in which “the acquisition by public and private concerns of property belonging to Jewish citizens” might just as well have taken place in the Middle Ages or in the 1970s. Who was responsible for this “acquisition”, in what context and in the name of what policies or ideologies, was not stated. The sources do not make it possible to investigate the motivations behind this wording of the decree, or to identify who actually drafted it. What is certain is that outlined in this way, the government’s directive seemed to hover in a sort of atemporal and ahistorical vacuum.

22 One ought to emphasize that despite the aforementioned limitations on its time and resources, the Anselmi Commission carried out a careful and extensive investigation,

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often going well beyond the task assigned to it. But above all, the results of that inquiry, later condensed into a General Report some 600 pages long, can leave few doubts about the pervasiveness of the financial persecution under Fascism, the discriminatory measures introduced, or the zeal of the bureaucracy that diligently applied them from 1938 to 1945. The Commission’s work thus showed how the bureaucratization of genocide, visible even in the stage of financial persecution of the Jews (a stage that throughout Europe had preceded or accompanied the phase of deportation), was a phenomenon that applied to Italy as well.

23 The General Report was presented to the government in the early days of May 2001. During the press conference, Giuliano Amato, the new prime minister, seemed quite struck by the extent of the spoliation visited on the Jews. However, in addition to expressing surprise at the results of the Amato Commission’s investigations, Amato made observations that, in keeping with widespread popular opinion, tended to circumscribe Italy’s responsibilities, making reference to the innate disposition and inherent goodness of its people: “A mild‑mannered nation that was not racist, and indeed responded to the racial laws with incredulity, soiled its hands in the end with a foul crime”. And it was “Evil, in the biblical sense”, the prime minister went on to say, that had spread “to devastating effect through a country that was not itself prone to racist outlooks”. On an official, important public occasion like the presentation of a study that for the first time spelled out the effects of Fascist persecution in black and white, with dates and figures, one of the country’s highest officials chose the uncomplicated, comforting concept of metahistorical “evil” as the main interpretation for the long period of racism and its clearly apparent consequences.

24 The day after the presentation of the report, several articles in the main national papers—22not many, in truth—gave some resonance to the commission’s work, highlighting the severity of the financial spoliation undergone by the Jews. But interest petered out very quickly and in just a few days, the entire matter had fallen into almost complete oblivion. At the end of May, Tina Anselmi, in an interview with La Repubblica, 23 appealed to the government not to let their work be forgotten: “I truly hope the new administration will not let our labor go to waste”—and, emphasizing that especially in regard to the post‑war period of restitutions, there were still “many, many things yet to be done,” expressed the hope that a “special office would be set up to coordinate these operations”.

25 A few months later, Tina Anselmi’s hopeful tone had become one of open indignation. For the Day of Remembrance in 2002, the senator gave another interview in which she brought up the government response—this time of the Berlusconi administration, which had won the elections in May 2001—complaining that: The administration has had the commission’s final report for ten months now. Where is it? Outside Rome, in some warehouse, I don’t know where. Despite the fact that the law calls for the report to be passed on to the deputies, senators, regional administrations, and state institutions. And associations... I’ve pointed out that continuing the job was in the government’s interest, too. Everyone told me I was right. Months have gone by and there has been no response. Not even a negative one. Meanwhile, everything is at a standstill.24

26 This last polemical statement to the press essentially brought to a close the rather limited public attention granted to the commission’s work. While the constant institutional changes that characterized the period from 1998 to 2001 (with the

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alternation of the Prodi, D’Alema, Amato and Berlusconi administrations) probably did not facilitate the realization and coordination of the initiatives hoped for by Tina Anselmi, no legislative initiatives have been adopted by the Italian administrations that have succeeded them in the fourteen years since, and no additional studies have been conducted.

Historicizing justice. The case of the Terracini Law

27 In January 2014, the Court of Padua notified Adele Drutter that the hearing for the lawsuit that she had brought against the Ministry of Economy was postponed until the following year, even though in 2015 the woman would be turning 105. A victim of racial persecution born in 1920, Adele had been battling Italian bureaucracy to obtain a life pension (an average monthly sum of 430 euros) based on the aforementioned Terracini Law of 1955, still in force. Her story is just one of many related to the application of that law over the past seventy years. Mrs. Drutter, like hundreds of her fellow Jews, had appealed to the courts after her application was turned down by the ministerial commission responsible for issuing this pension. This commission, set up at the Presidency of the Council of Ministers,25 had applied a very narrow and restrictive interpretation over the decades, granting it only to Jews who could prove they had suffered physical violence and only in relation to events that took place before September 8, 1943.

28 In the late Nineties, hence at the same time as the upsurge in international attention to the issue of compensation for Holocaust victims, some decisions of the Corte dei Conti contributed to a significant turnaround after years of quite severe, even punitive application of the compensation laws. With a decision of March 1998,26 the Corte dei Conti put an end to the long dispute surrounding the concept of violence referred to in the text of 1955; emphasizing the spectrum of rights of the individual protected by the Italian constitution, it affirmed that the violence suffered by the Jews had been not just physical, but psychological: The function of solidarity and goal of compensation in the law in question cannot refer to physical harm alone, to the exclusion and erasure of the other fundamental qualities of the individual that, like physical well‑being, are protected under the constitution. Rather, the intention of the laws in question regards the well‑being of the individual as a whole in all its many facets. Limiting the law’s function of solidarity and compensation only to events that caused physical harm would mean arbitrarily singling out, within the sphere of individual rights, one element of value, overlooking all the others — such as dignity, honor, identity, etc. — that form a harmonious, indivisible whole along with it.

29 Though it clarified the broad reach of the concept of violence, the decision did not put all problems of interpretation to rest. The inconsistency regarding the law’s applicability only up to the date of September 8, 1943 remained, and the judges also ruled out the idea that “mere subjection to antisemitic laws would be enough to constitute violence”. To be entitled to compensation it was therefore necessary for the persecutory laws, and racial prejudice that inspired them, to have been “concretely applied in the form of harmful actions”. The category of “mere subjection” to antisemitic laws left open two different paths of interpretation: did the passage of persecutory legislation constitute, in itself, an act of violence to the individual’s

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inviolable rights, or was it necessary for there have been a specific measure of implementation that infringed on those rights in a more concrete fashion?

30 In 2003 the Combined Sections of the Corte dei Conti were therefore convoked again with the task of clarifying for once and for all “whether the concrete measures implementing anti‑Jewish laws (including expulsions from the public schools) should be considered mere subjection to race laws, or whether they could instead be abstractly considered sufficient to embody a specific harmful action on the part of the state apparatus aimed at harming the individual’s inviolable rights”.27 The reference to expulsions from the public schools was connected to the circumstances that had led to the Court’s new intervention. Nella Padova, expelled from elementary school in 1938 for being Jewish, then arrested and held in the Modena prison in the spring of 1945, had attempted to obtain compensation from the state back in 1956, when she sent in an initial application that proved fruitless. In 1992, a second attempt was also turned down by the ministerial commission, which rejected the application as not meeting the legal requirements. Nella Padova therefore appealed this decision with the Emilia Romagna section of the Corte dei Conti, which in a decision of 2001 not only overturned the commission’s ruling, but ruled that the woman was entitled to compensation starting from 1956, the date in which she had presented her first application. Action by the Ministry of the Economy, which was opposed to this decision, had therefore brought the question before the Combined Sections of the Corte dei Conti, which handed down their ruling in 2003. It is significant, in my opinion, that many passages in that decision led toward what could be called a true “historicization” of rulings in this field: in the words of the judges, the historical context won out over a literal interpretation of the regulations, and in the new interpretation that was proposed, one could see traces of the many recent historical findings about Jewish persecution that had more clearly demonstrated its breadth, its administrative and bureaucratic mechanisms, and its concrete repercussions: It can be observed that the legislative decision, unequivocally ‘public’ and ‘political’ in origin, regarding the acts of violence for which the state is offering reparation [...] in itself establishes the absolute nature, coercibility and hence ontological intensity of the persecutory force to which the law relates, in that it was deployed by public authorities that were institutionally empowered to implement measures of persecution.

31 The judges also dealt with the question of the time limit set by the Terracini Law: September 8, 1943, a limit that had led to the rejection of applications concerning wrongs inflicted subsequent to that date. To overturn the previous interpretations, upholding the legitimacy of granting compensation even for events that occurred in the period from 1943 to ’45, the court invoked “the inseparable historical context” that a judge could not help but take into account when making a decision: As regards the identification of time limits of applicability for the law concerning the pension of merit, it should be generally observed that any legal evaluation of the conditions for acknowledging the right to this benefit for victims of political and racial persecution cannot, on the one hand, be separated from the essential historical context within which the persecution of these citizens developed and came about.

32 The rulings of 1998 and 2003 definitely marked a turning point in the interpretation and application of the Terracini Law. Nevertheless, the ministerial bureaucracies failed to fully embrace this new orientation, as if even the country’s institutions still had difficulty arriving at an understanding of the racial chapter of Fascism as a widespread,

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conscious historical awareness and perspective. While overall, the attitude of the ministerial commission unquestionably changed—to the point that 453928 applications from former victims were approved between 2001 and 2012 (83% of those presented since 1955)—in many cases it still refused to grant compensation: from 1998 to 2015, 236 suits were argued before various sections of the Corte dei Conti, resulting from as many rejections by the commission. 29

33 Noting that very narrow interpretations of the Terracini Law continued to be applied even after the new guidelines set by the judiciary, the Presidency of the Council of Ministers (to which, one should recall, the commission answered) also felt the need to intervene. A circular issued on July 22, 2005 by the undersecretary to the President30 confirmed that the law had been extended to included events that took place after September 8, 1943, given that the racial laws had remained in force “with a further exacerbation of discriminatory and persecutory acts, as can be seen from incontrovertible historical evidence”. The memo listed what events should be considered “acts of violence”, i.e., “exclusion from enrollment in school courses”, “loss of one’s job” (whether employed in the public or private sector), “loss of copyright revenue”, “being sent to forced labor”, or “forced emigration”. It was also announced that all provisions for Italian Jews were extended to include Jews resident in Libya. Another significant element in the text of this circular is the reference to historiographic consensus as an element of proof: in the absence of official documentation that could back the Jews’ requests, decades after the events in question, “reliable historiographic works on the events in question containing references to episodes and individuals” could be used as evidence. Nevertheless, not even this circular from the Presidency of the Council seems to have solved every problems.

34 Even in 2014, a decision by the ministerial commission had forced F.M. to appeal. Born in Benghazi in 1928, the elderly lady had actually applied for and been granted the pension in 2007. In 2012, displaying a punctilious zeal that would have been better applied elsewhere, the commission had re‑examined the initial documentation that she had presented, deducing from the certificate of residency attached to the records that F.M. had become an Italian citizen only in 1957. Since the Terracini Law contemplated benefits only for Italian citizens, the commission presented an appeal requesting that the compensation be revoked and that the sum already paid out be returned. It was the Corte dei Conti—Piedmont Section that intervened,31 confirming F.M.’s right to the pension: based on the citizenship laws issued in 1919 and 1927 for the territory of Libya, the magistrates found that the woman was to be considered Italian from birth, and that it was precisely due to the Fascist racial laws that she had lost her citizenship, which she later regained after the war.

35 The obstacles created for pension applicants, and, as demonstrated once again by the case of F. M., the stubborn lack of any historical grounding shown by the commission, led a judge of the Corte dei Conti to call the attitude that had guided its behavior over the decades “intolerant”: A bureaucratic, intolerant mindset, backed by an overly narrow interpretation, has for the last fifty years severely limited the chance of receiving compensation for the victims of racially motivated persecution.32

36 The story of the Anselmi Commission and the controversies regarding the application of the Terracini Law can be tied, though in an indirect and oblique way, to the broader international phenomenon of Holocaust litigation that characterized the Nineties. But

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due to their genesis and outcome, they are above all emblematic of a relationship with Fascist antisemitic persecution that even today, seventy years after the events in question, is contradictory and in some ways unresolved. In it, we can see a dysfunctional gap between the often exploitative, superficial use of public rhetoric about the legacy of the Holocaust, and the concrete behavior still adopted toward its victims by significant sectors of state institutions and their bureaucracy.

NOTES

1. Ilaria PAVAN, Tra indifferenza e oblio: Le conseguenze economiche delle leggi razziali in Italia (1938‑1970), Firenze: Le Monnier, 2004, p. 222.

2. Guri SCHWARZ, “The Reconstruction of Jewish Life in Italy after World War II”, Journal of Modern Jewish Studies 3, 2009, pp. 360‑377. 3. Guri SCHWARZ, “On Myth Making and Nation Building: the Genesis of the ‘Myth of the Good Italian’ 1943‑1947”, Yad Vashem Studies, 1, 2008, pp. 111‑143. 4. Filippo FOCARDI, Il cattivo tedesco e il bravo italiano: La rimozione delle colpe della seconda guerra mondiale, Rome/Bari: Laterza, 2014. 5. For a detailed reconstruction of the laws on restitution and compensation, see Ilaria PAVAN, op. cit., pp. 183‑261. 6. Les Rapports de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France Jean Matteoli, La Persécution des juifs de France 1940‑1944 et le rétablissement de la légalité républicaine, Recueil des textes officiels 1940‑1999, Paris : La Documentation française, 2000, p. 180 ; Rapporto finale della Commissione indipendente d’Esperti Svizzera‑Seconda guerra mondiale, Locarno: Armando Dadò Editore, 2002, p. 191. 7. Archivio Centrale dello Stato (ACS), PCM 1947‑49, 11472 3.3.3, f. 3. 8. Ilaria PAVAN, op. cit., p. 191. 9. See Les Rapports de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France Jean Matteoli, La Persécution des juifs de France 1940‑1944 et le rétablissement de la légalité républicaine, op. cit., pp. 161‑162. 10. Fabio L EVI, Le case e le cose. La persecuzione degli ebrei torinesi nelle carte dell’EGELI, 1938‑1945, Torino: Campagnia di San Paolo, 1998, pp. 75‑76. 11. ACS, Fondo Egeli, b. 47, f. Liquidazione Egeli, promemoria 401459 per il Ministro del Tesoro, 16 maggio 1958. 12. The history of the law has been reconstructed by Elisabetta C ORRADINI, Il difficile reinserimento degli ebrei: itinerario e applicazione della legge Terracini n.96 del 10 marzo 1955, Torino: Silvio Zamorani, 2012. 13. In 1967, D. S., a Jewish member of the Resistance who was deported to Auschwitz in April 1944, had her application turned down because the commission did not believe the mental and physical problems that plagued her were connected to her deportation.

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The commission went so far as to ask her to provide “healthcare records related to her hospitalizations during deportation”. As the woman’s lawyer wrote to the commission: “requesting such records can only mean: either not knowing that Auschwitz was not a health clinic or spa [...] or knowing it and pretending not to”. CORRADINI Elisabetta, op. cit., p. 137. 14. Ibid., p. 202. 15. On the Anselmi Commission, see Michele S ARFATTI, “Le vicende della spoliazione degli ebrei e la Commissione Anselmi (1998‑2001)”, in Giuseppe S PECIALE (ed.), Le leggi antiebraiche nell’ordinamento italiano: Razza diritto esperienze, Bologna: Patron, 2013, pp. 299‑311; Ilaria PAVAN, Le Holocaust Litigation in Italia. Storia, burocrazia e giustizia (1955‑2015), in Cecilia NUBOLA, Giovanni FOCARDI (eds.), Nei tribunali. Pratiche e protagonisti della giustizia di transizione nell’Italia repubblicana, Bologna: Il Mulino, 2015. 16. On the role of mediation and reconciliation played by such commissions, see Alexander KARN, Amending the Past: Europe’s Holocaust Commissions and the Right to History, Madison: Wisconsin University Press, 2015. 17. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Rapport général, Paris, 2000, pp. 190‑191. 18. Clemens J ABLONER, “Scholarly investigation: The Austrian historical commission at work”, in Dan DINER, Gotthart WUNBERG (eds.), Restitution and Memory: Material Restoration in Europe, New York/Oxford: Berghahn, 2007, p. 105. 19. See, in particular, Michele SARFATTI, The Jews in Mussolini’s Italy, Madison: Wisconsin University Press, 2006. 20. Anselmi Commission, Rapporto Generale, Rome, 2001, p. 539. 21. The full text of the General Report is visible on the website http://www.governo.it/ Presidenza/DICA/beni_ebraici/. 22. See “Agli ebrei sottratti beni per duemila miliardi”, Corriere della sera, May 3, 2001; “L’Italia del fascismo depredò gli ebrei”, La Repubblica, May 3, 2001. 23. See “L’Italia è in debito con gli ebrei, risarciamo le vittime del fascismo”, La Repubblica, May 26, 2001. 24. “La destra blocca il rapporto sui beni degli ebrei”, L’Unità, January 28, 2002. 25. The commission, founded pursuant to art. 8 of the Terracini Law, is appointed by a decree of the Presidency of the Council of Ministers. Its chair is chosen by the administration and it is composed of one representative for each ministry whose areas of expertise are involved: Interior, Justice, Economy and Finances, Labor and Social Security, as well as two representatives of the Associazione Nazionale Perseguitati Politici Italiani Antifascisti (National Association of Italian Anti‑Fascist Victims of Political Persecution). Since 2001, after a ruling by the Corte Costituzionale in 1998, it has also included a representative of the Union of Italian Jewish Communities. 26. Corte dei Conti, ruling no. 9 of March 11, 1998. 27. Corte dei Conti, ruling no. 8 of March 25, 2003. 28. Elisabetta CORRADINI, op. cit., pp. 202‑203.

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29. Overall, the 236 suits handled by the Corte dei Conti between 1998 and 2015 have resulted in a ruling in favor of the former victims in 70% of the cases. The rulings are visible on the website https://servizi.corteconti.it/bds/. 30. The circular was signed by Gianni Letta, undersecretary to the third Berlusconi administration. 31. Corte dei Conti, Sezione Giurisdizionale per la Regione Piemonte, ruling no. 14 of February 11, 2014. 32. Maurizio MOTTOLESE, “La Commissione per le provvidenze ai perseguitati politici antifascisti o razziali nell’ambito della Presidenza del Consiglio dei Ministri: Un caso esemplare”, in Amministrazione e Contabilità degli enti pubblici, 36, 2001 visible on the website http://www.contabilita-pubblica.it/dottrina.htm.

ABSTRACTS

This essay provides a partial reconstruction of some measures of restitution and reparation adopted by the first post‑Fascist Italian administrations on behalf of Jews. These measures reached their peak in 1945‑1947 and had a final addendum in 1955, with the passage of a law, still in force, that awarded former victims of persecution some compensation for their suffering but, overall, the reparation measures were vastly insufficient. In the Nineties, the period of antisemitic persecution came back into the Italian political spotlight, as part of a new wave of international attention focused on the consequences of the Shoah from a financial standpoint as well, due to the phenomenon of the Holocaust litigations. Nevertheless the Italian response was once again characterized by resistance, reticence and silence.

Cet article revient sur les mesures de restitution et de « réparation » adoptées en faveur des Juifs par les premières administrations italiennes post‑fascistes. Ces mesures ont atteint leur apogée en 1945‑1947 et ont été complétées par un ultime addendum en 1955, avec le passage d’une loi, toujours en vigueur, qui a attribué aux anciennes victimes des persécutions des compensations financières pour les souffrances subies, mais, dans l’ensemble, cette « réparation » a été très insuffisante. Dans les années 1990, la période de persécution antisémite est revenue sous les projecteurs des milieux politiques italiens, dans le cadre d’un nouveau contexte international où l’on s’est intéressé aux conséquences de la Shoah d’un point de vue financier et en raison du phénomène des litiges qui ont éclaté à ce propos. Néanmoins, la réponse italienne s’est de nouveau caractérisée par la résistance, la réticence et le silence.

ריצקת : רמאמ הז ןחוב שדחמ קלח ןמ םידעצה וטקננש סחיב תרזחהל שוכר םייוציפו םידוהיל לע ידי להנימה יקלטיאה רחאלש םזישאפה . םידעצ ולא ועיגה םאישל ןיב 1945 ל 1947 ומלשוהו ב 1955 לע ידי קוח ( יוצמה ןיידע ףקותב ) עבוקה יכ שי תוצפל תא תונברוק רבעה תמחמ םלבס , םלואו ללככ םייוציפ ולא אל ויה םיקפסמ . תונשב ה90- , ןדיע תופידרה תוימשיטנאה עיפוה בוש לע ירוקרז המיבה תיטילופה תיקלטיאה רשקהב ןיב ימואל לש תניחב םיטביהה םייסנניפה םיעבונה ןמ תוכלשהה תויטפשמה לש האושה . םג ןאכ תנייפאתמ הבושתה תיקלטיאה הדימעב דגנמ , תוקפאתהב הקיתשבו .

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AUTHOR

ILARIA PAVAN École Normale Supérieure de Pise

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L’invention d’une politique de restitution en France en 1944‑1945 et l’action décisive du professeur Émile Terroine The Invention of a Restitution Policy in France in 1944‑1945 and the Key Action of Professor Emile Terroine תוינידמ תרזחה שוכרה תפרצב םינשב 1944/1945 ותוליעפו לש פורפ ' לימא ןאורט

Laurent Douzou

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Émile Terroine, s. d.

(© coll. Madeleine Wolff‑Terroine)

1 En France, en 1944 et 1945, appuyée sur des principes clairement affirmés, la politique de restitution des biens spoliés aux Juifs fut imaginée et mise en œuvre au jour le jour en grande partie grâce à l’action d’un homme, le professeur Émile Terroine. En dépit de ce fait avéré qui aurait pu et dû lui valoir une certaine notoriété, cet universitaire discret a été oublié et les ressorts de l’intense activité personnelle qu’il a déployée restent très mal connus. On voudrait ici tenter d’en mettre au jour les lignes de force parce qu’elles permettent de mieux cerner la phase singulière de la Libération et la marge d’autonomie dont elle fut synonyme pour les acteurs sortis tout droit de la clandestinité.

2 Pour ce faire, on rappellera d’abord le rôle essentiel du professeur Terroine dans l’œuvre de restitution des biens spoliés aux niveaux régional et national. On retracera ensuite, dans ses grandes lignes, l’itinéraire de vie du professeur Terroine, singulièrement (mais pas exclusivement) sa période lyonnaise et les conditions dans lesquelles il dut agir entre septembre et décembre 1944. On essaiera enfin, à partir des éléments disparates dont on dispose, de comprendre comment ce professeur de physiologie a pu être l’architecte de l’œuvre de restitution pour, sa tâche achevée, retourner à ses recherches et à son enseignement sans jamais faire état du travail exceptionnel qu’il avait mené à bien.

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Le rôle pionnier du professeur Terroine dans l’œuvre de restitution

3 Pour saisir pourquoi cet homme mérite une attention particulière, il faut revenir schématiquement sur le contexte très particulier dans lequel il a agi à entre septembre 1944 et janvier 1945.

4 Dès l’entrée en fonction d’Yves Farge, commissaire régional de la République, représentant du gouvernement provisoire de la République française dans la région Rhône‑Alpes, un arrêté – daté du 3 septembre, jour de la libération de la ville de Lyon – affirme l’abrogation des mesures antisémites promulguées depuis 1940 et confie aux préfets le soin de prendre toutes les mesures nécessaires à l’égard du Commissariat général aux questions juives (CGQJ) : ARRÊTÉ No 11 Abrogation des lois raciales Nous, Commissaire Régional de la République, En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, Arrêtons : Article unique. – Toutes les lois créant des divisions raciales entre Français sont abrogées. Les déchéances et révocations en résultant deviennent ainsi caduques. Des arrêtés ultérieurs décideront à l’égard de tous les organismes résultant des lois précitées. En attendant, les Préfets pourvoiront à l’administration‑séquestre de celui de ces organismes dit “ Commissariat aux Questions Juives ”. Les administrateurs‑séquestres prendront toutes mesures conservatoires utiles. Ils feront l’inventaire des biens de l’organisme, de son activité et de celle de ses membres présents et passés. Ils recevront les comptes de ces membres et saisiront les Parquets de toutes questions apparaissant de leurs ressorts. Fait à Lyon, le 3 septembre 1944. Le Commissaire de la République Signé : Yves FARGE

5 Ce faisant, le commissaire régional de la République ne fait que se conformer à un principe qui découle de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine qui constate expressément la nullité de tous les actes « qui établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif ». Reste à définir précisément les mesures que ce principe appelle.

6 C’est le sens de la nomination, dès le 6 septembre, d’Émile Terroine en qualité d’administrateur séquestre du CGQJ dans le Rhône : ARRÊTÉ No 2 Nous, Préfet du Rhône, En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, Vu l’arrêté No 11 de M. le Commissaire Régional de la République, en date du 3 septembre 1944, portant abrogation des lois raciales, ARRÊTONS : Article unique : M. Terroine, Professeur de la Faculté des Sciences de Strasbourg, Président du comité d’honneur du mouvement national contre le racisme, est nommé administrateur‑séquestre de l’organisme dit : “Commissariat aux affaires juives”. Fait à Lyon, le 6 septembre 1944 Le Préfet du Rhône : LONGCHAMBON

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7 Précisons que l’arrêté no 223 en date du 23 septembre 1944 du commissaire de la République étend les pouvoirs du Professeur Terroine « à tous les départements de la région Rhône‑Alpes » : Ain, Haute‑Savoie, Savoie, Isère, Drome, Ardèche, Loire et Rhône.

8 Dans le domaine dont on lui a confié la responsabilité, Émile Terroine part de rien. Il a accès aux dossiers du CGQJ et il a carte blanche mais il doit concevoir et organiser sa tâche qui est rien moins que simple. Le vol légal des biens des familles juives – désigné sous Vichy dans la loi du 22 juillet 1941 sous le terme « aryanisation » – a été de grande ampleur. Nombre des individus et familles spoliés ont, en outre, été frappés par une persécution sans frein et par la déportation vers les centres de mise à mort. Le professeur Terroine doit agir sur cette toile de fond, à la fois sombre et peu propice à la collecte des informations qui lui sont indispensables pour tenter d’effacer ce qui peut l’être de quatre années de persécution et de traque antisémites.

9 Sa méthode de travail, pragmatique et efficace, consistera à s’appuyer sur les dossiers du CGQJ en inversant leur finalité et leur logique. Constitués pour éliminer ce que le défunt régime appelait « l’influence juive », ils vont servir à cerner, documenter, comprendre les torts considérables qui ont été infligés aux Juifs que le CGQJ avait pour mission de broyer. Pour contraindre les ex‑administrateurs provisoires à coopérer, Émile Terroine bloque leurs comptes, assujettissant la levée de cette mesure à la présentation d’un quitus signé de la main des personnes spoliées.

10 Dans le rapport qu’il remet au commissaire régional de la République, le 5 janvier 1945, le professeur Terroine définit la fonction du CGQJ, son aire d’influence et ses agents : Par son Commissariat Général aux Questions juives, par les directions régionales et les délégations locales de cet organisme ; par les fonctionnaires nombreux et grassement rémunérés qui constituaient ces dernières ; par la multitude d’agents louches, de policiers suspects, de mouchards stipendiés, de dépisteurs et de délateurs bénévoles qui leur étaient attachés, le Gouvernement de Vichy avait enserré le pays dans un réseau extrêmement étroit, des mailles duquel aucun Juif possesseur d’un bien quelconque ne pouvait échapper. La dilapidation des biens, la destruction des industries, la ruine des commerces étaient systématiquement poursuivies par un organisme officiel.

11 Ses principes, exposés en filigrane dans ce texte, découlent en droite ligne de son très ferme attachement aux idéaux républicains. Ils se ramènent à deux propositions. L’« aryanisation » a été un vol pur et simple effectué sous le couvert de textes officiels. En conséquence, les acquéreurs de biens spoliés en sont les « détenteurs », mais en aucune façon les « propriétaires ».

12 Le professeur Terroine a pour lui l’autorité de la loi, la légitimité du nouveau pouvoir, le discrédit qui frappe les mesures antisémites déployées sans discontinuer pendant les années d’occupation. Et, de fait, il se montre inflexible. Pour preuve, parmi d’autres, cette lettre qu’il adresse à un administrateur provisoire le 24 octobre 1944 : En réponse à votre lettre du 19 courant, je vous informe que si je vous ai demandé des explications, ce n’est nullement parce que je suspecte votre gestion, mais uniquement parce que les pouvoirs qui me sont conférés me permettent et exigent même que je demande des explications aux administrateurs provisoires. Vous aurez d’ailleurs prochainement l’occasion de vous justifier de votre gestion ainsi que tous les administrateurs seront invités à le faire. Toutefois, je me permets d’ajouter que vous avez librement choisi la fonction d’administrateur provisoire de biens juifs et que si depuis lors, vous en avez subi quelques désagréments, ceux‑ci proviennent

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uniquement du fait d’avoir sollicité les fonctions pour lesquelles vous devez rendre des comptes actuellement1.

13 Le professeur Terroine doit également se montrer pugnace à l’égard des établissements bancaires, pas toujours prompts à appliquer le blocage des comptes des ex‑administrateurs provisoires, et des administrations publiques. Ainsi, le 12 octobre, il écrit au procureur de la République pour l’alerter sur les poursuites dont certains « Israélites » sont l’objet pour détention de fausses identités : Mon attention a été attirée par nombre de mes visiteurs sur la situation très délicate qui leur est actuellement faite. Comme vous le savez, bon nombre d’Israélites ont été obligés, pour échapper aux atteintes de la Gestapo, c’est‑à‑dire à la déportation et même à la fusillade, de se constituer une identité entièrement fausse. Tous n’ont pas encore eu le temps ni la possibilité, de par l’éloignement de leur domicile ou de l’endroit où sont leurs véritables pièces d’état civil, de reconstituer leur véritable identité et de posséder les documents qui en témoignent. Or, certains d’entre eux m’informent qu’ils sont actuellement poursuivis et on me signale même un cas d’incarcération à cause de la possession de pièces fausses, possession qu’ils reconnaissent et signalent eux‑mêmes, d’ailleurs, lors des contrôles d’identité. Je suis absolument certain que vous estimerez sans aucun doute comme moi qu’il y a de la part de ceux qui engagent les poursuites, un excès de zèle et que le temps nécessaire doit être donné aux Israélites pour se mettre en règle2.

14 La faiblesse des moyens dont dispose le professeur Terroine pour mener à bien sa mission l’incite à se montrer d’autant plus intransigeant sur les principes qui fondent son action : « Les survivants et ceux qui sont libres ont mis tous leurs espoirs dans le nouveau régime, ils attendent de la loi la réalisation de ses promesses. Nous n’avons pas le droit de les décevoir », écrit‑il dans une lettre qu’il adresse à Yves Farge, le 27 octobre 19443.

15 Les résultats qu’il obtient à Lyon sont remarquables : en décembre 1944, la restitution des immeubles et entreprises non vendus et toujours sous le coup d’une administration provisoire quatre mois plus tôt est pratiquement achevée dans la région Rhône‑Alpes. Par ailleurs, les dossiers de police de l’ex‑CGQJ, examinés par Mme Paul Lelu, chef des travaux de physiologie à la Faculté des sciences, ont été transmis au délégué à l’épuration pour ceux qui pouvaient donner lieu à des poursuites contre des délateurs4.

16 Ce cadre posé, venons‑en au cœur de notre propos. Qui était l’homme qui a imaginé le processus de restitution ?

Qui était Émile Terroine ?

17 Né le 21 janvier 1882, ce fils d’un ouvrier ajusteur, devenu employé, gravit un à un les grades de la hiérarchie universitaire. D’abord préparateur (1907‑1909) au laboratoire de chirurgie expérimentale de l’École des Hautes Études, il y devient maître de conférences en physiologie physico‑chimique, fonction qu’il occupe de 1909 à 1919. À cette date, il est nommé professeur de physiologie générale à la Faculté de Strasbourg. Il fonde l’Institut de physiologie générale qui devient le grand centre français des recherches nutritionnelles.

18 En 1939‑1940, il passe un an à Lyon où il dirige un laboratoire relevant de l’État‑Major de l’Armée installé à l’École vétérinaire. À partir de septembre 1940, il partage son service entre les Facultés des Sciences de Lyon (enseignant physiologie et chimie

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biologique, animant un laboratoire) et de Strasbourg repliée à Clermont (enseignant le certificat de chimie biologique)5.

19 Marié, père de trois enfants dont la plus jeune a vingt et un ans en 1940, il vit sous l’occupation à Lyon, 116 Grande rue Saint‑Clair, dans le même immeuble que Victor et Hélène Basch. De la vie qu’il mène alors et de ses activités, on sait peu de chose. Arrêté par les Allemands en juin 1944, emprisonné à Montluc, Émile Terroine en sort le 24 août quand la prison est libérée. Il relate cette expérience marquante dans un ouvrage de cent cinquante pages publié dès 1944 aux éditions de la Guillotière à Lyon, Dans les Geôles de la Gestapo. Souvenirs de la Prison de Montluc. Ce livre est rédigé en septembre‑octobre 1944 dans la période où son auteur travaille à la restitution. Il y dit peu de lui‑même. Tout juste apprend‑on, alors qu’il fut médaillé de la Résistance avec rosette en 19466 – ce qui signe la réalité d’une activité clandestine effective7 – qu’il a eu un réel engagement dans la Résistance. On y apprend également qu’il a aidé et caché des Juifs et qu’il apportait son concours au Mouvement National contre le Racisme (comme son arrêté de nomination en fait mention, on l’a vu). Il a été arrêté parce qu’il figurait sur une liste de notabilités établie par la Gestapo : De ce qu’elle pourrait avoir de précis à me reprocher, la Gestapo ne sait rien. Ce qu’elle poursuit en moi, comme l’apprendront par la suite ma famille, mes collègues et mes amis – tous ceux qui essaieront de me faire libérer ou d’adoucir ma captivité – c’est mon existence même. Je figure sur la fameuse liste du 22 juin qui comprend des notabilités de tout ordre […]. Ce que la Gestapo redoute chez tous ces hommes, c’est l’esprit qui les anime et leur fait haïr le nazisme ; c’est l’autorité et la confiance dont ils jouissent dans leurs milieux respectifs et qui font d’eux, qu’ils le veuillent ou non, de dangereux agents de propagande anti‑allemande, des centres de cristallisation de la Résistance. Reconnaissons que la Gestapo n’a pas tort8.

20 Avec quels moyens le professeur Terroine accomplit‑il sa mission à Lyon entre septembre et décembre 1944 ? Ce sont des moyens dérisoires, assurément, qu’on ne connaît que parce qu’il lui arrive d’en faire incidemment état pour souligner la difficulté de sa tâche.

21 Ainsi de cette lettre au délégué à l’épuration, en date du 4 novembre 1944, révélatrice par son humilité d’un temps où l’appartenance aux sphères du pouvoir ne dispensait pas d’observer les règles communes : Je voudrais pouvoir aller beaucoup plus vite dans l’examen des dossiers me permettant de vous transmettre les lettres de dénonciation. Il m’est malheureusement impossible de le faire, par l’absence complète de tout personnel officiellement attaché à cette section de mon service et ne travaillant ainsi qu’avec la chef des Travaux de mon Laboratoire, qui fait cette besogne à titre de volontaire9.

22 C’est également un incident mineur qui nous révèle une autre collaboration sur laquelle il peut compter, par l’entremise d’une lettre envoyée au « préfet du Rhône, service de la circulation », le 12 octobre 1944 : Puis‑je vous demander votre indulgence en faveur de M. MAZOT et le lever d’une contravention qui a été infligée au dit MAZOT le 4 octobre, rue de l’Hôtel de Ville, pour circulation à bicyclette en sens interdit, contravention dressée par l’agent numéro 1476. M. MAZOT était indubitablement dans son tort, mais les raisons pour lesquelles je sollicite votre indulgence sont les suivantes : Nommé moi‑même pour fonctions d’Administrateur Séquestre du Commissariat aux questions juives, je n’ai pu encore avoir jusqu’à présent aucun personnel fixe, et c’est à des volontaires que je dois momentanément faire appel pour assurer mon

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service. M. MAZOT qui est mon garçon de laboratoire à la Faculté des Sciences a accepté de remplir ce rôle de volontaire comme garçon de courses en dehors de ses heures de service à la Faculté. C’est précisément dans ces conditions qu’il a commis l’inattention qui lui est reprochée, et j’espère que pour cette fois, vous voudrez bien ne pas lui en tenir rigueur10.

23 La situation s’améliore un peu puisque, le 23 octobre, Émile Terroine informe le préfet qu’il a engagé une sténodactylographe11. Son équipe n’aurait‑elle donc compté que quatre personnes, lui‑même inclus ? Il est difficile de le dire avec certitude. Une chose est sûre : avec des moyens de fortune mais avec la foi du charbonnier, le professeur Terroine a mis un point d’honneur à s’acquitter de la lourde besogne de mener à bien la restitution dans le Rhône et dans la région Rhône‑Alpes. Il s’est suffisamment bien acquitté de sa tâche pour qu’on décide son détachement auprès du ministère des Finances à compter du 1er février 1945 jusqu’au 30 avril 1946 pour qu’il y exerce les fonctions de chef du service des Restitutions des Biens des Victimes des lois et mesures de spoliation. Après avoir essuyé les plâtres en 1944, Émile Terroine a donc la haute main sur la politique de restitution au niveau national.

24 Sa mission remplie, il retourne à ses études dès le 1er mai 1946. Dans sa longue carrière, la parenthèse dévolue à la restitution a été extrêmement courte. Installé à Paris, détaché au CNRS, Émile Terroine exerce ensuite une forte influence dans le monde de la recherche jusqu’à sa retraite en 1952 et, à dire vrai, au cours des vingt années qui suivent. Il ne dételle vraiment qu’en 1972, à l’âge de quatre‑vingt‑dix ans, deux ans avant de disparaître le 23 octobre 1974.

Un homme secret, influent et vertébré

25 Cela amène à la question qui est au cœur de cette rapide enquête : pourquoi ce professeur de physiologie, que rien ne prédisposait à cela, a‑t‑il pu être l’architecte de l’œuvre de restitution pour, sa tâche achevée, retourner à ses études sans jamais faire état du travail exceptionnel qu’il avait accompli ?

26 Une brochure12, retraçant vingt‑cinq ans d’activité du Centre National de Coordination des Études et Recherches sur la Nutrition et l’Alimentation (C.N.E.R.N.A) qu’il avait créé et dirigé, est publiée en 1972 en hommage au professeur Terroine. Elle lève un coin du voile sur les ressorts de son action. Son collègue et disciple Raymond Jacquot, directeur de recherche au CNRS, y écrit ceci à propos de l’état d’esprit de Terroine en 1945 et de sa décision de ne pas retourner à Strasbourg : Il était encore sous le coup d’un profond chagrin, celui de voir son œuvre strasbourgeoise totalement anéantie par les nazis. En 1939, l’Institut de Physiologie Générale de la Faculté des Sciences de Strasbourg était le grand centre français des recherches nutritionnelles. Fondé en 1919 et régulièrement agrandi jusqu’en 1939, il n’en restait rien à la Libération. Manifestement, le Prof. TERROINE avait subi un choc et ne désirait pas revenir en Alsace.

27 C’est ainsi qu’il créa le Centre national sur la nutrition en mai 1946. Quant à l’action menée au service des restitutions, à Lyon, puis à Paris, elle est bien mentionnée mais de manière rapide et allusive, en gommant l’expérience décisive faite dans le laboratoire rhône‑alpin de la restitution : Comment exprimer mon émotion et ma joie de retrouver mon Maître Émile F. TERROINE sorti indemne du fort de Montluc où la Gestapo lyonnaise l’avait incarcéré après avoir assassiné plusieurs de ses amis dont Victor BASCH. La

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résistance venait de le libérer au moment où le convoi de déportation était formé. C’est alors qu’il vint à Paris pour consacrer son activité à une cause généreuse en créant le service d’Indemnisation des Israélites spoliés et de Récupération de leurs biens. C’était au début de 1945 si mes souvenirs sont exacts. Très vite nous reprîmes les relations amicales de maître à disciple au cours de nombreuses et fréquentes conversations13.

28 Un des points les plus intéressants de la brochure réalisée en 1972 tient au fait que toutes les contributions soulignent les qualités d’organisateur hors pair du professeur Terroine et sa capacité à faire flèche de tout bois. Raymond Jacquot relève ainsi : Et pour terminer, ajoutons que cette œuvre s’est construite dans la plus stricte économie et sans qu’il en coûta beaucoup de frais. En grand Commis de l’État, le Professeur TERROINE est avare des deniers publics. Le budget du C.N.E.R.N.A. est si modeste qu’il en est presque indécent14.

29 L’historien des sciences Jean‑François Picard présente, de son côté, Terroine comme « l’un des principaux réorganisateurs du CNRS de la Libération15 ». Jean Coulomb, directeur du CNRS de 1957 à 1962, précise pour sa part : « C’était un génie de l’organisation, et même de la super‑organisation16. »

30 Il demeure que le professeur Terroine lui‑même n’a nullement mis en avant son éminente contribution à l’œuvre de la restitution des biens spoliés. Témoin, ce rapport présenté à l’Assemblée Générale du Conseil Scientifique, CNRS, Lons‑le‑Saunier, 1946, qui commence ainsi : « Lorsque, libéré des fonctions dont j’avais été chargé à Lyon dès le lendemain de la Libération, je pris part aux travaux de la Commission de Nutrition, en février 1945…17 » Ses auditeurs n’en sauront pas davantage. Parce que le lieu et le thème de la rencontre ne s’y prêtent pas. Parce que le « relèvement du niveau de la science française et la réorganisation de l’Enseignement supérieur », comme il l’écrit dans une lettre adressée depuis Lyon au ministre de l’Éducation nationale le 4 février 194518, l’accaparent tout entier. Enfin, et peut‑être surtout, parce que le professeur Terroine n’était pas homme à étaler publiquement ses sentiments et raisons d’agir.

31 La seule véritable occurrence que nous ayons trouvée est due à une circonstance exceptionnelle : l’hommage public rendu par Paul Langevin, Gustave Roussy, Henri Wallon, Émile Terroine, Albert Bayet, Madeleine Braun, Émile Kahn à Victor Basch lors d’une cérémonie organisée à la Sorbonne le 7 janvier 194519. Une brochure réunit les textes des discours prononcés lors de cette cérémonie commémorative organisée par la Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen et le Front National Universitaire à la Sorbonne. Retenu à Lyon, Émile Terroine envoie une lettre qui est lue à la tribune. Amis de longue date, voisins à Lyon pendant l’occupation, Basch et Terroine conversaient souvent et Terroine avait rendu visite à Basch le 8 janvier 1944, deux jours avant que sa femme Hélène et lui soient assassinés par les miliciens Joseph Lécussan et Henri Gonnet en présence du lieutenant Moritz, chef de la section VI du Sicherheitspolitzei, Sicherheitsdienst (SIPO/SD). Terroine termine sa lettre où il évoque « la racaille antisémite » ainsi : L’hommage que nous rendons aux victimes ne suffit pas, les coupables doivent être châtiés. Il n’est certes pas question de plonger le pays dans des luttes fratricides et nous sommes tout prêts, Basch eût été le premier à le faire, à accorder notre pardon aux hommes de bonne foi, égarés par une abominable propagande. Mais il n’en va pas de même pour les bandits qui ont collaboré avec l’ennemi pour perpétrer leurs crimes. Ceux‑là, qu’ils aient commandé, accepté ou exécuté, doivent

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être condamnés, sans pitié. Le pays ne retrouvera pas sa santé morale tant qu’ils n’auront point expié. Pour reprendre l’expression favorite d’un autre martyr qui trouva la mort dans l’abominable boucherie de Saint‑Genis‑Laval, le curé Boursier, expression qui devrait traduire la pensée de tous les bons citoyens : "Justice d’abord !"

32 La teneur de cette lettre rappelle celle des textes publiés dans la feuille clandestine Fraternité, Organe de liaison des forces françaises contre la barbarie raciste, Organe du Mouvement National contre la Barbarie Raciste dont la première édition en zone Sud est datée de février 1942 et qui pourfend, numéro après numéro, l’antisémitisme. Il est plus que probable que Terroine a collaboré à ce journal si l’on en juge par l’article très informé, publié dans le no 8 de juillet 1943, sur « les conséquences du rationnement sur la santé publique et la mortalité en France ». On y trouve « quelques chiffres puisés aux sources les plus autorisées du monde médical qui font apparaître les conséquences tragiques de la famine organisée systématiquement par Hitler ». La même feuille apostrophe les administrateurs provisoires dans son numéro de décembre 1943 dans un article intitulé « L’avenir des administrateurs aryens » : Nous apprenons de source sûre que l’Assemblée des administrateurs aryens de biens juifs s’est adressée à une compagnie d’assurances afin de s’assurer en vue d’un “avenir incertain” étant donné qu’ils ne sont pas considérés comme des fonctionnaires d’État et de ce fait ne pourront pas prétendre à une pension de vieillesse. Messieurs les administrateurs font très bien de penser à leur avenir. Il est réellement plus qu’incertain. Mais vous n’avez, Messieurs, qu’un moyen de l’assurer : DÉMISSIONNEZ.

33 Plus intéressant encore, cet article qu’on trouve en juin 1944 en page 3 de Fraternité, Organe du Mouvement national contre le racisme (zone Sud) : L’un des premiers devoirs du Gouvernement Provisoire de la République sera d’abroger toutes les lois, tous les décrets commis depuis quatre ans contre la liberté et contre l’égalité des hommes. […] Nous demanderons la restitution des biens et le dédommagement des pertes subies en raison des lois d’exception édictées depuis 40, et dont ont particulièrement souffert les Alsaciens‑Lorrains et les Juifs. Ces mesures seraient insuffisantes si ne s’y ajoutaient les justes sanctions envers tous les responsables, quels qu’ils soient, de la législation des mesures racistes et de leur application. Ceux‑là qui ont provoqué, permis ou commis les crimes, seront jugés et punis sans faiblesse. Ceci fait, il faudra encore nettoyer la République nouvelle de toute la racaille raciste. Nous réclamerons donc la liquidation immédiate du Commissariat Général aux Affaires Juives. Enfin, nous demanderons le rétablissement de la loi française, qui considérait comme un délit punissable comme tel, toute parole prononcée ou tout acte commis au nom d’un principe raciste.

34 Ce même numéro fait état, en page 4, de l’arrestation d’Émile Terroine dans une brève : À LYON, LE PROFESSEUR TERROINE EST ARRÊTÉ. Le 22 juin, à Lyon, la Gestapo a arrêté Monsieur le Professeur TERROINE, qui occupait à la Faculté des Sciences, la chaire de physiologie. Les travaux du Professeur Terroine avaient porté à l’étranger la renommée scientifique de la France. Son cœur généreux, sa probité intellectuelle augmentaient encore l’influence qu’il exerçait sur ceux qui l’approchaient.

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35 Comme pour confirmer que le professeur Terroine est bien reconnu par le petit monde clos de la clandestinité comme l’un des siens, L’Université libre se fait également l’écho de son arrestation, le 1er juillet 1944.

36 Engagé contre le racisme et l’antisémitisme, Émile Terroine appliqua donc, la Libération venue, les principes que proclamait la feuille clandestine à laquelle il collaborait.

37 Quel pouvait être le fondement de cette attitude déterminée ?

38 La question ne peut appeler une réponse simple et univoque d’autant que le professeur Terroine, répétons‑le, n’a jamais exposé ni commenté son action. Il faut donc chercher des indices.

39 On en trouve dans les thèses présentées à la Faculté des Sciences de Paris pour obtenir le grade de docteur ès sciences naturelles par Émile‑F. Terroine, soutenues le 3 novembre 191920. Dans son introduction, il écrit ceci : En présentant aujourd’hui cette étude, je ne puis pas ne pas me souvenir et ne pas dire que, si j’ai pu l’entamer et la poursuivre, c’est à la Démocratie que je le dois. Elève de l’Ecole primaire communale, boursier au Collège municipal Chaptal, dispensé des droits d’inscription à l’Université, bénéficiaire d’une bourse de doctorat au Muséum d’Histoire naturelle, c’est pour avoir profité de ces moyens qui peuvent permettre à tous de se développer au mieux de leurs aptitudes que je puis aujourd’hui briguer le plus haut grade conféré à un travailleur par l’Université. Malgré l’universelle évolution libérale, peu de pays mettent de telles possibilités à la disposition de tous. C’est dire que je sais ce que je dois à la Démocratie française ; mon ambition n’aura jamais de but plus élevé que d’être son plus dévoué serviteur21.

40 Fervent républicain, Terroine était aussi un patriote, agissant et parlant comme tel à l’université de Strasbourg. En fait foi le discours d’usage qu’il prononça le 22 novembre 1924 pour la séance solennelle de rentrée des Facultés de l’Université de Strasbourg : Si la France n’est pas vaincue, si elle n’a pas perdu l’audience du monde, si elle reste la sentinelle avancée de la civilisation, c’est que, fidèle à sa tradition, loin de faire de la culture le monopole de rares privilégiés, elle s’efforce au contraire d’en étendre les bienfaits à un nombre chaque jour plus élevé de ses enfants, c’est qu’en particulier elle ne veut pas constituer ‘une science pédantesque en sa solitude’22.

41 La citation d’« une science pédantesque en sa solitude » était extraite de l’éloge de Claude Bernard par Renan en 1879.

42 Terroine poursuivait : Et devant un pays déjà splendidement outillé, devant cette pauvre Allemagne qui depuis la guerre a pu créer trois Universités nouvelles, devant cette Allemagne dont les plus grandes voix ont déclaré que nous ne saurions pas faire vivre à Strasbourg une grande Université française, je ne crains pas d’affirmer à tous mon absolue certitude, à vous qui êtes l’opinion publique maîtresse, à vous chargés des grands intérêts moraux et matériels du pays : la République ne nous laissera pas amoindrir23 !

43 Fervent républicain, pur produit de la méritocratie scolaire de la Troisième République, patriote ardent, homme de science persuadé de la capacité de la France à tenir les premiers rôles, Émile Terroine obéissait à des valeurs fortes. Son action en 1944‑1945 ne relève pas d’une révélation. Elle s’inscrit dans la droite ligne d’engagements contractés de longue date. Elle a ceci de particulier que la pratique de l’activité

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inventive et hors normes de la Résistance lui a permis d’innover avec une bonne dose d’improvisation.

44 De fait, sortant de charge à Lyon, Terroine préconise à l’échelle nationale un système qui est la transposition de l’expérience lyonnaise. Le fait est intéressant parce que le précédent lyonnais, enfanté dans les heures brûlantes de la Libération, s’était résolument écarté des sentiers battus. N’avait‑on pas confié, avec entière latitude d’action, une tâche relevant du rétablissement de la légalité républicaine non à un haut fonctionnaire dépendant de la hiérarchie d’un ministère, mais à un professeur de la Faculté des Sciences investi d’une mission éloignée de son champ de compétence mais connu pour la fermeté de ses convictions ? On avait, en somme, procédé comme si la restitution était affaire trop sérieuse et trop consommatrice d’imagination inventive pour être laissée entre les mains réputées compétentes de fonctionnaires qui, en l’occurrence, auraient dû être ceux de l’Économie et des Finances.

45 D’ailleurs, Terroine revendique cette pratique hors des usages administratifs les plus établis, en faisant l’éloge des possibilités inhabituelles qu’elle ouvre : Cet organisme, comme j’ai pu m’en rendre compte par celui que j’ai dirigé jusqu’à ce jour, joue un rôle de médiateur et, dans bien des cas, peut faire accepter aux parties des solutions transactionnelles dont la rapidité est un élément important, aussi bien pour la paix sociale que pour la reprise de l’activité industrielle et commerciale du pays24.

46 Dans le rapport qu’il remet au commissaire régional de la République quand il quitte ses fonctions, Terroine se décrit lui‑même comme « quelque peu égaré et peut‑être maladroit dans un poste d’action ». En filigrane, se donne à voir ici la lutte entre deux acceptions de l’action à mener : à la voie classique s’oppose celle du professeur Terroine, soutenu par Yves Farge, qui estime qu’une situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles. En clair, Émile Terroine a pris la mesure des crimes commis par le CGQJ et compris que leur réparation exigeait des dispositions fortes et inaccoutumées. En somme, à spoliation pleine et entière, restitution pleine et entière. Dissoudre l’œuvre salutaire de restitution entre diverses administrations, c’était s’interdire de la mener à bon port. C’est ce contre quoi le professeur Terroine s’est élevé avec cette même énergie qu’il avait mise à imposer pied à pied le rétablissement du droit sur ses terres lyonnaises.

47 Il conclut ainsi son rapport au commissaire régional de la République : Or, pour moi, la restitution des biens spoliés aux israélites est une œuvre à la fois de justice et d’humanité, dont la signification morale et politique dépasse de beaucoup les valeurs matérielles en cause. Elle doit être, aux yeux de la France et du monde, une des grandes manifestations tangibles du rétablissement du droit et de la légalité républicaine. C’est pourquoi je voudrais voir le Gouvernement lui‑même la prendre en mains et l’assurer par un organisme officiel. […] Si l’on crée un office liquidateur de l’ex‑Commissariat aux questions juives ayant à cœur de réparer, autant que faire se peut, les crimes du gouvernement de Vichy, prenant à charge les intérêts des israélites, assumant l’initiative de toutes les actions devant aboutir à la restitution de leurs biens, conservant jalousement le patrimoine des assassinés et des déportés pour le transmettre à leurs héritiers, qu’importe que ce service change de nom, qu’il soit rattaché à telle ou telle administration ; la souillure de Vichy n’en sera pas moins effacée et l’œuvre que nous avons l’orgueil d’avoir été les premiers à accomplir à Lyon n’aura pas été inutile25.

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48 De fait, son action aboutit à la mise sur pied du Service des restitutions des biens des victimes des lois et mesures de spoliation, créé auprès du ministère des Finances par une décision du 30 janvier 1945. La direction en fut confiée... au professeur Terroine. Cette désignation était à la fois une façon de lui donner acte de la justesse des analyses qu’il avait développées et une manière de signal adressé à tous ceux – victimes et profiteurs de l’aryanisation – qui étaient dans l’expectative.

49 Après d’âpres discussions et bien des vicissitudes, les modalités des restitutions sont fixées par l’ordonnance du 21 avril 1945, dont le rapporteur à l’Assemblée Consultative Provisoire était Justin Godart tandis qu’Émile Terroine était l’un des deux commissaires du gouvernement. Ce texte « permet(tait), par une procédure aussi rapide que peu coûteuse que possible, aux propriétaires dépossédés de rentrer légalement en possession de leurs biens, droits ou intérêts, par application du principe de la nullité des actes de transfert. » Il réglait, dans le droit fil de l’expérience menée à Lyon par le professeur Terroine, l’aspect judiciaire des restitutions.

50 Grâce aux coudées franches que lui donnaient sa qualité de résistant et la situation hors normes qui prévalut quelques mois à la Libération, Émile Terroine aura donc joué un rôle essentiel dans la politique de restitution mise en œuvre alors. Sa figure fut vite oubliée et le demeura jusqu’à sa mise au jour par la Mission Mattéoli26. Terroine lui‑même contribua à cet oubli. Peut‑être bien parce qu’il considérait n’avoir fait là que son devoir de citoyen tel que la Troisième République le lui avait appris. Ce qui est une autre manière de rendre hommage à ce personnage discret dont l’action déterminée eut tant d’importance et de résonance dans la vie de beaucoup de Juifs confrontés à une sortie de guerre vraiment pas comme les autres.

NOTES

1. Archives nationales [désormais AN], AJ 38 3626. 2. AN, AJ 38 3626 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Dossier personnel d’Émile Terroine, AN, F/17/25606. 6. Par décret du 29 novembre 1946 paru au Journal officiel le 10 décembre 1946. 7. Le Bureau Résistance du Service historique de la Défense n’ayant pas trace d’un dossier le concernant, nous n’avons pu préciser son action résistante. 8. Émile TERROINE, Dans les Geôles de la Gestapo... op. cit., p. 14. 9. AN, AJ 38 3626. 10. Ibid. 11. AN, AJ 38 3626.

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12. Vingt‑cinq ans d’activité du Centre national de coordination des études et recherches sur la nutrition et l’alimentation (CNERNA). En hommage au Professeur Émile F. Terroine, 1972, 185 p., BNF, 4‑R‑13331. 13. Ibid., p. 13. 14. Ibid., p. 17. 15. Jean‑François PICARD, La République des savants. La Recherche française et le CNRS, Paris, Flammarion, 1990. 16. Ibid., p. 100. 17. Émile TERROINE, Rapport présenté à l’Assemblée Générale du Conseil Scientifique, CNRS, Lons‑le‑Saunier, impr. M. Declume, 1946, 62 p., p. 5, BNF, 8 – T – 7587. 18. Dossier personnel d’Émile Terroine, AN, F/17/25606. 19. Paul L ANGEVIN, Gustave ROUSSY, Henri WALLON, Émile TERROINE, Albert BAYET, Madeleine BRAUN, Émile KAHN, Victor Basch, 1863‑1944, édité par la Ligue des Droits de l’Homme, 1er trimestre 1945, 27 p., BNF, 8° Ln27 70625. 20. Thèses présentées à la Faculté des Sciences de Paris pour obtenir le grade de docteur ès sciences naturelles par Émile‑F. Terroine soutenues le 3 novembre 1919, Paris, Masson et Cie, éditeurs, 1919, BNF, 4‑R‑489 (1621). 21. Datées du 20 février 1919, ces lignes introductives se trouvent p. 9. 22. Université de Strasbourg. Séance solennelle pour la rentrée des Facultés, 22 novembre 1924. Physiologie, vitalisme et physico‑chimie. Discours d’usage prononcé par M. TERROINE, Professeur à la Faculté des Sciences. Tiré à part du no 10 du Bulletin de la société des amis de l’université de Strasbourg, BNF, 8‑S Pièce‑13656, pp. 3‑4. 23. Ibid., p. 19. 24. Rapport de sortie de charge remis le 5 janvier 1945 par le professeur Terroine à Yves Farge. Archives départementales du Rhône, 668 W 70. 25. Ibid. 26. Aryanisation économique et restitutions, rapport rédigé par Antoine PROST, Rémi SKOUTELSKY, Sonia ÉTIENNE avec la collaboration de Fabrice CARDON, Fabrice LAUNAY et Sylvain LEBRETON, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, La Documentation française, 2000.

RÉSUMÉS

Est d’abord rappelé le rôle essentiel du professeur Terroine dans l’œuvre de restitution des biens spoliés aux niveaux régional et national. Ce rappel est nécessaire pour bien faire comprendre l’originalité de l’action définie et menée par le professeur Terroine. L’itinéraire de vie du professeur Terroine est ensuite retracé, singulièrement (mais pas exclusivement) sa période lyonnaise et les conditions dans lesquelles, à la Libération, il dut agir. À partir des indices ténus dont on dispose, on essaie enfin de comprendre pourquoi et comment ce professeur de physiologie, que rien ne prédisposait à cela, a pu être l’architecte de l’œuvre de restitution pour,

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sa tâche achevée, retourner à ses études sans jamais faire état du travail exceptionnel qu’il avait mené à bien.

First, the paper gives a brief history of the essential part played by professor Terroine in the definition of the restitution of properties stolen to Jews at the regional and national levels. This allows the reader to grasp the originality of the action defined and led by professor Terroine. In a second part, Professor Terroine’s life is described, especially (but not exclusively) the period he spent in Lyon and the very peculiar context in which he acted at the Liberation. At last, through tiny clues, one tries to understand why and how this professor of physiology could become the architect of the restitution and, once his job done, return to his research activity without ever mentioning the tremendous work he had accomplished.

תקציר: המאמר פותח בתיאור פעילותו החשובה של פרופ' טרואן בנושא מדיניות החזרת רכוש היהודים הגנוב, הן ברמה האזורית והן בזו הלאומית. החלק השני של המאמר עוסק בתולדות חייו של פרופ' טרואן בעיקר, אם כי לא רק, בתקופת שהותו בליון ובתנאים בהם נאלץ לפעול בזמן השחרור. באמצעות רמזים מינוריים, המאמר מנסה להבין כיצד ומדוע המומחה לפיסיולוגיה הפך בזמנו לאדריכל הפיצויים והחזרת הרכוש, ומשסיים את עבודתו זו, חזר לפעילותו המדעית המקורית מבלי להזכיר שוב את מפעלו החשוב.

AUTEUR

LAURENT DOUZOU Sciences Po Lyon, Institut universitaire de France, LARHRA

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La politique française de « réparation » des « biens juifs » spoliés : mémoire et responsabilité The French politics of “repair” for looted “Jewish property”: memory and responsibility תוינידמה תיתפרצה עגונב םייוציפל רובע שוכר ידוהי לזגנש : של תלא ןורכיזה תוירחאהו

Anne Grynberg

1 Il y a dix‑huit ans, par le décret du 10 septembre 19991, les autorités françaises instituaient auprès du Premier ministre la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites (CIVS2), « chargée d’examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des législations antisémites prises, pendant l’Occupation, tant par l’occupant que par les autorités de Vichy ». La CIVS, précise le texte, devra « rechercher et proposer les mesures de réparation, de restitution ou d’indemnisation appropriées ».

2 Quel bilan peut‑on dresser de son action, alors qu’elle est toujours en fonctionnement3 ? Quel est son apport sur le plan de la connaissance historique ? Quelle signification revêt‑elle dans le champ mémoriel ? Quel rôle est‑elle susceptible de jouer dans la (re)construction d’un consensus national mis à mal pendant des décennies ? Bien au‑delà de ses aspects financiers, quelle est sa valeur symbolique ? Autant de questions que nous nous proposons d’aborder dans cet article4.

3 Il importe de rappeler d’abord que la CIVS n’a pas surgi ex nihilo dans un pays qui aurait ignoré jusqu’alors la nature et l’étendue des spoliations matérielles dont les Juifs ont été victimes, et on ne saurait passer sous silence les précédents indemnitaires qui ont

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eu lieu en France. Reste à analyser dans quel contexte politique et sociétal ils ont été conduits.

Premières restitutions et indemnisations dans le cadre du rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire français

4 Au fil du temps, travaux d’historiens et témoignages ont montré de plus en plus clairement que les spoliations matérielles avaient été l’une des composantes de la persécution des Juifs d’Europe occupée dans les années 1940. Le tailleur en chambre qui s’est vu dépouillé de sa machine à coudre, le marchand du Carreau du Temple auquel on a confisqué sa plaque, le petit commerçant dont la boutique a été « aryanisée » se sont trouvés privés de ressources, acculés à la misère et d’autant plus vulnérables. Les fonctionnaires, les médecins ou les avocats interdits d’exercice professionnel ont également subi une situation de grande précarité, même s’ils avaient un statut socioéconomique plus aisé et pouvaient espérer l’aide de leur réseau de sociabilité, surtout lorsqu’ils étaient français de longue date. Au lendemain de la Libération, outre les souffrances endurées, les deuils insurmontables, les survivants durent reconstruire, tant bien que mal, ce qu’ils avaient perdu sur le plan matériel. Certains avaient encore la force de se battre, d’autres renoncèrent à être rétablis dans l’intégralité de leurs droits – faute de maîtriser les arcanes de l’administration et parfois même la langue française, peut‑être aussi parce qu’ils avaient perdu confiance en la France des libertés à laquelle ils avaient pourtant tellement cru5.

Restitutions dans l’immédiat après‑guerre

5 Dès le 5 janvier 1943 – et donc avant même la fin du conflit – le Comité national français à Londres ratifie, avec dix‑sept nations alliées, une déclaration solennelle6 par laquelle les pays signataires se réservent le droit de déclarer non valables tous transferts de propriété aux droits et aux intérêts, de quelque nature qu’ils soient, qui sont ou étaient dans les territoires sous l’occupation ou le contrôle direct ou indirect des gouvernements avec lesquels ils sont en guerre, ou qui appartiennent ou ont appartenu aux personnes (y compris les personnes juridiques) résidant dans ces territoires. Cet avertissement s’applique tant aux transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, qu’aux transactions d’apparence légale, même lorsqu’elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes7.

6 Le 12 novembre 1943, le Comité français de libération nationale (CFLN), qui remplace désormais le Comité national français, promulgue une ordonnance « sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle » et annonce des textes législatifs permettant de les « priver de tout effet ». Et de fait, l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 19448 relative au « rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental » dispose que sont désormais frappés de nullité tous les actes qui « établissent ou appliquent une discrimination fondée sur la qualité de juif ».

7 Placé sous l’autorité conjointe des ministères des Affaires étrangères et des Finances, l’Office des biens et intérêts privés (OBIP) est chargé de recenser les biens de toutes

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natures saisis par l’occupant et de renseigner le public sur les dispositions réglementaires permettant à leurs légitimes propriétaires de faire valoir leurs droits.

8 Le 30 août 1944, les titulaires juifs de comptes bancaires peuvent de nouveau accéder à leurs avoirs, bloqués en zone occupée depuis mai 1941. Le 7 octobre, il en va de même pour l’or et les valeurs étrangères9.

9 On constate donc que très tôt, dans le cadre de la restauration de la République, les autorités françaises se sont préoccupées de la question des biens spoliés, en particulier des « biens juifs ». Toutefois, les textes promulgués ont leurs limites et leur mise en application pratique n’est pas toujours aisée. Ainsi l’ordonnance du 14 novembre 194410 souligne‑t‑elle dans son préambule que l’importance (numérique et financière), la durée dans le temps et le caractère multiforme des spoliations nécessitent un examen approfondi de la question car « les problèmes qu’elles posent ne peuvent être résolus par un seul texte législatif susceptible d’être immédiatement adopté11 » ; et les dispositions prévues ne concernent, à cette étape, que les biens encore placés sous administration provisoire, qui doivent revenir à leurs légitimes propriétaires dans un délai d’un mois après sommation à l’AP. Rien n’est encore organisé pour les nombreux biens qui ont été vendus ou liquidés12.

10 D’autres points suscitent déception et inquiétude parmi les personnes concernées.

11 Elles vont devoir prendre elles‑mêmes l’initiative d’œuvrer pour faire valoir leurs droits, sans le soutien d’aucune administration centralisée13. Or, nombre de légitimes propriétaires de « biens juifs » spoliés sont toujours considérés officiellement comme « absents ». Au fil des semaines et des mois, l’on commence à comprendre qu’ils ne reviendront pas mais comment déterminer qui est ayant droit, en l’absence de tout acte de décès officiel ? Les seuls survivants d’une famille décimée sont parfois des enfants mineurs ou de jeunes adolescents, ou encore une épouse peu familière des subtilités de la bureaucratie française. Et beaucoup de papiers ont été perdus ou pillés, ce qui complique encore la charge de la preuve – cela d’autant plus que « le Code civil n’a jamais prévu de preuves préconstituées de la propriété mobilière14 ».

12 Par ailleurs, de nombreuses catégories de locataires occupant des appartements précédemment habités par des Juifs sont officiellement protégées par la loi : sinistrés, évacués, réfugiés, conjoints de prisonniers de guerre, de déportés politiques ou de requis du STO… Beaucoup de familles juives ne parviennent donc pas à réintégrer leur logement, ni à récupérer leurs ateliers en chambre qui représentaient avant‑guerre un pourcentage important des activités des Juifs, surtout immigrés. Cette situation est représentative de la conception qui prévaut à l’époque en France : la spécificité de la persécution des Juifs est largement ignorée15, et ils n’ont aucun droit particulier à faire valoir par rapport à d’autres catégories de Français ayant souffert, « elles aussi ». Il ne saurait être question de fissurer une unité nationale encore très fragile.

13 Il peut arriver aussi que des restitutions aient lieu « à l’amiable » dans les premiers mois qui suivent la fin de la guerre ; bien sûr, une évaluation chiffrée de ces accords est extrêmement délicate, et plus encore la définition de l’expression, les rapports de force entre les parties pouvant être très variés. Sinon, il reste l’éventualité d’un procès. L’ordonnance du 21 avril 194516 prévoit que les spoliés puissent déposer un recours juridique sous forme d’une simple requête exonérée de frais, aboutissant à une décision en référé : entre 1946 et 1950, plus de 10 000 procédures sont ouvertes dans le seul département de la Seine17. Mais certaines se révèlent fort complexes et sont parfois longues, avec de lourds frais d’avocat. Il y a en effet des cas plus ou moins difficiles à

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trancher : s’il s’agit à l’évidence d’une vente forcée et à vil prix, la restitution est ordonnée et immédiatement exécutoire ; en revanche, si c’est une vente à prix normal ou, plus compliqué encore, une revente, l’affaire traîne car le dernier acquéreur en date est présumé de bonne foi. Certains litiges ne sont pas encore réglés en 1949, date à laquelle le Service des restitutions cesse son activité, clôturant la séquence de l’immédiat après‑guerre.

14 Il est difficile de dresser un bilan précis des restitutions effectuées au cours de cette première période. Cela d’autant plus que lorsqu’une famille dans le besoin voire démunie de tout – c’est le cas de beaucoup – ne reconnaît aucun de ses meubles ou objets de première nécessité dans les réserves — notamment dans le hall E 60 de la Foire de Paris — où s’entassent ceux qui n’ont pas été transférés « sur le territoire du Reich » ni pillés par des complices zélés, les autorités lui en proposent d’autres, dont les propriétaires n’ont pas été identifiés, afin de faire face à l’urgence de leur situation. D’autres renoncent à toute demande, faute d’avoir un appartement où entreposer ces meubles : en effet, nombreux sont ceux qui doivent vivre chez un parent ou à l’hôtel, pendant des mois voire plusieurs années.

15 Il est encore une fois délicat de déterminer le taux de restitution des différentes « catégories » de biens spoliés. Se fondant sur les travaux de la Mission Mattéoli, Claire Andrieu écrit : En valeur, 90% des entreprises, immeubles, ventes d’actions et prélèvements sur comptes bancaires ont été restitués. En nombre, le résultat est moins satisfaisant : un minimum de 70% des entreprises et immeubles ont été rendus, et de 50% à 100% des prélèvements sur les comptes de dépôt ou de titres. Plus l’avoir était important, plus sa restitution fut fréquente. La raison en est économique. L’atelier individuel avait pour valeur essentielle le savoir‑faire de l’artisan. Sa valeur de liquidation ayant souvent été nulle, la restitution n’avait pas de sens matériel18.

Des possibilités d’indemnisation ?

16 Entre temps, certains Juifs spoliés sur le territoire français ont eu une autre opportunité : celle de déposer un dossier d’indemnisation au titre de la loi sur les dommages de guerre.

17 Pourquoi « certains » Juifs spoliés ? Parce que pour en bénéficier, il faut avoir eu la citoyenneté française au moment du préjudice. En effet, la loi d’indemnisation pour les dommages de guerre subis au cours de la période 1939‑194519, promulguée le 28 octobre 1946, affirme le droit à la réparation « des dommages certains, matériels et directs, causés aux biens immobiliers ou mobiliers par fait de guerre dans les départements français » ‑ ce qui concerne les victimes de bombardements, les pertes en cours de transports ferroviaires, les réquisitions allemandes ou alliées, les pillages… Elle proclame « l’égalité et la solidarité de tous les Français devant les charges de la guerre », sans que le caractère systématique de la spoliation et du pillage subis par les Juifs ne soit mis en exergue. Et les étrangers sont exclus du bénéfice de cette loi, sauf s’ils ont servi dans des formations régulières de l’armée française ou des armées alliées. Les Juifs immigrés, pourtant les plus nombreux à la veille de la guerre et pourtant les plus lourdement touchés par les spoliations, ne peuvent donc y prétendre.

18 Dans le cadre de la loi sur les dommages de guerre, 6 millions de dossiers environ – toutes catégories confondues – ont été déposés et traités par les services du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), alors même que les dossiers de

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dommages de guerre pour la guerre de 14‑18 n’avaient pas encore été entièrement traités. Évidemment, les Juifs ne constituent qu’une très petite minorité de ces requêtes.

19 Ce que l’on retient de cette première période, c’est que la politique de restitution et d’indemnisation des « biens juifs » spoliés, en partie effective mais limitée, coïncide avec la mémoire nationale des années sombres, selon laquelle la population française, patriote et largement résistante, aurait été frappée dans son ensemble par les exactions commises par l’occupant nazi, endurant des souffrances comparables : prise dans sa globalité, elle doit être désormais réintégrée dans la plénitude de ses droits, de manière égalitaire. Qu’elle soit réellement méconnue ou occultée, la spécificité de la persécution antijuive est largement tue, y compris dans sa composante matérielle. Il faut fermer la « parenthèse de Vichy » et reconstruire un consensus national fondé sur une mémoire héroïsante. De leur côté, les survivants juifs aspirent à reconstruire leur vie et à réintégrer la société, ils ne mettent pas en avant les souffrances subies et se montrent souvent bien peu revendicatifs20, d’autant moins que l’ensemble de la société n’exprime pas unanimement la même compassion à leur égard. Ainsi peut‑on lire dans un tract distribué à la fin du mois de mai 1946 dans le quartier Saint‑Georges et Notre‑Dame‑de‑Lorette : Alerte !!!! Partout le Juif se plaint d’avoir été spolié par le Boche. Aujourd’hui, au préjudice de bonnes familles Françaises, il est réintégré dans ses anciens locaux, remis à neuf par ceux qui les occupaient, et le Juif se plaint encore !!! Durant cinq années, il a trafiqué à Monte‑Carlo, sur toute la Côte d’Azur et dans l’ancienne zone dite : libre. Ceci encore au préjudice de l’ouvrier français. À l’heure actuelle, ces Juifs sont revenus et le trafic auquel ils se livrent s’intensifie chaque jour (textile, ameublement, confection etc…). Le commerce en France se trouve aux mains de cet éternel affameur : le Juif. Français de France !!! Tous unis pour que prenne fin ce scandale. Notre mot d’ordre : La France aux Français et les Juifs en Palestine !!! On a résisté à l’invasion. Lutté contre l’occupation. Combattu pour la libération. A‑t‑on consenti à tous ces sacrifices pour voir : Le Juif prioritaire de tous les avantages refusés aux Français ? Le Juif maître de la Presse, de la Finance, de la Radio etc… Et bien non !!! Pour une France propre, « Retroussons nos manches » et commençons par l’expulsion des Juifs21.

Les « réparations » allemandes

20 C’est la République fédérale d’Allemagne qui initie une nouvelle politique indemnitaire, à partir de la fin des années 1950. Les prémices remontent en fait au début de la décennie, avec la signature des accords de Luxembourg en 1952 et de Paris en 1954 validant le retour de l’Allemagne au sein des nations.

21 Aux termes de la première loi fédérale de restitution et d’indemnisation, dite loi BRüG (Bundesrückerstattungsgesetz), votée en juillet 1957, l’État fédéral s’engage à dédommager les citoyens allemands pour les biens spoliés par l’État nazi. L’article 5 étend le droit au dédommagement à tout bien dont on peut prouver qu’il a été

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transféré sur le territoire devenu celui de la RFA et ouvre donc droit à une indemnisation au moins partielle pour un grand nombre de biens ayant appartenu à des Juifs d’Europe. La loi BRüG fera l’objet de nombreux amendements qui auront pour conséquence d’augmenter le nombre de ceux pouvant en solliciter le bénéfice (tant sur le plan géographique que sur celui de l’apport de la preuve du transfert de leurs biens sur le territoire du Reich). Le plus important de ces amendements est, en 1964, celui qui aboutit à ce qu’on appelle la BRüG nouvelle22.

22 En France, le Fonds social juif unifié (FSJU), importante institution juive fondée en février 1950, est le principal artisan de la mise en œuvre de la loi BRüG. Il instaure une commission franco‑allemande d’experts et aide les personnes concernées à monter leur dossier. Le Comité de défense des spoliés est également mandaté par certains requérants, ainsi que d’autres intermédiaires – dans une moindre mesure.

23 L’application de la loi BRüG se fonde, dans le cas français, sur les paramètres retenus dans le cadre de la loi sur les dommages de guerre de 1946, et les autorités allemandes acceptent les documents par lesquels un requérant peut faire valoir la consistance de la spoliation, ainsi que le pourcentage de sinistre retenu. Et contrairement à la loi française sur les dommages de guerre qui ne tenait pas compte de la perte d’éléments « somptuaires » (ni les bijoux ni les œuvres d’art), la loi BRüG prévoit l’indemnisation d’objets de valeur, pour lesquels est établi un dossier séparé, traité en dehors du compromis forfaitaire. En revanche, les spoliations professionnelles ne sont pas prises en considération, alors même que dans de nombreux cas – celui des ateliers en chambre notamment – tout le matériel a été pillé avec le contenu de l’appartement.

24 En une dizaine d’années, entre 37 000 et 40 000 dossiers ont été déposés par des Juifs vivant sur le territoire français au moment de ces spoliations. L’équivalent de 600 millions d’euros au moins a été versé23.

25 Il faut rappeler d’autre part qu’un deuxième type de « réparation » allemande concerne le versement à la France d’indemnités globales aux termes d’un accord franco‑allemand signé le 15 juillet 1960, qui prévoit le versement de 400 millions de DM à l’État français, à charge pour celui‑ci de répartir les indemnités selon des critères qu’il lui appartient de définir. Conformément à sa tradition républicaine et à la mémoire de la guerre et de l’Occupation encore dominante, les Juifs ne sont pas, et de loin, les seuls à être pris en compte. À la suite de cet accord, la France met en place une Commission interministérielle pour la répartition des indemnités allemandes qui procède au recensement des victimes et attribue une indemnité forfaitaire échelonnée en fonction des catégories de persécution (survivant déporté, survivant interné, conjoint ou autre ayant‑droit)24.

26 Même si ces mesures ne donnent pas entière satisfaction aux victimes – mais le pourraient‑elles ? – elles semblent en tout cas mettre un terme à la politique de « réparation25 » des spoliations matérielles, en particulier de celles qu’ont subies les Juifs.

27 Pourtant, la question est à nouveau posée dans les années 1990, dans un double contexte :

28 – celui de l’évolution mémorielle des plus hautes autorités françaises vis‑à‑vis des responsabilités du régime de Vichy dans la politique de collaboration avec l’occupant allemand et, plus spécifiquement, dans la persécution antijuive ;

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29 – celui de l’ère nouvelle qui s’ouvre dans plusieurs pays au cours de cette décennie sur la question de la restitution et/ou de l’indemnisation des « biens juifs », s’accompagnant de négociations marquées par d’importantes pressions américaines26.

Responsabilité, « repentance » et « réparation »

La longue évolution de la « mémoire nationale » française

30 Ce n’est guère avant les années 1970 que les responsabilités du gouvernement de Vichy ont été analysées27 par les historiens28, en particulier pour ce qui concerne la mise en pratique d’une politique antijuive qui a parfois même précédé les demandes de l’occupant.

31 Cette complicité est progressivement reconnue par l’opinion publique ‑ qui comprend que le « mythe résistancialiste29 » ne correspond pas au réel historique et que si elles restent évidemment responsables de la conception et de la mise en œuvre du plan d’extermination massive des Juifs d’Europe, les autorités nazies furent considérablement aidées dans son application en France par la politique de collaboration du maréchal Pétain.

32 Une étape décisive reste à franchir : à partir de la fin des années 1980, très probablement en liaison avec l’affirmation croissante d’une mémoire juive largement fondée sur le souvenir des années noires, des voix s’élèvent pour demander aux plus hautes autorités de l’État d’admettre que le régime de Vichy n’a pas constitué seulement une « parenthèse » honteuse dans l’histoire de la République française qui ne pourrait d’aucune manière en accepter la moindre parcelle d’héritage ni envisager, au nom du principe de continuité de l’État, un geste officiel de regret, encore moins de « repentance » selon l’expression qui commence à faire florès. Et certains de rappeler que ce n’est pas à la suite d’un putsch que le maréchal Pétain était arrivé au pouvoir, même si « l’État français » n’était plus la République, devenue symbole honni.

33 La menace négationniste suscite aussi l’inquiétude, alors même qu’un enseignant à l’université Lyon 3, Bernard Notin, réussit en janvier 1990 à faire publier un article de cette veine dans la revue Économie et Sociétés subventionnée par le CNRS 30. Et en mai 1990, on découvre que trente‑quatre tombes du cimetière juif de Carpentras ont été profanées ; un corps a même été exhumé31. Les esprits s’enflamment et le débat franco‑français se tend de plus en plus autour de la reconnaissance du rôle des autorités de l’État sous l’Occupation. Un Comité Vél.’ d’Hiv.’ 42 se constitue et lance une pétition demandant à François Mitterrand de faire un geste symbolique32.

34 Mais le président de la République se refuse à réviser la doxa officielle, déclarant ainsi le 14 juillet 1992, lors du traditionnel entretien avec des journalistes dans les jardins de l’Élysée en ce jour de fête nationale : « En 1940, il y eut un État français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. Et c’est à cet État français qu’on doit demander des comptes. Ne demandez pas de comptes à cette République, elle a fait ce qu’elle devait 33 ! »

35 Deux jours plus tard, alors qu’il est pourtant le premier président de la République française à participer à la commémoration de la rafle du 16 juillet 1942, il est accueilli par des huées qui suscitent la colère de Robert Badinter, lui‑même fils de déporté34.

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36 Certes, le décret du 3 février 199335 institue le dimanche suivant le 16 juillet « Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites », mais selon une formule alambiquée et anhistorique, celles‑ci auraient été perpétrées « sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’État français” (1940‑1944) ». Un pas a donc été fait, mais les termes employés restent ambigus. Et lors de l’inauguration officielle du mémorial de la Maison d’, le 24 avril 1994, François Mitterrand s’en tient à un message d’humanisme universaliste, très allusif en ce qui concerne les responsabilités françaises36.

37 Le 6 novembre 1993, cependant, le président de la République fait savoir qu’il ne fleurira plus la tombe du maréchal Pétain, geste qu’il accomplissait traditionnellement à l’occasion du 11 novembre à l’instar de ses prédécesseurs.

38 Ces années sont donc celles des ambivalences et des tergiversations. Ce qui se passe alors sur la scène judiciaire n’est sans doute pas de nature à favoriser le geste de reconnaissance officielle des responsabilités de l’État et la déclaration de repentance que beaucoup attendent. René Bousquet, ancien secrétaire général de la Police du gouvernement Laval, est assassiné le 8 juin 1993 et son procès n’aura jamais lieu37. Jean Leguay, délégué de Bousquet en zone nord, inculpé de crime contre l’humanité pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vél.’ d’Hiv.’, décède en juillet 1989 sans jamais avoir été jugé malgré une interminable instruction38. a été arrêté et inculpé en mai 1989 pour complicité39 de crime contre l’humanité ; il est finalement condamné le 20 avril 1994 par la cour d’assises de Versailles à la réclusion à perpétuité, mais son procès revêt une tout autre signification : ce n’est pas un grand commis de l’État mais un chef local de la Milice lyonnaise, plus ou moins délinquant de droit commun dont la comparution devant la justice ne constitue nullement une mise en accusation de l’État40, même si les complicités de certains milieux catholiques dans la fuite de Touvier pendant des décennies sont clairement dévoilées.

39 Le 6 mai 1981, Le Canard enchaîné a révélé le rôle joué directement par , ancien secrétaire général de la Gironde, dans la déportation des Juifs de Bordeaux. Celui‑ci est inculpé le 19 janvier 1983 mais il faudra dix‑sept ans de batailles judiciaires avant que son procès s’ouvre, le 8 octobre 199741.

40 Profondément découragés, beaucoup en viennent à penser que les autorités françaises sont décidées à continuer d’esquiver leurs responsabilités – en tout cas, celles de leurs prédécesseurs – dans la persécution antijuive.

De la Mission Mattéoli à la CIVS

41 Est‑ce parce qu’il appartient à une autre génération, parce qu’il est animé de motivations personnelles fortes sur le sujet, parce qu’il est sensible à des revendications mémorielles de plus en plus pressantes, que le président Jacques Chirac va rompre avec ces atermoiements ? Il bien sûr impossible de le savoir mais c’est sans nul doute la teneur du discours qu’il prononce le 16 juillet 1995 lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vél.’ d’Hiv.’ qui apparaît fondatrice d’une ère nouvelle dans la politique mémorielle de la République française vis‑à‑vis du régime de Vichy et de sa complicité avec l’occupant. […] La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, ce jour‑là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. […] Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible42.

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42 Le président de la République ayant affirmé sa volonté politique de « reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’État », les pouvoirs publics vont se donner les moyens de « réparer » les dommages commis, au moins sur le plan matériel et financier. Ce qui implique d’abord d’évaluer aussi précisément que possible les spoliations subies par les Juifs de France ainsi que les restitutions effectuées et les indemnisations déjà versées, comme le réclament le 12 décembre 1996, dans une lettre conjointe, le président du CRIF, Henri Hajdenberg, et ses deux prédécesseurs, Ady Steg et Jean Kahn : […] Pour éviter le doute et la confusion, et aussi pour limiter le risque d’initiatives intempestives, il nous semble qu’il serait du plus haut intérêt que soit initiée par le Gouvernement une commission constituée d’historiens, de hauts magistrats, de personnalités qualifiées et de représentants de la communauté juive de France. Cette commission aurait pour objectif d’établir la vérité sur cette question, ce qui est notre préoccupation43. 43 Le 5 février 1997, une lettre de mission du Premier ministre Alain Juppé confie à une Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France présidée par Jean Mattéoli – président du Conseil économique et social, lui‑même ancien déporté résistant – assisté par un groupe de personnalités qualifiées, la tâche d’« étudier les conditions dans lesquelles les biens immobiliers et mobiliers appartenant aux Juifs de France ont été confisqués ou, d’une manière générale, acquis par fraude, violence ou dol, tant par l’occupant que par les autorités de Vichy, entre 1940 et 194444 ». Il lui faudra également préciser « le sort réservé à ces biens depuis la fin de la guerre jusqu’à nos jours » et dresser un bilan des restitutions et des indemnisations intervenues depuis la fin de la guerre, tant de la part des autorités françaises dans l’immédiat après‑guerre que de la République fédérale allemande dans les années 1960. Une recherche parallèle est entreprise par la Caisse des dépôts et consignations45, par la Ville de Paris et par d’autres municipalités ‑ Marseille, Lyon, Grenoble46…

44 La classe politique française exprime son consensus sur la question, au‑delà des clivages politiques. Le 6 octobre 1997, soulignant qu’il s’agit pour la France de « tirer les leçons de sa propre histoire et de réparer ce qui doit l’être », le Premier ministre – socialiste – Lionel Jospin confirme son soutien aux travaux en cours et indique qu’il sera tenu le plus grand compte des recommandations formulées par la Mission Mattéoli47. Dans son deuxième rapport d’étape, celle‑ci, déjà saisie de nombreuses demandes individuelles, suggère la création d’une instance chargée de leur examen48.

45 Ce sera la CIVS. Elisabeth Guigou, garde des Sceaux du gouvernement Jospin, déclare lors de son installation officielle, le 15 novembre 1999 : […] Au‑delà de l’instruction des requêtes, vous allez accomplir également un travail hautement symbolique : la réparation d’une dette imprescriptible envers ceux que le gouvernement de l’État français n’a pas su et n’a pas voulu protéger49.

46 La raison d’être de la Commission dépasse à l’évidence l’aspect strictement matériel et elle marque une rupture explicitement assumée : la spécificité du sort des Juifs pendant les années sombres se trouve officiellement reconnue par cette volonté politique d’indemniser les confiscations et pillages commis à leur encontre.

47 La création de la CIVS s’inscrit ainsi dans l’évolution mémorielle de la France dont nous avons rappelé brièvement les grandes étapes et qui porte sur deux points majeurs : la spécificité de la persécution des Juifs et la responsabilité du régime de Vichy.

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48 Au‑delà même de la mémoire des années sombres, en remontant dans le temps long, on constate que les autorités de l’État ont procédé, même de manière implicite, à un début de réexamen de la communauté de destin nationale qui est l’une de ses valeurs fondamentales. Si elle récuse toujours la notion même de ‘communauté’, fidèle en cela à sa tradition jacobine héritée de la Révolution de 1789, la France commence à accepter le fait qu’elle est composée d’individus égaux en droits et en devoirs, certes, mais aux histoires diverses et aux expériences plurielles. Il ne s’agit pas de construire une histoire éclatée fondée sur des mémoires particularistes, mais de rechercher la vérité historique en tenant compte de sa complexité et de reconnaître les responsabilités et éventuellement les fautes des dirigeants du pays.

49 La création de la CIVS s’inscrit également dans un contexte international qui a vu la fondation de semblables commissions dans plusieurs autres pays d’Europe50.

Pressions américaines

50 Si 1995 marque une date charnière dans l’évolution de la politique mémorielle de la France, c’est également cette année‑là que le président Clinton nomme Stuart Eizenstat51, alors ambassadeur des États‑Unis auprès de l’Union européenne, au poste nouvellement créé de représentant spécial du Président chargé des négociations sur les indemnisations dues aux Juifs d’Europe. Ce faisant, il satisfait aux demandes du Congrès juif mondial (CJM), désireux d’exercer une forte pression sur les gouvernements des pays européens dans lesquels les Juifs ont été spoliés par les autorités d’occupation, avec la participation plus ou moins directe des autorités locales. Le point de départ de cette action tient à la découverte d’une liste de « comptes dormants » en Suisse, tombés en déshérence après la disparition de leurs titulaires juifs pendant la Shoah. Le déni obstiné et les formules pour le moins maladroites employées tant par les représentants des banques que par les autorités helvétiques ‑ « chantage », « extorsion de fonds »… ‑ conduisent le CJM, soutenu par plusieurs hommes politiques américains, à brandir la menace de sanctions économiques et même de boycott des banques et entreprises suisses52. Un accord est finalement conclu en 1998 mais entre temps, d’autres actions en justice ont été engagées. En arrière‑plan, se profile la menace de dépôt de plaintes en nom collectif (class actions) qui, non reconnues alors en droit français53, le sont en revanche en Amérique du Nord. Et selon l’Alien Tort Claims Act, il est possible de porter plainte aux États‑Unis pour des atteintes aux droits de l’homme commises dans un autre pays, quelle que soit la nationalité du demandeur. De grands cabinets d’avocats américains s’intéressent à ces affaires et le risque est réel que des centaines d’entreprises et de banques européennes se voient traduites devant la justice américaine, ce qui entraînerait pour elles des frais très lourds, sans parler de l’atteinte portée à leur image54.

51 Cela étant, les défenseurs des Juifs d’Europe spoliés divergent sur plusieurs points. Du côté américain, on souhaite que les pays concernés versent une contribution, comme une sorte d’« amende » globale, en faveur d’un fonds spécial qui pourrait être géré directement par le CJM. Celui‑ci considère d’autre part qu’il ne faut pas tenir compte des indemnisations – dérisoires à ses yeux – qui ont été accordées précédemment. Ce point de vue n’est pas partagé par la plupart des interlocuteurs européens qui se réunissent à partir de 1997 avec des représentants des États‑Unis lors de plusieurs conférences internationales rassemblant une quarantaine d’États et des centaines

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d’ONG. Pour ce qui la concerne, la délégation française insiste sur le principe de restitutions ou d’indemnisations individuelles calculées à partir d’une étude comptable aussi précise que possible des spoliations subies ; et elle souhaite, au titre de l’équité, que les indemnités déjà versées soient soustraites des nouveaux versements. D’autre part, elle rappelle que, contrairement aux préconisations américaines, il n’est pas possible selon le droit français de publier des listes nominatives fondées sur des critères religieux, ethniques ou politiques, qui seraient contraires au principe de laïcité.

52 C’est dans ce contexte de débats souvent âpres que plusieurs pays européens sont amenés à constituer des commissions nationales d’indemnisation55. Le cas français n’est donc pas unique, même si les facteurs endogènes ont sans nul doute joué un rôle très important et si la CIVS présente un certain nombre de spécificités.

Des traits de spécificité

Des questionnements fondamentaux

53 Ceux qui ont eu la responsabilité d’organiser et de faire fonctionner la CIVS ont dû faire face à des questionnements fondamentaux qui transcendaient les questions strictement administratives.

54 Il leur a fallu tout d’abord régler la question de la définition même de la commission. Fallait‑il opter pour l’application stricte des règles de droit ? Et cela était‑il possible ?

55 Le premier écueil était bien sûr celui‑ci de la prescription, qui aurait invalidé a priori l’action de la commission. Aussi, il est capital de le souligner, celle‑ci n’est pas un organe de nature juridictionnelle, mais une commission consultative qui émet des recommandations.

56 Se posait également la question de l’apport d’éléments probants si longtemps après les faits. Il a été décidé de retenir une approche pragmatique et, pour reprendre la formule de Pierre Drai ‑ premier président de la CIVS ‑ dans son discours d’installation en novembre 1999, d’« aménager une théorie de la preuve qui prenne en compte le temps qui a passé, l’impossibilité matérielle et morale de se pré‑constituer les preuves de la consistance et de la nature des biens pillés, emportés ou volés56 ».

57 Le principe fondamental qui a été retenu est celui de l’équité, « qui assure la prévalence de la conciliation, de la médiation, [ou] de la recommandation » et le même traitement pour tous.

58 Il fallait également délimiter le champ d’intervention de la CIVS.

59 Selon les termes mêmes de son décret fondateur, celle‑ci est chargée d’examiner les demandes individuelles présentées par des victimes directes ou par leurs ayants droit – par des personnes privées, donc, et non par des organismes ou par des personnes morales. Leur requête porte sur la « réparation » de préjudices matériels consécutifs aux spoliations imputables aux législations antisémites prises tant par l’occupant que par les autorités de Vichy, ce qui exclut les dommages subis par faits de guerre, mesures de réquisition ou bombardements par exemple. Par ailleurs, la CIVS a uniquement pour mission d’indemniser des pertes matérielles et non pas des souffrances psychologiques ou des dommages moraux, même si personne ne peut évidemment nier qu’il y a intrication entre les deux.

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60 Le préjudice doit s’être produit sur le territoire français ou ‘assimilé’, comme l’Alsace‑Moselle annexée par l’Allemagne ou les pays d’Afrique du Nord. En revanche, les ayants droit peuvent résider dans n’importe quel pays du monde.

61 Il n’y a pas non plus de condition de nationalité – ni en ce qui concerne les spoliés, ni en ce qui concerne les requérants – et conformément au droit successoral français, la qualité d’ayant droit est reconnue aux parents survivants les plus proches, en ligne directe ou collatérale, sans limite, alors que dans d’autres pays européens où des commissions d’indemnisation ont été constituées à peu près à la même époque, on n’a pas accueilli les demandes au‑delà du deuxième degré de parenté.

62 La procédure est gratuite et le recours à un avocat, laissé au libre choix de chacun, n’est nullement obligatoire.

63 Un débat a surgi d'emblée concernant le rythme de travail de la CIVS : fallait‑il privilégier avant tout l’obtention de résultats rapides ?

64 La CIVS a été créée près de soixante ans après les faits. Les victimes directes étaient, dans le meilleur des cas, des personnes âgées vivant parfois dans des conditions matérielles difficiles. Leurs enfants, eux aussi victimes, avaient largement atteint l’âge mûr. Et des voix s’élevaient pour réclamer un traitement rapide des dossiers, dont le nombre dépassait déjà 1 500 deux mois après l’installation officielle de la Commission et sans que celle‑ci ait encore mené aucune action de communication (plus de 700 lettres de saisine avaient été envoyées spontanément à la Mission Mattéoli).

65 Plusieurs autres commissions nationales ont opté d’emblée pour l’attribution d’indemnisations forfaitaires – tel est le cas de la Belgique par exemple57. Mais les responsables de la CIVS ont décidé quant à eux de procéder à l’examen personnalisé des dossiers qui leur étaient soumis, afin de marquer, au‑delà de la nécessaire compensation financière, la volonté de prise en compte de destins individuels, tous singuliers.

66 C’est sur cette base que sont organisées les modalités de traitement des dossiers.

67 Après avoir fait l’objet de nombreuses recherches en archives, en France et à l’étranger, afin d’évaluer au plus près les spoliations subies et les indemnités préalablement perçues le cas échéant, chaque dossier est confié à un rapporteur, magistrat issu des juridictions administratives, judiciaires ou financières, dont le travail est coordonné par le rapporteur général. Contact est pris directement avec le(s) requérant(s) afin d’essayer de réunir le maximum d’informations complémentaires et de respecter le principe du contradictoire. Une fois l’instruction achevée, les personnes concernées sont invitées à se présenter devant le collège délibérant qui siège soit en formation restreinte de trois personnes soit en formation plénière lorsqu’il s’agit de dossiers particulièrement complexes ou bien de recours déposés sur la base d’éléments nouveaux ou du constat d’une erreur matérielle de la Commission. Un commissaire du gouvernement présente ses observations, le cas échéant. Les recommandations de la CIVS sont ensuite transmises aux services du Premier ministre, qui ne sont pas tenus de s’y conformer mais les valident dans l’immense majorité des cas et procèdent au versement dans un délai de quatre à six mois.

68 Fallait‑il prendre en compte les indemnités préalablement reçues ?

69 Toujours au nom du principe d’équité, il est tenu compte des indemnités déjà perçues par certaines familles, soit de la part de la France, soit de la RFA, une même spoliation ne pouvant faire l’objet d’une double indemnisation. C’était du reste une

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recommandation explicite de la Mission Mattéoli. Pour chaque dossier, une recherche est menée, en particulier par l’antenne de la CIVS qui travaille à l’ambassade de France à Berlin. En effet, les dossiers de la BRüG conservent trace des Dommages de guerre.

En guise de conclusion : un bilan provisoire

70 Depuis sa création en septembre 1999, la CIVS a traité 29 402 dossiers et émis 34 946 recommandations pour des indemnisations dont le montant total s’élève à 512 102 882 €58.

71 Les demandes concernent majoritairement la spoliation des meubles et objets personnels pillés dans les logements – dont les rapporteurs de la Mission Mattéoli ont souligné à quel point elle avait représenté un trauma pour les familles –, la spoliation des comptes bancaires, celle du matériel et du stock des ateliers, fabriques et commerces d’importance très diverse, et tous les frais indus inhérents à « l’aryanisation », comme les émoluments de l’administrateur provisoire, par exemple. Sont également pris en compte le paiement de passeurs clandestins pour franchir la ligne de démarcation ou une frontière, ainsi que celui de frais de justice pour faire valoir ses droits à la Libération. Les valeurs et biens saisis sur les déportés avant leur embarquement dans les convois sont eux aussi indemnisés. Il importe de signaler que même s’il rencontre toujours un vif écho dans la presse, le pillage des œuvres d’art et des biens culturels59 concerne environ 2 % du nombre des biens spoliés – évidemment beaucoup plus en termes de coût –, la plupart des Juifs vivant sur le sol français avant la guerre, surtout parmi les immigrés récemment arrivés, ayant un niveau de vie modeste.

72 En dehors des avoirs financiers identifiés dont le paiement est à la charge des banques concernées conformément aux accords de Washington, les indemnités versées sur recommandation de la CIVS sont imputées au budget de l’État, venant en addition de celles qui ont été versées à titre de dotation à la Fondation pour la mémoire de la Shoah, créée en 2000, sur la base de l’évaluation du montant des biens en déshérence. Aucun plafond de dépense n’a été fixé à l’action de la CIVS ni, à ce jour, aucune date de forclusion.

73 Telles sont les grandes lignes du fonctionnement de la politique française de « réparation », soixante ou soixante‑dix ans après les faits. « Justice tardive », sans aucun doute, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Stuart Eizenstat ‑ qui ne l’applique pas seulement au cas français, du reste. Justice imparfaite, probablement. Mais geste symbolique fondamental : l’ouverture d’une ère nouvelle dans la politique française d’indemnisation des « biens juifs » spoliés, dans le cadre de la reconnaissance officielle des responsabilités françaises dans la persécution antijuive – reconnaissance exprimée par les plus hautes autorités de l’État et pérennisée au fil des années, par‑delà les clivages politiques.

74 Évidemment, l’historien est aussi citoyen, et au‑delà de son champ disciplinaire, bien des questions se posent à lui, comme à chacun. Au‑delà même des volumes qu’il va lui‑même publier, le Comité d’histoire auprès de la CIVS ‑ à l’origine de l’organisation de l’atelier de recherche international dont les travaux constituent l’essentiel de ce dossier ‑ s’attache également à alimenter, modestement mais résolument, des interrogations fondamentales sur des questions politiques et sociétales actuelles.

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75 On ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la forclusion/prescription (deux notions qui d’ailleurs ne sont pas exactement superposables). En termes d’histoire et de morale, il ne peut y avoir de délai de prescription, mais est‑ce que cela signifie qu’il ne doit pas y en avoir non plus sur le plan de l’indemnisation financière ? Sinon, et au‑delà même du coût pour la collectivité au fil des décennies, ne risque‑t‑on pas de voir une partie des jeunes générations juives se construire sur leur seul statut (transgénérationnel) de ‘victime’, au moins en partie fantasmé ? Se posent ici des questions essentielles : l’évolution du statut de victime dans nos sociétés, la reconstruction d’un « vivre ensemble » après conflits et traumas, la part respective de la mémoire et/ou de l’oubli à la fois comme constituant identitaire et comme ciment sociétal, l’union des mémoires éparpillées en une histoire commune60.

76 On peut s’interroger aussi sur la manière dont l’opinion publique perçoit cette politique de « réparation » de l’État vis‑à‑vis d’une catégorie spécifique de citoyens. Relève‑t‑on parfois, dans certains milieux, des manifestations d’une « concurrence des victimes » pour reprendre l’expression – à dessein provocatrice – de Jean‑Michel Chaumont 61? ou bien est‑ce plutôt une sorte de modèle – il pourrait en être ainsi des revendications indemnitaires de descendants d’esclaves, qui se sont exprimées d’abord aux États‑Unis, mais se sont depuis peu développées aussi en France62.

77 Car la mission de la CIVS ne se borne pas au seul versement d’indemnités, aussi indispensable et fondamentalement légitime qu’il soit. Elle a aussi une valeur symbolique, à plusieurs niveaux : la reconnaissance des responsabilités et des fautes du passé, et la participation à une réflexion vigilante sur aujourd’hui et demain.

NOTES

1. Décret n o 99‑778, cosigné par M. Lionel Jospin, Premier ministre ; Mme Élisabeth Guigou, Garde des Sceaux, ministre de la Justice ; M. Claude Allègre, ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie ; M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères ; M. Dominique Strauss‑Kahn, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ; M. Alain Richard, ministre de la Défense ; Mme Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication ; MM. Christian Sautter et Jean‑Pierre Masseret, respectivement secrétaires d’État au Budget et à la Défense (chargé des anciens combattants). Pour prendre connaissance du texte initial du décret et des modifications intervenues ultérieurement, cf. legifrance.gouv.fr 2. Cf. www.civs.gouv.fr 3. Aux termes du décret n o 2014‑555 en date du 28 mai 2014, la CIVS a été prorogée jusqu’au 1er juin 2019 – cf. Journal officiel de la République française (désormais JORF), no 0125, 31 mai 2014, p. 9 059. Aucune date de forclusion n’a encore été officiellement fixée.

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4. Nous reprenons ici la structure de notre intervention lors de l’atelier international de recherche qui s’est tenu à Washington DC en juillet‑août 2013 (voir l’introduction de ce dossier), en en actualisant les données. 5. Cf. Leora AUSLANDER, “Coming Home ? Jews in Postwar Paris”, Journal of Contemporary History, vol. 40, no 2, avril 2005, pp. 237‑259 ; Atina GROSSMANN, “Family Files. Emotion and Stories of (Non)‑Restitution”, German Historical Institute London Bulletin, vol. 34, no 1, mai 2012, pp. 59‑78 ; Shannon L. FOGG, Stealing Home :Looting, Restitution and Reconstructing Jewish Lives in France, 1942‑1947, Oxford, OUP, 2016. 6. Ce passage de notre article s’appuie en particulier sur les rapports de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France (dite Mission Mattéoli), publiés à La Documentation française en 2000. Voir la bibliographie générale du dossier. Voir aussi David RUZIÉ, « L’indemnisation des victimes des spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation en France », in Libertés, justice, tolérance. Mélanges en hommage du Doyen Gérard Cohen‑Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004. 7. JORF, 20 janvier 1943. Le texte de cette déclaration peut être consulté en ligne : mjp.univ-perp.fr. Voir aussi Claude LORENTZ, La France et les restitutions allemandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1943‑1954), Paris, Ministère des Affaires étrangères, Direction des Archives et de la Documentation, 1998, pp. 8‑10. 8. Publiée à Alger, cette ordonnance est promulguée par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) instituée par l’ordonnance du 3 juin 1943. Elle est signée par son président, Charles de Gaulle, et par le commissaire à la Justice, François de Menthon. JORF, 10 août 1944, p. 688. 9. Cf. Claire ANDRIEU, La Banque sous l’Occupation. Paradoxes de l’histoire d’une profession, 1936‑1946, Paris, Les Presses de Sciences Po’, 1990 ; id., avec la collaboration de Cécile OMNÈS & al., La Spoliation financière (2 volumes), rapport de la Mission d’étude sur les spoliations des Juifs de France, Paris, La Documentation française, 2000. Voir également : Jean‑Marc DREYFUS, Pillages sur ordonnances. L’aryanisation des banques juives en France, 1940‑1952, Paris, Fayard, 2003. 10. JORF, 15 novembre 1944, p. 1 310. 11. Cf. Jean LALOUM, « La restitution des biens spoliés », Les Cahiers de la Shoah, no 6, 2002/1, pp. 13‑58. 12. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Rapport général, Paris, La Documentation française, 2000, p. 27 sq. 13. Ce n’est qu’au début de l’année 1945 que deux services ad hoc sont créés : le 30 janvier, le Service des restitutions des biens des victimes des lois et mesures de spoliation, auprès du ministère des Finances ; et le 2 février 1945, le Service temporaire de contrôle des administrateurs provisoires et liquidateurs de biens israélites, auprès du ministère de la Justice. Ibid., p. 29. 14. Cf. Annette W IEVIORKA & Floriane A ZOULAY, Le Pillage des appartements et son indemnisation, rapport de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Paris, La Documentation française, 2000, p. 31. 15. Cette thèse, soutenue à partir des années 1980 notamment par Henry Rousso, Annette Wieviorka, Serge Klarsfeld, est en partie déconstruite par François AZOUVI in Le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire, Paris, Fayard, 2012. Azouvi

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reconnaît néanmoins que ce n’est qu’une poignée d’« intellectuels attentifs » qui intègre la connaissance de la réalité de la Shoah. Voir son entretien avec Luba JURGENSON in Vox Poetica, 14 avril 2013 – www.vox-poetica.org. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat. 16. Ordonnance no 45‑770 portant 2e application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi, JORF, 22 avril 1945, p. 2 283. 17. Cf. J. LALOUM, « La restitution des biens spoliés », art. cit., p. 13.

18. Souligné par nous. C. A NDRIEU, « En France, deux cycles de politique publique : restitution (1944‑1980) et réparations (1997…), in Constantin G OSCHLER, Philipp THER, Claire ANDRIEU (dir.), Spoliations et restitutions des biens juifs en Europe, XXe siècle, Paris, Autrement, 2007, p. 191. 19. Loi no 46‑2389, JORF, 29 octobre 1946, p. 9 191. 20. Cf. note 14. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article, « Des signes de résurgence de l’antisémitisme dans la France de l’après‑guerre (1945‑1953) ? », Les Cahiers de la Shoah, no 5, 2001/1, pp. 171‑223. Voir aussi Simon PEREGO, « “Pleurons‑les, bénissons leurs noms.” Les commémorations de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale dans le monde juif parisien entre 1944 et 1967 : rituels, mémoires et identités », thèse d’histoire contemporaine soutenue à l’Institut d’études politiques de Paris en décembre 2016, sous la direction de Claire Andrieu. 21. Texte reproduit dans Le Bulletin du Centre israélite d’information, no 3, mai 1946. 22. Cf. A. WIEVIORKA & F. AZOULAY, Le Pillage des appartements et son indemnisation, op. cit., pp. 51 sq. Voir aussi Dommages de guerre mobiliers. Loi BRüG (juillet 1957) et son application en France, Archives historiques du ministère de la Transition écologique et solidaire/ ministère de la Cohésion des territoires, archives.developpement-durable.gouv.fr. Nous ne reviendrons pas ici sur la loi dite « BEG » (Bundesentschädigungsgesetz), publiée le 29 octobre 1956, qui indemnise les victimes pour des préjudices physiques et psychologiques subis en fonction de leurs opinions politiques, croyances, appartenance à une « race » ou à une religion. 23. A. WIEVIORKA & F. AZOULAY, op. cit., p. 67. 24. Cf. décret no 61‑971 du 29 août 1961 portant répartition de l’indemnisation prévue en application de l’accord conclu le 15 juillet 1960 entre la France et l’Allemagne, JORF, 30 août 1961, p. 8 132. Voir à ce propos : J.‑M. DREYFUS, L’Impossible réparation. Déportés, biens spoliés, or nazi, comptes bloqués, criminels de guerre. Quand le Quai d’Orsay négociait avec l’Allemagne (1944‑2001), Paris, Flammarion, 2015. 25. L’usage de ce mot, calqué sur l’allemand Wiedergutmachung et passé peu à peu dans le langage commun, revêt en français une connotation d’ordre moral inappropriée, alors qu’il devrait plutôt se traduire par « compensation ». Cette question a fait l’objet de nombreuses discussions lors de notre atelier de recherche. 26. Outre les articles figurant dans ce dossier et les ouvrages cités par leurs différents auteurs, on se reportera en particulier à : Stuart EIZENSTAT, Une justice tardive. Spoliations et travail forcé, un bilan de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Seuil, 2004. 27. Ce passage reprend quelques extraits de notre article « CIVS » in Jean LESELBAUM & Antoine SPIRE, Dictionnaire du judaïsme français depuis 1944, Paris, Armand Colin/Le Bord de l’eau, 2013.

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28. Sur ce qu’il est convenu d’appeler « la révolution paxtonienne », cf. notamment To Overcome a Past: and the Historians. A Symposium in Honor of Robert O. Paxton, Mission française, Columbia University, 26‑27 septembre 1997 ; Sarah FISHMANN & al., La France sous Vichy. Autour de Robert Paxton, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 2004. Voir aussi Nicolas WEILL, « Vichy et la ‘révolution paxtonienne’ », Le Monde des livres, 14 octobre 2015. 29. Néologisme créé par Henry ROUSSO, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990 – dernière rééd. 2016 ; voir aussi Luc CAPDEVILA, « La construction du mythe résistancialiste : identité nationale et représentations de soi à la Libération », in Jacqueline SAINCLIVIER & Christian BOUGEARD (dir.), La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, PUR, 1995, pp. 347‑358. 30. Cf. Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, Paris, Seuil, 2000, p. 428‑433.

31. Cf. Claude MOSSÉ, Carpentras, la profanation, Monaco, Le Rocher, 1996. 32. Cet appel a été publié, avec la liste des signataires, dans Le Monde du 17 juin 1992. 33. Cité in Marc Olivier B ARUCH, Des lois indignes ? Les historiens, la politique et le droit, Paris, Tallandier, 2013, p. 68. 34. « Vous m’avez fait honte. Je ne demande que le silence que les morts appellent. Vous déshonorez la cause que vous croyez servir ! » – Cité in « Les sifflets de la douleur », L’Humanité, 17 juillet 1992. 35. Décret no 93‑150, JORF, no 29, 4 février 1993, p. 1902. 36. Le texte de cette allocution est consultable sur : discours.vie- publique.frdiscours.vie-publique.fr. Voir aussi Floriane SCHNEIDER, Shoah : dans l’atelier de la mémoire. France, 1987 à aujourd’hui, Lormont, Le Bord de l’eau, 2013, pp. 69‑77. 37. Cf. Pascale F ROMENT, René Bousquet, Paris, Stock, 1994, nouvelle édition revue et complétée. Paris, Fayard, 2001. 38. Cf. Le Monde, 10 décembre 1980. 39. Nous soulignons l’expression retenue dans la définition du chef d’accusation, sans entrer dans le débat historico‑juridique y afférent. 40. Cf. Laurent G REILSAMER & Daniel S CHNEIDERMAN, Un certain Monsieur Paul. L’affaire Touvier, Paris, Fayard, 1994. 41. Cf. notamment le dossier « Papon : leçons d’un procès », L’Histoire, no 222, juin 1998. 42. Ce texte peut être consulté dans son intégralité notamment sur le site de la CIVS, rubrique « Ressources documentaires ». 43. Cité in Pierre S ARAGOUSSI, Spoliations et restitutions des biens juifs. Naissance d’une politique publique, Paris, CIVS, 2007, p. 6. Serge Klarsfeld (Association des fils et filles des déportés juifs de France), David de Rothschild (FSJU) et Éric de Rothschild (Mémorial de la Shoah) ont cosigné cette lettre. 44. Cf. communiqué des services du Premier ministre, consultable sur le site : www.discours.vie-publique.fr 45. Cf. Jean L ALOUM, « La Caisse des dépôts et consignations et les avoirs des Juifs », Archives juives, no 31, 1998/2, pp. 87‑94 ; Pierre‑Yves AIGRAULT, « Les archives de la spoliation à la Caisse des dépôts et consignations », Archives juives, no 35, 2002/2, pp. 128‑135 ; La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle, ouvr. coll., Paris, Albin Michel, 2003.

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46. Voir en particulier les travaux de Renée D RAY‑BENSOUSSAN, Laurent DOUZOU, Tal BRUTTMANN…

47. Cf. Sébastien LEDOUX, Le Devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, CNRS Éditions, 2016, p. 17, note 85. 48. Cf. Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Rapport général, op. cit., pp. 173‑174. 49. Cf. CIVS, Rapport d’activité no 1, 2000. 50. Voir les différents articles de ce dossier. 51. Cf. Stuart EIZENSTAT, Une justice tardive, op. cit.

52. On se reportera notamment aux travaux de Regula LUDI.

53. Cf. Philippe COSTE, « L’exception française », L’Express, 23 septembre 1999.

54. Cf. John TORPEY & Elazar BARKAN (dir.), Politics and the Past: On Repairing Historical Injustices, Lanham, Rowman & Littlefield, 2004 ; Antoine G ARAPON, Peut‑on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah, Paris, Odile Jacob, 2008. 55. Cf. Alexander KARN, Amending the Past. Europe’s Holocaust Commissions and the Right to History, Madison, The University of Wisconsin Press, 2015. 56. Cité in CIVS, Rapport no 1, 2000. 57. Cf. Commission d’étude sur le sort des biens de la communauté juive de Belgique spoliés ou délaissés pendant la guerre [dite Commission Buysse], Rapport remis au Premier ministre, Bruxelles, 2006. 58. Chiffres de juin 2017. Cf. www.civs.gouv.fr, rubrique « Les chiffres‑clés ». 59. Le 15 mars 2013, la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filipetti a installé un groupe de travail présidé par Mme France Legueltel, magistrat rapporteur à la CIVS, et composé de conservateurs de musées, de membres du service des archives du ministère des Affaires étrangères et des Archives nationales, d’agents de la CIVS, d’un représentant de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, ainsi que d’une chercheuse associée à l’Institut national d’histoire de l’art. 60. Cf. en particulier John TORPEY & Elazar BARKAN (dir.), Politics and the Past: On Repairing Historical Injustices, Lanham, Rowman & Littlefield, 2004 ; Antoine G ARAPON, Peut‑on réparer l’histoire ?, op. cit. 61. In La Concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 2010. 62. Cf. Christine CHIVALLON, L’Esclavage, du souvenir à la mémoire, Paris, Karthala, 2012 ; Louis‑Georges TIN, Esclavage et réparations : comment faire face aux crimes de l’histoire..., Paris, Stock, 2013 ; Myriam COTTAS, « Quelles réparations pour l’esclavage ? », Journal du CNRS, mai 2017.

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RÉSUMÉS

Il y a dix‑huit ans, par le décret du 10 septembre 1999, les autorités françaises instituaient auprès du Premier ministre la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites (CIVS), « chargée d’examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des législations antisémites prises, pendant l’Occupation, tant par l’occupant que par les autorités de Vichy ». La CIVS devra « rechercher et proposer les mesures de réparation, de restitution ou d’indemnisation appropriées ». Quel bilan peut‑on dresser de son action, alors qu’elle est toujours en fonctionnement ? Quel est son apport sur le plan de la connaissance historique ? Quelle signification revêt‑elle dans le domaine mémoriel ? Quel rôle est‑elle susceptible de jouer dans la (re)construction d’un consensus national mis à mal pendant des décennies ? Bien au‑delà de ses aspects financiers, quelle est sa valeur symbolique ?

Eighteen years ago, by a Decree dated September 10, 1999, the French authorities established the Commission for the Compensation of Victims of Spoliations Involved by Anti‑Semitic Legislation (CIVS), "charged with examining claims submitted by victims or other people entitled to, for compensation of damages resulting from the spoliation of property caused by the anti‑Semitic laws enacted during the Occupation by both the occupiers and the Vichy authorities". The CIVS shall "seek and propose the appropriate measures of reparation, restitution or compensation". What is the record of its action, while it is still in operation? What is its contribution in terms of historical knowledge? What significance does it have in the realm of memory? What role is it likely to play in the (re)building of a national consensus that has been undermined for decades? Beyond its financial aspects, what is its symbolic value?

תקציר: לפני שמונה עשרה שנים, בעקבות צו שפורסם ב10- לספטמבר 1999, ייסדו הרשויות בצרפת ועדה לפיצוי קורבנות גזל רכוש בעקבות חקיקה אנטישמית. הועדה הוגדרה כ"אחראית לבדיקת בקשות אישיות של הקורבנות או של באי כוחם בנוגע לפיצוי עבור נזקים שנגרמו בעקבות חוקים אנטישמיים שנחקקו בזמן הכיבוש הנאצי הן על ידי הכובשים והן על ידי ממשלת וישי". הועדה אמורה "להציע דרכים מתאימות להשבת הרכוש הנגזל או למתן פיצויים הולמים". מה ניתן ללמוד על פעולותיה של הוועדה, הממשיכה עדיין בעבודתה? מהי תרומתה להליך ההכרה ההסטורית ולעבודת הזיכרון? מה אמור להיות תפקידה בשיקום הקונצנזוס הלאומי שהוזנח לאורך עשרות שנים? ומעבר להיבטים הכספיים, מהו ערכה הסמלי?

AUTEUR

ANNE GRYNBERG Inalco, USPC

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Lumière sur les « MNR » ? Les œuvres d’art spoliées, les musées de France et la Mission Mattéoli : les limites de l’historiographie officielle Shedding Light, Casting a Shadow The Mattéoli Commission, French Museums and the Issue of Looted Art: The Limits of Official Historiography טבמ שדח לע לזג תוריצי תונמאה , םינואיזומה םיתפרצה התוחילשו לש תדעו ילואטמ : לע היתולבגמ לש היפארגוירוטסהה שרה תימ .

Johanna Linsler

1 Les spoliations d’œuvres d’art constituent, aujourd’hui encore, un élément central des problématiques soulevées au cours des années 1990, liées aux préjudices matériels subis par les victimes des persécutions nazies. Dans ce contexte, en France, le sigle MNR (Musées Nationaux Récupération) est entré dans le langage courant : il désigne quelques 2 000 œuvres et objets d’art issus de la « Récupération », qui, ne pouvant ‑ pour diverses raisons ‑ être restitués, ont été confiés aux musées nationaux1. C’est autour de cette notion qu’au cours des années 1990 s’est cristallisée la part essentielle des recherches, débats et polémiques ayant trait aux spoliations d’œuvres d’art.

2 La Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France (dite Mission Mattéoli) a consacré un rapport spécifique au sujet. C’est un travail qui a fait date et demeure aujourd’hui encore un document important ‑ si ce n’est le document le plus important ‑ sur l’histoire (française) du pillage des biens culturels durant l’Occupation et de celle des ‘récupérations’ d’œuvres d’art après‑guerre2.

3 Dans le présent article, notre intérêt porte sur la façon dont la Mission Mattéoli a pris en charge cette question3.

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4 En premier lieu, nous allons esquisser l’avènement de la thématique des œuvres d’art spoliées dans le débat public en France et fournir une brève analyse de trois éléments alimentant la controverse. Puis nous nous interrogerons sur la manière dont cette question a été traitée par la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, en formulant trois séries d’observations. Enfin, nous nous intéresserons aux dissimilitudes qui, à trois niveaux différents, séparent le rapport Mattéoli sur les œuvres d’art des autres travaux de la Mission.

5 Nous nous fonderons, pour l’essentiel, sur les rapports publiés dans le cadre de cette Mission4. Il s’agit ainsi, vingt ans après le début du travail de la commission, d’identifier les questions qui restent en suspens et d’indiquer de potentielles pistes de recherche en vue d’une enquête historique qui, à notre connaissance, n’a pas encore été menée.

1995‑1997 : l’irruption de l’Holocaust Era Restitution Campaign dans le monde des musées français

6 Déterminée par la fin de la Guerre froide, et plus largement par l’interaction de différents facteurs géopolitiques, économiques, juridiques et culturels, l’irruption, au cours des années 1990, de cette « campagne de restitutions » de biens spoliés en lien avec la Shoah est décrite et analysée dans les contributions au présent volume de Regula Ludi et d’Anne Grynberg.

7 En ce qui concerne les musées de France, la thématique entre sur la scène publique dès 19905 et au plus tard fin 1995, lorsque le journaliste Hector Feliciano publie, sous le titre Le Musée disparu6, un ouvrage portant sur la spoliation de grandes collections d’art en France. Rencontrant un intérêt croissant au fil des mois7, ce livre donnera lieu à une polémique qui, pour l’essentiel, se fixe autour de trois mises en cause de l’État et de l’administration des musées : (1) pour nombre de MNR les recherches de propriétaires, pourtant simples, n’auraient pas été entreprises ; (2) les archives pouvant permettre d’identifier les propriétaires légitimes seraient volontairement rendues inaccessibles, voire dissimulées ; (3) il en serait de même pour les œuvres elles‑mêmes.

Pourquoi les MNR n’ont‑ils pas été restitués ?

8 Hector Feliciano attire l’attention sur l’historique d’un certain nombre d’œuvres classées MNR dont il estime connaître les légitimes propriétaires. En s’étonnant du fait que « cinquante ans après la fin de la guerre » ces œuvres se trouvent toujours dans les musées, il pose la question : « pourquoi ces œuvres n’ont pas encore été restituées à leurs propriétaires légitimes8 ? » Son raisonnement s’appuie sur le fait que certains de ces tableaux apparaissent sur les photographies prises au musée du Jeu de Paume du temps de l’Occupation. Dans la mesure où, après leur spoliation, ces œuvres ont servi de monnaie d’échange aux nazis et ont été absorbées par un marché de l’art particulièrement corrompu, il s’avèrera par la suite difficile d’en retracer la provenance. C’est le cas notamment pour les tableaux modernes, dont font partie les exemples de tableaux classés MNR que cite Hector Feliciano au fil d’entretiens qu’il a donnés à la presse9. Selon lui, les musées nationaux n’auraient donc pas fait tous les efforts requis pour identifier les propriétaires des œuvres récupérées en Allemagne, et sont ainsi accusés de contribuer « à prolonger l’une des dernières séquelles de cette

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période si troublée10 ». Leur inertie (supposée relever de leur mauvaise volonté) s’assimilerait donc, selon lui, à une nouvelle forme de spoliation.

9 En effet, l’histoire des récupérations et restitutions n’ayant, à cette époque, pas encore fait l’objet de recherches publiées, il semble légitime de mettre en question l’efficacité des politiques de restitution mises en œuvre après la guerre.

10 À la Libération, ces dernières ont été confiées à plusieurs organismes : le Service des restitutions ‑ pour les objets retrouvés en France11 ‑, l’Office des biens et intérêts privés (OBIP)12 ‑ pour ceux récupérés en dehors de l’Hexagone ‑ et la Commission de récupération artistique (CRA)13 ‑ plus particulièrement chargée de leur identification, gestion et manipulation, en raison de l’expertise de son personnel. Fin 1949, la CRA cessa de fonctionner, l’OBIP a diminué ses effectifs et son activité s’est peu à peu réduite. Les œuvres rapatriées restant entre ses mains ont été, pour la plus grande partie, liquidées par leur vente aux enchères ‑ exception faite d’un millier de peintures et d’un millier d’autres objets d’art, confiés aux musées qui les ont portés à leurs inventaires sous le label « Récupération ».

11 Or, le fait est que la récupération des œuvres d’art a été d’abord entreprise dans l’objectif de reprendre aux nazis les grandes collections spoliées à des Juifs français, tâche où elle a fait preuve d’une remarquable efficacité14. Ce qui n’a pas été le cas, loin s’en faut, pour ce qui est des petites voire très petites collections15, et encore moins, on peut le supposer, quand il s’agissait de collectionneurs qui n’étaient pas de nationalité française16.

12 Les allégations des journalistes ne sont donc pas sans fondement et la CRA a effectivement failli à restituer un certain nombre d’œuvres, œuvres ayant appartenu, dans la plupart des cas, à de très petites collections qui n’avaient pas été identifiées faute de recherches suffisamment approfondies. Elle a très certainement reçu un certain nombre d’objets en provenance d’Allemagne dont les propriétaires ont été assassinés dans le cadre du génocide nazi. Une partie de ces objets, peut‑on supposer, ont été estampillés MNR pour rejoindre les collections nationales.

13 C’est dans ce contexte que la controverse des années 1990 a pris appui sur une sorte d’équation « MNR = œuvre spoliée », et, qui plus est, spoliée aux victimes de la Shoah.

Où sont les archives sur les MNR ?

14 En réalité, chaque MNR ne correspond pas nécessairement à une œuvre spoliée. En effet, une partie non négligeable des œuvres « récupérées » a représenté une forme de dédommagement symbolique cédé, en accord avec ses Alliés, à la France pour le préjudice subi, collectivement, par les contribuables français : il a été ainsi considéré après guerre que le taux de change et le système de paiement que le Reich avait imposés à la France vaincue constituaient une forme de spoliation de la société française qui avait eu à en supporter la charge. Par conséquent, les dispositions prises par les Alliés après la guerre rendaient caducs, en principe, tous les achats effectués par des Allemands sous l’Occupation17. Les innombrables « bonnes affaires » que des Allemands avaient pu faire sur le marché de l’art parisien occupé ont fait l’objet d’une forme d’annulation rétroactive, effectuée tant en reprenant à des particuliers et à des musées allemands des œuvres acquises en France sous l’Occupation qu’en ponctionnant les

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collections privées de dignitaires nazis, en grande partie constituées pendant la guerre18.

15 La « récupération » de ces objets par la France a donc été considérée comme légitime. Le fait que celles de ces œuvres qui ont été retenues par les musées nationaux ont été cataloguées à l’aide de sigles indiquant comme origine la Récupération n’était en principe censé ni indiquer ni dissimuler de lien avec les spoliations. Il relèverait plutôt de logiques internes de gestion des collections, selon lesquelles il s’agit simplement de savoir par quel biais un objet est entré dans les collections et non de retracer son parcours antérieur ; raison pour laquelle le transfert aux musées français des objets MNR n’a pas occasionné la constitution d’un dossier spécifique afférant à chacun d’eux. De leur point de vue, les musées ont donc simplement et légitimement bénéficié du droit de puiser dans une masse que la France avait rapatriée au nom de la nation, afin d’enrichir, à terme, leurs collections et par là‑même le patrimoine national19. Toujours de leur point de vue, il n’y avait donc pas de quoi faire « toute une histoire ».

16 Ce processus, par lequel la France a obtenu des milliers d’œuvres et objets d’art en guise de réparation collective, est documenté dans des archives de la CRA, restées auprès de Rose Valland, qui a été l’une des actrices‑clé des deux processus : la Récupération au nom de la nation et les restitutions aux propriétaires particuliers. Depuis le décès de Mme Valland en 1980, ces archives n’étaient plus utilisées et elles étaient stockées en région parisienne, dans les sous‑sols de l’annexe d’un musée dédié à la légende napoléonienne, au château de Bois‑Préau20.

17 Lorsqu’en 1990, la Direction des musées de France les transfère au ministère des Affaires étrangères, l’objectif n’est pas de les ouvrir aux chercheurs, journalistes ou particuliers intéressés par les MNR21, mais peut‑être tout au plus aux diplomates. En effet, pendant la première moitié des années 1990, pour les acteurs politiques d’alors, l’incrimination d’institutions françaises en lien avec les crimes nazis paraît encore inconcevable22 et la thématique des spoliations n’est encore abordée que sous la devise « L’Allemagne paiera ».

18 Suite à la réunification de l’Allemagne, le ministère des Affaires étrangères français est ainsi entré en négociation avec la RFA, réactivant d’anciennes requêtes au sujet d’un certain nombre d’œuvres d’art spoliées, retenues jusque‑là sur le territoire de l’ancienne RDA. Le transfert au Quai d’Orsay des archives de la CRA documentant les requêtes formulées par les victimes de spoliations après‑guerre et les enquêtes et procédures engendrées, s’effectue dans ce contexte. Dans l’esprit des politiques français, il s’agit alors exclusivement d’Affaires « étrangères » et, avant tout, d’actions à mener à l’encontre de l’Allemagne.

19 Bien que l’idée qu’on puisse mettre en question la légitimité des musées comme gardiens des MNR semble encore être loin de l’esprit des responsables des musées, la question de leur statut est posée, dès 1990, par le nouveau directeur des musées de France et ancien magistrat de la Cour des comptes Jacques Sallois23. S’interrogeant au sujet du statut légal des MNR, ce dernier24 organise le transfert des dossiers y afférant aux archives du ministère des Affaires étrangères sous la responsabilité duquel les MNR se trouvent techniquement.

20 Quoique fermés au public, ces dossiers doivent, en principe, pouvoir être communiqués, sous dérogation, à des ayants droit de victimes des spoliations. Or, lors de leur transfert au Quai d’Orsay, les archives de la CRA ne sont pas prêtes à être consultées, dans la

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mesure où elles ne sont ni classées ni inventoriées et où depuis le décès de Rose Valland elles n’ont pas été utilisées. C’est la raison pour laquelle Hector Feliciano a dû mener son enquête à partir de sources américaines ayant trait aux spoliations, seules à être disponibles. En évoquant dans son avant‑propos « la difficulté que l’on rencontre en France pour consulter documents et archives de l’époque25 », il met l’accent sur une réalité des années 1990 : alors qu’à travers le monde des archives s’ouvrent, en France celles qui ont trait à la récupération artistique restent inaccessibles26.

Où sont les MNR ?

21 Le troisième soupçon qui se trouve alors au cœur de la polémique accuse les musées français de dissimuler les MNR. Le décret qui, fin septembre 1949 signe leur statut, précise que ces œuvres « seront exposées dès leur entrée dans [les] musées et inscrites sur un inventaire provisoire qui sera mis à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés jusqu’à l’expiration du délai légal de revendication27 ». Dans la mesure où ce délai n’a pas été défini28, ces œuvres devraient donc, en principe, être aujourd’hui encore disponibles à tout moment pour que d’éventuels propriétaires puissent les reconnaître. Or, au milieu des années 1990, les journalistes constatent qu’il n’en est rien et H. Feliciano évoque, par exemple, un tableau d’Utrillo « aujourd’hui accroché dans les bureaux du Crédit lyonnais à Paris », et commente : « Il serait difficile pour un éventuel propriétaire ou héritier d’avoir libre accès à son présent lieu de conservation29. » Certes, en interne, le directeur des Musées de France Jacques Sallois, dès 1990, a posé la question des MNR et dès octobre 1992, il a informé les chefs d’établissement du fait que leur statut demeure celui d’un dépôt à titre précaire30. Toujours est‑il que les responsables des collections des musées ne paraissent pas manifester beaucoup d’intérêt pour la provenance des MNR31. Bien que l’allégation sous‑jacente corresponde à une accusation de recel, les musées semblent avoir tardé à en prendre toute la mesure, ou pour le moins n’ont‑ils pas su ou voulu réagir publiquement de manière immédiate. Cela tient peut‑être au fait que les Musées de France conservent à cette date plusieurs centaines de milliers si ce n’est des millions d’œuvres32, dont seules quelques dizaines de milliers sont exposées, la majorité demeurant en réserve ; les 2 000 objets issus de la Récupération sont comme ‘noyés’ et ne pèsent pas lourd dans cette véritable masse. De plus, une partie des MNR se trouve littéralement « hors des yeux » des conservateurs : c’est le cas notamment des objets d’art qui meublent, mis comme en « sous‑dépôt » par le Mobilier national, différentes administrations et institutions françaises, comme les ambassades et les ministères33.

22 Dans ce contexte, courant 1995, la Cour des comptes ouvre une enquête portant sur la tenue des inventaires des collections des musées. Cette enquête (dont les résultats ne seront pas rendus publics34) aurait révélé un manque de rigueur, notamment dans le suivi des dépôts. Les magistrats auraient également relevé que la restitution des MNR ne serait « plus un objectif » pour les musées35 et signalé aussi une tendance, chez les conservateurs, à « minimiser » la valeur des œuvres en question36.

23 Ce rapport a pour conséquence immédiate la création, dès 1996, d’une commission chargée de répertorier les objets conservés hors des musées tout en se trouvant portés sur leurs inventaires37. Il est par ailleurs probable que le récolement des MNR ait été entrepris avant même le rapport de la Cour des comptes, puisque, dès novembre 1996,

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le ministère de la Culture est en mesure de présenter une base en ligne recensant les 2 000 MNR38.

24 En ce qui concerne, en revanche, les réactions publiques aux accusations qui leur sont faites, les musées de France se limitent à « ne pas voir où est le problème ». Ainsi, courant 1996, une conférence de presse puis un colloque39 sont l’occasion pour la Direction des musées de France de mettre l’accent avant tout sur le fait que, d’après elle, le sujet des MNR est un non‑sujet. En avril 1997, pour souligner cette position, est entreprise la présentation au public des MNR40, dans l’objectif déclaré de « mettre fin à la rumeur selon laquelle les musées français recèleraient de nombreuses œuvres volées aux Juifs par les nazis41 ».

25 Or, le public intéressé peut néanmoins constater certaines anomalies : le fait que des MNR se trouvent dans les locaux d’une banque interroge tout autant que le fait qu’on en reconnaît d’autres sur les photographies prises au Jeu de Paume du temps des nazis. Par conséquent, le traitement public de la question de ces spoliations procède largement de la présomption que les MNR sont nécessairement des œuvres spoliées. Ainsi, en janvier 1997, le quotidien Le Monde n’a‑t‑il pas titré en Une : « 1 955 œuvres d’art volées aux juifs pendant l’Occupation détenues par les musées français42 ». L’accusation avait également été reprise par Le Figaro : « Après la guerre la rigoureuse classification des œuvres volées par l’occupant aurait dû permettre de retrouver aisément leurs propriétaires43 », sous‑entendant qu’il y ait eu omission volontaire.

26 Quelques mois plus tard, la réponse des musées insiste lourdement sur le contraire : « il n’y a rien à cacher44 », affirme le ministre de la Culture. Plusieurs musées exposent des MNR et le président du Centre Georges Pompidou invite à « couper court à la suspicion, à la rumeur, à la tentation du sensationnel45 ».

27 La commission d’historiens qui à cette même époque reçoit la charge officielle d’étudier la question des spoliations dans son ensemble, tombe alors à point nommé. En effet, la Mission Mattéoli relève de ce que, dans le présent volume, Regula Ludi appelle une « boîte à outils », c’est‑à‑dire d’un remède qui, à cette époque, est proposé de manière systématique à travers le monde pour des situations politiques conflictuelles, des sorties de guerre, sorties de crise, sorties de régime post‑Guerre froide et plus généralement en vue d’un apaisement vis‑à‑vis du passé.

La prise en charge des spoliations d’œuvres d’art par la Mission Mattéoli

28 Mise en place en mars 1997, la « Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France » ‑ dont la présidence est confiée à l’ancien ministre et ancien déporté résistant Jean Mattéoli ‑ reçoit la charge d’établir dans quelles conditions se sont déroulées les spoliations antisémites sur le territoire français et d’enquêter sur ce qu’il est advenu, depuis la Libération, des biens spoliés.

29 Au cours de ses trois années d’existence, la Mission rend deux rapports d’étape ‑ début 199846 et début 199947 ‑, puis, début 2000, elle publie son rapport final en neuf volumes48. Chacun de ces trois rapports comporte un volet « œuvres d’art », car la Mission Mattéoli se trouve logiquement appelée à élucider la question des 2 000 MNR, objets de polémiques. En second lieu, elle devra répondre également du sort des autres œuvres et objets rapatriés qui ont été liquidés au moment de la dissolution de la CRA49.

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30 À la lecture des documents produits par la Mission au cours de son existence, son traitement de la thématique des œuvres d’art soulève trois questions : (1) comment s’organise la recherche, quelle est sa continuité et où mène‑t‑elle ? (2) d’où proviennent les chiffres sur lesquels elle se fonde ? (3) qui est en charge de cette recherche et qui porte la responsabilité du rapport ?

Un pas en avant, deux pas en arrière : un cheminement hésitant

31 Une première interrogation surgit à la lecture des trois rapports annuels : ils se suivent, mais, pour ce qui a trait aux œuvres d’art, ils ne se ressemblent pas. C’est le cas, notamment, de tout ce qui concerne les actions préconisées et annoncées.

32 Le premier rapport d’étape émet ainsi une recommandation principale : « accentuer de manière significative l’effort de recherche ». Identifier les propriétaires d’origine des œuvres, y précise‑t‑on, est « particulièrement urgent50 », tout comme le traitement d’éventuelles revendications formulées au sujet de certains MNR51, pour lequel, d’après les rédacteurs de ce rapport, au lieu d’user de « la pratique des ‘réponses d’attente’ », il est préférable que le musée concerné énonce un refus formel et permette ainsi l’instruction du dossier par la justice52.

33 Il s’agit ici de recommandations adressées directement aux musées, ce qui est conforme à la méthode de travail adoptée par la Mission Mattéoli à cette époque. En effet, à sa création, le rôle de la Mission est d’impulser et de coordonner des travaux dont elle centralise les résultats et de conseiller, bien « plus que d’effectuer un véritable travail d’enquête53 », tandis que les recherches elles‑mêmes incombent aux organismes concernés54. Dans le cas des œuvres d’art, la recherche proprement dite est donc confiée aux différents conservateurs missionnés par leurs ministères respectifs : conservateurs de musées pour celui de la Culture, conservateurs d’archives pour les Affaires étrangères et les Finances.

34 Entre le premier et le deuxième rapport d’étape, on observe un changement de degré d’implication : si, début 1998, le vœu de la Mission se résume, de manière abstraite, à une accélération du traitement des différents dossiers, début 1999 elle préconise des actions concrètes, à savoir :

35 Il y est conseillé de cesser la pratique du dépôt de MNR auprès d’administrations de l’État ou à des institutions officielles55.

36 Il y est annoncé une mise à jour, par le ministère des Affaires étrangères, du Répertoire des biens spoliés (RBS)56. Publié entre 1947 et 1949 par le Groupe français du Conseil de Contrôle et regroupant les signalements de toutes sortes de biens, le RBS réunit, sur plus de 6 000 pages, la liste aussi bien de matériel industriel que d’œuvres d’art et autres objets estimés comme « hors du commun », dont le signalement est accompagné d’une description et parfois de photographies57. « Cette initiative [de mise à jour] permettrait, d’une part, de faciliter l’identification de ces œuvres si elles réapparaissaient sur le marché de l’art » est‑il précisé, « d’autre part, de vérifier que certaines d’entre elles ne sont pas restées à tort dans la catégorie de celles confiées à la DMF58 ».

37 Il y est proposé d’élargir les recherches aux archives privées59.

38 En ce qui concerne les biens qui, au lieu de devenir des MNR, ont été vendus par l’administration des Domaines, il y est affirmé que la « reconstitution des produits de

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cession des biens meubles de la période considérée » est en cours de réalisation par le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie60. Cependant, apprend‑on, une estimation des recettes générées par ces ventes sera difficile faute de statistiques61. En revanche, il est suggéré d’évaluer la valeur marchande de la totalité des MNR62.

39 Les recommandations du deuxième rapport d’étape, début 1999, s’avèrent donc d’un ordre nettement plus technique que celles émises lors du premier et elles inaugurent nombre de nouveaux « chantiers ».

40 En troisième lieu, le dernier rapport, daté de début 2000, émet un avis final. Le Rapport général de la Mission, résumant l’ensemble de ces travaux, se termine par une liste de dix‑neuf mesures politiques que les personnalités réunies dans ce cadre estiment nécessaires pour faire justice, autant que faire se peut, aux victimes. Cinq de ces recommandations concernent les œuvres d’art. À la différence de celles du rapport d’étape précédent, elles se révèlent très peu concrètes.

41 Concernant les MNR spoliés ou « d’origine incertaine », la Mission Mattéoli souhaite que les différents musées concernés diffusent « le catalogue des œuvres spoliées », présentent les informations disponibles afférant à chaque œuvre et mettent en place, pour chacun d’entre eux, un site Internet proposant la « projection permanente en boucle de ces œuvres63 ».

42 Il n’est toutefois pas spécifié à quelles œuvres s’applique la formule « œuvres de la spoliation » ni à quoi correspondrait le « catalogue des œuvres spoliées » : s’agit‑il des seules œuvres potentiellement spoliées dont le rapport estime qu’elles sont au nombre de deux cents environ ? D’un catalogue des 2 000 objets issus de la récupération, dont le rapport établit que ce sont en majorité des œuvres dont l’histoire est sans lien avec les spoliations ? Pourrait‑il s’agir de la mise à jour du RBS, dont l’annonce était restée sans suite ?

43 L’évaluation de la valeur monétaire des MNR ne figure plus parmi les recommandations. Celle de la recette issue des ventes de biens récupérés par l’administration des Domaines n’est mentionnée que de manière allusive64.

44 La proposition, faite début 1999, d’une exposition groupée des MNR65 n’est pas reprise dans les recommandations finales en 2000. Au lieu de cela, la Mission avance l’idée d’un dépôt de « quelques œuvres significatives » au musée d’Art de Jérusalem66. Outre le fait qu’il n’est pas spécifié en quoi consisterait la significativité des œuvres choisies67, cette idée peut paraître surprenante : l’une des recommandations du précédent rapport d’étape n’avait‑elle pas été de mettre fin à la dissémination des MNR par leur mise en dépôt hors des musées ? Il s’agit ici de la seule des dix neuf recommandations du Rapport Mattéoli qui évoque l’État d’Israël. Or, faire intervenir l’État d’Israël pour aboutir à une forme de justice ‑ même symbolique ‑ semble s’écarter du point de vue généralement soutenu par la France. C’est probablement en raison de cette ambivalence que cette recommandation ne précise ni le nombre ni la nature des « quelques œuvres significatives » dont il est question et propose leur sélection « d’un commun accord », sans toutefois en désigner les partenaires.

45 En dernier lieu, la Mission recommande la mise en place d’une « structure permanente de coordination entre les directions des archives du ministère des Affaires étrangères et des musées de France » pour retrouver près de 40 000 œuvres et objets spoliés dont la localisation est « à ce jour inconnue ». Toutefois, le texte met en garde : un tel travail « nécessitera des moyens, notamment en personnel qualifié68 ».

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46 Ainsi, la lecture des propositions émises au fil des trois rapports successifs évoque l’impression d’une certaine instabilité et d’une inconstance à la fois de l’analyse, des positions à adopter et des actions à mener. Début 1998, il était avant tout question d’une accélération afin d’arriver le plus vite possible à une visibilité satisfaisante, à des listes fiables, des situations clarifiées et des réponses données, aux familles concernées, dans les meilleurs délais. Début 1999 fut formulée une série de propositions d’actions concrètes dont très peu, sinon aucune, n’ont par la suite été suivies d’actions y correspondant pleinement. Début 2000, enfin, les recommandations sont formulées d’une manière tellement peu claire que la Mission semble, dans le domaine de l’art, vouloir avant tout apaiser les tensions ‑ quitte à lancer des pistes imprécises ‑ et rechercher un moyen de mettre fin aux polémiques, tout en évitant d’imposer des charges supplémentaires aux musées ou de bousculer leur fonctionnement.

Chiffres et approximations

47 Les différentes publications de la Mission procèdent à des quantifications des œuvres et objets ‑ spoliés et restitués ‑ mais les chiffres cités le sont de manière assez peu transparente.

48 Il n’est, par exemple, pas aisé de savoir d’où provient le nombre cité dans le deuxième rapport d’étape qui évoque « près de 100 000 œuvres » déclarées spoliées, recensées dans le Répertoire des biens spoliés69.

49 Le fait est qu’en réalité, ce Répertoire décompte très exactement 14 516 œuvres d’art (tableaux, sculptures et tapisseries)70. Bien entendu, la CRA, qui a alimenté cette partie du Répertoire, n’était pas chargée de la récupération des seules œuvres d’art, mais de tous types de biens culturels et objets de valeur muséale ; et les spoliations, vols et pillages ayant fait l’objet d’une réclamation après 1944 sont tous consignés dans le Répertoire des biens spoliés dès lors qu’il s’agit de biens identifiables : ceux des Juifs de France, ciblés par l’antisémitisme génocidaire des nazis et victimes de la spoliation de la totalité de leurs possessions ; ceux des châtelains de France qui ont retrouvé ‑ pour des raisons liées à l’exode, l’Occupation, la guerre ‑ leurs domiciles vidés de l’argenterie et objets précieux ; ceux d’autres encore qui ont subi, sur le territoire français, la réquisition de leurs locaux et le pillage de leurs biens. Or, si l’on additionne tout ce qui, dans les différents volumes du RBS, présente un intérêt culturel ou esthétique ‑ meubles, bibelots, services d’argenterie, collections numismatiques… ‑ on atteint le chiffre de 63 019 objets estimés identifiables, déclarés volés du fait de l’Occupation71.

50 Si l’on prend comme base le RBS, l’unique moyen d’obtenir un nombre avoisinant 100 000 consisterait à compter, un à un72, tous les objets signalés, y compris ceux qui, dans les listes publiées, sont pris en compte sous forme de lots. Par exemple, on comptabiliserait ainsi dix verres de vodka de Monsieur Gunzburg, vingt‑trois cuillères à dessert et trois chocolatières en argent aux chiffres des Le Marchand de Gomicourt ayant appartenu à Monsieur de Buttet et cent quarante‑quatre pièces de l’argenterie du général Pinon73.

51 Malheureusement, à aucun endroit, la source d’où provient le nombre de 100 000 œuvres n’est indiquée. Dans le deuxième rapport d’étape ce chiffre (arrondi ou non) est évoqué à deux reprises : il y est question de « près de 100 000 œuvres »

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recensées dans le RBS74, puis il y est affirmé que « ce répertoire décrit 96 812 biens déclarés spoliés75 ».

52 Étant donné ce second nombre, très précis, il est plausible que l’estimation de 100 000 œuvres spoliées corresponde, en fait, à un nombre arrondi à partir des 96 812 demandes reçues par l’OBIP qui, après la Libération, centralisait les déclarations des victimes de spoliations de biens meubles perpétrés par l’occupant76. Il est pourtant établi que seulement une fraction de ces demandes porte sur des biens culturels77.

53 Il pourrait donc s’agir d’un amalgame, qui est peut‑être passé d’autant plus inaperçu que ce même chiffre est cité par Rose Valland, figure centrale de la CRA. Dans son ouvrage à mi‑chemin entre mémoires de guerre et rapport d’activité, celle‑ci évoque en effet des réclamations reçues par la CRA portant sur 100 000 objets d’art78, chiffre dont il est également question dans d’autres documents émanant de la CRA79. Dans ce cas, il pourrait y avoir eu confusion entre la notion d’œuvre et d’objet d’art et le chiffre correspondrait à l’arrondi du nombre de fiches de la CRA qui aurait comptabilisé, au moment de sa clôture en 1950, jusqu’à 90 000 entrées80.

54 Toujours est‑il qu’on ne peut pas dire avec certitude à quoi est censé correspondre ce nombre de 100 000 que le premier rapport d’étape de la Mission Mattéoli évoquait en des termes assez prudents ‑ « On cite couramment le chiffre de 100 000 œuvres répertoriées81 » ‑ et que le rapport final ne cite plus.

55 En revanche, deux autres nombres apparaissent de manière récurrente dans les travaux sur l’art de la Mission Mattéoli : près de 61 000 œuvres rapatriées et environ 45 000 restituées82.

56 Ces évaluations sont issues d’un rapport de fin d’activité établi par la CRA83 et mériteraient également d’être explicitées.

57 Le nombre de 61 000 correspond à la totalité des objets récupérés à partir de 1944 et confiés à la CRA : objets divers, considérés comme de « beaux objets » à un titre ou un autre, mais dont seulement une partie saurait être qualifiée d’œuvres d’art stricto sensu84.

58 Le nombre des 45 000 restitutions n’est pas détaillé dans le document de la CRA. Lorsque l’on prend comme base le Répertoire des biens spoliés, on obtient des nombres d’un tout autre ordre. En effet, les archives du quai d’Orsay détiennent trois volumes du RBS consacrés aux œuvres d’art, portant des annotations qui permettent un décompte des restitutions effectives des objets qui y sont listés85. Sur cette base, l’on peut estimer que la CRA n’aurait réussi à restituer que le dixième des 15 000 objets recensés : sur près de 11 000 tableaux et dessins recherchés, environ 1 000 ont été restitués. Sur 2 000 sculptures, près de 200 ont fait l’objet d’une restitution ainsi qu’une quarantaine des 500 tapisseries spoliées. Ce décompte fait donc état de près de 1 250 restitutions auxquelles correspondent moins de 150 noms de propriétaires à qui ces œuvres ont été restituées86.

59 Il est vraisemblable que le nombre de 45 000 englobe les restitutions intervenues « en bloc » à des institutions ou des collections importantes, effectuées avant même la publication du RBS, comme, par exemple, les collections Rothschild ou celle du musée de l’Armée87. Là encore, une part importante de ces restitutions a concerné des commodes, coiffeuses, canons et drapeaux, objets qui échappent au sens couramment donné au terme d’œuvre d’art.

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60 Bien entendu, il ne s’agit pas de « minimiser » le chiffre de 100 000 objets spoliés en France, qui ‑ du fait qu’il ne corresponde qu’aux spoliations effectivement déclarées ‑ ne saurait correspondre aux pertes subies en réalité. Le problème posé par les chiffrages figurant dans les différents rapports émis par la Mission Mattéoli réside dans leur caractère approximatif et non documenté. Tout porte à croire qu’au lieu de procéder à une analyse quantitative, il ait été décidé de reprendre des chiffres directement issus des sources, sans les questionner ni même définir s’ils sont censés correspondre à des toiles de maître, à des pendules de salon ou à des hallebardes.

Juge et partie : qui prend en charge l’audit ?

61 À la différence des neuf autres volumes, le rapport intitulé Le Pillage de l’art en France n’est signé d’aucun des membres de la Mission Mattéoli, mais par deux fonctionnaires du ministère de la Culture88. Il porte, par ailleurs, en sous‑titre : Contribution de la Direction des musées de France et du Centre Georges Pompidou aux travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France. Au niveau éditorial, cependant, rien ne le distingue des huit autres volumes du rapport final de la Mission. Comme eux, il comporte l’organigramme de la Mission au sein duquel figure un groupe de travail « Œuvres et objets d’art », listé parmi les huit autres89.

62 Une interrogation découle de cette incertitude : les œuvres d’art constituent‑elles un sujet à part entière de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France ou leur cas a‑t‑il été confié, comme en « sous‑traitance », aux musées ? En fait, la lecture des rapports ne permet pas de savoir qui a réellement fait partie et qui a été en charge de ce groupe, ni en quoi a précisément consisté son activité.

63 À sa création durant l’été 1998, la direction du groupe de travail a été confiée à Michel Laclotte, ancien directeur du Musée du Louvre90, assisté par le directeur de la Mission et ambassadeur honoraire Alain Pierret91 et par André Larquié, anciennement président de l’Opéra de Paris92 : trois hauts fonctionnaires rattachés, les uns au ministère de la Culture, l’autre à celui des Affaires étrangères. Un seul des trois coordinateurs, Alain Pierret, est membre de la Mission proprement dite93.

64 Le rapport final ne sera toutefois signé par aucun d’entre eux, mais par Isabelle Le Masne de Chermont et Didier Schulmann94 qui n’ont aucun lien institutionnel, eux non plus, avec la Mission.

65 Dans le premier rapport d’étape de la Mission d’étude, « le pillage des œuvres d’art » est désigné comme l’un des quatre terrains de recherches considérés comme « prioritaires »95. Cependant, durant l’été 1997, et avant la rédaction de ce premier rapport, la Mission s’est enrichie de nouveaux historiens, mais personne n’est affecté spécifiquement à l’étude du pillage des œuvres d’art96. Annette Wieviorka, historienne et membre de la Mission, signale avoir « essuyé un refus de la direction de la Mission quand nous avons proposé un historien spécialisé dans les questions de l’art sous l’occupation97 ». Sans doute, le nom de l’historienne et historienne de l’art Laurence Bertrand‑Dorléac, auteur notamment d’une étude sur le commerce et les trafics d’art sous l’Occupation, aurait, en effet, pu s’imposer98. Annette Wieviorka commente : « Je crois que ce refus tenait au souci de ne pas changer les équilibres au sein de la Mission en la lestant d’un trop grand nombre d’historiens99. »

66 Au lieu de se « lester » d’historiens, la Mission va donc à la rencontre de fonctionnaires des deux ministères concernés par la question des œuvres d’art, la Culture et les

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Affaires étrangères100, qui leur remettent alors différents dossiers, notes et rapports et s’engagent à effectuer les recherches qui s’imposent101.

67 Ainsi, la Mission Mattéoli n’avait visiblement pas retenu la question des œuvres d’art sur la liste de ses priorités. Cela s’accorde avec l’ordre des priorités des défenseurs de la mémoire des victimes, dont Serge Klarsfeld, membre de la Mission, selon qui « il fallait faire juger les criminels allemands à la base de la ‘solution finale’, puis les complices de Vichy102 ». Jusque dans les années 1990, l’aspect financier n’avait pas été jugé primordial et cela valait plus encore pour les œuvres d’art, biens somptuaires dont n’avait disposé qu’une infime minorité des victimes.

68 L’irruption de la thématique des spoliations sur la place publique en France au mitan des années 1990 a occasionné avant tout l’interrogation de la question du concours français porté aux criminels nazis, en ce qui concerne par exemple l’immobilier, les avoirs en banque, les entreprises. Par conséquent, les travaux de la Mission Mattéoli ont été centrés sur les diverses spoliations mises en œuvre par les administrations de Vichy. Les spoliations d’œuvres d’art ont été considérées comme s’étant largement déroulées sans intervention française103.

69 Peut‑être la Mission d’étude a‑t‑elle aussi perçu les œuvres d’art comme étant l’affaire des musées ? Dans le courant de l’année 1998, la Mission met en place, de manière successive, huit groupes de travail104. La création du groupe « Œuvres et objets d’art » est la seule à être mentionnée dans le deuxième rapport d’étape105 et figure au même plan que celle de deux « comités de surveillance » : celui des banques et celui des assurances, deux entités créées en lien avec la Mission, mais qui ne publieront pas de rapport distinct. À ce moment‑là, semble‑t‑il, la pleine intégration de la question des œuvres d’art au sein les travaux de la Mission Mattéoli n’était nullement prévue.

70 Après sa publication en 2000, le « rapport Mattéoli » sur les œuvres d’art n’affiche pas plus clairement ses auteurs, directs et indirects. L’historienne et membre de la Mission Mattéoli Claire Andrieu fera référence à ce rapport en mentionnant, en place d’auteurs, la Direction des musées de France et le Centre Georges Pompidou106. D’après l’introduction du document lui‑même, la responsabilité en revient à deux personnes : Michel Laclotte et Alain Pierret107. D’après des documents figurant en annexes du même rapport ‑ absentes de la version consultable en ligne108 ‑, sa rédaction aurait été entreprise par Michel Laclotte et Isabelle Le Masne de Chermont et la « coordination générale » par Alain Pierret et Asdis Olafsdottir « avec la collaboration » d’André Larquié109. Dans un texte rétrospectif datant de 2008, Isabelle Le Masne de Chermont désigne Alain Pierret en collaboration avec Michel Laclotte110. Dans un autre texte, datant de 2008 également et publié en allemand, elle indique comme responsables des recherches André Larquié et Michel Laclotte111. La plupart des catalogues des centres de documentation et bibliothèques, quant à eux, référencent l’ouvrage par noms d’auteurs, soit Isabelle Le Masne de Chermont et Didier Schulmann. En 2015, ces derniers ont résumé leur travail de rédaction ainsi : « Nous travaillions donc sous le contrôle de la Direction des musées de France et du ministère de la Culture, et pour le compte et sous‑couvert de la Mission112. »

71 Il semblerait donc que cette responsabilité revienne à la fois à « tout le monde » et à « personne ». Potentiellement il n’a pas été souhaité attirer l’attention sur le fait que, finalement, le traitement de la question ait été confié à l’instance incriminée elle‑même, sans que cette dernière paraisse avoir été supervisée ni contrôlée par un tiers.

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Décalages entre les travaux de la Mission Mattéoli : une lecture comparative

72 Alors que les pages précédentes se fondent sur une lecture des seuls passages dans les rapports de la Mission qui ont trait à l’art, il s’avère également intéressant de comparer les travaux de la Mission à la contribution des musées à ses travaux. Cette lecture permet de déceler des décalages qui se situent à différents niveaux : (1) au niveau de l’écriture se pose la question de la tonalité et des choix méthodologiques adoptés, (2) au niveau pratique peut être interrogée la manière dont a été concrètement mené l’enquête, (3) au niveau politique se pose la question des suites données aux différents travaux et recommandations.

Des formulations plus ou moins délicates

73 Le premier hiatus est d’ordre théorique. En écho aux travaux d’Alexander Karn présentés dans le présent volume113, l’on peut discerner un décalage entre les écrits de la Mission Mattéoli dans leur ensemble et le ton adopté dans le volume sur les œuvres d’art.

74 La Mission Mattéoli a pris soin de constater que « la rigueur et l’objectivité historique dans l’étude de la spoliation ne sauraient occulter la somme d’humiliations et de souffrances qu’elle a engendrées et les conséquences tragiques qu’elle a entraînées114 ». Il lui importe d’exprimer le fait qu’un « bilan de type comptable », comme le formulera Claire Andrieu, « ne rend pas compte du vécu du spolié, de la lassitude ou de l’exaspération qui a pu être la sienne dans certains cas, face à la complexité des démarches à entreprendre ou devant la lenteur avec laquelle certains de ses biens lui étaient rendus ou indemnisés. Mais l’évaluation quantitative est nécessaire si l’on veut apprécier le travail entrepris par les démocraties115 ». Le rapport sur les œuvres d’art, quant à lui, fait l’économie de ce genre de précautions rhétoriques.

75 Dans son récent ouvrage, Alexander Karn a étudié les choix méthodologiques opérés par les différentes commissions historiques d’Europe, qu’il s’agisse des sources utilisées, du contexte chronologique, du cadre géographique, de l’échelle, autant de choix opérés en amont ‑ citer ou non des sources émanant des victimes, privilégier la méthodologie qualitative ou quantitative ‑ qui selon lui sont d’ordre politique.

76 En ce qui concerne la Mission Mattéoli, A. Karn commente, par exemple, le choix de l’échelle. En effet, la Mission a opté pour une « étude macroscopique » au lieu d’effectuer ‑ à l’instar de la Commission autrichienne par exemple116 ‑ un décompte précis117. La Mission entend ainsi étudier un processus général et élucider une question de principe et non pas discuter de cas précis ou publier des listes nominatives. Selon A. Karn, il s’agissait pour elle, avant tout, de démontrer la volonté des dirigeants politiques d’assumer les responsabilités du régime de Vichy, à l’encontre des dénégations opérées par leurs prédécesseurs118. Pour cet historien, ces choix méthodologies font de la Mission Mattéoli l’une des « meilleures commissions d’historiens119 ». Pour lui, cela se reflète également dans le fait qu’elle argumente de la nécessité d’une réparation morale et d’une reconnaissance symbolique de l’injustice

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subie, tout en recommandant une indemnisation financière et individuelle complémentaire120.

77 Cela dit, A. Karn a travaillé sur les travaux de la Mission Mattéoli dans leur ensemble et notamment sur le Rapport général. En comparaison, le rapport consacré aux œuvres d’art se présente largement comme un enchaînement de chiffres, de considérations techniques et d’informations factuelles, en particulier dans la seconde partie dont le texte se termine ainsi : « 25% objets dont l’historique est incomplet ou inconnu. Il s’agit d’objets dont l’importance est d’ailleurs souvent secondaire voire médiocre. Aucun indice […] ne permet dans l’état actuel des recherches d’en connaître l’origine. Dans ces conditions il n’est donc pas exclu qu’ils aient pu faire l’objet de spoliation121. »

78 Cela apparaît plus clairement encore lorsqu’on considère le contexte symbolique dans lequel se place la Mission Mattéoli. Ainsi, dans l’introduction du rapport en question, les auteurs se félicitent du fait que le résultat de leur enquête invalide « l’équation MNR = biens spolié122 » : 90 % des MNR sont issus de ventes123. Bien que cette proportion se trouve nuancée au fil du texte124, la présence de cette seule formule en introduction semble indiquer qu’il s’agit avant tout, pour les musées, de prouver leur bonne foi de manière étayée sans exprimer le moindre témoignage d’empathie.

79 La lecture des recommandations finales concernant les biens culturels donne également l’impression d’une certaine indifférence à la manière dont ces dernières seront perçues par les victimes des persécutions. Ainsi, d’emblée, « la Mission recommande que les œuvres et objets d’art dont on a la preuve qu’ils n’ont pas été spoliés soient intégrés définitivement aux collections nationales125 ». Étant donné la portée symbolique de son rapport final, il peut paraître étonnant de commencer par les cas de « non‑spoliation ». Si, d’un point de vue pragmatique, cette approche n’est peut‑être pas sans fondement, son placement en tout premier lieu, et ainsi en exergue des recommandations, apparaît comme maladroit.

80 La Mission Mattéoli a, certes, d’une manière générale fait le choix de ne pas citer de témoignages émanant des victimes. Mais à travers les différents volumes du rapport, leur point de vue est néanmoins pris en compte dans la manière même de formuler le récit historique126. Le rapport sur les œuvres d’art fait exception sur ce point encore, car le point de vue des victimes n’y apparaît quasiment pas. En 2001, le journaliste Hector Feliciano a, indirectement, livré ce commentaire : « The story of the Nazi art plunder and the puzzle that came out of it cannot be told from the point of view of the looters, not from the point of view of the unknowing and unwitting museums or current owners. It can only be told from one point of view: that of the victims127. » En effet, la contribution de la DMF aux travaux de la Mission Mattéoli s’est visiblement donné pour objectif premier non pas d’assumer une responsabilité symbolique, mais de laver les musées français de soupçons présentés comme étant infondés.

Une enquête plus ou moins méthodique

81 Le deuxième hiatus que nous souhaitons relever est d’ordre pratique et consiste dans le degré d’exhaustivité de la recherche. À la différence des autres rapports de la Mission, la manière dont a été concrètement mené le travail sur les œuvres d’art demeure plutôt obscure128. Dans le rapport final il est certes question de réunions régulières de l’ensemble des équipes, réunions « dont les comptes‑rendus ont été largement diffusés129 », mais on n’en apprend pas plus il n’est pas clairement indiqué en quoi a

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consisté le travail de ces équipes, ni quelle démarche a été précisément suivie. Le peu qui en est dit l’est de manière vague, avec un recours fréquent au passif et à des formules équivoques130.

82 D’une manière générale, il paraît difficile de connaître les conditions dans lesquelles a été traitée la question des MNR, qu’il s’agisse des travaux de la Mission Mattéoli ou de l’alimentation du site Internet correspondant mis en place début 1997131.

83 Lorsque, début 1998, le premier rapport d’étape de la Mission rend compte de recherches dûment entreprises par la DMF, il est constaté qu’elles ont permis d’élucider l’origine de près de la moitié des peintures classiques, ainsi que d’établir que, pour la plupart d’entre elles, un contexte de spoliation pouvait être excl132. Cette information ne varie toutefois pas beaucoup de celle dont on disposait déjà en avril 1997, soit avant même que la Mission Mattéoli ne commence ses travaux133.

84 Pour accélérer le travail des musées, la Mission a visiblement dû dépêcher ‑ à l’approche de la fin de l’année 1997 et de son premier rapport d’étape ‑ une douzaine de vacataires recrutés pour deux mois de dépouillement systématique d’archives134. Grâce à cette intervention ponctuelle, la Mission a pu présenter des résultats pour les objets MNR autres que les peintures classiques. De plus, elle annonce que des travaux sont en cours en vue d’une reconstitution de la liste des objets qui, dans les années 1950, ont été liquidés par l’administration des Domaines.

85 Fin 1998, en vue du deuxième rapport d’étape, la Mission recrute à nouveau. Un an avant la clôture de ses travaux, elle connaît un soudain et généreux renforcement de ses moyens, voit ses effectifs tripler et reçoit la promesse du Premier ministre de disposer, pour l’année à venir, d’un budget propre lui permettant de recruter du personnel supplémentaire. Durant la dernière année d’existence de la Mission, les recherches sur les MNR seront donc prises en charge par une vingtaine de personnes135.

86 Il s’agit probablement d’un effet dû au contexte international : le sujet des Holocaust Era Assets suscite à cette époque, notamment aux États‑Unis et en Europe, un retentissement exponentiel. Depuis décembre 1997, des class actions américaines visent des banques françaises136 et les médias ne cessent de s’en faire l’écho. Lorsque, fin 1998, le gouvernement américain invite une quarantaine de nations à une conférence au sujet des Holocaust Era Assets, la France y est, bien évidemment, représentée. Une conférence du même type avait été organisée à Londres l’année précédente et avait porté essentiellement sur l’or, sujet qui ne concernait pas expressément la France. La conférence de Washington, en revanche, porte essentiellement sur les biens culturels. À son issue, les nations réunies signent un engagement formel ‑ quoique sans contrainte juridique ‑ à œuvrer en faveur des victimes de spoliations et à adopter des solutions qui soient aussi « fair and just » que possible.

87 Ainsi, si l’on peut supposer que la pleine intégration de la question des œuvres d’art au sein des travaux de la Mission Mattéoli n’était pas prévue dès ses débuts, cela semble être le cas désormais. La conférence de Washington en tant qu’occasion pour les représentants de la France de s’engager sur cette question en particulier, aurait‑elle impulsé la décision d’y consacrer un volume à part entière, publié et assumé par la Mission ?

88 Quoi qu’il en soit, la Mission ne s’est pas associé de spécialiste de la question et le groupe de vacataires, recruté fin novembre 1998, ne disposera que de peu de temps avant la clôture des travaux, prévue pour fin 1999. La minceur du rapport final sur

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cette question ‑ 78 pages, hors annexes, bibliographie incluse ‑ ne doit donc pas étonner. Rétrospectivement, en 2015, les deux auteurs qui ont signé le rapport ont déclaré : « Nous avons dû dans un temps limité produire une étude synthétique137. » En 2017, l’un deux précise : « Nous avons été invités au dernier moment, à défaut d’historien global sur la question138. »

89 Le rapport consacré en 2000 aux œuvres d’art est en effet assez synthétique. Sa première partie fait, en une cinquantaine de pages, le récit des différents expropriations, spoliations, pillages, restitutions et indemnisations139 et seule la seconde partie, d’une vingtaine de pages, fait le point sur les MNR140. En ce qui concerne les objets vendus aux enchères par l’administration des Domaines au début des années 1950, une note de bas de page mentionne que leur liste aurait été établie par le ministère des Finances sans pour autant en dire plus141.

90 Il y est question d’un « examen approfondi des objets » et, qui plus est, d’un examen professionnel, « seule une connaissance approfondie des objets étudiés pouvant en effet permettre de les identifier dans les listes, fichiers et documents divers142 ». Toutefois, dans la mesure où la méthode suivie n’est pas explicitée, il est difficile de dire en quoi l’examen a consisté. Il peut également s’être agi de sondages empiriques, malheureusement sans que soit explicitée la technique d’échantillonnage.

91 En ce qui concerne les œuvres d’art, les recherches effectuées pour le compte de la Mission se présentent donc plutôt comme une ébauche nécessitant des investigations ultérieures. Alors qu’en général, les experts réunis autour de Jean Mattéoli ont rempli leur mission en rédigeant des rapports qui se présentent globalement comme le parachèvement de l’enquête sur le sujet traité, le rapport sur les œuvres d’art semble tout à fait assumer avoir simplement ouvert le chantier. Ainsi, la première partie se termine par le constat que « si la mémoire des spoliations des années quarante est, pour une grande part encore, malheureusement lacunaire et indistincte, celle des indemnisations n’est aujourd’hui guère plus précise143 » et émet le vœu d’une enquête approfondie qui puisse « renouer les fils d’une histoire encore très fragmentaire144 ».

92 Certes, le rapport Mattéoli sur les œuvres d’art répond tout à fait à la demande initiale, celle d’établir les conditions des spoliations et d’enquêter sur le devenir des biens spoliés. En revanche, cette enquête est présentée comme préliminaire et il est précisé que sa poursuite nécessitera des moyens et du personnel145 dont les musées font comprendre, entre les lignes, qu’il ne leur appartient pas de les fournir. La contribution des musées aux travaux de la Mission Mattéoli se présente ainsi avant tout comme un moyen de s’acquitter d’une astreinte, tout en limitant le plus possible l’énergie employée à ces fins.

Des mesures prises plus ou moins prestement

93 Cette impression de flou s’intensifie encore lorsque l’on prend en considération les suites données à la publication du rapport dans ce domaine. Le troisième décalage entre, d’un côté, la prise en charge de la thématique des œuvres d’art et, de l’autre, celle des autres thématiques liées aux spoliations antisémites se situe donc bien à un niveau politique.

94 Concernant les principales recommandations émises par la Mission, le gouvernement a réagi par la mise en place de plusieurs mesures et institutions et ce, avec une très grande diligence : l’ébauche de deux institutions ‑ la Fondation pour la mémoire de la

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Shoah (FMS) et la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) ‑ a commencé durant l’année même de la finalisation des travaux146. En comparaison, les recommandations ayant trait aux œuvres d’art semblent n’avoir produit aucun effet pendant plus de quatre ans. Certes, les fiches correspondant à des MNR sont visibles sur le site Internet du ministère de la Culture dès 1997147, mais ce n’est qu’en 2004 que paraît un Catalogue des peintures MNR148. Ce dernier ne recense, comme son nom l’indique, que les seules peintures.

95 En 2008, la France organise l’exposition temporaire de cinquante‑trois œuvres MNR à Jérusalem149, comme en écho à la proposition formulée en 2000 par la Mission Mattéoli d’y déposer « quelques œuvres ». L’événement donne lieu à un catalogue150 et à un colloque151.

96 Toujours en 2008, la DMF charge un conservateur à temps plein de documenter les MNR et d’instruire les demandes de restitutions. À partir ce cette date, la base de données en ligne recensant les MNR est mise à jour, comportant dorénavant des informations sur leur historique et provenance152. Toutefois, cette refonte a dû passer relativement inaperçue, puisque, en 2010, une journaliste remarque que cette base « n’a plus été actualisée depuis… 2003153 ».

97 Ainsi, curieusement, l’administration des musées semble avoir été plus prompte à agir au début des années 1990, où le statut des MNR avait retenu l’intérêt de son directeur Jacques Sallois, de sorte que leur récolement a été terminé en 1996, qu’à partir du début des travaux de la Mission Mattéoli en 1997. La lenteur de la mise en place de mesures ayant trait aux œuvres d’art contraste même fortement avec la rapidité avec laquelle la France a mis en place d’autres mesures, qu’il s’agisse de la FMS, de la CIVS154 ou encore d’une indemnisation accordée aux orphelins de la Shoah155. Les musées auraient‑ils bénéficié d’une sorte de « parapluie » offert par la mise en accusation des instances de Vichy, des banques, des assurances ?

98 À partir de 2013 toutefois, intervient un certain nombre d’actions politiques d’ordre plus concret. Début 2013 est mis en place un groupe de travail « dédié à la recherche proactive des propriétaires d’œuvres MNR156 », regroupant des professionnels des musées, des archives et de la CIVS, se réunissant régulièrement dans l’objectif d’identifier les propriétaires spoliés. Cette évolution a certainement bénéficié de l’« affaire Gurlitt » ‑ la découverte, dans un appartement privé allemand, d’un nombre important d’œuvres d’art suspectées d’être issues de spoliations157. Fin 2014, le « groupe de travail » a, à son tour, pu émettre un rapport en direction des décideurs politiques158. Sa principale recommandation est de créer une base de données regroupant la mention de tous les objets d’art issus de la Récupération ‑ qu’ils aient été restitués, vendus par les Domaines ou confiés aux musées ‑ mais également les objets cités dans les différentes revendications formulées auprès de la CRA, dans l’objectif de rendre possible, autant que faire se peut, leur identification159.

99 Cela recoupe les recommandations émises par le Sénat dès janvier 2014 par le biais d’un rapport présenté par la sénatrice Corinne Bouchoux sur les « œuvres culturelles spoliées ou au passé flou160 ». Ce texte suggère qu’une « recherche systématique de provenance » soit entreprise concernant les 163 œuvres « spoliées avec certitude ou fortes présomptions » afin d’identifier d’éventuels ayants droit161, puis de mener la recherche de provenance pour les autres MNR. En principe, cela ne correspond à rien de plus qu’aux recommandations du rapport Mattéoli relatives aux œuvres d’art qui, en 2014, demeurent donc dans la rubrique des desiderata.

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100 Il en est de même pour ce qui concerne la proposition de mettre en place une « structure permanente » chargée d’entreprendre « la localisation d’environ 40 000 œuvres et objets divers pillés »162, proposition qui ne s’est pas encore concrétisée.

101 Si, dès son premier rapport d’étape, la Mission a critiqué le manque de célérité des musées concernant l’élucidation des questions prêtant à polémique, il semblerait que leur indolence soit restée inchangée longtemps après la fin de ses travaux. En 2014, le rapport du Sénat a ainsi formulé, à l’intention des directeurs et conservateurs des musées de France, un rappel des principes de Washington que la France, en 1998, s’était engagée à respecter163.

Pour conclure

102 Compte tenu du rôle « exemplaire » de la France sur la scène internationale des Holocaust Era Assets en général, il apparaît pour le moins curieux d’observer comment, en ce qui concerne l’aspect patrimonial de cette question, la « vague » soulevée au milieu des années 1990 semble être passée au‑dessus du monde de l’art français sans avoir réellement ébranlé autre chose que les discours. Il aura fallu attendre l’approche des années 2010 pour que les actes symboliques commencent à être suivis d’actions concrètes.

103 Dans cet article, nous avons tenu à décrire la manière dont, au cours des années 1990, la thématique de l’art spolié s’est révélée à l’opinion publique à travers des interrogations et revendications émanant de victimes des spoliations et des enquêtes menées par des journalistes et comment l’inaccessibilité avérée des MNR et des archives y afférant a été interprétée comme la preuve qu’il y avait une volonté de cacher une vérité honteuse.

104 Nous avons également voulu montrer à quel point la prise en considération des questions liées à la spoliation des œuvres d’art a consisté en un déploiement rhétorique portant essentiellement sur les MNR. Par conséquent, la Mission Mattéoli ne s’est guère posé d’autres questions que celle des MNR164.

105 Les MNR ne seraient‑ils pas une sorte d’« arbre qui cache la forêt165 » ?

106 En dernière analyse ici, le caractère inachevé du rapport Mattéoli portant sur les œuvres d’art laisse apparaître quelques points aveugles.

107 La liste des objets vendus par l’administration des Domaines, par exemple, annoncée aux débuts des travaux, puis dans le rapport final, traitée par le seul outil quantitatif166, apparaît aujourd’hui comme un angle mort de la recherche sur les spoliations d’œuvres d’art.

108 Un deuxième angle mort de la recherche réside dans l’éventuelle présence de biens spoliés dans les collections permanentes des musées français, dont le rapport Mattéoli ne dit pas un mot, ou pour le moins pas un mot explicite. Il y est beaucoup question d’achats effectués par des musées allemands sur le marché de l’art parisien, mais très peu des ventes forcées. Or, les musées français n’auraient‑ils pas pu acquérir des œuvres en tirant profit de la détresse de vendeurs fuyant les persécutions nazies ? N’auraient‑ils pas pu faire jouer leur droit de préemption lors de ventes organisées sous l’égide du Commissariat général aux Questions juives ? Ne conviendrait‑il pas d’analyser de manière systématique les provenances d’objets entrés dans les collections entre 1933 et 1944 ?

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109 En dernier lieu, il apparaît également que la manière de percevoir les MNR comme étant forcément issus de spoliations antisémites ait en quelque sorte déformé le regard porté sur leur problématique. Nous l’avons vu, les controverses des années 1990 ont, d’emblée, assumé que les MNR se composent d’œuvres spoliées, alors qu’en réalité, nous l’avons vu également, ces œuvres pouvaient en grande partie être considérées comme issues d’une récupération dûment faite au nom de la France, elle‑même étant ainsi, tant bien que mal, dédommagée des pillages allemands167. En 1994 encore, ce fait avait été mis en avant par la DMF qui soutenait alors que les MNR « sont devenus, par l’effet de principes du droit international public, propriété de l’État français, et font partie de son domaine public168 ». Il peut paraître étonnant que la contribution des musées aux travaux de la Mission Mattéoli n’ait que très peu fait mention de cette fonction de la Récupération comme forme de réparation collective169. Cette omission interroge d’autant plus qu’expliciter cette fonction pouvait en grande partie exempter les musées du soupçon de recel de biens issus de spoliations antisémites, dans la mesure où ne furent « expropriés », en 1945, que des institutions et des citoyens du Reich nazi.

110 Les responsables des musées craignaient‑ils qu’à force de trop insister sur ce fait, l’idée ne surgisse de vendre la totalité des MNR au bénéfice d’un organisme juif ?

111 En tous cas, cela aurait pu se produire, étant donné la manière dont les années 1990 ont été l’occasion de revisiter les notions de réparation collective170. En effet et pour exemple, fin octobre 1996, près de 8 000 objets et œuvres d’art issus de spoliations antisémites ont été vendus aux enchères en Autriche. Ces objets provenaient d’un entrepôt établi après‑guerre, « redécouvert » dans les années 1990, puis liquidé sous l’égide du Congrès juif mondial, au bénéfice des communautés juives171.

112 Le contexte des années 1990 a été, en effet, celui d’une collision entre les notions de réparations faites à des nations et celles faites à un collectif « juif », notions entrant à leur tour en conflit avec la notion de propriété privée et de restitution individuelle. L’antagonisme entre les restitutions individuelles et collectives n’était certes pas nouveau172, mais il a pris, dans les années 1990, une signification nouvelle. À la fin du XXe siècle, il ne va plus de soi que le bénéfice de biens restés en déshérence dans un contexte de spoliations antisémites soit accordé à des institutions nationales. La question aurait d’ailleurs tout à fait pu être discutée dans le rapport de la Mission Mattéoli : pourquoi les musées nationaux ont‑ils été institués gardiens de cette collection ? Car ici, écrit le juriste Xavier Perrot, « l’objet d’art prime sur l’objet de mémoire173 » et on peut effectivement s’interroger sur l’opportunité aujourd’hui d’un tel primat en ce qu’il signifie en termes de transparence. Les musées, en France, ne remplissent‑ils pas généralement une fonction qui consiste dans le transfert d’objets de la sphère privée au domaine public et qui, par achat, legs ou don, deviennent partie du patrimoine de l’État ? Ce faisant, il ne relève pas traditionnellement de la fonction des musées de rendre publiques les modalités mêmes de ce transfert.

113 Ainsi s’explique peut‑être le fait que le rapport Mattéoli ne s’attarde pas sur les critères selon lesquels ont été extraits et isolés les futurs MNR des plus de 15 000 œuvres et objets qui restaient en déshérence à la fin des activités de la CRA174.

114 Dans cette optique, le statut des MNR qui les rend, par principe, restituables175 a vraisemblablement constitué une simple forme de recours possible en cas d’erreur. Erreurs possibles après tout, puisque la CRA a liquidé ses activités dans un délai très court. De ce point de vue, la mise à disposition des œuvres pour d’éventuels propriétaires n’est pas apparue comme une obligation morale, mais comme une simple

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précaution, qui ne mettait aucunement en question le « monopole de l’usage176 » que les musées se réservaient à leur égard.

115 Ces considérations nous amènent à la conclusion que la notion de recherche de provenance ne semble pas encore être comprise en France comme relevant d’un service public au même titre que d’autres fonctions du musée en tant que tel, comme par exemple celle d’assurer la conservation et la mise en valeur des œuvres d’art, des curiosités ou des objets historiques significatifs pour l’histoire de la France ou l’histoire de l’art, de bien gérer ce bien public, de permettre aux citoyens de s’éduquer, de se cultiver, de s’émerveiller…

116 Ainsi, le principal engagement pris à Washington promettant de mener des recherches, de mettre à disposition ses sources ainsi que ses résultats177, n’a jusqu’à ce jour pas réellement été honoré.

117 Certes, les initiatives en ce sens sont de plus en plus nombreuses. Mentionnons, par exemple, la mise en ligne de catalogues de vente178 ou de guides des archives ayant trait aux spoliations d’œuvres d’art179. Actuellement, de nombreux inventaires, listes et fichiers ont été rendus disponibles. Toutefois, en dépit des avancées en matière de nouvelles technologies, aucun outil informatique ‑ qu’il soit étatique ou universitaire, institutionnel ou collaboratif ‑ ne permet encore aujourd’hui l’interrogation simultanée des inventaires, listes et fichiers180.

118 Une telle base de données permettrait le croisement des œuvres et objets d’art nommés dans les différentes revendications formulées auprès de la CRA (qu’elles figurent dans le RBS ou non), les objets issus de la Récupération (confiés aux musées, vendus par les Domaines ou restitués, en croisant les inventaires de convois en provenance des collecting points). Un tel outil devrait renseigner également les objets acquis par les institutions publiques entre 1933 et 1944, voire même ceux entrés dans les collections durant les années 1950 où furent liquidés les objets restés entre les mains de la CRA181.

119 En effet, seul l’outil informatique semble être à même de relier les différents segments de la documentation afférant à la circulation des œuvres d’art depuis l’époque du Troisième Reich182.

120 L’alimentation, l’entretien et l’exploitation d’une telle base, ne nécessiteraient‑ils pas une task force dont le journaliste Philippe Sprang a généreusement esquissé le projet lors d’une table ronde en 2015183 : cette task force siégerait au musée du Jeu de Paume où les œuvres susceptibles d’être issues des spoliations seraient exposées de façon permanente et où une documentation à leur sujet serait disponible pour le grand public184.

121 L’idée ne paraît pas si farfelue dans la mesure où les chercheurs du service MNR de la DMF ‑ qui depuis 2008 a triplé ses effectifs pour employer à présent trois personnes à temps plein185 ‑ insistent sur la nécessité, pour toute recherche, d’un « contact physique des œuvres elles‑mêmes186 ». Regrouper les MNR en un seul lieu dédié à leur étude permettrait également l’analyse d’éléments fragmentaires (marques, inscriptions ou étiquettes sur les châssis ou cadres), qui ne peuvent être concluants que lorsqu’ils sont pris en considération de manière systématique et comparative.

122 Il semblerait aussi que le statut des MNR soit appelé à disparaître pour être remplacé, peut‑on supposer, par différents statuts dont il serait décidé au cas par cas correspondant à sa provenance et indiquant, par exemple, s’il s’agit d’un achat allemand récupéré pour constituer une forme de réparation ou d’une œuvre spoliée

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dont il s’agit dorénavant de retrouver le propriétaire. En ce sens, depuis juillet 2016, une loi inscrit le principe de la recherche « proactive » d’ayants droit pour les œuvres spoliées en ouvrant, dans le même temps, la possibilité d’attribuer à certains objets, dont l’historique ne présente aucun lien possible avec les spoliations, un nouveau statut187.

123 En nous en tenant aux seuls acquis du moment, c’est la base en ligne des MNR Site Rose Valland qui correspond aujourd’hui au plus près à la résolution prise, dès 1949, concernant les MNR : à savoir qu’ils soient accessibles au public de manière permanente. Il s’agit, certes, d’un accès non pas physique mais dématérialisé, ouvert en revanche depuis n’importe quel endroit et à n’importe quel moment. Or, ce site présente aujourd’hui un certain nombre de signes de vieillissement ‑ aspect esthétique, lisibilité, ergonomie ‑ et il ne semble pas être mis à jour de manière systématique. Il est cependant possible qu’en fonction de l’élan et du renouvellement des initiatives, perceptibles depuis 2013, ce site bénéficiera d’une modernisation. Ceci dit, l’histoire du traitement de la thématique des œuvres d’art depuis 1990 semble avoir montré que le contraire pourrait aussi advenir.

124 In fine, alors que le domaine des arts bénéficie en France d’un grand prestige188, la désinvolture avec laquelle ont été menées les recherches sur les œuvres d’art spoliées ne cesse de surprendre ; d’autant plus que, depuis les années 1990, la thématique de l’art spolié semble n’avoir rien perdu de sa portée symbolique. En 2008, par exemple, l’exposition d’une cinquantaine de MNR sous le titre « À qui appartenaient ces tableaux ? » ne fut‑elle pas l’occasion pour les ministres des Affaires étrangères et de la Culture, Bernard Kouchner et Christine Albanel, de se déclarer « fiers de cette politique ainsi que des efforts redoublés menés à partir de 1997 pour mieux faire connaître et mieux expliquer l’histoire de ces biens » ? Ces efforts, selon eux, ne constituent rien moins que « l’expression de notre combat sans cesse renouvelé contre l’antisémitisme189 ».

125 Peut‑être conviendrait‑il d’interroger le fait que ces « efforts redoublés » appartiennent à la seule administration des musées ? Si de nos jours il relève presque du lieu commun d’attester que les musées ont montré, dans ce domaine, une « absence de zèle des équipes techniques et administratives190 », les conservateurs des musées ne sont certainement pas les seuls à avoir des compétences en matière d’analyse historique. Après tout, les musées d’art ne sont, par définition, ni des mémoriaux pour les victimes de crimes contre l’humanité ni des bureaux des objets trouvés.

126 Il peut même apparaître comme incongru de charger les seuls historiens de l’art d’étudier les mécanismes de récupération, restitution et réparation intervenus après la guerre, mécanismes qui relèvent aussi du champ d’étude de l’histoire contemporaine et du temps présent.

127 Peut‑être est‑ce là la raison pour laquelle, à lire le rapport Mattéoli de 2000, on a l’impression que les recherches se sont arrêtées avant même d’avoir été véritablement entreprises.

128 Quelle est, à ce propos, l’attitude de la communauté scientifique ? Il semblerait que la recherche universitaire portant sur ce domaine soit encore peu développée191.

129 Serait‑ce que, à l’image du rapport Mattéoli sur le sujet, l’on considère généralement qu’il ne s’agit, en ce qui concerne la place des œuvres d’art dans l’histoire des spoliations antisémites, que d’une question bassement technique sans intérêt pour les

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sciences humaines et sociales ? Réserverait‑on cette thématique à la compétence des musées, avec la conviction qu’elle s’y trouve entre de bonnes mains ? Serait‑on peut‑être même convaincu que l’affaire est désormais réglée et le sujet clos ?

130 Or, nous pouvons penser qu’au contraire, l’histoire des spoliations d’œuvres d’art, de leur restitution, de leur indemnisation ‑ tout comme celle d’autres formes de réparation intervenues à ce titre ‑ reste encore à écrire.

131 Parmi tous ceux qui m’ont fait l’amitié de relire le manuscrit, en tout ou en partie, je remercie tout particulièrement Alain Prévet, Thierry Bajou, Didier Schulmann, Diane Afoumado et, non en dernier lieu, Anne Grynberg.

NOTES

1. Dans ce contexte, le terme de Récupération désigne le rapatriement de biens depuis l’ancien Reich. Lorsque, en 1950, ce processus arrivait à sa fin, les autorités compétentes avaient réussi à rendre à leurs propriétaires spoliés un nombre important d’objets. Cependant, un reliquat de 15 000 objets et œuvres d’art n’avait pas pu être restitué pour différentes raisons. Cela pouvait résulter du fait que l’œuvre ou son propriétaire, voire les deux, demeuraient non identifiés, du fait que le propriétaire légitime identifié ne s’était pas manifesté en bonne et due forme auprès des autorités compétentes, ou encore du fait que le propriétaire légal était allemand, mais que ‑ l’achat ayant été effectué en France ‑ le bien a été mis sous séquestre et rendu à la France pour compenser une partie des préjudices que son patrimoine culturel avait subi du fait de l’Occupation (voir à ce sujet notes 17 et 18). Ce que l’on appelle aujourd’hui les MNR est issu de ce reliquat, dont près d’un dixième a été soustrait à la liquidation. Ainsi, près de 2 000 œuvres et objets d’art, que les professionnels de musées de France ont considérés comme étant d’un intérêt majeur (ou comme particuliers à un autre titre) ont été transférés aux musées nationaux, où ils restent en principe restituables au cas où leur propriétaire légitime se manifesterait. Les références d’inventaire sous lesquelles les œuvres issues de la Récupération sont cataloguées varient d’un musée à l’autre. Le sigle MNR correspond aux peintures classiques, de loin les plus nombreuses, raison pour laquelle ce sigle fait aujourd’hui fonction de terme générique. Dans le présent article nous l’utilisons pour désigner les MNR au sens large, soit tous les objets issus de la Récupération confiés aux musées. Voir à ce sujet Le Pillage de l’art en France pendant l’Occupation et la situation des 2000 œuvres confiées aux Musées nationaux, Contribution de la direction des Musées de France et du Centre Georges Pompidou aux travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, rapport rédigé par Isabelle Le MASNE de CHERMONT et Didier SCHULMANN, Paris, la Documentation française, 2000 (désormais MATTÉOLI, Contribution de la DMF), pp. 36‑37. Une brève présentation se trouve sur le site officiel ministère de la Culture et de la Communication , Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Les MNR ou les œuvres issues de la spoliation artistique confiées aux musées de France », http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-pres.htm. Tous les sites‑web ont été consultés pour la dernière fois le 20/01/2017.

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2. MATTÉOLI, Contribution de la DMF. Un autre document incontournable consiste en l’ouvrage publié par la conservatrice des musées nationaux Rose Valland, qui avait été l’un des principaux acteurs de la récupération artistique. Rose VALLAND, Le Front de l’art : Défense des collections françaises : 1939‑1945, Paris, Plon, 1961 ; réimpression Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1997, réédition Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2014. À mon grand regret, je n’ai pas eu connaissance à temps des travaux d’Elizabeth Campbell Karlsgodt, peu mis en valeur en France et pourtant très précieux, sinon indispensables, pour toute recherche pourtant sur ce sujet. Elizabeth C. KARLSGODT, « Rethinking Memory: The Musées de France and Jewish Art Collections, 1940 to the Present », Proceedings of the Western Society for French History, 2003; Elizabeth C. KARLSGODT, Defending national treasures: French art and heritage under Vichy, Stanford, Stanford University Press, 2011. 3. Sur le cadre général, voir l’article d’Anne GRYNBERG dans ce numéro. 4. Il s’agit des rapports suivants : – Jean MATTÉOLI/MISSION D’ÉTUDE SUR LA SPOLIATION DES JUIFS DE FRANCE, Rapport au Premier ministre, 31/12/1997, 117 p. Désormais MATTÉOLI, Premier rapport. – MISSION D’ÉTUDE SUR LA SPOLIATION DES JUIFS DE FRANCE, Rapport d’étape, janvier‑décembre 1998, 31 décembre 1998, 300 p. Désormais MATTÉOLI, Deuxième rapport. – MATTÉOLI, Contribution de la DMF, 133 p. Cet article se fonde ainsi sur l’historiographie publiée ou disponible sous forme de rapports tapuscrits. Les sources proprement dites, sources primaires conservées en archives ‑ tout comme d’ailleurs la littérature spécialisée et la presse ‑ n’ont pas été exploitées au‑delà d’un sondage succinct. 5. Voir notamment Philippe SPRANG, « Octobre 1990 : un chef d’œuvre volé par les Nazis refait surface », L’Événement du Jeudi, 13 octobre 1990 ; Philippe SPRANG, « L’incroyable histoire des tableaux pillés sous l’Occupation », L’Événement du Jeudi, 16 juin 1994 ; Éric CONAN, Yves STAVRIDÈS, Jean‑Marc GONIN, « Mensonges sur catalogue », L’Express, no 2059, 3 novembre 1994 ; Philippe SPRANG, « Le trésor nazi refait surface », L’Événement du Jeudi, 7 mars 1996. 6. Hector FELICIANO, Le Musée disparu, Paris, Austral, 1995.

7. Voir notamment Annette LÉVY‑WILLARD, « Le long exode des tableaux volés par les nazis », Libération, 29 novembre 1995 ; « Mille tableaux de nos musées attendent leurs vrais propriétaires » (entretien avec Hector FELICIANO, propos recueillis par Philippe DAGEN et Emmanuel DE ROUX), Le Monde, 26 avril 1996.

8. Hector FELICIANO, « La liste noire des musées français », Beaux‑Arts Magazine, n o 145, mai 1996, pp. 76‑77. 9. Parmi les exemples donnés, courant 1996, par H. Feliciano figure un tableau de Fernand Léger, Femme en rouge et vert (1914), confié en tant que MNR au Musée national d’art moderne (MNAM) de même que Tête de femme de Picasso (1921), présumés avoir appartenu à Paul Rosenberg et Alphonse Kann. Un autre exemple est le tableau Fleurs de coquillages de Max Ernst (1929), confié au MNAM également : « Cette toile avait été commandée par Léonce Rosenberg pour décorer la chambre d’une de ses trois filles dans son nouvel appartement [...]. Lui appartenait‑elle encore au moment de la guerre ? Seule une enquête dans les archives, aujourd’hui inaccessibles, permettrait de le dire. » H. FELICIANO, Beaux‑Arts Magazine, 1996.

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10. H. FELICIANO, op. cit., p. 223. 11. Le Service des restitutions dépend du ministère des Finances et est chargé des restitutions dans un sens large. Voir Antoine PROST & al., Aryanisation économique et Restitutions, Paris, la Documentation française, 2000, pp. 65‑71. 12. L’Office des biens et intérêts privés (OBIP) a été mis en place en 1919 pour régler la question des spoliations intervenues lors de la Première Guerre mondiale. Après la Seconde Guerre mondiale, ce service est réactivé et chargé (par le décret du 13 décembre 1944) de coordonner tout ce qui relève des spoliations perpétrées par l’occupant, sous la double tutelle des ministères des Finances et des Affaires étrangères. L’OBIP travaille de concert avec la CRA. 13. La Commission de récupération artistique (CRA) est mise en place par le Gouvernement provisoire de la République française dès septembre 1944, puis créée officiellement par décret du 24 novembre 1944. Installée au musée du Jeu de Paume à Paris, elle dépend du ministère de l’Éducation nationale (alors en charge des musées et de tout ce qui a trait à la culture) et elle est chargée (avec les autorités d’occupation de l’Allemagne et de l’Autriche) de la récupération d’œuvres d’art spoliées du fait de l’Occupation et (avec l’OBIP) de leur restitution aux propriétaires légitimes. Dès la Libération, elle reçoit la charge des œuvres interceptées sur le sol français, puis, à compter du printemps 1945, de l’identification, parmi les objets d’art retrouvés et mis sous séquestre sur le territoire de l’ancien Reich, de ceux qui proviendraient de France (voir à ce sujet « La Commission de Récupération Artistique, Sa fondation, sa méthode de travail, ses résultats », rapport de Michel FLORISOONE, janvier 1950 [Archives du Ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, 20160007AC‑13], désormais Rapport Florisoone). Les archives de la Commission de récupération artistique, jointes à celles du Service de remise en place des œuvres d’art, sont aujourd’hui conservées aux Archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve. 14. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 37‑38. 15. Ibid. 16. Il existe des exemples de victimes de spoliations dont la réclamation a été classée sans suite alors même que la CRA était en possession d’œuvres réclamées. Voir, pour exemple, le cas du MNR no 801 : selon l’une des hypothèses expliquant cette défaillance de l’administration, cette dernière attachait moins d’importance aux victimes n’ayant pas la citoyenneté française. Muriel DE BASTIER, « Portrait d’un homme : l’itinéraire du MNR no 801 jusqu’à sa restitution », communication présentée à l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky MNAM/CCI, Paris, 2–11 juillet 2015 (communication du 4 juillet). 17. En effet, sous l’Occupation, au moyen d’un processus nommé « clearing », tout acheteur d’un bien en France versait la somme en Reichsmarks à la Banque centrale allemande et le vendeur français recevait paiement en francs par la Banque de France. Les sommes dont la Reichsbank restait redevable vis‑à‑vis de la Banque de France étaient alors intégrées dans les frais d’occupation, si bien que la Banque de France ne recevait pas de compensation pour les sommes qu’elle « avançait ». De ce fait, il a été considéré après guerre (voir notamment l’ordonnance du 9 juin 1945) que les biens acquis par ce biais par des Allemands en France appartenaient « techniquement » à la France, puisque c’est cette dernière qui en avait assuré le paiement. De ce fait, pour la grande majorité des MNR leur provenance peut être attestée comme ayant été acquis

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de manière réglementaire, mais du fait qu’il s’était agi d’achats effectués pour le compte d’Allemands par des agents allemands en France occupée, ils ont été récupérés par la France après‑guerre. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, pp. 18, 66‑68 ; Frédéric DESTREMAU, Rose Valland, résistante pour l’art, Grenoble, Musée de la Résistance et de la déportation de l’Isère/Conseil général de l’Isère, 2008, pp. 113‑116. Sur le principe du « clearing » voir Götz ALY, Comment Hitler a acheté les Allemands, Le IIIe Reich, une dictature au service du peuple, Paris, Flammarion, 2005. Les textes de loi sont cités dans MISSION D’ÉTUDE SUR LA SPOLIATION DES JUIFS DE FRANCE, La Persécution des Juifs de France 1940‑1944 et le rétablissement de la légalité républicaine : recueil des textes officiels 1940‑1999, Paris, La Documentation française, 2000. 18. L’attribution à la France, à titre de réparation, d’œuvres d’art achetées sur le marché parisien a fait l’objet de longues négociations interalliées et n’a été obtenue qu’après la fermeture du Collecting Point de Munich en juillet 1949, sous la forme d’œuvres dont l’origine française pouvait être estimée comme probable. F. DESTREMAU, op. cit., pp. 86‑89 ; MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 66‑68. 19. Par le décret du 30 septembre 1949, les MNR sont confiés à la garde des musées à titre précaire, tout en restant sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères qui, en cas de réclamation, serait amené à en instruire le dossier, par le biais de l’OBIP. Le décret prévoyait qu’après un délai de cinq ans, tout objet qui n’aurait pas été réclamé reviendrait aux musées. Par la suite, ce délai a été reporté à plusieurs reprises et jusqu’à nos jours, aucune forclusion n’a été prononcée au sujet du statut des MNR. 20. Après la dissolution officielle de la CRA, fin 1949, ses archives sont restées en la possession de la Direction des musées de France. Ces archives servaient encore à Rose Valland jusqu’à ce qu’elle quitte ses fonctions en 1968 voire plus tard encore, puisque durant dix ans, alors qu’elle était à la retraite, soit de 1968 à 1978, celle‑ci travaillait encore, bénévolement, sur les archives de la récupération (« avant‑propos de l’éditeur » anonyme in R. VALLAND, op. cit., édition 1997). 21. À cette date, ces archives, où qu’elles se trouvent physiquement, ne sont pas ouvertes au public dans la mesure où elles ont trait à des individus et à leur vie privée : la loi du 3 janvier 1979 sur les archives n’autorise leur communication à des tiers qu’au‑delà d’un délai de 60 ans à partir de la pièce la plus récente du dossier. L’ouverture des archives de la CRA sera le fait de la loi du 15 juillet 2008. 22. Claire ANDRIEU « En France, deux cycles de politique publique : restitutions (1944‑1980) et réparations (1997–…) », in Constantin GOSCHLER, Phillip THER, Claire ANDRIEU, Spoliations et restitutions des biens juifs, Europe XXe siècle, Paris, Autrement, 2007, pp. 206‑207. 23. Jacques Sallois a été directeur des Musées de France entre 1990 et 1994. Auparavant, il a été membre de la Cour des comptes (1966‑1981) où il avait notamment la charge du contrôle du ministère de la Culture. Il a également été directeur de cabinet du ministre de la Culture (1981‑1984), délégué à l’aménagement du territoire (1984‑1987), délégué aux Affaires européennes et internationales de la Caisse des dépôts (1987‑1990) et directeur des musées de France (1990‑1994). Après cette période il rejoindra à nouveau la Cour des comptes comme président de chambre, tandis que la Direction des musées de France est confiée à Françoise Cachin. 24. H. FELICIANO, op. cit., p. 219.

25. Ibid., p. 11.

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26. Philippe SPRANG, « Colère », in Johanna LINSLER, Mica GHERGHESCU, Didier SCHULMANN, Les Sources au travail, Spoliations d’œuvres d’art par les nazis 1933‑2015 (Journal de l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky, no 2), Paris, Centre Pompidou, 2015, p. 70. 27. Il s’agit du décret du 30 septembre 1949, JO du 2 octobre 1949. 28. Au sujet du report multiple du délai légal, voir Xavier PERROT, De la restitution internationale des biens culturels aux XIXe et XXe siècles : vers une autonomie juridique, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Limoges, 2005, pp. 296‑298. 29. H. FELICIANO, Beaux‑Arts Magazine, 1996, p. 77. Vincent Noce cite Hector Feliciano en ces termes « Où sont parties toutes ces œuvres ? [...] Jacques Chirac sait‑il que le buste de Madame de Pompadour dans le salon Pompadour de l’Élysée provient de ce fonds ? Et Alain Juppé que le Baiser de Rodin dans le jardin de Matignon en vient aussi ? ». Vincent NOCE, « Polémique sur le butin des nazis », Libération, 28 janvier 1997 ; voir également H. FELICIANO, op. cit., p. 222. 30. Une note interne aux directeurs de musées précise alors : « L’administration dépositaire, par l’effet de la loi, des objets qui lui ont été remis n’en est, en tant que telle, que le détenteur précaire. Cette qualité de détenteur précaire, ou de possesseur pour le compte d’autrui, l’empêchera toujours d’acquérir la propriété de ces biens par prescription. » La note en question est citée dans H. FELICIANO, op. cit., p. 219. 31. Cela aurait été constaté quelques années plus tard, dans un rapport de la Cour des comptes. D’après ce document (inédit et dont nous n’avons connaissance que de manière indirecte), les efforts de J. Sallois, directeur des Musées de France entre 1990 et 1994, n’auraient rencontré que peu de réponses au sein des administrations des musées sollicités à plusieurs reprises courant 1993 pour faire le point sur les MNR. Rapport de la Cour des comptes en date du 7 décembre 1995, cité dans [Philippe DAGEN/ Hector FELICIANO], « 1 955 œuvres d’art volées aux juifs pendant l’Occupation détenues par les musées français », Le Monde, 28 janvier 1997. 32. S’il est difficile de dire aujourd’hui combien d’objets les musées nationaux détenaient en 1995, on sait qu’en 2014, les 41 musées nationaux évaluaient l’ampleur de leurs collections à plus de 10 millions d’objets suivant un bilan du récolement décennal entrepris en 2004 (« Bilan du premier récolement décennal des Musées de France, support de présentation de Marie‑Christine Labourdette, directrice, chargée des Musées de France », publié sur ministère de la Culture et de la Communication [2016], Joconde, Portail des collections des musées de France, http://www.culture.gouv.fr/ documentation/joconde/fr/partenaires/AIDEMUSEES/journee_RDterr_2014/journee- pres.htm. La base de données en ligne Joconde, catalogue collectif des collections des musées de France mise en ligne en 2011, comptabilisait, en 2017, environ 550 000 notices. 33. MATTEOLI, Contribution de la DMF, p. 87. 34. Il s’agit d’un rapport rendu à la troisième chambre de la Cour des comptes, daté du 7 décembre 1995. Ce rapport n’a pas été publié, raison pour laquelle ne sont cités ici que des comptes‑rendus par des tiers. Début 1997 la Cour de Comptes publie un rapport sous le titre Les musées nationaux et les collections nationales d’œuvres d’art, qui ne porte aucunement sur les MNR.

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35. Rapport de la Cour des comptes 7 décembre 1995, cité par MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 11.

36. Rapport de la Cour des comptes 7 décembre 1995, cité par [ DAGEN/FELICIANO], Le Monde, 28 janvier 1997. 37. Il s’agit de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art créée en août 1996 pour répertorier les objets conservés hors des musées qui en ont la charge. Ministère de la Culture et de la Communication (2016), La commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art, http://www.culturecommunication.gouv.fr/Ministere/Services-rattaches-a-la- ministre/La-commission-de-recolement-des-depots-d-oeuvres-d-art. 38. La base de données « Catalogue des MNR », hébergée sur le site du ministère de la Culture, a été inaugurée le 13 novembre 1996, regroupant, d’après la directrice des Musées de France, « les fiches descriptives de la totalité des œuvres concernées », au nombre de 2 000. Dans une grande partie des cas, leur description se limite toutefois au strict minimum, à savoir les informations qui figureraient sur un cartel d’exposition, comme le nom de l’artiste, le titre, sa datation et son numéro d’inventaire. Françoise CACHIN (dir.), Pillages et restitutions. Le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, ministère de la Culture/Adam Biro, 1997, p. 10. Une extraction de cette base a été imprimée en avril 1997 pour être diffusée sous forme d’un dossier de presse : « Présentation des œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale ». Ce document n’est déposé dans aucun des centres de documentation et bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche, ni à la Bibliothèque nationale. Néanmoins on peut en consulter un exemplaire au Centre de documentation du Mémorial de la Shoah. 39. Le 30 mai 1996, la DMF convoque une conférence de presse dans les locaux du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) et du Mémorial du Martyr Juif Inconnu. Le 17 novembre 1996, la DMF organise une conférence publique dans l’amphithéâtre de l’école du Louvre, dont les actes ont été publiés en 1997. Voir F. CACHIN, op. cit. 40. Plus précisément, près de la moitié est exposée, soit 987 MNR, dans plusieurs établissements, sous le titre « Présentation des œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale » : entre début avril 1997 et début mai, le Musée d’Orsay, le Musée national d’Art moderne Centre Pompidou, les musées de Sèvres et de Versailles consacrent des salles spécifiques aux MNR. Au Musée du Louvre, les 678 objets issus de la Récupération exposés sont étiquetés de cartels d’une couleur spécifique. Il en est de même dans 120 musées en province. Seule l’exposition du Centre Pompidou fait l’objet d’une véritable scénographie et se dote d’une présentation du contexte historique. Les œuvres y sont présentées ‑ fait inhabituel pour des expositions d’art ‑ par ordre alphabétique d’artiste. Chaque tableau est accompagné d’une documentation y afférant et de photographies de son revers. Le musée édite encore une brochure de 40 pages, en petit format et noir et blanc : Œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale, confiées à la garde du Musée national d’art moderne, Paris, Centre National d’Art et de Culture Centre Georges Pompidou, 1997.

41. Le ministre de la Culture, Philippe Douste‑Blazy, cité par Annette LÉVY‑WILLARD, « Pas de trésor nazi dans les musées », Libération, 3 avril 1997.

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42. [DAGEN/FELICIANO], Le Monde, 28 janvier 1997. Cet article se fonde en grande partie sur des informations issues du rapport, non public, de la Cour des comptes en date du 7 décembre 1995 (voir note 34), dont il semblerait qu’il venait alors d’être communiqué à la presse de manière très informelle. Nous n’avons pas consulté ce document, qui demeure inédit. Selon toute vraisemblance une partie des informations fournies dans l’article cité ici ne sont pas des citations directement extraites du document, mais relèvent de son interprétation. C’est sans doute le cas, par exemple, du titre de l’article du Monde, « 1 955 œuvres d’art volées aux juifs pendant l’Occupation détenues par les musées français ». 43. Jean‑Alphonse RICHARD, « Les secrets bien gardés des Archives nationales », Le Figaro, 27 janvier 1997.

44. Philippe Douste‑Blazy cité par Annette LÉVY‑WILLARD, Libération, 3 avril 1997. 45. Le président du Centre Georges Pompidou, Jean‑Jacques Aillagon, dans Œuvres récupérées, op. cit., p. [1]. 46. Rapport d’étape présenté au Premier ministre le 12 janvier 1998. MATTÉOLI, Premier rapport. 47. Rapport d’étape présenté au Premier ministre le 2 février 1999. MATTÉOLI, Deuxième rapport. 48. Rapport final présenté au Premier ministre le 17 avril 2000. Jean MATTÉOLI, Rapport général, Paris, la Documentation française, 2000. Pour les huit autres volumes, voir la bibliographie générale. 49. Lors de la dissolution de la CRA, signifiant la fin du processus de restitution, ces objets, selon les règlements en vigueur, sont devenus propriété de l’État, prêts, à ce titre, à être vendus par l’administration des Domaines. D’après le rapport final de la Mission, près de 16 000 objets (objets issus de la Récupération artistique et meubles ordinaires confondus) ont été vendus par les Domaines. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, pp. 35‑36, 38.

50. MATTÉOLI, Premier rapport, pp. [103]–[104]. 51. Dans les quatre mois suivant la publication du Musée disparu, deux tableaux ‑ un Léger et un Picasso ‑ se trouvant au Centre Pompidou, ont été réclamés. D’après H. Feliciano ces œuvres provenaient pour l’un de la collection de Léonce Rosenberg et pour l’autre de celle d’Alphonse Kann. Voir Emmanuel DE ROUX, « Le recensement des œuvres d’art volées par les nazis va être facilité », Le Monde, 2‑3 juin 1996 ; H. FELICIANO, Beaux‑Arts Magazine, 1996, pp. 76‑77. 52. Dans ce contexte, la Mission suggère à la Direction des musées de France de considérer la démarche d’un potentiel propriétaire légitime comme prioritaire, au lieu d’user de « la pratique des ‘réponses d’attente’ », MATTÉOLI, Premier rapport, pp. [105], [113]. 53. Ibid., pp. 6‑7. 54. Mentionnons toutefois que dans sa principale publication sur le sujet en 1997, la directrice des Musées de France précise que si la DMF tient les MNR à la disposition de leurs propriétaires, « au‑delà c’est à la Mission d’étude sur la spoliation durant l’Occupation […] de faire, s’il y a lieu, des propositions au gouvernement ». F. CACHIN, op. cit., p. 11.

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55. Il s’agit de cesser la mise en dépôt des œuvres et objets en question, pour les soustraire « aux aléas de l’usage » et les rendre accessibles aux chercheurs, au public et « une fois le regroupement opéré, ceux dont les propriétaires d’origine n’auraient pu être identifiés pourraient être exposés ». MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 215. Dans la mesure où les MNR constituent déjà un dépôt (par l’OBIP auprès des Musées nationaux), leur transfert au Mobilier national représente en fait une sorte de sous‑dépôt. Le fait de les confier à des institutions ou administrations n’accueillant pas de public n’en facilite évidemment pas la localisation en cas d’éventuelle réclamation. 56. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 198. 57. Ce document a été publié par le Bureau central des Restitutions de la Division Réparations‑Restitution du Groupe français du Conseil de Contrôle. La publication des huit volumes et six suppléments, est échelonnée de 1947 et 1949. Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939‑1945, 8 vol., Berlin, Imprimerie nationale, 1947 à 1949. 58. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 198. 59. Ibid., pp. 215‑216. 60. Par ailleurs, le rapport annonce des avancées au sujet des biens transférés aux Domaines dont certains seraient identifiables. Ibid., p. 197. 61. Ibid., p. 198. 62. Ibid., p. 216. 63. MATTÉOLI, Rapport général, p. 175.

64. Cette somme, estimée à une centaine de millions d’anciens francs (MATTÉOLI , Contribution de la DMF, p. 41), sera ensuite intégrée dans la dotation de la FMS. Voir Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, Laurence SIGAL‑KLAGSBALD, « À qui appartenaient ces tableaux ? » La politique française de recherche de provenance, de garde et de restitution des œuvres d’art pillées durant la Seconde Guerre mondiale. Paris, Réunion des musées nationaux, 2008, p. 50. 65. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 215.

66. MATTÉOLI, Rapport général, p. 175. 67. Si, en effet, il pourrait s’agir d’œuvres significatives pour l’Histoire de l’art ou pour l’histoire de la Shoah, l’on peut supposer qu’il s’agit de la seconde possibilité, dans la mesure où la recommandation précise que ces œuvres « seraient exposées accompagnées d’un cartel en explicitant l’historique ». Ibid. 68. MATTÉOLI, Rapport général, p. 175.

69. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 195. Il convient de rappeler ici que le RBS ne comptabilise pas toutes les spoliations de biens identifiables déclarés, mais seulement les spoliations de biens identifiables déclarés qui, à sa publication, n’ont pas encore fait l’objet d’une restitution. De plus, il ne mentionne évidemment pas les spoliations qui n’ont pas pu faire l’objet de réclamation parce que les personnes qui auraient été en mesure de s’en charger ont été assassinées dans le cadre de Shoah ou contraintes de fuir à l’étranger. 70. J’ai effectué ce décompte dans le cadre de cet article. Le volume 2 du RBS fait mention de 10 771 tableaux, dessins, sculptures et tapisseries ; avec ses trois suppléments il totalise exactement 14 516 œuvres d’art (soit 11 712 tableaux et dessins,

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2 258 sculptures et 546 tapisseries ; ce total englobe les ajouts effectués aux numéros de classement qui structurent les listes, ajouts signalés par la mention ‘bis’ ou ‘ter’). 71. Ce décompte additionne tous les objets comptés dans les différents volumes par numéro de classement, dont chacun correspond assez souvent à un seul objet. Voir les volumes du RBS précédemment cités ainsi que RBS, vol. IV, Argenterie, Céramique, Objets précieux, 1948, 324 p ; RBS, vol. VIII, Bijoux, [s. d.], 245+12 p. 72. Il s’agit ici d’un décompte non pas par numéro de classement (désignant tantôt des objets individuels tantôt des lots entiers), mais en additionnant, à la main, les nombres d’objets individuels signalés pour chacun des plusieurs milliers de lots. Une exception a été faite concernant les bijoux listés dans le volume VIII, en procédant à une estimation sur la base d’environ 10 pièces par dossier. Au terme de ce travail, on atteint effectivement un chiffre proche de 100 000, exclusion faite toutefois des livres et manuscrits. 73. Ou encore les 45 cuillères à café de l’hôtel Terminus à Montluçon, les différents types de brosses à garniture d’ivoire du sac de voyage de Madame Doynel de Saint‑Quentin, le calice de l’abbé Émile Lafontaine, 112 canons du musée de l’armée et 413 médailles diverses du musée de Bastia. RBS, vol. IV, pp. 231, 65, 79, 87, 97, 217, 209.

74. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 195. 75. Ibid., p. 198. 76. Sur l’Office des biens et intérêts privés, voir supra, note 12. Le chiffre 96 812 figure dans une présentation rédigée par Marie Hamon pour les archives du ministère des Affaires étrangères, citée dans MATTÉOLI, Rapport général, p. 134. Marie HAMON, La Récupération des œuvres d’art spoliées, 1944‑1993, archives du MAE, La Courneuve, 1997. Ce document est également fréquemment cité dans MATTÉOLI, Contribution de la DMF.

77. MATTÉOLI, Rapport général, p. 134. 78. Jusqu’à la fin des années 1990, cet ouvrage a constitué l’une des rares, si ce n’est l’unique, publication sur le sujet. Bien entendu, Rose Valland ‑ qui par ailleurs elle non plus, ne cite pas de source ‑ parle d’objets et non d’œuvres d’art. R. VALLAND, op. cit., p. 216. 79. Cités dans Claude LORENTZ, La France et les restitutions allemandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1943‑1954), Paris, Direction des Archives et de la Documentation ‑ Ministère des Affaires étrangères, 1999, p. 229. 80. 70 000 fiches sur des objets d’art et leurs propriétaires, plus 15 000 fiches « en cours d’établissement » (Rapport Florisoone, pp. 6‑7, 14, doc. cit.). Dans ce même document, il est néanmoins question également d’un double fichier ; il est donc tout à fait possible que ce dernier renferme alors près de 40 000 entrées du fichier par nom d’auteur et autant dans celui par nom de propriétaire. Nous n’avons pas effectué cette vérification. Dans une lettre à ce sujet, fin 1949, le directeur de la CRA estime qu’il y aura près de 90 000 entrées (lettre du directeur de la CRA au directeur de l’OBIP, le 31/12/1949, AN, 20 150 538/4). 81. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [97] 82. Plus exactement, si l’on se fie aux chiffres validés par la Mission Mattéoli, il s’agit de 61 233 objets rapatriés et de 45 441 restitués. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 37. 83. Ce chiffre est issu du rapport de Michel Florisoone, établi en fin de la mission de la CRA. Il s’agit d’un rapport marquant la fin de l’activité de la CRA, tapuscrit de 24 pages,

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signé par le conservateur du patrimoine Michel Florisoone, ancien chef des Services administratifs de la Commission de récupération artistique. Voir également M. HAMON, op. cit. ; C. LORENTZ, op. cit., p. 236‑237. 84. Il s’agit de près de 59 000 objets rapatriés depuis l’ancien Reich, plusieurs centaines d’objets rapatriés depuis d’autres pays (Tchécoslovaquie, Suisse, Italie, Belgique) et de deux milliers d’objets retrouvés en France. Si, admettons, la proportion ici était à peu près semblable à celle des biens réclamés par le biais du RBS, alors un quart seulement en correspondrait à des œuvres d’art. Rapport Florisoone, p. 15. 85. Il s’agit de trois volumes ‑ le volume II et ses premier et troisième suppléments ‑ sur quatre volumes du RBS contenant le signalement d’œuvres d’art. Ces trois volumes sont annotés, essentiellement de la main de Rose Valland : en principe la mention des biens rendus est barrée en rouge et complétée de la date de restitution. Archives du MAE, 20160007AC‑23 à 31, consultables également en ligne : ministère de la Culture et de la Communication (2016), Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Le Répertoire des biens spoliés », http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-rbs.htm. Un exemplaire annoté du volume III (meubles) a été retrouvé à Bois‑Préau début 2017 et se trouve en cours de transmission aux Archives du MAE. 86. Dans le cadre de cet article, un décompte a été effectué dans ces trois exemplaires annotés, qui sont numérisés et consultables en ligne. Les noms qui reviennent le plus fréquemment sont ceux des propriétaires des très grandes collections : Rothschild, Wildenstein, Kann, Schloss, Cassel ou Rosenberg. Cette inégalité dans la mise en œuvre des restitutions s’explique notamment par la manière dont le principal organisme spoliateur nazi Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) a opéré les spoliations, agissant par saisies et inventaires nominatifs. Voir MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 38.

87. En mars 1947 la CRA comptabilise près de 2 400 restitutions effectives (C. LORENTZ, op. cit., pp. 235‑237, 265‑266). Les différentes collections Rothschild auraient comptabilisé près de 2 300 restitutions. (F. DESTREMAU, op. cit., pp. 103‑104). Le musée de l’Armée de Paris a reçu restitution de près de 1 800 objets (C. LORENTZ, op. cit., p. 231, 235‑236). 88. Voir supra, note 1 et infra, note 94. 89. Comme dans les huit autres volumes, il affiche sur la page 2 une liste des dix « ouvrages de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France » dont il fait pleinement partie, sans mention du sous‑titre. Pour l’organigramme de la Mission, voir MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 129. 90. Depuis 1966, Michel Laclotte était conservateur en chef du département des peintures du Musée du Louvre, il est devenu directeur du Louvre, puis, à compter de son départ en retraite en 1992 directeur honoraire. À compter de 1994, il a également été président de la Mission de préfiguration de l’Institut national d’histoire de l’art. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 9 ; Who’s Who, Paris, Jacques Lafitte, 1996/1997, p. 971. 91. Alain Pierret est ambassadeur depuis 1980. De 1986 à 1991, il a ainsi représenté la France en Israël, avant d’être muté en Belgique (1991‑1993) puis au Vatican (1993‑1995). Alain Pierret a été le directeur administratif de la Mission Mattéoli. D’après Serge Klarsfeld, il s’est occupé des « relations internationales de la commission ». Beate et Serge KLARSFELD, Mémoires, Paris, Fayard Flammarion, 2015, p. 611 ; Who’s Who (1996/1997), p. 1359‑1360.

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92. André Larquié a été notamment chargé de mission auprès du ministre de la Culture Jack Lang de 1981 à 1983, conseiller technique au cabinet du Premier ministre Michel Rocard en 1988 puis président directeur de Radio France Internationale de 1989 à 1995. Ancien président du Théâtre contemporain de la danse ainsi que de l’Opéra de Paris de 1983 à 1987, il a également été commissaire du gouvernement auprès du Centre national d’Art et de Culture Georges Pompidou de 1981 à 1984. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 129 ; Who’s Who (1996/1997), p. 1005. 93. C’est‑à‑dire membre de l’instance délibérante de la Mission. Le collège délibérant de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France est composé de neuf personnalités nommées par décret. Le seul autre groupe de travail dans lequel ne se trouve aucun membre du collège délibérant de la Mission est le Guide des recherches en archives, confié à la conservatrice archiviste Caroline Piketty. 94. Il s’agit de deux conservateurs du patrimoine. Isabelle Le Masne de Chermont est à cette date la responsable des bibliothèques et archives des musées nationaux. Didier Schulmann est alors chargé de la documentation des œuvres au Centre Pompidou et, en avril 1997, il a été commissaire de l’exposition au Musée national d’art moderne « Présentation des œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale », organisée avec Rita Cusimano. 95. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [110]. 96. Il s’agit de deux personnes dont le champ d’expertise a trait aux domaines économiques et financiers. En effet, en raison du décès de François Furet en juillet 1997, mais aussi au motif de l’ampleur de la tâche constatée lors des premières réunions, deux historiens sont nommés : Antoine Prost qui dirigera les recherches sur les spoliations économiques et Claire Andrieu, qui sera chargée de l’aspect financier. L’équipe permanente est par ailleurs enrichie par l’archiviste Caroline Piketty qui est à cette date conservatrice aux Archives nationales. 97. Annette WIEVIORKA, « Éléments pour une histoire de la Mission Mattéoli », La Revue des Droits de l’Homme, Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, no 2, décembre 2012, p. 5. 98. Laurence Bertrand‑Dorléac est titulaire d’un doctorat d’histoire de l’art et d’archéologie (Paris 1, 1984) et d’un doctorat d’histoire (IEP, 1990) qui tous deux portent sur la période de l’Occupation. Habilitée à diriger des recherches depuis 1995, elle est notamment l’auteur d’Histoire de l’art, Paris, 1940‑1944, Ordre national, Traditions et Modernités, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986 et L’Art de la défaite, 1940‑1944, Paris, Seuil, 1993. 99. A. WIEVIORKA, op. cit., p. 5.

100. MATTÉOLI, Premier rapport, 3‑4, p. [100]. 101. À savoir des recherches sur les MNR ainsi que sur les objets vendus par l’administration des Domaines. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [103].

102. Serge Klarsfeld cité par François DEVINAT, « ‘Pour faire la paix avec le passé’, Les institutions juives obtiennent enfin l’aide de l’État pour leurs recherches », Libération, 27 janvier 1997, p. 11. 103. MATTÉOLI, Premier Rapport, p. 19 ; « Les pillages, une affaire allemande » est le titre du chapitre consacré, dans le Rapport général de la Mission Mattéoli, aux spoliations

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d’œuvres d’art, d’autres « biens culturels » et de mobilier. MATTÉOLI, Rapport général, p. 79. 104. Fin 1998, lorsqu’elle présente son deuxième rapport d’étape, la Mission comporte huit groupes de travail : textes officiels, guide des recherches en archives, aryanisation économique, Drancy, camps de province, secteur bancaire et financer, œuvres et objets d’art, spoliations mobilières. 105. MATTÉOLI, Deuxième rapport, p. 8‑9. La Mission est en lien avec trois « Comités de surveillance » dans l’activité desquels elle n’intervient nullement, mais dont elle suit et encourage les travaux : ils sont consacrés aux assurances, aux banques et au notariat et travaillent sous le contrôle d’assureurs, de banquiers et de notaires. 106. C. ANDRIEU in C. GOSCHLER, P. THER, C ANDRIEU, op. cit., p. 192, note 21.

107. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 13. 108. Par rapport à l’édition imprimée du rapport, la version en ligne sur le site de la Documentation française (et sur le Site Rose Valland du ministère de a Culture), ne contient pas les 46 pages d’annexes qui représentent plus du tiers du volume imprimé. Voir ministère de la Culture et de la Communication (2016), Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « La mission Mattéoli », http://www.culture.gouv.fr/ documentation/mnr/MnR-matteoli.htm. 109. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 81‑82.

110. Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, Laurence SIGAL‑KLAGSBALD, op. cit., p. 46. 111. En place d’auteur du rapport est par ailleurs indiqué le seul Centre Georges Pompidou. Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, Laurence SIGAL‑KLAGSBALD, „Restitution in Frankreich“, in Inka BERTZ, Michael DORRMANN (dir.), Raub und Restitution, Kulturgut aus jüdischem Besitz von 1933 bis heute, Göttingen, Wallstein, 2008, pp. 274, 276. 112. Didier SCHULMANN et Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, « Mattéoli », in J. LINSLER, M. GHERGHESCU, D. SCHULMANN, op. cit., p. 95. 113. Voir également son récent ouvrage : Amending the Past, Europe's Holocaust Commissions and the Right to History, Madison, University of Wisconsin Press, 2015. 114. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [108].

115. C. ANDRIEU in C. GOSCHLER, P. THER, C. ANDRIEU, op. cit., p. 190. 116. Voir l’article d’A. Karn dans ce numéro. 117. A. KARN, op. cit., p. 44. 118. Il en va de même concernant le choix du cadre géographique et chronologique. D’après Alexander Karn, le fait de limiter le cadre à la période de l’Occupation implique d’exclure du récit un certain nombre d’éléments ‑ qui seraient pris en compte si l’on élargissait l’étude à une ère géographique plus vaste ou, par exemple, à l’entre‑deux‑guerres ‑ pouvant être perçus comme relativisant les actes commis par le régime de Vichy. Voir A. KARN, op. cit., p. 39. 119. Ibid. p. 243. 120. Ibid. p. 233. 121. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 73. Le groupe nominal « 25% objets dont l’historique est incomplet ou inconnu » correspond au titre de ce paragraphe conclusif de la part essentielle du rapport, c’est‑à‑dire de la partie qui se présente sous forme de texte rédigé, qui n’est suivi que d’une page présentant le classement des MNR en trois

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groupes (œuvres soupçonnées d’être issues de spoliations, œuvres exemptes de spoliations et œuvres dont l’histoire n’est pas assez élucidée), avant d’ouvrir sur la bibliographie et les annexes. 122. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 13. 123. Ibid, p. 7. 124. Ibid, p. 68‑73. 125. MATTÉOLI, Rapport général, p. 174.

126. Voir par exemple A. PROST, op. cit., p. 7 ; Claire ANDRIEU & al., La Spoliation financière, vol. I, Paris, La Documentation française, 2000, p. 5, 276 ; Annette WIEVIORKA, Les biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune‑la‑Rolande, Paris, La Documentation française, 2000, p. 16, 43‑44. 127. H. FELICIANO, « The Great Culture Robbery : the Plunder of Jewish‑Owned Art » in Avi BEKER (dir.), The Plunder of Jewish Property During the Holocaust, Confronting European History, Palgrave/New York, New York University Press, 2001, p. 175. 128. En comparaison et pour exemple, le rapport sur les spoliations économiques accorde plus d’une quarantaine de pages aux questions de méthodologie et explicite tout autant les résultats de l’enquête que ses limites. A. PROST, op. cit., p. 95‑138.

129. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 56.

130. Ibid., p. 56‑66.

131. Le nombre de personnes affectées à ces recherches serait de deux (MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 12, 81) ou trois (F. CACHIN, op. cit., p. 10) conservateurs des musées nationaux, ainsi que d’un conservateur au MNAM aidé d’une personne embauchée temporairement (MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 56). La durée de cette mission n’est pas précisée, ce qui rend difficile d’évaluer si le catalogage des MNR était une tâche pour laquelle les conservateurs ont été pleinement déchargés de leur quotidien. Il est par ailleurs difficile d’évaluer l’état et la performance de cette base de données hébergée sur le serveur du ministère de la Culture (voir notes 38 et 148). 132. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [100]. 133. En avril 1997 le ministre annonce que les recherches faites sur 300 œuvres montrent que « la majorité des œuvres de la Récupération artistique confiées à la garde des musées nationaux ont été, non pas spoliées, mais acquises sur le marché de l’art parisien pendant l’Occupation par des collectionneurs ou des musées allemands. » Philippe Douste‑Blazy cité dans Le Dauphiné Libéré/Vaucluse Matin, 3 avril 1997. MATTÉOLI, Premier rapport, pp. [100], [102]. 134. Soit sept personnes chargées de sonder le cas des MNR relevant d’autres catégories que des peintures classiques et cinq personnes chargées d’élucider la question des biens vendus aux Domaines. Il s’agit de vacataires à temps complet, affectés à ces tâches pour une durée de deux mois fin 1997 et actifs dans différents fonds d’archives : archives du ministère des Affaires étrangères, archives du ministère des Finances et de l’Industrie, archives des Musées de France. MATTÉOLI, Premier rapport, p. [101]. 135. Ainsi, en 1999, le groupe chargé des œuvres d’art se compose de huit (puis quinze) contractuels rémunérés par la Mission Mattéoli, de sept conservateurs ainsi que des

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vacataires rémunérés par les musées dont le nombre n’est pas précisé. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 56. Voir également MATTÉOLI, Rapport général, p. 193. 136. Une première plainte de type class action à l’encontre des sociétés d’assurance françaises est déposée en mars 1997, une première plainte de type class action à l’encontre des banques françaises est déposée en décembre 1997. C. ANDRIEU in C. GOSCHLER, P. THER, C. ANDRIEU, op. cit., p. 207.

137. Didier SCHULMANN et Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, « Mattéoli », in J. LINSLER, M. GHERGHESCU, D. SCHULMANN, op. cit., p. 95.

138. Didier Schulmann cité dans David ROBERT, « Les musées pointés du doigt », Le Journal des Arts, no 472, 3 février 2017, p. 9. 139. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 17‑52. 140. Ibid., p. 55‑74. 141. Ibid., p. 40. 142. Ibid., p. 57. 143. Ibid., p. 52. 144. Ibid., p. 52. 145. MATTÉOLI, Rapport général, 2000, p. 175. 146. Deux institutions notamment ont été créées : la Commission pour l’Indemnisation des Victimes des Spoliations (CIVS) chargée d’étudier les dossiers, au cas par cas, des victimes notamment des « aryanisations » et de proposer des indemnisations appropriées et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) à vocation culturelle, mémorielle, scientifique et éducative. Le budget attribué aux paiements recommandés par la CIVS n’est pas plafonné. La FMS est dotée d’un capital de 2,5 milliards de francs (394 millions d’euros) en fonction de la valeur des biens en déshérence évaluée par la Mission à 2,3 milliers de francs. C. ANDRIEU in C. GOSCHLER, P. THER, C. ANDRIEU, op. cit., p. 194‑195. En parallèle, le gouvernement pourvoit à l’indemnisation de chaque victime, individuellement, à travers la CIVS. Voir à ce sujet l’article d’Anne Grynberg dans ce numéro. 147. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer le nombre de fiches que contenait alors cette base. Dans des communications officielles, il a été question, pour début 1997, de 400 œuvres (Françoise Cachin, citée dans Alan RIDING, « France Displays Art “Unclaimed” Since Nazi Era », International Herald Tribune, 4 avril 1997), mais aussi de « la totalité des œuvres concernées » (F. CACHIN, op. cit., p. 10). D’après la directrice des Musées de France, le site aura, dès 1997, été visité par près de plus de 20 000 visiteurs (ibid.). Il est en effet avéré que, fin 1997, la base était opérationnelle au point de permettre, pour exemple, à un musée allemand d’identifier plusieurs MNR provenant de ses collections, que le musée avait achetées en France sous l’Occupation et qui ont rapatriées en France après l’Occupation. Voir « “On ne peut pas revenir sur les textes de l’époque” » (entretien avec Françoise CACHIN, propos recueillis par Béatrice VALLAEYS), Libération, 16 janvier 1998. 148. Claude LESNÉ, Anne ROQUEBERT, Catalogue des peintures MNR, Paris, Réunion des musées nationaux, 2004. 149. Exposition « À qui appartenaient ces tableaux ? La politique française de recherche de provenance, de garde et de restitution des œuvres d’art pillées durant la

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Seconde Guerre mondiale/Looking for Owners ; French Policy for Provenance Research, Restitution and Custody of Art Stolen in France during World War Two », du 18 février au 3 juin 2008 au Musée d’Israël, Jérusalem et du 24 juin au 28 septembre 2008 au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Paris. Organisée par les ministères de la Culture et des Affaires étrangères français, la Direction des musées de France et la Réunion des musées nationaux, l’exposition est placée sous l’égide d’un Comité d’honneur auquel participent les ministres israéliens de la Culture et des Affaires étrangères et les ambassadeurs respectifs des deux pays. Une des raisons pour lesquelles il a fallu plus de sept ans pour organiser cette exposition tient au fait que la France a tenu à ce que, au préalable, le gouvernement israélien adopte une loi prévenant d’éventuelles mises sous séquestre par la justice israélienne. Cette précaution a été prise dans l’objectif d’éviter un cas similaire à celui, par exemple, de la saisie ordonnée en 1998 par le procureur de Manhattan, d’une peinture d’Egon Schiele, Portrait de Wally, alors que ce dernier avait été prêté par le Musée Leopold de Vienne au Museum of Modern Art de New York, saisie annulée par la suite. Michael MARRUS, Some Measure of Justice, The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, Madison, UW Press, 2009, pp. 47‑50.

150. I. LE MASNE DE CHERMONT, L. SIGAL‑KLAGSBALD, op. cit. 151. Colloque Le Pillage des œuvres d’art : connaître et réparer, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 14‑15 septembre 2008. 152. Ministère de la Culture et de la Communication (2016), Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Catalogue des MNR », http://www.culture.gouv.fr/public/ mistral/mnrbis_fr?ACTION=RETOUR&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P. Ce site met à disposition également une documentation historique au sujet des MNR dont les numérisations du RBS (avec plusieurs exemplaires annotés), les différents rapports de la Mission Mattéoli. 153. Sophie FLOUQUET, « La part d’ombre des Musées nationaux récupération. L’histoire des œuvres spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale et de leur restitution », Le Journal des arts, no 621, février 2010. 154. Sur ces deux institutions, voir l’article d’Anne GRYNBERG dans ce numéro. 155. Décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour « toute personne dont le père ou la mère a été déporté à partir de la France, dans le cadre des persécutions antisémites durant l’occupation et qui a trouvé la mort en déportation », indemnisation consistant en une rente mensuelle de près de 500 euros ou en un versement unique de 28 000 €. 156. COMMISSION POUR L’INDEMNISATION DES VICTIMES DES SPOLIATIONS (2016), Ressources documentaires, « Groupe de travail sur les MNR », http://www.civs.gouv.fr/fr/ressources-documentaires/le-groupe-de-travail-sur-les- oeuvres-mnr/. 157. Il s’agit de la découverte par le service des douanes allemandes de plus de mille œuvres d’art dissimulées près de Munich dans l’appartement de Cornelius Gurlitt, le fils d’un marchand d’art qui s’était mis service des élites nazies pendant la guerre. Cette découverte a été rendue publique fin 2013 et a occasionné la création, en Allemagne, d’une cellule de recherche de provenance spécialisée, la Taskforce ‘Schwabinger Kunstfund’. STIFTUNG DEUTSCHES ZENTRUM KULTURGUTVERLUSTE (2017), Lostart, „Kunstfund Gurlitt“, http://www.lostart.de/Webs/DE/Datenbank/KunstfundMuenchen.html.

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158. Rapport du Groupe de travail, remis à la ministre de la Culture et de la Communication le 27 novembre 2014, en ligne : ministère de la Culture et de la Communication (2016), « Rapport définitif du groupe de travail sur les provenances d’œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale », http://www.culturecommunication.gouv.fr/Documentation/Rapports/Rapport- definitif-du-groupe-de-travail-sur-les-provenances-d-oeuvres-recuperees-apres-la- seconde-guerre-mondiale. Notons que le nombre des objets d’art cités dans les revendications formulées auprès de la CRA seront au nombre de près de 100 000, correspondant ainsi au chiffre discuté supra. 159. Il est notamment question de procéder à la numérisation des annonces de vente par le service des Domaines. Ibid., p. 22. 160. Rapport de la Mission d’information sur les œuvres spoliées présidée par la sénatrice Corinne Bouchoux, « Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives », Sénat de la République française, Rapport de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mission d’information sur les œuvres spoliées, [janvier 2014], 6 p. 161. Ibid., p. 6. 162. Il s’agit de la recommandation no 17 : MATTÉOLI, Rapport général, p. 175. 163. « Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou », Rapport du Sénat 2014, p. 6. 164. Cela, toutefois, correspond à ce qu’il a été demandé aux musées. Prenant la suite du récolement des ‘MNR’ qui, en 1997, venait d’être achevé, la Mission devait faire établir leur provenance. À défaut d’y être arrivée, elle a alors pour le moins fourni des chiffres concernant le nombre respectif de MNR issus des spoliations avec certitude et de ceux qui ne le sont pas. 165. L’expression est d’ailleurs reprise dans D. ROBERT, Le Journal des Arts, 3 février 2017, p. 9. 166. Bien que le rapport mentionne une « liste détaillée » des biens vendus par l’administration des Domaines, elle n’est, paraît‑il, ni publiée, ni même référencée en archives, mais a simplement « fait l’objet d’un traitement informatisé par le ministère des Affaires étrangères » afin que le ministère des Finances puisse en estimer la valeur. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 40. 167. Une importante partie des MNR est issue d’un autre type de Récupération dans la mesure où elle a constitué une forme de dédommagement symbolique, cédé par les Alliés à la France pour le préjudice subi, collectivement, par des ressortissants français. Voir à ce sujet les notes 1, 17 et 18. 168. La Direction des musées de France, citée par Philippe SPRANG, L’Événement du Jeudi, 16 juin 1994. 169. Ainsi le rapport Mattéoli comptabilise plus de mille œuvres provenant d’achats de musées allemands ou autrichiens, acquis dans le cadre du projet hitlérien d’un musée d’art nouvellement construit à Linz, issues de la collection Goering ou encore de confiscations chez des particuliers. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 66‑68.

170. Voir à ce sujet notamment Jan SURMAN, Shoah‑Erinnerung und Restitution, die US‑Geschichtspolitik am Ende des 20. Jahrhunderts, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2012. 171. Il s’agit d’un entrepôt abrité dans la chartreuse cistercienne de Mauerbach. La vente a eu lieu à Vienne, les 29 et 30 octobre 1996, auprès de la maison de vente

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Christie’s. Le Congrès juif mondial fut chargé de la répartition des fonds. Voir Emmanuel DE ROUX, Waltraud BARYLI, « Christie’s disperse à Vienne plus de 8 000 objets d’art pillés par les nazis », Le Monde, 26 octobre 1996 ; « Recette record aux ventes d’œuvres d’art saisies par les nazis », Libération, 31 octobre 1996. L’existence du dépôt de Mauerbach est par ailleurs mentionnée dans le livre d’H. FELICIANO, op. cit., p. 206. 172. Cet antagonisme traverse en effet toute l’histoire de la Wiedergutmachung dans le sens de « réparations » de crimes nazis. En ce qui concerne les biens culturels, voir Élisabeth GALLAS, „Das Leichenhaus der Bücher“. Kulturrestitution und jüdisches Geschichtsdenken nach 1945, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013. 173. X. PERROT, op. cit., p. 296. Il est vrai que, si dans les années 1950, les musées nationaux apparaissaient comme les instances les plus fondées à recevoir le dépôt des œuvres issues d’une Récupération mise en œuvre dans l’objectif de reconstituer le patrimoine national, ils avaient peut‑être perdu cette légitimité dans les années 1990, ces mêmes œuvres étant alors dotées de nouvelles significations. Devenus, désormais, des objets marqués du sceau de la Shoah, peut‑être leur conservation ne relèverait‑elle plus aujourd’hui de leur domaine ? 174. Il semblerait que les sélections opérées par les « Commissions de choix » n’ont pas généré beaucoup d’archives, dans la mesure où elles n’ont requis aucune justification, ni argumentation, ni étude préliminaire. MATTÉOLI, Contribution de la DMF, p. 39‑40. 175. Le statut des MNR implique qu’ils restent restituables à d’éventuels propriétaires pouvant faire valoir leurs droits légitimes, alors qu’en principe, tout objet intégré dans les collections nationales devient inaliénable. 176. X. PERROT, op. cit., p. 301. 177. La liste des 11 « principes de Washington » est reproduite en ligne, p. ex. sur le site STIFTUNG DEUTSCHES ZENTRUM KULTURGUTVERLUSTE (2017), Lostart, « Washington Principles », http://www.lostart.de/Webs/EN/Datenbank/Grundlagen/ WashingtonerPrinzipien.html. 178. En 2012, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) a, pour exemple, entrepris la numérisation de près de 3 000 catalogues de vente, pour la plupart de l’hôtel de vente Drouot, publiés entre 1938 et 1950. Ce travail a été effectué en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France et a bénéficié d’un soutien financier de la FMS. Voir Emmanuelle POLACK, « Les catalogues de vente de la collection Jacques Doucet (1938‑1950) : source des recherches en provenance d’œuvres spoliées », communication présentée à la Journée de formation Patrimoines spoliés : état des lieux et instruments de recherche, 22 janvier 2015, Paris, Institut national du patrimoine ; INSTITUT NATIONAL D’HISTOIRE DE L’ART (2014), Ressources, « Les catalogues de vente », https://www.inha.fr/ fr/ressources/bibliotheque/collections-de-la-bibliotheque/le-catalogue-de-vente.html. 179. Voir par exemple Patricia K. GRIMSTED, Reconstructing the Record of Nazi Cultural Plunder: A Survey of the Dispersed Archives of the Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), Amsterdam, International Institute for Social History, 2011. 180. Didier SCHULMANN, « Secret », in J. LINSLER, M. GHERGHESCU, D. SCHULMANN, op. cit., p. 114. 181. Pour ce dernier point, Corinne Bouchoux citée dans D. ROBERT, Le Journal des Arts, 3 février 2017, p. 9.

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182. Pour certaines œuvres, celles spoliées par l’ERR notamment, cette circulation peut en effet être retracée, en partie au moins, par le croisement des différents éléments d’identification : codes issus des listes de l’ERR, numéros d’inventaire de collecting points, numéros de dossier à l’OBIP, à la CRA, etc. 183. Philippe SPRANG (2015), « Pillage des œuvres d’art en France par le IIIe Reich, 1990‑2015 : le travail d’un journaliste d’investigation en France entre course d’obstacle, colère et stupeur », communication présentée à l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky MNAM/CCI, Paris, 2‑11 juillet 2015 (communication du 11 juillet). 184. Ibid. 185. D. ROBERT, Le Journal des Arts, 3 février 2017, p. 9.

186. Thierry BAJOU, « L’apport d’Internet à la recherche », communication présentée à la Journée de formation, Patrimoines spoliés : état des lieux et instruments de recherche, 22 janvier 2015, Paris, Institut national du patrimoine. 187. Loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, 8 juillet 2016, citée dans D. ROBERT, Le Journal des Arts, 3 février 2017, p. 9.

188. Voir à ce sujet Corinne BOUCHOUX, « Si les tableaux pouvaient parler… », Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis (France 1945– 2008), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013. pp. 27‑28. 189. Bernard KOUCHNER, Christine ALBANEL, « Préface », in I. LE MASNE DE CHERMONT, L. SIGAL‑KLAGSBALD, op. cit., [s. p.].

190. D. ROBERT, Le Journal des Arts, 3 février 2017, p. 9. 191. Aujourd’hui, en France, seulement deux thèses de doctorat ont été soutenues sur le sujet : une thèse d’Histoire soutenue et publiée en 2013 par Corinne Bouchoux, voir note 188, ainsi qu’une thèse en Histoire de l’art portant le titre « Le paradigme du marché de l’art à Paris sous l’Occupation, 1940–1945 », soutenue par Emmanuelle Polack le 9 septembre 2017.

RÉSUMÉS

Cet article porte sur la manière dont la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France ‑ en la personne de son groupe « œuvres et objets d’art » ‑ a traité le cas des spoliations d’œuvres d’art. Il s’est agi notamment du cas des œuvres communément appelé « les MNR », à savoir quelque 2 000 œuvres d’art rapatriées d’Allemagne ‑ et donc potentiellement spoliées ‑ qui au début des années 1950 ont été confiées aux musées nationaux. Ce travail publié sous l’égide de la Mission Mattéoli suscite aujourd’hui plusieurs interrogations : celle‑ci ont trait à la mise en œuvre de la recherche menée, à son fondement en ce qui concerne certains des chiffres avancés, puis aux personnes ou institutions qui en portent la responsabilité. En cela, cet article, fondé essentiellement sur les différents rapports publiés, porte sur ce qui différencie le rapport portant sur les œuvres d’art des autres travaux de la Mission Mattéoli ainsi que sur la nature des décalages constatés, qui mériteraient une étude plus approfondie.

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This article analyzes the work of the Mattéoli Commission, which was established in France in the late 1990s, and specifically one of its sub‑commissions, which consisted of representatives of various French national museums and archives and which carried out research on looted art formerly belonging to Jews in France. One of this sub‑commission's primary objectives was the investigation of the so‑called MNR (Musées Nationaux Récupération), approximately 2000 pieces of potentially looted art retrieved from Germany after WWII and consigned to French national museums in the early 1950s after the search for their rightful owners had proved inconclusive. The report on the MNR does however not only differ considerably from the Mattéoli Commission's other publications, but it gives rise to a number of substantial questions: It is unspecific about its authorship and the researchers involved, while the underlying research is characterized by a number of problematic features, such as methodical incoherence and use of nebulous numerical data. This article, which draws on a concise analysis of the Mattéoli Commission's various publications, illustrates the report’s major discrepancies and argues for a fresh approach and more detailed research both on the MNR artworks and on the issue of looted art in general.

המאמר בוחן את עבודתה של ועדת מטאולי שמונתה בצרפת בשנת 1990, וליתר דיוק את עבודתה של אחת מתת-הוועדות, שחבריה ייצגו את המוזיאונים הלאומיים והארכיונים שטיפלו בכאלפיים יצירות אמנות שנגזלו מיהודים בזמן המלחמה, הועברו לגרמניה והופקדו בידי המוזיאונים הנ"ל בשנות החמישים של המאה ה20-. בהבדל מפרסומים אחרים של ועדת מטאולי, הדו"ח שפורסם על עבודתה של תת-ועדה זו מעורר שאלות בנוגע לשיטות החיפושים, לנתונים שפורסמו ולמוסדות הנושאים באחריות. מאמר זה מנסה לאבחן את ההבדלים בין פרסומי עבודתה של ועדת מטאולי ככלל ובין הדו"ח בנידון יצירות האמנות וטוען כי גזל יצירות האמנות דורש מחקר יסודי ומקיף הרבה יותר.

AUTEUR

JOHANNA LINSLER EHESS, Paris

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Indications bibliographiques

1 Sont reprises ici les références des publications citées dans les différents articles, ainsi que celles des principaux textes parus sur le sujet des ‘réparations’ depuis la fin des années 1990.

2 AUTHERS John & WOLFFE Richard, 2002, The Victim’s Fortune. Inside the Epic Battle Over the Debts of the Holocaust, New York: Harper Collins.

3 AVITAL Colette & al., 2004, Rapport de la Commission d’enquête de la Knesset relatif à la localisation et à la restitution des avoirs des victimes de la Shoah en Israël, Jérusalem.

4 BAILER‑GALANDA Brigitte, 1993, Wiedergutmachung kein Thema: Österreich und die Opfer des Nationalsozialismus, Wien : Löcker.

5 BAJOU Thierry, 2015, « L’apport d’Internet à la recherche », communication présentée à la Journée de formation Patrimoines spoliés : état des lieux et instruments de recherche, 22 janvier 2015, Paris : Institut national du patrimoine : http://www.inp.fr/ Mediatheque-numerique/Colloques/Patrimoines-spolies-etat-des-lieux-et- instruments-de-recherche/L-apport-d-Internet-a-la-recherche.

6 BARKAN Elazar, 2001, The Guilt of Nations. Restitution and Negotiating Historical Injustices, Baltimore/London: The Johns Hopkins University Press.

7 BARKAN Elazar & K ARN Alexander, 2006, Taking Wrongs Seriously: Apologies and Reconciliation, Palo Alto: Stanford University Press.

8 BAZYLER Michael J., 2003, Holocaust Justice. The Battle for Restitution in America’s Courts, New York: New York University Press.

9 BAZYLER Michael J. & ALFORD Roger P. (dir.), 2006, Holocaust Restitution. Perspectives on the Litigation and Its Legacy, New York/London: New York University Press.

10 BELL Christine, 2009, “Transitional Justice, Interdisciplinarity and the State of the ‘Field’ or ‘Non‑Field’”, The International Journal of Transitional Justice, no 3, pp. 5–27.

11 BERTZ Inka & DORRMANN Michael (dir.), 2008, Raub und Restitution, Kulturgut aus jüdischem Besitz von 1933 bis heute, Göttingen: Wallstein.

12 BILSKY Leora, 2012, “Transnational Holocaust Litigation”, The European Journal of International Law, no 23‑2, pp. 349‑375.

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13 BINNE Wolfgang & S CHNELL Christoph, 2011, „Die Rechtsprechung zum Gesetz zur Zahlbarmachung von Renten aus Beschäftigungen in einem Ghetto (ZRBG) und die Umsetzung durch die Rentenversicherung“, in Deutsche Rentenversicherung.

14 BLACKSELL Mark & B ORN Karl Martin, 2002, “Private Property Restitution: The Geographical Consequences of Official Government Policies in Central and Eastern Europe”, The Geographical Journal, no 168‑2, pp. 178‑190.

15 BOUCHOUX Corinne, 2013, « Si les tableaux pouvaient parler… », Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis (France 1945‑2008), Rennes : PUR.

16 BRODESSER Herrmann‑Josef, F EHN Bernd Josef, F RANOSCH Tilo, W IRTH Wilfried, 2000, Wiedergutmachung und Kriegsfolgenliquidation, Geschichte ‑ Regelungen ‑ Zahlungen, München: C. H. Beck.

17 BROOKS Roy (dir.), 1999, When Sorry is not Enough. The Controversy over Apologies and Reparations for Human Injustice, New York: New York University Press.

18 BRUNNER José (dir.), 2009, Die Praxis der Wiedergutmachung. Geschichte, Erfahrung und Wirkung in Deutschland und Israel, Göttingen: Wallstein.

19 BRUNNER José, G OSCHLER Constantin, F REI Norbert, 2013, Globalisierung der Wiedergutmachung: Politik, Moral, Moralpolitik, Göttingen: Wallstein.

20 CACHIN Françoise (dir.), 1997, Pillages et restitutions. Le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la Seconde Guerre mondiale (actes du colloque du 17 novembre 1996), Paris : Ministère de la Culture/Adam Biro.

21 COLOMONOS Ariel, 2001, « L’exigence croissante de justice sans frontières : le cas de la demande de restitution des biens juifs spoliés », Les Études du CERI, no 78, pp. 2‑40.

22 Commission Bergier, 2002, Rapport final : La Suisse et les réfugiés à l’époque du national‑socialisme, Berne. [En complément, cf. le dossier spécial du Temps sur la controverse autour de la commission Bergier, 13 décembre 1999. https://www.uek.ch]

23 Commission d’étude sur le sort des biens de la communauté juive de Belgique spoliés ou délaissés pendant la guerre [dite Commission Buysse], 2006, Rapport remis au Premier ministre, Bruxelles.

24 Commission pour l’indemnisation des victimes des spoliations, 2016, Ressources documentaires, « Groupe de travail sur les MNR » : http://www.civs.gouv.fr/fr/ ressources-documentaires/le-groupe-de-travail-sur-les-oeuvres-mnr/

25 Commissione con il compito di ricostruire le vicende che hanno caratterizzato in Italia le attività di acquisizione dei beni dei cittadini ebrei da parte di organismi pubblici e private, 2001, Rapporto Generale, Roma, Presidenza del Consiglio dei Ministri.

26 CORRADINI Elisabetta, 2012, Il difficile reinserimento degli ebrei, itinerario e applicazione della legge Terracini n.96 del 10 marzo 1955, Torino : Silvio Zamorani.

27 Cour des comptes, février 1997, Les Musées nationaux et les collections nationales d’œuvres d’art, Rapport au président de la République suivi des réponses des administrations et établissements publics.

28 DAVID Roman, 2012, “Twenty Years of Transitional Justice in the Czech Lands”, Europe‑Asia Studies, no 64‑4, pp. 761‑784.

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29 DINER Dan & WUNBERG Gotthard (dir.), 2007, Restitution and Memory. Material Restoration in Europe, New York: Berghahn.

30 DUBINSKY Paul R., 2004, « Justice for the Collective: The Limits of the Human Rights Class Action », Michigan Law Review, no 102‑6, pp. 1152‑1190.

31 ECKEL Jan & MOISEL Claudia (dir.), 2008, Universalisierung des Holocaust. Erinnerungskultur und Geschichtspolitik in international Perspektive, Beiträge zur Geschichte des Nationalsozialismus, Göttingen: Wallstein.

32 EIZENSTADT Stuart E., 2000, Restitution of Communal Property in Central European Countries: Bulgaria, The Czech Republic, Estonia, Hungary, Latvia, Lithuania, Poland, Romania, Slovakia, Slovenia, Washington: State Department Report.

33 EIZENSTADT Stuart E., 2003, Une justice tardive, Paris : Seuil.

34 FELICIANO Hector, 1995, Le Musée disparu, Paris : Austral.

35 FREUDENBERG Ulrich, 2010, “Beschäftigung gegen Entgelt im Rahmen von Ghetto‑Renten”, in R ALF Thomas Baus & al. (dir.), Im Plenum. Aktuelle Fragen des Sozialrechts. Erste rechtspolitische Gespräche zum Sozial‑ und Arbeitsrecht, Berlin: St. Augustin.

36 GALLAS Elisabeth, 2013, “Das Leichenhaus der Bücher”. Kulturrestitution und jüdisches Geschichtsdenken nach 1945, Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht.

37 GOSCHLER Constantin, 2005, Schuld und Schulden. Die Politik der Wiedergutmachung für NS‑Verfolgte seit 1945, Göttingen: Wallstein.

38 GOSCHLER Constantin (dir.), 2012, Die Entschädigung von NS‑Zwangsarbeit am Anfang des 21. Jahrhunderts, 4 vols., Göttingen: Wallstein.

39 GOSCHLER Constantin, THER Phillip, ANDRIEU Claire, 2007, Spoliations et restitutions des biens juifs, Europe XXe siècle, Paris : Autrement.

40 GRIMSTED Patricia K., 2011, Reconstructing the Record of Nazi Cultural Plunder: A Survey of the Dispersed Archives of the Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), Amsterdam: International Institute for Social History. Version mise à jour consultable en ligne : United States Holocaust Memorial Museum (2016), Cultural Plunder by the Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, “ERR Archival Guide”: www/errproject.org/guide.php.

41 HELLER Michael & SERKIN Christopher, 1999, « Revaluing Restitution: from the Talmud to Postsocialism », Michigan Law Review, no 97, pp. 1385‑1412.

42 HENSEL Jürgen & L EHNSTAEDT Stephan (dir.), 2013, Arbeit in den nationalsozialistischen Ghettos, Osnabrück: Fibre.

43 HOCKERTS Hans Günter & K ULLER Christiane (dir.), 2003, Nach der Verfolgung, Wiedergutmachung nationalsozialistischen Unrechts in Deutschland, Göttingen: Wallstein.

44 HOCKERTS Hans Günter, M OISEL Claudia, W INSTEL Tobias (dir.), 2006, Grenzen der Wiedergutmachung. Die Entschädigung für NS‑Verfolgte in West‑ und Osteuropa 1945‑2000, Göttingen: Wallstein.

45 HOREL Catherine, 2002, La Restitution des biens juifs et le renouveau juif en Europe centrale. Hongrie, Slovaquie, République Tchèque, Frankfurt‑am‑Main : Peter Lang.

46 HUG Peter & PERRENOUD Marc, 1997, Les Avoirs déposés en Suisse par des victimes du nazisme et les accords d’indemnisation conclus avec les pays de l’Est, Berne.

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47 HUG Peter, 2000, “Unclaimed Assets of Nazi Victims in Switzerland”, in K REIS Georg (dir.), Switzerland and the Second World War, London: Frank Cass, pp. 81‑102.

48 ICE [Independent Commission of Experts, Switzerland – Second World War], 2002, Switzerland, National Socialism and the Second World War, Final Report, Zurich: Pendo.

49 KARADJOVA Mariana, 2004, « Property Restitution in Eastern Europe. Domestic and International Human Rights Law Responses », Review of Central and East European Law, no 29‑3, pp. 325‑363.

50 KARN Alexander, 2015, Amending the Past. Europe’s Holocaust Commissions and the Right to History, Madison: Wisconsin University Press.

51 KOZMINSKI Andrzej K., 1997, « Restitution of Private Property. Re‑privatization in Central and Eastern Europe », Communist & Post‑Communist Studies, no 30‑1, pp. 95‑106.

52 KUBU Eduard & K UKLIK Jan Jr., 2007, “Reluctant Restitution”, in DEAN Martin, GOSCHLER Constantin, THER Philipp (dir.), Robbery and Restitution. The Conflict over Jewish Property in Europe, New York & Oxford: Berghahn, pp. 223–239.

53 LABOURDETTE Marie‑Christine, 2014, « Bilan du premier récolement décennal des Musées de France, support de présentation, Ministère de la Culture et de la Communication, Joconde, Portail des collections des musées de France : http://www.culture.gouv.fr/ documentation/joconde/fr/partenaires/AIDEMUSEES/journee_RDterr_2014/ diaporama-MCL.pdf

54 LE MASNE de CHERMONT Isabelle & SIGAL‑KLAGSBALD Laurence, 2008, « À qui appartenaient ces tableaux ? » La politique française de recherche de provenance, de garde et de restitution des œuvres d’art pillées durant la Seconde Guerre mondiale, Paris : Réunion des musées nationaux.

55 LEHNSTAEDT Stephan, 2013, „Wiedergutmachung im 21. Jahrhundert. Das Arbeitsministerium und die Ghettorenten“, Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, no 61.

56 LEHNSTAEDT Stephan, 2011, Geschichte und Gesetzesauslegung. Zu Kontinuität und Wandel des bundesdeutschen Wiedergutmachungsdiskurses am Beispiel der Ghettorenten, Osnabrück: Fibre.

57 LESNE Claude & ROQUEBERT Anne, 2004, Catalogue des peintures MNR, Paris : Réunion des musées nationaux.

58 LEVI Fabio, 1998, Le case e le cose. La persecuzione degli ebrei torinesi nelle carte dell’EGELI, 1938‑1945, Torino : Campagnia di San Paolo.

59 LEVINE Itamar, 1997, « The Fate of Stolen Jewish Properties: the Cases of Austria and Netherland », Policy Studies, no 8.

60 LILLIE Catherine, 1998, “Researching Unpaid and Unclaimed Holocaust‑Era Insurance Policies, Documentary Evidence for Claims”: http://www.archives.gov/research/ holocaust/articles-and-papers/.

61 LILLTEICHER Jürgen, 2007, Die Rückerstattung jüdischen Eigentums in Westdeutschland nach dem Zweiten Weltkrieg : eine Studie über Verfolgungserfahrung, Rechtsstaatlichkeit und Vergangenheitspolitik 1945‑1971, Göttingen: Wallstein.

62 LINSLER Johanna, G HERGHESCU Mica, S CHULMANN Didier, 2015, Les Sources au travail, Spoliations d’œuvres d’art par les nazis 1933‑2015 (Journal de l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky, no 2), Paris : Centre Pompidou.

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63 LORENTZ Claude, 1999, La France et les restitutions allemandes au lendemain de la seconde guerre mondiale (1943‑1954), Paris : Direction des Archives et de la Documentation – Ministère des Affaires étrangères.

64 LUDI Regula, 2004, “Waging War on Wartime Memory: Recent Swiss Debates on the Legacies of the Holocaust and the Nazi Era”, Jewish Social Studies, no 10‑2, pp. 116–153.

65 LUDI Regula, 2012, Reparations for Nazi Victims in Postwar Europe, Cambridge: Cambridge University Press.

66 MARRUS Michael R., 2009, Some Measure of Justice. The Holocaust Era Restitution Campaign of the 1990s, Madison: The University of Wisconsin Press.

67 MIHALY Alain, 2001, « Des spoliations aux réparations. Le chapitre belge », Points critiques, no 64, pp. 11‑43.

68 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, « Rapport définitif du groupe de travail sur les provenances d’œuvres récupérées après la seconde guerre mondiale » : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Documentation/Rapports/Rapport- definitif-du-groupe-de-travail-sur-les-provenances-d-oeuvres-recuperees-apres-la- seconde-guerre-mondiale.

69 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, Joconde, Portail des collections des musées de France : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/

70 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, La commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Ministere/ Services-rattaches-a-la-ministre/La-commission-de-recolement-des-depots-d-aeuvres- d-art.

71 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Le Répertoire des biens spoliés » : http:// www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-rbs.htm.

72 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Catalogue des MNR » : http://www2.culture.gouv.fr/ documentation/mnr/MnR-rbs.htm.

73 Ministère de la Culture et de la Communication, 2016, Site Rose Valland/Musées Nationaux Récupération, « Les MNR ou les œuvres issues de la spoliation artistique confiées aux musées de France » : http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/ MnR-pres.htm.

74 Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France [dite « Mission Mattéoli »], 2000, Rapport général, Paris : La Documentation française.

75 Voir également, de la même Mission Mattéoli :

76 Aryanisation économique et restitutions. 77 Les Biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune‑la‑Rolande.

78 Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions.

79 La Persécution des Juifs de France 1940‑1944 et le rétablissement de la légalité républicaine. Recueil des textes officiels 1940‑1999 (ouvrage et cédérom).

80 Le Pillage de l’art en France pendant l’Occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux Musées nationaux, contribution de la Direction des Musées de France et du Centre

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Georges Pompidou aux travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France.

81 Le Pillage des appartements et son indemnisation.

82 La SACEM et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’Occupation.

83 La Spoliation dans les camps de province.

84 La Spoliation financière.

85 MOTTOLESE Maurizio, 2001, “La Commissione per le provvidenze ai perseguitati politici antifascisti o razziali nell’ambito della Presidenza del Consiglio dei Ministri, Un caso esemplare”, in Amministrazione e Contabilità degli enti pubblici, 36 : http:// www.contabilita-pubblica.it/dottrina.htm.

86 PAVAN Ilaria, 2015, “Le Holocaust Litigation in Italia. Storia, burocrazia e giustizia (1955‑2015)”, in N UBOLA Cecilia & F OCARDI Giovanni (dir.), Nei tribunali. Pratiche e protagonisti della giustizia di transizione nell’Italia repubblicana, Bologna : Il Mulino.

87 PERROT Xavier, 2005, De la restitution internationale des biens culturels aux XIXe et XXe siècles, vers une autonomie juridique, thèse de doctorat soutenue à l’université de Limoges.

88 PLATT Kristin, 2012, Bezweifelte Erinnerung, verweigerte Glaubwürdigkeit. Überlebende des Holocaust in den Ghettorenten‑Verfahren, München: Wilhelm Fink.

89 Plunder and Restitution, The US and Holocaust Victims’ Assets. Findings and Recommendations of the Presidential Advisory Commission on Holocaust Assets in the United States and Staff Report, 2000, Washington DC: US Government Printing Office.

90 POGANY Istvan, 1997, Righting Wrongs in Eastern Europe, Manchester: Manchester University Press.

91 PROSS Christian, 1988, Wiedergutmachung, Der Kleinkrieg gegen die Opfer, Francfort‑am‑Main: Philo.

92 PROSS Christian, 1998, Paying for the Past. The Struggle over Reparations for Surviving Victims of the Nazi Terror, Baltimore/London: The John Hopkins University Press.

93 Rapporto finale della Commissione indipendente d’Esperti Svizzera‑Seconda guerra mondiale, 2002, Locarno : Armando Dadò.

94 RICKMAN Gregg J., 2007, Conquest and Redemption. A History of Jewish Assets from the Holocaust, New Brunswick/London: Transaction Publishers.

95 RÖHL Matthias, 2009, „Die Kehrtwende von Kassel. Das Bundessozialgericht erfindet das Ghettobeschäftigungsverhältnis neu“, Die Sozialgerichtsbarkeit, no 56.

96 SARFATTI Michele, 2013, « Le vicende della spoliazione degli ebrei e la Commissione Anselmi (1998‑2001)”, in S PECIALE Giuseppe (dir.), Le leggi antiebraiche nell’ordinamento italiano/ Razza diritto esperienze, Bologna : Patron.

97 SCHOLZ Adrienne, 2003, “Restitution of Holocaust Era Insurance Assets, Success or Failure?”, New England Journal of International and Comparative Law, no 9.

98 SEBRIEN‑PARIENTE Macha, 2005, Le Droit à réparation des victimes de violations massives des droits de l’homme. Le cas des victimes de l’Holocauste, thèse de droit international public, Université Paris I – Panthéon – Sorbonne.

99 Sénat de la République française, janvier 2014, « Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives », Rapport de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mission d’information sur les œuvres spoliées.

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100 SPANNUTH Jan Philipp, 2007, Rückerstattung Ost. Der Umgang der DDR mit dem ‘arisierten’ Eigentum der Juden und die Rückerstattung im wiedervereinigten Deutschland, Essen: Klartext.

101 SPILOTIS Susanne‑Sophia, 2003, Verantwortung und Rechtsfrieden. Die Stiftungsinitiative der deutschen Wirtschaft, Frankfurt: Fischer Taschenbuch.

102 Stiftung Deutsches Zentrum Kulturgutverluste, 2017, Lostart, « Kunstfund Gurlitt » : http://www.lostart.de/Webs/DE/Datenbank/KunstfundMuenchen.html.

103 Stiftung Deutsches Zentrum Kulturgutverluste, 2017, Lostart, « Washington Principles » : http://www.lostart.de/Webs/EN/Datenbank/Grundlagen/ WashingtonerPrinzipien.html

104 SURMAN Jan, 2012, Shoah‑Erinnerung und Restitution, die US‑Geschichtspolitik am Ende des 20. Jahrhunderts, Stuttgart: Franz Steiner.

105 TORPEY John & BARKAN Elazar (dir.), 2004, Politics and the Past : On Repairing Historivcal Injustice, Lanham: Rowman & Littlefield.

106 TORPEY John, 2006, Making Whole What Has Been Smashed. On Reparations Politics, Cambridge Mass.: Harvard University Press.

107 UNFRIED Berthold, 2014, Vergangenes Unrecht. Entschädigung und Restitution in einer globalen Perspektive, Göttingen: Wallstein.

108 Vilnius international Forum on Holocaust Era Looted Cultural Assets. Proceedings: www.vilnius.forum.lt

109 Washington Conference on Holocaust Era Assets (November 30 – December 3, 1998). Proceedings, 1999, Washington: U.S. Gov. Printing Office: www.state.gov.

110 WIEVIORKA Annette, 2012, « Éléments pour une histoire de la Mission Mattéoli », La Revue des Droits de l’Homme, no 2.

111 ZARUSKY Jürgen (dir.), 2010, Ghettorenten. Entschädigungspolitik, Rechtsprechung und historische Forschung, München: De Gruyter.

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Mots‑clés

1 Mots-clés : « biens juifs », spoliations, pillages, restitutions, indemnisations, réparations, Holocaust Era Assets, politiques publiques de la mémoire, statut de victime, Commissions historiques.

2 Keywords: ‘Jewish Goods’, Spoliations, Lootings, Restitutions, Compensation, Repair, Holocaust Era Assets, Public Policy of Memory, Victim Status, Historic Commissions. מילות מפתח: רכוש יהודי, ביזה, שוד, פיצויים, תשלומים, נכסים מעידן השואה, מדיניות הזכרון, מעמד הקורבן, ועדות הסטוריות 3

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Varia

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« Ajuster l’expression occidentale aux instruments d’une langue orientale » Yakov Fichman et « l’horizon traductif » de la génération de la renaissance de l’hébreu moderne "Adjust Western Expression to the Instruments of an Oriental Language": Yakov Fichman and the "translational horizon" of the Generation of the Renaissance of Modern Hebrew '' רישכהל תא העבהה תיברעמה לא הילכ לש ןושל תיחרזמ :" בקעי ןמכיפ ו" קפואה ימוגרתה " לש רוד הייחתה

Dory Manor

Yakov Fichman : biographie

1 Yakov Fichman, fils d’Élie, commerçant et paysan, et de Feige, est né le 25 novembre 1881 dans la ville de Balti1 en Bessarabie, alors rattachée à l’Empire russe. Dans ses poèmes et ses récits, il décrit abondamment les vastes champs fertiles et les vignobles de sa province natale, pôle méridional du yiddishland traditionnel. Fichman fait ses études dans une école talmudique où il apprend l’hébreu classique. Il se met très jeune à la lecture des ouvrages de la Haskala hébraïque, notamment des romans d’Avraham Mapu2 et des poésies d’Adam Hakohen3. À l’âge de 15 ans, il quitte sa ville natale et s’installe à Kichinev, capitale de la Bessarabie (l’actuelle Chisinau, capitale de la Moldavie) où il poursuit ses études et gagne sa vie en tant qu’instituteur et précepteur. À Kishinev, il découvre la poésie russe et allemande ainsi que la nouvelle poésie hébraïque – notamment celle de Haim Nahman Bialik qu’il admirera toute sa

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vie – et se met à écrire de la poésie en hébreu, mais aussi en yiddish et en russe4. C’est probablement à cet âge qu’il s’affranchit définitivement de la religion et se détourne, comme la plupart des jeunes auteurs juifs de sa génération, de la vie juive traditionnelle5. Il publie pour la première fois en 1899 un de ses poèmes hébraïques ainsi qu’une traduction du poète romantique russe Mikhaïl Iouriévitch Lermontov (1814‑1841) dans la revue Gan ha‑sha‘ashu‘im6

2 À vingt ans, il quitte la Bessarabie et s’installe à Odessa, un des principaux centres des Lettres hébraïques (et yiddish) depuis les années 1860‑1870. Officiellement, il s’y établit pour poursuivre ses études et passer son baccalauréat ; mais le choix d’Odessa est dû surtout – comme c’est le cas pour d’autres auteurs de sa génération – à la présence dans cette ville de quelques grandes figures de la littérature hébraïque, en premier lieu Bialik. Mon véritable objectif dans ce déménagement était de me trouver près de Bialik, d’Ahad Ha‑Am7, de S. Ben Sion8. J’avais du mal à me l’avouer car je n’écrivais que rarement et avec peine. Mais en réalité, sans la présence d’un Bialik, d’un Ahad Ha‑Am, d’un Mendele9, quelle pouvait être la raison d’un tel départ ?10

3 Peu de temps après son arrivée à Odessa, le jeune Fichman rencontre en effet Bialik, alors âgé de vingt‑huit ans et déjà considéré comme le grand poète hébraïque de son époque. Parallèlement, deux revues littéraires hébraïques éditées à Varsovie publient des poèmes de Fichman (le très prestigieux Ha‑Dor édité par le traducteur et poète David Frishmann et Olam katan, magazine destiné aux enfants édité par l’écrivain et traducteur Samuel Leib Gordon11). En 1903, il quitte Odessa pour s’installer dans la capitale polonaise, l’autre grand centre de la littérature hébraïque du début du siècle.

4 Entre 1903 et 1910, Fichman entreprend de nombreux voyages entre Varsovie, Odessa, Vilnius et la Bessarabie. Il multiplie les publications et, malgré une certaine réticence de Bialik (qui, tout en l’encourageant, ne le compte pas parmi la pléiade des jeunes poètes prometteurs de l’époque12), il devient une des figures marquantes de sa génération. Dans son activité littéraire, très prolifique, il s’essaie désormais à des genres variés : à côté de la poésie, qui reste son domaine principal, il publie des essais, des préfaces, des critiques littéraires, des traductions et des récits destinés aux enfants. Il participe à un grand nombre de revues et de périodiques publiés dans les différents centres de la « Renaissance » de la littérature hébraïque en Europe de l’Est, mais aussi en Palestine. Contes et poèmes), un recueil de) תודגא םירישו ,Le premier livre publié par Fichman 5 récits et de poésies destinés aux enfants, voit le jour en 1910. En 1911 paraît son Tiges)13, aux éditions Tushiya14 où il) םילועבג ,premier recueil de poèmes lyriques travaille depuis peu en tant que responsable de la collection « Grande Bibliothèque ».

6 À la fin de cette même année, Fichman est invité par l’Union des enseignants juifs sionistes en Palestine pour remplacer l’écrivain S. Ben Sion à la direction de la revue Moledet destinée aux enfants et aux adolescents. Il s’installe donc en Palestine avec son épouse Bat‑Sheva15 et parvient à attirer à Moledet quelques‑uns des meilleurs auteurs de l’époque qui y publient désormais régulièrement. En 1914, il est invité à Berlin pour y fonder une nouvelle revue hébraïque mais ce projet ne voit pas le jour en raison de la Grande Guerre. Fichman se réfugie à Odessa où il retrouve Bialik, puis à Moscou où il se met à la rédaction d’un cycle de poèmes d’inspiration biblique. Il est à Moscou au moment de la Révolution de 1917 et ce n’est qu’en 1919 qu’il s’installe à nouveau en Palestine, définitivement cette fois.

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7 À Tel‑Aviv, Fichman reprend la direction de Moledet ; il est également nommé rédacteur en chef du mensuel Ma‘barot qui appartenait au parti socialiste Ha‑po‘el ha‑tsa‘ir. Dans les années qui suivent, il dirige d’autres revues littéraires (notamment Ha‑Shiloah16 et Moznaim17) et publiera ses textes ‑ en premier lieu des poésies et des critiques littéraires ‑ dans un très grand nombre de revues et de suppléments littéraires. En 1919 Reflets). Ce n’est) תואובב paraît à Tel‑Aviv son premier recueil d’essais intitulé qu’en 1934 et 1935 que paraissent – après une interruption de 23 ans – deux nouveaux ; Jours de soleil) rassemblant ses idylles) ימי שמש : recueils de poésie de Fichman Ombres sur les champs) où il rassemble sa poésie lyrique, y compris) םיללצ לע תודש et Tiges) en 1911 et remaniées selon) םילועבג un grand nombre de pièces déjà parues dans la nouvelle prononciation de l’hébreu moderne en Palestine. Entre 1943 et 1954 il ,Lisière de champ) paru en 1944) תאפ הדש publie cinq autres recueils de poèmes, dont communément considéré comme son chef‑d’œuvre en matière de poésie. Il s’essaie dans ces différents recueils à un grand nombre de formes et de genres poétiques18 dont le poème lyrique court, l’idylle, le sonnet, l’élégie, le poème en prose, la ballade et la poema (long poème lyrique, selon l’appellation russe adoptée par l’hébreu). Un grand nombre de ses essais, écrits critiques et récits‑mémoires sont rassemblés dans une הרושב , ישנא ) dizaine de recueils consacrés, entre autres, à la poésie de la Haskala La poésie , תריש קילאיב ) Annonciateurs de bonnes nouvelles, 1938), à la poésie de Bialik Fondements de , תמא ןיינבה ) de Bialik, 1946), aux écrivains hébraïques d’Odessa , ינב רוד ) l’édifice, 1951) et à ses rencontres avec des auteurs contemporains Contemporains, 1952). Il publie également une quinzaine de livres destinés aux enfants et aux adolescents.

8 Fichman obtient plusieurs récompenses littéraires dont deux fois le Prix Bialik (1945 et 1953) ainsi que le prestigieux Prix d’Israël (1957). Il meurt à Ramat Gan, près de Tel‑Aviv, en 1958.

Les langues de Fichman

9 Yakov Fichman peut être considéré dans une certaine mesure comme un auteur bilingue. Dès son adolescence il écrit à la fois en yiddish, sa langue maternelle, et en hébreu, langue qu’il apprend très jeune. Pourtant, contrairement à d’autres écrivains hébraïques de sa génération qui furent des auteurs importants dans les deux langues19, Fichman n’est en fin de compte qu’un auteur hébraïque de premier ordre, alors que son œuvre en yiddish est somme toute assez marginale. Il n’en reste pas moins qu’il continua à écrire en yiddish sa vie durant malgré d’importants intervalles sans production20.

10 Adolescent, Fichman écrit ses premières poésies en hébreu aussi bien qu’en yiddish21. Néanmoins, ses premières publications en vers, en 1900 et 1901, sont uniquement en hébreu. Ce n’est qu’en 1908 qu’il publie pour la première fois des poèmes et des essais en yiddish dans l’hebdomadaire sioniste de Vilnius Dos Yidishe Folk22. Dans les années qui suivent, il multiplie les publications en yiddish et collabore avec des textes yiddish – surtout en prose – à d’autres revues littéraires en Lituanie et en Bessarabie.

11 Après son arrivée en Palestine, ses publications en yiddish se font rares. C’est surtout au moment de la Grande Guerre, lorsqu’il se retrouve bloqué en Russie, qu’il se met à nouveau à publier dans des revues yiddish parallèlement à son activité, de plus en plus prolifique, dans le domaine des Lettres hébraïques). En Palestine, Fichman ne publie

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que deux fois en yiddish, à l’invitation du poète Avrom Sutzkever qui lui avait demandé de participer à sa nouvelle revue littéraire yiddish Di Goldene Keyt créée à Tel‑Aviv après la Deuxième Guerre mondiale et la création de l’État d’Israël. Dans le premier numéro de cette revue, daté de l’hiver 1949, Fichman publie un texte intitulé « Entre l’hébreu et le yiddish ». Ensuite, il publie dans le sixième numéro (printemps 1950) quatre poèmes sous le titre « De mon carnet yiddish ».

12 Dans son article « Entre l’hébreu et le yiddish », cité par Michali23, Fichman explique la rareté de ses publications en yiddish depuis son arrivée en Palestine : C’est avec honte que je le dis : nous qui sommes ici n’avons plus la capacité d’écrire dans un yiddish sonore, multicolore, comme le font les grands poètes et prosateurs de la littérature yiddish du présent. C’est la raison pour laquelle mes derniers textes en yiddish furent publiés voilà bien des années [...]24.

13 Ce phénomène est lié, aux yeux du poète, à la puissance psychologique – mais sans doute aussi idéologique – de ce qu’il nomme l’atmosphère hébraïque : « Nous sommes enveloppés ici d’une atmosphère hébraïque qui nous avale inéluctablement et en dehors d’elle nous ne pouvons pas respirer. »25

14 En 1953 paraît à Buenos Aires un volume intitulé Regnboygn (Arc‑en‑ciel)26 rassemblant les textes yiddish de Fichman. Cette édition, qui se voulait complète, ne compte en réalité que huit poèmes yiddish de Fichman. Il est fort probable que les textes en prose qui y paraissent ne couvrent pas non plus l’intégralité de l’œuvre de Fichman dans sa langue maternelle27.

15 Fichman, dont la Bessarabie natale faisait partie de l’Empire tsariste, avait pour troisième langue le russe. Pour lui comme pour beaucoup d’intellectuels et écrivains juifs des différentes contrées du yiddishland de sa génération, le russe a joué le rôle de première langue de culture et de littérature. Lorsqu’il s’est retrouvé, jeune adolescent, à Kichinev, il y a fait la découverte de la poésie en lisant les classiques de l’Âge d’Or du romantisme russe, notamment Alexandre Pouchkine et Mikhaïl Iouriévitch Lermontov28. Ses premières tentatives en matière d’écriture se sont faites en russe, conjointement avec l’hébreu et le yiddish29.

16 Fichman maîtrisait également l’allemand et, à en croire son propre témoignage, il était particulièrement attaché depuis sa jeunesse à la poésie dans cette langue. Adolescent à Kichinev, ce sont d’abord les grands classiques – Goethe et Heine – qu’il découvre30. Plus tard, Fichman a traduit en hébreu des poèmes de Goethe et de Heine, ainsi que des ouvrages de quelques autres poètes allemands – Hölderlin, Liliencron, Dehmel, Storm31 – dont il n’a probablement découvert l’œuvre qu’à un âge plus avancé.

17 Par ailleurs, l’influence qu’a pu avoir la poésie impressionniste allemande ‑ Dehmel, Liliencorn et George32 en particulier ‑ sur l’écriture de Fichman a été étudiée par Shimon Sandbank dans le seul article entièrement consacré à une analyse comparative de la poésie de Fichman à la lumière d’un corpus poétique non hébraïque33. L’affinité de Fichman avec l’un des courants principaux de la poésie allemande contemporaine et l’œuvre de poètes vivants comme Dehmel ou George démontre bien que son attachement à la culture allemande fut intime et durable et constitua une des pierres angulaires de son travail poétique.

18 En revanche, la maîtrise du français par Fichman est moins clairement attestée. Certes, il évoque à plusieurs reprises dans ses écrits des lectures d’auteurs français ; mais dans quelle mesure maîtrisait‑il réellement le français ? Avait‑il une connaissance intime de cette langue ? Une réponse partielle est peut‑être à trouver dans un article qu’il publie

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en 1949 et où le poète évoque un séjour à Nemirov en 1915 lors duquel il a appris le français et s’est mis, pour la première fois, à la lecture de Baudelaire dans l’original : Pendant cet été, alors que j’apprenais le français, je découvris le charme gracieux du génie français d’une autre façon : pour la première fois, j’ai lu Baudelaire en français. Tout y était si différent de l’univers de Renan ; mais, en même temps, n’est‑ce pas le sentiment religieux et la nostalgie de l’au‑delà qui font le charme de cette poésie dont l’expression solide est la meilleure école pour un poète ?34

Fichman, traducteur

19 Poète, essayiste et critique très prolifique, Yakov Fichman publie en revanche un nombre relativement restreint de traductions littéraires. En ce qui concerne la prose et le théâtre, il ne traduit que quatre œuvres35 : la tragédie historique Hérode et Mariamne de l’Allemand Friedrich Hebbel36, publiée en hébreu en 1922 aux Éditions Stybel Hérode et Mariamne, tragédie) ; un) סודרוה םירמו : הידגרט Tel‑Aviv) sous le titre) volume contenant la nouvelle Mogens suivie d’autres récits du Danois J. P Jacobsen 37, paru aux éditions Stybel en 1929 (la traduction a probablement été effectuée par le biais de l’allemand) ; Narcisse et Goldmund de l’Allemand Hermann Hesse 38, roman originellement publié en 1930, que Fichman fait paraître en hébreu en 1932 aux éditions Omanut et un choix des contes destinés au jeune public d’Anatole France39 םידלי תודליו , םירופיס ןמ הדשה ןמו ריעה paru aux éditions Stybel en 1935 sous le titre (Garçons et filles, contes de la campagne et de la ville). Deux des quatre livres – le roman de Hesse et les contes d’A. France – étaient des ouvrages contemporains40 alors que les deux autres datent du XIXe siècle. La tragédie de Hebbel a probablement été choisie pour sa thématique biblique41, alors que le choix des nouvelles de Jacobsen est vraisemblablement dû à l’effort que faisaient alors les responsables des éditions Stybel42 pour faire traduire en hébreu les classiques de la littérature scandinave43. Toutefois, dans un corpus aussi mince, il est inutile de chercher à déceler un lien commun entre les titres ou les auteurs, ces quatre publications pouvant bien être tout simplement des travaux alimentaires.

20 Les poésies traduites par Fichman sont éparpillées dans un grand nombre de revues, de magazines et de suppléments littéraires et ne furent jamais recueillies dans un volume unique, scientifique ou grand public, ni du vivant du traducteur ni à titre posthume. Pire, la quasi‑totalité de ses traductions ne furent pas réimprimées après leur première parution. Fichman ne publia aucune anthologie consacrée à la poésie d’auteur(s) étranger(s) dans sa traduction et n’inclut pas de traductions poétiques dans ses propres recueils44. Pour lire ses traductions poétiques, qui sont donc peu connues et encore moins étudiées45, on est contraint de feuilleter les pages jaunies de revues presque centenaires telles Ha‑Tkufa, Ma‘barot ou Hedim.

21 Dans son article sur la poésie de Fichman et l’impressionnisme allemand46 Shimon Sandbank recense les différentes traductions de poésie allemande publiées par Fichman. Il compte une trentaine de poèmes de Heine ainsi qu’un « nombre non négligeable » de poèmes de Goethe47 (en fait, il s’agit des 24 élégies romaines parues en 1920 et 1921 dans Ha‑Tkufa48). Sandbank évoque en outre deux poètes allemands plus modernes dont la traduction de Fichman paraît dans la revue Moledet puis dans Ha‑Tkufa : Detlev von Liliencorn (deux poèmes) et Richard Dehmel (dix poèmes)49. L’œuvre de ces deux poètes impressionnistes a constitué, selon Sandbank, une influence capitale sur la poésie de Fichman. Ajoutons à cette liste deux autres poètes

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omis dans le recensement de Sandbank : l’écrivain réaliste et poète Theodor Storm (1817‑1888) dont Fichman a traduit un seul poème50 et, plus important, Friedrich Hölderlin (1770‑1843), une des figures essentielles du romantisme allemand, dont Fichman a traduit cinq poèmes51. Les traductions de l’allemand constituent la majeure partie des traductions poétiques de Fichman. Du russe, il traduit au moins deux poèmes de Lermontov52. Il est cependant fort probable que Fichman publia d’autres traductions de poésie russe qui sont encore à découvrir dans la presse littéraire du début du vingtième siècle.

22 Il en va de même pour ses traductions de poésie française. J’en ai retrouvé cinq au total :

23 1) « Saison de semailles, le soir » de Victor Hugo (extrait du recueil Chansons des rues et Le semeur) et publié dans son) ערוזה des bois, 1865), traduit par Fichman sous le titre Platebandes)53 ; il s’agit du seul poème français traduit par) תוגורע recueil de poésies Fichman en hébreu sépharade54.

24 2) « Sur la grève » d’Henri de Régnier55 (extrait du recueil les médailles d’argile, 1901), La traduction voit le jour dans le journal Ha‑po‘el . לע תפש םיה traduit sous le titre ha‑tsa‘ir en 191356.

25 3) « Un soir » d’Émile Verhaeren57 (extrait du recueil Les forces tumultueuses, 1902), lit. À une heure vespérale). La traduction paraît dans la) תעשב ברע traduit sous le titre revue Ma‘barot en 192058.

26 4) Deux traductions de poèmes extraits des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire : la Correspondances), paraît en août 1919 dans la revue Ma‘barot) תומאתה ,première L’albatros), paraît en 1926 dans la) סורטבלאה ,dirigée alors par Fichman59. La deuxième revue Hedim60 dirigée par les écrivains Yakov Rabinovitch (1875‑1948) et Asher Barash61 et à laquelle Fichman contribue régulièrement avec des œuvres en vers et en prose. La grande importance de ces deux pièces réside dans le fait qu’il s’agit de la toute première traduction hébraïque en vers et en rimes, faite par un auteur traducteur de premier ordre, de poèmes extraits des Fleurs du Mal et, par conséquent, de la première rencontre significative du public hébraïsant avec ces deux grands chefs‑d’œuvre de la poésie française du dix‑neuvième siècle.

27 Toute tentative de trouver un trait commun entre les poèmes français traduits par Fichman est probablement vouée à l’échec. Cependant, même dans ce corpus très mince, on constate une dominance de poèmes qu’on peut qualifier de symbolistes : Verhaeren et Régnier sont tous les deux liés au mouvement symboliste dont Baudelaire est considéré comme l’annonciateur. Cette dominance trahit‑elle une tendance poétique de Fichman ? Rien n’est moins sûr. Il se peut aussi bien que le choix ait été dû au hasard des publications périodiques ou tout simplement au fait que les poètes symbolistes et postsymbolistes francophones étaient en vogue dans le milieu des littérateurs hébraïques au tournant du siècle.

« L’horizon traductif » de la génération de la Renaissance hébraïque

28 Afin de mieux comprendre le contexte dans lequel Fichman agit lorsqu’il traduit de la poésie en hébreu au début du vingtième siècle, attardons‑nous sur ce qu’on peut désigner, en suivant le traductologue Antoine Berman, d’« horizon traductif »62 des auteurs hébraïques de sa génération. Je me contenterai d’un résumé succinct, une

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étude approfondie des normes et des conditions traductionnelles des auteurs‑traducteurs de la Renaissance hébraïque n’étant pas l’objet du présent article.

29 Notons tout d’abord qu’une grande partie des poètes (et, dans une moindre mesure, des prosateurs) de l’époque étaient également d’éminents traducteurs. Le grand précurseur de cette vague d’auteurs‑traducteurs est sûrement David Frishmann. Né en Pologne en 1859, ce poète et éditeur commence sa carrière de traducteur littéraire dans les années 1880, mais la plupart de ses publications importantes dans le domaine de la traduction datent de la fin du dix‑neuvième et du début du vingtième siècle et sont donc contemporaines de l’œuvre de la génération de la Renaissance hébraïque. Comme éditeur chez Stybel et rédacteur en chef des revues Ha‑Dor puis Ha‑Tkufa, Frishmann est responsable de la publication d’un grand nombre de traductions littéraires qu’il commande systématiquement aux auteurs hébraïques de l’époque et qu’il accompagne souvent de notes et d’essais de sa propre main. Pour beaucoup d’auteurs étrangers – dont, comme nous l’avons vu, Charles Baudelaire – il s’agit de la toute première parution en hébreu. Frishmann lui‑même signe quelques traductions qui font date dans l’histoire de la littérature hébraïque moderne : Caïn de Byron, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzche, les contes d’Andersen, « De profundis » d’Oscar Wilde, Daniel Deronda de George Eliot, des poèmes de Rabindranath Tagore63 et de Pouchkine, etc. Il poursuit son travail de traducteur jusqu’à sa mort en 192264.

30 Bialik et Tchernikhovsky, les deux grands poètes de la génération de la Renaissance hébraïque, nés respectivement en 1873 et en 1875, poursuivirent, chacun à sa manière, le chemin tracé par Frishmann. Le prototype de l’auteur‑traducteur de la génération est assurément Shaul Tchernikhovsky dont l’œuvre traductionnelle s’étend sur une quarantaine d’années. Tchernikhovsky traduit à partir de quinze ou seize langues sources (en partie par le biais de langues intermédiaires). Parmi les traductions que le public hébraïsant doit à cette immense figure de la Renaissance hébraïque on compte des ouvrages aussi essentiels que l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, Œdipe Roi de Sophocle, Macbeth de Shakespeare, Le Malade imaginaire de Molière, un choix des épopées de Gilgamesh et du Kalevala, des poésies d’Anacréon, d’Horace, de Hafiz65 et de Goethe, et la liste est encore longue. Quant au « poète national », Haim Nahman Bialik, il est plus investi dans un travail d’édition et de conservation de l’héritage littéraire des différentes époques de l’hébreu classique, mais son travail de traducteur littéraire est loin d’être négligeable. Ses deux traductions les plus célèbres sont sa version abrégée du Don Quichotte de Cervantès (vraisemblablement par le biais de l’allemand et du russe) et Guillaume Tell de Friedrich Schiller.

31 Parmi les « jeunes » de l’époque, autrement dit les écrivains nés entre 1875 environ et le début des années 1890, évoquons les noms des deux grands maîtres de la prose hébraïque que sont Uri Nissan Gnessin et Yosef Haim Brenner. Ces deux auteurs ont traduit des nouvelles de Tchekhov et des poèmes en prose de Baudelaire (Gnessin) ainsi que Crime et Châtiment de Dostoïevski (Brenner). Quant aux poètes, citons les noms de David Shimoni66 qui traduit des poèmes de Pouchkine, de Lermontov et de Heine ainsi que Les Cosaques et Hadji Mourat de Tolstoï ; Yakov Kahan67 qui traduit, entre autres, Faust, Iphigénie en Tauride et Torquato Tasso de Goethe ainsi que les Mélodies hébraïques de Heine ou encore Yakov Rabinovitch68 qui traduit Trois Contes de Flaubert, les contes hassidiques du dramaturge yiddish S. An‑Ski, Jérusalem de la Suédoise Selma Lagerlöf et bien d’autres ouvrages encore.

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32 Ce prodigieux foisonnement d’œuvres traduites par les auteurs les plus prestigieux de l’époque est encore plus impressionnant si l’on prend en considération les dimensions très réduites du lectorat hébraïsant69. En effet, il s’agit d’un effort collectif très conscient et hautement idéologique qui avait pour objectif l’enrichissement de la littérature écrite en hébreu par le moyen d’une « importation » littéraire continue. Un autre objectif, allant de pair avec le premier, était l’éducation littéraire du public hébraïsant au moyen d’un effort suivi pour combler les grandes lacunes et épaissir le mince corpus de la littérature en hébreu moderne.

33 Un résultat important de ce nombre sans précédent d’auteurs‑traducteurs a été l’annulation de facto de la différence de prestige entre l’œuvre originale et la création traductionnelle. Il en est ainsi des ouvrages traduits par Frishmann (Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzche, les poésies de Tagore...) ou par Tchernikhovsky ( l’Iliade et l’Odyssée...) qui ont été accueillis par le public hébraïsant avec enthousiasme et ont été considérés par la critique, aussi bien que par les lecteurs, comme des sommets de la création littéraire en hébreu au même titre que les ouvrages originaux de ces poètes.

34 L’œuvre traductionnelle de la génération de la Renaissance hébraïque diffère nettement, en ce qui concerne les normes reconnues, de celle de la Haskala qui l’a précédée. Rappelons tout d’abord deux aspects importants de ce changement de normes : le premier concerne le contexte socioculturel dans lequel évoluaient les traducteurs et le second est d’ordre plus technique.

35 En effet, l’évolution des mœurs dans la société juive en Europe de l’Est est clairement perceptible à travers les normes traductionnelles des auteurs de la Renaissance hébraïque. Ceux‑ci, agissant dans un milieu nettement plus laïcisé et moins traditionaliste que celui de leurs prédécesseurs, ne sont plus astreints à respecter les strictes règles qui régissaient naguère l’acceptation de textes étrangers par le public hébraïsant. Ils ne sont plus contraints de pratiquer l’autocensure, d’« épurer » les textes d’éléments chrétiens ou païens, de judaïser les noms et les événements…

36 Quant à l’autre aspect, certes de nature plus technique mais ayant des implications extrêmement importantes, il s’agit de la mise en place dans la poésie hébraïque d’un nouveau système prosodique : le système syllabo‑tonique qui ne se contente plus, comme c’était le cas dans la poésie de la Haskala, de compter le nombre de syllabes dans un vers mais qui prend également en considération les accents toniques et leur place dans le vers70. Cette nouveauté rendit possible la restitution en hébreu des mètres caractéristiques d’importants corpus poétiques européens (notamment ceux en allemand et en russe) et permit par conséquent de rendre en hébreu de manière beaucoup plus adéquate une grande partie de la poésie européenne.

37 Les auteurs‑traducteurs de la Renaissance hébraïque n’avaient pas un style caractéristique commun et ne constituaient donc pas une école à proprement parler. Si le style et le registre de certaines des traductions – notamment en prose – de Frishmann ou de Bialik sont purement bibliques, allant parfois jusqu’à un archaïsme délibéré, les traductions de Tchernikhovsky ou de Fichman, en revanche, sont stylistiquement beaucoup plus hétéroclites et tentent en général d’ajuster à chaque ouvrage le style et le registre linguistique qui lui sont propres. En cela, les auteurs‑traducteurs de la Renaissance hébraïque sont très différents de leurs successeurs appartenant au groupe « moderniste » des années 1930‑1950 – Shlonsky, Goldberg et Alterman en particulier – qui s’appuieront tous généralement sur le même modèle traductionnel « russo‑hébraïque »71.

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L’hébreu ashkénaze

38 Les auteurs de la Renaissance hébraïque écrivaient (et traduisaient) en hébreu ashkénaze, même si la plupart d’entre eux se sont trouvés contraints à un moment donné, en général après leur arrivée en Palestine, de passer à l’hébreu dit sépharade (ou eretz‑israélien) et de soumettre leurs textes à ses règles de prononciation. Autrement dit, les poètes hébraïques de l’époque se sont d’abord appuyés sur la prononciation traditionnelle de l’hébreu telle qu’elle se pratiquait en Europe centrale et orientale, en particulier dans le contexte liturgique, depuis le treizième ou le quatorzième siècle. Cette prononciation, avec quelques importantes variétés régionales, était celle que les auteurs de la Renaissance hébraïque avaient apprise, enfants, à l’école talmudique72.

39 Les mètres et les sonorités qui caractérisent la poésie écrite en hébreu ashkénaze disparaissent lorsqu’on lit un poème écrit en hébreu ashkénaze en partant du système sonore et rythmique de l’hébreu sépharade (et donc de l’hébreu israélien contemporain). En effet, les différences entre la prononciation de l’hébreu ashkénaze (HA) et celle de l’hébreu sépharade (HS), tel qu’on le prononçait en Palestine à partir de la fin du dix‑neuvième siècle73, sont extrêmement importantes. Sans entrer dans les détails de ces différences, je me contenterai d’en indiquer quelques éléments essentiels74 : 1. L’accent tonique en HA se place normalement sur la pénultième voire l’antépénultième, alors qu’en HS c’est habituellement la dernière syllabe qui est accentuée. Il va sans dire que cette différence a une influence capitale sur les systèmes rythmiques et prosodiques de ces deux manières de prononcer l’hébreu. .sans daguesh) en HS est prononcée /s/ en HA ת) /La consonne /t .2 3. Le kamatz, prononcé a en HS, se dit o en HA. 4. Les diphtongues, très rares en HS, sont extrêmement courantes en HA. Ainsi, le ḥolam se lit oï (ou eï) en HA et le tsere (et parfois le segol aussi) se prononce eï (ou aï).

40 Étant donné ces différences de prononciation (et par conséquent de musicalité poétique, en particulier de rythmes, de mètres et de sonorités) on ne s’étonnera pas de constater que la confrontation des poètes de la Renaissance hébraïque avec l’hébreu sépharade, lorsqu’ils arrivaient en Palestine et se rendaient compte que la langue qu’ils employaient dans leurs poésies était désormais vouée à la désuétude, engendra chez beaucoup d’entre eux une crise profonde75.

41 Bialik, dont la crise poétique fut particulièrement sévère, n’écrivit que des poésies « légères » en hébreu sépharade et souffrit d’une stérilité créative tout au long des dix dernières années de sa vie passées à Tel‑Aviv (1924‑1934). Tchernikhovsky continua d’écrire la meilleure partie de sa poésie en hébreu ashkénaze, réservant à l’hébreu sépharade des morceaux exclamatifs, souvent de moindre intérêt poétique, ainsi que des ballades (61 poèmes76). Le cas le plus radical fut peut‑être celui de Yakov Steinberg qui arriva en Palestine en 1914, âgé de trente ans, pour y rester jusqu’à sa mort en 1947. Dans son pays adoptif, entouré de gens qui parlaient (et lisaient) l’hébreu sépharade, il continua d’écrire de la poésie, dont quelques‑uns de ses meilleurs vers, en hébreu ashkénaze77.

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Fichman et l’hébreu sépharade

42 Confronté, comme les autres poètes de sa génération, à la prédominance de l’hébreu sépharade en Palestine, Fichman subit de plein fouet les difficultés, voire le traumatisme poétique, causés par cette rapide évolution linguistique.

43 Poète particulièrement musical, Fichman se rend probablement compte de la gravité du problème dès sa première arrivée en Palestine, fin 1911. Responsable d’une revue destinée aux enfants et aux adolescents (Moledet) ainsi que de publications d’ouvrages pédagogiques, il entendait sûrement les élèves des écoles parler entre eux en hébreu sépharade78. À son retour en Palestine après la guerre, il put constater que l’emploi de l’hébreu sépharade s’était généralisé entre‑temps et qu’il s’agissait désormais de la prononciation standard de l’hébreu en Palestine. Pourtant, pendant de longues années, Fichman persista dans son opposition à tout changement rythmique ou prosodique qui aurait tenu compte, dans ses nouveaux poèmes écrits en Palestine, de la prononciation sépharade ainsi qu’à toute éventuelle modification de sa poésie publiée avant son départ d’Europe.

44 Comme beaucoup de ses contemporains, Fichman prétendit que la prononciation sépharade était moins musicale et plus rude que celle qu’il connaissait depuis son enfance et qu’il employait dans sa poésie. Il ne s’agissait donc pas seulement d’une habitude prise pendant des années, mais de ce qui était considéré par lui comme un fait objectif : l’hébreu sépharade, de par sa nature, serait moins approprié à la poésie. Par conséquent, Fichman prôna une certaine forme de diglossie : une langue parlée et utilisée en prose d’une part et une langue employée en poésie d’autre part79.

45 Mais peu à peu, se rendant compte de l’invraisemblance de cette solution, Fichman se fait à l’idée qu’il faudra s’adapter à la nouvelle prononciation. Quatorze ans après son arrivée définitive en Palestine et vingt‑trois ans après la publication de son premier Jours de soleil). Cette très) ימי שמש ,recueil de poésies, il publie son deuxième recueil longue interruption est certainement due pour une part à la question du changement de prononciation, même si ce n’est sans doute pas la seule raison. Dans ce livre, on voit paraître pour la première fois des pièces de Fichman écrites dès l’origine en hébreu sépharade, notamment certaines sections de ses « Idylles marines ». Dans la courte préface qui ouvre le livre, Fichman écrit : םילועבג Quant aux « Idylles marines » dont les débuts datent de l’époque de (Tiges)80, je dois dire qu’elles furent écrites petit à petit, pendant plusieurs années. [...] C’est dans ces poèmes que la rime me vint pour la première fois instantanément dans la « bonne prononciation », sans que je dusse la contraindre et ceci, après quelques vaines tentatives qui n’aboutirent à rien ou qui ne réussirent qu’à moitié et à l’issue desquelles je désespérai presque de la possibilité de refaire de la poésie en mètre tonique. Il y a quelques années j’exprimai mon appréhension quant à l’avenir du lyrisme hébraïque suite à ce renouveau qui fit taire d’un seul coup tout le rythme traditionnel de notre poésie, la privant d’une multitude de sons doux qu’on ne peut guère imaginer sans les accents basés sur le mil‘el81. Mais, au fur et à mesure, nous constatâmes tous que le chemin pris par l’hébreu était irréversible. Et quand, avec les années, l’hébreu parlé nous devint de plus en plus naturel, nous ressentîmes qu’en fin de compte il nous était possible d’employer cette prononciation tout en nous bornant pour l’instant à certaines formes et dans certaines limites, bien sûr82.

46 Fichman continue donc de croire à la suprématie esthétique de la prononciation ashkénaze, mais se voit contraint de se résigner au fait accompli et d’adapter sa poésie

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à l’hébreu sépharade. Ce n’est qu’en 1944, trente‑quatre ans après sa première arrivée en Palestine que Fichman paraît s’accommoder définitivement de l’hébreu sépharade. : Lisière de champ), il déclare) תאפ הדש Dans sa postface au recueil Après un long combat intérieur et des hésitations continues je me suis conforté dans l’idée qu’il ne fallait plus écrire en employant l’ancien accent, celui du mil‘el. [...] En dépit de toutes les difficultés qu’il nous a fallu surmonter (et nous ne les avons pas toutes surmontées), c’est justement la nouvelle prononciation qui est devenue naturelle. Certes, la poésie a perdu un peu de sa flexibilité (mais ce n’est peut‑être, en fin de compte, qu’une perte temporaire) mais en revanche, elle a gagné en puissance de relief, ses vertèbres se sont consolidées, la prononciation s’est faite enfin plus plastique. Et avec le temps et l’usage, elle se fera également plus flexible. [...] Je n’entends pas prétendre que le nouveau mètre fonctionne sans aucune difficulté, mais il est certain que l’ancien mètre va à l’encontre du présent et de l’avenir de notre culture83.

Fichman et la traduction poétique

47 Yakov Fichman n’accompagne jamais ses traductions de notes ni de textes explicatifs. Il ne s’exprime pas sur sa propre activité de traducteur de poésie et n’expose jamais de credo ni de théorie concernant sa propre œuvre traductionnelle. Il ressemble en cela à la plupart des auteurs‑traducteurs de sa génération, peu enclins à s’auto‑théoriser. De la traduction) 84, Fichman expose de) לע םימוגרתה Toutefois, dans un article intitulé manière assez détaillée, quoique peu méthodique, ses idées au sujet de la traduction en général et de l’activité traductionnelle des auteurs de la Renaissance hébraïque en particulier.

48 Affirmant d’emblée que la question de la traduction est d’un poids capital dans le domaine de la création littéraire, Fichman expose l’idée selon laquelle une œuvre traduite est souvent plus importante pour l’évolution d’une littérature nationale que n’importe quelle œuvre originale. Car si une œuvre originale est souvent le fruit du hasard et ne représente que la puissance créatrice d’un individu, « la traduction marque toujours un stade général, national, dans lequel se concentre tout l’avoir accumulé du collectif. On voit souvent qu’une excellente traduction amorce une nouvelle période dans la littérature, elle crée le récipient, le moule et, ce faisant, elle amplifie également le contenu. »85

49 Multipliant les exemples de « grandes traductions »86 dans l’histoire de la littérature mondiale qui « annonçaient presque toujours un nouveau printemps de création »87, Fichman parle dans la suite de son article de l’œuvre traductionnelle des auteurs hébraïques modernes pour souligner le rôle primordial de la traduction dans le renouveau de la littérature hébraïque. Il retrace brièvement les diverses attitudes et conceptions des auteurs‑traducteurs de la Haskala puis de la Renaissance hébraïque à l’égard de leur activité traductionnelle pour en venir ensuite à la question suivante : le traducteur de poésie doit‑il être poète lui‑même ? La réponse de Fichman est claire et nette : « Quant à moi, je suis catégoriquement convaincu que seul un artiste peut produire une traduction artistique. »88 Esprit pratique, Fichman ne croit cependant pas que le poète‑traducteur – tout artiste qu’il soit – doive éviter de traduire des ouvrages qui ne lui sont pas proches, mentalement et spirituellement. En effet, « dans la trousse du véritable artiste », affirme‑t‑il, « on peut toujours trouver tous les outils de la création. Entre les mains de Bialik, je mettrais volontiers Rabelais aussi bien que Musset, Shakespeare aussi bien qu’Hofmannsthal »89.

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50 Le point le plus intéressant du texte de Fichman vient en conclusion de la première partie de l’article, lorsque le poète signale la spécificité de la traduction poétique en hébreu. Le traducteur hébraïque doit « ajuster l’expression occidentale et la puissance picturale des langues de l’Occident aux instruments étroits, simples et droits d’une langue orientale qui ignore presque totalement les circonvolutions de la psychologie et les contours de la pensée et du sentiment. Le traducteur ne doit donc pas seulement être un homme de culture et de goût, mais aussi avoir une capacité exceptionnelle d’invention, car il doit concevoir et découvrir ce que le traducteur étranger trouve devant lui d’emblée et avec abondance. [...] Le traducteur doit se faire le réformateur de la langue hébraïque, en être le rénovateur et le vivificateur, bien plus encore qu’un écrivain hébraïque. »90

51 Dans la deuxième partie de l’article, Fichman repose l’éternelle question de la nature de la traduction. Est‑elle une création ou bien l’œuvre d’un artisan des Lettres ? Fichman passe en revue les arguments en faveur de chacun de ces deux points de vue pour arriver à la conclusion que la bonne traduction est bel et bien une création artistique mais que la part du travail et du savoir‑faire y est plus importante que dans l’écriture d’un ouvrage original.

52 Toute traduction réussie d’un poème lyrique, affirme ensuite Fichman, est de l’ordre du miracle. À ce propos, il s’élève contre la possibilité de traduire l’intégralité de l’œuvre lyrique d’un poète (ce qui expliquerait peut‑être son propre choix de ne sélectionner comme textes sources qu’un nombre très restreint de pièces lyriques de chacun des poètes qu’il traduit). « Je ne peux toujours pas pardonner », affirme‑t‑il, « à ceux qui entreprennent une traduction intégrale de l’œuvre de grands poètes lyriques. Ces gens‑là [...] ne comprennent‑ils pas qu’un tel travail n’est guère possible ? Sauf peut‑être si l’on consacre sa vie entière à cette besogne. »91

53 Dans les traductions poétiques de Fichman on constate en effet une tentative constante de créer un langage poétique nouveau. Scandées encore, pour la plupart, selon la prononciation ashkénaze de l’hébreu, mais rédigées avec une très grande habileté technique et musicale selon le système syllabo‑tonique de l’hébreu moderne, ses traductions sont relativement adéquates au texte source sur les plans sémantique, structural et prosodique.

54 Parallèlement, ses textes témoignent d’un effort conscient pour former avant tout un beau poème hébraïque qui ressemblerait à bien des égards à la création poétique originale de l’auteur. Il s’agit donc, en fin de compte, d’une poétique traductionnelle dont l’approche est, par excellence, cibliste92 comme c’est le cas de la plupart des traductions datant de l’époque de la Renaissance de l’hébreu moderne.

55 Cependant, en raison de l’emploi de l’hébreu ashkénaze et de traits lexicaux et stylistiques qui caractérisent l’hébreu du début du vingtième siècle, même les meilleures traductions de Fichman – comme celles des autres auteurs de la génération de la Renaissance hébraïque – sont souvent perçues de nos jours comme foncièrement datées, voire carrément archaïques.

56 À ma connaissance, aucune étude n’a été, à ce jour, consacrée aux traductions de Fichman. Cette lacune flagrante peut s’expliquer par plusieurs raisons. Il faut tout d’abord prendre en considération le nombre relativement peu important de ses traductions, surtout si l’on compare Fichman à d’autres auteurs‑traducteurs de la génération de la Renaissance hébraïque dont l’œuvre traductionnelle est bien plus

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abondante. Fichman est communément considéré comme un auteur important de sa génération, mais, même parmi ses lecteurs assidus voire ses critiques, rares sont ceux qui connaissent ses traductions poétiques, car leur quasi‑totalité ne fut jamais réimprimée après leur première parution dans la presse littéraire et reste méconnue.

57 Ajoutons à cela le fait que l’œuvre de Fichman est de moins en moins étudiée et de moins en moins lue depuis bien des années93. En effet, la poésie de Fichman est souvent considérée de nos jours comme démodée et vieillie. Fichman ne jouit pas du prestige de Bialik ou de Tchernikhovsky et sa poésie délicate, toute en aquarelles, est moins au goût du jour que celle de son contemporain Yakov Steinberg, par exemple.

58 Néanmoins, cette disgrâce – du moins en ce qui concerne l’œuvre traductionnelle de Fichman – est hautement regrettable. Les traductions poétiques de cette figure de la Renaissance hébraïque méritent bien d’être réimprimées et étudiées ; d’abord pour leur qualité esthétique souvent exceptionnelle mais aussi pour permettre une recherche exhaustive sur l’œuvre multiforme des auteurs‑traducteurs de cette première génération de la poésie hébraïque moderne.

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NOTES

1. De nos jours, deuxième ville de la Moldavie indépendante.

2. Avraham M APU (1808‑1867), écrivain juif lituanien, un des créateurs du roman hébraïque moderne à l’apogée de la Haskala. Auteur notamment des romans La Samarie , תמשא ןורמוש L’Amour de Sion (1853) et de , תבהא ןויצ historico‑bibliques coupable (1865). 3. Acronyme et nom de plume du poète juif lituanien Avraham Dov Baer Lebensohn (1794‑1878), un des pères fondateurs de la poésie hébraïque de la Haskala. , « בקעי ןמכיפ ןב םיעבש » (Shlomo H ILLELSin (,Yakov Fichman a soixante‑dix ans .4 החנמ בקעיל ןמכיפ ןב םיעבשה (Hommage à Yakov Fichman à l’occasion de son soixante‑dixième anniversaire), Tel‑Aviv, Wa‘ad yovel ha‑shiv‘im le‑Yakov Fichman, 1951, p. 7. ,La rencontre des solitaires), Tel‑Aviv, Am Oved) , םידדוב םדעומב Voir Dan M IRON .5 coll. Ofakim, 1987, p. 296‑322. 6. Hebdomadaire hébraïque destiné aux enfants, fondé en 1899 à Varsovie par l’écrivain et éditeur Avraham Piorko (1853‑1933). 7. Nom de plume d’Asher Hirsch Ginsberg (1856‑1927), penseur et essayiste juif, leader sioniste et un des pères fondateurs de la littérature hébraïque moderne. 8. Nom de plume de Simcha Ben Sion Alter Gutman (1870‑1932), écrivain et éditeur hébraïque né en Bessarabie. Un des fondateurs de la ville de Tel‑Aviv en 1909. 9. Mendele Moykher Sforim (littéralement : Mendele marchand de livres), nom de plume de Shalom Yakov Abramovitch (1836‑1917), une des figures essentielles de la prose en yiddish mais aussi l’un des fondateurs de la littérature en hébreu moderne, considéré comme « le grand‑père » des deux littératures. ,La poésie de Bialik), Jérusalem, Mosad Bialik, 1946) תריש קילאיב ,Yakov FICHMAN .10 p. 12‑13. 11. Connu sous l’acronyme SHALAG (1867‑1933). , « ונתריש הריעצה » (in (,Notre jeune poésie ירבד תורפס Voir Haim Nahman BIALIK .12 (Sur la littérature), Tel‑Aviv, Dvir, 1959, p. 141‑158. .(Poèmes) םיריש Republié en 1914 sous le titre .13 14. Prestigieuse maison d’édition fondée en 1896 à Varsovie par l’écrivain Ben Avigdor (nom de plume d’Avraham Leyb Shelkovitch, 1866‑1921). Dans ses deux collections (« La Grande Bibliothèque » et « La Bibliothèque Hébraïque ») furent publiés entre 1896 et 1910 quelque 300 livres dont les œuvres complètes des écrivains de la première période de la Renaissance hébraïque (Bialik, Frishman, Tchernikhovsky, Berditchevsky...), mais aussi les premiers livres de la plupart des jeunes auteurs hébraïques ayant commencé à publier au tournant du siècle. Voir Dan MIRON, op. cit. p. 34‑35. 15. Le couple s’était marié en 1910. 16. Fichman codirige (avec l’historien et critique littéraire Yosef Klausner, 1874‑1958) les deux derniers numéros (1925‑1926) de cette importante revue, fondée en 1896 à Varsovie par Ahad Ha‑Am. 17. Fichman compte en 1928 parmi les créateurs de cette revue patronnée par Bialik. Il la dirige entre 1936 et 1942.

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, תריש בקעי ןמכיפ , היפרגונומ (Voir Tsvi L UZ:La poésie de Yakov Fichman .18 monographie), Tel‑Aviv, Papyrus, 1989, p. 28‑58. 19. Parmi les poètes bilingues hébreu‑yiddish nés dans les années 1870 et 1880 on compte notamment Haim Nahman Bialik (1873‑1934), Zalman Schneour (1887‑1959) ou encore Yakov Steinberg (1887‑1947). Si l’œuvre yiddish de Bialik est peu abondante, elle est certainement loin d’être négligeable quant à sa valeur et à son importance , ררושמה , הריבגה החפשהו , קילאיב ןיב תירבע שידייל poétique. Voir Ziva SHAMIR (Le poète, la maîtresse et la servante : Bialik entre hébreu et yiddish), Bnei Brak, Safra , םיריש שידייב , יריש םידלי , יריש et Hakibbutz Hameuchad, 2013 ; Haim Nahman BIALIK השדקה (éd. Dan Miron] (Poèmes en yiddish, poèmes pour enfants, poèmes-dédicaces,] Tel‑Aviv, Dvir, 2000. (en hébreu et yiddish). Quant à Schneour, alors qu’en hébreu il est surtout connu comme poète, en yiddish il est avant tout un prosateur très prolifique et fort apprécié du grand public. Steinberg, quant à lui, publie dans sa jeunesse plusieurs recueils en yiddish et se fait un certain nom auprès du public de cette langue mais, dès son arrivée en Palestine en 1914, il n’écrit plus qu’en hébreu. Une évolution comparable peut être observée chez le grand prosateur Samuel Joseph Agnon (1887‑1970) qui, lui aussi, publia d’abord aussi bien en yiddish qu’en hébreu mais qui, dès son arrivée en Palestine en 1908, n’écrivit plus qu’en hébreu. , « תביטח שידיי ונתרישב » (Itzhak M ICHALIin (La part du yiddish dans son œuvre .20 Platebandes, mélanges à la mémoire) תוגורע , ץבוק ורכזל לש י. ןמכיפ ,(.Nurit GOVRIN (éd de Yakov Fichman), Tel‑Aviv, Ha‑iggud ha‑‘olami shel yehudey Bessarabia, 1976, p. 78‑79. 21. Shlomo HILLELS, op. cit. p. 7.

22. Voir Itzhak MICHALI, op. cit. p. 78. 23. Ibid., p. 79. ס' זיא א השוב וצ ןגאז : רימ אד ןענעז ןיוש טינ חוכב וצ ןביירש שידיי קיגנאלקלופ ,.24 קיבראפלופ , יוו סע ןביירש יד עסיורג ןטעאפ ןוא רעקיאזארפ ןופ רעד רעקיטנייה רעשידיי רוטארעטיל . סאד זיא יד הביס , סאוו עניימ עטצעל ןכאז ןיא שידיי ןענעז טכעלטנפעראפ ןראוועג ךאנ טימ ןראי קירוצ .]...[ .]...[ 25. Ibid. 26. Yakov FICHMAN, Regnboygn : zikhroynes, eseyen un lider (Arc‑en‑ciel : souvenirs, essais et poèmes) [éd. Yankef BATASHANSKY et Yehuda Leyb G RUZMAN], Buenos‑Aires, Basaraber landslayt‑fareyn in Argentine, 1953, 348 p. (en yiddish). 27. Itzhak MICHALI, op. cit. p. 79.

28. Shlomo HILLELS, op. cit. p. 4. 29. Ibid. 30. Ibid. p. 12. 31. Friedrich Hölderlin, 1770‑1843 ; Detlev von Liliencorn, 1844‑1909 ; Richard Dehmel, 1863‑1920 ; Theodor Storm, 1817‑1888. 32. Stefan George, 1863‑1933. , « הניחבה תינויצה הניחבהו תירישה , בקעי ןמכיפ םזינויסרפמיאהו Shimon SANDBANK .33 ינמרגה » (Yakov Fichman et l’impressionnisme allemand, l’aspect sioniste et l’aspect , יתש תוכרב רעיב : םירשק תוליבקמו ןיב הרישה תירבעה poétique) in Shimon SANDBANK

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הרישהו תיפוריאה (Deux mares dans la forêt : contacts et parallèles entre la poésie hébraïque et la poésie européenne), Tel‑Aviv, Hakibbutz Hameuchad, 1976, p. 57‑69. ותוא ץיק , בגא תומלתשה ןושלב תיתפרצה , יתרכה תא וניח דדוצמה לש סוינגה .34 יתפרצה דצמ רחא . םעפב הנושארה יתארק תא רילדוב ורוקמב . היהו ןאכ לכה לכ ךכ הנוש ומלועמ לש ןאניר - םעו הז : םולכ אל שגרה יתדה , ההימכה םימרל , םה םסק הרישה תאזה , ןיאש הבינכ קצומה הלוכסא הבוט ררושמל ? Yakov FICHMAN, « Nemirov » [souvenirs autobiographiques], Davar, 9 septembre 1949, p. 3 (en hébreu). 35. Source : base de données de la Bibliothèque nationale d’Israël. 36. Christian Friedrich Hebbel (1813‑1863), dramaturge allemand. Sa tragédie Herodes und Mariamne paraît en 1848. 37. Jens Peter Jacobsen (1847‑1885), écrivain, poète et botaniste danois. Sa nouvelle Mogens date de 1872. Le recueil Mogens et autres nouvelles paraît en 1882. 38. Hermann Hesse (1877‑1962), romancier et essayiste allemand puis suisse, lauréat du prix Nobel de littérature en 1946. 39. Anatole France (1844‑1924), une des grandes figures de la littérature française à l’époque de la Troisième République, lauréat du prix Nobel de littérature en 1921. 40. La traduction de Narcisse et Goldmund est le premier livre de Hesse à paraître en hébreu. Quant à Anatole France, son roman Thaïs parut en hébreu dans la traduction de David Frishmann, d’abord dans la revue Ha‑Tkufa, puis aux éditions Stybel de Varsovie en 1922. 41. Le seul autre ouvrage de Hebbel à avoir été traduit en hébreu dans son intégralité, quelque 22 ans avant Hérode est Mariamne, est également une pièce biblique. Il s’agit de la tragédie Judith, parue aux éditions Tushiya à Varsovie en 1900 dans la traduction de Samuel Leib Gordon. 42. Sur l’histoire de cette importante maison d’édition voir Dania A MICHAY‑MICHLIN, תבהא יא '' ש: םהרבא ףסוי לביטש (Jérusalem (,L’amour d’Avraham Yosef Stybel, Mosad Bialik et Sifriyat Zagagi, 2000. 43. Aux éditions Stybel furent publiés, entre autres, des ouvrages des Norvégiens Henrik Ibsen, Knut Hamsun et Sigbjørn Obstfelder et du Danois Hans Christian Andersen. Platebandes) paraissent deux de ses) תוגורע À une exception près : dans son livre .44 traductions, un poème de Hugo et un poème de Lermontov. Voir Yakov Fichman, ,Platebandes, poésie et prose), Jérusalem, Mosad Bialik, 1954) תוגורע , ירבד הריש הזורפו p. 62‑63. 45. À ce jour, il n’existe aucune étude consacrée aux traductions de Fichman. 46. Shimo SANDBANK, op. cit., p. 47, 22. 47. Pour les traductions de Goethe et de Heine, Sandbank se base sur les bibliographies , « ךירנייה הנייה תירבעב »préparées par Shmuel LAKHOVER. Voir Shmuel LAKHOVER , « התיג Heinrich Heine en hébreu), Yad lakore 4, 1956‑7, p. 143‑193 ; Shmuel LAKHOVER) .Yad lakore 2, 1950‑1951, p. 200‑226 תירבעב » (Goethe en hébreu ,) ,) Élégies) « תויגלא תוימור » [Yakov F ICHMAN (trad.), [Johann Wolfgang von Goethe .48 Romaines), Ha‑Tkufa 8, Tamuz‑Elul 1920, p. 219‑232 ; Yakov FICHMAN (trad.),

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,Élégies Romaines), Ha‑Tkufa 10) « תויגלא תוימור » [Johann Wolfgang von Goethe] Tevet‑Adar 1921, p. 111‑128. 49. Shimon SANDBANK, op. cit., p. 223. 50. Les traductions de ces poètes allemands sont publiées dans Yakov Fichman (trad.), ,Ha‑Tkufa, 1925 « ןמ הקירילה תינמרגה » (Choix de poésies lyriques allemandes,) p. 238‑244. Poèmes de) « יריש ןילרדלה » [Yakov Fichman (trad.), [Friedrich Hölderlin .51 Hölderlin), Ma‘barot, juin 1920, p. 77‑78. Platebandes), op. cit., p. 63. Un) תוגורע Le poème « L’ange » paraît dans le recueil .52 autre poème de Lermontov, la toute première traduction poétique publiée de Fichman, est celui qu’il publia en 1899 dans la revue Gan ha‑sha‘ashu‘im. Je n’ai pas pu consulter le numéro en question. 53. Op. cit., p. 62. 54. L’autre poème à avoir été traduit en hébreu sépharade est « L’ange » de Lermontov. Henri de Régnier (1864‑1936), poète et . ירנה יד ויניר : Dans l’orthographe de l’époque .55 romancier français proche du symbolisme, membre de l’Académie Française à partir de 1911. Sur la grève), Ha‑po‘el) « לע תפש םיה » [Yakov Fichman (trad.), [Henri de Régnier .56 ha‑tsa‘ir, 22 janvier 1913, p. 10. 57. Émile Verhaeren (1855‑1916), un des chefs de file du symbolisme belge. ,Un soir), Ma‘barot 42) « תעשב ברע » [Yakov Fichman (trad.), [Émile Verhaeren .58 juin 1920, p. 213‑214. « תומאתה » [trad.), [Charles Baudelaire) [י"פ Yakov Fichman [Signé .59 (Correspondances), Ma‘abarot vol 1 ; 1er août 1919, p. 77. ,L’albatros), Hedim 4) « סורטבלאה » [Yakov Fichman (trad.), [Charles Baudelaire .60 printemps 1926, p. 68‑69. 61. Asher Barash, 1889‑1952. 62. « L’horizon traductif », selon la définition d’Antoine Berman, est « l’ensemble des paramètres langagiers, littéraires, culturels et historiques qui "déterminent" le sentir, l’agir et le penser d’un traducteur. » (Antoine BERMAN, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, 1995, p. 79). 63. Poète indien, prix Nobel de littérature en 1913. 64. Pour un aperçu général de l’esthétique de Frishmann et de son credo littéraire, voir Dan MIRON, op. cit. p. 23‑28.

65. Poète, philosophe et mystique persan du XIVe siècle. 66. David Shimoni (Shimonovitch), 1891‑1956. 67. Yakov Kahan, 1881‑1960. 68. Yakov Rabinovitch, 1875‑1948. 69. Dan MIRON (op. cit. p. 39‑46, 79) estime qu’en 1880, il y avait environ 100 000 lecteurs potentiels de littérature hébraïque en Europe de l’Est, mais ce chiffre diminue sensiblement durant les premières années du vingtième siècle, notamment à cause du rapide accroissement du public yiddish.

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70. Voir T. CARMI (éd.), The Penguin Book of Hebrew Verse, New York, Penguin Classics, 1981, p. 40 : “Under the influence of Yiddish, Russian and German, the syllabic system was discarded in favour of the tonic‑syllabic or accentual system (the alternation of stressed and unstressed syllables, as in English, German or Russian verse). This change was effected mainly by Bialik, the acknowledged leader of the Odessa circle.” ספלין לבודליר בתרגומה של לאה » Selon la définition d’Itamar E VEN‑ZOHAR dans .71 Spleen de Baudelaire dans la traduction de גולדברג – לאופי ההכרעות בתרגום שירה » ( Léa Goldberg : sur la nature des décisions dans la traduction poétique), Hasifrut 21, 1975, p. 41. 72. Benjamin [Binyamin] H ARSHAV, Language in Time of Revolution, University of California Press, Berkeley – Los Angeles – London, 1993, p. 162. 73. Ibid. p. 153‑161. 74. Pour une liste exhaustive des règles de la prononciation de l’hébreu ashkénaze voir שירת התחייה העברית, אנתולוגיה היסטורית ,(.Benjamin [Binyamin] HARSHAV (éd ביקורתית (La poésie de la renaissance hébraïque, anthologie critique et historique), Tel‑Aviv, The Open University of Israel, vol. 1, 2000, p. 46‑49. 75. T. CARMI, op. cit., p. 41. , « טשרניחובסקי בהטעמה ישראלית » (Eliezer K AGANTchernikhovsky et la .76 prononciation israélienne), Leshonenu 31, 1967, p. 37‑66. 77. Voir Benjamin [Binyamin] HARSHAV, op. cit., p. 163. 78. Selon Harshav qui situe les débuts en Palestine de l’enseignement de l’hébreu en hébreu aux alentours de 1910, il s’agit de la toute première génération ayant l’hébreu eretz‑israélien pour langue scolaire parlée. , על הסף: עיון במעבר ממבטא למבטא (Eliezer K AGANSur le seuil : au sujet du .79 passage d’une prononciation à l’autre), Arugot 2, 1976, p. 45‑54. 80. Publié en 1911. 81. L’accent tonique placé sur la pénultième ou l’antépénultième. אשר ל'אידיליות ים', שראשיתן נעוצה עוד בתקופת ה'גבעולים', עלי להעיר שנכתבו.82 פרקים-פרקים במשך כמה שנים [...] בה (בפואמה זו) נשמע לי בפעם הראשונה החרוז ב'נגינה הנכונה' ללא עישוי וללא אונס, לאחר כמה נסיונות קודמים שלא עלו בידי או שעלו למחצה, ושלאחריהם כמעט נואשתי ממצוא עוד ביטוי לשירה במשקל טוני. לפני כמה שנים הבעתי את חרדתי לעתידה של הליריקה העברית עם התחדשות הנגינה שהפסיקה בבת-אחת את כל הריתמוס המסורתי ושללה ממנה המון צלילים רכים שלא יצויירו כמעט בלי נגינה 'מלעילית'. אבל במידה שנוכחנו כולנו שאין דרך לשוב, ובמידה שהשימוש הממושך בדיבור העברי נעשה מעט מעט טבעי בפינו, הורגש יותר ויותר שהוכשרנו לנגינה זו - אם גם, כמובן, לפי שעה רק בצורות ידועות ובגבולות ידועים. ,Jours de soleil : poèmes longs), Tel‑Aviv, Stybel) ימי שמש: פואמות ,Yakov Fichman 1934, p. 7. לאחר מאבק ממושך והיסוסים ממושכים התחזקתי בדעה, שאין להמשיך בנגינה.83 הקודמת, ה'מלעילית'. [...] עם כל הקשיים שהיינו מוכרחים להתגבר עליהם (לא על כולם התגברנו) -- דווקא הנגינה החדשה נעשתה טבעית. אין ספק שהשירה הפסידה משהו מן הגמישות (ואולי אין זה אלא הפסד זמני), אבל לעומת זאת נוסף לה כוח-בליטה. חוליותיה נתחשלו - ההברה נעשתה פלסטית יותר; ועתידה היא גם להתגמש יותר ככל שירבה השימוש בה. [...] אין המכוון להוכיח שבמשקל זה הכל 'חלק', אבל המשקל הישן עמד בניגוד לכל תרבות זמננו ועתידותיה.

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תאפ הדש (Yakov Fichman, ,Jérusalem, Tel‑Aviv, Schocken, 1945 (,Lisière de champ p. 237. 84. L’article est divisé en deux parties constituant un seul ensemble. Voir ,Yakov Fichman, Œuvres), Tel‑Aviv, Dvir, 1959) יבתכ בקעי ןמכיפ ,Yakov Fichman p. 390‑401. 85. Ibid. p. 390. 86. Ibid. p. 392. 87. Ibid. 88. Ibid. 89. Ibid. 90. Ibid. p. 394‑395. 91. Ibid. p. 396. 92. Voir notamment Jean‑René LADMIRAL, Traduire : Théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1994, 274 p. [édition revue et augmentée] ; Jean‑René LADMIRAL, Sourcier ou cibliste : les profondeurs de la traduction, Paris, Les Belles Lettres, coll. Traductologiques, 2015, 304 p. Les termes de langue « source » et de langue « cible » ont été introduits dans la théorie francophone de la traduction par Jean‑René Ladmiral, d’après les termes anglais source et target. 93. En effet, rares sont les études consacrées à l’œuvre de Fichman rédigées après les années 1980 et ses recueils de poésies sont tous épuisés depuis bien longtemps.

RÉSUMÉS

L’œuvre traductionnelle des poètes‑traducteurs de la génération de la renaissance de l’hébreu .constitue une des pierres angulaires de la nouvelle poésie en cette langue ( רוד הייחתה ) moderne À travers l’œuvre traductionnelle du poète Yakov Fichman, peu connue et relativement peu étudiée à ce jour, cet article présente « l’horizon traductif » de la première génération de la poésie en hébreu moderne, en le situant dans le contexte très particulier du renouveau linguistique et littéraire de l’hébreu au début du XXe siècle.

The translational work of the poets‑translators who belonged to the Renaissance generation of constitutes one of the cornerstones of the new poetry in this ( רוד הייחתה ) Modern Hebrew language. Through the translational work of the poet Yakov Fichman, little known and relatively little studied to date, this article presents the "translating horizon" of the first generation of poetry in Modern Hebrew, situating it in the very particular context of the linguistic and literary renewal of Modern Hebrew in the early 20th century.

ריצקת : םתריצי לש םיררושמה - םימגרתמה ינב רוד הייחתה איה ינבאמ דוסיה לש הרישה תירבעה תינרדומה . רמאמ הז ןחוב תא ותריצי תימוגרתה לש ררושמה בקעי ןמכיפ , תרכומה ךא םיטעמל טעמכו אל הרקחנ דע הכ . ךרד ימוגרת הרישה הזורפהו לש ררושמ הז תיתשמ רמאמה תא " קפואה ימוגרתה " לש ירצוי רוד הייחתה , ךותב רשקהה ידוחייה לש תושדחתה הפשה תורפסהו תירבעה תישארב האמה םירשעה .

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INDEX

Mots-clés : Yakov Fichman, traductologie, poésie, traduction poétique, poésie hébraïque moderne, littérature hébraïque, horizon traductif

מילות מפתח יעקב פיכמן, תיאוריה של התרגום, שירה, תרגום שירה, שירה עברית מודרנית, ספרות:

עברית, אופק תרגומי Keywords : Yakov Fichman, Translation studies, Poetry, Poetry Translation, Modern Hebrew Poetry, Hebrew Literature, Translational horizon

AUTEUR

DORY MANOR Inalco

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The Raceless and Restless Novels of Caryl Phillips: The Nature of Blood on French Ground La réception dans le monde francophone d’un roman sur la Shoah et l’esclavage : The Nature of Blood de Caryl Phillips תה ותולבק לש ןמורה לע ה האוש תודבעהו " עבט םדה " תאמ לירק ספיליפ םלועב ינופוקנרפה

Kathleen Gyssels

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The Nature of Blood, Caryl Phillips

Cover, published in 1997 © Faber & Faber

1 In his blog for Le Monde, Pierre Assouline expounded on an idea that came to him while listening to Barack Obama quoting Langston Hughes. Acknowledging the difficulty of translating Hughes’ “What Happens to a Dream Deferred” into French, Assouline wished translators would become co‑authors. Indeed, many shifts both on semantic, stylistic, subscribe to such a “standard” (status) for postcolonial authors in particular. Indeed, through my analysis of “Caryl Phillips on French Ground”, I examine the reasons why a bestselling novel such as The Nature of Blood (1997) enjoyed a huge success in the Anglophone world, both in England and in America, each of his book being simultaneously published in London (by Faber and Faber or Secker and Warburg), and in New York (by Knopf). Strangely enough, it was hardly noticed in the Francophone world. In addition, I focus on the repercussions of cover illustrations and the partial “misreadings” they may instigate. Indeed, La Nature humaine rings a bell to the Francophone reader: he is inevitably reminded of Antelme’s 1946 testimony of his months in the dead camp, entitled L’Espèce humaine. But Phillips’ novel aims a more ambitious and cross‑cultural framework. He puts Blacks and Jews side by side as victims of racism during different centuries and in different locations; he thereby “knots memory” (to coin Michael Rotherg’s apt notion of bringing different cultural memories together). Remindful of Fanon’ warning in Black Skin, White Masks that Jews and Blacks suffer the same mechanisms of exclusion and oppression, the novelist calls for empathy for both groups independent of one’s colour, religion, origin or gender and language. Among the Caribbean authors, he is therefore one of the most important voices who addresses the Holocaust and Slavery not obliquely but explicitly, years before French‑Guyanese Christiane Taubira was to pass on the Memory Laws (2001) or

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Andrea Levy and Zadie Smith similarly echo in their respective novels the Jew, next to other migrant minorities, both in the Caribbean and the diaspora (Great Britain, Canada, the United States) as a mirroring figure of displacement and discrimination. In French‑Caribbean literature, such an endeavor was only to be seen with André and Simone Schwarz‑Bart’s novels. Together artists and writers from the Caribbean diaspora, such as Haitian Louis‑Philippe Dalembert1 in his latest novel to date, can work against stereotyping and decline the representation of the “Other”, and moreover put the Jew next to the Black victim of Europe’s History.

2 Finally, focusing on the dense intertextual network which has been so characteristic of the postcolonial literary agenda, I find that the English‑speaking sources (e.g. Shakespeare) or world literature classics (e.g. Anne Frank’s Journal are privileged over other, less famous works which the author himself might keep hidden. Indeed, Phillips may very well have been inspired by forgotten authors like André Schwarz‑Bart (see Gyssels 2011).

3 In an article published in the French journal Diogène, the Guadeloupian novelist and critic Maryse Condé praises Phillips’ novels for their extension and expansion of the Caribbean imagination and diasporic. The French‑speaking Caribbean is overwhelmingly positive about the ways in which the English‑speaking author born in St. Kitts (West Indies) indeed manages to stage in a triptych racism against Blacks (through a rewrite of Othello), the persecution of Jews in Medieval times in Italy (where the first ghetto was ‘founded’) and the survival narrative of Eva Stern, whom we recognize easily as the rewrite of Anne Frank’s Journal.

4 While Condé’s praise is justified, one wonders why she does not mention two authors who not only have precisely done that from the outset, but who have moreover directly inspired her for one of own novels. Indeed her neighbours who live in Guadeloupe have moreover inspired her clearly for her novel I, Tituba, Black Witch of Salem in which she stages a Jewish husband to the Black witch Tituba (see Gyssels 2001). In other words, there is some bad faith in not recognizing A Woman Named Solitude (La Mulâtresse Solitude, 1972) and even “en amont” The Last of the Just (Le Dernier des Justes, 1959) as masterpieces of entangled histories of depravation and dispossession, of marranisme (the conversion of Jews) and marooning (the fugitive slave who esapes the plantation) (See Gyssels 2014). The hypothesis arises: Why to obscure a fellow author such as André SchwarzBart who wrote both on and about Shoah as well as on and about issues related to transatlantic slave trade and colonial oppression worldwide?

5 In most of his novels, indeed, Phillips interweaves time and space areas, in order to invite the reader to realize convergences in histories of displacement, discrimination and dislocation. In the latter’s third novel, for instance, Higher Ground, published in 1989, three stories were similarly interwoven. In the first, a young West‑African is haunted by the shadow of slavery; in the second, an African‑American fights to survive solitary confinement without sacrificing his integrity; in the third, a Polish refugee struggles to ward off the increasing isolation of a life in exile. This refugee, Irina, is haunted by Holocaust memories. While the author never clarifies whether this character is Jewish (likewise Louise Duployé in Un plat de porc aux bananes vertes, the second and co‑signed novel by André and Simone Schwarz‑Bart, haunted by the same trauma, see Gyssels 2011), she hungers for words but cannot find relief from childhood recollections which seem to be extrememely traumatic. While Condé’s praise is totally legitimated, one could wonder however why she does not mention other

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writers, closer to her, such as Simone Schwarz‑Bart. This silencing of French‑Caribbean voices raises questions about a deliberate occultation and obliteration of French‑Jewish Caribbean voices in the global postcolonial landscape. One could exactly argue that Edouard Glissant and his followers, the créolistes (Chamoiseau and Confiant), while pretending to theorize the creolisation in the Caribbean and more specifically Martinican and Guadeloupean societies, pass over the indeed minor presence of Jews on the Lesser (as well as Great) Antilles. While Jewish migration to the Caribbean is a historical fact, reaching peaks in the aftermath of the colonial conquest (1492, the catholic kings Ferdinand and Isabella forbidding Jews in the Iberian peninsula, and as well as after WWII), authors with a mixed background, such as Michelle Cliff (Jamaica), Ruth Behar (Cuba), André Schwarz‑Bart (Metz, Paris, Guadeloupe), but also Caryl Phillips (Sint Kitts, New York) himself who belatedly claimed Jewish ancestry, have apparently decided to have the label “Caribbean” dominate the other identity markers2.

6 Referring to Condé, we can rejoice in her legitimate praise of Caryl Phillips on the one hand, but problematize her obscuring of the novels by André and Simone Schwarz‑Bart, on the other. The same double standard is to be observed for Patrick Chamoiseau and Edouard Glissant. No doubt Condé as well as Phillips are familiar with earlier novels stemming from Caribbean and “adopted” voices which have precisely lifted the question of the African diaspora on a higher level, that of the universal displacement of people throughout History.

7 Nevertheless, The Nature of Blood encountered a rather bleak interest and success in a country like France, so loaden with Holocaust literature which since the late 1980’s, has seen a real boom. Can we trace back the relative triumph of a book to the media and the subsidiary factors such as the lush dust jacket of the original and subsequent editions of a cultural product styled and merchandised in global world in which moreover the book suffers from a certain neglect?

What Cover Illustrations (Also) Do

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La nature humaine, Caryl Phillips

Couverture de la version publiée en 1999, dans la collection Bibliothèque étrangère © Mercure de France, 1999

8 In Packaging Post/Coloniality, Richard Watts examines the importance of Prefaces and blurb texts, of cover illustrations and dust jackets in the field of postcolonial literature in French. Personally I have always been surprised how in that respect traditions diverge between Francophone and Anglophone literature and the respective translation of novels labelled Francophone or “domaine étranger” (see Gallimard’s collection), rarely “postcolonial” since this is considered in France and Francophone circles a debatable term. To make things even more complex, while huge bookshops classify neatly authors from in and outside the “metropole”, originating or not in the colonies, a sub‑category of novels dealing with the Holocaust has not (or very sporadically) been “invented”. There’s a lot to say about the resistance to label books of fiction or semi‑fiction as Holocaust literature, on the one hand, and the inflation of books dealing with colonial violence, genocidal practices in Empires, on the other. Yet the author I would like to present here “houses” in more than one “pigeonhole”.

9 In this regard, it is interesting to see that the whole industry around the book and its promotion slightly tended to diverge at least before the 21st Century between France (the European Continent) and America. Whenever I’m in the States, I regard with pleasure the enormous Barnes & Noble bookshelves and the way in which they and other booksellers display their core business: the book. The object is beautifully displayed and the colourful covers of books with their “commentaries” taken from renown authors, critics, newspapers convince the reader to grasp it. In the French and Francophone world, a book (fiction or essay, poetry or theatre) is more soberly presented to the potential reader; take Gallimard and Seuil, two of France’s most prestigious editing houses, which sticked to white neutral covers, until very recently

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they started to colour their covers. On the contrary, a small editing house such as Actes Sud (founded by the Belgian François Nyssen) in the South of France always attached attention to the aesthetics of the paper, print, fond and jacket and has boosted the last year an impressive number of Haitian (Lyonel Trouillot) and American (translated into French, such as Russell Banks and Madison Smartt Bell3) in the catalogue.

10 We are living in an age where idea and image are closely intertwined, and where interpretation is instantly triggered by the dust jacket of a book, the way it is merchandised and packed in the bookstore, the publicity around it on Internet and other media. Needless to say, our expectations (“horizon d’attente” as Jauss put it) are very often guided by the iconic and the visual. We also know that authors do not always have or even want to have their say in the choice of cover illustrations for their own books. This attitude and consequently surprises can lead to some astonishment: when Caryl Phillips presented A Distant Shore in Liège (2004), making fun on the cover illustration that he did not at all appreciate (a young black boy stares from behind a wooden fence). Yet the impact of the cover illustration in general, and especially in the field of postcolonial literatures, cannot be overestimated: it veers between extremes, conveying an exotic flavour to the book, creating certain expectations concerning content of the narrative, or – by contrast – subverting them. In any case, it always guides our reading activity, wilfully or not. A good example in this regard is precisely the aforementioned novel Moi, Tituba, sorcière noire de Salem (1987) by Maryse Condé: from a rather loosely drawing of the Salem witch to the beautiful “Portrait d’une négresse” (a painting in the Louvre), to the English translation (done by Richard Philcox, her husband), the different illustrations became at one more artistic and appealing (see Manzor‑Coats 1993).

11 Most potential readers are tempted by beautiful, colourful, and very often tropicalized pictures on the cover. A whole new generation of books has been published since the late 80ies. Convinced of the impact of the iconic, traditional publishing houses now launch fully illustrated books (sometimes accompanied by an author picture on the dust jacket). Editors are clearly encouraged to do go beyond just mentioning the title and the author’s name, providing an entire visual framework instead. As a comparatist, I wanted to work on the French translation of The Nature of Blood and discovered it was difficult to find it in France. I went to the Librairie de l’Harmattan, where they were not aware of the novel, and had no clue about a French translation of The Nature of Blood. Indeed, it barely received press coverage in France: only a few reviews have been published. I was surprised to discover that this important French bookshop specialized in Caribbean and African‑American literature had a single, non‑catalogue copy of La Nature humaine. On its cover, there was the French title set next to a small picture. This specific imprint partly serves as an explanation, featuring as it does a highly recognizable black‑and‑white image of the railway track leading to Auschwitz. The cover illustration invites readers and potential buyers to consider it (yet another) Holocaust‑novel. Indeed, two out of the three juxtaposed narrative threads deal with the : the first one tackles the centuries‑old origins of European anti‑Semitism through the topic of Judaism in Venice, the second is a rewrite of the most famous testimony to the steady destruction of European Jewry in the thirties, namely Anne Frank’s Journal. Lastly, the third revisits Othello and The Merchant of Venice (both Shakespearian masterpieces). The latter play, famously depicting a Jew, could be situated around the same time as the Portobuffole tragedy in the 15th century Venetian

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Republic. In The Nature of Blood, the first‑person narrator – whom the intertextually‑oriented reader can easily identify when Othello speaks his first words – surprises the modern‑day reader by evoking his “language‑teacher” (p. 121). “Rude am I in speech”: The Nature of Blood clearly confirms the high or dense intertextuality so characteristic of the best postcolonial writing today. Retaining the attention of several postcolonial authors, specifically from the Caribbean, Shakespeare’s Caliban figures keep on making their appearance (The Tempest). Disregarding the interlaced narratives and the multifaceted story, so typical of all of Phillips’s novels, like Higher Ground. A Novel in Three Parts (1989), the French version (“La nature humaine”) accentuates the post‑Shoah section at the expense of the other narratives (each set in a different time and space). Consequently its rare Francophone readership has indeed perceived La Nature humaine as ‘just’ another Holocaust novel: for exemple, Lili Braniste tellingly titled her review for the French magazine Lire “Le cauchemar d’Eva Stern” (February 1999). Similarly, in a more thorough review for Africultures4, Taina Tervonen stressed the link between the three stories, labelling it another novel about “Jewish identity”. These interpretations partly miss the point (as well as the argument Caryl Phillips wants to make), but, tellingly, derive from what the cover image suggests.

12 However, a second element makes that connexion: the novel’s French title, La Nature humaine5, rings a bell to another iconic post‑Shoah testimony, namely L’Espèce humaine, published by the fighter Robert Antelme, Marguerite Duras’ partner. While Antelme relates his own months in the concentration camp (like Primo Levi’s and Elie Wiesel) through a highly personal and therefore factual, autobiographical account under the Nazi regime, the Black Atlantic writer (as Alan Rice calls him in an 2012 interview for Atlantic Studies) blends in a kind of patchwork Black and Jewish ordeals and stresses the inhumanity suffered by both communities and groups. A dreadful repetition of catastrophes across time and space seems moreover to harm and haunt both groups. In different times and places, humankind has committed massacres, struggled for power, and much worse – in short: it has sadly focused on the extermination of an “enemy”. Gentiles kill Jews, whites kill blacks, and, as Amin Maalouf clearly emphasizes in Identités meurtrières (1993), these kinds of collective destructions can surface and occur in every “society”. They can take root in any civilization in any country, given that certain identity politics are taken to extremes, inciting intolerance against everyone who does not fit the definition, be it in terms of religion, ethnicity, geographic origin, nationality, gender or language, among many other markers.

13 Extreme, ineffable, unthinkable situations, such as the Shoah genocides, and their “inhumanity” are also evoked in another canonical example, namely the testimonies of camp survivors.

14 We should stress once more the displacement instigated by the cover illustration of The Nature of Blood, which obliterates the dense cross‑cultural and trans‑Atlantic texture of its three narratives. The Dutch version, for instance, is firmly in line with the original English cover illustration, featuring a Venetian bridge6, which inevitably directs us towards Venice (and indeed the novel is mentioned on websites with telling titles such as “Fiction in Venice”). Needless to say, and as the scope of this article would bring me too far, the Dutch translation of Phillips’ novels, is far from perfect but has not, contrary to the French “réception mitigée” weakened his fame or rename. Apart from some severe reviews, notably on Phillips’ montage technique and the archaic

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language difficult, if not untranslatable, De aard van het bloed (the reference to ‘blood’ has been maintained) has nevertheless renewed the interest for the author of Cambridge and Crossing the River in the Netherlands7.

Mis/reading

15 Because of this dissemination of signs, the title and its cover illustration undermine the narrative’s broader, post‑Shoah and post‑Atlantic dimension; the disruptive nature and, most importantly, its “raceless” aim, risk to be completely disregarded and the author’s view on the matter gets distorted. Mixing different stories by different narrators (belonging to different nationalities, ethnicities, religious groups and so on) and thereby no longer restraining fiction to the “places of origin”8, Caryl Phillips places himself in the lineage of other writers who adopted a similar approach (such as William Styron’s Confessions of Nat Turner and Sophie’s Choice, of Gary Victor, of John Edgar Wideman9, who shares with Phillips many commonalities in terms of scope and shape of the postcolonial novel (BOMB interview from the Fall issue 1994). Language barriers and margins between disciplines also add to the dissimulation of some of the other intertextual patterns between English and French‑Caribbean texts as well as by fictions of any of the multilingual archipelago dealing with places of departure for both Blacks and Jews, such as the African shores (Gorée and the slave quarters re/visited by Ellen Ombre, from Suriname, and Caryl Phillips, see Gyssels 2003). These sources are rarely foregrounded in the “knotting” of memories in Phillips’ narratives. In that regard, I would like to recall André Schwarz‑Bart, who died on September 30th 2006. André Schwarz‑Bart has been erased in both Caribbean canon‑formations and Shoah anthologies, which is a sad obliteration indeed. The author himself reacted to the vitriolic criticism and accusations of plagiarism by giving up on writing. Various misreadings and accusations of playarism of André Schwarz‑Bart’s novel The Last of the Just (1958, translated 1961) ensued, because the author’s stroke of genius was to transmute the very act of reading into a spiritual moment of recollection and memory, of “prière d’insérer”. To illustrate this, I would like to take a closer look at the very ending of The Last of the Just (Le Dernier des Justes), a novel which knots memories of both Black and Jewish oppression, slavery, and mass deportation and destruction for the Jews. In this particular passage, the narrator evokes the fact that Jews never had slaves nor armies, and never committed “prosélytism” (it is the zeal to convert non‑believers to their faith): The Jews (who for two thousand years did not bear arms and who never had either missionary empires or colored slaves) had traced in letters of blood on the earth’s hard crust – that old love poem unfurled in the gas chamber, enveloped it, vanquished its somber, abysmal snickering: “SHEMA YISRAEL ADONOI ELOHENU ADONOI ET’OTH…” (Last of the Just, p. 37310).

16 The “knot of memory” of the involvement of Jews in the Black Atlantic and even earlier enslavement of Africans is rejected (although historians had proven that Jews have had played a minor role in the Black Atlantic and especially in Surinam, owners of slaves were of Jewish origin). The same articulation or interferences between Black and Jewish Diaspora is also enhanced through the evocation of a place which has resonances in the Black as well as Jewish community. For instance, in Nature of Blood, Othello is send away to the island of Cyprus which knots to the more “modern” timeline or narrative setting of the camp survivor Eva Stern, kept in a transit camp

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before she will finally try to restart her life in England. Earlier examples of this unsettling and powerful knotting are given in A Woman Named Solitude where the Epilogue conjuncts a historical place like Matouba, a hillside in Guadeloupe were the last maroons resisting the French re‑establishment of slavery in 1804, a non‑lieu de mémoire, are connected to the Warsaw Ghetto (where at the time of the novel’s publication, 1972, there was no memorial). For those authors, fiction fills in the need of memory places to heal the wounds and to commemorate the lost ones (see Alan Rice interview with Phillips 2012).

17 To come back to the final pages of The Last of the Just, the author subtle uses another metaphor of the wandering Jew whom is called in German and in Yiddish popular culture and folklore the “Luftmensch”. Yet the definition of the word is dismantled as the narrator obliges the reader to think in terms of différance (Derrida). The destruction of six millions of “Ernie Lévy’s” (referring to the protagonist’s name) literally has changed them into Luft. Moreover, the narrator left the words “Luftmensch” and “Luft” in the language of the enemy (echoing Celan for that). Thereby he makes a bold statement of the limits of language, of narration, of fiction even facing the Holocaust: And so it was for millions, who turned from Luftmenschen into Luft. I shall not translate. [ …] The only pilgrimage, estimable reader, would be to look with sadness at a stormy sky now and then. (Last of the Just, p. 37411)

18 He then concludes the very long saga by expressing the hope that someday, some time, he and the reader will feel a kind of “presence”, invisible, yet unmistakably there: Yes, at times one’s heart could break in sorrow. But often too, preferably in the evening, I can’t help thinking that Ernie Levy, dead six million times, is still alive somewhere. I don’t know where…Yesterday, as I stood in the street trembling in despair, rooted on the spot, a drop of pity fell from above upon my face. But there was no breeze in the air, no cloud in the sky…There was only a presence. (Last of the Just, p. 37412)

19 In this passage, reading becomes an act of Remembrance and the craft of memory changes the book in a “lieu de mémoire”. Given the accent on total innocence of the Jews (and comparing them indirectly to other groups of people), the narrator nevertheless touched upon a critical debate: the involvement of the Jews in the slave trade and the participation in the settlement of Caribbean colonies.

20 In The Holocaust and the Literary Imagination, Langer chastises the author for ending his novel on this “awful” paragraph. In his view, the last lines prove Schwarz‑Bart’s alleged sentimentalism and bad taste, according to Langer with whom, needless to say, I disagree totally: The novel should properly have ended here (the cacophony of fact into the antiphony), leaving the imagination of the reader‑survivor with the responsibility of struggling toward a point of view; but Schwarz‑Bart unaccountably – and unfortunately, I believe, for the aesthetic impact of the novel – felt compelled to add one more brief paragraph, in which he introduces the narrative voice, a projection of his own person, thinking that “Ernie Lévy, dead six million times, is still alive somewhere, I don’t know where…”, while a drop of pity falls from above and a “presence” seems to add a grain of consolation to his trembling despair. Such sentimentalism must be regarded as a lapse in artistic taste unless we explain it – and such irony would be consistent with the previous tone of the novel – as a last, compassionate tribute to the human imagination’s need to invent an echo in a universe that has passed into the chaos of moral silence. (Langer, p. 264) (my italics)

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21 Exactly the same compassion characterizes the endings of Phillips’ novels that deal with the Atlantic slave trade (Crossing the River), the deterritorialization of Westerners in the West Indies (Cambridge), and the intertwined nature of racism and anti‑Semitism (The Nature of Blood). This double occupancy, as it were, has repeatedly come under attack. Hilary Mantel, among others, opposes this kind of juxtaposition in her article “My Holocaust is not your Holocaust”. But the main reason why finally Phillips on French ground encounters more resistance than in Anglophone circles is the fraught relation between post‑Shoah studies on one hand and post‑colonial studies on the other. In a special number of Yale French Studies, Michael Rothberg had rightfully argued: Les lieux de mémoire’s amnesiac relation to French colonial history and to the impact of decolonization and postcolonial migrations is startling ‑ even more so when we consider Nora’s personal engagement during the Algerian War of Independence and his devastating book on French Algerians. […] recently […] progressive French critics, […] thinkers and writers such as Aimé Césaire, Frantz Fanon, Léopold Sédar Senghor, and, more recently, Maryse Condé and Édouard Glissant [have started to intertwine both ‘memories’]. (Rothberg 2010, pp. 6‑7)

22 While Schwarz‑Bart has motivated his Caribbean Jewishness multiple times to legitimize his “mansuétude” towards other minorities (also Algerians and even the hunchbacks appear in Last of the Just, the physically and mentally week individuals in community, the child and even unborn child, see Gyssels 2009), it is his double take and appropriation of voice (a white male author stealing as it were the voice of a mulatto slave whose “slave narrative” we even don’t possess in the historical record) which remains to many (conservative) critics a bridge too far. The dual enterprise, the solidarity from a Jew to the victims of slavery and colonialism in the West Indies has been misunderstood or barely appreciated in French circles. In one of his rare interviews, he avowed to write both for Jews and blacks in the diaspora (Kanters 1967), drawing on Emmanuel Levinas and Martin Büber, two rabbinic philosophers of utmost importance, the French speaking Polish author who abandoned traditional belief and custom but practices Judaism as a cultural identity (in line with Derrida, Memmi, and Cixous) is revolted by the idea that one should limit his or her work of creative imagination and historiographic metafiction to his or her own “group”13.

Raceless Novels

23 Borrowing a term coined by Meyers, namely “raceless novels”14, I would like to visualize (make visible) those writers who take on the same difficult task of unveiling intertwined stories and multiple genealogies. Like Phillips, who has been affected by places like Amsterdam and Venice (see his European Tribe), other postcolonial writers (Wilson Harris from Guyana15) cross boundaries and issue a global warning against the intolerance and discrimination evoked by theories of purity and faith, origin and diaspora. • A delicate intertextual interplay is at work here, conscious or unconscious borrowings from different canonized and less well known authors being interwoven in the dense narrative. Morrison and writers like André Schwarz‑Bart come to mind in several passages, but this interpretation is of course entirely mine. In the same way African American novelist John Edgar Wideman clearly modelled some of his minor characters on those of the first

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novel written by André Schwarz‑Bart. Indeed, in “Hostages”, Wideman seems to have borrowed at least some of the elements from André Schwarz‑Bart’s gift of portrayal, yet he has only vaguely referred to “a French novel” in some interviews. He and other famous writers (Garcia‑Marquez, Maryse Condé, Patrick Chamoiseau) have in other words kept hidden the debt they have towards The Last of the Just (see Gyssels 2008 and 2014). • Consider for instance Phillips’ daring representation of the extermination of Jews in the gas chambers, which rivals with the transgressive and therefore severely criticized by some of the most important scholars of Holocaust literature (Langer 1975). When he evokes the transformation of bodies into ashes, the very quick and hasty “procedure”, he comes close to André Schwarz‑Bart’s last chapter in the last Book, entitled “Jamais Plus”. Here goes the passage from The Nature of Blood: The process of gassing takes place in the following manner. The helpless victims are brought into a reception hall where they are instructed to undress […] In order to maintain the illusion that they are going to shower, a group of men dressed in white coats issue each person with a small bar of soap and a towel. The victims are then ushered into the gas chamber [… ] After only three minutes, every single inhabitant in the chamber is dead […]. The chamber is then opened and aired […]. After five minutes […] new men appear – prisoners – who cart the bodies […] to the furnace rooms… They burn rapidly. […] The ash is white and is easily scattered. (pp. 177‑178)

24 The Last of the Just features the same distant narration, yet ingrained with the unspeakable sadness of the third narrator who loses control of the narration and confess such a narrative is too unbearable. Where Schwarz‑Bart masterfully translates the breakdown of the voice, as Sidra De Koven has observed (De Koven 1980, pp. 131‑133), Phillips’ evocation of the Portobuffole slaughter is narrated by a placidly emotionless persona distancing the witness from the victims: The condemned were attached by means of a long chain to iron stakes on the scaffolding, and then the torch holders lit their torches and immediately ignited the woodpiles. […] In the docks in front of the two columns, the gondolas held scores of wealthy people who visited to enjoy the scene from the water16. As the blaze consumed flesh and blood, the spectators, on both land and water, were deeply moved by the power of the Christian faith and its official Venetian guardians. (p. 155)

25 What happens is twofold: he obviously rewrites Anne Frank’s Journal, keeping the sister’s name (Margot) and making up the family name, focusing on the Jewish “icon” (the yellow star on people’s clothes). But the novelist also rethinks the outcome: Anne Frank dies, Eva survives – who is luckiest? This is quite a relevant question, as the “rescapée” is overcome with guilt and desperation, even exhibiting suicidal behavior. Further on, Phillips turns Othello into a predecessor of Louis Armstrong and other African‑American jazzmen who sacrificed everything to serve white people and thereby prove the virtue of the black “race”. In his monologue, this Shakespearian Othello, seen through the eyes of the postcolonial rewriter, is speaking in “anticipation”: And so you shadow her every move, attend to her every whim, like the black Uncle Tom that you are. Fighting the white man’s war for him/Wide‑receiver in the Venetian army/The republic’s grinning Satchmo hoisting his sword like a trumpet (inversion)/you tuck your black skin away beneath your epauletted uniform, appropriate their words (Rude am I in speech), their manners, worry your nappy

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woollen head with anxiety about learning their ways, yet you conveniently forget your own family, and […] (p. 181) • Western historiography and fiction, which “narrates one thing in order to tell something else” (Certeau, quoted by Gurleen Grewal in Cercles of Sorrow, Lines of Struggle 1998), are turned upside‑down in those moving stories. The trauma of history and the need to remember the “blanks” in Western historiography have instigated a whole new way of writing, moreover often transculturally and transnational in scape (LaCapra 2000). The singular space occupied by Caryl Phillips’ works in the landscape of historiographic metafiction in the African diaspora is related to his unveiling of silenced male and female characters who have been disappearing in the cracks of History and Historiography. Likewise, Cambridge and Crossing the River, by contrast, have problematized both the presence and the role of white and black characters, male and female, as well as Black and Jew ‑ a redistribution of roles Francophone Caribbean novelists have not undertaken in such depth nor scale, with the notable exception of the Schwarz‑Bart17.

26 All of Phillips’ novels concern the marginalization imposed on the Other, the impossibility to escape neither this dehumanizing process nor its origins, the long‑lasting influence of slavery and colonization upon the minds of both colonizer and colonized, the ongoing “expectations” (not “high expectations”, Peter Carey) and stereotypes produced on both sides, and, again, the inhospitality of those who invade the Other’s territory. Those boundary crossings are at the core of each novel and it is Phillips’ merit to continually expand these categories of exclusion and inclusion: to show for instance in The Nature of Blood that Jews suffered from the same barbarism, totalitarianism (the inescapable presence of the terrifying and oppressive “master”) and discrimination as the blacks did in the “Plantation universe” (Glissant) or even had to endure from some high‑ranking black officers in the army of the Republic in 15th century Venice (as in Othello), which in turn bears resemblance to the situation of the “belated” migrants in Britain and France in the last decennia of our present‑day history. Though Phillips was not the first to do this (the Jewish and Guadeloupian authors André and Simone Schwarz‑Bart, the author of The Souls of Black Folk18, and many more preceded him), Phillips revitalized the whole conflict of domination based on ethnicity and “strangeness” by juxtaposing different epochs and different places, always in a surprising, original way.

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WATTS Richard, 2005, Packaging Post/Coloniality: The Manufacture of Literary Identity in the Francophone World, Lanham, MD: Lexington Books.

NOTES

1. In Avant que les ombres s’effacent (Before the Shadows Vanish, Paris, Éd. Sabine Wespieser, 2017), the author of Rue du Faubourg Saint‑Denis (Monaco, Éd. Du Rocher, 2005) once more intertwines Black and Jewish issues, through the story of a Polish Holocaust survivor who works as a physician in the hospitals of Port‑au‑Prince, after the earthquake of 2010 destroyed the capital and neighbouring bidonvilles. 2. I will not deal here with this important phenomenon. This can be explained by the fact that Jewish migration to the Caribbean was marginal and that this community chose to be almost invisible in mainstream artistic milieu. Assimilation and “whitening” favored the invisibility of the Jewish minority in the different Greater and Lesser Antilles. A gradual process of obliterating the Jewish presence in Caribbean literature in post‑Auschwitz times occurred. 3. I dealt with the works of these authors, especially Madison S MARTT‑BELL’s Haitian trilogy in Passes et impasses dans le comparatisme postcolonial caribéen. Cinq traverses, Paris, Champion, 2010. 4. http://www.africultures.com/index.asp?menu=revue_affiche_article&no=977 5. This is also the title of an essay by Winnicott DONALD (1990). 6. Particularly for the Dutch audience, De aard van het bloed (translated by René Kurpershoek, Bezige Bij) could just as well have been illustrated by a reference to Amsterdam’s most famous Jewish museum, Anne Frank’s house which Phillips visited during a trip to the Netherlands (The European Tribe, 1987). See also Craps 2008. 7. Il Ponte dei sospiri, the Venetian bridge where Casanova was allegedly imprisoned and where travellers often heard his famous sighing. This is the picture of the original

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edition of the novel, while subsequent reeditions had other pictures evocative of Venice or even Greek classic art. However, as just one “picture” has been selected to illustrate The Nature of Blood/De aard van het bloed, it is clear that the narrative’s fragmented structure is effectively erased by these cover illustrations, which single out the link to Shakespeare’s Merchant of Venice or/and Othello. 8. A Distant Shore mainly takes place in England and an unspecified African country: set outside the Caribbean, it appears to have less (if anything) to do with the Caribbean or Caribbeanness ‑ a word still to be invented. Except for a bus driver whom Solomon is believed to recognize as a West Indian, A Distant Shore is therefore reviewed in The Times Literary Review as dealing principally with “marginal identity”. This rather simplistic statement fails to do justice to the estranging quality of all of Phillips’ novels, which characteristically cover large stretches of history (no less than 250 years in Crossing the River) and multiple places of exile and migration. I regret to say that the rather bad Dutch translations of this novel harms the author’s reputation in the Low Countries. As the author himself cannot judge of the slippages and regretful confusing sentences, he has to rely on the material “outside” of the translated versions, and those are absolutely beautiful with De Bezige Bij (Amsterdam). Significantly, this and other novels have been reviewed in the Dutch press as proof of the author’s getting a bit above himself (“zich vertillen aan”: “to get above yourself”). For instance, Vincent Gert‑Jan judges severely: “Caryl Phillips vertilt zich aan Othello”, Trouw 13/06/97, http://www.trouw.nl/tr/nl/4512/Cultuur/article/detail/ 2639208/1997/06/13/Caryl-Phillips-vertilt-zich-aan-Othello.dhtml. (accessed March 14, 2016). 9. Phillips portrays his fellow writer as someone who “knots the memories” (to use Michael Rothberg’s phrase, YFS 118‑119 (2010): pp. 6‑7) through the evocation of an African American jazz player (female) who saved a young Jewish boy in the camps and who will meet much later in Florida: “Some years ago, the French critic, Michel Fabre, wrote, ‘John Edgar Wideman is one of the few novelists who emerged in the Black Power era without sacrificing the demands of art to the persuasions of radical militancy. Possibly as a result of his commitment to his craft, his sizeable fictional production has attracted increasing attention and he is now considered as one of the best American writers of the younger generation’. This observation needs updating. John Wideman is not one of the best American writers of the younger generation, he is one of the best American writers of any generation. His work is not limited by traditional conventions of storytelling. His narrative is, and John will love this word, post‑Joycean, his sensibility often Faulknerian. He is a consummate ventriloquist, able to appropriate the voice of a murdered baby with the same facility with which he speaks from the point of view of a child, or an American Jazz singer in a Nazi death camp. The prose is elliptical and dense, but always elegant and, at its best, it hits us with the force of prayer — or perhaps more appropriately — gospel”. (BOMB, Fall 1994) 10. « Les Juifs – qui depuis deux mille ans ne portaient pas l’épée et n’eurent jamais ni royaumes de mission ni esclaves de couleur – [traçaient] le vieux poème d’amour en lettres de sang sur la dure écorce terrestre déferla dans la chambre à gaz, l’investit, en domina le sombre ricanement abyssal: “SHEMA YISRAEL ADONOI ELOHENU ADONOI ET’OTH…” » (Le Dernier des Justes, p. 345)

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11. « Il en fut ainsi de millions, qui passèrent de l’état de Luftmensch à celui de Luft. Je ne traduirai pas. […] Le seul pèlerinage serait, estimable lecteur, de regarder parfois un ciel d’orage avec mélancolie. » (Le Dernier des Justes, p. 377) (italics in the original) 12. « Parfois, il est vrai, le cœur veut crever de chagrin. Mais souvent aussi, le soir de préférence, je ne puis que m’empêcher de penser qu’Ernie Lévy, mort six millions de fois, est encore vivant, quelque part. Je ne sais où… Hier, comme je tremblais de désespoir au milieu de la rue, cloué au sol, une goutte de pitié tomba d’en haut sur mon visage, mais il n’y avait nul souffle dans l’air, aucun nuage dans le ciel… Il n’y avait qu’une présence. » (Le Dernier des Justes, p. 377‑378) 13. This was precisely the unreliable factor for Schwarz‑Bart who, like so many assimilated French Jews, still remained Jew and Polish and Yiddish speaking, etc. André Schwarz‑Bart would go further and write together with his Guadeloupian wife, Simone Schwarz‑Bart. Together they created upsetting diary‑like stories by some Martiniquan old lady who is starving in a Parisian retirement home that bears a conspicuous resemblance to the concentration camps, and which both writers dedicate to Elie WIESEL (La Nuit, 1957, published a year earlier than Le Dernier des Justes) and Aimé CÉSAIRE. His Dernier des Justes, which won the Goncourt prize in 1959, very much to his own surprise as Seuil has downplayed several previous versions and made him even change his name to fit better the French readership’s expectations. Famous “imitators” such as Yambo OUOLOGUEM, Le Devoir de violence, the Malinese author having heard from les Editions du Seuil that he could improve his manuscript by reading the 1959 Goncourt prize. Magical realist writers such as GARCIA MARQUEZ also borrowed from this masterpiece (Menton 1999, Gyssels 2014). 14. Adam MEYER, “The Need for Cross‑Ethnic Studies: A Manifesto (With Antipasto)”, MELUS 16.4 (1989‑1990): 19‑39. 15. In a similar vein, Wilson H ARRIS’ Jonestown echoes The Nature of Blood in that the catastrophe of Reverend Jones is repeating ancient genocides in old Indian civilizations, simultaneously recalling Auschwitz, with fire and ashes representing another common metaphor and instrument of total destruction. Martiniquan novelist Edouard GLISSANT links the traumatic experience of the concentration camps to the Middle Passage and other human catastrophes in his essays (Gyssels 2013). The result is less convincing, as ambiguity and opacity play hide and seek with the reader who cannot decide on the author’s opinion in delicate matters. See his Faulkner, Mississippi, or his Mémoire des esclavages (1996), and Poetics of Relation (1990, English translation 1997), in particular page 20, discussed in Gyssels 2014. 16. Same spectacle in Last of the Just (p. 8): “[The Just Mannasseh Levy] was obliged to undergo the Question Extraordinary which was not repeated – that being forbidden by the legislation […] The court records show him infected by the evil spirit of taciturnity. And therefore on May 7, 1279, before a gallery of some of the most beautiful women in London, he had to suffer the passion of the wafer by means of a Venetian dagger, thrice blessed and thrice plunged into his throat.” 17. Kathleen G YSSELS, Marrane et marronne : la co‑écriture réversible d’André et de Simone Schwarz‑Bart, Leyde, Brill, 2014. In the Anglo‑Caribbean literature, the Jew has been more recently introduced in fiction by Zadie SMITH and Andrea L EVY. In the posthumous novels published by his wife Simone Schwarz‑Bart, such as L’Etoile du matin (2009), translated by Julie Rose as Morning Star, André Schwarz‑Bart deals extensively

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with the traditional Jewish lives in the Polish shtetl before the Holocaust, as well as with the difficulties of a Holocaust survivor. At the same time, the fictional double of the author regrets the incomprehension met by his fellow Caribbean (read Martinican) authors as he was speaking and writing for their wounded community also. See Kathleen GYSSELS, “A Posthumous Novel and Two Diasporas”, in SWAN. Southern World Arts New, (October 16, 2015): http://southernworldartsnews.blogspot.be/search? q=gyssels 18. Racial awareness and the “international Jewish Question” became a medium in refiguring the Negro Question at Home for Black intellectuals like W. E. B. DuBois. Susan Gillman states in her Blood Talk both communities are jaunted by their nightmares. The connection between the Holocaust and Black History has been initiated by authors like DuBois (Susan GILLMAN. Blood Talk. American Race Melodrama and the Culture of the Occult. Chicago: Chicago UP, 2003).

ABSTRACTS

In this article, I examine the mitigated reception of The Novel of Blood when it appeared in French translation. Indeed, while The Nature of Blood encountered huge success in the anglophone world, Caryl Phillips’s sixth novel was translated into French as La nature humaine, and has a cover illustration also diverging significantly from the original one. A double shift consequently occurs, with significant repercussions for the reception of the novel. First of all, it reduces the novel being a further fiction on the Holocaust, an interpretation reinforced by the cover illustration which diverges from the original. Phillips has paid attention to merge the story of European antisemitism in another context, racism towards people of colour since the 15th century in Europe, more specifically in Venice, where the first ghetto was established.

Dans cet article, j’examine la réception mitigée, dans le monde francophone, du roman à succès The Nature of Blood de l’auteur anglo‑caribéen Caryl Phillips. Avec The Nature of Blood, l’auteur connaît outre‑Manche et dans le monde anglophone un succès fulgurant ; la traduction sous le titre La nature humaine, d’une part, l’illustration de couverture, de l’autre, opère un double glissement. Non seulement le roman est tiré unilatéralement vers la littérature des camps, la photo de la porte d’Auschwitz comme illustration de couverture renforce la classification du roman comme un (énième) récit (fictif) sur la Shoah, alors qu’il entretisse cette page noire de l’histoire européenne à une autre, celle du racisme à l’égard des Noirs dans l’Europe du XVIe siècle, notamment à Venise, où le premier ghetto vit le jour.

ריצקת : רמאמה ןחוב תא ותולבקתה תרשופה לש ןמורה ילגנאה ריתע החלצהה " עבט םדה " תאמ רפוסה ןמ םייאה םייביראקה לירק ספיליפ םלועב ינופוקנרפה . ןמורה הכז רומאכ החלצהל תררחסמ םלועב ינופולגנאה , םלואו ומוגרת יתפרצה תחת תרתוכה " עבט םדאה " דצמ דחא תנומתו הפיטעה ןמ דצה ינשה ומרג תוויעל םייוסמ ותשיפתב : תנומת רעש הסינכה ץיוושאל לע תפיטע רפסה תקזחמ תא ותשיפת דועכ ןמור יביטקיפ לע האושה , דועב ותימאלש לש רבד אוה רשקמ קרפ לפא הז הירוטסהב תישונאה קרפל רחא , הילפאל תינעזגה לש םירוחשה היצנווב האמב ה16-, םש םקוה וטגה ןושארה .

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INDEX

Mots-clés: Diaspora noire et juive, paratexte et réception biaisée, nœud de mémoire, marketing de la littérature postcoloniale, intertextualité et la politique illustrative, lieu de mémoire et nœud de mémoire

הלוג תידוהי , הרוחש ; הרפ - טסקט ; תולבקתה הפיקע ; קוויש תורפסה טסופה תולימ חתפמ :

תילאינולוק ; תוילאוטסקטרטניא תוינידמו ירוטיע םירפס ; רתא ןורכז . Keywords: Black and Jewish Diasporas, paratext and biaised reception, knot of memory, packaging postcolonial literature, intertextuality and the (mis)use of translations and illustrations, “lieu de mémoire” and noeud de mémoire (knot of memory)

AUTHOR

KATHLEEN GYSSELS Antwerpen University

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