La Dent du Géant (4 013 m) et le col Sommets de légende Texte I Christophe dumarest photos I marc daviet pour alpes magazine éponyme (à gauche), _ les Flammes de Pierre et le cirque de Talèfre vus depuis la vallée Blanche. La Dent

dle phareu Géant du mont-blanc

Avec le Cervin et le mont Blanc, la Dent du Géant est l’un des rares sommets que tout écolier français a imprimé au fond de sa rétine, tellement sa forme de tour de Pise est marquante. Le guide Christophe Dumarest nous emmène visiter ce « miracle de granit ».

86 Sommets de légende La Dent du Géant _ Mummery aurait laissé ici sa carte de visite dans une bouteille, avec la célèbre phrase : Absolutely inaccessible by fair means* *Absolument impossible avec des moyens honnêtes.

Christophe Dumarest dans une petite variante, légèrement à gauche de l’itinéraire classique, sous le regard du monarque, le mont Blanc, veillant sur ses sujets.

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omme la tour de Pise, la Dent du Géant penche de profiter d’un bon ensoleillement pour le début de quelques degrés vers le sud. La première a de l’ascension, orienté à l’ouest. Une fois n’est pas été fondée sur une plaine alluviale et un socle coutume, nous nous évitons un départ à l’aube ! instable de marne, tandis que l’autre, composée L’approche en pente douce sur le glacier du Géant de granit, doit son inclinaison au chahut engendré est plaisante, nous avançons vite, la neige est dure par la naissance des Alpes. Depuis que le versant et pour faciliter notre progression, nous faisons Citalien du mont Blanc est habité par des hommes, l’économie des crampons. Le soleil se lève sur on peut supposer qu’ils observent avec humilité les satellites alentour, nous assistons au réveil du les cimes qui les surplombent, notamment le monde minéral en toute intimité. Seule l’odeur de géant blanc qui les écrase. Il trône en véritable cette neige de névé, associée au bruit de nos pas monarque surveillant ses sujets, sa pauvre dent dans les traces encore gelées, nous rappelle que certainement perdue lors d’un combat. Véritable nous sommes en possession d’autres sens que la canine encastrée dans le « linceul » qui lui sert de vue, toute-puissante en haute montagne. Nous gencive, elle est visible de très loin. À Courmayeur nous imprégnons du paysage qui nous cerne et on ne dit pas la Dent du Géant, mais la Dent. Les je constate que, malgré des dizaines de passages détails géographiques ne sont attribués qu’à ses sur ce glacier, je découvre aujourd’hui encore des cousines, pour permettre de les situer dans le subtilités dans la mélodie. reste de l’arc alpin. Par sa forme élancée et singulière, elle est un repère. ascension avec des gants C’est la sentinelle des arêtes Rochefort-Jorasses ! Au fur et à mesure que nous approchons, la Une des rares aiguilles qui vous accompagnent Dent semble rétrécir. En un mouvement tournant tout au long de la descente de la vallée Blanche, vers la gauche, nous attaquons la voie normale par lorsque les autres disparaissent irrémédiablement une rampe en forme de carie, qui semble être à sa au fur et à mesure. base, son talon d’Achille. C’est aussi de ce côté-là Qualifiée de « phare » et de « miracle de granit » qu’elle paraît la moins haute et la moins raide. par Rébuffat dans Les Cent Plus Belles, la Dent Avant même d’avoir quitté le bas de la paroi encore du Géant est un symbole fort du massif du Mont- recouvert de neige, nous découvrons une corde fixe en guise de main courante. Les cordes L’approche en pente douce sur le glacier fixes sur l’itinéraire de la Dent du Géant du Géant est plaisante. Nous assistons au réveil sont connues de tous et à demeure depuis du monde minéral en toute en intimité. les années 1895, soit treize ans après la première par la famille Blanc, un monument dont l’ascension pour un Maquignaz, en 1882. Je ne les imaginais simplement Pour grimper vite alpiniste est incontournable. Figurant sur la liste pas présentes si bas… En effet, ces dernières ont été et sans effort avec des 82 sommets de plus de 4 000 m, connue de posées plus récemment à la suite d’éboulements. leur client, les tous et accessible par le téléphérique de la pointe Dès le début de l’ascension, nous nous faisons guides italiens Helbronner, puis par le col du Géant, la Dent est doubler par un guide italien et son client. Nous ont pris l’habitude d’installer des un sommet alpin particulièrement convoité en été. partageons certes un même parcours, mais cordes fixes sur Avec Denis, mon compagnon de cordée, nous souhaitons avec Denis jouer selon des règles un la voie normale choisissons de la découvrir en automne, à contre- peu différentes. C’est sans l’aide de ces cordes que de la Dent. courant. Nous bénéficions d’un enneigement encore nous convoitons de tenter la cime. Le guide italien, En arrière-plan, la Mer de Glace et les correct pour la saison, nécessaire à l’ascension de quant à lui, fera toute l’ascension avec des gants bandes de Forbes, sa gencive tachetée : un terrain mixte, constitué en cuir, excellent moyen de protéger l’épiderme sortes de chevrons de blocs, de rampes, de couloirs de neige et de contre toute agression répétée du chanvre tressé. qui marquent glace, où serpente un cheminement alpin. Nous Les artifices sur la Dent du Géant sont étroitement l’alternance des saisons d’hiver et optons pour une ascension à la journée, afin de liés à l’histoire de sa conquête. Les prétendants sur d’été (en sombre). nous éviter une nuit dans l’austère refuge Torino et la dernière grande aiguille, réputée et nommée avant

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C’est sans l’aide de ces cordes fixes que nous convoitons la cime. Nous souhaitons jouer avec des règles un peu différentes.

Escalade libre au milieu des dalles Burgener (ci-dessus). Au sommet des dalles Burgener, passage Denis, compagnon de historique de l’ascension cordée de Christophe (en haut à gauche). Dumarest, est concentré sur la pose de ses pieds. La tentation de couper La seconde partie de les cordes fixes est forte, l’ascension les attend mais la raison l’emporte (ci-contre). (en haut à droite).

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même sa première ascension, furent nombreux. Une et faciliter une descente en cas de mauvais temps des plus célèbres cordées est celle de Mummery ne pèse pas lourd. Aussi historique soit-elle, cette et de Burgener, véritables pionniers, grimpeurs erreur d’équipement reste une méprise qui évoluera virtuoses en avance sur leur temps. Aujourd’hui à mon sens dans l’avenir par une concertation encore, certains passages fameux de leurs premières entre les guides français et ceux du val d’Aoste, retentissantes de l’époque font douter d’excellents à moins qu’une équipe de vengeurs masqués ne grimpeurs. Malgré son talent, Alfred Mummery crée un jour un mini-tremblement de terre en s’y est tout de même « cassé les dents » en 1880, nettoyant à la hussarde ces cordes fixes. avec, pour lot de consolation, le baptême des dalles Burgener, passage caractéristique de la voie au cœur du décor normale et inscrit au panthéon alpin. Mummery y Malgré la présence de ces grosses ficelles à aurait laissé sa carte de visite dans une bouteille quelques centimètres du menton, Denis se prête avec la célèbre phrase : « Absolutely inaccessible avec ténacité au jeu de l’escalade. Nous nous by fair means* ». Pour lui déjà, le choix employé offrons certaines libertés dans le choix de l’itinéraire pour la conquête d’un sommet était inhérent à la et finissons naturellement, après un dernier qualité et à la valeur de l’ascension. Ainsi, pour passage retors, à fouler le premier sommet, celui Mummery, la fin ne justifiait pas les moyens. de la pointe Sella. Derrière nous, toute la combe Plutôt que d’employer des moyens artificiels, Maudite se prélasse au soleil, en même temps dont les seules limites à l’époque sont celles que la face sud du mont Blanc nous irradie de sa de l’imagination de leurs inventeurs, les deux présence. Nous sommes au sommet d’une aiguille alpinistes ont préféré redescendre. qui marque le point de départ d’une ligne d’arête Deux ans plus tard, trois membres de la famille s’étirant en arc de cercle jusqu’aux Drus, ou se Maquignaz, venus de la vallée de Valtournanche, prolongeant jusqu’au Chardonnet, selon la ligne de crête que l’on souhaite suivre. Ici plus qu’ailleurs, nous avons la Ici, à la différence de sommets comme le Cervin, sensation d’être au cœur du décor, de véritablement faire partie du l’argument de l’équipement à demeure cadre. Nous faisons également face au second sommet de la Dent, pour sauver des vies ne pèse pas lourd. le plus haut, celui de la pointe Graham, gravi quelques jours après la première des Maquignaz. vinrent s’offrirent la première ascension à la barbe La Vierge qui trône au sommet est parmi les plus des guides de Courmayeur. Les Maquignaz, qui singulières des six présentes dans le massif du avaient l’habitude de travailler dans les mines et Mont-Blanc, car les impacts répétés de la foudre de faire des trous en tout genre, eurent moins de ont entamé son cuir chevelu sans avoir rien enlevé scrupules. Ils percèrent la roche puis y installèrent des de sa grâce. Enfin, faisant face aux photogéniques pieux métalliques pour s’affranchir des difficultés. arêtes de Rochefort, nous retrouvons la terre ferme Une sorte d’escalier effectué avec des piolets servit à l’issue de trois rappels spectaculaires. même à franchir un passage délicat. D’après les Nous avons voulu, avec Denis, aller caresser le mémoires vivantes de la vallée de Courmayeur, mythe car « ce n’est pas à l’écorce qu’on connaît le recours aux explosifs n’a pas eu lieu, comme le fruit mais en y plantant les dents » (Le Dieu l’avait dénoncé à l’époque l’Alpine Club. Il n’en manchot, de José Saramago). Après en avoir reste pas moins que les moyens utilisés pour cette croqué un bout, nous confirmons que, quel que soit première sont peu glorieux. l’itinéraire choisi, les contours de la canine – belle Aujourd’hui, en chaussons, la ligne est de loin, et loin d’être uniquement superficielle –, Au premier sommet particulièrement propice à l’escalade libre et la méritent d’être parcourus. de la Dent du Géant, présence de ces cordes interpelle. Ici, à la différence Remerciements à Mario Ravello, guide de Courmayeur, pour la pointe Sella son précieux éclairage, et à Ruggero Pellin, mémoire vivante de (4 009 m), de grands sommets tels que le Cervin, l’argument la vallée d’Aoste. conquise en 1882. de l’équipement à demeure pour sauver des vies * Absolument impossible avec des moyens honnêtes.

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Quel que soit l’itinéraire choisi, les contours de la canine – belle de loin et loin de n’être que superficielle – méritent d’être parcourus.

Le bonheur de la cordée au sommet, autour d’une Vierge touchée par de multiples impacts de foudre. Quelques mètres sous le vrai (ci-dessus). sommet, celui de la pointe Graham (4 013 m). Derrière, Rappel vertigineux en fil une cordée se prépare pour le d’araignée au-dessus des arêtes premier rappel (ci-contre). de Rochefort (à droite). Sommets de légende La Dent du Géant _

le dernier bastion La Dent du Géant va longtemps résister aux assauts des hommes, au point que ceux-ci devront employer des moyens « déloyaux » pour la soumettre. Mais pas la dompter…

Charlet-Straton. Pour C.T. Dent, il était impossible que celui-ci soit parvenu si haut, et encore moins qu’il ait pu redescendre par ses propres moyens, la technique du rappel sur corde lui étant inconnue. C.T. Dent jette la suspicion sur Charlet, le traitant de menteur et de mythomane. Ce chicot de granit, qui résiste encore et toujours à leurs assauts, va servir de défouloir au délire technologique de la gente alpinistique. Il faut que cette Dent tombe, quels que soient les moyens employés. Le 13 août 1877, une équipe britannico- valdôtaine de huit alpinistes – dont Émile Rey, le meilleur guide de Courmayeur – imagine un étonnant dispositif pyrotechnique. Leur idée est de propulser, au moyen de petites fusées, une longue corde équipée d’un grappin ! Comme pour tirer un feu d’artifice, la corde et ses « propulseurs d’appoint » – quatre pétards attachés autour du grappin – sont fichés dans la neige par une baguette. On procède à la mise à feu. Mais nos alpinistes ignorent tout des lois de la balistique et le résultat fait… « pschitt ». La corde en chanvre de manille et son grappin en ferraille sont trop lourds

Fonds Payot - Conservatoire d’Art et d’Histoire d’Annecy - Conservatoire Payot Fonds par rapport à la puissance des pétards. C’est tout juste si nos apprentis artificiers ne se prennent pas le grappin, qui s’élève de xtraordinaire donjon planté à l’extrémité ouest d’un quelques mètres avant de retomber, sur la figure. PUB rempart rocheux formé par les Grandes Jorasses et les En 1880, c’est au tour d’Albert Frederick Mummery, le grand arêtes de Rochefort, la Dent du Géant aurait dû, en toute spécialiste de l’alpinisme acrobatique, de déclarer forfait. Forcé Elogique, être conquise très tôt. C’est tout le contraire qui de s’arrêter sous une plaque infranchissable, il a cette phrase se passa ! Nous sommes ici face à une aiguille à l’altitude élevée sublime : « Absolutely inaccessible by fair means » (Absolument – 4 013 m –, mais dont la partie rocheuse est plutôt courte : moins impossible avec des moyens honnêtes). de 400 mètres ! Derrière cette apparence de facilité – aujourd’hui, Les Valdôtains vont alors revenir aux bonnes vieilles méthodes on la comparerait à une falaise d’altitude –, il faut trouver le de maçons et de poseurs d’échafaudages. En juillet 1882, la versant le plus faible. Et il y en a au minimum quatre. famille Maquignaz – Jean-Joseph, son fils Baptiste et son neveu Daniel –, guides dans la Valtournanche, sont missionnés par une corde propulsée par des fusées les frères Sella, qui vont payer tous leurs frais. Ils passent Le 20 juillet 1876, Jean Charlet-Straton, un guide chamoniard quatre jours à percer des orifices à la barre à mine – on les au profil atypique pour l’époque – il avait épousé sa cliente, une soupçonne d’avoir employé de la poudre à canon et retaillé Anglaise, miss Isabella Straton, et n’hésitait pas à se lancer dans des prises – pour enfoncer dans le rocher des broches en fer et des ascensions solitaires –, tente sa chance sur la face sud-ouest tendre une corde. Le 29 juillet, une « via cordata », ancêtre de de la Dent du Géant, et parvient à une trentaine de mètres du la via ferrata, est aménagée jusqu’au sommet ouest (4 009 m, sommet. Clinton Thomas Dent, un chirurgien anglais écumeur de car une petite brèche sépare la pointe nord-ouest de la pointe cimes, découvrira avec stupeur l’année suivante dans l’annuaire nord-est, la plus élevée à 4 013 m). La Dent du Géant n’est du Club alpin français, un court récit : « Je trouve ces deux aiguilles toujours pas débarrassée de ses oripeaux d’anneaux scellés très fières (les Drus et la Dent du Géant, NDR), et quoi qu’elles ne et autres cordes fixes… Qu’en penserait Mummery ? Ph. B. veuillent pas se laisser gravir par des êtres humains, je leur porte un profond respect. Ce sont deux grandes dames qui désirent rester vierges (sic), et elles ont Il faut que cette Dent tombe, quels peut-être raison. » Quelques phrases, accompagnées d’un petit dessin indiquant le point atteint par Jean que soient les moyens utilisés.

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