HISTOIRE / LE RÉCIT #1 Opéra de Nice #couac 1. : 650 œuvres à son actif, dont les plus célèbres opérettes du Second Empire. LA COLÈRE D’OFFENBACH 2. La place Masséna au milieu du XIX e siècle, Le célèbre compositeur d’opérettes, dont on célèbre cette année PAR ANDRÉ PEYRÈGNE avec le pont sur le fleuve du Paillon. le bicentenaire, fut maltraité puis adulé sur la Côte d’Azur. [email protected] 3. Mesdames de la Halle , représentées de manière très approximatives devant Offenbach au Théâtre français ous sommes le les duc et duchesse de Woodstock théâtre ! La semaine dernière, ils ont de Nice. 29 décembre 1886. venus d’Angleterre, les comte et massacré deux de mes œuvres, mon L’année va finir. Des comtesse von Rosenberg venus de Mariage aux lanternes et ma Belle 4. La Grande-Duchesse de Gérolstein réjouissances se pré- Prusse. Toutes ces personnalités Hélène . Si ce n’est pas mieux ce soir, qui fit un triomphe à Nice. parent. Pour les fêtes sont arrivées par ce moyen de loco- “che” retirerai mes œuvres du pro- Nde fin d’année, le Théâtre français motion tout neuf à Nice qu’est le gramme ! » 5. Le Théâtre français à Nice, situé à l’emplacement de Nice a programmé Les Dames de train. La gare a été ouverte en 1864, Un homme pressé se présente. actuel des Galeries Lafayette. la Halle . Cette opérette est de Jac- construite « à la campagne » à plu- C’est Des Tours, le critique musical ques Offenbach, compositeur des sieurs kilomètres du centre de la du Journal de Nice : célèbres french cancans, de La Belle ville. On commente aussi les infor- « - Alors maestro, vous êtes toujours Hélène , d’ Orphée aux enfers , de La mations en provenance de Paris furieux ? » Vie parisienne . On célébrera le (celles concernant l’état de santé - “Touchours” ! Si la représentation 20 juin 2019 le bicentenaire de la de Napoléon III sont inquiétantes ) n’est pas meilleure ce soir, j’interdis naissance de ce compositeur célè- ou du monde (la fin de la guerre de que mes œuvres soient jouées ici ! » bre entre tous, amuseur public du Sécession aux États-Unis). Peu à peu, le public prend place #2 #4 Second Empire. dans la salle. Le spectacle va com- Les Dames de la Halle racontent GESTICULATIONS mencer. Le rideau s’ouvre. Dès l’histoire édifiante d’un tambour- SPECTACULAIRES l’entrée, l’orchestre joue faux. Gro- major qui veut épouser une pois- Et voici qu’arrive dans le hall du gnement furieux d’Offenbach qui sonnière, laquelle est éprise d’un théâtre un étrange personnage : sursaute sur son siège. Les chœurs maraîcher qui, lui, long, maigre, le déraillent. Nouvelle exclamation courtise une mar- Le soir, au Théâtre visage anguleux, outrée du compositeur. Lorsque le chande de fruits ! français de Nice, favoris en bataille, ténor commence à défaillir, Offen- Au milieu du XIX e siè- crâne chauve, che- bach n’en peut plus. Il se lève en cle siècle, le Théâtre on pouvait entendre veux couvrant le gesticulant, traverse la salle et français à Nice est le coassement cou. Sa démarche demande à voir le directeur. l’une des nombreu- des grenouilles. est engourdie de Le directeur est un certain Louis ses salles de specta- rhumatismes, Avette. L’homme est puissant dans cle de la ville, situé à l’emplace- mais ses gesticulations sont specta- le monde des spectacles à Nice. Il #3 ment actuel des Galeries Lafayette, culaires et sa voix perce la foule dirige également l’opéra, appelé près de la place Masséna. On se avec son fort accent germanique. Théâtre impérial à l’époque. (C’est #5 #PRÉCISIONS trouvait dans un des nouveaux C’est Jacques Offenbach en per- là que Napoléon III et l’impératrice Une erreur s’est malencon- quartiers de Nice, situés sur la rive sonne. Il a 47 ans. Il est venu passer Eugénie ont été accueillis en 1860, à treusement glissée dans droite du Paillon, construits sur la fin de l’année à Nice, fuyant le l’occasion du rattachement de Nice le récit de la rubrique des terrains marécageux. Le soir, tumulte de la vie parisienne. Il est à la France). Histoire du magazine au Théâtre français, on pouvait descendu à la pension Millet, rue « - “Afette”, “che” suis furieux ! #NOUS numéro 55 du entendre le coassement des gre- Saint-Étienne (aujourd’hui rue “Fotre” orchestre, “fos” chanteurs samedi 18 mai. Dans nouilles provenant des étendues Alphonse-Karr). Il composera sont mauvais. Ils massacrent mes cet article intitulé « Nice, d’eau voisines. durant ce séjour à Nice deux actes “oeufres”. Je ne peux supporter cela 1934 – Sainte Rita et la En ce soir du 29 décembre 1866, les de son , et termine- plus longtemps. C’est une insulte à boucle d’oreille perdue », voitures à chevaux arrivent devant ra son opérette La Grande-Duchesse mon honneur et au public. Je “fous” la photo de l’église le parvis du théâtre. Les calèches de Gérolstein . interdis désormais de programmer publiée en page 47 ne déversent un flot de robes de soi- Au moment où il entre dans le hall mes œuvres. correspond pas à celle de Sainte-Rita ou de l’Annon- rées et d’habits de gala. On du Théâtre français, Jacques Offen- - Mais, maître, vos œuvres sont déjà ciation. Il s’agit, en effet, s’attarde dans le hall, on bavarde. bach retient l’ami qui l’accompa- à l’affiche. Je ne peux les dépro- de la chapelle de la Très- On commente les arrivées des gne : « - Fous entendez ces “kre- grammer. Sainte-Trinité et du Saint- riches hivernants dans la ville, dont nouilles” , dit-il avec son accent à - Ce sont mes “œufres”, “ch’en fais” Suaire, rue Jules-Gilly, à les noms sont quotidiennement couper au couteau ! Eh bien, elles ce que je veux ! Nice. Toutes nos excuses.

annoncés dans la presse mondaine, chantent mieux que les chœurs de ce - Non, elles appartiennent au public. (DR)

46 47 HISTOIRE / LE RÉCIT #7

Elles ne sont plus à vous. niçois Des Tours en a plus d’un - Mais “ch’en” suis le compositeur ! dans son sac. Il alerte ses confrères - Vous n’en êtes plus le propriétaire. parisiens. Elles appartiennent aux artistes. On Et le 5 janvier, Le Figaro à Paris fait de notre mieux pour les jouer. s’empare de l’affaire Offenbach. Mais je n’ai pas les moyens d’enga- « Nous pouvons dire à Monsieur ger de meilleurs musiciens ou chan- Avette que s’il devenait directeur de teurs ! théâtre à Paris – ce dont je plain- - “Afette”, “fous” êtes un assassin de drais les Parisiens – les journaux for- la musique ! » meraient contre lui une sainte Offenbach, hors de lui, sort du alliance. Signé : J. Valentin. » Théâtre tandis que, sur scène, le Le Journal de Monaco prend le massacre continue. relais, le 16 janvier : « Monsieur Avette, rédacteur en chef de l’affiche LA PRESSE INTERDITE D’ACCÈS collée aux murs a inventé un journal Le lendemain, le Journal de Nice se d’une espèce nouvelle et se rend fait l’écho de la soirée : « On a coupable du délit de publication assisté à une lugubre exécution. périodique sans autorisation préala- Monsieur Offenbach est sorti tout ble ! » Quant à Jacques Offenbach, il marri de la représentation. » a quitté Nice, amer, avec la ferme Fureur du directeur du Théâtre de intention de ne plus y revenir. Nice. S’il ne peut plus être défendu par la presse niçoise contre ces INVITÉ À DIRIGER DANS #6

orgueilleux parisiens, où allons LA GRANDE SALLE DE L’OPÉRA (DR) nous ? La guerre est déclarée entre Mais, dans l’art lyrique comme 6. Hortense Schneider, l’une des divas du Second Empire, qui a été acclamée à Nice. le Théâtre Français et le Journal de dans la vie, il s’avère souvent que tations. L’empereur Napoléon III y a Nice . Avette va interdire l’accès de les colères les plus rudes finissent assisté, de même que le prince de 7. L’opéra de Nice au XIX e siècle, où Jacques Offenbach a été invité à diriger lui-même sa Grande-Duchesse de Gérolstein . sa salle aux journalistes. par s’apaiser. Trois ans plus tard, le Galles, le tsar de Russie, le ministre Le lendemain, les murs de la ville conflit est oublié. prussien Bismarck, le roi du Portu- chante sous les bravos : « Ah ! Que seront désormais jouées à tour de et a l’intention de composer une se recouvrent d’affiches à l’en-tête Jacques Offenbach va revenir à gal, le roi de Suède, le khédive j’aime les militaires, / Leur uniforme bras à l’opéra de Nice : 116 fois La œuvre d’un genre nouveau : une... du Théâtre français sur lesquelles Nice. Pour se faire pardonner, le d’Égypte Ismaïl Pacha. Le rôle prin- coquet, / Leur moustache et leur plu- Grande-Duchesse de Gérolstein , 107 messe ! Oui, une messe. Mais pour on peut lire : « En raison de l’attitude directeur de l’Opéra l’a invité à diri- cipal était tenu par la grande diva met! / Leur air vainqueur, leurs fois La Périchole , 106 fois La Belle un événement particulier : du journal, la loge ger lui-même ses de l’époque, Hortense Schneider, manières, / En eux, tout me plaît ! » Hélène , 99 fois Orphée aux enfers le mariage de sa fille Sophie-Blan- de presse sera propres œuvres 36 ans, qui sera également son Dans la fosse d’orchestre, on voit la entre 1867 et 1885, 81 fois Barbe- che. L’Histoire de la musique a désormais suppri- « J’aime les militaires, dans sa grande interprète à Nice. Elle sera logée silhouette d’Offenbach s’agiter, ses bleue , 76 fois , 47 fois oublié, depuis longtemps, la messe mée. Le public ne leurs uniformes coquets, salle. Il mettra au sur la promenade des Anglais et bras se déployer au-dessus des La Fille du tambour-major . d’Offenbach. trouvera plus les leurs moustaches programme La sera choyée comme une princesse. musiciens, ses cheveux flotter sur Mais pour ce qui est de ses opéret- annonces des spec- Grande-Duchesse Toute la Côte d’Azur se presse à sa nuque. UNE MESSE POUR tes, on continue à fredonner ses tacles dans le jour- et leurs plumets ! » de Gérolstein . l’opéra de Nice. Le maire François Pendant plusieurs jours, sur la pro- LE MARIAGE DE SA FILLE airs sur tous les tons et tous les nal. Le public est Cette opérette a Malausséna est là. Dans la salle, on menade des Anglais autant que Offenbach est devenu une vedette continents. Celui-ci, par exemple, donc invité à lire quotidiennement été créée lors de la saison précé- exulte. Le public reprend en chœur dans les rues du Vieux-Nice, on ne à Nice. Il ne peut plus venir dans issu de sa Périchole : « J’ai la les affiches qui seront collées par la dente à Paris, à l’occasion de l’air « Pif-Paf-Pouf » du général fredonnera que « j’aime les militai- cette ville sans être assailli. Alors, fortune et la puissance, tout cela direction du théâtre sur les murs de l’Exposition universelle de 1867. Boum-Boum. La joie est à son com- res ! » Oubliés les déboires passés en 1875, pour être tranquille, c’est à ne vaut pas l’amour. » Belle philoso- la ville. » Mais le critique musical Elle a connu... deux cents représen- ble lorsque Hortense Schneider d’Offenbach à Nice ! Ses opérettes Cannes qu’il va se retirer. Il a 51 ans phie ! NÉ EN ALLEMAGNE AUTEUR DU « BATACLAN » Le plus célèbre des compositeurs d’opérettes français, roi de la musique La première opérette d’Offenbach, créée en 1855, de divertissement à Paris, auteur des french cancans sous Napoléon III, porte un titre aux résonances dramatiques à notre est, en fait, allemand. Il est né sous le nom de Jacques Eberst en 1819 époque : Ba-ta-clan . à Cologne et a francisé son nom en Offenbach en arrivant en France. Cet ouvrage aux origines pseudo-chinoises (« ba-ta-clan » signifiant « remue-ménage ») raconte l’histoire de deux LE CATALOGUE DE SES ŒUVRES COMPREND PAS MOINS exilés français dans un lointain royaume de langue chinoise DE 640 NUMÉROS, DONT UNE TRENTAINE D’OPÉRETTES qui se laissent entraîner dans un complot visant à renverser Il a commencé comme violoncelliste à l’orchestre de la Comédie-Française le roi. Comme dans toutes les opérettes, l’histoire, bien où le directeur, appréciant sa personnalité, l’a nommé directeur musical. sûr, se finit bien. L’ouvrage eut un tel succès que le théâtre Le catalogue de ses œuvres comprend pas moins de... 640 numéros, au toit en forme de pagode chinoise ouvert quelques dont une trentaine d’opérettes dans lesquelles les passages parlés faisaient années plus tard à Paris prit le nom de Bataclan (avec la satire de la vie parisienne ou politique de l’époque. Son comique musical suppression des traits d’union entre les syllabes). C’est vient souvent de répétitions de syllabes. Ainsi, dans ces airs célèbres dans ce théâtre destiné, à l’époque, au divertissement de La Belle Hélène : « Je suis l’époux de la reine, poux de la reine » de la bonne société du Second Empire, que s’est déroulé, (DR) ou « Le roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance ». (DR) le 13 novembre 2015, le terrible attentat que l’on sait.

48 49