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Photos © Librairie Le Feu Follet – Reproduction interdite – Tous droits réservés 1 Clément ADER Les Vérités sur l’utilisation de l’aviation militaire avant et pendant la guerre

Les Frères Douladoure | Toulouse 1919 | 14 x 22,5 cm | broché

Édition originale de cet ouvrage publié à afin de célébrer la remise de la Toulouse, berceau de l’aéronautique. cravate de commandeur de la Précieux et rare envoi autographe signé Légion d’honneur à Clément de Clément Ader à René Fonck, « l’As des Ader, le premier Français qui dès As » de l’aviation française qui compta- 1890 effectua des tentatives de bilisa le plus de victoires dans le ciel au vols sur ses prototypes baptisés cours de la Première Guerre Mondiale : « Éole » et « Zéphyr ». Cet ul- « À monsieur René Fonck membre du time hommage marqua l’apogée Comité de Direction de l’Aéro-Club. En de la carrière de ce génial inventeur dont père de l’aéronautique au héros militaire souvenir du 2 mars reconnaissant hom- l’armée française s’était pourtant détour- de l’aviation française et alliée René Fonck, mage. » née après la démonstration de décollage surnommé « l’As des As » pendant la Pre- Cette précieuse dédicace fut vraisembla- peu concluante de son Aquilon à Satory en mière Guerre mondiale avec à son actif blement rédigée le 2 mars 1922 à l’occa- 1897. soixante-quinze victoires homologuées. sion d’un banquet d’honneur organisé par Rare et agréable exemplaire enrichi d’un l’Aéro-Club de France, au Palais d’Orsay, exceptionnel envoi autographe signé du 3 500 + de photos

3 2 Anna AKHMATOVA Бег времени – Beg vremeni 1909-1965 [La Course du temps]

Sovetsky pisatel | Moscou & Léningrad 1965 | 14,5 x 13cm | reliure de l’éditeur

Édition originale dont il n’a pas été tiré de grands papiers. Reliure de l’éditeur en pleine toile grise, sans la jaquette illustrée d’un dessin de Modigliani.

Exceptionnel envoi autographe en russe signé et daté d’Anna Akhmatova sur la page de faux-titre : « À David Carver, encore un rappel des pins de Komarovo, Anna Akhmatova 23 février 1966 ».

Une discrète tache sur le premier plat, dos légèrement passé, sinon bel exemplaire. Anna Andreïevna Gorenko, dite Anna Akhmatova, est sans doute la plus grande poétesse russe et, au panthéon slave, se tient aux côtés de Pouchkine dont elle hé- rita la puissance évocatrice « par-dessus le temps, les écoles et les modes littéraires », mais également la renommée. Elle fut très tôt surnommée « l’âme de l’âge d’argent » en référence à « l’âme de l’âge d’or » qu’était Pouchkine. sonnement de son fils et sa propre dépor- Soviétique une partie de ses œuvres, dont tation, « l’icône de la souffrance russe » cette unique anthologie – amputée cepen- Admirée de l’écrivain Boris Pasternak, ai- refusa tout exil salvateur : dant du trop virulent . Ce fut une mée des poètes Alexandre Blok et Ossip « Non, ce n’est pas sous un ciel étranger, véritable mais tardive consécration natio- Mandelstam, muse des peintres Amedeo À l’abri des ailes étrangères que j’étais, nale pour la poétesse et la dernière œuvre Modigliani et Natan Altman, la « reine de Mais au milieu de mon peuple, publiée avant sa mort, en 1966. la Neva » ne composa pourtant que très Là où, pour son malheur, mon peuple « L’époque sévère peu d’ouvrages, la plupart avant 1922, [était. » m’a détournée comme un fleuve vers puisqu’elle fut ensuite interdite de publi- Elle surmonta l’interdiction d’écrire en dic- un autre lit. On m’a changé de vie. cation pendant plus de trente ans. Cen- tant ses poèmes à sa fidèle amie la poé- Voici qu’elle coule à présent ailleurs. surée, poursuivie, dénigrée par le pouvoir tesse Lydia Tchoukovskaïa, pour, comme Et je ne connais pas mes propres rives. » communiste, Akhmatova fut cependant l’écrira à sa mort son disciple Joseph profondément aimée et entendue par le Brodsky, « dot[er] de parole un monde En , où fut publié Requiem deux peuple russe dont elle partagea les heures sourd-muet ». Ce n’est qu’après la mort ans plus tôt à Berlin, Akhmatova fut dé- sombres et qui connaissait par cœur ses de Staline en 1953 que, progressivement, couverte en partie grâce à l’action du PEN vers. Malgré la mort de son mari, l’empri- Akhmatova put enfin faire éditer en Union Club. Cette association internationale

4 d’écrivains fondée en 1921 pour « rassem- En 1965, Carver invite Akhmatova à parti- à nouveau la spécificité de l’âme russe : bler des écrivains de tous pays attachés ciper à un colloque du PEN en Yougoslavie. « Les Français, écrit-elle, étaient abasour- aux valeurs de paix, de tolérance et de li- Mais la poétesse, très affaiblie, ne peut dis, des lettres écrites [à mon attention] berté sans lesquelles la création devient s’y rendre : « J’aimerais y aller, écrit-elle à par des marins et des bûcherons. Chez impossible » deviendra l’une des plus Tchoukovskaïa, le thème m’intéresse énor- eux, personne ne lit de poésie, à part une importantes organisations non gouverne- mément, « la Littérature et les lecteurs ». couche très mince de l’intelligentsia. Et là, mentales de défense de la libre circula- D’après les Européens eux-mêmes, il y a vous vous rendez compte, des marins et tion des hommes et des idées. Longtemps en Europe une crise de la littérature : on des bûcherons ! » cantonné à l’Occident, le PEN s’ouvre au l’aime moins, on s’en soucie moins, etc. Il La superbe dédicace qu’Akhmatova monde soviétique à partir des années 50, n’en va pas ainsi chez nous. Je leur aurais adresse à Carver, dix jours avant sa dispa- sous l’impulsion de David Carver. En pleine fait un exposé fondé sur des lettres de lec- rition, sur cette bien nommée « Course du guerre froide, le puissant secrétaire du teurs. En ce moment, chez nous, on aime temps » témoigne de la complicité unique PEN fait notamment élire à la présidence la poésie comme jamais on ne l’a aimée. nouée entre la lucide poétesse et l’idéa- du Club Arthur Miller pour ses bonnes Pour quelle raison, à votre avis ? Je pense liste secrétaire. Si l’on connait les multiples relations avec les soviétiques et organise que c’est parce que chez nous, elle tient voyages en URSS qu’accomplit Carver en avec la COMES (Communauté européenne lieu de tout. De religion, de politique, de vue de créer un PEN russe avec l’Union des écrivains) dont il est observateur, les conscience… De tout. Oui, oui, elle tient des Écrivains Soviétiques, on ne sait rien premières rencontres entre écrivains occi- lieu de tout. » en revanche de ses relations sur place avec dentaux et soviétiques. Akhmatova sera, Akhmatova, éphémère présidente de cette grâce à ce rapprochement inédit, le pre- Malgré son cœur fragile bientôt terrassé organisation d’État (dont elle avait pour- mier écrivain de l’Union Soviétique à être par la maladie, elle effectue toutefois un tant été jadis violemment exclue à cause célébré par un prix international en 1964, second et dernier voyage à Paris – plus de ses écrits). Il semble donc qu’elle ait ac- décerné par la COMES, après le prix Nobel de cinquante ans après son séjour avec cueillie Carver dans sa dernière résidence que Pasternak dut refuser en 1958. Modigliani. À son retour, elle soulignera de Komarovo. L’égérie des acméistes (ce mouvement poétique qui prône « l’unité indivisible de la Terre et de l’Homme ») partagea avec ce nouvel ami, l’acuité de son regard sur le monde, tout entier conte- nu dans les « reflets d’un ciel qui s’éteint » sur les murs d’une prison de Léningrad, ou dans ce « rappel des pins de Komarovo ». C’est dans le petit cimetière au pied de ces arbres que la poétesse sera inhumée. D’une grande rareté, les dédicaces d’Akh- matova, de surcroît à un occidental, portent la marque de la terrible épreuve du peuple Russe dont témoigne la « parole souveraine » de la poétesse.

Fidèle à cette lourde responsabilité, elle signe ici sans doute une de ces ultimes dé- dicaces à l’un des hommes qui contribua à sa reconnaissance internationale et auquel elle offre ce modeste recueil contenant – presque – toute son œuvre et enrichi du souvenir de l’imposante forêt russe dres- sée devant la mer. « Telle est ma vie, telle est ma biogra- phie. Qui donc irait dire non à sa propre vie ? » (Incipit de Requiem) 4 500 + de photos 5 AFFAIRE DREYFUS

3 Alexandre LEROUX Album photographique – Alger 1898, photographies prises durant l’émeute antisémite

Alger 1898 | 26 x 19,5 cm | relié

Très rare album contenant 47 photogra- gnant des émeutes antisémites, ayant eu juifs mis à sac, le convoi funéraire de Cay- phies en tirage d’époque sur papier- al lieu à Alger du 20 au 25 janvier 1898, à la rol et l’encadrement militaire des manifes- buminé, de formats divers (15 x 11 cm, suite notamment de l’Affaire Dreyfus, de tations (cavalerie, tirailleurs, etc.). 15,5 x 11 cm et 11x7,5cm). La plupart la nomination de l’ancien préfet Lépine Plusieurs photographies de cet album ont des photographies présentent l’indication en tant que gouverneur et du décret Cré- été utilisées pour illustrer l’article consacré « Phot. Leroux Alger » dans la plaque. mieux. aux émeutes publié dans le Monde illustré Chaque cliché, à l’exception des treize der- n°2132 du 5 février 1898. Le photographe, niers, est légendé en français au crayon « Du 20 au 25 janvier, la foule est maî- Alexandre Leroux, les transmit au journal de papier dans le coin inférieur droit de tresse des rues, artères et places de la qui les fit reproduire par le dessinateur l’album. Ces légendes, très précises car da- ville. L’inertie de la police permet aux an- Louis Tinayre. Il s’agit d’un album tout à tées et précisant même l’heure de chaque tisémites, parfois aidés des musulmans, de fait surprenant, Leroux étant essentielle- évènement, permettent de supposer qu’il procéder à une véritable chasse aux juifs ment connu pour ses panoramas et por- s’agit de l’exemplaire personnel du photo- (les « youpinades »), mettant à sac les ma- traits d’autochtones, il devient ici un vé- graphe. gasins, vandalisant les demeures, allumant ritable journaliste-reporter, mettant ses Reliure de l’époque en demi chagrin bor- des feux et frappant à coups de cannes ou talents photographiques au service de deaux à coins, dos lisse uniformément in- de jets de pierre tout passant supposé être l’information. solé hormis une petite zone où se trouvait juif. Alors que la tension est à son comble, Nous n’avons trouvé qu’un autre exem- une étiquette, doubles filets dorés sur les de nombreux affrontements opposent plaire de ce type d’album au Musée d’art plats de cartonnage vieux rose légèrement juifs et antijuifs, qui font des blessés et un et d’histoire du judaïsme (mahJ, Paris) décolorés et piqués, titre et date dorés sur mort, un Espagnol, Félix Cayrol qui a reçu dont les photographies sont légèrement le premier plat, gardes et contreplats de un coup de poignard d’un juif. » (Catherine différentes. papier peigné. Quelques frottements au Bruant, La Valise en carton ou les deux niveau des coins et des mors. exils du père, 2016) L’album que nous pro- 6 000 Rare reportage photographique témoi- posons montre justement les commerces + de photos 6 7 4 Gabriele d’ANNUNZIO La Beffa di Buccari

Fratelli Treves editori | Milano 1918 | 11 x 16,5 cm | broché

Édition originale pour laquelle il n’a pas été « tête d’ivoire » mais aussi tiré de grands papiers. de l’Amazone durant plus de Petits manques marginaux en tête du pre- cinquante ans. mier plat, une claire décharge de papier adhésif en pied de la première garde. En 1909, Natalie Clif- Exemplaire complet du fac-similé en fin de ford-Barney acquiert le volume. Temple de l’Amitié au n°20 de la rue Jacob et y installe Précieux envoi autographe signé de son salon littéraire qui se tiendra tous les Truman Capote, Françoise Sagan, Margue- Gabriele d’Annunzio à Natalie Clif- vendredis et accueillera les plus grandes rite Yourcenar... et bien entendu Gabriele ford-Barney : « À miss Barney et au personnalités littéraires et artistiques du d’Annunzio auquel elle vouait une grande Temple de l’Amitié attentive, cette légère temps : Salomon Reinach, Auguste Ro- admiration. torpille « sine litteris » est offerte par la din, Rainer Maria Rilke, Colette, James Elle lui rend d’ailleurs hommage en lui « tête d’ivoire ». Gabriele d’Annunzio » Joyce, Paul Valéry, Pierre Louÿs, Anatole consacrant un chapitre dans ses Aventures France, Robert de Montesquiou, Gertrude de l’esprit (1929) : « D’Annunzio, précieux Très beau témoignage de l’amitié entre Stein, Somerset Maugham, T. S. Eliot, Jean petit objet en vieil ivoire, travaille avec la Gabriele d’Annunzio et Natalie Clif- Cocteau, , André Gide, Nancy constance d’un moine qui veille pour son ford-Barney, qui se sont vraisemblable- Cunard, Peggy Guggenheim, Marie Lau- Dieu. » ment rencontrés par le biais de la peintre rencin, Paul Claudel, Adrienne Monnier, Romaine Brooks, amante éphémère de la Sylvia Beach, Scott et Zelda Fitzgerald, 3 000 + de photos

8 5 Guillaume APOLLINAIRE & Pablo PICASSO Alcools. Poèmes 1898-1913

Mercure de France | Paris 1913 | 11,5 x 18,5 cm | broché

Édition originale, un des exemplaires de Notre exemplaire comporte, en outre, d’autres exemplaires du service de presse première émission numérotés à la presse, cinq corrections à la plume de la main ou offerts par l’auteur. Après réception de il n’a été tiré que 23 Hollande en grands d’Apollinaire aux pages 71, 77, 92, 110 et son exemplaire, Ghéon consacra un article papiers. 189. à Alcools (« Alcools, par Guillaume Apolli- Ouvrage illustré, en frontispice, d’un por- naire », Nouvelle Revue Française, n° LVI, trait de Guillaume Apollinaire par Pablo Agréable exemplaire enrichi d’un rare en- 1er juillet 1913), qualifiant le recueil de Picasso. voi autographe du poète. « démarche aventureuse ». Dos comportant de discrètes restaura- Apollinaire envoya cet exemplaire au cri- tions. tique littéraire de La Nouvelle Revue Fran- Les envois d’Apollinaire sur ce texte sont çaise, Henri Ghéon. Le poète prit soin de rares et recherchés. Rare envoi autographe signé de Guil- corriger lui-même les coquilles encore 16 000 laume Apollinaire : « À Henri Ghéon dont présentes dans cette toute première édi- j’aime la poésie, Guillaume Apollinaire ». tion, corrections que l’on retrouve dans + de photos

9 Le Musée Grévin, considéré dès sa parution comme « Les Châtiments de 1943 » (Les Étoiles, déc. 1943, n° 14), restera avec Liberté de Paul Éluard, « un des chefs-d’œuvre de la littérature clandestine ». Dans L’Intelligence en guerre parue dès 1945, Louis Parrot, écrira à son propos : « ce poème, traversé d’images éblouissantes, est en même temps qu’une condamnation sans appel des traîtres, une prière, un acte de fois envers leurs malheureuses victimes. Il peint en termes vengeurs, les misérables qui les livrèrent aux bourreaux et évoque le visage de tant de femmes françaises torturées. » Ce poème capital est en effet une des toutes premières évocations publiques, et la première littéraire, du camp d’Auschwitz : « Aux confins de Pologne, existe une géhenne dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson. Ausschwitz ! Ausschwitz ! Ausschwitz ! ô syllabes sanglantes ! Ici l’on vit, ici l’on meurt à petit feu. On appelle cela l’exécution lente. Une part de nos cœurs y périt peu à peu ».

6 Louis ARAGON, sous le pseudonyme de François la Colère Le Musée Grévin

[Les Éditions de Minuit & La Bibliothèque française] | [Paris & Saint-Flour 1943] | 21 x 28 cm & 13,5 x 20,5 cm | une feuille rempliée & un cahier agrafé

Réunion des deux rares éditions origi- fut réalisée, selon Aragon, « dans un petit raire : Sept poèmes d’amour en guerre. nales de ce chef-d’œuvre de la littérature stock de papier mural pour salle de bain, Publié la même année à la Bibliothèque de la Résistance, publiée sans doute si- trouvé à » sera la première création française sous le pseudonyme de Jean du multanément en zone nord et sud par les de la maison d’édition fondée par Aragon Haut, ce poème marquera l’entrée dans la deux plus importantes maisons d’éditions puis dirigée par Paul Éluard, La Biblio- clandestinité d’Éluard. Pour sa part, Louis clandestines de la Résistance. thèque Française. Aragon opta pour le pseudonyme de Fran- Au placard dépliant de six pages composé çois La Colère, François pour la France hu- dans la secret atelier parisien des Éditions C’est d’ailleurs autour de ce travail com- miliée et Colère contre le régime de Vichy. de Minuit, fait écho la toute aussi modeste mun d’édition combattante que se renoue Bien qu’après la guerre, certains ont brochure imprimée sur les actives presses l’amitié entre les deux poètes séparés par considéré comme transparents les pseu- résistantes de Saint-Flour par René Amar- les querelles surréalistes. Le premier geste donymes des poètes, notre exemplaire ger. Cet opuscule dont la couverture jaune d’Éluard sera ainsi une contribution litté- de la Bibliothèque Française témoigne du

10 contraire, comme le montre son attribu- son poème avec « les deux strophes en oc- nal, puisqu’il reproduit la coquille de l’ar- tion fautive à Éluard par une double men- tosyllabes de la page 11 ». (Collection du ticle à « Ausschwitz », (qui était encore tion manuscrite en tête de la couverture Musée national de la Résistance) correctement orthographié « Auschwitz » et en dernière page du poème. Mais cette Malgré cette contradiction du poète, on dans l’article de La Vérité en janvier). confusion souligne également la proximi- peut dater avec précision la publication de Ce poème publié juste après la diffusion du té esthétique et politique des deux plus ce poème d’après la référence à Auschwitz journal fut donc composé dans l’urgence grands poètes de la Résistance. et aux « cent femmes de chez nous » que et inspiré par cette violente actualité. Car cite Aragon. Il y eut en effet une première Aragon, comme Éluard, se bat avec les En 1949, sur l’exemplaire offert à ses amis dénonciation des terribles conditions de mots en créant ce que Louis Parrot nomme Germaine et Eugène Henaff, Aragon affir- détention du camp d’Auschwitz en janvier une « poésie de circonstance » au sens mera, dans une note manuscrite, que l’édi- 1943 dans le journal résistant La Vérité, noble : « Pour [Aragon], il n’y a d’autre tion de la bibliothèque française fut impri- mais il ne sera fait mention « d’exécution poésie que la poésie militante. Un poème mée deux mois avant celle des éditions de lente » que dans un autre journal clan- bien réussi est, pour lui, un fait de guerre minuit. Mais le poète écrira sur le même destin, Les Étoiles n°14 d’août 1943 qui […], un combat dont le poète ne peut ja- exemplaire que « dans le voyage où Elsa annonce pour la première fois la présence mais être absent, puisqu’il met en cause sa et moi apportions à Paris, (…) le manuscrit dans le camp des cent femmes otages dis- liberté, c’est-à-dire sa vie même. » de ce poème (…) destiné à Vercors pour parues depuis leur déportation du camp les éditions clandestines, (…) une fouille de Romainville en janvier. Leur sort est Très beaux et précieux exemplaires de ce des voyageurs faillit empêcher jamais la en effet connu en août grâce au témoi- poème majeur de la Résistance publié par parution de ce manuscrit. ». Aragon pré- gnage d’un évadé, que le comité du Front les deux plus grandes maisons d’éditions cise d’ailleurs que, venant d’apprendre national vient tout juste de transmettre à fançaises nées sous l’oppression. « la mort de Maïe [Politzer] et de Danielle De Gaulle. Un détail permet d’ailleurs de [Casanova] » (tuées à Auschwitz le 6 mars confirmer qu’Aragon prend connaissance 2 800 et le 9 mai 1943), il acheva dans le train de ces éléments par la lecture de ce jour- + de photos 7 Louis ARAGON, sous le pseudonyme de François la Colère Le Musée Grévin

Les Éditions de Minuit | Paris 1944 | 13,5 x 19 cm, broché

Première édition de luxe de ce chef- (vendu 100 fr au lieu de 10 fr pour l’édition d’œuvre de la littérature de la Résistance, courante) « destiné à honorer les contri- un des 100 exemplaires numérotés sur pa- butions financières des bibliophiles résis- pier couché, seuls grands papiers. tants ». Très rare et agréable exemplaire. Exceptionnel exemplaire imprimé sur D’abord paru, sans doute simultanément, beau papier, véritable acte de guerre dont en zone nord sous forme de tract par « Les on imagine la périlleuse opération pour éditions de Minuit » et en zone sud, en se procurer du papier de luxe dans une brochure artisanale (la couverture était France où les nazis contrôlait la production du papier peint) inaugurant la célèbre de papier à imprimer à travers le Comité « Bibliothèque française », ce long poème d’organisation des industries, arts et com- paraîtra ensuite une première fois en vo- merces du livre (COIACL). lume en octobre 1943 avant qu’il ne soit décidé de réaliser enfin un tirage de luxe 2 300 + de photos

12 8 Charles BAUDELAIRE Les Fleurs du mal

Poulet-Malassis & De Broise | Paris 1857 | 12,1 x 18,8 cm | relié

Édition originale, imprimée sur vélin d’An- goulême, avec les coquilles habituelles et comportant les six poèmes condamnés, un des quelques exemplaires remis à l’auteur et « destinés à des amis qui ne rendent pas de services littéraires ». Reliure en plein maroquin émeraude, dos janséniste à quatre nerfs, contreplats dou- blés de maroquin grenat encadrés d’un fi- let doré, gardes de soie dorée brochée à motifs de fleurs stylisées japonisantes, les suivantes en papier à la cuve, couvertures dite de troisième état (comportant deux restaurations marginales au second plat) et dos conservés, toutes tranches dorées sur témoins, étui en plein papier à la cuve moins influents. Puisqu’ils ne l’ont pas tiré pérées, ce n’est pas en considération d’un bordé de maroquin. Reliure signée de Ma- d’affaire, je crois qu’il ferait bien de les leur service rendu ou en vue d’un bénéfice rius Michel. redemander. » immédiat. Cependant, comme toujours La correspondance de Baudelaire permet chez Baudelaire, ce n’est pas non plus en Précieux exemplaire enrichi d’un envoi de cerner assez précisément les différents simple « souvenir de bonne camaraderie » autographe signé de l’auteur au crayon types de dédicaces que fit le poète à la pa- qu’il adresse son œuvre maîtresse à ce sur la page de faux-titre : « à M. Tenré rution de son recueil. Il adresse lui-même compagnon de pension du collège Louis- fils, souvenir de bonne camaraderie, Ch. une liste à de Broise pour mentionner les le-Grand. Baudelaire » et de trois corrections auto- dédicataires des envois de presse, princi- Dès 1848, Louis-Ludovic Tenré a pris la suc- graphes, au crayon pages 29 et 110 et à palement de possibles intercesseurs judi- cession de son père, l’éditeur Louis Tenré l’encre page 43. ciaires et des critiques littéraires influents. qui, à l’instar de quelques autres grands Le poète requiert ensuite « vingt-cinq éditeurs, s’est reconverti dans l’investisse- Exceptionnelle dédicace à un ami d’en- [exemplaires] sur papier ordinaire, des- ment, le prêt et l’escompte exclusivement fance, banquier et intellectuel, un des tinés à des amis qui ne rendent pas de adressé aux métiers du livre. Ces libraires rares envois d’époque qui ne soient pas services littéraires ». Une lettre à sa mère banquiers ont joué un rôle essentiel dans motivés par les nécessités judiciaires ou nous apprend qu’il n’en a obtenu que vingt. la fragile économie de l’édition et ont par les intérêts éditoriaux. Quelques-uns furent adressés dès juin contribué à l’extrême diversité de la pro- En effet, même les quelques exemplaires 1857 à ses amis, dont celui de Louis-Ludo- duction littéraire du XIXè siècle, soutenant sur Hollande furent en grand partie consa- vic Tenré. D’autres furent conservés par le l’activité de petits mais audacieux éditeurs crés à des offrandes stratégiques afin de poète ou offerts tardivement comme ceux et en liquidant d’autres à grand fracas ju- contrer ou d’atténuer les foudres de la d’Achille Bourdilliat et Jules de Saint-Félix. diciaires. justice qui, en juin 1857, n’a pas encore Si Tenré, cet ami d’enfance que Baudelaire rendu son jugement. Poulet-Malassis en vient de retrouver en décembre 1856, est En décembre 1856, Baudelaire annonce gardera un souvenir amer : « Baudelaire honoré, dès la publication des Fleurs du à Poulet-Malassis qu’il a déposé chez cet a mis la main sur tous les exemplaires pa- Mal, d’un des rares exemplaires person- « ancien camarade de collège » un billet pier fort et les a adressés comme moyens nels du poète, soigneusement corrigé des à ordre périmé que Tenré, par amitié, a de corruption à des personnages plus ou trois coquilles qu’il a immédiatement re- bien voulu accepter. Il s’agit justement du

13 premier acompte pour « le tirage à mille propre gouffre financier. » (Bau- exemplaires [d’un recueil] de vers intitulé delaire, Marie-Christine Natta) Les Fleurs du Mal ». Avec cet exemplaire Les exemplaires des Fleurs tout juste sorti des presses, Baudelaire du Mal de 1857 dédicacés offre ainsi à Tenré le précieux fruit du tra- comptent parmi les plus presti- vail escompté par son nouveau banquier. gieuses pièces bibliophiliques et C’est le début d’une longue relation finan- occupent depuis longtemps une cière. Parmi tous les créanciers de Bau- place de choix dans les grandes delaire, Louis-Ludovic Tenré sera le plus collections privées (Marquis Du favorable au poète et le seul auquel soit Bourg de Bozas, Jacques Doucet, adressée une œuvre dédicacée. Sacha Guitry, Pierre Berès, Co- lonel Sickles, Pierre Bergé, Ber- Dans son ouvrage Les Patrons du Second nard Loliée, Pierre Leroy, Jean Empire, banquiers et financiers parisiens, Bonna...). Nicolas Stokopf consacre un chapitre à L’importance capitale de cette Louis-Ludovic Tenré et évoque la relation œuvre dans l’histoire littéraire, privilégiée entre le poète et ce financier bien au-delà de la francophonie, atypique et érudit, consul du Paraguay et autant que l’histoire particulière spécialiste de l’Amérique Latine, égale- de sa publication, ont contri- ment auteur d’un important ouvrage Les bué à l’intérêt porté très tôt à siècle avant de disparaitre (on compte États américains publié à l’occasion de l’édition originale et plus encore aux rares parmi eux les exemplaires de Honoré Dau- l’Exposition Universelle de 1867 dont il exemplaires offerts par l’auteur. mier, Louis Ulbach et Champfleury). Enfin, était un des commissaires. quelques grandes institutions interna- Même les innombrables aléas financiers En 1860, lors de la vente à l’encan de tous tionales, bibliothèques et musées en ac- du poète ne terniront jamais durablement les biens de Custine, mort en août 1857, quirent très tôt pour leur collections (dont leur entente. La confiance que lui accorde il était encore fait peu de cas des poésies ceux de Saint-Victor, Le Maréchal, Nadar, ce fils d’éditeur n’est pas étrangère à son d’un poète graveleux dédicacées à un écri- Pincebourde...). intérêt pour la littérature comme en té- vain de mauvaises mœurs. Mais, déjà en Depuis la seconde guerre mondiale, seule moigne l’excellent état de conservation de 1865, Baudelaire lui-même constate que une trentaine d’exemplaires des Fleurs du l’exemplaire que lui offre Baudelaire. Cité « depuis deux ans on demande partout Mal comportant une dédicace de Baude- à de nombreuses reprises dans sa corres- [Les Fleurs du Mal], et dans les ventes, elles laire est apparue en bibliothèque, vente pondance, et dans son « carnet » – sorte se vendent même assez cher ». Et déjà en publique ou catalogue de libraire, faisant d’agenda poétique rédigé entre 1861 et 1873 et 1874, les ventes des bibliothèques chaque fois l’objet d’une attention parti- 1863 – Louis-Ludovic Tenré devient rapi- de Gautier et de Daumier mentionnent culière de tous les professionnels, institu- dement le principal interlocuteur financier leurs précieux exemplaires et « l’ex-dono tions internationales et bibliophiles - aver du poète dont la vie est pourtant marquée autographe » dont ils sont ornés. tis. par la crainte de ses créanciers. Dès lors, les exemplaires dédicacés sont « Il y a une formidable incohérence entre décrits et référencés, ce qui a permis aux Parfaitement établi, avec ses couvertures, l’intelligence éblouissante de Baudelaire bibliographes de dénombrer et d’attribuer dans une reliure janséniste par un des et le chaos de sa vie matérielle. Il passe 55 exemplaires de la première édition des grands relieurs de la fin du XIXè siècle, le son temps dans sa correspondance à cou- Fleurs du Mal enrichis d’un envoi de Bau- très bel exemplaire de Louis-Ludovic Ten- rir après l’argent, ses lettres ne parlent delaire. ré, un des vingt réservés à l’auteur, enrichi presque que de cela. Il est incapable de Parmi ceux-ci, certains ont été détruits des précieuses corrections autographes gérer un budget de 200 francs par mois (comme celui de Mérimée, lors de l’incen- et offert par Baudelaire dès la parution, et fait des dettes partout, alors qu’il n’en die de sa maison), d’autres ne sont attestés apparaît comme un remarquable témoin a pas le droit, puisqu’il est sous tutelle. que par la correspondance du dédicataire, des conditions particulières de la -paru Pire encore : sa rente lui sert uniquement mais ne furent jamais connus (notamment tion de cette œuvre mythique. à payer les intérêts des emprunts qu’il les exemplaires de Flaubert, Deschamps, contracte à des taux très élevés. C’est le Custine et Molènes), plusieurs d’entre eux 170 000 cercle vicieux : il creuse lui-même son ne firent qu’une brève apparition au XIXè + de photos

14 9 Charles BAUDELAIRE Lettre autographe signée de Charles Baudelaire à Philoxène Boyer lui demandant des informations sur le théâtre étranger

Paris [ca 1855] | 11,5 x 18,5 cm | une page recto-verso

Lettre autographe signée d’une page et « Il ne s’agit pas Racine, de Molière, de occupé et autant pris : « vous savez que demie de Charles Baudelaire à Philoxène Corneille, de Beaumarchais etc... Il s’agit les gens qui s’aiment le mieux ne se Boyer qu’il surnomme « mon cher Ly- des théâtres étrangers.... Schiller par voient jamais, mais il ne faut pas m’en rique » dans laquelle il lui demande de exemple... Calderon par exemple... Je vouloir... Ma vie depuis quelque temps lui adresser un catalogue et des notes tiendrais vivement à ce que vous m’en est un orage permanent, et un orage va- recensant les pièces de théâtre publiées indiquiez une où seraient contenus les rié. Tous y est. » en France d’auteurs étrangers et plus théâtres asiatiques. » 5 800 particulièrement d’auteurs asiatiques : Charles Baudelaire aussi s’excuse d’être + de photos

15 10 Charles BAUDELAIRE & Victor HUGO Théophile Gautier. Notice littéraire précédée d’une lettre de Victor Hugo

Poulet-Malassis et de Broise | Paris 1859 | 11,5 x 18 cm | relié

Édition originale, dont il n’a été tiré que Reliure en plein maroquin rouge, dos à vertures conservées, tête dorée. 500 exemplaires. Portrait de Théophile cinq nerfs sertis de filets noirs, date dorée Pâles rousseurs affectant les premiers et Gautier gravé à l’eau forte par Emile Thé- en queue, gardes et contreplats de papier derniers feuillets, bel exemplaire parfaite- rond en frontisipice. à la cuve, ex-libris baudelairien de Renée ment établi. Importante lettre préface de Victor Hugo. Cortot encollé sur la première garde, cou- Rare envoi autographe signé de Charles

16 Baudelaire : « À mon ami Paul Meurice. Ch. Baudelaire. » Un billet d’ex-dono autographe de Victor Hugo adressé à Paul Meurice à été joint à cet exemplaire par nos soins et monté sur onglet. Ce billet, qui ne fut sans doute jamais utilisé, avait été cependant prépa- ré, avec quelques autres, par Victor Hugo pour offrir à son ami un exemplaire de ses œuvres publiées à Paris, pendant son exil. Si l’histoire ne permit pas à Hugo d’adres- ser cet ouvrage à Meurice, ce billet d’en- voi, jusqu’à lors non utilisé, ne pouvait être, selon nous, plus justement associé.

Cette exceptionnelle dédicace manuscrite de Charles Baudelaire à Paul Meurice, véritable frère de substitution de Victor Hugo, porte le témoignage d’une ren- contre littéraire unique entre deux des plus importants poètes français, Hugo et Baudelaire. Paul Meurice fut en effet l’intermédiaire mort du poète, Meurice fondera la maison delaire souhaitera rapidement s’affranchir indispensable entre le poète condamné Victor Hugo qui est, aujourd’hui encore, de ce pesant modèle. et son illustre pair exilé, car demander à une des plus célèbres demeures-musées Victor Hugo d’associer leurs noms à cette d’écrivain. Dès son premier ouvrage, Le Salon de élégie de Théophile Gautier fut une des En 1859, la maison de Paul est devenue 1845, l’iconoclaste Baudelaire éreinte son grandes audaces de Charles Baudelaire et l’antichambre parisienne du rocher an- ancienne idole en déclarant la fin du Ro- n’aurait sans doute eu aucune chance de glo-normand de Victor Hugo, et Baude- mantisme dont Hugo est le représentant se réaliser sans le précieux concours de laire s’adresse donc naturellement à cet absolu : « Voilà les dernières ruines de Paul Meurice. ambassadeur officiel. Les deux hommes l’ancien romantisme [...] C’est M. Victor Nègre de Dumas, auteur de Fanfan la Tu- se connaissent assez peu mais partagent Hugo qui a perdu Boulanger – après en lipe et des adaptations théâtrales de Vic- un ami commun, Théophile Gautier, avec avoir perdu tant d’autres – C’est le poète tor Hugo, George Sand, Alexandre Dumas lequel Meurice travailla dès 1842 à une qui a fait tomber le peintre dans la fosse. » ou Théophile Gautier, Paul Meurice fut un adaptation de Falstaff. Il est donc l’inter- Un an plus tard, dans le Salon de 1846 il écrivain de talent qui se tint dans l’ombre médiaire idéal pour s’assurer la bienveil- réitère son attaque plus férocement en- des grands artistes de son temps. Sa re- lance de l’inaccessible Hugo. core, destituant le maître Romantique de lation unique avec Victor Hugo lui confé- son trône : « car si ma définition du ro- ra cependant un rôle déterminant dans Baudelaire avait pourtant déjà brièvement mantisme (intimité, spiritualité, etc.) place l’histoire littéraire. Plus qu’un ami, Paul rencontré Victor Hugo. À dix-neuf ans, il Delacroix à la tête du romantisme, elle en se substitua, avec Auguste Vacquerie, aux sollicita une entrevue avec le plus grand exclut naturellement M. Victor Hugo. [...] frères décédés de Victor Hugo : « j’ai perdu poète moderne, auquel il vouait un culte M. Victor Hugo, dont je ne veux certaine- mes deux frères ; lui et vous, vous et lui, depuis l’enfance : « Je vous aime comme ment pas diminuer la noblesse et la ma- vous les remplacez ; seulement j’étais le on aime un héros, un livre, comme on jesté, est un ouvrier beaucoup plus adroit cadet ; je suis devenu l’aîné, voilà toute la aime purement et sans intérêt toute belle qu’inventif, un travailleur bien plus correct différence. » C’est à ce frère de cœur (dont chose. ». Déjà, il se rêvait en digne suc- que créateur. [...] Trop matériel, trop atten- il fut le témoin de mariage au côté d’Ingres cesseur, comme il lui avoue à demi-mot : tif aux superficies de la nature, M. Victor et Dumas) que le poète en exil confia ses « à dix-neuf ans eussiez-vous hésité à en Hugo est devenu un peintre en poésie ». intérêts littéraires et financiers et c’est lui écrire autant à [...] Chateaubriand par Ce meurtre du père ne pouvait se réaliser qu’il désignera, avec Auguste Vacquerie, exemple ». Pour le jeune apprenti poète, pleinement sans une figure de substitu- comme exécuteur testamentaire. Après la Victor Hugo appartient au passé, et Bau- tion. C’est Théophile Gautier qui servira

17 de nouveau modèle à la jeune génération, nitivement perdue. que le sien. tandis que Victor Hugo, bientôt exilé, ne Apprenant cela, Baudelaire rédige à son Pourtant la lettre tarde à arriver et c’est devait plus publier d’autres écrits que po- tour une lettre à Victor Hugo d’une in- encore auprès de Meurice que se plaint litique pendant près de dix années. Ainsi, croyable audace et sincérité : Baudelaire : « Il est évident que si une rai- lorsque Baudelaire adresse un exemplaire « Monsieur, J’ai le plus grand besoin son quelconque empêchait M. Hugo de de ses Fleurs du mal à Victor Hugo, il sait de vous, et j’invoque votre bonté. Il y a répondre à mon désir, il me l’aurait fait sa- qu’il lui inflige cette terrible dédicace im- quelques mois, j’ai fait sur mon ami Théo- voir. Je dois donc supposer un accident. » primée en tête « Au poète impeccable au phile Gautier un assez long article quia (Lettre à Paul Meurice du 5 octobre 1859). parfait magicien ès Lettres françaises à soulevé un tel éclat de rire parmi les imbé- En effet, Victor Hugo a bien envoyé sa ré- mon très cher et très vénéré maître et ami ciles, que j’ai jugé bon d’en faire une petite ponse-préface, elle arrive peu après et Théophile Gautier ». L’animosité du jeune brochure, ne fût-ce que pour prouver que Baudelaire la fait intégralement imprimer poète ne pouvait échapper à Victor Hugo. je ne me repens jamais. — J’avais prié les en tête de son Théophile Gautier. Et sans doute, Baudelaire ne s’attendait-il gens du journal de vous expédier un nu- Il ne s’agit pourtant pas d’une simple pré- pas à la lumineuse réponse d’Hugo : « Vos méro. J’ignore si vous l’avez reçu ; mais face, mais d’une véritable riposte, rédigée Fleurs du mal rayonnent et éblouissent j’ai appris par notre ami commun, M. Paul avec toute l’élégance du maître. Hugo ne comme des étoiles ». Meurice, que vous aviez eu la bonté de se contente pas des lourds attributs que m’écrire une lettre, laquelle n’a pas encore lui prête Baudelaire qui, dans ce même ou- Avec son article sur Théophile Gautier paru pu être retrouvée ». Sans fard, il expose vrage, qualifie ainsi le poète des Contem- dans L’Artiste du 13 mars 1859, Baudelaire ses intentions, ne niant ni l’impertinence plations : « Victor Hugo, grand, terrible, poursuit toujours le même but : refermer de son article, ni la raison profonde de sa immense comme une création mythique, la page « Victor Hugo » de l’histoire de la demande : « J’ai voulu surtout ramener la cyclopéen, pour ainsi dire, représente les littérature française. pensée du lecteur vers cette merveilleuse forces énormes de la nature et leur lutte Plus adroite et plus respectueuse que ses époque littéraire dont vous fûtes le véri- harmonieuse. » écrits précédents : « Nos voisins disent table roi et qui vit dans mon esprit comme Shakespeare et Gœthe, nous pouvons un délicieux souvenir d’enfance. [...] J’ai Au manifeste de Baudelaire : leur répondre Victor Hugo et Théophile besoin de vous. J’ai besoin d’une voix plus « Ainsi le principe de la poésie est, stricte- Gautier ! », la prose de Baudelaire se veut haute que la mienne et que celle de Théo- ment et simplement, l’aspiration humaine pourtant claire et définitive : Hugo est phile Gautier, — de votre voix dictatoriale. vers une Beauté supérieure. [...] Si le poète mort, vive Gautier, « cet écrivain que l’uni- Je veux être protégé. J’imprimerai hum- a poursuivi un but moral, il a diminué sa vers nous enviera, comme il nous envie blement ce que vous daignerez m’écrire. force poétique (..) La poésie ne peut pas, Chateaubriand, Victor Hugo et Balzac. » Ne vous gênez pas, je vous en supplie. Si sous peine de mort ou de déchéance, s’as- Les critiques ne s’y trompèrent pas et l’ac- vous trouvez, dans ces épreuves, quelque similer à la science ou à la morale ; elle n’a cueil de l’article fut glacial. Baudelaire eut chose à blâmer, sachez que je montrerai pas la Vérité pour objet, elle n’a qu’Elle- alors l’idée folle d’associer Victor Hugo lui- votre blâme docilement, mais sans trop de même. » même à sa propre destitution et de faire honte. Une critique de vous, n’est-ce pas Hugo oppose ses propres préceptes : ainsi publier sous leur deux noms l’avène- encore une caresse, puisque c’est un hon- « Vous ne vous trompez pas en prévoyant ment d’une nouvelle ère poétique dont ce neur ? » quelque dissidence entre vous et moi. [...] fascicule est le manifeste. Il n’épargne pas même Gautier, « dont le Je n’ai jamais dit l’Art pour l’Art ; j’ai tou- De son propre aveu, l’impertinent poète nom a servi de prétexte à mes considéra- jours dit l’Art pour le Progrès. [...] Le poète avait déjà « commis cette prodigieuse in- tions critiques, je puis vous avouer confi- ne peut aller seul, il faut que l’homme aus- convenance [d’envoyer son article à Victor dentiellement que je connais les lacunes si se déplace. Les pas de l’Humanité sont Hugo sur] papier imprimé sans joindre une de son étonnant esprit ». donc les pas même de l’Art. » lettre, un hommage quelconque, un té- C’est naturellement à Paul Meurice qu’il N’en déplaise à Baudelaire, l’écrivain qu’il moignage de respect et de fidélité. » Nul confie sa « lourde missive ». Ne doutant rangeait dans les « délicieux souvenirs doute que le désir de Baudelaire fut alors pas d’une réponse positive, « la lettre de d’enfance » est loin d’avoir achevé son d’adresser un soufflet à son aîné. L’affaire Hugo viendra sans doute mardi, et magni- œuvre immense. C’est dans ce petit fas- en serait sans doute restée là sans l’in- fique je le crois » (lettre à Poulet-Malassis, cicule de l’un de ses féroces adversaires, tervention de Paul Meurice. Il informa le le 25 septembre 1859), Baudelaire ap- qu’il annonce la voie de son écriture à fougueux poète de l’appréciation bienveil- porte un soin particulier à la mise en va- venir : La Légende des siècles, qui doit pa- lante du maître qui se serait fendu d’une leur du prestigieux préfacier dont le nom raître ce même mois, et surtout trois ans lettre sans aucun doute aimable mais défi- sera imprimé dans la même taille de police plus tard, Les Misérables, la plus impor-

18 tante fresque sociale et humaniste de la celer un envoi à son intention « en témoi- grands courants de la poésie : « L’Alba- littérature mondiale. gnage d’admiration » gratté puis recouvert tros » de Baudelaire, contre l’« Ultima d’une dédicace palimpseste à M. Gélis. verba » de Hugo. Tandis que « les ailes de Baudelaire adressa des exemplaires dédi- Ce repentir est symbolique de la relation géants [du premier] l’empêchent de mar- cacés de son Gautier aux artistes qu’il ad- d’amour-haine qu’entretiendront les deux cher », le second « reste proscrit, voulant mirait dont Flaubert, Manet ou Leconte de poètes leurs vies durant. rester debout ». Lisle, preuve de l’importance qu’il accor- C’est donc à travers cet exemplaire offert à dait à cette profession de foi esthétique. « [s]on ami Paul Meurice » que Baudelaire Et s’il n’en reste que deux, ce seront ces Malgré sa si précieuse collaboration, Vic- choisit de remercier le clan Hugo de cette deux-là ! tor Hugo reçut une lettre de remercie- exceptionnelle rencontre littéraire. ments mais aucun exemplaire dédicacé de Le Théophile Gautier de Baudelaire et Provenance : Paul Meurice, puis Alfred et « leur » opuscule. Cependant, une récente Hugo est donc, sous son apparente mo- Renée Cortot. étude à la lumière noire a permis de dé- destie, un double manifeste des deux 75 000 + de photos 11 Samuel BECKETT Comment dire s. n. | s.l. [ca 1980] | 17 x 25,5 cm | broché

Curieuse et étonnante publication d’ins- Le texte est agrémenté d’illustra- piration lettriste sur laquelle nous n’avons tions alternant entre projection pu recueillir aucune information quant au dans la modernité et rappel du tirage, à l’année d’édition et à l’éditeur Moyen-Age. chez qui elle a été imprimée. Bel exemplaire malgré l’absence de Agréable et très rare exemplaire se pré- la première vignette autocollante sentant sous feuilles de papier calque sur papier argenté en début de vo- entre lesquelles s’intercalent parfois des lume et sur laquelle est inscrit le feuilles illustrées de plastique souple, l’en- titre de l’ouvrage. semble broché et protégé par une couver- ture de papier calque plus épais. 1 000 + de photos

19 12 [Maurice BLANCHOT] Extraordinaire réunion de photographies de Maurice Blanchot prises dans la sphère familiale

[ca 1907-2003] | un album de 30 x 32 cm contenant 272 photographies

« Blanchot mit longtemps au défi photo- graphes et caricaturistes de la presse litté- raire. Minimalistes et rarissimes, sur tant d’années, sont les esquisses d’illustrations : en 1962 dans L’Express, une main brandit un livre, sur fond de page ; en 1979, dans Libération, un carré vierge au milieu de la page, portant pour toute légende le nom de Maurice Blanchot et une citation de l’Entretien infini (« un vide d’univers : rien qui fut visible, rien qui fut invisible ») » (C. Bident, Maurice Blanchot).

En 1986, à l’occasion d’une exposition de portraits d’écrivains, Maurice Blanchot de- des Cahiers de l’Herne consacré à Maurice son neveu, lui confirme n’avoir pris aucun mande que sa photo soit remplacée par un Blanchot paru en 2014 complètent ces cli- cliché de l’écrivain, respectant ainsi ses texte manifestant son désir d’« apparaître chés uniques de l’écrivain le plus secret du vœux. le moins possible, non pas pour exalter XXè siècle. Pourtant, les photographies prises au [ses] livres, mais pour éviter la présence Dans son chapitre « L’indisposition du sein de sa famille proche, nous montrent d’un auteur qui prétendrait à une exis- secret », Christophe Bident consacre plu- un Blanchot parfaitement consentant, tence propre » . sieurs pages à l’absence presque totale et jouant même avec raffinement avec Une photo prise à son insu par un papa- d’image de ce partenaire invisible, s’inter- son image offerte au photographe, géné- razzo sur un parking de supermarché, fera rogeant sur les motivations intellectuelles ralement son frère. Ainsi découvre-t-on longtemps office de portrait de l’écrivain et psychologiques de l’écrivain conscient un homme élégant posant fièrement sur avant que son ami Emmanuel Levinas ne pourtant de l’inévitable révélation à venir : un ponton de bateau ou sur les quais de dévoile quelques rares portraits de leur « Tout doit devenir public. Le secret doit Seine, ou plus mystérieux, jouant avec les jeunesse. être brisé. L’obscur doit entrer dans le effets de lumière dans le coin d’une pièce Que Maurice Blanchot ne se soit pas op- jour et se faire jour. Ce qui ne peut se dire nue. On constate alors une véritable mise posé à cette divulgation, que celle-ci soit le doit pourtant s’entendre. Quidquid latet en scène photographique, et une réappro- fait de son plus proche ami, pourrait s’ex- apparebit, tout ce qui est caché, c’est cela priation symbolique de l’image, notam- pliquer par ce que Bident nomme « l’espa- qui doit apparaître... » Maurice Blanchot, ment dans cet étonnant portrait assis de cement de l’inquiétude », l’inactualité des L’Espace littéraire) l’écrivain tenant dans ses bras le masque portraits dévoilés faisant écho aux publica- mortuaire de l’« Inconnue de la Seine », tions reportées deL’Idylle , Le Dernier Mot, Maurice Blanchot refusait généralement célèbre tête en plâtre d’une jeune femme L’Arrêt de mort.... d’être photographié, même dans le cadre supposée noyée et qui orna les ateliers Seules quelques photographies rassem- privé, comme le confirme la famille de sa d’artistes après 1900. Véritable légende blées dans les pages centrales du numéro belle-sœur Anna qui, dans une lettre à romantique, cette sculpture au mystérieux

20 révèlent une parfaite maîtrise de l’image tique ou à tout le moins irréelle. et de ses codes artistiques. Mais ces photographies nous renseignent D’autres photographies, de composition également, autant que faire se peut, sur plus classique, apportent un précieux et la vie privée de Maurice Blanchot, ses unique témoignage sur la vie de Maurice voyages, ses relations, son univers quoti- Blanchot et sur ses relations familiales qui dien au sein de sa famille et sur les diffé- constituent tout à la fois la face cachée rentes périodes de sa vie. Car les photo- de l’écrivain et son seul véritable ancrage graphies rassemblées ici, commencent dans la vie physique. Maurice Blanchot, avec des portraits de famille en bistre avec lequel ses plus proches amis n’entre- albuminés avant même la naissance de tenaient généralement que des relations Maurice Blanchot et s’achèvent par des sourire post mortem est au cœur du roman téléphoniques, a vécu la majeure partie de argentiques en couleur sur papier Kodak, d’Aragon, Aurélien, et hante les œuvres sa vie au sein de sa famille. D’abord dans sur lesquelles l’écrivain très sérieux sur des artistes du début du siècle dont Rainer la maison familiale de Quain, puis hébergé son fauteuil de velours, toise l’objectif en Maria Rilke, Vladimir Nabokov, Claire Goll, par son frère René et sa belle-sœur Anna contre-plongée, ou, facétieux dans un jar- Jules Supervielle, Louis-Ferdinand Céline, chez qui il demeurera même après la mort din verdoyant, se cache le visage derrière Giacometti ou Man Ray qui, à la demande de René puis d’Anna. C’est également avec un chat qu’il serre amoureusement dans d’Aragon, en fit un inquiétant portrait pho- sa mère et sa sœur Marguerite que Mau- ses bras. Enfin, comme pour clore cet al- tographique. rice aura la plus importante correspon- bum unique du seul écrivain qui aura su se Maurice Blanchot décrira l’inconnue dance, (plus de 1400 lettres) tout au long rendre invisible au monde sa vie durant, comme « une adolescente aux yeux clos, de leur vie, partageant avec elles tous les une photographie en buste nous montre, mais vivante par un sourire si délié, si for- aspects de sa vie intellectuelle, sociale et émergeant d’un pull noir profond et uni- tuné, [...] qu’on eût pu croire qu’elle s’était politique. Enfin, sa nièce Annick, belle-fille forme, le visage radieux de l’écrivain qui noyée dans un instant d’extrême bon- de son frère Georges, et son petit neveu semble se rire du bon tour qu’il a joué à heur. » Philippe furent presque les seules per- ses contemporains. Cette photographie d’un Blanchot impa- sonnes autorisées à pénétrer dans l’ap- vide berçant le masque blanc de la « Jo- partement de René, Anna et Maurice, où À l’exception de quelques clichés d’iden- conde du suicide » s’affirme comme une l’écrivain menait une vie retranchée. Ce tité et souvenirs de voyages réalisés à la véritable déconstruction de la représen- sont d’ailleurs cette nièce et son fils – pho- fin de sa vie, ce fonds unique et complet tation et une illustration aussi parfaite tographe – qui rassembleront et conserve- constitue la seule source photographique qu’énigmatique de son œuvre littéraire et ront les précieux témoignages photogra- de Maurice Blanchot, de ses lieux de vie et du « silence qui lui est propre ». phiques de l’écrivain. de sa famille, ce cercle intime volontaire- On y découvre la silhouette longiligne d’un ment dissimulé aux regards et à la curiosi- De nombreuses photographies témoignent homme dont la fragile constitution contri- té du public et des amis et qui fut pourtant d’un même souci de détournement de la bua à sa dépendance envers sa famille au à la base du rapport conflictuel de l’écri- représentation au profit d’une symbolique sein de laquelle l’écrivain menait une vie vain au monde extérieur. aporétique, tel ce portrait en pied de l’écri- simple et heureuse, posant naturellement vain vêtu de noir qui se fond dans la pers- au côté de sa mère, promenant son neveu Mais bien plus qu’une prosaïque docu- pective fuyante des bâtiments mais dont par la main, partageant un repas de famille mentation en marge de l’œuvre de Mau- le front seul est nimbé d’une lumière crue dans le jardin, ou conversant dans le salon. rice Blanchot, les photographies de cet qui semble jaillir de son crâne et effacer Les postures de Blanchot sont alors celles ensemble témoignent d’une réelle mai- les contours des toits. Ou cette autre sur d’un homme tranquille, ne fuyant pas l’ob- trise de l’image, de sa mise en perspective laquelle la lumière nimbe la moitié d’une jectif et posant parfois au contraire avec et de son pouvoir de réflexivité. pièce vide et sépare la photographie en un certain dandysme très assumé. Sur Comme un ultime présent de l’auteur de deux parties égales : un espace sombre à plusieurs autres photographies, Blanchot Thomas l’Obscur, ces traces uniques de l’exacte frontière duquel Maurice Blanchot pose au premier plan dans une même pos- son passage font soudain réapparaître se tient droit les mains derrière le dos et ture d’une élégance hiératique en parfait celui qui sut jadis disparaitre derrière son un espace lumineux et entièrement vide, décalage avec le paysage et les autres per- œuvre, réalisant ainsi le miracle de son à l’exception d’un pied de l’intellectuel qui sonnages en arrière-plan. Cette répétition « Toma » (jumeau) : être et ne pas être. s’y aventure. du même dans différents décors confère à 35 000 Ces photographies réalisées avec son frère Maurice Blanchot une présence fantoma- 21 + de photos

13 Albert CAMUS & COLLECTIF Révolte dans les Asturies

Pour les amis du théâtre du travail | Alger 1936 | 14 x 19,5 cm | broché

Très rare édition originale de cette pièce en pourtant combative et solidaire. Et, quatre actes, première œuvre de Camus lorsque Fréminville s’étonnera de ce publiée collectivement avec sa troupe du coquet mais transparent anonymat Théâtre du Travail, Jeanne-Paule Sicard, d’une œuvre dont « il suffit de lire Bourgeois et Poignant. dix lignes pour reconnaitre [le] style [de Camus] » celui-ci rétorquera : « Il Bel exemplaire de cette œuvre d’appa- serait peut-être temps de revenir à la rence modeste et pourtant fondatrice de supériorité de l’œuvre sur l’artisan ». toute l’œuvre de Camus. Aucun nom ne parait donc sur l’œuvre imprimée, même l’éditeur se résume à Bien plus qu’une simple collaboration de deux initiales que certains se plaisent jeunesse, Révolte dans les Asturies est la à traduire par « Éditions Camus ». En véritable première œuvre d’Albert Camus, réalité, derrière E.C. se cache un jeune écrivain humaniste, dramaturge engagé, homme de 21 ans encore inconnu, Ed- philosophe de l’absurde, révolté politique mond Charlot, ami de lycée d’Albert. et solidaire. En effet, aucune première Comme Camus, il doit à Jean Grenier tentative littéraire ne porte comme cette sa vocation et comme Camus, il dé- Révolte, toute la puissance poétique et po- bute avec cette œuvre anonyme sa litique d’un écrivain appelé à marquer son carrière d’éditeur. Sans local ni argent, siècle par ses écrits et son acuité intellec- il réussit à faire tirer par un imprimeur tuelle. bienveillant, Emmanuel Andréo, 500 fra- avant-propos, « Le théâtre ne s’écrit pas giles opuscules, écoulés en deux semaines ou alors c’est un pis-aller. ». La publication, Presqu’entièrement composée par Camus mais dont très peu d’exemplaires résis- décidée à la suite de l’interdiction de re- (seuls les textes de radio, l’interrogatoire teront aux violents bouleversements du présentation par les autorités algéroises de l’acte IV et la scène du conseil des mi- siècle. d’extrême-droite est donc un geste poli- nistres ne sont pas de sa main), cette œuvre tique fort qui fait suite et écho au thème dite collective, l’est surtout par le désir de Cette première collaboration marquera le de la pièce. Inspiré de la violente répres- solidarité et de communauté humaine du début d’une des plus fidèles amitiés édito- sion espagnole contre des mineurs l’année jeune Camus qui, dès l’avant-propos, mini- riales entre Camus et son éditeur algérien précédente qui fit près de 2000 victimes, mise son évidente paternité de l’œuvre : qui publiera quelques mois plus tard, la le sujet choisi par Camus témoigne en effet « Essai de création collective, disons-nous. première œuvre personnelle de son ami, de son très précoce engagement actif pour C’est vrai. Sa seule valeur vient de là. ». L’Envers et l’Endroit, puis deviendra, par la la liberté. Il fera preuve du même courage Cette passion pour la réalisation en com- suite, l’indispensable relais méditerranéen dans ses écrits de résistance de Combats et mun, que Camus découvre dans le football de l’écrivain exilé loin de sa terre natale. Lettre à un ami allemand, autant que dans et qu’il tente de retrouver dans le théâtre, Cette rencontre capitale aurait pu ne pas ses prises de positions solidaires contre constitue un fondement de la pensée de avoir lieu. Révolte dans les Asturies, ini- la peine de mort, ou solitaires pour une l’auteur de La Peste et du Premier homme. tialement conçue comme un « canevas utopique alliance franco-arabe dans une Révolte dans les Asturies, cet « essai de [sur lequel] les acteurs seraient invités Algérie déchirée. C’est d’ailleurs « au pro- création collective » éditée par « E.C. pour à broder [...] à la manière de la comme- fit de l’enfance malheureuse européenne les amis du théâtre du travail » porte, sur dia dell’Arte » (Albert Camus par Olivier et indigène » que doit se jouer ce premier sa couverture même, l’idéal camusien Todd) n’avait pas vocation à être impri- spectacle à l’heure où aucun des futurs in- d’une société unie, non individualiste et mée, comme le précise Camus dans son tellectuels militants pour l’indépendance

23 algérienne ne se préoccupent encore de du moins » écrit Camus, invitant le lecteur introduit l’action dans un cadre qui ne lui la grande injustice raciale du département à « traduire en formes, en mouvements, et convient guère : le théâtre. Il suffit d’ail- français d’Algérie. en lumières ce qui est ici suggéré » puis « à leurs que cette action conduise à la mort, remettre à sa vraie place cet essai ». Ainsi comme c’est le cas ici, pour qu’elle touche Bien que jamais revendiquée par Camus présente-t-il cette première tentative lit- à une certaine forme de grandeur qui est comme sa véritable première œuvre, cette téraire sous la triple égide du théâtre, du particulière aux hommes : l’absurdité. pièce anonyme est traversée par la lumi- récit et de l’essai, les trois modèles d’écri- Et c’est pourquoi, s’il nous fallait choisir neuse personnalité de son jeune auteur. ture qui définiront son œuvre à venir. un autre titre, nous prendrions La Neige. Mais, si cette Révolte trouve une place Plus encore, cette introduction sous forme [...] Il y a deux ans, elle s’étendit sur ceux légitime en première ligne de l’œuvre de manifeste semble annoncer les trois de nos camarades qui furent tués par les camusienne, c’est sans doute à travers grands thèmes programmatiques qui gui- balles de la Légion. L’histoire n’a pas gardé l’avant-propos qu’il rédige dans l’urgence à deront le travail de l’écrivain humaniste, leurs noms. » l’annonce de l’interdiction de représenta- le cycle de l’Absurde, de la Révolte et ce- tion. « Ne pouvant être jouée, elle sera lue lui, inachevé, de l’Amour : « [cet essai] 10 000 + de photos 14 Albert CAMUS L’Étranger

Gallimard | Paris 1942 | 11,5 x 18,5 cm | relié sous étui

Édition originale sans mention d’édition révèle l’attention particulière pour ce texte à faire évoluer les mentalités. Il connaî- pour laquelle il n’a pas été tiré de grands de celui qui eu, à travers le droit de grâce, tra cependant un point d’arrêt en 1972 papiers. le pouvoir de vie et de mort. lorsque pris la décision Reliure en plein maroquin noir, dos à cinq de gracier Paul Touvier (non de la « peine nerfs, date dorée en queue, gardes et On connait la position d’Albert Camus sur de mort » – déjà prescrite – mais de « l’in- contreplats de box brun taupe, couver- la peine capitale, dont il fut très tôt un terdiction de séjour » du milicien qui sera à tures et dos conservés, toutes tranches des ardents contempteurs, ce n’est pour- nouveau jugé en 1989 et deviendra le pre- dorées, étui bordé de maroquin noir, in- tant pas le sujet principal de ce premier mier condamné à perpétuité pour « crime térieur de feutrine taupe, plats de papier roman qui, s’il met en scène un procès se contre l’humanité »). marbré, reliure signée de Devauchelle. concluant sur la condamnation à mort de Cet excès de clémence valu au président Meursault, ne traite pas, ici, de la légitimi- de dures critiques et une forte incom- Très bel exemplaire superbement établi té de la peine. Georges Pompidou mani- préhension de l’opinion, et, sans doute, dans une parfaite reliure triplée. festa lui-même très tôt son aversion pour Georges Pompidou ressentit alors plus cette justice définitive, et il n’hésita pas à qu’auparavant que l’acte de gracier, n’était Provenance : bibliothèque personnelle menacer de démissionner de son poste de pas une simple abrogation conjoncturelle de Georges Pompidou avec son ex-libris premier ministre, lorsque le Général de de la peine capitale, mais une responsabi- encollé en tête d’une garde. Gaulle voulut refuser la grâce présiden- lité inhumaine : « Le droit de grâce n’est tielle au général Jouhaud, un des quatre pas un cadeau fait au chef de l’État pour Il faut sans doute chercher dans le parcours dirigeants du putsch d’Alger. Élu président, lui permettre d’exercer ses fantaisies, dé- politique et idéologique de Pompidou, la Pompidou utilisera largement cet « acte clara-t-il pour sa défense. C’est une res- présence dans sa bibliothèque de ce froid de clémence » présidentiel accordant plus ponsabilité, parfois effrayante qu’on lui im- récit d’une condamnation à mort, assez de 8 000 grâces pendant son mandat, soit pose, mais qu’il prend, au vu des dossiers éloigné de sa passion pour la poésie et le nombre le plus important de la Vè Ré- bien sûr, mais seul, avec sa conscience » les grands classiques français. Plus qu’une publique. Exactement un an plus tard, Pompidou pièce majeure de la collection de ce biblio- Ce recours systématique à la grâce dans refusera pour la première fois d’accorder phile averti, ce bel et rare exemplaire de une France encore hésitante devant la la grâce présidentielle à Roger Bontems l’édition originale de L’Étranger de Camus question de la peine de mort, contribua pourtant innocenté du double meurtre

24 25 d’une infirmière et d’un gardien perpétré à la Centrale de Clairvaux par son codéte- nu, Claude Buffet, et dont il ne fut jugé que complice. Entre le pardon accordé à un criminel contre l’humanité, au nom d’une France à réconcilier et la condamnation d’un « homme qui n’a pas tué », pour apaiser un peuple en colère, le président Pompi- dou, eut, à travers son impossible choix de la grâce, à juger seul de la vie et de la mort d’un homme. Comme le lecteur de L’Étran- ger, Pompidou gracie Touvier malgré son crime horrible, mais, comme le tribunal de Meursault, il condamne Bontems, non pour un meurtre qu’il n’a finalement pas commis, mais parce qu’il est, en tant que banni, étranger à la communauté. L’exécution de Bontems fut une tragique défaite pour son avocat, le plus célèbre ad- versaire de la peine capitale, Robert Badin- ter, qui implora personnellement la grâce de Pompidou. Dans son ouvrage L’Exécu- tion, Badinter reviendra sur cette terrible affaire et sur la responsabilité du président Pompidou, à l’heure de la demande de plus. […] né, déjà rejeté par le peuple et ses juges, grâce de son client : Je m’interrogeais sur le droit de grâce. pour que le prince en fasse ce que bon Il me parut receler une ambiguïté sour- lui semble, cette réalité-là, cette respon- « Le président de la République ne nous noise, une de ces mystifications histo- sabilité-là, le prince ne peut la refuser. Il fit guère attendre. Pourquoi cette hâte riques pétries d’idées reçues, d’arché- n’y a pas de condamnation à mort. Seu- s’il ne s’agissait que de gracier ? D’autres types qui faussent nos sensibilités. Bien lement un vœu de mort qui monte de la condamnés à mort attendaient depuis évidemment, le droit de grâce est à cour d’assises vers le prince. » des mois que le président ait le temps de l’avantage du condamné. Il lui donne une Peut-être à la lecture de L’Étranger, Pom- voir leur avocat. Sans doute se posait le chance de plus contre l’injustice ou la ri- pidou ressentit, mieux qu’un autre, la ter- problème de Buffet qui en appelait à la gueur des juges. Mais pour le souverain rible sollicitation de l’auteur. Confronté rigueur présidentielle et exigeait qu’on qui l’exerce, qu’implique donc ce droit à l’étrangeté du narrateur, le lecteur ne l’exécutât dans les plus brefs délais. Mais de vie ou de mort sur autrui ? […] Juges peut s’identifier pleinement à lui et moins précisément cette hâte à décider me pa- et jurés ne condamnent pas l’accusé à encore à la logique fatale de ses juges. Il raissait répondre trop bien aux vœux de mourir effectivement sur la guillotine. est ce prince vers lequel monte le vœu de Buffet. Les convictions abolitionnistes du Ils offrent simplement au prince la pos- mort et qui doit assumer cette respon- président n’étaient-elles pas aussi abso- sibilité de cette exécution. Ils ouvrent au sabilité que Camus lui impose, mais qu’il lues que je le croyais ? […] Allons, mon prince l’alternative : laisser vivre ou faire soupçon était absurde. Bontems serait mourir. À lui de choisir. […] Le prince seul prend, au vu du roman bien sûr, mais seul, gracié. Et le plus tôt serait le mieux. Le en définitive décide. C’est par là qu’il est avec sa conscience. Cependant, tandis que président avait raison. La presse recom- responsable et totalement responsable la responsabilité du lecteur de L’Étranger mençait, depuis le rejet du pourvoi en puisqu’il peut tout, à son gré, à sa guise, n’est qu’intellectuelle, celle du président cassation, à s’intéresser aux assassins de sans rendre compte à quiconque, hormis est terriblement concrète et définitive. Clairvaux, selon la formule dont le pluriel à lui-même. Puisqu’il dispose souve- Qu’en est-il de la grâce dans le roman de me mettait hors de moi. Une prompte rainement, absolument de la vie de cet Camus ? Elle est justement en suspens. décision s’imposait à tous égards. La homme. Sans doute il n’en disposerait Pompidou, contrairement à un lecteur hâte présidentielle n’exprimait que la pas si on ne la lui offrait pas. Mais cet sans cette terrible responsabilité, n’a pas conscience de cette nécessité. Rien de homme que l’on jette au prince, enchaî- pu passer à côté de ce discret détail de la

26 fin de L’Étranger. Meursault n’est en réa- thèse, pour rendre plus plausible ma ré- lité effrayante » qu’est la condamnation à lité pas encore définitivement condamné signation dans la première. Quand j’avais mort d’un homme. lorsque s’achève le roman et qu’il rejoint réussi, j’avais gagné une heure de calme. Tandis que Meursault, à la veille de sa pro- enfin la communauté dans la haine qu’il lui Cela tout de même était à considérer. » bable exécution, s’ouvre, dans la colère, inspire. Il attend encore l’éventuelle grâce L’abolition de la peine de mort fut l’un des « à la tendre indifférence du monde », présidentielle. grands combats de plusieurs intellectuels Camus convoque le jugement ultime du « Je devais accepter le rejet de mon et hommes de pouvoir de la seconde par- lecteur qui, comme le Président, demeure pourvoi. À ce moment, a ce moment seu- tie du XXè siècle, au rang desquels Camus et seul juge de la vie humaine, dans le silence lement, j’avais pour ainsi dire le droit, je Pompidou. Mais en 1942, le jeune écrivain qui suit les « cris de haine » qui achèvent me donnais en quelque sorte la permis- ne plaide pas contre la peine capitale, il en le roman. sion d’aborder la deuxième hypothèse : expose la mécanique absurde confrontée j’étais gracié. L’ennuyeux c’est qu’il fallait à l’impénétrabilité humaine. Et, lorsque, Très bel exemplaire sans mention de la rendre moins fougueux cet élan du sang dans les années 1960-1970, l’homme bibliothèque personnelle du président et du corps qui me piquait les yeux d’une d’État Georges Pompidou acquiert cette Georges Pompidou parfaitement établi joie insensée. Il fallait que je m’applique édition originale, il est lui-même confronté dans une reliure en plein maroquin triplé. à réduire ce cri à le raisonner. Il fallait que à la terrible réalité de cette « responsabi- je sois naturel même dans cette hypo- 38 000 + de photos 15 Albert CAMUS Correspondance inédite complète de Camus à son ami Mouloud Feraoun : « Je me suis pris à espérer dans un avenir plus vrai, je veux dire un avenir où nous ne serons séparés ni par l’injustice ni par la justice »

Paris 1951-1958 | 13,6 x 21,3 cm | 4 feuillets et deux photographies

Correspondance inédite complète consti- tuée de quatre lettres autographes – dont 3 signées – d’Albert Camus adressées à son ami Mouloud Feraoun, toutes ré- digées sur papier à en-tête de la Nrf à l’encre noire ou bleue. Chaque lettre présente une pliure centrale inhérente à la mise sous pli du courrier. 19 lignes, 27 lignes, 34 lignes et 13 lignes. On joint deux retirages photographiques des années cation des lettres adressées à Camus par lettre ouverte et une après-midi passée 1980 représentant Camus posant aux cô- son alter ego kabyle et publiées sept ans ensemble dans les rues d’Alger. tés de Feraoun lors de son séjour à Alger après la disparition de Feraoun. Seule la Pourtant, hormis le télégramme dont le en avril 1958. première réponse de Camus a été éditée. contenu littéral nous est inconnu, chaque L’échange épistolaire entre Mouloud Cette relation entre les deux intellectuels échange fut essentiel, non seulement pour Feraoun et Albert Camus n’était connu se limite à sept lettres (trois de Feraoun les deux hommes mais pour la compré- jusqu’à aujourd’hui qu’à travers la publi- et quatre de Camus), un télégramme, une hension de la tragédie franco-algérienne.

27 « Cher Monsieur », « Cher Feraoun », « Cher ami » ...

Entre la première lettre de remerciements, en 1951, d’un modeste instituteur kabyle qui aspire à l’écriture, et l’ultime lettre ouverte, en 1958, du grand écrivain algé- rien qui se revendique toujours instituteur, une amitié est née ; mais une amitié pa- radoxale, traversée par l’embrasement des passions contraires et la guerre sans nom qui brisera Camus et sacrifiera Feraoun, assassiné par l’OAS quatre jours avant les accords d’Évian.

Les lettres de Feraoun sont passionnantes, d’une formidable honnêteté intellectuelle et sans concession vis-à-vis de leur desti- nataire prestigieux pour lequel le jeune écrivain algérien éprouve cependant une très grande admiration. Elles témoignent de l’éveil de la conscience historique du peuple algérien et des prémices d’une la haine ni une ardente revendication. Au des arabes, ses prises de position dès 1938 identité culturelle nouvelle s’affirmant contraire, l’instituteur – on connaît l’im- en faveur de l’égalité : « Les Kabyles récla- face à la violence coloniale. portance de la figure du maître d’école ment des écoles comme ils réclament du Pionnier de la nouvelle littérature franco- pour Camus – est un être d’une intelligence pain... Les Kabyles auront plus d’écoles, le phone nord-africaine, Mouloud Feraoun calme et bienveillante, qui parle la même jour où on aura supprimé la barrière artifi- deviendra l’un des écrivains majeurs de langue que lui, celle de l’universalité de la cielle qui sépare l’enseignement européen la nation algérienne naissante. Ses lettres littérature. Et les mots de ce frère d’âme de l’enseignement indigène, le jour enfin reflètent son difficile et nécessaire affran- sont à la fois dignes de l’humanisme dont où sur les bancs d’une même école, deux chissement de la domination culturelle se réclame Camus et témoins à charge de peuples faits pour se comprendre com- et idéologique d’une France qu’il admire la terrible culpabilité dont il hérite. menceront à se connaître. » pourtant et à laquelle il doit son éduca- tion et sa langue littéraire. Et les réponses En 1951, trois ans avant la guerre mais six Dans cette première lettre, Feraoun se rap- lumineuses de Camus qui nous étaient ans après les massacres de Sétif, Camus pelle cet article d’Alger-républicain, mais il jusqu’alors inconnues, se révèlent être se voit reprocher par ce jeune écrivain constate en même temps que son auteur pour le jeune auteur un formidable encou- prometteur l’absence de la communauté n’est pas au-dessus des colons qu’il dé- ragement, loin des positions attentistes arabe dans son nouveau roman, La Peste, nonce. Il reste derrière la barrière et ignore dont on a injustement accusé l’écrivain comme si « Oran [n’était] qu’une banale cet autre qu’il ne connaît pas. Il n’y a dans algérois. préfecture française ». « Oh ce n’est pas son roman sur l’Algérie aucune commu- un reproche », précise son interlocuteur nauté algérienne, aucun partage de destin, Confronté à la violence des événements, « j’ai pensé simplement que, s’il n’y avait même tragique. Soixante ans plus tard, Ka- on sait que Camus, pressé par tous de pas ce fossé entre nous, vous nous auriez mel Daoud fera le même constat au sujet prendre position, choisit le silence, seule mieux connus, vous vous seriez senti ca- de L’Étranger et exposera le paradoxe d’un attitude digne selon lui face au déchaîne- pable de parler de nous avec la même gé- roman de l’exclusion qui exclut lui-même. ment de haines. Feraoun le reconnaîtra nérosité dont bénéficient tous les autres. » L’affront est terrible car il est vrai.- Pour lui-même : « Le fait qu’il se soit cantonné C’est bien plus qu’un reproche, en réalité, tant Albert Camus ne se défend pas, au dans ce silence est une marque de sympa- c’est la mise à nu du cœur blanc de Camus, contraire, dès la première lettre, il s’offre thie, sinon plus, pour nous. » malgré sa pauvreté première, sa pensée en toute franchise, comme ne pourra ja- Cependant, ce que Camus affronte à la universaliste, son implication dans le droit mais le faire l’homme public qu’il est de- lecture des lettres de Feraoun, n’est ni de

28 donné à son peuple une voix, une histoire, une légitimité culturelle plus puissante qu’aucune violence. Mais cette histoire, il l’a gravée dans la langue de Camus, son frère de lettres et de sang qui vient de re- cevoir le prix Nobel de Littérature. Et ce prix est intimement lié à l’histoire al- gérienne, ce que ne manqueront pas de lui reprocher ses détracteurs de droite comme de gauche. Les conservateurs dénoncent un acte purement politique et une « ingé- rence dans [les] affaires intérieures » de la France par la célébration d’un dangereux gauchiste (in Carrefour). Les autres, au contraire, se moquent de cette apologie d’un « parfait petit penseur poli », « philo- sophe de la liberté abstraite ». Il n’est pas question ici de rappeler toutes les preuves d’engagement de Camus durant ces an- nées terribles, ni l’injustice des reproches qui lui sont adressés. S’il en est affecté, Camus connaît ses amis d’hier et ses enne- mis de toujours et n’attend sans doute rien de mieux de leur part. Il sait également venu. haines stupides qui déshonorent notre que son rapport à l’Algérie motive en par- D’abord en affirmant son amour frater« - pays ». Nous sommes en 1951 et Mouloud tie cette prestigieuse attribution. Or, si les nel » pour le peuple kabyle, rompant ainsi Feraoun est déjà ami d’Emmanuel Roblès, réactions des intellectuels de la métropole d’emblée avec le paternalisme colonial. cependant que Gabriel Audisio a écrit une ne l’étonnent guère, le violent silence de Mais surtout en reconnaissant l’absence très belle critique de son premier roman ses pairs arabes le blesse profondément. d’unité de destin franco-arabe : pour « autobiographique Le Fils du Pauvre. Il fait Seul Feraoun, avec lequel il n’a pourtant les mettre en scène [les arabes d’Oran], il partie déjà de la communauté des intellec- aucune correspondance depuis six ans, lui faut parler du problème qui empoisonne tuels, mais ce que Camus lui révèle dans télégraphie immédiatement pour le félici- notre vie à tous, en Algérie ; il aurait donc cette lettre est que cette communauté ne ter. fallu écrire un autre livre que celui que je comblera pas « ce fossé qui s’élargit stupi- « Vous êtes le seul des écrivains algériens voulais faire. ». Or cet aveu de l’impos- dement ». à avoir pensé que cette nouvelle, dont sibilité d’introduire dans son univers ro- Dans sa lettre de 1951, Feraoun confiait à je n’exagère pas l’importance, pouvait manesque un arabe, sans que ce type de Camus : « si je parvenais un jour à m’expri- m’atteindre au moment où toute mon an- personnage ne transforme la fiction radi- mer sereinement, je le devrais à [...] vos goisse est tournée vers l’Algérie. » calement, est la réponse à toutes les cri- livres qui m’ont appris à me connaître, puis « Touché au cœur », Camus adresse à ce tiques qui lui seront faites à l’avenir. Camus à découvrir les autres ». La lettre de Camus compagnon d’infortune une lettre qui est un écrivain de l’archétype, non de la y ajoute la nécessité de s’atteler à cette marque la fin des illusions de paix et d’en- réalité sociale. Non seulement il convient tâche que ni lui ni aucun autre « pied- tente entre les deux peuples. « Je sup- de son impuissance à restituer cette his- noir » ne peut accomplir. pose que les autres ont consommé en toire qui est la leur : « Il faut un talent eux-mêmes la séparation dont nous souf- que je ne suis pas sûr d’avoir », mais il re- Six années s’écoulent avant l’échange frons tous. Et pourtant si, par-dessus les met dans les mains de « l’arabe » le soin suivant, la guerre d’Algérie éclate et les injustices et les crimes, une communauté de le faire. Ainsi dès ce premier échange, hommes de bonne volonté ne peuvent franco-arabe a existé, c’est bien celle que Camus exhorte son jeune interlocuteur à rien face au déchaînement des « haines nous avons formé, nous autres écrivains devenir l’écrivain de la condition arabe : stupides ». algériens, dans l’égalité la plus parfaite ». « vous l’écrirez [...] parce que vous savez, Feraoun est devenu l’écrivain que Camus L’écrivain, qui un an plus tôt tentait d’in- sans efforts, vous placer au-dessus des avait pressenti. Avec quelques autres, il a fluer sur la situation hongroise en appe-

29 lant à l’union des intellectuels, découvre enfin pour la l’absence de communauté artistique trans- première fois cendant « les injustices et les crimes ». Et en avril 1958 ce constat amer, il ne l’adresse pas à un lors du second simple membre de la famille, mais à l’ini- et ultime sé- tiateur de la communauté franco-arabe, jour de Camus au premier des écrivains algériens franco- en Algérie, phones et à l’un des derniers qui, comme ce sont deux lui, milite « pour la réconciliation dans la amis qui se re- justice que [Camus] souhaite plus que trouvent et Fe- tout au monde. » raoun est sans En utilisant l’expression « écrivains al- doute le seul gériens », Camus rompt clairement avec intellectuel la position des colonialistes qui refusent « musulman » de concéder aux arabes d’Algérie le nom qui partage d’Algériens « ce qui eût été reconnaître encore avec l’existence d’une Algérie sans lien avec Camus l’espoir les Français, et dont les « Européens » d’un avenir auraient été exclus » (Jacques Duquesne, franco-arabe Histoire de l’islam et des musulmans en commun. [Camus n’a] pas oubliée », le fils de Roblès France du Moyen Âge à nos jours). Plus Les heures qu’ils passent ensemble le 12 s’est tué à Alger en manipulant l’arme de qu’une preuve de l’engagement de Camus, avril sont pour tous deux une oasis de son père. Pour Camus, cet événement ab- auquel on reproche aujourd’hui encore fraternité dans un désert d’incompré- surde et terrible est imprégné de la malé- un prétendu attentisme craintif, cette- ex hensions et de ressentiments. Dans son diction algérienne et les mots de sa lettre pression partagée avec Mouloud Feraoun journal qu’il tiendra jusqu’au jour de son évoquent directement sa conversation est le témoin de la troisième voie que les assassinat par l’OAS, Feraoun relate cette rapportée par Feraoun : « J’ai mesuré à deux hommes appellent de leurs vœux, après-midi hors du temps : « Je me suis quel point on pouvait être impuissant de- une Algérie réunie par son histoire et sa senti avec lui aussi immédiatement à l’aise vant certains malheurs ». culture commune et non inféodée à une qu’avec E. Roblès. Sa position sur les évé- Mais ce que l’auteur des cycles de l’ab- puissance ségrégationniste. nements est celle que je supposais : rien surde et de la révolte écrit à Feraoun au de plus humain. Sa pitié est immense pour sortir de cette après-midi est sans doute C’est alors que naît véritablement l’amitié ceux qui souffrent mais il sait hélas que la la plus honnête et parfaite expression du entre les deux hommes. La longue réponse pitié ou l’amour n’ont plus aucun pouvoir combat désespéré du philosophe révolté : que lui adresse Feraoun est empreinte de sur le mal qui tue, qui démolit, qui vou- « Je me suis pris à espérer dans un avenir l’absurdité tragique de leur situation com- drait faire table rase et créer un monde plus vrai, je veux dire un avenir où nous mune mais aussi, incroyable inversion de nouveau d’où seraient bannis les timorés, ne serons séparés ni par l’injustice ni par situation, de l’ascendant que Feraoun les sceptiques et tous les lâches ennemis la justice ». prend alors sur son confrère. Face à un de la Vérité nouvelle ou de l’Ancienne Vé- Camus désemparé, Feraoun lui apporte rité rénovée par les mitraillettes, le mépris L’Histoire a aimé retenir la position de « ce sourire imperceptible » et lui promet et la haine. » Camus faisant passer sa mère avant la Jus- « qu’en dépit du prix fort et peut-être à tice, ce qu’il nous apprend ici, c’est que cause de cela les hommes de chez nous Peu de temps après son départ, Feraoun l’Humanisme qu’il prône n’est pas une parviendront à construire ce monde frater- envoie à Camus les photographies prises logique de priorité de l’homme sur la vé- nel que vous avez toujours cru possible ». chez lui avec sa famille et dans son école rité idéologique, mais une vérité définie à Quelques mois plus tard, Camus, qui souf- au côté des élèves. Camus lui adresse en l’aune de l’être humain, transcendant les frait d’une terrible sécheresse littéraire, retour une des plus émouvantes lettres idéologies. s’attelle enfin à l’œuvre qui le tourmente sur la tragédie algérienne destinée au seul Dans sa première lettre, Feraoun espérait depuis 1953, Le Premier Homme, un « ro- intellectuel algérien qui aura compris et trouver la sérénité nécessaire pour accom- man d’éducation » qui donnera un rôle partagé jusqu’au bout la position huma- plir sa mission littéraire : la reconnaissance central à la figure de l’instituteur. niste de Camus, au prix de sa vie. La nuit de la dignité de son peuple. Sept ans plus Lorsque Camus et Feraoun se rencontrent qui a suivi « cette après-midi d’amitié que tard, au cœur de la tourmente, Camus

30 offre à son ami la plus belle légitimation de 1951, à celui qui inspira son œuvre et gloire algérienne ». de son œuvre : « Je voulais vous dire aus- son combat et qui, à la suite de cet article Fidèle à leur exigence d’intégrité et d’in- si que votre calme, votre courage (car la déclarera publiquement : « Je me sens infi- dépendance, Feraoun, comme Camus au- sérénité devant ce que nous ressentons niment plus proche d’un instituteur kabyle paravant, refuse toutes les sollicitations si fort est une forme de courage) m’ont que d’un intellectuel parisien. » de l’État Français dont le prestigieux poste fait plus de bien à Alger que cent autres d’ambassadeur que lui offre De Gaulle. rencontres. [...] votre œuvre est de celle Il est plus que probable que Camus ait Cependant il répond à l’appel de son amie qu’on peut lire au paysan de Tolstoï, [...] reconnu l’auteur véritable de Sources de Germaine Tillion qui fonde les Centres elle fait du bien, et elle en fera parce qu’il nos communs malheurs. Mais il sait par Sociaux Éducatifs avec une équipe fran- n’y a pas de haine en vous, et que vos ré- ailleurs l’immense risque que prend Fe- co-arabe. « Il s’agit d’assumer l’écrasante voltes sont généreuses. » raoun en publiant un article qui irrite au- responsabilité qui fait du « savant » un tant le FLN que le pouvoir colonial. Aussi le éducateur, du clair voyant un guide ; du Au lendemain de cette lettre, le putsch remercie-t-il avec la même clandestinité, docteur un médecin et de l’homme le frère d’Alger mettra fin à tous les espoirs de ré- feignant d’ignorer l’identité du rédacteur : des autres hommes. » (Feraoun, L’institu- conciliation. « Vous lirez je l’espère, [...] la lettre d’un teur du Bled. – Bulletin des Centres So- instituteur musulman, à moi adressée, et ciaux éducatifs n°14, 1930) Septembre 1958, Feraoun a lu Actuelles III, qui m’a beaucoup touché. ». chroniques Algériennes. L’accueil de l’ou- Cette lettre de Camus est courte et Plus de vingt ans après la découverte vrage est désastreux, l’heure est plus que puissante comme le dernier souffle du de Camus et de son engagement dans jamais aux violences verbales et physiques condamné : Alger-Républicain, Feraoun applique à la et dans ce monde manichéen, Camus ne « Je continue d’espérer la réconciliation lettre les principes prônés par ce « brave représente aucune des factions. Il est de- – et ce moment où notre amitié sera la type » qui, malgré sa jeunesse et « sa voix venu un proscrit. Feraoun, lui, dénonce les règle de tous en Algérie ». Vœu presque bien faible », « se préoccupait déjà du sort crimes des deux côtés mais sait que l’indé- mystique et souvenir du vain combat qui des populations musulmanes, [à l’époque pendance est désormais la seule et impar- unit les deux hommes en faveur d’une où lui, qui était du même âge, s’]exer- faite voie. Dans un climat de haine et de commune reconnaissance de l’Autre. çait seulement à faire correctement [s]a menace de mort, Feraoun prend la plume À la mort de Camus, Feraoun lui rend un classe. » (Feraoun, « Sources de nos com- et publie dans Preuves un remarquable ar- poignant hommage public en lui offrant muns malheurs, Lettre à Albert Camus »). ticle en réponse à Camus, anonyme mais à son tour ce partage de leur algérianité, Le 15 mars 1962, peu après 11 heures, un transparent (« Sachez [...] que je suis un envers et contre tous : « Il faut dire que commando armé de l’OAS pénètre dans instituteur arabe [...] kabyle et vous avez Camus était algérien au sens physique du les locaux du Centre, à la recherche de du même coup toutes les précisions néces- mot. [...] Nous le considérons comme une sept personnes nommément désignées, saires »). Certains ont voulu dont Mouloud Feraoun. Six lire dans cet ultime plaidoyer de leurs cibles identifiées, le pour « tenter de créer les commando conduit les vic- conditions d’une véritable times à l’angle du bâtiment fraternisation qui n’aurait où les attendent deux fusils rien à voir avec celle du 13 mitrailleurs. Quatre jours mai », une attaque contre après l’« assassinat de Châ- son confrère. L’échange épis- teau-Royal », les accords tolaire des deux hommes d’Évian scelleront définitive- prouve qu’au contraire, cette ment le sort de l’Algérie, loin lettre ouverte, truffée de -ré des aspirations fraternelles férences à leur correspon- de Camus et de Feraoun et dance privée, est l’ultime don de leurs « révoltes géné- d’amitié du grand écrivain reuses ». algérien, redevenu un ins- tant le modeste instituteur vendu + de photos

31 16 Blaise CENDRARS Séquences

Éditions des hommes nouveaux | Paris 13 juin 1913 | 17 x 22,5 cm | broché

Édition originale du second livre de Cendrars, imprimée à 150 exemplaires sur papier de Hol- lande à la forme et proposée aux souscripteurs.

Selon Sonia Delaunay, Sé- quences, Pâques à New York et le Transsibérien ont été publiés aux frais de l’auteur, grâce à un petit héritage. Le siège indiqué – Éditions Hommes nouveaux – 4, rue de Savoie, était en effet la petite chambre mansardée que Blaise Cendrars occupait à cette époque.

Précieux exemplaire des poèmes de jeunesse de Blaise Cendrars, d’une exception- nelle rareté et dans un état de conservation remarquable. 8 500 + de photos

32 17 François-René de CHATEAUBRIAND

Œuvres complètes. – Œuvres diverses. – Le Congrès de Vérone. – Essai sur la littérature anglaise. – Paradis perdu, de Milton

Ladvocat | Paris 1826-1831 & 1824 & 1838 | 13 x 21,5 cm | 36 volumes reliés

Première édition collective, en partie ori- ont été regroupés plusieurs brochures po- restèrent proches jusqu’à la fin de leur vie. ginale, de loin la plus importante et la plus litiques en édition originale), Le Congrès Ces légitimistes voués corps et âme à la recherchée (cf Clouzot), Chateaubriand de Vérone (2 volumes parus chez Delloye cause bourbonnienne tentèrent d’ailleurs ayant remanié et revu une grande partie en 1838), Essai sur la littérature anglaise l’impossible pour faire nommer l’écrivain de ses œuvres. et Paradis perdu, de Milton, tous les deux gouverneur du jeune comte de Chambord, Dans cet ensemble apparaissent égale- parus chez Gosselin en 1839). prétendant au trône de France. Lorsqu’il ment en édition originale plusieurs textes rédige cet envoi, probablement vers 1843, dont Les Natchez, Le Dernier Abencérage, Dans le volume intitulé Œuvres diverses, Chateaubriand est au crépuscule de sa vie Le Voyage en Amérique, Moïse (placé en précieux envoi autographe signé de Fran- politique et d’écrivain ; proches du comte fin du XXIIè volume et qui fait souvent dé- çois-René de Chateaubriand à monsieur de Chambord alors en exil en Angleterre, faut). (Henri) Bayart sur la page de faux-titre de les Bayart tentent à nouveau d’intercéder Chaque volume est illustré d’un frontispice « La nouvelle proposition relative au ban- en faveur de Chateaubriand et envoient de Charles Thompson. nissement de Charles X et de sa famille ». sans succès Henri Bayart prier le dernier Reliures en demi chagrin bleu marine, Cet envoi datant des dernières années descendant des Bourbons de convier le dos à cinq nerfs, plats de papier marbré, de l’écrivain est adressé à Henri Bayart vieil écrivain à sa suite. gardes et contreplats de papier à la cuve. (1825-1892), filleul de la duchesse de Quelques rousseurs. Berry et frère de Sophie-Josèphe Bayart, Rare et bel ensemble établi en reliure uni- une amie intime de François-René et de forme, comportant de nombreuses édi- Il est joint à ces œuvres complètes, en son épouse. Les Chateaubriand et la fa- tions originales et enrichi d’un précieux reliures uniformes, un volume intitulé mille Bayart nouèrent des liens d’amitié envoi autographe. Œuvres diverses (volume relié dans lequel et d’affaires au moment des Cent-Jours et 10 000 + de photos

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18 Michel-Eugène CHEVREUL De la loi du contraste simultané des couleurs, et de l’assortiment des objets colorés, considéré d’après cette loi

Pitois-Levrault et Cie | Paris 1839 | volume de texte : 13 x 21 cm atlas : 24 x 28,5 cm | 2 volumes reliés

Édition originale. Exemplaire bien complet Gobelins pour réaliser cet ou- des deux tableaux dépliants du volume de vrage fondateur de la théorie texte et des 40 planches de l’atlas présen- des couleurs. tant une centaine de figures partiellement coloriées et toutes signées par Chevreul. Ce travail, d’une importance Elles montrent des exemples de contrastes scientifique capitale, eut éga- de couleurs à partir de points colorés litho- lement une influence consi- graphiés sur fonds clairs ou sombres. À la dérable sur les arts appliqués fin de ce même volume se trouve un texte (tissus, vitraux...) et la pein- de Condorcet imprimé sur 9 feuillets de ture. Les cercles chromatiques de Chevreul et de l’interroger sur quelques points qui couleurs différentes. inspirèrent les impressionnistes (notam- le tourmentaient encore. Malheureu- Reliure de l’époque en demi veau laval- ment Seurat) et plus tard les néo-impres- sement le perpétuel mal de gorge dont lière, dos lisse orné de filets dorés et à sionnistes comme Sonia et Robert Delau- souffrait Delacroix l’empêcha de sortir au froid, dentelle dorée en tête et en queue, nay. Paul Signac reconnut sa dette dans jour convenu. Et jamais ils ne se rencon- gardes et contreplats de papier caillouté, son fameux essai, D’Eugène Delacroix au trèrent. Peut-être sans cet incident le sa- reliure de l’époque. Atlas en demi perca- Néo-impressionnisme (1899) : « Lors d’une vant aurait-il éclairé plus complètement le line à la bradel. visite que nous fîmes à Chevreul, aux Go- peintre. » belins, en 1884, et qui fut notre initiation Chimiste de réputation internationale, à la science de la couleur, l’illustre savant Rare exemplaire complet de cet ouvrage membre de la Royal Society et directeur du nous raconta que, vers 1850, Delacroix, qui joua un rôle fondamental dans l’évo- Museum d’histoire naturelle, Michel-Eu- qu’il ne connaissait pas, lui avait, par lution de la peinture moderne. gène Chevreul s’inspira de ses conférences lettre, manifesté le désir de causer avec sur les tapisseries à la manufacture des lui de la théorie scientifique des couleurs 12 000 + de photos 35 Colette et Jeanne de Bellune se sont probablement rencontrées en 1905 à la Villa d’Eylau où se tenait le cercle Victor-Hugo ou « Cercle des arts et de la mode » à l’occasion duquel fut réalisée la revue Le Damier. Si « Jeannot » hante la correspondance de l’écrivaine bourguignonne, on ne sait que très peu de choses d’elle. Vicomtesse de Juromenha, cette cocotte fin de siècle fut l’amante de nombreuses figures féminines intellectuelles de ce début de XXè siècle telles que Renée Vivien ou Liane de Pougy qui la qualifiait de « petit gnome ». Il ne demeure aucune image de cette « lesbienne des plus cocasses » (Jacques Ars) dans les collections publiques et le seul portrait qu’on lui connaisse est celui brossé par Natalie Clifford- Barney, celui d’une « ivrognesse au visage rouge et sans beauté ». Les exemplaires dédicacés de sa bibliothèque demeurent de précieux témoignages de l’émancipation saphique des femmes à l’aube du XXe siècle.

19 COLETTE & WILLY Minne

Paul Ollendorff | Paris 1905 | 12 x 19 cm | broché

Édition originale sur papier courant, fantai- Un léger manque en pied du siste mention de 42ème édition. dos, petites taches en pied Important envoi autographe signé de Co- du deuxième plat. lette à la vicomtesse Jeanne de Bellune « À mon frère et ami Jeannot / affectueux Précieux exemplaire d’une souvenir... » enrichi de la signature de exceptionnelle provenance. Willy. 2 300 + de photos

36 20 COLETTE Les Vrilles de la vigne

Éditions de la vie parisienne | Paris 1908 | 12 x 19 cm | broché

Édition originale sur papier courant. Précieux et bel envoi de Colette à son amie Jeanne de Bellune : « À mon copain Jeannot / affectueux souvenir de son amie / Colette Willy. » Couvertures illustrées par G. Bonnet et illustrations intérieures du même. Rare et émouvant exemplaire. 2 300 + de photos

21 COLETTE L’Envers du music-hall

Flammarion | Paris [1913] | 12 x 19 cm | relié

Édition originale, un des exemplaires du service de presse. Reliure en demi maroquin cerise, dos à cinq nerfs, plats de papier marbré, gardes et contreplats de papier à la cuve, couver- tures légèrement piquées et dos passé conservés, tête dorée, reliure signée de Goy & Vilaine . Important envoi de Colette à la vicom- tesse Jeanne de Bellune « affectueux sou- venir de sa vieille amie... » Gardes et page de faux-titre ombrées, quelques petites rousseurs marginales. Précieux exemplaire agréablement établi d’une exceptionnelle provenance. 2 500 + de photos

37 22 [COLETTE] Meg VILLARS & WILLY Les Imprudences de Peggy

Sté d’éditions et de publications parisiennes | Paris [ca 1910] | 12 x 19 cm | broché

Édition originale de la traduction française tion de Willy’, où Colette est établie par Willy dont il n’est pas fait men- persiflée en Vivette Wailly, àla tion de grands papiers. vie emplie de coucheries stériles […], avec des « prêtresses de Important et superbe envoi de Meg Vil- Sapho » des plus débauchées et lars, qui fut la maîtresse de Willy alors infidèles, finissant sa vie en soû- que celui-ci était marié à Colette, à la vi- larde dans son château de Bre- comtesse Jeanne de Bellune « pour mon tagne avec une vieille qui a les amie Jeannot de Bellune / en souvenirs traits de Missy. Goujaterie sup- de plaisirs (qu’on ose à peine qualifier de plémentaire, Meg envoie le livre champêtres) partagés à Monte-Carlo... » dédicacé à la vicomtesse Jeanne de Bellune, dite « Jeannot », Couverture illustrée d’une sanguine de l’une des lesbiennes les plus co- Garnier Salbreux. casses de Paris, également amie Meg Villars, de son vrai nom Marguerite de Colette. » (La Vie sexuelle des Maniez commença à fréquenter Willy en écrivains, publié sous la direc- 1906 et l’épousa en 1911. Après la rup- tion de Gilles Bouley-Franchitti, ture entre ce dernier et Colette, Jeanne de 2006) Bellune continua à fréquenter Willy et sa Précieux exemplaire, d’une ex- nouvelle femme, rapportant leurs frasques ceptionnelle provenance et rela- à son amie bourguignonne. tant la relation tumultueuse de « Willy osa même faire signer un livre à Colette et Willy dans le Paris du Meg, Les Imprudences de Peggy, ’traduc- début de siècle. 1 000 + de photos 23 Joseph CONRAD Typhon

Nrf | Paris 1918 | 11 x 16,5 cm | broché

Édition originale de la traduction française établie par André Gide et imprimée à 300 exemplaires numérotés sur Rives. Comme généralement, quelques très légères piqûres affec- tant, en marges, certains feuillets. Rare et bel exemplaire aux couvertures bleues non déco- lorées. 1 500 + de photos 38 DADA

24 [Maurice BARRÈS] Affiche originale : « Mise en accusation et jugement de M. Maurice Barrès par Dada » s. n. | 13 mai 1921 | Affiche : 32 x 24 cm / Cadre : 45,5 x 37,5 cm | une affiche encadrée sous verre

Affiche originale dadaïste intitulée « Mise so. Pliures, sinon document bien conservé Aragon, Soupault...) et, d’autre part, Tris- en accusation et jugement de M. Maurice au jaune éclatant. tan Tzara et ses amis. Barrès par Dada », encadrée sous verre Poursuivi pour « crime contre la sûreté de permettant d’en voir les deux faces. Au Affiche annonçant le procès pénal fictif l’esprit », Barrès fut condamné à la peine verso « Extrait de l’acte d’accusation » ré- de Maurice Barrès par les dadaïstes qui afflictive et infamante de vingt ans de tra- digé par André Breton, suivi de la liste des se déroula le vendredi 13 mai 1921 à la vaux forcés par un jury composé de douze contributeurs. Une annotation manuscrite Salle des sociétés savantes, 8 rue Danton à spectateurs. « VI n°47 » à l’angle gauche du verso. Une Paris. Cette manifestation marque une di- Ce procès a été retranscrit dans le numéro petite restauration, à l’aide d’une bande vergence importante entre, d’une part, les 20 de la revue Littérature. de papier et sans atteinte au texte, au ver- animateurs de la revue Littérature(Breton, 6 800 + de photos

39 DADA

25 Paul DERMÉE & Philippe SOUPAULT & Paul ÉLUARD & Georges RIBEMONT- DESSAIGNES & Francis PICABIA & Walter SERNER & André BRETON & Tristan TZARA & Céline ARNAULD & Louis ARAGON

[Affiche Dada] Tract Dada – Festival Dada à la Salle Gaveau, mercredi 26 mai 1920

Paris mercredi 26 mai 1920 | 27,2 x 37 cm. | une feuille

Édition originale de ce tract programme Illustration mécanique en surimpression gramme d’Éluard), Picabia, Tzara, etc. annonçant le festival du groupe dadaïste de Picabia. Très bel exemplaire d’une grande fraî- de Paris à la Salle Gaveau le mercredi 26 Catalogue des publications du Sans pareil cheur et ayant conservé sa fragile couleur mai 1920. La maquette de cette affiche a au verso. verte. été conçue par Tzara et Picabia. Participations de Breton, Draule (ana- 6 000 + de photos

40 DADA

26 Tristan TZARA & Philippe SOUPAULT & Paul ÉLUARD & Louis ARAGON

[Affiche Dada] Tract Dada – Soirée Dada à la Galerie Montaigne le vendredi 10 juin 1921 à la Galerie Montaigne

Imp. Crémieu | Paris 1921 | 21 x 27 cm | une feuille

Édition originale de ce rare tract tagonistes du mouvement, à l’exception annonçant la soirée Dada du ven- notable de Picabia et de Duchamp qui re- dredi 10 juin 1921 à la Galerie fusèrent d’en faire partie. Montaigne. Participation de Madame E. Bujaud, Phi- Deux fines traces de pliure sans lippe Soupault, Louis Aragon, Valentin Par- gravité. nak, Georges Ribemont-Dessaignes, Paul Précieuse invitation pour cette Éluard, Benjamin Péret et Tristan Tzara. soirée organisée dans le cadre du Nous n’avons pu dénombrer que trois « Salon Dada », installé à la gale- exemplaires en bibliothèque à la Yale Uni- rie Montaigne pendant le mois de versity Library, à l’Art Institute of Chicago juin 1921. Tristan Tzara y joua pour et à la Kunsthaus Zürich Bibliothek. la première fois sa pièce Le Coeur Un des tracts dada les plus rares. à gaz et réunit la plupart des pro- 4 500 + de photos 27 Tristan TZARA [Affiche Dada] Carton d’invitation permanente pour les trois manifestations Dada des 10, 18 et 30 juin 1921 à la Galerie Montaigne

Galerie Montaigne | Paris 1921 | 14,1 x 9,5 cm | une feuille

Carton d’invitation permanente pour les Marinetti le 7 juin, l’accès au bâtiment leur trois manifestations Dada se déroulant les sera interdit. Tzara et les dadaïstes se ven- 10, 18 et 30 juin 1921 à la Galerie Mon- gèrent en sabotant la représentation taigne. des Mariés de la Tour Eiffel Au verso, divers maximes dadaïstes visant de Cocteau. les futuristes et les Ballets suédois : « Ne Très bel exemplaire de pas confondre : Les sucres d’orages avec toute rareté, nous n’en les sucres d’orge. L’institut avec les bains avons trouvé que deux à turcs, etc. » la Kunsthaus Zürich Biblio- Trois événements sont annoncés, mais thek et à la Yale University seul le premier eut lieu : à la suite de la Library. manifestation organisée par Dada contre 3 000 + de photos

41 DADA 28 Francis PICABIA & André BRETON & Paul DERMÉE & Paul ÉLUARD & Louis ARAGON & Tristan TZARA

Affiche-programme DADA – Salon des Indépendants, Grand Palais des Champs-Élysées, 5 février [1920]

Paris 1920 | 18,8 x 26,6 cm | une feuille

Édition originale de cette affiche-pro- Quelques traces de pliures sans gravi- gramme annonçant le Salon des Indé- té, deux petites taches brunes en marge pendants au Grand Palais le jeudi 5 haute et basse du document. février 1920, seconde manifestation Nous n’avons pu trouver aucun exemplaire Dada, avec des interventions de Pica- dans les bibliothèques. bia, Breton, Dermée, Éluard, Aragon Rarissime. et Tzara. 6 800 + de photos

29 Salvador DALÍ & André BRETON

Célèbre ex-libris d’André Breton dit « Le tamanoir » dessiné et gravé par Salvador Dalí s. n. | Paris [ca 1930] | 6,5 x 4 cm | une feuille

Ex-libris d’André Breton, comportant une gravure de Salvador Dalí qu’il a signée et intitulée : « André Breton le tamanoir », réalisée pour lui. Rare. 1 000 + de photos

42 30 Charles DE GAULLE & COLLECTIF Bulletin officiel des Forces françaises libres n° 1

15 août 1940 | 18,6 x 24,6 cm | broché sous coffret

Édition originale du premier et seul- nu S’il ne parait que le 15 août, le bulletin est fois dans sa version originale, telle que méro paru du Bulletin Officiel de la France rédigé dès la signature de l’accord britan- le Général l’a composé. La version radio- Libre qui, en plus de la reproduction de nique qui constitue l’élément décisif - per phonique avait en effet été modifiée à la l’Affiche à tous les Français, présente pour mettant à la Résistance française de- s’af demande du gouvernement britannique la première fois le texte original de l’appel firmer. afin de préserver la possibilité que le gou- du 18 juin, l’accord du 7 août 1940 par le « Avec cet accord, le général de Gaulle est vernement de Pétain refuse de signer l’ar- Général de Gaulle et Winston Churchill et officiellement reconnu « chef des Français mistice. les fondements juridiques du gouverne- libres » par son allié britannique. Il s’agit ment de la « France libre » ainsi créée. à présent de donner à la France libre l’ap- Dans ses mémoires, De Gaulle commen- Nous joignons le très rare carton d’invi- parence d’un gouvernement en exil. C’est tera cette précaution initiale : « Pourtant, tation au premier anniversaire de l’appel la tâche à laquelle s’attelle René Cassin, tout en faisant mes premiers pas dans du 18 Juin organisé par les « Français de éminent juriste qui a rallié le général de cette carrière sans précédent, j’avais le Grande-Bretagne » au Royal Albert Hall, le Gaulle quelques jours après l’appel du devoir de vérifier qu’aucune autorité plus 18 juin 1941. 18 juin. Ce travail énorme ne peut abou- qualifiée que la mienne ne voudrait- s’of Bien plus qu’une commémoration, cet tir rapidement. Pourtant la France Libre a frir à remettre la France et l’Empire dans « anniversaire », au cœur du conflit, est un besoin de définir et de faire connaître des la lutte. Tant que l’armistice ne serait pas acte politique majeur et une célébration règles de fonctionnement. C’est pourquoi en vigueur, on pouvait imaginer, quoique du Général qui, en un an, a réussi à fédé- paraît le 15 août 1940 ce Bulletin officiel contre toute vraisemblance, que le gou- rer autour de lui les forces de résistance des Forces Françaises Libres, qui prend vernement de Bordeaux choisirait finale- françaises et à imposer la souveraineté de l’aspect d’une publication officielle de la ment la guerre. N’y eût-il que la plus faible France libre. République française, sans faire référence chance, il fallait la ménager. » Les deux documents sont disposés dans à aucun de ses symboles. » (in Résistance une boîte en plein maroquin bleu de 09/10, éditée par le Musée National de la Ainsi le 18 juin 1940, quatre jours avant France, auteur et titre estampés à l’or sur Résistance). C’est ensuite dans un Journal la signature de l’armistice par Pétain, le le premier plat, fermeture aimantée, in- Officiel de la France Libre que chaque mois discours du Général s’ouvre-t-il sur cette térieur doublé d’agneau brun, rhodoïds à partir de janvier 1941, seront publiés les fausse communauté d’esprit : sur mesure permettant de protéger et de lois et décrets organisant la France Libre. « Le Gouvernement français a demandé présenter élégamment les feuillets, re- Cependant, l’élément fondamental de ce à l’ennemi à quelles conditions hono- marquable coffret signé Thomas Boichot. Bulletin fait référence à un événement rables un cessez-le-feu était possible. Il D’une insigne rareté, ce premier organe de antérieur et pourtant inédit. En effet, a déclaré que, si ces conditions étaient communication officiel de la France Résis- comme le souligne l’article de Résistance contraires à l’honneur, la dignité et l’in- tante fut sans doute distribué à très petit 09/10 « Ce premier numéro présente en dépendance de la France, la lutte devait nombre d’exemplaires essentiellement première page, sous l’annonce de « La re- continuer. » destinés aux membres de ce gouverne- connaissance du Général de Gaulle par le C’est cette version qui sera imprimée ment naissant en quête de légitimité. Gouvernement Britannique », ce qui fait dans les très rares journaux français qui la légitimité de la France libre, à savoir Le rendront compte de cet événement histo- Hautement symbolique, ce bulletin ras- premier appel du général de Gaulle et le rique, Le Petit provençal et Le petit Mar- semble les trois éléments fondateurs du texte de l’affiche qui a été placardée sur les seillais du 19 juin 1940. La presse anglaise nouvel État Français : la déclaration du murs en Angleterre » (The Times et The Daily Express) publie, Général, la reconnaissance des autres na- Or, bien que le Bulletin paraisse presque elle, la traduction anglaise du discours tions, la présentation d’un gouvernement deux mois après L’Appel du 18 juin, le texte écrit par le Général et transmis par le Mi- structuré. du premier et plus important discours de nistry of Information (MOI) et non de la De Gaulle est ici publié pour la première version radiophonique :

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« From London, General de Gaulle broad- Allemands qui ont surpris nos chefs au cialisés des industries d’armement qui se casts in the evening an appeal to the point de les amener là où ils en sont au- trouvent en territoire britannique ou qui not to cease resistance. He jourd’hui. viendraient à s’y trouver, à se mettre en says : ’The generals who for many years Mais le dernier mot est-il dit ? L’espé- rapport avec moi. have commanded the French armies rance doit-elle disparaître ? La défaite Quoi qu’il arrive, la flamme de la résis- have formed a Government. That Go- est-elle définitive ? Non ! tance française ne doit pas s’éteindre et vernment, alleging that our armies have Croyez-moi, moi qui vous parle en ne s’éteindra pas. been defeated, has opened negotiations connaissance de cause et vous dis que Demain, comme aujourd’hui, je parlerai with the enemy to put an end to the fi- rien n’est perdu pour la France. Les à la radio de Londres. ghting.’ » mêmes moyens qui nous ont vaincus Londres, 18 juin 1940 ». peuvent faire venir un jour la victoire. C’est donc dans ce Bulletin Officiel des Car la France n’est pas seule. Elle n’est Notre exemplaire, dans un état de conser- Forces Françaises Libres que le 15 aout pas seule. Elle a un vaste Empire. Elle vation exceptionnel, est adressé, par une 1940 parut enfin le texte original de la pre- peut faire bloc avec l’Empire britannique mention manuscrite au crayon au verso du mière intervention du Général de Gaulle et qui tient la mer et continue la lutte. Elle dernier feuillet, à l’un des tous premiers qui – bien qu’elle ne fût pas ainsi pronon- peut, comme l’Angleterre, utiliser sans li- militaires ayant rejoint De Gaulle à Londres cée – deviendra la version historique de mites l’immense industrie des États-Unis. en juillet 1940, l’aviateur Julien Le Tes- l’Appel du 18 juin. La guerre n’est pas limitée au territoire sier, (dossier de résistant GR16P368409), malheureux de notre pays. Cette guerre (en gras les éléments tronqués du discours membre précoce des F.A.F.L, devenu n’est pas tranchée par la bataille de lieutenant instructeur et formateur de pi- radiophonique et de la publication dansLe France. Cette guerre est une guerre mon- Petit provençal) : diale. Toutes les fautes, tous les retards, lotes pendant le conflit puis décoré de la toutes les souffrances, n’empêchent pas Légion d’honneur. « Les Chefs qui, depuis de nombreuses qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens années sont à la tête des armées fran- pour écraser un jour nos ennemis. Fou- Nous n’avons trouvé que six exemplaires çaises, ont formé un gouvernement. Ce droyés aujourd’hui par la force méca- de ce Bulletin tous conservés dans des ins- gouvernement, alléguant la défaite de nique, nous pourrons vaincre dans l’ave- titutions françaises et étrangères : nos armées, s’est mis en rapport avec nir par une force mécanique supérieure. – Musée de l’ordre de la Libération l’ennemi pour cesser le combat. Le destin du monde est là. – Bibliothèque Nationale de France Certes, nous avons été, nous sommes, Moi, général de Gaulle, actuellement à – Université de Tel Aviv, Israël submergés par la force mécanique, ter- Londres, j’invite les officiers et les soldats – Harvard University, U.SA restre et aérienne, de l’ennemi. français qui se trouvent en territoire bri- – Stanford University, U.S.A Infiniment plus que leur nombre, ce sont tannique ou qui viendraient à s’y trouver, – Université de Sherbrooke, Québec, Ca- les chars, les avions, la tactique des Al- avec leurs armes ou sans leurs armes, nada. lemands qui nous ont fait reculer. Ce j’invite les ingénieurs et les ouvriers spé- sont les chars, les avions, la tactique des 6 000 + de photos

45 31 Edgar DEGAS Lettre autographe inédite signée

Dieppe 1er septembre 1885 | 22,4 x 17,7 cm | 4 pages sur un double feuillet

Lettre autographe inédite signée d’Edgar Degas à un destinataire inconnu. 4 pages à l’encre noire sur un feuillet remplié. Une pliure centrale inhérente à la mise sous pli du courrier.

Belle lettre inédite témoignant de l’autre grande passion de Degas après la danse : le chant.

La première parisienne de l’opéra wagné- rien Sigurd d’Ernest Reyer eut lieu le 12 Sigurd en réalisant deux dessins sur éven- fit plusieurs dessins : « Avez-vous jamais juin 1885 à l’Opéra de Paris. Degas, subju- tails, aujourd’hui en mains privées aux vu le Mont Saint Michel ? Pourrions-nous gué par la prestation de la chanteuse Rose États-Unis. un jour y aller passer quelques jours en- Caron vit la pièce à trente-sept reprises : Véritablement obsédé par cette « œuvre semble ? Que c’est beau, que c’est atta- « J’aime toujours Sigurd et je l’aime aussi admirable qui [lui] fait tant de bien, qu[’il] chant. En un mois j’y suis allé deux fois. de plus en plus. Je n’ai vu Reyer qu’une ne [peut] plus [s’]en passer », le peintre Les grandes marées de la fin de septembre fois et dans la rue. Et je n’ai pas oublié de réclame à son célèbre voisin de lui en in- vont m’y ramener une troisième. » lui parler de l’admiration qu’il avait pro- terpréter la partition au piano : « Le jeune La passion de Degas pour l’opéra est re- voquée beaucoup plus immédiatement [Jacques-Emile] Blanche notre voisin me tracée dans une exposition, en l’honneur sur moi que sur une personne qui, pour la joue tous les jours, à défaut de votre du 350è anniversaire de l’Opéra de Paris, être ni bonne, ni blanchisseuse, méritait femme. » se déroulant du 24 septembre 2019 au 19 quelque considération. » Degas rendit La lettre s’achève sur une description- ly janvier 2020 au musée d’Orsay. hommage à la beauté de Rose Caron dans rique du Mont Saint Michel, dont Degas 6 000 + de photos

46 32 Edgar DEGAS & Georges William THORNLEY 15 lithographies d’après Degas

Boussod | Valadon & Cie | Paris [1889] | in-plano (41 x 59 cm) | en feuilles sous portefeuille de l’éditeur

Édition originale et seule parue de cette le cachet de la signature de Thornley avec et interrompit même parfois l’impression remarquable suite de 15 lithographies les mentions « Chez Mrs Boussod & Va- afin que des améliorations puissent être originales du peintre post-impression- ladon – 19 Bd Montmartre » et « Imp. Bec- encore apportées. niste Georges William Thornley, impri- quet frères à Paris ». L’importance des gravures de Thornley mée à seulement 100 exemplaires. dans l’œuvre de Degas est tout particu- Portfolio cartonné de l’éditeur très habile- « En 1888, Georges William Thornley se vit lièrement mise en lumière par l’ouvrage ment restauré. passer commande d’une série de lithogra- consacré à Degas par J.-S. Boggs et édité phies d’après les œuvres de Degas. Ces li- par le Metropolitan Museum de New York ; Quatorze des quinze lithographies sont thographies vont bien au-delà de la qualité publication dans laquelle nous retrouvons imprimées en couleurs (noir, bleu, vert, de reproduction de l’illustre éditeur. Elles plusieurs des gravures présentées dans la mauve et différents bruns) sur papier de démontrent aussi le haut degré de collabo- collection. » (Chantal et Guy Heytens) Chine volant appliqué sur papier fort bleu ration entre Degas et Thornley. Nous n’avons recensé que deux exem- pâle, une seule est directement imprimée Ce dernier sélectionna tout d’abord les plaires en bibliothèque : un à la BNF et un sur le papier fort. œuvres à éditer, effectua les changements à l’INHA. Toutes à l’exception de la dernière, portent nécessaires dans les dessins préparatoires 28 000 + de photos

47 48 33 Albrecht DÜRER Alberti Dureri clarissimi pictoris et geometræ. De sym[m] etria partium in rectis formis hu[m]anorum corporum

In aedibviduae Durerianae [Hieronymus Andreae] | Norimbergae [Nuremberg] 1532 | in-folio (20,5 x 32 cm) | (80) f- Signatures : A-E6 | F4 | G-N6 | O4 | relié

Édition originale de la traduction latine des modèles, l’ouvrage étant établie par Joachim Camerarius l’Ancien, destiné à éviter les erreurs de l’ouvrage a paru en allemand en 1528 sous proportions chez les jeunes ar- le titre Vier Bücher von menschlicher Pro- tistes. portion. Notre édition contient les deux premiers livres, les deux suivants seront La traduction latine de Joa- publiés en 1534 sous le titre De varietate chim Camerarius – humaniste figurarum et flexuris partium ac gestibus et proche ami de l’auteur – eut imaginum. Il faudra attendre 1557 pour à l’époque un rôle primordial : que la traduction française de Louis Mei- elle conféra à l’œuvre de Dü- gret voie le jour. rer, jusqu’alors rédigée dans Notre édition est illustrée de 85 grands un allemand archaïque, une bois hors-texte et de beaucoup d’autres importante audience ; sans Camerarius, n’abandonnant pour autant pas les arts petits in-texte, les mêmes que ceux- em Michel-Ange n’aurait par exemple jamais picturaux, Dürer, encouragé par ses amis ployés dans l’édition originale allemande. eu connaissance de la théorie des propor- humanistes, passe la plupart de son temps Page de titre présentant le célèbre mono- tions de Dürer. à écrire. Déterminé à laisser à la postéri- gramme de Dürer. Texte en gothique. Le Dürer – dont le parrain Anton Koberger té le fruit de ses longues réflexions théo- dernier feuillet blanc, manquant dans la édita en 1493 La Chronique de Nuremberg riques, il publie plusieurs traités : Instruc- plupart des exemplaires, est ici présent. – fréquenta très tôt le monde de l’impres- tion sur la manière de mesurer (1525), Exemplaire grand de marges, d’une grande sion et de la gravure et contrairement à Instruction relative aux fortifications des fraîcheur. son contemporain florentin Léonard de bourgs, villes et châteaux (1527) et enfin Reliure postérieure en plein vélin à lacets. Vinci qui ne publia rien, il donna pour sa Traité des proportions du corps humain part plusieurs traités théoriques. C’est à (1528). Très bel exemplaire du plus recherché des l’occasion d’un voyage en Italie en 1494 ouvrages techniques d’Albrecht Dürer. qu’il rencontre Jacopo de’Barbari (1445- En totale adéquation avec les considéra- 1516) qui l’initie au rôle des mathéma- tions artistiques de la Renaissance, le des- Les illustrations nécessitèrent l’examen de tiques dans la perspective et à l’étude des sein de cet ultime traité est d’établir une plusieurs centaines de modèles hommes, proportions du corps humain. De retour base scientifique (géométrique et arith- femmes et – chose plus rare pour l’époque en Allemagne, il ouvre un atelier, devient métique) appliquée à l’esthétique et de – enfants. De ces analyses extrêmement peintre de l’empereur Maximilien Ier de fournir ainsi des directives pratiques visant précises résultèrent d’impressionnants Habsbourg et intègre le Grand Conseil de à atteindre la perfection anatomique. dessins anthropométriques montrant la ville de Nuremberg. La reconnaissance Véritable testament artistique, cet - ou le corps humain dans son ensemble, est complète et Dürer devient alors un ar- vrage emblématique aura une influence mais également en détails (mains, pieds, tiste internationalement connu, au savoir considérable sur l’histoire de l’art occi- têtes...). Chaque dessin, quadrillé ou coté et à la capacité de réflexion appréciés. dental. en marge permet une reproduction facile Dans les dernières années de sa vie, 30 000 + de photos

49 50 Après de nombreuses années passées en Grèce, en Egypte et à Rhodes, l’écrivain voyageur Lawrence Durrell fut contraint de fuir Chypre à la suite de soulèvements populaires qui menèrent l’île à son indépendance. Riche seulement d’une chemise et d’une machine à écrire mais auréolé du succès de ses romans Bitter Lemons of Cyprus et Justine, il arriva en 1956 en France et s’établit dans le village languedocien de Sommières. Dans la « maison Tartès », sa grande demeure entourée d’arbres, il écrivit la seconde partie de son œuvre, son monumental Quintette d’Avignon, s’adonna à la peinture et reçut ses illustres amis, dont le couple Henry Miller et Anaïs Nin, le violoniste Yehudi Menuhin, l’éditeur londonien Alan G. Thomas, et ses deux filles Pénélope et Sappho. Parmi les oliviers et sous le soleil méditerranéen, il y rencontre au milieu des années 1960 la jeune et pétillante « Jany » (Janine Brun), Montpelliéraine d’une trentaine d’années à la beauté ravageuse, qui travaillait au département des Antiquités de la Sorbonne à Paris. Elle fut prénommée « Buttons » en souvenir de leur première rencontre, où la jeune fille portait une robe couverte de boutons. Henry Miller tomba également sous le charme de « Buttons », louant sa beauté et son éternelle jeunesse dans d’exceptionnelles lettres restées inédites. Les trois compères passèrent des soirées parisiennes mémorables dont nous gardons de précieuses traces autographes sur un menu de restaurant et à travers leurs échanges épistolaires. Recommandée par Durrell, elle fit de nombreux voyages notamment en Angleterre d’où elle reçut une vaste correspondance de l’écrivain ainsi que des œuvres d’art originales signées de son pseudonyme d’artiste, Oscar Epfs. 34 Lawrence DURRELL « Vaumort » : poème autographe signé et illustré par l’auteur à son amante française

1969 | 30,4 x 39,5 cm | une feuille

Exceptionnel poème autographe daté tueux que lui donnait l’écrivain, surmonté « I knew that whenever de 1969, signé et illustré de dessins ori- d’un cœur percé d’une flèche. I want to be perfectly alone ginaux au graphite, feutres et crayons de With the memory of you, of that whole couleur par Lawrence Durrell. « Et je sus qu’à chaque fois que [day, Le poème-œuvre d’art est adressé à Ja- Je veux être vraiment seul It’s to Vaumort that I’ll be turning » nine Brun, son amante française, et porte Et me souvenir de toi, de cette journée, Trous d’épingles, déchirures marginales. la dédicace « For Buttons », surnom affec- C’est à Vaumort que je songerai ». Publié pour la première fois dans Collected

51 Poems : 1931-1974 (1980). tant succès de ses romans, cependant elle de ses œuvres sous le pseudonyme « Os- Dans ce poème-dessin, l’écrivain se remé- atteint ici une grande beauté lyrique, son car Epfs », son double artistique. Selon more une journée d’amour passée dans le vers libre néanmoins très musical repre- Serge Fauchereau, « [...] c’est grâce à son cimetière d’un petit village de l’Yonne en nant le célèbre motif du cimetière : ami Henry Miller qu’il s’était mis à la pein- compagnie de son amante Janine Brun. Au « Un cimetière insouciant bourdonne ture », en autodidacte, et qu’il produit à même moment, Durrell se remet pénible- Comme si ses tombes étaient des ruches partir des années soixante des « fantaisies ment du décès prématuré de sa troisième Bousculées par des morts impatients - jubilatoires » (Jean Lacarrière), extrême- femme, survenu deux ans auparavant, et Nous imaginions qu’ils avaient accumulé ment colorées. On a ici un rare exemple publie sa série de romans dystopiques Le miel de leur immortalité d’une œuvre d’art double, à la fois poé- Tunc (1968) and Nunquam (1970). Il se Dans le doux tumulte des abeilles tique et picturale. Réalisée aux feutres et retranche également dans la poésie, der- [noires ». crayons de couleurs, proche des dessins de nier exercice d’ascèse littéraire et philoso- « One careless cemetery buzzes on and Joan Miró, elle constitue une magnifique [on phique d’un écrivain qui, progressivement, As if her tombstones were all hives illustration empreinte de naïveté, qui se choisit de se retirer du monde. Overturned by the impatient dead – We marie admirablement au poème. Durrell C’est au cours d’une traversée depuis la imagined they had stored up poursuivit cette activité jusqu’à la fin de capitale vers le Midi, que ce sont arrêtés [The honey their of their immortality sa vie, passée à Sommières : on peut d’ail- les amoureux le temps d’une journée à In the soft commotion the black bees leurs y voir une véritable transcription pic- Vaumort : make. » turale du « burnt and dusty Languedoc » « Au-dessous de nous, très loin, la route (« Languedoc brûlé et poussiéreux », vers [qui mène à Paris L’écrivain s’exerce ici à capturer dans le 12), auquel il rendra hommage dans son Tu verses un peu de vin sur une tombe poème un moment de bonheur et de ultime roman Caesar’s Vast Ghost. Les abeilles boivent avec nous, les morts plaisir charnel avec son amante, et enca- Rare témoignage de l’aventure proven- [acquiescent ». çale de Durrell avec une jeune française, « Below us, far away, the road to Paris. dre les vers qu’il lui offre de longs aplats de graphite et de nombreux dessins aux qui lui inspira un délicieux poème em- You pour some wine upon a tomb. preint de chaleur et de couleurs méditer- The bees drink with us, the dead ap- couleurs vives. Parallèlement à son travail ranéennes. prove. » d’écriture, l’auteur du Quatuor d’Alexan- La poésie de Durrell a souffert de l’écla- drie pratiquait en effet assidument la 1 700 peinture et organisa plusieurs expositions + de photos 35 Lawrence DURRELL, sous le pseudonyme d’Oscar EPFS

Dessin original à l’encre, feutres, crayons et graphite portant une dédicace autographe signée à son amante française

1969 | dessin 1963 | 31,9 x 47,6 cm | une feuille

Dessin original signé et daté de 1963, ré- L’œuvre fut offerte en 1969 à son amante alisé sur papier fort encollé sur carton au française Janine Brun, et porte une excep- moyen d’adhésif noir, agrémenté d’une tionnelle dédicace « My dear Buttons. I dédicace autographe en partie inférieure have asked my friend Oscar Epfs to give datée par l’artiste de 1969. me a small drawing for your studio. Here Exceptionnel dessin original à l’encre, it is. I hope it gives you Happy memories au graphite, aux feutres et crayons de of Paris and meetings with Miller ! Your couleur de Lawrence Durrell, signé de devoted Laurence Durrell / Sommières / son pseudonyme d’artiste « [Oscar] Epfs 1969. » (Ma chère « Buttons ». J’ai deman- 1963 ». dé à mon ami Oscar Epfs de me donner un

52 petit dessin pour votre appartement. J’es- mis à la peinture », en autodidacte, et couleurs, elle est baignée de lumière médi- père qu’il vous rappellera d’heureux sou- qu’il produit à partir des années soixante terranéenne et agrémentée de miniatures venirs de Paris et de rencontres avec Mil- des « fantaisies jubilatoires » (Jean La- au feutre. Durell poursuivit son activité de ler ! Votre dévoué Laurence Durrell [...]). carrière), extrêmement colorées. Cette peintre et d’écrivain jusqu’à la fin de sa vie Parallèlement à son travail d’écriture, l’au- œuvre est par ailleurs imprégnée de ses passée à Sommières, rendant hommage à teur du Quatuor d’Alexandrie pratiqua as- longues années passées en Grèce : on y la Provence et à la méditerranée à travers sidument la peinture et organisa plusieurs observe le motif de prédilection de - Dur ses nombreux dessins et gouaches ainsi expositions de ses œuvres sous le pseu- rell, l’église grecque surmontée d’une cou- que dans son ultime roman Caesar’s Vast donyme « Oscar Epfs », son double artis- pole et d’une croix, rappelant les paysages Ghost. tique. Selon Serge Fauchereau, « [...] c’est insulaires si chers à l’écrivain. Réalisée au grâce à son ami Henry Miller qu’il s’était moyen d’encres multicolores et crayons de 1 800 + de photos 36 Lawrence DURRELL & Karen HOROWITZ Affiche originale dédicacée par Lawrence Durrell s. n. | s. l. 1974 | 62 x 45 cm | une affiche

Affiche originale réalisée par Karen Ho- Brun, aussi surnommée « Buttons » par tamment le poème « Vaumort », Collected rowitz numérotée 145/200, datée 1974 et Durrell, fut ainsi décrite par le biographe Poems : 1931-1974) et dans la fameuse signée au crayon, représentant une pho- de de ce dernier, Ian McNiven : correspondance de l’écrivain avec Henry tographie de concombre surmontée d’une « She was almost thirty but she looked Miller : citation de Justine de Lawrence Durrell : much younger, with a girl’s small- « that little demon Buttons [...] turned « The world is like a cucumber – today breasted figure, as dark-haired as Claude up for a New Year TRINC and stayed the it’s in your hand, tomorrow up your ass » Kiefer was blonde, and not languorous night with me finally, in my eternal little (« Le monde est comme un concombre – but tremendously energetic » Room 13 at the Royal » aujourd’hui, il est entre tes mains, demain (« Elle avait presque trente ans mais (« Buttons ce petit démon arriva pour dans ton cul. ») avait l’air bien plus jeune, avec une sil- trinquer à la nouvelle année et passa en- Quelques très infimes piqûres. houette de jeune fille aux seins menus, fin la nuit avec moi, dans mon éternelle aussi brune que Claude Kiefer [une autre petite chambre 13 du Royal », lettre de de ses amantes, femme d’un chirurgien Durrell à Miller, 6 janvier 1979). Dédicace manuscrite de Lawrence Durrell suisse] était blonde, pas tant langou- Elle reçut également des lettres et cartes réalisée au feutre noir à gauche de la ci- reuse qu’extrêmement énergique » Law- postales pleines de sollicitude, d’allusions tation : « Buttons dear Attention ! Larry rence Durrell : A Biography). intimes et de conseils de lecture de la part Durrell. 1978 » de Durrell et de son grand ami Henry Mil- La relation de Jani/Buttons avec l’écrivain ler, ainsi que des œuvres d’art originales Cette affiche fut offerte à une jeune amante se prolongea jusqu’à la fin des années signées par Lawrence Durrell lui-même. de l’auteur, qui, à Sommières comme à Pa- 1970, la jeune fille apparaissant à l’occa- ris, égaya ses journées solitaires à la fin sion dans les œuvres de Durrell (et no- 1 000 des années soixante et soixante-dix. Janine + de photos

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37 Max ERNST Unique matrice en plomb d’un collage inédit de La Femme 100 têtes : « Je crois qu’il faudra battre l’eau »

1926 | 11,5 x 16,5 cm

Exceptionnelle matrice originale d’un collage inédit signé et daté 1926 dans la forme. Si plusieurs collages originaux furent proposés sur le marché, nous n’avons trouvé aucune trace d’autres ma- trices ayant permis à Max Ernst de réaliser ses romans-collages.

Cette composition s’intègre parfaitement dans le chapitre VI du premier roman-col- lage de Max Ernst paru en 1929 : La Femme 100 têtes. Elle possède en effet toutes les caractéristiques des autres gravures de l’ouvrage, le format de la plaque, le thème du naufrage, la légende absurde, la taille de police et l’exacte disposition du texte sous l’image. Elle ne fut cependant pas uti- lisée dans le roman et nous ne connaissons aucune impression de cette œuvre. Seul le collage original, signé et daté à l’encre et comportant la légende sous forme de pa- pier collé sous la gravure, a été répertoriée dans la collection de Benjamin Péret. Ce collage appartient donc à la série d’œuvres originales que Max Ernst n’a pas souhaité intégrer à ses romans-collages et qu’il a offert à ses amis (Éluard, Breton...). (il les rassemblera d’ailleurs en 1959 dans Ernst a signé au crayon sous la gravure, Pourtant cette œuvre particulière se dis- le poème La Femme 100 têtes), celle du la signature et la date dans le corps de tingue des autres collages originaux par collage offert à Péret provient elle-même l’œuvre sont caractéristiques du « roman » plusieurs éléments qui le lient à la réalisa- d’un collage textuel. Il s’agit d’un début dont la plupart des planches comportent tion de La Femme 100 têtes. de phrase découpé dans une nouvelle une petite surface grattée où se trouvaient de la Comtesse de Ségur, Mémoires d’un la signature d’Ernst imprimée dans la En premier lieu, la légende absurde collée âne : « Je crois qu’il faudra battre l’eau planche. Il apparait grâce à cette matrice en pied reprend la structure et la police pour faire venir les poissons au-dessus ». que cette suppression de la datation et de des légendes du roman, tandis que les Notons à ce propos, que cette matrice l’attribution de l’œuvre est postérieure à autres collages non retenus – que nous nous révèle que la légende du collage – la l’empreinte matricielle qui comporte en- avons pu consulter – ne comportent pas « lettre » – est ici une partie intégrante de core date et signature en parfait état d’im- de légende. Toutefois, contrairement à la planche, puisqu’elle est incluse dans la pression. plusieurs légendes de La Femme 100 têtes, matrice et non imprimée à part. qui sont des créations surréalistes d’Ernst Alors que sur les collages originaux, Max Mais c’est surtout la réalisation même de

55 cette matrice qui constitue l’élément dé- fections du découpage, le grisé des textes terminant inscrivant cette œuvre dans une et dessins apparaissant en transparence. » recherche artistique distincte des autres Ces collages qui affichent leur procédé de collages inédits. création, conservent donc, malgré tout, la Max Ernst travaillait depuis 1921 sur cette structure des papiers collés cubistes. Mais, technique artistique du collage, déjà pré- par l’intervention de la photogravure, sente dans les œuvres cubistes, qui uti- Ernst crée de nouvelles œuvres homo- lisèrent cette intrusion du réel dans la gènes dont la nature hétéroclite n’apparaît représentation picturale. Cependant, les plus au premier regard. collages de Max Ernst excluent le réel en La matrice réintroduit une unité entre les assemblant des représentations hétéro- éléments de l’œuvre qui redeviennent clites mais de même nature, la gravure une seule gravure. Il crée ainsi une œuvre sur bois, sans souci d’échelle ni de vrai- entièrement neuve dont la résonance es- semblance. L’artiste ne cherche donc pas à thétique diffère radicalement des collages reproduire l’effet de « papiers collés » cu- originaux. biste mais à créer une œuvre dans laquelle les éléments externes s’intègrent entière- Nous n’avons pu trouver, pour établir une ment à la composition, comme l’analyse comparaison, d’autres matrices des col- Aragon dans Les Collages : lages de Max Ernst, dont il ne subsiste sur « Les éléments qu’il emprunte sont sur- le marché international que les œuvres ori- tout des éléments dessinés, et c’est au ginales ou les ouvrages imprimés. Or notre dessin que le collage supplée le plus plaque met en évidence le choix de Max souvent. Le collage devient ici un pro- Ernst de réaliser ces matrices en « taille cédé poétique, parfaitement opposable d’épargne », c’est-à-dire que seuls les re- dans ses fins au collage cubiste dont liefs sont encrés, contrairement à la taille l’intention est purement réaliste. Ernst douce où l’encre se dépose dans les creux emprunte ses éléments surtout au des- du métal. Il reproduit ainsi la technique l’œuvre de son créateur, geste surréaliste sin imprimé, dessins de réclame, images des gravures sur bois utilisées comme ma- de dictionnaire, images populaires, par excellence. images de journaux. Il les incorpore si tière première et assure ainsi une parfaite bien au tableau qu’on ne les soupçonne fluidité graphique entre les éléments. Pourtant, dans le roman-collage, tous les pas parfois, et que parfois au contraire, Le collage offert à Péret était donc àun noms inscrits dans les planches, dont sa tout semble collage, tant avec un art mi- stade très avancé de l’intégration dans son propre signature, seront grossièrement ca- nutieux le peintre s’est appliqué à établir roman-collage mais, en un sens, inache- viardés par l’artiste. Damnatio memoriae la continuité entre l’élément étranger et vé. Cette matrice en plomb apparait alors de dernier instant ou transformation d’une son œuvre. » comme l’ultime et nécessaire étape pour œuvre individuelle désignant son hétéro- Or cette synthèse des éléments ne sera ac- réaliser la transformation désirée par Ernst généité créatrice, en simple élément d’une complie que par l’étape fondamentale de de l’œuvre plastique composite en œuvre œuvre nouvelle, un roman graphique, aux la photogravure. En effet, lorsqu’en 1929, graphique homogène. origines explicitement niées par le blanc Ernst décide de réaliser un roman gra- Enfin, Max Ernst a conservé dans ses dé- laissé en lieu et place des signatures. phique, il modifie la perception de ses pre- coupages le nom d’un des illustrateurs, mières œuvres plastiques. Comme le note Philippoteaux, qui se retrouve inscrit en Remarquable témoignage de l’ultime Julien Schuh dans son ouvrage Quelles tra- pied gauche de la composition générale. étape de création du premier roman-col- ditions pour le livre d’artiste surréaliste ? : En introduisant sa propre signature dans le lage de Max Ernst. Objet unique, tant par « Le collage original, produit par les ci- corps de la gravure au même niveau que è son absence in extremis de l’œuvre finale seaux et la colle, reste un objet composite celle de l’illustrateur du XIX , Ernst se dé- que par sa double signature singulière- et imparfait, marqué par la différence des sapproprie l’œuvre achevée et devient un ment signifiante. papiers utilisés, leur épaisseur, les imper- illustrateur parmi les autres, libérant ainsi 6 000 + de photos

56 EROTICA

38 Achille DEVÉRIA Musée des familles s. n. [Deshayes] | Bruxelles [ca 1840] | 26,9 x 17,7 cm | en feuilles sous couverture

Rarissime suite érotique, anonyme mais non numérotées, l’une intitulée « Rien Deux des planches de notre exemplaire se attribuée à Achille Devéria, constituée sans lui » et l’autre légendée « 36 degrés trouvent au catalogue Galitzin (n°130 du d’une couverture illustrée représentant au-dessus de Glace. » supplément iconographique), dans une un professeur montrant à trois enfants des La planche 8 provient sans doute d’une suite portant également le titre de Musée parties génitales féminines et masculines autre suite, comprenant une numérota- des familles. dessinées sur un tableau, et de 12 litho- tion et une légende dans une typographie graphies en noir, numérotées et respecti- différente des autres lithographies. Un exemplaire est passé chez Christie’s à vement intitulées : L’Enfance. – Le -Puce Cette suite d’images licencieuses a été, la vente Nordmann en 2006, sa couver- lage. – La Mariée. – Une bonne position. pour d’évidentes raisons, publiée anony- ture était manquante et il comprenait 14 – Tous lieux sont bons. – Mon Mari dort. – mement et sans nom d’éditeur. Les scènes planches dont 3 en double. Nous n’avons Le Bidet. – Passe temps. – Le Boudoir. – La rectangulaires en vignettes présentant un pu trouver aucun exemplaire de cette suite Découverte. – Le Procès-verbal. – La Can- fond à décor détaillé de cet ensemble dans les bibliothèques mondiales. tinière (Historique 1830.). Cet exemplaire nous permettent cependant de les attri- 8 500 comprend en outre 2 autres lithographies, buer à Achille Devéria. + de photos

57 EROTICA

39 Louis ARAGON & Benjamin PÉRET & MAN RAY 1929

[Éditions de la revue Variété] | [Bruxelles] 1929 | 21,5 x 20 cm | broché sous chemise et étui

Édition originale, un des 160 exemplaires Péret pour le premier semestre et de Louis phies réalisées par Man Ray à la demande numérotés sur Montval, seul tirage après Aragon pour le second. d’Aragon et de Péret pour illustrer leur crus 7 Japon et 48 Hollande. poèmes sont en effet très « éloignées de Légères piqûres sans gravité sur les gardes. Très rare exemplaire de ce sulfureux opus- l’érotisme voilé cher à Breton » (cf. L’Enfer L’ouvrage est présenté sous chemise en cule pornographico-poétique réalisé pour de la Bibliothèque. Eros au secret, Biblio- demi maroquin gris, étui bordé de maro- la revue belge Variété de Paul-Gustave Van thèque Nationale de France). quin gris, ensemble signé de Thomas Boi- Hecke et dont la quasi-totalité du tirage Sur l’une des photographies, « on peut chot. fut saisie et détruite par les douanes fran- clairement identifier la femme : il s’agit Célèbre livre érotique illustré de 4 photo- çaises. En effet, cet « almanach » libertin de Kiki de Montparnasse, amante occa- lithographies à caractère pornographique divisé en deux semestres et quatre saisons sionnelle et muse de Man Ray. Celle-ci en- de Man Ray se mettant en scène avec demeure aujourd’hui encore une des plus serre entre ses lèvres, maquillées en forme Kiki, l’incontournable muse du Montpar- licencieuses productions surréalistes. Plus d’arc de Cupidon, un pénis qui, à en juger nasse des Années folles. encore que la prude société bourgeoise, par l’angle de la prise de vue, est proba- Chacune de ces photographies est accom- c’est l’esthétique surréaliste elle-même blement celui du photographe. [...] Beau- pagnée de poèmes érotiques de Benjamin qui est ici écorchée. Les quatre photogra- coup de livres d’artistes surréalistes sont le produit d’une imagination pornographique, mais jamais de manière aussi scandaleuse et crue que dans cette publica- tion » (Parr & Badger, The Pho- tobook : A History Volume II, p. 138).

Très rare exemplaire. 15 000 + de photos

58 40 Théophile GAUTIER Le Capitaine Fracasse

Charpentier | Paris 1863 | 12 x 18 cm | 2 volumes reliés

Édition originale rare et recherchée, selon gers accrocs sans gravité sur les coupes et grands noms du feuilleton sous le Second Clouzot, surtout en reliure d’époque. le premier plat du second volume, reliures Empire. Reliures en demi chagrin vert bouteille, de l’époque. Très bel exemplaire dans une condition dos à quatre nerfs ornés de filets dorés Rare envoi autographe signé de Théo- particulièrement désirable, à fortiori en- et noirs, plats de papier marbré, gardes phile Gautier à Amédée Achard, père du richi d’un envoi autographe signé. et contreplats de papier à la cuve, cinq lé- roman de cape et d’épée et l’un des plus 9 000 + de photos

59 41 Georges GILLES DE LA TOURETTE Lettre autographe signée annonçant la mort d’Alphonse Daudet : « Une seconde pour tuer 50 ans d’intelligence ! »

Paris vendredi 17 décembre 1897 | 22 x 17,5 cm | 4 pages sur un feuillet remplié

Lettre autographe inédite signée de narrative incontestable : Georges Gilles de la Tourette sur papier « Hier soir à 7h ½ je ve- à en-tête du 39 rue de l’Université, datée nais de me mettre à table du vendredi 17 décembre 1897. 4 pages lorsque la concierge de à l’encre noire sur un feuillet remplié, M. Alphonse Daudet mon quelques soulignements. voisin de porte pénétra tout affolée dans la salle à Exceptionnelle lettre autographe inédite manger en criant : « Vite relatant la mort d’Alphonse Daudet dont un médecin Monsieur Gilles de La Tourette – son voisin et ami – se meurt ». Une fut l’un des tous premiers témoins. plus tard j’entrai à mon tour dans la salle à man- Cette lettre, au destinataire inconnu, a ger des Daudet. Etendu vraisemblablement été adressée à « [son] par terre sur le tapis M. cher Maître » Fulgence Raymond, suc- Daudet autour de lui en cesseur de Jean-Martin Charcot comme pleurs ses 2 fils, sa femme titulaire de la chaire de neurologie dela et sa fille. » Médecin mais Salpêtrière et dont Gilles de la Tourette aussi littérateur, Gilles de fut l’agrégé. La précision médicale avec la Tourette – sous le pseu- laquelle ce dernier décrit la tentative de donyme de Paracelse –, réanimation d’Alphonse Daudet corro- fut chroniqueur régulier bore cette hypothèse : « À 8h ¼ arriva M. à la Revue hebdomadaire. Potain : pendant une heure nous fîmes la Fasciné par la représenta- respiration artificielle espérant toujours tion de la folie au théâtre, partir son souffle : rien. J’allai alors- cher il partagea sa passion de cher un tube de caoutchouc pour insuffler la littérature avec Alphonse Daudet, son Pitié Salpêtrière et à qui il souhaite d’ob- de l’air dans le larynx, puis j’apportai ma « voisin de porte » rue de l’Université. tenir la légion d’honneur : « Quant à Mlle machine électrique, rien de plus. [...] Il est Les deux amis se sont rencontrés par l’in- Bottard j’ai vu M. Barthou, M. de Selves, mort d’une syncope d’origine bulbaire ou termédiaire de Jean-Martin Charcot, qui M. Peyron, tous ont été très aimables... mieux d’un ictus laryngé au cours d’une tenait salon tous les jeudis en son hôtel et j’attends sous l’orme. » Il intercéda en ataxie locomotrice-progressive. » Il ajoute de Vangerville, boulevard Saint-Germain. effet auprès du ministre – M. Bartou – et, même : « Bien entendu mon cher maître Gilles de la Tourette voua une grande ad- le 18 janvier 1898, « Maman Bottard » fut cette lettre est confidentielle ou au moins miration à l’écrivain provençal dont il dé- élevée au grade de chevalier de la Légion le diagnostic de la maladie à laquelle il a plore ici la perte : « Une seconde pour tuer d’honneur, rare consécration pour une succombé. » 50 ans d’intelligence ! » femme à cette époque. Le recours au passé simple ainsi que la Gilles de la Tourette évoque également Les lettres autographes de Gilles de la Tou- présence de repères temporels précis dans cette lettre Marguerite Bottard, rette sont rares et recherchées. confèrent à cette lettre une dimension surveillante dévouée de son service à la 2 800 + de photos

60 42 Rabbi Juda (Yehouda) ben Shmouel ibn Alhassan HALEVI & Johannes BUXTORF FILS

[Kuzari] Liber Cosri : continens colloquium seu disputationem de religione, habitam ante nongentos annos, inter regem cosarreorum, & R. Isaacum Sangarum Judæum; contra philosophos præcipuè è gentilibus, & Karraitas è Judæis; synopsin simulexhibens theologiæ & philosophiæ judaicæ, variâ & reconditâ eruditione refertam

Sumptibus authorisTypis Georgi Deckeri | Basileae [Bâle] 1660 | in-4 (16 x 20,5 cm) | (50 p.) 455 pp. (29 p.) | relié

Édition originale de la traduction latine religions chrétiennes et musul- de Johannes Buxtorf Fils établie d’après manes. la première traduction en hébreu de Juda ibn Tibbon, le texte arabe de Juda Halevi Achevé en 1140 et rédigé en ne sera retrouvé qu’en 1887 et est au- arabe, le Kuzari se présente sous jourd’hui conservé à la Bodleian Library. la forme d’un dialogue se dé- Reliure moderne en plein vélin à rabats, roulant sur cinq livres. Charles dos lisse muet. Touati, dans sa préface au texte publiée en tion de l’existence de Dieu est à chercher Habile restauration de papier en marge in- 1994, expose ainsi la trame narrative de du côté de l’Histoire et de la théophanie térieure du dernier tiers de l’ouvrage, sans l’ouvrage : « Le roi des Khazars ou Kuzari, sur le mont Sinaï, qui eut lieu en présence perte de texte. Quelques petits travaux de tourmenté par le problème religieux, inter- de milliers de témoins. Le christianisme vers comblés en marges basses des contre- roge tour à tour un philosophe, un théolo- et l’islam ne sont pour lui rien d’autre plats ainsi que des premiers et derniers gien chrétien et un théologien musulman. que des contrefaçons du judaïsme : « Ils feuillets de garde. Quelques mouillures en Déçu par leurs réponses, il se voit obligé raillent l’humiliation et les souffrances partie basse du volumes et certaines pages de faire appel à un docteur de la minorité des Juifs sans se rendre compte qu’ils brunies. bafouée et vilipendée, un rabbin, qui finit exaltent, chez le fondateur de leur propre Tampon de la bibliothèque universitaire de par le convaincre ; sur quoi le monarque religion, précisément ses humiliations et Leyde (« Acad. Lugd. ») sur les tranches et se convertit au judaïsme et en approfondit ses souffrances » (ibid.). Enfin, le Kuzari la page de titre. Tampon du conservateur la connaissance avec l’aide de ce maître. » est un texte emblématique dans le sens Willem Nicolaas du Rieu (« Ex auct. Curatt. Cet apologue permet à Juda Halevi de cri- où il prône le retour à Sion du peuple en vendidi W. N. du Rieu ») indiquant la sortie tiquer l’attrait de ses contemporains pour exil plutôt que la soumission : « il est pré- du fonds. la philosophie, l’islam et le christianisme. férable de tout quitter pour retourner à Il estime que « la philosophie nie toute Sion et y regagner la grâce divine, au lieu Rarissime exemplaire de ce classique de possibilité de dialogue entre l’homme et de s’épuiser à se gagner les faveurs des la philosophie juive médiévale, tradui- Dieu [, qu’] elle ne comprend pas le phéno- Gentils que de toute façon on n’obtiendra sant les préoccupations du peuple Juif mène religieux » (ibid.). Il estime dès lors jamais ! » (ibid.). espagnol confronté aux deux puissantes que le point de départ de la démonstra- 4 000 + de photos

61 43 HEBREO ABRAVANEL (dit Judah LEÓN HEBREO ou LÉON L’HÉBREU) Philosophie d’amour de M. Léon Hébreu

Guillaume Rouillé | Lyon 1551 | petit in-8 (10,5 x 17,5 cm) | 675 pp. (44 p.) | relié

Édition originale de la traduction française of Art de New York, il fut des Dialoghi d’amore donnée par Denis également un grand col- Sauvage, sieur du Parc. La page de titre lectionneur d’estampes est ornée d’un très bel encadrement gravé et d’ouvrages rares éta- sur bois d’après une composition de Pierre blis dans de superbes Vase. Très belle impression lyonnaise en reliures. caractères italiques, avec lettrines et orne- ments. Exemplaire entièrement réglé de Cet ouvrage de grande rouge, 28 lignes par page. facture, l’une des plus belles réalisations de Reliure lyonnaise de l’époque, dos lisse l’imprimerie lyonnaise entièrement restauré richement orné alors à son apogée, est d’arabesques et pointillés dorés, plats emblématique d’une ornés en leur centre d’un grand motif ty- période charnière de pographique doré sur fond de pointillés l’histoire de la langue dorés, larges arabesques et entrelacs en française renaissante, deux ans après la écoinçons, toutes tranches dorées et cise- publication de laDéfense et illustration de Judah Abravanel (ou Léon l’Hébreu, 1460- lées d’arabesques végétales. la langue française de Joachim du Bellay. 1521), cabaliste juif refusant de se conver- tir au christianisme, fut contraint en 1492 Ex-libris de la bibliothèque de James Too- La traduction de Denis Sauvage, dédiée à de quitter la Castille pour Gênes où il exerça vey encollé sur le premier contreplat, ce- Catherine de Médicis, fait date dans l’his- la médecine. Ses dialogues contribuèrent, lui de Samuel Putnam Avery réalisé par toire de la langue française. Correcteur avec ceux de Marsile Ficin, à la diffusion en le peintre et graveur anglais Charles Wil- de l’éditeur Guillaume Rouillé, Sauvage France d’un néo-platonisme étroitement liam Sherborn collé sur la première garde, se convertit un temps à la Réforme et fut lié au mouvement humaniste. Les poètes tampon à sec de la bibliothèque Gianni de – à l’instar de Froissart et de Commines – du cénacle lyonnais puis ceux de la Pléiade Marco sur la garde suivante. Deux ex-libris l’historiographe du roi Henri II. Particuliè- accueillirent avec enthousiasme la Philo- manuscrits anciens sur la page de titre. rement sensible à la réforme de la langue sophie d’amour. On en retrouve en outre Libraire et éditeur, James Toovey (1813- française il n’hésita pas dans cet ouvrage un exemplaire parmi les 105 volumes ré- 1893) fut également un important biblio- à inventer de nombreux néologismes. Ce pertoriés de la bibliothèque de Montaigne phile. Il acquit la bibliothèque du château sont au total plus d’une centaine de mots qui s’amusera de l’immense succès du de Gosford, en Irlande du Nord, en 1878. qui sont ainsi répertoriés dans le glos- texte : « Mon page faict l’amour, lisez-luy Après sa mort, ses livres furent vendus en saire qu’il dresse à l’attention du lecteur Léon Hébreu et Ficin. » Son influence tra- partie aux enchères en 1894, alors que son en fin de volume. Plusieurs de ces termes versera pourtant le temps, un siècle plus fils en garda une autre partie qui fut vendue ont d’ailleurs aujourd’hui été adoptés par tard Spinoza lui empruntera le concept ensuite en 1899 à M. J. Pierpont Morgan, l’usage : astuce, bénévole, dimension, im- d’amour intellectuel de Dieu. fondateur de la Morgan Library de New médiatement (contrairement à médiate- York. Samuel Putnam Avery (1822-1904), ment), moteur, etc. L’éditeur Guillaume Bel et rare exemplaire, établi dans une marchand d’art et connaisseur fut nommé Rouillé, formé à l’imprimerie à Venise, fut luxueuse reliure lyonnaise de la Renais- commissaire chargé du département des quant à lui l’un des premiers en France à sance et ayant notamment appartenu à arts américains de l’Exposition Universelle se conformer aux règles de l’orthographe Samuel Putnam Avery, fondateur du Me- à Paris. Fondateur et pendant longtemps modernisée que Ronsard venait de préco- tropolitan Museum of Art de New York. administrateur du Metropolitan Museum niser quelques mois plus tôt. 17 000 + de photos

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44 Ernest HEMINGWAY Le Vieil homme et la Mer

Gallimard | Paris 1952 | 12 x 19 cm | broché

Édition originale de la traduction française pied du dos. établie par Jean Dutourd, un des 86 exem- Rare exemplaire en grand papier d’un des plaires numérotés sur pur fil, seuls grands textes les plus marquants de la littérature papiers. du XXè siècle. Très discrètes restaurations en tête et en 2 800 + de photos

45 Nazim HIKMET & Jean PICART LE DOUX Paris, ma rose...

Pierre Jean Oswald | Paris 1961 | 14 x 19 cm | broché

Édition originale sur papier courant de la aspire dès son plus jeune âge traduction française et de la présentation à la liberté. Tout d’abord à établies par Charles Dobzynski. travers ses poèmes qu’il com- Exemplaire orné d’illustrations de Jean Pi- pose – et il est l’un des tous cart Le Doux. premiers poètes de son pays à l’oser – en vers libres, mais Envoi autographe daté et signé de Nazim également par un engage- Hikmet à Madame Pierette [sic] Girard. ment politique très précoce. Dès 1920, il rejoint le mouve- Rare exemplaire dédicacé de ce recueil ment indépendantiste conduit par Musta- marxiste ou encore incitation à la révolte de poèmes célébrant Paris par le grand fa Kemal Atatürk qu’il soutiendra jusqu’à il effectue plusieurs courts séjours en pri- poète Nazim Hikmet, l’une des plus impor- son accès à la fonction présidentielle en son avant d’être finalement condamné en tantes figures de la littérature turque du 1924. Mais le jeune Hikmet enchaîne les 1938 à 28 ans et 4 mois de détention. À XXè siècle. voyages en Union soviétique, devient l’initiative de l’Union des jeunes turcs pro- membre du parti communiste clandestin gressistes, est alors créé à Paris un comi- Citoyen d’une société aux lourds carcans, et ne cesse d’écrire de la poésie. Arrêté à té de soutien présidé par Tristan Tzara et le poète turc Nazim Hikmet (1901-1963) de nombreuses reprises pour propagande soutenu par plusieurs intellectuels français

64 importants tels que Jean-Paul Sartre, Louis et Paris où il retrouve ses amis français et mort en 1963, Philippe Soupault consacre Aragon, Pablo Picasso, Philippe Soupault demande à Charles Dobzynski de traduire une émission radiophonique à Nazim Hik- ou encore Charles Dobzynski. Hikmet pas- ses poèmes. à cette époque, il est le seul met, recommandant à ses auditeurs de se sera douze années derrière les barreaux, écrivain contemporain turc dont les textes plonger dans la lecture des vers de Paris, avant d’être libéré en 1950 à la suite d’une sont transposés en français. Ses ouvrages, ma rose… Celui que l’on surnommait dans amnistie générale accordée par le nou- interdits à la vente jusque dans les années son pays le « géant aux yeux bleus » ne veau gouvernement démocrate. Ironie du 2000 dans son pays natal, ne circuleront sera réhabilité qu’en 2009 et la nationalité sort et ultime affront, ce même gouver- d’ailleurs que par les traductions occiden- turque lui sera rendue à titre posthume. nement lui demande en 1951, alors qu’il tales. Honni par le gouvernement turc, le est âgé de quarante-neuf ans, d’effectuer poète subversif est célébré hors de ses Les ouvrages dédicacés par Nazim Hikmet son service militaire. Hikmet quitte alors frontières, et connait un grand succès en sont d’une grande rareté, l’anticonfor- clandestinement la Turquie pour rejoindre France où l’on met en chanson ses poèmes miste poète ayant passé plus de quinze Moscou et est déchu de sa nationalité. Le (Yves Montand, Bernard Lavilliers…). En années de sa vie en prison. poète en exil voyage alors entre la capi- 1955, il reçoit le Prix international de la tale russe, Pékin, Cuba, Prague, Varsovie Paix, équivalent soviétique du Nobel. À sa 3 000 + de photos

65 46 Victor HUGO & Pierre PETIT Portrait photographique en médaillon de Victor Hugo

Paris [1861] | photographie : 5,3 x 7,2 cm / carton : 6,1 x 9,7 cm | une photographie contrecollée sur carton

Photographie originale en médaillon, ti- par les idées étroites rage d’époque imprimé sur papier albumi- de la vie vulgaire, né et contrecollé sur carton. pour être laide avec Quelques très infimes piqûres sur le - car la barbe. Donc, ton, sans atteinte au cliché. laissez croître vos barbes, vous tous Toute première photographie de Victor qui êtes laids, et Hugo barbu. qui voudriez être beaux ! » (lettre à C’est en janvier 1861, à la suite d’un un destinataire in- violent mal de gorge, que l’écrivain décide connu, 1845) de se laisser pousser la barbe : « Je laisse pousser ma barbe pour voir si cela me Outre l’aspect es- protégera contre les maux de gorge ». On thétique de cette trouve plusieurs occurrences à la célèbre métamorphose, il barbe dans la correspondance de Victor s’agit d’un véritable Hugo : Conclusion : il faut qu’une tête pied de nez au pou- d’homme soit bien belle, bien modelée voir impérial qui avait par l’intelligence et bien illuminée par la décrété l’interdiction de pensée, pour être belle sans barbe ; il faut la barbe dans le corps en- qu’une face humaine soit bien laide, bien seignant. irrémédiablement déformée et dégradée 1 200 + de photos 47 Victor HUGO La Libération du territoire

Michel Lévy frères | Paris 1873 | 15,5 x 24 cm | broché sous chemise et étui

Édition originale, mention de deuxième été encollée la fiche descriptive de notre ne se sont jamais rencontrés ces deux-là, édition. exemplaire avec son prix d’adjudication au pourtant ils étaient parfaitement contem- Notre exemplaire est présenté sous étui et crayon de papier. porains : Victor Hugo (1802-1885), George chemise avec dos de toile verte et plats de Sand (1804-1876). papier marbré, ex-libris H. Bradley Martin Exceptionnel envoi autographe signé de Certes il y eu les aléas de la vie : George encollé en pied du verso du premier plat Victor Hugo à George Sand. Sand ne publie réellement qu’en 1832, à de la chemise. un moment où Victor Hugo est déjà au fait Nous joignons la couverture du catalogue « Mais que pensaient-ils l’un de l’autre, de sa gloire ; et puis il y eut l’exil de Victor de la vente de la bibliothèque de George ces deux personnalités marquantes de la Hugo de 1851 à 1870, mais cela n’explique et Maurice Sand en 1890 sur lequel a vie littéraire du 19è siècle ? Parce qu’ils pas tout !

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Au début, ils ne font pas vraiment par- Hugo toujours très marqué par le décès de En 1876, c’est Victor Hugo qui prononcera ti de la même coterie : Victor Hugo, Pair sa fille Léopoldine compatit ; la perte d’un le célèbre éloge funèbre de George Sand : de France, soutien de Louis-Philippe d’un être cher les rapproche. « Je pleure une morte, je salue une im- côté, George Sand socialiste de l’autre. mortelle ... » Ils ne s’apprécient pas vraiment même si Les voici amis, George Sand devient un George Sand porte une certaine admira- « génie », elle sera souvent invitée à Les relations de George Sand et de Victor tion agacée à Victor Hugo, traité de gran- Guernesey ... sans suite, leur relation ne Hugo ont donc beaucoup évolué au cours diloquent : « le plus bavard des poètes sera jamais familière. de leur vie. C’est sans doute le reflet de sublimes » tandis que Hugo lui, trouve Victor Hugo lui apporte son soutien lors de leurs évolutions personnelles mais peut- carrément que « Sand ne sait pas écrire » ! la parution des Beaux Messieurs de Bois être que leur entourage, les idées poli- Puis, avec le coup d’état de Napoléon III, Doré (1858), mais George Sand s’énerve tiques ou l’opinion que l’autre avait de sa Victor Hugo évolue politiquement ; ra- quand il refuse l’amnistie de 1859 alors propre œuvre interféraient aussi avec la pidement il déborde George Sand sur sa que de son côté elle cherche à adoucir la critique littéraire ; même nos grandes per- gauche, s’exile alors que George Sand s’ac- situation des proscrits. sonnalités sont sous influence ! commode de l’exil intérieur. Leur relation ne se réchauffe que très, très faiblement : Lors de la publication des Misérables « Victor Hugo et George Sand, et s’ils « George Sand a du talent, c’est tout ». En (1862) Victor Hugo cherche le soutien de s’étaient rencontrés ? » Voilà une œuvre exil Victor Hugo publie Les Châtiments, George Sand mais ce soutien lui fera dé- de théâtre fictionnelle que nous propose œuvre très critique qui est évidemment faut. Victor Hugo en est attristé, George Danièle Gasiglia. interdite en France. George Sand aimerait Sand affirmera préférer la poésie de Victor Mais peut-être que, comme le suggère Da- bien que Victor Hugo soit moins intransi- Hugo à son œuvre en prose. nièle Bahiaoui : « Tous les deux dans une geant dans ses écrits de façon à être pu- même pièce, c’est un de trop ! » » (Blog blié. Au retour d’exil, avec la Commune, voici « Nous en Boischaut Sud » conférence de une nouvelle incompréhension ; Victor Danielle Bahiaoui, Arnaud Laster et Da- La publication des Contemplations en Hugo soutient, George Sand est horrifiée : nielle Gasaglia) 1856, nettement moins polémique, est sa- légaliste et choquée par la violence, elle Provenance : Maurice Sand (venet Fer- luée par George Sand et marque une nou- condamne avec des termes extrêmement roud, Paris, 24 février-3 mars 1890, lot velle phase de leurs relations. durs cette Commune de Paris. 418), H. Bradley Martin (ex-libris gravé), En fait, leur premier contact épistolaire ne Néanmoins, à partir de là, ces deux-là se Philippe Zoummeroff (vente Piasa, Paris, concerne pas la vie littéraire. Nini la petite soutiennent et se défendent dès que l’un 2 avril 2001, lot 112). fille de George Sand meurt en 1855, Victor ou l’autre est attaqué. 12 000 + de photos

68 48 Ernst JÜNGER Journal 1941-1945

Julliard | Paris 1951-1953 | 14 x 19 cm | 2 volumes reliés

Édition originale de la traduction française, dorées en queues, plats de papier à motifs Un petit accroc sans gravité sur le premier un des 100 exemplaires numérotés sur abstraits, gardes et contreplats de papier plat du premier volume. Corvol l’orgueilleux, seuls grands papiers marbré, couvertures et dos conservés, Signatures manuscrites datées d’Ernst avec quelques hors commerce. têtes dorées, reliures signées Jünger en têtes des pages de faux-titre Reliures en demi maroquin rouge à coins, Rare et agréable exemplaire joliment éta- des volumes. dos cinq nerfs sertis de filets noirs, dates bli. 2 800 + de photos

69 49 Emmanuel KANT & Hercule PEYER-IMHOFF Observations sur le sentiment du Beau et du Sublime

Chez J.-J. Lucet | Paris 1796 | in-8 (13 x 20,5 cm) | (4) 123 pp. | relié

Rarissime édition originale de la première titre Beobachtungen über das Gefühl des kantisme, n’étaient pas complètement traduction française d’une œuvre philo- Schönen und Erhabenen, a été publiée en ignorés en France, mais il faut attendre la sophique de Kant et seconde traduction 1764 à Königsberg. Révolution française et même la fin de la d’un texte kantien, les autres ne seront Convention et le début du Directoire, c’est- connus du public non-germanophone L’ouvrage contient les premières observa- à-dire près de quinze ans après la parution qu’au cours du XIXè siècle. tions du philosophe – qui n’avait jusqu’alors de la Critique de la Raison pure, pour qu’en Notre exemplaire fut étonnamment réem- publié que des textes scientifiques – sur France on commence à parler de Kant et boîté dans très belle reliure probablement l’esthétique et plus particulièrement le de son œuvre. » (Jean Ferrari, « L’œuvre espagnole en plein maroquin brun, dos à sublime, concept qui acquerra toute sa de Kant en France dans les dernières an- cinq faux nerfs richement orné, plats en- portée dans Critique du jugement (1790). nées du XVIIIè siècle » in Les Études philo- cadrés d’une roulette et d’une dentelle do- Celle-ci, à l’instar du reste de l’œuvre du sophiques No. 4, Kant (octobre-décembre rée ainsi que d’un troisième encadrement philosophe, ne sera traduite qu’au cours 1981), pp. 399-411). de feuillages et de coquilles Saint-Jacques, du XIXè siècle. armes royales au centre des plats. « Certes dès avant 1781, le nom de Kant Nous n’avons trouvé aucune mention de La même année paraît également du n’était pas totalement inconnu à l’Univer- passage en vente publique de cet ouvrage même auteur un court texte politique in- sité de Strasbourg où quelques étudiants hormis l’exemplaire du baron Talairat titulé Projet de paix perpétuelle. et professeurs l’avaient cité dans leurs (6 mars 1877) et celui de M. d’Ansse de Vil- Notre édition est illustrée d’un portrait de recherches ou dans leurs cours, et les tra- loison (3 mars 1806). l’auteur par J. Beniry dit Dubuisson. L’édi- vaux de l’Académie de Berlin, contenant tion originale, rédigée en allemand sous le des mémoires d’adversaires résolus du 10 000 + de photos

70 50 Isidore Ducasse, Comte de LAUTRÉAMONT Les Chants de Maldoror

Chez tous les libraires | Paris & Bruxelles 1874 | 12 x 19 cm | relié sous chemise et étui

Édition originale rare, avec la couverture Ex-libris de Ch. Delgouffre au tampon sur Jeune Belgique découvriront les premiers et le titre à la date de 1874. la page de faux titre. ce texte. Littérature du vertige à la limite dusou- Reliure en plein maroquin rouge, dos lisse Imprimée en 1869 par Lacroix, cette édi- tenable, de l’outrance adolescente, d’une et plats mosaïqués d’un important décor tion ne fut pas mise dans le commerce par noirceur totale, Les Chants de Maldoror, de box noir gaufré, contreplats doublés crainte de la censure. Seuls une dizaine ou l’épopée d’une figure du mal errant de maroquin rouge, gardes doublées de d’exemplaires furent brochés et remis à dans le monde, devint célèbre grâce aux feutrine rouge, couvertures conservées l’auteur (cinq ont été recensés à ce jour). surréalistes qui en firent un véritable ma- comportant un infime accroc en tête du En 1874, Jean-Baptiste Rozez, autre li- nifeste esthétique. premier plat, toutes tranches dorées, che- braire-éditeur belge, récupère le stock et Magnifique exemplaire parfaitement éta- mise à rabats en demi maroquin rouge à publie l’ouvrage avec une couverture et bli en plein maroquin mosaïqué signé de bande, étui de maroquin rouge et de toile une page de titre de relais à la date 1874, Georges Leroux, l’un des plus grands re- noire, superbe reliure signée de Georges et sans mention d’éditeur. lieurs de la deuxième partie du XXè siècle. Leroux. C’est dans sa librairie que les poètes de la 12 000 + de photos

71 72 51 Fernand LÉGER & Paul ÉLUARD Liberté, j’écris ton nom

Imprimerie Union Édition pour le compte de Pierre Seghers | Paris 22 octobre 1953 | 31 x 127 cm | une feuille dépliante

Rare édition originale de ce poème-objet rotés, le nôtre un des 200 exemplaires sur pérance de la victoire auprès des mouve- composé sous forme de dépliant en quatre papier Auvergne des papeteries Richard ments de Résistance. Fernand Léger réali- volets illustré par Fernand Léger sur le de Bas. sa ce poème-objet pour rendre hommage poème « Liberté » de son ami Paul Éluard. Habiles restaurations. à Paul Éluard, décédé en 1952. Il s’agit de la plus belle édition de ce Pochoirs en couleurs réalisés par Albert poème initialement paru clandestinement C’est la version imprimée qui restera la Jon d’après la composition originale de en 1942 dans le recueil Poésie et Vérité, plus célèbre. Fernand Léger sous la direction de Pierre traduit en dix langues, parachuté en son Seghers, tirage à 212 exemplaires numé- temps dans les maquis pour soutenir l’es- 10 000 + de photos

73 52 Giacomo LEOPARDI Canzoni

Pei Tipi del Nobili e Comp. | Bologna 1824 | 10,7 x 16,2 cm | relié

Édition originale, imprimée à environ 500 çons sur les plats, gardes et contreplats de constitue le cœur de ce qui deviendra, exemplaires. soie moirée blanche, liserés dorés sur les quelques années plus tard, l’œuvre poé- Reliure en plein chagrin gaufré rouge, dos coupes, tranches dorées, élégante reliure tique la plus importante du XIXè siècle ita- à cinq nerfs sertis de guirlandes dorées de l’époque. lien, I Canti(Florence, Piatti 1831). et orné de fers dorés à la grotesque, date Le volume rassemble dix chants composés Tampon à froid en guise d’ex-libris sur une dorée en queue, frises florales dorées en entre 1818 et 1823, parmi lesquelles sept garde. tête et en queue du dos, roulettes dorées inédits (Nelle nozze della sorella Paolina, Quelques petites rousseurs. sur les coiffes, encadrement de sextuples A un vincitore nel pallone, Bruto minore, Bel et rare exemplaire superbement éta- filets dorés, de cartouches dorés et de Alla primavera, Ultimo canto di Saffo, Inno bli. motifs typographiques dorés en écoin- ai Patriarchi e Alla sua Donna). Le recueil 6 000 + de photos

74 53 Giacomo LEOPARDI Operette morali

Presso Ant. Fort. Stella e Figli | Milano 1827 | 11 x 17,2 cm | relié

Édition originale comportant bien, au ver- motifs typographiques dorés, frottements coins, reliure de l’époque. so du frontispice, la mention imprimée sur la coiffe inférieure, roulettes dorées sur Tampon à froid en guise d’ex-libris sur une « Tipografia Manini ». les coiffes, plats de papier marbré, gardes garde. Reliure en demi basane verte à petits et contreplats de soie moirée blanche, Quelques petites rousseurs. coins, dos lisse orné de guirlandes et de quelques frottements sur les coupes et les 4 000 + de photos

75 LOUIS-PHILIPPE (Bibliothèque)

54 Nicolas de LISLE DE MONCEL

Méthodes et projets pour parvenir à la destruction des loups dans le royaume

De l’imprimerie royale | Paris 1768 | in-12 (9,5 x 16,5 cm) | xiv ; 322 pp. | relié

Édition originale, bien complète de son grand tableau dépliant en fin de volume, recensant les différentes prises effec- tuées entre 1765 et 1767, les différents chasseurs ayant œuvré dans ces mêmes années, ainsi que les formulaires légaux à fournir en cas de capture ou de mise à mort d’un loup. Reliure postérieure (Second Empire) en plein maroquin rouge, dos à cinq nerfs richement orné de filets, caissons et fleu- rons dorés, plats encadrés de triples filets dorés, filet doré sur les coupes, gardes et contreplats – encadrés d’une large den- telle dorée – de papier peigné, toutes tranches dorées, reliure signée L. Tripon. Nicolas de Lisle de Moncel, ancien Deux étiquettes de bibliothèques encol- capitaine de cavalerie et Chevalier lées sur chaque contreplat. de l’Ordre du Saint-Esprit, fut char- gé des « épreuves relatives à la Exemplaire d’une importante prove- destruction des Loups, sur la fron- nance, il présente deux tampons sur la tière des Trois-Évêchés » (Metz, page de titre – « Bibliothèque du Roi – Toul et Verdun). Neuilly » et « Bibliothèque du Roi – Palais Son ouvrage contient la descrip- Royal » – caractéristiques des ouvrages tion des races de limiers utiles à la de la bibliothèque de Louis-Philippe Ier. chasse aux loups, un avis sur la rage, la ma- tion extraordinaire ; tué sur les frontières nière d’apprendre aux domestiques et aux d’Auvergne où il avoit causé de grands Nous avons pu trouver deux autres ou- paysans à « tirer au bois », des instructions ravages » : il s’agit de la fameuse bête du vrages de sa bibliothèque reliés par Tri- pour l’emploi de troupes militaires lors des Gévaudan. pon : Gaffet de la Briffardière, Nouveau chasses au loup en temps de paix, la ma- traité de venerie (Vente de la bibliothèque nière de choisir la poudre à tirer, etc. Superbe exemplaire, parfaitement établi cynégétique du Verne, 5 octobre 2016 À la fin de l’ouvrage se trouve le pro- et d’une précieuse provenance. chez Sotheby’s) et Du Fouilloux, La Venerie cès-verbal du 20 juin 1767, « qui constate (Vente Aguttes, 17 juin 2004). la destruction d’un loup d’une conforma- 2 500 + de photos

76 55 Valentin MANDELSTAMM Le Lévite d’Ephraïm

Éditions de la Revue d’art dramatique | Paris 1901 | 14 x 19,5 cm | relié

Édition originale pour laquelle il n’est pas en noir sur la page fait mention de tirage en grand papier. de titre. Reliure à la bradel en demi percaline gris Rare et précieux souris, dos lisse, initiales estampées à froid envoi autographe signé de Valentin Provenance : bibliothèque Joseph Reinach en queue du dos, plats de papier marbré, Mandelstamm à Joseph Reinach, journa- avec son ex-libris imprimé et encollé sur couvertures conservées, coins légèrement liste, homme politique, co-créateur de la un contreplat. émoussés, reliure de l’époque. « Ligue des droits de l’homme et du ci- 900 Couverture illustrée d’une vignette en cou- toyen », et l’un des tous premiers défen- leurs de Jean-Jacques Henner reproduite seurs du capitaine Dreyfus. + de photos

77 56 Guy de MAUPASSANT Bel-Ami

Victor-Havard | Paris 1885 | 13 x 19,5 cm | relié

Édition originale, un des 200 exemplaires numérotés sur Hollande, seuls grands pa- piers.

Reliure à la bradel en demi maroquin vert à coins, dos lisse richement orné de caissons et de listels brun et beige entrelacés, date dorée en queue dans un cartouche doré, filets dorés sur les plats de papier marbré, gardes et contreplats de papier marbré et mordoré, couvertures, dos et témoins conservés, reliure signée René Aussourd.

Rare exemplaire du chef-d’œuvre de Guy de Maupassant parfaitement établi dans une élégante reliure signée. 9 000 + de photos

78 79 Considéré par Victor Hugo comme « l’espoir de la poésie française », ce Rimbaud méridional injustement oublié fut emporté par la tuberculose à l’âge de 23 ans. Éphraïm Mikhaël figura parmi les précurseurs du symbolisme et fut unanimement acclamé et amèrement pleuré par le mouvement, qui perdit l’un de ses membres les plus prometteurs : « Celui qui évoqua la nocturne dame déprise, l’hiérophante hautain et l’idéale vierge, n’est plus déjà. »

Comptant seulement trois ouvrages publiés du vivant de son auteur, l’œuvre d’Éphraïm Mikhaël bénéficia d’une précoce notoriété en tant qu’émule du Parnasse, et fut exhumée il y a peu de temps après une longue période d’oubli. Cet ancien élève de l’école des Chartes épris de culture classique signa en effet un unique recueil de poèmes (L’Automne), et composa les toutes premières pièces de Portrait d’Éphraïm Mickaël théâtre symbolistes, notamment La Fiancée de Corinthe, avec Bernard Gravure du XIXe siècle Lazare, qu’il adapta avec Catulle Mendès en opéra. Dans une France à l’aube de l’affaire Dreyfus, le jeune Mikhaël, originaire de la communauté juive toulousaine, fut également considéré par certains comme un ambassadeur du judaïsme, qu’il revendiqua en abandonnant définitivement son nom francisé « Georges Michel » pour sa forme hébraïque. Au sein du lycée Fontanes, futur lycée Condorcet, ce jeune poète en recherche d’absolu dirigea dans l’esprit joyeux d’Alfred Jarry le groupe de La Pléiade, avec, entre autres, Rodolphe Darzens, Pierre Quillard et Saint-Pol-Roux. Marqué par l’émulation intellectuelle des débuts du symbolisme et la liberté grisante des années 1880 dont il demeura l’éternelle incarnation, son talent fut très vite reconnu par ses pairs : on le compta parmi les habitués des fameux « mardis » du poète Stéphane Mallarmé qui enseignait aussi à Condorcet. Mikhaël fréquenta également Heredia, se lia d’amitié avec Villiers de l’Isle-Adam dans les cafés de Montmartre et fut rapidement invité à contribuer aux revues symbolistes, notamment La Basoche, La Pléiade, ou dirigée par Paul Demeny, destinataire de la célèbre Lettre du voyant de Rimbaud (« JE est un autre [...] »).

Durant ses huit années d’activités littéraires, Éphraïm Mikhaël produisit une œuvre conséquente – la grande majorité publiée après sa mort –, suggérant le mystère du monde, la magie et le prodige ; on y rencontre des thèmes baudelairiens, des mythes antiques (Briséis, « La reine de Saba ») et du moyen-âge chevaleresque sous l’influence de Wagner (« Siegfried », « Florimond »). Mikhaël abandonna la métrique pour quelques œuvres dramaturgiques, dont le Cor fleuri, sa « féerie en un acte » qu’il monta au Théâtre Libre en 1888. Souvent qualifié de Décadent au regard de son mélancolique recueil de poèmes L’Automne, il suscita l’admiration de Mallarmé, Maeterlinck et surtout Catulle Mendès, qui signe une des plus belles élégies après sa tragique disparition : « Ses tristesses sont bien les siennes, et il pleure, le cher enfant, nostalgique de tant de ciels de jadis, – l’automne, c’est le passé – des larmes que ses yeux seuls ont pleurées. »

80 57 Éphraïm MIKHAËL L’Automne s. n. | s.l. [Paris] 1886 | 16 x 23,5 cm | relié

Édition originale sur Hollande. avec le manifeste Reliure à la bradel en demi vélin, dos lisse, du symbolisme titre à l’or, plats de papier à motif floral, re- écrit par son ami liure signée Thomas Boichot Charles Moréas. Bel et rare exemplaire. Choisi par Ephraïm Édition originale du premier et unique re- Mikhaël comme cueil de poèmes d’Ephraïm Mikhael, un titre du recueil, des rares exemplaires sur Hollande. Un le poème « L’Au- poème manuscrit autographe de deux tomne » constitue la pièce maîtresse de À la lecture des vers de ce poème, le jeune pages intitulé « L’Automne », comportant cet ouvrage, dont notre exemplaire ren- Éphraïm Mikhaël rappelle des Esseintes, quelques corrections d’Ephraïm Mikhael, ferme le manuscrit autographe. Offrant un l’égérie symboliste fringante et désabu- inaugure cet ouvrage d’une insigne rare- exemple pionnier de poésie fin-de-siècle, sée du roman d’Huysmans À Rebours, qui té. il annonce l’imminence d’une fin par l’évo- partageait ses vues désenchantées sur cation d’un paysage symbolique, à la fois cette saison. Bel hommage à son mentor Première œuvre publiée du jeune poète naturel et spirituel. L’automne n’est plus et ami Mallarmé, « L’Automne » s’achève alors âgé de vingt ans, L’Automne paraît la seulement, comme chez les romantiques, sur une vision crépusculaire (« Contemple même année que les Illuminationsd’Arthur la représentation d’un état d’âme mais les lueurs candides des grands cygnes / Rimbaud. Cette plaquette de 14 poèmes l’expression d’un espoir puis d’une sublime Glissant royalement sur les lacs bleus de marqués par une mélancolie intense et pro- décadence du poète et de son poème : soir ») faisant référence aux vers du Cygne fonde assura la célébrité de Mikhaël : « Ce mallarméen : jeune homme, cet enfant, laissait un livre « C’est l’altière saison des grappes em- « Ce lac dur oublié que hante sous le qui, tant qu’on parlera la langue française, pourprées givre sera lu, relu, admiré » (Catulle Mendès). Des splendeurs de jeunesse éclatent Le transparent glacier des vols qui n’ont Parfaits pendants des tableaux de Gustave dans les champs. pas fui ! » Moreau, hantés de mirages et d’Orient fa- Si j’allais me mêler aux foules enivrées Le recueil L’Automne, héritier des parnas- buleux, (« La reine de Saba », « Le Mage », De clairs raisins et si j’allais chanter leurs siens et pionnier du symbolisme fran- « L’Étranger »), les souples alexandrins de chants ? çais fut l’unique chef-d’œuvre d’Éphraïm Mikhaël rappellent l’influence des maîtres Je suis las à présent de mes rêves sté- Mikhaël : « c’était le livre de la vingtième du jeune poète, Baudelaire et Mallarmé. riles année, non pas pourtant un de ces livres Que j’ai gardés comme un miraculeux Fréquemment cité dans les anthologies du de jeune, plein de savoureuses pro- trésor. symbolisme, ce recueil fut aussi considé- messes, mais un livre achevé de fier et Je hais comme l’amour mes fiertés pué- très haut poète » (Bernard Lazare). ré comme une des premières œuvres du riles mouvement, qui naît également en 1886 Et la rose de deuil comme la rose d’or. » 4 500 + de photos

81 82 58 Éphraïm MIKHAËL & Bernard LAZARE Manuscrit autographe complet de La Fiancée de Corinthe s. n. | s. l. 1888 | 24,5 x 31,5 cm | relié

Manuscrit autographe complet, de la main ajouts à la plume et au crayon de la main antique auréolée de mystère, à la croisée d’Ephraïm Mikhael, de 28 feuillets numé- du coauteur de la pièce, Bernard Lazare. du paganisme et du mysticisme chrétien. rotés de papier cartonné souple. On distingue la signature partielle « B La- Composée en 1887 alors qu’Ephraïm Reliure à la bradel en demi cartonnage à zare » dans le coin supérieur gauche de la Mikhaël était déjà rongé par la tubercu- coins façon vélin , dos lisse orné de motifs page de titre. Quelques petits manques de lose, cette « légende dramatique » en typographiques en tête et en queue, plats texte en raison de la fragilité du papier. trois actes ne sera pas créée au théâtre de papier marbré, gardes et contreplats de À notre connaissance, aucun autre manus- de son vivant. Ce manuscrit constitue un papier à la cuve, tête dorée, couverture crit de cette œuvre n’a été conservé. authentique témoin du travail coordonné conservée. des deux hommes, qui se considéraient Notre manuscrit, dans sa majorité écrit de Manuscrit autographe complet d’une des comme cousins tant leurs affinités litté- la main d’Ephraïm Mikhaël comporte des toutes premières pièces de théâtre sym- raires étaient grandes. ratures, des ajouts de Mikhaël sur des pla- bolistes, écrite par Ephraïm Mikhael et Les pages du manuscrit retracent les cards encollés. Il présente également des Bernard Lazare, s’inspirant d’une légende nombreuses étapes d’écriture à travers

83 les innombrables parties encollées dévoi- lant ou masquant les états antérieurs du texte abandonnés et réécrits par Mikhaël. On y rencontre çà et là les ajouts de Ber- nard Lazare, qui se charge en majorité des didascalies, et dont l’écriture serrée se distingue aisément de l’ample plume de son acolyte.

S’inspirant d’un récit du Livre des Mer- veilles de Phlégon, auteur du IIe siècle de notre ère, la pièce conte le destin de deux amants païens, Apollonia et Manticlès, ré- unis dans la mort après avoir été séparés par Bénénikè, mère de la jeune fille récem- ment convertie au christianisme. Ephraïm Mikhaël corrigea systématiquement le nom de « Bérénice » en « Bérénikè », s’éloignant de la référence cornélienne pour donner une couleur plus antique au récit. En tous points fidèle à l’esthétique symbo- liste, telle qu’énoncée un an plus tôt dans le fameux manifeste du mouvement, la pièce est traversée par le motif de la reve- On peut considérer la pièce comme une ment de l’introduction du christianisme nante d’outre-tombe et de la tension reli- tentative de réconciliation entre les inté- dans la société païenne » (La revue indé- gieuse : « Je voudrais que les Euménides rêts respectifs de leurs auteurs : d’un côté pendante, tome IX, octobre-décembre nous reçoivent tous deux au seuil de l’Ha- Ephraïm Mikhaël, jeune chartiste épris de 1888). dès, comme des amants fugitifs dans un Grèce antique, et de l’autre son ami Ber- Malgré les dissensions qui ont prévenu sa bois sacré » (Acte I, scène IV) ; à la fin de la nard Lazare « fasciné par les périodes de création au théâtre,La Fiancée de Corinthe pièce, la fiancée morte de chagrin dans un transition culturelle, les moments dans fut bien reçue par la critique après sa pu- couvent revient sous la forme de spectre l’histoire où les civilisations et les religions blication l’année suivante ; les deux écri- entraîner son amant dans une union éter- se rencontrent et se confrontent » (Nelly vains furent notamment félicités par leur nelle : « Le glorieux Erôs m’a prêté sa Wilson, Bernard-Lazare, Cambridge Uni- maître Mallarmé, et leurs amis du journal force divine pour lever les pierres de la versity Press, 1978). Cette œuvre signale la Pléiade. La pièce est par ailleurs dédiée tombe; la nuit funèbre n’a pu fermer mes présence d’un fait religieux universel, une à leur ami le poète Catulle Mendès, qui yeux qui te cherchaient au loin » (Acte III, aspiration vers l’au-delà et l’invisible que le fera du premier acte un livret d’opéra avec scène VI). Verbe dévoile par des symboles. Ephraïm Mikhaël. La pièce marque également la filiation D’aucuns ont vu dans la Fiancée de Co- d’Ephraïm Mikhaël avec le romantisme, rinthe un manifeste anti-chrétien, du fait Unique témoignage autographe d’un le mythe ayant déjà été traité par une de l’origine juive des deux auteurs, souf- drame aux accents prophétiques ; l’auteur ballade éponyme de Goethe puis dans un frant sans doute de l’antisémitisme de partagea moins de deux ans plus le destin poème d’Anatole France, intituléNoces co- la société française à la veille de l’affaire des jeunes amants de cette pièce, trou- rinthiennes paru en 1876. Dreyfus. Ainsi Félix Fénéon accueille la pu- vant selon ses dires la délivrance dans la Le caractère énigmatique de la pièce a blication de la pièce en ces termes : « on mort : « bientôt ils se perdent dans la nuit mené à de nombreuses interprétations : comprendra, sans doute, pourquoi deux resplendissante de surnaturelles clartés » rejet du divin ou au contraire syncrétisme Sémites, mécontents de Goethe et de M. (Acte III, scène VII). France, sont venus nous dire leur senti- païen et chrétien imprégné de mysticisme ? 6 800 + de photos

84 59 Éphraïm MIKHAËL & Bernard LAZARE La Fiancée de Corinthe

Camille Dalou | Paris 1888 | 20 x 27,5 cm | relié

Édition originale, un des rares exemplaires sur Japon. Reliure à la bradel en demi cartonnage à coins façon vélin, dos lisse orné de motifs typographiques en tête et en queue, plats de papier marbré, gardes et contreplats de papier à la cuve, tête dorée, couverture conservée.

Bel et rare exemplaire.

2 500 + de photos

60 Éphraïm MIKHAËL Le Cor fleuri

Tresse & Stock | Paris 1889 | 13 x 18,5 cm | broché

Édition originale pour laquelle il n’est pas fait mention de grands papiers. Petits manques en marges de certains feuillets, un infime manque en tête du premier plat.

Créé au Théâtre Libre le 10 décembre 1888, Le Cor fleuri marque les débuts du jeune poète au théâtre. Cette « féerie en un acte » conte le ravissement amoureux d’une fée métamorphosée en femme, et fit l’objet d’une adap- tation musicale posthume par son ami le poète Ferdinand Herold sur une musique de Fernand Halphren, élève de Gabriel Fauré. 450 + de photos

85 61 Alfons MUCHA & Émile GEBHART Cloches de Noël et de Pâques

H. Piazza et Cie | Paris 1900 | broché

Unique édition tirée à 252 exemplaires, le nôtre un des 215 sur vélin de Rives numérotés à la main par l’éditeur.

Rare signature de Mucha à la page de titre.

Couverture rempliée illustrée d’une grande illustration en noir re- haussée à l’or de Mucha, tout comme les 78 encadrements végé- taux de pages de texte comportant chacune en tête un bandeau historié. 4 800 + de photos

86 NAPOLÉON III (Bibliothèque)

62 Édouard AUBERT La Vallée d’Aoste

Amyot | Paris 1860 | 34 x 27 cm | relié

Édition originale publiée l’année même de public compiégnois, comme le rappellent l’intégration de la vallée d’Aoste à l’Italie. les souvenirs de Jules Troubat, ancien se- L’ouvrage est illustré de 97 gravures sur crétaire de Sainte-Beuve et dernier biblio- bois dans le texte, de 33 gravures sur acier thécaire du Palais. La bibliothèque sera hors-texte, de 6 chromotypographies et définitivement fermée et vidée de son d’une carte. contenu par arrêté du 16 janvier 1888. Une partie des fonds – environ 10.000 ou- Reliure en demi chagrin rouge, dos lisse vrages – sont attribués à la Bibliothèque orné de filets dorés, « Palais de Com- municipale de Compiègne en 1891. En piègne » estampé à l’or en tête du dos, mars 1918, la ville de Compiègne connaît chiffre de Napoléon III frappé à l’or sur un bombardement et est évacuée ; les le dos, plats de papier marbré, gardes et livres sont alors laissés aux intempéries. Ce contreplats de papier à la cuve, reliure de n’est que fin mai 1918 qu’un bibliothécaire l’époque. Quelques rousseurs sans gravité. mobilisé par l’armée évacue les ouvrages Tampon « Bibliothèque de la Couronne – intacts sans pouvoir s’occuper des livres si- Compiègne » sur la page de titre. Notre nistrés. Cette partie du fonds sera plus tard exemplaire, au contraire de ceux ayant re- triée et vendue au poids. joint les fonds nationaux lors de la disper- sion de la bibliothèque du Palais de Com- Nous n’avons pu trouver en vente pu- piègne, ne porte pas de tampon « dépôt blique qu’un seul ouvrage provenant de de l’État 1891 ». La bibliothèque du Palais la bibliothèque du Palais de Compiègne, de Compiègne, entièrement remeublée une Description de l’Egypte passée aux en- par Napoléon III, fut un véritable lieu de chères en 2014. sociabilité des invités de l’empereur qui empruntaient romans, revues et journaux. Bel et rare exemplaire, d’une illustre pro- Un amusant registre manuscrit de prêt a venance, au chiffre de Napoléon III et l’un d’ailleurs été numérisé par la Bibliothèque des rares ouvrages à ne pas avoir rejoint nationale de France. les fonds nationaux lors du démantè- lement de la bibliothèque du Palais de Après la chute du Second Empire, la IIIè Ré- Compiègne en 1891. publique laisse subsister quelques temps la bibliothèque, qui est alors ouverte au 7 000 + de photos

87 63 Pablo NERUDA Arte de Pájaros

Sociedad de amigos del arte contemporaneo | Santiago de Chile 1966 | 34 x 39,5 cm | broché sous coffret

Édition originale sur papier courant. Notre exemplaire est présenté dans un geant leur passion pour la poésie française, Agréable exemplaire en dépit d’un petit coffret en demi maroquin vert, dos lisse, et plus particulièrement pour Baudelaire. accroc restauré en tête du dos. date en queue, signé Thomas Boichot. C’est à cette occasion que le poète offrit Illustrations de Nemesio Antunez, Mario cet exemplaire d’Arte de Pájaros au Pré- Carreno, Hector Herrera et Mario Toral. Neruda, à l’époque ambassadeur du Chili, sident français, auteur de la célèbre An- fit la connaissance de Pompidou en 1971, thologie de la poésie française parue en Précieux envoi autographe de Pablo Neru- lors d’une rencontre ayant pour but de 1961. da : « À Georges Pompidou, Président de renégocier la dette chilienne. D’après le 4 500 la poésie, hommage. Pablo Neruda. Isla poète mexicain Carlos Fuentes, ils échan- Negra, Chile, 1971. » gèrent durant plus de trois heures, parta- + de photos

88 64 Pablo PICASSO & Antonin ARTAUD ...Autre chose que de l’enfant beau

Louis Broder | Paris 1957 | 13,5 x 16,5 cm | relié sous chemise et étui

Édition originale imprimée à 120 - exem plaires numérotés sur Japon, le nôtre un des 100 numérotés en chiffres arabes. Ouvrage illustré d’une pointe-sèche ori- ginale en couleurs de Pablo Picasso, tirée dans les ateliers Georges Leblanc à Paris.

Signature manuscrite de Pablo Picasso à la justification du tirage.

Reliure en plein box gris, dos lisse, titre et noms de l’auteur et de l’illustrateur frap- pés à l’or sur le dos, plats ornés d’un dé- cor abstrait et géométrique de filets dorés et noirs, gardes et contreplats de box gris souris, couvertures et dos conservés, tête dorée, chemise en demi box gris souris, plats de papier marbré, étui bordé de box gris souris, plats de papier marbré, reliure de l’époque signée Desmules. Reprenant un procédé utilisé l’année pré- cédente pour l’illustration d’Autre chose de P.A. Benoit, l’artiste a percé la matrice du noir, faisant apparaitre un cercle vide dans la gravure. Ce cercle, non pressé par la plaque, forme en relief une demi-sphère blanche, œil unique et vide d’un person- nage aux membres désarticulés, très sû- rement inspiré de l’un des grands dessins d’Artaud de 1946, « L’Homme et sa dou- leur », conservé au musée Cantini à Mar- seille.

Rare et très bel exemplaire, parfaitement établi en reliure à décor, comportant la seule taille-douce réalisée en couleurs par Picasso en illustration d’un livre. 9 000 + de photos

89 65 Henri POURRAT Le Trésor des contes

Gallimard | Paris 1948-1962 | 12 x 19 cm | 13 volumes brochés

Édition originale, un des 25 (pour les auvergnate – dès 1911. Considérant ce quatre premiers volumes de la série) puis titanesque travail comme son œuvre maî- un des 23 (à partir du cinquième volume tresse, il consacrera la dernière décennie jusqu’au treizième) exemplaires numéro- de sa vie à l’organiser. Traduit dans de tés sur chiffon Auvergne pour chacun des nombreuses langues, c’est volumes, parfois un des exemplaires hors aujourd’hui encore le plus commerce lettrés, tirage de tête. grand recueil de contes au Exceptionnel et très bel ensemble complet monde. en 13 volumes. Nous n’avons pu trouver un autre ensemble complet Beaux envois autographes signés d’Henri qu’à la Bibliothèque natio- Pourrat, parfois à pleine page, à Gilbert nale du Luxembourg et au- ou Anne-Marie Kempf sur les huit pre- cun actuellement à la vente. miers exemplaires de la série, les suivants Rarissime et bel ensemble étant posthumes. complet, en grand pa- pier, enrichi d’envois au- Ces treize volumes, publiés entre 1948 et tographes signés d’Henri 1962, contiennent plus de mille contes Pourrat. qu’Henri Pourrat commença à collecter – d’après les sources de la littérature orale 10 000 + de photos

90 66 Pierre-Joseph-Marie PROUDHON

Lettre autographe signée de quatre pages rédigée depuis la prison de Sainte-Pélagie

Paris | Prison de Sainte-Pélagie 12 novembre 1851 | 13 x 20,5 cm | une feuille sous chemise et étui

« Je n’apparais encore à beaucoup de gens que comme la négation pure et simple de ce qui est » Lettre autographe signée de 4 pages datée du 12 novembre 1851. 124 lignes à l’encre noire.

Lettre autographe inédite sur le progrès, signée de Pierre-Joseph-Marie Proudhon, figure incontournable de la pensée so- ciale française, et « père de l’anarchie » selon le président de la République fran- çaise Armand Fallières. Le philosophe em- prisonné depuis 1849 développe dans un style virulent et combatif ses convictions socialistes et condamne les absolutismes de son temps.

Extraordinaire profession de foi philoso- phique, politique et sociale d’un penseur à la marge, dont la fortune critique et l’influence se retrouvent de Karl Marx à Émile Durkheim en passant par Benjamin Tucker.

La missive est rédigée d’une écriture ra- pide et dense, comportant de nombreux passages soulignés appuyant certains concepts philosophiques. Le premier Cette lettre inédite, datée du 12 novembre prise de pouvoir définitive de Louis-Na- feuillet présente un en-tête du journal Le 1851, constitue une réflexion passionnée poléon Bonaparte, à laquelle il s’opposa Peuple de 1850, un des quatre journaux di- et inédite, proche d’une lettre intitulée immédiatement. Une fois sorti de prison rigés par Proudhon sous la seconde Répu- « De l’Idée de Progrès », écrite une dizaine en 1852, Proudhon publia les deux lettres blique, qui lui valurent d’être emprisonné de jours plus tard, que Proudhon publie chez Lebègue à Bruxelles afin d’échapper pour « incitation à la haine du gouverne- avec une autre (« De la Certitude et de son à la censure, qui avait interdit la vente de ment » « provocation à la guerre civile » criterium ») dans l’ouvrage Philosophie du l’opuscule sur le territoire français. et « attaque à la Constitution et à la pro- progrès. Cet ensemble de textes fut com- Déjà détenu depuis deux ans dans les priété ». posé seulement deux semaines avant la geôles du futur empereur des Fran-

91 çais, Proudhon écrit depuis la prison de ainsi à demi-mots l’écriture d’une œuvre progrès à effectuer dans l’âge suivant : Sainte-Pélagie à Romain Cornut, journa- plus approfondie, qui aboutira en 1853 à tout ce que nous pouvons faire, c’est de liste de La Presse, qui venait de termi- La Philosophie du progrès dédiée au même proposer un but idéal, c.à.d. d’affirmer en ner une série d’articles sur le positivisme Romain Cornut. général la direction du mouvement, et de d’Auguste Comte (Etudes critiques sur le constater quelques lois, jamais d’affirmer socialisme, octobre-novembre 1851). Il Anarchiste partisan de la suppression de rien de complet, de définitif, d’absolu. » faut voir cette lettre comme un admirable l’État et de son double, le gouvernement, Proudhon se place en prophète, à la fois plaidoyer de quatre pages, ou plutôt une Proudhon ne renonce cependant pas à la annonciateur et dénonciateur de l’aveu- confession de sa vision socialiste du pro- critique du « système », qui est par défini- glement des savants français encore en- grès, un « positivisme social » qui se fonde tion antiprogressiste or,« il est incontes- goncés dans leurs idées d’absolu : sur la remise en cause de l’ordre ancien : table, à ce point de vue du progrès, que « Il n’y a pas un homme, dans toute l’uni- « on recule devant une négation intellec- notre société tout entière, monarchistes, versité, qui s’aperçoive de cette révolu- tuelle, qui est la condition sine qua non démocrates, catholiques, philosophes est tion qui est à la veille de s’opérer dans la du progrès ultérieur ». Proudhon tente encore absolutiste : ce que chacun veut, philosophie par l’introduction si récente dans cette lettre de convaincre son desti- c’est une charte, une constitution, un sys- de l’idée de progrès dans la métaphy- nataire du bien-fondé de ses convictions, tème, une législation fixe et définitive, sique ». et n’hésite pas à user de flatteries qui enfin. ». contrastent étrangement avec sa verve Outre les systèmes politiques, Proudhon Cet essai philosophique épistolaire ne habituelle (« Ce n’est pas croyez-le bien, retrouve ce même idéalisme dans la pen- laisse pourtant pas oublier la condition de [..] que je désire le moins du monde in- sée philosophique de ses aînés et ne se Proudhon, détenu politique pour lequel fluencer votre opinion, quelque désir que prive pas d’en faire une violente condam- le verbe est seule preuve de bonne foi ; il j’aie de faire la conquête d’un esprit aussi nation : tente d’obtenir une entrevue avec Romain judicieux que le vôtre »). « Comme Pascal, comme les allemands, Cornut afin de clarifier ses propos de vive nous voulons l’absolu ! [...] Spinoza, Male- voix : « Je serai heureux, monsieur, en Il établit au fil de la lettre un équilibre branche, Leibnitz, etc., qui tous, opérant causant avec vous de toutes ces choses, entre son âme de polémiste et son désir sur les catégories de substance, causalité, de vous expliquer ce que je veux, ce que de légitimité, aspirant à être reconnu par éternité, unité, pluralité, etc. sont arrivés je suis ». La presse écrite, que Proudhon ses pairs non plus comme un simple agita- à des systèmes d’immobilisme politique espère atteindre par le biais de son des- teur mais comme un véritable penseur. On et intellectuel, à l’absolu ». tinataire, fait office de tribunal des idées se souvient en effet de ses célèbres traits dont l’opinion publique est le juge : « c’est d’esprit (« la propriété c’est du vol ! »), ses Il constate les effets néfastes des régimes là le fort ou le faible, comme vous vou- sympathies pour les soulèvements de 1848 politiques et des philosophies insensibles drez, de mon socialisme; c’est sur cela que ainsi que ses pamphlets au vitriol dans Le aux vicissitudes de l’Histoire, ébranlées je devrais être condamné ou absous ». Peuple qui avaient consacré sa réputation malgré tout par les changements que la ré- de radical : « J’ai été, jusqu’à ce jour, si volution de 1848 avait laissés entrevoir. En Lettre inédite d’un des plus éminents phi- sottement jugé, même par les socialistes prenant en considération l’instabilité inhé- losophes français du XIXè siècle au jour- [...] Parce que j’ai conduit la critique des rente aux sociétés humaines, il propose sa naliste Romain Cornut, à qui il dédiera sa vieux principes aussi loin qu’elle pouvait propre définition d’un progrès anarchiste Philosophie du progrès (1853). Proudhon aller [...] je n’apparais encore à beau- et « non-interventionniste » : figura quelques semaines plus tard parmi coup de gens comme la négation pure et « Le système social, n’existe que dans la les rangs des opposants exilés de l’Empire simple de tout ce qui est ». Proudhon af- série des âges : c’est un ensemble his- de Napoléon III, aux côtés de Victor Hugo firme cependant son intention de quitter torique, non d’actualité. C’est pour cela et Louis Blanc. les remparts de la critique (« laissant pour qu’il n’est jamais donné à une génération, 8 000 le moment la polémique de circonstance, à plus forte raison à un homme, de conce- dans mes nouvelles études ») et annonce voir de prévoir que le faible partie des + de photos

92 67 Marcel PROUST À la recherche du temps perdu

Grasset & Nrf | Paris 1913-1927 | 12x19 cm pour le premier volume & 13 x 19,5 cm pour le second & 14,5 x 19,5 cm pour les suivants | 13 volumes reliés

Édition originale comportant toutes les plats de papier marbré, caractéristiques de premier tirage pour Du gardes et contreplats de pa- côté de chez Swann (premier plat à la date pier peigné, couvertures et de 1913, absence de table des matières, dos conservés, têtes dorées, catalogue de l’éditeur in-fine). La faute à élégantes reliures signées Se- Grasset, seulement présente dans les tous met et Plumelle. premiers exemplaires imprimés est ici cor- Prestigieuse provenance : rigée, en effet Marcel Proust intervint très bibliothèque Georges Pom- rapidement au début du tirage pour exiger pidou avec son ex-libris en- la correction de cette faute typographique. collé sur chacun des volumes. me devint sensible que M. Proust possé- Édition originale sur papier courant, un « Dès sa jeunesse, Georges Pompidou dait justement tous les dons ou plutôt le des très rares premiers exemplaires sans avoua à son ami Pujol son admiration pour charme dont Zola est si cruellement dé- mention pour À l’ombre des jeunes filles le romancier de À la recherche du temps pourvu. [...] Il semble qu’à tous les détours en fleurs, dont il n’a été tiré qu’environ perdu. À ce moment-là, Proust n’était du labyrinthe charmant où M. Proust nous 500 exemplaires, les 2000 exemplaires sui- évidemment pas un inconnu mais ne bé- entraîne, des miroirs inattendus sollicitent vants présentant une mention fictive sur la néficiait pas de la même réputation qu’au- nos regards, pendant que le guide impas- couverture. jourd’hui. Faut-il rappeler qu’au lendemain sible continue son commentaire fleuri. » Cette collection complète de À la Re- de la guerre, quand Bernard de Fallois pro- Cette importante chronique – placée en cherche du temps perdu comprend donc posa de consacrer sa thèse à cet écrivain, tête du numéro, c’est-à-dire là où se trou- les titres suivants :Du côté de chez Swann, encore souvent perçu comme un mondain, vait habituellement un texte littéraire – a À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Le on le lui avait fortement déconseillé, le su- incontestablement été rédigée à la suite Côté de Guermantes (2 volumes), Sodome jet n’étant pas « porteur ». Georges Pom- de l’envoi par Proust de cet exemplaire au et Gomorrhe (3 volumes), La Prisonnière (2 pidou, lui, ne s’y était pas trompé. « Quel critique de la Nrf. Proust, absolument ravi volumes), Albertine disparue (2 volumes) type, écrivait-il à Robert Pujol. Il paraît qu’il de la réception de son œuvre par Allard lui et Le Temps retrouvé (2 volumes). avait une mémoire fantastique, un cœur répondra le 13 septembre 1921 : « C’est d’or, une délicatesse prodigieuse avec les un grand plaisir d’être compris d’une façon Elle est enrichie de deux importants et femmes et une observation étonnante. Il si profonde, jusque dans ses moindres at- précieux envois autographes signés de lisait dans l’âme des gens. » On n’est donc tentions. [...] Je suis profondément touché Marcel Proust au critique littéraire et édi- guère surpris que Georges Pompidou se de voir que vous avez appliqué à mes récits teur à la Nrf Roger Allard : soit offert [...] l’édition originale de À la une intelligence si profondément investi- – « À monsieur Roger Allard. / Sympathi- recherche du temps perdu... » (Étienne de gatrice. » quement. / Marcel Proust » sur Le Côté de Montety, Dans la bibliothèque de nos pré- Exceptionnel ensemble en reliure- uni Guermantes. sidents : ce qu’ils lisent et relisent, 2020). forme de La Recherche du temps perdu – « À monsieur Roger Allard. / Très sym- enrichi de deux précieux envois auto- pathique hommage. / Marcel Proust » sur Roger Allard avait consacré un élogieux graphes signés de Marcel Proust à Roger Le Côté de Guermantes II – Sodome et Go- compte rendu à Sodome et Gomorrhe I Allard. morrhe I. intitulé « Sodome et Gomorrhe ou Marcel Provenance : de la bibliothèque du Pré- L’ensemble est établi dans une reliure uni- Proust moraliste » dans la Nrf du 1er sep- sident Georges Pompidou. forme en demi maroquin rouge à coins, tembre 1921. Il y écrivit ainsi : « C’est en dos à cinq nerfs, dates dorées en queues, éprouvant une satisfaction imparfaite qu’il 45 000 + de photos 93

RÉSISTANCE 68 René LOUVAT & Germaine KANOVA Affiche de la France libre : « French Resistance helps throttle the Boche »

Londres 1944 | 49 x 36 cm | une feuille

Rare affiche originale de la France libre comme correspondante de guerre au sein çaise (en référence à la métaphore du gé- publiée à Londres en 1944, et portant la du Service cinématographique des ar- néral de Gaulle lors de son appel radiodif- légende « French resistance helps thrott- mées (SCA). fusé du 18 juin 1940), fut imprimé dans le le the Boche » (« La Résistance française but de promouvoir le rôle des Forces fran- aide à étrangler le Boche »). La lithographie en couleur, signée « R. Lou- çaises de l’Intérieur (FFI) dans la libération Une déchirure sans manque très discrète- vat, 1944 photo G. Kanova » représente de la France. ment restaurée. deux mains, d’où s’échappent des flammes bleu-blanc-rouge, étranglant un soldat al- Très rare affiche originale dans un remar- Cette affiche fut réalisée par René- Lou lemand, reconnaissable à son casque et à quable état de fraîcheur. vat d’après une photographie de Ger- sa couleur vert-de-gris. Ce type d’affiche, 2 500 maine Kanova, première femme engagée portant la flamme de la résistance fran- + de photos 69 Louis PARROT Tapuscrit avec ajouts manuscrits autographes de L’Intelligence en guerre

1945 | 22,3 x 27,9 cm | (24) f. | 340 feuillets

« On peut dire sans paradoxe que ce souci éditions La Jeune Parque. dont les repentirs et les ajouts visibles de la vérité, cet amour de la justice, ne se donnent à voir les choix politiques de sont jamais manifestés avec plus d’éclat Figure de proue de la presse clandestine son auteur autant que ses inclinations que pendant ces jours sombres où les Fran- pendant la Seconde Guerre mondiale, ami esthétiques. Ce tapuscrit constitue un çais avaient perdu l’usage de la parole » d’Éluard, Picasso, et Aragon, l’écrivain et document unique qui met en lumière critique littéraire Louis Parrot signe avec l’exigence d’exhaustivité de Louis Parrot, Tapuscrit de 340 pages de l’ouvrage L’Intel- L’intelligence en guerre un panorama de dont l’étude approfondie servira de base ligence en guerre de l’écrivain journaliste la pensée française résistante qui rend à l’historiographie de la résistance litté- résistant Louis Parrot, accompagnées de justice aux oubliés des maquis comme raire. notes manuscrites concernant les pages aux écrivains les plus emblématiques de la de titre, de faux-titre, de préface et de bi- presse clandestine. Le destinataire du tapuscrit, Auguste An- bliographie en début (4 pages en tout) et La parution, au sortir de la guerre, de cette glès, est un des acteurs majeurs de la de l’index des noms cités en fin de volume anthologie des poètes combattants, au presse résistante lyonnaise, créateur du (en tout 6 pages). Nombreuses pliures et carrefour de la chronique littéraire et du journal clandestin Confluences. Parrot décharges de rouille dues aux attaches livre d’histoire, est également un acte po- adresse donc à ce juge éclairé, qui connait métalliques. litique engagé de sélection des « héros » parfaitement les réseaux intellectuels, un de la résistance intellectuelle et, en creux, état de son travail qui met en relief la diffi- Le tapuscrit comporte des corrections et une condamnation implicite des atten- culté autant que la nécessité d’exhaustivi- des modifications manuscrites, notam- tistes. té de sa tâche, comme en témoigne la note ment 25 pages entièrement autographes, autographe sur la chemise cartonnée : et des ajouts en marge de quelques di- En envoyant ce tapuscrit à un ami jour- « Mon cher Anglès, zaines de pages, figurant dans leur inté- naliste lui-même résistant, Parrot confie Voici une copie, malheureusement pas gralité dans la version publiée en 1945 aux à ce frère d’armes la somme d’un travail apporté sur les épreuves mêmes de très

95 96 grosses modifications ou corrections ; Georges Duhamel par François Mauriac néastes, musiciens et acteurs, ambassa- elles ont augmenté le livre de plus de comme figure de proue de la résistance deurs du beau et de la liberté, disséminés 100 pages dactylographiées. Il y avait là au sein de l’Académie Française. À cela en France et à l’étranger. Rédigé en 1945 beaucoup d’erreurs qui ont été arran- s’ajoutent d’autres liasses de feuillets dac- au moment où les derniers actes de la gées. Aussi excusez-moi de vous donner tylographiés, énigmatiquement intitulées guerre s’écrivent encore, L’Intelligence une copie sur laquelle rien n’a été rec- « petit blanc », qui ont été intégrées pos- en guerre fait preuve cependant d’un ex- tifié. J’espère qu’elle pourra cependant térieurement – notamment des passages traordinaire recul, malgré la participation vous servir. Amicalement à vous sur les écrivains Antoine de Saint-Exupéry, active de Parrot à la résistance littéraire : Parrot » Jean-Paul Sartre ou Jean Giraudoux (ajou- ce travail documentaire acharné occulte La note manuscrite adressée à Auguste An- tés au chapitre sur les Lettres françaises en effet largement la propre contribution glès atteste bien qu’il s’agit d’un document dans la version définitive). Ces ajouts tar- de l’auteur à la naissance des célèbres Édi- de travail (« une copie sur laquelle rien difs marquent l’intronisation controver- tions de Minuit et des Lettres françaises. n’a été rectifié »), antérieur aux épreuves sée au panthéon de la résistance littéraire En 1944, Parrot assura en pleine insurrec- corrigées envoyées à l’éditeur. Le tapuscrit d’écrivains comme Saint-Exupéry (désa- tion parisienne la reparution du journal Ce présente deux états du texte, augmenté voué par le général de Gaulle) ou Sartre, Soir dont il rédigea entièrement le premier de nombreuses corrections marginales ou dont l’attitude durant l’Occupation a fait numéro. en pleine page, qui, comme l’indique Par- l’objet de maintes polémiques et qui doit rot « ont augmenté le livre de plus de 100 à Camus, sa participation in extremis à la Bien au-delà d’une chronique historique, pages dactylographiées », figurant systé- presse résistante. le tapuscrit offre surtout une sélection des matiquement dans le texte publié en 1945. Au fil des pages, Louis Parrot peint admira- plus beaux passages de la littérature résis- On remarque quelques revirements im- blement ceux qui ont donné une « âme » tante. Parrot consacre la majorité de cet portants, notamment le remplacement de à la résistance française : écrivains, ci- ouvrage à la poésie du maquis, de la prison,

97 de l’exil. On y retrouve les incontournables et écrivains. Son épais chapitre Premiers Ponge en tête), aux artistes exilés et sym- comme le Musée Grévin d’Aragon, le Chant de la classe s’attache aux souvenirs les plus pathisants dans les derniers chapitres du des partisans, ainsi que les poèmes publiés douloureux de la chronique de la déporta- tapuscrit (La France africaine, La France par ses soins, comme le célèbre Courage tion, dédiant de longues pages à Benjamin lointaine, La Voix de l’Europe), ainsi qu’aux d’Éluard, donné aux Lettres françaises en Crémieux, Robert Desnos et surtout Max fidèles restés à Paris, tel Pablo Picasso qui 1941 et cité dans le tapuscrit : Jacob, « un de ces êtres d’exception pour « par sa seule présence parmi nous, [...] « Paris a froid Paris a faim qui la poésie est la seule raison de vivre a rendu l’espoir à ceux qui finissaient par Paris ne mange plus de marrons dans la et c’est à la poésie qu’il se sacrifia tout douter de nos chances de salut ». [rue entier ». L’écrivain n’oublie pas les étoiles Paris a mis de vieux vêtements de montantes de la littérature, tels René Char On notera le choix du vocabulaire et de la [vieille » et Joël Serge, ni les martyrs de la presse formulation qui introduit son ami peintre clandestine Jacques Decour, Gabriel Péri, dans la fraternité résistante sans avoir à lui Figurent en bonne place les œuvres de ainsi que les étudiants sacrifiés pour les attribuer de « fait d’arme ». René Char et Georges Hugnet, notamment « bulletins ronéotypés par lesquels s’ex- Louis Parrot constitue en effet avec cet son poème Le Non-vouloir illustré par Pi- primait la voix de l’Université demeurée ouvrage majeur une véritable « liste casso, qui selon lui était le « premier texte libre au milieu de l’oppression ». Par ail- blanche » des artistes durant la guerre. résistant qui ne fut pas clandestin ». Par- leurs, sa chronique suit de près la fracture L’Intelligence en guerre répond ainsi à la rot fait publier aux éditions de Minuit le intellectuelle qui s’opéra dès les premiers terrible « liste noire » que Parrot a contri- poète allemand Heinrich Heine dont les mois d’occupation dans le milieu littéraire bué à établir, quelques mois plus tôt, au nazis n’avaient gardé que la Lorelei, et dif- français, se terminant par l’épuration orga- sein du Comité National des Écrivains et fuse la fameuse ode « O Star of France » nisée par le Conseil National des Ecrivains qui condamnait une autre forme d’intel- de Walt Whitman, citée dans le tapuscrit : à la fin de la guerre, dont il fut membre et ligence, honteuse celle-ci, l’intelligence « Ô Étoile de France ardent défenseur. avec l’ennemi. Le rayonnement de ta foi, de ta puis[- sance, de ta gloire, L’Intelligence en guerre invite également Dans une France déchirée par la trahi- Comme quelque orgueilleux vaisseau qui [si longtemps mena toute l’escadre, le lecteur dans le secret des plus grands son de ses élites, cette chronique de la Tu es aujourd’hui, désastre poussé par la esprits de la littérature résistante, que l’au- « contrebande littéraire », est en réalité le [tourmente, une carcasse démâtée ; teur publiait depuis la . Parrot dernier combat de Louis Parrot, avant sa Et au milieu de ton équipage affolé, de y relate la vie les réseaux de complicité à mort prématurée en 1948, pour la restau- [mi-submergé, Lyon, en Provence, dans le Languedoc ou ration d’une fierté nationale à travers la re- Ni timon, ni timonier » dans le Massif central, tantôt appelés « co- connaissance de l’incroyable et périlleuse lonies d’écrivains » ou « îlots spirituels » résistance de nombreux artistes, à l’origine Outre la poésie, une grande part est lais- et qui, en 1945, venaient à peine d’être d’exploits littéraires : « sous chaque livre sée aux textes politiques audacieux, qui dévoilés dans la presse américaine et fran- publié ostensiblement se dissimulait une ont galvanisé le pays lors de ses heures les çaise ; on entre ainsi dans l’intimité du autre œuvre, plus violente et parfois plus plus sombres : le Cahier Noir de François cercle de Paul Eluard, qu’il connut durant belle ». Mauriac, qui valut à son auteur l’admira- les derniers feux de la guerre d’Espagne. tion de ses confrères, est cité à de nom- Parrot lança et dirigea avec lui les trois nu- Et sous le livre publié de Parrot aux allures breuses reprises comme exemple fonda- méros de L’Éternelle Revue en juin 1944 et d’anthologie poétique se dissimule un ta- teur de discours résistant. publia la même année une monographie puscrit plus complexe et parfois plus révé- C’est également une œuvre aux couleurs sur son œuvre dans la célèbre collection lateur des enjeux politiques de cette nou- d’oraison funèbre, de panégyrique pour les « Poètes d’aujourd’hui » chez Pierre Se- velle page du « roman national ». ghers. Il laisse une grande place aux agents victimes de la Gestapo dans les rangs des 4 500 universitaires, étudiants, avocats, poètes de liaison entre les deux zones (Francis + de photos

98 70 Claude Joseph ROUGET DE L’ISLE Essais en vers et en prose

De l’Imprimerie de P. Didot l’Aîné | Paris An V de la République | 1796 | 11 x 18,5 cm | relié

Édition originale de ce recueil. Exemplaire Notre exemplaire est en outre truffé, mon- On trouve les six quatrains tels qu’ils furent unique dans lequel les feuillets 57-59 té sur un feuillet blanc et en regard de la écrits le capitaine Rouget de l’Isle pour l’ar- contenant la Marseillaise ont été rempla- page de titre, d’un portrait original dessiné mée du Rhin en avril 1792, à la suite de la cés par le livret original de l’hymne révo- au crayon de l’auteur de profil et, en fin de déclaration de guerre contre l’empire d’Au- lutionnaire. Ces deux feuillets gravés – in- volume, du Chant des industriels (1821). triche. Un an avant cette première publi- titulés Chanson des Marseillois, chantée Une figure avant la lettre et 5 pages de cation en volume, le régime de la Conven- sur l’emplacement de la Bastille à l’adresse musique gravée. tion l’adopta comme hymne national de la de Frere, passage du saumon (s. d. mais République française et en fit l’emblème avant octobre 1792) – constituent la toute Reliure postérieure en plein veau Laval- de la résistance révolutionnaire. Officielle- première impression de l’hymne qui avait lière, dos à cinq nerfs orné, date dorée en ment réinstaurée sous la IIIe République, été diffusée en feuillets libres pour pouvoir queue, triple filet doré en encadrement elle figure aujourd’hui dans la Constitution être appris de tous. des plats, gardes et contreplats de papier française au même titre que le drapeau peigné, dentelle dorée en encadrement tricolore. Précieux envoi autographe signé de Rou- des contreplats. Reliure signée Koehler en 8 000 get de l’Isle à Madame de Gordon en tête pied du dos. de la page de titre. Exemplaire non rogné. + de photos

99 71 Claude Joseph ROUGET DE L’ISLE Essais en vers et en prose

De l’Imprimerie de P. Didot l’Aîné | Paris An V de la République (1796) | 11 x 18,5 cm | (4) 157 pp. ; 5 pp. | broché

Édition originale illustrée d’une gravure hors-texte gravée par Charles-Étienne Gaucher d’après Jean-Jacques Le Barbier et de 4 pages de partition gravée en fin de volume. La Marseillaise y figure dans sa véritable édition originale, ayant fait l’objet d’une pré-publication dans L’Almanach des Muses en 1793 et sous forme de feuillets libres.

Un des très rares exemplaires tels que parus, broché sous couverture d’attente bleue.

La Marseillaise figure dans l’ouvrage parmi d’autres poèmes. Le chant apparaît dans l’ouvrage aux pages 57-59 parmi des poèmes et ballades galantes sous le titre « Le Chant des Combats, vulgairement L’Hymne des Marseillois Aux Mânes de Sylvain Bailly. Premier Maire de Paris. » On trouve les six quatrains tels qu’ils furent écrits le capi- taine Rouget de l’Isle pour l’armée du Rhin en avril 1792, à la suite de la déclaration de guerre contre l’empire d’Au- triche. Un an avant cette première publication en volume, le ré- gime de la Convention l’adopta comme hymne national de la République française – par le décret du 26 messidor de l’An III – et en fit l’emblème de la résistance révolutionnaire. Officiellement réinstaurée sous la IIIe République, elle fi- gure aujourd’hui dans la Constitution française au même titre que le drapeau tricolore. Les États-Unis d’Amérique connurent presque instantanément La Marseillaise grâce à « The American Daily Advertiser » qui la publia en 1794. Particulièrement populaire à Philadelphie, elle fut chantée par les foules et dans les théâtres durant les années 1790 – «French tunes have for a long time usurped an uncon- trould sway» (« les mélodies françaises exercent une domi- nation incontrôlée et usurpée ») commenta Abigail Adams, femme du second Président des États-Unis John Adams.

Première publication par son compositeur du plus célèbre des symboles de la République française : La Marseillaise. 1 500 + de photos

100 Exceptionnel ensemble des archives manuscrites inédites et complètes de Louis, Chevalier de Sade (1753-1832), auteur du Lexicon politique et cousin du Divin Marquis représentant environ 12 000 feuillets manuscrits dont plusieurs milliers inédits et écrits de sa main. Le Chevalier y expose un système de pensée de type « holistique », comprenant à la fois des réflexions historiques, politiques et scientifiques. Précieuses archives géopolitiques, historiques et scientifiques d’un aristocrate érudit, témoin privilégié de la fin de l’Ancien Régime, de la Révolution française, du Consulat, de l’Empire et de la Restauration. Fonds unique de recherches sur la mise en place d’une monarchie constitutionnelle. 72 Louis, Chevalier de SADE Ensemble complet des archives du Chevalier de Sade

1791-1832 | env. 12 000 feuillets | divers formats

Si l’on regarde la Révolution Française de la Révolution elle-même qui connut Ce qu’il nomme la « politique positive » est comme la naissance de l’expérimentation pléthore de contempteurs, mais de l’idéo- « fondée sur le calcul et sur l’expérience. ». de l’idéologie laïque et politique, le cheva- logie en politique, phénomène qui devait « La théorie a eu des charmes pour moi ; je lier de Sade en fut sans doute un des pre- profondément marquer les deux siècles à l’ai étudiée avec soin, j’ai savouré ses prin- miers et précoces déconstructeurs. Non venir. cipes. Maintenant je n’apprécie leur valeur

101 que par les effets provenant de leur mise À contre-courant de la pen- en pratique, qu’on leur a vu produire chez sée des Lumières, le chevalier les peuples dont l’histoire est parvenue à porte un regard très peu phi- ma connaissance. C’est ma méthode ; je losophique sur la société. Bien sais qu’elle est, du tout au tout, l’opposée qu’il construise une véritable de celles que nos gouvernants et nos fai- histoire théorique de l’évolution seurs de constitutions ont suivies jusqu’à des hommes depuis l’état « sau- présent sans s’en désister. Cette diver- vage » jusqu’aux constitutions gence continuelle entre ce qui s’est fait des sociétés, il ne postule pas et ce qu’on n’aurait pas dû faire, en aug- une nature idéale de l’homme, mentant ma confiance dans ma manière comme le font certains de ses de procéder a fortifié en même temps contemporains (que ce soit pour ma résolution à persister dans la vue que justifier la politique ou pour la j’avais adopté, de juger les législations par déplorer). Au contraire, le cheva- les conséquences historiques qu’elles ont lier relève la césure entre l’être entraînée après elles, plutôt que par les de nature et l’être de culture, beaux raisonnements métaphysiques et sans porter de jugement moral supposés concluants, dont les novateurs ou philosophique sur celle-ci n’ont cessé et ne cessent tous les jours de comme il était alors d’usage de nous accabler. » le faire. « L’erreur politique qui a Le Chevalier de Sade, qui ne concevait le perdu l’Europe du XVIIIè a été de monde qu’au regard de ce qu’il fut, ne baser ses raisonnements et ses de l’Ancien Régime. Mais il n’est pas un de pouvait être autre que Royaliste. La démo- principes législatifs sur le droit de nature ses rejetons caricaturaux qui symbolisent cratie n’avait pratiquement aucun exemple et d’oublier que l’ordre social des empires sa déchéance ou son immobilisme sui- dans l’histoire connue du Chevalier, hor- se fonde sur les propriétés territoriales. » cidaire, il est le représentant d’une mo- mis les antiques sociétés grecques et ro- Cette retenue, le Chevalier l’applique à narchie ancestrale, un modèle politique maines qui n’avaient expérimenté que des tous ses raisonnements. Ainsi de l’âge de assumé et éprouvé dans le temps et l’es- formes très élitistes de démocraties. Ces l’industrie, le sien donc, qui selon lui, « a pace. Sans richesse ni pouvoir, le Cheva- modèles sont d’ailleurs bien connus du fait beaucoup de bien et beaucoup de lier ne défend pas, avec la Monarchie, ses politologue dont les archives contiennent mal, procuré beaucoup d’agréments et propres privilèges, il expose une structure plus de 7 000 pages consacrées à l’Histoire d’infortune ». sociale et sa mise en péril non pas par la antique. Cette volonté d’objectivité sert de fait une Révolution, qui n’est qu’une conséquence, La République portée par la Révolution, thèse conservatrice, mais contrairement à mais par la déviance des élites et leur mé- plus qu’une adoption d’un modèle po- beaucoup d’idéologues de tous bords, le connaissance des fondements de la Royau- litique, fut la réalisation politique d’un Chevalier ne développe pas un argumen- té. On est frappé par le peu de cas qui est idéal philosophique. Or, si la plupart des taire à charge, dont tous les propos ten- fait de la Foi, ou de la légitimité divine du opposants à ce nouveau régime y voyaient draient à prouver l’énoncé de départ. Louis Roi. surtout une atteinte à leur situation- per de Sade, qui n’a pas d’objectif de publica- Le Chevalier fut un penseur objectif de sonnelle, à leurs convictions religieuses tion et donc pas de lecteur à convaincre, son temps au même titre que le furent ou plus simplement à leurs habitudes, les n’articule pas son propos en fonction du les encyclopédistes, mais au service d’un écrits du Chevalier de Sade ne relèvent moule de sa pensée, mais entreprend une monde bientôt disparu et non de celui qui d’aucune influence dogmatique ou, du démarche qui aspire à l’exhaustivité. Il ex- va naître. moins, ne se justifient jamais par celle-ci. plore ainsi toutes les voies, que celles-ci À l’image de Chateaubriand, dont il est de Louis de Sade, gentilhomme sans fortune confortent ou non sa vision du monde. quinze ans l’aîné, le Chevalier nous livre et sans attache, est conservateur par En cela, les écrits du Chevalier constituent un discours volontairement posthume et conviction philosophique et historique, un ensemble sans équivalent de l’éten- ainsi détaché des contraintes de son rang et non par intérêt. Et c’est avec une par- due de la pensée d’un aristocrate éclairé social et politique. Pourtant à la diffé- faite honnêteté intellectuelle qu’il étu- au cœur de la plus importante rupture po- rence des mémoires de son illustre cadet, die et commente les essais, mémoires et litique et sociale de notre Histoire. les archives de Louis de Sade ne sont pas œuvres politiques ou théoriques de ses Contrairement à son cousin, le Divin Mar- celles d’un célèbre écrivain et d’un Pair de contemporains. quis, le Chevalier est clairement un homme France, marqué par une action politique et

102 une époque où l’édition, sou- voyé très jeune, après un séjour chez les mise à privilège, contrôle de jésuites, dans la dure pension de l’Abbé moralité et risque de violents Choquart où il fréquenta Mirabeau et dont procès, porte généralement il ne garde pas un souvenir flamboyant : la marque d’une nécessaire « Si dans ma jeunesse au lieu d’être noyé autocensure, autant qu’une dans la plus mauvaise des pensions, certaine considération aux at- quoique fort chère, j’eusse eu des bons tentes du lecteur. maîtres, j’aurais fait quelque chose (..) Ce libre penseur était peu en- Elevé à la Jean-Jacques Rousseau, à la clin à ces prudentes restric- pureté des mœurs près de l’abbé Cho- tions. Son premier ouvrage, quart, je ne savais rien, que me battre, écrit à la veille de la Révo- jouer au barre, monter sur les toits, vo- lution au fond de la cale du ler des pommes et quelques formules algébriques. » vaisseau amiral où il avait été La référence à son contemporain Jean- placé aux arrêts par lettre de Jacques Rousseau est sans doute, pour ce cachet pour rébellion contre fervent royaliste, la plus sévère critique l’autorité, fut immédiatement adressée à cette maison de correction pour censuré et pilonné par le gou- fils indisciplinés. Dès l’âge de quinze ans le vernement monarchique. Il Chevalier est incorporé dans la marine et s’intitulait : « Mes loisirs sur c’est donc en parfait autodidacte que le le vaisseau amiral ou Lettres chevalier acquiert la plupart de ses consi- aux Etats Généraux sur une dérables connaissances. Ainsi ne connaît- nouvelle constitution du gou- il ni le grec ni le latin contrairement à vernement de la France ». nombre de ses contemporains éduqués, Les autres ouvrages qu’il fit mais il possède un très vaste savoir dans publier par la suite sont tous tous les domaines des sciences physiques très engagés politiquement, et une autorité littéraire qui ont nécessaire- et humaines. En témoignent, non seule- même son étude scientifique des marées, ment influé sur l’écriture. La parution pos- ment ses manuscrits, mais également ses la Tydologie, qui comporte de nombreuses thume des Mémoires d’Outre-Tombe est publications autant que les charges qui lui comparaisons avec les grands mouve- un acte politique et littéraire prémédité, sont confiées : commandement d’escadre, ments politiques et sociaux de la Révolu- elle témoigne d’une volonté de s’inscrire installation sur tous les bâtiments civils de tion. dans le monde en devenir. La publication la marine de Brest de la nouvelle invention post-mortem du chef d’œuvre de Cha- de Benjamin Franklin, le paratonnerre, Esprit rebelle, donc, bien que fermement teaubriand était soigneusement prévue et nombreuses missions d’intercessions du- attaché aux principes monarchiques, le organisée par l’auteur. rant les premiers temps révolutionnaires Chevalier est à la fois une figure iconique et sollicitations d’articles dans plusieurs de la France aristocratique pré-révolu- Les écrits de Louis de Sade sont d’un autre éphémères revues contre-révolution- tionnaire et un représentant d’une des ordre. C’est son désir d’exhaustivité qui naires. contraint le Chevalier à accepter l’inéluc- classes les plus méconnues et pourtant considérable de l’Ancien Régime, les ca- table inachèvement de sa démarche. À Le Chevalier de Sade eut une forte activi- dets des seigneurs, gentilshommes sans soixante-quinze ans, rassemblant ses ar- té intellectuelle et activiste en interaction fief, « nobles par leur naissance, tiers-état chives, il exprime d’ailleurs le souhait que avec d’importants acteurs politiques. Il par la nature de leur fortune », comme il son travail soit continué par d’autres et semble que cet autodidacte jouisse d’un se désigne lui-même. non publié en l’état. réel crédit auprès des scientifiques, comme Ce personnage se distingue également par Cette absence d’ego pour un travail qui en témoigne par exemple cette traduction sa formation et son parcours peu ortho- semble l’avoir occupé une vie entière, en anglais et publication dans The Journal confirmée par le nombre d’autres publica- doxes pour un écrivain et intellectuel du of Natural Philosophy, Chemistry and the temps. Issu de la branche modeste de la tions de son vivant – ce qui ne présentait Arts de février 1804, de l’étude sur les vol- famille Sade, les Eyguieres, contrairement donc pas pour lui une difficulté majeure cans éteints de Coblentz réalisée par le au marquis qui descend de la branche – fonde la pensée du Chevalier et contri- Chevalier en 1792 et que le minéralogiste bue au caractère unique de ses écrits dans noble des Saumane, Louis de Sade fut en-

103 104 et cristallographe Jacques Louis de Bour- non communiqua à son confrère anglais le célèbre chimiste William Nicholson, direc- teur de la revue scientifique.

Mais c’est lors de la publication de sa Ty- dologie que le Chevalier révèle l’ampleur de ses connaissances acquises durant ces années de marine puis d’exil et la particu- larité de sa pensée holistique. Cet ouvrage, publié en 1810, représente parfaitement la tournure d’esprit du Che- valier et éclaire l’impressionnante variété des archives qu’il nous a légué. Le Chevalier semble en effet appréhender le monde physique, sociologique et in- tellectuel comme un ensemble cohérent dans lequel chaque élément ou évène- ment peut s’appréhender selon un raison- nement scientifique commun. Très large- ment influencé par la pensée de Francis Bacon, le Chevalier cherche à composer son propre Novum organum scientiarum, dont la Tydologie est une première ten- tative. L’ambition de cette analyse holis- tique des sciences n’a pas échappé à ses Aussi, on ose dire que les géologues, les considérable, une logique historique et contemporains comme en témoigne le anatomistes, les géomètres, les chrono- métaphysique. L’ensemble archivistique rapport de A. L. Millin dans les Annales en- logistes, les chimistes, les grammairiens, qu’il a constitué ne représente donc pas cyclopédiques de 1818 : les botanistes, les philosophes et les une distraction intellectuelle d’aristocrate hommes d’État, ne liront pas cet ouvrage « La Tydologie est le noyau auquel l’au- mais une tentative de percer la raison sans intérêt, et peut-être quelquefois teur rapporte les diverses méthodes commune qui commande aux sciences et aussi sans humeur; car l’auteur suit rare- qui jusqu’à présent ont été usitées pour à l’histoire. ment les routes battues, et il est rare que l’avancement des connaissances hu- Une étude approfondie de son travail his- ceux qui en devient aient raison. C’est maines. Il y examine les avantages et torique permettrait ainsi de mettre à jour aux savans à juger si les idées de l’auteur les inconvéniens que chacune d’elles a sont des innovations ou des écarts nui- les choix d’historien du Chevalier de Sade, eus dans les diverses branches de nos sibles à l’avancement des sciences. » de même que ceux de ses travaux scienti- connaissances où on les a employées. Mais la Tydologie, comme en convient lui- fiques. Cet ouvrage convient par conséquent à Mais si la philosophie des sciences qui toutes les personnes qui s’intéressent même le Chevalier, n’est qu’une ébauche de ce système qu’il cherche à mettre en semble se dégager de ses travaux inache- aux sciences, même à celles de la po- vés reste à étudier, l’ensemble des archives litique et de la législation. Les bota- place et dont il ne maitrise pas encore tous les tenants. Les années suivantes seront historiques et scientifiques rédigées par le nistes, les astronomes, les anatomistes Chevalier présente un autre intérêt majeur et les géomètres, y trouveront un grand donc consacrées à l’étude de l’histoire, des pour l’étude de la pensée de Louis de Sade nombre de problèmes et de solutions sciences, de la politique, avec une visée et, au-delà, pour l’analyse de l’appréhen- d’un nouveau genre, et qu’il leur est utile exhaustive dont témoignent les archives. è de connaitre pour les progrès ultérieurs Car Louis de Sade se distingue de la science sion par un aristocrate du XVIII siècle du de leur science favorite. [...] L’auteur in- méthodologique de Bacon en établissant bouleversement révolutionnaire. dique des méthodes qui, dans les mains non seulement un lien entre les sciences En effet, le Chevalier qui ne s’enorgueillit d’un homme de génie, pourront lui per- mais également entre celles-ci et la po- pas d’un savoir idéologique héréditaire mettre, dit-il, avec le temps, de remonter litique. Convaincu qu’un même principe transmis naturellement par l’éducation des effets aux lois des causes qui les pro- sous-tend le monde dans tous ses aspects, aristocrate, a été contraint de se forger duisent. [...] il recherche par un travail d’érudition seul la culture qui sied à son rang. Or ses

105 archives font état non seulement de ses construction intellectuelle unique et sans la branche provençale des Sade l’empê- lectures – qui sont les précieux fonde- équivalent dans les archives individuelles cha, au contraire de son illustre cousin, de ments de sa pensée – mais encore de conservées de cette période clé de l’his- suivre une éducation de gentilhomme ; il sa propre compréhension et interpréta- toire de France et du monde occidental. reçoit donc une formation sommaire à Aix tion de celles-ci. Ainsi sait-on autant sur Plus qu’un simple témoignage de la vie en Provence puis dans une pension pari- quels ouvrages de référence il appuie ses individuelle d’un aristocrate dans la tour- sienne où il fut le camarade de Mirabeau connaissances historiques que, par le rap- mente révolutionnaire, ces 12 000 pages et du futur vice-roi de Corse, le Lord Minto, port qu’il en fait, ce qu’il en retient et en sont l’œuvre d’un véritable penseur du ré- avant d’intégrer la marine royale à l’âge de déduit. Ses choix de lectures autant que gime monarchique et des concepts philo- 15 ans. Sa vie durant, il compensera son ses impasses offrent au lecteur actuel un sophiques et scientifiques qui sont intime- manque de culture classique par une soif incroyable panorama presque exhaustif ment liés à cette lecture du monde. de connaissance débordante, qui se reflète des arcanes intellectuelles de ce repré- notamment dans les milliers de feuillets de sentant symbolique d’une société appe- BIOGRAPHIE ses archives dédiés à l’histoire antique. lée à disparaitre. Né le 8 mai 1753 à Antibes et mort à Paris Après quatre ans d’escadres à Toulon, la Toute l’intense réflexion politique du le 26 décembre 1832, membre de l’ordre charge de lieutenant de vaisseau échut Chevalier est ainsi éclairée par la parfaite de Malte, le Chevalier Louis Philippe Henri au Chevalier de Sade le 4 mars 1780 de transparence de ses sources bibliogra- Élisabeth de Sade fut le cousin du célèbre la main du roi Louis XVI, qui lui confia le phiques comme par ses expériences per- marquis Donatien Alphonse François de commandement de la barque L’Éclair, un sonnelles longuement décrites dans son Sade et son cadet d’une dizaine d’années. deux-mâts armé de 22 canons avec lequel autobiographie rédigée à la troisième Tous deux écrivains prolifiques, ils manifes- il fait campagne sur les côtes d’Italie et de personne et restée inédite. Au terme de tèrent également dans leurs écrits comme Provence. À la veille de la Révolution, ses sa vie, il retrace ses pérégrinations carac- dans leurs actes un franc mépris de l’au- différends avec la hiérarchie de la marine téristiques d’un aristocrate engagé, de- torité, qui valut au Divin Marquis d’être s’aggravent fortement. Afin de l’éloigner puis les prémices de la révolution jusqu’à emprisonné de longues années et au Che- de France, il fut nommé sur la frégate du la seconde restauration. On découvre sa valier d’être mis aux fers d’un vaisseau de Tiercelet dont il abandonna le comman- carrière militaire pré-révolutionnaire, ses la marine royale. Louis de Sade poursui- dement. Sa carrière d’écrivain politique premiers écrits politiques qui lui valent vit une carrière de capitaine de vaisseau débute durant son emprisonnement sur le une lettre de cachet et une mise aux arrêts jusqu’à la Révolution française puis intégra vaisseau amiral de Toulon à la suite de son dans la cale d’un navire. Il évoque l’insta- la réserve de l’artillerie navale anglaise. À insubordination, où il publie Mes loisirs bilité de l’autorité militaire conséquente travers les troubles politiques qui secouent sur le vaisseau amiral ou Lettres aux Etats aux premiers bouleversements révolu- la France au tournant du XIXe siècle, le Généraux sur une nouvelle constitution du tionnaires, son entrée dans la résistance Chevalier demeura un fidèle royaliste et gouvernement de la France. Intransigeant contre-révolutionnaire d’abord officielle ardent défenseur de Louis XVI, qui déploya vis-à-vis de la monarchie constitution- puis ses tentatives clandestines de ren- ses talents de polémiste dès les premiers nelle qu’il considère comme une destitu- versement de la situation. Enfin, on le suit soulèvements révolutionnaires, et déplora tion de la royauté, il est rayé des listes de dans son émigration anglaise et on assiste même la Restauration de la royauté par la marine après avoir refusé d’adhérer au à la lente prise de conscience de la trans- Louis XVIII dans des écrits inédits contenus serment civique imposé par l’assemblée formation inéluctable de sa société, sans dans le fonds d’archives. Constituante. Cosignataire d’un serment que jamais sa verve combative ne tarisse, à la royauté et à l’Église catholique avec contrairement à de nombreux aristocrates Appartenant à l’éminente quoique désar- d’autres officiers de la marine en sep- qui, à son grand dam, abandonnèrent bien gentée branche d’Eyguières de la famille tembre 1791 à , il quitte la France plus aisément cet ancien monde auquel de Sade, le Chevalier Louis de Sade reçoit l’année suivante et rejoint les rangs des lui, le Chevalier, ne conçoit pas, jusqu’à la le titre de chevalier de l’Ordre de Malte émigrés en Angleterre où il reprend du ser- dernière ligne, d’alternative viable. dès la naissance. Il porte l’un des plus vice au sein de la marine du roi George III. C’est sans doute l’impressionnante ho vieux noms de la noblesse provençale et Avant son départ pour la Grande-Bretagne, mogénéité de sa pensée, depuis ses pre- fut le filleul de l’infant d’Espagne, dom Fe- le Chevalier signe un pamphlet « À mes miers textes publiés jusqu’à l’ensemble lip, et de Marie Louise Élisabeth de France, compatriotes » dans la Gazette de Paris, manuscrit considérable de son Lexicon, infante d’Espagne et fille aînée du roi de exhortant les membres de la noblesse de resté en partie inédit, qui permet de consi- France Louis XV. Malgré sa titulature pres- Provence à rallier l’armée du comte d’Ar- dérer ces écrits du Chevalier comme une tigieuse, le manque de moyens au sein de tois afin de renverser les forces révolution-

106 naires. En tant que capitaine d’artillerie de sur les marées, le Che- la marine britannique, il participe en 1794 valier nourrit également aux négociations de l’éphémère royaume une ambition à la mesure anglo-corse. Son ami le vice-roi Sir Gilbert de d’Alembert avec son Elliot, Lord Minto, à qui il dédia sa Tydo- Lexicon, un grand projet logie ou science des marées, l’envoya à d’Encyclopédie des « mots Malte afin d’obtenir des troupes supplé- techniques de la science mentaires du Grand Maître de l’Ordre, le politique », qui est surtout chevalier de Rohan. prétexte à des réflexions sociologiques, philoso- C’est au tournant du XIXe siècle, réfugié à phiques et politiquement Lisbonne puis à Londres pendant une di- engagées sur toutes les zaine d’années, que le Chevalier embrasse notions et valeurs de son sa vocation d’écrivain et publie ses pre- temps. Il en est ainsi, par miers ouvrages d’importance. Son émigra- exemple, de sa longue dé- tion en Angleterre et ses nombreux séjours finition du « mot et de la en mer lui donnèrent l’occasion de médi- chose », à la fois analyse ter sur la politique française et perfection- linguistique de la dicho- ner ses connaissances scientifiques. Il ré- tomie entre le langage et intégra la marine française en 1815 avant sa désignation et violent de démissionner un an plus tard, déçu par pamphlet contre les la monarchie de Louis XVIII. Entièrement conséquences d’un mau- dévoué à ses activités d’écriture, il passa vais usage de la langue. Ce les quinze dernières années de sa vie entre travail titanesque est resté sa résidence à Château-Thierry et l’Hô- inachevé et fut partielle- tel d’Espagne rue du Colombier à Paris. Il ment publié de manière multiplia sans succès les tentatives de pu- posthume. Une grande blier son Lexicon, mais réussit néanmoins majorité de ses écrits ne à faire éditer quelques ouvrages malgré fut pas publiée, laissant sa faible pension d’officier de marine : il à l’étude les milliers de publie en 1820 L’art de faire les lois, et en pages de ses archives per- 1822, Préceptes politiques à l’usage de la sonnelles. monarchie, et enfin en 1831 De la démo- cratie à l’occasion des élections populaires, Le Chevalier laissa à la son dernier ouvrage publié. Les éléments postérité un fonds d’un autobiographiques disséminés dans ses étonnant éclectisme, dont archives personnelles dévoilent le portrait l’inventaire soigneux a permis de décou- d’un aristocrate émigré. Il signe également d’un homme solitaire, qui voua son exis- vrir des dizaines de manuscrits d’ouvrages une diatribe sur le ministre de Louis XVI in- Histoire du mois de juillet 1789 ou tence à faire entendre ses convictions po- inédits et prêts à être publiés. Depuis titulée L’Hégire de M. Necker litiques. Il s’éteint à Paris le 26 décembre l’Angleterre où il s’était réfugié de 1792 à , relatant les méfaits 1832 à l’âge de 79 ans, laissant derrière lui 1815 puis à Paris, le Chevalier s’employa du ministre de Louis XVI, responsable se- une œuvre inédite de plusieurs milliers de à identifier les causes de la rupture poli- lon lui de la prise de la Bastille. Son fonds pages. tique révolutionnaire ainsi qu’à désigner d’archives contient également le manus- Parallèle entre les révolutions les coupables d’une telle ignominie. crit inédit, anglaise de 1688 et française de 1788, qui Héritier des Lumières, capitaine de vais- Parmi les milliers de feuillets inédits, se dis- constitue un audacieux exercice de compa- seau et fervent royaliste, Louis de Sade tinguent quelques manuscrits de premier raison historique, fruit de son admiration fut un écrivain et scientifique autodidacte ordre illustrant son travail de théoricien de pour la Grande-Bretagne. Le Chevalier y issu d’une des plus vieilles familles de la la Révolution française, notamment une juge sans vergogne les erreurs historiques noblesse provençale. Digne successeur histoire de 240 pages sur la révolte roya- du roi Jacques II en les rapportant à celles de Pierre-Simon La Place dont il pour- liste de Vendée offrent une passionnante de Louis XVI : suit les travaux sur l’influence des astres et authentique analyse du point de vue

107 « Jacques II abusant de son pouvoir pour Lexicon, le fonds d’archives conserve en France par contre coup, a voulu que acquérir la puissance d’un roi de France effet 1511 pages de manuscrits probable- malgré leur bonne volonté et leurs qua- et Louis XVI violant les lois fondamen- ment écartés de la version publiée pos- lités brillantes aucun des chefs de cette tales de son royaume pour rabaisser son thume du fait de leur volume trop consé- sainte insurrection n’a su montrer son pouvoir au niveau de ceux d’un roi d’An- quent. esprit à la hauteur de la situation poli- gleterre, ce fut une grande faute de part La Vendée constitue le manuscrit inédit tique où les circonstances l’avaient por- et d’autre. » le plus important, offrant un récit détaillé té ». Il en tire cependant cette surprenante et une analyse personnelle de la révolte conclusion : « Louis XVI aurait fait un ex- sanglante des Chouans, « la résistance la On trouve également parmi les manus- cellent roi d’Angleterre ». plus juste et la plus légale qu’il y ait eu crits inédits du Lexicon une intéressante La majorité de ses écrits portent sur Ré- parmi les hommes », qu’il a suivie avec diatribe de 208 pages contre Necker, mi- volution française, qui précipita son de- espoir depuis l’Angleterre. Le Chevalier nistre soutenu par les révolutionnaires et venir d’écrivain et de penseur politique. brosse un tableau de la grandeur et la considéré par le Chevalier comme seul Les archives du Chevalier de Sade se com- décadence de la Vendée, rempli de réfé- responsable de la Révolution par le bou- posent d’écrits scientifiques, politiques et rences antiques et historiques, faisant de leversement des institutions gouverne- historiques ainsi qu’une part de corres- cet ultime sursaut royaliste une véritable mentales qu’il entreprit dès 1788. L’Hégire pondance familiale et d’écrits autobiogra- épopée homérique, où « on vit de nou- de M. Necker relate l’histoire du fatidique phiques, constituant une unique et très velles Camille, des Penthésilée affronter mois de juillet 1789, marqué la disgrâce précieuse source d’information éclairant tous les dangers, porter l’effroi et la mort puis le retour de Necker comme premier les autres écrits. Le Chevalier employa les dans les rangs de l’armée républicaine ». ministre des finances le 16 juillet, rappe- services d’un copiste, dont la main se re- Les plus beaux passages sont consacrés lé par le roi afin d’apaiser les révolution- trouve distinctement dans certains feuil- au chevalier de la Charrette, martyr des naires qui avaient pris la Bastille deux jours lets. Vendéens, un « Céladon poitevin » qui fut plus tôt. Le Chevalier le décrit comme un faux prophète qui abusa de la confiance de Écrits politiques « un homme d’État, semblable à Auguste, lorsqu’il devint possesseur de l’empire ro- Louis XVI et ose une audacieuse comparai- Le fonds d’archives contient 2500 feuillets main. ». son avec Mahomet ? : d’écrits politiques, dont 11 manuscrits « Tous deux se mirent à la tête d’une inédits destinés à être inclus au Lexicon, Retraçant les faits d’armes de l’armée ca- secte de nombreux zélés partisans... tous deux les employèrent à régénérer offrant un regard critique sur la société tholique et royale, il déplore les tumultes française à l’âge de la Révolution (4 âges le gouvernement respectif qui les pro- de son organisation politique et militaire tégeait et travaillèrent à détruire les de l’ordre social, L’Hégire de M. Necker, tout en exaltant le rôle primordial qu’elle L’Art de faire exécuter les lois, l’Innovatio- doctrines, les institutions existantes et a tenu contre les révolutionnaires. Mal- se déclarer chef suprême... tous deux manie, La Guerre de Vendée, Le Mot & la gré son désir d’objectivité, il faut lire cet chose, Les 3 âges des colonies, Les Bonnes furent chassés par la police des états où admirable récit à la lumière des convic- ils mettaient le trouble... Leur hégire, Gens, Mon rêve, Le Paraguay). Louis de tions intimes du Chevalier, qui demeura leur fuite du principal théâtre de leurs Sade demeura profondément affecté par un homme de l’Ancien Régime jusqu’à sa exploits donna le signal de commencer l’effondrement de la royauté française, se mort ? : soulèvements, querelles, massacres... tenant même à l’écart de la Restauration « Je devrais, en historien impartial, en un mot tous deux furent des révolu- de la monarchie sous Louis XVIII. Il instille mettre en regard [les cruautés commises tionnaires ». ces opinions dans le Lexicon, un diction- par les Vendéens] avec celles que, dans Cependant, on note un véritable respect naire sur le modèle de l’Encyclopédie, qu’il cette occasion, les révolutionnaires ont pour le prophète de l’Islam qui s’oppose alimenta tout au long de sa vie : exercées de leur côté... Les royalistes à l’opprobre jetée sur le ministre : « Le « On ne cesse de me demander si cet vendéens ont beaucoup perdu dans ces premier créa un grand empire et légitima ouvrage est fini. Ma réponse est- tou débats et pas un ne s’en est enrichi ; les la juste admiration que la postérité lui a jours la même : Non, il ne l’est pas, il patriotes y ont beaucoup gagné et beau- vouée tandis que le second renversa un ne pourra jamais l’être. La POLITIQUE coup s’y sont enrichis... ». grand empire et légitima la juste indigna- est une science comme l’astronomie, la Il tire les conclusions des dissidences que tion que l’histoire ne justifia que trop. » chimie, la botanique, enfin comme cha- connurent les soulèvements vendéens en Jour après jour, L’Hégire détaille les événe- cune des branches des connaissances jetant le blâme sur le commandement de ments, qui, depuis le départ de Necker le humaines, destinées et s’étendre et à se la révolte ? : 12 juillet ont scellé l’histoire de France et perfectionner ». « Le malheur de la Vendée et de la Outre plus de 90 définitions inédites du signé la mort de la monarchie :

108 « La France, indécise à quel principe se différents modes de calcul et de sériation Lettre à Mr. de Fleurieu ministre et secrétaire vouer, ni à quelle espèce de gouverne- temporelle. Le Chevalier y fait notamment d’Etat ayant le Département de la Marine sur ment il fallait dorénavant se soumettre, référence aux calendriers mexicains, égyp- le serment civique exigé par tous les fonctio- attendait dans la perplexité de son cœur tiens, chinois, bibliques, faisant appel tour naires publics de l’État Par Mr. le Chevalier de et les angoisses de l’incertitude, celle à tour à la chronographie, l’astronomie et Sade, [1791] qui l’emporterait des trois puissances la cosmogonie. Détails historiques sur l’arrestation d’Albert suivantes : le roi, l’assemblée nationale Notre méconnaissance de ces sujets scien- de Rioms, commandant d’artillerie à Toulon, ou la commune de Paris ? C’était à qui tifiques nous a empêché d’étudier plus 1791 Gazette de Paris des trois aurait le trône de St Louis ». précisément ce fonds passionnant. « À mes compatriotes », , 9 Il passe en revue les insurrections pari- décembre 1791 siennes et le rôle néfaste de Necker qui Écrits historiques De la Tydologie, ou de la Science des ma- rassembla dans son giron tous les parti- La part la plus importante des papiers du rées... par le Chevalier de Sade, Londres, B. sans de la révolution : Chevalier est dévolue à l’histoire, repré- Dulau, 1810-1813 « L’assemblée nationale, la Commune sentant 7500 feuillets, partagés entre des Dialogues politiques sur les principales ob- de Paris, les niais, les peureux et tous réflexions originales et des sources qui servations du gouvernement français depuis les mauvais sujets de France n’eurent alimentent ses recherches de science po- la restauration et sur leurs conséquences qu’une voix et qu’une action pour hâter litique. Le fonds contient notamment un nécessaires par l’auteur de la Tydologie, Londres, Deboffe, 1815 le retour de Necker ». imposant manuscrit inédit, Le Parallèle Le Chevalier déconstruit au passage le L’Art de faire des lois, Paris, Chez Pinard, 1820 entre les révolutions anglaise de 1688 Les Préceptes politiques ou les moyens de mythe de la prise de la Bastille : « On et française de 1788. Ce manuscrit s’ap- s’attendait à voir sortir des centaines de s’avancer dans une monarchie, Paris, Treuttel puie sur une impressionnante somme de & Wurtz, 1822 prisonniers. Il ne s’en trouva que 7 et pas connaissance et de réflexions de centaines Des orateurs et des écrivains politiques dans un d’eux n’avait été enfermé pour crime de feuillets sur l’Histoire d’Angleterre, al- un gouvernement représentatif, Paris, Lamy, d’état : 4 pour fausses lettres de change et lant de la conquête par l’empereur Claude Opigez & Mongie, 1823 les 3 autres à cause de désordre qui les au- de la Bretagne en l’an 43 après J.-C. jusqu’à Causes de la grandeur et de la décadence de raient condamnés à des peines infamantes, 1701. l’autorité des Européens en Amérique par M. si bonne justice leur avait été rendue… ». Parmi les civilisations les plus étudiées par le chevalier de Sade [prospectus], Paris, Imp. Cette longue diatribe est également émail- le Chevalier figurent la Grèce et de la Rome De Tastu, [1827 ?] lée de piques et de bons mots ; le Cheva- antique, occupant plusieurs milliers de De la démocratie à l’occasion des élections lier s’attaque joyeusement à « cette loterie feuillets et auxquelles il fait régulièrement populaires, Paris, G-A Dentu, 1831 qu’on appelle révolution, la pire de toutes allusion dans ses écrits politiques. Durant celles inventées à ce jour » et à un des ses nombreux voyages à travers la Médi- Extraits du Lexicon politique publiés du vi- symboles les plus célèbres, la guillotine terranée entre 1791 et 1794, il décide de vant du chevalier de Sade « cette panacée universelle, qui, dans un livrer ses réflexions sur l’histoire politique [1] Corps représentatifs à Bourges. Mauvais instant, tranche tous les maux d’un seul antique sous la forme de lettres restées ministres. - « Impr. de Everat » [2] Présages. Centuries de Nostradamus. coup et sans crainte de rechute ». inédites, s’appuyant sur les écrits de nom- Fables de La Fontaine. Des 88. - « Impr. de A. Écrits scientifiques breux historiens romains. Il complète sa Barbier » culture classique par la lecture des poètes [3] Attroupemens. Réveillon. - « Impr. de A. La seconde partie des archives du Che- antiques, dont il possède des centaines de Barbier » valier est constituée d’un ensemble de feuillets copiés de l’Iliade et l’Odyssée, des [4] Corps politiques. Monumens. - « Impr. de 2000 feuillets de notes et d’ébauches Odes de Pindare ainsi que de l’Énéide de A. Barbier » d’ouvrages scientifiques portant sur une Virgile. [5] Royalistes. Ultras. Parti des ultras. Apathie variété incroyable de sujets, tels l’al- des royalistes. Des ventrus, ou des royalistes gèbre, la géologie, l’électricité, l’architec- BIBLIOGRAPHIE PUBLIÉE à la mode en 1824. - « Impr. de A. Barbier » ture, l’acoustique, l’anatomie, la science [6] Origine des constitutions politiques. - des jeux et la finance. Ces sciences sont Mémoires sur l’administration des Fonderies, « Impr. de A. Barbier » notamment mises à l’usage de la naviga- à Paris chez Gattey Libraire, sous les Arcades tion ou de la science historique. Le fonds du Palais Royal, 1er juin 1787 Ouvrage posthume d’archives conserve en effet les éléments Mes loisirs sur le vaisseau amiral ou Lettres Lexicon politique ou Définition des mots d’un futur ouvrage réunis en 270 feuillets, aux Etats Généraux sur une nouvelle consti- techniques de la science de la politique, Pa- resté inédit, intitulé Notes et extraits sur tution du gouvernement de la France, à Tou- ris, A. Pougin, 1837-1838 la chronologie ancienne, comparant les lon de l’Imprimerie du Vaisseau amiral, Paris, T. Barrois, 1789 prix sur demande 109 + de photos 73 Antoine de SAINT-EXUPÉRY Terre des hommes

Nrf | Paris 1939 | 12 x 19 cm | broché

Édition originale, un des exemplaires du conscience. » (Terre des Hommes) vant par erreur aux commandes d’un avion service de presse. Vicente Almandos Almonacid et Saint-Exu- alors qu’il n’a jamais appris à voler, il cale péry se sont connus en octobre 1929, avant l’atterrissage et se pose en vol pla- Important et exceptionnel envoi auto- lorsque ce dernier fut affecté en Argen- né sous les regards admiratifs des autres graphe signé d’Antoine de Saint-Exupéry tine pour y développer de nouvelles lignes pilotes. Lorsqu’éclate la guerre de 1914, à Vicente Almandos Almonacid : « Pour aériennes en tant que « jefe de tráfico » il s’engage dans la Légion étrangère avant le capitaine Almonacid héros de l’aviation de l’Aeroposta Argentina. C’est en grande d’être réaffecté à l’aéronavale par son ami argentine et française avec l’affection pro- partie grâce à Almonacid que naquit la Gustave Eiffel. Décoré de la médaille mi- fonde d’Antoine de Saint-Exupéry. » grande aventure aéronautique française litaire et de la Croix guerre pour son au- en Argentine. dace et ses exploits, il rentre en Argentine Bel exemplaire. en 1919 auréolé de gloire et deviendra « J’ai toujours, devant les yeux, l’image de Véritable héros de l’aviation argentine, Al- ensuite un véritable héros national en ma première nuit de vol en Argentine, une monacid doit à la France son talent et ses traversant la cordillère des Andes de nuit nuit sombre où scintillaient seules, comme premiers succès. C’est en effet en France avec le S.P.A.D que lui avait offert l’armée des étoiles, les rares lumières éparses que le jeune étudiant argentin découvre française. dans la plaine. Chacune signalait, dans l’aviation et devient, sur un malentendu, Ainsi fut il le principal soutien et collabora- cet océan de ténèbres, le miracle d’une un prodige dès son premier vol. Se retrou- teur argentin de Pierre-Georges Latécoère,

110 lorsque le pionnier de l’aviation commer- jamais aucune bête ne l’aurait fait. ». trale du globe. C’est d’ailleurs du récit de ciale vint faire le pari de relier cet immense Saint-Exupéry y décrit également les ex- cette aventure sud-américaine que le chef- pays aux conditions météorologiques - ex ploits andins de Mermoz et sa disparition d’œuvre de Saint-Exupéry tire son titre : trêmes par les airs. dans l’Atlantique Sud entre Toulouse et « Je serai ému demain peut-être, quand Véritable Mermoz argentin, Almonacid Buenos Aires. j’embellirai mon aventure en m’imaginant, plut immédiatement à Saint-Exupéry et, moi vivant, moi qui marche sur la terre des ensemble, ils partagèrent l’incroyable Mais c’est sans doute par le récit de sa lutte hommes, en perdition dans le cyclone. » combat contre les éléments, pour relier contre un typhon au-dessus de la « terre Buenos Aires et la Terre de Feu. bosselée comme un vieux chaudron » de Superbe exemplaire célébrant, l’héroïsme Les souvenirs de ces deux années en Ar- Patagonie, constituant le dernier chapitre du « Condor de la Rioja » et témoignant, gentine constitueront une des principales de Terre des hommes, que Saint-Exupéry dix ans après leur aventure commune, de sources de Terre des hommes. C’est ici que rend le plus bel hommage à l’héroïsme l’indéfectible amitié qui unit ces « cama- se déroule le récit de Guillaumet « auteur de son ami, pionnier de cette inhumaine rades » du ciel. de [s]on propre miracle » et sa superbe lutte entre « le pilote et les puissances na- conclusion : « Ce que j’ai fait, je te le jure, turelles » sur la ligne aérienne la plus aus- 8 500 + de photos 74 Antoine de SAINT-EXUPÉRY The Little Prince

Reynal & Hitchcock | New York 1943 | 19 x 23 cm | reliure de l’éditeur

Édition originale de la traduction anglaise parue 15 jours avant l’édition originale en français. Un des 525 exemplaires numéro- tés et signés par Antoine de Saint-Exupé- ry, seuls grands papiers et toute première émission du chef d’œuvre allégorique de Saint-Exupéry, l’œuvre la plus traduite après la Bible. Reliure de l’éditeur en plein cartonnage toilé brique, dos lisse, exemplaire complet de la jaquette du premier tirage dans le commerce, à la bonne adresse et au prix non découpé, comportant quelques dis- crètes restaurations. Ex-libris imprimé en tête de la première garde. Ouvrage illustré de dessins d’Antoine de Saint-Exupéry.

Conte universel s’il en est, cet hymne au voyage, à l’amitié et à l’enfance fut dès l’origine considéré comme un roman à clefs, offrant, sous couvert d’un récit pour enfants, un regard profond sur l’actuali- té tragique et révélant chez l’auteur une

111 philosophie plus complexe que ne lui prê- de pouvoir entre les combattants, dresse mer, ne saurait être étrangère à l’opiniâ- taient alors ses détracteurs. irrémédiablement contre lui les partisans treté de celui-ci à se précipiter vers sa fin Si l’on ne sait avec exactitude quelle est de de Gaulle qui sont alors en rivalité avec héroïque et absurde. la genèse de ce personnage – la lecture ceux du Général Giraud. En effet, depuis son arrivée aux États-Unis, d’Andersen par l’actrice Annabella, la boîte Saint-Exupéry n’a qu’une préoccupation, d’aquarelle offerte par le réalisateur René Jugé d’une tolérance excessive, ce mes- obtenir une affectation dans son ancienne Clair, une idée de son éditrice Elisabeth sage radiophonique suscite de très fortes unité, le groupe 2-33 qu’il a immortali- Reynal ou simplement la mémoire de accusations dont celle d’un écrivain cher à sé dans Pilote de guerre. En février 1943, son frère disparu – l’écriture du conte lui- Saint-Exupéry, le philosophe et théologien malgré son âge, malgré les inimitiés des même fut très fortement influencée par Jacques Maritain. Ces violents anathèmes gaullistes, malgré sa santé défaillante, la guerre, l’exil et les relations difficiles de à l’égard de l’écrivain masquent à ses Saint-Exupéry est enfin mobilisé dans les Saint-Exupéry avec les autorités de la Ré- contemporains la profonde intimité qu’en- Forces aériennes françaises libres formées sistance. tretiennent pourtant cet appel adressé aux après la libération de l’Afrique du Nord par adultes et le conte destiné aux enfants qui les Américains. Début avril, le 12 ou le 13, Démobilisé en 1940, l’écrivain plébiscité paraîtra quelques mois plus tard. il embarque pour Alger et ne reverra plus en 1939 pour Terre des hommes, se réfugie jamais l’Amérique. à New York où il écrit et publie en février L’exil forcé loin de sa terre « perdue C’est alors que le destin de l’ouvrage et 1942 Pilote de guerre, relatant, à l’atten- quelque part dans la nuit, tous feux celui de son auteur vont définitivement tion de l’opinion publique américaine, le éteints, comme un navire », cette France s’éloigner. courage des soldats français malgré l’iné- qu’il faut « sauver […] dans son esprit et Le Petit Prince, qui devait paraître simulta- luctable défaite. Trop philosémite pour dans sa chair », l’absurdité des hommes nément en français et dans une traduction les uns et trop défaitiste pour les autres, qui se déchirent, jusque dans le combat anglaise réalisée par les éditeurs, est fina- ce récit, rapidement interdit en France, lui commun, et cette double question : « Que lement d’abord publié en anglais le 6 avril vaudra l’inimitié des pétainistes mais éga- vaut l’héritage spirituel s’il n’est plus d’hé- 1943. lement des gaullistes qui le contraignent à ritiers ? À quoi sert l’héritier si l’Esprit est l’inaction tandis que l’Afrique du Nord re- mort ? » de sa Lettre aux Français sont Saint-Exupéry n’aura pu assister qu’à cette conquise par les Alliés ouvre des perspec- autant de thèmes développés dans ce publication anglaise avant de quitter défi- tives de reprise du combat armé. qui sera le dernier et le plus important de nitivement le sol américain n’emportant Malgré une vie sentimentale et sociale tous ses livres, Le Petit Prince, « ce petit avec lui qu’un exemplaire d’essai de la intense, c’est dans un sentiment de pro- livre [écrit] seulement pour des amis qui future version française. Il ne laissera, sur fonde solitude et d’incompréhension que peuvent le comprendre ». Ceux-là ne man- l’œuvre la plus importante de sa vie, au- Saint-Exupéry compose, durant l’année queront pas de lire le conte à la lumière cune autre trace manuscrite que les 785 1942, Le Petit Prince pour ses éditeurs du manifeste et sauront reconnaître dans feuilles de justifications signées qui seront new-yorkais qui viennent de publier Mary la sagesse du Renard avertissant le Petit insérées dans les tirages de luxe anglaises Poppins, Eugene Reynal & Curtice Hit- Prince : « le langage est source de malen- et françaises, et quelques rarissimes dé- chcock. tendu » l’écho presque parfait du combat- dicaces (on n’en connait aujourd’hui que tant s’adressant à ses compatriotes : « le trois sur The Little Prince et deux sur Le Fin 1942, Saint-Exupéry accentuera encore langage est un instrument imparfait ». Petit Prince). cette animosité en diffusant à la radio puis Inspiré d’un personnage enfantin que en publiant sa Lettre aux Français appelant Saint-Exupéry crayonne en marge de ses Rare et précieux exemplaire en grand pa- à l’unité entre les Français de France et les lettres et carnets et qui était à l’origine un pier de cette traduction qui précéda l’ori- expatriés contre le nazisme. Son incitation autoportrait, le Petit Prince est tout autant ginale française de ce qui demeure au- à la réconciliation pour une lutte unie et une fable poétique qu’un testament philo- jourd’hui encore l’œuvre la plus traduite sans concession contre l’ennemi commun, sophique. En ce sens la mort de l’enfant, après la Bible. son refus de juger le choix des hommes héros du conte, qu’au grand dam de ses 12 000 oppressés et sa critique implicite des luttes éditeurs Saint-Exupéry refuse de suppri- + de photos

112 113 « Je ne sais pas ce qui m’a pris, je dessine toute la journée et de ce fait les heures me paraissent moins brèves. J’ai découvert ce pourquoi j’étais fait : le crayon Conté mine de charbon ».

Des croquis de camarades de caserne que le jeune conscrit réalise à Casablanca lors de son service militaire aux aquarelles du Petit Prince, la vie de Saint- Exupéry est rythmée par cette activité marginale mais omniprésente, le dessin. Sur les lettres à ses amis, dans les marges de ses manuscrits, en tête de ses livres offerts, sur les télégrammes reçus, les factures, les nappes, les prospectus, sur tout ce qui lui passe par la main et offre un support à son imaginaire, Saint-Exupéry dessine, esquisse, caricature, croque, illustre, invente, griffonne des êtres vivants ou imaginaires, des amis et des amies. Puis, distraitement, il jette ces œuvres éphémères, prolongement de ses humeurs et de sa rêverie du moment.

Parmi tous ces dessins aux styles incroyablement variés, apparait cependant un personnage récurrent, autoportrait humoristique qui se transforme lentement en silhouette enfantine et bienveillante accompagnant dans tous ses périples l’aviateur intrépide de Courrier sud, le camarade humaniste de Terre des hommes ou le combattant de la liberté de Vol de nuit. Nul ami qui ne connaisse la silhouette du futur Petit Prince, ce compagnon des bons et mauvais jours de l’écrivain et qui portera finalement son testament littéraire, mélancolique hommage à ce désir enfantin : « S’il vous plait, dessine-moi un mouton » et à sa première vocation artistique : « C’est ainsi que j’ai abandonné, à l’âge de six ans, une magnifique carrière de peintre ». C’est d’ailleurs à New-York, en pleine maturation de ce chef d’œuvre du conte humaniste, que Saint-Exupéry commence à conserver plus systématiquement ses croquis. En effet, hormis ceux réalisés en marge de lettres et manuscrits ou offerts à des amis, la plupart de ses dessins antérieurs à son exil américain furent détruits par Saint-Exupéry.

114 Mais à partir de 1941, Saint-Exupéry semble conserver volontairement certains croquis, réalisés sur un support qu’il affectionne, un papier très fin et presque translucide, le papier pelure filigrané Esleeck Fidelity onion skin Made in U.S.A, sur lequel il compose ses articles, ses lettres et surtout ses œuvres Pilote de guerre et Le Petit Prince. Plusieurs croquis et manuscrits sont ainsi rassemblés dans des classeurs et foliotés à la plume. Malheureusement aujourd’hui dispersés dans plusieurs collections, dont la célèbre collection de Philippe Zoummeroff, ces dessins et notes romanesques de format homogène, sont perforés de trois œillets et numérotés. Bien que nous n’ayons trouvé aucune information sur ce classement particulier, on peut raisonnablement supposer qu’il fut réalisé par Saint-Exupéry lui-même. En effet, les numérotations posthumes ont été tracées au crayon rouge ou violet et non à l’encre. De même les trous, effectués sans ménagement directement par pression sur les anneaux du classeur, ne sont vraisemblablement pas le fait d’un exécuteur testamentaire. Tous les feuillets similaires proviennent originellement de la collection de la Comtesse Consuelo de Saint-Exupéry (Vente du 6 juillet 1984), dont on connait la vénération pour l’œuvre de son mari. 75 Antoine de SAINT-EXUPÉRY Deux dessins originaux autographes à la mine de plomb, prémices du businessman et du géographe du Petit Prince

New York [ca 1942] | 22 x 28 cm | une feuille

Dessin préparatoire double face à la Croqués d’un trait sur et rapide, mine de plomb de la main d’Antoine de ces deux dessins témoignent de Saint-Exupéry représentant deux visages l’aisance de Saint-Exupéry qui aura aux proportions caricaturales. pourtant toujours jugé sévèrement son talent de dessinateur, comme Utilisé sur ses deux faces, comme généra- le note Delphine Lacroix dans son lement, le feuillet présente deux dessins catalogue raisonné, Dessins, aqua- de têtes d’hommes. La première, de profil relles, pastels, plumes et crayons : est une caricature réalisée d’un trait vif et « La place que Saint-Exupéry assi- économe, d’un homme imposant et sé- gnait à ses dessins est aussi petite vère à l’instar du businessman compteur que la planète du petit prince et « à peine réalisés pendant son exil américain, pré- d’étoiles. La seconde au revers, presque plus grande que lui » Peu sont signés et coces recherches graphiques en marge d’inspiration cubiste semble être née d’un lorsqu’il les évoque, c’est presque toujours de la composition du Petit Prince, qui, griffonnage de l’auteur qui y a ajouté les de manière [péjorative] : « Je ne sais pas plus qu’un conte illustré par l’auteur, est éléments figuratifs puis un nœud papillon dessiner ... zut ! » ; « Mes dessins sont trop une œuvre née de la passion intime de stylisé pour conférer une appartenance affreux » [...] « Je n’y connais rien »... Saint-Exupéry pour le dessin qui ouvre la sociale à son personnage. Son regard mé- L’incroyable variété de son style et la par- narration et en constitue le principal res- lancolique qui tranche avec le style fantai- faite maitrise de l’économie du trait dont sort dramatique : « dessine-moi un mou- siste du trait, fait, rétrospectivement, écho il fait preuve, démentent la modestie de ton ». au soucieux géographe sur la dernière pla- l’écrivain, aviateur... et artiste. nète visitée par le Petit Prince. Exceptionnels dessins de Saint-Exupéry 3 000 + de photos

115 76 Antoine de SAINT-EXUPÉRY Dessin original préparatoire du chasseur du Petit Prince, à la mine de plomb

New York [ca 1942] | 22 x 28 cm | une feuille

Dessin préparatoire à la mine de plomb tous comportant des coiffures différentes ne retrouve pas d’étude de personnages de la main d’Antoine de Saint-Exupéry et plus ou moins excentriques dont une similaires dans l’ensemble des dessins ré- représentant un personnage en pied aux longue chevelure bouclée et une houp- férencés et publiés dans le catalogue rai- proportions caricaturales. pette à la Tintin. sonné par Delphine Lacroix, Dessins, aqua- relles, pastels, plumes et crayons. Contrairement à de nombreux feuillets qui Plus rare, la carrure et les proportions Exceptionnel dessin de Saint-Exupéry ré- servirent de brouillon pour d’autres acti- du personnage croqué sur notre feuil- alisé pendant son exil américain, précoce vités intellectuelles ou quotidiennes de let évoquent très sensiblement le futur recherche graphique du Petit Prince, qui, Saint-Exupéry, ce feuillet, soigneusement chasseur du conte, jusqu’à la position des plus qu’un conte illustré par l’auteur, est conservé, ne comporte que ce croquis mains et des pieds, mais il n’est ici encore une œuvre née de la passion intime de de personnage qui semble être donc une qu’un personnage sans attribut ni attri- Saint-Exupéry pour le dessin qui ouvre la étude préparatoire à son œuvre encours bution. Son visage semble être né d’un narration et en constitue le principal res- plus qu’un griffonnage de distraction. Le crayonnage de l’auteur qui a ajouté les élé- sort dramatique : « dessine-moi un mou- Feuillet 43 consiste d’ailleurs lui-même ments figuratifs puis le corps d’un crayon ton ». en une série de petits princes en pied, plus léger. Hormis l’aquarelle définitive, on 3 000 + de photos

116 77 Antoine de SAINT-EXUPÉRY Dessin original préparatoire du visage du Petit Prince à la mine de plomb et manuscrit autographe

New York [ca 1942] | 22 x 28 cm | une feuille

Dessin préparatoire à la mine de plomb chiffres évoque les devinettes mathéma- ractéristiques du nez et des yeux du per- de la main d’Antoine de Saint-Exupéry re- tiques dont l’aviateur était friand et qu’il sonnage final, tandis que les trois boucles présentant un visage, trois lignes de texte inventait régulièrement pour divertir ses de cheveux différent radicalement de la et des nombres. camarades d’escadrille comme le fameux célèbre chevelure blonde adoptée pour problème du pharaon qu’il imagina lors le conte. Un autre feuillet numéroté 091 Ce feuillet présente, en tête, un dessin et d’un séjour au Caire. Sans lien apparent au crayon rouge comporte justement une des annotations manuscrites concernant avec ces chiffres et lettres, la tête croquée description de personnage et des études l’aviation mais dont la signification précise en angle est une étude précoce mais déjà de têtes enfantines. reste énigmatique. Plus bas, une série de avancée du Petit Prince. Les traits sont ca- 3 500 + de photos

117 78 George SAND Paysage de bord de mer aux deux personnages féminins – Lavis d’encre grise, aquarelle et gouache en dendrite

[Nohant] 1874-1876 | 16 x 12 cm

Paysage de bord de mer aux deux person- traditionnel qu’elle pratiquait depuis l’en- Fleurs et jardins dans l’œuvre de George nages féminins. Lavis d’encre grise, aqua- fance : la dendrite. Elle mêle d’abord des Sand, pp. 442-443. relle et gouache en dendrite. éclats de pierres cristallines broyées à Encadrement de baguette dorée présen- de la gouache ou de l’aquarelle, puis son En guise de signature, George Sand ajou- tant quelques éclats. fils « Maurice écrase entre deux cartons tait souvent à ses paysages ses deux petites de bristol des couleurs à l’aquarelle. Cet filles : Aurore et Gabrielle dites « Lolo » et Bel exemple de dendrite de George Sand. écrasement produit des nervures parfois « Titite » et le chien Fadet, comme ici en C’est à la fin de sa vie, à partir de 1874, curieuses. Mon imagination aidant, j’y premier plan à gauche de l’œuvre. que George Sand se passionne pour une vois des bois, des forêts ou des lacs, et j’ac- technique de création plastique différente centue ces formes vagues produites par le 10 000 de celles de l’aquarelle pure ou du dessin hasard ». Bernard-Griffiths et Levet (dir.), + de photos

118 79 Jean-Paul SARTRE Explication de l’étranger

Aux dépens du Palimugre | Sceaux s. d. [1946] | 12 x 14,5 cm | broché

Édition originale hors commerce et impri- pon, tirage de tête. mée à petit nombre, le nôtre un des 30 Rare et agréable exemplaire. exemplaires justifiés par l’éditeur sur Ja- 2 800 + de photos 80 Jean-Paul SARTRE Réflexions manuscrites inédites sur les masses et le Parti Communiste français s. d. | 20,8 x 26,7 cm |5 feuillets

« Quel est l’unique moyen ? Réflexions manuscrites inédites de Jean- l’indique la phrase « les Allemands chas- L’union. Paul Sartre, rédigées après la Seconde sés la bourgeoisie collaboratrice mise en Sortir les masses de l’isolement, leur Guerre mondiale, alors en plein schisme accusation ». donner confiance. » avec le Parti Communiste Français. Cet À la Libération, la position de socialiste Cinq feuillets autographes écrits à l’encre ensemble de pensées éparses et in- anti-hiérarchique et libertaire de Sartre noire, sur papier à carreaux. times du philosophe sont chargées - d’in était en contradiction flagrante avec l’es- quiétude sur le prit et la pratique du PCF, qui a marqué sort des masses, à plusieurs reprises son mécontentement soulignant leur envers l’écrivain rebelle. Aux attaques déli- manque de repré- bérées de Sartre, on répondit en effet par sentation et de les injures de Kanapa sur l’existentialisme, conscience poli- les commentaires de Leclerc sur les Mains tique face à l’im- sales et des sifflets des militants commu- puissance du PCF. nistes à sa sortie au cinéma, puis par des Ces quelques insultes à son encontre prononcées au pages de réflexions Congrès de Wroclaw. C’est dans ce climat illustrent les rela- d’hostilité affichée que semble avoir été tions complexes écrit ce manuscrit, qui peint le PCF comme qui ont lié Sartre une organisation dévoyée de sa mission, au Parti Commu- effrayée par les masses qu’elle est censée niste Français. En servir et représenter : « Le PC s’épuise vai- l’absence de date nement : il ne perd pas son effet mais il ne précise, on peut gagne pas non plus. Inefficace. Son isole- toutefois situer ment est celui des masses. Pourquoi pas l’écriture de ce mouvement pour masses ? ». À travers manuscrit après les pages, le philosophe soulève la plus la Seconde Guerre grande fragilité du mouvement, sa désu- mondiale, comme nion, véritable entrave à « l’intérêt natio-

119 nal » tant recherché : guïté du fait communisme pour le pré- vrier. Mais nous avons vu aussi que la « Contradiction dans les masses senter toujours sous son mauvais jour classe ouvrière est découragée de la po- Contradiction entre le PC et les masses. en profitant de ce que le communiste ne litique. » Contradiction à l’intérieur du PC. » peut pas répondre. » Témoignage inédit de l’histoire mouve- Ces pensées écrites dans l’intimité du phi- Au-delà des affrontements et des polé- mentée de Jean-Paul Sartre avec le PCF, losophe ne constituent pas seulement une miques qui gangrènent la cause commu- ces notes manuscrites inédites marquent diatribe contre le parti mais une campagne niste, c’est l’engagement et la prise de un véritable cri du cœur de l’intellectuel de dénonciation de l’impérialisme, l’enne- conscience du peuple qui reste le plus me- engagé, s’efforçant ici de lier théorie et mi commun et véritable responsable de la nacé : pratique politique afin de défendre la- li désunion des masses : « J’ai montré que le syndicalisme vise berté des peuples à s’autodéterminer. « La ruse du patronat : profite de l’ambi- de lui-même à l’action politique et que c’est le sens même du mouvement ou- 2 300 + de photos 81 Jean-Paul SARTRE Extrait manuscrit inédit d’une pièce de théâtre inachevée s. d. | 21,5 x 27,7 cm | une feuille

Une page autographe recto-verso écrite à Cette descente dans le tombeau l’encre noire, sans date. de la noblesse française est tein- Ébauche manuscrite inédite d’une scène tée d’ironie et d’absurde, les aïeuls de théâtre de Jean-Paul Sartre vraisem- poursuivent leurs descendants et blablement inachevée, qui demande s’offusquent de leur manque de sé- encore à être placée au sein de l’œuvre rieux : dramatique de l’écrivain. La scène prend « Le Chevalier la forme d’un dialogue satirique sur la Ce sont les deux misérables re- noblesse de l’Ancien régime et comporte jetons vivants de notre noble li- une longue didascalie introductive. gnage. La race s’éteindra avec eux. Cet extrait théâtral semble reprendre le Est-ce que vous pensez que c’est thème de la visite aux Enfers et rappelle pour ça que j’ai abattu tant de Sar- un célèbre passage de Virgile, la catabase rasins de ma main ? d’Enée visitant ses ancêtres défunts. Un [...] Le Mousquetaire personnage principal nommé Pierre prend Et que j’ai eu, moi, quatorze le rôle de spectateur d’un dialogue entre duels ? une série de protagonistes ayant vécu à Le Vieillard différents âges de l’Histoire de France. Une Et que j’ai émigré à Coblence ? » didascalie au début nous renseigne sur les scène s’achève sur des paroles sibyllines : personnages, représentants de la noblesse En quelques répliques, Sartre décon- « Pierre de l’Ancien régime qui accompagnent et struit la mystique de l’ordre privilégié et Mais s’ils vous dégoûtent tant que ça vilipendent deux de leurs descendants en- de la conscience de classe. Au travers du qu’est-ce que vous avez besoin d’être tout le temps derrière eux ? core vivants : dialogue, les deux descendants vivants « Deux rejetons misérables sont suivis par Le Chevalier de la noblesse – qui gardent le silence [...] nous attendons qu’ils soient morts toute une ascendance noble (marquis du – semblent oublier leurs obligations no- e e pour pouvoir les engueuler. » XVIII , Seigneurs du XVI en pourpoint, biliaires qui faisaient d’eux des sujets chevaliers du Moyen Âge avec armure). » contraints à l’histoire de leur lignage. La 800 + de photos

120 82 Jean-Paul SARTRE Manuscrit inédit sur l’idéologie bourgeoise et la Révolution française s. d. [1952] | 20,8 x 26,7 cm | 12 feuillets

Manuscrit autographe de 12 pages sur sacré en tant qu’esclave du souverain qui et la place de la volonté individuelle, et feuillets à carreaux, rédigé à l’encre bleue, défend chacun de ses esclaves contre les déconstruit ainsi la mystique de l’État dont nombreux passages soulignés. autres esclaves ». C’est l’occasion pour le Hobbes s’est fait le chantre. philosophe de déployer de nombreux rai- Le début des années 1950 correspond à Ensemble de réflexions inédites de Jean- sonnements et syllogismes, ainsi que pour une période de grande productivité de Paul Sartre portant sur la structure so- le lecteur de suivre en détails son chemi- l’écrivain, qui créée au théâtre sa scanda- ciale et l’idéologie bourgeoise écrites nement intellectuel : leuse pièce Le diable et le bon dieu et se probablement en 1952 dans le cadre « Qu’est-ce que donc que le souverain mobilise pour la libération d’Henri -Mar d’un projet de scénario sur la période par rapport à moi ? 1/ Ma propre vo- tin, condamné à la suite de son action révolutionnaire. Cette série de dialogues lonté mais aliénée. On me la renvoie contre la guerre d’Indochine. En 1952, il intérieurs sur la nature du pouvoir indivi- comme autre. C’est-à-dire que je la ré- se consacre à des projets biographiques duel et collectif constituent une première intériorise sous la forme de commande- avec la publication de son Saint Genet et ébauche des idées développées dans son ment, de devoir et de loi. Ex : je possède débute également la rédaction d’un -scé chef-d’œuvre de 1960, la Critique de la et cultive ma terre. Je donne mon droit nario resté inachevé sur la vie d’un révolu- raison dialectique. À travers l’exemple de au souverain. Il me confirme dans cette tionnaire méconnu, le montagnard Joseph possession ». la Révolution française et de la Terreur, Le Bon, destiné à être « une sorte de bio- Au travers d’une série de mises à l’épreuve Sartre s’interroge sur le rôle du citoyen et graphie philosophique filmée qui repen- d’affirmations idéologiques, Sartre analyse de la propriété en invoquant les écrits de sait les données mises en avant par l’his- le phénomène de la dévolution du pouvoir Kant, Marx, Rousseau, Hobbes, Saint Paul toriographie de la Révolution » (Philippe et Luther. Gilles, Construction du personnage et argumentation philosophique (sur un Cet ensemble de feuillets présente scénario inédit de Jean-Paul Sartre)) de nombreuses similarités dans dont les ébauches sont aujourd’hui son contenu et sa forme avec deux conservées à l’Université d’Ottawa et manuscrits antérieurs à 1953 et au- d’Austin. jourd’hui conservés à l’Université Ces notes manuscrites font proba- d’Austin, Texas (manuscrit « Liber- blement partie d’un ensemble de ré- té – Egalité », fonds Harry Ransom flexions préalables à la rédaction de Humanities Research Center) et à ce scénario, de larges passages étant l’Université d’Ottawa (manuscrit consacrés à une approche anthropo- « Scénario / Joseph Le Bon »). Une logique et particulièrement novatrice référence dans notre manuscrit à de la Terreur ayant pour but de com- une étude de Jean Vialatoux sur prendre l’apparition de la violence Hobbes, rééditée en 1952, corro- dans l’Histoire (dans le manuscrit le bore davantage sa datation dans le « germe de la Terreur ») : courant de cette année. « Il y a terreur quand le pessimisme On reconnaît à travers ces feuillets se change en optimisme sans que la le style de notation sartrien, com- conception originelle de l’homme soit posé d’affirmations et de notes changée. Là alors le Mal devient une fulgurantes s’attaquant aux sys- broussaille parasitaire à écarter pour re- tèmes et structures sociales : « car trouver le bien. Le Mal est niant. Si non le bourgeois ne peut tirer son sa- partons de l’idée que l’Homme est mé- cré que de lui-même », « On est taphysiquement mauvais par suite d’un acte libre sur lequel on ne peut revenir,

121 il y a pessimisme et non terreur. » théories de ses aînés, Rousseau et Hobbes condamne : Au-delà de la période révolutionnaire en tête : « C’est que la personne du Monarque abordée en quelques pages, ce manus- « N’oublions pas que le système de (ou de l’assemblée) étant aussi une per- crit reflète les préoccupations et le débat Hobbes est engendré par la peur (la sonne individuelle ne peut pas s’identi- interne sous-jacent de la philosophie sar- peur est ma passion dit-il). Il réclame la fier à une pure volonté du général. Sans trienne, entre individuel et collectif, réel paix. Mais la paix civile (contre la guerre doute elle incarne les volontés de tous et idéel, souverain et masses. En effet, ces civile). Il s’agit donc de vivre en sécuri- mais elle est aussi volonté d’un seul. Et notes portent en germe les thèmes princi- té. ‘N’avoir rien à craindre des autres comme telle elle peut aller me chercher paux de la Critique de la raison dialectique, hommes, acquérir sans rivaux, conser- dans ma particularité et ma vie comme sa monumentale étude qui après L’Etre et ver sans envieux’. La paix mercantiliste telle. Si je m’aliène à une personne, je . » le Néant assure le volet social de sa pen- du bourgeois anglais ». suis esclave sée et demanda de nombreuses années de On remarque l’influence nettement plus Ces notes de travail en vue d’un projet ci- Contrat social maturation. Dans le manuscrit datant de positive qu’exerce le , cité à nématographique inachevé s’avèrent éga- quelques années avant sa publication, se plusieurs reprises et dont le marxisme lui- lement d’une importance capitale pour trouve la même démarche visant à créer même est largement redevable : « Mais la génétique de l’œuvre philosophique une anthropologie d’inspiration marxiste, chez Rousseau la somme des actes d’en- sartrienne, par leur parenté explicite Critique de la raison dialectique alors que Sartre se rapproche progressi- gagement se fait à un être d’abord pure- avec la . vement du PCF après une longue période ment fictif et non existant mais qui « à Aux confins de la sociologie et la philoso- de désaveu et signe la même année sa l’instant (du pacte) » nait reçoit son unité, phie, ces pages de Sartre encore inédites série d’articles élogieux dans les Temps son moi commun, sa vie, sa volonté ». Par comblent les lacunes de la philosophie modernes, intitulée « Les communistes et ailleurs, Sartre insiste avec beaucoup de marxiste et jettent les bases mêmes d’une la paix ». Véritable « archéologie » de la force sur l’assouvissement des masses et la nouvelle anthropologie. passivité qui semblent être les immuables dialectique sociale, ces notes reprennent 4 500 et confrontent avec grand sens critique les conditions de la dialectique sociale qu’il + de photos 83 Jean-Paul SARTRE Situationen. Essays

Rowohlt | Hamburg (Hambourg) 1956 | 12,5 x 20,5 cm | broché

Édition originale de la traduction alle- ses articles des Temps modernes, mande. comme auparavant, les romans Précieux envoi autographe signé de Jean- de son mari . Paul Sartre à Michelle [Vian] sur la page En lui offrant cette version alle- de garde. mande de ces essais, Sartre rend Exemplaire bien complet de sa jaquette hommage à son amante, elle- qui comporte un petit manque en pied. même traductrice, et muse en- Fascinée par l’aura du philosophe, Michèle voûtante de deux grandes figures Vian devint sa maîtresse en 1949 et se littéraires de l’effervescent Saint- sépara de Boris en 1951. Elle restera en- Germain-des-Prés. suite l’amante et complice fidèle de Sartre jusqu’à sa mort, dactylographiant pour lui, 1 500 + de photos

122 84 Jean-Paul SARTRE & Simone de BEAUVOIR & Fernando SABINO & Rubem BRAGA

Furacão Sôbre Cuba

Editôra do autor | Rio de Janeiro 1960 | 14 x 20,5 cm | broché

Rare édition originale en portugais de cet important écrit politique de Jean-Paul Sartre rédigé à Cuba en 1960. Ce texte ne fut publié en France que sous la forme d’articles dans le journal France-Soir, puis intégralement en 2008 dans la revue Les Temps Modernes. À la fois reportage sur Fidel Castro et violent pamphlet contre la politique américaine durant la dictature de Batista, cet essai sur la révolution cu- baine est précédé d’une préface inédite de Sartre et suivi d’articles des intellectuels brésiliens Fernando Sabino et Rubem Bra- ga. Envoi autographe signé de Jean-Paul Sartre adressé à Georges Raillard, sur- monté de la signature de Simone de Beauvoir. Dos habilement restauré, une petite res- tauration de papier en marge basse de la page de titre. plus tard, la revue Les Temps Modernes utiliseront ce voyage comme tribune pour C’est sur l’invitation de Carlos Franqui, publia enfin, dans un seul numéro, ce rapprocher la Guerre d’Algérie et la Révolu- alors directeur du journal Revolucion, que sulfureux essai de Sartre, elle y joignit les tion Cubaine, comme le racontera Simone Sartre et Simone de Beauvoir se rendent à notes contemporaines inédites de l’écri- de Beauvoir dans La Force des Choses II. Cuba entre février et mars 1960. Quatorze vain rédigées à l’époque en vue d’une édi- mois après la Révolution, le couple d’intel- tion française. Celle-ci ne vit jamais le jour, Très vite, le séjour brésilien des deux fi- lectuels accompagnent Fidel en tournée sans doute parce que, au même moment, gures de proue de la gauche intellectuelle dans l’île. De ce périple et de leurs mul- en France, un autre combat pour la liberté française prend une tournure hautement tiples rencontres, notamment avec Che des peuples à disposer d’eux-mêmes oc- politique et durant les conférences de Guevara, naît ce long reportage très en- cupe l’énergie du philosophe : l’indépen- presse, Sartre concentre ses interventions gagé intitulé Ouragan sur le sucre qui sera dance algérienne. sur la révolution cubaine comme réponse divisé en une série de seize articles publiés C’est d’ailleurs avec la volonté de réunir à la situation algérienne, parce que « le dans France-Soir entre le 28 juin et le 15 les deux combats que Sartre et Beauvoir phénomène le plus important de ce siècle juillet 1960 dans le but de faire connaître acceptent en septembre 1960 l’invitation est la libération des peuples coloniaux ». au grand public la jeune révolution cu- du Congrès des Critiques qui se déroule à Affirmant que l’Amérique Latine et le Bré- baine, un an après la chute de Fulgencio Recife au Brésil. Ils n’évoqueront que très sil en particulier seront amenés à jouer un Batista. En 2008, près d’un demi-siècle brièvement la littérature brésilienne mais rôle essentiel contre la politique des blocs

123 et en faveur de cette nouvelle forme de c’était leur parler de leur pays. »). communisme fondée sur la recherche Jean-Paul Sartre souligne l’impor- de la paix et non du pouvoir, Sartre gal- tance d’étendre les principes de la vanise de nombreux intellectuels. Révolution Cubaine à l’ensemble de Parmi eux, le futur grand critique lit- l’Amérique latine et précède ainsi de téraire et artistique Georges Raillard, sa plume l’imminente épopée tra- alors jeune professeur à l’Université gique du Che. de Rio de Janeiro, et sa femme Alice, Ce texte, qui connut un grand suc- traductrice, décident avec quelques cès au Brésil et fut même réédité, grandes figures de l’intelligentsia brési- demeura tout à fait confidentiel en lienne de laisser une trace de cette pré- France. Ce silence a probablement sence historique du philosophe qui, par des raisons politiques : le 6 sep- sa constante assimilation de la situation tembre 1960, concomitamment à la cubaine à celle de l’Algérie, semble por- publication de Furacão Sôbre Cuba, ter l’espoir d’une révolution universelle. paraît dans Vérité-Liberté le célèbre Réunissant plusieurs grands écrivains Manifeste des 121, plaidoyer dénon- comme Jorge Amado, proche ami des çant la violence et les injustices de Raillard, Fernando Sabino et Rubem la guerre d’Algérie et auquel Jean- Braga, le groupe de jeunes intellectuels Paul Sartre appose sa signature. décident donc de publier pour le conti- Sans doute, Sartre découvrit-il assez nent sud-américain un ouvrage entière- tôt les limites et les dangers de la ment inédit du philosophe, avant son politique de Fidel Castro, et préféra retour en France. concentrer son engagement sur les problèmes français. En quelques semaines, un éditeur bré- silien réussit ce tour de force et bientôt, Alors qu’à sa suite se succéderont cette Tempête sur Cuba (Furacão Sôbre sur l’île les visites d’intellectuels en- Cuba) en déclenche une autre à la li- voûtés par la figure charismatique brairie française de São Paulo qui connaît vrage qu’il nous ait été donné de rencon- de Fidel Castro, Sartre ne retournera ja- alors « la plus affolante des séances de trer. mais à Cuba ni au Brésil. Ne demeureront, signatures : plus de mille cinq cents per- pour toutes traces de son engouement sonnes se ruèrent dans la boutique, Sartre L’ouvrage reprend donc le texte intégral cubain, que les quelques articles oubliés s’exécuta au cours de longues heures de de la visite de Sartre à Cuba, mais contient de France- Soir et cette édition brésilienne paraphes, et Simone de Beauvoir fut éga- également un préambule éditorial et une demeurée à peu près inconnue en France. lement priée d’accoler son nom à celui de préface inédite de l’auteur. Elle est l’occa- Le 22 mai 1971, le philosophe mettra un son compagnon... » (Annie Cohen-Solal, sion pour Sartre de reformuler son paral- terme définitif à ses liens avec « El Com- Sartre, 1985) lèle entre la France – nation colonisatrice mandante » en signant, avec une soixan- – et Cuba – terre colonisée – et de mettre taine d’intellectuels, une lettre ouverte Avec cette signature manuscrite, Sartre, également en relation la situation de l’île dans Le Monde pour manifester leur sou- reconnaît la paternité de son brûlot offert avec celle du Brésil : « E, apesar de tôdas tien au poète cubain Heberto Padilla et en exclusivité au public brésilien, mais ce as características que distinguem um pais « leur honte et leur colère » contre Fidel. n’est probablement qu’aux participants de do outro, acabei compreendo que falar aos Rarissime exemplaire de cet ouvrage cet acte politique majeur et exploit édi- brasileiros sôbre a ilha rebelde cubana era unique et dédicacé à l’un des très rares torial qu’il adresse quelques envois per- falar dêmes proprios. » (« Et malgré toutes français ayant participé à la courte mais sonnels, comme celui à Georges et Alice les caractéristiques qui distinguent un pays intense aventure révolutionnaire interna- Raillard. C’est d’ailleurs le seul exemplaire de l’autre, j’ai fini par comprendre que par- tionale du philosophe germanopratin. nominativement adressé de ce rare ou- ler aux Brésiliens de l’île rebelle cubaine, 3 800 + de photos

124 85 STENDHAL Lettre autographe adressée à sa sœur Pauline

26 mars 1808 | 20 x 24,8 cm | 3 pages 1/2 sur un double feuillet sous chemise et étui

Longue lettre autographe de Stendhal, d’un temps passé s’accompagnent d’une Mais joue le Matrimonio pour l’amour de adressée à sa sœur Pauline, rédigée d’une mélancolie toute stendhalienne : moi surtout Signor deh permettette et la écriture fine à l’encre noire. « Hélas ! Ce bonheur charmant que je me finale Io rival de mia sorella. » Cet opéra Adresse du père de Stendhal chez qui ré- figurais, je l’ai entrevu une fois à Frasca- de Cimarosa, loin d’être une lubie passa- side sa sœur, à Grenoble et tampon « n°51 ti, quelques autres à Milan. Depuis lors, gère, jalonnera toute la vie et l’œuvre de Grande Armée ». Cachet de cire rouge aux il n’en est plus question ; je m’étonne de l’écrivain. Dans ses Souvenirs d’égotisme armes de Stendhal. n’avoir pu le sentir. Le seul souvenir en est (1832) il explique : Plusieurs pliures d’origine, inhérentes à plus fort que tous les bonheurs présents « À Milan, en 1820, j’avais envie de mettre l’envoi postal. Un manque de papier, dû que je puis me procurer. » cela sur ma tombe [...] Je voulais une ta- au décachetage de la lettre, habilement Cette évocation de l’Italie regrettée va de blette de marbre de la forme d’une carte comblé. pair avec les femmes qu’il a aimées : à jouer : « Errico Beyle – Milanese – Visse, « Je t’ai conté qu’étant à Frascati, à un scrisse, amò – Quest’anima adorava Cima- Très belle lettre, empreinte de passion ro- joli feu d’artifice, au moment de l’explo- rosa, Mozart e Shakspeare – Morì di anni... mantique, mêlant nostalgie de l’enfance sion, Adèle s’appuya un instant sur mon il ... 18... » (« Henri Beyle – Milanais – Il et histoires sentimentales et préfigurant épaule ; je ne peux t’exprimer combien vivait, écrivait, aimait – Cette âme adorait Le Rouge et le Noir. je fus heureux. Pendant deux ans, quand Cimarosa, Mozart et Shakspeare – Il mou- j’étais accablé de chagrin, cette image me rut en l’année...le...18... ») ». Quelques Cette lettre provient de la correspondance redonnait du courage et me faisait oublier années plus tard, dans la Vie de Henry Bru- qu’entretint le jeune Henri Beyle – ici âgé tous mes malheurs. Je l’avais oubliée de- lard, œuvre autobiographique rédigée en de vingt-cinq ans – avec sa sœur Pauline puis longtemps ; j’ai voulu y repenser au- 1835-1836, il persiste et signe : « J’avoue- de trois ans sa cadette. Cette véritable liai- jourd’hui. Je vois malgré moi Adèle telle rai que je ne trouve parfaitement beaux son épistolaire, qui prit bien vite la forme qu’elle est ; mais, tel que je suis, il n’y a que les chants de deux seuls auteurs : d’un « journal » – les réponses de Pauline plus le moindre bonheur dans ce souve- Cimarosa et Mozart, et l’on me pendrait étaient rares – est un jalon essentiel dans nir. » plutôt que de me faire dire avec sincéri- la constitution du parcours intellectuel du Ce long passage concernant Adèle Re- té lequel je préfère à l’autre. [...] Quand futur Stendhal : « Voilà mes rêveries, ma buffet, sa cousine avec laquelle il vécut je viens d’entendre Mozart ou Cimaro- chère amie ; j’en ai presque honte ; mais, une histoire sentimentale forte avant sa, c’est toujours le dernier entendu qui enfin, tu es la seule personne au monde à d’entretenir des relations plus intimes me semble peut-être un peu préférable à qui j’ose les dire. » avec sa mère, témoigne du sentimenta- l’autre. » Mais l’hommage le plus révéla- lisme de Stendhal. Il évoque d’ailleurs teur que Stendhal rend à son compositeur Dans cette lettre témoignant du lien fort une autre de ses brûlantes passions, An- fétiche se trouve dans son chef-d’œuvreLe entre frère et sœur, Stendhal, alors en Al- gelina Pietragrua, idéal de la femme ita- Rouge et le Noir : lemagne, fait part de toute sa nostalgie : lienne et incarnation de ses souvenirs « Pendant tout le premier acte de l’opéra, « J’ai repassé dans ma mémoire tout le milanais : « Madame Pietragrua c’est dif- Mathilde rêva à l’homme qu’elle aimait temps que nous avons passé ensemble : férent : son souvenir est lié à celui de la avec les transports de la passion la plus comment je ne t’aimais pas dans notre langue italienne ; dès que, dans un rôle vive ; mais au second acte une maxime enfance ; comment je te bâtis une fois à de femme, quelque chose me plait dans d’amour chantée, il faut l’avouer, sur une Claix, dans la cuisine. Je me réfugiai dans un ouvrage, je le mets involontairement mélodie digne de Cimarosa, pénétra son le petit cabinet de livres ; mon père revint dans sa bouche. » Ce « rôle de femme » cœur. L’héroïne de l’opéra disait : Il faut un instant après, furieux, et me dit : « Vi- que mentionne Stendhal est un écho à me punir de l’excès d’adoration que je sens lain enfant ! Je te mangerais ! ». Ensuite, l’essentiel de cette lettre, l’œuvre Il Matri- pour lui, je l’aime trop ! » (Le Rouge et le tous les maux que nous fit souffrir cette monio segreto du compositeur Cimarosa : Noir, chapitre XLIX) pauvre tatan Séraphie ; nos promenades « Joues-tu quelquefois le Matrimonio ? 15 000 dans ces chemins environnés d’eau crou- C’est le passage Cara sposa au commen- pissante, vers Saint-Joseph. » Ces regrets cement entre Carolina et Paolino. [...] 125 + de photos

THÉÂTRE FRANÇAIS DU XVIIè

86 Pierre CORNEILLE Œuvres de Corneille

Chez Augustin Courbé | Paris 1654 pour la première partie et 1652 pour les deux autres | in-12 (8 x 13,5 cm) | 691 pp. et (4) 642 pp. et 287 pp. | 3 tomes reliés en 2 volumes

Cinquième édition collective, ornée d’un bleu, dos jansénistes à cinq nerfs, gardes maroquin, reliures signées Alix. frontispice portant la date de 1645 et un et contreplats encadrés de dentelles do- Rare et bel exemplaire élégamment éta- portrait à la date de 1644. rées de papier peigné, toutes tranches bli. Reliures postérieures en plein maroquin dorées, étuis de papier peigné bordés de 5 000 + de photos

127 THÉÂTRE FRANÇAIS DU XVIIè

87 MOLIÈRE Les Œuvres de Monsieur de Molière

Chez Denys Thierry | Claude Barbin et Pierre Trabouillet | à Paris 1682 | in-12 (9 x 16,5 cm) | (24) 304 pp. (4) et 416 pp. (4) et 308 pp.(4) et 296 pp (4) et 335 pp. (mal chiffr. 535) (1) et 195 pp. (5) et 261 pp.(3) et 312 pp. | 8 volumes reliés

Première édition collective complète, en drement des contreplats et plats de papier pour l’impression. De sorte que le texte de partie originale, et première édition illus- à la cuve, toutes tranches dorées. Reliures 1682 diffère souvent un peu de celui des trée. Édition originale pour Dom Garcie de signées Lortic, relieur de Baudelaire. éditions originales séparées et de l’édition Navarre, L’Impromptu de Versailles, Dom collective de 1674. [...] Malgré cela, c’est le Juan ou le Festin de Pierre, Les Amans « Première édition complète des œuvres texte qui a le plus souvent servi de modèle magnifiques, La Comtesse d’Escarbagnas. de Molière. Elle fut publiée par le comé- pour les nombreuses éditions données Elle est illustrée de 30 figures gravées sur dien Charles Varlet de La Grange, l’un des jusqu’à nos jours. » (J. Le Petit, Bibliogra- cuivre par Jean Sauvé d’après Pierre Bris- plus intimes camarades de Molière et le phie des principales éditions originales). . sart, dont 21 hors texte et 9 comprises secrétaire de sa troupe, et un autre de dans la pagination. ses amis nommé Vinot. [...] Les éditeurs Superbe exemplaire de la fameuse édi- Reliures XIXè en plein maroquin rouge, dos se servirent, pour faire cette édition, du tion de 1682 établi dans une très élégante jansénistes à cinq nerfs, date dorée en texte même des manuscrits de Molière, reliure signée de Marcelin Lortic. queue, doubles filets dorés sur les coupes plus ou moins revu et corrigé par lui, soit et les coiffes, large dentelle dorée en enca- pour les besoins des représentations, soit 15 000 + de photos

128 THÉÂTRE FRANÇAIS DU XVIIè

88 Jean RACINE Œuvres de Racine

Chez Pierre Trabouillet | Paris 1687 | in-12 (9 x 16 cm) | 372 pp. et 434 pp. (3 p.) | 2 volumes reliés

Seconde édition des œuvres collectives à cinq nerfs richement ornés, plats ornés dernier et exerça jusqu’en 1850 environ » de Racine, illustrée de 2 titres-frontispices de deux encadrements de triples filets do- (Fléty) . gravés en taille-douce dont un d’après Le rés et de fers forés en écoinçons, gardes Brun et 10 figures hors-texte de Chauveau et contreplats – encadrés d’une dentelle – Superbe exemplaire, entièrement réglé gravées en taille-douce, comprises dans la de papier peigné, double filet doré sur les de rouge et établi dans une élégante re- pagination. coupes, toutes tranches dorées, reliures liure signée. signées Léon Fixon, « ancien ouvrier de Reliures en plein maroquin bleu nuit, dos Thouvenin, il dut s’établir à la mort de ce 3 500 + de photos

129 89 Émile ZOLA Lettre autographe à Jules Lemaître

[14 mars 1885] | 13 x 20,6 cm | 4 feuillets recto sous étui

« Mes personnages pensent autant qu’ils voyée par Zola est conservée à la Brown Faisant face à des accusations d’immo- doivent penser, autant que l’on pense University Library, USA (n°A56073) et pu- ralité pour son roman Germinal, Zola se dans la vie courante. [...] Les raisons qui bliée dans la Correspondance, éd. sous la défend d’être un « écrivain grossier » et font pour vous que je ne suis pas un psy- dir. de B.H. Bakker, Presses de l’Université livre d’admirables réflexions sur sa mo- chologue, font que je suis un écrivain de Montréal et Centre national de la Re- numentale œuvre et la psyché de ses per- grossier. » cherche scientifique, t. V, p. 244-245. sonnages dans ce premier jet passionnant, qui contient des dizaines de corrections Brouillon de quatre pages à l’encre noire Célèbre réponse d’Émile Zola à Jules Le- restées inédites, sa correspondance pu- sur papier vergé écrites au recto, consti- maître, farouche adversaire du natura- bliée se fondant sur le texte de la lettre tuant le brouillon de la fameuses lettre-dé- lisme qui qualifia les Rougon-Macquart définitive conservée à la Brown University fense de Germinal adressée à Lemaître, d’« épopée pessimiste de l’animalité hu- Library. présentée sous chemise en demi-maro- maine ». Ces variantes inédites et biffées, portant quin noir moderne. La lettre définitive en- déjà en germe le titre de ses prochains

130 romans (La Terre, La Bête humaine), té- hors de l’être, dans l’animal dont il est le blés par la critique rétrograde et les affres moignent de l’agitation de l’écrivain à la frère, dans la plante, dans le caillou. » de la censure, qui empêcha la création au lecture de la critique à laquelle il répond Au-delà de sa propre défense, Zola se fait théâtre de Germinal quelques mois plus le jour même. Abondamment citées, dans cette lettre l’ambassadeur de laso- tard. Cette avalanche de récriminations cette réponse de Zola et l’étude que lui ciologie déterministe de Taine, que l’on lui fit ainsi partager le triste sort de son a consacrée Lemaître sont aujourd’hui voit poindre dans un intéressant repentir proche ami le peintre Edouard Manet, considérées comme l’une des plus im- lorsqu’il choisit de remplacer « milieu », dont les chefs-d’œuvre furent également portantes sources de l’exégèse des Rou- un des termes de la théorie « race-mi- taxés de vulgarité et entachés par le scan- gon-Macquart. lieu-moment » de Taine par le terme dale. « terre » : « Vous isolez l’homme de la na- Zola achève sa missive sur une note plus Lorsque Germinal est publié en volume en ture, je ne le vois pas sans [le milieu] la cordiale, ayant apprécié l’analyse de son mars 1885, Jules Lemaître signe dans la Re- terre, [sans] d’où il sort et où il rentre. » confrère : « L’étude que vous avez bien vue bleue une longue et sévère critique de Cette correction évoque également l’ob- voulu me consacrer est certainement la cette « série de vastes et lamentables ta- session de la propriété foncière qui sera page la plus pénétrante qu’on ait écrite bleaux », et l’achève par sa célèbre phrase l’objet de son prochain roman, justement sur moi. [...] La part que vous me faites désignant les Rougon-Macquart comme intitulé La Terre et publié deux ans après est si grande, si belle, que j’aurais dû sim- « une épopée pessimiste de l’animalité cette missive. plement vous remercier, vous dire la joie humaine » à laquelle Zola réagit immé- d’artiste et la confusion d’orgueil où vous diatement : « J’accepte très volontiers La lettre prend aussi la forme d’une émou- m’avez jeté. » Dans sa critique, Lemaître votre définition ‘une épopée pessimiste vante confession de l’écrivain, qui laisse marqua en effet un tournant dans la récep- de l’animalité humaine’ à la condition de transparaître sa confusion, éreinté par les tion de l’œuvre de Zola en soulignant pour nous entendre [biffé] m’expliquer sur le assauts journalistiques qui ponctuent la la première fois son caractère homérique, mot ‘animalité’ ». publication des Rougon : « Pardon de vous forcé de reconnaître la puissance évo- écrire ceci sous le coup de votre étude » catrice de Germinal. Sa critique contient On peut se demander si cette célèbre dans laquelle Lemaître l’a en effet qualifié notamment une série de comparaisons boutade n’a pas inspiré le titre d’un des d’« outrancier », ajoutant que l’écrivain entre la « respiration grosse et longue » de chefs-d’œuvre des Rougon-Macquart, La « apparaît de plus en plus comme le poète la machine de Germinal et le grondement Bête Humaine, parue quelques années brutal et triste des instincts aveugles, des de la mer de l’Iliade, ou encore les foules plus tard. En réponse à la provocation de passions grossières ». Zola tente d’élucider de Zola et les chœurs antiques. Cette vi- Lemaître, Zola signe une des plus impor- cette série de remarques acerbes :« Pour - sion d’un Zola en poète épique fut ensuite tantes explications de son œuvre, une ré- quoi dès lors ce reproche de grossièreté largement reprise et partagée, parfois ponse réfléchie, philosophique mais aussi qui revient sans cesse dans votre étude ? ironiquement, dans les milieux universi- passionnée sur son travail de romancier. Je vous avoue que c’est le seul qui m’ait taires et littéraires : « C’est l’Homère de Accusé par Lemaître de « simplifie[r] les blessé. Toujours la fameuse psychologie. la vidange ! » s’écria la comtesse de Guer- âmes », il se défend notamment d’avoir Les raisons qui font pour vous que je ne mantes (Marcel Proust, Du côté de Guer- créé des personnages conduits par leurs suis pas un psychologue, font que je suis mantes). instincts, sans profondeur psychologique : un écrivain grossier ». Les repentirs iné- « je crois fermement avoir fait la part dits de ce premier jet sont éloquents : L’existence de ce brouillon, véritable exu- de tous les organes, du cerveau comme obsédé par l’injure, il a inscrit et biffé trois toire pour l’écrivain, constitue un témoi- des autres. Mes personnages pensent fois le mot « grossier » avant de l’inclure gnage primordial pour comprendre l’at- autant qu’ils doivent penser, autant que finalement à deux reprises dans le corps titude de Zola, l’« Enfant de la presse », l’on pense dans la vie courante. ». Sa dé- de sa lettre. Il apparaît particulièrement vis-à-vis de la critique qu’il a lui-même si marche littéraire consistant à marier le affecté de passer pour vulgaire aux yeux souvent pratiquée. Dans cette ébauche roman et la science, l’humain et l’anima- de la critique, qui ne l’a pas épargné par le écrite sous le coup de l’émotion, un Émile lité, est une dualité inconciliable selon son passé, Louis Ulbach fustigeant sa « littéra- Zola blessé par le qualificatif immérité détracteur (« Zola aime les bêtes et leur ture putride » et Barbey d’Aurevilly ayant de « grossier » engage une discussion de donne autant d’âme qu’aux hommes ») ce qualifié ses personnages d’« ordures » à la fond sur son œuvre, remettant en cause à quoi Zola rétorque : « L’âme que vous publication du Ventre de Paris. À la suite l’immuable binarité du règne humain et enfermez dans un être, je la sens épan- de Flaubert et Baudelaire, il rentra dans les animal. due partout, dans l’homme (biffé) l’être et rangs d’une illustre cohorte d’écrivains ci- 7 000 + de photos 131 90 Stefan & Lotte ZWEIG Faire-part autographe de mariage adressé à Alfred Cortot et Renée Chaine

Bath septembre 1939 | 11,4 x 8,9 cm | un faire-part

Faire-part de mariage de Lotte et Stefan qui souhaitait écrire une biographie du Le mariage de Stefan et Lotte fut célébré Zweig, adressé au compositeur Alfred Cor- compositeur, avait d’ailleurs déclaré : le 6 septembre 1939, soit quelques jours tot et sa compagne Renée Chaine, sur le- « Quand les mains de Cortot n’existeront après le début de la guerre. Dans son jour- quel les deux époux ont rédigé quelques plus, Chopin mourra une seconde fois c’est nal, Zweig, très préoccupé par les évène- lignes, Lotte à l’encre noire et Stefan de le seul qui arrive à exprimer la tendresse ments, évoque ainsi cette union : son habituelle encre violette. dans la grandeur ». Cortot, de son côté, « Journée décisive. Ce matin, tandis que Lotte écrit notamment « Voilà l’annonce tenait également Zweig en grande estime : je lis les journaux, un coup de téléphone de notre mariage qui vient de prendre « Les jours où l’on rencontre un Zweig sont du Dr Ingram nous apprend que nous place tranquillement ici à Bath, et vous à marquer d’une pierre blanche dans la vie pouvons nous marier cet après-midi à 4 êtes parmi les premiers à en entendre. Je des êtres qui ont le respect des idées ou heures. Lotte et sa belle-sœur sont aussi me juge heureuse que nous pouvons être la curiosité de l’intelligence. » (lettre du 13 surprises que moi. […] Nous déjeunons ensembles [sic] dans ce temps » ; Stefan octobre 1937) rapidement, je me rase, puis le mariage ajoute : « On demande de ne pas écrire sans cérémonie, une seule formule : on Stefan Zweig quitta sa première épouse déclare prendre L. A. comme épouse lé- longuement à cause de la censure. Com- gitime. Voilà qui suffit pour une journée ! bien serait à dire ! » Friderike pour sa secrétaire Charlotte Alt- Un nouveau pas de fait vers l’ordre dans Les relations entre Zweig et Cortot sont man – dit Lotte. Cette dernière demeure- un monde d’éternel désordre. » très peu évoquées par les biographes. Ce ra avec l’écrivain jusqu’à ses derniers ins- faire-part témoigne pourtant du lien fort tants : le 22 février 1942, elle se suicide à 3 000 qui existait entre les deux artistes. Zweig, ses côtés. + de photos

132 INDEX

A E M S ABRAVANEL Judah 62 ÉLUARD Paul 40-42, 73 MANDELSTAMM Valentin 77 SABINO Fernando 123 ADER Clément 3 ERNST Max 55 MAN RAY 58 SADE, Louis, Chevalier de 101 AFFAIRE DREYFUS 6 erotica 57, 58 MAUPASSANT Guy de 78 SAINT-EXUPÉRY Antoine de AKHMATOVA Anna 4 MIKHAËL Éphraïm 81, 83, 85 110-117 APOLLINAIRE Guillaume 9 G MOLIÈRE 128 SAND George 118 ARAGON Louis 10-12, 40-42, GAUTIER Théophile 59 MUCHA Alfons 86 SARTRE Jean-Paul 119-123 58 GEBHART Émile 86 SERNER Walter 40 ARNAULD Céline 40 GILLES DE LA TOURETTE N SOUPAULT Philippe 40, 41 ARTAUD Antonin 89 Georges 60 NAPOLÉON III (Bibliothèque) STENDHAL 125 AUBERT Édouard 87 87 H NERUDA Pablo 88 T B HALEVI Rabbi Juda 61 THÉÂTRE FRANÇAIS DU BARRÈS Maurice 39 HEMINGWAY Ernest 64 P XVIIè 127-129 BAUDELAIRE Charles 12- 15 HIKMET Nazim 64 PARROT Louis 95 THORNLEY Georges William BEAUVOIR Simone de 123 HOROWITZ Karen 53 PÉRET Benjamin 58 47 BECKETT Samuel 19 HUGO Victor 16, 66 PETIT Pierre 66 TZARA Tristan 40-42 BLANCHOT Maurice 20 PEYER-IMHOFF Hercule 70 BRAGA Rubem 123 J PICABIA Francis 40, 42 V BRETON André 40, 42 JÜNGER Ernst 69 PICART LE DOUX Jean 64 VILLARS Meg 38 BUXTORF FILS Johannes 61 PICASSO Pablo 9, 88 K POMPIDOU Georges 88 W C KANOVA Germaine 95 POURRAT Henri 89 WILLY 36, 38 CAMUS Albert 23, 24, 27 KANT Emmanuel 70 PROUDHON Pierre-Jo- CENDRARS Blaise 32 seph-Marie 90 Z CHATEAUBRIAND L PROUST Marcel 93 ZOLA Émile 130 François-René de 33 LAUTRÉAMONT 71 ZWEIG Stefan & Lotte 132 COLETTE 36, 37, 38 R LAZARE Bernard 83, 85 CONRAD Joseph 38 LÉGER Fernand 73 RACINE Jean 129 CORNEILLE Pierre 127 LEOPARDI Giacomo 74, 75 résistance 95 RIBEMONT-DESSAIGNES D LEROUX Alexandre 6 LISLE DE MONCEL Nicolas de76 Georges 40 dada 39, 40-42 LOUIS-PHILIPPE ( Biblio- ROUGET DE L’ISLE DALÍ Salvador 42 thèque) 76 Claude Joseph 99, 100 D’ANNUNZIO Gabriele 8 LOUVAT René 95 DEGAS Edgar 46, 47 DE GAULLE Charles 43 DERMÉE Paul 40, 42 DEVÉRIA Achille 57 DÜRER Albrecht 49 DURRELL Lawrence 51, 52, 53 134