Touvier M'a Avoué
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TOUVIER M'A AVOUÉ CLAUDE FLORY TOUVIER M'A AVOUÉ 9 bis,© rueCopyright de Montenotte, juin 1989 75017 Éditions Paris Michel - (1) 46.22.44.54LAFON Tous droits réservés, y compris l'U.R.S.S. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproduc- tions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les ana- lyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de l'éditeur, ou de leurs ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanc- tionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. ISBN 2-86804-657-6 « Je ne regrette rien » Paul Touvier après son arrestation. PROLOGUE - Allô... c'est Paul... Depuis ce mois de décembre 1972 où j'ai rencontré pour la première fois Paul Touvier, nos entretiens ont toujours débuté ainsi. Un coup de téléphone, un rendez-vous qu'il me fixe. Généralement dans un quartier très fréquenté de Paris. Et le scénario se déroule immuable. J'attends attablé devant un café ou debout à un arrêt d'autobus. Et, tout à coup, quelques secondes avant l'heure dite, j'entends derrière moi une voix coupante et goguenarde : - Bonjour,Monsieur Flory... Cette voix m'a plus d'une fois glacé. Était-ce bien elle que les condamnés à mort de Rilleux avaient entendue au seuil de leur dernier voyage ? Eait-ce ainsi, avec cette froideur calculée que soulignent ceux qui ont eu affaire à lui, que le Milicien les interpellait au moment des interrogatoires ? Jusqu'à ce jour de 1971 où, en grâciant Paul Touvier, le président Pompidou braqua sur lui les projecteurs de l'His- toire, je n'avais pas entendu parler de l'ancien chef de la milice de Lyon. En quelques heures, ce petit homme banal, obscur fonctionnaire de la Collaboration, s'était trouvé propulsé au rang de criminel de guerre. Cet homme, je l'avais devant moi. Paradoxe et ironie de l'Histoire, c'est le colonel Rémy, patriote incontesté, l'un des plus prestigieux chefs de la Résis- tance en France qui m'avait mis en rapport avec lui alors que je le cherchais pour l'interviewer et faire mon métier de journa- liste. Deux fois condamné à mort, couvert par la prescription et l'amnistie, grâcié par le Président de la République, Paul Tou- vier était traqué par ses anciennes victimes. Il devait, quelques années plus tard, être inculpé de crime contre l'humanité, crime imprescriptible. La suite était dans la plus pure « tradition » du film d'espionnage : nous empruntions de petites rues, lui devant moi derrière, tournant à droite puis à gauche, revenant sur nos pas afin de déjouer une éventuelle filature. Pour se trouver tout à coup devant une D.S. noire dont le moteur ronronnait douce- ment. Au volant, un jeune homme - son fils Pierre, 39 ans aujourd'hui. Sur la banquette arrière, une femme souriante un peu rétro - Monique Berthet, sa femme. A côté d'elle, une jeune fille effacée - sa fille Chantal 41 ans cette année. Tous discrètement et strictement vêtus : vestes, pantalons, chaussures et cravates sombres, jupes plissées et talons plats. Les Touvier ne se déplaçaient jamais les uns sans les autres. Spectacle fascinant que cette famille amalgamée par le pire. Huis clos infernal pour lequel le temps s'était à jamais arrêté. L'unique fois où j'ai rencontré Paul Touvier en tête-à- tête, c'était au mois d'août 1984, quelques semaines avant que - mystification et ruse dérisoire - il ne fasse annoncer sa mort fictive dans le carnet du Dauphiné Libéré. Il n'avait plus grand chose à m'apprendre de lui. Cette fois, il ne m'a pas conduit jusqu'à la D.S. noire où les siens l'attendaient sans doute. Il a disparu dans la foule des touristes qui déambulaient sur les Champs-Élysées. Ce fut sa façon de prendre congé. Nos entretiens se déroulaient sur deux modes. J'étais assis à l'arrière de la voiture, entre sa fille et lui; nous tournions dans Paris, pendant qu'il me racontait son histoire. Ou bien nous nous dirigions vers une « maison amie », un parloir de couvent, l'appartement d'un prêtre. Nos « hôtes » n'étaient pas tous des intégristes. Nous avons même été reçus par un « curé rouge ». J'ai visité ainsi beaucoup de monastères de la région parisienne et les ordres religieux n'ont maintenant plus guère de secrets pour moi. A la fin de notre conversation, le petit homme sec se levait : - Nous allons reconduire Monsieur Flory. Où désirez- vous que nous vous déposions ? Et lorsque nous arrivions près de l'endroit choisi, la voi- ture obliquait brusquement et s'arrêtait deux ou trois rues plus loin. - Excusez-nous... la prudence l'exige. Paul Touvier m'a parlé. Beaucoup parlé. Il m'a raconté sa famille, son engagement politique, son admiration pour le Maréchal Pétain, sa haine des Bolcheviks, son amour de l'Ordre. Il m'a raconté son extraordinaire cavale et son combat pour obtenir le droit de vivre au grand jour avec sa famille. Il a reconnu, réfuté, nié, expliqué. Jamais regretté aucun de ses actes. Même si « certains d'entre eux m'ont longtemps empêché de dormir ». Parmi les récits aux allures rocambolesques : son évasion de la rue des Saussaies le 9 juillet 1947. Telle qu'il la raconte, elle me semble vraisemblable dans sa simplicité. J'ai suffisam- ment observé au cours de ma carrière de journaliste que les évé- nements les plus graves et les plus déterminants pour notre ave- nir ou celui d'une nation n'étaient bien souvent pas le fait de décisions inspirées par de grands calculs stratégiques. Mais le résultat du hasard, d'une crise de foie ou d'une dispute conju- gale. De même est-il probable - les témoins sont nombreux pour l'affirmer - que Paul Touvier a arraché à la mort des Résis- tants. Tardivement peut-être. Mais il les a sauvés. Même si l'on peut s'interroger sur le nombre de ceux qu'il a laissé fusil- ler. Plus troubles sont ses rapports avec la police et les Services Spéciaux. Selon toute apparence, les uns et les autres ont joué un rôle aussi important que la hiérarchie catholique dans la survie du fugitif. Les relations de Paul Touvier avec le Commissaire Caille le laissent présager. Il en a du reste été de même chez tous les Alliés depuis la guerre. Nazis et anciens collaborateurs ont été utilisés en échange d'une protection plus ou moins éphémère. Le goût du Paul Touvier pour les fiches et les dossiers qui, mis au service d'une mauvaise cause, l'avait mené à cet état de mort-vivant, ne l'avait pas abandonné avec le temps. Il gardait tout, notait tout, classait tout, en conservant les traces dans son impitoyable mémoire. Il ne se coupait jamais et avait l'art de l'esquive et de la fugue lorsqu'une question trop pressante ne lui convenait pas. J'ai écouté Paul Touvier. Trop! diront certainement les censeurs. Ses amis argueront que ses propos ainsi rapportés l'accablent. Ses adversaires trancheront : on ne discute pas avec un traître... « Le temps où les Français ne s'aimaient pas et même s'entretuaient » - c'est ainsi que Georges Pompidou qualifia le temps de l'Occupation lorsqu'en 1972 il évoqua publiquement l'affaire après la Grâce qu'il venait de signer, est loin. Mais les années ont-elles le pouvoir d'absoudre les crimes ? On ne peut en tout cas condamner un accusé sans l'entendre. C'est ainsi qu'il faut considérer ce livre. Et comme un document à verser au dossier de l'Histoire. Claude FLORY Première partie L'ENFANCE D'UN CHEF I L'ENGAGEMENT Touvier. - En 1940, c'était la défaite et toute la France était « maréchaliste ». Dans mon entourage, tout le monde admirait le Maréchal Pétain et moi aussi. Il correspondait tout à fait à l'idée que nous avions, mon père et moi, de l'ordre, de l'ordre chrétien. J'avais assisté à la défaite, à la débâcle, à cette espèce d'anéantissement de la France. J'avais un métier et je tiens à le souligner car on a tellement raconté de choses à pro- pos de mes soi-disant problèmes d'argent... J'étais à la S.N.C.F. Je gagnais ma vie largement. A ce moment-là commence le régime de Vichy, et le Maréchal crée la Légion française des combattants. C'est-à-dire le regroupement des anciens combattants. Étant moi-même un « A.C. » j'entre tout naturellement à la Légion. J'allais dire comme tout le monde. Je pensais que le Maréchal était le Sauveur. Chambéry était alors dans la zone libre, dans la zone non occupée mais qu'on a toujours appelée la zone libre parce que nous étions quand même relativement libres. Le gouvernement du Maréchal était un gouvernement libre à cette époque. J'ai donc été légionnaire tout en continuant mon travail à la S.N.C.F. Je travaillais de jour et de nuit. Puis, un jour, le S.O.L fut créé : Service d'Ordre Légionnaire. On demandait que les « jeunes » anciens combattants se groupent parce que la Légion, c'était une masse qui comptait tellement de monde..