Dictionnaire de ­l’Opéra de Paris sous ­l’Ancien Régime

Sous la direction de Sylvie Bouissou, Pascal Denécheau et France Marchal-Ninosque

Paris classiques garnier 201X

A

Amour saltimbanque (L’) 15 juin 1790 : Louis IX en Égypte, sur la → Les Fêtes vénitiennes. musique de Lemoyne, essayant de faire revivre sur la scène le mythe du monarque Amour vengé (L’) père de la patrie. Titre alternatif des Sylphes. → Louis IX en Égypte. → Les Génies. ► Biographie universelle ancienne et moderne, L.-G. Michaud (éd.), Paris, Michaud, Anacréon 1834, t. 56 (Supplément), p. 300-312 → Les Surprises de l’amour, Fragments du ◊ Ch.-A. Sainte-Beuve, Critiques et por- 8 août 1769. traits littéraires, Paris, Renduel, 1836, 2e éd., t. 2. Andrieux, François-Guillaume- Fr. Marchal-Ninosque Jean-Stanislas Strasbourg, 6 mai 1759 – Paris, 10 mai Aubry, Marie 1833. Dramaturge, avocat et professeur. Paris, v. 1646 – 1704. Actrice chantante, Andrieux mène ­d’abord une carrière D (fl. 1672-1684). juridique, ­comme avocat puis juge avant Fille du maître paveur Nicolas Aubry, et après la Révolution. Il y met fin pour Marie Aubry ­commence sa carrière dans enseigner la grammaire à ­l’École poly- la musique de Philippe ­d’Orléans. En technique de 1804 à 1816 puis la litté- 1669, elle représente ­l’Amérique dans rature française et morale au Collège de la quinzième entrée du Ballet de Flore de France en 1814. Ce Girondin modéré, Lully. Deux ans plus tard, elle incarne membre du Conseil des Cinq-Cents, le rôle de Diane dans Diane et Endymion tribun militant opiniâtrement pour la de Granouilhet de Sablière, représenté République, est ­connu dans le monde à Versailles le 3 novembre 1671, puis à des Lettres pour avoir broché quelques Saint-Germain-en-Laye, dans une version ­comédies ­d’intrigue qui font saillir ses remaniée et rebaptisée Le Triomphe de ­compétences à allier ­l’art de la pointe ­l’Amour en janvier et février 1672. À cette et le naturel, ­qu’il tient de son maître date, elle débute sur la scène de ­l’ARM Voltaire. ­L’une d’entre­ elles, Molière avec en créant le rôle de Philis des Peines et des ses amis (1804), met en scène Lully dans un Plaisirs de ­l’amour de Cambert. Engagée rôle ­comique. Il collabore avec Guillard, par Lully au cours de ­l’année 1674, Marie alors librettiste pensionné de ­l’ARM, à Aubry interprète uniquement les rôles ­l’une des dernières tragédies en musique de jeune princesse ­jusqu’en 1684, date à représentées par ­l’institution royale le laquelle elle est contrainte­ de se retirer 8 Aubry, Marie en raison de son obésité. Amie intime ► Requeste d’Henry­ Guichard, ou l’on­ va de Marie Verdier et de Marie-Madeleine establir l’innocence­ & la justification du Brigogne, elle fut aussi la maîtresse de Suppliant (s.l.n.d.), F Pn fo Fm 7207- Guichard et témoigna ­contre lui lors du 7208 ◊ Parfaict, HARM, t. 1, p. 27 procès qui opposa ce dernier à Lully pour ◊ J.-B. Durey de Noinville et L. Travenol, tentative d’empoisonnement.­ Pensionnée Histoire du Théâtre de ­l’Académie Royale de de ­l’ARM à raison de 800 livres en 1698, Musique en France, depuis son établissement elle rejoint la musique de la Chambre du ­jusqu’à présent, Paris, Duchesne, 1757 roi où elle reste ­jusqu’à sa mort. ◊ A. Pougin, Les Vrais Créateurs de ­l’Opéra créa. Philis (Les Peines et les Plaisirs de français, Perrin et Cambert, Paris, Charavay, ­l’amour, Cambert, 1672) ; Églé (Thésée, 1881, p. 170-172 ◊ É. Mignot de Lyden, Lully, 1675) ; Sangaride (, Lully, 1676) ; Le Théâtre d’autrefois­ et d’­ aujourd’hui :­ Io (, Lully, 1677) ; Psyché ? (Psyché, cantatrices et comédiens,­ 1532-1882, Paris, Lully, 1678) ; Philonoé (, Lully, Dentu, 1882, p. 53, 56 ◊ Ch. Nuitter et 1679) ; Vénus, une Indienne ? (Le Triomphe E. Thoinan, Les Origines de ­l’opéra français, de ­l’Amour, Lully, 1681) ; Paris, Plon, 1886, p. 164-165. (Proserpine, Lully, 1681) ; Andromède P. Denécheau (Persée, Lully, 1682) ; Théone ? (Phaéton, Lully, 1683) ; Oriane (, Lully, 1684). B

Beaumarchais, Pierre-Augustin enfin du côté de lacomédie ­ ­d’intrigue Caron de dans laquelle il excelle vite. Fort des Paris, 24 janvier 1732 – 18 mai 1799. succès obtenus sur la scène du Théâtre Dramaturge, musicien et homme d’affaires.­ français pour Le Barbier de Séville et Le Fils ­d’horloger, horloger lui- Mariage de Figaro en 1775 et 1784 (la même capable ­d’inventer le système trilogie sera achevée avec La Mère coupable ­d’échappement à double virgule de la en 1792), Beaumarchais brigue une autre montre, puis ­d’améliorer le fonctionne- scène prestigieuse, celle de l’­ ARM : ayant ment des pédales de la harpe quand il essuyé un refus de Gluck, il collabore devient le professeur de cet instrument avec Salieri à ­l’opéra Tarare, représenté pour les filles de Louis XV, Beaumarchais le vendredi 8 juin 1787. Les répétitions est ­l’incarnation même de ­l’« énergie » qui aiguisent la curiosité du public parisien caractérise les hommes et les idées de la qui ­s’enflamme en ces années pour la per- seconde moitié du xviiie siècle. Ce « diable sonnalité de Beaumarchais, en proie à des ­d’homme », admirateur de Voltaire et procès privés devenus affaires publiques, ­comme lui initié aux finances par Pâris- plus que pour son personnage de sol- Duverney, se ruinant pour publier les dat oriental. Tarare incarne dans l’opéra­ œuvres de son maître à penser, mena une toutes les vertus, face au tyran Atar, figure vie rocambolesque. Rappelons rapidement du despote absolu. Les valeurs éclairées ­qu’il fut espion à la solde de Louis XV, que Beaumarchais a défendues toute sa vendeur ­d’armes sous couverture pendant vie survivent dans un livret qui mêle la guerre ­de l’Indépendance américaine la féérie au discours militant. Quand puis la Révolution française, fondateur Beaumarchais le remanie en 1790 pour de la Société des auteurs et ­compositeurs de nouvelles représentations à ­l’ARM, dramatiques, ce qui, joint à une carrière ajoutant ­l’acte du « Couronnement littéraire qui lui fit créer le personnage de Tarare », le discours politique ­s’est immortel de Figaro, suffirait pour en faire substitué au discours libertaire : Tarare la personnalité la plus insaisissable de gouverne par la justice, remplace la ­l’histoire littéraire. Il l’a­ illustrée surtout monarchie par la loi, renonce au célibat en tant que dramaturge, ­commençant des prêtres, dénonce ­l’esclavage, proclame sa carrière pour des parades données sur le dévouement patriotique. ­L’idéologie le théâtre privé du mari de la marquise éclairée et ses lieux communs­ se déversent de Pompadour, la poursuivant avec des dans cette œuvre que son auteur quali- drames bourgeois dont il devient, après fie désormais de mélodrame. Ce ­n’est Diderot, le second théoricien, ­l’orientant pourtant pas cet opéra que ­l’histoire de 10 Bellus la musique a retenu, mais ceux inspi- Beaumarchais, Le Voltigeur des Lumières, rés de ces deux ­comédies d’intrigue :­ Le Paris, Gallimard, 1996 ◊ M. Lever, Mariage de Figaro, adapté par Da Ponte Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, pour Mozart en 1786, et Le Barbier de ­L’Irrésistible Ascension, Paris, Fayard, 1999 Séville repris par Paisiello en 1782 puis ◊ M. Lever, Le Citoyen ­d’Amérique, Paris, par Rossini en 1816. Fayard, 2003 ◊ M. Lever, Dans la tour- → Tarare. mente, Paris, Fayard, 2004. ► Mémoires secrets de Bachaumont, Fr. Marchal-Ninosque Pidansat de Mairobert (éd.), Londres, Adamson, 1787, t. 35 ◊ J. Scherer, La Bellus Dramaturgie de Beaumarchais, Paris, → Le Temple de la Gloire. Nizet, 1954 ◊ Th. Betzwieser, « Exoticism and Politics : ­Beaumarchais’ and Salieri’­ Bergère ingénue (La) Le Couronnement de Tarare (1790) », Titre alternatif d’Alain et Rosette. Cambridge Opera Journal, juillet 1994, t. 6, → Alain et Rosette. no 2, p. 91-112 ◊ J.-P. de Beaumarchais, C

Cartilly, Marie-Madeleine même année à La Haye pour la visite de la Jossier, dite princesse ­d’Orange. En 1689, à la ferme- Var. : Castilly. ture de ­l’Opéra de Bruxelles, elle rejoint Apr. 1650 – Paris, 1717. Actrice chan- peut-être Paris avec les autres membres tante, D (fl. 1671-1673). français de la troupe. Quoi ­qu’il en soit, Elle épouse un certain Cartillier, d’où­ à partir de 1688, elle alterne des séjours son nom de scène Cartilly. En 1671, elle entre Paris et Bruxelles. Après la mort est engagée de force par le marquis de de son premier mari, elle épouse le sieur Sourdéac et le sieur Champeron, alors de La Roche en 1695. associés à Perrin pour l’exploitation­ du créa. Pomone (Pomone, Cambert, 1671) ; privilège de l’­ ARM. Parallèlement, elle Palès, Charité (Cadmus et Hermione, Lully, chante dans des concerts­ particuliers, 1673). notamment en 1673 chez le sieur Filz, qui ► Parfaict, DTP, t. 2, p. 3, 58-59 tenait une institution pour jeunes gens ◊ A. Pougin, Les Vrais Créateurs de ­l’Opéra de bonne famille, et fréquente Dassoucy français, Perrin et Cambert, Paris, Charavay, dans le cadre de soirées privées. À ­l’instar 1881, p. 121, 140, 169 ◊ Ch. Nuitter de nombreux ­commentateurs, Parfaict et E. Thoinan, Les Origines de ­l’opéra suppose à tort ­qu’après avoir créé le rôle français, Paris, Plon, 1886, p. 164-165 de Pomone en 1671, elle quitte ­l’ARM ◊ H. Liebrecht, Histoire du théâtre français et cesse son activité de chanteuse, alors à Bruxelles au xviie et au xviiie siècles, Paris, qu’en 1673 on la retrouve dans Cadmus Champion, 1923, p. 100-101. et Hermione. En 1682, à l’occasion­ de S. Bouissou ­l’ouverture de l’­ Opéra du quai au foin de Bruxelles, elle tient les rôles de Médée Castilly et Minerve du Thésée de Lully, repris la → Cartilly.

G

Gavaudan (le père) le théâtre Feydeau de 1896 à 1802 dans m Paris, 1778. Acteur chantant du chœur, des rôles qui demandent une voix légère HC (fl. 1778). et virtuose. Père des trois chanteuses de ­l’ARM, créa. Céphise (Andromaque, Grétry, Anne-Marie-Jeanne, Adélaïde, Émilie et 1780) ; une Nymphe (Daphné et Apollon, du célèbre Jean-Baptiste-Sauveur, il fut Mayer, 1782) ; Julie (L’Embarras­ des richesses, maître de musique à Montpellier puis Grétry, 1782) ; Phénice (Didon, Piccinni, employé dans les chœurs pendant un an 1783) ; une Hongroise (La Caravane du à l’­ Opéra de Paris en 1778 après avoir Caire, Grétry, 1784) ; Elvire (Chimène ou fait partie de ceux de ­l’Académie royale le Cid, Sacchini, 1784) ; une Danaïde (Les de musique de Lyon au moins de 1740 Danaïdes, Salieri, 1784) ; Amour (Diane et à 1743 où il tient également des petits Endymion, Piccinni, 1784) ; une Coryphée rôles, notamment dans deux œuvres de (Dardanus, Sacchini, 1784) ; Agarène Rameau, Les Fêtes ­d’Hébé (un Esclave) et (Panurge dans ­l’île des lanternes, Grétry, Hippolyte et Aricie (une Parque). 1785) ; Ériphile (Œdipe à Colonne, Sacchini, ► SdP, 1778. 1786) ; Calciope (Médée à Colchos, Vogel, Fr. Marchal-Ninosque 1786) ; Œnone (Phèdre, Lemoyne, 1786) ; une Suivante de Camille (Les Horaces, Gavaudan, Adélaïde (la cadette) Salieri, 1786) ; Aglaé (Alcindor, Dezède, 1767 – Hambourg, 1805. Actrice chan- 1787) ; Spinette, ­l’Ombre de Spinette tante soliste (fl. 1778 – apr. 1791). (Tarare, Salieri, 1787) ; Hyparète (Aspasie, Sœur ­d’Anne-Marie-Jeanne, de Jean- Grétry, 1789) ; Julie (Les Prétendus, Baptiste-Sauveur et ­d’Émilie. ­D’abord Lemoyne, 1789) ; Rosette (Les Pommiers choriste en 1778, coryphée notamment et le Moulin, Lemoyne, 1790) ; Ismène en 1784 ­comme ­l’indiquent les SdP bien (Antigone, Zingarelli, 1790) ; Adèle ­qu’elle chante déjà des rôles importants (Louis IX en Égypte, Lemoyne, 1790) ; (­comme celui ­d’Angélique dans la reprise Cora (Cora, Méhul, 1791). ­d’octobre 1782 du Roland de Piccinni), ► SdP, 1778-1792 ◊ A. Pougin, Figures elle devient adjointe en 1786, toujours ­d’Opéra-Comique : Mme Dugazon, Elleviou, ­d’après les SdP. Elle se fait surtout la tribu des Gavaudan, Paris, Tresse, 1875, remarquer grâce au rôle de Spinette p. 143-157. dans Tarare de Salieri, ­qu’elle incarne si Fr. Marchal-Ninosque bien ­qu’on lui ­conserve le sobriquet de « Spinette ». À la Révolution, elle fuit Paris pour l’­ Allemagne, puis revient sur 14 Gavaudan, Anne-Marie-Jeanne (­l’aînée)

Gavaudan, Anne-Marie-Jeanne 1784) ; Théone (Pénélope, Piccinni, 1785) ; (­l’aînée) une Coryphée (Œdipe à Colonne, Sacchini, 1764 – Paris, 15 juin 1810. Actrice chan- 1786) ; Franchette, une jeune Fille (Rosine, tante soliste (fl. 1777 – apr. 1791). Gossec, 1786) ; une Sylphide (Alcindor, Sœur aînée d’­ Adélaïde, de Jean- Dezède, 1787) ; une Ombre, une Bergère Baptiste-Sauveur et d’Émilie,­ elle débute (Tarare, Salieri, 1787) ; une Prêtresse sa carrière ­comme première chanteuse (Demophoon, Cherubini, 1788) ; une Femme du concert­ de Montpellier, puis tient de la Sultane (Louis IX en Égypte, Lemoyne, le rôle de l’­ Aurore, lors de la reprise de 1790) ; une Spartiate, une Suivante ­d’Hébé Céphale et Procris de Grétry à ­l’ARM en (Castor et Pollux, Candeille, 1791). 1777. Sa voix ­n’ayant pas la puissance ► SdP, 1778-1792 ◊ Mémoires secrets de et les inflexions propres aux premiers Bachaumont, Pidansat de Mairobert (éd.), rôles, elle est vite reléguée à l’emploi­ Londres, Adamson, 1784, t. 4, p. 223 ­d’adjointe, puis de double ­d’après les ◊ G. d’­ Heilly, Foyers et coulisses, Paris, SdP, cédant systématiquement les rôles Tresse, 1873, t. 2 ◊ A. Pougin, Figures titres à Mlles Saint-Huberty, Levasseur, ­d’Opéra-Comique : Mme Dugazon, Elleviou, Maillard ou Dozon. ­C’est en 1786 que la tribu des Gavaudan, Paris, Tresse, 1875, Gavaudan l’aînée­ est rétrogradée à p. 143-157. ­l’emploi de double. Probablement en Fr. Marchal-Ninosque 1782, elle épouse la fameuse haute-­contre Lainez. Elle se retire, après une quinzaine Gavaudan, Émilie ­d’années passées à ­l’ARM. 1775 – Paris, 1837. Actrice chantante du créa. Un Démon sous les traits de chœur (fl. 1787 – apr. 1791). Lucinde et d’une­ Naïade (Armide, Gluck, Sœur des deux chanteuses de l’­ ARM, 1777) ; Bélise ( , Piccinni, 1778) ; Roland Anne-Marie-Jeanne et Adélaïde, et de Terpsichore (Les Trois Âges de ­l’Opéra, Jean-Baptiste-Sauveur. Après avoir tenu Grétry, 1778) ; Nicette (La Fête de vil- des rôles de coryphée, notamment dans lage, Gossec, 1778) ; Ismène (Myrtil et Tarare de Salieri en 1787, elle est limitée Lycoris, Desormery, 1778) ; Églé (Écho et à partir de 1790 au statut de simple cho- Narcisse, Gluck, 1779) ; une Magicienne riste. Elle quitte l’­ ARM à la Révolution (Amadis de Gaule, Bach, 1779) ; un et entre dans les chœurs du théâtre Songe agréable (Atys, Piccinni, 1780) ; Andromaque (Andromaque, Grétry, Feydeau dès 1796. À une date inconnue, 1780) ; une Coryphée (Iphigénie en Tauride, elle épouse le ­compositeur P. Gaveaux. Piccinni, 1781) ; Justine (La Fête de Mirza, créa. Une Coryphée (Tarare, Salieri, Grétry et Gossec, 1781) ; Ismène (Apollon 1787). et Coronis, Ray, 1781) ; Justine (La Double ► A. Pougin, Figures d’Opéra-Comique :­ Épreuve, Grétry, 1782) ; une Vieille (Thésée, Mme Dugazon, Elleviou, la tribu des Gossec, 1782) ; une Nymphe (Daphné et Gavaudan, Paris, Tresse, 1875, p. 143-157. Apollon, Mayer, 1782) ; Iphise (Renaud Fr. Marchal-Ninosque et Armide, Sacchini, 1783) ; une Femme coryphée (Péronne sauvée, Dezède, 1783) ; Gavaudan, Jean-Baptiste-Sauveur une Dame indienne (Alexandre aux Indes, Salon-de-Provence, 8 août 1772 – Paris, Méreaux, 1783) ; une Hongroise (La 10 mai 1840. Commis à ­l’ARM, chanteur. Caravane du Caire, Grétry, 1784) ; une Sans ressource après la mort de son Coryphée (Chimène ou le Cid, Sacchini, père en 1778, il sert dès ­l’âge de sept 1784) ; une Danaïde (Les Danaïdes, Salieri, ans dans la marine, puis est employé Guillard, Nicolas-François 15

­comme simple commis,­ après 1785, dans de Paris, offrant ses textes à Lemoyne, les bureaux de ­l’ARM grâce à ­l’appui de Grétry, Lesueur et Paisiello. Guillard ses sœurs. Il quitte ­l’institution pour faire débute par un coup ­d’éclat, Iphigénie en carrière à ­l’Opéra-Comique où il devient, Tauride (1779), une tragédie en musique avant et après la Révolution, ­l’un des restée célèbre pour ne pas souscrire chanteurs titulaires les plus en vue, sur- aux ­conventions du genre, le ballet ou nommé le « Talma de ­l’Opéra-Comique ». ­l’héroïsme galant, qui doit sa nouveauté ► A. Pougin, Figures d’Opéra-Comique :­ poétique à la querelle célèbre qui venait Mme Dugazon, Elleviou, la tribu des ­d’éclater à propos de la réforme de ­l’opéra Gavaudan, Paris, Tresse, 1875, p. 157 sqq. français. Gluck ayant quitté Paris, ­c’est Fr. Marchal-Ninosque pour Sacchini, qui a les faveurs de Marie- Antoinette, que Guillard crée ou adapte Guillard, Nicolas-François les livrets de Chimène ou Le Cid (Versailles, Chartres, 16 janvier 1752 – Paris, 1783), Dardanus (Versailles, 1784), Œdipe 26 décembre 1814. Dramaturge. à Colonne, son chef d’œuvre­ (Versailles, La Biographie universelle de Michaud 1787), Arvire et Évélina (1788). Lemoyne au début du xixe siècle le qualifie de met en musique deux de ses tragédies, « premier de nos poètes tragico-lyriques, Électre (1782) et Louis IX en Égypte (1790). après Quinault ». ­L’éloge n’est­ sans doute La collaboration avec Sacchini se poursuit pas forcé quand on ­considère la vigueur en 1793 avec Miltiade à Marathon, quand dramatique incontestable de ses quinze ­l’ARM devient le Théâtre national de livrets, habiles à nouer une action et à ­l’Opéra. Notons enfin que Guillard a varier les fables, tirées des sources lit- réduit à trois actes le livret de la Proserpine téraires, mais aussi religieuses et his- de Quinault, pour le ­compositeur ita- toriques. ­C’est dans le milieu littéraire lien Paisiello, en 1794, symbole que la des commensaux­ de la comtesse­ Turpin musique italienne était destinée à se mêler de Crissé, où il fréquente notamment désormais intimement dans le jeu des ­l’abbé de Voisenon et la veuve Favart, que reprises et des adaptations à la musique Guillard acquiert une incontestable maî- française. trise de la prosodie, ­d’abord dédiée à la → Arvire et Évélina, Chimène ou Le Cid, grâce et au naturel de la poésie mondaine. Dardanus, Électre, Émilie ou La Belle Il se passionne ensuite pour ­l’activité de Esclave, Iphigénie en Tauride, Les Horaces, librettiste et est reconnu par ­l’ARM qui Louis IX en Égypte, Œdipe à Colonne. lui triple sa pension entre 1784 et 1789. ► Biographie universelle ancienne et moderne, Plus tard, il restera membre du comité­ L.-G. Michaud (éd.), Paris, Michaud, 1817, de lecture de ­l’Opéra, de 1807 ­jusqu’à t. 17, p. 1787-1788 ◊ C. Champonnois, sa mort. Pour des représentations don- « Nicolas-François Guillard : un libret- nées par ­l’ARM à Paris, Fontainebleau et tiste de Gluck encore méconnu », o Versailles, Guillard broche neuf livrets Musicorum, 2011, n 9, Les Lumières et de comédies­ ou tragédies qui sont mises la culture­ musicale européenne. Christoph en musique par Gluck, Sacchini, Salieri Willibald Gluck, S. Le Moël et L. Quetin et Lemoyne, avant ­d’en composer­ encore (éd.), p. 99-109 six autres de 1793 à 1809, pour ­l’Opéra Fr. Marchal-Ninosque

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Louis IX en Égypte Acte II : Bergers égyptiens, un Berger et Opéra en trois actes de Jean-Baptiste une Bergère (M. Vestris, Mlle Miller) ; Lemoyne, livret de Nicolas-François Ménétriers, quatre Ménétriers Guillard et François-Guillaume-Jean- (MM. Deshayes l., Petit, Deshayes c., Stanislas Andrieux. Création : Paris, Lanfan) ; Pâtres, deux Pâtres (M. Nivelon, ARM, mardi 15 juin 1790. Mme Pérignon). dist. D’après le livret, Paris, P. Delormel, Acte III : Femmes de la Sultane, trois 1790, F B 259723 Femmes (Mlles Saulnier, Rose, Duvaly) ; Acteurs chantants Mamelouks, un Mamelouk (M. Gardel) ; Chevaliers français, un Chevalier Louis IX, roi de France, HC (M. Lainez) ; (M. Huard) ; Arabes bédouins, cinq Méleck-Sala, soudan ­d’Égypte, Bédouins (MM. Laurent, Beaupré, BT (M. Chéron) ; la Sultane, D Milon, Le Bœuf, Gainetez) ; Bergers (Mlle Maillard) ; Almodan, fils de Mélek mahométans, un Berger et une Bergère et de la Sultane, HC (M. Rousseau) ; Mosès, ancien chef des Mamelouks, (M. Nivelon, Mlle Chevigny). BT (M. Laïs) ; Adèle, fille de Baudouin Scénographie de Bouillon, D (Mlle Gavaudan c.) ; Maximilien Gardel (ballets). Tristan, ancien écuyer de Baudoin de Bouillon, BT (M. Chardini) ; Joinville, En adaptant à ­l’Opéra la destinée HC (M. Lebrun) ; le Comte de Bretagne, de saint Louis, modèle du roi pieux BT (M. de Chateaufort) ; une Femme de la et juste ­qu’a campé Joinville pour la Sultane, D (Mlle Gavaudan l.) ; Matthieu postérité − ­qu’a relayé Velly dans son de Montmorency, HC (M. Moulin) ; Histoire de France, source directe où Chastillon, HC (M. Cavalier) ; deux puisent Guillard et Andrieux −, roi qui Arabes bédouins (MM. Dufresne, transporta ses convictions­ de Chrétien Leroux c.) ; un Chevalier français, un Pâtre, pendant la septième croisade en Égypte un Mamelouk (coryphée) ; Chevaliers et ­jusqu’aux portes de Damiette, Andrieux Soldats français ; Mamelouks ; Femmes de et Guillard ont sans doute préjugé des la Sultane ; Peuples et Soldats sarrasins ; capacités ­d’adaptation ­d’un genre appelé Pâtres et Bergères. surtout à matérialiser l’enchantement­ et Acteurs dansants la pompe. Acte I : Peuple sarrasin, deux Sarrasins Acte I. La ville de Damiette est en (M. Goyon, Mlle Coulon), deux autres liesse en raison de la paix que vient Sarrasins (M. Frédéric, Mlle Trache). ­d’accorder le roi de France aux Égyptiens. 18 Louis IX en Égypte

Néanmoins, au milieu du divertissement de la scène de reconnaissance entre la marqué par ­l’allégresse du peuple, la Sultane et son fils (« Méleck a cessé Sultane parvient à prévenir saint Louis ­d’être », III, 7), reconnaissance largement que son époux Méleck ­complote ­contre émoussée ­d’ailleurs par les révélations lui un lâche attentat, lui qui fut déjà de ­l’acte II. De même, les effets du coup coupable du crime de l’avoir privée de son de théâtre qui fait que la piété et la sen- fils quelques années plus tôt. Gagnés par sibilité du roi − qui prêtent à une gra- la générosité de saint Louis, les barons cieuse romance (« Ô, ma mère, ma tendre français ­comme les mamelouks et le mère », III, 3) − déjouent naturellement peuple égyptien fêtent au cours ­d’un le complot­ qui se tramait ­contre lui, sont divertissement dans la communion­ de aussi en quelque sorte volés au specta- ­l’enthousiasme la « bienfaisance » et la teur. Il semble que les deux dramaturges « clémence » ­d’un roi juste. ­n’aient pas désiré présenter un spectacle Acte II. Le roi de France ­s’aventure enchanteur ou tragique, tout entiers à dans une vallée de pâtres, où il est leur obsession qui transpire à chaque accueilli ­comme un père sitôt que scène de l’opéra­ de proposer au public reconnu. Un divertissement pastoral parisien qui venait de vivre ­l’abolition des couvre de fleurs cette vallée livrée aux privilèges et voir Louis XVI accepter la bonnes mœurs. Saint Louis en ramène cocarde, le modèle ­d’un roi juste, aimant une Française réfugiée là depuis son son peuple et le libérant de ses entraves. enfance, Adèle, et un jeune berger à la Les discours qui tentent de faire revivre physionomie peu ­commune, épris de la le mythe du monarque-père saturent le jeune fille, Almodan, qui se révèle être livret, la nature politique des discours le fils de la sultane ­qu’avait su protéger étant plus propre à la scène du théâtre de des foudres de Méleck ­l’ancien chef des la Nation ­qu’à celle de ­l’ARM, ce que ne mamelouks, Mosès. manquent pas de noter malicieusement Acte III. Déjouant le complot­ des les rédacteurs de la Correspondance littéraire Bédouins et de Méleck, par sa propension qui accordent aux ballets ­d’être « parfai- à la justice et à ­l’amour de son peuple, tement bien dessinés » mais reconnaissent saint Louis ­confie le trône ­d’Égypte au au poème dramatique de ne pas se prêter jeune Almodan, reconnu et chéri par sa à ­l’opéra. ­La partition de Lemoyne est mère. Un ultime divertissement marque restée inédite. ­La postérité n’a retenu que la joie du peuple libéré de la tyrannie la romance de saint Louis versant des ­d’un sultan sanguinaire et la promesse larmes sur la lettre reçue de sa mère dont ­d’un mariage entre les deux jeunes gens. il apprend la disparition, cette romance centrale de l’acte ­ III qui fait rayonner ­L’histoire musicale et l’histoire­ lit- la douceur mélodique ­contrastant avec téraire ont laissé dans ­l’oubli ­l’un des la puissance dramatique du début et de derniers opéras représentés sur la scène la fin de ­l’acte, quand l’opéra­ rassemble de l’­ ARM. Les critiques, notamment les sur scène une foule nombreuse et agitée. rédacteurs de la Correspondance littéraire, Ce sont d’ailleurs les chœurs masculins ­s’accordent à dire que le génie musical de qui font l’action dramatique dans cet Lemoyne semble l’avoir­ abandonné dans opéra, animant absolument les premier cet opéra. Il faut reconnaître aussi que et troisième actes, selon les convictions de le livret ne parvient à aucun moment à la réforme gluckiste. Même si Lemoyne nouer l’action­ dramatique : Andrieux et tente encore les effets de ­contrastes qui ont Guillard ne tirent aucun effet pathétique fait la réputation de son Électre en 1782, Louis IX en Égypte 19 il semble que sa musique ne rencontre pièces. Si ­l’opéra tomba, la dramaturgie plus le même succès. La dramaturgie de ­l’enchantement étant imperméable du spectaculaire et de ­l’enchantement de toute évidence au discours politique, a cédé le pas au discours politique, certaines répliques peuvent intéresser preuve que la tragédie en musique a su ­l’historien des idées, capable ­d’y retrou- accueillir l’idéologie,­ ­comme l’avait­ fait ver, mêlée au discours libertaire, la la tragédie. Andrieux, dont on recon- figure mythique du monarque-père qui naît les ­convictions dans ­l’élaboration a traversé le xviiie siècle et que Voltaire du personnage de saint Louis, rivalise avait su magnifier dansLa Henriade, avec M.-J. Chénier, qui venait de por- privilégiant toujours la justice dans la ter à la scène la figure de Charles ix et puissance royale, qu’il­ la rencontre chez ses attaques ­contre la tyrannie, oubliant saint Louis ou Henri IV : « Chérissons que la destinée d’un­ roi pieux et pacifi- nos sujets et respectons leurs droits. […] / cateur ­s’accorde mal aux impératifs du Je veux par mon pouvoir que les lois se genre chanté. Il aurait pourtant pu tirer maintiennent ; / ­C’est par elles que nous des effets gracieux del’exotisme ­ orien- régnons ; / Ne pensons pas qu’aux­ Rois tal ­s’il ­n’avait fait de ­l’Égypte un décor les peuples appartiennent ; / ­C’est nous ­conventionnel, pour ne pas dire fantai- qui leur appartenons. […] / Laissons à nos siste, trahissant et ­l’histoire (la prise de sujets une liberté sainte, / Aimons-les ; Damiette lors de la septième croisade ne ils sauront nous payer de retour. / Que fut ni glorieuse ni longue, sans parler les tyrans gouvernent par la crainte, / de la huitième croisade où saint Louis Sachons gouverner par ­l’amour. » (III, 2). trouva la mort) et la géographie (le port Les paroles de saint Louis sans doute de Damiette, dans le delta du Nil, ­n’est ­s’adressaient-elles aussi aux Jacobins dont pas bordé de montagnes). La Préface ­l’autorité devenait de plus en plus pres- du livret avoue de telles « altérations » sante. Un lecteur moderne retiendra de (p. 5) comme­ elle affiche ses prétentions Louis IX en Égypte non les ballets gracieux à ouvrir l’opéra­ au discours militant. ou les airs sans grandeur, mais les dis- ­L’ARM n’a­ pas souvent prêté à la tribune cours qui mêlent à ­l’idéologie libertaire politique : les ­convictions ­qu’Andrieux les ­convictions éclairées de deux drama- et Guillard y transportent sont donc à turges qui rêvaient que la monarchie relever comme­ étant significatives des fût encore capable de sauver la France si troubles politiques que traversait ­l’ARM elle se réformait. Le sujet se transportera et dont elle a voulu se faire ­l’écho, négli- encore dans deux tragédies tardives qui geant le merveilleux pour l’idéologie.­ sauront engager les débats politiques mais Les dramaturges étaient animés surtout non mobiliser l’action­ dramatique, celle par le désir de saluer Louis XVI, de le ­d’Ancelot (Louis IX, 1819) et de Lemercier camper en « restaurateur de la liberté » (Louis IX en Égypte, 1821). (Préface, p. 6). Chez Andrieux sur la scène ► ­L’Esprit des journaux, 1790, juillet, de l’­ ARM, comme­ chez M.-J. Chénier, t. 7, p. 368 ◊ Correspondance littéraire, sur celle du Théâtre de la Nation, sont M. Tourneux (éd.), Paris, Garnier, 1882, ­convoquées les mêmes ­convictions et se t. 16, p. 35. développe une même marche lente des Fr. Marchal-Ninosque

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Méhul, Étienne-Nicolas et des piccinistes et avait affiché ses pré- Givet, 22 juin 1763 – Paris, 18 octobre férences pour la musique piccinienne, 1817. Compositeur. que l’­ ARM fit attendre plusieurs années Une anecdote (sans doute plus atta- Méhul avant de monter enfin son opéra chée à la vérité poétique qu’à­ la vérité en février 1791 ; piqué, le ­compositeur historique si on en croit les réticences ­s’était tourné entre temps vers ­d’autres de Desnoiresterres à la croire authen- théâtres, avec ­comme librettiste attitré tique) résume ­l’importance de ­l’ARM Hoffman, pourEuphrosine ou Le Tyran dans les débuts ­d’un des ­compositeurs corrigé (1790). ­C’est aussi pour la salle majeurs de la Révolution et de l’­ Empire : Favart que le ­compositeur propose suc- arrivé en 1779 à Paris avec une lettre de cessivement des drames lyriques ­comme recommandation de son maître allemand Stratonice (1792), Mélidore et Phrosine W. Hanser, ­l’humble Givetois de seize (1794), Ariodant (1799), s’éloignant­ du ans doit attendre longuement dans la genre désormais désuet de la ­comédie salle lors ­d’une répétition ­d’Iphigénie en mêlée d’ariettes,­ lui imprimant une Tauride avant ­d’y être surpris et ­d’être allure sérieuse, jouant de plus en plus présenté finalement à Gluck, dont la des dissonances et du leitmotiv. La tour- musique ­l’a ­d’emblée transporté. ­C’est mente politique ­l’engage à ­composer à l’improviste­ et sans y être vraiment pour les pouvoirs en place les hymnes invité ­qu’il se présente devant ­l’ARM, patriotiques qui ont fait sa renommée (Le posture de retrait tout à fait inconfor- Chant du départ ou Cantate à Napoléon), table qui ­continuera à lui être impo- avant de le voir revenir à la scène chan- sée, poussant le jeune compositeur­ à tée pour une vingtaine ­d’opéras encore, lui préférer ­l’Opéra-Comique. Il ­compose dont des opéras-­comiques (en 1801 Irato sous la férule de Gluck qui l’a­ pris obtient les faveurs de Napoléon), pliant en sympathie des adaptations ­d’airs son génie à ­l’imitation italienne. Son ­connus, notamment une Ode sacrée de chef-­d’œuvre reste sans doute le drame J.-B. Rousseau qui est jouée au Concert biblique Joseph (1807). Sa ­conviction spirituel de 1782, avant d’oser­ propo- de ­compositeur pour le théâtre chanté ser à ­l’ARM un premier opéra, Cora, ­n’a jamais varié (malgré ­l’intérêt qu’il­ dont le librettiste Valadier empruntait porta aux cantates et aux symphonies), le sujet au ­conte moral de Marmontel lui qui recherche l’adéquation­ entre le Les Incas (1778). Sans doute est-ce parce langage musical et le langage parlé, la que Marmontel avait pris position ­contre subordination même du langage musical Gluck dans la Querelle des gluckistes aux accents de l’émotion­ et des passions 22 Montéclair, Michel Pignolet de fortes, ce qui ­confère à ses opéras leur à partir de mai 1704. Il y tient une partie énergie dramatique remarquable que de basse de violon du petit chœur puis, saluèrent Berlioz et Wagner. dix ans plus tard, celle de ­contrebasse. → Cora. Pédagogue (on lui doit quatre méthodes ► G. Desnoiresterres, La Musique fran- pour apprendre facilement le solfège), çaise au xviiie siècle, Gluck et Piccinni il enseigne la musique, notamment (1774-1800), Paris, Didier, 1875, 2e aux filles de Fr. Couperin, et tient avec éd. ◊ J. Mongrédien, La Musique en son neveu Fr. Boivin le magasin de France des Lumières au Romantisme musique « À la règle d’or­ ». Il quitte (1789-1830), Paris, Flammarion, 1986 ­l’ARM le 1er juillet 1737 et meurt le ◊ M. E. C. Bartlet, Méhul and Opera : 22 septembre suivant dans la maison Sources and Archival Studies of Lyric Theatre de campagne du chevalier Paul de La during the French Revolution, Consulate and Suze, à Domont. Le style musical des Empire, Saarbruck, Galland, « Études sur Fêtes de ­l’Été (1716) et de Jephté (1732), ­l’Opéra français des xixe siècle », t. 4, sur des livrets de Marie-Anne Barbier 1992 ◊ P. Prévost, Le Théâtre lyrique en et Pellegrin, est fortement influencé par France au xixe siècle, Metz, Serpenoise, les opéras de Lully et par la musique 1995. instrumentale italienne. Mais ­c’est sur- Fr. Marchal-Ninosque tout à son goût de ­l’instrumentation, plus ­qu’à la richesse harmonique de son Montéclair, Michel Pignolet de écriture, que Montéclair doit le succès Andelot, 4 décembre 1667 – Domont, de ses ouvrages. Dans Les Fêtes de ­l’Été, 22 septembre 1737. Compositeur et le sommeil de ­l’entrée Les Matinées de symphoniste, banc du petit chœur et ­l’Été est écrit pour un ensemble de petites contrebasse (fl. 1699-1737). flûtes, hautes-­contre de flûte – notées Neuvième et dernier enfant ­d’un dans le suraigu à l’aide­ de clefs de sol que modeste couple de tisserands, Adrien le ­compositeur invente pour ­l’occasion Pignolet et Suzanne Galiot, Michel – et flûtes traversières. De même, dans Pignolet étudie la musique à la maî- la deuxième entrée, Les Jours ­d’Été, il trise de la cathédrale de Langres de utilise des cors en coulisse pour simu- 1676 à 1686 sous la direction de Nicolas ler le rapprochement de la chasse. Sa Goupillet, puis de Jean-Baptiste Moreau, tragédie Jephté aurait marqué Rameau enfin de Claude Thibaut. En 1687, il au point de le décider à ­composer à son ­s’installe à Paris où il intègre la coorpo- tour pour l’ARM. ration des « joueurs ­d’instruments ». Il → Les Fêtes de l’Été­ , Jephté. change son nom en celui de Montéclair, ► É. Voillard, Essai sur Montéclair lieu-dit désignant une colline fortifiée (Michel Pignolet), musicien et compositeur­ qui domine sa ville natale. Ses premières du xviiie siècle, Paris, Menu, 1879 ­compositions, huit airs sérieux et à boire ◊ S. Milliot, « Le Testament de Michel et trois suites instrumentales intitu- Pignolet de Montéclair », Recherches sur lées Sérénade ou Concert, paraissent chez la musique française classique, 1968, no 8, Ballard en 1695 et 1697. En février 1699, p. 131-140 ◊ R. Ricour et P.-É. Luisin, il entre au service de Charles-Henri de « Michel Pignolet de Montéclair », Les Lorraine, prince de Vaudémont, ­qu’il Cahiers du Haut-Marnais, 1987, no 168, rejoint à Milan. De retour à Paris, il p. 32-44 ◊ A. Pichard, Michel Pignolet intègre l’orchestre­ de l’­ ARM, peut-être de Montéclair (1667-1737), vie et œuvre dès décembre 1699 ou plus probablement ­d’un musicien français, Univ. Paris IV Montéclair, Michel Pignolet de 23

– Sorbonne, J. Meyer (dir.), 1988 ◊ M. Greenberg, « ­L’Âme des orchestres » : la ­contrebasse à Paris et en Île-de-France (xvie- xxe siècles), Univ. Paris IV – Sorbonne, J. de La Gorce (dir.), 2008. P. Denécheau

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Surprises de ­l’amour (Les) (M. Larrivée) ; Terpsichore ; Muses ; Ballet en trois actes (L’Enlèvement­ Sirènes ; Faunes, Dryades et Sylvains. ­d’Adonis, La Lyre enchantée, Anacréon Anacréon : Anacréon, vieux poète avec un quatrième acte, Les Sybarites, alcoolique, B (M. Gélin) ; Prêtresse de donné en alternance avec Anacréon) Bacchus, D (Mlle Davaux) ; Amour, D de Jean-Philippe Rameau, livrets de (Mlle Lemiére) ; Agathocle et Euriclès, amis Pierre-Joseph Bernard dit Gentil- ­d’Anacréon, HC (MM. Poirier, Muguet) ; Bernard (­L’Enlèvement ­d’Adonis, La Lyre deux Convives, HC (MM. Poussint, enchantée, Anacréon) et Jean-François Robin) ; Troupe de Femmes inspirées Marmontel (Les Sybarites). Création : représentant les Ménades ; Esclaves ; ARM, mardi 31 mai 1757 (­L’Enlèvement Grâces ; Amours, Ris et Jeux. ­d’Adonis, La Lyre enchantée, Anacréon) Les Sybarites : Hersilide, reine des Sybarites, puis mardi 12 juillet 1757 (L’Enlèvement­ D (Mlle Chevalier) ; Astole, Général cro- ­d’Adonis, Les Sybarites, La Lyre enchantée). toniate, B (M. Larrivée) ; Philoé, femme Reprises à l’­ ARM : mardi 10 octobre de la cour d’Hersilide, D (Mlle Rivier) ; 1758 (­L’Enlèvement ­d’Adonis, La Lyre Agis, seigneur de la cour d’Hersilide, HC enchantée, Anacréon) ; mardi 8 août 1769 (M. Poirier) ; un Crotoniate (M. Pépin) ; en fragments (La Provençale, Hippomène Sybarites ; Crotoniates. et Atalante, Anacréon). Acteurs dansants dist. D’après les livrets, Paris, ­L’Enlèvement ­d’Adonis : trois Grâces (Mlles Vve Delormel et fils, 1757, F Pn Rés. Marquise, Coupée, Chevrier) ; Nymphes Yf. 918 et F Po Liv. 18 [614 et Chasseurs, une Nymphe (Mlle Lany), Acteurs chantants deux Chasseurs (MM. Laval, Lyonois) ; ­L’Enlèvement d’Adonis ­ : Adonis, D Jeux et Plaisirs, deux Jeux et Plaisirs (Mlle Dubois) ; Vénus, D (Mlle Davaux) ; (M. Dubois, Mlle Riquet) ; Endymion Amour, D (Mlle Lemiére) ; Diane, D (M. Vestris p.) ; Diane (Mlle Vestris) ; (Mlle Jacquet) ; Mercure, HC (M. Godart) ; Amour (Mlle Guimard). une Nymphe, D (Mlle ­L’Heritier) ; La Lyre enchantée : Sylvains et Dryades, Nymphes et Chasseurs de la Suite de un Sylvain et une Dryade (M. Lyonois, Diane ; Amours, Jeux et Plaisirs de la Mlle Lyonois) ; Sirènes ; Muses ; Suite de Vénus. Terpsichore (Mlle Lany) ; Élèves de La Lyre enchantée : Parthénope, une Sirène, Terpsichore. D (Mlle Fel) ; Uranie, D (Mlle Chevallier) ; Anacréon : Lycoris (Mlle Puvigné) ; Linus, HC (M. Poirier) ; Apollon, B Esclaves d’­ Anacréon ; trois Grâces (Mlles 26 Surprises de ­l’amour (Les)

Marquise, Coupée, Chevrier) ; Égipans ardeurs » amoureuses. Munie de sa lyre, et Ménades, un Égipan et une Ménade Parthénope enchante Linus et suspend (M. Lany, Mlle Lyonois), un Égipan ­l’instrument à un chêne pour piéger la très (M. Laval) ; Jeux et Plaisirs. sérieuse Muse de ­l’Astronomie, Uranie. Les Sybarites : Sybarites, deux Sybarites Par curiosité, cette dernière touche la (M. Laval, Mlle Carville) ; Crotoniates, lyre et, perdant soudainement la raison, deux Crotoniates (M. Laval, Mlle Lyonois) ; ­s’avoue ­l’amour ­qu’elle porte secrètement un Sybarite (M. Vestris) ; un Crotoniate à Linus. Apollon remet de ­l’ordre dans ce (M. Lany) ; une Sybarite (Mlle Lany). déséquilibre né de surprises de l’amour­ Scénographie que ­n’aurait pas désavouées Marivaux. ­C’est essentiellement dans la construction­ Jean-Barthélémy Lany (ballets). musicale et la préparation de la scène de ­S’inspirant de la mythologie pour les délire que diffèrent les deux versions de deux premières entrées, Gentil-Bernard 1757 et 1758 de cette entrée. ne retient de la légende d’­ Adonis que Anacréon. Au cours ­d’une fête, ­l’épisode cynégétique illustré notamment Anacréon rend hommage à Bacchus et pas Ovide, et de celle de Linus, ­l’épisode à l’­ Amour, conférant­ à son amante Lycoris de la lyre. Pour la troisième entrée, Gentil- le rôle de « Prêtresse adorable ». Offensée, Bernard emprunte à la figure du poète la prêtresse de Bacchus et ses Bacchantes grec, dit le « vieillard de Téos », célèbre renversent ­l’autel dressé en hommage à pour ses odes anacréontiques et son éter- ­l’Amour par Anacréon. Un orage extirpe nelle hésitation entre ­l’amour et le vin, le le héros éponyme du sommeil où le vin personnage ­d’Anacréon. Qui mieux que ­l’avait plongé, puis l’­ Amour, sous les Gentil-Bernard, lui aussi oscillant entre traits d’un­ enfant, lui apprend que Lycoris, la grâce ailée et la Société du Caveau pou- délaissée, est mourante. Autant ivrogne vait versifier la destinée ­d’un tel person- que poète, Anacréon, ­s’étant réconcilié nage ? De son côté, Marmontel s’appuie­ avec son amante, chante la double ivresse sur ­l’histoire antique pour ­construire en faveur du vin et de ­l’amour. le livret des Sybarites, mais en prend le Les Sybarites. Gouvernés par Hersilide, ­contrepied puisqu’il­ fait de Sybaris la cité les Sybarites se livrent aux plaisirs. Les victorieuse sur Crotone. Crotoniates, dirigés par l’intransigeant­ L’Enlèvement­ d’Adonis.­ Amour décide général Astole, ­s’érigent en moralisateurs ­d’instruire Adonis, mais celui-ci, sous et veulent ramener les Sybarites à des ­l’emprise de Diane, résiste à la tentation. mœurs plus sages. ­C’est sans ­compter À son tour, Vénus vient troubler le jeune sur le charme ­d’Hersilide qui vient à homme et le convainc­ de s’enfuir­ avec elle. bout des élans belliqueux ­d’Astole et de Avertie de cette trahison, Diane lance ses ses troupes pour les plier à la vie raffinée Nymphes et Chasseurs à la poursuite des des Sybarites. deux fuyards (divertissement cynégétique). Créée à Versailles en 1748 sur le Prise au piège, Vénus offre à Diane de récu- théâtre des Petits appartements de la pérer son protégé ­qu’elle lui présente sous marquise de Pompadour pour honorer la les traits ­d’Amour aux côtés de ­l’Amour paix d’­ Aix-la-Chapelle, l’œuvre­ comporte­ même. Par crainte de se tromper, Diane alors un prologue, Le Retour ­d’Astrée, et refuse de choisir et renie Adonis. deux entrées, La Lyre enchantée et Adonis. La Lyre enchantée. Tandis que la Sirène Presque dix ans plus tard, Rameau et Parthénope tente de séduire Linus, Uranie Gentil-Bernard la remanient profon- le met en garde contre­ le « piège des folles dément pour ­composer un « ballet » Surprises de ­l’amour (Les) 27 représenté à ­l’ARM le mardi 31 mai 1757. figuré, genre devenu incontournable dans Devenu alors obsolète, le prologue est éli- ­l’opéra français à partir des années 1735, miné, ­l’ordre des entrées bouleversé, une dont ­l’argument ­consiste à détruire le entrée nouvelle, Anacréon, ajoutée. Dès le mythe de chasteté de Diane en relatant ses 12 juillet, Rameau décide de remanier La amours fautives avec le berger Endymion. Lyre enchantée à laquelle il substitue un La Sirène Parthénope tente de séduire ballet créé en 1753 à Fontainebleau sur Linus, héros de La Lyre enchantée, à travers un livret de Marmontel, Les Sybarites. Le des performances vocales de haute virtuo- 10 octobre 1758, ­l’ARM reprend ­l’œuvre sité, notamment un ramage dans la lignée dans sa succession initiale, mais avec de celui ­d’une Bergère dans Hippolyte et la nouvelle version de La Lyre enchan- Aricie, « Rossignols amoureux répondez tée, puis à nouveau avec Les Sybarites à nos voix », et une ariette avec chœur ­comme acte de substitution à Anacréon. « Venez tous écouter ma lyre » (sc. 3), rare La ­configuration à géométrie variable ­configuration du genre inaugurée dans des Surprises de ­l’amour, invitant à la per- la seconde version de Castor et Pollux, mutation ­d’entrées, ­s’inscrit pleinement « Tendre Amour, qu’il­ est doux de porter dans la tradition des œuvres ­composites (1754) tes chaînes ». Par cette maestria, ou fragments, caractéristiques de cette Rameau oppose musicalement le monde seconde moitié du siècle. volage des Sirènes à celui plus sérieux des Fidèle au renouvellement du genre Muses. La force de cette entrée tient dans entamé dès La Princesse de Navarre et Platée la scène de délire ­d’Uranie, victime de (1745), Rameau propose une ouverture la lyre enchantée de Parthénope, scène à programme en trois mouvements : le articulée autour ­d’un leitmotiv énoncé sur premier, « le plus vite possible », peint « Douce volupté », délicieusement orches- la brutalité de la chasseresse Diane par tré avec des pizzicati aux cordes. Si Uranie ses traits rapides et ses notes répétées ; le ­s’abandonne aux délices de ­l’amour le second évoque la sensualité de ­l’amour ; temps d’un­ air aux propos paradoxaux, le dernier ­cultive une certaine jouissance « La sagesse est de bien aimer » (sc. 6), à travers une reprise de La Pantomime, Apollon, en deus ex machina, la ramène extraite des Pièces de clavecin en ­concerts à la raison. (1741). Anacréon ­commence par une ambiance Adonis est la victime séduisante plus ­festive alternant des séquences ­d’une ­qu’innocente de deux déesses possessives, franche gaieté, à l’instar­ de ­l’air à boire Vénus qui l’enlève­ (­d’où le nouveau titre du protagoniste éponyme, « Point de tris- ­L’Enlèvement d’Adonis­ ) et Diane qui le tesse, buvons sans cesse » avec la reprise poursuit. ­L’exposition ­s’appuie essen- systématique du chœur des ­convives, tiellement sur des récitatifs en dialogue « Règne, ô divin Bacchus » (sc. 1). ­d’une grande délicatesse entrelacés de La colère de la Prêtresse de Bacchus, séquences ­concertantes ­comme le mono- furieuse de la ­conversion ­d’Anacréon logue ­d’Adonis, « Ô Diane ! ô sombres à ­l’amour, engendre une page descrip- forêts » (sc. 2), ou le duo d’amour­ entre tive caractéristique du style ramiste, un Vénus et Adonis, « Dieux ! quel bonheur Combat entre les Ménades et les Esclaves est le nôtre ! » (sc. 4). Avertie de la tra- ­d’Anacréon où se mêlent la symphonie hison de son jeune protégé, Diane laisse et un chœur masculin associé à deux paraître sa rage dans un air de tragé- solistes, « Bacchus emporte la vic- dienne, « Jupiter, prends-tu sa défense ? » toire » (sc. 2). Fort des expériences de (sc. 7). ­L’entrée se termine par un ballet la première version de Dardanus (1739), 28 Surprises de ­l’amour (Les)

Rameau utilise un archétype de ­l’opéra Depuis Acante et Céphise en 1751, français par le biais d’un­ Sommeil. Une Rameau ­n’avait pas livré de nouvelles basse chromatique descendante symbolise œuvres à l’­ ARM, réservant ses créations ­l’endormissement du vieillard, tandis à la cour. Si certains critiques sont sévères que les cordes en « pincé » imitent la ­comme Collé qui prétend que l’œuvre­ pluie qui ­commence à tomber. ­L’orage « sent la vieillesse », le Mercure de France qui suit combine­ les idiomes musicaux salue la coupe des poèmes et la qualité de propres aux catastrophes naturelles, la musique, notamment en 1757 le sujet traits rapides en mouvements ­conjoints « théâtral par le ­contraste ­qu’il présente » aux flûtes et aux cordes, notes répétées du livret des Sybarites et en 1758 la scène aux basses, discours accidenté ­jusqu’à de ­l’enchantement de La Lyre enchantée ­l’arrivée d’­ Amour incarné en enfant « digne de la jeunesse de son auteur ». (sc. 4). ­L’entrée se termine par un long Avec plus de soixante représentations, divertissement nanti ­d’un ballet figuré au Les Surprises de ­l’amour ­s’inscrivent dans cours duquel se réconcilient les Suivants la lignée des ballets ayant bénéficié ­d’un de Bacchus et ceux de l’­ Amour. Les cinq très fort succès populaire ­confirmé par protagonistes ­s’associent au chœur dans les parodies représentées à la Comédie- un riche et brillant ­contrepoint pour Italienne des trois premiers actes avec Les chanter une morale surprenante, mais Ensorcelés ou Jeannot et Jeannette de Guérin pleinement assumée, « Bacchus ne défend et Favart, et ­d’Anacréon avec La Petite pas d’aimer /­ Et l’­ Amour vous permet Maison de Chevrier et Marcouville. Pour de boire » (sc. 5). autant, seul Anacréon est repris à ­l’ARM Avec Les Sybarites, Marmontel fournit en fragments en 1769, puis à Brunoy sur à Rameau matière à ­cultiver le contraste­ le Théâtre de Monsieur en 1781. entre la tendresse et la brutalité. Ainsi, ► Mercure de France, 1757, juin, t. 2, avec l’air­ ­d’Hersilide, « Tendre Amour, p. 163-167 ; 1757, août, p. 187-203 ; 1758, prête-moi tes armes » (sc. 2), Rameau octobre, t. 2, p. 181-182 ◊ Ch. Collé, parvient à exprimer un climat gracieux Journal et Mémoires de Ch. Collé, riche en accords de neuvième et mêlant H. Bonhomme (éd.), Paris, Didot, suavement la voix de ­l’héroïne à celle 1868, t. 2, p. 93-96 ◊ J.-Ph. Rameau, des instruments de dessus. Par contraste,­ Les Surprises de ­l’amour, H. Büsser (éd.), Rameau croque Astole en général ­commentaire de M. Emmanuel et violent, dont ­l’arrogance défaille sous les M. Ténéo, Paris, Durand, 1913, OC attaques de séduction d’­ Hersilide ­jusqu’à XVII, t. 1, version 1748, Le Retour ­l’abandon du militaire dans un délicieux ­d’Astrée, La Lyre enchantée, Adonis ; t. 2, air tendre en do mineur, « Apprenez-moi version 1757-1758, Anacréon, Les Sybarites du moins quel pouvoir invincible » (sc. 4). ◊ J.-Ph. Rameau, Les Surprises de ­l’amour, Définitivement anéanti, Astole appelle ses versions 1757 et 1758, S. Bouissou (éd.), guerriers à ­s’unir aux Sybarites dans un Paris, Billaudot, OOR IV.27, t. 1, 1996, divertissement riche ­d’un impressionnant ­L’Enlèvement d’Adonis­ , La Lyre enchan- trio avec chœur, « Chantez, célébrez la tée ; t. 2, 2000, Anacréon, Les Sybarites victoire » (sc. 4), forme caractéristique du ◊ S. Bouissou, Rameau, musicien des style tardif ramiste, du charmant Air pour Lumières, Paris, Fayard, 2014, p. 539-553. les Sybarites et de l’Air pour les Gladiateurs. S. Bouissou T

Thésée Ombres ; Bergers et Bergères ; Athéniens ; Tragédie en musique en un prologue Dieux et Déesses qui accompagnent et cinq actes de Jean-Baptiste Lully, livret Minerve, Suivants des Dieux. de Philippe Quinault. Création : Saint- Acteurs dansants Germain-en-Laye, mardi 15 janvier 1675. Prologue : Moissonneurs ; Sylvains et Reprises à l’­ ARM : mardi 23 avril 1675 ; Bacchantes. octobre 1688 ; novembre 1698 ; jeudi Acte I : Prêtresses de Minerve ; 17 novembre 1707 ; jeudi 5 décembre Combattants, Sacrificateurs. 1720 ; mardi 29 novembre 1729 ; jeudi Acte II : Grecs et Grecques, Vieillards 10 décembre 1744 ; mardi 3 décembre et Vieilles. 1754 ; vendredi 13 décembre 1765 ; mardi Acte III : Lutins, Spectres, un Fantôme. 23 février 1779. Acte IV : Bergers et Bergères. dist. Première reprise à ­l’ARM restituée Acte V : Athéniens, Courtisans, un grand ­d’après Parfaict (HARM, t. 1, p. 33) Seigneur de la Cour ­d’Égée, Esclaves. Acteurs chantants Scénographie Prologue : Vénus, D ; Mars, BT ; Cérès, Carlo Vigarani (décors) ; Jean Bérain D ; Bacchus, HC. (costumes). Tragédie : Thésée, fils d’Égée,­ HT (M. Clédière) ; Églé, princesse, D Quinault ne retient du mythe de (Mlle Aubry) ; Médée, magicienne, D Thésée que la partie consacrée­ à la jeu- (Mlle Saint-Christophle) ; Égée, roi nesse du héros, délaissant des épisodes ­d’Athènes, BC (M. Beaumavièle) ; Cléone, plus célèbres tels que son ­combat contre­ ­confidente ­d’Églé, D (Mlle Brigogne) ; le Minotaure, ses amours avec Ariane, Dorine, confidente­ de Médée, D puis avec Phèdre, thèmes centraux de (Mlle Beaucreux) ; Arcas, confident­ de nombreux livrets ­d’opéras. Le drama- Thésée, BT (n.m.) ; la grande Prêtresse turge s’inspire­ de la légende que rapporte de Minerve, D (Mlle Verdier) ; Minerve, Ovide dans ses Métamorphoses (Livre VII) D ; deux Vieillards, HC, T (n.m.) ; quatre et ­d’une tragi-­comédie de Jean Puget de Bergères, D (n.m.) ; un Habitant de ­l’île La Serre, Thésée ou le prince reconnu (Paris, enchantée, HC (n.m.) ; Amours, Grâces, Sommaville, 1644). Plaisirs et Jeux ; Moissonneurs, Sylvains Prologue. Les Grâces, les Amours, les et Bacchantes ; Prêtresses de Minerve ; Plaisirs et les Jeux quittent à regret les jar- Combattants, Sacrificateurs ; Populace dins de Versailles que Louis XIV n’honore­ ­d’Athènes ; la Rage, le Désespoir, plus de sa présence. Vénus tente en vain 30 Thésée de les retenir, lorsque Mars apparaît au tourmente la princesse, ce qui donne lieu son des trompettes et des tambours. Le à un divertissement infernal. dieu de la guerre apaise les craintes de Acte IV. Soumis finalement à la puis- la déesse de ­l’amour et annonce la vic- sance de Médée, Églé renonce à Thésée toire prochaine de Louis XIV, « nouveau pour lui sauver la vie. Le désert est Mars », sur ses ennemis. Rejoints par immédiatement transformé en une île Bacchus et Cérès et tous les acteurs du enchantée. Trompé par la magicienne, prologue, ils chantent le bonheur de vivre Thésée croit qu’Églé­ lui préfère la cou- dans un lieu envié du monde entier dans ronne, ­jusqu’à ce que les deux jeunes le divertissement final. gens puissent percer la machination de Acte I. Églé, princesse pupille du roi Médée. ­D’abord furieuse, la magicienne Égée, éprise de Thésée, a trouvé refuge finit par ­s’attendrir, renonce à son amour à l’intérieur­ du temple de Minerve. Par pour Thésée et offre un divertissement sa suivante Cléone et ­l’amant de celle- champêtre aux amants étonnés ­d’un tel ci Arcas, elle parvient à ­s’enquérir de revirement. celui ­qu’elle aime secrètement. Le roi Acte V. Dans son palais, Médée Égée, après sa victoire sur les assiégeants déclare à sa ­confidente Dorine vouloir ­d’Athènes, annonce sa décision ­d’épouser empoisonner Thésée par la main de son Églé. ­L’acte se termine par un sacrifice propre père. Prêt à lui offrir la coupe offert à Minerve pendant lequel les fatale, Égée reconnaît finalement son fils Athéniens se réjouissent de la victoire à l’épée­ qu’il­ porte. Médée, démasquée, remportée sur leurs ennemis. ­s’envole sur son char. Elle détruit son Acte II. Dans le palais royal, Médée palais et envoie ses démons tourmenter les déclare à sa ­confidente Dorine les senti- Athéniens qui implorent alors le secours ments ­qu’elle éprouve pour Thésée, mais des dieux. Minerve descend des cieux et ­qu’elle redoute, se méfiant ­d’elle-même fait apparaître un palais magnifique à la et de sa violence. Égée et Médée, ancien- place de celui de Médée. Les dieux et le nement promis ­l’un à ­l’autre, se libèrent peuple ­d’Athènes chantent ensemble leur de leur parole pour voler à leurs nouvelles bonheur dans un divertissement final. amours. Médée peut ainsi déclarer son Contrairement aux deux premiers amour à Thésée et Égée épouser Églé. opéras de Lully et Quinault, Cadmus Après une fête pendant laquelle le peuple et Hermione (1673) et Alceste (1674), qui plébiscite Thésée, ce dernier est arrêté avaient été écrits pour le public pari- par Médée qui cherche à ­connaître les sien de ­l’ARM, Thésée fut ­composé pour sentiments du jeune homme à son égard. Louis XIV et représenté devant sa cour Apprenant ­qu’il aime Églé, la magicienne et ses ambassadeurs. Thésée fut repris à lui révèle que le roi est son rival et feint Paris dès le 23 avril 1675. Le lieu de créa- ­d’intervenir en sa faveur. Restée seule, tion (une résidence royale) est lourd de Médée jure de se venger de ­l’ingrat en significations. En offrant ce spectacle à ses frappant celle ­qu’il aime. courtisans, le roi, qui paye ­l’intégralité des Acte III. Médée reproche à la prin- frais de représentation, montre son intérêt cesse ­d’avoir séduit le roi. Acceptant de pour le genre nouveau de la tragédie en délaisser le parti royal, mais pas celui musique. En effet, Louis XIV et Colbert de Thésée, Églé se trouve en proie aux voient en ce spectacle un puissant vecteur menaces de la redoutable magicienne. de propagande et un moyen d’éblouir­ les Celle-ci transforme le palais en un désert pays voisins, surtout ­l’Italie, par la magni- et avec ­l’aide des habitants des Enfers ficence du spectacle. Enfin, en affichant Thésée 31 de façon très nette son soutien à Thésée, introduit une grande variété ­d’actions qui le monarque met fin aux critiques qui laisse le talent du ­compositeur se déployer ­s’étaient élevées lors de la cabale ­d’Alceste dans des genres musicaux très divers. Aux ­l’année précédente où Lully était accusé passages épiques saisissants et extrême- de dénaturer les dramaturges grecs. Thésée ment structurés succèdent des épisodes marque un tournant dans la production plus intimes pendant lesquels mono- lyrique de Lully et Quinault. Le mélange logues, airs et petits ensembles vocaux des tons, héritage des opéras italiens, permettent d’explorer­ les sentiments très atténué dans Thésée, disparaît tout des personnages et ­d’atteindre une forte à fait dans ­l’opéra suivant, Atys (1676). intensité émotionnelle. Le récitatif, d’une­ ­C’est aussi dans Thésée ­qu’apparaît la pre- grande souplesse et parfaitement adapté mière grande héroïne ­d’opéra, Médée, à la déclamation, préfigure la maîtrise personnage emblématique, cruelle et prosodique telle qu’on­ la trouve dans les touchante, modèle de futures héroïnes ouvrages postérieurs, notamment Armide. passionnées : la déesse Cybèle dans La manière de Lully ­s’exprime plus forte- Atys, ­l’enchanteresse Arcabonne dans ment dans les très belles pages du sacri- Amadis (1684) et Armide dans ­l’opéra fice en ­l’honneur de Minerve (I, 9-10). éponyme (1686). En lien direct avec le Enchantements et maléfices, provoqués mécénat royal, ­l’opéra se devait de louer par la fureur de Médée, autorisent le le monarque et de glorifier son action déploiement du merveilleux païen dans politique. Le prologue évoque par le décor cette tragédie sans toutefois heurter le le château de Versailles dont les travaux principe de vraisemblance. Ces passages, ­d’agrandissement et ­d’embellissement très prisés du public, favorisent le déve- étaient à cette époque l’une­ des obsessions loppement de pièces instrumentales bril- de Louis XIV. Les vers du prologue ne lantes qui mettent en valeur la virtuosité manquent pas la référence à l’actualité :­ des danseurs. Enfin, les chœurs ont une Mars (le roi) délaisse les Jeux et les Plaisirs place prépondérante : tantôt visibles sur (la Cour) pour se ­consacrer aux ­combats. la scène, tantôt cachés dans les coulisses, Lors de la création de Thésée, la France ils participent à ­l’action dramatique. ­L’air est en guerre ­contre la Hollande (1672- instrumental emblématique de Thésée reste 1678) : le 5 janvier, à Turckheim, Turenne la marche des Sacrificateurs de Minerve vient de remporter une victoire éclatante (I, 10), avec trompettes et timbales, qui sur les armées de Frédéric Guillaume, sera jouée encore lors de ­l’entrée de Charles Électeur de Brandebourg, qui avaient De Gaulle à l’Élysée­ le 8 janvier 1959. envahi l’­ Alsace. Le thème de la guerre De tous les opéras de Lully, Thésée est charpente naturellement ­l’opéra, à tel celui qui ­s’est maintenu le plus longtemps point que le personnage de Thésée ren- au répertoire de ­l’ARM. Entre la date de voie au monarque un portrait flatteur : sa création en 1675 et celle de sa dernière bravoure, origine illustre, amour dévoué reprise à Paris en 1779, Thésée fit ­l’objet de et ­constant. Jamais autant que dans Thésée, douze productions différentes. Les impor- la tragédie en musique ­n’avait encore à ce tants bénéfices queThésée rapportait à cha- point servi la propagande royale. cune de ces reprises engagèrent les acteurs Le succès de Thésée réside essentielle- à choisir régulièrement d’interpréter­ cette ment dans la parfaite adéquation entre la œuvre lors de représentations données musique de Lully et le livret de Quinault pour le paiement de leur capitation. Thésée qui passait aux xviie et xviiie siècles pour fut également repris sept fois devant la être son meilleur ouvrage. Le librettiste Cour, notamment lors de la célébration 32 Thésée du mariage du fils de Louis XV en 1745 ► J. de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, et de la naissance de son petit-fils en 1754. Paris, Fayard, 2005 ◊ P. Denécheau, La tragédie donna lieu à plusieurs paro- Thésée de Lully et Quinault, histoire ­d’un dies notamment de Fuzelier, Thésée ou la opéra. Étude de l’œuvre­ de sa création à défaite des Amazones (foire Saint-Laurent, sa dernière reprise sous ­l’Ancien Régime 1701), de Valois ­d’Orville, Arlequin Thésée (1675-1779), Univ. Paris IV – Sorbonne, (Comédie-Italienne, janvier 1745) et de Univ. des Saarlandes, J. de La Gorce Favart, Laujon et Parvi, Thésée (foire Saint- et H. Schneider (dir.), 2006 ◊ Avant- Germain, février 1745). Comme d’autres­ Scène Opéra, Lully, Thésée, 2008, no 243 livrets de Quinault, le texte de Thésée a ◊ B. Norman, Quinault, librettiste de inspiré également Haendel (Teseo, Londres, Lully. Le Poète des Grâces, Wavre, CMBV, janvier 1713), Mondonville (Fontainebleau, Mardaga, 2009 ◊ P. Denécheau (éd.), novembre 1765) et encore Gossec (Paris, J.-B. Lully, Thésée, OC III. 4, Hildesheim, ARM, mars 1782). Le Thésée de Lully Olms, 2010 ◊ S. Cornic, ­L’Enchanteur reviendra à l’affiche à l’ARM, mais lar- désenchanté : Quinault et la naissance de gement remanié par Rebel et Francœur ­l’opéra français, Paris, PUPS, 2011. en 1754, par P. M. Berton en 1765 et par P. Denécheau Granier en 1779.