JURISPRUDENCE 387

A VERTISSEMENT Le 13 avril 1992, La Chambre d'accusation de La Cour d'appeL de a rendu dans l'affaire TOUVlER une decision dont nous publions de Larges extraits ci-apres, En raison de /'immense emotion suscitee par ce proces, nous nous abstiendrons de tout commentaire, jusqu'a ce que fa Cour de cassation ait statue, Nous tenons cependant, a cette occasion, a rendre hommage au courage de M, Ie Premier President Pierre DRAL qui a su, au cours de son poignant appel a fa serenite, rappeler aux Fran{:ais fa condition premiere de fa liberte judiciaire, sans laquelle la democratie s'evanouit,

I} /I n'est ni anormal, ni illicite de la part d'associations Cour d'appel de Paris habilitees, ou de plaignants individuels, de provoquer (1'" Ch, d'accusation) Tl1\ ou de solliciter des depots de plainte ou des temoign&­ ges, du moment qu'ds sont sinceres. 13 avril 1992 2} Le defaut de spontaneite d'une plainte, Ie fait qu'e~ Presidence de M, HENNE Ie pwsse etre consideree comme entrant dans Ie cadre d'une operation d'ensemble ne doit pas, a pn'ori, ren­ 1) ACTION CIVILE, - EXERCICE. - FAIT PAR UNE dre sa since rite suspecte. Cependant, il est evident PARTIE CIVILE DE SOLLlCITER LE DEPOT D'AU­ qu' une certaine ardeur polemique, revelee notamment par une propension aux affirmations peremproires ou TRES PLAINTES, - L1CEITE~, aux exagerations manifestes, peut contribuer a la dis­ 2) PREUVE, - MATIERE PENALE - APPRECIA­ crediter, surtout si des elements extrinseques viennent TION DES PREUVES PAR LES JUGES, - CIRCONS­ aussi la ruiner (Irivralsemblances, incoherences, vana­ TANCES POUVANT DISCREDITER UNE PLAINTE. tions, discordances des declarations). 3) PREUVE. - MATIERE PENALE - MODES DE 3} Le conseil de l'inculpe fait justement observer que la diffusion des photographies de I'inculpe par la pres­ PREUVE, - RECONNAISSANCE DE PHOTOGRA­ se a rendu inoperantes les reconnaissances sur album, PHIES SUR ALBUM, - INTERFERENCE AVEC LA car, finalement, les temoins qui ont reconnu, sur I'a~ UBLICATION DE LA PHOTOGRAPH IE DE L'IN­ bum photographique, Ie visage de l'inculpe, ont sim­ JLPE PAR LA PRESSE. - PREUVE INOPERAN­ plement reconnu une photographle qu'ils avaient deja IE. vue dans les journaux. 4) PROCEDURE PENALE. - JUGE D'INSTRUC­ 4} Dans Ie cadre des investigations operees au cours TION, - ECOUTES TELEPHONIQUES, - ILLICEITI~ de I'information aux fins de retrouver la trace de I'incu~ D'ECOUTES VISANT DES AVOCATS, pe, Ie magistrat instructeur a delivre un certain nombre de commissions rogatoires aux fins, notamment, de 5) PROCEDURE PENALE. - CHAMBRE D'ACCU­ proceder ades ecoutes relephoniques, Ces actes, qui SATION, - ARRETS, - NON-LIEU POUR INSUFFI­ etaient utiles, ne sont pas entacMs d'irregularite des SANCE DE PREUVE, - MOTIVATION, lors qu'ils concemment des personnes pouvant avoir des liens avec I'inculpe en fuite. 6) CHOSE JUGEE, - MATIERE PENALE, - EF­ FETS, - REGLE NON BIS IN IDEM. - CONDITIONS Toutefois Ie magistrat instructeur devait s'interdire O'APPLICATION, d'ordonner de telles surveillances des lors que la per­ sonne interessee avait la qualite d'avocat et qu'il n'y 7) PRESCRIPTION PENALE, - PRESCRIPTION DE avait pas lieu de presumer qu'elle pouvait entretenir L'ACTION PUBLIQUE. -IMPRESCRIPTIBILITE DES avec l'inculpe des rapports independants de sa qualite CRIMES CONTRE L'HUMANITE. professionnelle. 8) CRIMES CONTRE L'HUMANITE. - ELEMENTS 5} Dans leurs ecritures, les conseils des parties civiles CONSTITUTIFS, - ELEMENT MATERIEL ET E\E­ expriment leur conviction que Ie dossier foumir la preu­ MENTMORAL ve de la participation de l'inculpe aux faits en cause, mais ils prociJdent davantage par affirmations que par

Journal du 18 jUlr1 1992 3BB GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" sem.)

demonstratkm. Les declarations dont ils font etat. ne - Ie 10 septembre 1946. par arret de la Cour de justice d presentant pas un element probatoire sBrieux, reve­ , a la peine de mort 9t a la confiscation des biens (tome tant un caractere subjectif et conjectural. au apparais­ liasse 1. O. 175); sant comme incertaines et peu significatives, ne sau­ - Ie 5 mars 1947, par arret de la Cour de justice de Chambe raient suffire aconstituer Ie moindre commencement ry, a la peine de mort et a la degradation nationale a Vie. avel de pa3somption de participation aux faits. En conse­ confiscation de taus les biens presents et avenir du condam quence, une decision de non-lieu ne peut qu' etre ren­ ne ILiasse 4. O. 127). due, pour insuffisance des charges pesant sur Ie de­ Touvier est arrete a Paris le·3 juillet 1947, mars, - dans de~ fendeur. circonstances qui ne peuvent que laisser perplexe, tant ene~ 6) Si I'autorite de la chose jugee interdit la reiteration sont. a premiere vue, a peine croyables -. il parvient a s·eva­ der Ie 9 juiUet suivant et. pendant des annees. jl ne peut ehre des poursuites, encore faut-il que ces nouvelles pour­ retrouve. en sorte 'que la plupart des peines prononcees suites visent les memes faits. Mais se pose la question cqntre lui s'eteignent par prescription. de savoir si I'interdiction de reiterer les poursuites pourrait s'effacer des lars que les faits sont poursuivis Le 28 novembre 1971. un decret de grace du President de la sous la qualification de crime contre l'Humanite. Republique dispense T ouvier des peines accessoires a ses condamnations a mort, constituees par la confiscation de ses Le concours de qualifications se rapportant Ii un meme biens et I'interdiction de sejour. Seule subsiste !a degradation fait, au aun meme ensemble de faits, n 'interdit pas la nation ale. reprise des poursuites, - sauf en cas d'acquittement • -, du moment que la nouvelle qualification, articui6e a * * partir des memes faits, permet la protection d'interets, indivlduels au sociaux, differents de ceux qui se trau­ Cependant. sur Ie fondement de la loi n" 64-1326 du 26 de~ vaient proteges dans Ie cadre de la premiere qualifica­ cembre 1964. tendant a cons tater l"imprescriptibilite des cri­ mes contre l"Humanite qui dispose en son unique article que tton. «Jes crimes contre J'Humanite, tels qu'ils sont dtHinis par la 7) Aux termes de la loi du 26 decembre 1964, les resolution des Nations Unles du 13 Mvner 1946. prenant acte crimes contre I'Humanite, tels qu'ils sont definis par la de /a definition des crimes contre J'Humanite, telle qu'~lIe resolution des Nations Unies du 13 fevrier 1946, sont figure dans la charte du Tribunal intemational du 8 aout 1945. sont imprescriptibles par leur nature " des plaintes avec cons­ imprescriptibies par nature. titution de partie civile sont deposees, contre Paul TouvTer. 8) Le crime contre I'Humanite comporte un eiBment materiel et un ei6ment intentionnel. Dans Ie cadre de '·execution d'une commission rogatoire du 2

L' element matenel specifique des crimes contre fHu­ mars 1988 avant pour fin de retrouver TOWler (Liasse 6/1 # D. manite ne se diiferencie pas de celui du crime de droit 394), puis d'une commission rogatoire compfementaire du commun, sous la seule reserve des circonstances spe­ 14 mars 1989 ILiasse 6/6. O. 948) delivrees, rune et rautTe, cifiques de sa commission definies par I'art. 6 C de la au commandant la section de recherche de Paris de la Gendar­ Charte du 8 aoiJt 1945. merie, nHerence etant faite aux mandats d'arre!t decemes dans les trois premieres procedures pnkitees (p. 21 et 22 du Ouant a element moral, alors que Ie crime de droit present arret), Paul Touvier est decouvert au Prieure Saint­ commun implique necessairement. pour etre const~ Joseph. place Sainte-Claire. a 06-. Ie 24 mai 1989, a 8 tue, la simple Intention criminelle, au dol general, r au­ heures 30 du matin lliasse 6/6. O. 989, 990 et 991). teur d'un come contre I'Humanite ne peut se voir qua/~ Paul Touvler est transfere, Ie jour meme de son interpellation a fier alnsi que si ron peut relever, en outre, iJ son Nice, a Paris et il comparai'!, Ie 24- mai 1989, au soir, devant Ie endroit, un dol special, c'est-a-dire un mobile specifi­ magistrat instructeur. que, celui de prendre part a I'executlon d'un plan concerte, en accomplissant de fa90n systemattque les A rissue du debat et dans chacune des procedures, un man­ dat de depot criminel est deceme contre Touvier Paul Ie 26 actes inhumains et persecutions Incrimines, au nom mai 1989. • d:un Etat pratiquant une politique d'Mgemonie ideala­ glque. B. - SUR lES CHARGES: Non-lieu I. - l'attentat du 10 dokembre 1 943 a la synagogue du quai TIlsitt a lyon. Touvier Paul Le 9 fevrier 1973, I'hebdomadaire « La Tribune Juive) Idu 9 au 13 feYrier 1973) publia sous la rubrique c l'affaire Touvier (suite) une photographie de Paul Touvier encadree par !e La Cour. - Decision... texte suivant 10. 72) : « Nous nous sommes faits les achos dans ce joumal des dave­ A. - SUR lES DONNEES DE LA PROCEDURE. /oppements de l'affaire Touvier. Paul Touvier qui etait un responsable important de fa de Nous voudrions rapperer qu'il fut Ie chef regional du 28 service Lyon, disparait au moment de la Liberation. de la Milice a lyon. Sa responsabilite est donc en cause pour taus les pillages, spoliations et crimes commis par la MirlCe. En raison de divers crimes et de/its qui lui sont imputes, plu­ sieurs condamnations sont prononcees contre lui, et il est. en Nous demandons aux personnes qui auraient ete victimes particulier, condamne par contumace, pour intelligences avec directes au indirectes de la Milice de lyon de se mettre en une puissance etrangere au avec ses agents, en vue de favori­ rapport avec Ie Consistoire regional israelite - 13 quai Tilsitt­ ser les entreprises de cette puissance contre la France: Lyon - Tel. : 37.13.43

Joumal du 18 juin 1992 JURISPRUDENCE 189

Sur notre document. une photo de Touvier datant de la perio­ En ce qui concerne les cinq premiers alineas de la plainte qui de de ses forlaits. ) viennent d'etre cites, il convient de foumir d'ores et deja les indications qui vont suivre, tin1es en substance du temoignage A la suite de cet appel. Mme Rosa Vogel, nee Eisner, redigea er du Grand Rabbin du Consistoire Central. Jacob Kaplan (pro­ une attestation, en date du l mars 1973, dans laquelle elle ces-verbal de deposition du 14 novembre 1989 - D. 11211. indiquait notamment (D. 1043 annexe) : L' ensemble de ce temoignage sera evoque ulterieurement (p. ~ Je viens de revoir cet homme blond, au regard sl dur, dans 38 present arret). un journal,la Tribune Julve. qui a publie sa photo, et au merne En 1942, de nombreux Juiis etrangers etaient refugies dans la moment j'ai revecu tout ce passe. Je puis affirmer que c'est synagogue du quai Tilsitt Cet hebergement avart commence bien Paul Touvier, rhomme blond qui a dirige rattentat la a en aoOt 1942 avec I'accord du Grand Rabbin Kaplan qui, selon bombe que fai vecu. ce demier, s'etait entretenu de la question avec Ie Cardinal .Je fais cette attestation d.m!'> r eSDOlr aUf> Paul Touvier sera Gertier (0 1121/11 . juga. pour tout Ie mal qu'il a fait. ) Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1942, la police fran,aise Le 27 juin 1973, Mme Vogel. n6e Ie 13 avril 1930, adressait, arrata les juifs etrangers residant a la synagogue. au Parquet de Lyon une plainte. - assortie ulterieurement de M. Heilbronner. personnalite de premier plan, membre du constitution de partie civile -, pour crime contre I'humanite. Conseil d'Etat, et qui connaissait personneJlement Petain, Ie Elle y reprenait. sans la modifier, 1a teneur de sa declaration II. Chef de I'Etat », interv!nt aussit6t pour protester aupres de sous serment. On ne citera ci-dessous que ce qui a trait, dans l'intendant de police de Lyon, exposant que ces arrestations cette plainte, a I'attentat objet de la presente rubrique (en constituaient une violation du droit d'asile. ~~;~"i:tant les faits du 13 juin 1944, qui serant evoques plus Toutes les personnes arretees furent alors relachees, a I'heu­ 1%, reuse surprise du Grand Rabbin Kaplan. K h::l idant I' occupation de la France mes parents habitaient a Le 23 octobre 1942, Ie Grand Rabbin Kaplan pronon,a un ~yon 13, quai Tilsitt. discours au cours d'une ceremonie de reparation dans !eque! il Mon pere exen;:ait la fonction de gardien du Temple israelite rappelait Ie droit d' asile et la violation dont il avait ete l' ob­ sis egalement 13, quai Tilsitt. jet. Au debut de I'annee 1944 en janvier ou tevrier, alors qu'j! A la suite de cet incident. la synagogue fut placee sous protec­ :aisait tres froid mon pere avait I'habitude de recueillir et d'he~ tion policiere. Deux inspecteurs se relayaient a cet efter. berger des refugies. Le temple etait ainsi transforme, avec raccord du consistoire, en donair. • • Un soir des hommes en civil qui se disaient de la police, vinrent • sonner a la porte du temple pour effectuer un contr61e des Le 13 decembre 1973 (Tome I, liasse I, D. 71) Mme Vogel personnes qui y dormaient. confirma sa plainte avec constitution de partie civile avec quel­ En realite il n"v eut pas de controle, mais les persannes heber­ ques variations au amendements, et certaines precisions. :Jees furent emmenees. Elle situait les faits «un sOlr de ['hiver 1943/1944), et non Jne autre soir il s'agissait d'un vendredi, deux hommes entre­ plus precisement « au debut de rannee 1944, en janvier au ;ent brusquement dans Ie temple en refermant la porte derrie­ fevrier) comme indique dans la plainte. re eux. Elle n'avait pas VU, elle-merne, Paul Touvier ni l'autre hom me l'un etait grand, blond, habille d'une canadienne marron clair, d"ailleurs. lancer les grenades mais, apras les deux detona­ des yeux tres pen;ants. tions, Mme Rosa Vogel, son frare et sa mere, qui se trouvaient toujours a I'interieur de leur logement et n'avaient 'pas ose mandait au second, un homme brun. Quitter la place qui leur avait ete assignee par I'homme blond, avaient vu repasser les deux individus, lesQuels avaient aussi­ :1 nous plaqua contre un mur, rna mere, mon frere et moi, aHa tot pris !a fulte a' bard d'une «traction avant» station nee a 8nsuite au telephone mural et arracha les fils. rentree du Temple. . il alia dans la piece cote et bouscula les personnes qui se a S"etant rendues quelques instants plus tard dans Ie temple. shauffaient autour du phare. Mme Rosa Vogel et sa mere avaient appris que les deux hom­ illes fon;a d'aller a la priere. mes, au run d'eux, apras s'etre postes devant chacune des deux partes permettant d'acceder a la synagogue, avaient Les deux hommes sortirent. lance deux grenades en direction des fideles en priere. occa­ Quelques instants apres, deux fortes detonations retenti­ sionnant des blessures a environ une douzaine de personnes, rent. dont son pere, M. Maurice Eisner, grievement blesse aux jam­ bes, qui fut transporte et soigne pendant quelques jours a Je viens de revoir cet homme blond au regard si dur dans un l'h6pital Grange Blanche a Lyon. lournal « La Tribune Juive) qui a publie sa photographie. Le lendemain, Mme Vogel avait accompagne sa mere au C0m­ En un instant, j' ai revu taus ces faits. missariat de police pour faire une deposition. Je puis affinnerque c'est bien Paul Touvier !'homme blond qui Aucune trace de cette plainte n'a d'ailleurs pu etre retrouvee a dirige rattentat a la grenade que je viens de relater et qui fit aux archives de la police Iyonnaise. olusieurs blesses dant mon pere. Au cours de son audition du 13 decembre 1979 (D. 71, p. 2, Le lendemain, rna mere s'est rendue au commissariat de poli­ in fine), Mme Vogel fit etat d'un article publie dans, La Tribu­ ce dans Ie quartier de Saint-Jean pour y faire sa deposi~ ne Juive » au sujet d'un livre dont r auteur etait Ie Grand Rabbin !Ion. ) Kaplan qui se trouvait justement parmi !es fideles lors de I'at­ • tentat. Mme Vogel mentionna Que Ie Grand Rabbin pnkisait que I'attentat s'etait c passe exactement Ie 10 decembre • • 1943 ).

Jal,irr.a! du 18 jWn 1992 390 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" sem.)

En fin de deposition, Mme Vogel declara qu'elle pouvait« affir­ Les declarations de Mme Vogel qui avait un peu plus de 13 mer avec une certitude absolue que run des deux hommes, ans 1/2 au moment des faits denonces, dONent etre rappro­ celui qui dirigeait I'operation, etait Touvier Paul », Elle ajouta : chees de celies. deja partieliement citees. du Grand Rabbin « J! etait grand. blond. habiile d'une canadienne marron clair. Kaplan qui, lui, vena it d'avoir quarante-hult ans a la merne Je j' ai reconnu des que sa photo a ete publiee dans ce journal date, et dont les souvenirs ant fait robjet de relations ecrltes, I/.. La Tribune Juive» en 1973 ». - la plus ancienne remontant a 1952 -. et dont on ne voit pourquoi on ne leur accorderait qu'un credit attenue. au motif Entendue a diverses reprises par la suite Mme Vogel devait releve dans Ie Requisitoire definiti! (p. 127) que son recit con firmer ce fEkit 8t sa conviction que Paul T ouvler etait bien contenu dans ses deux livres aurait un ( caractere essentielle­ run des deux hommes du 10 dacembre 1943 La teneur. de ment litteraire) : I' argument doit etre Bcarte des lars que /' au­ ses declarations sera indiquee ci-dessous. teur de ces ceuvres n'a jamais concede qu'il s'agissait. SI peu • que ce fut, d'ouvrages de fiction. II convient, au contraire, de • • leur accorder la plus grande valeur, alors que rauteur est a )'evidence un homme de vaste culture, de grande experience, Le 20 septembre 1989. Mm,; Vogel etait entendue par Ie Juge qUi a au des responsabilites considerables, a subi des epreu­ d'jnstruction (D. 1043). Elle fournissait les precisions suivan­ yes dramatiques et ne peut etre suspecte d'etre anima d'un tes . autre destr que celui de dire la verite. Une premiere Intervention de la police eut lieu la synagogue a Une observation liminaire doit etre faite: les souvenirs de non pas au debut de!' anne€: 1944, comme eUe avait indique r Mme Vogel. et ceux du Grand Rabbin Jacob Kaplan qui vont dans sa declaration sur I'honneur, mais en decembre 1943, etre 8vOqueS ci-dessous, portent sans aucun doute sur les com me cela avait ete rectifie devant Ie magistrat insrructeur Ie memes faits considen§s globalement. - un attentat antisemite 13 decembre 1979. Cette premiere intervention fut Ie fait de a la synagogue - mais il est evident qu'ils ont ete per~us par la police fran<;:aise. \es deux temoins, materiellement, sous des points de vue difH Les personnes arretees alors, done, selon eUe, en decembre ferents. 1943, furent relachees la suite d'une demarche effectuee a La jeune Rosa Eisner a vu Ie debut et la fin de cette operation, par Ie President du Consistoire et M, Raben: Lehmann. - r arrivee des deux hommes et leurs premiers agissements -, Robert Lehmann etait une personne dont T ouvier devait par la puis apres Ie bruit des detonations, leur fuite en voiture. suite occuper l'appartement lors de son sejour Lyon. Robert a Le Grand Rabbin Jacob Kaplan, lui, a vu la seconde sequence Lehmann fut, toujours selon e1le, arrete et porte . il mourut de et entendu les explosions et les n§actions immediates qu'elles en deportation ainsi que sa mere. ont suseitees. Le jour de l'attentat, les poiiciers qui, habltuellement, se re­ Son temoignage, pour !'essentiel, ne vient done pas comredi­ layaient toutes les quatre heures au, en tout cas, intervalle a re celui de Mme Vogel, nee Eisner, - mais il ne Ie confirme pas regulier, etaient en retard, sans qu'e!le put dire s'il exista!t un non plus, dans ses details, pour la raison, que, dans leurs rapport entre I'intervention des deux hommes et I'absence positions respectlves, ils n'ont pu voir la meme chose. des pollciers de garde, et la porte de la synagogue erait Quver­ te, comme taus les vendredJs soirs pour la priere. 11 faut observer en outre que Ie Grand Rabbin Jacob Kaplan s'esr. apres rattentat. com me il etait pariaitement normal. Les hommes se trouvant dans la petite p;ece attenante a lIvre a des investigations personnelles dont il a consigne !es I'appartement des gardiens etaient au mains dix, car c'est Ie resultats - ma)heureusement negatifs Quant la determina­ nombre minimum pour la priere a tion des coupables - dans ses ecrits. La ph en noir et blanc de Touvier publiee dans la« Tribune ow Entin, il est remarquable que, sur un certain nombre de points Juive » du 9 au 13 fev(ler 1973, ne lui permettait pas d' eva­ importants, Ie Grand Rabbin Jacob Kaplan ne fait pas credit luer la taille de l"homme, mars son regard, qu'elle avalt remar­ aux declarations de Mme Vogel, pour des raisons qu'it expose que, eBe ne pouvait I'oublier. avec beaucoup d'esprit critique, de minutie et de scrupule, en C est sur les conseils des poiiciers, qu'elle avait accompagne, sorte que Ie caractere probatoire de r ensemble des dires de Ie lendemain, sa mere au commissariat de police de la rue du Mme Vogel s'en trouve annihile. Boeuf pour porter plainte. • • • Recit du Grand Rabbin Kaplan. Le 11 octobre 1989, Mme Vogel confrontee avec Touvier II convient de rappelsr, avant de citer textuellement les extraits (0 1114) declara notamment : essentiels de ce recit, Que Ie Grand Rabbin Kaplan avait per~ sonneUem·ent un passe militaire prestigieux (decon~ de la « La personne ici presente a un front bombe et les cheveux croix-de--guerre en 1916, nomme Chevalier de la legion coiffes en arriere cemme celle en presence de qui je me suis d'honneur a titre militaire en 1940 ... ), et que les indications trouvee Ie 10 decembre 1 943 dans la loge de la synagogue qu'il fournit sur !es explosions sont celles d'un homme d'axpe... ou j'habitais avec mes parents. Cependant, les yeux me sem­ rience en cane matiere. blent moins mechants et Ie regard est plus adouci. Cepen­ dant. 51 la personne iei presente est bien la personne figurant Extraits du proces-verbal de deposition du 14 novembre 1989 sur fa phoro qui a ete publiee dans la Tribune Juive du 9 au 13 (0. 1121) Mvner 1973, elle est bien celie qui est intervenue Ie jour des faits et Qui a lance les grenades dans Ie Temple. ) « (S.I.) En ce qui conceme rattentat du 10 decembre 1943. il • Y avait encore de tres nombreux juifs qui participaient aux • • ceremonies a la synagogue. Je me souviens bien de cet eve­ nement; c'etait Ie Shabbat at nous et/ons en train de chanter Paul Touvier nia categoriquement avoir participe, de quelque la derniere strophe d'un cantique (Viens fiancee, viens fian­ maniere que ce fut, a cet attentat qu'i! declara desapprou­ cee J, et. a ce moment-la, taus las fideles sa toumsnt vers Ie ver. fond de la synagogue. donc vers les portes d'entree. Ce jour~a • moi-meme, j'etais rabbin et M. Dreyfus eta!t Ie ministre offi­ • • ciant.

Joumal du 18 juin 1992 JURISPRUDENCE 391

(S.I-)Apres !"attentat qui a eu lieu, rai fait une enquete. notam­ II avait rem is au magistrat une photocopie des p. 78 et suivan­ . ".lT16nt aupras du concierge dont je ne me rappelle plus du nom. tes. de son livre «Justice pour la foi juive) paru en 1977 , C;est ains! que fai pu relater les circonstances de j'interven­ (D.217) tion des individus qui selon moi, etaient au nombre de trois; je _ oe peux pas affirmer Ie nombre exact des assaillants. Yat II resultait de ce texte que personne, a I'epoque, ni en 1977, , compris par la suite qu',1 yen avart un chez Ie concierge; un n'avait pu savoir, ou ne savait. qui etaient les lanceurs de autre, dans la cour, qui empechait les gens d'entrer dans la grenade. mais qu'il etait evident que les assaiUants avaient synagogue, pour prevenir ceux qui s'y trouvaient: et enfin soigneusement prepare leur acte et que toutes les mesures celui qui a lance les grenades dans la synagogue. Je rappelle avaient eta prises par eux : lis avaient ferme la grande porte que je n'ai pas pu, moi-merne, voir les circonstances exactes grillee de rentree, avaient penetre dans la loge du gardien et du deroulement des faits. car j'etais au fond de la synagogue. avaient immobilise ce dernier sous la menace· de leurs armes, Ce jour-la, la plupart des fideles etaient surtout vers I' avant de puis coupe les fils t!:§lephoniqves; certains d' entre eux ia synagogue c'est-a-dire vers« rarche sainte» et au moment s'etaient postes dans la cour, afin d'empecher de donner ou il y a eu les explosions, de la place au r etais. j' at cru quO on l'alarme a l'interieur de la synagogue. tirait sur nDUS ala mitrailleuse. l' ai entendu trois explosions. les • unes derriere les autres, j' anendais une quatriemt, explosion, * • laquelle n'est pas venue, et fai crie: c'est fini, J'ai meme dit qu'on pouvait continuer roffice mais c'est alers que j'ai appris A la lumiere des indications fournies par ce temoignage, iI qu'd y avait quelques blesses legers et il a bien fallu s' en oeeu­ apparait en premier lieu que les souvenirs de Mme Vogel sont per. marques par des insuffisances, des incertitudes, des inexacti­ (S.I,) Vous me faites savoir que Mme Vogel relate qu'a cote de tudes, et des invraisemblances manifestes la loge, sous la porte d'entree de la synagogue. se trouvait une Pour Mme Vogel, I'homme blond etait grand, alors que Tou­ piA.ce au quelques hommes faisaient leur priere pres d'un vier est de petite taille, mais il est vrai que, comme elle etait { . ie pour se nkhauffer: j'avoue que j'ignorais I'existence de fort jeune, H a pu lui paraitre grand. ( mdroit de priere ; Ie concierge que j' ai interroge a repoque nc In'a pas parle de c;a ; et cette histoire de priere qu'on fait a Ouant a !'intervention policiere avant pnkede I'attentat. Mme part m'etonne. Vogella situe dans Ie temps, dans ce qu'on pourrait appeler une« fourchette» de plus de quinze mois . elle la fixe d'abord (S.I.) De meme il m'etonne que les hommes qui ant ete« sor~ en janvier ou fevrier 1944 .. puis ensuite en decembre 1943, tis de cette piece et» (note de la Cour: il convient de lire: puis six mois environ avant r attentat, soit en juillet 1943; «aient ete ») «conduits dans la synagogue, car je pense quO a enfin, eUe concede qu'elle a pu se produire en octobre 1942 ~e moment-I a nous aurions ete prevenus de ce qui n' allait (D. 1114/5. p. 6. Ilgne 15) puisque tel est Ie temoignage du pas. ) Grand Rabbin. (S.I.) Je ne peux absolument pas dire qui est a l'origme de Elle ne se souvient pas de la ceremonie de reparation qui a cette inteNention dans la synagogue .. suivi cene operation de police (23 ocrobre 1942),

i (5.1.) Je ne peux pas vous dire pourquoi Mme Vogel ne m'a Elle fait etat. a la suite de ce grave incident, de l'intervention de pas prevenu ou contacte apres la publication dans la Tribune M, Robert Lehmann alors que selon Ie Grand Rabbin Kaplan, JUlve de 1973 de la photo de Touvier qu'eUe auralt reconnu c'est en realite M. Heilbronner qui est intervenu, lequel, pour comme tHant run de ses agresseurs. Pour rna part, ie ne me Ie temoin, n·avait nul besoin d'§tre seconde par quiconque souviens pas d' avoir vu la photo que vous me presentez au­ dans sa demarche. lourd'hui et qui a ete publiee dans ce journal. A I'epoque Ie Dans sa declaration sur rhonneur du 1 er mars 1973, elle nom de Touvier ne me disait rien. mentionne ce Lehmann, sans indiquer qu'it s'agit de celui dont l'appartement aurart ete oecupe par Touvier. (S.I.) Les victimes de cet attentat n'ont ete que legerement F ,sees'; celui qui a ete Ie plus gravement atteint est celui qui En 1989, eHe precise, sur interpellation que Lehmann est celui \. ,,;;o~ '4 de sortir par une fenetre et. en sautant. s' est bless€! au dont Paul Touvier a occupe I'appartement. qu'it a ete deporte pit Ije ne «crois pas que ce bless€: etait Ie gardien de la et qu'il est mort en deportation. synagogue ». S'il y a eu si peu de blesses e' est que I'individu Puis a la suite de certains elements de !'information qui lui sont s 'est debarrasse des grenades pnkipitamment au moment ou donnes par Ie juge au sujet de Lehmann qui ne fut pas de porte nous etions toumes vers Ie fond de la synagogue c'est-a-dire et etait encore vivant lors de la Liberation, elle parait retentr face cet agresseur. a ridee qu'il y a pu y avoir un autre Lehmann (D. 1114/41. dont elle ne fournira pas d'ell:§ments d'identification et qui aurait ete IS.!.) Vous me faites savoir que Mme Vogel et sa mere se sont deportee rendues au commissariat de police pour porter plainte a la suite de eet attentat; j'ignorais totalement cet element. je ne Elle fixe initialement r attentat a la grenade au debut de I' annee crois pas que Ie consistoire a porte plainte a cette epoque car 1944, puis, apres la publication du livre du Grand Rabbin eela n'aurait pas pu se faire sans mon intervention. Kaplan, rectifie en retenant la date du 10 decembre 1943. IS.!.) II est exact que lorsque !"attentat a eu lieu, les gardiens En ce qui eoneerne les instants qui ant precede /' attentat. poljeiers etaient absents; d'ailleurs cela m'a surpris car je selon Mme Vogel, I' un des auteurs de r attentat avait la main ravais constate en arrivant a la synagogue. A la suite de eet dans la poche, faisant mine de tenir une arme de pOing, mais attentat il n'y a pas eu de renforcement de la surveillance. Je sans la mantrer. Elle n'indique pas qU'el!e a devine ou merne crois bien meme qu'il n'y a plus eu de surveillance du tout. car suppose, apres coup, la presence des grenades sur les agres­ 11 n'y a plus eu de service religieux, nous avions trop peur). seurs qui n'etaient que deux selon elle. lIya lieu de remarquer que, des 1982.le Grand Rabbin Kaplan Mais pour Ie Grand Rabbin Kaplan, present au moment de avait indique au juge d'instruction d'alors (D. 2161 que ( com­ I' attentat. les auteurs de cet attentat etaien!. au moins, au me je vous I'ai dit au telephone.la communaute juive de Lyon nombre de trois, et un seul a penetre dans !a synagogue pour y n'a pu savoir quels ant ete les coupables de I'attentat contre la jeter trois grenades, lesque!!es ant ete lancees successive­ synagogue du 13 quai Tilsitt commis Ie 10 decembre ment, ce qui donne effectivement a penser qu'j! n'y avait 1943 •. qu'un seullanceur.

Journal du 18 Juin 1992 392 GAZETTE DU PALAIS - 1902 (I" sem.)

Selon Mme Vogel. I'homme blond avait fait sortir. d'une piece elle ; ensuite nous avons telephone au Grand Rabbin Kling aL attenante a I'appartement de ses parents, au mains dix hom­ numero de telephone qui figurait sous la photo pour indiquel mes, qui etaient, en cet endroit, en priere, pour les envoyer ce que nous savions. :it prier dans la synagogue. Selon Ie Grand Rabbin Kaplan, il ignorait r existence de cet endroit non sans ajouter «cette Si I' on se refere main tenant aux declarations de Mme Voge histoire de priere qu'on fait a part m'etonne). lors de I'emission« Le Journal inattendu ) de R.T.L. Ie 24 mar~ 1973 (Tome III, liasse 7, D. 1043/31). - qui lui furent donnee, Selon Mme Vogel, il y a eu des blesses graves, dant son pere. a entendre Ie 20 septembre 1989, sans observation particu· Selon Ie Grand Rabbin Kaplan « les victimes de cet attentat liere de sa part, - il apparait que la decouverte de la photogra· n'ont ete que legerement blessees •. phie dans Ie journal I' avait particulierement emue : Mme Vogel n' a aucun souvenir de la visite que Ie Grand Rabbin « Et de puis que j'ai vu cette photo, j'ai presque revecu pen· Kaplan fit aux gardiens. ses parents, et de J'enquehe qu'i! dant huit jours, huit jours consecutifs, cette (sang lots). cette commen93 apres r attentat. scene tragique:t. Elle ne fut pas interrogee lors de cette enquete alors que, Or, i1 apparait, en realite, que ce n'est pas la decouverte de Ie selon eUe, elle etait run des principaux temoins de ratten­ photographie de T ouvier qui a motive Ie depot de la plaintE tat. mais que celle-ci etait anterieurement programmee et ce, de~ 1972, si I"on en crait les dires de M. Jean Mercier qui a etE Selon Mme Vogel. sa mere et elle-meme se rendirent au com­ entendu par Ie magistrat instructeur Ie 26 juillet 1990 (tome missariat Ie lendemain de I'attentat. mais Ie Grand Rabbin XIII, liasse 17, D. 1453) ignorait totalement cet element, et il a indique que Ie consistoi­ re n'a, selon lui, pas porte plainte a I'epoque, car cela n'aurait Ce demier expliqua qu' ayant appartenu a la Resistance duran! pu se faire sans son intervention. En tout cas, comme il a ete la guerre. i! avait. avec ses compagnons, cree en 1972 IE Indique Supra aucune trace de la deposition n'a pu etre retrou· comite de liaison de la Resistance de la Savoie « pour r affaire vee. Touvier specialement •. Mme Vogel n'a pas de souvenir de la ceremOni8 qui eut lieu la «Cest dans ces conditions, poursuivait Ie temoin, que nous semaine suivante, - Ie 17 decembre 1943 - pour celebrer la avons redige Ie memoire intitule « Memoire pour depot d'unE protection divine dont les fideles avaient beneficia lors de rat­ plainte », - que je vous presente -, en 1972, et qu'avec Me rentat. Girard Madoux, avocat, nous avons decide de porter plainte contre Touvier et que M. Charvier, MM'. Munos Raja, LOpele! Au vu de ces elements, il apparai't en definitive qu'on ne peut Robert Nant se sont constitues partie civile ainsi que M. Re­ retenir comme une charge suffisante I'encontre de Touvier a vel ». un temoignage unique provenant d'une personne qui n'avait pas quatorze ans a repoque des faits; qui a reconnu, sur Le temoin versait au dossier Ie document precit6 (0. 1453; photographie, celui qu'elle accuse, trente ans plus tard ; qui a 3.45.6) duquel II resulte que Ie cas de Mme Vogel y eS1 maintenu, non sans reserve, son identification, plus de qua­ evoque, en avant demiere page, sous rubrique n" 4 (0.1453/ rante~cinq ans apn3s, lars d'une confrontation, et ce alors que 5). La date de 1 972 indiquee par Ie temoin n' est pas une I'ensemble des dtklarations de cette personne est manifeste-­ erreur puisque Ie document, qui n'est pas date demande, in ment remp!i d'incertitudes, de variations, de contradictions. fine,« que justice soit rendue aregard d'un homme qui depuis 27 ans (note de la Cour: 1945 + 27 - 1972) fait preuve d'un Le seul fait qu'elle affirme reconnaTtre en Touvier I'un des deux dtHaut de courage wta] et du mepris dans lequel il tient les hommes ayant fait irruption dans la synagogue Ie soir de ('at­ Instltutions de son pays •. tentat n'est done pas decislf. • 11 n' est donc pas impossible que Mme Vogel ait ere influenceE • • pour presenter son temoignage dans un climat de vive emo­ tion personnel1e de nature aen accroitre la credibilite. 11 n'y a IE Mais si Ie tl~moignage de Mme Vogel parait intnnsequement qu'une hypothese, aucune concertation n'etant a propremenl fragile, il convient de se demander aussi dans quelle mesure il parler demontree ni demontrable, mars Ie fait qu'elle soit plau­ est spontane et dans queUes conditions extrinseques il aurait sible, cree un malaise propre a discrediter les affirmations dE pu etre suscite. ce temoin, meme Sl on ne peut, sur Ie fond contester!a realit€ probable de certains de ses souvenirs. Dans son anestation precitee du 1 er mars 1973, ainsi que dans sa plainte deposee Ie 27 Juin 1973 dans laquelle eife • reprend !a teneur de ce document, eUe s' exprime litteralement • • en ces termes: «Je viens de revoir cet homme blond, au H faut considerer en outre que, de bonne heure, souS roccu regard si dur, dans un journal « La Tribune Juive) qui a publie pation allemande des attentats furent eommis contre des sy· sa photographie) - dans Ie numero du 9 au 13 tevrier nagogues, et que nombre d'entre eux furent apparemmen 1973. commis par certains elements de la police allemande, comm( 11 est manifeste que Mme Vogel presente sa decouverte de la Ie rnentionne, sans etre utiJement contredit par les partie! photographie de T ouvier dans I'hebdomadaire cite comme un civiles, Ie defenseur de T ouvier dans Ie memoire n3gulieremen facteur essentiel de son initiative, - et de rediger I'attestation, produit - Qui cite en particuJier a ce sujet (p. 20 du memoire, et de porter plainte. des ouvrages d'Annie Kriegel, de J, De!arue (sept attentats 1 I'explosifs furent commis en 1941 contre des synagogue! Cela est si vrai que Ie conseil de Mme Vogel, partie civile, parisiennes), et de I'ecrivain allemand Ernst Junger, suggera au magistrat instructeur, lorsqu'elle fut entendue Ie 20 septembre 1989, de proceder a I'audition de M. Vogel. au La Cour ne pourra done, au sujet de cette affaire, que rendn sujet des ( reactions de son epouse !orsqu'elle a decouvert la une decision de non-lieu, et ce, nonobstant les simples affir photo de Touvier dans Ie journal), mations presentees dans les ecritures des parties civiles QI,. consistent essentieUement a tenir pour acquis, sans aucur De fait M. Abraham Vogel fut entendu immediatement Ie examen critique, taus les dires de Mme Vogel et s'averen meme Jour (0.1044) et declara (SI): inoperantes et mal fondees au vu de I' ensemble des observa lions qui precedent (Elle s'est mise a crier: c'est lui, c'est lui qui ajete la bombe. Sa reaction a ete si brusque que je me suis fait du sauci pour

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JURISPRUDENCE 393

III. - l'assassinat des epoux Basch. Peu avant, certains temoins avaient entendu Victor Basch dire a son epouse :« Ou sont mes ordonnances? », ce qui laissait Dans la matinee du 11 janvier 1944, les cadavres de Victor presumer un depart imminent. Basch. president de la Ligue des droits de I·homme. et de son epouse, nee Helene Furth, ages taus deux de 81 ans, €itaient Quelques minutes plus tard, les epoux Basch furent emmenes decouverts sur Ie territoire de la commune de Neyron (Ain), au par leurs ravisseurs et contraints de monter a bord d'un vehi­ lieu-dit « Le Barrye », a dix metres de la route nation ale Lyon­ cule stationne a proximite. Geneve (tome XIII -liasse 19 - cote D. 1444/9 - s/cote n" 3 M. Victor Basch, tras souffrant, marchalt encore difficilement - proces-verbal de Gendarmerie n" § du 11 Janvier 1944 de la et etait soutenu par deux hommes. Brigade de Gendarmerie de Sathonay). L'enquete operee aupres de la famille des epoux Basch taisait Sur les corps qui presentaient. au niveau de la tete. des traces apparaltre que, de confeSSion Juive, lis menaient une vie tres evidentes de blessures par arme feu, avaient apposes a ete retiree Caluire ou lis, s' etaient refugies apres que les Alle­ des ecriteaux manuscrits revendiquant Ie double meurtre au a mands eurent tente de les arreter a leur domicile parisien en nom du i( Comite national anti-terroriste de la region Iyonnai­ Juin 1940. S8» et componant !a formule suivante : «Terreur contre ter­ reur - Ie Juif paie toujours. Ce Juif paie de sa vie I'assassinat­ D'origine hongroise et naturalise franc;:ais a rage de 20 ans, d'un national. A bas de Gaulle et Giraud - Vive la Fran­ Victor Basch, professeur honoraire a la Sorbonne, etair presi­ ce !» dent de la Ligue fran~aise des draits pour la defense des draits de rhomme et du citoyen. dlte communement « Ligue des L' autopsie de Victor Basch faisait appara'i'tre que ce dernier droits de !'homme)} f:r ,~i{ ete atteint par deux projectiles, run au niveau de la nuque autre, tire a tres courte distance, au niveau de la region T outefois. depuis juin 1940, II ne se Ilvrait plus a aucune 'ale. II presentait egalement a rarriere du crane, une plaie activite publique. :;'._,'; enfoncement provoquee par I'action d'un instrument contondant manie avec force. Ayant subi en mai 1943 une lmportante InTervention chlrurgi­ cale, il se traul/ait dans un etat de sante precaire en ce qui concerne Mme Victor Basch, I'autopsie etablissait • qu' eHe avait egalement ete blessee par deux balles tin~es au -'"lIVeau de la joue gauche, Un coup violent lui avait d' autre part • • eTe porte par un instrument contondant au niveau de la rE?gicn De nouvelles investigations ataient emreprises a la liberation, aarieto-occipitale gauche. dans ie cadre c'une Information ouverte Ie 13 judlet 1945, du chef d'intelligences avec I'enneml, devant la Cour de justice Les tempins interroges dans Ie cadre de I'enquete de voisina­ de Lyon. ge effectuee proximite du lieu de decouverte des corps re a Cest dans ces conditions que I'un des auteurs du double pouvaient apporter d'element d'information exploitable. me:.;rtre pouvait etre identifle: i! s'agissait de Joseph Lecus­ L'un d'eux declarait avoir entendu, vers 20 heures 30. une san, ancien officier de la Marine, et chef regional de la Milice serie de coups de feu, puis, quelques instants plus tard, Ie de Lyon, condamne, Ie 25 septembre 1946, a la peine de oruit du moteur d'une voiture sans pouvoir en preciser la dlrec­ mort pour intelligence avec I' ennemi, et execute. :Ion. !! ressort du rapport dress€! par :e cornmissaire de Police Judl­ , ajoutait que les forces d' occupation S8 livralent souve:"1t a Claire Sondaz, en date du 27 septernbre 1945, que Joseph des exercices de tir dans cette region et que ces bruits ne ::';1 Lecussan, avait declare qu'ayant ete informa que Victor Basch avaient done pas paru anormaux. atait a Lyon, II avail decide de Ie falre arreter par la Police alle­ mande • • • « Mis en relaticn avec Ie lieutenant Moritz de la Gestapo, II hr part a cet oHlcler allemand de ce qu'!! venalt d'apprendre et lUI :"es ,nvestigations eHectuees par les enqueteurs permettaie~t demanda d'arreter M Basch j'etablir que les epoux Basch avaient ete enleves dans les Moritz fut immediatement d' accord er I' arrestation fut decldee :irconstances suivantes : pour Ie merne soir La veilie, 10 janvier 1944. vers 19 heures 30, un groupe Entre-temps, Lecussan a reclame un nomme Mace LOUIS, .j'individus armes avait penetre dans la propriete occupee par a delegue regional au service des societes secretes a Lyon de lu! 'es Basch et sise a Caluire (Rhonel. 116. Grande Rue de Sa,nt­ Clair. apporter une photographie de M. Victor Basch. Mace vint done avec la photographie, dans les locaux du Pendant que la concierge et les deux locataires etaient neutra~ Progres, rue de la Republlque Lyon, Lecussan avait son .!ses, p!usieurs individus penetrerent dans l'appartement de a au bureau; il y rencontra, outre Lecussan, Ie lieutenant Moritz, M. Basch. Selon les constatations materielles operees. une Gannet Louis-Henri_ fouille minutieuse des lieux avait ete menee par les ravisseurs, iesquels se trouvaient tres probablement a la recherche de Accompagnes de plusieurs aut res mihciens parmi lesquels documents. puisqu'une- somme d'argent qui se trouvait sur Cottaz-Cordier. chef departemental adjoint de la Miliee du place avait ate delaissee. Les fils du telephone du domicile des Rhone. taus partirent dans trois voitures automobiles a Caluire victimes avaient ete arraches. pour proceder a I'arrestation de M_ Victor Basch. les recherches d' empreintes effectuees sur place devaient Arrives chez ceiui-ci, Lecussan et Moritz effectuerent une rapl­ s'averer totalement vaines. de visite domicliiaire, tandis que les autres membres de I'expe­ dition neutralisa!enr les autres locataires de la maison. Les temoins ne pouvaient fournir aucun signalement precIs ~e~ auteurs des faits, si ce n'est qu'il s'agissait d'hommes Au moment d'amener M. Victor Basch et sa femme, Ie lieute­ ages de 25 a 30 8ns, vetus de tenues civiles correctes et nant Moritz, trouvant ceukci trap ages pour etre arretes, de­ s'exprimant en franyais sans accent. clara a Lecussan qu'il n'y avait qu'a ies «Iiquider ». Environ 45 minutes apres leur arrivee, ces individus se retire­ Lecussan accepta et partit en compagnie de Gannet emme­ 'C!nt de la propriet€: emmenant !es epoux Basch nant dans la 'loiture merne de Moritz les deux lJieiliards.

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Apres quelques minutes de chemin, la voiture stoppa et M, Ensuite, il (Moritz) s'est tourne vers mOl et m'a dit: ils S( Victor Basch 8t sa femme furent invites a descendre. Des trop vieux pour que je les emmene, il faut. et je vais, qu'tls eurent fait une dizaine de mEmes dans un petit chemin, iiquider. Ma reaction tout de suite a ete pour la femme. , Lecussan tira deux au trois coups de feu sur M. Basch tandis dit: non, pas la femme, Et je rai n:§pete a p!usieurs repris que Gannet tirait sur Mme Basch. Gannet tira meme sur Ie Montz a dlt : non, tous les deux (debats p. 39) ,. premier qui avait deja rauie a terre. A propos de ses aveux passes ala Police judiciaire et retrac Lecussan avant de partir. deposa sur Ie corps de chacune des devant Ie juge d'instruction, Lecussan deciara a son p vic times un Befit intitule « T erreur contre T erreur ) que Moritz cas: avait n§dige de sa propre main. dans la m3ison des epoux « Je dis la verite. Voila pourquoi j'ai signe cette'depositio Basch. lorsQu'on m'a interroge U.I-dessus, la premiere fois au B,S. Le commissaire de Police judiciaire concluair son rapport en (Bureau de la stkurite du territoire) de Lyon, on m'a dit: C'E ces termes . vous qui avez tue Victor Basch. J' ai dit oui tout de suite, pc en etre debarrasse ; j'-f:hais dans un etat physique et mo Ainsi -qu'i! Ie reconnait lui-merne, Ii ne fait 8'.Jcun davte que completement deficient je n'avais aucune nouvelle de r LE~cussan Joseph soit !'auteur du meurtre de M. Victor mere et de ma femme, j'etais une loque, Je savars par ailleL Basch qu'iJ y avait certaines methodes d'interrogatoire que la Poii, Oe meme il apparait certain que Gannet Henri, actuellement Judiciaire employait. fusille, alt ete Ie meurtner de la femme du prementionne J' ai vu a la prison trois suicides a huit jours d'interva!!e L' affaire parait bien s' etre passee de la fa\=on dont l'lndique Le­ l'inrerrogatolre par les autorites militaires. cussan » Si je suis revenu sur mes declarations. c'est que je disais a Parmi les membres de !'expedltion, Joseph Lecussan a cite ies moment-ia la verite, que je n' etais plus sous la dependance noms de LouIs Mace, de Maurice Couaz-Cordler (chef de par­ la Police judiciaire, mais sous celie du juge d'instrucrion, temental adjoint de la M'llice du Rhone, condamne a mort Ie 8 c'est a ce moment-I a que j'ai dit la verite. J'avais reagi, je r mars 1945 et execute). d'Henri Gannet (chef du 2e Service portals mieux » departemental de la Milice du Rhone, condamne a mon: Ie 15 Oans son requlslto1re, Ie commissaire du Gouvernement Tr septembre 1944 et eXeCUH?) et de Georges Lagron (membre mas deciara de la Franc-garde de la Milice Iyonnafse, condamne a mort par contumace Ie 20 Juillet 1945, aCq~ltte Ie 23 judlet 1949 et « Mals il est Incontestable qu'ayant denonce Victor Basch decode en 19721 sa femme a ia Gestapo, Victor Basch et sa femme avant e assaSStneS la meme nuit, Lecussan est la cause directe Interroge a nouveau Ie 20 oc~obre 1945, mais cette fOIS Daile certaine de leur mort Illes a vralsemblablement tues, d'apr Juge d'lnstructJon de la Cour de just;ce de Lyon, Joseph Lecus­ ses aveux, ma:s merne s'jj ne I'avait pas fait, allerl.es denonc san confirma avo" particlpe I' arrestation des epoux Basch: a Bra!t sufflsant » (debars, p. 182) en compagnie de plusieurs milic!ens, dont Gennet et Cottaz­ Cordier, de LOUIS Mace et d'un de ses amis personnels, Krot­ A )a question du preSident. « Lecussan, avez-vous af.Jtre ch tof {engage en rrars 1944 aans la vVaffen-S.S. e, mort sur Ie se a aiouter pour '/otre defense? », Lecussan fit cette dec1ar front de rEst), mals nia tourefo!s fermeliemenI avoir tue M tlon finale Victor Basch, nl meme aVOlr ete present sur les [Ieux du double « On me reproche deux categories ae faits, ies uns, je les cnme reconnus en route loyaute, et je ne cherche pas a eVlter n II expliqll21 ou'aL: '":1oment de I'arrestatlon des vietlmes, Ii avait responsabliltE~ , les autres, jE les nie absolument. rente de s' opposer au prOler de Montz visan: a assassiner Malntenant, en ce qui concerne M. Basch, je regrene inrir Mme Helene Basch, mais n'avait manifeste aGcune reproba­ tion en ce qui concerne M Victor Basch, [equel, selon lui, ment ce qUI est amv€!, Sl (avais EHe tout seul, c;a ne S8 ser, merit81t amplement la mort pas term,ne par un assasslnat» (debars. p, 243), La seule question po see au JUry de la Cour de justi"ce fur la Sl Lors de son prod~s, Lecussan sans nler sa part de responsabi~ vante . lite dans Ie doubie assassinat auquei II n'avait pas partlcipe, selon ses dires, appona d'autres elements. Seion lui« ce jaur­ « Lecussan est-il coupable d'avoir, sur Ie territoire franc;ais,! la, Ie 9 ou 10 Janv:er (.. ,) on est venu me dire: Victor Basch est temps de guerre, de puis Ie 16 juin 1940 et jusqu'en 19' a Lyon. J'ai cru qu'j! venait de s'y instai!er, alors que, je rai su notamment. entretenu des intelligences avec !' ennemi ( depuis, il y habitait depuis 1940 (procas Lecussan, dacty!o­ avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cet graph Ie des debats, p. 34-35) puissance contre la France? »

J'ai dit a Moritz que Victor Basch etait a Lyon. II m'a n§pondu - La reponse fut I! oui a la majoritB », Je vatS I' arreter. Puis i! a ajoute : vou!ez-vous venir ? J' ai dit : volontiers, j'ai envie de voir sa tete. Lecussan fut condamne a mort Ie 28 septembre 1946 execute Ie 13 decembre 1946. II m'a donne rendez-vous pour 7 heures au 8 heures, a mon bureau ou je SUiS rentre ; de la, j' ai telephone a Mace pour qu'il • m' apporte un article ou r on parle de Victor Basch .- avec I' arti­ • • cle, Ii y avalt la photographie (debats, p. 37) A aucun moment, Lecussan n'a mis en cause Paul TouviE Nous sommes alles ensemble a la maison de Victor Basch; Oans Ie requisitoire detinitif (p. 164), il est affirme qu'aucur les agents ont garde les issues, etje SUlS rentre avec Moritz, Je consequence utile, - en faveur de Touvier - ne saurait €! suis rentre slmpiement pour qu'i! n'y ait pas de va! et lorsque tiree de ce fait, - t: en soi assez frequent). I'acte d'accusation parle de pillage, c'est faux, II existe d'ad­ leurs des rapports de la Police judicia ire que j'ai vus, et qui II convient d'observer neanmoins que I'absence d'accusati( d,sent qu'on a rien pille, rien vole (debats p 38) de la part de Lecussan est tout de meme un ehlmen! adecht ge, sauf a admettre que Ie silence vaut connivence. ce qui e Moritz a interroge Victor Basch en aliemand. il a parle avec iui presque suggere par r observation incidente S8 rapportant a pendant 25 mInutes environ (debats, p 38). dit fait ~ en soi assez frequent»,

Journal du 18 juin 1992 JURISPRUDENCE 395 , En I'occurrence, il n'apparait nullement que Lecussan, - qui entendu son interrogatoire par des gens qui parlaient fran­ :est, a'l'evidence, un fanatique resolu, qui se savait perdu a la c;::ais ). suite de ses crimes et de sa capture, - ait cherche, peu ou (Lecussan) : «1\ n'y avait pas que les miliciens qui parlaient prou. couvrir qui que ce fOt, et Touvier en particulier qu'i! a franc;:ais. Jamais la Milice n"a arrete des gens et ne les a 'considerait manifestement comme un element des plus dou­ emmenes directement Montluc" o'autre part. les miliciens teuX essentiellement attire par des preoccupations de profit a personnel, et dont il n'avait pu obtenir Ie renvoi par Vichy qui ant occupe cet appartement n'ehaient pas des mihciens sous mes ordres. Cetait un nomme Thouvier. J'etais en bisbil­ (tome I. liasse 1, D. 94). Ie continueUe avec Thouvier. . ». Dans un proces-verbal du 10 septembre 1945, Lecussan par­ On ne peut certes, deduire des elements de cette procedure le de rassassinat de Victor Basch. II cite Mace, Cottaz, Gonnet qui viennent d' etre cites, un in dice quelconque encontre de et Moritz. A aucun moment il ne parle de Touvier. a \' Paul Touvier d'avoir participe a I'assassinat des epoux Dans Ie rapport du commissaire Sondaz du 27 septembre Basch. 1945 concernant I'affaire Basch il n'es! pas fait une seule foi.s Pourtant. I'appui de la these de la complicite, Ie requisitoire mention du nom de Touvier, alors que Lecuss8n et Mace a definitif releve quatre elements materiels», et pour demon­ viennent d'etre interroges. Mais sont mis en cause nomme­ « trer I'existence de I'element intentionnel de ces faits de com­ ment Cottaz Cordier (chef departemental adjoint), Lagron et Moritz. plicite analyse que I etait necessairement Ie veritable but de I" expedition. Le commissaire ecrit : « En ce qui concerne Ie nomme Lagron, il n'a pu etre identifie. II en est de merne pour les autres • membres de I'expedition au sujet desque!s on n'a pu recueillir • • aucun renseignement precis), Les elements qualifies de « materiels) par Ie requisitoire defi­ nitif seraient les suivants : J! manifeste que Paul Touvier, chef regional du 2e Service, r ··tre pas dans la categorie de ceux sur lesquels on n' a pu 1. Paul T ouvier etait present dans Ie bureau de Lecussan, au [I... ,8iUir un renseignement precis et que s'il avah ete la. il siege de la mihce, lors de la reunion organisee par ce dernier et aurait ate cita comme Conaz Cordier I' a ate. par August Moritz pour pre parer I'expedition de Caluire. Le nom de Touvier, - ecrit parfois Douvier ou Thouvier - est 2. L'expedition comprenait, outre Paul Touvier" des miliciens cite deux fOls au cours du proces Lecussan, lars d'une du 2e Service. confrontation, a l'audience, avec Mace {orthographie «Mas~ set J} - Mace qui est toujours vivant et dont on examinera infra 3. Paul Touvier etait present sur les lieux de I" enlevement des les declarations faites dans Ie cadre de la presente procedu­ deux vieillards, merne Sl son role exact n'a pu etre determi­ re. ne. e La premiere allusion a T ouvier apparait a propos des reponses 4. Gonnet. alors chef du 2 Service departemental de la Mili­ a des questions posees a Mace par Lecussan et par Ie pres i­ ce lyonnaise, et. par consequent. place sous j'autorite de Paul ,dent de la Cour de justice (p. 93 et 94 de la dactylograph,e Touvier, s' est rendu avec Lecussan Sur ies lieux de r execution ~'des debats du « Proces Joseph Lecussan It) : et a assassine Helene Basch (Lecussan): «O'ou provenaient exactement les bruits qui • etaient propages a Lyon contre moi? ». • •

(Mace) : ( De quelques fractions de la Milice, deuxieme Servi~ Cette quadruple affirmation repose essentie!lement sur les ce ; je crois que Ie deuxieme Service etait en lune avec vous. declaration du susnomme Louis Mace, deleQue regional du Le deuxieme Service dependait directement de Vichy, et Vous, service des societes secretes a Lyon, qui a ate mele a I'expedi­ chef regional. vous auriez voulu avoir la main sur Ie deuxieme tion du 10 janvier 1944, dans des conditions qu'il a lui-merne ,S,ervice, ce qui au fond etait norma! ; car il y avait des opera~ relatees en 1945, en 1947 et 1948 s qui vous echappaient completement 8t il Y a eu une lune Condamne Ie 9 decembre 1 949 par la Cour de just:ce de e( Ie deuxieme Service et la Direction region ale ». Lyon, a la peine de six annees de travaux forces pour intelligen­ (Le president) : « Le deuxieme Service etait commande par ce avec l'ennemi, Mace fut de nouveau entendu par Ie magis­ qUi.1 ). trat instructeur dans Ie cadre de la presente procedure.

(Mace) : « Par M. Douvier •. Lors de ses auditions Ie 16 juin 1945 (tome XIII, liasse 17, D. 1444/1 0 s/cotes n" 11 et Ie 20 novembre 1947 (D. 1444/1 0 (Le president) : « Et il y avait une animosite entre Douvier et Le­ s/cote n" 4) par les policiers de la Brigade de surveillance du cussan? ). territoire a Lyon, puis les 22 novembre 1947 et 21 avril 1948, (Mace): fils ne s'entendaient certainement pas, lis etaient par Ie juge d'instruction de la Cour de justice de la Seine, Louis taus deux en competition pour avoir chacun plus de pou­ Mace fit, en substance, Ie recit suivant : voirs ». Debut janvier 1944, il avait remis a Joseph Lecussan. a la • demande de ce dernier, une photographle de Victor Basch, • • photographie qu'il avait extraite d'une revue intitulee «Les documents mac;:onniques :», appartenant a la documentation de son service. La seconde allusion a Touvier se trouve dans la relation d"une c?nfn?ntat!on avec Mme Lehmann qui reprochait a Lecussan Dans la soiree du 10 Janvier 1944, a la suite d'un appel t818- d avo" arrete ses parents (p. 141 de la dactylographie des de­ phonique d' August Moritz, il s' etait rendu dans Ie bureau de bats). Joseph Lecussan, au siege de !a Direction regionale de la Milice, rue de la Republique iJ Lyon, dans l'immeuble du jour­ (Lecussan) : «Comment Mme Lehmann peut-elle savoir que nal « Le Progres • c est la Milice qui ~ emmene ses parents I It. II avait a!ors ete mis en presence de Joseph Lecussan, d'Au­ (M.m,e ~ehmann) : « P~rce qu"i~ y avait une femme de menage gust Moritz et d'un certain nombre d'AlIemands et de mili­ qUi etalt presente a I arrestation de rna belle-sceur et qui a ciens appartenant au 2e Service.

Joumal du 1 8 juin 1992 :. tU5&.¢;:7 ~,.;;,,--:;; --~-~

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August Moritz et Joseph Lecussan avaient alers annonce leur Georges Lagron, cite par Lecussan (v. supra) et interroge er intention de proceder a r arrestation des epoux Basch dont ils 1949 dans Ie cadre de la procedure de purge de la condamna· venaient d'apprendre la presence a Caluire, tion amort par contumace dont il avait fait I'objet en 1945, nl.: categoriquement toute participation directe au indirecte aL Le groupe avait pris place dans trois vehicuJes pour se rendre double meurtre. au domicile des victimes. La maison fut encerclee puis fouiUee (D 1445/6 - P.V. 16 juin 1945, p. 27) • • • A cette occasion Moritz et Lecussan entrerent dans la maison, avec, selon Mace «je crais, une troisieme personne ». Compte tenu des declarations de Lecu$san, de Mace e1 d' Ar­ naud, et des conclusions d'une expertise ayant identifie com­ Pendant cette operation, Louis Mace pris de crainte, etait me etant son ecriture celie figurant sur les ecriteaux places Sur reste dans la rue. les corps des deux vieillards, iI est permis de presumer la Quelque temps plus tard, il avai't vu Moritz, avec Lecussan. et participation de Moritz au double assassinat. peut-etre un troisieme homme, ressortir de la maison, accom­ Cependant, entendu Ie 2 decembre 1981 par les policiers pagnes des epoux Basch, qu'ils firent manter avec eux dans allemands Hambourg ville il demeure toujours actueHe­ i'un des vehicules. a ou ment, August Moritz actuellement age de 78 ans, nia avoir Victor Basch, semblait avoir de la peine a marcher. joue un r61e dans !' enlevement at rassassin at des epoux Basch, et declara notamment: i( Si des miliciens franc;:ais pre­ Le vehicule a bard duquel 58 trouvaient Moritz, Lecussan et les tendent que j' ai ordonne ces executions, je ne puis Ie com~ epoux Basch, s'etait eloigne sur la route de Neyron. prendre que pour autant ils voulaient S8 disculper, 0' apnes moi c'est une declaration de protection ... ». De retour environ quinze minutes plus tard sans les epoux Basch, Lecussan et Moritz avaient annonce qu'i!s avaient Quai qu'il en soit. la participation d'August Moritz a l'assassi­ abattu les deux vieillards, Moritz etant meme aile jusqu' a nat des epoux Basch a fait I'objet d'une denonciation officieUe s'exclamer qu', ils etaient trop vieux et qu'il en avait fait ca~ aux autorites judiciaires allemandes. de au a Lecussan ». Louis Mace affirmait qu' ({ a sa connaissance » avaient partici~ • pe acette expedition Moritz, Krotoff, Touvier et Conaz-Cordier • • (PVI et de confrontation du 22 novembre 1947 - tome XIII. lnterroge sur sa participation a cette affaire. Paul Touvier i'a liasse 17, D. 1444/1D-s/cote n' 5). tou~ours niee categortquement, affirmant n'avoir eu connajs~ H ne pouvait fournir de precisions sur Ie r61e exact et I' attitude sance du double assassin at que Ie 11 janvier 1944 au matin, de Touvier pendant Ie deroulement de roperation. lorsque Gonnet, bouJeverse, s'etait presente a son domicile pour tUI faire part de r evenement et lui avait dit spontane­ Entendu dans Ie cadre de la presente -Information, Louis Mace ment: «On a fait une connerie ». confirmalt certaines de ses precedentes declarations, quant A cette occasion. Gonnet lui avait cite !es noms de querques­ aux circonstances de I'enlevement et du meurtre des epoux uns des participants a I'expedition, a savoir Lecussan, Cottaz­ Basch. II etait plus evasif quant a la participation de Paul Tou~ Cordier, Lagron et un milicien nomme Fraucher. . vier a cene expedition et n'etait pas en me sure d'affirmer que ce dernier s'8tal! personnellement rendu sur les lieux du dou­ A la suite de cette affaire, declara;t Touvier, il avait denonce Ie ble meurtre en compagnie de Lecussan. comportement de Lecussan a retat-major de la Milice a VI­ chy en ce qUI cOflcerne plus particuliEnement Ie r61e joue par Paul Touvier pendant Ie deroulement de cene operation, il ne pou­ Contestant toute participation directe au indirecte a I'enleve­ va it non plus Ie preciser. ment comme a J'assassinat des epoux BaSCh, Paul Touvier declara au magistrat instructeur se reterer expressement aux Confronte avec Paul Touvier, i! maintiendra certains de ses termes de la note redigee par Mgr Duquaire intitulee : dires, dans des conditions qui seront plus amplement expo­ sees infra. «Affaire Basch: reponses aux accusations portees contre Paul Tauvier en 1970» Louis Mace dec!ara, de plus, qu'apres cette expedition, boule­ verse par Ie meurtre des deux viedlards, il s'etait rendu a Vichy Note apprehendee par les enqueteurs dans ses archives per­ En avait denonce Ie comportement de Lecussan aupres de son sonnelles, superieur hierarchique, I'amira! Platon. Cette demarche avait Selon cette note, la participation de Touvier au double assassi~ eu pour eftet de provoquer r arrestation de Joseph Lecussan nat etait to: inconcevab!e en raison de la separation la fois et son jnternement provisoire au camp des Brosses, prison » « a organique ou psychologique ) existant entre Lecussan et riQ­ reservee aux miliciens. culpe. En dehors de Mace, sur les declarations duquel il conviendra Les arguments retenus a r appu! de cette these sont les sui­ de revenir {v. infra p_ 65 et s. du present arret), aucune des vants: autres personnes interrogees a la Liberation dans Ie cadre- de procedures ouvertes a leur encontre du chef d'intelligences a) Dans la mesure au Ie deuxieme Service regional relevait avec f' ennemi ne mettait en cause Paul Touvier. directement de I' autorite de Vichy et ne dependait en nen du Service regional de la Milice dirige par Joseph Lecussan, la Un milicien du 2e Service, Joseph Arnaud, dec lara, Ie 19 participation a I'operation de ce dernier service n'impliquait octobre 1944, aux policiers Iyonnais, que, courant janvier nullement celie du deuxieme Service regional. 1944, Gannet pris de borsson, lui avait confie qu'i! avait as­ sassine les epoux Basch, en compagnie de Joseph Lecus~ b) Une animosite opposait Lecussan et Touvler (ce demier san. ayant meme Bte interne pendant quelques jours au chateau des Brasses, prison reservee aux miliciens, a la suite d'accu­ Gannet et Conaz-Cordier s· expliquerent sur leurs activites au sations de pillages proterees a son encontre par Lecussan), sein de la Mi!ice. sans faire allusion a I'affaire de !'assassinat animosite rendant tres peu probable la participation de Paul des epoux Basch. T ouvier a une operation organisee par Joseph Lecussan ..

Joumal du 18 juin 1 992 JURISPRUDENCE 397

·c) Compte tenu de rhostilite qu'il eprouvait a I'egard de Paul tructeur qui lui donna prealablement cennais5ance des p. 27, Touvier. Lecussan n'aurait pas manque, lars de son proces, 28 (il Y a. par suite d'une erreur de numerotation. deux p. 28) de Ie mettre en cause comme participant a I' expedition SI tel et 30 (oote D. 1445/6 du P.V. n' 264/1 du 16juin 1945). avait effectivement ete Ie cas. Dans les trois premieres pages de sa deposition, LOUIS Mace Cette argumentation merite des appn§ciations nuancees. reprit Je recit de J'assassinat des epoux Basch, dont l'inspira­ teur etait Moritz, « Ie rnauvais genie de Lyon». Le premier argument (a) presente un cote incontestable: la participation aux assassinats du service dirige par Lecussan Louis Mace declara (p. 3, aJinea final) qu'il avait denonce au­ n'impliquait pas necessairement celie du service dirige par pres de son propre superieur, ram~;""al Platon, Lecussan, a la Touvrer. Mais elle ne J'interdisait pas non plus. suite de quoi-Lecussan fut arrete, et qu'il n'avait denonce que Lecussan pa!ee qu'il pen salt que« c'etait Ie seul miliden avant Le second argument (b) n' est pas depourvu de valeur quand il participe a ·cette operation» (p.V. pn§cite, p. 4, premier Elli­ rei eve r anirnosit6 plus que vraisernblable qui existait entre nea), en compagnie de Moritz. Le'cussan et T auvier. II rie permet cependant pas d' exclure qu'une operation commune ait pu 8tre engagee. Cette declaration donnant a pense~ quO au souvenir de Mace aucun autre milicien n'avait participe a I'operation. Ie magis­ Quant au troisieme argument (e). il est certainement celui qui trat instructeur posa alors a Louis Mace la question suivan­ a Ie plus de poids encore qu'il appelle certaines reserves: si te: Lecussan eprouvait une vive animosite contre T ouvier, il aurait pu Ie denoncer, meme s'iI n'avait participe en rien au double «Vous indiquez, dans cette declara::on du 16 juin 1945, la crime. Une telle dEmonciation aurait donc ete suspect8. presence d'un certain nombre de ;::articipants dont Touvier. Pouvez-vous naus dire si T ouvier eta·t reellement present lars F!l fait. Lecussan n'a pas denonce Touvier - alors qu'il a de cette operation? » ,:nonce d' autres miliciens -, et il est plausible que ce soit tout s;'''''''Dlement parce que Touvier, qui n'etait pas. a ses yeux, un Louis Mace repondit : ~ Jnnage insignifiant. n'y a pas participe. II est peu vraisem­ blable qu'il ait voulu Ie proteger. «J'ai declare que Touvier a partici;.:;e a cette affaire avec Jes nommes Krotoff et Cattaz. Je main: ens cette declaration de • 1945 sur ce pOint. j'avafs la memo',e fraiche a J'epoque et si • • fai designe Touvier comme avant oarticipe c'est que « ~a devait correspondre a quelque chose». En definitive, si la responsabihte de Moritz. de Lecussan et de .Gonnet dans Ie double assassinat parait pouvoir etre presu­ Je ne peux pas vous fournlr d'autres :Jrecisions au sujet de la mee. - encore que Lecussan soit revenu sur ses aveux et que presence de Touvier ni que! a ete so~ "'ole et son attitude, je ne Moritz~nie radicalement sa participation aux faits -, la respon­ rn' en souviens pas )). sabilite de Touvier dans I'affaire reste problematique II conVlent d·observer qu'en 1945 ie 28 du PY n' 264/1 - 5i ron se reporte aux quatre points dits« elements materiels» cote 1445/6), Mace s' etan Iltterale~ent exprime en ces ter­ t- enonces supra (p. 59 du present arret). il est patent que cette mes: ~ enumeration qui S8 rapporte, quant au quatrieme point au role de Gannet dans l'aHaire, developpe, quant aux trois pre- « Lecussan et Montz ne rn'om plus j:=:'1als parle de cette affai­ re. miers points, non sans les soUieiter quelque peu, ce qu'on pourrait induire des declarations de Mace. qui ne s'est jamais En dehors de ces derniers. Ie canna,s :es personnes sUlvantes exprime aussi nettement. avant participe a cette affaire • Kratoff. _ (suivent plusieurs lignes S8 'apportant aux fonctlons • • et au signalement de I'interesse).

ce qui concerne ce quatrieme pOint, il a trait au role de Touvier Paul. chef du 2e service de ;,3 Milice llo ...... et, non conteste, dans Ie double assassin at. et non a CE. Je Tauvler qui ne peut etre presume y avoir participe du Cottaz, chef des francs-gardes de Ie Milice du Rh6ne_ seul fait que Gannet aurait ete sous son auto rite . Je crais. sans etre sur. que Moritz et Lecussan sont partis avec Cene demiere assertion est d'ailleurs expressement contes­ une troisieme personne pour abattre!a familJe Basch, mais je tee par Touvier qui a declare qu'au jour du doub!e assassin at, ne me souviens pas de qUi iI s'agit)- e Gonnet ne faisait plus partie du 2 Service pour en avoir ete Louis Mace, en 1945, n'indiquait pas. dans ce tres long inter­ evince des octobre au novembre 1943. Mais cette affirmation rogatoire (PY de 30 pages). qUI pcnait sur des sujets tres de Touvier si eUe est confirmee par certaines declarations divers. sur quai i! se fondait pour dire «je connais les person­ comme rindique son conseil dans Ie memoire regulierement nes suivantes ... It. S'agissait-il d'un temoignage oculaire, d'un produit (p. 37) est infirmee par d'autres (v. infra, p. 149 et s. temoignage par oui-dire, ou d'une deduction faite a partir de du present arret, les dedarations de MM. Goudard et Abe­ certaines observations? II est regrettable certes que la ques­ lard). tion ne lui ait pas ete posee a I'epoque. En definitive. on ne peut tirer aucune conclusion a charge En tout cas, Ie 22 novembre 1947 (D. 1445/6) devant Ie juge Contre T ouvier du fait de la participation de Gannet a!' assassi­ d'instruction, il s'exprimera ainsl : nat. {( ... a rna connaissance, ant participe a cette operation: Le­ • cussan, Moritz. Krotoff. Touvier et Conaz-Cordier », ce qui • • n'!mp!ique pas, semb!e-t-i!. qu'il ait e:e necessairement Ie te­ En ce qui concerne les trois premiers points rappehh ci­ main oculaire de la presence de toutes les personnes citees,­ des sus. il importe de revenir sur les dires de Mace, et notam­ hormis Ie cas de Lecussan et Moritz qu'il a vu directement ment sur ses declarations les plus recentes, pour Jes analyser operer, dans la phase tout au mains, de I'enievement des au plus pres. epoux Basch Louis Mace fit Ie 23 Juillet 1990 (tome XIII, liasse 17, D. • 1445/1 a 5) une longue deposition devant Ie magistrat in5- • •

Jourr.al du 18 luin 1 39B GAZETTE DU PALAIS - 1092 (I" sem.)

Au vu des declarations de Mace, des anciennes. comme de d"inexactitude et de reticence donnee par les declarations celles. les plus recentes. qui viennent d'etre partiellement Mace. mentionnees, il n' est pas possible de concJure a I' existence d'une charge suffisante contre T Quvier d'avoir panicipe. direc­ D'aiJleurs, sincerement au non, - il est extremement diffic tement ou indirectement, aux preparatifs. aI'organisation au a de Ie deviner -, Mace jette Ie discredit sur cet interrogatl r execution du double assassinat. re.

II convient de mentionner. en outre. adecharge. que les decla­ II reitere son observation qu'il n'est pas possible qu'j/ ait ~ rations initiates de Mace. dans la periode de J' apres­ donni'r, en 1945, autant de details sur retat civil de nombre Liberation. ant ete consignees dans des conditions qui meri­ ses personnes. tent une attention particujiere. et qui sont Telles qu'il est fort possible qu'elles ne ref/stent pas exactement les dires de En reponse aune question posee par Ie magistrat instructeL l'interesse, qui etait sans aucun doute demoralise. voire terro­ ii, s' exprime en ces termes : « a mon corps defendant. je mail rise par la situalion plus que critique qui tut la sienne au mo­ !lens mes declarations de 1945 me me si elles m'ont ete e. ment de son arrestation, et qu'on a aucune-peine a croire torquees» quand il affirme : « je signalS tout ce qu' on voulait d' autant que Et dans sa derniere declaration (D. 1665/3), il dira : «je su Ie commissaire Chambion me laissait entendre que j' allais etre persuade qu"on a trafique cet interrogatoire ,. », fusiUe i, En outre, devant un certain nombre de questions qui lu'l sor Mace fournit a ce sUJ€t des indications plausibles. posees, soit par Ie magistrat instructeur, soit par Ie consei! d Ouant au signalement de Touvier qui figure en (seconde) Touvler, il a une anitude de fuite. Cest ainsi qu'en reponse p 28.lignes 1 1 a 14- du P. V. du 16 jOin 1945, Mace indique une question de cet avocat portant sur !e point de savoir si Ie que ce n'est pas lUI qUII'a fournl (D. 1445/3, In fine), et que noms de Conaz Cordier et de Touvier lui ant ete souffles (e c'est Ie commissa ire Chambion qui a du I'inserer quand il J'a in­ 1945), il repond en ces termes : terroge. «1/ y a un an iour pour juur {etais a I'hopital Foch pour unl ,Selon Mace, Ie merne procede a ete utilise en ce qui concerne meningite grave»" pour dire ensuite. en reiteration de la ques Krotoff; il n' avait pas non plus fourni « un tel renseignemenr tion posee par Ie consei! de Touvier: «c'est possible i comme celui qui figure dans rna declaration». II ajoute : «on Le magistrat insrructeur a mentionne dans Ie prOces-verb2 m'a toujours dit qu'il y avait la presence d'un russe blanc au moment de foperatron chez les Basch et j'ai pense qu'jj qu"d estimait que iC la question induisait la repanse ». La Cau s" aglssait de lui». qui estime que cette 'appreciation est inadequate, des lors qUE Ie magistrat lnstructeur peut fort bien mentionner un fait. - Selon Ie consei] de Touvier (po 40 du memoire) puisque Mace comme par exemple I' etat de fatigue du temain ou tel ou te a repondu au magistrat instructeur « SI j" ai designe Touvier incident objecTivement rapportable - mais non porter un juge" com me avant participe c' est que c;a devait correspondre a ment sur la pertinence d"une question qu'i] a lui-merna autori· queique chose» pour declarer ensuite que c' est Ie commissai­ see" considere qu' elle est au surplus mal fondee, En effet, sau; re qui a insere dans sa deposition Ie signa1ement et I' adresse a pretendre qu'il etait en etat de soumission mentale davant Ie de Touvier .. c'est qu'il ne Ie connaissait pas sUITlsamment conse'll de j"incuJpe, rien n"interdisait a Louis Mace de repon­ pour ridentifier dre par Ja negative a Ja question posee. II a choisi d'abord d'eluder la. Question, sans predser d'ajlleurs si la meningite Sans approfondir cette exegeS8" II faut mentionner Bussi les dont il a souttert avait eu pour eftet de lui faire perdre la memoi· declarations deja parriellement citees supra de Mace lorsque re Quant a la peri ode de l"apn?s-Liberation, pour repondre Ie magistrat instructeur, en fin d"audition (0_ 1445/5). lui pre­ ensuite, evasivement. en definitive, par la formule« c'est pos­ sente I"integrallte du proces-verbal du 16 juin 1945: « Je suis sible ». tras etonne d' avoir pu faire une teUe declaration aussi comple­ te et avec autant de precisions. II n'est pas possible selon moi Cette attitude generale de Louis Mace a appele notarnment d"avoir pu fournir autant de noms et d"etats civils, je ne pou­ I'observation suivante de la part du consei/ de Touvier, qui tout vais pas avoir tout <;a en tete. C' etait Ie premier interrogatoire en etant conjecturale, merite cependant d'etre prise en consi­ que je subissais a man retour d'Allemagne. Je signais tout ce deration (p 42 du memoire) : qu'on voulait d'autant que Ie commissaire Chambion me lais­ sait entendre que j'allais etre fusille. Cependant, concernant la «M. Mace qui a ete condamne a six ans de reclusion, en relation des evenements relatifs a I' assassin at des epoux 1947, semble eprouver la merne crainte et la meme reticen­ Basch, je maintiens ce que j'ai declare car ceci m'a suffisam­ ce. On ne peut s"empecher de constater qu'il doit redouter ment marque». d' etre inculpe comme compliee, pour foumiture d'instruction, aide et assistance. Cest en eftet lui qui a foumi a Lecussan et Com me ['indique a juste titre dans son memoire Ie consel! de a Moritz la photographie et I'adresse de Victor Basch" Touvier, Ie juge d'instruction a done d'abord donne eonnais­ sance de certains fragments de sa declaration du 16 juin Sur Ie fond de raHaire, Mace repondit dans les termes quivonl 1945 a M. Mace puis, apres avoir recueilli sa confirmation, lui etre rapportes ci-dessous a diverses questions posees. a donne connaissance de I'integralite du prod:!s-verbal. En n§ponse a une question du magistrat instructeur: Au vu de I'integralite de ce p.v. du 16 juin 1945, Mace a maintenu ce qu'il avait dit concernant la relation des evene­ «Confirmez-vous: Touvier a participe a cette affaire? i" ments relatifs a rassassinat des epoux Basch. Or affirme Ie Mace s" exprima ainsi : conseil de T ouvier ces declarations relatives a I' affaire Basch (D. 1445/l-O. 1445/2) ne visent pas Paul T ouvier, que Mace «Je ne peux pas dire qu'jl soit partt avec les Basch" On s'est n'a mis en cause, dans les termes du P.V", qu'apres rappel du retrouve dans Ie bureau de Lecussan au Progres de Lyon et on contenu d'un fragment dudit P.V. est parti ensemble; une fois devant la villa des epoux Basch, je me souviens m'etre trouve en compagnie d'un jeune milicien Quai qu'jJ en soit. une confrontation entre Touvier et Mace eut qui etait mort de peur. J'ignore ce que Touvier pouvait faire a lieu Ie 10 oetobre 1990 (tome XX, liasse 23, D. 1605). ce moment-Ill t. Ses resultats, qui n' apporterent aucun element a charge nou­ En reponse a une Question du consei! de Touvier formulae en veau, sont de nature, au contraire. a renforcer !'impression cas teplles :

Journal du 18 juin 1992 JURlSPRUDENCE 399 lti"'. 1t'M>Mace peut-il dire sil ne confond pas Gannet avec Tau­ « Quel element precis M. Mace peut-il invoquer pour dire que ""~4· ~;,Y't"-. oJ... , j'etais present?:t. rLouis Mace repondit : Repanse de Louis Mace: «Tout. J'ai ille interroge par des J.; I ~_ personnes qui se relayaient, et j' ai cru de bonne foi dans la ~.j:ai dQ connaitre Gannet a cet epoque, il est possible que je declaration que j'ai faite qu'il sagissait du responable du 2e puisse contondre car il faisait noir au moment au cette affaire a Service ), eu lieu,. lei encore la reponse de Louis Mace est aussi peu nette que '. Cette reponse suscita de la parl du magistrat "observation sui­ possible et peut donner lieu a des analyses contradictoires. vante: cline faisa;t quand merne pas noif dans Ie bureau de Lecus­ Ce qui est certain, tout d'abord, c'est que Ie premier mot de la san au Progreso Est-ce que cette confusion etait encore possi­ reponse {( tout» est Ie contraire de la reponse qui serait nor­ malement dannee a la Question de savair s'il existe un « ele­ ble? •. ment precis». Les seules repanses claires seraienr : il n' existe Ce ~ quai Louis Mace rspondit dans les termes deja cites plus' pas d'element precis, ou bien, it existe un ou piusieurs ele­ haul. ments precis qui sont les suivants .. c A mon corps defendant, je maintiens mes declarations de Au lieu de cela, Louis Mace « glisse, vers un autre sujet qui 1945, meme si elles m'ont ete extorquees ». (D. 1605/2 - est celui des conditions, deja evoquees plus haut, de son p. 3) interrogataire de 1945 : ~ j' ai ete interroge par des personnes qui se reiayaient.." ». En d'autres termes «j'etais apeure et II ajoute: epuise et rai dit tout ce qu'on vaulai! >lo. (Toutefois en ce qui concerne "affaire Basch je mOen 50U­ Cependant Louis Mace precise« j'ar cru de bonne foi, dans [a Y.,"N1S. J'entends encore '"engueulade que j'ai eue avec I~ declaration que j' ai faite, qu'il s' agissait du responsable du 2e "_:;tenant allemand lorsque je lui ai dit qu'il allait faire de ces SeNiee », ce qui peut signifier qu'il avait sineerement pense v' lrds des martyrs; je me sQuviens aussi des deux chauf­ quand on lui fit signer une declaration qui n'etait pas de son ff;u,S qui sont partis avec les epoux Basch pour les execu­ cru que ce qu'on lui faisait dire correspondait tout de me me a ter " la n~alite. c J'ajoute encore qu'apres rassassinat des epoux Basch j'ai Quoi qu'il en soit. iI res sort de ces decfarations de Louis Mace rsagi en partant a Vichy des Ie lendemain pour accuser Lecus­ qu' eUes ne sauraient constituer un element acharge apprecia­ san, J'avais la certitude que Lecussan etait un des tueurs, par ble a I' encontre de T ouvier contre en ce qui concerne Ie deuxieme, je n' ai jamais pu Ie de­ terminer J. La fin de la confrontation Hsr partrculierement instructive a cet egard. La Cour'observe qu'en cette derniere version des faits, il est fait etat, d'une part, de « deux chauffeurs» partis avec les Le conseil de Tauvier posa la queS!lcll SUJvante . epoux Basch pour les eX8cllter, chauffeurs dont i[ n' avait ja­ fnais ete question auparavant . en tout cas Paul T ouvier est ok Est-ce que VouS confrrmez, comme vous ravez dtklare lars exclu de cette sequence. de votre dernier interrogatoire, que Ie commissalre Chambi6n a dQ introduire. dans votre deklaration de 1945, des elements Louis Mace indique, d'autre part, qu'il a la conviction que que vous ignoriez. camme notamment certains slgnalements. Lecussan etait run des tueurs, mais qu'il n'a jamais pu deter­ N'3-t-il pas de la merne fac;::on, donne Ie nom de Touvier pour miner quel etai! Ie second tueur. I'affaire Basch? ),I.

La confrontation S8 poursuit par une question posee au temorn Ce a quoi, Louis Mace repondit en ces termes (deja partielle­ par Ie conseil de Touvier: ment cites plus haut) ,

f,c'\!j procf~s Lecussan, vaus avez declare que vous saviez qu';! «Je suis persuade qu'on a trafique cet interrogatoire. Je ne ait bisbilJe entre Lecussan et T ouvier , etant donne ce que sais pas pourquoi d'adieurs, II est fait etat dans cet interroga­ vc .avez ace sujet, pouvez-vous dire aujourd'hui avec preki· toire d'un service de renseignements allemand, Je ne pouvais sian si Touvier etait present lars de cette affaire Basch? », pas connaitre tous les renseignements qui figurent surcelui-ci. Ce n' est pas impossible- que pour T ouvier ce soit Ie merne La reponse est nette au depart, mais elle derive aussit6t cas », apres: • Raponse de Louis Mace: • • (Aujourd'hui avec precision, ce n'est pas possible. Je sais qu'il y avait du monde dans Ie bureau de Lecussan. Je n'etais 8as en bons termes avec Ie lieutenant Moritz qui etair venu de Les observations qui precedent montrent que, si I'information Paris splkialement pour s'occuper des societes secretes; il fait presumer que Moritz etait probablement [' organisateur du avait ete invite par Lecussan lequel menait d' ailleurs a Lyon a double assassinat, avec Lecussan et Gonnet comme execu­ :::ette epoque une vie dissolue. Cetait un Momme sanguinai­ tants, elle n'a atab[i la presence de Paul T ouvier ni sur Ie Ireux 'e ), meme de j'assassinat. ni au domicile des BaSCh, ni meme dans Ie bureau de Lecussan, Ce que la Cour peut retenir de ce dialogue, c'est que les noms ~ui obsedentla memoire de Louis Mace sont ceux de Lecus­ Com me il n'est pas envisageable, faute d'element precis, de san et de Moritz, et que Ie temoin ne peut Quere fournir d'au­ soutenir que T Quvier aura!t ete l' organisateur clandestin de tres precisions sauf a se reterer, de la maniere la plus obscure, J'operation au, d'une man"rere ou d'une autre. Ie com pi ice des ! ason corps d9lendant, a ses declarations de 1945, meme assassins, et Qu'il est patent que c' est Lecussan qui!' a de­ 3i eUes lui ant ete «extorquees ». clenchee, il n'y a pas lieu de rechercher, au titre de I'element intentionnel, c quel etait Ie but de I'expedition» (requisitoire 'aul Touvier (D. 1605-2 - p. 3) sollicite que soit posee au definitif, p. 16 et S.). des lars que la Cour n' est pas saisie du :emoin une question avant trait au «point de depart de j'affai­ cas de Lecussan et de Gonnet Qui om ete tranches, nj de celui e» : de Moritz qui n' est pas encore juge.

Journal du 1B juin 1992 -

400 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" sem.)

Dans leurs ecritures, les conseils des parties civiles interes­ mihciens en la personne d'un au deux individus en civil). pe sees expriment leur conviction que Ie dossier fournit la preuve contr"lbuer ala discrediter, surtout si les elements extrinsequ, de la participation de Touvier a I'operation, mais procedent viennent aussi la ruiner (invraisemblances, incoherences. v davantage par affirmations que par demonstration, sauf a faire riations, discordances des declarations). etat: Id) En fait. dans bien des cas deja examines. il a ete consta - des declarations de Mace, en pretendant qu'eUes consti­ a que! point les temoignages au les auditions (de parties ci' tuent un element de preuve clair et precis. - alors que lesdites les) pre talent a la controverse et au doute IAffaires n° I. II. I declarations, comme it a ete montre supra, ne representent V) justement pas un element probatoire serieux ; Pour Ie defenseur de Paul Touvier, «: L'affaire de la fdfle ( - des declarations de Mme Gilbene Due ID 1390) ex­ Montmelian» pour laqueHe Ie requisitoire definitif requiert secn§taire de T ouvier qui a dit ne pas savoir 5i T ouvier avait non-lieu a pourtant joue un role considerable et Ie plus sauve participe a la preparation dt.: double crim~, tout en supposant. moteur dans les poursuites ill'encontre de Paul TOWler. d'apres ce qu'elle avait Qu-i-dire, Jars d'une conversation entre Touvier et un tiers, qu'il avaitJ( dO donner des indications »,'­ Le consei! de Touvie-r, a ce sujet.-a deveJoppe sa demonstr alors que de teUes declari:ltions, avec tout ce qu'elles ont de tion, en citant des articles de presse, dont la teneur n'a e subjectif et de conjectural. ne sauralent etre re<;ues comme discutee, ni par Ie ministere public. ni par aucune des part!1 elements a charge; civiles, aux memoires regulierement produits. - de certaines declarations de Feu, Itome XIII. liasse , 7 [D. Le defenseur de T ouvier deplore que cette campagne de pre: 1435)). agent de la Resistance infiltre dans la Milice, qu', avait se ait creB un climat de presomption de culpabilite (ciim, d'ailleurs d'excellentes relations avec Touvier, qui n'etait pas dont on retrouve la trace dans les 119 pre'mieres pages d present lars de I'operation, mais aui connaissait cependant, requisitoire dtHinitif. climat Qui tend a instaurer une presom~ selon ['expression des conseils des parties civiles, ({ la mentali­ tion de culpabilite). te de T ouvier », - alers que les sentiments prates aT ouvier par Le conseil de Tauvler ObSt;;Ne aUSs! que la diffusion des phot Feuz sont rapportes d'une maniere variable, incertaine et fina¥ graphies de I'inculpe a rendu inoperantes les reconnaissanci lement peu significative (D. '435/12). et ne sauraient en tout sur album, cas suffire a constituer Ie maindre commencement de pre­ somption de participation aux faits. Ces dernieres, dans raffaire de Montme!ian en pal1iculiE sont depourvues de pertinence, Ie conseil de Touvier releva L' ensemble des arguments preser.;:es par les parties civiles que des temoins oculaires de la rafle de Mantme[ian. - do dans leurs ecritures, - auss! bien ceux plus precisement indi­ les depositions figurent au dossier, et n'ont pu etre retenues ques ci-dessus, que ceux reprenant I'argument du ministere charge, tant elles comportaient de variations et de contradi· public, ou ceux critiquant Ie systeme de defense de Touvier, et tions -, n'en ont pas moins reconnu formeUement Paul To, taus autres, - ne pourrom qu'etre rejetes com me inoperants vier sur ralbum photographique qui leur a ete presente. et mal fandes au vu des observatiolis qui ant ete exposees supra. Pour Ie defenseur de Touvier, la reconnaissance sur albu photographique ne peut donc etre re<;ue en moyen de preuv En consequence, une deciSion de ran-lieu ne pourra qu'etre car, finalement !es temoins qui ont reconnu, sur I'album phi rendue dans cene affaire, pour insL~isance des charges pe­ tographique, Ie visage de Paul Touvier, ont simplement recol sam sur Paul T ouv!er. nu une phorographie qU'lls avaient deja vue dans !es jOL • naux • • • • • Au vu de ces observations (p. 92 a 95 du memoire),!a Cour r Au sUJet de l'affaire de la i{ Rafle de ,"lammelian }),Ie conseil de peut que cons tater leur bien-fonde, dans leur ensemb!e, SOl Paul Touvier a presente, dans Ie memoire produit. des remar­ deux reserves toutefois, rune portant sur un point de dEna ques qu'il n'est pas superfiu d'examiner dans la mesure au r autre de ponee plus generale : elles peuvent contribuer, a donner, non seulement aux pla'ln­ tes des parties ciViles susnommees, mais encore a bien d'au­ - dans Ie memoire produit. Ie cons ell de rinculpe fait, p, tres qui ant suivi, depuis 1974, un ec!airage a prendre en erreur, etat d'une reconnaissance de Touvier par Henri Rev consideration pour apprecier la plausibilite, la credibiltte, voire sur album photographlque : en realite, seuls Charles et Her la since rite des ecritures et des dires des plaignants. Duret se sont prononces de la sarte ; A ce propos, la Cour, avant d'exposer les remarques du - soutenir Que ron trouve trace au requisitoire definitif d\ conseil de Paul Touvier, fera Quatre observations prealables {a, climat tendant if instaurer une presomption de culpabilite rell b. c, dl ve de la subjectivite et constitue une affirmation exageree : E realite, cet acte de procedure tente d'offrir une demonStf, (a) II n'est ni anormai, ni illicite de la part d' associations habili­ tees, au de plaignants individuels, de provoquer ou de saUici­ tion. sur laquelie la Cour reviendra ulterieurement {v. p. 194 209 du present arretl, tendant a etablir qu' lenir pour acqui, ter des depots de plainte ou des temoignages, du moment a la responsabihte de Paul Touvier Quant la materialite qu'ils sont sinceres. a di crimes contre I'Humanite qui lui sont imputes, sa responsabi (b) En outre, comme cela a deja ete indique supra Ip. 91 du te devrait aussi etre retenue « au regard de j' element mar present arret}, Ie detaut de spontaneite d'une plainte, Ie fait specifique des crimes contre I'Humanite" et ce araison de qu'eUe puisse etre consideree comme entrant dans Ie cadre mission et des prerogatives de la Milice, et du r61e de Pa d'une operation d'ensemble ne doit pas, a priori, rendre cette Touvier en tant que chef du 28 Service regional de la Milice c sincerite suspecte. Lyon (p. 54 a '15 du requisitoire). (c) Cependant, il est evident qu'une certaine ardeur polemi­ que, revelee notamment par une propension aux affirmations X. - La massacre de Rillieuxo peremptoires au aux exagerations manifestes (dans I'affaire de Mommelian, I'un des temoins dit avoir vu dix miliciens en Le 29 juin 1944 dans la matinee, Ie maire de Rillieux IAiI uniforme, alors que les deux autres temoins ant cru voir des infarmait Ie commissaire de Police de sOrete Rene Faury, C

Journal du 18 juin 1992 JURlSPRUDENCE 401

I Service regional de Police de sOrete de Lyon, que sept cada­ Annexons au present 1 exemplaire des rectangles de carton vres venaient d'etre decouverts dans sa commune (tome I - blancs trouves a proximite des victimes. 0.81). Le commissaire de Police de surete. Le commissaire Rene Faury, accompagne de I'inspecteur Ac­ cary. se transportait immediatement sur les lieux, ouvra!t une (Signe : R. Faury) enquete et procedait a un constat dont Ie debut est linerale­ Saisissons 6 douiUes de 9 mm trouvees sur les lieux pour etre ment reproduit ci-apres : constituees en un scella qui sera depose au grefte du Tribunal (Debut de citation) « Au bard du chemin de terre qui lange Ie civil de Travoux. mur ouest du cimetiere de Rillieux, et a quelque dix metres de Le commissaire de Police de sOrete. la route de Rillieux-Caluire dans laquelle il debauche, sont allonges sur Ie dos, les jambes en direction du mur, sept (signe : R. Faury) » (lin de citation) cadavres d'hommes, presentant taus Ie profil juil, distant • d' environ un pas les uns des autres. Taus portant de multiples • • traces de balles, tant a la tete que sur la poitrine. \ Aupres de chacun d'eux, sauf un tDutefois, Ie sixieme. S8 Les victimes furent photographiees. trouve un rectangle de carton blanc, sur lequel est inserit'en gros caractere, un nom suivi d'une initiale. que naus suppo­ La suite de I'enquete mantra que la fusillade avait sans doute sons etre Ie nom et !'initiale de chaque victime_ eu lieu vers cinq heures du matin Ie 29 juin 1944 (audition de Mme Drevet D. 82) et qu'elle avait ,;te precedee et suivie du Dans I'ordre au S8 presentent les cadavres, Ie premier etant Ie bruit de moteur d'un vehicule automobile. plus proche de la route de Rillieux-Caluire, naus lisons succes­ sivement: Poursuivant son enquete,le meme jour afin de mieux identifier I'une des victimes - a savoir Emile Zeizig -, Ie commissaire 1 Glaeser L. Rene Faury se transportait a I' adresse figurant au haut d'une f" " Krzyzkowski L. feuille de papier alettre commercia! trouvee dans Ie portefeuil­ N J Schlusseman Ie de !,interesse. N' 4 Ben Zimra C. II y avait La un magasin, dont la fac;ade portait, en !ettres N' 5 Zeizig E. peintes, « E. Zeiz1g)t. N' 6 ? .. Le commissaire Rene Faury y trouva·it « une equipe de francs­ N' 7 Prock S .... (lin de citationi gardes de la Milice fran~aise, en train de proceder au demena­ gement des marchandises )t. Les policiers examinaient et foulllaient minutieusement a Ce pol icier obtenait du secreta ire de la mairie de Sainte-Foy­ corps chacun des cadavres, en vue d'obtenir d'autres ele­ ments d'identification que les noms portes sur les cartons de les-Lyon des renseignements d'eta, civil complets sur la victi­ bristol. Le sixieme cadavre ne fut jamais identifie. me nee d'ailleurs en cette loca!ite Ie :5 novembre 1887. • Le constat s'achevait en ces termes : • • (Debut de citation): «Examinant plus particuli8rement les nombreuses traces de balles Que porte chaque corps, consta­ Quelques jours plus tard, Ie commissaire Rene Faury adressait tons que ,Ies traces que presentent les visages sont des orifi­ a son superieur hierarchique, Ie commissaire de Police de ces d'entree des projectiles alers que ceUes que presentent sOrete, chef de la Troisieme section (Service regional de Police les poitrines sont des eclatement de la peau provoques par la de surete, intendance de Police de Lyon), un rapport portant la sortie des balles. L'examen de la partie posterieure de la tete date du 14 juillet 1944. at du dos des victimes corrobore ce qui precede. Ce qui per- II Y expos art les resultats de son enquete, en precisant en {3t de condure que r execution a vraisemblablement eu lieu particulier ridentite de certaines des victimes, en decrivant Ie '-'il deux temps: une premiere rafale tiree dans Ie dos des comportement des francs-gardes de la Milice dans Ie magasin V! ies debout at toumees vers Ie mur du cimetiare ; enfin d'Emile Zeizig" pour presenter enfin ses conclusions person­ une deuxieme rafale tiree dans la tete des victimes etendues neUes sur les mobiles du massacre perpetre. sur Ie dos. a titre de «coup de grace •. Le commissaire Faury ec,ivait notamment : A dix pas environ du mur du cimetiere et sur une ligne sensi­ b!ement parallele a ce dernier, decouvrons plusieurs douiUes (Debut de citation): « Les H~moignages que fai pu recueillir de 9 mm portant les indications suivantes : W.RA 9 mm. Ces sur les Jieux n' apportent aucune lumiere dans la recherche des douilles paraissent atre celles des cartouches ayant servi a coupables. Quelques maisons sont baties a proximite du ci­ I' execution. metiere, mais les personnes qui res occupent. bien qu'ayant parfaitement entendu,le 29 juin au matin, des rafales d'armes Face a rendroit au nous avons ramasse ces douiUes, nous automatiques, ne s'en sont pas autrement soucie, soit par relevons dans Ie crepissage du mur du eimetiere de nombreu­ prudence, soit surtout parce que cette fusillade matinale ne ses traces de balles. leur a pas paru particuliBrement anormale, du fait que les troupes d'occupation S8 livrent souvent. en cet endroit, des Nos constatations terminees, recueillons tous objets suscepti­ a bles de servir a['identification et ala reconnaissance des cad a­ exercices de tir a blanc, au cours de leurs manceuvres. vres. Un temoin oculaire, Mme Orevet. fait etat dans sa declaration Mentionnons que M. Ie Docteur Bertholon, medecin a Rillieux (P.v. n' 2) d'un vohicule automobile dont elle a tres nenement requis par les soins du maire, a procede a l'examen des victi­ per~u Ie bruit du moteur avant et apres la fusillade. II s'agit mes et a constate Ie deces. vraisemblablement de la vOlture avant servi a transporter sur les lieux du crime,les victimes et leurs executeurs. Malheureu­ Dont proces-verbal. sement. si nombreux sont les temoins qui ont entendu Ie vehicule en Question, aucun ne I'a VU, de sorte que je n'ai pu Le commissai,e de Police de surete recueillir aucun renseignement, ni sur son aspect. ni sur ses (signa: R. Faury) occupants. Par contre, la declaration de Mme Drevet etablit

Jo,-,ma! du 18 Jutn 1992 402 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (1" sem,)

avec precision, I'heure a Jaquelle a eu lieu J'execution. Eveillee Toutefois, en I'absence de renseignements fournis par par Ie bruit des rafales, eJle a regarde I'heure et constate qu'jI organisme, je ne puis me prononcer d'une fac;on cate, etait 5 heures du marin; a ce moment precis 5 reures son­ que. naient egalement chez Ie locataire de la maisan attenante a la Le commissaire de Police de Sur sienne ». (fin de citation) Signe : R, Faury. (fin de citat

(Reprise de citation) : « A quelque dix pas du mur du cimetie­ La synthese de l'inspecteur Demangeat (mai 1946; re, j' ai retrouve dans J'herbe un grand nombre de douil/es de cartouches de 9 mm {P.V. n~ 1) ce qui, Joint ala declaration de Le rapport de I'inspecteur Demangeat (0, 106), repr. Mme Drevet qui a nettement perc;::u les rafales, atab/it, sans d'abord les donnees deja fournies par renquete aIle rapr conteste, que Ie crime a ete perpetre araide de mitraiUettes ». du commissaire Faury, deja examines supra, pour anal) (fin de citation), ensuite les apports fournis par sa propre enquete, Certes, ce document n'offre, des resultats des enquetes j qu'alors operees, qu'une interpretation, - que la Cour POL £karter pour retenir sa propre lecture des faits, (Reprise de citation): «Tel qu'jl S8 presenta;t, Ie crime ne pouv3it qu' etre inspire par des motifs politiques. Le fait que les Mais jl ne sera pas superflu d' en faire r analyse dans la mest sept yictimes e!aient des Juifs (I' examen de leur profil ne laisse ou, dans un style souvent embarrasse, i/ reflete, des 19L subsister aucun douteL joint au fait que rexecution avait eu certaines difficultes essentieUes avant trait a I'affaire de I lieu Ie 29 juin 1944, c'est-a-dire Ie lendemain de f'assassinat lieux. par des membres de la Resistance de M. , m'a' immediatement suggere rhypothese d'une mesure de repre­ Manifestement, il exprime un malaise: celvi d'une evider sailles perplexite melee du desir d'aboutir it ces conclusions cl res. Dans Ie but d'eciaircir ce dernier point, je me suis done rendu On se trouve en presence d' obseNations, r€flexions et conef Ie jour meme du crime, vers 15 heures, a !' adresse figurant en sions qui donnent rimpression d'une meditation tout it /a fc tete de la feuille de papier a leure commercial trouvee sur scrupuleuse et hesitante, tant elles sont marquees..de prude Zeizig Emile, soit 10, place Xavier-Ricard a Sainte-FoY-les­ ce et s"expriment parfols d'une maniere deliberement subje Lyon. En arrivant devant Ie magasin de bonneterie qu' exploi­ tive, sans omettre d'opposer, pour chaque point importar; tail Zeizig, j'ai cOJ1state qu'une equipe de francs-gardes de la les elements retenus en faveur ou a ]' encontre de rhypothe~ MUlce fran~aise etait en train de proceder a l'enlevement des retenue. marchandises qu'il contenait Ces marchandises ataient en­ tassees dans un carnian statiannant devant la porte, au distri­ On citera notamment, a cet egard, en avant-derniere page d buees aux enfants qui s'etaient attroupes rapport, Jes formules suivantes : «Parmi ceux qui sont coupables du commandement de J'exE J'al alars interpeile un franc-garde auquel j'ai demande, apres cution, Touvl'er Paul vient en tete. avoir decline ma qualite, s'il savait ce qu'iJ eta it advenu de M Zelzig_ Ce franc-garde me n?pondit que « M. Zelzig avait ete II est accuse, en compagnie de Reynaud Andre, par ReynaL emmene par la Milice» et que pour taus renseignements je don» devals m' adresser ala Milice francaise, 2e Service, 5, impasse Mais cet element charge est aussitot anenue par l'obseN8 CateJin, Lyon {2 8 ). a tion contenue dans la parenthese qui suit: (e Peut-etre parc! Je me suis alers rendu a la mairie de Sa'inte-Foy au j" at obtenu qu'ils sant en fuite ou morts »). au sujet de Zeizig, les renseignements d"etat civil ci-dessus mentionnes En d' autres termes, Ie redacteur du rapport se demande slle~ accusations portees par Reynaudon, gravement implique lui Toutes les demarches que j'ai ulterieurement entreprises dans meme dans les activites miiiciennes, sont veritablement eredi· Ie but d' obtentr r etat civil des cadavres, tant aupres du deuxie­ bles et ne sam pas inspirees par la facilite de charger des ab­ me Service. qu"aupres de la Direction regionale de la Milice sents. franr;:aise, sont demeurees sans resultat. e est pourquoi, Ie redacteur du rapport parait faire davantage Ouatre cadavres restent encore a identifier; a defaut d' ele­ de credit (f je cmirais pluto!..,.) aux dires de Fayolle «qui ments me permenant d' orjenter directement mes recherches, soup\=onne T OUYier d' avoir dirige "operation ), - cette opinion j" ai fait reeueillir sur les victimes tous objets susceptibles de de Fayolle etant au surplus rapportee par Lachaud, seNir a leur reconnaissance ulterieure par des tiers. L'jnspecteur Demangeat indique que les jugements de Lecus­ san et Thurin «Ja renforcent (cette opinion) sans la confir­ mer », - ce qui constitue une formulation obscure, etd'ailleurs Conclusion. inadequate, si ron sa retere aux declarations precitees des II est hors de doute, d'apres ce qui precede, que cette execu­ interesses -, mais precise toutefais que «pour Arnaud, la tion collective est une mesure de represailles exercee c~ntre responsabilite de rexecution va au chef regional, alors, de des Juifs a la suite de I'assassinat du secreraire d'Etat a j'infor­ Bourmont J. mation et a la propagande ; la proximite des dates des deux En conclusion generale de son rapport, rinspecteur Deman­ evenements et la qualite confessionnelle des victimes consti­ geat exprime la certitude d'un crime commis par la Milice. fait tuent deux arguments solides en faveur de cette these. etat de la possibilite que I'ordre d'execution soit vsnu du chef regional de Bourmont, et retient I'hypothSse que« ('operation D'apres la reponse que m'a faite, a Saint-Foy-Ies-Lyon, Ie a eu lieu sous Ie commandement direct de Touvier, avec la franc-garde que j'interpellais, «pour tous renseignements participation des francs-gardes au d'une equipa speciali­ adressez-vous a la Milice francaise, 2e Service, 5, impasse see .. ). Catelin._. ), fai tout lieu de croire que ces meurtres sont I'ceu­ • vre de la Milice fran<;aise. • •

Jouma! du 1B juin 1992 ~_-,~ ·c- ~'" . JURISPRUDENCE 403

~~I~onvient de mentionner que, selon un rapport du secretaire Dans Ie courant de I' apres-midi du 2B juin, cinq autres Juns r"'de Police Jean Cagnasse, en date du 1 B mai 1946 !liasse 7 - furent amenes dans la cellule, successivement, a une heure ;.i.D. 1124/5 [0.144]), etabli dans Ie cadre de I'une des infor- d'intervalle environ. F' ,;mations ouvertes a Lyon au sujet des agissements de Touvier (v. infra, p. 181 et s., I' enumeration de ces procedures et les Le 29 juin. au lever du jour, Ie milicien Gonnet (ancien chef du !. . e suites qui leur furent donnees). Ie milicien Badel avait accuse 2 Service departemental, devenu chef de centaine ala Milice . ce demier. entre autres forfaits. d'avoir commands de nom· de Lyon). qui assurait les interrogatoires sous la direction de breux meurtres. dont I' execution de sept Israelites 8 Rillieux Touvier, avait ouvert !a porte de la cellule, avec une liste en (Ain) vers la fin du mois de juin 1944. main. II avait alors appele par leur nom chacun des sept Juifs, puis, en dernier lieu, Louis Goudard lui-meme. Les huit person­ L'audition de Badel (D. 141) n'avait ete que mediocrement nes s'etaient placees contre Ie mur du couloir d'acces. prise en consideration par I' auteur de ce rapport qui. sans omenre de faire etat de I'affaire de Rillieux, ne croyait pas T ouvler. - que Ie temoin cannaissait pour I' avoir deja rencen­ devoir la faire figurer dans ses conclusions. - sinon pour rete­ tre deux fois dans les locaux de !'Impasse Catelin -. etait alors nir que Touvier etait represents par ses collegues comme un arrive, avait echange quelques mms avoix basse avec Gannet individu dangereux. a la suite de quoi louis Goudard avait ete remis dans la cellu­ le. Le « temoignage » du milicien Badel est evidemment suspect. mais il a pu etre considers comme un element a charge. et il a le sOlr meme il avait appris Que les sept Juifs avait ete fusil­ ete mentionne, a ce titre. par Ie commissaire Delarue dans Ie les. rapport qui lui avait eta demands dans Ie cadre de I'instruction lui-meme etait parvenu a s' evacer des locaux de la Milice. du premier recours en grace de Touvier (tome I, liasse 1, o. 209, p. 9, avant-dernier alinea). Louis Goudard indiqua (D. 185. P 3). en 19B 1 : «Personnel· • lement. j'ai Ie sentiment que TOLJvier ne voulait exercer ses • • reprssailles que sur des Juifs Cette represaille faisait suite a !'2xecution de Philippe Hen­ II faut relever, II i'oppose, que Ie milicien Andre Fichet. - not. detenu a Riom -. qui croyclit pouvoir donner des renseigne­ ments sur Ie refuge de Touvier, au rnois d'aout 1945. et qui fut Mais compte tenu du debarquement. je pense que les mili­ interroge a Riom a ce sujet (proces-verbal n° 704 au dossier ciens voulaient se reserver une porte de sortie en ne s'ana­ «Cour de justice de Lyon, : tome I. liasse 1 [D. 127]) accusa Quant plus aux non-Juifs, ou plus exactement en ne les faisant par la merne occasion Touvier de multiples forfaits, mals sans plus executer ». memionner "affaire de RiJljeux. En 1989 (21 septembre 1989. D. 1045). LOUIS Goudard • fournira a ce sujet d' au"tres reflex'ons qui apparaissent, com­ • • me les precedentes, assez pervr,entes Quant a la psychologie des membres de la Milice. Las investigations operees dans Ie cadre de la prt'isente procedure. O. 1045, p. 2 : « ... je slgnale que Ie debarquement avait eu lieu et que les chefs millciens se oreparaient a un changeme~t les investigations operees dans Ie cadre de la presente proce­ de situation et que de ce fait leur comportement vis-a-vis des dure. quant a raffaire de Rillieux ant. - independamment de detenus s'etalt modifie. Mais la resistance avant execute Phi­ I'audition a nouveau de certains {temoins» (ex-miliciens) de lippe Henriot. ils avaient recons:dere leur position. Cest airs! 1946. mentionnee plus haut. - fourni. sur la maniere dont les que, pour tenter de dissuader la ~esistance d'executer d·au­ victimes du massacre turent choisies, des elements tout a la tres miliciens, iis souhaitaient eux-memes proceder ades exe­ fois inedits et confirrnatifs de la vraisemblance d'un processus cutions d'otages rapidement apieS cet attentat. Je crois aussi deja fortement suggere par les circonstances de fait deja eluci­ savoir que la meme operation avait Ene mense a Macon ou six lees personnes avaient Me execute-es a I'initiative du chef milicien st patent en eftet qu'au mains six des sept victimes appar­ de cette ville. Je crais savoir ega:ement que ce chef milicien s'etait fait reprimander par Oegans car ces six personnes lcnaient a la cammunaute juiv~ (pour la septieme victime, on ne saurait tirer aucune conclusion de I' aspect phYSIque et etaient non juives !t. notamment du « profil» de I'inconnu assassine, comme ant O. 1045, p. 4: {( Je souhaite fournir une reflexion sur Ie fait cru pouvoir Ie faire les premiers enqueteurs) at qu'i! ne s'agit que Gannet m' avait designe sur la liste des personnes choisies pas 18 d'un hasard. en Qualite d'otages alors que Touvier m'en a sarti. Apres Hi­ Les temoignages recueillis sont ceux de MM. Louis Goudard ftexion j'ai rintime conviction que les miliciens nourrissaient et Maurice Abelard. une haine totale des Juifs et des resistants F.T.P. Les FTP avaient la reputation d'etre encadres par des communistes et • que c'etait eux qui faisaient Ie pius de mal aux miliciens. ce­ • • pendant Ie fait d'etre Juif suffisait pour etre fusille par des miliciens, lesquels pouvaient ensuite tirer des profits materiels Ttlmoignage de M. Louis Goudard. du pillage des biens juifs. Je crois que pour Gonnet c'es"t sa Louis Goudard etait responsable du service de renseigne­ haine des FTP, qui etait plus grande que sa haine des Juifs, qui ments des F.T.P. II I'echelon regional, correspond ant actuelle­ I'a emporte. alors que pour Touvier, c'est sa haine des Juifs ment a la region Rhone-Alpes (D. 1 B5, p. 3). qui etait plus grande que celie des F.T. P. Je pense de plus que T ouvier qui etait en contact avec les Allemands souhaitait une II avait ete arrete par la Milice Ie 21 juin 1944. preuve de gage II leur egard • Le 28 juin 1944. au matin. il se trouvait detenu dans !,immeu· • ble de la Milice sis impasse Catelin 8 Lyon, dans une cellule. en • • compagnie de cinq autres personnes. deux Juifs (non resis­ Le tt'imoignage de Maurice Abelard (D 1397. D 1425. tants, selon lui) et trois resistants. L'un de ces demiers, captu­ 7·8-9. D. 1429) res Ie matin merne. lui avait appris la mort de Philippe Henriot et Ie temoin avait aussitot redoute les represailles (D. 195. Maurice Abelard appartenait pendant la guerre au B.eRA p.2) {Bureau Central des Renseignemems et d'Action} de Londres,

Joumal du 18 jUin 1992 404 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" sem.)

et exerryait les fonctions de radio. II fut arrete par la mi!ice Ie 23 prement. « Confession a Mgr Duquaire,. (tome III, hasse 7, o. Juin 1944. 11161. Entendu Ie 9 mai 1990 (D. 1397), son temoignage est tres • circonstancie, tras nuance et. apparernmenr, tras scrupuleux, • • mais Quant a I'affaire de Rillieux, iI ne contient que quelques indications. d'ailleurs precises. Le second point de cette these au sujet duquel Paul Touvier se mantre beaucaup plus laconique a trait a son comportement II confirm a la presence de Goudard qui S8 mefiait, et dont on precis, et aux responsabilites particuljeres qui furent les sien­ S8 mefialt, - reaction normale estimait-il, « car dans ces cas­ nes dans r affaire, la. on ne sait pas a qui on a affaire ». • II indique qu'au cours de la matinee du 28 juin 1944, -a I'an­ • • nonce de I'execution de Philippe HennOf. les miliciens pre­ sents dans les locaux de I'impasse Cateiin avaient pousse des Quant au premier point, II convient de citer. par extra its de la lettre precitee, qui paratt dater de les articulations es­ cris et menace des detenus en ces termes : « Salopards. VOUS 1959. allez taus y passer! » sentielles du systeme de defense de T ouvier :

Maurice Abelard avait vu arriver, - parmi :es futures victimes ~ « '" je vais repondre a votre demande d' explication au sujat de Prock, Benzimra ainsi que, Ie 28 Juin, Glaeser, personne tfl?S rexecution de sept Israelites qui eut lieu Ie 28 juin 1944 a Rillieux pres de Lyon ... Dans les conclusions du rapport de la dlstinguee qUI lUI fit grande impression et lui declara que e'est a titre de Juif qu'il avait ete arrete, Police de sCtrete en date du 4 mai 1946. on peut lire: « Parmi ceux qui sent coupables du commandement de I' execution, II relata que dans la journee du 28 juin (t la porte s'ouvrait et se T ouvier Paul vient en tete», refermait sans cesse» et qu'il avait pense «qu'on allait taus y passer et qu'il y avait peu d'espoir ». J'aurais pu, des que reus connarssance de cette accusation, en 1953. nier toute participation a ce drame qui, dans Ie livre O'apres les photographles des eadavres, il identifia Prock, et du journaliste Iyonnais, Paul Garcin, « Interdit par la Censure), l'lnconnu comme erant celui q~i, dans la cellule, chantait un air est impute aux seuls Allemands. On lit en eftet a la p, 256 : d'opera, - il s'agissair, selon Ie temoignage de Louis Goudard, I( Jeudi 29 juin, Les Allemands ant fusitle sept de-tenus du fort d'un air de « la Tasca) de Puccini, « Ie ciel brillera d'etoiles », Montluc a Rillieux devant Ie cimetiere) (Note de la Cour. chant d'un homme devant etre fusiile ie lendemaln. Citation exacte), II cr:.Jt identifier ausslle visage de Glaeser, mais en designant la Je pourrais aujourd'hui encore, tenant compte du peu de pre­ photographie du cadavre n° 2 (Krzyzkowski L,) cisions du dossier, pi aider i'ignorance. et laisser a mon avocat Ie soin de refuter chacune des depositions tres vagues sur Le remoln declara que, comrr,e II ne S2 trouvalt plus dans la lesquelles s'appule I"accusation. cellule au moment au les sept Juifs furent appe!es pour eIre fusilles il ne oouvait dire comment les chases s'etaient pas­ Je pourrais meme aussi, rejeter toute la responsabilite du sees, Qui ava'it fait rappel. et 51 Touv:er etait in'ervenu. drame sur M, de Bourmont alars chef regional de la Mi!ice. • mort sur Ie front de rEst en 1945, Mais ces diverses methodes de defense - meme si elles de­ les dires de T ouvier. vaient reussir - ne seraient de ma part qu'un camouflage plus au mains habi\e de Ie verite. Or je n' ai pas a travesttr Ja verite; La Cour ne commentera pas autrement les temoignages et je tiens a la dire entiMe .. :t. declarations mentionnes Supra qui confirment. s'il en etait besoin, que Ie massacre de Rillieux a ete Ie fait de la Milice, et qui ne laissent aucun doute sur la volonte de ses organisateurs it: II me faut avant tout essayer de placer les faits dans Ie de choisir des vic times d'ongine juive, - resistants, ou non contexte precis du moment. ce qui donnera en meme temps (l"appartenance a la Resistance est controversee, mais pour son veritable sens a mon adhesion a la Milice, Pour mei, en certaines des victimes, elle n'est pas douteuse, ce qui ne veut enet, il n'y eutjamais de doute : Ie Gouvernement du Marechal pas dire qu'a l'epoque des faits, la Milice ait necessairement Petain etait legitime et la Milice fran9aise creee par la loi au 30 connu cene appartenance). janvier 1943 ne pouvait etre qu'un organisme officiel de ce Cette volante n' a jamais ete contestee serieusement par T ou­ Gouvernement. C' est pour cene raison. evidente pour moi, vier IUi-merne, qui ne nle pas etre imp:ique dans I'affaire, tout que j'ai accepte les responsabilites qui m'ont valu rna en pretendant que son r61e a ete tres limite, et que c' est condamnation seulement la necessite d' eviter un plus grand mal qui a justifia D'autre part dans les statuts annexes a la loi de sa creation, i! son comportement eta it dit que la Milice devrait« ". non seulement soutenir rEtat • nouveau mais aussi concourir au maintien de I'ordre inte­ • • rieur), Et. en conclusion a son discours inaugural, Damand disait : « II serait vain de denombrer toutes les causes de trou­ Le premier point de la these de T ouvier est que I' operation de bles et de desordres, Un danger domine tous les autres : Ie Rillieux n'avait ete organisee et exf§cutee que pour eviter des Bolchevisme ). represailles massives envisagees par !es autorites d'occupa­ tion, a la suite de I'attentat perpetre Ie matin meme contre Pour moi. com me pour tant de camara des. Ie peri! stait donc d' abord I'interieur Ie Bolchevisme, la faveur des circons­ Philippe Henrio!. Selon Touvier, it aurait« cede a I'inevitable », a au a et il s' en explique, abondamment et clairement. dans divers tanees, mettait sur pied une veritable armee clandestine au service de etranger Arrnee secrete 81ant un autre proble­ ecrits et courr'lers, at notamment, au soutien d'un recours en r ~ r me ~ et nos premieres affiches de propagande ne parlaient en amnistie, daf1s une lenre adressee en 1959 au Reverend Pere aucune fa<;on de collaboration mais portaient simplement ces Blaise Arminjon (tome VI, liasse 10, - Documents annexes au mots: « Contre Ie co~munisme - Mi!ice fran9aise ,. PV D. 11941. lettre destinee a M. Mlchelet. Garde des Sceaux et dont la co pie avait ete saisie par les enqueteurs Que par la suite soient venus les deviations, les erreurs, et dans les archives de I'incu!pe, ~ et egalement dans des enre­ meme certains crimes qui sont reproches a la Milice, je ne Qistrements sur cassettes magnetiques dits, d'ad\eurs Impro- peux heias \e nier, >::t;2 suis Ie premier aIe deplorer ... Et si J' on JURISPRUDENCE 405

:.voulait pretendre que je suis solidaire, - parce que milician - Quoi qu'il en soit; au soir du 28 juin, c'est a moi que de , de tous les crimes commis sous Ie couvert de la collaboration Bourmont demandait trente prisonniers, J' ai garde un souve­ et meme. en allant plus loin encore, solidaire de tous les exces nir precis de ces instants passes avec lui dans son bureau. Je de I'occupant jusqu'aux camps de concentration d'Aliema­ ne puis dire combien (etais bouleverse. J'essayai de trouver gna, alors. je Ie comprends. je ne pourrais en aucune fac;:on par taus les moyens une solution qui reduirait Ie nombre des beneficier d'une loi d'amnistie quelle qu'elle soit. victimes. Nous etions talonnes par Ie temps et face a une Mais, honnetement, y a-t-il une quelconque commune mesu­ impossibilite absolue de nous opposer totalement a la volonte fa entre «l'homme de main» pn§t a tous les reniements at de ['occupant. Ceux qui n'ont pas oubhe les circonstances de ces jours tragiques comprerldront la verite de ces demiers calvi qui. fidele son serment, suivitjusqu'au bout Ie Gouver­ a mots. Les Allemands pouvaient. I'heure de leur choix, faire nement du Marechal. convaincu que c'etait 18 waimant la a meilleure fac;:on de servir son pays? Si ron veut bien faire cette proceder a de multiples executions. Et les €venements ne [' ont que trop demontre par la suite. juste distinction, j'aurai peut-etre alors quelque chance d'etre compris, at de faire comprendre en merna temps la conduite Par son intervention, de Bourmont avalt fait n§duire Ie nombre de ceux qui ant paye de leur vie cene fidelite. des otag8s de Gent a trente. Par man action personnelle, il fut encore redult de trente a sept. Je pensai en effet qu'en agis~ Je parle iei des miHciens de I'ancienne , de ceux qUI, . sant progressivement et Ie plus discretement possible il y au­ venant du S.O.L., ne pouvaient avoir qu'un idea! purement rait quelques chances de limiter, autant qu'il dependait de fran<;ais, et pour qui la collaboration ne fut jamais, suivam Ie nous, les tragiques consequences de la mort de Philippe Hen~ formule .de leur chef, Ie soldat de 14-18 et de 39-40, que la riot. Je ne me trompais pas. Cest parce que Ie drame de «collaboration debout et non a genoux ». Formule decourant Rillieux fut entoure d'un silence dont temoigne tout Ie dossier, du conseil que donnait Ie 9 janvier 1942 - deja! - un grand et parce que je me suis trouve a man poste Ie 28 juin que Journaliste dans Ie titre de son article hebdomadaire « Tiens~toi vingt-trois otages furent encore sauves. droit». Voila Ie resume exact de ce drame atroce. Je n'ai cede qu'a ... wl. Nous avons tente de nous tenir droits face au Maquis I'inevitable ) . 18 et face a ['occupant. Nous avons voulu lutter contre la fl, ... (ee montante des attentats des uns et des actions de re~ Tel est. quant au premier point. l'essentiel de la these de presailles des autres. Mais ce fut au-dessus de nos forces. T ouvier qui se resume par les demiers mots cites. Nous avons ete submerges, et en partie contamines. Nous O'autres indications suivent dans ,Ia letue qui peuvent etfe avons echoue. Mais malgre notre achee, il n'en reste pas utilement cltees dans la mesure au il y est fait etat de [' atrocite mains vrai que nous avans lutte. Et Ie drame du 29 juin 194-4 a des represaii!es allemandes dans les semaines suivantes, et Rillieux est un episode de cette lutte dans ce qu'elle eut de au ces evenements ne rendent pas invraisemblables, dans la plus desesper8. these de Touvier, [es intentions pre tees a Knab de faire execu­ Jusqu'a la veille de ce jour, il n'y avait pas eu dans la region ter, par represailles. une centaine d'israelites . Iyonnaise d'extkutions d'otages en masse comme il y en aut a (Reprise de la citation} partir du 13 juillet( 197 fusilles ce jour-la, 52 Ie 19, une cemal­ ne Ie 18 aoOt. et 120 a Saint-Genis-Lavalle 20 aOOt). Aussi, «Y avaiHI une autre solution? On peut peser. examiner Ie ~ lorsque de Bourmont apprit. en mon absence, la decision du probleme sous toutes ses faces aujourd·hui. mais ce jour~la, commandeur Knab, chef de la Gestapo, de faire executer une harcele par Ie temps, pris dans « l'etau » de rOccupation qui centaine d'otages israelites a la suite de la mort de Philippe S8 resserrait chaque Jour davantage, que fallait-il faire? Henriot, il fut atterre et S8 rendit immediatement place 8elle­ Si j' avais fUi mes responsabllites - en prenant [e maquis com­ cour ou S8 trouvaient les bureaux de Knab. C' etait Ie 28 me on me conseillait de Ie faire - J8 sats de la fal;on la plus juin. certaine qui m' aurait rem place et comment on auratt agi a ma Philippe Henrict avait ete tue a six heures du matin et. pour ma place. Le dosssier Ie die Et c'eOt ete lachete de ma part. J'ai part, je n'appris la nouvelle que vers 14 heures alers que chois! [a soiution qui me paraissait la seule possible, Si j' aV81S "arrivais a Lyon en voiture, venant de Vichy. On vint me dire pense pouvoir agir autrement ce jour~la, je I'aurais fait, sans cue de Bourmont desirait me voir des man retour. Je Ie trcuvai doute, merne au peril de rna vie. com me j' ai agi pour la libera~ de la Republique ason bureau et c'est I. qu'II me fit part de tion des prisonniers que ie VatS evoquer maintenam. la responsabilite qu 'i! venait de prendre face aux menaces alle­ mandes. Oepuis Ie 6 juin I' atmosphere de guerre civile allait grandissam a Lyon com me dans toute la France, et plus encore dans cette Knab lui avait confirme sa decision de faire executer une cen­ ville que I' on a appelee de puis « la capitale de la Resistance». t8ine d'!sraelites. De Bourmont avait objecte que tout ce qui Ouand vint Ie 14 juillet. ce fut Ie dechainement des forces concernait les suites de la mort de Philippe Henriot devait adverses, symbolise par les repn§sailles allemandes de la rester une affaire exdusivement franr;::aise. Mais c~ n' est veille: 197 fusiUes 122 + 52 + 28 + 40 + 40 + 15) en six qu'apres un entretien long et difficile que Knab setait rendu, endroits differents. Attentats d'un cote et represailles alle­ en partie, aux raisons qui lui etaient exposees. Et de Bourmont mandes de ('autre 58 mu[tiplierent alors, portant a son pa­ avait pu obtenir finalement que fut limite a trente Ie nombre roxysme une sorte de furie qui devait aboutir a l'horreur de des victimes qui seraient alors prises parmi les detenus de la Saint-Genis~Laval au 120 prisonniers furent abattus par la Milice. Gestapo dans la maison en flammes au ils avaient ete enfer­ meso Je ne puis expliquer dans ces quelques pages les circonstan~ ces qui m'avaient amene a prendre en charge taus les prison~ C' est a ce moment que j' eus de graves difficultes a rinterieur niers dans man service. Mais j'affirme devant Oieu que j'ai pris meme de mon SeNice - mais il serait trap long de les exposer volontairement cette responsabilite des prisons, qui est deve­ en detail lei - je fis desarmer certains de mes hommes qui se nue si terrible pour mOl par la suite, pour eviter certains abus livraient a des exces, je les obligeai a me remettre leurs cartes que j'avais pu constater auparavant. Je ne puis Ie regretter car de miliciens, et j' en fis emprisonner quelques~uns - on peut les 21 et 22 aoOt 1944 eel a m'a permis d'eviter que les 42 facilement relever les echos de ces faits dans Ie dossier - tant derniers prisonniers que nous detenions soient abattus com­ et si bien qu'au milieu de ce bouleversement. je fus averti. Ie me les 120 victimes de Saint-Genis-Lavall'avaient ete la veille. 14 juiUet exactement. que Ie groupe {( Francis Andre» de la Je reviendrai plus loin sur ces faits, Gestapo etait decide a me supprimer

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Je dis cela afin que ['on comprenne bien queUe etait alors rna nouveau. Cest d'un commun accord que nous arretons jl position aI' egard de la Police allemande. et auss! comment je chiffre de sept Juils et que nous decidons de proceder , fus amena a prendre la decision de proceder a toutes les J'execution par series successives, de far;::on a gagner dl hberations de prisonniers qu'il m'etait possible de faire. Com­ temps. 11 n'est pas facile d'expliquer Ie drame que naus avon: bien d'hommes ai-je ainsi liberes peu a peu? Je ne puis repon­ vecu 45 ans apres, ce que je veux dire c' est qu' on a tente d! dre d'une fa90n precise. Une centaine peul-etre. Peut-etre faire ce qu'on a pu pour eviter!e pire et ceci avec Ie maximun plus. Un fait est certain, alors qu'en juil/et les prisons conte­ de discretion. naiem 200 personnes environ, il en restait 42 seulement lor5- (S.L) Si de Bourmont m'a demande de me charger de cett< qu'arriva Ie 15 aout. Je me permets de joindre ma lettre une a question c'est 'parce qu'il etait nouveau daris la region e~ nOU! photocopie de la deposition d'un pretre qui confirm era man avions sympathise. Enfin, il avait eonfianc8 en mOl ... De plus, reClt. avait pris une succession qui etait ceUe de Lecussan. II est vra Mais Ie 18 une centaine d'otages eta:! abattue a Lyon par fes qu'il aurait pu demander a 1a Franc-garde de S8 charger dE Allemands. Le 20 aout c'etait Saint-Genis-LavaL Et au SOlr du I'affaire mais Ie fait est qu'il me ['a demands a moL Je rappellE merne jour... (je donne la parole au cornmissaire de la Republi~ qu' a cette epoque f avais auss! sous ma responsabiliI€ le~ que de Lyon, a la liberation: Yves Farge, dont je capie les detenus de la Milice. Je rappelle egalement que c'est a m, prop res termes dans Ie livre ({ La Haine ») : « C' est au soir du demande que j' ai eu ces prisonniers apres m' erre rendu com 20 aout que Ie capitaine Carr'le vint m' annoncer que Ie colonel pte de la fac;::on dont ils etaient detenus a Colanges au le~ Knab, commandant de la Police allemande, donnait I'ordre conditions etaient tres mauvaises. d' executer taus les detenus de la prison de Monrluc. Ouel~ (S.!') Je ne sais pas pourquoi nous avons arrete Ie ch;ffre dE ques heures plus Tard, nous recevions une relation imparfaite, sept Juifs alors que nous avions une douzajne de detenu~ mais suffisante, de I'affreuse tragedie de Saint-Genis-Laval dans nos locaux : je n' ai pas fait un caJcul a partir du nombrE Allions~nous assister impuissants au massacre de hUlt cen"ts de Juifs detenus, c' est en accord avec de Bourmont que CE prisonniers? ». chiffre a ete arrete. Je ne me sUls pas cha~ge de designe nommement les personnes executer, donne des ordres Et Yves Farge explique par quel moyen la Resistance fit pres­ a 1'di ~ sion sur Knab. II e::rit : «II s'agissait de notifier a l'Etat major Reynaud et a Landresse qui se sont charges de les menre er application. allemand notre dec.:sion de considerer comme otages les pri­ sonniers alJemands de la Haute-Savoie et de la Loire.. et parmi eux des affic:ers superieurs, des chefs de la Police qui tentaient de s'enfuir et dont nous avions les noms lI. Puis, il (S.!') J'ignore qUI a redige les cartons sur lesquels O'1t elE conclut : « Ie 23 aout, les Allemands s'inclinalent. Le lende­ mscrits Ie nom des vlctimes, en tout cas, ce n'est pas mol. main les partes de Montluc s'ouvraient». (S.I.) Cest de Bourmont qUI a charge la Franc-garde de l'exe­ Pour mOl, des Ie jour du 20 aout - renseigne sur les intentions cution de ces sept personnes, je ne m'en suls pas occu· allemandes et sur la traged:e de Saint-Genis-Laval aussi bien pe» que I'etalent Yves Farge et Ie capltaine Carrie - II falla'lt que ie Paul Touvier niait eategoriquement avoir ete present :crs dE vide les pnsons coC::e que coCite. C' est pourquoi des Ie mann rappel des otages et etre intervenu « en faveur ) de Louis Gou· du 21 com me Ie raconte M. I'Abbe Vautherin dans Ie texte de dard. la photocopie ci-jo·nte, je i:beral un a un ames risques et perils, et sous ma s8Jle responsabi!n2. quarante-deux pnson­ II affirmait d'ailleurs a cet egard que Ie milicien Gonnet ne S8 niers - les derniers». trouvait plus so us ses ordres en juin 1944 (P"';lsqu'i! a\-olt ete • nom me chef de centaine a Ja Milice en fevr~er 1944) et que • • c'etait done it tort qt.;e Ie temain faisait etat de sa preserce lars des faits dans les iocaux du 2e Service. En ce qUI concerne Ie second po!nt, -Ie r61e precIs de Touvier, • on ne peut manql..;er d'observer que, dans Ie document qui • • v'ent d' etre cltEL i! ne fait l' objet que d'une courte phrase « Par man action personnelle, il « Ie nombre des otages) )} fut L'un des exemplalres de la lettre au reverend Pere Blaise Ar­ encore n§duit de trente a sept». minjon porte, in fine, une annotation du des:inataire en date du 25 aout 1974 Dans j' enregistrement sur cassettes magnetiques preeite, T ouvier - qui ne con teste guare I' authentlcite de ses propos « Tel est bien Ie text8, en eftet, de la lenre que f ai rer;::ue de encore qu'il indique que ees cassettes lui ont ete volees et ne Paul Touvier, en 1959, et alaqueHe j'ai accorde un entier cre­ considere comme valable que Ie document precedent - se dit. » montrait un peu plus precis (p. 35 de la transcription). II convient, au vu de r ensemble des elements qui sont soumis « Et man r61e a mal a consiste a choisir sept prisonniers. Sept a j'appreciation de la Cour de s'interroger sur Ie point de savoir prisonniers qui sont done sortis de la rue Sainte-Helene, qui dans queUe me sure on peut en eftet accorder credit aux affir­ ont ete remis dans les mains de la Milice armee sur I'ordre de mations de Touvier, et, dans la mesure au on leur accorde un Bourmont, mais man roJe s'est arrete a r;::a ». certain credit, de determiner queUes sont les consequences de cette appreciation sur Ie probleme de !a suffisance des Dans Ie proces-verbal d'interrogatoire du 5 mars 1990 (D. charges pesant contre Touvier dans I'affaire de RiUieux. 1194, p. 3). Paul Touvier donna des indications un peu diffe­ rentes, selon lesquel!es Ie chiffre de sept Juifs avait ete arrete Tels sont les deux points qui serant examines, ei-dessous. par de Beaumont et par lui-meme, sans que lui-meme, Tou­ • vier, designat nommement les personnes a executer, tout en • • reconnaissant aVOlr donne des ordres a des miliciens qui se chargerent de res mettre en application. Dans ses requisitions, Ie ministere public, dans les memoires produits, les parties civiles, soutiennent, en substance, que Paul T ouvier declara notamment : I'allegation selon laque!le les autorites allemandes et Knab en ,(SI) Lorsque de Bourmant m'a parie de cette affaire j'ai particulier aura'lent fa"t part a de Bourmont de leur intention compris que c' etait inevitable. Je veux eviter Ie pire, je ne sais d'exercer des represaii!es d'une ferocite sans pnkedent sera it pas comment faire et dans la journee je revois de Bourmont a invraisemblable.

Journal du 1 J'Ji.'1 1992 JURISPRUDENCE 407

Mais dans Ie contexte de I' epoque et au vu des evenements plus, participe, meme indirectement. a I'execution ou a ses qui ont suivi, il ne parait pas que cene these soit depourvue de preparatifs. vraisemblance. Philippe Hennot etait un orateur d'envergure Cene presentation des faits revet. a revidence, un caractere qui soutenait les theses de la collaboration en un moment ou specieux qui fait pn§sumer que, conformement aux indications elles perdaien! taus les jours davantage de credibilite. Sa dis­ qui resultent des declarations et temoignages recueillis - et parition pouvait atre ressentie comme une perte tres sensible qui, a eux seuls, ne seraient sans doute pas decisifs -, Paul par certaines autorites militaires allemandes, bien au courant T Quvler, non seulement etait present lars des ultimes prepara­ des mentalites en France. at necessiter une reaction aussi tifs de I' execution. mais qu'jl y a joue un role. au moins d'orga­ spectaculaire que brutale tant pour venger la disparition d'un nisateur, meme Sl ron admet que I'impulsion essentielle est allie important que pour eviter Ie renouvellement d' operations venue de de Bourmont. O'aiUeurs Ie simple fait - reconnu par semblables. lui - d' avoir donne des instructions, est suffisamment proba­ Que Werner Knab S8 soit ouvert de ses intentions a de Bour­ toire d'une complicit€ d'assassinat par aide et instructions. mont n'est pas. compte tenu des relations qui existalent entre eux, specialement surprenant. L· affirmation de Paul Touvier selon laquelle il aurait. par son propre comportement. sauve vingt-trois Juifs, puisque de Que de Bourmont ait, sEllon Touvier,'cherche et reussi a modi­ Bourmont envisageait d'en faire executer trente, alors que les fier Ie projet de Knab peut ss com prendre, en de pit de I'antise­ autorites allemandes voulaient. eUes, I'execution de ce'nt ou mitismes des miliciens at de celui de de Bourmont en particu­ de soixante Juifs (Touvier a donne ces deux chiffres) et qu'il a lier. Les miliciens, pour fanatiques qu'ils fussent sauvent. done agi pour eviter un plus grand mal, n'est pas du res sort de n'etaient pas tous des imbeciles et ils n'etaient pas sans intui­ la Chambre d'aceusation, juri diction d'instruction qui ne peut, tion des realites franc;aises. 115 pouvaient parfaitement appre­ en j'etat du dossier, que constater qu'il existe des charges hender les reactions d'harreur que susciterait un massacre suffisantes contre rinteresse de s'etre par instructions don­ massif de Juifs, non seulement dans I' ensemble de la popula- nees rendu compliee d'un crime d'assassinats dont elle ne ')n (dont Darnand ne S8 dissimulait pas qu'eUe etait profon­ saurait examiner les mobiles, sous reserve de ce Qui sera ement hostile au regime de Vichy et aux Allemands). mais expose infra, en rubrique 0 (p. 194 et s. du present arret). ~ '"11e chez beaucoup de panisans du «Man§chal», voire c.. ,.:;z des antisemites averes, dont bon nombre faisaient pro­ fession d'antisemitismes d'exclusion mais n'adheraient nulle­ ment a l'antisemitisme d'extermination professe ostensible­ C. - SUR LA QUESTION DE LA NON-REITERATION ment par les autorites nazies, et ce alers qu'elles et3ient DES POURSUITES. manifestement en train de perdre la partie. Dans la« Presentation» de rouvrage «Paul Touvier et I'EgJi­ En tout cas, aucun element precis du dossier ne permet d'af­ se », verse aux debats, les auteurs. en exposant quel est l'ob­ firmer q!,Je la these de Touvier doit etre ecartee sur ce jet de leurs recherches, s'expriment ainsi, au sujat des 1( vi­ point. sees que la mission exciuait » : Ce qui est possible, - et a ce sujet, les ref!exions precitees par «:!! etait eVident que I'enquete ne portera it pas sur les faits qUi M. Louis Goudard apportent des indications interessantes -, avaient mOfiva les deux condamnat:ons amort de Pauf Touvier c'est que les dirigeants de la Milice aient VU, dans une action et qui font (objet de !'instruction iudiciaire en Cours). de represailles, mains gigantesque sans doute que celie envi­ Les mots soulignes Ie sont par la Cour sagee par I'autorite militaire allemande, mais neanmoins fera­ ce, spectaculaire et significative, une precaution pour I'avenir II est certain que si I· on consideran cene assertion d' eminents immediat. II s'agirait alers, en Quelque sorte, d'une reaction hlstoriens com me exprimant la verite procedurale, sera I! regie, terroriste de survie. ipso facto, un prealable essentiel pour resoudre Ie probleme de la reiteration des poursuites : les faits qui motive rent les Rien ne permet pourtant de considerer Que cette simple hypo­ con dam nations a mort prononcees contre Paul T OUVler, se­ these dONe etre retenue. raient. sans conteste, les memes que ceux qUI': font rcbiet de • I'instruction judiciaire en cours ». • • L'examen de ce point, - important -, n'est d'ailleurs pas l ~ui donne du credit aux allegations de Touvier, comme i! decisif, en ce sens que si r autorite de la chose jugee interdit la I'explique lui-meme, c'est qu'jI aurait certainement pu, avec reiteration des poursuites, encere faut-i! que ces nouvelles efficacite, ni8r toute implication personneHe dans "affaire, et poursuites visent les memes faits, pris sous les memes qualifi­ en rejeter!' entiere responsabihte sur de Bourmont. - mort sur cations. Ie front de rEst. Le point de savoir si I'interdiction de reiterer les poursuites Les seuls temoignages recueillis contre lui. s'ils constituent pourrait s'effacer des lors que les faits sont poursuivis sous certes des indices incontestables. ne seraient pas suffisants, une autre qualification, en I'espece, celie de crime contre compte tenu de la qualite des temoins - miliciens -. et de la I·Humanite, sera evoque infra. tenuite relative des autres declarations Ie mettant en cause, pour constituer des charges suffisantes a son encontre. Dans les developpements qui vont suivre, la Cour ne procede­ ra qu'a I'examen de la premiere donnee, celie qui a trait au En definitive. la principale charge qui pese sur Paul T ouyier point de savoir si ron se trouve en presence, quant aux faits quant affaire de Rillieux resulte de ses propres declara­ a r poursujvis, d'une reiteration des poursuites, abstraction faite tions. des qualifications retenues en 1946, puis dans Ie cadre de la Celles-d ant d' ailleurs un caractere paradoxa!. T ouvier en effet presente procedure. reconnait son implication dans affaire, insiste sur Ie caraetere I' Compte tenu des conclusions auxquelles la Cour est parvenue de drama quO elle eut ses yeux, rnais quand on essaie de a dans I'expose des charges du present arret (8). la Cour can­ cemer quel fut au juste son comportement personnel, on arri­ tonnera ses observations a I'affaire de Rillieux, 8t a I·arret ve cette conclusion que selon ses dires, son r61e S8 serait a rendu par la Cour de justice de Lyon Ie 10 sep!embre borne a fIXer, d·un cornmun accord, avec de Bourmont, a sept 1946. Ie nombre de Juifs devant etre passes par les armes. et a donner les instructions necessaires pour faire etablir, par d' au­ • tres, la liste des victimes, sans Qu'il eut, en quai que ce fur de • •

JO\.ornal du 18 IUln 1992 408 GAZETTE DU PAUlS - 1992 (t~ sem.)

La defense de Touvier a toujours soutenu, et ce, des 1989, En d'autres termes, Ie non-lieu ainsi decide ne retait cer que les faits pour lesQuels T ouvier est inculpe, dans /a presen­ pas pour cause d'insuffisanee de charges mais, tout simr: te procedure « sont, en raison de la generalite des requisitions ment. parce que les autres crimes ou delits commis au pre: et de la peine prononcee. necessairement compris dans les mes commis par Lecussan etaient enveloppes par I'incull poursuites anterieures ». tion de trahison dont '" envergure couvrait toutes les infractic se rattachant a cette activite crimineHe fondamentale de I" II convient d'aiHeurs de remarquer que. pour etre formulee culpe, ce qui justifia;t les attendus suiv8nrs motivant Ie ren' d'une maniere peu juridique, telle etait auss!, manifestement, devant la Cour de Justice: en ce qui concerne la condamnation crimineHe de Lyon. la conviction du commissaire Delarue qui, apres avoir atfit que Attendu que de cet expose resultent des charges suffisant les temoignages ne laissaient aucun doute sur /a responsabili­ contre Lecussan d'avoir, sur Ie territoire franr;:ais. en'temps ~ te de Touvier quant a I'affaire de Rillieux Ip. 6). s'exprimait en guerre, depuis Ie 16 juin 1940; et plus sp. pernettanl de renvoyer I'interesse devant la Cour de justice d<

Journal du 18 juin 1992 JURISPRUDENCE 409

• .-,:nElle", crime d'intelligence avec l'ennemi, ne sont. II resulte des observations qui precedent que des lors qu'un e~~"'isitoire definitif en date du 27 avril 1946 (Iiasse individu a appartenu a la Milice et qu'il est presume avoir ni enumen,s ni, - sauf deux exceptions -, de­ commis des faits criminels quels qu'ils sOient, il est renvoye requisitoire « I' accusation retient it la charge de devant la Cour de justice competente sous !'inculpation d'in­ les crimes commis par la Milice - crimes telligence avec I' ennemi au trahison. inculpation qui couvre comrnls personnellement. qu'iI a ardonnes, encoura- tous les agissements criminels de I"interesse commis pour la 41.;IIUl,";sies, ou toleres, crimes qu' en tout cas il n' a pu igno- periode retenue par la prevention dans Ie ressort de la Cour de justice competente, et ce, queUes que soient les enonciations • des reQuisitoires de renvoi qui peuvent etre, selon les cas, • • explicites ou laconiques. o!IOs raffaire Cottaz-Cordier (tome XIV -liasse 23 - D. 1540) Quand Ie requisitoire de renvoi entre dans Ie detail des agisse- qui fut condamne a mort et execute .le31 mars 1945, .Ie . ments criminel.s, (est a titre indicatif, ces agissements etant requisito"e de renvoI devant la Cour de Justice de Lyon en date .enumeres d' une maniere non exhaustive, pour conforter Ie du"27 Mvrier 1945 mentionne notamment que I'interesse . bien-fonds de la seule inculpation generale retenue, celie de jolla, comme responsable milicien, un « role de premier plan' trahison. dans I'arrestation at I'interrogatoire des patriotes que traqualt Si done Ie commissa ire du Gouvernement dans son expose ne -fa Miliee ), affirme qu'« il doit etre considers comme responsa- cherche pas a qualifier un par un cas agissements criminels il blfj"des tortures qui leur ataient infligees» et enumere un cer- n e s' agl't pas d' un e Iacune, d't:S Iff'ers en e et que parmi Ies tam nombre de forfaits Qui viennent i!lustrer cas indications. elements constitutifs du crime de trahison, il n'y a pas lieu de De I'expose presente (qui compte d'autres rubriQues qu'il est relever ['existence d'elements constitutifs d'autres infractions. superflu d'analyser) resultent selon Ie reQuisitoire definitif, Bien entendu, ces infractions peuvent exister, eUes existent cJ)tl~ges suffisantes contre Cottaz-Cordier d'avoir commis les souvent. rnais il est inutile de chercher a les qualifier, puis- . constitutifs du crime de trahison. qu' elles constituent des composantes de la seule infraction re- • tenue. • • Dans ces conditions et Quant a j' affaire de Rillieux, on ne En 1949 encore, Ie requisitoire de renvoi devant la Cour de saurait tirer aucune consequence des enonciations de la cita­ justice de Lyon qui vise, entre autres, Louis Mace, ne procede tion ni du requisitoire de renvoi dans ce qui subsiste du dossier pas autrement (tome XII, liasse 16 - D. 1417/3 [Iiasse 1 6j1] de la procedure avant donne lieu a I'arret rendu par contuma­ dossier Cour de justice Louis Mace): il mentionne notam­ ce Ie 10 septembre 1946 par la Cour de justice de Lyon, et ce ment. entre autres faits, son role dans r assassinat des epoux alars qu'il est patent, en outre, que Ie dossier soumis a la Cour Basch, en indiquant que Mace« n'a pas participe aux assassi­ de justice comprenait les proces-verbaux d' enquete etablis au :!lats des deux vieiUardes mais simplement a leur arrestation sujet du massacre, que ['imputation des faits a Paul Touvier, ,:'qu'ii avart en partie provoquee », et renvoie Louis Mace (ainsi ou son implication dans ceux-ci, sans ehre affirmse n'etait i~que Raoul Candelone) devant la juridiction de jugement, sans nullement exclue, et qu'il apparaissait, au vu du requisitoire de f$pecifier d'inculpation particu!iere de complic,te d'assassi­ renvoi, que Ie commissaire du Gouvemement. s'agissant d'un inat. inculpe en fUlt,e, ne s'est nullement preoccupe de dresser un inventaire exhaustif des charges pesant sur I'interesse. mais • s'est borne a enumerer cursivement quelques faits qui parais­ • • satent bien etab!is et qui ne pouvaient manquer a eux seuls Les memes observations peuvent etre faites a propos des d'entrainer une condamnation par contumace dont rinetret requisitoires de renvoi du 12 octobre 1945, dans !' affaire procedural essentiel E:hait d' asseoir une permanence des re­ Vial-Voiron (tome XXVI, liasse 30, D. 1776), du 7 fevner cherches ayant trait au condamns, en attendant la purge 1946, dans I'affaire Boucher (tome XXVI, liasse 30, 0 eventuelle de la contumace. 1780). En ce domaine, devront etre rejetees comme rna! fondees les • theses expo sees tant au requisitoire definitif que dans les re­ • • quisitions orales de M. Ie Procureur general, ensemble les conclusions des parties civiles. Dans raffaire lagron (tome XIV, liasse 23, D. 1541), rinteres­ se est alors « en fuite ), et Ie n~quisitoire de renvoi devant la Cour de justice de Lyon se contente d'enonciations tres som­ Le H~quisitoire definitif soutient que Paul T ouvier pourrait etre maires (<< Lagron Georges a ete franc-garde de la Milice. II a juge une nouvelle fois, et renvoye davant la Cour d'assises, eta vu fff3quemment en uniforme et servait de garde du corps pour sa participation a la fusillade de Rillieux, car il n'aurait pas a Conaz-Cordier .). ete deja juge pour ce fait. * A I'appui de sa these, Ie Requisitoire definitif cite Ie texte du • • requisitoire devant la Cour de justice, qui ne fait pas explicite­ Dans toutes ces affaires les citations a comparaitre devant la ment reference a la fusillade de Rillieux, se contentant de citer Cour de justice visent uniQuement la seule inculpation retenue des actes de pillages ou d'extorsions de fonds, et Ie ministere au requisitoire de renvoi. !'interesse etant cite: public a fait etat egalement devant la Cour de la teneur de la ci­ tation. (Comme inculpe d'avoir sur Ie terrltoire franc;::ais. en 1943, 1944 (Menrion de la Caur: c' est la periode generalement Mais il resulte des observations qUI precedent (p. 176 et s. du retenue) et plus specialement depuis Ie 16 juin 1940, etant present arret) Que les enonciations du requisitoire de renvoi, ~rancais, entretenu des intelligences avec une puissance dans toutes les affaires citees supra, sont telles qu'iI n'y a pas etrangere au avec sas agents en vue de favoriser les entrepri­ lieu de s'attacher a la teneur de l'expose qu'i! contient - qui a ses de cene puissance contre la France. souvent un caractere ind:catif. et qui ne possede jamais un caractere exhaustif -. pour en tirer des deductions limitatives .Faits prevus et punis par I'art. 75, alinea 5 C. pen •. de la saisine de la Cour a !' epoque au elle rend it son arret: • comme ('expose Ie commissaire du Gouvernement dans I'af~ • • faire Lecussan, les crimes ou delits aut res Que ceux de trahi-

Jo:.;rnai du 18 jUln 1992 410 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" ,em,)

son retenus.. «S8 confondent avec rinculpation de trahi­ sont definis par la resolution des Nations Unies du 1 ~~Jler son ». 1946, prenant acte de la definition des crimes contre I'Huma­ nite. telle qu'elle figure dans la charte du Tribunal international La teneur de la citation reproduisant la qualification du requisi­ du 8 aout 1945, sont imprescriptibles par leur nature). toire de renvoi ne saurait davantage donner lieu aune interpre­ tation permettant d'affirmer que la Cour n'a pas ete saisle de Au vu de ce texte, qui ne donne pas lui-merne une definition du tel au tel fail. crime contre I'Humanite mais procede par references, la Cour s'interrogera sur les quatre points suivants : En outre. les faits de i'espece, ainsi que Ie cheminement des procedures analyse supra montrent que la Cour de justice de 0/1 - Que faut-II entendre par crime contre I' Humanite ? II ne Lyon n'a pas pu ne pas avoir ete saisie des faits dont Ie minis­ s'agit pas, en substance, d'un crime exorbitant du droit com~ tere public, comme les parties civiles concernees. soutien­ mun, mais bien d'un crime de droit commun commis dans nent vainement au vu de I' ensemble des obS8Nations qui certaines circonstances et pour certains motifs qu'il convient precedent, qu'ils echappaient aux premieres poursuites. de pnkiseL • 0/11 - Ces circonstances et motifs sont-ils susceptibles • • d' etre retenus au regard de la s'ltuation et du r61e de Paul Touvier dans!' Etat vichyssois ? Mais s'il est patent que Ie dossier de la procedure suivi8 pre­ sentement contre Paul Touvier offre - pour /' affaire de RiUieux, 0/111 - Ces circonstances et motifs pourraient-ils €Hre retenus en tout cas - un cas de reiteration des poursuites, puisqu'jl est si !'on considerait Paul Touvier com me un agent de fEtat reproche a Touvier des faits dont !a Cour de justice de Lyon allemand national-socialiste ? avait necessairement deja ete saisie, la portee du principe selon lequel une teUe reiteration serait prohibee prete acontro­ D/IV - Les agissements de Paul T ouvier, dans Ie contexte de verse. I'affaire de Rillieux, sont-ils qualifiables de crime contre I'Hu­ manite entraTnant )e regime d'imprescriptibilite ? Pot1r Ie cas au les faits retenus a charge, - Ie massacre de Rillieux -, pourralent etre considen?s comme des crimes • contre I'Humanite -, on peut estimer, eu egard a cette qualifi­ • • cation, - virtuel/ement possible, en thaorie, depuis 1945, 0/1 - La crime contre (,Humanite. ma'is formellement recevable depuis la 10i du 26 decembre 1954 tendant a constater !'imprescr:ptibilite des crimes La notion du crime contre J'Humanit8, camplexe, evo/utive, contre j'Humanite -, que les nouvelles poursuites sont POSSI­ fait desormais I' objet de definitions jurisprudemielles qui pa­ b!es, mame si les faits v'lses par les actes de poursui:e ont deja raissen! acqulses. etc juges, mals sous une autre qualification, en !'occurrence, Sur la definition meme du crime contre rHumanit8, il n'existe celie d'inteUigence avec I' enneml. pas de divergences notables entre les theses du ministere Le concours de qualification se rapportant a un meme fait, au public, celles des conseils des parties civiles, et ceHe de la De­ a un meme ensemble de faits, n'interdii: pas en eftet 1a reprise fense. des poursuites, - sauf en cas d' acquinement -, du moment • que la nouvel1e qualifcation, artlCUJee aparrir des memes faits, • • permet la protection d'interets, Individuels au sociaux, diffe­ rents de ceux qui se trouvaient proteges dans Ie :::adre de la La definition de droit international du crime contre I'Humanite premiere qualiflcatlor, resuite des dispositions de I'art. 6 C du statut du Tribunal militaire international, jOint en annexe a J'Accord interallie si­ 0' all/eurs, la Cour de cassation, dans r arret preCire du 6 fe­ gne a Londres Ie 8 aoGt 1945 et de la Resolution des Nations vner 1975, avait ind:que que «: ies elerr:ents constitutifs des Unies du 13 fevrier 1946. crimes contre i'Humanite defiilis par i'art 6c de la charte du Tribunallnternationa! 'JFJ 8 aoCn 1945 auqueJ se refere la loi du Cette Resolution et ce statut (qualifie de t: Charte,) sont vises 26 decembre 1964 Qui les declare imprescriptibles, ne sont par la loi precitee du 26 decembre 1964. ils ont force legale, pas les memes que ceux des cr:mes de guerre prevus par I' art et possedent meme une autorite superieure a celie des lois, 80 C. just. milit, et du cnme d'intelligence avec r ennemi prevu par application de I'art. 55 de la Constitution. par les art. 70 et s. C. pen. lis font partie, par consequent, du droit positif interne Le conseil de Touvrer qui a pen;::u qu'il pouvait eXlster la une objection majeure a sa these seion JaquelJe la constatation de Aux termes de I'art. 6 C du statut du Tribunal militaire interna­ la reiteration des poursuites commanderait ie non-lieu (po 144 tIonal, les crimes contre l'Humanite SOnt:

et 145 du memoire du 26 novembre 1991) a conteste ce f( l'assassinat. I'extermination, la reduction en esc lavage, la pOInt. deportation et tous autres actes inhumains commis contre La Cour n' analysera. Ie cas echeant, la pertinence de cette toutes populations civiles. avant au pendant la guerre, OU bien contestation qu'apres avoir examine si la qualification de crime les persecutions pour des motifs politiques, raciaux au reli­ gieux, lorsque ces actes ou persecutions, qu'i!s aient constj­ contre I' Humanite peut etre retenue a j' encontre de Paul Tou­ tue ou non une violation du droit interne du pays au ils ont vier, examen qui entre dans Ie cadre de retude qui fait l'objet ete perpetres, ant ete commis la suite de tout crime rentrant de la rubrique 0 du present arret: « Sur les circonstances et a dans la competence du Tribunal ou en liaison avec ce cri­ motifs pouvant entrainer Ie regime d'imprescriptibilite ;II. me» . • • • l' art. 6 C, in fine, indique que: o - SUR LES CIRCONSTANCES ET MOTIFS POU­ « Les dirigeams, organisateurs, provocateurs ou cemplices VANT ENTRAINER LE REGIME D'IMPRESCRIPTIBIU­ qui ont pris part a I'elaboration d'un p!an concerte ou d'un camp lot pour commettre I'un quelconque df"S crimes ci­ n':. dessus definis sont responsables de taus les actes accomplis Aux termes de rarticie de la 10i n° 64-1326 du 26 decembre par toutes personnes en execution de ce plan». 1964 tendant a constater r imprescriptibilite des crimes • contre I'Humanite: « Les crimes contre I'Humanite, tels qu'ils • •

Journal du 18 jU;r. 1992 JURlSPRUDENCE 411

. La definition jurisprudentielle, en France, a ete elaboree par la (b) L'element moral. { Cour de cassation. Alors que Ie crime de droit commun imp!ique necessairement. Par trois arrets rendus Ie 6 fevrier 1975 dans Ie cadre de la pour etre constitue, la simple intention crimineUe, au dol gene­ presente information (v. supra, p. 19 du present arret).la Cour ral. I'auteur d'un crime contre I'Humanite ne peut se voir quali­ de cassation enonce que les crimes contre ['Humanite sont fier ains! que si I' on peut rei ever , en outre, a son endroit. un dol des crimes de droit commun commis dans certaines circons­ special, c'est-8-dire un mobile specifique, celui de prendre tanees et pour certains motifs precises dans Ie texte qui les de­ part a I'execution d'un plan concerte, en accomplissant de finit ». fac;:on systematique les actes inhumains et persecutions incri­ mines, au nom d"un Etat pratiquant une politi que d'hegemo­ Puis dans un arret rendu Ie 20 decembre 1985 (procedure nie idelogique. ) la Cour supreme precise ces circonstances et motifs: (b 1) Pour etre qualifies de crimes contre l'Humanite, les actes incrimines doivent. en premier lieu, entrer dans I'execution «Constituent des crimes imprescriptibles contre I"Humanite d'un plan concerte.accomplis au nom d'un Etat pratiquant, de au sens de ['art. 6 C du statut du Tribunal militaire international fa,on systematique: une politique d'hegemonie ideologique. annexe a I'accord de Londres du 8 aoOt 1945, alors mema qu'ils seraient egalement qualifiables de crimes de guerre se­ (b2) En second lieu, !es aetes incrimines doivent avoir ete Ion I' art 6 b de ce texte, les actes inhumains et les persecu­ commis contre des'personnes en raison de leur appartenance tions qui au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hegemo­ a une collectivite raciale au rehgieuse, ou contre les adversai­ nie ideo!ogique, ant ete commis de fa90n systematique, non res de cette pohttque d'hegemonie ideologique. seulement contre des personnes en raison de leur apparte­ En-d'autres termes, comme l'a indique la Chambre d

Journal du 18 JUin 1992 412 GAZETTE DU PAL.~IS - 1992 (I" sem.)

Cependant. comme la Chambre a Ie devoir de statuer sur Ie lis sont d'ailleurs eux·memes divises, en proie ades dEkhaTn point de savoir si la qualification de crime contre I'HumanitEi ments d'ambition personnelle, et beauc,oup se com parte peut etre envisagee, voire retenue, la premiere question qui S8 comme des aventuriers et des joueurs qui «misent» sur ur pose a elle est de determiner SI !'Etat dont Touvier prodame, victoire allemande de plus en plus probJematique. encore maintenant. avoir ete Ie SerJlteur, etait ou non un Erat pratiquant une po/itique d'hegemonie /deologlque. Quoi qu'il en soit, on ne peut dire que regne a Vichy ur ideoJogie precise. La politique de collaboration est, a I'origin L'Etat en question, au tout au mains ses mai'tres a penser, une politique pragmatique, que tout a la fois les Allemands· voulaient qu'on I'appelat i'Etat fran~ais, par opposition a ceux qui leur sont devQues vont tenter de renforcer. I'expression Republique franc;:aise: c'est dire qu'apres fAr­ mistice de juin 1940, et la devolution consentie au Marechal II y a certes un courant antisemite puissant qui va chercher Petain des pouvoirs les plus etendus, on S8 trouvait. aI' eviden­ s' emparer de certains leviers de commande de l'Etat et reu ce, en presence d'un nouveau regime dont Ie moins qu'on sir a falre adopter des mesures legales et administratives c puisse dire est qu'il ne se vaulait pas Ie continuateur de la H!e discrimination, voire d'exclusion a I'encontre de citoyens frat Hepublique. On par/ait d'« », !a devise nation a­ 9aiS ou d'etrangers d'origine juive. Ie etait devenue «Travail. famille, patrie ». On proc!amait les Mais on n' arrivera jamais, sous la France de Vichy, a la prod bien faits du « retour de \a terre» mation officielfe que le'Juif est I'ennemi d'Etat, comme ce it Oans cet Etat vichyssois regnait done une certaine (( ideolo­ Ie cas en AlJemagne gie », 5i ron entend par 1£1 un systerr:e plus ou moins coherent Aucun des d:scours du Marechal Petain ne contient de prope d'idees cense representer la philosophie des dirigeants, et antlsemites. principalement, dans \es premieres annees, alors qu'il etait encore en possession de taus ses moyens, celie du Marechal Ce n'est pas dire que la pratique des administrations 'J;,chy~ Perain, «chef de l'Etat». soises fut exempte d' antisemitisme, mais Ie probleme qui e: soumis a la Cour est de savoir Sl ron peut affirmer qu'il exist3 Cette (( ideologle» est d'ailleurs, a strictement parler, plutot a Vichy, une politique etatlque au gouvernementale d'rH?9( une constellation de «( bans sentiments» et d' animaSltE1S poli~ manie ideologique. tlques, qu'un sYSi:eme d'idees ngoureusement enchalnees. Cette expression s' applique parfaitement au Reich d 'Adolf Hi On y aper<;:oit une nosta!gie de la tradition, du monde rural ler' depuls son avenement. Ie fuhrer, par ruse ou vioiencE d'antan et de l'artisanat, un attachement au christianisme, progressivement ou brutalement, a instaure une dictature for une propension a la contrition devant les maiheurs du temps, dee sur un parti unique, I'elimination des opposants, Ie ract! une malveillance a taute e.preuve a regard des personnels me et la doctrine de r espace v·ltaL Le Reich allemand e; polftiques juges responsabies de 18 defaite_ hegemonlque parce qu'il entend assurer sa suprematie daG taus les domaines, et son ambition n'est pas seulement terr II s'agit en verite des idees, sent!~ents et tendances d'un toriale - if s'agit d'une hegemonie ideologique parce qu'll n univers politi que lres compOSite, dai:s lequel vont se produire torere pas d'aurre doctrine que celie professee par Ie pa, des lunes d'inf\u<;'!nce parfo:,s acha~nees, les opflons et les unique, - qu'i! veut Imposer partout, dans son propre territo ambitions des urs et des auIres r" e:a.'lt pas !es memes. re, et dans tous les terri to ires conquls, annexes au places sou « protectorat» -, avec cette consequence qu'j! ne support Sans entrer dans i'enumeranon des factions et des clans, la pas, au sein de cet espace, comme pouvant y vivre norrnalE plupart des partisans haut-:Jiaces du Martk~a! Petain ont en menc c'est-a-dire SQUS Ie regime juridique ordinaire de rer commun, au debu! tout au moms dt..i ~eglme,la conviction que semble de la population, la presence d'hommes au de ferT la victolre de I' Aliernagne es\ posslb>-::, ce qUI ne veut pas dire mes juges racialement dlfferents de la race dominantE qu'ils la souhaite~: touS, mais iis ont :endance a prevoir cette inferieurs a cette derniere, dangereux et ha·issables, et. a c eventualite et a y oarer_ Ce :aisam, :!en entendu, ils ont une titre, sujers a discrimination, persecution, voire exterm!nc meconnaissance tatale de l'ldea!og:e :lationale-socialiste alle­ tlon mande qUI, en cas de vlctalre, ne ialsseralt aucune place a que!que negociat,()fl que ce soit II est manlfeste que si Ie regime de Vichy secretait, par la fore des chases, une certaine politique, il ne s'agissait en aucun Certains partisans du « Marechalll sent tout simplement op­ maniere d'une politique d'hegemonie ideolagique, au sens ql portunistes au ({ attentlstes)) com~e les qua!ifiaient a l'epo­ vient d'etre indique a propos de l'Aliemagne nazie. que certains de leurs adveisaires_ 115 ne sous-estiment pas la Si i'univers poJitique de Vichy etait, comme on I'a dit, compos tenacite britanniq'J8, la puissance des Etats-Unls et la capaci­ te, I'action politrque fut variable, complexe, empirique, insp de resistance de rU.R.S.S_, m8!S ils pen sent que rien te ree par les circonstances, et les dirigeants eurent de mains e· n' etant joue, mleux vaut survivre dans une France asservie, en mains prise sur les evenements, au fur et a mesure que I faisant. en attendant des jours meilieurs, toutes concess·lons pression allemande se renfor<;:ait, que de vastes territoire utdes aux Allemands· dans !e mel!ieuf des cas, ils excipent echappaient a I'autorite de I'({ Etat fram;:ais ), que I'autorit d'une sorte d'etat de necessite, matS ce sont souvent des morale du Gouvernement s'effondrait. -!e prestige personnt' cynlques avant, i'occasion, des comportements revol­ a et patriarca! du «Mankhal » avant toutefois longtemps surve tants. cu a cette debacle -, que!' audience du Genera! de GauIJe e de !a Resistance augmentait, que la detaite allemande deve O'autres elements sont beaucoup plus engages, et ils vont, au nait ineluctab!e et la « coHaboration » derisoire. fil du temps, prendre une importance croissante. II s'agit d'hommes qui sont animes par Je fanatisme antidemocrati­ A aucun moment Ie regime de Vichy n'eut!a vocation ni roc que, un antiSemltlsme plus au moins vehement, une aversion caslon d' asseoir une domination quelconque et d'imposer unl affirmee pour la Franc-ma<;:onnerie, 8t souvent, au moins, par ideo!ogie canquerante. des sympathies pour Ie systeme national-socialiste allemand dont certains se ranient aux theses raciales. Cela observe, iI est probable que beaucoup de ses dirigeanr ant vu, avec soulagement, !'A!!emagne nazie anaque Pour eux, la Revolution nat!onale doit s'organiser autour d'un I'U_R.S.S., a la fois parce qu'iJs estimaient qu'en cas de victoi partl, - et d'un partl unique - qui, comme en Ailemagne infiltre re du Reich, les Allemands seraient bien trop occupes a rEs taus les rouages de I'Etat voire, se substitue a ses rouages pour abuser de leur situation de vainqueurs arOues!' et parCi traditlonnels qu'ds ha-I·ssaient Ie « bolchevisme ».

JCl'rnai du i 8 )t..:ln 1992 JURISPRUDENCE 413

Chez beaucoup de partisans de l'Etat vichyssois, I'invasion de La mission de la Milice en ce domaine est definie en des ru.R.s.S. par les armees allemandes a certainement desarme termes qui lui donnent tout au plus un role d' auxiliaire des une partie des preventions qu'ils nourrissaient encore contre services publics, sans reveler une volante au service d'un plan. rennemi d'hier : la lutte contre I'ideologie communiste deve­ II s'agit de« deceler et suivre les sympt6mes d'agitation, repe­ nait. a leurs yeux, primordia/e. rer les foyers de propagande anti-nationale, s'associer a la repression des menees factieuses et collaborer pour garantir Sauf chez certains membres de la Milice, au bien entendu en toute circonstance Ie fonctionnement des seMces pu­ certains partisans fanatiques de la collaboration avant choisi blics ». d'adherer aux theses hitleriennes. cette propension ne s'est jamais organisee en ideologie au sens propre, c'est-a-dire en Ceci indiquB, il est vain d'entrer plus avant dans des investiga­ un systeme d'idees exprimant dogmatiquement tout a la fois tions sur I'existence hypothetique d'une ideologie mi!icienne philosophie d'un groupe et programme d'action. des lers que nantie OU non d'une veritable ideologie, :a Milice se pre-sente comm~, et n'est,reeiiement qu'une des forces La nazisme, comme /e communisme d' aiHeurs, ant une ideolo­ composantes df? (ftat'vichyssois. gie. La volante de resister au «bolchevisme», leitmotiv .de maints discours vichyssois ne revela en soi aucune ideo!ogie A 'cet egard, Ie livre « Paul Touvier et I'Eg!ise» qui a ete verse de ce type. aux debats, contient des formulations significatives (las mots • souhgnes Ie seront par la Cour) . • • A propos de la creation de la Millee Ie 30 janvier 1943 et du discours alars pro nonce par , les auteurs indi­ quent qu'avait alers « merge une garde pretorienne qui se Comment S8 situe la Milice dans cet ensemble? menait sans do ute au service d'un regime autontaire, mais en Jncontestablement la «Milice fran<;:aise}) a des liens avec estimant avoir Ie droit de rorienter politiquement» (p. 64). ;~ Etat fran<;::ais), Association instituee par une« loi» n' 63 du Plus loin, les historiens observent que «Ies miliciens, au titre ')() janvier 1943, et reconnue d'utilite publique, elle a pour de la Milice et du Secretariat au m2lntien de !'ordre ccionisenr, .H statutaire Ie Chef du Gouvernement. Son secretaire gene­ saus Ie regard attentif et bienveillam de Karl Oberg, - 'e « chef ral. Joseph Darnand. accedera par la suite aux fonctions de supreme du S.S. de la Police en France) -, /'appare'i d'Etat secn§taire general au maintien de !'ardre, Ie 30 decembre vlchysSOIS. (p. 65). 1943. puis de secn§taire d'Etat a l'!nterieur Ie 13 juin 1944. lis relevent qu'« au nom d'un pro/e! idealogique cor.erent. la Milice s'attaque a la Resistance, a !Dute la Resistance J' et que Peut-on parler d'une 4( ideologie )) milicienne ? « dans Ie merne temps, la Milice deve!oppai: un pro,:£:; politi­ La feponse ne peut qu'etre nuances et variable selon les que tendanr a transformer I'Etat autoritaire qu'etait Vichy en cas. un Etat totalitaire» (p. 67) Si ron S8 refere aux prises de position personnelles de certains En note 1 de la merne p. 67 ,Ies histoflens mdiquent, a 8ropos de ses dirigeants, com me Joseph Damand. la r8ponse est du « plan de redressement » Slgne en sepiembre 1943 par sQrement affirmative. Ce dernier, integre dans les rangs de la Joseph Darnand et Marcel Deal notamment, et adresse dtrec­ Walfen SS en 1943, prete serment de fideilte et d'obeissan­ tement aux responsables du Reich. que « les tendances totali~ ce a Hitler, et ipso facto, adhere a I'ideologie nationale­ talres, fondees sur une Mifice parTl hegemonique, etal: formu­ socialiste. lees on ne peut plus cla!rement l) mais que « roccL.~ant ne donna pas suite a parelile offre c'emploi Dour des raisons En dehors de ce cas extreme, et de tous les cas analogues, d d'ordre tactique" car Ie Reich prefera contmuer d'urr/iser a est hors de doute que les millciens, tout au m'oins les plus son profit Philippe Petain et Ie Gouvernement de Viciy». convaincus, s'inspiraient des objectifs proposes par Ie « S.O.L ) (Le Service d'ordre legionnaire qui, dans la chrono­ Plus loin les auteurs indiquent (p. 69) : « On ne s'etonnera pas logie de l'Etat vichyssois, prefigure la Milicel au nombre des­ que la Mihce ait pu susciter chez nombre de Fran:;ais une ,,;uels figurait« la lutte contre la dissidence gauUiste, pour runi­ veritable haine, car cette police, de ,a/us en plus pofir,=:..;e, aux " ~ram;:aise, contre Ie bolchevisme, pour Ie nationalisme, visees hegemoniques alfirmees, seNait·surtout de rabaneur a (.....,,)tre la lepre juive, pour fa purete franr;:aise, contre la franc­ roccupant, au S.D. et il la S.S » mat;onnerie pa'ienne, pour la civil,isation chretienne» (les mots Enfin.le terme« hegemonique'l S8 retrouve en p. 93 de I'ou­ soulignes Ie sont par la Cour), - vrage !orsque la Milice est qualifiee de « mouvemem a visee En ce qui conceme I'antisemitisme, il va de soi qu'jl s'agissait hegemonique, cherchant a etablir un frat iotalitaire .. ». d'un theme semblable a run de ceux qu'affectionnait Ie parti nazi. Ce n'est pas pour autant qu'il y avait adhesion sans On s'en tiendra aces commentafres qui, s'ils usen: d'une reserve a rideologie nazre. La n§terence a la civilisation chre­ maniere ft§peritive du qualificatif hegemonique, ne sont pas, tienne, la lutte pour runite fram;::aise et Ie nationalisme, tout pour l'essentiel, contra ires a !'interpretation generale des faits cela pouvait etre tolere provisoirement par Ie national­ qui ressort de bien d'autres etudes historiques, vi sees aussi socialisme allemand, a long terme, il y aurait eu incompatibilite bien par les con seils des parties civiles que par Ie d8fenseur de radica!e. Touvier. Si I' on se rtHerait plus amplement aux antecedents de la Milice II est patent que la Milice, et ses dirigeants les plus convain­ (on n'a cite supra que le« S.O.L ») et aux textes qui la concer­ cus, apres avoir eu r ambition d'« orienter politiquement » Ie nent, on aboutirait a des conclusions fort incertaines sur I' exis­ regime commencerent a coloniser I'appareil de rEtat vichys­ tence d'une ideologie proprement milicienne. SOlS» avec Ie projetpolitique tendant a transformer!'E!at auto­ ritajre qu'stait Vichy en un Etat totalitaire lI, etant observe que ~~ terminologie de I' epoque est aussi vague que fa pen see po­ « les ten dances totalitaires » expo sees dans Ie « plan de re­ IJtlque: dressement de 1943» etaient fondees sur une « Mi!:c:e parti hegemonique », ( La Mi!ice fran<;aise est compo see de vo!ontaires moralement prets et physiquement aptes, non seuJement a soutenir l'Etat Le mouvement milicien avait sous do ute une « visee hegemo­ ~olJveau par leur action mais aussi a concourir au maintien de nique », cherchant a etablir un Eta: totalitaire . il est oien evi­ I ordre interieur ). dent que s'il est vrai que Ie mouvement avait cette visee, c'est

Jc"rra! d" i8 jUin 1992

~''''"''. 414 GAZETTE DU PAL.>,IS - 1992 (I" ,em.) que l'Etat n'etait pas totalitair8, 8t qu'il ne pratiquait pas lui­ Touvier avait la parole, et I'avait en dernier, comme il est de merne une politique d'hegemonie ideologique. regie avant cloture des debats. En d'autres termes, la Milice au tout au mains certains de ses • elements avaient sans dOUt8 la volante de s'emparer de !'ap­ • • pareil d'Etat, ce qui n'etait qu'un projet qui n'a pas ete realise. Toute I'argumentation des conseHs des parties civiles avant et de devenir Ie parti unique du pays, ce qui n'a pas ete realise trait aux points qui font r objet des developpements qui prece­ non plus. dent (p 194 a 207 du present arret), et notamment celie qui figure au memoire produi! Ie 17 mars 1992 (reference: p. 16 En consequence, on ne peue sans jouer sur les mots, affirmer du present arret) ne pourra qu'etre rejetee comme etant es­ que l'Etat vichyssois, du seul fait qu'il suscitait la convoitise de sentiellement inoperante. car les ecritures produites ne ten­ partisans aux pretentions hegemoniques, fut. quelque mo­ a dent pas demontrer que rEtat vichyssois fut effectivement ment que ce fOt un Etat pratiquant une politique d'hegemon'18 a un Etat pratiquant une politi que d'hegemonie ideologique ideo!ogique. mais s' attachent a analyser I'ideologie et les objectifs de Ie II fut certainement un Etat autoritaire qui devint. dans une Milice pour conclure que l'inculpe a agi au nom de 1'« Etat periode proche de son agonie, I'objet d'une tentative d'inves­ milicien ». expression dont jls ne justifient !'emploi en aucune tissement par des elements dont les plus activistes auraient manlt~:re. voulu instaurer en France Ie regne du parti unique qui aurait • ete, alors, un parti hegemonique dans fEtal. • • 11 est parfaitement vain de S8 demander si, au cas ou ce projet 0/111 - l'Etat allemand national-socialiste et Touvier. avail ete mene a bien, rEtat vichyssois aurait pu devenir un Etat pratiquant une politique d'hegemonie ideologique. On a retenu supra, en Ie citant comme exemple, que Ie Reich d'Adolf Hitler repondait bien la definition d'un Etat pratiquant II suffit de cons tater que, dans les faits, I'Etat vichyssois, quel­ a une politique d'hegemonie ideologique. !es qu'aient pu etre ses faiblesses, ses lachetes et ses ignomi­ nies, ne peut eVe considere comme avant jamais appartenu a Dans un tel Etat, J'execution du plan concerte pour parvenir cette categorie aux fins definies par I'ideologie est plus particulierement deva­ • lue a certaines organisations, comme la Gestapo, Ie S.D. ou • • les S.S. qui « ant ete declares organisations crimine!les par Ie jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg au Par consequent. dans la mesure au I' on rattache les agisse­ 1er octobre 1946 )0, alors que Ie Reich allemand lui·merne n' a ments de Paul Touvier aux responsabilites qui etaient les sien­ pas rec;:u une telle qualification. nes dans la Milice, Ie crime contre I"Humanite ne saurait etre constitue du fait que si la Milice avait des liens evidents avec Peut+on considerer, dans I'affaire de Rillieux, Paul Touvier, rEtat vlchyssois, elle n'etait, quels que fussent ses desseins comme un agent de l'Etat allemand, et plus particulierement comme un agent de ces organ·lsations crimineUes propres au les dessems de ses dirigeants, qu'une des forces ? eomposantes de eet Etat qui ne peut, sauf a falsifier les don­ Dans les memoires regulierement prodults par les parties civi_­ nees ies mains contestees de I'histoire. etre qualifie d'Etat les, les Gonseils de ces dernieres i'ont, d'une maniere genera­ pratiquant une politique d'hegemome ideologique Ie, plus ou moins retenu, tout en affirmant. au contraire Quant • a I' affaire de Rilheux, que Paul Touvier avail, en realite. opere . • * en quelque sorte, de maniere autonorne, soutenus en cela par les requisitions du ministere public qui n'a voulu voir, dans Sur ce pornt precis, les observations contenues au memoife I'affaire de Rll1ieux, qu'« une affaire entre Franr,:ais I. fegulH~rement produit devant la Cour, en vue de I'audience du 19 mars 1992, par Ie conseil de Paul Touvier, n'appellent pas, Sauf I' affirmation curSIve contenue dans Ie livre de Paul Garcin, en substance, d'objectlons particulieres, notamment en ce personne n' a jamais serieusement soutenu que les Allemands qUI concerne I'argumentation exposee aux p_ 11 et 12 avaienr fusille eux-memes les sept victimes de Rillieux. ou qu ·ils auraient ardonne une operation qui aurait ete executee Le defenseur de Touvier qUI pouvait se borner a puiser dans par la Mtlice. I'ouvrage cite des elements permettant de reieter I'incrimina­ tion de crime contre i'Humanite comme vient de Ie faire la La these de Touvler a ete exposee ci-dessus {p. 152 et s du Cour, a cru devoir denoncer la partialite du travail accompli par present arret), aucun element ne permet de la contredire, et cette equlpe de chercheurs, ce qui etait son droit, si telle etait on ne peut retenir i'idee que Paul Touvrer aurait ete, dans cette sa conviction, et s'il pensait pouvoir ainsi revaloriser l'image de affaire, !'executeur d'une decision prise par les Allemands, I'inculpe meme si les intentions annoncee8 qu'il prete aux Allemands ont joue un role dans son comportement et dans la decision La Cour ne saurait declarer irrecevable I' argumentation avan­ qu'il reconnaTt avoir prise. cee a ce sujet du moment qu'elle pouvait se rattacher aux debats, dans les ilmites definies par rarret du 26 tevri8r 1992 D/IV - Paul Touvier et I'affaire de Rillieux. precite. Meme si I'on admettait que la these de Touvier fUt fal1acieuse Tel n' etait pas Ie cas en ce qui concerne la mise en cause et qu·on preferat retenir rhypothese evoquee supra (p. 161 personne!le de I'un des avocats des parties civiles, oper~e par du present arret) d'une « reaction terroriste de survie) de la Ie biais d'une citation d'un article de Mme Kriegel dans la part de la Milice, a la suite de la disparition de Philippe Henriot, revue I'Arche (derniere page du memoire). cela me me ecarterait ~'idee que Paul Touvier fUt dans cette affaire !'executeur d'une decision prise par les Allemands. Cette mise en cause personnelle, queUes que fussent les convicnons passees OU presentees du consed vise. n'avait pas On ne peut soutenir que Ie massacre de Rillieux puisse s'inscri­ ileu d'etre, et la Cour la considerera com me non avenue, en r8 dans un plan concerte d'extermination. II s'aglt d'un evene­ observant d'aiHeurs que les parries civiles ont eu, pendant ment tragique qui a pour cause immediate I'execution de Phi­ toute la premiere partie des debats {une heure et dem!e) tout lippe Henriot a Paris. Tout montre qu'il ne peut s'inserer dans Ie loisir de protester contre cette mise en cause, ce qu'elles un plan methodique d' extermination froidement execute. mais n'ont pas manque de faire d'ailleurs, ce qui rendait inadequate constitue essentlellement une reaction criminelle « a chaud J la n§iteration de leur protestation au moment au Ie conseil de spect8cu!aire, feroce, et re!ativement improvisee,

Journal du 18 Juin 1992 JURISPRUDENCE 415 ~"-!;':: ~ !;'Q~IS que soient les mobiles avances par Touvier, quelle que tion. aucun autre acte d'information n'a ete execute, ni aucu­ ; .sOitThorreur du drame, i'analyse qui vient d'etre exposee ne ne diligence quelle qu'elle soit accomplie. 1'>"PerinE!tpas de considerer qu'il sagit, sous quelque angle • : ---qu'on se place. d'un crime contre ['Humanite entrainant Ie •• ,regime d'imprescriptibilite attache cette categorie d'infrac­ a Considerant que les decisions de non-lieu rendues par Ie ma­ f~ 'tiOns. gistrat instructeur en ce qui conceme les affaires exposees • supra sous les rubriques B.II, BY BVi. BVII. BVIli. B.IX sont •• bien fondees, et ce, abstraction faite des motifs retenus dans I'ordonnance susvisee du 29 octobre 1991. Dans ces conditions. la Cour ne pourra rendre qu'un arret de non-lieu.la prescription de droit commun etant acquise. at ce, • nonobstant les argumentations presentees aux differents me­ . .' maires des parties civiles qui s'averent inoperantes at mal Considerant qu'jl ne resulte pas de !,information charges suffi­ fondees au vu de I' ensemble des observations qui prece­ santes contre Paul Touvier : dent 1) (Rubrique 8.1) d'avoir a Lyon, Ie 10 decembre 1943, en­ • semble et de concert, avec un ou plusieurs individus non identi­ • • fies, tente de perpetrer plusieurs meurtres avec prE?medita­ tion, E. - SUR LES ANNULATIONS O'ACTES. Crime prevu et puni par les art. 2, 295, 295, 297 et 302 C. Dans Ie cadre des investigations operees au caurs de !,infor­ pen. fran9ais, mation aux fins de retrouver [a trace de Paul T ouvier. Ie magis­ trat-instructeur a delivre un certain nombre de commissions 2) (Rub rique B.III) de setre a Lyon et a Caluire, les 10 et 11 rogatoires aux fins, notamment. de proceder a des scoutes janvier 1944, rendu complice. d'une part par fourniture d'ins­ ,~ephoniques et a une surveillance du courrier expedie au truction. d'autre part, par aide et assistance, avec connaissan­ ~;"~IJ par certaines personnes. ce, dans les faits qui ant prepare. facilita. ou consomme leur action, des auteurs des crimes de meurtres avec premedita­ l..~S actes qui etaient utiles, ne sont pas entaches d'irregu!ari­ tion perpetres sur les personnes de M. Victor Basch et de t8 : jls concernaient des personnes pouvant avo!r des liens Mme Heleme Furth epouse Basch, avec I'inculpe en fuite. Cnme prevu et puni par les art. 59,60, 295, 296, 297, 302 Tautefais, Ie magistrat-instructeur devait s'interdire d'ordon­ C. pen. fran~ais. ner de telles surveillances des lors que la personne interessee avait la qualite d'avocat et qu'it n'y avait pas lieu de presumer 3} (Rubrique S.IV) de s'etre, a Lyon, du 16 Janvier a fin mars qu' elle pouvait entretenir avec l'inculpe des rapports indepen­ 1944, rendu complice, par aide et assistance, avec connalS- dants de sa qualite professionnelle. 5anee, dans les faits qui ant prepare, facilite au consomme leur action, des auteurs non identifies du crime de sequestra­ Or, Ie magistrat a cru pauvoir de!ivrer quatre commissions tion perpetre sur la personne de M. Jean de Filippis. sans !,. rogatoires de eet ordre qui concernent des avocats. qu'aucune condamnation ait Ene definitivement prononcee et II 5'agit: ce, avec cene circonstance, 1) de la commission rogatoire du 2 novembre 1988 (Iiasse - Que la duree de la sequestration a ete superieure a un 6/5-D. 833) tendant a placer sur ecoutes la ligne de M. Jean­ mOIS, Pierre Buttin, avocat a Chambery: les pieces d'execution Crime prevu et puni, a la date des faits, par les dispositions des comportent, au dossier de la procedure.les cotes D. 834 a D art. 341, aJlnea 1 et 342 C. pen. franc;ais, interpretes parl'art 847 ; 2, 5e de I'ordonnance du 28 aoOr 1944 actuellement reprises e 2) de la commission rogatoire de meme date. - 2 novembre dans les art. 341, 1er et 2 de ce merne Code. 1988 - (Iiasse 5/5 D. 848) tend ant il • faire proceder aux 4) (Rubriqu'e B.X!) de s'etre a Crepieux-!es-Brosses et a Lyon, :equisitions utiles a connaitre I'ensemble du courrier re<;::u par Ie 29 juin 1944, rendu complice, par aide et assistance, avec ldresse par» Ie merna avocat: les pieces d'exekution, connaissance, dans les faits qui ont prepare, facilite au cvmportent, au dossier de la procedure, les cotes D. 848 a D. consomme leur action, des auteurs non identifies du crime de 856 ; meurtre avec premeditation perpatrs sur 18 personne de M. 3) de la commission rogatoire du 4 novembre 1988 (Iiasse Lu.cien Meyer, 5{5 D. 857) tendant a placer sur ecoutes les lignes (Iigne Crime prevu et pun; par les art. 59,60,295, 295, 297 et 302 ordinaire, et ligne «sur liste rouge.) de M. Jacques Verges, C. pen. franyais. avocat aParis: les pieces d' execution comportent, au dossier de la procedure. les cotes D. 888 a D. 894. 5) (Rubrique B.XI) de setre, a Crepieux-Ies-Brosses et a Lyon, Ie 29 juin 1944, rendu complice, par aide ou assistance. 4) de la commission rogatoire du 4 novembre 1988 (liasse avec connaissance, dans les faits qui ont prepare, facllite ou 5{6 - D. 887) tendant a la mise sur ecoute d'une ligne tele­ consomme leur action, des auteurs non identifies du crime de phonique attribuee a M. Jacques Verges, avocat a Paris: les meurtre avec premeditation perpetre sur la personne de Mme pieces d'execution comportent. au dossier de la procedure, Eliette Meyer, les cotes D. 888 a D. 894. Crime prevu et puni paries art. 59,60,295,295,297 et 302 Ces aetes ne pourront. conformement aux requisitions orales C. pen. fram;:ais. de M. Ie Procureur general qu'etre annules et retires du dos­ sier de la procedure, ensemble les pieces d'execution preci~ 6) (Rubrique 8.XI) de setre, a Crepleux-Ies-Brosses et a tees pour etre deposes au grefte de la Cour, interdiction etant Lyon, Ie 29 juin 1944, rendu complice, par aide et assistance, faite a quiconque d'y preciser quelque renseignement que ce avec connaissance, dans les faits qui ont prepare, facilite ou soit. consomme leur action, des auteurs non identifies du Crime de sequestration perpetre sur la personne de M. Claude Bloch . La ?Ortee de I' annulation sera limite8 aux actes ci-dessus de­ sans qu'aucune con damnation ait ete definitivement pronon­ crits, des lars qu' a partir desdits actes et documents d' execu- cee,

Jcurnal du 18 juin 1992 416 GAZETTE DU PALAIS - 1992 (I" ,em.)

Et ce, avec cette circonstance que la duree de la sequestration A) Le plan sufvi par les magistrats a ete Ie suivant : a ete superieure a un mois, - Indications generales (p. 1 a 17): Crime prevu et puni, a la date des faits par les dispositions des - Les donnees de la procedure (p. 18 a 32) ; art. 341, alinea 1 et 342 C. pen. fran,ais, interpretees par - Les charges (p. 33 a 173): I'art. 2-5e de I'ordonnance du 28 aoUt 1944, actuellement reprises dans les art. 341-1 er et 2e de ce merne Code. - La question de la non-reiteration des poursuites (p. 77" 793) , • - La question de l'imprescriptibilite (p. 794 a 209), • • - Les annulatJons d'actes (p. 210 et 211) : Considerant qU'11 resulte de i'informatlon des charges suffisan­ - Recapitulation et dispositJf(p. 212 a 215). tes contre Paul T ouvier de s' etre Lyon et Rillieux, les 28 et a a B) Les charges pesant sur (accuse portaient sur les poin 29 juin 1944, rendu compliee. d'une part. par fourniture d'ins­ 5.Ulvants ,. tructions, d'autre part par aide et assistance. avec conna!s­ sanee, dans les faits qui ant prepare, faed"lte au consomme - I Cartentat du 10 decembre 1943 8Ia synagogue du qu leur action, des auteurs des meurtres avec premeditation per­ Tilsltt a Lyon (non-lieu pour insuffisance de charges). petras sur les personnes de MM. Glaeser, Krzyzkowski. Schis­ selman. Ben Zimra. Zeizig, Prock et d'un homme non identi­ - /I. La rafle du 131uin 1944 ala synagogue du quai Tifsitt fie. Lyon (confirmation de /'ordonnance de non-fieu. pour absenc de preuve au de commencement de preuve). Crime prevu et punl paries art 59,60,295,296,297 et 302 - IJ/. L 'assassinat des epoux Basch, Ie 11 janvier 1944 (no! C. pen. franc;ais, lieu pour insuffisance de charges). Mais considerant qu'i! ne resulte pas de I'information que ce crime ait ete commis dans I'execution d'un plan cancerte - IV L 'arrestation de Jean de Fllippis, Ie 76 janvier 194 accompli au nom d'un Etat pratiquant de faeon systematique (non-lieu pour insuffisance de charges). une politique d'hegemonie ideologique, et pour realiser - V L 'arrestation d'Andre Laroche, Ie 29 mars 1944 (contil rextermination de populations civiles, au tout autre acte inhu­ mation de f'ordonnance de non-lieu pour insuffisance de chaf main, au des persecutions pour des motifs politiques, sociaux ges). ou religieux - VI. La raffe de Montmelian. Ie 24 avril 1944 (confim7atiol Considerant. en consequence qu' un tel crime ne peut etre , de I'ordonnance de non-lieu pour insuffisance de charges). qualifie de crime contre I'Humanite au sens de I'art. 6, alinea 2 c et 6 demier alim~a du statut du Tribunal militaire international - VII. L 'arrestation, Ie 9 rna; 7944, et rassassinat d'AJber de Nuremberg, de la resolution des Nations Unies du 13 te­ Nathan (confirmation de I 'ordonnance de non-lieu pour insuffi­ vrier 1946 et de la lai franc;aise du 26 decembre 1964; sance de charges). Considerant, des lars, que, pour ce crime, Ie regime d'impres­ - VIII. L 'arrestation suivie de tortures d'Emtle Medina, Ie 1S criptibilite propre aux crimes contre I'humanite n'est pas appli­ mai 1944 (confirmation de (ordonnance de non-lieu pour in· cable; suffisance de charges). Que I'application du regime de droit commun de la prescnp­ - IX L 'arrestation suivie de tortures de Robert Nan{, Ie 2) tion commande egalement par consequent una decision de mai 7944 (confirmation de I'ordonnance de non-lieu pour in­ non-lieu Quant aces derniers faits. suffisance de charges). - X Le massacre de Rillieux, Ie 29 mai 7944 (charges suffr­ Par ces motifs, la Cour: vu les art 181. 183, 184. 194, 197. santes, mals non-lieu de droit. les faits etant consideres com­ 198,199,200,203,206,210,211,214,215,215-1, me prescritsj. 216.217 et 218 C. pr. pen. ; vu I·art. 6, alinea 2 c et 6 dernier alinea du statut du Tribunal militaire international de Nurem., - XI. L 'arrestation suivie de deportation d'Eliette Meyer et de berg. la resolution des Nations Unies du 13 fevrier 1946 et la Claude Bioch et {'assassinat de Lucien Meyer Ie 29 juin ;944 loi franyaise du 26 decembre 1964, - Declare n'y avoir lieu a (non-lieu pour insuffisance de charges). suivre contre Touvier d' aucun des chefs vises par la preven­ tion; ordonne la mainlevee du controle Judiciaire ; prononce C) Les non-lieu motives en fait. I' annulation des actes de la procedure vises a la rubrique de Ces non-lieu ont eU§ prononces notamment au moM ~ que r expose des motifs du present arret; ordonne leur retrait du les faits denonces par fa partie ciWle sont energiquement nies dossier de la procedure; dit qu'ds seran! deposes au greffe de par Touvier, et qu'aucun element objecti!, aucun temoignage la Cour avec ces pieces d' execution indiquees dans Ja motiva­ ne permet de cantorter les dires de la partie civile). tion du present arret. interdiction etant faite a quiconque d'y puiser quelque renseignement que ce soie. lis retiennent parriculierement f'attention du fait que, bemiti­ ciant a un incu!pe dont on ne saurait assurement dire qu'iI amre la sympathie, ils temoignent de la maniere la plus nerte MM. CHAGNY et DUPERTUYS, cons. ; CHAMBEYRON, av. du degre de respect des droits de la defense atteintpar Ie droit gen. - Me TREMOLET de VILLERS, conseil de I'inculpe ; Mes contemporain. Parmi 5es nombreux developpements. la pre­ NORDMANN, IANNUCI. JAKU80WICZ, ZELMATI. NAUDIN, somption d'innocence interdit en eftet aux Chambres d'accu­ AM8LARD, BARATELLI, LIBMAN et RAPPAPORT, consells sation de faire passer un dtHendeur du statut d'inculpe acelui des parties civiles. d'accuse (sur qui va main tenant peser en fait une presomption de cufpabllite) sans en foumir de serieuses raisons. Voir: Es­ NOTE. - Comme cet arret comporte 215 pages, if nous etait said, (La presomptkJn d'innocence, p. 257 et note 650. maujriellement impossIble d'en assurer la reproduction inte­ gra/e en depit de son grand inu:?ret historique. Aussi avons­ Un arret de renvoi daft necessairement s'appuyer sur des nous dD proceder a des coupes sombres. Pour en donner motifs solides, tires des faits de I'especa, at permattant de neanmo;ns une idee aussi exacte que possible, jf nous a sem­ donner un caractere plausible aux allegations de raccusation. bte opportun d'en reten;r deux points de fait en J8ur en tier et (e Un arret de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du seul vrai point de droit en son Integralite. 27 decembre 1960 (Bull. crim. n' 264, p. 1220) a ainsi juge JURISPRUDENCE 417

L h - que_n'esr pas lega/ement justifie un arret de mise en accuse­ p. 161 n'l44 note 1; Merle et Vitu, ,Traite de droit crimi­ <(ion qui renvoie Ie defendeur devant la Cour d'assises du chef nel. T. 1114e ed} p. 61 n' 49 note 2. 'de complicite. de meurtre sans indiquer I'accomplissement d'un acte posmf pouvant etre mis asa charge. E) La remise en /iberte. D) Le non-lieu motive en droit L'inculpe, d'abord detenu, avait ensuite ete place sous Ce non-lieu, rendu dans raffaf're du massacre de Rillieux, repo­ contro(e judiciaire Ie Paris, Ch. accus.. 1 7 juillet 1991 j. Le se sur I'opinion de la Chambre d'accusation que les faits re­ pourvoi forme contre cet arret avait ete rejete par un arret de la proches seraient presen"ts comme constituant un crime de Cour de cassation du 17 octobre 7991 IGaz. Pal. 11 fevrier guerre et non un crime contre rHumanite. Sur la notion de 7992} rappe(ant (a jurisprudence selon (aquelle .Ia liberte de crime contre I'Humanite, voir, dans I'affaire Klaus Barbie: I'inculpe etant la regie, if ne saurait etre impose au juge qui Cass. crim. 20decembre 19B51Gaz. Pal. 79B6. 1.247, rapp, (ardonne de constater rabsence des conditions qui pour­ Le Gunehec et concl. Dontenwi/lej. Cet aspect de (arret rap­ raient autonser. atitre exceptionnel, une mesure de detention porte va sans doute etre soumis Ii I'examen de la Caur de provisoire ,. cassation, dont Ie· sentiment sur ce point sera fort instructif. L 'arret de non-lieu aurait mis fin, de plein droit. ala detention Sur f'imprescriptibJlite des crimes contre I'Humanite, voir Ste­ provisoire (arr. 212 alinea 2 C. pr. pen); il emporte aussi bien fani, Levasseur et Bouloc < Procedure penale» (14e ed) main/evee du controle judiciaire.

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JCwrnai du 18 jUln 1992