La Révolution française Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française

3 | 2012 Les comités des assemblées révolutionnaires : des laboratoires de la loi

Maria Betlem Castellà i Pujols et Guillaume Mazeau (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lrf/673 DOI : 10.4000/lrf.673 ISSN : 2105-2557

Éditeur IHMC - Institut d'histoire moderne et contemporaine (UMR 8066)

Référence électronique Maria Betlem Castellà i Pujols et Guillaume Mazeau (dir.), La Révolution française, 3 | 2012, « Les comités des assemblées révolutionnaires : des laboratoires de la loi » [En ligne], mis en ligne le 20 décembre 2012, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/lrf/673 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lrf.673

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© La Révolution française 1

A la fin du XVIIIe siècle, dans une France en Révolution, les députés des Assemblées successives ont tenté de changer le monde, un monde dorénavant transformé ni par la volonté du prince ni par la seule administration monarchique, mais par la volonté générale, s’exprimant sous la forme d’un texte : la loi. Soucieux de remonter aux sources de ce résultat matériel, les historiens se sont souvent focalisés sur l’aval du travail législatif. Les séances et enceintes successives de l’Assemblée sont ainsi devenues des lieux privilégiés pour étudier l’apprentissage de la politique : les discours et débats parlementaires forment encore souvent, jusqu’à l’excès, la matière première de l’histoire politique de la Révolution française. Pourtant, la fabrique de la loi, et à plus forte raison son application et sa réception, ne peuvent se réduire au moment du débat ni du vote. Pour saisir la vie prosaïque du politique dans toutes ses dimensions législatives, exécutives, administratives, juridiques et politiques, il faut renoncer aux séductions du spectacle donné quotidiennement aux Tuileries. Car ce qui se joue dans les salles du Manège et des Machines n’est que la partie visible d’un bien plus vaste appareil institutionnel, dont les comités sont les rouages essentiels.

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SOMMAIRE

Avant-propos Guillaume Mazeau

Introduction. Que sait-on aujourd’hui des comités des assemblées parlementaires ? Maria Betlem Castellà i Pujols

Note sur le Comité de division et quelques problèmes liés Serge Aberdam

Le Comité de sûreté générale (1792-1795) Émilie Cadio

Métamorphoses d’un comité : le Comité des pétitions et de correspondance sous la Convention nationale Maria Betlem Castellà i Pujols

Le Comité des Inspecteurs de la salle : une institution au service de la Convention nationale (1792-1795) Alain Cohen

Le Comité des colonies Une institution au service de la « famille coloniale » ? (1789-1793) Manuel Covo

La Convention ou l’empire des lois Le Comité de législation et la commission de classification des lois Annie Jourdan

Le Comité diplomatique : l’homicide par décret de la diplomatie (1790-1793) ? Virginie Martin

Le Comité de salut public (6 avril 1793 - 4 brumaire an IV) Raphael Matta Duvignau

Le Comité des décrets Martine Sin Blima Barru

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Avant-propos

Guillaume Mazeau

1 A la fin du XVIIIe siècle, dans une France en Révolution, les députés des Assemblées successives ont tenté de changer le monde, un monde dorénavant transformé ni par la volonté du prince ni par la seule administration monarchique, mais par la volonté générale, s’exprimant sous la forme d’un texte : la loi. Soucieux de remonter aux sources de ce résultat matériel, les historiens se sont souvent focalisés sur l’aval du travail législatif. Les séances et enceintes successives de l’Assemblée sont ainsi devenues des lieux privilégiés pour étudier l’apprentissage de la politique : les discours et débats parlementaires forment encore souvent, jusqu’à l’excès, la matière première de l’histoire politique de la Révolution française. Pourtant, la fabrique de la loi, et à plus forte raison son application et sa réception, ne peuvent se réduire au moment du débat ni du vote. Pour saisir la vie prosaïque du politique dans toutes ses dimensions législatives, exécutives, administratives, juridiques et politiques, il faut renoncer aux séductions du spectacle donné quotidiennement aux Tuileries. Car ce qui se joue dans les salles du Manège et des Machines n’est que la partie visible d’un bien plus vaste appareil institutionnel, dont les comités sont les rouages essentiels.

2 Groupes de députés chargés d’une fonction particulière, les comités des assemblées parlementaires, indispensables au travail législatif, tiers-lieux d’un exécutif de plus en plus fantôme et laboratoires d’une nouvelle administration publique, sont pourtant mal connus et peu étudiés. Si l’on excepte les deux fameux Comités de sûreté générale et de salut public, qui, par facilité, continuent de concentrer l’attention et d’induire en erreur les inventeurs de la « Terreur » et du « centralisme », que sait-on au juste des trente-trois autres comités de la Constituante, des vingt-deux de la Législative et des trente de la Convention, qui ont pourtant activement, mais dans l’ombre, tenté de changer la société ? Finalement peu de choses. En partie conservés dans la série D des Archives nationales, les importants fonds des comités, fourmillant d’informations sur la vie politique de la période révolutionnaire, restent sous-exploités. De récents travaux ont bien entendu été récemment menés par des historiens et juristes, dont certains ont d’ailleurs participé à ce numéro, mais ils n’ont pas toujours été publiés et, consacrés à un comité en particulier, n’offrent ni de vision globale ni croisée du phénomène.

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3 C’est pour remédier à cette lacune que dans le cadre de l’ANR RevLoi, pilotée par Jean- Philippe Heurtin (Univ. De Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines), Pierre Serna (IHRF, Univ. -1 Panthéon-Sorbonne) et Anne Simonin (CNRS/IRICE, Univ. Paris-1 et Paris- IV), un atelier collectif a été organisé en 2011 à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne par l’Institut d’Histoire de la Révolution française. Au cours de cette journée, dont ce numéro est le résultat, des archivistes, historiens et juristes, tous spécialistes d’un comité et « aidés » par des discutants1, se sont ainsi réunis, ont rassemblé et confronté le résultat de leurs recherches, esquissant une première topographie de la nébuleuse politique et bureaucratique des comités qui, trop souvent vus comme de simples annexes des principaux lieux du pouvoir, constituent en réalité les centres discrets des expérimentations politiques, administratives et juridiques du début de la période contemporaine.

NOTES

1. Nous remercions particulièrement les rapporteurs Yann Arzel Durelle-Marc (Université de Bourgogne-Franche-Comté) et Anne Simonin (CNRS, IRICE, Université Paris-1 et Paris-IV) de leur contribution essentielle à cet atelier. Nous remercions également les membres des Archives Nationales qui ont activement participé à la richesse des débats, en particulier Denise Ogilvie, conservatrice du patrimoine en chef.

AUTEUR

GUILLAUME MAZEAU Maître de conférences à l'Institut d'Histoire de la Révolution française, IHMC/EA127/UMS 622, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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Introduction. Que sait-on aujourd’hui des comités des assemblées parlementaires ?

Maria Betlem Castellà i Pujols

1 Que sait-on aujourd’hui des comités des assemblées parlementaires qui aidèrent le corps législatif à préparer ses travaux et acheminèrent une partie importante de ses décisions ? On peut répondre immédiatement qu’on en sait suffisamment, étant donné le nombre non négligeable de références qu’on localise dans des monographies, des articles et des travaux inédits consacrés à la période révolutionnaire. Cependant, si l’on s’arrête un instant pour examiner les pages des publications parues depuis plus de deux cents ans, on constate que l’on n’a pas de connaissance approfondie sur les comités des assemblées parlementaires.

2 Après avoir consulté le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BN – OPALE PLUS)2 pour localiser des travaux consacrés aux comités des assemblées parlementaires et, dans le même but, le catalogue collectif de France (CCFR)3, le catalogue de la Hathi Trust Digital Library4, les portails des revues Persée et Revues.org, les tables analytiques de La Révolution française. Revue historique5, de La Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine6, des Annales Révolutionnaires7 et des Annales historiques de la Révolution française8, les revues et sites Revue historique de la Révolution française9 et Révolutionfrançaise.net10, le Répertoire des travaux universitaires inédits sur la période révolutionnaire11 et les listes des travaux inédits que la revue Annales historiques de la Révolution française a publiées depuis les années quatre-vingt-dix, on arrive à une première conclusion : la plupart du temps, les comités des assemblées parlementaires ne constituent pas un objet d’étude en eux-mêmes.

3 On a peu écrit en ce qui concerne leurs missions et compétences qui ont pourtant pu changer ou se modifier au cours d’un, de deux ou de trois mandats, en formant chaque fois, et sous le même nom, des comités ayant des missions et des objectifs à remplir quelque peu différents12. De même, peu a été écrit en ce qui concerne leur organisation interne —sections et bureaux—, leurs dynamiques de travail ou leurs contacts avec

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d’autres comités ou commissions, ou même avec certains ministères et autorités administratives de toute la France.

4 Face à ce vide historiographique, l’objectif de l’atelier de travail « Les Comités des assemblées révolutionnaires : les laboratoires de la loi » qui a inspiré ce numéro monographique, a été double : d’une part, mettre en évidence cet écart, déjà mentionné dans certains travaux récents13, d’autre part, commencer à diminuer son ampleur, en invitant les participants de l’atelier à réfléchir, à discuter et à écrire sur la partie moins visible des comités auxquels ils consacrent une partie de leurs recherches.

Un parcours institutionnel : comités, commissions et collections

5 Pendant la période de plus de deux cents ans qui s’est écoulée entre le début du processus révolutionnaire et aujourd’hui, il n’y a pas eu d’intérêt, ni continu ni progressif, pour l’étude des comités des assemblées parlementaires. Si l’on regarde le graphique que nous proposons (graphique nº 1) à partir des travaux que nous avons localisés en portant une attention spéciale à ces comités (voir l’annexe nº 1), on peut voir comment l’intérêt pour ces comités se réveille aux alentours des années vingt du XIXe siècle, se renouvelle à l’approche du Centenaire de la Révolution française, s’apaise ensuite un peu avec la Première Guerre mondiale, puis baisse à partir des années trente du siècle dernier, avant de remonter à la veille du Bicentenaire (1989).

Graphique 1

6 En d’autres termes, « l’âge d’or » des rares ouvrages consacrés aux comités des assemblées parlementaires a lieu entre les années quatre-vingt du XIXe siècle et les années vingt du siècle dernier, à la lumière de la politique menée par les différents ministres de l’Instruction publique à partir des années 1830, et du comité mis en place par François Guizot le 18 juillet 1834, sous le nom de Comité pour la recherche et la publication des documents inédits relatifs à l’histoire de France14. C’est sous l’égide de ce comité, dans lequel travaillent d’abord François Auguste Mignet et, plus tard,

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Augustin Thierry, Jules Michelet, Edgar Quinet et Alexis de Tocqueville15, que sera publiée la Collection des documents inédits relatifs à l’histoire de France16.

7 Des années passeront et, après les journées révolutionnaires de 1848, la Deuxième République, le Second Empire, la Commune et l’établissement de la Troisième République, le comité créé en 1834 deviendra le 5 mars 1881, le Comité des Travaux historiques et scientifiques17, comité qui mettra sur pied, deux ans plus tard, la Commission de recherche et de la publication des documents relatifs à l’histoire de l’instruction publique de 1789 à 180818. Cette commission deviendra aussi par arrêté du 4 décembre 1886 la Commission pour la Recherche et la publication des documents inédits relatifs à la Révolution française19. Dans le cadre de cette commission, on commencera à publier les procès-verbaux du Comité d’instruction publique20 sous la direction de James Guillaume et le Recueil des actes du Comité de salut public21 de François Alphonse Aulard, deux ouvrages largement cités et consultés par les chercheurs qui s’attaquent au processus révolutionnaire à partir de leurs domaines de connaissances.

8 Au début du siècle, une nouvelle commission sera mise en place. Par arrêté ministériel du 23 décembre 1903, la Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution verra le jour22 et avec elle la Collection des documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française23. Jean Jaurès en sera le président et François Alphonse Aulard, Pierre Caron et Camille Bloch, entre autres académiciens, assureront la direction effective de ses travaux24. Ces travaux donneront lieu à la publication des procès-verbaux des Comités d’agriculture et de commerce des différentes assemblées parlementaires25, des procès-verbaux et rapports du Comité de mendicité de la Constituante26, des papiers des Comités de droits féodaux et de législation27 et des procès-verbaux du Comité des finances de la Constituante28.

9 « L’âge d’or » des travaux consacrés aux comités des assemblées parlementaires ne peut pas être détaché de la publication des procès-verbaux, actes et rapports de certains comités, pas davantage que du contexte politique et historiographique de la période écoulée entre le début des années quatre-vingt du XIXe siècle et la fin des années vingt du siècle dernier.

10 L’intérêt que le Comité d’instruction publique soulève dans un premier temps ne peut pas être dissocié des lois Ferry des années quatre-vingt de la fin du XIXe siècle qui établirent une école laïque, gratuite et obligatoire, destinée à devenir un « ascenseur social » pour tous ceux qui y accéderaient. L’intérêt pour le Comité de salut public ne peut non plus être séparé d’une historiographie marquée, à la fin du XIXe siècle, par le poids de l’histoire politique. Enfin, l’intérêt des comités liés aux problèmes des subsistances et au domaine de l’économie ne peut guère être dissocié des préoccupations intellectuelles de Jean Jaurès, président de la Commission de Recherche et de la publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution : « Le fond de l’histoire ne consiste pas dans le développement extérieur des formes politiques. Il est bien certain que c’est le jeu des intérêts économiques, des forces sociales qui détermine le mouvement de l’histoire. Or, tandis que, pour l’histoire de la Révolution française, c’est-à-dire pour l’histoire des origines mêmes du monde moderne […] les publications de documents d’ordre politique se sont multipliées, […] il n’y a, sur les documents qui intéressent la vie économique et sociale de la Révolution française, aucune collection. »29

11 Avec le ralentissement de l’activité du Comité des travaux historiques et scientifiques à cause de la Deuxième Guerre mondiale et le remplacement en 1959 de la Commission de recherches et de publications des documents relatifs à la vie économique par la

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Commission d’histoire économique et sociale de la Révolution française, la publication des documents relatifs aux procès-verbaux, actes et rapports des comités des assemblées parlementaires commence à arriver à sa fin avec la parution des derniers volumes du Recueil des actes du Comité de salut public et des derniers tomes des procès- verbaux du Comité de l’instruction publique. Cependant, depuis les années soixante du XXe siècle et jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, on a réalisé les suppléments du Recueil des actes du Comité de salut public dans le cadre de l’Institut d’Histoire de la Révolution française30, institut chargé depuis plus de 50 ans d’assurer la continuité des Archives parlementaires (1ère série : 1787 à 1799)31 et de diriger, conjointement à l’IRICE (Identités, relations internationales et civilisation de l’Europe), depuis ces deux dernières années, un projet de l’Agence nationale de la Recherche, dont l’un des buts — parmi d’autres— est la numérisation de la collection des lois réalisée par Jean-François Baudouin, imprimeur officiel des assemblées parlementaires32. Il n’est pas douteux que l’accès à ces corpus de documentation, publiés ou numérisés, est d’une grande importance pour qui veut s’attaquer à l’étude des comités des assemblées parlementaires.

Un bilan : vers où se tournent les regards ?

12 Compte tenu des travaux que nous avons localisés et qui sont particulièrement centrés sur un ou plusieurs comités des assemblées parlementaires de la période comprise entre 1789 et 1795 —le Directoire n’a pas eu de comités permanents33 —, on constate que les comités sur lesquels on a le plus travaillé sont le Comité de salut public, le Comité de sûreté générale et le Comité d’instruction publique de la Convention, suivis par les Comités de recherches et de mendicité de la Constituante, le Comité d’instruction publique de la Législative, le Comité ecclésiastique de la Constituante et les Comités d’agriculture et de législation de la Convention. (Voir l’annexe nº 2 et le tableau nº 1)

Tableau 1

Citations localisées Ratio (1 citation = 1 article ; ex. : Travaux localisés (Nombre de citations localisées 334 articles localisés citant le par nombre de travaux localisés) CSP)

1 Salut public CN 77 1 Salut public CN 334 1 Salubrité ANC 12

Sûreté Sûreté 2 CN 28 2 CN 96 2 Militaire CN 11 générale générale

Instruction Instruction 3 CN 10 3 CN 86 3 Constitution ANC 10,33 publique publique

Instruction 4 Recherches ANC 6 4 Constitution ANC 31 4 CN 8,6 publique

5 Mendicité ANC 5 5 Mendicité ANC 21 5 Défense générale CN 8

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Instruction AL 5 6 Législation CN 18 6 Finances ANC 7 publique

Ecclésiastique ANC 5 Ecclésiastique ANC 13 7 Militaire ANC 7 7 Agriculture CN 4 Droits féodaux ANC 13 8 Droits féodaux ANC 6,5

6 Législation Législation Législation CN 4 ANC 12 9 ANC 6 criminelle criminelle 8

7 Constitution ANC 3 Salubrité ANC 12 Colonial ANC 5

Agriculture ANC 2 9 Militaire CN 1110 Secours publics CN 5

Agriculture AL 2 Surveillance AL 10 Surveillance AL 5

Colonial ANC 210 Colonial ANC 10 11 Législation CN 4,5

Commerce ANC 2 Recherches ANC 10 12 Salut public CN 4,33

Commerce AL 2 11 Finances CN 9 13 Mendicité ANC 4,2

Commerce CN 2 Instruction AL 8 Agriculture ANC 4 publique Division CN 2

8 12 Droits féodaux ANC 2 Agriculture ANC 8 Ecclésiastique ANC 4 14 Matières Défense AL 2 CN 8 Marine ANC 4 féodales générale

Pétitions et Inspecteurs CN 2 Finances ANC 7 CN 4 correspondances

Législation ANC 2 Militaire ANC 7 criminelle 13

15 Sûreté générale CN 3,42 Législation AL 2 Constitution CN 7 Surveillance AL 2

13 Par ailleurs, étant donné les articles que nous avons localisés sur les portails Persée34 et Revues.org35 —au total 632 articles— citant un ou plusieurs comités des différentes assemblées parlementaires, on constate que les comités les plus fréquemment cités sont aussi, et de loin, le Comité de salut public, le Comité de sûreté générale et le Comité d’instruction publique de la Convention, suivis par les Comités de constitution et de mendicité de la Constituante, le Comité de législation de la Convention et les Comités ecclésiastique et des droits féodaux de la Constituante. (Voir l’annexe n° 2 et le tableau nº 1)

14 Si l’on observe la quantité de travaux localisés et le peu d’informations que la plupart des citations fournissent, on se rend compte que les recherches consacrées aux comités

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des assemblées parlementaires ne sont pas assez nombreuses et, également, que le nombre de citations localisées ne correspond pas au nombre de travaux réalisés. Il y a des comités qui sont fréquemment cités mais pour lesquels le nombre de travaux qui leur sont consacrés n’est pas très significatif ; c’est le cas, par exemple, du Comité de salubrité de la Constituante et du Comité militaire de la Convention. Par contre, il y a des comités qui ne sont pas fréquemment cités, alors même qu’ils ont donné lieu à une publication scientifique ; c’est le cas, par exemple, du Comité de commerce de la Constituante, de la Législative et de la Convention, du Comité d’agriculture de la Convention et du Comité des matières féodales de la Législative, qui eurent la chance au début du XXe siècle de voir leurs procès-verbaux publiés dans le cadre de la Commission Jaurès.

Surexposition : le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale

15 Le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale sont les deux comités ayant le plus retenu l’attention des chercheurs qui ont étudié la période révolutionnaire. Ce sont les comités qui concentrent le plus grand nombre de travaux et qui sont les plus fréquemment cités dans les articles qui abordent, sous des angles multiples, les années allant de 1789 à 1795. Ce sont aussi les comités les plus « célèbres » parmi tous ceux de la Convention et aussi de la période comprise entre 1789 et 1795. (Voir les graphiques nº 2 et nº 3)36

16 Ensemble, ils constituent sous la Convention un tandem idéal pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Alors que le premier règle tous les déséquilibres provoqués par l’établissement d’un nouvel ordre politique, économique et social, le deuxième travaille pour surveiller ceux qui combattent, ou peuvent avoir l’intention de combattre, l’ordre que le corps législatif essaie de mettre en place.

Graphique 2

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Graphique 3

17 Éléments clés du gouvernement révolutionnaire et « stars » incontestées d’une période connue sous le nom de « la Terreur », les chercheurs ont étudié ces deux comités pour aborder des sujets aussi brûlants que la centralisation de la Terreur, la dictature jacobine, la politique de la Terreur, la dictature révolutionnaire ou « les politiques de la Terreur »37 versus « la politique de la Terreur »38. La concentration entre leurs mains des compétences et fonctions appartenant aux pouvoirs exécutif et judiciaire les a particulièrement exposés et prédisposés à des analyses académiques.

18 Cette surexposition a laissé dans la quasi-obscurité les autres comités qui ont partagé avec eux une partie des travaux de la Convention, ainsi que les comités qui, comme eux, et sous la Constituante et la Législative, ont travaillé pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. À cet égard, rares sont les travaux consacrés au Comité des rapports et de recherches de la Constituante —même si ce dernier est, après les Comités de salut public, de sûreté générale et d’instruction publique de la Convention, celui qui compte le plus grand nombre de travaux qui lui sont consacrés—, et au Comité de pétitions, à la commission des douze, à la commission extraordinaire des douze et au Comité de surveillance de la Législative39. Rares sont aussi les travaux consacrés au Comité de défense générale, l’antécédent le plus direct du Comité de salut public de la Convention40. (Voir l’organigramme nº 1)

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Organigramme 1

19 Il n’y a pas de doute que les relations difficiles qu’entretenaient les trois pouvoirs entre 1789 et 1795, les origines de la Terreur ou les sujets les plus controversés qui ont dominé les débats historiographiques seront mieux abordés lorsque les travaux des chercheurs cesseront de se focaliser sur le Comité de salut public et sur le Comité de sûreté générale, et lorsque les travaux qui leur sont consacrés ne représenteront plus 78 % des travaux consacrés aux comités de la Convention et 56 % des travaux dédiés à tous les comités de la période comprise entre juin 1789 et octobre 1795. (Voir les graphiques nº 2 et nº 3)

Une « star » fragile : le Comité de salut public

20 Parmi tous les comités, le Comité de salut public est le plus célèbre. On compte deux fois plus de travaux qui lui sont consacrés qu’au Comité de sûreté générale et trois fois plus d’articles qui le citent en raison des nombreuses activités de ses membres. Cependant, il ne dépasse pas le Comité de salubrité de la Constituante, le Comité militaire de la Convention, le Comité de constitution de la Constituante ou le Comité d’instruction publique de la Convention en ce qui concerne le ratio de citations reçues par nombre des travaux consacrés. (Voir le tableau nº 1 et le graphique nº 4)41

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Graphique 4

21 Bien que son importance soit indéniable du fait qu’il trouve toujours une place dans tous les dictionnaires et ouvrages généraux consacrés à la période révolutionnaire, et qu’il a vu ses actes publiés dans un recueil exhaustif —à l’époque critiqué dans le cadre de la Revue historique de la Révolution française et de l’Empire42—, le Comité de salut public ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une enquête approfondie. Rares sont les travaux qui étudient son fonctionnement interne, son personnel — députés et secrétaires commis —,ses missions et compétences, et les contacts qu’il maintint avec d’autres comités et/ ou institutions.

22 En effet, à l’exception de deux travaux écrits récemment et à prendre en considération43, la bibliographie qui prend le Comité de salut public comme objet d’étude par lui-même n’est pas de forte actualité. En regardant l’annexe nº 1, en effet, on peut constater que les dernières monographies spécifiques à son sujet datent des années soixante du XXe siècle. Sans remettre en question la rigueur scientifique de ces travaux, peut-être devrait-on envisager de les réviser, ou bien de les compléter à la lumière de nouvelles recherches et des nouvelles perspectives que nous avons acquises au cours des cinquante dernières années, en partie grâce aux travaux de Catherine Kawa sur le Ministère de l’Intérieur, de Jean-Paul Bertaud et ses étudiants sur les armées, de Michel Biard et ses élèves à propos des représentants en mission, de Jean- Clément Martin sur la Contre-Révolution, de Jean-Pierre Gross, Sophie Wahnich et Patrice Gueniffey sur la Terreur, de Florence Gauthier et Bernard Gainot sur les questions coloniales, de Timothy Tackett et Mona Ozouf sur les origines de la Terreur ou de Marc Bélissa sur les relations internationales, pour ne citer que quelques exemples.

23 Il convient de noter qu’il faut aborder non seulement les autres comités de la Convention mais en plus les comités de la Constituante et de la Législative pour mieux comprendre le processus révolutionnaire et le rôle joué par le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale. Il convient également d’analyser les commissions qui existent dans les différentes assemblées parlementaires, et en particulier sous la Convention, pour continuer à repenser les débats historiographiques qui ont tourné

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autour de sujets aussi controversés qu’intéressants tels que la « dictature » du Comité de salut public ou la « soumission » de la Convention au pouvoir de ce comité.

24 Nous ne pouvons pas ignorer les cinquante-huit commissions —au minimum— qui ont été mises en place entre 1792 et 179544 ; pas davantage que le fait que le nombre de commissions commence à augmenter au moment même où le nombre de comités commence à diminuer, au moment même aussi où le Comité de salut public acquiert la compétence de soumettre à la Convention la liste des membres devant composer chacun des comités mis en place dans l’Assemblée45, et au moment même enfin où la France vit une recrudescence de ses conflits internes et externes. (Voir le graphique nº 5)

Graphique 5

25 Nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait que certaines commissions interviennent, dès qu’elles sont mises sur pied, dans des domaines qui étaient auparavant assignés à un comité ; que certaines d’entre elles travaillent à l’écart du comité qui avait été chargé jusqu’à leur mise en place de gérer ces affaires ; ou que le Comité de salut public, pour assurer son influence sur certains domaines, provoque la création de certaines commissions en nommant lui-même leurs membres —voir le tableau nº246— ainsi que l’avortement de toutes celles qui pourraient intervenir dans certains de ses domaines. À cet égard, nous pouvons citer deux exemples : le 29 août 1793, le Comité de salut public persuade la Convention de ne pas mettre en place une commission pour surveiller l’exécution des lois47, et le 23 octobre 1793 il obtient que soit rapporté un décret adopté la veille instituant une commission pour examiner la conduite de Ronsin, Rossignol et d’autres généraux de l’armée de l’Ouest48.

Tableau 2

Commissions qui empiétèrent sur les missions et compétences du Comité de sûreté générale et du Comité de législation (ou y participèrent). (Deux exemples)

Comités Date Commissions

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Commission extraordinaire des vingt-quatre 01-10-92/ (Commission chargée d’inventorier les papiers du Comité de surveillance de la 19-07-93 Commune de Paris)

20-11-92/ Commission des douze, chargée d’inventorier les papiers trouvés dans 23-07-93 l’armoire de fer

Commission des vingt-et-un chargée de présenter l’acte énonciatif des crimes dont Louis Capet est accusé et la série de questions à lui poser 06-12-92/ (Cette commission est née de la réunion de la Commission des douze avec trois 07-03-93* membres de la Commission des vingt-quatre, trois membres du Comité de législation et trois membres du Comité de sûreté générale)

11-03-93/ Commission des six près le tribunal criminel extraordinaire 02-04-93

Commission composée de six membres pour surveiller l’agiotage 20-07-93/ (À cette commission seront adjoints trois membres du Comité des finances et 23-11-93 trois du Comité de sûreté générale)

Commission pour faire l’extrait des noms des individus formant la 05-10-93/ garde de Louis Capet [s.d.] (Un membre du Comité de sûreté générale fera partie de cette commission) Comité de Sûreté Commission de douze membres chargée de proposer un projet de loi générale relatif aux moyens de recueillir, de vendre ou de convertir en 12-11-93/ monnaie les matières d’or et d’argent et autres objets précieux offerts 24-11-93* à la patrie (Deux membres du Comité de sûreté générale feront partie de cette commission)

Commission pour la levée des scellés apposés sur les bureaux de la 13-10-94/ caisse du dépôt de Pijuda & Héron 02-01-95* (Cette commission appartient au Comité de sûreté générale)

Commission des vingt-et-un chargée de présenter l’acte énonciatif des crimes dont Louis Capet est accusé et la série de questions à lui poser 06-12-92/ (Cette commission est née de la réunion de la Commission des douze avec trois 07-03-93* membres de la Commission des vingt-quatre, trois membres du Comité de législation et trois membres du Comité de sûreté générale)

Commission de cinq membres pour dresser un code des lois politiques 23-07-93/ et réglementaires [s.d.] (Cette commission de cinq membres devait être composée par le Comité de salut public)

23-07-93/ Commission de cinq membres pour présenter un projet de code civil Comité de 03-11-93 (Cette commission est prise dans le Comité de législation) Législation

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Commission formée de six membres pour réviser et retoucher le code 03-11-93/ civil 18-12-93* (Cette commission sera formée de six membres choisis par le Comité de salut public)

Commission de douze membres chargée de proposer un projet de loi relatif aux moyens de recueillir, de vendre ou de convertir en 12-11-93/ monnaie les matières d’or et d’argent et autres objets précieux offerts 24-11-93* à la patrie (Deux membres du Comité de législation feront partie de cette commission)

Commission chargée de rédiger un code succinct et complet des lois 16-04-94/ qui ont été rendues jusqu’à ce jour, en supprimant celles qui sont 17-07-94* devenues confuses (Les membres de cette commission sont élus par le Comité de salut public)

26 Le 29 août 1793, , pour protéger le Comité de salut public de la commission que Jacques-Nicolas Billaud-Varenne49 veut mettre en place, prononce le discours suivant : « J’observe que la commission que vous instituerez pour surveiller les ministres pourrait donner un résultat différent que celui que vous attendez ; car il est à craindre que cette commission ne s’occupe plutôt d’inimitiés personnelles que de surveillance loyale, et ne devienne ainsi un véritable comité de dénonciations. (Violents murmures). Citoyens, je dois dire avec franchise que ce n’est pas aujourd’hui que je m’aperçois qu’il existe un système perfide de paralyser le comité de Salut public en paraissant l’aider dans ses travaux, et qu’on cherche à avilir le pouvoir exécutif, afin qu’on puisse dire qu’il n’y a plus en France d’autorité capable de manier les rênes du gouvernement. Si vous créez cette commission, vous entravez la marche du comité de salut public, et vous allez contre le but que vous vous proposez. Je demande la question préalable sur la proposition de Billaud. »50

27 Le 23 octobre 1793, Bertrand Barère, pour protéger également le Comité de salut public d’un nouveau comité, parle à la Convention comme suit : « La Convention a décrété, hier, sur la pétition de la Société populaire de Tours, qu’il serait créé une commission chargée d’examiner la conduite de Ronsin, de Rossignol et des autres généraux qui ont commandé dans la Vendée. Elle a décrété encore que les membres de cette commission seraient nommés par la Convention même. Le comité de salut public est dépositaire d’une foule de vérités qui doivent être connues sur la Vendée. Un des commissaires, qui poursuit les rebelles avec activité, a trouvé à Châtillon plusieurs pièces imprimées à l’imprimerie prétendue royale de cette ville. Ces pièces vous dévoileront les auteurs de cette longue et effroyable guerre. Il paraît qu’il y a eu une sorte de prévention contre le comité. (Plusieurs voix : non, non.) Eh bien ! ce décret est la division du grand travail que le comité prépare sur les représentants, sur les généraux, sur les administrations, ces administrations que vous verrez coupables et favorisant la Vendée. Nous demandons le rapport du décret d’hier ; nous supplions l’Assemblée de joindre ce qui concerne les généraux au rapport sur les administrations et sur les commissaires. Nous vous promettons dans l’examen de leur conduite la plus grande austérité. »51

28 Si la création de plusieurs commissions a été utilisée pour intervenir ponctuellement dans certains domaines en principe réservés à des comités déjà constitués à cet égard, ou même pour retirer des mains du Comité de salut public certains affaires, nous

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devrions continuer à repenser le pouvoir réel des comités de la Convention, y compris celui du Comité de salut public, en raison de sa fragilité.

29 À tout moment, les comités de la Convention — de même que des autres assemblées parlementaires — peuvent être exclus de l’analyse d’une question qui rentre originairement dans le cadre de leurs missions et compétences. Le Comité de salut public n’est jamais à l’abri de ce danger. En fait, la création de certaines commissions par la Convention peut répondre à une volonté de diminuer le contrôle exercé par le Comité de salut public sur certains domaines et sur le personnel des autres comités de l’Assemblée, étant donné que le 13 septembre 1793 la Convention avait décidé ce qui suit : « Tous les comités, à l’exception de celui de Salut public, seront renouvelés, [et elle] charge son comité de Salut public de lui présenter une liste de candidats pour chacun d’eux »52

30 Si l’on travaille sur toutes les commissions de la Convention, y compris la Commission extraordinaire des douze, la plus connue des toutes, et qui ne compte cependant que deux travaux consacrés à elle seule53, peut-être sera-t-on mieux en mesure d’observer jusqu’à quel point le Comité de salut public fut capable d’« imposer » silence à l’opposition dans la Convention, et de voir jusqu’à quel degré la Convention fut « soumise » à la volonté du Comité de salut public, comme l’a souligné Albert Soboul il y a des années54.

31 L’étude des commissions peut nous permettre de reconstituer le niveau de confiance et d’accord entre le Comité de salut public et la Convention à des moments donnés. Nul doute que si le Comité de salut public est responsable à tout instant devant la Convention et doit surveiller l’exécution des lois adoptées par le corps législatif et se soumettre à sa volonté, cela n’implique pas que les relations entre ces deux organismes fonctionnent, à tout moment, sans rivalités ni confrontations.

32 L’établissement par la Convention de commissions intervenant sur des domaines du Comité de salut public —même si celles-ci peuvent être abrogées quelques jours après leur établissement— ainsi que de commissions, composées de membres choisis par le Comité de salut public, intervenant sur des domaines appartenant à d’autres comités de la Convention est révélateur du fait qu’il n’y a, sous la Convention, ni une opposition silencieuse ni une assemblée soumise, ni encore une domination nette du Comité de salut public. En tout temps, tout dépend du côté où la majorité de députés se rangera face à une motion, une proposition ou un projet de décret.

Les autres « stars » : le Comité de sûreté générale et les Comités de surveillance

33 Après le Comité de salut public, le Comité de sûreté générale est celui qui inspire le plus grand nombre de travaux et qui est le plus cité dans les travaux des chercheurs sur la période révolutionnaire. Cependant, le nombre de citations dont il est crédité est notablement inférieur au nombre de travaux qui lui ont été consacrés. Si l’on regarde le tableau nº 1, on observe qu’il occupe la quinzième position en ce qui concerne le ratio de citations reçues par rapport au nombre de travaux consacrés.

34 Le Comité de sûreté générale, comme le Comité de salut public, est lui-même un comité vedette (Voir le graphique nº 4). Tous les ouvrages généraux et les dictionnaires

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consacrés à la période révolutionnaire lui réservent certaines de leurs pages, généralement en tant que partenaire agissant de concert avec le Comité de salut public. Néanmoins, les travaux qui analysent en détail son fonctionnement interne, son personnel ou ses missions et ses compétences, ne sont pas très abondants. D’où la pertinence des recherches d’Emilie Cadio sur ces divers aspects55.

35 En réalité, le Comité de sûreté générale n’a pas suscité le même intérêt que les Comités de surveillance ou révolutionnaires, ses homologues à petite échelle, qui ont été davantage étudiés lors des dix dernières années, grâce aux travaux pionniers de Martine Lapied et Jacques Guilhaumou56, et aux enquêtes entreprises, d’abord par ces deux chercheurs et, ensuite, par le Groupe de recherche sur les Comités de surveillance.

36 Les efforts des uns et des autres ont donné lieu à une production bibliographique intéressante. Aujourd’hui, les travaux inédits consacrés aux Comités de surveillance ou révolutionnaires sont plus nombreux que ceux consacrés aux comités des assemblées parlementaires57, y compris en comptant le nombre d’articles publiés dans les revues Annales révolutionnaires et Annales historiques de la Révolution française faisant mention de ces comités. Au total, ils sont presque autant cités que le Comité de salut public. (Voir le tableau nº 3 et le graphique nº 6)

Tableau 3

Travaux inédits sur la période révolutionnaire (consacrés aux)

Comités Comités des assemblées parlementaires de surveillance (ou révolutionnaires)

10 30

Articles publiés dans les Annales révolutionnaires et les Annales historiques de la Révolution française (consacrés aux)

Comités Comités des assemblées parlementaires de surveillance (ou révolutionnaires)

36 40

Articles localisés dans les portails Persée et Revues.org (citant les comités de la Convention nationale et les Comités de surveillance (ou révolutionnaires)

Salut public 334

Surveillance (ou révolutionnaires) 165

Sûreté générale 96

Instruction publique 86

Législation 18

Militaire 11

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Finances 9

Défense générale 8

Constitution 7

Division 5

Secours publics 5

Agriculture 4

Pétitions et correspondances 4

Ponts et chaussées 3

Colonial 3

Marine 3

Diplomatique 3

Travaux publics 2

Domaines 2

Inspecteurs de la salle, du secrétariat et de 2 l’imprimerie

Commerce 1

Aliénation 1

Transports, postes et messageries 1

37 L’intérêt que les Comités de surveillance ou révolutionnaires a suscité a été tellement important que ceux-ci ont inspiré un numéro spécial de revue (Rives méditerranéennes, nº 18, 2004), deux enquêtes entreprises, l’une en 200158 et l’autre, à l’échelle nationale, en 2008, mais aussi deux journées d’études, l’une organisée le 6 novembre 200259 dans le cadre de l’UMR TELEMME (CNRS - Université de Provence) et l’autre organisée les 13 et 14 janvier 2011 dans le cadre de la Société des Études robespierristes60.

38 Ces recherches sur les Comités de surveillance ou révolutionnaires complètent évidemment nos connaissances actuelles sur les Comités de salut public et de sûreté générale. Les efforts conduits, d’abord par les chercheurs d’Aix-en-Provence, ensuite par la Société des Études robespierristes, pour approfondir les relations pouvoir local- pouvoir central et l’application régionale et locale des lois adoptées, invitent à envisager la mise en place d’une enquête sur les comités des assemblées parlementaires.

39 Deux enquêtes parallèles, l’une conduite par le haut — comités et commissions des assemblées parlementaires — et l’autre par le bas — Comités de surveillance ou

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révolutionnaires — peuvent assurément donner des résultats fructueux dans tous les domaines de recherche qui analysent à la fois la construction de la loi et son application, comme son acceptation ou son rejet par une société qui apprend par ce biais ce que lui est permis, ce que lui est interdit et ce qu’on lui ordonne61.

Un oubli : les comités de l’Assemblée législative

40 Si l’on analyse d’abord les travaux localisés consacrés aux comités des assemblées parlementaires et les articles qui les citent à un moment donné de leur exposition scientifique, on constate que la majorité des travaux et citations localisés se rapportent aux comités de la Convention. Il faut rappeler la surexposition à laquelle les Comités de salut public et de sûreté générale ont été soumis. (Voir le graphique nº 6 et l’annexe nº 2)

Graphique 6

41 Si l’on analyse, en deuxième lieu, le nombre de citations localisées par rapport au nombre d’ouvrages consacrés, on constate que les comités de la Constituante sont un peu plus cités que ceux des autres assemblées parlementaires. (Voir le graphique nº 7 et l’annexe nº 2)

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Graphique 7

42 Par ailleurs, si l’on analyse, pour chaque assemblée parlementaire, le nombre de comités qui font l’objet d’un travail ou d’une citation, on constate que les mieux connus sont ceux de la Constituante, étant donné que l’attention des chercheurs travaillant sur cette assemblée n’a pas porté sur un ou deux comités mais sur plusieurs. (Voir le tableau nº 462, le graphique nº 8 et l’annexe nº 2)

Graphique 8

Tableau 4

Nombre total de comités sous Nombre total de Nombre total de chaque Assemblée parlementaire comités étudiés comités cités AP (AP)

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Calcul nº 1 Calcul nº 2 Total Pourcentage Total Pourcentage

ANC 33 [36] 16 45,45 % 28 84,85 %

AL 22 [24] 10 40,91 % 9 40,91 %

CN 30 [52] 14 43,33 % 22 73,33 %

43 La conclusion la plus importante de ces analyses est la suivante : les comités de la Législative n’ont pas attiré l’attention des chercheurs. Les travaux à leur sujet et les citations qu’ils en font sont en nombre limité. Plus de la moitié de ces comités n’ont jamais fait l’objet d’une citation. Ils sont passés complètement inaperçus aux yeux des chercheurs qui ont négligé, étonnamment, d’étudier une année cruciale dans le cadre du processus révolutionnaire, l’année de la Législative ; année marquée par de profondes luttes politiques et par une assemblée qui, au printemps 1792, fit virer à droite le processus révolutionnaire. L’étude des comités et des commissions de cette assemblée parlementaire se révèle intéressante pour aborder tous ces enjeux. Juste pour mémoire, le 10 mai 1792, les députés du côté droit augmentèrent leur présence dans le Comité de surveillance63, le 17 juin, ils se renforcèrent dans la Commission extraordinaire des douze64 et, le 23 juillet, ils firent réussir son putsch sur les élections du président, bloquant en particulier l’ascension de Jean-François Delacroix65.

Travaux inédits : entre les facultés de droit et les universités parisiennes

44 Compte tenu des travaux inédits —mémoires de Maîtrise, mémoires de DEA et thèses— déjà réalisés sur les comités des assemblées parlementaires et que nous avons pu localiser, on peut apprécier l’héritage incontestable que les facultés de droit et les universités parisiennes ont laissé au travers des études consacrées aux comités des assemblées parlementaires.

45 Nous ne pouvons pas ignorer que la plupart des thèses consacrées à ces comités ont été réalisées depuis des années dans le cadre des facultés de droit, ni que les travaux les plus récents sur le Comité de salut public, portant une attention spéciale à son organisation interne et à ses missions et compétences, ont été réalisés à la faculté de droit de l’Université Panthéon-Assas, par Julien Boudon et Raphaël Matta-Duvignau. En fait, sur les 14 thèses que nous avons été en mesure de localiser, 9 ont été écrites par des juristes66, 4 par des historiens67 et 1, dédiée au Comité de salubrité de la Constituante, par un docteur en médecine68. (Voir l’annexe nº 1)

46 D’autre part, et probablement en raison de la proximité des sources, la plupart des thèses et des mémoires de DEA et de Maîtrise, dédiés aux comités des assemblées parlementaires ont été réalisés dans le cadre d’universités situées à Paris. Étant donné que nous avons localisé 14 thèses, 4 mémoires de DEA69 et 6 mémoires de maîtrise70, il convient de noter que seuls une thèse71 et un mémoire de Maîtrise 72 ont été faits en dehors du contexte universitaire parisien. (Voir l’annexe n° 1)

47 Le revers de cette situation, cependant, peut être observé dans l’étude des Comités de surveillance ou révolutionnaires. Si Paris invite à aborder les comités des assemblées

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parlementaires grâce à la proximité des sources, les départements de toute la France invitent à aborder les Comités de surveillance ou révolutionnaires. La proximité des sources peut être, parmi d’autres, une explication au fait qu’il y ait trois fois plus de travaux consacrés aux Comités de surveillance ou révolutionnaires que d’études portant sur le travail des comités des assemblées parlementaires (Voir le tableau nº 3). La numérisation des fonds des Archives nationales peut donc se révéler cruciale pour faire avancer les études consacrées à ces derniers.

L’héritage des archivistes : à l’abri des Archives nationales

48 Les connaissances sur les comités des assemblées parlementaires ne se sont pas seulement enrichies grâce aux travaux menés dans le domaine de l’histoire, du droit ou de la médecine. Elles ont aussi beaucoup profité des travaux menés par certains archivistes des Archives nationales, tels que Pierre Caron (1875-1952), Pierre Caillet (1903-1996) ou, plus récemment, Martine Sin Blima Barru.

49 Pierre Caron a laissé un nombre important d’ouvrages consacrés aux comités des assemblées parlementaires. En 1898, il rejoint les Archives nationales73 et cinq ans plus tard, aux côtés de François Alphonse Aulard et de Jean Jaurès, il rejoint, en qualité de secrétaire, la Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution74. Au sein de cette commission, il publie les procès- verbaux et les actes de la commission de subsistances de l’an II75 et, avec Philippe Sagnac, les papiers des Comités féodaux et de législation76. Il publie aussi les papiers du Comité militaire77 et un travail qui a pour nom « Le fonds du Comité de sûreté générale »78. En 1939, en tant que directeur des Archives nationales (1937-1941), il dirige la commémoration du 150e anniversaire de la Révolution française79.

50 Pierre Caillet, par ailleurs, a fourni un premier guide pour aborder les archives du Comité de salut public, publié dans le premier supplément du Recueil des actes du Comité de salut public80. Il a aussi donné les premiers travaux sur le Comité des recherches de la Constituante, dont il a dressé un inventaire exhaustif de ses papiers81 et sa première monographie82. Enfin, Martine Sin Blima Barru a laissé un mémoire de DEA consacré au rôle du Comité des décrets et du Comité des archives (1789-1795)83.

Un gâchis : comités, commissions, sections, commissaires, etc.

51 Malgré l’intérêt des contributions apportées par les uns et les autres, le chemin à parcourir est encore long. Une partie des travaux différencient encore mal un comité d’une section (soit une division d’un comité), d’une commission ou d’un ensemble de commissaires ou d’inspecteurs, différenciation d’ailleurs ardue. Dans l’annexe nº 2, nous avons essayé de ne citer que les comités qui ont existé sous les différentes assemblées parlementaires et nous avons délibérément omis les sections, les commissions, les commissaires et les inspecteurs de chacune d’elles84.

52 Pour continuer la liste des problèmes rencontrés au moment d’aborder les comités des assemblées parlementaires, ainsi que les sections, les commissions, les commissaires et les inspecteurs, il faut ajouter le problème de la nomenclature des comités. En effet, un

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même comité — et cela arrive aussi avec les commissions, les sections, les commissaires et les inspecteurs — peut être appelé différemment tant par les acteurs de la période que par les chercheurs actuels. Il conviendra donc de fournir une liste des comités, commissions, commissaires et inspecteurs, à deux colonnes, contenant dans la première, le nom que le comité reçut au moment où il fut créé, et dans la seconde, le nom que les acteurs de la période ou les chercheurs lui ont donné par la suite.

53 Un autre problème à résoudre porte sur l’autonomie des comités. À un moment donné, un comité peut être réuni à un autre comité, il peut apparaître comme le résultat d’une scission, il peut fusionner avec un autre comité et configurer alors un nouveau comité, ou bien être absorbé par un de ses homologues et devenir une de ses sections. Pour les commissions, les sections, les commissaires et les inspecteurs, la situation est la même, avec la nouveauté qu’une commission, une section ou bien un ensemble de commissaires ou d’inspecteurs peuvent devenir, à un moment donné, un comité. Tout cela implique des changements dans l’organisation des assemblées parlementaires, qui doivent être pris en compte.

54 Sur le graphique nº 10, réalisé en tenant compte de toutes les réunions, scissions, fusions et absorptions qui ont eu lieu sous les différentes assemblées parlementaires, il est possible de constater une diminution progressive du nombre des comités de 1789 à 1795. En réalité, la Convention est l’assemblée qui comporte, de manière générale, le moins de comités. En revanche, c’est l’assemblée qui a aussi mis en place le plus de commissions — internes, externes ou mixtes —85 (Voir le graphique nº 11). À la lumière de ces données, nous devrions donc réviser la thèse, proposée il y a des années, selon laquelle la Convention aurait considérablement amplifié le système de comités organisé sous la Constituante86.

Graphique 9

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Graphique 10

Conclusion

55 Même si beaucoup de travail reste à faire, nous sommes peut-être au début de ce qui pourrait être un second « âge d’or » de l’étude des comités des assemblées parlementaires. Ces dernières années, quatre thèses ont été soutenues : une sur le Comité de salut public87, une autre sur les et le Comité de salut public88, une troisième sur le Comité de division89 et une quatrième sur les comités qui gèrent les pétitions, les mémoires et les adresses parvenues au corps législatif ainsi que la correspondance concernant le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique90. Trois mémoires de DEA ont également été soutenus sur le rôle du Comité des décrets et du Comité des archives91, sur le Comité de sûreté générale92, et sur Grégoire et le Comité d’instruction publique93. Enfin, quatre mémoires de Maîtrise ont été soutenus sur le Comité d’agriculture de la Convention94, sur Barnave et les colonies95, sur les inspecteurs de la salle96 et sur l’éducation et l’instruction publique entre 1789 et 1794, en prenant en compte spécialement des papiers du Comité d’instruction publique97.

56 Rappelons également que le 15 mars 2001, dans le cadre de l’Institut d’Histoire de la Révolution française, s’est tenue une demi-journée consacrée au Comité d’instruction publique98, le comité le plus étudié et le plus cité après les Comités de salut public et de sûreté générale (Voir le tableau nº 1). Ce comité a aussi vu une édition nouvelle de ses procès-verbaux, mise à jour et augmentée par Josiane Boulad-Ayoub et Michel Grenon, publiée en 1997 et 199899.

57 L’atelier de travail tenu le 26 février 2011, dans le cadre de l’Institut d’Histoire de la Révolution française et le numéro spécial que nous venons de présenter sont également une preuve de l’importance que l’on commence à accorder aujourd’hui aux comités des assemblées parlementaires comme moyen permettant de comprendre l’élaboration de la loi, et dans un sens plus large, le processus révolutionnaire. La route est longue mais, comme le dirait Antonio Machado : Caminante no hay camino, se hace camino al andar100.

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ANNEXES

Annexe 1

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Annexe 2

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NOTES

1. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une bourse postdoctorale (2008 BP 00149 / Modalitat A del programa Beatriu de Pinós) du gouvernement catalan (Agència de Gestió d’Ajuts Universitaris i de Recerca – AGAUR) et du Grup d’Estudi de les Institucions i de la Societat a la Catalunya Moderna (segles XVI-XIX) (2009-SGR-318). Il a été rédigé pendant le mois d’août 2011. Pour cette raison, toutes les publications et activités organisées sur les comités après cette date n’ont été ni mentionnées ni prises en compte pour la rédaction de cette communication ni pour les annexes 1 et 2. 2. Le catalogue général de la BnF est le catalogue en ligne qui contient la majorité des références des documents conservés sur tous les sites de la BnF. Voir : http://catalogue.bnf.fr. En ce qui concerne les références localisées dans ce catalogue, portant sur les travaux consacrés aux comités des assemblées parlementaires, nous les avons recueillies dans l’annexe nº 1. 3. Le catalogue collectif de France est un instrument de localisation de plus de 15 millions de documents conservés à la Bibliothèque nationale de France et dans les principales bibliothèques françaises : municipales, universitaires et spécialisées. Actuellement, il donne un accès unique et simultané à trois grands catalogues français : le BNF-CG (catalogue général de la Bibliothèque nationale de France), le SUDOC (système universitaire de documentation : catalogue des bibliothèques de l’enseignement supérieur) et la BASE PATRIMOINE (catalogue des fonds anciens et/ou locaux de 60 bibliothèques municipales et spécialisées). Voir : http://ccfr.bnf.fr. Quant aux références localisées, de même que pour le catalogue général de la BnF, nous les avons recueillies dans l’annexe nº 1. 4. Le catalogue de la Hathi Trust Digital Library est un catalogue en ligne qui permet de consulter les fonds de plus de 50 institutions universitaires et bibliothèques des États-Unis. Voir : www.hathitrust.org. De même que pour les catalogues précédents, nous avons recueilli les références localisées dans l’annexe nº 1. 5. Table générale analytique et alphabétique de la Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine (1881-1890), t. I à XVIII, Paris, Charavay frères, éditeurs, 1890, 43 p. 6. Deuxième table générale et alphabétique de la Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine (1890-1895), t. XIX à XXVIII, Paris, Au siège de la Société, 1895, 32 p., Troisième table générale et alphabétique de la Révolution française (1895-1902), t. XXIX-XLIII, [Paris], [Rieder], [1902], 49 p. Quatrième table générale et alphabétique de la Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine (1903-1910), t. XLIV à LIX, Paris, Au siège de la Société, 1911, 53 p., et Cinquième table générale de la Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine, années 1911-1934, t. LX- LXXXVII, Paris, Maison du Livre Français, 1937, 81 p. 7. Claude COQUARD, (dir.), Annales historiques de la Révolution française. Tables du centenaire 1908-2007, Paris, Société des Études robespierristes, 2008, 383 p. 8. Georges AUBERT et Marc BOULOISEAU, AHRF, Table alphabétique et index, 1946-1962, Société des Études robespierristes, Paris, 1965, 135 p., Jules CONAN, AHRF, table décennale (auteurs et matières), 1963-1972, Société des Études robespierristes, Paris, 1974, 153 p., Paule MIRAVAL, AHRF, Table des auteurs et index général, 1973-1987, Société des Études robespierristes, Paris, 1988, 86 p. ; Claude COQUARD, AHRF, Sommaires, table des auteurs, index thématique et périodiques recensés, 1988-1999, Société des Études robespierristes, Paris, 2000, 125 p. et Claude COQUARD, AHRF. Tables du centenaire 1908-2007, Paris, Société des Études robespierristes, 2008, 383 p. 9. Revue historique de la Révolution française, (Genève, puis Reims), (1910-1923), sous la direction de Charles Vellay de 1910-1919 et de Gustave Laurent de 1922-1923. 10. Voir : http://revolution-française.net/ [Révolution française.net. L’esprit des Lumières et de la Révolution]. 11. Paule MIRAVAL et Raymonde MONNIER, Répertoire des travaux universitaires inédits sur la période révolutionnaire, Paris, Société des Études robespierristes, 1990, 325 p.

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12. C’est le cas, par exemple, du Comité diplomatique, du Comité de division et du Comité des pétitions et de correspondance. 13. À propos du Comité de constitution, Roberto Martucci a écrit : « Pourtant, le Comité de Constitution a eu à la Constituante un poids politique égal (malgré la diversité des fonctions) à celui du Comité de Salut public de la Convention, au point de justifier une recherche visant à rendre compte de sa structure, de ses compétences et de son fonctionnement. Cette recherche peut apparaître superflue après la publication de l’ouvrage très fouillé qu’André Castaldo a consacré à la Constituante ; mais la lecture des quelques pages dédiées au Comité de constitution me conduisent à dire que, sur ce sujet, il y a encore place pour de nouveaux approfondissements. », Roberto MARTUCCI, « Le pivot de la Constituante. À propos du Comité de constitution (1789-1791), dans Pierre BRUNET, Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Denys DE BÉCHILLON et Eric MILLARD (dir.), L’architecture du droit – Mélanges en l’honneur du professeur Michel Troper, Economica, 2006, p. 652. Nous avons également mentionné ce vide historiographique, par rapport aux Comités de rapports et de recherches, dans le chapitre 13 de notre thèse, Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, Revolució, Poder i Informació. El control de la informació a les Assemblees parlamentàries durant la Revolució francesa (1789-1795), sous la direction de Lluís Roura i Aulinas et Jean-Clément Martin, Universitat Autònoma de Barcelona / Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, Bellaterra, 28 novembre 2008, p. 536-588. Consultable en ligne : http://tdx.cat/handle/ 10803/4816. [Thèses en ligne] 14. Voir : http://theses.enc.sorbonne.fr/2001/leroy. [Rodolphe LEROY, Le Comité des travaux historiques et scientifiques (1834-1914) : entre animation et contrôle du mouvement scientifique en France, École de Chartes, Thèses, 2001, p. 1.]. 15. Voir : http://cths.fr/hi/historique.php. [Le Cths, son histoire, ses missions]. 16. La Collection des documents inédits relatifs à l’histoire de France regroupe sous forme imprimée des sources documentaires concernant l’histoire de France jusqu’à la période révolutionnaire. Pour en savoir plus sur ses travaux, voir : http://grebib.bnf.fr/html/documents_inedits.html et « Collection des documents inédits relatifs à l’histoire de France, publiée par les ordres du roi et les soins de M. le ministre de l’Instruction publique », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1848, t. 9, p. 85-88. 17. Voir : http://cths.fr/hi/historique.php. [Le Cths, son histoire, ses missions]. 18. Id., [Non paginé]. 19. François-Alphonse AULARD, « Chronique & Bibliographie », La Révolution française. Revue historique, t. 12, janvier-juin 1887, Paris, Charavay frères, éditeurs, p. 854. 20. James GUILLAUME, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de l’Assemblée Législative, publiés et annotés par M. J. Guillaume, Paris, Imprimerie nationale, 1889 et Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, publiés et annotés par M. J. Guillaume, Paris, Imprimerie nationale, 1891-1958, 7 tomes en 8 volumes. 21. François-Alphonse AULARD, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, publié par Alphonse Aulard, Paris, 1889-1951, 28 vol, in-8º. « Le 19 mars 1887 la commission instituée par le ministre de l’Instruction publique pour la recherche et l’impression des documents relatifs à l’histoire de la Révolution française a adopté, à l’unanimité, la proposition de M. Aulard relative à la publication des actes et de la correspondance du Comité de salut public. », François-Alphonse AULARD, « Chronique & Bibliographie », La Révolution française. Revue historique, Paris, 1887, p. 950. Ensuite, le 3 septembre 1888, « M. le Ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, sur la proposition de la section des sciences économiques et sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques, a ordonné la publication du Recueil des Actes du Comité de salut public par M. Aulard. », François-Alphonse AULARD, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la

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correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, op. cit., t. 2, non paginé. 22. MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX ARTS, Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution. Notes et documents sur ses travaux, de 1903 à 1912, Paris, Ernest Leroux, Éditeur, 1913, p. I. 23. A. VIDIER, « Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, publiés par le ministère de l’Instruction publique, Paris, E. Léroux, 1906-1909 », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1910, nº 71, p. 139-152. Voir aussi: http://images.crl.edu/097.pdf. [CENTER FOR RESEARCH LIBRARIES. REFERENCE FOLDER, Economic History of the . Collection de Documents inédits sur l’Histoire économique de la Révolution française, 1883-1952). 24. Ibidem, p. 139. 25. Fernand GERBAUX et Charles SCHMIDT, Procès-verbaux des Comités d’agriculture et de commerce des assemblées de la Révolution, Collection des documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, publiés par le Ministère de l’Instruction publique, Paris, Imprimerie nationale, 1906-1937. 26. Alexandre TUETEY et Camille BLOCH, Procès-verbaux et rapports du Comité de mendicité de la Constituante, 1790-1791, Collection des documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, publiés par les soins du Ministère de l’Instruction publique, Paris, Imprimerie nationale, 1911, LX-847 p. 27. Pierre CARON et Philippe SAGNAC, Les Comités des droits féodaux et de législation et l’abolition du régime seigneurial, 1789-1793, Collection des documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, publiés par le Ministère de l’Instruction publique, Paris, 1907. 28. Camille BLOCH, Procès-verbaux du Comité des finances de la Constitution, Collection des documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, Paris, E. Leroux, 1922-1923, XLIX-571 p. 29. Projet de loi présenté par Jean Jaurès à la Chambre des députés, le 27 novembre 1903, Albert SOBOUL, « Jaurès, Mathiez et l’histoire de la Révolution », AHRF, nº 237, 1979, p. 448. 30. Marc BOULOISEAU, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, publié par F. A. Aulard, Suppléments préparés par l’Institut d’Histoire de la Révolution française, Paris, Bibliothèque nationale, 1966-1999, 5 vols. 31. Voir : http://ihrf.univ-paris1.fr/spip.php?article93. [Les Archives parlementaires (1ère série, 1787-1799)] 32. Voir : http://www.agence-nationale-recherche.fr/Ariane/voirprojet.php?refpj=ANR-09- BLAN-0354 [Revloi-2009. La Loi en Révolution, 1789-1795]. 33. Ivo RENS, « Les commissions parlementaires en droit comparé », Revue internationale de droit comparé, vol. 13, nº 2, avril-juin 1961, p. 310. Dans cet article, Ivo Rens souligne : « Par réaction contre les excès de la Convention, la Constitution du Directoire, en date du 5 fructidor de l’an III, interdit formellement la création de comités permanents. » 34. Persée est un programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales. Voir : http://www.persee.fr. À la date du 14 juin 2011, nous avions localisé 19 649 entrées concernant le mot « comité ». De ces 19 649 entrées, 443 correspondaient à un article dans lequel il y avait une ou plusieurs références sur les comités des assemblées parlementaires et sur les Comités de surveillance (ou révolutionnaires). 35. Revues.org est une plateforme de revues et collections de livres en sciences humaines et sociales. Voir : http://www.revues.org. À la date du 21 juin 2011, nous avions localisé 11 633 entrées concernant le mot « comité ». De ces 11 633 entrées, 234 correspondaient à un article dans lequel il y avait une ou plusieurs références sur les comités des assemblées parlementaires

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et sur les Comités de surveillance (ou révolutionnaires). De ces 234 articles, 46 avaient déjà été localisés dans le portail Persée. 36. Pour obtenir un graphique allégé (le graphique numéro 2) nous avons réuni sous une même catégorie les 13 comités qui comptent aujourd’hui 2 travaux qui leur sont consacrés et que nous avons pu localiser. Nous avons procédé de la même façon pour les 15 comités qui ne comptent que 1 travail à leur sujet. 37. Patrice GUENIFFEY, La politique de la Terreur : essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000. 38. Michel BIARD, (dir.), Les politiques de la Terreur, 1793-1794, actes du colloque international de Rouen, 11-13 janvier 2007, organisé par le GRHis-Université de Rouen et la Société des Études robespierristes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Paris, Société des Études robespierristes, 2008. Ce colloque fut une réponse au travail de Patrice Gueniffey. On essaya d’y proposer une réflexion collective, non pas sur « la politique de la terreur », comme Patrice Gueniffey l’avait proposé dans son ouvrage, mais sur « les politiques » mises en œuvre « au temps de la Terreur ». 39. Parmi ceux que nous avons localisés : Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, Revolució, Poder i Informació. El control de la informació a les Assemblees parlamentàries durant la Revolució francesa (1789-1795), op. cit., Pierre CAILLET, Les Français en 1789. D’après les papiers du Comité des Recherches de l’Assemblée Constituante (1789-1791), Paris, Éditions du CNRS, 1991, et « Une dénonciation du terroriste Mogue d’après les papiers du Comité de recherches de l’Assemblée nationale constituante, 2 juillet 1791 », Revue historique ardennaise, t. 26, 1991, Thorsten GRUSDAT, Ein Prozess der Französischen Revolution gegen sich selbst ? : das Comité des recherches der Nationalversammlung und das problem der Gewalt in der Öffentlichen Wahrnehmung, 1789-1791, Duisburg, Paris, Wiku, 2007, Michel EUDE, « Le Comité de surveillance de l’Assemblée législative (1791-1792) », AHRF, nº 175, 1964, p. 129-148, René LESOT, Le Comité de surveillance et de sûreté générale à Hesdin (1792-1794), sous la direction de Jacob, Centre CHRN, Université Lille 3, DES 1948, 133 p., et François Alphonse AULARD, « La commission extraordinaire de l’Assemblée Législative », La Révolution française. Revue historique, t. XII, 1887, p. 579-590. 40. Mis à part les deux premiers volumes du Recueil des Actes du Comité de Salut public, qui contiennent les procès-verbaux de ce comité, nous n’avons pas pu localiser un seul ouvrage — monographie, article ou travail inédit— consacré spécialement au Comité de défense générale. François-Alphonse AULARD, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire, publié par Alphonse Aulard, Paris, 1889, t. 1-2. 41. Le graphique nº 4 tient compte du nombre de travaux consacrés aux différents comités des assemblées parlementaires : 77 travaux consacrés au Comité de salut public, 28 au Comité de sûreté générale, 10 au Comité d’instruction publique de la Convention nationale, etc. Ce graphique a été réalisé à partir des données recueillies dans l’annexe nº 2. 42. H. Monin écrit ce qui suit à propos du Recueil : « Faute d’introductions, de tables analytiques, ces tomes XXI et XXII sont aussi difficiles à utiliser que les précédents. Il arrive quelques fois à l’éditeur de se plaindre que des historiens, soit à Paris, soit en province, ignorent tel ou tel autre des documents qu’il a mis au jour. C’est qu’ils n’ont pas le sens de la divination. L’on ne peut vraiment exiger d’un travailleur que, pour une étude particulière, il dépouille l’énorme collection de textes parmi lesquels il imagine a priori, en trouver qui l’intéressent. », H. MONIN, « Bibliographie – F.-A. Aulard, Recueil des Actes du Comité de salut public », Revue historique de la Révolution française et de l’Empire, t. 5, janvier-juin 1914, Paris, Aux Bureaux de la Revue Historique de la Révolution française, p. 170-179. D’autre part, Charles Vellay écrit ceci : « Nous avons signalé, à plusieurs reprises, les graves défectuosités des publications documentaires de M. Aulard. Ces défectuosités sont à la fois si nombreuses et si essentielles qu’elles vicient le travail tout entier,

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auquel aucun historien ne peut désormais se reporter avec confiance, et qui, dès lors, n’est plus qu’une œuvre inutile, stérile et dangereuse », Charles VELLAY, « Bibliographie - François Laurentie, Le cas de M. Aulard, Paris, Librairie Barbou, 1914, in-16 de 76 p. », Revue historique de la Révolution française, t. VIII, juillet-décembre 1915, Paris, Aux bureaux de la Revue historique de la Révolution française, 1915, p. 321. 43. Julien BOUDON, Les jacobins. Une traduction des principes de Jean-Jacques Rousseau, préface de Frédéric Bluche, thèse de doctorat, droit, Université Panthéon-Assas, 2002, Paris, L.G.D.J., 2006, XVIII-756 p., dact., et Raphaël MATTA-DUVIGNAU, Entre administration et gouvernement : le Comité de salut public, thèse soutenue le 10 décembre 2010 sous la direction de Vida Azimi, Faculté de Droit, Université Panthéon-Assas, dact. 44. Nous avons réalisé au cours de cette dernière année de recherches postdoctorales un tableau contenant le nom, la date d’établissement et la dernière notice localisée de tous les comités, commissions, commissaires ou inspecteurs qui eurent lieu sous les différentes assemblées parlementaires. Ce travail encore inédit nous a permis de localiser 58 commissions mises sur pied sous la Convention nationale. 45. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, imprimé par ordre du Sénat et de la Chambre des députés fondé par MM. J. MAVIDAL et E. LAURENT, première série (1787 à 1799), Paris, Librairie administrative Paul Dupont, 1909, t. 74, p. 52. 46. Quand l’astérisque [*] apparaît dans le tableau nº 2 il signifie que la date que nous soulignons correspond à la dernière référence que nous avons pu localiser, pour le moment, à propos de la commission. Quand les abréviations [s.d.] apparaissent, elles signifient que nous n’avons localisé aucune date postérieure à celle de l’établissement de la commission par la Convention nationale. 47. Ibidem., t. 73, p. 171-172. 48. Le 22 octobre 1793, la Convention nationale décrète : « 1º qu’il sera formé dans le jour une commission pour examiner la conduite de Ronsin, Rossignol et autres généraux de l’armée de l’Ouest, et les véritables causes des désastres que la République a éprouvés dans la Vendée, pour lui en faire incessamment rapport ; 2º que l’Assemblée elle même nommera les membres qui doivent composer cette commission. », Archives parlementaires, op. cit., t. 77, p. 398. 49. À cette époque-là, Jacques-Nicolas Billaud-Varenne n’est pas encore membre du Comité de salut public. Il entre dans ce comité le 6 septembre 1793, le même jour que le député Jean-Marie Collot d’Herbois. 50. Archives parlementaires, op. cit., t. 73, p. 171-172. 51. Ibidem., t. 77, p. 453. 52. Ibid., t. 74, p. 52. 53. Jacques BALOSSIER, La commission extraordinaire des douze (18 mai 1793-31 mai 1793), L’ultime sursaut de la Gironde contre la prise du pouvoir par les Montagnards, Presses universitaires de France, Paris, 1986, 128 p., et Marcel DORIGNY, « La commission extraordinaire des douze », Jean-René SURATTEAU, François GENDRON (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 261-262. 54. Dans son ouvrage, Précis d’histoire de la Révolution française, Albert Soboul a écrit : « Le renforcement du Comité de salut public marcha de pair. Il se manifesta à la fois par la liquidation des Enragés et par le silence imposé à l’opposition dans la Convention », « Le silence fut imposé pour un temps à l’opposition au sein de la Convention, à la suite de l’un des débats les plus acharnés de l’Assemblée » ou « La Convention subjuguée maintint sa confiance au Comité de salut public », Albert SOBOUL, La Révolution française, nouvelle édition revue et augmentée du Précis d’histoire de la Révolution française, avec un avant-propos de Claude Mazauric et une bibliographie de l’œuvre d’Albert Soboul par Françoise Brunel, Gallimard, Mesnil sur l’Estrée, 2000, p. 318-319.

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55. Emilie CADIO, Le Comité de sûreté générale. Historiographie, personnel et fonctionnement (1792-1794), mémoire de DEA, sous la direction de Pierre Serna, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 2008-2009, dact. 56. Michel VOVELLE, « Avant-propos », Rives méditerranéennes, nº 18, 2004, p. 7-10. 57. Annie DUPRAT, « Note sur les travaux universitaires inédits de la période révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, [AHRF], nº 298, 1994, p. 769-776 ; « Notes sur les travaux universitaires inédits », AHRF, nº 306, 1996, p. 735-739 ; « Notes sur les travaux universitaires inédits », AHRF, nº 314, 1998, p. 783 ; « Travaux inédits », AHRF, nº 316, 1999, p. 355 ; « Liste des travaux soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 319, 2000, p. 151-162 ; « Liste des travaux soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 321, 2000, p. 143-149 ; « Liste des travaux soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830). Années universitaires 1996-2000 », AHRF, nº 323, 2001, p. 103-113 ; « Liste des travaux soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830). Années universitaires 1996-2000 », AHRF, nº 325, 2001, p. 113-120 ; « Liste des travaux universitaires soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 328, 2002, p. 203-209 ; « Liste des travaux universitaires soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 331, 2003, p. 157-165 ; « Liste des travaux universitaires soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 333, 2003, p. 149 ; Annie DUPRAT et Hervé LEUWERS, « Liste des travaux universitaires soutenus portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 337, 2004, p. 167-183 ; Hervé LEUWERS, « Travaux soutenus devant les universités portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 341, 2005, p. 151-163 ; Annie CRÉPIN, « Travaux soutenus devant les universités portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 345, 2006, p. 143-167 ; « Travaux soutenus devant les universités portant sur la période révolutionnaire (vers 1750 - vers 1830) », AHRF, nº 349, 2007, p. 159-178 et Pascal DUPUY, « Travaux inédits » AHRF, nº 354, 2008, p. 177-196. 58. « Introduction : présentation d’une enquête en cours », Rives méditerranéennes, nº 18, 2004, p. 11-18. 59. Michel VOVELLE, op. cit., [mise en ligne le 6 décembre 2006, http://rives.revues.org/563, non paginé]. 60. Voir http://ser.hypotheses.org/29 ainsi que http://ser.hypotheses.org/22 [La Révolution- française.fr. Le carnet de la Société des Études robespierristes]. 61. Selon l’article 1er du Code civil du Chili, rédigé par Andrés Bello (1781-1865) : « La loi est une déclaration de la volonté souveraine qui, manifestée en la forme prescrite par la Constitution, ordonne, prohibe ou permet ». 62. Il est difficile de comptabiliser le nombre des comités sous chaque assemblée parlementaire, étant donné le nombre important de réunions, de scissions, d’absorptions et de recompositions qui ont eu lieu. En fait, le nombre de comités peut varier de mois en mois. À cet égard, dans l’annexe nº 2 qui accompagne cette introduction, nous avons réalisé deux comptages. Le premier prend en considération les comités sous chaque assemblée parlementaire et le deuxième tous les changements que ces comités ont pu subir. Dans le tableau nº 4, nous soulignons les deux comptes, mais pour réaliser les graphiques nous employons le compte nº 1 (calcul nº 1). En ce qui concerne l’Assemblée nationale constituante et l’Assemblée législative, ce compte se localise dans la colonne qui porte le titre de « nom ». Pour la Convention nationale, ce compte se localise dans la colonne intitulée « Références (R) et travaux (T) ». 63. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit., p. 465-478. 64. Ibidem., p. 483-492. 65. Ibid., p. 440-445.

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66. Henri OLIVE, L’action exécutive exercée par les comités des assemblées révolutionnaires, thèse, sciences politiques et économiques, faculté de droit d’Aix, Marseille, Imprimerie nouvelle de Marseille, 1908, 157 p., dact. ; André JABIN, Les comités révolutionnaires (1793-1794). Leur rôle politique, thèse de doctorat, Université de Paris, faculté de droit, 1945, dact. ; DELAGRANGE, Le premier Comité de constitution (1789), ses vues et ses projets. Un moment d’éclat du parti royaliste libéral en 1789, thèse de doctorat, Paris, A. Rousseau, 1899, in-8º, 233 p. ; Anne Marie BERGH, Le Comité de législation et le droit de la famille dans les deux premiers projets de Code civil, thèse, faculté de droit, Paris, 1956, 211 p., dact. ; Jean-Louis THAON, L’œuvre du deuxième Comité de salut public et de l’idée égalitaire (du 10 juillet 1793 au 9 thermidor an II), thèse, faculté de droit de l’Université de Paris, Paris, Imprimerie Bonvalot-Jouve, 1907, in-8º, 275 p. ; René BELIN, Un représentant en mission dans ses rapports avec la Convention et le Comité de salut public, Etienne Maignet, thèse de doctorat (sciences politiques et économiques), Université de Droit, Ambert, Imprimerie Migeon, 1921, in-8º, 109 p. ; Julien BOUDON, op. cit. ; Raphaël MATTA-DUVIGNAU, op. cit. ; Louis CARTOU, Étude comparée du gouvernement provisoire du 10 août 1792 et du gouvernement provisoire de 1793-1794, thèse, droit, Université de Paris, 1948, dact. 67. Serge ABERDAM, L’élargissement du droit de vote entre 1792 et 1795 au travers du dénombrement du Comité de division et des votes populaires sur les constitutions de 1793 et 1795, thèse soutenue en Sorbonne le 15 février 2001 sous la direction de Jean-Pierre Jessenne ; Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit. ; Camille RICHARD, Le Comité de salut public et les fabrications de guerre sous la Terreur, thèse pour le doctorat ès lettres, Paris, Librairie F. Rieder et Cie, 1921, 835 p. ; Georges BELLONI, Le Comité de sûreté générale, thèse d’histoire, faculté de lettres de l’Université de Paris, Paris, Éditions Louis Arnette, 1924, in-8º, 632 p., dact. 68. Henry INGRAND, Le Comité de salubrité de l’Assemblée nationale constituante. Un essai de réforme de l’enseignement médical, des services d’hygiène et de protection de la santé publique, thèse de médecine, Paris, 1934, 174 p., dact. 69. Martine SIN BLIMA BARRU, Rôle du Comité des décrets et du Comité des archives, 1789-1795, mémoire de DEA, sous la direction de Jean-Clément Martin, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne ; Sandrine BOUCHÉ, Grégoire au Comité d’instruction publique, juin 1793-octobre 1795, mémoire de DEA, sous la direction de Florence Gauthier, Université Paris VII - Denis Diderot, 2004 ; Maryse BOILEAU, Le Comité de législation : d’une fonction administrative à une fonction gouvernementale, mémoire de DEA, histoire des institutions et des faits sociaux, Université Panthéon-Assas, 2 tomes, 1984, 104 p. ; et Emilie CADIO, op. cit. 70. Juliette RIADNEY, Le Comité d’agriculture de la Convention en 1793-1794, mémoire de Maîtrise, sous la direction de Florence Gauthier, Université Paris VII, 1998, dact. ; Souad DEGACHI, Barnave, rapporteur du Comité des colonies, 1789-1791, mémoire de Maîtrise, sous la direction de Florence Gauthier, Université Paris VII, 2003, dact. ; Révolution Française.net éditions, Septembre 2007, 153 p. ; Emmanuel de BARRIGUE DE FONTAINEAU, Organisation et fonctionnement du Comité de Commerce, Université de Paris IV, mémoire de Maîtrise, sous la direction de Jean Tulard, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 172 p. [sans date], dact. ; Alain COHEN, Le Comité des inspecteurs de la Salle de la Convention nationale, de 1792-1795, mémoire de Maîtrise sous la direction de Michel Biard, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 2003, 185 p., dact. ; Martine CROHIN, L’éducation et l’instruction publique sous la Révolution (1789-1794), d’après les archives parlementaires et les procès- verbaux du Comité d’instruction publique, mémoire de Maîtrise, sous la direction de René Grevet, Université de Lille III - Charles de Gaulle, 2002, dact. ; et Jacky REBIBO, Les agents du Comité de Sûreté générale, An II, mémoire de Maîtrise, sous la direction de Michel Vovelle, Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, 1988, dact. 71. Henri OLIVE, op. cit. 72. Martine CROHIN, op. cit.

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73. Voir . Voir aussi : AB XIX 3054-3056B et AB XIX 4393-4403 Fonds Pierre Caron. 74. MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX ARTS, op. cit., p. 3. 75. Pierre CARON, La commission des subsistances de l’an II. Procès-verbaux et actes, Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française, Paris, Ernest Leroux, 1924, 384 p. 76. Pierre CARON et Philippe SAGNAC, op. cit. 77. Pierre CARON, Les papiers des comités militaires de la Constituante, de la Législative et de la Convention (1789-an IV), Paris, Archives nationales, 1912. 78. Pierre CARON, « Le fonds du Comité de sûreté générale », La Révolution française. Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. LXXXVI, janvier-décembre 1933, Paris, Aux éditions Rieder, p. 5-28. 79. Charles SAMARAN, « Pierre Caron », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1953, t. 111, p. 326. 80. Pierre CAILLET, « Les archives du Comité de salut public », Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire publié par F. A. Aulard, Suppléments, préparés par l’Institut d’Histoire de la Révolution française, sous la direction de Marc Bouloiseau, Paris, Bibliothèque nationale, 1966, p. XIII-XXX. 81. Pierre CAILLET, Comité des recherches de l’Assemblée nationale : 1789-1791 : inventaire analytique de la sous-série DXXIX bis, Paris, Archives nationales, 1993, 938 p. 82. Pierre CAILLET, Les Français en 1789. D’après les papiers du Comité des Recherches de l’Assemblée Constituante (1789-1791), Paris, Éditions du CNRS, 1991, 291 p. 83. Martine SIN BLIMA BARRU, op. cit. 84. Dans le cadre de nos recherches postdoctorales nous avons réalisé un premier tableau qui contient le nom de tous les comités, commissions, commissaires ou inspecteurs de chaque assemblée parlementaire. Nous avons souligné, en premier lieu, la date de leur création et la dernière notice localisée sur chacun d’eux ; nous avons noté en deuxième lieu s’ils sont le produit d’une réunion, d’une scission, d’une fusion ou d’une absorption, et en troisième lieu les comités ou les commissions avec lesquels ils partagent certains travaux. Il nous reste à faire les index pour procéder à la publication. 85. En prenant en compte le personnel qui configure les différentes commissions que nous avons localisées, nous avons établi que trois types de commissions ont été mises sur pied au cours des différentes assemblées parlementaires : les commissions internes —constituées exclusivement par des députés du corps législatif—, les commissions mixtes —constituées pour une partie de députés du corps législatif et par des individus qui n’ont pas le statut de députés de l’Assemblée— et les commissions externes —constituées exclusivement par des individus qui n’appartiennent pas au corps législatif. Cette nomenclature —interne, externe et mixte— est encore provisoire. 86. Ivo RENS, « Les commissions parlementaires en droit comparé », op. cit., p. 310. Dans cet article, Ivo Rens souligne : « Dès 1789, l’Assemblée nationale constituante, à peine formée par la réunion des trois ordres, organisa des comités permanents. La Législative conserva le système, et la Convention l’amplifia considérablement. » 87. Raphaël MATTA-DUVIGNAU, op. cit. 88. Julien BOUDON, op. cit. 89. Serge ABERDAM, op. cit. 90. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit. 91. Martine SIN BLIMA BARRU, op. cit. 92. Émilie CADIO, op. cit. 93. Sandrine BOUCHÉ, op. cit. 94. Juliette RIADNEY, op. cit. 95. Souad DEGACHI, op. cit. 96. Alain COHEN, op. cit.

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97. Martine CROHIN, op. cit. 98. « Histoire de l’instruction publique (1789-1795) », Informations diverses, Calenda, publié le mercredi 31 janvier 2001, < http://calenda.revues.org/nouvelle610.html >. 99. Josiane BOULAB-AYOUB et Michel GRENON, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique, publiés et annotés par J. Guillaume, nouvelle édition présentée, mise à jour et augmentée par J. Ayoub et M. Grenon, Paris, Éditions de l’Harmattan, 1997-1998, 17 vols. 100. Cheminant, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant, ANTONIO MACHADO, « XXIX, Proverbios y Cantares, Campos de Castilla », Poesías completas, Madrid, Espasa Calpe, 2003, p. 239-240.

AUTEUR

MARIA BETLEM CASTELLÀ I PUJOLS (Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne/ Universitat Pompeu Fabra)

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Note sur le Comité de division et quelques problèmes liés Notes on the Division Committee and a few other questions

Serge Aberdam

1 Si l’on veut traiter des comités des assemblées révolutionnaires sous l’angle de la production des lois, il faut s’attendre à ce que la quantité de textes produits soit plus ou moins mesurable, à la différence de leur importance (politique, sociale, juridique…), ou du moins que la mesure de leur qualité dépende d’indicateurs à définir. On est donc amené à considérer l’ensemble des comités, une collection d’une extrême variété dans laquelle il faut établir quels sont les circuits de production de lois, depuis l’établissement d’un « besoin législatif » jusqu’au vote des textes en passant par leurs modes d’élaboration et de discussion.

2 Dans le repérage de ces circuits, il faudra également distinguer entre le travail des comités proprement dits et celui d’autres instances administratives et politiques, ministères ou commissions exécutives, mais aussi commissions formées par les diverses Assemblées qui, singulièrement sous la Convention, sont bien distinctes des comités permanents et n’en effectuent pas moins d’important travaux préparatoires. Conçues pour des missions ponctuelles, les commissions paraissent souvent des organes subalternes, ce qui serait marqué par le fait que leurs effectifs sont facilement pairs. Une dizaine de ces commissions sont par exemple dites « des six », genre de chiffre qui peut laisser penser qu’elles ont été composées non pour dégager une majorité mais pour respecter une parité d’opinion sur la question qu’il s’agit de creuser, soit qu’un comité lui délègue une de ses responsabilités, soit qu’on y organise la confrontation entre plusieurs comités. Ceci étant, il est évident que, sous la convention thermidorienne, la commission des Onze, impaire et transversale, qui aura la charge d’élaborer la Constitution de 1795, deviendra quasiment un comité ; mais ce modèle d’une commission de constitution ne faisait que reprendre en grand celui employé deux ans plus tôt lorsque le Comité de salut public y avait eu recours pour faire avancer en urgence le projet de 1793, après les échecs rencontrés par les comités élus successivement depuis le début de la session.

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3 Il faut donc également se pencher sur les nuances entre comité et commission. Dans le cas du maximum des fermes1 (limitation de la taille des exploitations en location), c’est- à-dire d’un projet puissamment poussé en avant par certaines assemblées électorales de 1792, le débat législatif, très serré, se joue entre la commission des subsistances2, le Comité d’agriculture, le Comité de législation et sa commission du code civil. Ce qui est en jeu n’est pas seulement le sort d’un segment décisif de la production agricole, autour des grands fermiers du nord et du bassin parisien, mais aussi la limite entre décisions législatives, permanentes, et mesures d’exception.

4 Le cas du Comité de division3 montre la façon dont l’activité d’un comité peut changer de nature, malgré la permanence de son appellation (1789-1795). En 1790, ce comité prépare une foule de décrets sur l’organisation territoriale et politique mais, sous la Convention, il se transforme et, tout comité d’assemblée qu’il reste, il fait aussi figure de (petite) administration centrale et d’organisme scientifique. Sa production proprement législative, massive donc au début de la période, devient progressivement plus faible alors même qu’il manipule une masse de dossiers énorme qui devient une ressource administrative durable, assez considérable pour que sa séparation en plusieurs lots passe ensuite longtemps inaperçue mais assez politiquement sensible pour avoir été l’objet de ce démembrement. La cause en est que le comité avait été chargé d’organiser les élections législatives directes destinées à remplacer la Convention, élections qui n’eurent jamais lieu.

Le Comité de division de la Convention, entre division, distribution et représentation

5 Formé dès le début de la session de la Convention, ce comité prend formellement la suite de son homonyme à la Législative et de son prédécesseur à la Constituante mais avec d’importantes évolutions. A la Constituante, la fonction principale de la section de division du Comité de constitution avait été la création des départements et le découpage territorial qui en découlait pour les districts, cantons et communes, création déjà largement étudiée4. Cette responsabilité s’était étendue, au titre de la représentation, à l’établissement des tableaux de population chiffrés5 en conséquence du triple critère adopté par la Constituante pour fixer le nombre de représentants à la future Assemblée législative, soit la superficie des départements, leur population et la masse des impositions directes payées. La section de division avait obtenu des données sur les effectifs de citoyens actifs, voire sur les chiffres de population et parfois sur les niveaux d’imposition directe, grâce aux assemblées administratives des départements et districts. D’où les données fragiles de ce qu’on appelle parfois le « recensement » de 1790-1791, où les chiffres départementaux du comité sont confrontés à ceux de celui des contributions. Mais c’est quand il s’est agi d’établir des données détaillées que la section de division a commencé d’affirmer une compétence particulière.

6 Le rapport final6 des commissaires adjoints au Comité de constitution pour la division, présenté en septembre 1791 par Pierre-François Aubry-Dubochet lors de la séparation de la Constituante suppose que la Législative remette l’ensemble de la division du royaume en chantier par une procédure décentralisée diminuant radicalement le nombre des communes, cantons et districts, voire des départements7. Il n’en sera rien : la Législative, qui n’a pas de raison de conserver un Comité de constitution, met bien en place un Comité de division8, mais pensé pour un rôle moindre que celui de la

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Constituante. Chargé de gérer l’énorme contentieux qu’a fait naître la refonte totale de l’organisation administrative et territoriale, ce comité doit également faire face aux délicats problèmes de la circonscription des paroisses9, en application de la Constitution civile du clergé, ainsi qu’à ceux entraînés par la régularisation du placement des études notariales10. A l’évidence, dans les deux cas, il s’agit d’une matière complexe, d’exercices administratifs longs et minutieux aux implications politiques locales ardues mais en aucun cas d’innovations radicales en matière de division du territoire. Le comité de la Législative hérite également des charges du Comité de vérification (des pouvoirs11) de la Constituante, chargé de la certification de la représentation des départements à l’Assemblée à partir des procès-verbaux des assemblées électorales, et des suppléants12. Certains indices laissent également penser que les questions d’organisation électorale relèvent du comité. En mars 1792, lorsque François de Neufchateau s’adresse à la Législative sur un point en apparence mineur (le statut des secrétaires des administrations de district) qui vise en fait à introduire le principe de listes de candidatures dans les élections13, et après un débat acharné, sa motion tendant à simplifier le mode électif n’est pas imprimée mais renvoyée au Comité de division. Le comité est ainsi jugé compétent sur ces questions, même si dans ce cas c’est pour enterrer la proposition, régulièrement repoussée pendant la décennie14. Il faut enfin signaler que la Constituante avait créé, dans ses derniers jours, un bureau du cadastre15 qui assure, en matière de chiffrage des populations, la continuité des conceptions issues de l’Académie des sciences, c’est-à-dire le calcul des populations à partir des chiffres de naissances. C’est dire la méfiance durable que rencontre la méthode du dénombrement direct, puisque les conceptions du bureau du cadastre sont à l’inverse de celles issues du Comité de division.

7 Après l’insurrection d’août, La Convention est élue pour préparer une nouvelle Constitution ; elle envisage d’emblée, comme Pétion l’avait demandé dès 1789, de fonder désormais la représentation nationale strictement sur la population, et non plus sur les trois critères combinés retenus par la Constituante, mais aussi de refonder la division territoriale du pays, sans perpétuer nécessairement celle établie par la Constituante. On est dans le prolongement des propositions finales du rapport Aubry dont témoigneront, par exemple dans le projet constitutionnel présenté en février 1793 par Condorcet, à la fois la suppression des districts et la volonté réaffirmée à maintes reprises d’aller vers la création de grandes communes, en nombre fortement réduit. Le nouveau Comité de constitution, au départ aussi prestigieux que son ancêtre de la Constituante, accapare très normalement toutes les discussions de fond sur les réformes de la représentation nationale comme de la division du territoire. Cette ambition refondatrice en matière d’organisation du territoire ne peut apparaître que comme extrêmement menaçante pour la foule des intérêts locaux qui s’étaient accommodés victorieusement des travaux de la section de division sous la Constituante.

8 Le Comité de division de la Convention est élu le 13 octobre, élection qui semble témoigner de l’importance de l’enjeu : il y a près de 200 candidats pour les 24 places16 et, même si rien n’est strictement comparable vu la complexité des stratégies lorsqu’on peut être élu à divers comités et décider ensuite de son assiduité, cette pression pour accéder au comité est proche de celle qu’on rencontre dans des comités aussi prestigieux que celui de constitution. La continuité est affichée par la dénomination identique et la composition initiale du comité17 où l’on retrouve dix-sept de ses membres de la Législative parmi les vingt-quatre titulaires et huit sur les douze suppléants18. Même continuité dans la gestion du contentieux de division du territoire

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et de représentation politique : dès le 20 octobre19, le comité traite systématiquement de l’admission des députés suppléants et, le 27, lorsqu’il est saisi d’un projet de réduction du nombre des districts, il statue que « quant à présent, il n’y a rien à délibérer », même si cette prudence initiale est bien compréhensible. Le 30 octobre, il présente le rapport sur le placement des assemblées électorales qui vont renouveler les autorités des départements et des districts. Les paroisses et matières ecclésiastiques ainsi que la circonscription des études notariales font également partie de ses compétences… En fait, de la fin 1792 au printemps 1793, le comité de la Convention regroupe progressivement toutes les fonctions des comités de la Constituante et de la Législative, et leur donne une nouvelle signification.

9 L’importance des méfiances déjà évoquées envers les projets de nouvelle division ont pu contribuer à la mise en échec, en février 1793, du projet constitutionnel de Condorcet avec ses grandes communes puis à l’isolement de ceux qui avaient porté ces projets à la Convention et, enfin, au rassemblement de forces diverses autour de la Montagne, laquelle se garde comme telle de se compromettre sur de tels sujets. En ce sens, le Comité de division de la Convention est extrêmement réservé, dès la fin 1792, sur la remise en cause du schéma des districts et des départements, au moins jusqu’à l’acceptation par le peuple de la future constitution. Le travail envisagé sur un nouveau découpage est significativement réparti le 16 février 1793 entre tous les membres du comité20, indépendamment de leur implication réelle dans ses travaux : façon aussi de signifier que rien ne presse. Cependant, la pression des communes ou des districts qui veulent obtenir des modifications du découpage existant ne fait que se renforcer, peut- être en réaction à la rumeur d’une réforme à venir. Dans la mesure où la Convention continue à renvoyer ces demandes au comité, la nécessité apparaît de leur répondre, au moins en affichant les principes adoptés. Encore le 2 mars 1793, le tout récent district de l’Ouvèze voit opposer une fin de non-recevoir à sa demande de quitter le département de la Drôme pour celui des Bouches-du-Rhône21. Les cas d’espèce qui réclament des solutions urgentes se multiplient pourtant et des rapports sont transmis à la Convention pour qu’elle tranche. Les retards qui s’accumulent à dater de février 1793 sur l’élaboration de la Constitution ne laissent en effet plus la possibilité d’y renvoyer toutes les demandes, d’autant que le comité doit se préoccuper de questions nouvelles et délicates, celles de la représentation des nouveaux départements, à mesure des nombreuses réunions de l’hiver 1792-1793. Il s’agit de gérer, après les votes, l’intégration de ces nouveaux territoires (Avignonnais, Savoie, Jura Suisse, Comté de Nice, confins septentrionaux de la Lorraine et de l’Alsace et enfin Belgique...). Cette extension des missions ne fait cependant qu’accompagner la transformation de l’organisme.

10 Après la séparation du premier Comité de constitution de la Convention (février 1793), le Comité de division a envisagé de prendre l’initiative de rendre possible une réforme d’ensemble de la représentation, cette fois fondée sur la population du pays, ce qui exige la coopération des cadres administratifs existants et une correspondance étendue. Depuis octobre 1792, on débat non seulement du futur mode de désignation de la future représentation nationale, par élection directe ou indirecte, mais aussi du découpage de circonscriptions adaptées à cette désignation et de leur éventuelle correspondance avec le découpage administratif ce qui, dans un système purement électif, aurait des conséquences immédiatement politiques. Progressivement, le Comité de division hérite de ces diverses préoccupations ou bien tente de les concentrer dans ses mains. L’affaire suppose de mener un âpre débat sur les prochaines élections, dans

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les circonstances du printemps et de l’été 1793. Pourtant, entre les 6 et 15 mai, il semble se dégager un consensus entre Gironde et Montagne sur une séparation entre division administrative et circonscriptions de représentation22 que l’on retrouvera dans l’orientation du Comité de division et dans la Constitution qui sera finalement adoptée. Dès ce moment, avant le dénouement de la crise, le comité saisit au bond le consensus existant et, sans intervenir ès qualité à la tribune, se comporte comme une sorte de branche du comité chargé de la constitution, comme en 1790. Il entame une démarche de division électorale du territoire destinée à rendre possible les élections sans entrer dans le débat sur la division administrative, les districts et les grandes communes.

11 Fin mai, la généralisation des affrontements entraîne la paralysie de l’Assemblée, l’insurrection parisienne des 31 mai-2 juin et… la formation de la commission adjointe au Comité de salut public pour faire avancer au plus vite le projet de constitution. Mais une majorité parlementaire subsiste autour de la distinction entre représentation politique et division administrative, ce qui évite d’avoir à proportionner le nombre de députés à élire à la population des départements existants et entraîne la création de circonscriptions spécifiques, électorales23, qui devront être égales en population. Comme dans toute décision de ce type, le poids électoral relatif des villes et des campagnes est au centre du débat : aucun conventionnel ne peut ignorer que la réduction du poids politique des villes serait la conséquence mécanique du passage à des circonscriptions de population strictement égale. La démarche du comité vise à établir cette nouvelle représentation pour rendre possible au plus tôt une issue électorale à la crise politique. Ce projet, démarré dès mai 1793, se prolonge pendant l’élaboration et l’adoption de la Constitution pour ensuite se prolonger pendant le Gouvernement révolutionnaire.

12 Il faut pour créer les circonscriptions électorales disposer d’un chiffrage territorial plus fiable dans le détail que les résultats très critiqués de l’enquête de 1790-1791. L’adoption et l’envoi d’un modèle spécifique de tableau sont arrêtés au comité le 11 mai, lors de sa 22ème séance24, d’après un projet présenté par Bassal qui améliore un modèle de tableau antérieur, inspiré lui-même de ceux de la Constituante. On y demande : la superficie de chaque district ; la liste des cantons et municipalités ; le nombre des paroisses ; la qualification des villes, des bourgs ou des simples municipalités ; les jours où il s’y tient foire ou marché ; la population respective de ces villes, bourgs et municipalités (pour 1793) ; le nombre de naissances, mariages et décès (pour 1792) ; le nombre d’assemblées primaires ; le nombre de votants ; le nombre d’électeurs ; les observations de chaque administration de district.

13 L’enquête, dès son début, est donc centrée sur des informations chiffrables que les administrations des districts peuvent maîtriser ou que les municipalités peuvent leur procurer assez vite. La demande d’information sur les naissances, mariages et décès pour 1792 est à tous égards significative. L’intérêt pour ces données trouve son origine dans les travaux des dernières années de l’Ancien régime avec les recherches présentées à l’Académie des sciences en 1783 sous la signature de Condorcet, Laplace et Du Séjour, insistant sur la nécessité de disposer de séries continues de chiffres sur une période d’une dizaine d’années si l’on veut établir les rapports fixes supposés exister, par exemple, entre les naissances et la population. Dans la mesure où rien n’indique que le projet d’enquête de 1793 soit à l’origine pensé comme initiant une opération répétitive, on peut supposer que les informations sur les naissances, mariages et décès ont plutôt été demandées comme des moyens de vérifications ponctuelles, que pour

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constituer une nouvelle source d’information régulière. Le comité est-il décidé à ne considérer que les dénombrements effectifs, ou envisage-t-il aussi des calculs par coefficients à partir de données vérifiables ? A ce moment, la question est loin d’être réglée parmi les savants et parmi les administrateurs.

14 Les informations relatives aux lieux et dates des foires et marchés25 ne permettent à leurs utilisateurs de ne déduire que des lieux et des dates dans l’année ; il n’y a de question ni sur l’orientation ou les volumes échangés ni sur l’ancienneté de la création ni sur les ressources fiscales qui peuvent en résulter, dans la mesure où le Comité de division n’a aucune attribution fiscale ou économique. Cette recherche d’information paraît bien orientée vers la détermination des points de rassemblement fréquentés par la population26. La préoccupation du comité est directement l’élaboration d’un nouveau réseau praticable d’assemblées primaires et d’assemblage de ces dernières en circonscriptions, pour des élections directes.

15 Le questionnaire imprimé est diffusé avec une première circulaire aux seuls départements entre le 10 et le 14 juin27 puis des envois aux districts, datés des 18-21 juin. La masse des documents à expédier est assez considérable, tributaire des délais d’impression des milliers de tableaux vierges de grand format qu’il faut mettre en liasse et sous plis avant envoi. Ces besoins matériels expliquent mieux le décalage chronologique de mai à juin que ne le fait la crise politique qui se produit au même moment, même si cette dernière a pu suspendre provisoirement les opérations. L’indication de la date initiale du 11 mai est précisément reprise par la lettre imprimée d’envoi datée de juin : « Le Comité de division, (...) dans sa délibération du 11 mai »... ce qui souligne la datation du projet d’avant la réussite des journées insurrectionnelles. Le comité prend donc soin d’afficher le début effectif de l’enquête comme prolongeant une décision de la Convention girondine. Il est cependant probable que les dates d’envoi des questionnaires ont pu alors donner l’impression d’une décision consécutive à la formation d’une nouvelle majorité, après la « purge » de la Convention le 2 juin, et donc d’une décision montagnarde.

16 Dès ce moment, la conduite du comité tranche par sa précision et son caractère pratique sur les initiatives, par exemple, du ministre de l’Intérieur Garat qui a lancé de son côté en mars une enquête sur la population limitée aux municipalités au-dessus de 2 000 âmes mais qui, dans une lettre de relance du 17 juin28 aux départements, signale qu’il s’agit de dresser le « tableau général de la population de la république ». La confusion avec les circulaires du Comité de division devient alors à peu près inévitable mais s’aggrave avec la prolifération des enquêtes émises par Garat qui, avec l’administration qu’il dirige, semble alors perdre contact avec les réalités, élaborant des projets ingérables dont, après le long questionnaire rédigé pour les agents du ministère en mai 1793, celui préparé à la fin juillet 1793, destiné directement aux municipalités et qui ne compte pas moins de 190 rubriques29 à remplir ! Dénoncés à ce sujet par Collot d’Herbois le 2 août, Garat et Champagneux doivent s’expliquer devant la Convention et rien ne prouve que ces questionnaires, arrêtés à la Poste, aient pu finalement partir.

17 Le Comité de division garde un plus grand sens pratique et un flair politique certain. Ses premières circulaires sont centrées sur les chiffres de population à obtenir et restent discrètes sur le contenu des autres questions du tableau qu’elles accompagnent. On est à quelques jours seulement de la publication (24 juin) de la nouvelle Constitution qui va changer les définitions du droit de vote et le mode d’élection législative, ainsi que du décret (27 juin) qui va convoquer les assemblées primaires pour le vote

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constituant et fixer la délimitation intérimaire, très souple, du droit de vote. De fait, le débat sur ces aspects électoraux reste extrêmement vif à la Convention jusqu’à l’adoption finale du projet, avec des modifications importantes les 12-14 juin sur la taille optimale d’une assemblée nationale ou sur le niveau de population qui déterminera la création des nouvelles circonscriptions législatives.

18 En février, le premier Comité de constitution avait adopté, avec le projet Condorcet, le seuil de 50 000 habitants par circonscription pour quelques 500 députés. En mai, Thirion30 a proposé une assemblée de 1 000 représentants, permettant l’abaissement des circonscriptions à 25 000 âmes, pour avoir « au moins la démocratie représentative, c’est-à-dire un véritable peuple de représentants »... La base considérée était donc de 25 millions d’habitants. Salle, dans son rapport du 15 mai, donne la même évaluation. La taille initiale des circonscriptions doit augmenter (Ducos : 100 000 âmes), pour tenir compte des réalités démographiques. Ramel-Nogaret et Levasseur s’accordent pour partir plutôt de ce que l’on considère comme la taille souhaitable pour une Assemblée nationale31. Ils comptent environ 540 députés pour des circonscriptions de 50 000 âmes, soit 27 millions d’habitants, chiffre compatible avec les résultats les plus élevés recueillis en 1791-1792 augmentés des nouveaux départements. Thuriot préfère une assemblée de 600 députés, ce qui s’avère une position majoritaire, et Ramel propose des circonscriptions de 40 000 âmes, ce qui est décrété avec une « fourchette » insérée dans l’article XXIII de la Constitution le 24 juin : « entre 39.000 et 41.000 âmes ». En vérité on a négocié au jugé pour se dégager de la base « géométrique » naguère proposée par Condorcet, soit des circonscriptions de 50 000 âmes et une chambre de 500 députés correspondant au chiffre – faux – de 25 millions d’habitants32. Les chiffres détaillés de la population restent en débat et le comité en est renforcé dans son projet de recensement.

19 Le décret du 27 juin convoque les assemblées primaires afin qu’elles se prononcent sur le projet d’Acte constitutionnel. Il annonce en même temps, par son article huit, l’élection à venir d’une nouvelle assemblée : « Immédiatement après la publication du voeu des assemblées primaires sur l’acte constitutionnel, la Convention indiquera l’époque prochaine de la réunion des assemblées primaires, pour l’élection des députés de l’assemblée nationale et la formation des autorités constituées ». Cet article confirme au comité l’importance de son initiative pour l’organisation d’élections législatives imminentes. Leur organisation33 serait proche de notre ctuel scrutin uninominal d’arrondissement à deux tours, avec ballottage. De la fin juillet au début août 1793, le comité prépare donc une organisation rapide des élections. Lorsqu’il refuse le 23 juillet de trancher entre Saint-Flour et Aurillac pour la fixation définitive du chef-lieu du Cantal, c’est parce que « la Convention nationale s’occupe des lois générales qui doivent donner l’activité et la marche de la nouvelle constitution », mais cette indication ne suffit pas à lever l’ambiguïté des termes que l’Assemblée emploie alors. Pour donner un seul exemple, alors nettement relevé en province34, la grande loi adoptée le 28 juin sur l’organisation des secours aux indigents (aux mères et aux enfants abandonnés, aux vieillards...), qui se réfère à de nombreuses reprises à l’action des communes et au ressort des assemblées primaires pour l’organisation des agences cantonales des secours, évite soigneusement d’employer les termes de département ou de district. Il n’est question que de circonscriptions, rarement de corps administratifs et parfois d’autorités supérieures. Quel peut être alors l’avenir des administrations

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existantes : vont-elles être refondues ? La question ne va plus cesser d’être posée dans l’hiver 1793-1794.

20 Dans une logique d’urgence, le Comité de division émet en juillet plusieurs circulaires dont l’objectif électoral est affiché. Il s’agit de former les réunions35 des assemblées primaires, c’est-à-dire dans les termes de la Constitution d’organiser les nouvelles circonscriptions pour le recueil des votes des citoyens lors des futurs scrutins législatifs. Il faut y impliquer les différentes administrations départementales et de districts, à la suite du vote populaire sur la Constitution. Par la suite, en août, la Convention et le Comité de salut public reportent l’application de la Constitution adoptée ; le comité accompagne le tournant mais va maintenir ses activités d’enquête pour rendre possible les élections annoncées, ceci pendant tout le premier Gouvernement révolutionnaire puis, après Thermidor, pendant le second, jusqu’à ce que le refus d’envisager des élections directes devienne évident.

21 Conséquence du report d’application de la Constitution, l’enquête connaît dans la seconde quinzaine d’août 1793 un important recadrage, sur une base essentiellement communale qui donne une dimension toute autre à ce travail. Selon les règles, le délai maximum à considérer est fixé par l’article 32 : « Le peuple Français s’assemble tous les ans, le 1er mai, pour les élections », ce qui fait que le comité se consacre d’abord à une opération de moyen terme, à échéance d’une dizaine de mois, dont on ignore alors à quelle point elle est difficile à concilier avec un premier recensement, au sens moderne, surtout si, la Constitution adoptée, il faut faire appliquer la nouvelle délimitation du droit de vote et que l’enquête prend donc un caractère normatif. Ces opérations devraient confronter les municipalités à l’obligation de redéfinir à la fois leur population et leur effectifs de citoyens, bases des élections à venir, d’une part celles des députés (au scrutin direct) et de l’autre celles des autorités locales (par Electeurs secondaires). L’ensemble implique des formes complexes de coopération avec les autorités locales qui seront cependant facilitées par les contraintes du Gouvernement révolutionnaire (décrets des 10 octobre et 4 décembre 1793), le retour à une centralisation de temps de guerre donnant des moyens de pression importants aux comités.

22 Le « durcissement » de la composition politique du comité à l’été puis à l’automne 1793 va de pair avec une diminution du nombre des membres actifs, qui peut avoir eu des causes politiques. La Convention a écarté la perspective d’élections rapides mais le comité, agissant selon les décrets des 11 et 20 août, prépare implicitement le cadre électoral qui doit permettre le remplacement de la Convention. Dans l’exercice des fonctions qu’il a héritées de ses prédécesseurs, en particulier le contentieux territorial, il est saisi de voeux d’instances locales, assemblées primaires ou généraux de communes. Pendant le Gouvernement révolutionnaire, le comité traite souvent du fonctionnement régulier des instances politiques locales ou y fait référence comme perspective d’avenir. Le 17 novembre 1793 (27 brumaire an II), au détour d’un projet de décret sur la mise en place des administrations du nouveau département de la Loire, le comité écrit : « Les membres élus continueront en conséquence d’exercer leurs fonctions jusqu’aux prochaines élections »... Tout se passe comme si le comité se considérait comme dépositaire d’une certaine normalité constitutionnelle, celle qui suppose la réunion des assemblées primaires le 1er mai prochain. Il continue à s’appuyer en ce sens sur le décret du 5 août qui le chargeait, avec le Comité de législation, d’une mission préparatoire sur la division du territoire. C’est, peut-on

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penser, le cadre où devrait travailler la commission des cinq. Dès la séance du 27 août du Comité de division, il a été question d’une prise de contact avec le Comité de législation sur « l’objet du décret du 24 août ». Si cette date est exacte, il s’agit des effectifs de la Levée en masse, mais s’il y a comme je le pense confusion avec l’enregistrement le 25 août, il s’agit de la mission très générale du Comité de division sur la division et la représentation, décrétée en conclusion du rapport Lacoste. Le 30 octobre (9 brumaire) le comité se fait en tout cas donner lecture du décret du 5 août sur la révision de la division du territoire et délègue ensuite deux membres auprès du Comité de salut public pour conférer avec lui sur cet objet.

23 Les orientations du Comité de division se confrontent donc sourdement tout au long de l’hiver et du printemps 1794 avec celles du Comité de salut public. Au-delà d’une masse documentaire considérable et de travaux historiographiques bien moins amples, il n’est pas aisé de préciser si le Grand comité a une conception arrêtée des choix à faire en matière de division du territoire. Mandaté jusqu’à la paix, ses préoccupations administratives sont avant tout d’efficacité. Dans ce sens, il est certainement favorable au maintien de l’autorité des districts, sur laquelle est fondée toute l’activité du Gouvernement révolutionnaire. Mais, dans le même temps, certains représentants en mission sont tentés de supprimer des districts trop petits, trop mal pourvus en administrateurs ou en ressources matérielles et humaines pour faire face aux réquisitions de tous ordres. En outre, les bureaux chargés en l’an II de l’approvisionnement des 14 armées de la République commencent à répartir certains districts en fonction de leurs complémentarités matérielles en non plus selon leur appartenance à tel département. La logique du gouvernement révolutionnaire commence à s’affranchir du cadre départemental, vécu comme dépassé. Au niveau plus élémentaire, celui des communes, on peut par ailleurs repérer une tendance du Comité de salut public à envisager une forte diminution de leur nombre, voire une rationalisation systématique : en pratique, il n’adresse ses circulaires qu’aux chefs-lieux de cantons. Autour d’enjeux de ce genre, matérialisant ce que certains protagonistes peuvent considérer comme des ruptures avec les règles constitutionnelles, on observe des passes d’armes feutrées mais bien réelles entre le Comité de salut public et celui de division. En arrière plan, en permanence, les soupçons réciproques portent sur la volonté de mettre en application la Constitution adoptée par le peuple. C’est en tout cas sur des préoccupations de ce genre, mêlant étroitement l’actualité du Gouvernement révolutionnaire et la perspective de la mise en application de la Constitution, que le Comité de division a consulté dans les premières semaines de 1794, sans pourtant que cette consultation soit explicite dans les procès-verbaux36.

24 Le 9 février (21 pluviôse), on enregistre en effet au comité non pas un simple courrier mais bien une réponse de Pierre François Aubry-Dubochet, l’ancien rapporteur de la section de division de la Constituante et auteur du rapport avec lequel les dossiers de la division du territoire avaient été transmis à la Législative : « Vous m’avez demandé, citoyens, mon opinion sur l’organisation du territoire françois pour la représentation nationale, et ce que je pensois sur la division actuelle de la France »... Il s’agit à la fois de la division et de la représentation. Aubry se prononce pour le maintien intégral des départements et districts, mais pour une refonte radicale des cantons et surtout des communes, dont le total serait ramené de quelques 44 000 à ...13 870 pour rendre possible le découpage des circonscriptions37. Mais c’est surtout la formule par laquelle il termine sa lettre qui mérite d’être citée ici, puisqu’il convient pour lui d’ « organiser toutes ces parties du gouvernement dans l’ordre le plus régulier possible, et faire ainsi

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marcher toute la Constitution à l’aide du gouvernement révolutionnaire dont le terme est le jour où tout le gouvernement constitutionnel sera en activité ». Dans le fond comme dans la forme, on aborde ici des sujets délicats, à la fois ceux du terme du gouvernement révolutionnaire et ceux de la mise en activité dès à présent de parties du gouvernement constitutionnel.

25 Son enquête ne représente qu’une partie des préoccupations du comité. D’autres travaux lui sont demandés, en plus du contrôle de la représentation politique38. Le 30 septembre 1793, le comité a lancé une circulaire pour organiser, à l’orée de la période de déchristianisation militante, une recension nationale des changements révolutionnaires des noms des communes. Devant ce phénomène en plein développement, un délai d’un mois seulement est envisagé pour que « les communes qui voudroient changer de nom eussent encore le temps de faire passer leur voeu à la Convention nationale ». Le Comité de division veut classer ces noms nouveaux « dans les différents arrondissements qui vont être formés ». De nombreux projets de dictionnaires administratifs, publics et privés, coexistent dans la période. Les changements révolutionnaires des noms de lieux vont entraîner un effort conjoint pour un projet de Dictionnaire des communes39, élaboré entre les comités de division et d’instruction publique.

26 D’autres exemples de missions conjointes apparaissent le 5 février (17 pluviose), lorsqu’en une seule séance le Comité de division est saisi à la fois par le Comité de salut public et par la Convention de deux opérations à mener avec le Comité des secours publics, l’une sur le placement des « Hospices d’humanité destinés au soulagement des indigents », l’autre sur les « moyens propres à mettre de l’ensemble dans la distribution des foires et marchés conformément au calendrier républicain »40. L’accumulation de ces demandes ne facilite ni la tâche du comité ni ses rapports avec ses interlocuteurs des comités de gouvernement. Il existe visiblement, à partir des tableaux qui remontent des départements et des districts, diverses versions d’une « nomenclature importante relative au gouvernement révolutionnaire et à la représentation nationale » dont il est à plusieurs reprises question dans les échanges avec le Comité de salut public. Il ne s’agit pas ici des noms révolutionnaires des communes, au sujet desquels le Comité de division suggère, le 14 février (26 pluviôse41), d’utiliser provisoirement les anciens noms. On peut penser que la nomenclature en question est celle dont parle Aubry dans le mémoire déjà cité, reçu le 9 février (21 pluviôse), présenté dès le 10 au Comité de division, et que l’auteur vient lire lui-même le 20 février (2 ventôse), « relativement à la représentation nationale ». Il s’agit donc de la nomenclature des localités qui pourraient devenir les centres des circonscriptions de 40 000 habitants à créer, lieux centraux de réunions des votes, nécessaires à l’élection du député. Pour cette nomenclature, Aubry propose d’ajouter à la liste des 560 chefs-lieux de districts existants 170 nouveaux points de réunion « pris intercalairement », pour parvenir au total des 730 députés prévus, en regard d’une population désormais estimée à quelques 29 millions d’habitants. Mais Aubry, qui raisonne à partir des données départementales de 1791, ignore très probablement ce que savent déjà en février 1794 les bureaux du Comité de division, même à partir d’un nombre limité de cas : la liste des 730 chefs- lieux de districts et des 170 « points intercalaires » ne peut suffire, car il faudra aussi renoncer à utiliser partie des chefs-lieux de districts existants mais qui n’ont pas la population nécessaire, ni n’en peuvent recevoir le complément de districts voisins, eux- mêmes déficitaires. Etablir une telle nomenclature suppose alors de rajouter dans les régions populeuses bien plus que 170 noms de localités comme lieux de réunions mais

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aussi de priver un certain nombre de chefs-lieux de cette fonction électorale, précisément dans des régions peu peuplées et qui ont été trop finement divisées en 1790. C’est le quadrillage global des districts qui, de proche en proche, volerait en éclats.

27 La logique de division géométrique de la population achoppe alors sur les nécessités de la continuité du contrôle administratif et politique du territoire. Opérer de telles modifications peut s’avérer en effet ardu, voire dangereux, dans la mesure où le Gouvernement révolutionnaire appuie son action essentiellement sur le réseau des districts dont la mesure envisagée menace de déclencher les protestations vives et immédiates. Pour une partie de ces districts42, la nomenclature pensée pour des élections ultérieures est une menace. Elle relie effectivement les deux régimes, l’exceptionnel (présent) et le constitutionnel (futur) et deux ordres de préoccupations, la représentation et la division : du point de vue du Comité de salut public, cette liaison ne laisse pas d’être inquiétante pour l’efficacité du Gouvernement révolutionnaire. A partir de ces journées du début février 1794, les réunions « extraordinaires » du comité et les « conférences » avec le Comité de salut public sont presque quotidiennes jusqu’en mars sur le « gouvernement révolutionnaire », sur « l’étendue des municipalités », en fait sur l’articulation des deux régimes, l’exceptionnel et le régulier. Une réunion commune avec le Comité de législation a lieu le 7 mars, pour « discuter sur la division du territoire, relativement aux communes, aux districts et aux départements : un membre propose de consulter le Comité de salut public pour savoir si son intention est que les deux comités réunis s’occupent de la discussion des bases sur la division des communes, des districts et départements ».

28 Derrière la déférence de l’appel au Grand comité, une certaine résistance est perceptible envers des projets qui sont inconstitutionnels. Le texte adopté par le peuple prévoit explicitement (art. 55) que « tout changement dans la disposition partielle du territoire français » relève des décrets que peut prendre le Corps législatif, lesquels ne sont pas soumis au vote des assemblées primaires avant d’être exécutoires, à la différence des lois qui doivent l’être, en particulier si elles sont relatives (art. 54) à « toute nouvelle distribution générale du territoire »... Adopter un projet d’ensemble à ce sujet, si l’on n’entend pas consulter les assemblées primaires, c’est assez clairement porter le fer dans la Constitution. Le 20 mai (1er prairial) Villers présente au Comité de division un rapport et un projet de décret sur la « réunion des municipalités de la république pour faciliter la marche du Gouvernement révolutionnaire ». Le comité ne précise aucunement s’il a adopté ce projet de décret, ce qui implique un désaccord maintenu, et délègue trois de ses membres, le rapporteur et deux « anciens », Mailly et Laboissière, pour présenter donc de façon contradictoire ce rapport de Villers et son projet au Comité de salut public. Il ne sera plus parlé provisoirement de ce projet de réunion des municipalités, dont on peut supposer que c’est le Comité de salut public lui-même qui avait tenté de le faire entériner par le Comité de division.

29 On peut donc légitimement se demander si ces tensions du début 1794 entre cadre constitutionnel et Gouvernement révolutionnaire, si les réticences discrètes mais réelles du Comité de division n’ont pas contribué à en faire un lieu peu fréquenté jusqu’à l’été, un lieu où seuls neuf députés sur vingt-quatre continuent à travailler. En tout cas, lors de la décision d’organiser les douze commissions exécutives du décret du 1er avril (12 germinal an II), il n’est visiblement pas question dans le plan adopté d’une commission prolongeant l’activité du Comité de division : c’est la future commission

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d’instruction publique qui sera chargée, parmi ses vastes attributions, de la « formation des tableaux de population et d’économie politique ». Cet indice n’est pas le seul : une nouvelle enquête décidée par Arrêté du Comité de salut public du 3 juin (15 prairial an II) porte nettement sur la population, avec des aspects démographiques et ne porte aucunement sur le droit de vote. Presque immédiatement, un autre Arrêté du 13 juin (25 prairial) attribue la formation de ces tableaux au Bureau du cadastre jadis fondé par la Constituante et qui, après avoir travaillé pour la commission des subsistances, fonctionne désormais dans le cadre de la troisième division de l’Agence des plans et cartes (formée par un autre arrêté du 8 juin43), subordonnée à la commission exécutive chargée des travaux publics. Même si l’ensemble administratif qu’essaie ainsi de mettre en place le Comité de salut public n’a pas encore les moyens d’une telle enquête44, la volonté de contourner le Comité de division n’en est que plus claire.

30 Ces tensions avec l’organe central du Gouvernement révolutionnaire n’empêchent pas encore le Comité de division de continuer à piloter l’enquête naguère décidée par la Convention. Dans des circonstances qui ont changé depuis l’été 1793, sa recherche obstinée de la création des circonscriptions électorales n’est pas univoque car la lenteur du procédé adopté a pu contribuer à légitimer le régime provisoire d’exception. Mais c’est l’état de guerre généralisée qui fonde depuis l’automne les décrets sur le Gouvernement révolutionnaire : les victoires de l’été 1794 posent d’emblée la question de la date des élections. On sait par ailleurs le refus qui est opposé à toutes ces demandes en juin-juillet, et ce qui s’ensuit.

31 Le projet de refonte de la division du territoire, qui revient régulièrement en débat en 1794, a été mis en échec jusqu’à Thermidor. Dès l’automne 1794, le débat s’engage à Paris comme dans le pays sur le passage au « mode constitutionnel de gouvernement », débat qui fait surface à la Convention en février 179545. Il ne s’agit plus, comme en février-mars 1794, de concilier la Constitution adoptée avec le mode de Gouvernement révolutionnaire mais bien désormais d’organiser le mode constitutionnel. Dans le cadre des attributions maintenues au Comité de division (décret du 24 août 1794, 7 fructidor an II) Bazoche est chargé le 1er janvier 1795 (12 nivôse), d’un rapport sur « la diminution à faire des communes ». En février-mars, le comité élabore effectivement une vaste réorganisation-fusion des communes en écartant d’emblée la création de municipalités de cantons mais en organisant (14 mars 1795 - 24 ventôse an III) une vaste consultation des municipalités. Le Comité de division « thermidorien » s’affirme ainsi attaché à des procédures démocratiques lourdes, proches du programme dont la Législative et la Convention avaient hérité avec le rapport Aubry de 179146, écartant ainsi la réforme des « grandes municipalités ».

32 Le 28 mars 1795 (8 germinal an III), Merlin de Douai47 propose de « mettre en activité » la Constitution (de 1793), en réunissant les assemblées primaires le 20 avril (premier floréal), délai curieusement court. Les comités de division et de législation seraient chargés sous quatre jours de présenter un décret « sur la manière de former les assemblées primaires et électorales, et d’en constater les résultats ». Le comité fait de son mieux pour boucler son enquête. Le 30 mars (10 germinal), il adresse une nouvelle circulaire, de diffusion limitée, à partir d’un état de réponses « imparfaites ou incomplètes » de quarante-deux districts, afin de terminer le travail. Cette circulaire sera la dernière et va effectivement guider les ultimes opérations. Mais ce même 30 mars, la Convention passe à l’ordre du jour sur le projet de Merlin. Le premier avril,

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une commission est nommée pour présenter des lois organiques, préalable désormais explicite à toute mise en œuvre d’un régime constitutionnel.

33 Quinze jours après l’envoi de la dernière circulaire de l’enquête, le 17 avril 1795 (28 germinal an III), le comité se préoccupe subitement de savoir si son plan de réforme des communes ne ferait pas partie des lois organiques dont la commission des onze est désormais chargée, dans le cadre du passage au régime constitutionnel. La réponse est visiblement affirmative et, à dater de cette séance d’avril, les réunions du comité vont s’espacer. Mailly siège pour la dernière fois le 13 mai 1795 (24 floréal), puis choisit de passer au Comité d’agriculture, devenu une quasi société savante. L’abandon définitif, après la dernière défaite des sans-culottes, de toute mise en activité de la Constitution de 1793 ne sonne pas la fin de l’enquête mais lui retire une grande partie de son importance, avec la réforme de la division du territoire sur laquelle les Thermidoriens ont fini par s’accorder. Le Comité de division se survit mal. Les derniers résultats remontés des districts ne sont pas reportés mais archivés. Le comité ne reprend vie qu’à l’extrême fin de la session « décidant » le 29 août 1795 de s’occuper de la préparation du « placement des tribunaux civils, commerce et police correctionnelle décrétés par la Convention », tâche pour laquelle il ne nomme que deux membres mais qui, équipés de la documentation accumulée au comité, seront en mesure de rendre cet important travail avant la fin de la session48. Depuis le printemps 1795, le comité a été totalement dessaisi de son objectif initial, mais le matériel reste en place.

Le personnel du comité de division et son profil politique

34 Le Comité de division de la Convention rassemble dès le départ des députés bien moins illustres que ceux par exemple du Comité de constitution. Par son recrutement, il aura toujours un profil essentiellement technique et gestionnaire mais, du printemps à l’été 1793, il s’empare de responsabilités toujours plus proches des enjeux constitutionnels et électoraux. Il est très probable que, depuis sa mise en place d’octobre 1792, un et plus vraisemblablement deux renouvellements partiels de ses membres ont déjà eu lieu qui ne semblent pas avoir laissé de trace au procès-verbal de la Convention (cf. Comité des inspecteurs de la salle), si ce n’est par des décisions de principe49, et ils apparaissent dans les procès-verbaux du comité avec la présence de nouveaux membres, comme Mailly. Le premier renouvellement que nous saisissons est celui du 18 juillet 1793, commun à tous les comités50. Au delà de l’évolution des fonctions de celui de division, qu’en est-il alors de sa composition ?

35 En cumulant les diverses listes officielles disponibles51 et en relevant les signatures sur les rapports, courriers, procès-verbaux et circulaires, il n’est pas trop difficile de connaître la quasi-totalité des membres que la Convention a élus à un comité donné. La comparaison de ces différents types de sources permet d’écarter les députés qui ont pu être élus au comité sans pour autant participer à ses travaux : tous les parlementaires ne sont pas des membres assidus des comités dans lesquels ils sont élus52. Sur le minimum de 83 membres de la Convention que cette assemblée élira au Comité de division pendant les trois ans de sa session, peut-être une dizaine apparaissent à plus de trois ou quatre reprises pour des rapports ou de simples interventions à ce titre dans les procès-verbaux de la Convention. Ceux qui sont présents régulièrement au comité pendant des périodes suivies sont à peine plus nombreux, entre quinze et vingt pour

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toute la session. La liste totale des élus au comité, combinant liste initiale et renouvellements, ne donne donc a priori qu’un ordre de grandeur53 et pas d’indication sur qui travaille réellement au comité dans la durée, en particulier pour ce qui concerne l’enquête qui nous intéresse. Mais la liste des membres élus résulte, dans son ensemble, d’une série de votes de l’Assemblée et on peut la considérer sous cet angle.

36 La liste initiale des vingt-quatre membres et des douze suppléants élus en octobre 1792 par une Assemblée alors sous forte influence girondine présente d’emblée une particularité intéressante : trois mois plus tard, en janvier 1793, dix-neuf des vingt-trois présents54 voteront la mise à mort immédiate du monarque. Parmi les douze suppléants, cette tendance ne se vérifie pas : leurs votes sur le sort du roi se partagent par moitié55. Cette composition du comité doit évidemment être rapprochée du peu d’enthousiasme, typiquement montagnard, qu’il manifeste pour les « grandes communes » ou la suppression des districts.

37 Le(s) renouvellement(s) du comité entre octobre 1792 et juillet 1793 peu(ven)t être reconstitué(s) au travers de ses procès-verbaux, en particulier à l’aide de celui du 16 février 1793, lorsque est prise la décision de répartir le suivi de l’enquête dans les départements entre les vingt-quatre membres en exercice. En dehors du/des tirage(s) au sort des premiers (et des seconds) sortants, les démissions du comité auxquelles il a fallu remédier depuis octobre 1792 peuvent avoir découlé de doubles appartenances ou de toutes autres raisons, et ne sont donc pas nécessairement significatives. Mais les remplacements peuvent être mis en parallèle avec les membres initiaux. La liste de vingt-quatre du procès-verbal du comité le 16 février 1793 est assez différente de celle d’octobre 1792 puisque, en comptant les intégrations de cinq anciens suppléants, ce sont quinze nouveaux membres qui sont apparus. Tel qu’il est alors constitué, sur vingt-quatre députés, le comité compte quinze membres qui viennent de voter la mort du roi (en particulier huit des neuf "anciens", membres depuis octobre 1792) mais désormais neuf qui ne l’ont pas votée. Dans l’ambiance dramatique autour du procès du roi, il semble que le(s) premier(s) complément(s) apporté(s) au Comité de division a/ont entraîné en pratique un modeste rééquilibrage politique. Les deux renouvellements suivants n’auront pas du tout ce caractère.

38 Celui de juillet 1793, juste après les journées insurrectionnelles et le changement de majorité, est clair : sur les douze membres élus en juillet et à l’exception d’un seul suppléant qui n’était pas encore arrivé en janvier, tous ont voté la mise à mort immédiate du roi. Alors que l’affrontement avec la Gironde n’est terminé qu’à Paris, cette discipline dans les votes recoupe la volonté de renforcer politiquement un comité dont une partie des anciens membres est visée par la purge en cours. Trois membres et anciens membres ont déjà dû fuir en juin : Couppé, Chambon et Lesage56, pendant que l’évêque Fauchet était assigné à résidence57. On comptera ensuite dans l’été deux arrestations, celles de Saladin et de Michel Lacroix, puis une démission prudente, celle de Lemaréchal. A l’automne, les mesures de représailles contre les girondins engloberont enfin Descamps. La purge aura donc été importante pour les membres et suppléants initiaux du Comité de division58 élu en octobre 1792 : si on inclut la démission de Lemaréchal, sept des vingt-quatre membres initiaux du comité ont été ou se sont eux-mêmes écartés de la Convention, ou même huit des trente-six en comptant les suppléants59, à nouveau moins impliqués. En anticipant quelque peu, on peut signaler la continuité de l’attitude ultérieure de la Convention : sur douze membres60 qui seront proclamés élus au Comité de division le 23 octobre 1793, il y en aura neuf qui

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auront voté la mort en janvier, plus deux députés suppléants qui n’étaient alors pas encore admis. La seule exception sera la désignation de Laboissière, sur laquelle nous reviendrons.

39 Malgré le manque d’autres indicateurs que les votes sur le sort du monarque, l’évolution d’ensemble peut sembler claire. Dans la phase de mise en place, en octobre 1792, tout se passe comme si la composition du Comité de division, comité technique peu prestigieux mais qui peut prendre une grande importance pour les intérêts locaux, avait anticipé largement sur l’évolution de la Convention en 1793, avec une majorité républicaine radicale et une minorité démonstrative et très exposée. Il m’est impossible de préciser les rôles respectifs du mode de sélection des membres par la majorité de l’automne 1792, qui se réserve les comités les plus prestigieux, et de l’évolution des convictions propres des membres, mais le profil d’ensemble est indéniable. Les renouvellements partiels de l’hiver 1792-1793 portent la marque du conflit en cours avec un essai de rééquilibrage mais la tendance du comité n’en est pas renversée. Le début de l’enquête, en mai 1793, témoigne cependant d’un choix, fait sans mandat de la Convention, celui de rendre possible des élections rapides. Ce qui se produit ensuite, de juillet à octobre 1793, ressemble beaucoup à un durcissement « montagnard » délibéré de la composition du Comité de division. Mais l’orientation vers l’enquête n’en reste pas moins acquise. Il faudrait, pour évaluer exactement cette évolution, la comparer à celle d’autres comités. Toutefois, le caractère sensible des nominations au Comité de division en 1793 apparaît assez clairement.

40 Reste que le travail effectif du comité, la présence régulière aux réunions, les rapports prononcés devant lui ou devant la Convention, l’exercice de la présidence, du secrétariat et du suivi de l’enquête ne concernent qu’une petite portion des élus. Faut-il alors relativiser l’évolution politique globale du groupe et s’attacher plutôt aux membres actifs ? Même si une personnalité de référence qui siège rarement dans un comité peut y peser de tout son poids lorsqu’elle vient en séance, plus la matière est technique et moins cette possibilité se présente. Globalement, au fil des premiers renouvellements, un groupe de six à huit députés s’est constitué au comité, qui seront les artisans acharnés de la poursuite de sa grande enquête. Presque tous61 semblent en place dès février 1793 et a fortiori lors des âpres débats de juillet-août. Leurs noms ne sont pas ceux d’orateurs majeurs de la Convention et ils ont rarement des rôles politiques de premier plan. Elie Lacoste est au vrai le seul de cette sorte. As-Carpentier, Bassal, Deydier, Gay-Vernon, Hourier-Eloy, Laboissière, Levasseur (de la Meurthe) et Mailly sont les plus présents. Les plus jeunes (Bassal comme Lacoste...), après avoir joué un rôle important au comité, sont souvent ensuite absorbés par les missions en province et Lacoste sera le seul à participer aux comités de gouvernement au printemps 1794. D’autres membres peuvent avoir pendant une période une présence suivie, Allafort par exemple ou bien, après Thermidor, Bazoche et Devars, mais ils ne font pas partie du noyau qu’on distingue au long de la session et dont plusieurs membres font la liaison avec la Législative (Bassal, Laboissière...) ou la Constituante (Mailly).

41 En regard de la liste générale des élus au comité, les membres particulièrement actifs sont plus âgés que les autres, nettement au-dessus de 50 ans contre un peu plus de 42 ans au comité, âge déjà supérieur à celui des conventionnels. Cet âge compréhensible pour des hommes qui vont se spécialiser dans des tâches administratives, s’accompagne d’un choix politique assez net en faveur de l’exécution du roi : sept sur les neuf que j’ai cités ont voté pour la mise à mort immédiate en janvier 179362. On remarque donc une

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correspondance, qui peut être fortuite, entre l’attitude sur ce point des élus titulaires du comité initial dans son ensemble et celle du petit groupe qui va assurer l’essentiel des tâches pendant la durée de la session. Au-delà de ces constatations, on ne dispose pas de beaucoup d’informations biographiques sur les membres du noyau actif du comité, sinon sur deux de ses animateurs : le député Mailly et le plus important des employés, Belleyme, cartographe alors très connu.

42 Le Comité de division, combinant son travail de dénombrement avec la recherche d’une issue « démocratique » au Gouvernement révolutionnaire ou à la Terreur, est l’objet d’une hostilité sourde du Comité de salut public, sans jamais qu’on aille jusqu’à la rupture entre ces entités de poids si inégal. Il n’y a ni membre actif du Comité de division parmi les animateurs du Gouvernement révolutionnaire, sauf à moment donné Elie Lacoste, ni victime de la Grande Terreur au cœur du comité. Symétriquement63, ce noyau actif ne comptera aucune victime des Thermidoriens, ni en 1794, ni en 1795.

43 Au sortir du premier Gouvernement révolutionnaire, le comité retrouve les missions qu’il avait assumées avec obstination depuis le printemps 1793, à l’exception du contrôle / vérification de la conformité de la représentation nationale, qui passe au Comité des décrets. Notre comité n’accepte pas de désigner, dans sa séance du 1er septembre (15 fructidor), ses membres « sortants » mais fait remarquer, non sans hauteur, qu’il ne compte que neuf députés64, et non vingt-quatre, et qu’en conséquence il demande à être complété à hauteur de l’effectif des douze membres prévus. Á partir de là, sa composition évolue peu pendant la période thermidorienne lorsque la Convention, constamment épurée depuis juin 1793 et encore en mai 1795, est complétée en décembre 1794 par la réintégration des exclus de 1793. Pour approcher l’évolution de la composition politique que la Convention donne à son Comité de division, on peut continuer à considérer l’unique critère des votes de 1793 sur le sort du roi. Á ce stade, on peut supposer que chaque élection s’effectue dans une Assemblée ou les deux composantes (régicides ou non) ont très grossièrement le même poids ; ce n’est pourtant pas à un tirage purement aléatoire ce que l’on assiste lors des renouvellements du comité, par quarts mensuels à dater du 4 septembre 1794 (18 fructidor). Dans ce nouveau système, les choix de l’Assemblée semblent curieusement bien répartis à chaque fois entre ceux qui ont voté ou non l’exécution du monarque. Il s’exprime des nuances : le 10 janvier 1795 (21 nivose an III), à la veille de la date anniversaire, trois « régicides » sont élus au comité et trois « non-régicides » comme suppléants seulement. Reste que la composition est systématiquement équilibrée quant à ce critère, presque à chaque renouvellement, tout au long des treize mois consécutifs pendant lesquels ces votes sont organisés. Il ne s’agit donc pas seulement d’un équilibre d’ensemble, lié à la composition de la Convention elle-même et au gré des nominations, mais d’un équilibre répété à chaque épisode, ce qui ne peut tenir du hasard65.

44 L’efficacité de ces renouvellements est limitée par les réélections répétées des six mêmes membres plus âgés que la moyenne qui, dans un Comité de douze membres fonctionnant en sous-effectif, partent peu en mission et ne cumulent guère d’autres responsabilités. La continuité est assurée par les « régicides » du comité, âgés et discrets, même si le départ de Mailly, en juin 1795, aura valeur de tournant. L’enquête se poursuit après Thermidor, en particulier auprès de 69 districts défaillants à un titre ou à un autre (sans compter ceux de la Corse, ce chiffre tourne autour de 12 % des districts). Le comité travaille toujours à un travail d’ensemble : l’opération de division des districts.

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45 Après l’échec des insurrections parisiennes d’avril-mai 1795, Laboissière achève l’enquête avec la vieille équipe des Carpentier, Deydier, Gay-Vernon et Hourrier-Eloy, mais sans Mailly, démissionnaire. Laboissière présidera aux derniers travaux du comité sur le nombre de députés à élire (au suffrage indirect) par les départements en septembre 1795, et sur la réorganisation de l’ensemble des tribunaux dans le strict cadre départemental. Le comité et la Convention choisissent alors de rendre un hommage public au cartographe Belleyme, qu’ils associent à l’autorité de Mailly... C’est bien le travail du comité sur les données qui est honoré.

Le Comité de division au travail

46 Les moyens humains du Comité de division sont d’abord limités aux trois employés dont le Comité de la Législative avait bénéficié66. A partir de l’été 1793, il rassemble un personnel et des moyens de plus en plus importants pour regrouper finalement, en trois bureaux différents, peut-être une vingtaine de commis67. En mars, à l’occasion du remplacement de son garçon de bureau, parti aux frontières, par ses deux sœurs68, nous comprenons que le comité continue à prendre des décisions d’embauche, dans le même temps où il présente de plus en plus de projets de décrets devant la Convention. A dater de sa mise en place en octobre 1792, le Comité de division avait adopté le rythme alors assez courant de trois réunions par semaine. En juillet 1793, l’alourdissement du travail proprement administratif entraîne un passage à deux séances plénières par semaine.

47 Ce que nous appellerions sa documentation est d’abord faible : le député Gay-Vernon doit en novembre 1792 négocier un lot de cartes avec les responsables de l’Observatoire de Paris. En février 1793, le comité embauche cependant deux géographes, Henry et Belleyme, ce dernier devenant rapidement un acteur important de ses travaux. On peut cependant penser que les méfiances envers les projets de réforme administrative d’ensemble pèsent également sur l’autorité et les moyens que réclame le Comité de division. Ce dernier n’obtiendra qu’après la chute de la Gironde, dans l’été 1793, le versement dans ses bureaux, par les Archives, des dossiers de ses prédécesseurs de la Constituante, contenant des tableaux et des cartes des débuts de la Révolution69.

48 La coopération entre le Comité de division et la commission des six chargée du recensement du vote sur la Constitution de 1793 se marque par la double appartenance d’Elie Lacoste, qui rapporte fréquemment pour le Comité de division en juillet-août, et surtout par le fait que la commission des six « emprunte » au comité une partie de son personnel administratif de commis et secrétaires, qui touchent un salaire distinct, assimilable à des « heures supplémentaires ». La différence des effectifs entre le comité et la commission, et conséquemment la répartition territoriale très différente des départements suivis par leurs membres respectifs indique cependant la limite des convergences de méthode. Le prêt d’une partie des employés au Comité des six, et donc l’affaiblissement des effectifs, coïncide en effet avec la présence à Paris des milliers de commissaires, envoyés des assemblées primaires pour l’adoption de la Constitution. Beaucoup d’entre eux sont porteurs de demandes spécifiques, en particulier de modifications territoriales et administratives de toutes sortes, et il faut les recevoir. Les parlementaires membres actifs du comité sont donc de plus en plus impliqués dans les tâches concrètes, qui nécessitent une documentation étendue. Après que le président du comité, Mailly, ait obtenu le versement des documents des anciens comités de division par les Archives nationales, l’archiviste-cartographe Belleyme termine leur

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inventaire et obtient le 27 juillet 1793 une décharge de Mailly pour les pièces manquantes, précisément le jour où l’on décide que deux membres iront également chez le ministre de l’Intérieur demander communication des Tableaux de population de la république70.

49 Le 20 juillet, le comité approuve le modèle de tableau destiné aux sections de Paris et, en principe, à celles des autres grandes villes. Le 9 août, le département de Paris approuve ce modèle tout en constatant que la distinction qui y est faite « des individus domiciliés et de ceux non domiciliés, des votants de plus de vingt-et-un ans, ne peut qu’être extrêmement utile pour la nouvelle division des assemblées primaires et la nomination des députés à la Législative, d’après les bases établies par la Constitution ». Manière comme une autre de signaler que peu de choses ont été faites dans le sens d’un élargissement du droit de vote à Paris, d’approuver le but immédiat du travail et de signaler les graves difficultés à venir, autour du problème de la domiciliation. Dans ce cas précis, on sort du cas de figure d’une enquête rapide et sommaire, pour envisager un travail nettement plus complexe. Le 5 août, à quelques jours de la cérémonie majeure du 10 et de la proclamation du résultat du vote, la Convention décrète que « les comités réunis de division et de législation s’occuperont de la division territoriale de la république sous le triple rapport de la population, du territoire et des attributions à donner à chaque autorité constituée dans l’ordre hiérarchique ». Ce décret implique une réorganisation de la division indépendamment du renouvellement de la Convention qui pourrait paraître bien plus urgent dans les circonstances mais respecte la logique de la Constitution, sa séparation entre représentation (les réunions des assemblées primaires des cantons) et division administrative (communes, districts, départements… ou autres), ce qui suppose qu’on prépare ici des lois organiques, ou d’application, ou réglementaires de la Constitution.

50 L’enquête en cours, préparatoire aux élections prochaines et donc à la représentation nationale, est alors à peine plus qu’une initiative du seul Comité de division. Mais la préparation de lois organiques relatives à la division administrative suppose la conjonction officielle des deux comités de division et de législation, soit un regroupement qui évoque un peu les compétences de l’ancien Comité de constitution de la Constituante : on peut alors se demander ce qui empêche d’y joindre la préoccupation des lois organiques relatives à la représentation nationale. C’est qu’il y a déjà débat sur les délais à fixer pour les élections après l’adoption de la Constitution. Logiquement, le tournant en cette matière devrait se produire au lendemain de la centralisation des votes d’adoption de la Constitution, après les célébrations et cérémonies des 9 et 10 août. Ce débat sur le caractère immédiatement applicable de la Constitution, et donc sur la date des futures élections, a été mené à Paris dans la presse, les clubs et l’Assemblée, tout comme dans les départements. En réponse à la diffusion du texte de la Constitution, et dans le vote constituant lui-même, de nombreuses Adresses venues de province remercient la Convention pour le travail accompli, mais insistent sur sa séparation imminente et sur les élections à venir. Tout en félicitant assez généralement les conventionnels sortant pour le travail accompli, on leur propose souvent de décréter leur non-rééligibilité, comme en 1791. En même temps commencent à apparaître d’autres Adresses qui pressent au contraire la Convention de « se maintenir à son poste, de ne pas remettre le soin du gouvernement en des mains inexpérimentées, de rester au gouvernail de l’état, pour amener le navire à bon port »... toutes expressions qui supposent le report des élections. Le rapporteur de la commission des six à la Convention pose clairement ce problème le 9 août dans son

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rapport sur les résultats du vote d’adoption de la Constitution, en évoquant les pressions qui s’exercent.

51 Le 17 mars 1794, on enregistre au comité les noms des cinq commis que la commission commune des changements de noms juge nécessaire à son travail. Dans l’hiver, les opérations conjointes serviront d’argument à la demande d’un local partagé qui soit suffisamment vaste pour leurs bureaux, pour recevoir des délégations et pour déployer les grandes cartes sur rouleaux : le 27 mars 1794 (7 germinal an II), on demande que l’hôtel d’Elbeuf soit attribué aux deux comités. Les opérations de la commission des changements de noms seront encore en cours à la fin 1794, lorsqu’il faudra envisager de rétrograder.

52 Dans le glacial hiver 1794-1795, l’attention des secrétaires et rédacteurs faiblit : on adapte les horaires aux possibilités de chauffage, les procès-verbaux perdent en cohérence et la numérotation des séances rétrograde de quelques vingt numéros sans que l’on s’en aperçoive71. La vie des bureaux porte trace des pénuries de bois de chauffage et de bougie et de la faiblesse des salaires des employés, que le comité essaie de faire augmenter. Globalement, le comité semble encore assez actif et essentiellement préoccupé de l’achèvement de son enquête72.

Les contacts du Comité de division

53 Sous la Convention, les contacts du Comité de division avec les autres comités gardent le caractère d’échanges plus ou moins contradictoires sur des projets de lois, mais il est fait le plus souvent mention de documents qui ne nous sont pas parvenus73. S’agissant de limites territoriales, d’institutions et d’établissements, le Comité de division est un interlocuteur majeur des administrations locales comme de leurs divers porte-parole et bien entendu des envoyés des assemblées primaires de l’été 1793. Mais il ne s’agit généralement que de décisions ponctuelles, pas de décisions majeures comme dans le cas de la pression exercée collectivement pour obtenir la loi sur le métayage (1er brumaire an II), lorsque des représentants en mission et des envoyés des assemblées primaires interviennent répétitivement, échouent d’abord à mettre en branle le comité d’agriculture et obtiennent finalement une aide mesurée d’une commission issue celui de législation (qui a conservé les dossiers de féodalité74), configuration qui finit par emporter la décision du Comité de salut public. Les contacts les plus décisifs du Comité de division avec les autres comités sont ceux, tendus, qu’il entretient avec le Grand comité, en particulier sur le projet de refonte de la division administrative mais surtout sur la préparation des élections à venir par la création des circonscriptions de 39 à 41 000 âmes. Mais il y a d’autres conjonctions lorsque le comité, poursuivant l’opération des changements révolutionnaires de noms, fait fonctionner une commission mixte avec le Comité d’instruction publique (16 octobre 1793, quatre membres75). Le 12 novembre 1794 (22 brumaire an III), les agents nationaux des postes aux lettres sollicitent le Comité de « rendre aux communes les noms qu’elles portoient précédemment, pour rendre plus facile et plus sûr l’acheminement du courrier », les cinq membres du comité présents se montrent singulièrement attachés aux décisions prises par la Convention montagnarde dans l’hiver 1793-1794 et décident tout au contraire de proposer à la Convention de décréter un élargissement des procédures de changement des noms qui rappellent la royauté, la féodalité et le fanatisme, ainsi que ceux qui sont anonymes. Un délai de trois décades serait laissé aux communes, passé

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lequel le comité serait autorisé à présenter à la Convention de nouveaux noms, la liste complète devant être arrêtée dans le mois suivant...

NOTES

1. Serge ABERDAM « Sur le Maximum des fermes », État, finances, économie pendant la Révolution française, CHEFF, Impr. nat. 1991, p. 429-485. 2. Première commission des subsistances, bien antérieure à celle ensuite animée par Goujon et qu’a étudiée Pierre CARON, La Commission des subsistances de l’an II, Procès-verbaux et Actes, CHESRF, 1924-1925. 3. Serge ABERDAM, Démographes et démocrates, l’œuvre du Comité de division de la Convention nationale, SER 2004, 391 p., 30 fig. 4. Voir les travaux de Mona-Vic OZOUF-MARIGNIER, La formation des départements. La représentation du territoire français à la fin du 18e siècle, Paris, Ed de l’EHESS, 1989 ; de Bernard LEPETIT, « Les temps de l’aménagement territorial. La formation des départements », Annales de la recherche urbaine, 1989, no 43, p. 5-14 ; de Ted MARGADANT, Urban rivalries in the French Revolution, Ithaca, Princeton University Press, 1992, mais aussi de spécialistes d’histoire administrative comme J.L. MASSON... 5. AP/26/557-558, tableau repris par de nombreux auteurs jusqu’à notre époque. 6. AP/31/708 et ss ; ce rapport reste une référence jusqu’en 1794. 7. Jean BOURDON, « Pinteville de Cernon, ses chiffres de population et sa critique des départements », AHRF, 1954, p. 346-356, publie les critiques de Pinteville de Cernon sur le découpage départemental. 8. Le Comité de la Législative compte 24 membres, renouvelables par moitié chaque 3 mois (décrets des 13-15 octobre 1791) ; Juglar (Basses-Pyrénées) est le premier président, Lagrèvol (Haute-Loire) et Bassal, (Seine-et-Oise) sont secrétaires ; le dernier sera membre du Comité de la Convention. 9. AN : D IVbis 93 à 106. 10. AN : D IVbis 92(a) à 92(c) ; voir Tables des AP ; AP/48/17 et 22 donnent de bons exemples de son travail. 11. Elu les 19, 22 et 25 juin 1789, il compte des membres qui auront ensuite des rôles importants : Barère, Bouchotte, Gaultier-Biauzat, Grégoire, Merlin, Prieur (de la Marne), Reubell, Tronchet... 12. AP/51, index, la vedette Comité de division introduit systématiquement à ces remplacements. 13. AP/40/63, 102, 139, 17 et 18 mars ; AN : D IVbis 107, 19 mars 1792. 14. Y compris en 1793 ; le système de candidature décidé en l’an III et appliqué en l’an V sera sans lendemain. 15. Qui agira jusqu’au Directoire. 16. Les imprimés de AN : AD XVIIIc 208 permettent de confronter les listes. 17. Les membres des comités sont à nouveau renouvelables par moitié tous les trois mois ; AP/ 52/480. 18. Au total, sur toute la session, 38 anciens Législateurs seront élus au Comité de division de la Convention. 19. Sauf exceptions signalées, les informations sur le comité qui ne proviennent pas des AP se trouvent dans ses procès-verbaux, AN : D*IVbis 22 (microfilmé).

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20. Décision du 16 février 1793, le jour même où le projet de constitution est rejeté par la Convention. 21. La mise au point la plus récente sur la formation du département est celle du Répertoire numérique détaillé de la série L des AD du Vaucluse de M. Hayez, 1991. 22. Lucien Jaume reconnaît du bout des lèvres que « Saint-Just paraît vouloir distinguer ce qui est politique de ce qui est administratif », dans Lucien JAUME, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997. 23. La distinction entre élections politiques (directes) et élections administratives (deux degrés) finira par être inscrite dans la Constitution de 1793, après un plaidoyer de Robespierre en faveur de la nécessaire subordination des élus locaux. 24. La numérotation des séances du comité, AN : D*IVbis 22, est malheureusement peu rigoureuse. 25. Dominique MARGAIRAZ, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Ed. de l’EHESS, 1988, 281 p., n’utilise qu’une partie des fonds du comité en reconstituant le réseau de foires et marchés. 26. Par la suite, les dates des foires et marchés prend une autre importance avec le passage au nouveau calendrier. 27. Paul MEURIOT, « Le recensement de l’an II » Journal de la société de statistique de Paris, [Berger- Levrault éd.] 1917, pp. 367-368, 1918, pp. 33-56 et 79-99 ; circulaire signalée par Isabelle GUÉGAN, Inventaire des enquêtes administratives et statistiques, 1789-1795, CTHS 1991, p. 98. 28. Isabelle GUÉGAN op. cit.,, p. 100, notice 10, et AD de l’Ille-et-Vilaine : L 1221, circulaire imprimée du 17 juin 1793. 29. On verra pour cette prolifération la vedette « Garat » dans l’index d’Isabelle GUÉGAN, Ibidem.

30. Claudine WOLIKOW, « 1789- An III : Emergence de la démocratie représentative », dans Roger BOURDERON (dir.), L’an I et l’apprentissage de la démocratie, Saint-Denis, éd. PSD 1995, p. 53-69, p. 61 ; Cf. Claudine WOLIKOW, « Suffrages révolutionnaires : voter, élire, scrutiner ? » Langages de la Révolution, INALF-Klincksieck 1995, p. 417-430. 31. Les législateurs de l’an III donneront valeur constitutionnelle aux effectifs de leurs deux Assemblées. 32. Aubry, écrivant début 1794, partira d’une population de 29 millions d’habitants, nécessitant 730 députés. 33. Les élections locales ne posent pas alors de problème particulier : leurs cadres restent inchangés. 34. Par ex. AN : F20 393, Vosges, Observations de l’administration du district de Lamarche, 18 septembre 1793. 35. Le mot et la nuance électorale échappent tout à fait normalement à Isabelle GUÉGAN, op. cit., p. 98. 36. AN : D IVbis 107, Mémoire de P-F. Aubry, de La Ferté-sur-Ourcq, ci-devant Milon, reçu le 21 pluviose an II ; j’ignore qui d’autre a été consulté, ne connaissant qu’un seule réponse,. 37. Aubry raisonne géométriquement à partir de 730 divisions ou circonscriptions à créer pour l’élection des députés et donc d’une population de 730 x 40.000 = 29.200.000, sans préciser s’il inclut les annexions récentes depuis 1791. Les chefs-lieux de ces circonscriptions doivent, selon sa conception implicite, n’être que de simples communes, alors que chacun des six rayons qu’il trace autour de chacun de ces chefs-lieux délimitera un canton qui regroupera trois communes nouvelles. D’où [(6x3)+1] x 730 = 13.870 communes et 730 x 6 = 4.380 cantons. 38. On assiste d’ailleurs plutôt à une limitation des compétences antérieures avec le rapport de Gay-Vernon, le 29 septembre 1793, sur le remplacement du député (girondin) Leclerc par le suppléant Menuau, puisqu’il s’agit d’un rapport conjoint, au nom des comités de division et des décrets ; AP/75/296.

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39. Décision du 9 novembre 1793 : contact sera pris par Mailly avec Romme, pour le comité d’instruction publique ; les deux comités semblent redoubler ainsi le projet du ministère de l’intérieur : circulaire Garat de février 1793 ; I .Guégan, p. 154, n° 118 ; AN : F2 I* 3 à 4 et AN : M 670-671 ; pas de fusion des 2 démarches. 40. Le 12 février 1794 (24 pluviose an II), adoption d’un questionnaire sur les foires et marchés, en vertu d’un décret du 27 nivose an II, pour harmonisation avec le nouveau calendrier ; vu l’existence antérieure d’une rubrique ad hoc dans le questionnaire de l’enquête générale, c’est une officialisation a posteriori ; un post-scriptum imprimé de la circulaire générale du 25 avril 1794 (6 floréal an II) témoigne de ce qu’il s’agit bien du même travail ; AN : F20 101, circulaire de relance spécifique du 22 juillet 1794 (4 thermidor an II) ; mention dans Isabelle GUÉGAN, op. cit., p. 137, n° 89 ; AD de l’Aveyron : L 599-604, 24 pluviose ; AD du Cher : L 182, 6 floréal. 41. Séance numéro 67, mais deux séances, les 26 pluviose et 2 ventose, portent ce numéro. 42. Ted MARGADAN, op. cit., conclut sur la concurrence entre chefs-lieux de districts, soutenant fermement Paris et les armées mais se surveillant les uns les autres, comme les administrations départementales, pendant le Gouvernement révolutionnaire. 43. Bibl. de l’école des Ponts et chaussées, suppl. dactyl. au catalogue des manuscrits : Extrait des registres du Comité de salut public portant établissement d’une agence particulière destinée à la formation & à la conservation des cartes et plans de tous genres, 20 prairial an II, 3 p. 44. Marcel REINHARD, « La statistique de la population sous le consulat et l’Empire ; le Bureau de la statistique », Population, INED, janvier-mars 1950, p. 103-120, ici 106 ; « Etude de la population pendant la Révolution et l’Empire ; Instruction, recueil de textes et notes » dans Bulletin de la CHESRF, Gap, Louis Jean 1961, p. 40 ; Isabelle GUÉGAN, op. cit., p. 99, notice 8, qui considère que les réponses figurent dans les mêmes dossiers des AN que précédemment, mais cette enquête a-t-elle eu lieu ? L’absence de relance ne m’incite pas à le croire. 45. Kare D.TONNESSON, La défaite des sans-culottes, mouvement populaire et réaction bourgeoise en l’an III, PU d’Oslo 1959, rééd. id. 1978, 457 p., chap. VIII, ici 159 et s., chap. XV, p. 346 et s. 46. Il s’agit du rapport présenté en 1791 par Aubry, à la séparation de la section de division de la Constituante, en 1791, et non de son mémoire individuel au Comité de division, en février 1794. 47. Georges LEFEBVRE, Les Thermidoriens, Paris, Armand Colin, 1937, p. 112, et à sa suite K. Tonnesson, op. cit., p. 163, attribuent ce projet à Merlin de Thionville, quoique Tonnesson parle aussi (p. 350) d’une proposition des deux Merlin ; Kuscinski, Walter et O. Krakovitch tiennent pour l’attribution à Merlin de Douai, ce qui paraît vraisemblable. 48. Les chiffres disponibles permettent également de déterminer les effectifs de députés à élire par chaque département au début de l’an IV (octobre 1795). 49. Le 22 décembre 1792, AP/55/345, on décide de renouveler les comités par moitié sous trois jours. 50. Pour les élections au comité, j’emploie quand c’est possible la date d’officialisation au PV de l’Assemblée : le décalage avec l’élection réelle peut atteindre 48 heures ; il est parfois de quelques heures seulement. 51. Ni les PV de l’Assemblée, ni les documents du comité ne sont complets ; les tables des AP et le Dictionnaire de Kuscinski (1916) permettent des compléments mais pas de certitude absolue. 52. La situation initiale est une totale liberté en matière d’appartenance à plusieurs comités. 53. Le mode d’élection change plusieurs fois, en particulier sous le premier Gouvernement révolutionnaire puis le second, lorsque l’effectif des comités est réduit, le cumul d’appartenance interdit et le régime électif modifié ; de ce fait, on ne peut de traiter l’ensemble des membres comme un groupe homogène tout au long de la session. 54. Un des membres est absent de Paris. 55. Le discriminant du vote de la mort du roi fonctionne à un autre niveau : sur l’ensemble des membres connus du comité figurent 10 anciens constituants ; leurs votes sur le sort du monarque se partagent par moitié ; sur le minimum de 38 anciens membres de la Législative identifiés, il n’y

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a que 8 votes qui tendent à éviter la mise à mort et au moins 30 votes pour cette dernière. Comme si l’expérience plus récente de ces législateurs réélus les rendait plus sévères pour Capet. 56. Couppé sera emprisonné ; Chambon, réfugié sur ses terres, y sera massacré par les habitants ; Lesage se cachera jusque après Thermidor. 57. Jusqu’à ce qu’en juillet l’initiative de Charlotte Corday de s’adresser à lui avant de se rendre chez Marat ne le désigne pour la guillotine. 58. Sans parler de la mort naturelle de Guyès en novembre, trois conventionnels élus entre temps ou membres ensuite sont alors détenus : Rouzet, Royer, et Fayolle ; Osselin sera exécuté au printemps. 59. La distribution des membres écartés, entre ceux qui ont ou non voté la mort, est moins significative : 5 sur les 8 n’ont pas voté la mort et Chambon, qui l’a votée, s’était opposé à ce que la Convention juge le roi. 60. AN : AD XVIIIc 208 donne la liste de ces 12 et les adresses de 10 d’entre eux. 61. L’exception serait Hourier-Eloy, qui ne semble intégrer le comité qu’en octobre 1793. 62. Encore les deux autres, Laboissière et Levasseur, ont-ils voté la mort avec un sursis d’exécution. 63. Osselin, exécuté dans les fournées de juin 1794, est très loin d’être un membre actif du comité, non plus que Duquesnoy, un des martyrs de prairial, suicidé en juin 1795. 64. Mailly, Gay-Vernon, Laboissière, Deydier, Villers, Hourrier-Eloy, Michaud, Siblot, Allafort. 65. J’avoue avoir reculé devant les dimensions de la tâche de contre-vérification sur les autres comités ! 66. Un secrétaire-commis venu du précédent comité, L’Huilier, deux commis, Gillet et Roux, présents depuis 1789, plus un garçon de bureau, François Féron. 67. Je n’ai pu retrouver le chiffre exact mais, de l’automne 1793 à celui de 1794, les deux commis des débuts, Gillet et Roux, sont devenus des secrétaires-commis avec, comme Belleyme, d’autres commis sous leurs ordres. 68. Ce remplacement est demandé par la mère de François Féron, veuve, qui « place » ainsi ses deux filles. Le salaire reste inchangé et les deux jeunes femmes sont censées faire le même service que leur frère. Cette situation ne dure pas, puisque le 2 juillet 1794 (14 messidor II) le salaire de la seule Marguerite Féron est porté à 1 500 £, comme l’a été celui des autres garçons de bureau des comités. Elle « tient » la place de son frère, fait prisonnier à Condé, jusqu’à la fin de la session et obtient avec un léger retard le même traitement que ses collègues masculins. 69. Inventaires de versement de l’an IV ; AN : D IVbis 107 et NN* 9 à 14. 70. AN : D IVbis 22 et 107, 27 juillet 1793, et mention dans l’inventaire des papiers du comité en l’an IV. 71. Le registre AN : D IVbis* 22 passe de la 120ème à la 103ème séance (22 pluviose an III) et continue avec cette numérotation erronée ; idem deux 23ème séances, 18 mai et 10 juin 1793, deux 67ème séances... 72. Le 23 janvier 1795 le Comité de salut public réclame au Comité de division pas moins de sept exemplaires de l’Etat général des départements, districts, cantons et communes de la République ; or cet Etat, dans sa forme finale ultérieure comptera lui-même sept gros registres ; on envoie séance tenante Laboissière, flanqué de Belleyme, « faire les observations nécessaires » au Comité de salut public. 73. Toutes proportions gardées, on trouve ici des configurations comparables à ce que l’on sait sur l’élaboration, en mars 1793, de la loi qui prescrit l’élection dans les communes d’organes qui deviendront les comités de surveillance : y interviennent successivement le comité diplomatique (voir la contribution de Virginie Martin à ce numéro), en réponse au ministre, celui de législation (voir la contribution d’Annie Jourdan à ce numéro) et celui de sûreté générale, pour la création d’un texte sur lequel même les éditeurs de lois ne s’accorderont pas, puisque ils divergent sur son nombre de sections (une ou deux), d’articles (treize ou quatorze) et surtout sur sa portée : texte

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sur le contrôle de la résidence des non-nationaux ou sur la surveillance de tous les non- domiciliés, devenus suspects. 74. Voir la contribution d’Annie Jourdan à ce numéro. 75. AN : D IVbis 23, 25 vendémiaire an II, Mailly et Villiers d’une part, Grégoire et Villars de l’autre ; Meuriot signale en D IVbis 80 la liste des 10 851 noms susceptibles de changement pour les départements depuis l’Ain jusqu’au Loir-et-Cher.

RÉSUMÉS

Il s’agit de mettre en avant plusieurs précautions méthodologiques dans la prise en compte des circuits où s’élaborent les lois : on aura soin d’y inclure d’autres instances que les comités permanents des Assemblées et plus particulièrement les commissions formées à différents moments et qui, pour ne pas être nécessairement toujours conçues pour cela, peuvent être amenées à remplir des missions législatives qualitativement essentielles. Les comités eux-mêmes connaissent d’ailleurs des évolutions de grande ampleur de leurs fonctions, ce qu’illustre assez bien le cas du Comité de division, auteur de la division départementale initiale, qui combinera, sous la Convention, ses fonctions d’élaboration législative avec une activité massive d’enquête statistique qui en fait quasiment une institution scientifique.

In this paper, dedicated to the Division Committee, I would like to focus on the methodological approach that should be applied to study other committees linked to parliamentary assemblies. For instance, one must not forget that at the end of the 18th Century, such instances as commissions also play a very important role in the making of laws. Moreover, Committees’ functions and working procedures frequently change after their birth. This is particularly true in the case of the Divison Committee, which, after having drawn the first French departments map, has, under the , been used for statistical enquiry.

INDEX

Mots-clés : Comité, commission, statistique, population, droit de vote, administration territoriale, organisation du territoire, fermage Keywords : Division Committee, Statistics, Population, Voting rights, Territorial Administration, Spatial Planning, Land rent

AUTEUR

SERGE ABERDAM INRA

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Le Comité de sûreté générale (1792-1795)

Émilie Cadio

Missions et compétences

1 Le comité a comme mission essentielle de surveiller et punir les crimes de contre- révolution. Pour cela, il possède diverses compétences relevant du domaine législatif ou policier, dont la surveillance des suspects, les mises en arrestation ou encore le maintien de l’ordre public. Le comité acquiert progressivement de l’importance dans ses fonctions, notamment en devenant un organe de plus en plus centralisateur.

Les missions du Comité de Sûreté Générale

2 Dès sa création, le 2 octobre 1792, le comité reçoit des attributions particulières de surveillance et de police, dont la plupart sont liées aux circonstances auxquelles il doit faire face. Ce comité n’a alors d’autre fonction que de veiller à la sûreté générale de l’Etat : 1° Surveiller à Paris les ennemis de la chose publique et les interroger, lorsqu’ils sont arrêtés, pour découvrir les complots. 2° Rechercher et poursuivre les fabricateurs de faux assignats. 3° Faire arrêter ceux qui lui sont dénoncés comme agents des cours étrangères et tous ceux qui troublent l’ordre public. 4° Surveiller ceux qui se trouvent compris dans la liste civile. Par le même décret du 2 octobre, la Convention nationale autorise le comité à se faire rendre compte « des arrestations relatives à la révolution, qui ont eu lieu dans toute l’étendue de la République depuis le 10 août » : pour cela, le comité est autorisé à avoir accès à la correspondance des personnes arrêtées et à toutes les pièces relatives à leurs arrestations, pour en faire le rapport à la Convention nationale. Le comité acquiert de nouvelles missions au fur et à mesure des événements révolutionnaires. Ainsi, l’une des plus grandes fonctions du Comité de Sûreté Générale réside dans l’application de la loi des suspects, votée le 17 septembre 1793, qui demeure un aspect essentiel de son activité. En effet, le comité acquiert une certaine importance puisque les comités de surveillance sont tenus de lui envoyer « l’état des personnes

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qu’ils auront fait arrêter, avec les motifs de leur arrestation, et les papiers qu’ils auront saisis sur elles »1. La loi du 17 septembre reste le texte de base de la législation contre les suspects, et par-là même des attributions du Comité de Sûreté Générale, jusqu’à sa suppression, le 4 novembre 1795. Sa mission policière est enfin réaffirmée par le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) qui lui confie la police générale de la République, et tout particulièrement celle de Paris, puis par l’obtention du droit de nommer les commissaires de police, le 24 ventôse an III (14 mars 1795).

Les compétences du Comité de Sûreté Générale

3 Le Comité de Sûreté Générale se donne pour premier objectif de rechercher les crimes de contre-révolution mais également de les prévenir. Pour cela, il s’appuie sur divers moyens de contrôle et de connaissance : les dénonciations, les interrogatoires, les observations des agents du comité. Les dénonciations demeurent une source d’information importante pour découvrir les ennemis de la Révolution. Consignées dans un registre particulier, les dénonciations doivent être rédigées par écrit. Le comité acquiert également ses renseignements à partir des interrogatoires qu’il mène contre les suspects. Enfin, pour appliquer une surveillance efficace, le comité possède ses propres observateurs auxquels il délègue certains pouvoirs, qu’ils soient des agents ou des autorités constituées. Lorsque les auxiliaires du comité sont envoyés en-dehors pour exécuter ses ordres, le comité leur délivre des passeports : ce sont en général des représentants du peuple « chargés de surveillance »2, des membres de comités révolutionnaires, des secrétaires du comité, des maires et administrateurs de département ou encore des commissaires. Le comité est ensuite chargé de procéder aux mesures d’arrestation et d’apposition de scellés, ainsi que de celles de mises en liberté et de levées de scellés. Pour procéder aux arrestations des suspects, le comité doit suivre une procédure particulière. En effet, il prend d’abord une délibération qui doit être approuvée par la majorité absolue des membres. L’exécution des mandats d’arrêt et d’amener est alors confiée à un ou plusieurs citoyens choisis par le comité. En général, les porteurs d’ordre agissent de concert avec les comités révolutionnaires, et en cas de besoin, peuvent requérir les autorités civiles et militaires. Les scellés sont alors apposés sur les effets de l’inculpé, en sa présence, et ses papiers sont saisis et déposés au Comité de Sûreté Générale. Après quoi, un procès-verbal est dressé et l’inculpé est conduit dans la maison d’arrêt désignée par le mandat. Certains détenus obtiennent du comité des mises en liberté provisoires, pour cause de vieillesse, de maladie ou de délit léger. Pour pouvoir répondre aux nombreuses sollicitations de mises en liberté définitive, le comité doit, dès le 8 octobre 1792, visiter toutes les prisons et maisons de détention de Paris, et renseigner la Convention sur la cause de leur détention. En général, deux de ses membres sont désignés pour visiter périodiquement les prisons. Ils s’approchent des détenus, les interrogent, écoutent leurs doléances puis rédigent un rapport qu’ils soumettent ensuite au comité. Celui-ci délibère et statue, approuvant presque toujours les propositions de ses commissaires. Le 21 messidor an II, le comité est investi du pouvoir de mettre provisoirement en liberté une catégorie particulière de sans-culottes, les laboureurs et les artisans. Ainsi, tous les laboureurs, manouvriers, moissonneurs, brassiers et artisans de profession, détenus comme suspects, sont mis provisoirement en liberté, par l’article 1er du décret du 23 messidor an II. La mise en liberté entraîne la levée des scellés de l’inculpé, effectuée en général par les commissaires qui les ont apposés. L’officier public exécute

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la levée des scellés en présence d’un membre du comité, qui ne semble pas obligatoire jusqu’en floréal an III. Enfin, le comité a également une mission de maintien de l’ordre public. Le souci de l’ordre public est lié au fait que le Comité de Sûreté Générale soit l’héritier d’une tradition de police et de maintien de l’ordre remontant aux débuts de la révolution. En effet, si l’existence du comité découle d’un contexte de guerre civile et étrangère en 1792, il est également l’héritier de comités antérieurs appartenant à l’Assemblée nationale constituante et à l’Assemblée législative, possédant chacune d’entre elles, leur propre comité de surveillance. La première, en effet, instaure un Comité des Recherches, le 28 juillet 1789, suite aux nombreux troubles causés par les contre révolutionnaires ou par les paysans dans les provinces. D’abord simple bureau d’information chargé de recevoir la correspondance relative aux individus responsables des désordres, il acquiert, à partir du 21 juin 1791, le droit de décerner des mandats d’arrêt et d’exercer une véritable autorité, et est réuni au Comité des Rapports, son plus proche collaborateur. Disparaissant le 29 septembre 1791, il n’est remplacé que le 25 novembre, sur l’initiative de la gauche de l’Assemblée législative, par le Comité de Surveillance. D’abord simplement borné à présenter des rapports sur des objets de police générale, il est autorisé, à partir du 10 août 1792, « à prendre les précautions et à donner les ordres que les circonstances lui paraîtraient exiger, et même à faire arrêter les personnes dont il croira qu’il importe à la patrie d’examiner la conduite »3. Maintenu provisoirement depuis le 21 septembre, il laisse place au Comité de Sûreté Générale, qui constitue la suite directe du Comité de Surveillance. Disparaissant le 13 brumaire an IV (4 novembre 1795), le comité laisse derrière lui une importante tradition policière, et marque ainsi une forme de transition vers l’établissement du Ministère de la Police générale, sous le Directoire, en 1796.

La mise en place progressive d’un organe centralisateur

4 Jusqu’à l’arrestation des Girondins, le comité partage de nombreuses prérogatives avec diverses commissions de la Convention nationale, crées à l’initiative des députés girondins. Dès le décret du 2 octobre 1792 attribuant les pouvoirs au comité, les Girondins semblent se défier de ce dernier, composé souvent de Montagnards, en créant des « commissions exceptionnelles »4. Le 1er octobre, l’inventaire des papiers du comité de surveillance de la Commune du 10 août est confié à la Commission des Vingt- Quatre, qui travaille alors jusqu’au 19 juillet 1793. Le 11 mars 1793, une commission de six membres est chargée de présenter des rapports sur les personnes à traduire devant le Tribunal révolutionnaire : supprimée le 2 avril, ses attributions sont transmises au Comité de Sûreté Générale. Par la loi des suspects du 17 septembre 1793, la centralisation s’accroît et le comité devient un centre de pouvoir important puisque les comités de surveillance sont tenus de lui envoyer régulièrement l’état des personnes qu’ils auront fait arrêter. La charte du gouvernement révolutionnaire, votée le 14 frimaire an II (4 décembre 1793) accentue ce processus de centralisation : « Centre unique de l’impulsion du gouvernement »5, la Convention confie l’inspection des corps constitués et des fonctionnaires publics au Comité de Salut Public pour les mesures de gouvernement et de salut public et au Comité de Sûreté Générale pour les mesures de police générale et intérieure. Le comité se place ainsi nettement, avec le Comité de Salut Public, en amont de la chaîne de commandement du gouvernement révolutionnaire. Les districts, chargés de la surveillance de l’exécution des lois révolutionnaires dans les départements, doivent rendre compte tous les dix jours au

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Comité de Sûreté Générale. Les municipalités et comités de surveillance sont également tenus de correspondre directement avec le Comité de Sûreté Générale.

La composition du comité

5 L’étude du personnel du Comité de Sûreté Générale révèle d’abord l’enjeu qu’il constitue sous la Convention : instrument de lutte entre Girondins et Montagnards jusqu’en septembre 1793, le personnel du comité se stabilise ensuite aux mains des seconds, avant d’appartenir à la majorité thermidorienne. L’organisation intérieure du comité montre également une réglementation de plus en plus méthodique à travers l’adoption de règlements organisationnels.

Les membres du Comité de Sûreté Générale

6 Le Comité de Sûreté Générale eut un nombre important de membres : on dénombre cent quarante-quatre conventionnels élus au comité du 2 octobre 1792 au 4 novembre 1795.

7 Le 21 septembre 1792, le personnel de l’ancien Comité de surveillance de l’Assemblée législative est maintenu jusqu’au décret du 2 octobre 1792, qui fixe le nombre de ses membres à trente, renouvelable par moitié dans les deux mois suivant sa formation. Mais, le 21 janvier 1793, il est, sous l’influence des Montagnards, entièrement renouvelé et ne compte plus que douze membres. De janvier à septembre, les changements opérés dans le personnel du comité sont liés aux envois en mission qui entraînent des absences prolongées, obligeant des adjonctions régulières au sein du comité. Après les insurrections des 31 mai et 2 juin, le comité est à moitié renouvelé et compte alors dix- huit membres. La proposition de renouvellement des comités, émise par Danton le 13 septembre, marque alors un tournant dans la composition du comité : ses membres sont dorénavant nommés directement par le Comité de Salut Public et ne sont plus qu’au nombre de douze. Du 14 septembre jusqu’à la chute de Robespierre, le comité ne connaît aucun changement important : c’est le « grand comité de l’an II ». Le 11 thermidor an II (1er août 1794), la Convention décide que le comité sera renouvelé par quart le quinze de chaque mois, et que nul membre sortant du comité ne pourrait être réélu qu’un mois après en être sorti. Le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) sur la nouvelle organisation des comités confirme le décret du 11 thermidor et porte le nombre des membres du comité à seize, autour duquel il se stabilise jusqu'au 4 novembre 1795. Les nombreux renouvellements du comité reflètent l’enjeu de pouvoir qu’il constitue entre les divers groupes politiques de la Convention nationale. La première élection du 17 octobre donne la majorité aux Montagnards (Drouet, Basire, Chabot, Ruamps, Rovère, Tallien, Drouet) tandis que les Girondins ne comptent que six ou sept des leurs (Couppé, Kervélégan, Bonnier). Du 9 au 21 janvier 1793, le comité passe aux mains des députés girondins (Gorsas, Birotteau, Gomaire, Gorsas, Chambon, Lauze-Deperret, Jary, Rebecquy, Estadens). L’assassinat de Lepeletier de Saint-Fargeau, le 21 janvier, provoque un renouvellement du comité, à l’initiative des Montagnards, qui parviennent à dominer de nouveau le comité (Basire, Rovère, Ruamps, Chabot, Tallien, Legendre, Ingrand, Bernard de Saintes, Duhem). Après les insurrections des 31 mai et 2 juin, le comité est à moitié renouvelé et reste dominé par des figures de la Montagne (Lavicomterie, Dumont, Amar, Bassal, Guffroy, Laignelot). En septembre,

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certains membres du comité (Chabot, Basire) sont compromis dans des affaires de corruption et sont éliminés du comité lors du renouvellement du 14 septembre : les nouveaux membres sont alors, sur proposition de Danton, nommés directement par le Comité de Salut Public. Du 14 septembre jusqu’à la chute de Robespierre, le comité forme « le grand comité de l’an II » composé de douze montagnards dont la plupart demeure jusqu’au 9 thermidor (Vadier, Panis, Le Bas, Boucher Saint-Sauveur, David, Guffroy, Lavicomterie, Amar, Rühl, Le Bon, Voulland et Bayle). Le 13 octobre, prévoyant de nouveaux départs en mission, la convention adjoint au comité quatre députés (Barbeau-Dubarran, Laloy, Jagot et Louis du Bas-Rhin), puis, suite à quelques démissions, Elie Lacoste apparaît également au comité. Après la chute de Robespierre, certains membres demeurent en place (Barbeau-Dubarran, Amar, Louis du Bas-Rhin), tandis que de nouveaux députés appartenant à la nouvelle majorité modérée de l’assemblée ayant contribué à la chute de Robespierre, y entrent massivement entre septembre 1794 et mars 1795 (Bourdon de l’Oise, Reubell, Reverchon, Bentabole, Barras, Perrin, Legendre, Méaulle, Lomont, Delecloy). A partir d’avril 1795, après avoir été réintégrés à la Convention, certains députés girondins (Kervélégan, Bergoeing, Pierret, Genevois, Hardy) entrent au comité et y demeurent en partie jusqu’au 4 novembre 1795.

La localisation du Comité de Sûreté Générale

8 Lors de sa création en octobre 1792, le comité n’hérite pas seulement du personnel du Comité de surveillance de l’Assemblée législative, mais aussi de son local. Il est alors installé au premier étage de l’ancien couvent des Feuillants, non loin de la salle du Manège où siège la convention. Le transfert de la Convention du Manège aux Tuileries implique ensuite celui de ses comités, mais l’ancienne résidence royale n’étant pas assez vaste pour tous les accueillir, on choisit d’installer le Comité de Sûreté Générale dans un immeuble situé à proximité, l’Hôtel de Brionne. C’est probablement vers le 6 ou 7 mai 1793 qu’a lieu l’installation du comité dans les locaux de l’Hôtel de Brionne. Il partage d’abord les appartements avec d’autres comités de la convention, mais, l’accroissement des tâches du comité entraîne vite un nouvel besoin d’espace. Le 3 germinal an II, le comité demande à disposer de l’Hôtel de Brionne dans sa totalité, ce qu’il obtient, puis le nouveau règlement du comité adopté le 20 germinal prévoit une extension des bureaux. On agrandit de nouveau les locaux du comité après l’adoption du décret du 7 fructidor an II, pour accueillir les bureaux de la police de Paris et de la République. La disposition matérielle des postes et bureaux du comité répond à une organisation précise. A l’entrée de l’hôtel, un poste de garde est occupé par des gendarmes et commandé par un officier : le 30 août 1793, le comité lui prescrit de laisser libre accès à l’hôtel pendant tout le temps qu’il s’y trouve un membre du comité pour permettre aux citoyens de communiquer au comité tous les renseignements qu’ils jugent utiles à la République. Mais, le 3 brumaire, on interdit à l’inverse l’entrée des bureaux aux solliciteurs qui assiègent le comité, et on décide d’installer une boîte à la porte pour qu’ils y déposent leurs mémoires. D’autres précautions sont prises pour limiter l’accès à l’Hôtel de Brionne : des cartes spéciales sont délivrées aux membres et aux secrétaires du comité, tandis que les garçons de bureau se reconnaissent à leur médaille. Il semble qu’il ait également existé un corps de garde situé à l’entrée, non de l’hôtel, mais du comité même, c’est-à-dire, avant le printemps 1794, au premier étage, dans le grand salon carré. Au même étage, se trouvent une salle d’arrêt, le violon, dans

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lequel on garde les suspects avant de les interroger ou de les faire incarcérer. Cependant, à partir du 7 germinal, date à laquelle le comité réclame de nouveaux aménagements, on décide de ne plus maintenir le corps de garde et la salle d’arrêt à cet étage, mais de les installer à la place des cuisines placées sous le grand escalier. On ne sait alors si le comité continue à siéger dans le grand salon carré, ou bien dans la pièce voisine, normalement destinée au bureau d’exécution. Ce local est peut être également destiné au secrétariat général, pièce maîtresse de la nouvelle organisation, devant être établi à proximité du comité. L’antichambre est alors peut être occupée par le bureau d’exécution, établi dans le règlement à proximité du secrétariat général. Il est, en revanche, quasi-sûr que la caisse se situe dans l’aile occidentale, au deuxième étage, jusqu’en fructidor an II, puis au premier, et que les archives sont conservées également au second étage. Le bureau central, quant à lui, de par sa fonction centralisatrice, est installé au rez-de-chaussée. Il faut mentionner en dernier lieu un passage couvert faisant communiquer l’Hôtel de Brionne et les Tuileries, permettant aux membres du comité de se rendre dans la salle des séances de la Convention.

L’organisation du Comité de Sûreté Générale

9 Le comité adopte durant toute son existence une organisation méthodique et règlementée, jusqu’à devenir un organe comparable à un ministère. D’octobre 1792 au 17 septembre 1793, le fonctionnement interne du comité demeure quasi inconnu, faute de règlement précis. Plusieurs règlements adoptés par la suite par le comité constituent la base de son organisation jusqu’à sa suppression, laissant apparaître une évolution vers une certaine rationalisation du pouvoir au sein du comité.

10 Le premier règlement relatif à l’organisation intérieure du comité date du 17 septembre 1793. Le travail est réparti entre trois sections, chacune chargée de fonctions particulières : la première section s’occupe des interrogatoires, des mandats d’amener et d’arrêt et des passeports, la seconde est chargée de la correspondance et des envois et doit également « faire l’état des commis et des garçons de bureau, pour le paiement des émoluments qui leur sont dus »6, et la troisième est attelée aux rapports faits à la Convention au nom du comité. Le 19 octobre 1793, le comité adopte un nouveau règlement fondé sur une base géographique, selon lequel la surveillance générale de la République est distribuée en quatre régions : la première région comprend trente départements du Nord et de l’Est, la seconde concerne les vingt-neuf départements du Midi, la troisième vingt-sept départements de l’Ouest et du Centre, et le département de Paris forme à lui seul la quatrième. La région de Paris est elle-même divisée en trois divisions, correspondant aux sections parisiennes : la première division concerne les vingt-quatre premières sections de Paris, la deuxième les sections numérotées de 25 à 48, et la troisième les communes du département de Paris extra-muros7. A la tête de ces quatre régions, se trouvent attachés trois députés pour chacune d’elles : Vadier, Voulland et Bayle pour la première, Amar, Laloy et Jagot pour la seconde, Dubarran, Louis du Bas-Rhin et Le Bas pour la troisième, et pour la quatrième, le comité choisit quatre représentants, Lavicomterie, Panis, David et Rühl. Mais les membres sont tenus de se réunir en « comité général » pour prendre des mesures d’arrestation ou d’élargissement. Le règlement du 20 germinal an II (9 avril 1794) est la conséquence directe de la crise de mars 1794 durant laquelle le gouvernement révolutionnaire doit faire face aux deux « factions », et est lié notamment à la suppression du Conseil exécutif dont il hérite de certains bureaux. Les bases posées par le règlement de

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brumaire sont maintenues, c’est-à-dire la répartition du travail en régions. Enfin, le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) introduit un nouveau règlement sur l’organisation du comité en créant une section de la police de Paris au sein des bureaux du comité, mais en conservant la répartition du travail en régions, qui disparaissent dans un dernier remaniement en pluviôse et en ventôse de l’an III.

11 Le comité engage un personnel administratif de plus en plus important tout au long de son existence. L’accroissement des pouvoirs du comité après le 10 août 1792 oblige ce dernier à recruter un personnel d’exécution plus nombreux. Malgré l’absence d’état mensuel de paiement des employés pour cette période, les registres permettent de déterminer l’importance du personnel. Il reste cependant impossible, pour cette période, de distinguer les secrétaires-commis à rémunération fixe, les agents extérieurs payés suivant le travail effectué et les simples « occasionnels » attachés à une seule opération de police. Le 17 septembre 1793 entraîne alors de profondes modifications, aussi bien dans l’organisation du travail que pour le personnel subalterne. En effet, tous les bureaux sont épurés, le comité s’entoure d’hommes nouveaux, de « patriotes reconnus »8. La nouvelle organisation du 19 octobre 1793 oblige le comité à augmenter le nombre de ses employés. Le bureau central, chargé de la distribution du courrier, est le mieux pourvu en personnel puisqu’il emploie vingt-deux secrétaires-commis, auxquels s’ajoutent deux interprètes, et les huit employés du bureau du timbre, considéré comme la deuxième section du bureau central et chargé d’apposer le cachet du comité sur ses arrêtés et sur ses lettres. Les régions possèdent un personnel plus ou moins nombreux selon leur importance : la première possède neuf secrétaires, la deuxième six, la troisième huit et la quatrième une vingtaine. Le règlement du 20 germinal correspond à un accroissement du personnel important, lié à la création des nouveaux bureaux. Chaque bureau possède des secrétaires principaux, des analyseurs, des enregistreurs et des expéditionnaires, dont le nombre s’accroît en fonction de l’importance du bureau. Le bureau central et la région de Paris sont ainsi les mieux fournis en personnel d’exécution, le premier possédant également deux interprètes (anglais et allemand). Le secrétariat général est également important puisqu’il a à sa disposition deux huissiers, et au sein de son bureau d’expédition d’ordres, deux agents principaux et dix-huit commis. Le caissier et l’archiviste sont tous deux secondés par un secrétaire-adjoint. En ajoutant le directeur général, chef du service intérieur, et les huit garçons de bureau, on parvient à un total de 122 personnes. Dans l’ensemble, après une période d’adaptation entre germinal et floréal, le personnel des bureaux est resté stable jusqu’à la fin de thermidor, atteignant plus de 160 employés à la veille du 9 thermidor. Jusqu’à sa suppression, le 4 novembre 1795, le comité possède un personnel d’exécution important, laissant derrière lui une tradition d’organisation policière, notamment à travers la figure du secrétaire général du comité, Bourguignon, qui devient ministre de la Police en 1799. Il existe enfin une autre catégorie de personnel au service du comité, sans lequel celui-ci ne peut accomplir la tâche de surveillance qu’il lui incombe : il s’agit des policiers. Non mentionnés dans les règlements du comité, les policiers sont chargés d’exécuter, à Paris ou dans les départements, les ordres du comité. Les policiers forment un groupe à part, moins homogène que le personnel des bureaux, que l’on peut diviser en trois types. On distingue d’abord les agents d’exécution, qui touchent un traitement fixe et qui émargent tous les mois sur les feuilles préparées par le trésorier du comité, puis le personnel à rémunération variable, assez stable sous la Terreur, payés sous forme de frais de mission en général élevés, et enfin les « occasionnels », dont la tâche se borne à n’exécuter qu’une seule mission.

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Trois policiers, dont les noms ne figurent pas sur les états de paiement, forment encore une catégorie à part : il s’agit d’Héron, de Sénar et de Dossonville. Protégés par certains représentants, ils sont généralement redoutés non seulement des suspects, mais aussi des autorités constituées. Les agents policiers du comité contribuent donc à une part importante du travail du comité, lui procurant également une réputation des plus fermes et redoutables.

Le comité au travail

12 Le comité s’impose comme une pièce centrale du gouvernement révolutionnaire par l’importance et par la quantité de travail qu’il doit fournir et enfin par les nombreuses sollicitations dont il fait l’objet au quotidien. Pour cela, il suit une méthode de travail de plus en plus rationalisée et organisée.

Les méthodes de travail du Comité de Sûreté Générale.

13 Jusqu’en septembre 1793, l’organisation intérieure du comité est peu connue ; néanmoins, certains registres du comité ont été conservés. On peut alors affirmer qu’il existe au comité un bureau chargé de tenir deux sortes de registres : un registre analytique des pièces arrivées au comité, commencé par le Comité de Surveillance de l’Assemblée législative, et prenant fin en février 1793, et surtout, le registre où tous les arrêtés pris par le comité sont copiés : mandats d’amener ou d’arrêt, ordres de recherche ou de perquisition, mises en liberté, etc. Les divers règlements organisationnels du comité introduisent une méthode de travail rigoureuse et rationalisée. Ainsi, d’après le règlement du 20 germinal an II, le comité possède un bureau central, quatre régions de surveillance, un bureau d’agence générale, un bureau de l’arriéré, un secrétariat général auquel est rattaché un bureau d’exécution, une caisse, un bureau d’archives9. Le bureau central joue le rôle d’un bureau du courrier à l’arrivée, chargé d’enregistrer toutes les pièces qui parviennent au comité et de les répartir entre les divers bureaux. Le bureau central procède lui-même au classement des pièces qu’il enregistre séparément sur différents registres. Le travail des régions est également très réglementé : dès que les régions reçoivent les pièces du bureau central, les secrétaires les comptent et les distribuent aux analyseurs, qui les remettent ensuite aux enregistreurs. Outre les registres des entrées, chaque région doit tenir un registre pour la correspondance qu’elle envoie, et un autre où sont portés les arrêtés du comité. Le bureau d’agence générale est l’héritier du bureau militaire. Son ordre de travail est le même que pour les régions, tenant également un registre des entrées de correspondance et d’arrêtés. Son champ d’action est très vaste, touchant aussi bien aux députés, y compris des assemblées précédentes, ministères et commissions exécutives, tribunaux, administrations, notamment les hôpitaux, les domaines nationaux, magasins de vivres et de fourrages qu’aux militaires et généraux. Pour rattraper le retard pris depuis l’automne 1793, le règlement crée ensuite un bureau spécial, celui de l’arriéré, chargé de classer les pièces en souffrance, réparties suivant leur objet entre les quatre régions et le bureau d’agence générale. Le secrétariat général peut être considéré comme le rouage essentiel du Comité de Sûreté Générale : ses deux secrétaires généraux, Lauchet et Bourguignon, doivent être présents à leur bureau pendant les séances du comité et sont les seuls, avec le secrétaire principal de chaque région, à pouvoir entrer dans la salle des séances du comité. Un huissier est chargé de tenir un

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registre dans lequel il inscrit les noms des personnes voulant communiquer avec le comité. Le règlement prévoit notamment d’employer un archiviste qui doit avoir soin de tous les papiers, remettre toutes les pièces relatives à chaque affaire et en tenir une note séparée. La fonction de caissier est maintenue, en la personne de Pijeau-Villiers : il doit tenir registre des sommes qui entrent ou qui sortent de sa caisse et enregistrer sur un autre registre les objets précieux adressés au comité. Le poste de directeur général, enfin, inexistant dans l’ancienne organisation, est chargé de la surveillance de tous les bureaux et est tenu de rendre compte au comité de l’activité des employés. Il prend également en charge la commande des fournitures de registre, papier, encre, plumes et dispose d’un garçon de bureau, à partir de prairial, chargé spécialement de la distribution des fournitures.

Les travaux du Comité de Sûreté Générale

14 Les travaux du comité constituent une masse considérable, et malgré l’accroissement du personnel et la répartition des tâches entre les bureaux, il semble submergé par les nouvelles affaires qui parviennent chaque jour. Il est par exemple assez fréquent que le comité ne réponde pas aussitôt aux courriers et que ses correspondants soient obligés de le solliciter à maintes reprises pour obtenir une réponse. C’est ainsi le cas du ministre de la justice, Gohier, qui réclame, le 12 septembre 1793, une réponse du comité au juge de paix de Bessé au sujet d’un citoyen attendant d’être jugé. « La multiplicité des travaux importants dont le Comité de Sûreté Générale est chargé ne lui a sans doute pas encore permis de faire parvenir au juge de paix de Bessé la réponse qu’il sollicite » 10. Le règlement du 19 octobre 1793 précise que le comité doit siéger tous les jours de huit heures du soir à onze heures, plus tard si les circonstances l’exigent. Les employés des bureaux au service du comité fournissent eux aussi un travail excessif, veillant même la nuit pour être aux ordres du comité, au moment où les décisions collégiales sont souvent prises. Le comité joue alors un rôle de premier plan dans l’instruction des grandes affaires politiques : la mise en accusation des Girondins (rapport d’Amar, 3 octobre 1793), affaire de la Compagnie des Indes (rapport d’Amar, 16 mars 1794), la conspiration de Batz (rapport d’Elie Lacoste, 14 juin 1794), l’affaire Catherine Théot (rapport de Vadier, 15 juin 1794), entre autres. Enfin, on distingue au sein du comité des personnalités qui jouent un rôle plus important. Par exemple, entre septembre 1793 et juillet 1794, cinq membres du comité sont les principaux rapporteurs devant la Convention : Voulland présente pas moins de quarante-et-un rapports, Amar dix-sept, Dubarran quinze, Vadier quatorze et Elie Lacoste treize. De même, lors de la journée du 1er prairial an III (20 mai 1795), certains membres du comité, comme Kervélégan ou Bergoeing, jouent un rôle de premier plan dans la défense de la Convention, en faisant mander des hommes pour lever le siège de la Convention.

Les contacts du comité

15 Les contacts du comité avec les autorités révolutionnaires sont importants, d’une part avec les autorités locales, et de l’autre, avec les organes gouvernementaux de la Convention.

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Les rapports du Comité de Sûreté Générale avec les autorités révolutionnaires.

16 Les rapports du comité à la Convention sont ceux d’une commission parlementaire avec l’assemblée qui a fixé ses attributions et choisi ses membres parmi l’ensemble des députés. Le Comité de Sûreté Générale, tout comme les autres comités, présente, par l’organe d’un de ses membres, des rapports aboutissant à des projets de décret soumis au vote de l’assemblée. En cas de rejet du projet, celui-ci est renvoyé au comité pour un nouvel examen. De nombreux rapports ont été effectués conjointement avec d’autres comités de la Convention, en particulier trois comités, avec lesquels le Comité de Sûreté Générale entretient des relations étroites. Il collabore avec le Comité des Décrets pour l’admission des suppléants destinés à remplacer les représentants démissionnaires, mis hors-la-loi ou condamnés à mort. Ils doivent alors examiner la conduite des suppléants qui siègent ou qui sont appelés à siéger, et découvrir s’ils ont adhéré au mouvement fédéraliste, ce qui empêcherait leur admission à la Convention. Le comité coopère ensuite avec le Comité des Finances pour toutes les questions relatives aux banquiers et aux ci-devant fermiers généraux. Enfin, le comité travaille avec le Comité de Législation, également comité de gouvernement à partir du 7 fructidor an II, par exemple pour procéder à certaines opérations de réquisitions chez les députés déclarés hors-la-loi, ou encore pour décider des mesures d’arrestation à l’encontre des suspects. Il convient ensuite d’examiner les rapports entre le Comité de Sûreté Générale et le Conseil exécutif provisoire, c’est-à-dire les six ministères de la Justice, de l’Intérieur, des Contributions et revenus publics, de la Guerre, de la Marine et des colonies et des Affaires Etrangères. Les rapports entre le comité et le ministre de la Justice, Gohier, sont fréquents : le ministre a, en effet, dans ses attributions l’expédition des décrets votés par la Convention, et lorsque le décret a pour origine un rapport du comité, celui- ci se préoccupe naturellement de son exécution. Le décret du 3 octobre, par exemple, voté sur le rapport d’Amar, donne lieu à un échange de correspondance concernant l’incarcération des députés décrétés d’arrestation. Le comité confie parfois également au ministre de la Justice le soin d’exécuter des mandats d’arrêt. La procédure reste la même : le ministre transmet aux autorités locales l’ordre du comité et lui en rend compte ensuite. Le ministre joue en fait le rôle d’intermédiaire entre le comité et les autorités locales, non seulement pour exécuter les ordres du comité, mais aussi, à l’inverse, pour faire parvenir à ce dernier les réclamations de certaines mesures émises par les pouvoirs locaux. La correspondance entre le comité et le ministère de l’intérieur est, presque toute relative aux mesures de sûreté générale : déportation des prêtres insermentés, arrestations, levées de scellés, activités des municipalités et des comités révolutionnaires, diffusion des lois contre les ennemis de la révolution, envois d’interrogatoires subis à l’Hôtel de Brionne. Enfin, le Comité de Sûreté Générale entretient des relations très étroites avec le Tribunal révolutionnaire, du fait de leurs fonctions respectives : ils sont, en effet, appelés à travailler ensemble au quotidien. Fouquier-Tinville, l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire, est un collaborateur important pour les comités de gouvernement, secondant ces derniers dans leur tâche policière. Fouquier-Tinville se rend tous les jours au comité pour recevoir les ordres à appliquer. A l’inverse, les membres du Comité de Sûreté Générale se rendent fréquemment au Tribunal révolutionnaire, et plus particulièrement Vadier et Voulland. Ils y vérifient la conduite des magistrats, l’attitude du public, des accusés et des

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défenseurs. Lors du procès de Danton et de ses partisans, la présence des membres du comité est particulièrement importante.

17 Le comité entretient, au niveau du département, des rapports étroits avec les représentants en mission, qui, après les insurrections fédéralistes, ont la prééminence sur les administrations départementales. Les rapports du comité avec les administrateurs de département sont donc quasi-inexistants, celui-ci chargeant les représentants en mission d’épurer les autorités civiles départementales qui se sont insurgées au cours de l’été 1793. En revanche, le comité entretient des rapports très étroits avec les représentants en mission, qui jouent un rôle éminent en tant qu’auxiliaires du comité. Celui-ci adresse très souvent des lettres empreintes de beaucoup de détermination pour exhorter le zèle des représentants du peuple en mission. Les deux circonscriptions essentielles avec lesquelles le comité garde un contact étroit sont les districts et les communes, dont les pouvoirs sont renforcés par le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793). Au sein du district, le comité communique principalement avec les agents nationaux et les administrateurs, représentant l’autorité du comité auprès des communes et des sections. Les agents nationaux, siégeant auprès de chaque administration de district et auprès de chaque municipalité, doivent rendre compte au Comité de Sûreté Générale tous les dix jours, de l’exécution des lois et des mesures de sûreté. Le comité attache une grande importance à ces comptes décadaires, qui le renseignent du moindre trouble ou du moindre acte d’indiscipline et de l’esprit public en général. Le comité coopère également avec les administrateurs de district, qui travaillent aux côtés de l’agent national, ce qui explique que la correspondance du comité soit en général destinée aux deux autorités en même temps. En-dessous des districts, se trouvent dans la chaîne de commandement que dirige le comité, les communes et les sections, chargées de l’application des mesures révolutionnaires. Elles sont subordonnées aux districts, à qui elles rendent compte de leurs travaux tous les dix jours, qui parviennent ensuite, par l’intermédiaire des districts, aux comités de gouvernement. Ainsi, les instructions du comité adressées aux districts sont immédiatement répercutées jusqu’aux municipalités. Enfin, le comité entretient des relations particulières avec les comités de surveillance, crées le 21 mars 1793 et dont la tâche essentielle est alors d’appliquer la loi des suspects, votée le 17 septembre 1793 : ils doivent dresser la liste des gens suspects et décerner contre eux les mandats d’arrêt, puis envoyer au comité la liste des personnes qu’ils auront fait arrêter, avec les motifs de leur arrestation. La loi du 17 septembre constitue la fonction essentielle des comités révolutionnaires, mais l’interprétation de la loi des suspects par les comités révolutionnaires entraîne cependant vite des difficultés, et est à l’origine de certaines discordances au sein même du comité. A partir du décret du 14 frimaire, les comités révolutionnaires sont tenus de rendre compte, tous les dix jours, de leurs travaux aux districts et au Comité de Sûreté Générale. Cette obligation devient encore plus indispensable à partir des lois de ventôse, confiant au Comité de Sûreté Générale le soin de réunir et de classer les dossiers des suspects de toute la France. Dès le 16 ventôse an II (6 mars 1794), le comité expédie à tous les comités de surveillance un modèle de tableau à remplir en sept colonnes, devant indiquer la profession du détenu, son revenu, ses relations, les motifs de son arrestation, le caractère et les opinions politiques qu’il a montrés dans les mois de mai, juillet et octobre 1789, au 10 août 1792, à la fuite et à la mort de Louis XVI, au 31 mai 1793 et dans les crises liées à la guerre. A partir du 7 fructidor an II (24 août 1794), les comités de surveillance sont réduits à un

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comité par district, réduisant ainsi le nombre de communicants avec le comité, et disparaissent progressivement jusqu’à leur suppression en octobre 1795.

Les rapports du Comité de Sûreté Générale avec le Comité de Salut Public

18 Le Comité de Sûreté Générale devait former avec le Comité de Salut Public un véritable couple institutionnel pour diriger le gouvernement révolutionnaire.

19 Les textes législatifs nous renseignent sur l’évolution des fonctions attribuées aux deux comités. Il faut retenir parmi les grands textes de lois régissant leurs rapports, celui du 13 septembre 1793, décrétant, sur la proposition de Danton, que le Comité de Salut Public est chargé de présenter à la Convention la liste des membres de tous les autres comités, y compris celui de Sûreté Générale. La prééminence du Comité de Salut Public est donc ici formellement reconnue. Le décret du 19 vendémiaire (10 octobre 1793) confirme implicitement cette prééminence du Comité de Salut Public : l’article 2 indique en effet que « le Conseil exécutif provisoire, les ministres, les généraux, les corps constitués sont placés sous la surveillance du Comité de Salut Public »11, sans mentionner le Comité de Sûreté Générale. Toutefois, le grand décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), voté sur le rapport de Billaud-Varenne, rétablit une certaine égalité entre les deux comités, en confiant l’inspection des corps constitués et des fonctionnaires publics au Comité de Salut Public pour les mesures de gouvernement et de salut public, et au Comité de Sûreté Générale pour tout ce qui est relatif aux personnes et à la police générale et intérieure. D’autres articles du même décret placent sur le même plan les deux comités comme celui qui concède le droit d’élargissement à la Convention nationale et aux deux comités. Il faut citer également les lois de ventôse qui prévoient, par les mesures qu’elles prescrivent, un partage des attributions entre les deux comités : le Comité de Salut Public est chargé de dresser l’état des patriotes indigents, celui de Sûreté Générale d’établir le tableau des ennemis de la révolution, dont les biens serviront à indemniser les patriotes indigents. Enfin, le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) rappelle leurs attributions respectives, en confiant sans partage au Comité de Sûreté Générale la police générale de la République, réaffirmant ainsi sa mission originelle, jusqu’à sa suppression, le 13 brumaire an IV (4 novembre 1795).

20 La correspondance entre les deux comités, ainsi que les arrêtés pris en commun, montrent qu’ils entretiennent des échanges importants. On remarque, à travers cette correspondance, que le Comité de Salut Public n’essaie pas de récupérer des fonctions propres au Comité de Sûreté Générale, mais qu’à l’inverse, il attache une certaine importance au partage des tâches entre les deux comités. « C’est en se renfermant chacun dans le cercle de ses fonctions que les comités imprimeront à la chose un mouvement uniforme et accéléré »12, écrivent Billaud-Varenne et Carnot au Comité de Sûreté Générale, le 5 frimaire an II. Le Comité de Salut Public se démet même de certaines fonctions auprès de celui de Sûreté Générale : la surveillance des généraux, par exemple, qui relève d’abord du Comité de Salut Public, puisque celui-ci est chargé de la diplomatie et des opérations militaires, est transmise au Comité de Sûreté Générale, à partir du 14 brumaire an II (4 novembre 1793).

21 Toutefois, certains empiètements du Comité de Salut Public sur les attributions de police de son homologue crée une certaine rivalité entre les deux comités. Ainsi, après

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avoir acquis, le 28 juillet 1793, le droit de lancer des mandats d’arrêt, le Comité de Salut Public obtient, le 27 germinal an II (16 avril 1794) le pouvoir de rechercher et de faire traduire devant le Tribunal révolutionnaire les accusés, au même titre que le Comité de Sûreté Générale. Cette mesure est suivie de la création d’un bureau de police générale au sein du Comité de Salut Public, qui est alors perçue comme une police concurrente à celle du Comité de Sûreté Générale. La loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) ne fait qu’accentuer cette rivalité puisque celle-ci permet aux deux comités d’envoyer les inculpés directement devant le Tribunal révolutionnaire. Cependant, malgré ces empiètements sur ses attributions policières, le Comité de Sûreté Générale garde la direction de la police révolutionnaire puisqu’il demeure à l’origine d’un nombre d’arrestations plus important que celles lancées par le Comité de Salut Public et parce qu’il conserve la mainmise sur les grandes affaires politiques de la Terreur. Le rôle du Comité de Sûreté Générale dans la journée du 9 thermidor est d’ailleurs primordial, puisque ce sont ses membres (Voulland, Vadier, Elie Lacoste) qui réclament l’arrestation des robespierristes à la tribune de la Convention, et qui prennent ensuite une série de mesures à l’encontre de la Commune de Paris. Le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) permet donc de rééquilibrer les rapports entre les deux comités en rappelant leurs attributions respectives, et de réaffirmer la mission policière du Comité de Sûreté Générale. Jusqu’à la fin de la Convention, le comité conserve le pouvoir exclusif sur la police générale, obtenant par exemple en mars 1795 le droit de nommer les commissaires de police.

22 Créé dans un contexte de guerre civile et extérieure, le 2 octobre 1792, le Comité de Sûreté Générale perdure tout au long de la Convention nationale, jusqu’à sa suppression, le 13 brumaire an IV (4 novembre 1795). Chargé de la police révolutionnaire, le comité acquiert une autorité grandissante au sein du gouvernement, jusqu’à devenir un rouage essentiel du gouvernement révolutionnaire.

NOTES

1. Jérôme Mavidal et Emile Laurent, Archives parlementaires, recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, tome LXXIV, 12-22 septembre 1793, Paris, 1909, p.305. 2. Georges Belloni, Le Comité de Sûreté Générale de la Convention nationale, Paris, thèse de doctorat, faculté des lettres de l’université de Paris, 1924, p.187. 3. Michel Eude, « Le Comité de Surveillance de l’Assemblée législative (1791-1792) », AHRF, Société des Etudes robespierristes, 1964, p.143. 4. Jacques Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p.305. 5. Jérôme Mavidal et Emile Laurent, Op.cit., tome LXXX, 24 novembre-5 décembre 1793 (4-15 frimaire an II), Paris, 1912, p.630. 6. Fonds Eude, chemise 29, Articles sur le Comité de Sûreté Générale, « Le travail des bureaux », p.2. 7. AN, AFII 286, Registre des arrestations et arrêtés généraux du Comité de Sûreté Générale, 8 août 1793-7 germinal an II.

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8. AN, F7 2202, Registre des arrêtés du Comité de Sûreté Générale (floréal an II-nivôse an III), lettre du 6 floréal an II. 9. AN, AFII 284, Registre sans titre contenant copies: 1° de l’arrêté relatif à l’organisation intérieure du comité, avec « un état des bureaux » en forme de tableau (18, 20 germinal an II). 10. AN, F7 43941, dossier 1, Correspondance du ministre de la justice, Gohier, adressée à la Convention nationale et au Comité de Sûreté Générale. 11. Jérôme Mavidal et Emile Laurent, Op.cit., tome LXXVI, Paris, 1910, p.312. 12. AN, F7 4444, plaquette 4, pièces 326 à 336, Pièces de correspondance entre le Comité de Sûreté Générale, d’une part, et le Comité de Salut Public et le Conseil exécutif provisoire, d’autre part.

RÉSUMÉS

Le Comité de sûreté générale est un rouage important du gouvernement révolutionnaire. Chargé de la police et de la sûreté de l’État, le comité adopte, tout au long de son existence, jusqu’au 4 novembre 1795, une organisation intérieure méthodique et réglementée et intègre un personnel politique important, jusqu’à devenir comparable à un véritable ministère de la Police. Second comité de gouvernement, il joue un rôle politique décisif au cours des événements révolutionnaires et acquiert une autorité grandissante en concentrant des fonctions policières importantes et en devenant un collaborateur essentiel auprès des autorités révolutionnaires.

The Committee of General Security is an important machinery of the revolutionary government. Responsible for the police and the state security, the committee adopts, throughout his existence, until the 4th November 1795, a methodical and regulated interior organization, and integrates an important political staff, becoming comparable to a real ministry of Police. Second committee of government, he plays a decisive political role during the revolutionary events and acquires a growing authority by concentrating important police functions and by becoming an important associate of the revolutionary authorities.

INDEX

Mots-clés : Révolution française, Comité de sûreté générale, comités des assemblées révolutionnaires Keywords : French Revolution, Comittee of General Security, committees of revolutionary assemblies

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Métamorphoses d’un comité : le Comité des pétitions et de correspondance sous la Convention nationale1

Maria Betlem Castellà i Pujols

1 Le Comité des pétitions et de correspondance fut créé le 2 octobre 17922, le même jour que la plupart des comités qui furent mis sur pied au tout début de la jeune République.

2 Seuls le Comité de la guerre et le Comité de constitution qui devait rédiger une nouvelle carte constitutionnelle avaient été créés quelques jours auparavant, le premier3, au lendemain de la proclamation de la République, le 23 septembre 1792, le deuxième4, une semaine après cet événement important. Les autres comités furent créés les 1er et 2 octobre après que Constant-Joseph Eugène Gossuin, membre du Comité des pétitions de l’Assemblée législative depuis le 24 octobre 1791, eut présenté aux nouveaux députés la liste des comités existants sous l’Assemblée précédente5. Il fallait décider des comités que l’on devait supprimer et de ceux que l’on voulait maintenir.

3 La Convention nationale ne supprima aucun des comités qui restaient en fonctionnement en septembre 1792 ni aucune des commissions. Néanmoins, elle mena à terme une politique d’absorption et de regroupements. Le Comité féodal, pour citer un exemple, fut intégré dans le Comité de législation6, les commissaires Inspecteurs de la Salle formèrent un nouveau comité conjointement avec les inspecteurs du secrétariat et de l’imprimerie7, et la Commission extraordinaire des douze absorba le Comité de surveillance, donnant lieu au Comité de sûreté générale8. Dans ce contexte d’absorption et de regroupements, apparut le Comité des pétitions et de correspondance qui naquit de la décision de l’Assemblée d’ajouter au Comité des pétitions la commission de correspondance.

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Origines. Le Comité des pétitions et la commission de correspondance de l’Assemblée législative

4 Le Comité des pétitions s’était substitué au Comité des rapports et des recherches le 14 octobre 1791 pour assurer la continuité des travaux du Comité des rapports9. Il devait gérer, entre autres, la correspondance qui rendait compte des vœux, des espoirs, des plaintes, des pétitions et des demandes des commettants, qui n’étaient pas adressés auparavant à d’autres comités, ni communiqués à l’Assemblée par le Bureau des renvois et des correspondances sous la direction du président du Corps législatif. Étant donné que l’Assemblée législative n’avait pas le temps nécessaire pour se faire lire toute la correspondance qu’on lui adressait, le Comité des pétitions avait la compétence de décider des informations qu’elle devait connaître parmi toutes celles qu’il recevait du Bureau des renvois et des correspondances. Le Comité des pétitions exerçait alors la fonction de filtre sur la correspondance reçue. Il décidait des informations qui devaient être communiquées ou non aux députés, de celles qui devaient être envoyées aux comités ou aux ministres, et de celles, enfin, qui pouvaient être rejetées. Il avait aussi le pouvoir d’écarter des informations. De fait, un certain nombre de lettres furent étiquetées avec la mention « Il n’y a pas lieu à délibérer »10. À cet égard, le choix du Comité des pétitions pouvait répondre aux critères particuliers, politiques ou arbitraires de ses membres. À cause de cette compétence de filtrage de l’information, le Comité des pétitions pouvait orienter le débat parlementaire et influencer les députés du Corps législatif dans leur prise de décisions. Et cela parce que si les députés voulaient légiférer en tenant compte de la volonté de leurs commettants, ils devaient être au courant des informations transmises par le Comité des pétitions. Son travail fut aussi d’une importance remarquable du fait du volume de correspondance qu’il géra. De janvier à septembre 1792, le Comité des pétitions fut celui qui reçut le plus de correspondance enregistrée parmi tous les comités et commissions en place à cette époque-là11, par les secrétaires-commis du Bureau des renvois et des correspondances. Si le Comité des pétitions était né pendant les premiers jours de l’Assemblée législative, la commission de correspondance naquit au cours de ses dernières séances, une semaine après la chute de la monarchie12. D’autre part, si le Comité des pétitions fut chargé de recevoir, pour ainsi dire, la volonté générale, et d’être, comme le dit Gossuin, l’organe des corps administratifs et des citoyens de l’Empire auprès des députés (« Messieurs, c’est toujours avec une satisfaction nouvelle que votre Comité des Pétitions est auprès de vous l’organe des corps administratifs et des citoyens de l’Empire. »13), la commission de correspondance fut l’organe de l’Assemblée, au milieu des corps administratifs et des citoyens de l’Empire, l’instrument par lequel l’Assemblée pouvait être présente partout. Dès le 17 août 1792, elle avait la charge d’écrire aux commissaires envoyés en mission14, et dès le 3 septembre de la même année, celle de rédiger le Bulletin national15. C’est ainsi qu’elle communiquait dans tout l’Empire les directives de l’Assemblée, ses décrets et les discours de ses députés. Pour être plus précise, la commission de correspondance était celle qui adressait les ordres de l’Assemblée aux commissaires envoyés en mission et celle qui recevait, en contrepartie et dans un premier temps, leurs nouvelles, parfois confidentielles étant donné le caractère particulier des informations concernant le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. C’était aussi la commission chargée de rédiger le Bulletin national qui devait rendre compte de la situation de l’Empire et donner les détails de la

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correspondance des commissaires envoyés en mission aux armées, pour combattre les calomnies qui accusaient l’Assemblée de ne pas communiquer les informations aux citoyens. C’est ainsi qu’Armand Guy Simon de Kersaint intervint à l’Assemblée le 3 septembre 1792 : « On vous accuse d’avoir des lumières que vous ne communiquez pas au public, allez au-devant de cette calomnie et faites un bulletin national »16.

Gains. Le Comité des pétitions et de correspondance de la Convention nationale

5 Dès le premier jour de réunion, le 17 octobre 1792, les députés du Comité des pétitions et de correspondance poursuivirent les mêmes travaux que pendant les derniers temps de l’Assemblée législative17, avec cependant deux nouveautés importantes : ce comité s’occuperait de gérer l’intervention des pétitionnaires à la barre et au Bureau des renvois et des correspondances. À partir du mois de novembre 1792, les pétitionnaires qui voulaient lire personnellement au Corps législatif leurs vœux, leurs plaintes, leurs pétitions ou leurs demandes devaient se présenter devant le Comité des pétitions et de correspondance, et non plus devant le président de l’Assemblée18. En outre, le Bureau des renvois et des correspondances devint alors une section du Comité des pétitions et de correspondance qui n’était plus contrôlé par le président ni les secrétaires de l’Assemblée, comme cela se passait depuis 178919. L’importance de ce bureau est due au fait qu’il agissait comme premier filtre de toute la correspondance qui arrivait au Corps législatif, et cela, parce qu’il était responsable, entre autres travaux, d’adresser aux députés et aux comités la correspondance qu’ils recevaient particulièrement, mais aussi d’ouvrir, enregistrer et renvoyer aux comités la correspondance adressée à l’Assemblée ou à son président et enfin de présenter à ce dernier les informations susceptibles d’être communiquées au Corps législatif ou d’être envoyées, en cas d’urgence, à certains comités.

Tableau nº 1

6 Sous la Convention nationale, et pendant quelques mois seulement, toute la correspondance qui arriva au Corps législatif passa par les mains du Comité des pétitions et de correspondance. Ce comité devint le premier filtre de la correspondance. À partir du mois d’octobre 1792, les citoyens pour se faire entendre de l’Assemblée devaient passer par ce nouveau filtre, et non plus par celui du président de l’Assemblée, comme c’était le cas sous les deux Assemblées précédentes. (Voir le tableau nº 1)

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Pertes. Le président de l’Assemblée

7 Le Comité des pétitions et de correspondance prit sa forme finale et son importance considérable pendant le mois de novembre 1792 au moment où il vint à contrôler deux des trois compétences gérées jusqu’alors par le président de l’Assemblée. Depuis le début de l’Assemblée nationale constituante, le président avait entre les mains trois compétences très importantes : la direction des débats parlementaires, le contrôle des pétitionnaires et la direction du Bureau des renvois et des correspondances. Le président de l’Assemblée ouvrait et fermait les séances parlementaires, il préparait l’ordre du jour conjointement avec le comité central, il donnait, coupait et retirait la parole aux députés, posait les questions sur lesquelles ces derniers devaient délibérer et prendre position, refaisait le compte des voix après les votations, fermait les discussions et essayait de maintenir l’ordre dans la salle. Il choisissait aussi les pétitionnaires qui pouvaient se présenter à la barre et, comme il contrôlait le Bureau des renvois et des correspondances, il choisissait également les informations qui devaient être lues aux députés. Ces trois compétences, ensemble et même séparément, pouvaient permettre au président de l’Assemblée, à un moment déterminé, d’orienter le débat parlementaire dans un sens ou dans un autre, de favoriser ou non un point de vue ou une tendance politique. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il y ait eu d’importantes discussions sous l’Assemblée législative à propos des compétences du président20, et que Claude Basire ait rappelé le 17 novembre 1791 à Vincent Marie Viennot de Vaublanc, président ce jour-là, au milieu d’une vive discussion : « Vous êtes juge et partie »21. Pas étonnante non plus la véritable lutte politique entre députés jacobins et feuillants pour obtenir le contrôle de la présidence le 23 juillet 179222. Le rôle de filtre que le président de l’Assemblée exerçait sur les informations était bien connu de tous les députés, et même combattu pendant les premiers jours de l’Assemblée législative, quand une partie des députés du côté gauche avaient essayé d’éliminer tout filtrage des pétitionnaires et de la correspondance qui parvenait à l’Assemblée23. L’établissement du Comité des pétitions et de correspondance avec ses deux nouvelles compétences signifiait que le président était démis de deux prérogatives importantes, et qu’il ne lui en restait qu’une, celle de gérer le débat parlementaire. Autrement dit, cela signifiait que son influence sur les discussions dans le Corps législatif afin d’élaborer les lois avait été diminuée. (Voir le tableau nº 2)

Tableau nº 2

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Centralisation. Le comité central d’Alba Lasource

8 Le Comité des pétitions et de correspondance qui se forma mi-novembre fut en réalité l’aboutissement partiel d’une proposition faite à l‘Assemblée le 10 octobre 1791 par David-Marie Lasource, connu aussi sous le nom d’Alba Lasource24. Lasource proposa l’établissement d’un comité central chargé de recevoir toute la correspondance arrivant au Corps législatif et de la distribuer aux différents comités de l’Assemblée. Ce comité qui échappait au contrôle du président devait assurer, contrairement au Bureau des renvois et des correspondances, une série de tâches complémentaires, à savoir : « Art. 1er. Le comité général recevra toutes les pétitions, adresses, projets, mémoires, sur toutes sortes d’objets. Art. 2. Il prendra note sommaire de l’objet de chaque envoi qui lui sera fait, et l’inscrira sur un registre, en mettant un numéro à chaque pièce et en recommençant chaque mois, pour éviter la confusion. Art. 3. Cette première opération faite, il fera parvenir de suite chaque objet au comité qui devra en connaître. Art. 4. S’il y avait un certain nombre d’objets qui fût de la compétence d’un comité qui n’existe pas encore, le comité général en demandera la création. Art. 5. S’il arrivait que les pétitions, questions, etc., parvinssent à quelques comités sans être parvenues au comité central, avant toute opération ces comités seront tenus de présenter l’original desdites pétitions, etc., au comité central qui en prendra note. Art. 6. Les comités ne pourront faire aucune réponse ni donner aucun éclaircissement, avis ou décision, sans en donner note au comité central. Art. 7. Les réponses et éclaircissements, avis et décisions seront inscrits à la page du registre opposée à la demande et correspondront avec elle par numéro. Art. 8. Les comités seront tenus de fournir dans un mois au plus tard leur note sur chaque numéro que le comité central leur aura fait parvenir. Le comité central les en sommera s’ils ne l’ont point fait, et s’il restait un trop grand nombre d’affaires en arrière. […] Le comité central sommera au bout d’un mois le Comité de rendre compte à l’Assemblée. Si celui-ci ne le fait pas, le comité central instruira l’Assemblée nationale qui décidera sur son rapport. Le double des registres du comité sera déposé dans un des bureaux de l’Assemblée, où chaque membre pourra en prendre connaissance, toutes les fois que bon lui semblera, pendant 3 jours de la semaine. »25

9 L’objectif poursuivi par Lasource avec cette proposition était d’éviter que la correspondance renvoyée aux comités ne fût pas communiquée à l’Assemblée, et que l’Assemblée fût à l’écart des décisions que les comités prenaient sur les informations qu’ils avaient reçues. C’était un objectif qui voulait à son tour restreindre l’indépendance des comités par rapport au pouvoir de l’Assemblée, bien connue de tous les députés des assemblées parlementaires et dénoncée par Georges-Auguste Couthon le 1er octobre 1791 : « Des mémoires, des instructions, des adresses, des pétitions étaient directement adressés aux comités, on les prenait ou non en considération : cela dépendait d’un concours de correspondance qu’il est inutile d’approfondir ; mais alors l’Assemblée nationale, qui n’avait aucune connaissance des différents renseignements, prononçait sans connaître les différents moyens qui dictaient son décret. »26

10 Au mois de novembre 1791, la proposition d’Alba Lasource ne fut pas acceptée et, en octobre 1792, la Convention nationale n’accorda pas au Comité des pétitions et de correspondance les tâches complémentaires que Lasource avait établies dans son projet pour l’établissement d’un comité central. Les comités de la Convention nationale ne se virent jamais dans l’obligation d’adresser au Comité des pétitions et de correspondance les informations qui avaient échappé à son contrôle et qu’ils avaient reçues par d’autres voies, pas davantage que lui communiquer les décisions qu’ils adoptaient concernant la correspondance reçue. Néanmoins, la proposition de Lasource aboutit partiellement au

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Comité des pétitions et de correspondance. Sous la Convention nationale, ce fut un comité et non le Bureau des renvois et des correspondances sous la direction du président de l’Assemblée qui fut chargé de recevoir et de distribuer, à partir de novembre 1792, toute la correspondance parvenant au Corps législatif.

Porter. Flux d’informations sortantes, entrantes et internes

11 Le Comité des pétitions et de correspondance fut important, surtout pendant les premiers mois de la jeune République, par le contrôle qu’il exerça sur des flux d’informations qui pourraient être regroupées en trois catégories : sortantes, entrantes et internes27. En ce qui concerne les flux d’informations de sortie, ceux qui transmettaient les informations de la Convention nationale à d’autres partenaires, ou bien des mandataires aux commettants, le Comité des pétitions et de correspondance, étant donné qu’il avait absorbé le contrôle du Bureau des renvois et des correspondances, eut la charge de rédiger les lettres au nom du président de l’Assemblée. Cette correspondance était normalement adressée aux ministres, aux directoires de département et de district, aux tribunaux, aux municipalités, aux gardes nationales, aux régiments et aux particuliers. En ce sens, le Comité des pétitions et de correspondance travailla à transmettre toutes les informations nécessaires pour la bonne continuation de leurs travaux. Par cet envoi de lettres, de discours et d’adresses, il communiquait les instructions de l’Assemblée, les procédures ainsi que les pratiques nouvelles qu’ils devaient adopter pour marcher à l’unisson avec le Corps législatif28. Ce comité fut aussi chargé de communiquer aux commissaires envoyés en mission, via les flux d’informations de sortie, les instructions de travail, les travaux à réaliser, les informations propres de l’Assemblée et les informations d’endoctrinement. Mise à part sa correspondance avec les commissaires envoyés en mission, le comité correspondait aussi avec les généraux. Finalement, son poids le plus important sur les flux d’informations sortantes se trouve dans la rédaction du Bulletin national. Six députés et huit secrétaires commis de ce comité, qui travaillaient tous les jours, avaient sous leur responsabilité la réalisation de ce bulletin qui diffusait les opérations de l’Assemblée, celles des commissaires envoyés en mission et quelques pétitions et adresses lues à la barre. En ce qui concerne les flux d’informations entrantes, celles qui étaient transmises de toutes parts de la République à la Convention nationale, des commettants aux mandataires, le Comité des pétitions et de correspondance dut assurer la gestion de toute la correspondance arrivant au Corps législatif à partir du 11 novembre 179229. Toutes les lettres qui n’étaient pas adressées nominalement à un député ou à un comité en particulier étaient ouvertes et lues par le Comité des pétitions et correspondance qui décidait de leur sort final. En ce sens, ce comité exerçait une importante tâche de filtrage ; filtrage que les citoyens pouvaient contourner en adressant des lettres à un député ou à un comité en particulier. En outre, ce comité contrôlait aussi les informations provenant des commissaires envoyés en mission et des généraux. À tout moment, il était au courant de leurs opérations ainsi que des problèmes et difficultés de leurs missions. C’est à lui que revenait la décision de communiquer tout ou partie à l’Assemblée. En ce qui concerne les flux d’informations internes, ce comité avait une influence remarquable. La plupart des informations reçues par les comités et les commissions provenaient d’une décision adoptée par le Comité des pétitions et de

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correspondance. Seules les lettres qu’ils recevaient nominalement échappaient au contrôle de ce comité. Le Comité des pétitions et de correspondance ou, pour mieux dire, ses membres et ses secrétaires commis agirent en qualité de porters —concept décrit par Kurt Lewin— en ce sens que les porters sont ceux qui occupent des postes-clés pour faire circuler les informations. Comme le souligne Eduard Resbier : « [les porters] sont semblables à des relais qui peuvent se comporter comme des filtres des informations, en sélectionnant celles qu’ils considèrent comme les plus importantes. Cela pose cependant un problème d’altération des communications dans la mesure où le choix mentionné est conditionné par les valeurs, les stratégies, les buts et, en définitive, par tout ce que le porter considère important »30.

Vérité/Vérités. Le Bureau de l’esprit public et la commission de correspondance sous l’Assemblée législative et la Convention nationale

12 À partir du 10 août 1792, la Commission extraordinaire des douze, qui travaillait aux côtés du Comité des pétitions depuis sa mise en place, commença à encourager une politique de diffusion des nouvelles pour combattre les calomnies et les diatribes que, selon leurs rapports, les ennemis de la patrie diffusaient. La Commission extraordinaire des douze, créée le 17 juin 1792 pour sauver la Constitution, la liberté et l’Empire31, était d’avis qu’il fallait imprimer des « vérités », tout comme de son côté la Cour avait payé différents écrivains pour corrompre l’opinion publique. « Messieurs, vous avez déjà été à même de voir, par les rapports de vos commissaires chargés d’assister à l’inventaire des papiers de la liste civile, que la cour soudoyait une quantité énorme d’écrivains pour corrompre l’opinion publique. Plus on a imprimé de calomnies et de diatribes, plus vous devez maintenant imprimer de vérités »32.

13 Pendant la journée du 10 août 1792, on avait remarqué que les désordres avaient pris fin quand l’Assemblée avait communiqué au peuple ses décrets33. Le peuple français y était invité à former une Convention nationale, et le roi restait suspendu de façon provisoire jusqu’au moment où cette nouvelle assemblée prononcerait les mesures à prendre pour assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l’égalité34. Informer des décrets adoptés par l’Assemblée et diffuser « la vérité »/« les vérités » étaient devenus une priorité pour les députés qui le 10 août 1792 prêtèrent le serment de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir à leur poste35. À cet égard, douze d’entre eux furent envoyés dans les quatre armées, celle de l’Ouest, celle du Rhin, celle du Midi et celle du Centre, pour relater les événements qui avaient eu lieu à Paris et les causes qui les avaient produits36. Une fois le roi suspendu provisoirement, et les six ministères renouvelés —Intérieur, Guerre, Contributions publiques, Justice, Marine et Affaires étrangères—, la politique de diffusion des informations que la Commission extraordinaire des douze mit sur pied vint s’articuler rapidement en deux pôles : l’un entre les mains du pouvoir exécutif, et l’autre entre celles du pouvoir législatif. Plus explicitement, l’un entre les mains du ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Roland de la Platerie, l’autre entre celles de la Commission extraordinaire des douze qui était chargée, depuis sa composition, de penser et de proposer à l’Assemblée les mesures les plus convenables pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique37. Le 18 août 1792, afin de combattre les discours contre-révolutionnaires, la Commission

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extraordinaire des douze demanda de mettre à la disposition du ministère de l’Intérieur 100 000 livres pour imprimer et distribuer, dans les départements et les armées, tous les écrits qui pouvaient éclairer les esprits sur les trames criminelles des ennemis de l’État et sur les vrais maux qui déchiraient la patrie38. Le Bureau de l’esprit public créé à la fin du mois de mars 179239, et sous la direction de Roland, fut chargé de cette distribution.

14 Le 3 septembre 1792, dans cette même ligne, Kersaint, qui avait été envoyé en mission à l’armée du Centre pour informer sur les faits arrivés le 10 août 1792, demanda la rédaction d’un bulletin national pour arrêter les désordres. Selon ce député, les désordres avaient lieu parce que le peuple méconnaissait « la vérité » et que les ennemis le trompaient facilement. La commission de correspondance, sous les ordres de la Commission extraordinaire des douze, fut chargée de cette rédaction. Le discours de Kersaint fut le suivant : « Messieurs, les désordres publics sont les fruits de l’erreur et vous savez avec quelle avidité vos ennemis ont saisi ce moyen pour égarer le peuple. C’est à vous qu’il appartient de lui faire connaître la vérité. En cet instant peut-être on jette dans le public des nouvelles exagérées, sur lesquelles il faudra revenir, et l’on espère par ce moyen arrêter l’ardeur civique de Paris, et en cas de revers, car on peut en éprouver, jeter le découragement dans les âmes trompées par une fausse espérance. Il faut donc faire connaître au peuple la vérité ; il faut lui faire parvenir les faits dans leur exactitude et vos décrets dans leur intégrité. On a fait autrefois un logographe contre-révolutionnaire, il faut avoir un logographe national. Il serait possible de rappeler quelques-uns des citoyens qui se livraient à ce travail avec tant d’intelligence et qui sont patriotes. Il faut que vous établissiez près de vous des écrivains qui répandront les nouvelles, les faits et vos opérations d’une manière certaine et légale. Des journalistes bien intentionnés, mais mal placés ici, les impriment souvent d’une manière inexacte. »40

15 Du moment où ces mesures furent acceptées, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif commencèrent à travailler pour communiquer les décrets de l’Assemblée, « la vérité », « les vérités ». À partir de là se mirent en relation tout un ensemble de bureaux et d’institutions pour accomplir cet objectif. Plus précisément, c’est par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur —dans le cadre du pouvoir exécutif— et de la Commission extraordinaire des douze —dans le cadre du pouvoir législatif— que les organes de diffusion —le Bureau de l’esprit public et la commission de correspondance— furent mis en contact avec, d’une part, les bureaux qui recevaient la correspondance des départements et, d’autre part, les agents et les commissaires envoyés en mission. (Voir tableau nº 3) Le ministre de l’Intérieur établit une liaison entre le Bureau de l’esprit public et le bureau qui recevait la correspondance des départements41. Et, en relation avec ces deux bureaux, il dirigea les opérations des agents envoyés en mission par le conseil exécutif provisoire pour propager les écrits votés par l’Assemblée et communiquer les lois adoptées afin de protéger l’État et combattre les ennemis. « Le Ministre de l’Intérieur donne au citoyen………… la mission de parcourir les départements d………………., d’y répandre les écrits dont l’Assemblée nationale a voté l’impression et l’envoi dans les départements ; de fixer l’attention des citoyens sur les lois que l’Assemblée nationale a décrétées et décrète journellement pour pourvoir à la sûreté de l’État contre l’invasion de ses ennemis, d’en presser partout l’exécution, de la recommander à la surveillance des bons citoyens ; de les exciter à fabriquer des armes de toute espèce, à transformer en moyens de défense les métaux et tout ce qui peut y servir ; de répandre de toutes parts les lumières et l’esprit public ; de faire en un mot tout ce que pourra lui inspirer le plus ardent amour de la patrie, en se bornant néanmoins à ce que tout citoyen a

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individuellement le droit d’entreprendre ; et je le recommande à ce titre, en tant que de besoin, aux bons offices des corps administratifs et des amis de la Patrie. »42

16 De son côté, la Commission extraordinaire des douze qui travaillait étroitement avec le Comité des pétitions —l’organe des corps administratifs et des citoyens de l’Empire, selon les mots de Gossuin— et qui recevait depuis le 17 juin 1792 la correspondance concernant l’administration et la police —celle qui rendait compte des désordres— eut sous ses ordres la commission de correspondance qui, d’un côté, dictait les directives de l’Assemblée aux commissaires envoyés en mission et, de l’autre, rédigeait le Bulletin national.

Tableau nº 3

17 Pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, pour la diffusion des décrets de l’Assemblée et « de la vérité »/« des vérités », il paraissait nécessaire de mettre en relation, depuis le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, une combinaison de flux d’informations entrantes et sortantes, combinaison que la Convention nationale ne modifia pas complètement pour continuer à transmettre et recevoir des informations avec efficacité. Après le 22 septembre 1792, le Bureau de l’esprit public continua ses travaux sous la direction de Roland et la commission de correspondance resta attachée au Comité des pétitions, étant donné que la jeune République ne pouvait maintenir, face au Ministère de l’Intérieur qui jouissait de la confiance du pouvoir législatif et face au principe de la séparation des pouvoirs, une Commission extraordinaire des douze chargée de penser les mesures pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Les commissions créées pareillement à la Commission extraordinaire des douze (17 juin 1792) ou à la Commission des douze (6 mars 1792), avaient leur sens uniquement quand le pouvoir législatif se méfiait du pouvoir exécutif et de sa force, et que ce premier décidait de prendre les rênes de la situation intérieure et extérieure du pays pour impulser et dynamiser les travaux de ce dernier43.

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Méfiance. Le Comité de défense générale

18 Le premier janvier 1793, Kersaint, qui avait demandé au mois de septembre 1792 la rédaction d’un bulletin national, demanda la création d’un Comité de défense générale pour aider les ministres dans la prise de décisions44. Quatre mois après le 10 août 1792, le pouvoir exécutif ne jouissait pas d’une totale confiance de l’Assemblée. Ses dissensions internes montraient sa faiblesse, alors Kersaint proposa l’établissement d’une nouvelle Commission extraordinaire des douze pour impulser ses travaux. En quelques mois seulement, la méfiance envers le conseil exécutif provisoire, et plus concrètement envers le Ministère de l’Intérieur, de la part d’un secteur de l’Assemblée s’était tellement développée que même Maximilien-François-Isidore Robespierre avait demandé de retirer des mains de Roland le fonds de 100 000 livres accordé le 18 août 1792 pour propager les décrets et décisions de l’Assemblée et « les vérités » censées combattre les écrits contre-révolutionnaires45. Or, ces fonds avaient permis, d’août 1792 à janvier 1793, de dynamiser le Bureau de l’esprit public.

19 Le 1er janvier 1793, Kersaint qui avait été membre de l’Assemblée législative et connaissait bien le fonctionnement des commissions créées pour impulser les travaux du pouvoir exécutif, proposa à la Convention nationale la création d’un comité, pareil à la Commission des douze créée le 6 mars 1792, à partir de membres des comités suivants : pétitions, surveillance, agriculture, commerce, militaire et législation. Le Comité de défense générale demandé par Kersaint devait être composé de membres des comités suivants : guerre, finances, colonies, commerce, marine, diplomatie et constitution. Vingt-et-un membres au lieu de douze pour s’occuper, conjointement avec les ministres, des campagnes militaires et des affaires du moment, et renverser l’image que l’Angleterre pouvait avoir d’une France divisée par ses luttes internes et les profonds désaccords entre ses divers partis46. Malgré des similitudes en termes d’organisation avec la Commission des douze, le Comité de défense générale présentait une nouveauté importante : le Comité des pétitions et de correspondance, successeur du Comité des pétitions, et le Comité de sûreté générale, successeur du Comité de surveillance, n’en faisaient pas partie. Les travaux du Comité de sûreté générale n’avaient pas changé beaucoup par rapport aux travaux du Comité de surveillance, mais le Comité des pétitions et de correspondance avait vraiment changé. En effet, sous la Convention nationale il avait perdu une de ses compétences caractéristiques : la gestion du maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Ainsi, il ne s’occupa jamais de penser les mesures qui devaient être prises par le Corps législatif pour mettre un terme aux désordres, à la différence du Comité des pétitions entre octobre 1791 et mars 1792, et du Comité des rapports sous l’Assemblée nationale constituante, ses deux prédécesseurs. Ces deux comités, chacun en son temps, avaient reçu la correspondance concernant l’administration et la police, et ils avaient décidé, tout seuls ou bien avec l’accord de l’Assemblée, selon la gravité des désordres, de la meilleure façon de rétablir l’ordre et la tranquillité publique. Ces deux comités avaient travaillé côte à côte avec le comité chargé de localiser les auteurs des désordres, formant, sous chaque Assemblée parlementaire, un tandem parfait pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Un tandem qui était formé sous l’Assemblée nationale constituante par le Comité des rapports et le Comité de recherches, et sous l’Assemblée législative, et jusqu’en mars 1792, par le Comité des pétitions et le Comité de surveillance47. Sous la

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Convention nationale, le Comité des pétitions et de correspondance devint d’une certaine façon le comité central que Lasource avait projeté en octobre 1791, c’est-à-dire un important porter pour les informations entre commettants et mandataires et vice versa. Son absence dans la composition du Comité de défense générale au moment où il fut créé, le 1er janvier 1793, mit en évidence la métamorphose la plus importante que ce comité expérimenta pendant les premiers mois de la jeune République.

Parallélismes. Le Comité de défense générale et la Commission extraordinaire des douze

20 Comme la Convention nationale ne mit sur pied jusqu’à janvier 1793 aucune commission pareille à celle des douze, le Comité des pétitions et de correspondance s’occupa tout seul d’écrire aux commissaires envoyés en mission. Néanmoins, quand la Convention nationale institua le Comité de défense générale, et comme le Comité des pétitions et de correspondance ne fut pas appelé pour y être présent, les membres de ce comité décidèrent de s’y rattacher. Ils voulaient communiquer avec efficacité aux commissaires envoyés en mission les consignes adoptées dans le cadre de ce nouveau comité. « Le président ayant ouvert la séance après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, un membre a observé qu’il paraissait convenable de proposer à la Convention nationale de décréter que trois membres, pris dans le Comité de correspondance fussent autorisés à assister au Comité de défense générale pour s’y pénétrer des objets dont il était du devoir du Comité de correspondance d’instruire les commissaires de la Convention nationale, sur quoy les membres présents au comité ont chargé le citoyen Roux, l’un desdits membres, d’en faire demain la proposition à la Convention nationale au nom du dit comité. »48

21 Le 31 janvier 1793, immédiatement après que Louis-Félix Roux eut fait sa proposition au nom du Comité des pétitions et de correspondance, l’Assemblée l’accepta49. Le lendemain, trois membres de la section de correspondance du comité se réunirent au Comité de défense générale50. Prise entre les discussions existantes et la nécessité de communiquer un seul discours, la Convention nationale accepta de reprendre le même fonctionnement que sous l’Assemblée législative, où la Commission extraordinaire des douze dictait ses consignes à la commission de correspondance pour qu’elles soient communiquées aux commissaires envoyés en mission. Ces commissaires, au-delà de leurs travaux dans les départements frontaliers et les armées, s’occupaient de transmettre des informations dans les deux sens, ainsi que les décrets et les discours de l’Assemblée, afin d’unir dans un projet commun les commettants et les mandataires, projet commun que Robespierre définit de la façon suivante : « Il faut une volonté une. Il faut qu’elle soit républicaine ou royaliste. Pour qu’elle soit républicaine, il faut des ministres républicains, un gouvernement républicain. (…) Il faut que le peuple s’allie à la Convention et que la Convention se serve du peuple. »51

22 Tant que le Comité de défense générale exista, le Comité des pétitions et de correspondance y eut toujours trois membres qui alternaient tous les quinze jours. Néanmoins, quand le Comité de salut public fut créé, tout changea. Le Comité de défense générale fut remplacé et le Comité des pétitions et de correspondances subit sa deuxième métamorphose.

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Métamorphose. Le Comité de salut public et la Commission des dépêches

23 La création du Comité de salut public le 6 avril 179352 déclencha la deuxième métamorphose du Comité des pétitions et de correspondance qui, le lendemain même, perdit la compétence de correspondre avec les représentants en mission et trois jours plus tard, la gestion de la correspondance qui arrivait au Corps législatif. Le 7 avril 1793, le Comité de salut public décida que lui-même s’occuperait de correspondre avec les représentants en mission53 et, le lendemain, la Convention nationale décida de créer une commission pour examiner les lettres des ministres, des généraux et des représentants en mission. Cette commission était habilitée à décider des lettres qu’elle communiquerait au Corps législatif —intégralement ou résumées— et de celles qu’elle enverrait directement au Comité de salut public pour éviter les inconvénients possibles lors d’une lecture à l’Assemblée. La mise sur pied de cette commission signifia pour le Comité des pétitions et de correspondances la perte de son contrôle sur le Bureau des renvois et des correspondances. Le 10 avril 1793, cette commission reçut la charge de gérer toute la correspondance parvenant à la Convention nationale, et de renvoyer aux comités celle qui ne pouvait pas être gérée directement par le Corps législatif sans un rapport préliminaire54. Le Bureau des renvois et des correspondances, qui était passé des mains du président aux mains du Comité des pétitions et de correspondance, passa dans les premiers jours d’avril 1793 aux mains de la Commission des dépêches. De la même manière la gestion des dons patriotiques passa aux mains de cette commission55, compétence que le Comité des pétitions et de correspondance avait eue depuis le mois de novembre 1792. À la mi-avril 1793, le Comité des pétitions et de correspondance vit ses compétences réduites à deux : la gestion des pétitions qui n’étaient pas d’intérêt général et les demandes particulières56, mais aussi la rédaction du Bulletin national qui était envoyé chaque jour, à cette époque-là, aux armées de terre et de mer par l’intermédiaire des ministres de la Guerre et de la Marine, et aux départements, aux districts, aux établissements scolaires et aux sociétés patriotiques par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur. La mise sur pied d’une nouvelle Commission extraordinaire des douze, appelée cette fois-ci Comité de salut public, impliqua de réorganiser les flux d’informations, pour la première fois dans le cadre de la Convention nationale. L’établissement du Comité de défense générale ne les avait pas altérés, et ce comité avait agi pareillement à la Commission extraordinaire des douze de l’Assemblée législative. Néanmoins, le Comité de salut public agit de la même manière que le Comité des rapports de l’Assemblée nationale constituante, son antécédent —ainsi que du Comité des pétitions et de correspondance—, et il contrôla lui-même la correspondance des représentants en mission dans les départements et les armées. Gérer les flux d’informations à l’entrée et à la sortie n’était nullement une question mineure. Au moment où le Comité de salut public fut mis sur pied pour surveiller et accélérer l’action de l’administration confiée au conseil exécutif provisoire, devenant par ses compétences un comité fort exceptionnel, le contrôle de ces flux d’informations fut modifié et mis au service de ce comité.

24 Au moment où le contrôle des flux d’informations changea de mains, un organisme du Corps législatif s’affaiblit au détriment d’un autre qui vit grandir son influence sur le débat parlementaire. En avril 1793, le Comité de salut public vit grandir son influence

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au détriment du Comité des pétitions et de correspondance, qui avait accru son influence, en son temps, au détriment du président de l’Assemblée.

Stratégies. Des luttes pour le contrôle de certaines compétences

25 Depuis le mois d’octobre 1792, les députés de la Plaine et les girondins avaient un poids important sur les organismes qui géraient la correspondance, les flux d’informations entre les mandataires et les commettants. Ils étaient majoritaires dans le Comité des pétitions et de correspondance57 ; Roland, leader girondin, avait entre ses mains le ministère de l’Intérieur et le Bureau de l’esprit public, et les agents du conseil exécutif provisoire sous leurs ordres ; et quand Kersaint demanda l’établissement du Comité de défense générale depuis les rangs girondins, ceux-ci eurent pour quelque temps une présence importante dans ce comité58. Pendant les premiers mois de la jeune République, ceux qui s’occupaient de propager « la vérité »/ « les vérités », de communiquer les consignes de l’Assemblée aux commissaires de la Convention et aux agents du conseil exécutif provisoire envoyés en mission, ceux qui rédigeaient le Bulletin national, ceux qui décidaient des pétitions et des pétitionnaires qui devaient être écoutés par le Corps législatif, étaient majoritairement des individus appartenant aux rangs des girondins et de la Plaine. La création du Comité de salut public et de la Commission des dépêches signifia la fin de ce contrôle sur les flux d’informations ainsi que de cette influence sur le débat parlementaire et les mandataires. Le Comité de salut public, qui remplaça le Comité de défense générale et prit le contrôle de la correspondance des représentants en mission et des informations les plus délicates arrivant à la Convention nationale, était composé d’un député de la Plaine et de huit députés montagnards59, tandis que la Commission des dépêches, qui absorba le Bureau des renvois et des correspondances, était composée d’un député de la Plaine, d’un député girondin et de trois députés montagnards60. La mise sur pied du Comité de salut public et de la Commission des dépêches dans les premiers jours d’avril 1793 permit aux députés montagnards de renforcer leur contrôle sur des compétences importantes. Des compétences qui, si elles n’avaient pas été transférées à ces deux nouveaux organismes —le Comité de salut public et la Commission des dépêches—, seraient restées aux mains des deux comités —le Comité de défense générale et le Comité des pétitions et de correspondance— dont ils n’avaient pas le contrôle et que la Convention nationale ne devait pas renouveler à ce moment-là. Quelques jours avant le 6 avril, le Comité de défense générale et le Comité des pétitions et de correspondance avaient été renouvelés et la présence des montagnards n’avait pas été capable de soustraire ces deux comités à l’influence des députés de la Plaine et des girondins61. Néanmoins, la présence majoritaire de députés montagnards dans les organismes qui géraient la correspondance en avril 1793 ne fut pas obtenue d’un jour à l’autre. Les députés montagnards avaient augmenté progressivement leur présence réelle dans le Comité des pétitions et de correspondance62, et à la fin du mois de mars ils avaient réussi à diminuer l’influence des députés girondins et de la Plaine dans le Comité de défense générale. Le dernier renouvellement de ce comité, le 26 mars 1793, leur avait permis d’y obtenir une présence non négligeable63 ; présence qui les motiva peut-être à appuyer l’établissement d’une nouvelle Commission extraordinaire des douze —le Comité de salut public— au lieu de proposer une réadaptation du Comité de défense générale aux

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nouveaux besoins de la Convention nationale64. Dans le cadre des assemblées parlementaires, la réadaptation d’un comité ne signifie pas automatiquement son renouvellement, tandis que la mise sur pied d’un nouveau comité ouvre les portes à de nouvelles élections ; nouvelles élections qui devaient permettre, dans le cas du Comité de salut public, de dépasser les compositions où l’affrontement constant entre les membres ne favorisait pas l’adoption rapide de décisions65. En plus, le fait de décréter que le Comité de salut public devait être élu par appel nominal, et non pas à partir d’une liste élaborée par le Bureau de la présidence, comme cela avait été le cas lors du renouvellement du Comité de défense générale le 26 mars, devait favoriser un changement dans la composition de ce nouveau comité. Dans le cadre des assemblées parlementaires, la création d’un nouveau comité ou d’une nouvelle commission pour mener à bien des tâches qu’un autre comité ou une autre commission assumait déjà, pouvait répondre à une stratégie visant à transférer certaines compétences des mains de certains individus —ayant une tendance politique X— aux mains de certains autres —ayant une tendance politique Y. Sinon, pourquoi créer une Commission des dépêches alors qu’il y avait un Comité des pétitions et de correspondance ? Pourquoi créer un Comité de salut public alors qu’existait le Comité de défense générale ? Celui-ci ne pouvait-il pas être adapté ? Et pourquoi ne pas réduire de vingt-cinq à neuf le nombre de membres du Comité de défense générale sans procéder à de nouvelles élections ? Cette pratique avait été employée auparavant, pour citer un exemple parmi d’autres, le 5 décembre 1791 lorsque les Comités de la dette publique et de la caisse extraordinaire, de la trésorerie nationale, de la dépense publique et des contributions publiques se réduisirent eux-mêmes par la voie du scrutin66.

Absences. Les députés du Comité des pétitions et de correspondance

26 Le 2 octobre 1792, la Convention nationale décida que le Comité des pétitions et de correspondance aurait vingt-quatre membres, après avoir entendu le rapport de Gossuin concernant les comités67. Trois semaines plus tard, elle décida que les comités seraient renouvelés par moitié tous les deux mois, et que le sort déciderait des membres qui devraient rester dans le cadre du comité et de ceux qui devraient partir. La Convention nationale venait d’accepter ce jour-là une proposition de Gossuin sur le renouvellement des comités, présentée par ce député le 25 octobre 179268. Le Comité des pétitions et de correspondance, à la demande de son président, devait avoir vingt- quatre membres et être renouvelé tous les deux mois. Mais il ne put jamais compter sur la présence de vingt-quatre membres pour mener à bien ses travaux, et le 25 novembre 1792 Gossuin fit la proposition suivante à la Convention nationale : « Je demande qu’il soit rendu compte, chaque quinzaine, des membres qui n’assisteront pas aux séances de leurs comités. »69 À la date du 25 novembre 1792, le Comité des pétitions et de correspondance avait été réuni treize fois, et seulement pour une journée, le total des membres présents s’élevait à quinze. Généralement, les réunions comptaient entre huit et dix membres70. La Convention nationale accepta immédiatement la proposition de Gossuin afin d’éviter des absences réitérées mais l’acceptation de cette proposition ne renversa pas la dynamique. La situation du Comité des pétitions et de correspondance n’était pas isolée et exceptionnelle. La plupart des comités manifestèrent à la fin décembre 1792 leur regret de constater les absences de leurs membres. À cette époque-

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là, on devait les renouveler et des discussions eurent lieu pour décider comment et quand ils devaient l’être. « Cambacérès. Le Comité de législation est composé de 48 membres, nous n’avons jamais été plus de 18. La proposition du citoyen Carpentier est juste : il conviendrait que les comités fissent imprimer la liste de ceux des membres qui ne se rendent pas exactement à leur poste, et que ces derniers soient exclus pour être punis de leur négligence. » « Treilhard. Hier, au Comité de liquidation, nous avons voulu procéder au renouvellement et le sort a décidé que ceux qui n’y avaient jamais paru resteraient dans le comité. Nous avons déchiré la liste. »71

27 En prenant en compte ces interventions, la Convention nationale accepta le 22 décembre 1792 la mesure suivante : les députés absents seraient inclus dans la liste des députés qui devraient abandonner le comité72. Le Comité des pétitions et de correspondance obéit immédiatement à la mesure adoptée par la Convention nationale et, le soir même, il enregistra dans ses procès-verbaux les noms des députés qui devaient abandonner le comité à cause de leur absence73. Dans les premiers jours de janvier 1793, eut lieu le premier renouvellement des comités, malgré les réticences de certains députés à les renouveler avant le jugement du roi74. Le Comité des pétitions et de correspondance fut renouvelé le 5 janvier 1793. Douze membres furent appelés à le composer à côté des douze qui y restaient75. Néanmoins, le renouvellement ne renversa pas la situation des absences réitérées et la coordination des trois sections qui le composaient resta aux mains d’une dizaine de membres qui assistaient plus ou moins régulièrement à leurs réunions. Les renouvellements postérieurs du Comité des pétitions et de correspondance ne renversèrent pas la situation non plus ; pas davantage que l’intervention le 8 brumaire an II de Gossuin, à cette époque-là membre du Comité de la guerre, pour dénoncer à nouveau à la Convention nationale les absences des députés lors des travaux des comités. Ce jour-là, aucun comité ne présenta ses travaux devant la Convention nationale et Gossuin prit la parole pour demander au Comité de salut public de remplacer les individus qui pendant huit jours de suite n’assisteraient pas aux comités. « Depuis quelques jours, je m’aperçois que les comités ne tiennent pas leurs séances. Ce n’est que par notre assiduité à nos devoirs que nous pouvons sauver la patrie. Nous sommes 20 membres au Comité de la guerre. Depuis un mois, sept ou huit seulement assistent aux séances. Il est vrai qu’il y en a beaucoup en commission. Je demande que tout membre qui sera absent huit jours de suite soit remplacé, sur la présentation du Comité de salut public. »76

28 La Convention nationale accepta la proposition de Gossuin ainsi que celle de Philippe- Antoine Merlin de Douai de réduire de huit à trois les jours d’absence et de communiquer le nom des absents au département qui les avait élus députés. « Il vaudrait mieux, à mon avis, décréter que tout membre d’un comité qui aura manqué trois jours de suite à ses séances, sera dénoncé, à la Convention nationale, et que son nom sera envoyé à son département. »77

29 Malgré l’adoption de ces mesures, le Comité des pétitions et de correspondance continua à souffrir des absences de ses membres. Sa réorganisation au mois d’août 1794, réduisant le nombre de ses membres de vingt-quatre à douze, ne renversa pas la situation78. Parmi les 128 députés qui furent nommés membres ou suppléants entre le mois d’octobre 1792 et le mois d’octobre 1795, seulement 54 assistèrent à un moment ou à un autre aux réunions de ce comité, c’est-à-dire, 42,18 % du total des membres appelés à le composer79. Les réunions du Comité des pétitions et de correspondance

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devaient avoir lieu tous les mercredis et tous les samedis80, mais les députés de ce comité ne se réunissaient pas toujours, et plusieurs fois ils changèrent le jour de la réunion. Pendant les premiers mois, les réunions se succédèrent régulièrement, mais d’octobre 1793 à septembre 1794 elles eurent lieu plus épisodiquement, exception faite des mois de germinal et messidor an II. La réorganisation de ce comité en fructidor an II réactiva pendant quelques mois la fréquence des réunions. Les députés étaient alors appelés à se réunir tous les quartidis et tous les nonidis à midi81. Durant un certain temps, la mesure fut suivie mais, à partir de prairial an III et jusqu’à la dissolution du comité, les députés se retrouvèrent seulement une fois par mois82. (Voir le graphique nº 1)

Graphique nº 1

30 Peut-on penser que les travaux du Comité des pétitions et de correspondance n’aient pas eu besoin d’un nombre important de réunions ? Le comité n’avait pas l’habitude de présenter des rapports à la Convention nationale, exception faite de ceux qu’il présenta pour rendre compte de la voix des commettants entre octobre 1792 et mars 179383. D’ailleurs, ses procès-verbaux précisent seulement les mouvements du personnel dans le cadre de ce comité et ses mesures pour distribuer efficacement le Bulletin national. En fait, le travail des membres du comité consistait à surveiller le bon fonctionnement de ses trois sections : pétitions, correspondance, renvois et dons patriotiques. Trois sections qui se réduisirent à deux au moment où la Commission des dépêches absorba le Bureau des renvois et des correspondances entre le 8 et le 10 avril 1793 ; trois sections, ou deux en fonction du moment, organisées hiérarchiquement —chefs, sous- chefs, commis et garçons de bureau—, qui menèrent à terme les travaux qui leur étaient confiés.

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Continuité. Les secrétaires commis du Comité des pétitions et de correspondance

31 Le Comité des pétitions et de correspondance n’eut jamais les mêmes compétences d’octobre 1792 à octobre 1795. Il ne fut jamais dominé par les mêmes députés ni par la même tendance politique. Ses compétences étaient augmentées ou diminuées et sa trajectoire n’était pas la même que celle de ses prédécesseurs. Il avait perdu la mission de gérer les désordres qui avaient lieu en France, et il ne figurait plus à côté du comité chargé de localiser les auteurs des troubles, formant avec ce dernier un tandem parfait pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Il n’était plus le Comité des pétitions de l’Assemblée législative qui travaillait à côté du Comité de surveillance, pas davantage que celui des rapports qui travaillait à côté du Comité des recherches, et qui était devenu sous la Convention nationale l’antécédent du Comité de salut public. Néanmoins, le Comité des pétitions et de correspondance eut jusqu’à la fin de ses jours cinq des six secrétaires-commis de son prédécesseur, le Comité des rapports de l’Assemblée nationale constituante. Ainsi Garnier, Hussennet, Chaulay, Dupuis et Vaillant qui avaient travaillé sous les ordres du Comité de rapports depuis l’été 1789 étaient encore présents le 9 prairial an III, jour au cours duquel ils furent félicités pour avoir combattu le mouvement révolutionnaire qui venait d’éclater, en prenant les armes aux ordres du comité84. Les membres et les suppléants du comité pouvaient changer tous les deux ou trois mois, et rentrer au comité quelques semaines plus tard s’ils étaient à nouveau élus, mais les individus qui lisaient les vœux, les plaintes, les pétitions et les demandes des commettants étaient les mêmes depuis juillet 1789, avec une différence importante cependant puisqu’ils avaient perdu le contrôle d’une compétence : la lecture de la correspondance qui donnait le détail des désordres qui avaient lieu en France. Or, jusqu’au mois de septembre 1792, ils avaient géré cette compétence. Garnier, Hussennet, Chaulay, Dupuis et Vaillant, à côté de Chachoin, avaient été les secrétaires commis du Comité de rapports de l’Assemblée nationale constituante, mais aussi les secrétaires commis du Comité des pétitions, de la Commission des douze et de la Commission extraordinaire des douze de l’Assemblée législative85. Pendant plus de trois ans, la correspondance qui rendait compte des désordres en France et la correspondance qui rendait compte des vœux, des plaintes, des pétitions et des demandes des commettants étaient gérées par les mêmes individus qui poursuivirent leurs travaux, exception faite de Chachoin, jusqu’à la fin de la Convention nationale. Alors que se succédèrent la chute du roi, celle des girondins, celle des hébertistes, celle des dantonistes, celle des robespierristes et celle des hommes de prairial, cinq individus assuraient les mêmes tâches au sein du Comité des pétitions et de correspondance depuis 1789. Mais le Comité des pétitions et de correspondance n’avait pas seulement hérité les secrétaires commis du Comité des rapports, du Comité des pétitions, de la Commission des douze et de la Commission extraordinaire des douze —toujours les mêmes individus—, il avait aussi recruté quelques secrétaires commis qui s’occupaient depuis 1789 de gérer toute la correspondance qui parvenait au Corps législatif, et qui venaient du Bureau des renvois et des correspondances : Atrux, Henry, Leharivel, Aubusson et Renvoizé86. À la différence des secrétaires commis du Comité des rapports, ceux-ci ne travaillèrent d’ailleurs pas toujours sous les ordres du Comité des pétitions et de correspondance. Quand la Commission des dépêches fut créée en avril 1793, elle amena avec elle

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Aubusson et Thibault, deux secrétaires commis qui étaient chargés à cette époque-là de gérer la correspondance parvenant à l’Assemblée aux ordres du Comité des pétitions et de correspondance87. Quand la commission de dépêches fut réunie par décret du 7 fructidor an II au Comité des pétitions et de correspondance, ce dernier récupéra Thibault ainsi que les secrétaires commis qui travaillaient alors dans le cadre de la Commission des dépêches88. Le Comité des pétitions et de correspondance compta, en conséquence, sur un personnel de base, spécialisé et organisé, capable de mener les tâches exigées au comité et d’encadrer le personnel récemment incorporé ; un personnel qui ne cessa d’augmenter entre 1793 et 1795. Au 4 mai 1793, le comité comptait vingt-deux secrétaires commis et, le 9 prairial an III, il en comptait soixante- trois. En deux ans, son personnel de base avait triplé89.

Spécialisation. Le secrétaire principal du Comité de salut public

32 Ce n’était pas une tâche mineure de décider jour après jour ce qu’on devait lire devant des centaines de députés, un public installé dans les tribunes et une poignée de journalistes prenant note de ce qu’on disait, pas davantage que décider de la correspondance qui devait être adressée à chacun des comités et de déterminer les problèmes qui devaient être résolus par chacun d’entre eux. Ouvrir et lire chacune des lettres qui arrivaient au Corps législatif et décider de son destin, fut probablement une des tâches importantes à accomplir sous une assemblée parlementaire. Adresser un objet à un comité et non pas à un autre pouvait avoir comme conséquence que l’objet fût présenté sous un point de vue particulier. L’importance de la gestion de la correspondance était moins liée à l’efficacité de l’envoi qu’au choix du comité destinataire, ce choix déterminant en grande partie le destin de la lettre. Les décisions cruciales n’étaient pas prises par les membres du Comité des pétitions et de correspondance tous les mercredis et tous les samedis, mais par les membres du comité et adoptées chaque jour avec son personnel de base. Ensemble, ils décidaient de ce qu’on devait lire et de ce qu’on ne devait pas lire à l’Assemblée. Les lettres qu’ils déposaient à la présidence pour être lues par les secrétaires avaient probablement été triées avec soin, elles avaient un contenu politique concret et elles pouvaient provoquer des applaudissements parmi les présents, mais aussi des murmures, voire l’indignation. Cette tâche était si importante que, peu de jours après la mise en place du Comité de salut public, le Comité des pétitions et de correspondance en perdit la gestion au profit de la Commission des dépêches. En fait, depuis 1789 cette tâche avait été assurée, dans un premier temps, par une seule et même personne : le citoyen Aubusson. Depuis le début du processus révolutionnaire, en effet, Aubusson avait la responsabilité d’ouvrir le premier la correspondance qui arrivait et de décider de son sort90. En fait, Aubusson était si important qu’au moment où la Commission des dépêches fut mise sur pied il en fit partie, devenant plus tard le chef des secrétaires commis de cette commission. Le 28 juin 1793 la Commission des dépêches décida qu’il aurait la responsabilité de veiller sur la correspondance déposée à la commission et sur le travail de ses confrères : « Nous députés à la Convention Nationale membres de la Commission des dépêches, ayant reconnu qu’il est indispensable pour le bien et la célérité du service, de confier à l’un des secrétaires commis attachés à notre bureau, connu par son patriotisme, son intelligence et son exactitude (sous sa responsabilité personnelle)

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le soin et la garde de toutes les pièces et la surveillance du travail de ses confrères, avons nommé pour occuper la place sus dite, en qualité de chef, le citoyen Aubusson, employé dans les bureaux des Assemblées Constituante et Législative, et de la Convention Nationale depuis le premier juillet mil sept-cents quatre vingt neuf, et qui nous a paru réunir les qualités requises pour bien remplir les fonctions importantes que nous jugions nécessaires de lui déléguer. Fait et arrêté à Paris le vingt huit juin mil sept cent quatre vingt treize l’an 2 de la République une et indivisible. Suivent les signatures de Levasseur, Rudel, Christiani, Périès et Guyardin. »91

33 La Commission des dépêches ne fut pas la seule à remarquer le savoir-faire et le talent d’Aubusson dans les tâches qu’il avait assurées depuis le 1er juillet 1789. Le Comité de salut public l’appréciait aussi, étant donné qu’au cours du mois de septembre 1793 il le désigna comme secrétaire principal. Et cela parce que Robespierre cherchait un secrétaire de grand mérite : « Il faut un secrétaire général d’un grand mérite, un Bureau de secrétaires particuliers intelligents et patriotes, des agents également prêts pour transmettre les arrêtés du Comité à ceux qui doivent les exécuter ; il faut que dans les vingt- quatre heures, ceux qui sont chargés de l’exécution en rendent compte au Comité ; il faut déterminer à qui seront confiés les ordres d’arrêtés, et par qui ils seront transmis ; il faut des courriers très sûrs attachés au Comité ; il faut que chaque membre du Comité ait une tâche particulière et qu’il soit entouré de secrétaires et d’agents dignes de sa confiance ; il faut que chaque membre ait un emplacement séparé où il puisse travailler et toutes les commodités physiques nécessaires pour agir […] »92

34 Pour obtenir « une volonté une », et pour que le processus révolutionnaire pût s’accomplir selon une façon déterminée, il fallait aussi des individus intelligents et patriotes travaillant dans les bureaux, capables de gérer tous les réseaux de communications. Aubusson était l’homme que le Comité de salut public cherchait pour la fonction de secrétaire principal, afin de bien organiser les flux d’informations qui circulaient dans ce comité avant de prendre les décisions de défense générale extérieure et intérieure. Il était l’homme qui avait travaillé à l’Assemblée nationale constituante et à l’Assemblée législative sous la direction du président de l’Assemblée, et qui avait travaillé depuis octobre 1792 selon les directives du Comité des pétitions et de correspondance.

Loi. Bulletin national / Bulletin de correspondance

35 Henri Grégoire l’avait déjà dit en février 1790 : les désordres avaient lieu parce que les décrets de l’Assemblée n’étaient pas connus93. À cette époque-là, il était président du Comité des rapports et à ce titre au courant de tous les désordres en France. Quelques années passèrent, et le 10 août 1792 on remarqua à nouveau combien il était important de faire connaître les décrets de l’Assemblée et « la vérité »/ « les vérités » comme certains disaient. Le Comité des pétitions et de correspondance perdit pendant le mois d’avril des compétences essentielles mais il préserva encore une attribution remarquable, celle d’écrire le Bulletin national. Cet écrit devait unir le peuple à ses représentants en publiant les travaux de la Convention nationale, certains de ses décrets, les lettres des représentants en mission et des généraux, des récits d’actions héroïques et civiques, et les pétitions ainsi que les courriers les plus remarquables des citoyens. Étant donné que la Convention nationale décidait souvent des lettres et des décrets et discours qui devaient être insérés dans le Bulletin national, l’importance du

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Comité des pétitions et de correspondance dans sa rédaction était due au fait qu’il écrivait les extraits de ces textes et qu’il prenait personnellement note du débat parlementaire. Les rédacteurs du Bulletin national qui faisaient partie du Comité des pétitions et de correspondance occupaient la loge située à la droite du président pour prendre leurs notes94, loge qu’ils partageaient avec les rédacteurs du Journal des Débats95. Aux membres du Comité des pétitions et de correspondance incombait la tâche de réviser le bulletin, de confirmer ses informations et de les retoucher si nécessaire96, tâche qui ne fut pas accordée, apparemment, à Camille Desmoulins quand il fut nommé inspecteur de la section de correspondance97.

36 Le Comité des pétitions et de correspondance fut chargé, entre autres choses, d’écrire un bulletin qui ne pouvait être ni falsifié98 ni non plus arraché des endroits où il avait été mis à disposition de tous. Ceux qui l’arracheraient seraient punis, la première fois d’une amende, la deuxième de deux mois de prison. Ceux qui en empêcheraient la publication seraient punis comme ennemis du peuple et coupables d’offense à la loi99. Ce comité non seulement ne perdit pas son contrôle sur le Bulletin national mais, au contraire, il le renforça. Le 3 mai 1793, la Convention nationale accepta sa proposition de faire lui-même la distribution et, à partir de ce moment-là, les ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Marine cessèrent de le faire. Le comité qui avait vu certaines de ses compétences réduites devenait le responsable de sa distribution et ses secrétaires commis devaient plier les exemplaires sortis de l’imprimerie de Baudouin et préparer les paquets qui devaient être portés à la poste100. À partir du mois de mai 1793, le comité assuma la responsabilité d’adresser le Bulletin national aux départements et aux districts101, aux armées de terre et de mer102, aux écoles103, aux sociétés patriotiques104, aux hôpitaux militaires et aux ambulances des armées105. À la date du 18 mars 1793 on envoyait 20 exemplaires du Bulletin national à chacun des districts de la République : 15 pour être distribués par le district, 3 pour les écoles et 2 pour les sociétés patriotiques. Quand la distribution du Bulletin national incomba au Comité des pétitions et de correspondance, il lui revint aussi la responsabilité de faire arriver le bulletin ponctuellement à destination. Tous les retards devaient être communiqués au comité par les administrateurs et les généraux. Dans une période où le Bulletin national était la seule manière « officielle » de faire connaître les informations concernant les armées et les travaux de l’Assemblée, la Convention nationale n’acceptait pas de retard dans sa distribution. En juillet 1793, en apprenant que le bulletin n’arrivait pas dans tous les endroits, le Comité des pétitions et de correspondance fut réuni au Comité de sûreté générale pour localiser les causes de ces retards106. La mise sur pied du Bulletin des lois le 14 frimaire an II ne déclencha pas la disparition du Bulletin national107. D’abord, on établit qu’il s’appellerait Bulletin de correspondance pour le différencier du Bulletin des lois. Ensuite, on décida qu’il ne contiendrait ni les décrets de la Convention ni les récits d’actions héroïques et civiques. Les premiers devaient être publiés dans le Bulletin des lois, les deuxièmes dans le Recueil des belles actions108. Néanmoins, le Bulletin de correspondance continua à publier certains décrets quand la Convention le décidait, mais aussi certains rapports des comités et décisions du Comité de salut public et du Comité de sûreté générale, ainsi que des lettres de généraux et de représentants en mission. En définitive, le Bulletin de correspondance ne perdit jamais son importance et avant même que le Bulletin des lois ne fût mis sur pied, le ministre de l’Intérieur avait la responsabilité de le traduire en italien et en allemand109. Le 27 septembre 1793, le Comité de salut public décida que le couple Lenscheuring s’occuperait de sa traduction en allemand110 et, le 2 octobre 1793, la Société républicaine de Wissembourg demanda

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sa publication en allemand ainsi qu’en d’autres langues étrangères111. À partir du 10 messidor an II (28 juillet 1794), la traduction du Bulletin de correspondance fut gérée par l’Agence de l’envoi des lois. La traduction en allemand fut continuée au-delà de l’activité de la Convention nationale, mais la traduction en italien fut suspendue le 27 germinal an III (16 avril 1795)112. Malgré son importance, le Comité des pétitions et de correspondance fut contraint de réduire le nombre d’exemplaires publiés quotidiennement. Autour du mois de nivôse an II (décembre 1794), la Convention nationale estima que les impressions étaient trop coûteuses pour la République et que la distribution qui en était faite était trop considérable. Le 4 nivôse an III, le Comité des pétitions et de correspondance décréta des mesures pour diminuer sa distribution113 et demanda à Baudouin, trois jours plus tard, de n’imprimer pour le compte de la République que 22 200 exemplaires.

Recomposition. Le Comité des pétitions, correspondance et dépêches

37 Quand Bertrand Barère de Vieuzac prit la parole le 14 thermidor an II pour inviter la Convention nationale à réorganiser les comités et à redéfinir les compétences du Comité de salut public, la troisième métamorphose du Comité des pétitions et de correspondance allait bientôt arriver114. La création du Comité de salut public en avril 1793 avait signifié pour le Comité des pétitions et de correspondance la perte de deux compétences importantes ; sa réorganisation signifia, bien au contraire, la restitution d’une de ces deux compétences perdues, le retour du Bureau des renvois et des correspondances. La restitution de ce bureau ne fut pas immédiate, étant donné que le Comité des pétitions et de correspondances n’était pas considéré comme comité à conserver dans le premier rapport que Barère présenta à l’Assemblée. Barère considérait en effet que la Convention nationale devait établir un Comité de salut public, un Comité de sûreté générale et douze comités en relation avec les douze commissions exécutives mises sur pied le 12 germinal an II. En prenant en compte le fait que, selon le rapport de Barère, chaque Comité devait surveiller une commission, il n’y avait pas lieu d’avoir un Comité des pétitions et de correspondance puisqu’il n’y avait aucune Commission exécutive opérant sous ce nom ou ayant les mêmes compétences qui aurait dû être soumise à la surveillance du Comité des pétitions et de correspondance. Néanmoins, dix jours après ce rapport, François-Martin Poultier d’Elmotte signala à la Convention nationale qu’il ne comprenait pas pourquoi le Comité de division et le Comité des dépêches avaient été supprimés. « Je ne sais par quel motif l’on a supprimé les comités de division et des dépêches, l’un et l’autre me paraissent nécessaires. (…). Le Comité des dépêches est destiné à examiner les pétitions, à les classer, à les analyser, à les renvoyer aux différents comités compétents, à vous faire la lecture des adresses, à vous donner le thermomètre de l’esprit public. Je ne crois pas que l’on puisse supprimer ces comités, puisqu’ils sont nécessaires et qu’ils ne correspondent à aucune des commissions exécutives. »115

38 Poultier se référait évidemment à la Commission des dépêches, et non au Comité des pétitions et de correspondance. Néanmoins, trois jours plus tard, le 24 thermidor an II, Théophile Berlier, au nom de la commission établie pour l’organisation des comités, proposa l’établissement d’un Comité des pétitions, correspondance et dépêches, composé de douze membres. L’article dix-neuf de ce projet de décret disait :

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« Art. XIX. Le Comité de pétitions, correspondance et dépêches est divisé en 2 sections. La 1ère recueille les pétitions et surveille la composition, l’impression et l’envoi du Bulletin de correspondance. La seconde est chargée de l’ouverture des dépêches, de leur analyse et de la lecture à la tribune. »116

39 Par cet article, la commission établie pour l’organisation des comités demanda à la Convention nationale la mise sur pied du premier Comité des pétitions et de correspondance. Évidemment, sans lui accorder à nouveau la compétence de correspondre avec les représentants en mission, qui restait définitivement attachée au Comité de salut public. La Convention nationale tint compte de cette proposition et établit le 7 fructidor an II un Comité des pétitions, de correspondance et des dépêches117. Peut-être, à un moment où les députés cherchaient à voir réduite l’influence du Comité de salut public sur les autres comités, et annulée la soumission des autres comités et commissions à ce comité118, n’y avait-il pas lieu d’avoir une commission de dépêches pour adresser au Comité de salut public les informations qui ne pouvaient pas être lues sans inconvénients à l’Assemblée. Le texte suivant fut écrit le 29 avril 1793 : « Un membre de la Commission des dépêches observe à la Convention Nationale 1º qu’elle a décrété le 8 de ce mois l’établissement d’une commission chargée spécialement de l’examen des lettres des Ministres, des Généraux, de ses Députés dans les départements et des corps administratifs ; de donner la lecture, soit en totalité, soit par extrait de ces différentes pièces et de renvoyer au Comité de salut public les pièces dont la lecture ne pourrait être donnée sans inconvénient ; 2º que la Convention a décrété le 10 que la Commission des dépêches est autorisée à renvoyer aux divers comités les lettres et pièces énoncées qui n’ont qu’un objet particulier et sur lesquelles elle ne peut statuer sans un rapport. 3º que les Décrets rendus les 8 et 10 pour l’établissement de cette commission ne se trouvant point insérés dans les procès-verbaux des dits jours, il demande qu’ils y soient rétablis. » 119

40 Peut-être, à un moment où la Convention nationale cherchait à réorganiser tous les comités afin de redéfinir leurs champs d’action, cela n’avait-il guère trop de sens de maintenir la commission de dépêches détachée du Comité des pétitions et de correspondance. En tout cas, pour l’un ou l’autre motif, le Comité des pétitions et de correspondance fut établi définitivement comme un comité attaché surtout à la gestion de la correspondance et à la rédaction du Bulletin national, bien à l’écart des compétences qui avaient permis à ses prédécesseurs de présenter à l’Assemblée les mesures à prendre pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Au mois de fructidor an II, le Comité des pétitions et de correspondance était bien éloigné par ses compétences du Comité de salut public avec qui il partageait une origine commune.

Influence. La voix des commettants, la voix de l’Assemblée

41 Le pouvoir le plus important du Comité des pétitions et de correspondance fut celui d’influencer à la fois le débat parlementaire et l’opinion publique ; d’une part le débat parlementaire par le contrôle qu’il avait de la correspondance parvenant à l’Assemblée —il était la voix des commettants— ; d’autre part l’opinion publique par le contrôle qu’il avait sur le Bulletin national —il était la voix de l’Assemblée. Le Comité des pétitions et de correspondance ne reçut pas de nombreuses critiques par rapport à ses travaux mais celles qu’il dut affronter concernaient toujours l’influence qu’il pouvait exercer, du fait

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qu’il pouvait faire connaître un discours au détriment d’un autre. Pour citer un exemple, Jean Féraud, quelques années avant d’être décapité dans les journées de prairial, fut soupçonné de partialité à cause d’un de ses rapports à l’Assemblée120. Il fut en effet accusé de n’avoir pas mentionné des pétitions importantes et d’avoir présenté celles qui n’avaient aucune sorte d’intérêt. D’autre part, la rédaction du Bulletin national en date du 30 frimaire an II, provoqua des plaintes à la Convention nationale. François- Louis Bourdon de l’Oise prit la parole pour souligner que le bulletin ne contenait pas la réponse du président de l’Assemblée à une pétition des députés du Club des Cordeliers. De l’avis de ce député, cet oubli ou cette négligence —de la part du Comité des pétitions et de correspondance— risquait de provoquer une interprétation biaisée sur le positionnement de l’Assemblée. Une fois l’intervention de Bourdon finie, quelques députés demandèrent le renouvellement des membres du Comité des pétitions et de correspondance, ainsi que du personnel de base du comité121. Ce renouvellement eut lieu quelques jours plus tard mais les membres qui entrèrent ne furent pas le résultat d’une élection ouverte dans le cadre de l’Assemblée, comme cela avait été demandé. Ce ne fut pas non plus le résultat d’une décision unilatérale du Comité de salut public, alors qu’il avait la compétence, depuis le 13 septembre 1793, de choisir les membres qui devaient composer les comités122. Les membres qui entrèrent dans le Comité des pétitions et de correspondance à partir du 4 nivôse an II furent choisis par ce même comité, et le Comité de salut public ratifia ce choix123. À l’égard de ce renouvellement, on peut considérer que l’intervention du Comité de salut public sur le personnel des autres comités de la Convention nationale ne fut pas aussi interventionniste que Barère le soulignera en thermidor an II124.

42 La pétition pour renouveler le Comité des pétitions et de correspondance, le 30 frimaire an II, ne fut pas isolée. Le 11 vendémiaire an III, un membre fit une nouvelle demande mais la Convention nationale passa à l’ordre du jour125, étant donné que son renouvellement devait avoir lieu le 18 vendémiaire an III, conformément au décret du 7 fructidor an II qui le fixait tous les 18 de chaque mois par quart et au moyen d’un scrutin signé. Seuls le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale devaient être renouvelés par appel nominal126. On peut apprécier l’importance du Comité des pétitions et de correspondance au moment où celui-ci des compétences au profit d’autres comités et quand on demanda son renouvellement, mais aussi quand le Comité de salut public prit la décision de nommer lui-même les députés qui devaient composer la section des pétitions ainsi que ceux pour la section de correspondance127. Jusqu’au mois de septembre 1793, c’étaient les membres du comité qui en décidaient eux-mêmes et qui procédaient tous les quinze jours à leur renouvellement. La décision du Comité de salut public d’établir des nominations séparées pour chacune des sections signifiait aussi que les membres chargés de la rédaction du Bulletin national seraient nommés par le Comité de salut public, et non pas par les membres du Comité des pétitions et de correspondance.

43 Ainsi, occasionnellement centre de toutes les affaires de la Convention, correspondant des commissaires envoyés en mission, organe des corps administratifs et des citoyens de l’Empire, diffuseur de « la vérité » et des décrets de l’Assemblée, porter dans la Convention nationale, et, par ses rapports, thermomètre de l’opinion publique128, le Comité des pétitions et de correspondance, héritier du Comité des rapports et cousin germain du Comité de salut public, eut par conséquent une importance considérable sous la Convention nationale d’octobre 1792 à octobre 1795.

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NOTES

1. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une bourse postdoctorale (2008 BP 00149 / Modalitat A del programa Beatriu de Pinós) du gouvernement catalan (Agència de Gestió d’Ajuts Universitaris i de Recerca – AGAUR) et du Grup d’Estudi de les Institucions i de la Societat a la Catalunya Moderna (segles XVI-XIX) (2009-SGR-318). 2. Archives parlementaires des Chambres françaises de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, première série (1787 à 1799), Paris, Paul Dupont éditeur, 1897, t. 52, p. 280. 3. Ibid., p. 104. 4. Ibid., p. 232. 5. Ibid., p. 263. 6. Ibid., p. 280. 7. Ibid., p. 263. 8. Ibid., p. 278. 9. Archives parlementaires, op. cit., t. 34, p. 225. 10. Voir Archives nationales (AN), série D « Missions des représentants du peuple et comités des assemblées », sous la série DXL « Comité des pétitions, dépêches et correspondances », D*XL 1-5 et registres D*XL 63 et 64. 11. Le Comité des pétitions reçut 1 733 lettres (dossiers) entre janvier et septembre 1792, soit 17,62 % de toute la correspondance enregistrée par le Bureau des renvois et des correspondances. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, Revolució, Poder i Informació. El control de la informació a les Assemblees parlamentàries durant la Revolució francesa (1789-1795), thèse de doctorat sous la direction de Lluís Roura i Aulinas et Jean-Clément Martin, Universitat Autònoma de Barcelona et Université de Paris 1 - Panthéon Sorbonne, soutenue à Bellaterra le 28 novembre 2008, t. 2, p. 455. Cette thèse

F0 F0 est consultable en ligne à l’adresse : 3C http://tdx.cat/handle/10803/48163E . À voir également, AN, série C « Enregistrement, procès-verbaux, contrôle, correspondance », Registre C*II 15 et 16. 12. Archives parlementaires, op. cit., t. 48, p. 304. 13. Ibidem., t. 38, p. 185. 14. Ibid., t. 48, p. 304. 15. Ibid., t. 49, p. 246. 16. Ibid., t. 49, p. 246. 17. AN, série AF « Archives du pouvoir exécutif (1789-1815) », sous la série AF II « Conseil exécutif provisoire et Convention. Comité de salut public (1792-an IV) », AF II* 18 « Comité des Pétitions et correspondance: procès-verbaux. 1792-an IV ». 18. La section des pétitions du Comité des pétitions et de correspondance était chargée de l’« Enregistrement et [de la] délivrance des numéros aux pétitionnaires qui se présentent au comité pour être admis à la barre. », AN, AF II* 18 (séance du 16 novembre de l’an I de la République française). 19. Dans le procès-verbal du 16 novembre 1792, le Comité des pétitions et de correspondance annota : « Les citoyens Dechezeau et Feraud ayant fait successivement les rapports dont ils avaient été chargés relativement au Bureau des renvois et de correspondance, le Comité arrête que ce Bureau sera réuni à ceux existant déjà ou qui seront formés pour les diverses parties du travail qui lui est confié pour le décret du onze de ce mois, conformément au plan d’organisation qui sera adopté et lors duquel ces commis qui y sont employés, seront prévenus de la section à laquelle ils seront attachés à moins que les circonstances et le nouvel ordre de travail nécessitent la suppression de quelqu’un d’entre eux. », AN, AF II* 18 (séance du 16 novembre de l’an I de la République française).

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20. Voir les discussions qui eurent lieu à l’Assemblée législative le 21 janvier 1792 et le 4 février de la même année. Archives parlementaires, op. cit., t. 37, p. 577-578 et t. 38, p. 167-171. 21. Ibid., t. 34, p. 510. 22. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit., p. 440-445. 23. À titre d’exemple, le 14 octobre 1792, Claude Basire prononça le discours suivant : « Le droit de pétition est le droit le plus respectable. Je conjure l’Assemblée de n’y mettre aucune espèce d’entrave, et en conséquence, je demande qu’on ne soumette pas les pétitions à l’arbitraire d’un officier quelconque de l’Assemblée, et que l’on ne décide pas que l’on n’y consacrera qu’une seule séance par semaine. L’objet des pétitions peut quelquefois être très pressant. Ce sont les circonstances qui font naître le besoin des pétitions, et vous ne savez pas comment viendront les circonstances. Je demande que les pétitionnaires soient toujours admis à la barre, et que l’Assemblée décrète pour chacun d’eux le moment le plus commode et le plus prompt de les recevoir. », Archives parlementaires, op. cit., t. 34, p. 217. 24. Ibid., p. 163. 25. Archives Parlementaires, op. cit., t. 34, p. 163. 26. Ibid., p. 159. 27. Cette classification a été établie à partir du travail d’Eduard Resbier sur la communication dans l’entreprise. Eduard RESBIER, « La comunicació a l’empresa », Sociologia de l’empresa, Barcelone, Edicions de l’Universitat de Barcelona, 2003, p. 261-274. 28. Dans le procès-verbal du 24 novembre 1792, le Comité des pétitions et de correspondance annota : « La section de correspondance est chargée particulièrement de la rédaction du bulletin de la Convention nationale et de recueillir les notes et pièces officielles à y insérer, de correspondre avec les commissaires aux armées, de recevoir et expédier les courriers envoyés des départements ou des généraux, de minuter et faire l’envoi des réponses dont le président est chargé », AN, AF II* 18 (séance du 23 novembre de l’an I de la République française). En ce qui concerne les réponses du président, le Bureau des renvois et des correspondances s’occupait de ce qui suit : « Le même bureau entretient exactement la correspondance de l’Assemblée avec les ministres, les directoires de département et de district, les tribunaux, les municipalités, les gardes nationales, les régiments, généralement avec tous les fonctionnaires publics et même avec les particuliers ; soit en composant et expédiant toutes les lettres que l’Assemblée charge son président d’écrire et les réponses que M. le président ordonne de faire aux différentes demandes qui lui sont adressées soit en accusant la réception et en indiquant la destination des pièces qui sont journellement envoyées à l’Assemblée de toutes les parties du royaume. Toutes les lettres décrétées et les réponses importantes sont transcrites sur un registre tenu régulièrement par ordre de dates. Le Bureau de correspondance est encore chargé d’expédier aux départements et aux districts les adresses, discours, rapports et pièces dont l’Assemblée décrète l’impression et l’envoi. » Archives parlementaires, op. cit., t. 30, p. 24. 29. AN, C*II 16. 30. Eduard RESBIER, op. cit., p. 274. 31. Archives parlementaires, op. cit., t. 45, p. 327. 32. Ibidem., t. 48, p. 348. 33. Henry-Larivière raconta ce qui suit : « Je me suis transporté avec vos commissaires dans les quartiers de Paris où les rassemblements étaient le plus nombreux, et je dois dire, à l’avantage des citoyens de Paris, qu’à peine ils ont reconnu que nous étions leurs représentants, aussitôt la confiance la plus intime, les marques d’amitié la plus tendre, le respect, ont accompagné leurs discours. A l’instant, dis-je, tous se sont tenus découverts et ont entendu la lecture de la loi que nous leur avons faite. Après avoir entendu cette lecture, le peuple s’est livré à une espèce d’enthousiasme, et a dit : "Puisque la loi reprend son empire, puisque enfin le peuple peut être assuré de trouver en elle un appui vraiment fort, nous nous rendons : reportez à l’Assemblée nationale que plutôt que de commettre le crime dont on parle, nous périrons tous !" », Archives

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parlementaires, op. cit., t. 47, p. 651. De son côté, Ducos raconta : « Il me paraît que les inquiétudes que les citoyens manifestent viennent de la lenteur avec laquelle on leur a donné connaissance du décret de l’Assemblée nationale. », Archives parlementaires, op. cit., t. 47, p. 652. 34. Ibidem, t. 47, p. 645. 35. Ibid., t. 47, p. 642. 36. L’Assemblée décréta : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est nécessaire de faire passer à l’armée, le plus tôt possible, le détail des événements qui ont lieu à Paris, ainsi que la cause de ces événements mêmes, que les circonstances commandent impérieusement d’y apporter la plus grande célérité, décrète qu’il sera nommé à l’instant douze commissaires pris dans son sein pour se rendre sur-le-champ aux diverses armées. », Archives parlementaires, op. cit., t. 47, p. 659 et Michel BIARD, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2002, p. 37. 37. Ibid., t. 45, p. 326. 38. Le décret fut le suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète qu’il sera mis à la disposition du ministre de l’Intérieur, à la charge d’en rendre compte, la somme de 100 000 livres, pour les frais des correspondances qu’il jugera nécessaires, et pour l’impression et distribution, dans les départements et les armées, de tous les écrits propres à éclairer les esprits sur les trames criminelles des ennemis de l’État, et sur les vraies causes des maux qui ont trop longtemps déchiré la patrie. », Archives parlementaires, op. cit., t. 48, p. 348. 39. Anne KUPIEC, « La Gironde et le Bureau d’esprit public : Livre et Révolution », Annales historiques de la Révolution française, 1995, nº 302, p. 573 et Jacques GUILHAUMOU, « Décrire la Révolution Française. Les porte-parole et le moment républicain (1790-1793) », Annales : économies, sociétés, civilisations, Paris, 1991, nº 4, p. 959. 40. Archives parlementaires, op. cit., t. 48, p. 245-246. 41. Anne KUPIEC, art. cit., p. 572. 42. Pierre CARON, La première Terreur (1792). Les missions du Conseil exécutif provisoire et de la Commune de Paris, Paris, Presses universitaires de France, 1950, p. 72. 43. Le discours de Marant qui donna lieu à l’établissement de la Commission extraordinaire des douze le 17 juin 1792 fut le suivant : « Nous ne pouvons plus nous dissimuler les dangers qui nous environnent. Jamais l’État n’eut une marche plus rapide vers sa désorganisation. Jamais la France ne s’est trouvée dans une crise aussi violente et n’a couru autant de dangers. Il est évident que la Constitution n’est pas appliquée, que le pouvoir exécutif se désorganise de lui-même. Il est temps que ce temps d’inquiétude et d’incertitude cesse, il faut que l’Assemblée nationale trouve un moyen de sauver la France ou qu’elle périsse avec elle. Je demande qu’on nomme une nouvelle commission, composée de 12 de ses membres, laquelle sera chargée de lui présenter dans 4 jours, après avoir examiné en général la situation actuelle de l’Empire, le tableau des maux qui désolent la patrie, de leur cause, et des mesures propres à dissiper l’orage qui se forme. », Archives parlementaires, op. cit., t. 45, p. 326. En outre, le discours de Tardiveau qui donna lieu à l’établissement de la Commission des douze fut ce qui suit : « Depuis plusieurs jours il a été porté au Corps législatif des nouvelles affligeantes. Le peuple, dit-on, égaré par diverses causes s’est porté à des excès, il a servi ainsi, sans le savoir, la cause des ennemis de la patrie. Il convient que l’Assemblée nationale fasse connaître à l’Empire Français que son intention est de maintenir la loi, le respect pour les propriétés, et d’assurer la punition de ceux qui y porteraient atteinte, qu’elle veut que les autorités constituées fassent leur devoir ; qu’elle punira celles qui s’en écarteront ; que tous les ministres donneront les ordres nécessaires. », Archives parlementaires, op. cit., t. 39, p. 426. 44. Ibidem, t. 56, p. 117. 45. Maximilien ROBESPIERRE, Œuvres de Maximilien Robespierre, Paris, Phénix Éditions, 2000, p. 254. Anne KUPIEC, op. cit., p. 584. 46. Archives parlementaires, op. cit., t. 56, p. 112

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47. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit., p. 651-656. 48. AN, AF II*18 (séance du mercredi 30 janvier 1793). 49. Archives parlementaires, op. cit., t. 58, p. 97. 50. Pierre-Charles-Daniel-Gustave Dechézeau, Jean-François Ducos et Pierre Paganel furent choisis pour occuper les trois places réservées au Comité des pétitions et de correspondance dans le cadre du Comité de défense générale, AN, AF II*18 (séance du 31 janvier de l’an II de la République). Voir le tableau nº 4 de l’annexe nº 1. 51. Françoise BRUNEL, Thermidor. La chute de Robespierre, Bruxelles, Éditions Complexe, 1989, p. 17. 52. Archives parlementaires, op. cit., t. 61, p. 378. 53. François-Alphonse AULARD, Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire, Paris, Imprimerie nationale, t. III, p. 133. 54. AN, AF II*16 (séance du 29 avril 1793). 55. Dans un document qui a pour titre État des travaux de la Commission des dépêches établi par décret du 8 avril 1793 on peut lire : « Dépositaire des pièces les plus importantes, chargé de recevoir des sommes considérables, que des bons citoyens veulent remettre sur l’autel de la Patrie, le chef du Bureau doit réunir tout ce qui peut fixer la confiance des représentants du peuple, membres de la commission. », AN, AF II* 16. 56. Dans le document État des travaux de la Commission des dépêches établi par décret du 8 avril 1793 on peut lire : « Les pétitions qui n’offrent aucun objet d’intérêt général sont renvoyées au Comité des Pétitions, après avoir été retenues en note sur un répertoire particulier. » AN, AF II* 16 (sans date). Dans le cadre d’un autre document : « Toutes les lettres, pétitions, mémoires et pièces seront enregistrées et analysées. Ne sont point comprises dans cette disposition, les lettres ou pièces qui n’ayant pour objet que des demandes particulières, seront envoyées au Comité des Pétitions, après cependant avoir été enregistrées par ordre de numéro, sur un registre particulier. », AN, AF II* 16 (séance du 15 pluviôse an II). 57. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit., t. 504-508 et 518-519. Voir les tableaux nº 1, nº 2 et nº 3 de l’annexe nº 1. 58. Ibidem, p. 516-517. Parmi les 24 premiers députés appelés à composer le Comité de défense général, il y avait 11 députés girondins, 6 députés de la Plaine et 7 députés montagnards. Voir le tableau nº 4 de l’annexe nº 1. 59. Ibid. p. 525-526. Voir le tableau nº 4 de l’annexe nº 1. 60. La commission de dépêches fut composée de René Levasseur (Montagne), Marc-Frédéric- Henri Christiani (Plaine), Claude-Antoine Rudel (Montagne), Jacques Periès (Gironde) et Simon- Nicolas Guyardin (Montagne). Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, Ibid., p. 526-527. 61. Le Comité de défense générale fut renouvelé le 26 mars 1793, Archives parlementaires, op. cit., t. 60, p. 581. Par le contenu de son procès-verbal, on apprend que le Comité des pétitions et correspondance fut renouvelé entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril, voir AN, AF II*18. 62. En octobre 1792, la liste de députés appelés à composer le Comité des pétitions et de correspondance était composée de 4 députés girondins, 10 députés de la Plaine et 10 députés montagnards. En janvier 1793 la liste était composée de 7 députés girondins, 9 députés de la Plaine et 7 députés montagnards. En avril 1793, la liste était composée de 4 députés girondins, 10 députés de la Plaine et 10 députés montagnards. Néanmoins, indépendamment des listes, le Comité des pétitions et de correspondance était, en raison des absences de ses membres, aux mains des girondins et des députés de la Plaine. D’octobre 1792 à janvier 1793, il était composé de 4 députés girondins, 6 députés de la Plaine et 2 montagnards et, de janvier à mars 1793, il était composé de 4 députés girondins, 4 députés de la Plaine et 4 députés montagnards. Les montagnards n’avaient pas une majorité dans ce comité, néanmoins, ils avaient augmenté leur présence réelle de 2 à 4 membres. (Voir les tableaux nº 1, nº 2 et nº 3 de l’annexe nº 1).

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63. Le Comité de défense générale résultant du 26 mars 1793 était composé de 9 députés girondins, 4 députés de la Plaine, 12 députés montagnards. (Voir le tableau nº 4 de l’annexe nº 1). Les références sur les tendances politiques des députés ont été obtenues à partir des travaux suivants : Elie ALLOUCHE, « Comparaison des classifications politiques des conventionnels chez cinq historiens », Engagements et trajectoires politiques chez les conventionnels. Le problème de la Plaine, mémoire de DEA, sous la direction de Jean-Clément Martin, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, 2004, Michel BIARD, op. cit., p. 449-592, Jacqueline CHAUMIÉ, « Les girondins », Actes du colloque Girondins et Montagnards, Paris, Société des Études robespierristes, 1980, p. 19-60, Françoise BRUNEL, « Les députés montagnards » et « Liste des 267 députés montagnards en juin 1793 », Actes du colloque Girondins et Montagnards, op. cit., p. 343-361 et Albert SOBOUL, Dictionnaire historique de la Révolution française, Presses universitaires de France, Paris, 1989. 64. Archives parlementaires, op. cit., t. 61, p. 277. 65. Marc BOULOISEAU, Le Comité de salut public (1793-1795), Paris, Presses universitaires de France, 1968, p. 18. 66. Archives parlementaires, op. cit., t. 35, p. 584. 67. Archives parlementaires, op. cit., t. 52, p. 280. 68. Ibidem, t. 52, p. 660. 69. Archives parlementaires., Ibidem., t. 53, p. 586. 70. AN, AF II* 18. Voir l’annexe nº 2 de cet article. Elle présente tous les députés qui furent élus membres ou suppléants du Comité des pétitions et de correspondance, d’octobre 1792 à octobre 1795, avec indication de leur assistance aux réunions du comité. Ce tableau a été réalisé à partir des données obtenues dans : AN, AF II*18, AD/XVIIIb : procès-verbaux des assemblées (1787-1875), t. 131-142 et les Archives parlementaires. Nous remercions spécialement Pascal Riviale, conservateur de la série AD/XVIIIb, de son accord pour la consultation des procès-verbaux imprimés de la Convention nationale entre novembre 1794 et octobre 1795. 71. Archives parlementaires, op. cit., t. 55, p. 354. 72. La Convention nationale adopta le décret suivant : « La Convention nationale décrète que dans trois jours les comités qui, aux termes de son règlement, doivent être renouvelés tous les deux mois, tireront au sort ; que les résultats seront remis aux commissaires de la Salle, qui les feront imprimer sur deux colonnes, celle des membres restants, celle des membres sortis ; autorise les comités à mettre sur la liste des sortants ceux qui ne se sont pas rendus avec exactitude à leurs comités : ordonne qu’il sera formé une liste générale de candidats, et qu’il sera ensuite procédé au renouvellement par moitié de chaque comité, suivant l’ordre dans lequel ces comités ont été formés. », Archives parlementaires, op. cit., t. 55, p. 354. 73. AN, AF II* 18 (séance du samedi 22 décembre an I de la République française). Voir le tableau nº 1 de l’annexe nº 1. Dans ce tableau apparaissent indiqués les députés absents du Comité des pétitions et de correspondance à la date du 22 décembre 1793. 74. Archives parlementaires, Ibidem, p. 354. 75. AN, AF II* 18 (séance du samedi 5 janvier 1793). Voir le tableau nº 2 de l’annexe nº 1. Dans ce tableau apparaissent indiqués les députés membres et suppléants du Comité des pétitions et de correspondance en date du 5 janvier 1793, avec indication de ceux qui avaient été membres de ce comité en octobre 1792 et de ceux qui vont rester dans le comité après le renouvellement de celui-ci en avril 1793. 76. Archives Parlementaires, op. cit., t. 78, p. 17-18. 77. Ibid., p. 18. 78. François-Alphonse AULARD, op. cit., t. XVI, p. 311. 79. Voir l’annexe nº 2 sur le personnel du Comité des pétitions et de correspondance. 80. AN, AF II*18 (séance du 23 octobre 1792, an I de la République française). 81. Ibid. (séance du 24 vendémiaire an III de la République une et indivisible).

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82. Voir le graphique des réunions et l’annexe nº 3 concernant les réunions (qui furent enregistrées dans les procès-verbaux) du Comité des pétitions et de correspondance. Ce graphique et cette annexe ont été réalisés à partir des procès-verbaux du Comité des pétitions et de correspondance, voir AN, AF II* 18. 83. Rapport du 11 novembre 1792, Archives parlementaires, op. cit., t. 53, p. 355-356 ; rapport du 18 novembre 1792, Ibid., t. 53, p. 463-464 ; rapport du 25 novembre 1792, Ibid., t. 53, p. 577 ; rapport du 2 décembre 1792, Ibid., t. 54, p. 50-52 ; rapport du 9 décembre 1792, Ibid., t. 54, p. 711-713 ; rapport du 17 décembre 1792, Ibid., t. 55, p. 119-121 ; rapport du 23 décembre 1792, Ibid., t. 55, p. 365 ; rapport du 31 décembre 1792, Ibid., t. 56, p. 101 ; rapport du 7 janvier 1793, Ibid., t. 56, p. 585-586 ; rapport du 11 janvier 1793, Ibid., t. 56, p. 744-746 ; rapport du 17 février 1793, Ibid., t. 58, p. 637-639 ; rapport du 24 février 1793, Ibid., t. 59, p. 131-133 ; rapport du 3 mars 1793, Ibid., t. 59, p. 564-566 ; rapport du 14 mars 1793, Ibid., t. 60, p. 196-198 ; rapport du 22 mars 1793, Ibid., t. 60, p. 445-449 ; rapport du 24 mars 1793, Ibid., t. 60, p. 516-518 et rapport du 26 mars 1793, Ibid., t. 60, p. 564-565. 84. AN, AF II*18 (séance du 9 prairial an III de l’ère républicaine). 85. Maria Betlem CASTELLÀ I PUJOLS, op. cit., p.486-488 et p. 509-512. 86. Ibid., p. 448-449 et 451. 87. AN, AF II*16 (séance du 28 juin 1793, an II de la République une et indivisible et séance du 13 septembre 1793, an II de la République une et indivisible). 88. Voir l’annexe nº 2. 89. Voir l’annexe nº 4. Tableau réalisé à propos des « secrétaires commis » du Comité des pétitions et de correspondance. Il a été confectionné à partir des données obtenues dans : AN, AF II*16 et AF II*18, Archives parlementaires et dans un document localisé dans la Collection des documents de Michel Bernstein de l’Université de Senshu à Tokyo. Ce document est intitulé : Liste de MM. les députés composant la Commission extraordinaire des douze et il est daté du 15 août 1792. Le document se trouve dans le tome 58 décrit dans le tome VI du catalogue de la collection : Michel BERNSTEIN, Catalogue de l’histoire de la Révolution française. Comparé avec le catalogue de la Bibliothèque nationale par André Martin et Gérard Walter, Écrits de la période révolutionnaire, supplément aux tomes I- V (1) Tomes 1-1766, t. 6. Ikuta, Kawasaki-Shi, Bibliothèque de l’Université de Senshu, 1980. 90. Archives parlementaires, op. cit., t. 30, p. 24. 91. AN, AF II*16 (séance du 28 juin 1793 an II de la République une et indivisible). 92. François FURET et Denis RICHET, La Révolution française [1965], Paris, Fayard, 2002, p. 219. 93. Archives parlementaires, op. cit., t. 11, p. 536. 94. AN, AF II*18 (séance du 3 novembre an I de la République française). 95. Ibid., (séance du 16 novembre an I de la République française). 96. Archives parlementaires, op. cit., t. 78, p. 282. 97. Ibid., p. 282. 98. Dans les Archives parlementaires on peut localiser le texte suivant : « M. Baudouin, qui envoie à l’Assemblée le premier exemplaire du Bulletin national. Il observe que s’il n’était pas signé, des mal intentionnés pourraient le contrefaire pour égarer l’opinion publique ; il demande que deux membres de la correspondance signent chaque jour le Bulletin national. », Archives parlementaires, op. cit., t. 49, p. 355. 99. L’article 3 du projet adopté le 15 septembre 1792 était ainsi libellé : « Toute personne qui sera convaincue d’avoir arraché lesdits bulletins, ou empêché leur publication et affiche, sera poursuivie devant les tribunaux, comme ennemie du peuple et coupable d’offense à la loi, à la diligence du procureur de la commune du lieu où seront faites lesdites affiches, et condamnée à 100 livres d’amende pour la première fois, et, en cas de récidive, à deux mois de prison. », Archives parlementaires, op. cit., t. 49, p. 677. 100. Ibidem., t. 64, p. 33-34.

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101. La première référence à cette distribution entre les départements et les districts a été localisée dans une lettre de Roland lue le 18 septembre 1792 à l’Assemblée : « L’Assemblée nationale m’a chargé, par le décret qu’elle a rendu, le 15 de ce mois, sur le rapport du Comité de correspondance, d’envoyer à tous les départements et à tous les districts, le bulletin qui s’imprime journellement par les ordres du Corps législatif. Cette mesure est d’une telle importance que je n’ai pas cru devoir attendre l’envoi officiel du décret pour le mettre à exécution. En conséquence, j’ai donné hier par écrit à M. Baudouin un état du nombre des bulletins qu’il aura à me remettre tous les matins. », Archives parlementaires, op. cit., t. 50, p. 107. 102. En janvier 1793, la Convention nationale accepta un projet de décret pour envoyer le Bulletin national plus efficacement aux armées, Archives parlementaires, op. cit., t. 56, p. 724. 103. Le 23 février 1793, la Convention nationale adopta le décret suivant : « La Convention nationale décrète que son Bulletin sera envoyé à l’avenir aux maisons d’éducation : en conséquence, elle autorise le ministre de l’intérieur à joindre trois exemplaires de ce Bulletin aux quinze qu’il envoie journellement aux districts de la République : elle charge spécialement les directoires de district de la distribution de ces exemplaires aux écoles nationales », Archives parlementaires, op. cit., t. 59, p. 119. 104. Le 12 mars 1793, la Convention nationale adopta le décret suivant : « La Convention nationale décrète qu’il sera ajouté pour les sociétés patriotiques, deux exemplaires du Bulletin de la Convention, à chaque envoi aux directoires de district, ce qui portera à 20 le nombre de ceux à leur adresser. », Archives parlementaires, op. cit., t. 60, p. 113. 105. Le 29 mars 1793, la Convention nationale adopta la proposition de Féraud d’envoyer le Bulletin national à tous les hôpitaux militaires ou ambulances des armées. Archives parlementaires, op. cit., t. 60, p. 690. 106. Archives parlementaires, op. cit., t. 68, p. 128. 107. Ibidem., t. 80, p. 629-630. 108. Ibid., t. 82, p. 398. 109. AN, BB29 278 : Correspondances de l’agence ou du Bureau de l’envoi des lois et du ministre de la Justice relativement à l’envoi des lois. An II-an IX, p. 166-168. 110. AN, BB29 279, p. 351-355. 111. Archives parlementaires, op. cit., t. 75, p. 419. 112. AN, BB29 278, p. 296-297. 113. Le 4 nivôse an III, le Comité des pétitions et de correspondance adopta les décisions suivantes : « Primo. Arrête, qu’à compter du 10 du présent mois de nivôse, il n’y aura plus de supplément au Bulletin à moins que des circonstances pressantes ne l’exigent. Secondo. Qu’il ne sera plus inséré au Bulletin aucun rapport des comités sans un décret de la Convention nationale. Tertio. Aucun décret ne sera inséré au Bulletin si la Convention ne l’a pas expressément ordonné. Quarto. Les arrêtés du Comité de salut public et de sûreté générale pour accélérer la publication des mesures et de gouvernement continueront d’y être insérés. Quinto. Aucune adresse, soit des autorités constituées, ou d’individus ne seront insérées au Bulletin sans un décret expresse. Sexto. Aucune des adresses dont la Convention nationale aura décrété l’insertion au bulletin, n’y seront insérées que par extrait, ou par nomenclature, suivant l’importance des objets qu’elles traiteront. Septimo. L’insertion en entier n’aura lieu que lorsqu’un décret l’aura ordonnée. Octavo. Il ne sera plus envoyé qu’un Bulletin aux corps constitués cy après… aux administrateurs du département et de district, aux tribunaux criminels, aux tribunaux de district, aux tribunaux de commerce, aux officiers municipaux de canton, aux juges de paix, aux sociétés populaires, aux comités de surveillance, aux hôpitaux militaires, aux commandants des places, aux administrations d’arrondissement de la Belgique. Nono. Les bulletins continueront à être envoyés aux armées de terre et de mer en nombre cy après aux armées de terre 4560 et aux armées de mer 550. Decimo. La distribution de deux exemplaires à chaque membre de la Convention nationale se fera comme à l’ordinaire. Un décimo. Les bulletins qui seront distribués aux

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membres de la Convention seront imprimés en octavo. Duodécimo serait pareillement imprimé en octavo ce qui seront adressés aux tribunaux criminels, aux tribunaux de district, aux tribunaux de commerce, aux juges de paix, aux sociétés populaires, aux hôpitaux militaires, aux commandants de places. Tertio decimo. Seront imprimés en placard, ceux qui seront envoyés aux administrations de département, de district, et aux officiers municipaux. Quarto décimo. Il ne sera désormais envoyé de bulletins à aucunes autoritées, soit militaires, soit civiles, autres que celles désignées dans le présent arrêté. », AN, AF II*18 (séance du 4 nivôse an III). 114. Archives parlementaires, op. cit., t. 94, p. 31-34. 115. Ibidem., t. 94, p. 436. 116. Ibid., t. 94, p. 37. 117. François-Alphonse AULARD, op. cit., t. XVI, p. 311. 118. Le 7 fructidor an II, la Convention nationale décida ce qui suit : « La Convention nationale décrète que les adjonctions des divers comités de la Convention nationale aux Comités de salut public et de sûreté générale, autres que celles déterminées par la loi qui règle les fonctions des Comités, sont supprimées. », François-Alphonse AULARD, Ibidem., t. XVI, p. 310-311. 119. AN, AF II*16 (Extrait du procès-verbal de la Convention nationale du 29 avril 1793, an II de la République française une et indivisible). 120. Ibid., t. 53, p. 464. 121. Ibid., t. 82, p. 69-70. 122. Le 13 septembre 1792, la Convention nationale adopta le décret suivant : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que tous les comités, à l’exception de celui de salut public, seront renouvelés ; charge son Comité de salut public de lui présenter une liste de candidats pour chacun d’eux. », Archives parlementaires, op. cit., t. 74, p. 52. 123. Le procès-verbal du Comité des pétitions et de correspondance du 4 pluviôse an II cite ce qui suit : « Le 4 pluviôse l’an 2 de la République française une et indivisible les membres du Comité des pétitions et de correspondance ont arrêté de présenter au Comité de salut public les noms des membres cy-après désignés pour compléter le comité : ces citoyens sont Pellissier, Bassal, Cordier, Bourgain, Lesage-Senault », AN, AF II*18 (séance du 4 pluviôse an II). 124. Le 14 thermidor an II, Barère souligna ce qui suit : « Citoyens, le travail que je suis chargé de vous présenter au nom du Comité de salut public a pour objet une autre délégation de pouvoirs dont la Convention nationale ne doit pas se dessaisir, soit pour l’intérêt de son autorité, soit pour l’intérêt du peuple ; cependant, d’après les intentions perfides du dictateur, et par ses manœuvres dans l’Assemblée, il vous avait fait décréter que le Comité de salut public nommerait tous les membres des comités ; opération difficile, pénible, odieuse, et tendant à avilir la représentation nationale, et à défavoriser les membres de ce gouvernement aux yeux mêmes de leurs collègues. », Archives parlementaires, op. cit., t. 94, p. 31. À propos de la compétence que le Comité de salut public avait d’élire les membres des autres comités, Julien Bourdon a écrit ce qui suit : « Même s’il faut remarquer que le Comité de salut public suit souvent les recommandations des anciens membres des Comités, il n’en reste pas moins qu’il est à l’origine de leur composition, la Convention ratifiant sans discussions ses choix. », Julien BOUDON, Les Jacobins. Une traduction des principes de Jean-Jacques Rousseau, préface de Frédéric Bluche, Paris, L.G.D.J., 2006, p. 504. 125. AN, Ad/XVIIIb/133, p. 230. 126. François-Alphonse AULARD, op. cit., t. XVI, p. 319-320. 127. Archives parlementaires, op. cit., t. 75, p. 180. 128. Cette expression de « Thermomètre de l’opinion publique » fut employée par Anne- Alexandre-Marie Thibault le 23 décembre 1792 dans un de ses rapports : « Citoyens, votre Comité des pétitions et correspondance, chargé par un de vos décrets de vous présenter chaque semaine le thermomètre de l’opinion publique, vient vous dire aujourd’hui, par mon organe, que de tous les points de votre Empire les citoyens réunis ou séparés, les assemblées primaires et électorales, les administrations et les tribunaux, les fonctionnaires publics adhèrent avec enthousiasme aux

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décrets qui abolissent la royauté, et établissent la République une et indivisible. Partout l’amour de la patrie, le feu sacré du civisme le plus pur embrase tous les âmes ; on vous jure respect et confiance, et l’on préfère la mort à l’infraction des lois. », Archives parlementaires, op. cit., t. 55, p. 364. Quelques mois plus tard, le 24 thermidor an II, Poultier parla de « Thermomètre de l’esprit public » pour se référer à la commission de dépêches, Archives parlementaires, op. cit., t. 94, p. 436.

RÉSUMÉS

Le Comité des pétitions et de correspondance est un des comités les plus méconnus de l’histoire et de l’historiographie de la Révolution française. Ses antécédents, ses missions et ses compétences n’ont presque jamais attiré l’attention des chercheurs. Trop peu sont ceux qui savent qu’il partage avec le Comité de salut public les mêmes antécédents communs et que la perte de ses compétences en avril 1793 est une conséquence immédiate de l’établissement de ce dernier comité. Parallèlement, on ignore souvent que l’augmentation de ses attributions en novembre 1792 fut faite au détriment de celles du président de l’Assemblée. Peut-être le moment est-il venu de mettre en valeur ce comité et, en même temps, de démontrer qui gérait la correspondance parvenant à l’Assemblée entre 1789 et 1795. Si le contrôle de l’information constitue le quatrième pouvoir, celui-ci ne fut pas absent des assemblées parlementaires et le Comité des pétitions et de correspondance est à cet égard un bon exemple.

The Committee of Petitions and Correspondence is one of the most overlooked committees in the history and historiography of the French Revolution. Its history, missions and competences have almost never come to the attention of researchers. Very few people are aware that it shares a common history with the Committee of Public Safety and that the loss of its competences in April 1793 was an immediate consequence of the creation of the latter. Likewise, it is little known that its competences were increased in November 1792 to the detriment of those of the President of the Assembly. Perhaps the moment has come to highlight this committee and, at the same time, to show the reader who managed the correspondence arriving at the Assembly between 1789 and 1795. If the control of information constitutes the fourth power, then the latter was not absent from parliamentary assemblies, and the Committee of Petitions and Correspondence is, in this respect, a good example.

INDEX

Mots-clés : Comité des pétitions et de correspondance, président de l’Assemblée, Comité de salut public, information et ordre public Keywords : Committee of Petitions and Correspondence, President of the Assembly, Committee of Public Safety, Information and Public Order

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AUTEUR

MARIA BETLEM CASTELLÀ I PUJOLS Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne/ Universitat Pompeu Fabra, Barcelone.

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Le Comité des Inspecteurs de la salle : une institution au service de la Convention nationale (1792-1795) The Committe of the Inspecteurs de la Salle: an institution at the service of the Convention

Alain Cohen

1 L’organisation interne de l’Assemblée ne date pas de la Convention nationale puisque le premier règlement, adopté par la Constituante, est du 29 juillet 1789. Il n’accordait qu’une place restreinte aux comités. Les Constituants français se sont inspirés de la Chambre anglaise des Communes, dont les comités se sont imposés en raison de la nécessité technique d’organiser le travail des parlementaires. Cet exemple n’a pas manqué d’exercer une influence sur les Constituants français lorsqu’ils voulurent créer le premier comité de constitution. Comme la Constituante faisait également œuvre de législation courante, il fallait diviser le travail de préparation des très nombreux textes entre des comités rassemblant des spécialistes du droit dans les domaines suivants : législation criminelle, défense nationale, finances, questions sociales, droits de l’homme, questions coloniales etc……..Au total, ce furent une vingtaine de comités permanents qui virent le jour au cours de la première année de la Révolution. Chaque comité préparait le travail de l’Assemblée en lui présentant des rapports et des projets de décret. Mais, c’était l’Assemblée plénière qui prenait seule les décisions par l’adoption des décrets, sur propositions de chaque comité en fonction de sa compétence. Comme le précise André Castaldo1 à propos de la Constituante, les comités ont participé à la « mission constitutionnelle et législative de l’Assemblée […] ces organes ont souvent et en même temps des responsabilités qui, normalement, sont dévolues à un exécutif ou même à un pouvoir judiciaire ». L’augmentation considérable du travail parlementaire entraîna un accroissement parallèle des effectifs de l’administration de l’Assemblée, illustré par le nombre de commis qui atteignit la centaine en avril 1790. Ces faits expliquent l’origine des Commissaires et Inspecteurs de la salle.

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L’ébauche d’une organisation des Inspecteurs du local de la salle (Constituante et Législative)

2 Lorsque l’Assemblée siégeait à Versailles (jusqu’au 18 octobre 1789) les dépenses de la salle dépendaient du Ministère de la Maison du Roi et du budget qui lui était affecté. Cette situation perdura jusqu’au 1er octobre 1790, alors que l’Assemblée décida de transporter ses services de la salle de l’Archevêché de Paris (après le 7 novembre 1789) au Manège des Tuileries. La voie était toute tracée pour l’autonomie administrative et financière de l’Assemblée par rapport à la Maison du roi. La désignation du député Guillotin comme Commissaire de la salle jeta les bases de l’administration de l’Assemblée puisqu’elle le chargea de veiller sur la police, la sûreté et la salubrité de la salle. Les termes « d’inspecteurs des dépenses des bureaux des comités » ou « d’inspecteurs du travail des commis » apparurent alors parce qu’il s’agissait de permettre à Guillotin d’être secondé. Mais, ces inspecteurs n’étaient pas encore organisés en comité sous la Constituante et la Législative. Ils ne le furent qu’à partir de la Convention nationale. Les commis furent placés sous l’autorité de deux, puis quatre députés élus par leurs pairs en qualité d’Inspecteurs. Selon un décret du 23 octobre 1789, deux membres de l’Assemblée devaient se déplacer dans les bureaux afin de « s’assurer de la manière dont les commis rempliront leurs devoirs et même de l’utilité ou nécessité de l’emploi. Les plaintes, que les membres de l’Assemblée auraient à faire contre les commis, ainsi que celles que les commis auraient à faire les uns contre les autres, seront adressées aux inspecteurs »2. Ces derniers avaient des fonctions très larges, autant administratives que techniques et financières en rapport avec le fonctionnement d’une assemblée qui se développa fortement au fur et à mesure que l’exécutif perdait peu à peu de son importance. Les exemples abondent, comme par exemple quand il fallut transformer à partir de novembre 1789 les locaux vétustes du Manège des Tuileries (2 monastères, celui des Capucines et celui des Feuillants) en salles et bureaux d’assemblée. L’Assemblée décida alors de nommer cinq Commissaires pour aider Guillotin à contrôler ces travaux (députés d’Aiguillon, Gouy, La Poule, Le Pelletier de Saint-Fargeau, Colbert de Castlehill). Les inspecteurs de la salle passaient commande des fournitures (chandelles, bougies y compris le petit matériel) et assuraient le contrôle de l’Imprimerie nationale en payant à Baudouin, son Directeur, les frais d’impression des procès-verbaux de l’assemblée, ainsi que des décrets, rapports, tableaux des finances, affiches et opinions particulières des représentants du peuple. En outre, ce furent les inspecteurs qui réglementèrent l’occupation privative de certains espaces situés sur le domaine public de l’assemblée (contrôle des travaux faits par les occupants, baux, négociations avec d’éventuels propriétaires privés). Les inspecteurs devaient veiller sur la sécurité des locaux d’autant plus que des accidents pouvaient se produire, comme ce fut le cas le 26 octobre 1789 dans les locaux de l’Archevêché de Paris lors : « Une tribune s’écroula : quatre représentants du peuple furent blessés, ainsi que plusieurs spectateurs »3. Autre attribution essentielle des inspecteurs : le contrôle des travaux immobiliers nécessités par la maintenance, voire la construction d’extensions des locaux de l’assemblée. Enfin, les inspecteurs furent chargés de surveiller l’évolution des dépenses du personnel employé par les différents comités.

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3 Ce découpage des missions incombant aux inspecteurs ne fut pas fondamentalement modifié sous la Convention nationale. Mais, les interventions de ceux-ci se systématisèrent au fur et à mesure de l’extension du rôle de la Convention nationale et de son emprise de plus en plus déterminante sur les destinées du pays.

L’amplification des compétences ou attributions des Inspecteurs sous la Convention

4 En effet, ces compétences ou attributions s’étoffèrent sous la Convention par rapport à celles déjà définies par l’Assemblée nationale de juillet 1789 à septembre 1792 et s’étendirent à de nouveaux domaines confiés par la Convention nationale en rapport avec la montée en puissance de l’Assemblée par rapport au pouvoir exécutif.

Gestion et contrôle des travaux immobiliers : cause première du rôle croissant du comité

5 Comme nous le verrons à propos des contacts avec le Ministère de l’Intérieur, le Comité des Inspecteurs de la salle n’assumait pas la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage des travaux immobiliers puisque le Ministère de l’Intérieur, héritier direct de la Maison du roi, conserva cette attribution jusqu’à sa disparition (1er avril 1794), notamment pour la construction et l’aménagement des salles de séances de l’Assemblée. Le Comité des Inspecteurs de la Salle intervenait plutôt en position de contrôleur des travaux (à la fois financier et technique) dans la mesure où il devait donner son avis sur le déblocage des fonds pour l’aménagement des locaux des comités de la Convention4. En ce qui concerne l’aménagement des espaces communs du Palais, l’architecte rattaché au Comité des Inspecteurs autorisait la construction des échoppes sous les arcades de la galerie, après approbation des plans par le comité5. Pour exercer ces responsabilités techniques, le Comité des Inspecteurs s’appuyait sur la compétence d’hommes de l’art, comme l’inspecteur général Vacquer et l’architecte Gisors sans lesquels « nul travail ne pourra être entrepris par les entrepreneurs et ouvriers sans un ordre de l’Architecte et de l’Inspecteur général des travaux6 ».Le comité, aidé également de ses experts vérificateurs comme Bimulec, se prononçait sur les réclamations des entreprises en matière de révision de prix ou d’appréciation du prix en lui-même7. Ces interventions à caractère technique étaient souvent accompagnées d’appréciations juridiques, comme cela a été relevé en matière de gestion du patrimoine immobilier de la Convention nationale.

Le comité au service de la Convention pour gérer son patrimoine immobilier

6 Les espaces libres, corridors ou couloirs du Palais national pouvaient être occupés privativement par des commerçants ou particuliers qui sollicitaient l’accord de la Convention sur la signature de leurs baux. Celle-ci chargeait le Comité des Inspecteurs d’examiner ces demandes. Les locations pouvaient être régularisées ou au contraire résiliées, selon une appréciation juridique qui relevait de la compétence des juristes du comité. Les critères retenus par celui-ci pouvaient être politiques, comme l’exclusion d’un bénéfice énorme au moyen d’une sous-location totale de locaux révélatrice d’un

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esprit de spéculation8, par opposition à des locations de petits lots à des particuliers pères de famille dont la petite propriété devait être encouragée. Les résiliations de bail pouvaient être aussi prononcées par le comité qui devait, en ce cas, apprécier si des indemnités compensatrices de perte de jouissance devaient ou non être accordées aux locataires évincés9.

7 La prévention des accidents entrait dans les compétences du Comité des Inspecteurs. Il en fut ainsi à la veille d’une manifestation publique à l’édifice de l’Opéra. À la demande du Comité de salut public, en sa séance du 18 germinal an II-7 avril 1794, le Comité des Inspecteurs désigna deux de ses membres, assistés d’architectes, d’un maçon et d’un charpentier, pour s’assurer que « cet édifice est assez solide pour accueillir le peuple qui doit y affluer avec abondance »10. Ces mesures de prévention revêtaient un caractère permanent puisque l’inspecteur des bâtiments, Lecomte, et l’architecte Gisors devaient visiter « chaque matin et soir toutes les dépendances et les maisons où sont établis les comités de la Convention depuis les toits jusqu’aux fondations pour s’assurer de leur état et faire rapport au Comité »11. Cette vigilance devait être efficace puisque fut constaté un sinistre conduisant à une reconstruction. Les attributions du Comité des Inspecteurs ne se limitaient pas aux questions immobilières et portaient également sur l’administration générale, c’est-à-dire les frais de personnel, dépenses d’énergie, fournitures diverses et frais de mission des représentants du peuple.

Le comité assure l’administration générale de la Convention nationale

8 Le Comité des Inspecteurs devait remettre régulièrement à la Convention un état des appointements annuels de l’ensemble de ses employés. En suivant les recommandations de la Convention, il s’efforça d’appliquer une politique d’harmonisation des traitements des employés de la salle et des comités, ce qui ne fut pas du goût de ces derniers. Après Thermidor an II, une nouvelle organisation des comités se mit en place par laquelle ces derniers eurent le droit d’autoriser les dépenses nécessaires à l’organisation de leurs bureaux et de fixer un niveau de traitements de leurs commis correspondant à leurs compétences. Des augmentations provisoires de traitements en résultèrent, si bien que le Comité des finances enjoignit au Comité des Inspecteurs de les approuver12. Les employés de la salle présentèrent alors des demandes d’augmentations de leurs traitements, à telle enseigne que le Comité des Inspecteurs prit un arrêté fixant une grille salariale par catégorie de personnel (2000 livres pour les premiers garçons ; 1800 livres pour les deuxièmes garçons ; 1650 livres pour les garçons de la salle ; 1800 livres pour les premiers lustriers ; 1650 livres pour les autres lustriers). La politique salariale de la Convention nationale fut avantageuse pour les commis qualifiés et cadres, sauf pour les garçons de bureaux et chefs de division, ce qu’indique également Catherine Kawa pour le personnel du ministère de l’Intérieur13.

9 Le Comité des Inspecteurs intervint dans d’autres questions que celles afférentes aux traitements des agents et commis. La Convention faisait une consommation extrêmement élevée de fluides (bois de chauffage, cire pour les bougies par exemple) en raison, bien sûr, des séances continuelles de nuit des députés et membres des comités. Le comité chargea l’un de ses membres, le représentant du peuple Robin, « de l’établissement d’un rapport général sur le mode le plus économique d’illuminer la salle et les bureaux de la Convention ». Comme la consommation des chandelles augmentait

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journellement et que l’approvisionnement de la Convention « ne peut se faire sans prendre sur les besoins les plus urgents du peuple », il fut question de faire usage de bougies ou d’huile pour éclairer les bureaux et « en surveillant très strictement la consommation et en ne permettant pas qu’on en abuse »14. Le Comité des Inspecteurs intervint comme un ministère technique pour faciliter l’approvisionnement en cire indispensable à la fabrication des bougies. Il mit aussi à contribution la Commission du commerce et des approvisionnements pour obtenir le bois nécessaire au chauffage de la Convention, sans toutefois « prendre sur les besoins urgents du peuple pour faire arriver chaque décade dans les fourrières du Palais et de ses comités la quantité indispensable à sa consommation »15.

10 Le Comité des Inspecteurs pouvait intervenir de manière assez inattendue, par exemple, pour fournir aux représentants du peuple des costumes pour les cérémonies auxquelles ils devaient participer. Certains corps détachés auprès de la Convention bénéficièrent de meubles et de linge qui leur étaient attribués par les Inspecteurs de la salle, comme ce fut le cas des vétérans invalides affectés à des tâches de police au sein du Palais et du Jardin national (séance du Comité des Inspecteurs du 23 frimaire an II-13 décembre 1793)16. Le Comité des Inspecteurs fut aussi chargé de vérifier les comptes des frais de voyage des représentants du peuple envoyés en mission dans les départements et aux armées (cf. loi du 7 fructidor an II-24 août 1794). Il eut beaucoup de mal à exercer ce contrôle surtout à partir des derniers mois de l’année 1795, d’autant plus que le Comité des Inspecteurs disparut avec la Convention nationale (26 octobre 1795). En effet, il était difficile pour lui de censurer les dépenses de représentants en mission. Par contre, le contrôle hiérarchique du personnel de la Convention était davantage dans les possibilités du comité.

Le comité est-il le chef du personnel de la Convention ?

11 Le rattachement des employés de la salle allait de soi puisque les inspecteurs de la salle étaient les chefs hiérarchiques des commis, garçons de salles, huissiers. Il en allait différemment des employés dépendant des comités. Mais, c’était par le biais de l’ameublement des comités que les inspecteurs pouvaient exercer la surveillance et la responsabilité du personnel des comités qui avait la garde des meubles et effets. C’était donc par souci de cohérence que le Règlement de l’Assemblée attribuait au Comité des Inspecteurs la nomination des garçons de salle et des bureaux (séances du Comité des Inspecteurs du 28 septembre 1793 et du 23 frimaire an II-13 décembre 1793)17. En outre, l’établissement des états des appointements des employés de la Convention, confié à l’Inspection, jouait dans le sens de la création d’un bloc de compétences au profit du Comité des Inspecteurs, à l’exception toutefois de la fixation des traitements que les comités entendaient conserver résolument. La gestion des effectifs des employés de la Convention par le Comité des Inspecteurs portait sur les affectations et mutations. L’action de ce dernier s’apparentait à celle d’une direction du personnel. Il devait aussi veiller au respect des décisions prises par les comités et pouvait ainsi assurer la discipline au sein de l’administration des bureaux de la Convention, exigeant le respect de la morale républicaine, d’autant plus que les fonctionnaires publics non élus et les employés payés par les deniers de la République étaient tenus de justifier de l’obtention d’un certificat de civisme18.

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12 Le Comité des Inspecteurs vit ses responsabilités s’accroître dans de fortes proportions au fur et à mesure de l’emprise croissante de la Convention nationale sur la vie politique et économique du pays. L’autonomie de cette dernière ne pouvait être sauvegardée que si son territoire était protégé, voire demeure inviolé face aux menaces et attaques éventuelles de l’extérieur. D’où les attributions conférées au Comité des Inspecteurs en matière de sécurité de la Convention, de contrôle politique et militaire du Palais et du Jardin national, de maintien de l’ordre à l’intérieur de l’espace de la Convention et de ses abords immédiats.

La sécurité intérieure et extérieure du Palais et du Jardin national : les attributions militaires et politiques du comité

13 La garde des entrées du Palais et du Jardin national était assurée par des gendarmes et la garde nationale. Le Comité des Inspecteurs eut l’idée de renforcer cette protection par l’affectation d’un nouveau corps composé de militaires invalides. Au départ, ce dernier était placé sous la surveillance conjointe du ministère de l’Intérieur et du Comité des Inspecteurs. Un changement se produisit avec l’effacement du ministère de l’Intérieur, si bien que le ministre de la Guerre remplaça ce dernier. Les abus de comportement de certains militaires aboutirent à la suppression du corps des invalides, à la suite d’une concertation entre le Comité militaire et le Comité des Inspecteurs19.

14 La police des tribunes, des couloirs et corridors du Palais national était d’une importance essentielle, même si les citoyens pouvaient accéder aux salles de la Convention, au moins en théorie. Toutefois, les cartes d’accès aux tribunes étaient très réglementées, ce qui n’empêchait pas les abus d’utilisation par des particuliers des cartes de représentants du peuple. D’où l’intervention du Comité des Inspecteurs pour exiger le renouvellement des cartes de représentants du peuple et des secrétaires20. Il accorda aussi des laissez-passer aux ministres de la République et fit délivrer des cartes d’accès aux ministres des cours étrangères et alliées de la République. Si des désordres se produisaient au sein des tribunes, les huissiers déféraient les auteurs d’incidents ou d’actes de violence devant le Comité des Inspecteurs qui pouvait les faire conduire auprès du Commissaire de police en vue de leur arrestation21. Le Jardin national avait été également le théâtre de manifestations politiques les 1er et 2 prairial an III-20 et 21 mai 1795. En effet, la Convention fut envahie en ces journées par la foule, ce qui permit aux députés de la Montagne de voter, dans la confusion, quelques décrets favorables aux revendications populaires. Après que la Convention eut repris le contrôle de la salle des séances, le Comité des Inspecteurs proposa à cette dernière un décret, daté du 6 prairial an III-25 mai 1795, qui prévoyait l’application de mesures préventives pour empêcher le passage des « factieux » par les issues particulières des traiteurs débouchant sur le Jardin national. Le 19 messidor an III-7juillet 1795, soit un mois et demi après les incidents, le Comité des Inspecteurs adressa une lettre au Comité de salut public pour insister sur la fermeture de ces issues privées ouvertes la nuit « aux femmes de mauvaise vie qui, même dans la journée, donnent le spectacle le plus outrageant aux bonnes mœurs »22.

15 Le Comité des Inspecteurs exerçait aussi des attributions militaires en demandant au Commandant de la Garde nationale de prendre ses ordres directement auprès de lui. Il désignait les emplacements qui devaient être gardés par les factionnaires ou sentinelles aux entrées du Palais et du Jardin national. Il fut amené à prendre lui-même

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directement des mesures militaires pour prévenir une action contre la Convention. C’est ainsi qu’il apprit que plusieurs pièces de canon avaient été placées aux entrées du Palais et du Jardin des Tuileries. Après enquête demandée par le Comité des Inspecteurs, il apparut que ces canons avaient été placés sur un ordre du général Mathis. Le comité rappela dans une lettre adressée au Commandant général qu’ « il ne doit y avoir aucune force armée dans l’enceinte de la Convention sans un décret qui n’en émane et une réquisition particulière de son Comité des Inspecteurs de la salle ». Dans une lettre du comité du 24 juillet 1793, celui-ci réaffirma ses responsabilités militaires ; mais, en l’occurrence, il ne s’agissait que d’une simple bavure militaire sans conséquence23.

16 Le Comité des Inspecteurs avait aussi des relations avec la police parisienne, lorsque des vols étaient commis en dehors du Palais national, notamment à l’encontre des fédérés de passage à Paris. Le comité autorisa les membres de la police parisienne à requérir la force armée « sauf à eux à rendre compte au comité de leurs opérations de ce jour jusqu’au départ des fédérés »24. Les instructions données par le Comité des Inspecteurs aux administrateurs de police de la Commune de Paris n’étaient pas limitées aux délits ou crimes commis aux abords du Palais et du Jardin national. En effet, le Comité des Inspecteurs avait compétence pour obtenir de la police parisienne la liste nominative des représentants du peuple en état d’arrestation et notamment l’identité des maisons d’arrêt dans lesquelles ils étaient détenus25. Le comité n’exerçait pas seulement de compétences relevant de la police ou de l’emploi des forces armées puisqu’il coopérait également à l’application de la politique culturelle définie par la Convention nationale, en liaison avec le Comité de salut public.

Une politique prestigieuse et ambitieuse d’entretien et d’embellissement du Palais et du Jardin national

17 Suivant les instructions du Comité de salut public, les Inspecteurs apportèrent leur décisive contribution à la conservation des monuments publics. Ainsi, le Comité des Inspecteurs ordonna que « les bustes, dessins et estampes offerts aux assemblées soient retirés des archives pour être placés dans le salon de la Liberté dans la mesure où ils sont jugés dignes d’être exposés26. Cette association du Comité des Inspecteurs à la mise en place de la politique culturelle du gouvernement révolutionnaire allait au-delà de la conservation des monuments publics puisque le comité intervint aussi pour organiser un concours destiné aux artistes et gens de lettres pour donner aux « barrières de Paris » le caractère d’un monument public en vue de retracer les époques révolutionnaires et les victoires des armées de la République27. Le Comité des Inspecteurs pouvait aussi participer aux opérations d’embellissement du Palais et du Jardin national, comme ce fut le cas pour le plan de ce projet défini par le Comité de salut public (avant thermidor an II). Mais, après l’élimination du groupe de Robespierre, le Comité des Inspecteurs imprima sa marque au projet en élaguant le plan initial du Comité de salut public qu’il considérait comme trop onéreux28.

18 Dans le domaine de la préparation des fêtes, il faut signaler aussi la contribution du Comité des Inspecteurs à la préparation de la fête du 10 août (1795), comme la construction d’un orchestre pour la célébration du 3ème anniversaire de la suspension de Louis XVI. Quand il s’agissait d’assurer la protection d’un concert dans le Jardin

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national, le Comité des Inspecteurs prit les mesures de police en désignant les effectifs à placer dans cet espace.

19 Ce rôle aussi riche incombant au Comité des Inspecteurs s’amplifia encore avec la mise en œuvre de la politique du gouvernement révolutionnaire durant la Terreur.

Les biens d’Église : leur recensement par le comité. Un rôle essentiel pour le comité

20 Il pouvait paraître étonnant que le comité jouât un rôle aussi essentiel dans un tel domaine aussi éloigné de l’administration générale de la Convention. Ce fait s’explique par des considérations tirées du rôle stratégique incombant au Comité de salut public en matière de politique religieuse et économique. Le Comité des Inspecteurs devint pendant la Terreur le fidèle exécutant du Comité de salut public et bien sûr de la Convention. Les séances du Comité des Inspecteurs du 24 et 26 brumaire an II-14 et 16 novembre 1793 nous apportent tous éclaircissements sur le rôle majeur qui revint au Comité des Inspecteurs dans l’application de cette politique religieuse et économique définie par la Convention. Le comité décida de constituer avec d’autres comités une commission chargée de procéder au tri des matières déposées provenant des dépouilles de l’Église et de « distraire des matières d’or, d’argent et de cuivre offertes à la patrie à partir des ouvrages précieux qui dépendent de ces matières »29. Le Comité des Inspecteurs devint à cette occasion un organisme coordonnateur et centralisateur de ces opérations amorcées par les communes qui « drainaient les dépouilles » de l’Église jusqu’à Paris où intervenaient les représentants de la Commission des monuments, la Trésorerie nationale, de la Monnaie et de l’administration des domaines nationaux. Le Comité des Inspecteurs garda la haute main sur les opérations de tri, de recollement et de vérification de ces biens précieux. Mais, la gestion des biens de l’Église n’était pas le seul domaine stratégique d’action des Inspecteurs dans la mesure où l’Imprimerie nationale était dès la Constituante l’attribution clé du Comité.

L’Imprimerie nationale : un secteur politiquement très sensible. Le contrôle du comité sur les réquisitions et approvisionnements en papier

21 Le Comité des Inspecteurs intervenait en ce domaine parce qu’il était l’interlocuteur naturel de l’Imprimerie nationale qui avait succédé à l’Imprimerie royale. C’était ce comité qui devait s’assurer de l’impression des lois et procès-verbaux de la Chambre et donc ensuite de la Convention. La politique des prix d’impression incombait au comité. Il renforça ses structures en faisant appel à des experts vérificateurs des impressions de l’Imprimerie nationale. Il soumit aussi celle-ci à l’aiguillon de la concurrence, comme l’atteste la séance du Comité des Inspecteurs du 6 thermidor an III-24 juillet 179530. Les attributions du comité s’accrurent dans de très fortes proportions parallèlement au développement de la politique économique dirigiste, que ce soit à propos des augmentations de salaires des ouvriers ou pour les approvisionnements de l’Imprimerie nationale en papiers. Sur le premier point, la séance extraordinaire du Comité des Inspecteurs du 4 ventôse an II-22 février 1794 nous apprend que les ouvriers de l’Imprimerie nationale demandèrent une augmentation des salaires (sur la base du maximum). Pour enrayer les mouvements sociaux, comme les abandons de poste ou les

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grèves perlées, le comité demanda une enquête à deux de ses inspecteurs Fiquet et Duval31. Ensuite, il décida de renouveler la mise en réquisition des manufactures et exigea le transfert des demandes d’augmentations de salaires, soit à la Convention, soit au Comité des Inspecteurs, soit enfin aux commissaires placés par ce dernier auprès de ces manufactures.

22 Sur le deuxième point, c’est-à-dire des approvisionnements des imprimeries en papiers, le comité appliqua une politique de réquisition en employant, dans certains cas, des fournisseurs privés de papiers pour les réquisitions de papiers ou, dans d’autres cas, en envoyant en mission un de ses inspecteurs (Chabanon) chez les fabricants et possesseurs de papiers (en Haute Vienne ou au Puy-de-Dôme)32.

23 Les réquisitions de matières premières ne furent pas limitées aux papiers nécessaires à l’Imprimerie nationale. Elles pouvaient également porter sur du suif, du charbon, des huiles, de la cire destinée aux bougies. Indépendamment de ce rôle économique et social, le Comité des Inspecteurs amplifia ses responsabilités politiques liées à l’expression des opinions.

Le contrôle du comité sur les expressions des opinions politiques

24 Comme il a été indiqué plus haut, le comité eut un rôle clé dans le domaine de la diffusion des textes officiels. Par une pente en quelque sorte naturelle, il devait assurer aussi la diffusion des rapports ou mémoires en défense des représentants du peuple. Nous avons plus haut qu’il s’était attaché à connaître les noms des représentants qui avaient fait l’objet d’arrestation. Il était tout à fait logique qu’il contribuât à la diffusion de leurs écrits servant à leur défense devant les tribunaux, dans la mesure, toutefois, où il obtenait l’autorisation par la Convention de faire imprimer aux frais de la République le nombre d’exemplaires du mémoire ou du rapport. Le cas le plus fameux est fourni par la défense du représentant du peuple, Jean-Baptiste Carrier33. Le comité dut prendre ses responsabilités politiques et se prononça, dans des circonstances délicates, pour la Montagne, même si ses membres appartenaient plutôt au courant de la Plaine.

25 Ainsi, le Comité des Inspecteurs intervint dans de nombreux domaines en fonction des besoins de la Convention dont il était un fidèle exécutant. Il convient à présent de connaître son organisation et sa composition.

Composition du Comité des Inspecteurs : les modalités de sa désignation et de son organisation

26 La séance du comité en date du 25 octobre 1792 indique sa dénomination à savoir : « Comité des Inspecteurs de la salle, des bureaux et de l’Imprimerie de la Convention ». Ce titre annonce déjà son rôle. Son organisation se mit en place sous forme de sections. Par ailleurs, les conditions de son élection et de son renouvellement se précisèrent peu à peu.

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Élection et renouvellement des Inspecteurs de la salle : un recrutement purement interne

27 Comme nous l’avons vu en première partie, il est apparu que dès la Constituante les Inspecteurs étaient choisis au sein de l’Assemblée et élus par leurs pairs puisque cette dernière ne voulut pas déléguer ses attributions à des personnes extérieures à son instance. La Convention nationale ne souhaita pas modifier ce système. Il y eut donc continuité sur ce plan entre les assemblées. La période charnière se situa avec la montée en puissance du Comité de salut public à partir de son renouvellement intervenu le 10 juillet 1793 qui correspondit à la non réélection de Danton. Il y a donc lieu de diviser cette période en deux séquences : la première antérieure à la désignation du Grand Comité de salut public et la seconde qui prend effet du 10 juillet 1793 jusqu’au 9 thermidor an II-27 juillet 1794.

28 Dès le 25 octobre 1792, il fut décidé que tous les membres des comités feraient l’objet d’un renouvellement tous les mois, notamment les présidents et secrétaires. Lors de sa séance du 29 décembre 1792, le Comité des Inspecteurs confirma le renouvellement par moitié de ses membres au moyen d’une « liste par tirage au sort qui sera distribuée par ses soins aux deux bouts de la salle et une autre sera distribuée où chacun s’inscrirait pour le Comité où il voudra rentrer ». Donc, le Comité des Inspecteurs organisa non seulement le renouvellement de ses membres, mais aussi les scrutins pour les élections aux différents comités34. Le principe retenu par l’Assemblée reposa sur les élections des différents représentants du peuple qui, après leur non renouvellement dans un comité, s’inscrivaient sur des listes pour être élus comme membres d’autres comités, ce qui permettait un brassage intéressant pour se former aux différentes matières et disciplines traitées par la Convention.

29 Il existait toutefois une limite à ce renouvellement des comités, selon une disposition du règlement adopté en juillet 1789, interdisant à un représentant du peuple d’être membre de deux comités à la fois, disposition guère respectée. Mais, le renouvellement par tirage au sort des membres du Comité des Inspecteurs revêtait un caractère automatique, selon un décret de l’Assemblée de 1793, disposant que les membres « qui sont restés en dernier tirage sont ceux qui, de plein droit, doivent quitter leurs fonctions »35. Le comité, en sa séance du 8 juin 1793, précisait que les autres membres devaient rester en fonction parce qu’ils étaient chargés de la signature, comme Saurine, Fiquet, Huguet, Projean, Guillemardet, Louis. Il semble qu’il y ait eu une certaine permanence de certains postes, mais aussi un renouvellement pour permettre le départ en mission de certains membres du Comité des Inspecteurs, ce qui présentait l’avantage, pour ces derniers, d’être confrontés aux réalités d’un terrain pour le moins mouvant. Mais, les « comités de gouvernement », comme le Comité de salut public, exercèrent une influence certaine sur le fonctionnement des comités, spécialement à partir du Grand Comité de salut public.

30 Après la non réélection de Danton, il fut procédé au renouvellement du Comité de salut public, et la Convention décida le 13 septembre 1793 de renouveler tous les comités, dont le Comité des Inspecteurs. À partir du lendemain, le Comité de salut public était autorisé par la Convention à lui soumettre les listes des députés candidats aux fonctions de membres des comités. Ce pouvoir était évidemment décisif pour l’élection de membres dont les positions politiques étaient proches des Montagnards (comme Couthon et Saint-Just), même si au sein du Comité des Inspecteurs les députés de la

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Plaine étaient nombreux, comme Blondel, Bouchereau, Bourgeois, Chabanon, Chedaneau, Chiappe, Colaud La Salcette, Debry, Duval de l’Aube, Fiquet, Herard, Martinel et Servière, soit la majorité des inspecteurs.

31 Un procès-verbal du Comité des Inspecteurs, en sa séance du 8 octobre 1793, illustra cette pratique politique. Ce comité demanda au Comité de salut public de présenter à la Convention la liste des membres qui devaient composer le Comité des Inspecteurs, compte tenu du remplacement nécessaire de Saurine, girondin, mis en état d’arrestation, et alors qu’il devenait urgent de compléter le comité réduit à un trop petit nombre36.

32 Après le 9 thermidor an II, la loi du 7 fructidor de la même année procéda à une réorganisation des comités par laquelle le Comité de salut public perdit le droit de soumettre à la Convention les listes de membres proposés pour les comités. En vertu de la même loi, le nombre des membres des comités devait être réduit, ce qui obligea le Comité des Inspecteurs à procéder au renouvellement de ses membres tous les mois, par tirage au sort de quatre membres. La description des règles d’élection et de renouvellement des mandats de membres du Comité des Inspecteurs n’est pas suffisante pour comprendre son fonctionnement. D’où la nécessité de connaître les règles qui président à son organisation interne.

Organisation interne du Comité des Inspecteurs : une division des tâches en rapport avec l’extension de ses missions

33 L’organisation du Comité des Inspecteurs s’étoffa avec l’accroissement de ses effectifs, qui fut très élevé durant la Terreur, en raison notamment de l’importance des attributions économiques qui lui furent conférées par l’Assemblée pour organiser la répartition des « dépouilles » de l’Église et aussi mettre en œuvre les réquisitions de matières premières, notamment de papier. Pour comprendre l’évolution de cette organisation, deux périodes doivent être distinguées, la première comprise entre la fin de l’année 1792 et qui court jusqu’à la fin du mois de mai 1794 et la seconde de juin 1794 à la fin du mois d’octobre 1795.

34 Au 25 octobre 1792, le Comité des Inspecteurs fut divisé en trois sections : la première des inspecteurs de la salle proprement dite, la seconde correspondant au secrétariat et la troisième, celle de l’imprimerie. Cette organisation était assez schématique dans la mesure où la première section était trop générale, alors que les inspecteurs exerçaient déjà des fonctions très spécialisées. Le comité le comprit, en sa séance du 9 prairial an II-28 mai 179437, puisqu’il adopta une organisation beaucoup plus élaborée.

35 En effet, le comité reposait désormais sur cinq sections : la première, dont les membres étaient Robin, Chabanon et Bouchereau, portait sur le papier d’impression et les fournitures ; la seconde confiée à Debry et Projean intervenait pour la surveillance et l’examen des comptes de l’Imprimerie nationale, ainsi que pour les bureaux de distribution ; la troisième, dont les membres étaient Huguet et Armonville, était chargée de la salle, des forces de sécurité, des vétérans, des gendarmes et enfin des consignes ; la quatrième section, composée de Duval, d’Herard, Chedaneau, Fiquet, intervenait pour les mandats et l’examen des comptes de dépenses ; enfin la cinquième confiée à Sergent et Finol était en charge des travaux publics, des emplacements des comités et des boutiques. Le comité ajoutait que les membres attachés à chaque section

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pouvaient être changés tous les trois mois, ce qui ne pouvait que favoriser les rotations et éviter une trop grande spécialisation.

36 À la fin de l’année 1794, un renouvellement fut opéré avec l’arrivée de nouveaux inspecteurs spécialisés. D’où une nouvelle organisation arrêtée par le comité, en sa séance du 29 frimaire an III-19 décembre 1794, qui retint une nouvelle division en cinq sections. La première, confiée à Huguet, Bouchereau, Colaud et Chabanon, avait en charge l’approvisionnement en papier et autres fournitures diverses et les mémoires à régler ; la seconde, assurée par Rouzet, Couturier et Bougoin, avait en charge la surveillance et l’examen des comptes de l’Imprimerie nationale ; la troisième, représentée par Martinel, Duval et Belin, exerçait les fonctions suivantes : police de la salle, secrétariat, inspection des comités, consignes, surveillance des divers postes de l’Assemblée, à savoir : grenadiers, vétérans invalides, garde nationale, emplacements des comités ; la quatrième, confiée à Chedaneau, Fiquet, Hérard et Albert, avait en charge l’examen des comptes de toutes les dépenses et la surveillance de tous mandats à délivrer ; quant à la cinquième, elle était assurée par Poultier et Gantois, intervenant pour les travaux publics de tous les ouvrages de la Convention et les embellissements du Jardin national38.

37 Les archives nationales (surtout la série D) contiennent peu de renseignements sur les effectifs contrôlés par les inspecteurs, à l’exception toutefois des huissiers. Déjà sous la Constituante, les requêtes conservées par les Archives nationales nous renseignent sur la motivation des huissiers qui s’adressèrent aux Commissaires et Inspecteurs pour souligner le « rôle actif et intime » qu’ils assuraient auprès des députés lors des séances et les fonctions qu’ils exerçaient. Ces éléments étaient, selon ces huissiers, de nature à justifier « une distinction qui semble tenir à la dignité de MM. les Commissaires, lorsqu’ils s’opposèrent à ce que nous fussions chargés de police hors l’intérieur de la salle ». S’adressant au Président de l’Assemblée, ils renouvelèrent leur demande d’être en charge de la police extérieure de la salle en arguant de leurs « fonctions honorables qui consistent à annoncer les députations, à avertir les ministres au nom du corps législatif ». Ils entendaient se défendre des critiques émises à leur encontre39. Durant la Convention, les huissiers participaient à la sécurité des séances de l’assemblée ; mais, ils restaient sous le contrôle des inspecteurs. Un procès-verbal du Comité des Inspecteurs du 29 messidor an III-17 juillet 1795 fait état de « réformes ordonnées par décret sur la réduction du nombre des employés et charge la troisième section de lui faire un rapport sur les huissiers de la Convention afin qu’il soit statué sur ceux qu’il est indispensable de conserver et ceux qui doivent être remplacés »40.

38 Comme on vient de le voir, le Comité des Inspecteurs avait un rôle multiforme souhaité par la Convention qui avait besoin d’une assistance juridique, technique pour la gestion de l’administration générale de l’Assemblée. Cette diversité se retrouve dans les méthodes de travail du comité.

Le comité des Inspecteurs au travail

39 Le comité n’était pas seulement un organisme consultatif d’assistance juridique et technique. Il avait aussi un rôle opérationnel et participait à l’activité législative et réglementaire de la Chambre dans la mesure où la Convention concentrait les pouvoirs législatif et exécutif surtout à partir de la disparition notamment du ministère de l’Intérieur, soit le 1er avril 1794.

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Participation à l’activité législative de la Convention

40 Les frais de mission des représentants de la Convention envoyés dans les départements ou aux armées constituèrent un bon exemple du rôle législatif revenant au Comité des Inspecteurs. Les demandes de remboursement des frais de mission par les représentants de la Convention étaient pour le moins, sinon fantaisistes, du moins insuffisamment motivées, comme ce fut le cas de Barras en juin 1795 et encore davantage de Girot-Pouzol qui demanda 120 000 livres, avec pour seul motif de « subvenir aux frais de mission »41. Pour remédier à ces incohérences, le Comité des Inspecteurs prit un arrêté le 29 floréal an III-18 mai 1795 pour fixer des règles précises de procédure financière. Ce texte distinguait 3 catégories de frais de mission : la 1ère catégorie correspondait à des frais qualifiés d’ordinaire pour lesquels aucun justificatif de titre n’était nécessaire. La 2ème catégorie visait les dépenses extraordinaires qui « ne sauraient être allouées que sur pièces justificatives ». Quant à la 3ème catégorie, elle regroupait les dépenses secrètes qui devaient être vérifiées et allouées par le comité qui les ordonnait42.

41 Un autre exemple peut être cité. Ainsi, le Comité des Inspecteurs fut confronté aux atteintes à l’ordre public commises dans le Jardin national à la fin du mois de septembre 1793. Les présumés coupables étaient par exemple des marchands, agioteurs, citoyens se livrant à certains délits, manifestants ou « factieux ». Le 28 septembre 1793, le Comité des Inspecteurs s’adressa au ministre de l’Intérieur pour lui demander d’appliquer le décret interdisant aux marchands l’accès au Jardin national. Il enjoignit alors au ministre de faire fermer les ouvertures se trouvant sur la terrasse des Feuillants. Le comité soumit à la Convention un projet de décret interdisant l’accès au Jardin national des établissements de traiteur, limonadiers ou échoppes43. Le comité participait bien à l’activité législative de la Convention.

42 Mais, le rôle du Comité des Inspecteurs fut plus souvent administratif ou réglementaire, son activité se rapprochant d’un ministère technique d’autant plus que le dirigisme économique du gouvernement révolutionnaire s’amplifia assez considérablement.

Le Comité des Inspecteurs et la prédominance de son activité administrative et réglementaire

43 Cette activité était révélatrice des méthodes de travail de ce comité, en quelque sorte au quotidien. On peut d’abord observer une division interne des tâches au sein du comité. Ainsi, en 1794, la 5ème section du Comité des Inspecteurs examina l’état de la tribune construite pour les fêtes nationales dans le Jardin national, au devant du pavillon de l’Unité. Elle constata qu’elle était peu solide, ce qui laissait craindre « quelques évènements ». La 5ème section proposa au Comité des Inspecteurs la démolition de la tribune dans les plus brefs délais44.

44 Le comité faisait souvent appel à ses inspecteurs pour l’établissement de rapports techniques qui facilitaient la prise de décisions. Au milieu de l’année 1793, le Comité des Inspecteurs fut confronté à un problème d’illumination de la salle des séances, en raison de l’énormité de la consommation des fluides, due elle-même aux séances continuelles de nuit des députés et membres des comités. Le Comité des Inspecteurs chargea l’un de ses membres, Robin, « de l’établissement d’un rapport général sur le

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mode économique d’illuminer la salle et les bureaux de la Convention, sur les économies à apporter à toutes les fournitures de la Convention ». Comme la consommation de chandelles augmentait journellement et que l’approvisionnement « ne peut se faire sans prendre sur les besoins les plus urgents du peuple », le comité décida, au vu du rapport de Robin, de faire usage de bougies ou d’huile pour éclairer les bureaux et « en surveillant très strictement la consommation et en ne permettant pas qu’on en abuse »45.

45 Ces rapports pouvaient aussi concerner des questions économiquement et politiquement essentielles, comme le recensement des « dépouilles de l’Église ». Le Comité des Inspecteurs détenait la responsabilité de la coordination des opérations de vérification et de recollement de ces « dépouilles » qui arrivaient à jet continu des communes de France. Les services administratifs (communes, domaines nationaux) devaient faire parvenir au comité les procès-verbaux et récépissés des dépôts de biens, notamment précieux. Les inspecteurs Duval de l’Aube et Herard, nommés par arrêté du comité du 23 brumaire an II-13 novembre 1793, remirent un rapport de mission concernant les opérations d’inventaire des objets du culte, « soit six jours entiers pour faire l’inventaire. Il a fallu en faire faire des extraits doubles, faire le recollement desdits effets, les faire emballer et transporter »46.

46 À la faveur du développement de l’interventionnisme économique durant la Convention, l’action du Comité des Inspecteurs affecta des secteurs clés de l’économie nationale, comme l’Imprimerie nationale et les approvisionnements en matières premières. Le Comité des Inspecteurs utilisa des méthodes qui avaient déjà fait leurs preuves avec l’envoi en province des représentants en mission. En effet, pour le comité, il importait d’être bien informé par exemple « sur les prix pratiqués par les imprimeurs, ceux des administrations des départements et des imprimeries particulières ». D’où l’arrêté pris par le comité le 23 frimaire an II-13 décembre 1793 pour obtenir les renseignements nécessaires47. Les inspecteurs Bouchereau et Fiquet remirent un rapport au Comité des Inspecteurs qui, ainsi informé, n’innova pas par rapport au tarif fixé antérieurement. Celui-ci prenait en compte le bénéfice revenant à l’Imprimerie nationale et le remboursement des étoffes (matière première). Le tarif retenu par le comité incorporait le montant des dernières augmentations de salaires accordées aux ouvriers de l’Imprimerie nationale.

47 Cette technique du rapport technique soumis au Comité des Inspecteurs fut également utilisée pour les achats de rames de papier dont avait besoin l’Imprimerie nationale. Ainsi, l’Inspecteur Chabanon fut envoyé dans les départements du Puy-de-Dôme et de la Haute-Vienne pour y acheter des rames de papier. Grâce au rapport remis au comité par cet inspecteur, il apparut que le prix d’achat de la rame de papier négocié à Limoges était de 14 livres (frais de port compris), soit une économie de 3 livres par rame par rapport aux prix d’achat des papiers obtenu dans les départements de l’ancienne Normandie (17 livres par rame)48.

48 Le Comité des Inspecteurs dut aussi intervenir pour trouver des solutions aux conflits sociaux qui apparurent notamment dans la papeterie d’Essonne. Ne pouvant négocier lui-même avec les ouvriers, le comité prit un arrêté le 9 fructidor an II-26 août 1794 par lequel il nomma deux de ses inspecteurs qui se rendirent sur place afin de « prendre connaissance des faits, entendre les ouvriers, les concilier, ramener l’ordre et la paix, sinon prendre les mesures de rigueur qu’ils jugeront nécessaires contre les ouvriers qui se refuseraient de reprendre leurs travaux et du tout en rendre compte au Comité »49.

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Ce texte laissait assez peu de latitude aux inspecteurs pour négocier avec les ouvriers en grève d’Essonne. Mais, il n’en fut pas toujours ainsi puisque les commissaires détachés auprès des papeteries mises en réquisition étaient invités à assurer une meilleure concorde sociale entre les fabricants de papiers et leurs ouvriers, comme l’indiquait le règlement des papeteries mises en réquisition pour la fabrication du papier des lois du gouvernement50.

49 D’autres commissaires furent détachés par le Comité des Inspecteurs, non pour régler des conflits sociaux, mais pour contrôler la fabrication du papier dans les manufactures de Courtalin, du Marais et d’Essonne. Ces délégations de pouvoirs consenties à ces commissaires furent définies par un arrêté pris le 19 pluviôse an II-7 février 1794 par le Comité des Inspecteurs. Ceux-ci devaient définir les quantités de papier, le nombre et le travail fourni par les ouvriers, les moyens les plus économiques pour faire venir à Paris le papier. Les résultats devaient être certifiés et transmis tous les décadis au Comité des Inspecteurs pour qu’ils prissent les arrêtés nécessités par les circonstances51. Ces méthodes de travail instauraient donc un système solide de délégation reposant sur un aller et retour entre les commissaires et le comité.

50 Le Comité des Inspecteurs n’hésitait pas à s’immiscer dans le processus de fabrication du papier d’impression par les fournisseurs en intervenant auprès de la Commission du commerce et des approvisionnements pour livrer aux fabricants des districts de l’Ouest « la quantité de chiffons qui leur sont nécessaires pour tenir leurs engagements vis-à- vis de la Convention »52. Et lorsque la politique économique se fit moins dirigiste, le Comité des Inspecteurs eut recours à des intermédiaires, c’est-à-dire « des commissionnaires probes et actifs ». Ces intermédiaires étaient « chargés de faire arriver des fabriques dans les magasins et d’expédier ces papiers et de leur accorder pour leurs peines et soins la remise d’usage dans le commerce »53. Les mêmes commissionnaires devaient faire appel à des voituriers et les régler pour leurs interventions. Ainsi, le Comité des Inspecteurs, en sa séance du 26 floréal an III-15 mai 1795, précisait que le commissionnaire Muret de Limoges était « responsable des qualités de papier portés sur son état et des quantités qui ne sont pas encore livrées au magasin de la Convention »54. Ces activités ainsi concédées à des particuliers ne convainquirent pas le Comité des Inspecteurs de leur efficacité puisqu’il demanda à l’un de ses membres, Couturier, de rédiger un rapport sur cette question. Il apparut, en effet, que le papier n’était pas réellement fabriqué, en dépit de la surveillance exercée par ces commissionnaires. Le contrôle exercé par la seconde section du comité fut jugé plus efficace dans la mesure où ce dernier décida de recruter un garde magasin qui devait vérifier les états des commissionnaires, réceptionner les tableaux des agents nationaux, appliquer les prix aux différentes sortes de papiers, préparer les ordonnances de paiement, confectionner les tableaux de chiffons55.

51 Ainsi, les méthodes administratives utilisées par le Comité des Inspecteurs offraient toute une gamme de moyens techniques et juridiques alliant les rapports établis par les Inspecteurs dans une optique hiérarchique après enquête sur place ; mais, le comité faisait aussi appel à des personnes privées n’ayant aucun lien de dépendance hiérarchique avec le comité (sans toutefois renoncer au contrôle par les inspecteurs du comité). Cette organisation n’était pas caractérisée par la simplicité ou la souplesse. Il faut préciser que les rapports du Comité des Inspecteurs avec les autres comités n’étaient pas non plus simples. Les raisons de cette complexité méritent une analyse.

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Les contacts entre le Comité des Inspecteurs et les autres comités

52 Ces contacts étaient nécessairement nombreux en raison des frontières souvent assez floues entre comités dont les attributions pouvaient entraîner entre eux des chevauchements de compétence. Certes, l’existence de ce que l’on appelé « les comités de gouvernement » permettait d’établir une hiérarchie entre les comités. Il était évident que pendant la période de juillet 1793 à fin juillet 1794 la prééminence des Comités de salut public et de sûreté générale s’imposait tout particulièrement aux autres comités (le Comité des Inspecteurs, comme aux autres comités). Mais, les relations entre le ministère de l’Intérieur et le Comité des Inspecteurs méritent une attention particulière dans la mesure où ce ministère succédait au ministère de la Maison du roi qui avait jusqu’au début de la Constituante la haute main sur l’administration de l’assemblée.

Les difficiles relations entre le ministère de l’Intérieur et le Comité des Inspecteurs

53 Au tout début de l’entrée en fonction de la Convention nationale éclata un conflit de compétence entre le ministère de l’Intérieur à propos de la construction de la nouvelle salle des Tuileries. Le procès-verbal du Comité des inspecteurs, en sa séance du 3 novembre 1792, fait état de la protestation du ministère de l’Intérieur en ce qui concerne le contrôle des travaux de la nouvelle salle des Tuileries. Celui-ci estimait que sa responsabilité en matière de travaux ne saurait « s’étendre sur le tout » et demandait à être seul chargé de la surveillance ou être tout à fait déchargé de cette responsabilité. Le Comité des Inspecteurs répliqua en invoquant le décret de l’Assemblée du 25 octobre 1792 qui attribuait au seul ministère de l’Intérieur l’exécution du plan de la nouvelle salle établi par l’architecte de la Convention, Gisors. La question à l’étude concernait une somme de 200 000 livres qui devait être mise à la disposition du ministère de l’Intérieur pour financer les travaux d’aménagement des locaux des comités de la Convention. La solution tarda à venir puisqu’il fallut attendre l’arrêté commun du ministère de l’Intérieur et du Comité des Inspecteurs du 13 nivôse an II-2 janvier 1794 pour que le problème fût réglé dans son principe et d’une manière constructive56. Le Comité des Inspecteurs rappela qu’il avait toujours surveillé les travaux d’extension demandés par les comités (de salut public et de sûreté générale). Il ajouta qu’il n’avait pas à se substituer au Comité des finances en donnant son avis sur l’emploi des sommes restant à payer. Le Comité des Inspecteurs se plaça sur un plan purement technique en indiquant les sommes à mettre à la disposition du ministère de l’Intérieur pour soutenir les efforts déployés par les ouvriers pour l’achèvement des travaux. Le comité demeura dans cette posture de contrôleur technique et le ministère de l’Intérieur dans celle de maître de l’ouvrage. La suppression du ministère de l’Intérieur à partir du 1er avril 1794 évita de nouveaux problèmes. Il en surgit d’autres, notamment avec le Comité de salut public et de sûreté générale.

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La subordination du Comité des Inspecteurs au Comité de salut public

54 La liaison entre les deux comités fut très fréquente à telle enseigne que le Comité des Inspecteurs fut très vigilant dans ses rapports avec le Comité de salut public. D’où le recours à la technique des arrêtés communs aux deux comités pour donner plus de poids aux demandes formulées par le Comité des Inspecteurs aux autres comités. Par ce moyen, la Commission du commerce et des approvisionnements fut invitée à mettre à la disposition de la Convention tout le bois nécessaire à son chauffage57.

55 Mais, dans d’autres situations, le Comité des Inspecteurs dut assumer seul ses responsabilités en faisant appel à des armes juridiques qui constituaient des prérogatives de puissance publique, comme le droit de réquisition. Ainsi, lorsque le Comité des Inspecteurs décida d’envoyer des fournisseurs privés en Haute Vienne et dans le Puy-de-Dôme, il leur conféra des pouvoirs de réquisition des papiers destinés à l’Imprimerie nationale, pratique irrégulière dans la mesure où le droit de réquisition devait être conféré à des agents publics ou à des administrations. Le Comité des Inspecteurs sollicita du Comité de salut public son accord sur cette dérogation58. La réponse du Comité de salut public fut une bonne illustration des relations difficiles qu’il pouvait entretenir avec les comités. Il précisait que le Comité des Inspecteurs détenait, de par l’objet de son institution, « toute l’autorité suffisante pour user des droits de réquisition et de préhension, qu’il pouvait envoyer des commissaires pour exercer et remplir toute autre mission qu’il aurait jugé convenable de donner sur les matières soumises à son administration et que l’intervention du Comité de salut public était inutile ». Ce dernier ajouta une critique des méthodes de certains comités, comme celui des Inspecteurs, qui avaient tendance « à prendre l’attache ou l’avis d’autres comités auxquels les matières à délibérer n’auraient point été renvoyées », alors qu’« il importe (que les divers comités) se pénétrassent bien de leur indépendance respective pour remplir dans toute leur étendue les devoirs qui leur étaient imposés ». Après ces remontrances du Comité de salut public, le Comité des Inspecteurs décida d’envoyer en mission un de ses inspecteurs, Chabanon, auquel il donna tous pouvoirs de mettre en réquisition les papiers disponibles chez les fabricants59.

56 L’importance politique de certaines questions, comme la préservation du patrimoine national et l’embellissement du Palais et du Jardin national doit être signalée. À cet égard, le Comité des Inspecteurs exécuta les décisions du Comité de salut public. Ce dernier encouragea une politique de sélection des œuvres d’art en vertu d’un décret relatif aux emblèmes et attributs de la royauté qu’il fallait ôter. D’où l’arrêté du Comité des Inspecteurs du 27 juillet relatif à l’enlèvement « des morceaux de sculpture, de peinture en dehors et en dedans du Palais et du Jardin national » considérés comme des emblèmes et des attributs de la royauté qu’il fallait extirper parce que contraires à l’idéal révolutionnaire60.

57 Le Comité des Inspecteurs intervint aussi dans le domaine de la protection des lieux de manifestations publiques en appliquant les dispositions du Comité de salut public évidemment concerné par les mesures de police que le Comité des Inspecteurs devait prendre pour assurer la protection de l’ordre public dans l’emprise du Jardin national accessible au public, notamment lors des fêtes célébrées dans cette enceinte. Le Comité de salut public ajouta que des corps de réserve « stationnaires » devaient être disposés dans le Jardin national et qu’aucune patrouille ne devait passer au milieu « de citoyens

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assemblés ». Pour prévenir toute atteinte à l’ordre public, lors de la fête du 14 prairial an III-2 juin 1795, le Comité des Inspecteurs chargea l’un de ses membres de prendre contact avec les représentants du peuple de la direction de la force armée afin de se concerter au sujet de la consigne donnée pour les différentes entrées du Palais et du Jardin national61.

58 Si les relations nouées entre le Comité de salut public et le Comité des Inspecteurs furent caractérisées par une dépendance marquée du second par rapport au premier eu égard aux domaines très sensibles concernés, les rapports entre le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale furent plus complexes en raison des attributions de ce dernier (police) qui interféraient avec les prérogatives du Comité des Inspecteurs ; ce dernier entendant défendre son pré carré du Palais et du Jardin national.

Les relations difficiles entre le Comité de sûreté générale et le Comité des Inspecteurs

59 Le Comité des Inspecteurs intervenait sur toutes les questions intéressant le personnel de la Convention et les représentants du peuple. Par exemple, il s’estimait compétent chaque fois qu’un membre du personnel ou un représentant du peuple faisait l’objet de poursuites ou d’arrestation. Par exemple, le Comité des Inspecteurs fut prévenu par une pétition qu’un huissier de la salle avait été emprisonné. Il décida de s’adresser au Comité de sûreté générale pour signaler ce cas en précisant que le service assuré par cet huissier était indispensable. Il demanda si le Comité de sûreté générale était en mesure de prendre une décision et « si dans cette attente, il doit être nommé quelqu’un à sa place »62. Dans d’autres circonstances, ce fut le Comité des Inspecteurs qui demanda l’arrestation d’un fusilier, membre du corps des vétérans invalides. La décision fut ordonnée par le Commandant de la Compagnie des invalides. Le procès- verbal contenant la décision et les déclarations étaient transmises au Comité de sûreté générale63.

60 Le cas des représentants du peuple était beaucoup plus délicat, en raison de l’importance des fonctions en cause et aussi de la fréquence des mesures d’arrestation qui frappèrent les élus de la Nation, notamment pendant la Terreur. Le Comité des Inspecteurs était mis au courant de l’arrestation des représentants du peuple, lorsque ceux-ci ou les familles demandaient le versement des indemnités parlementaires pour leur permettre de survivre. C’était le Comité des Inspecteurs qui instruisait les demandes, mais il évitait de prendre seul la décision pour ne pas porter atteinte aux attributions du Comité de sûreté générale qui avait la haute main sur les arrestations, depuis le décret du 23 ventôse an II-13 mars 1794, relatif aux poursuites contre les Indulgents et les Exagérés et la loi du 22 prairial an II-10 juin 1794. Le Comité des Inspecteurs s’adressa au Comité de sûreté générale pour lui demander son avis sur la délivrance d’un mandat en paiement d’une indemnité au représentant du peuple dénommé Peyre, mis en état d’arrestation. La prudence du Comité des Inspecteurs s’expliquait par l’attitude extrêmement sourcilleuse du Comité de sûreté générale quant à l’étendue de ses responsabilités, comme le prouvèrent les évènements du 9 thermidor an II, aux dépens de Robespierre et de son groupe.

61 À partir du 1er prairial an III-20 mai 1795, les représentants du peuple, mis en état d’arrestation, ne pouvaient bénéficier d’indemnités si le décret d’arrestation était

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postérieur à cette date. La transparence ne constituait pas la règle sur ce point. Le Comité des Inspecteurs se vit dans l’obligation d’écrire au Comité de sûreté générale pour obtenir la transmission de la liste des représentants du peuple privés de ces indemnités. Après thermidor an II, le Comité des Inspecteurs dépêcha un de ses membres au Comité de sûreté générale pour clarifier ce sujet64. En cas de doute sur la compétence du Comité de sûreté générale ou du Comité des Inspecteurs, ce dernier se réunit extraordinairement le 15 brumaire an III-5 novembre 1794 sur un dossier d’arrestation transmis par le Comité de sûreté générale. Le Comité des Inspecteurs se déclara incompétent sur un dossier d’arrestation de deux citoyens et considéra que le Comité de sûreté générale était mieux outillé pour procéder lui-même à des enquêtes, surtout quand il y avait complot, avec évidemment atteinte à l’ordre public65.

62 Les relations étaient dans certains cas très tendues comme ce fut le cas pour des mesures de police engagées à proximité de la Convention. Le Comité de sûreté générale prévint le comité des Inspecteurs que des groupes fréquents à proximité de la Convention paraissaient dirigés par des individus qui voulaient à toute force troubler les séances, soit en s’emparant des tribunes, soit en provoquant des disputes sur les affaires publiques aux environs de la salle. Le Comité de sûreté générale invita le Comité des Inspecteurs « à employer les moyens les plus prompts pour faire cesser ce désordre »66Le ton était pour le moins comminatoire. Mais, la compétence du Comité des Inspecteurs était indiscutable en matière de police dans l’enceinte de la Convention ou à proximité, les agents de police requis devant rendre compte au comité « sur le champ » des arrestations et des opérations faites « tant dans les environs du Palais national que dans son enceinte ». Le comité était même habilité à recourir à des mesures militaires. Le Comité des Inspecteurs avait aussi des relations avec d’autres comités, d’une manière assez occasionnelle.

Relations occasionnelles avec d’autres comités

63 Le Comité des Inspecteurs eut aussi des relations avec le Comité militaire lorsqu’il fut question de supprimer le corps des militaires invalides, dont l’utilisation était trop onéreuse et l’efficacité insuffisante. Les deux comités proposèrent à la Convention le retrait de la loi du 4 juillet 1793. Les relations avec le Comité des finances étaient aussi occasionnelles, notamment lors des paiements à effectuer des travaux immobiliers. Comme nous l’avons vu précédemment, les relations avec la commission des subsistances et approvisionnements pouvaient être fréquentes en fonction des besoins des réquisitions. Une coordination s’imposait normalement, la prééminence du Comité des Inspecteurs facilitant les relations. Enfin, le Comité des Inspecteurs reçut commande du Comité d’Instruction publique pour une collection complète des bulletins et de leurs suites, des procès-verbaux d’assemblée, des journaux, comme Le Journal de Prud’homme, Le Journal des débats des Jacobins, le Journal de Paris et des Hommes libres.

64 Le Comité des Inspecteurs était donc bien placé pour participer à l’actualité législative et à la protection de la sécurité de la Convention. Il convient à présent de dresser un bilan de son action.

65 Le Comité des Inspecteurs vit ses compétences et son rôle politique s’étendre dans de fortes proportions à la faveur de la montée en puissance de la Convention et des deux comités de gouvernement, comme le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale. La souplesse dont il fit preuve vis-à-vis du Comité de salut public ne

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s’expliqua pas par la prédominance du parti de la Montagne par rapport au courant de la Plaine, largement représenté dans le Comité des Inspecteurs. Les fonctions de ce dernier étaient surtout administratives, ce qui le conduisit à exécuter ou à mettre en application les décisions du Comité de salut public, comité évidemment politique par définition. La résistance du Comité des Inspecteurs vis-à-vis du Comité de sûreté générale était plus nette parce qu’il avait des compétences de police circonscrites au périmètre du Palais et du Jardin national et de leurs environs, ce qui pouvait porter atteinte à la toute puissance du Comité de sûreté générale pleinement compétent en matière de police à Paris et dans tous les départements. En définitive, le Comité des Inspecteurs fut l’exécutant par excellence de la Convention parce qu’il sut défendre avec constance et courage l’exterritorialité de l’Assemblée, ce qui était la meilleure des justifications de sa mission au service du bien public et de la République par delà tous les clivages politiques.

NOTES

1. A. CASTALDO, Les méthodes de travail de la Constituante, les techniques délibératives de l’Assemblée nationale 1789-1791, Paris, PUF, 1989, p. 228. 2. A.N., C30, 245, pièce 10. 3. A.Cohen, Le Comité des Inspecteurs de la salle : Une institution originale de la Convention nationale (1792-1795), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 27 4. La somme en jeu était de 200 000 livres et le Comité des Inspecteurs désigna deux de ses inspecteurs : Fiquet et Guillemardet pour se concerter avec le ministère des finances pour le déblocage de ces fonds, A.N., D*XXXVc 6, p. 144. 5. Ibid., p. 106 et 107. 6. Séance du Comité des Inspecteurs du 23 mai 1793, A.N., D*XXXVc 6, p. 133. 7. Procès-verbaux du Comité des 26 fructidor an III-12 septembre 1795 et 16 vendémiaire an IV-8 octobre 1795 : un abattement de 10 000 livres est pratiqué sur un total de prix de 46 236 livres. 8. Séance du Comité des Inspecteurs du 24 septembre 1793, A.N., D*XXXVc 7, folio 11. 9. Le Comité des Inspecteurs, en sa séance du 23 frimaire an III-13 décembre 1794 enjoignit à la locataire de quitter les lieux (séance du comité du prairial an II-23 mai 1794, ibid., 8, folio 29). La locataire obtint une indemnité compensatrice de perte de jouissance. 10. Ibid., folios 106 et 107. 11. Ibid., 8, folio 112. 12. Séance du Comité des Inspecteurs du 6 brumaire an III-27 octobre 1794, A.N., D*XXXVc8, folios 177 et 178. 13. C.KAWA, Les ronds de cuir en Révolution, Paris, Éditions du CHTS, 1996. 14. Séance du Comité des Inspecteurs du 13 messidor an II-1er juillet 1794, A.N., D*XXXVc 8, folio 55. 15. Arrêté commun du Comité de salut public et du Comité des Inspecteurs du 13 pluviôse an III-1er février 1795, ibid., folio 278. 16. Ibid., 7, folios 41 et 42. 17. Ibid., folios 13, 14 et 43. 18. C.Kawa, Les ronds de cuir en Révolution, op.cit., p. 144.

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19. Séance du Comité des Inspecteurs du 11 nivôse an III-31 décembre 1794, A.N., D*XXXVc 8, folio 239. 20. Séance du Comité des Inspecteurs du 11 nivôse an III-31 décembre 1794, ibid., folios 239 et 240. 21. Séance du Comité des Inspecteurs du 23 frimaire an III-13 décembre 1794, ibid., folio 212. 22. Ibid., 9, folio 139. 23. Ibid., 6, p. 194 et 195. 24. Séance du Comité des Inspecteurs du 6 août 1793, ibid., p. 205 et 206. 25. Séance du Comité des Inspecteurs du 28 messidor-19 juillet 1794, ibid., 8, folio 69. 26. Séance du Comité des Inspecteurs 16 prairial an II-4 juin 1794 et arrêté du même jour, ibid., folios 29 et 30. 27. Séance du Comité des Inspecteurs du 19 messidor an II-7 juillet 1794, ibid., folio 61. 28. Séance du Comité des Inspecteurs du 26 brumaire an III-16 novembre 1794, ibid., folios 186 à 193. 29. A.N., D*XXXVc 7, folios 29, 30 et 31. 30. Ibid.,9, folios 157 et 158. 31. Ibid., 7, folios 78 et 79. 32. Séance du Comité des Inspecteurs du 16 frimaire an II-6 décembre 1793, ibid., folios 40 et 41. 33. Séance du Comité des inspecteurs du 19 vendémiaire an III-10 octobre 1794, ibid., 8, folio 156. 34. A.N., D*XXXVc 6, p. 52. 35. Ibid., p. 148 et 149. 36. Ibid.,7, folios 15 et 16. 37. Ibid.,8, folios 25 et 26. 38. Ibid., folios 227 et 228. 39. Ibid., C132, 471, pièce 18. 40. Ibid., D* XXXVc 9, folios 150 et 151. 41. Séance du Comité des Inspecteurs du 16 vendémiaire an IV-8 octobre 1795, ibid.,7, folios 38. 42. Séance du Comité des Inspecteurs du 29 floréal an III-18 mai 1795, ibid., 9, folios 98 et 99. 43. Séance du Comité des Inspecteurs du 4 prairial an III-23 mai 1795, ibid., folio 102. 44. Séance du Comité des Inspecteurs du 16 frimaire an III-7 décembre 1794, ibid., 8, folio 210. 45. Séance du Comité des Inspecteurs du 13 messidor an II-1er juillet 1794, ibid., folio 55. 46. Séance du Comité des Inspecteurs du 19 nivôse an II-8 janvier 1794, ibid., 7, folios 60 et 61. 47. Ibid., folio 44. 48. Séance du Comité des Inspecteurs du 23 pluviôse an II-11février 1794, ibid., folios 73 et 74. 49. Ibid., 8, folio 106. 50. Séance du Comité des Inspecteurs du 26 vendémiaire an III-17 octobre 1794, ibid., folios 166 à 169. 51. Ibid.,7, folios 70 et 71. 52. Ibid., 8, folios 127 et 128. 53. Ibid., folios 226 et 227. 54. Ibid., 9, folios 92 et 93. 55. Séance du Comité des Inspecteurs du 16 germinal an III-5 avril 1795, ibid., folio 46. 56. A.N., D*XXXVc 7, folio 50. 57. Arrêté commun du 13 pluviôse an III-1er fvrier 1795, ibid., 8, folio 278. 58. Séance extraordinaire du Comité des Inspecteurs du 14 frimaire an II-4 décembre 1793, ibid.,7, folio 36. 59. Séance du Comité des Inspecteurs du 16 frimaire an II-6 décembre 1793, ibid., folios 40 et 41. 60. Séance du Comité des Inspecteurs du 27 juillet 1793, ibid., 6, p. 198. 61. Séance du Comité des Inspecteurs du 9 prairial an III-28 mai 1795, ibid., 9, folio 103. 62. Comité des Inspecteurs du 29 frimaire an II-19 décembre 1793, ibid., 7, folio 45.

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63. Séance du Comité des Inspecteurs du 26 prairial an II-14 juin 1794, ibid., 8, folio 36. 64. Séance du Comité des Inspecteurs du 13 messidor an III-1er juillet 1795, ibid., 9, folio 133. 65. Ibid., 8, folio 182. 66. Comité des Inspecteurs du 19 brumaire an III-9 novembre 1794, ibid., 8, folio 183.

RÉSUMÉS

L’origine des inspecteurs de la salle date de la Constituante, lorsqu’il fallut jeter les bases de l’administration de l’assemblée. Les inspecteurs avaient en charge les travaux d’aménagement du Manège des Tuileries en salles et bureaux. Puis, ce fut sous la Convention nationale que le rôle des Inspecteurs de la s’étoffa en se structurant en comité. Alors qu’initialement les compétences du comité étaient surtout articulées sur les problèmes immobiliers, de nouvelles attributions incombèrent au Comité des Inspecteurs : administration générale, définition d’une politique d’harmonisation des traitements des employés de la salle et de la plupart des comités. Puis, le comité veilla à la sécurité intérieure et extérieure du Palais et du Jardin national et prit en charge des problèmes plus spécifiquement politiques et économiques, comme le recensement et le tri des biens d’Église, la tutelle de l’Imprimerie nationale (approvisionnements en papiers), le contrôle de l’impression des opinions politiques des représentants du peuple. En définitive, le comité eut un rôle essentiel, tout en étant dépendant du Comité de salut public. Il disparut avec la Convention nationale (26 octobre 1795).

Inspecteurs de la Salle were born under the Constituent Assembly. At that time, Inspectors were in charge of renovation works: the Salle des Manèges in the Tuileries, which was formerly used as a Riding School, had to be converted in rooms and offices. Under the Nartional Convent, Inspecteurs de la Salle transformed into a Committee and were given more and more responsibilities: general administration, most of the committees employees’ salary payment, Tuileries’ Palace and Gardens security and other political or economical problems. Even if it worked under control of the Committee of Safety Public, this Committee thus played a very important role, until it disappeared with the National Convent on October 26, 1795.

INDEX

Mots-clés : contrôle politique, ordre public, rapports techniques, réquisitions, tutelle

AUTEUR

ALAIN COHEN Universités de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et de Rouen

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Le Comité des colonies Une institution au service de la « famille coloniale » ? (1789-1793) The Colonial Committee: an institution in the service of the « colonial family »? (1789-1793)

Manuel Covo

1 Le Comité des colonies fut sans doute le plus contesté de tous les comités sous l’Assemblée constituante. Aux yeux des Amis des Noirs, il passait pour le gardien du système colonial dans son ensemble et fut accusé d’avoir tâché de préserver durablement l’esclavage, la traite négrière et le préjugé de couleur. Mais si Brissot n’eut de cesse de protester contre « l’absurde système qui [avait] dirigé le comité colonial »1, les critiques ne provinrent pas seulement de « philanthropes » réclamant la suppression du « commerce honteux » et l’abolition graduelle. L’avocat des colons, Linguet, considérait ainsi que de tous les comités « qui subjugu[aient] l’Assemblée nationale, il n’y en a[vait] point de plus dangereux, de plus coupable, de plus ignorant que celui des colonies »2 ; le député de Nantes et négociant, Blin, dénonça la conversion du « comité colonial en ministre et ministère des colonies »3 tandis que Regnaud de Saint Jean d’Angély estimait que les colonies n’avaient « été troublées que parce que le Comité colonial de l’Assemblée nationale n’a[vait] pas été un comité constitutionnel qui se borne[rait] à préparer les travaux, mais un Comité administratif qui v[oulai]t régir » 4. D’un bout à l’autre du spectre politique, le Comité en vint à incarner la corruption de la Révolution en cours. La volonté générale s’était vue contrariée par la subordination systématique de l’Assemblée, l’accaparement du pouvoir législatif et la captation de la puissance exécutive.

2 A ce titre, c’est sur le rapporteur du Comité des colonies, Barnave, que se concentrèrent la plupart des attaques. Si l’aile gauche des « patriotes » pouvait s’attendre à ce que les « aristocrates » défendissent le système colonial, elle ne put tolérer la « trahison » d’un « révolutionnaire » qui, en 1789, voulait faire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le « catéchisme national ». Apparaissant progressivement comme le porte- parole de l’esclavagisme et du préjugé de couleur, Barnave fut baptisé « Monsieur double visage », car, en « Janus », il imposa le principe du dualisme juridique contre la logique de l’ « adunation »5. A l’instar des contemporains, les historiens peinent

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toutefois à articuler l’influence réciproque de Barnave et du lobby colonial : le club Massiac6. Formé en août 1789 par une nébuleuse de planteurs et de négociants prêts à tout pour empêcher l’application de la Déclaration des droits de l’homme dans les colonies, ce groupe de pression aurait fait du Comité des colonies son cheval de Troie dans l’Assemblée7. Selon cette double historiographie, le comité pourrait apparaître comme un non-lieu dans la fabrique de la loi coloniale, d’autant que ses projets de décrets consistaient pour l’essentiel à limiter le pouvoir législatif de la représentation nationale au profit d’assemblées coloniales qui devaient disposer du monopole de l’initiative pour leur « régime intérieur ». Instrument d’un homme ou d’un groupe d’intérêt, le Comité ne serait rien d’autre qu’un paravent abritant des intrigues factieuses.

3 Le présent article, sans récuser ces interprétations, se propose de repenser le fonctionnement du Comité en reformulant le questionnement. En premier lieu, il s’agit de prendre l’existence du Comité au sérieux, de le constituer comme objet d’analyse pertinent, le seul travail d’envergure à son sujet ayant eu tendance à diluer le propos dans une réflexion générale sur la politique coloniale de l’Assemblée nationale8. Deuxièmement, nous ne limitons pas la réflexion au seul Comité de la Constituante, qui a complètement éclipsé les comités des assemblées suivantes dans l’historiographie9, mais nous l’intégrons à un cadre chronologiquement plus large, en étudiant ses transformations sous la Législative et la Convention – jusqu’à sa fusion avec le Comité de marine en août 1793. De ce point de vue, cet objet offre un autre découpage temporel que celui qui domine l’historiographie, dont la problématique centrale interroge la « rupture républicaine » comme passage du dualisme juridique à la théorie de l’assimilation10. Enfin, c’est la spécificité des logiques coloniales qui est soumise à examen : la mise en quarantaine de la question coloniale, progressivement levée en France depuis les travaux d’Yves Bénot, a longtemps empêché de voir le rôle majeur joué par les colonies dans le processus révolutionnaire français11. Or, il est permis de s’interroger sur une possible « banalité » du Comité des colonies : bien avant la mise en place du Comité de salut public, ne serait-il que la caricature du comité révolutionnaire ?

La formation difficile du Comité des colonies

4 La création d’un Comité des colonies n’allait pas de soi pour deux raisons : d’une part, elle induisait que les colonies devaient bénéficier d’un traitement législatif distinct de celui de la métropole et donc d’un système juridique dérogatoire ; d’autre part, elle avalisait la compétence légiférante de l’Assemblée nationale sur les colonies. L’une et l’autre de ces propositions furent âprement discutées. Pour bien le comprendre, il faut se situer en amont et remettre la création du Comité dans le contexte spécifique de l’affrontement des groupes de pression coloniaux12. Le Comité fut en quelque sorte le fruit d’une tentative d’externalisation du domaine colonial hors du regard direct de l’Assemblée.

5 Son existence est d’abord liée à la question fondamentale de la représentation coloniale. Le roi avait refusé de convoquer des députés des colonies aux États généraux. Cependant, une majorité de grands planteurs blancs s’était néanmoins réunie en secret pour élire des représentants, chargés de s’introduire malgré tout à Versailles. A Paris, ils étaient appuyés par un premier groupe de pression, constitué essentiellement de

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propriétaires absents parisiens. Autour de son principal membre, Gouy d’Arsy, se forma une commission de Saint-Domingue chargée d’appuyer les demandes des colons. L’habile participation de ces planteurs au serment du Jeu de Paume permit de poser la question de leur admission à l’Assemblée nationale. Les députés voulaient y entrer afin de faire triompher leur projet autonomiste. Malgré l’opposition de Mirabeau, Ami des Noirs, et du député de Bordeaux Nairac, défendant les intérêts des négociants, la députation réussit à se faire admettre, le 3 juillet 1789. Cette représentation s’avéra en ce sens être un « piège » dans la mesure où elle soumettait les colonies au regard des constituants13.

6 En août 1789, la situation se compliqua pour les colons, alors que se profilait une Déclaration des droits de l’homme, en contradiction évidente avec le système colonial. En outre, la question avait suscité l’ébullition des lobbies : les Amis des Noirs de Brissot qui cherchaient à abolir la traite négrière, mais aussi les députés extraordinaires des manufactures et du commerce représentant les Chambres de commerce des ports, la société des libres de couleur autour de Julien Raymond, et enfin le club Massiac regroupant de riches colons et négociants14. Ce dernier club, fondé le 20 août 1789, s’était donné pour objectif d’empêcher l’application des droits de l’homme dans les colonies, en tâchant de mettre en œuvre une stratégie commune aux intérêts des « coloniaux ». Il s’agissait donc d’organiser la résistance aux projets des députés-Amis des Noirs, tels que Grégoire, Pétion ou Mirabeau. La question de la formation d’un Comité des colonies se trouvait dès lors posée. Cependant le club Massiac ne parvint pas à coordonner complètement les interventions, alors que des rivalités personnelles avec les députés de Saint-Domingue mettaient ses stratégies à l’épreuve.

7 Dans un premier temps, le club Massiac était en effet hostile à la création d’un comité et espérait que l’Assemblée « oublierait » les colonies à la faveur de l’immensité de son travail. Cependant, les débats très virulents entre les députés des colons et les négociants sur la réforme de l’Exclusif colonial brisèrent le silence dès la fin août 1789. A cette occasion, il fut alors décrété que les colonies seraient « exceptées de la loi » générale15. Le 4 septembre, l’Assemblée ordonna la formation d’une commission chargée d’instruire la question. Les six membres de cette commission devaient être choisis parmi les négociants du Comité d’agriculture et de commerce qui n’avaient aucun intérêt économique dans les colonies. Son rapport du 12 novembre 1789 dépassa en fait le simple cadre commercial, pour évoquer le problème de l’esclavage16. Le texte ne fut pas prononcé mais il fit prendre conscience aux colons et négociants des ports du danger que représenterait la formation d’un comité où ils ne siègeraient pas.

8 Par ailleurs, l’activité des citoyens de couleur demandant à être admis comme députés à l’égal des Blancs, grâce au soutien de Grégoire, mettait également la stratégie de Massiac en danger. Un rapport avait été demandé au Comité de vérification pour examiner la légitimité de la demande17. Inquiété par la démarche, de Curt, député de Guadeloupe, décida de prendre les devants et réclama la création d’un comité spécifique, le 26 novembre 1789. Selon lui, les colonies « différ[aient] en tout de la métropole », il était nécessaire de donner aux « îles à sucre un régime particulier et des lois qui s’accord[ai]ent parfaitement avec leur position physique ». De Curt s’adressant à ses collègues poursuivait : « vous avez formé des comités pour tous les objets soumis aux règles du calcul, ou qui, tenant à beaucoup de rapports, exigent les connaissances les plus étendues et des méditations profondes. Mais ces comités ne peuvent embrasser que l’intérieur du royaume ; et si vous voulez organiser les colonies d’une manière qui vous assure

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à jamais les avantages de ces précieuses contrées, vous devez former un comité qui s’occupe sans délai d’en perfectionner les moyens »18.

9 Or, les seuls experts légitimes sur les colonies, selon de Curt, étaient les négociants et colons qui devaient composer exclusivement le nouveau comité et préparer un plan de constitution spécifique aux colonies (en d’autres termes, conciliable avec l’esclavage, la traite négrière et l’exclusion politique des libres de couleur, même si l’orateur, comme ses collègues des colonies, évitait de prononcer ces mots).

10 Cependant la motion ne fut pas adoptée, notamment à cause de l’opposition du député de Nantes, Blin, membre du Club Massiac, encore fidèle à la stratégie du silence et craignant la mise en cause de l’Exclusif. La question fut de nouveau soulevée à plusieurs reprises entre le 1er et le 4 décembre 1789 : Malouet, grand propriétaire d’habitations réclamait la formation d’un comité dont les deux tiers seraient constitués de colons et de négociants ; Blin refusait parce que selon lui l’Assemblée n’avait pas les compétences pour établir une constitution qui devait être préparée dans les colonies elles-mêmes ; enfin Grégoire s’y opposait également car il tenait à ce que le Comité de vérification ait préalablement établi l’admission des députés des libres de couleur19. Face à la violence des oppositions, la majorité de l’Assemblée qui se disait ignorante des réalités coloniales ne statua pas. Il fallut attendre l’aggravation des tensions coloniales et les nouvelles de Saint-Domingue et de Martinique pour que le Comité des colonies soit formé en mars 1790. Sa création traduisait un changement de stratégie radical de Massiac, soucieux d’éviter que les Amis des Noirs ne parvinssent à faire voter l’interdiction de la traite. Le Comité d’agriculture et de commerce avait tâché d’étouffer le débat20, mais Mirabeau, le 1er mars, avait présenté un projet d’abolition au club des Jacobins, qui, selon le Patriote français de Brissot, avait produit une forte impression 21. Alexandre de Lameth, demanda donc le 2 mars 1790 la formation d’un comité spécifiquement chargé des affaires coloniales, qui trierait, classerait et synthétiserait les informations concernant les troubles antillais. Son frère, Charles, « comme Français », « comme colon », précisa et étendit la mission que le Comité devait, selon lui, assumer : il lui faudrait élaborer une constitution spécifique aux colonies22. Les deux frères, en accord avec Barnave et le club Massiac, s’étaient ainsi coordonnés pour faire obstacle au débat sur la traite23. Alors que le traitement des questions coloniales avait été éparpillé entre plusieurs comités, tous les documents s’y rapportant seraient désormais centralisés dans un seul comité. En sous-main, la tactique visait à affaiblir Grégoire, président du Comité des rapports, et de ce fait contrôlant la circulation des informations coloniales.

Un comité constituant, ministériel ou judiciaire ?

11 Bien que le Comité des colonies eût été chargé de concevoir une constitution coloniale, sa raison d’être fut mise en cause dès le premier projet de décret présenté par son rapporteur, Barnave, le 8 mars 1790. Ceux-là même qui avaient réclamé la formation du Comité, distinguant le régime intérieur du régime extérieur, entendaient accorder aux assemblées coloniales un pouvoir constituant indirect, sous réserve de la sanction de l’Assemblée nationale et de l’acceptation du roi24. Le décret, voté sans discussions, stipulait que l’Assemblée nationale « n’avait jamais entendu comprendre [les colonies] dans la constitution ». Les colonies elles-mêmes devaient émettre des vœux constitutionnels, compatibles « avec leurs convenances locales et particulières » et les

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« principes généraux qui lient les colonies à la métropole ». L’article 6 précisait en outre que l’Assemblée nationale « n’a[vait] entendu rien innover dans aucune des branches du commerce soit direct, soit indirect de la France avec ses colonies ; met[ait] les colons et leurs propriétés sous la sauvegarde spéciale de la nation »25. Le débat sur la traite négrière ne put donc se tenir, la parole n’ayant pas été accordée aux Amis des Noirs. Quant aux réformes relatives au régime prohibitif et du ressort exclusif de l’Assemblée, elles étaient remises à plus tard, afin d’occulter les éternelles divisions entre négociants et planteurs. Le Comité était donc censé passer au second plan puisque les assemblées coloniales se voyaient attribuer, par son truchement, le rôle qui lui était initialement dévolu.

12 En réalité, ce projet ne résista pas à l’épreuve des faits, de telle sorte que le Comité se pérennisa tandis que ses compétences s’étendirent. Les crises politiques de Martinique et de Saint-Domingue annonçaient le début de guerres civiles : l’Assemblée nationale, pour éviter de « perdre les colonies », s’estima donc contrainte d’intervenir et le Comité des colonies devait jouer le premier rôle. Or, initialement, les documents relatifs aux troubles de Martinique étaient renvoyés au Comité des rapports, le Comité des colonies n’ayant pas pour vocation de veiller au maintien de l’ordre public. La captation de cette compétence s’avéra progressive et non institutionnalisée26. Il s’agissait désormais de centraliser toutes les affaires coloniales. Le Comité fut de surcroît chargé de démêler l’écheveau complexe des conflits antillais. Les rapports présentés par Barnave le 12 octobre et le 29 novembre 1790 devaient mettre en récit les troubles, dessiner les partis et examiner des informations parcellaires qu’on découvrait à Paris avec un mois et demi de retard – au mieux27. Le Comité se faisait donc l’interprète des évènements, le garant de l’intelligibilité du monde colonial28. De la sorte, les membres du Comité entendaient contrôler les canaux de l’information, au point de prétendre monopoliser toute législation concernant les colonies. Dans cette optique, Moreau de Saint-Méry, député de Martinique et « expert » en droit colonial29, alla jusqu’à proposer, le 11 janvier 1791 : « 1° que les objets qui intéresseront immédiatement les colonies ne pourr[aie]nt lui être présentés que par son Comité colonial ; 2° que les autres comités ne pourr[aie]nt soumettre à sa délibération aucune disposition relative aux colonies, ni prendre aucun arrêté à cet égard, sans en avoir préalablement conféré avec le Comité colonial ». Robespierre répliqua que la motion tendait à « gêner la liberté qu’[aurait] l’Assemblée de décréter, et chaque membre de proposer ce qui serait trouvé utile aux colonies », tandis que Pétion soulignait que la proposition tendrait à « rendre le Comité colonial très despotique »30. La proposition fut rejetée, mais témoignait d’une double ambition en partie déçue : accaparer la politique coloniale de l’Assemblée ; assurer l’unité et la spécificité du droit colonial.

13 Cette aspiration traduisait néanmoins une extension pratique sinon institutionnelle des compétences du Comité – tant du point de vue législatif qu’exécutif. Les rapports de l’automne 1790 revenaient ainsi sur le partage entre métropole et colonies qui avait été établi, le 8 mars, et précisé dans l’instruction du 28 mars, puisqu’afin de « rassurer les colons », le considérant du décret du 12 octobre stipulait que l’Assemblée nationale avait « la ferme volonté d’établir, comme article constitutionnel dans leur organisation, qu’aucunes lois sur l’état des personnes ne ser[aient] décrétées pour les colonies que sur la demande précise et formelle de leurs assemblées coloniales »31. L’Assemblée nationale, en votant le texte du Comité, perdait son droit d’initiative sur l’esclavage. En outre, le 29 novembre, le Comité fut chargé – sur sa demande – d’adresser aux

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assemblées coloniales des instructions susceptibles d’éclairer leurs travaux constitutionnels, car les événements prouvaient selon Barnave que les colonies « manquaient de lumières ». Pour pallier ces lacunes, surtout dans les petites colonies, l’Assemblée nationale, par l’intermédiaire du Comité, proposerait un modèle de constitution coloniale qui ne revêtirait cependant aucun caractère obligatoire : cette mission aboutit les 14-15 juin 1791 lorsque le décret accompagnant les instructions fut adopté32.

14 Parallèlement, le Comité s’immisçait progressivement sur le terrain de l’exécutif. En ce sens, le décret du 29 novembre établit un précédent extrêmement important en faisant désigner une commission civile chargée de rétablir l’ordre dans les Iles-du-Vent ; le 1er février 1791, sur la proposition du Comité, des commissions analogues furent formées pour Saint-Domingue et la Guyane33. Dans ces deux décrets, le Comité priait le roi d’expédier des forces militaires aux Antilles, si bien qu’il en venait à coordonner l’action exécutive des différents comités de l’Assemblée et du ministère de la Marine34. A ce titre, le Comité prêtait le flanc aux critiques l’accusant de miner la séparation des pouvoirs, d’autant que le ministre-lui-même était désigné comme complice de ce détournement.

15 Le 20 janvier 1791, Monneron, député de Pondichéry, rapportant les troubles qui avaient bouleversé Chandernagor, demanda que le Comité des colonies se chargeât également des colonies orientales. Or, Barnave estimait que les compétences du Comité se limitaient implicitement à l’Amérique. Malouet rétorqua que la question coloniale devait être embrassée dans son ensemble car si l’on nommait « un comité asiatique, il faudrait aussi un comité africain, un comité amériquain, un comité pour chaque colonie ». La mission du Comité colonial consistait donc à « présenter les moyens de pacification et l’organisation de toutes les possessions lointaines ; elles [devaient] être soumises aux mêmes lois et au même régime »35. Les attributions du Comité devenaient à proprement parler globales, tant du point de vue de la géographie que des prérogatives – législatives et exécutives. Pour embrasser le tout, définir une spécificité coloniale universelle et assurer la mise en œuvre d’un « principe métropolitain », le Comité adoptait une vocation impériale, par-delà les particularismes de telle ou telle colonie.

16 Ces fonctions globales furent conservées sous la Législative – sans être véritablement institutionnalisées. On vota la continuation du Comité le 12 octobre 1791, qui prit le nom plus général de « Comité des lois et règlements relatifs aux colonies ». A la différence des Comités militaire, de marine et diplomatique, la pérennisation du Comité colonial suscita peu de discussions. Dans l’opinion prononcée au club des Jacobins et publiée dans le Patriote français du 15 octobre 1791, Brissot lui-même expliquait qu’une « une assemblée ne p[ouvai]t pas elle-même rassembler des faits épars […] Il [fallait ]donc un comité, ou tout au moins une commission spéciale pour cette classe d’objets ; dans cette classe, [il fallait] ranger les colonies, trop éloignées de nous, pour que la vérité puisse aisément et constamment parvenir à un individu, trop agitées par les passions, pour qu’elle parvienne pure ». Si Brissot estimait que les colonies nécessitaient un comité spécifique, il mettait néanmoins en garde contre les dérives possibles de cette structure institutionnelle. C’est sans nul doute au Comité des colonies de la Constituante qu’il pensait, lorsqu’il condamna ceux qui mettaient leur statut de rapporteur au service de leur ambition personnelle, lorsqu’il mit en garde contre les relations incestueuses entre ministres et comités ou encore lorsqu’il dénonça la culture

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du secret qui « étouffe l’esprit public »36. De fait, le Comité des colonies de la Législative perpétuait en mode mineur la logique de son prédécesseur : il se chargea surtout de rendre compte des « troubles de Saint-Domingue », un défi encore plus difficile à relever depuis qu’avait débuté l’insurrection générale des esclaves dans la plaine du Nord, la nuit du 22 août 1791, qui fut connue à Paris fin octobre. Par ailleurs, à quelques exceptions près, il fut moins occupé à préparer des lois qu’à organiser la répression et à assurer les secours aux planteurs37. La principale loi adoptée par la deuxième Assemblée, celle du 24-28 mars/4 avril 1792 qui accordait des droits politiques aux libres de couleur, fut élaborée et votée contre la volonté du Comité – à l’instigation des députés Girondins. Lorsque la Législative se sépara, le Comité n’avait pas assumé les attributions qui avaient présidé à sa création.

17 Le Comité des colonies de la Convention, objet presque totalement oublié par l’historiographie, fut reconduit sous le titre encore plus général de « Comité colonial », le 2 octobre 1792. En réalité, il eut dans un premier temps pour principale attribution de veiller à l’exécution de la loi du 4 avril 1792, de contrôler les deux commissions envoyées dans les Antilles et d’en garantir le succès, soit en maintenant les commissaires en place, soit en les remplaçant38. Avec les arrivées successives des colons déportés de Saint-Domingue par Sonthonax et Polverel, le Comité se transforma progressivement en tribunal chargé d’instruire le procès de la « Contre-Révolution » coloniale. Le décret du 17 décembre 1792 ordonnait que les individus débarqués devaient être mis en état d’arrestation et se présenter à la barre de l’Assemblée. Pour éviter l’engorgement face à l’afflux croissant des déportés, la Convention décréta le 24 décembre 1792 que les détenus prévenus d’avoir fomenté les troubles des colonies seraient préalablement entendus par les membres du Comité colonial, dont le rapport déciderait s’il y aurait lieu à accusation. L’occupation principale du Comité consista donc à mener les interrogatoires, seul parfois, mais le plus souvent réuni au Comité de sûreté générale ou au Comité de marine39. Parallèlement, le Comité devait présenter des rapports portant sur l’indemnisation des victimes et réfugiés de Saint-Domingue40. Accuser d’une part, secourir de l’autre : il s’agissait avant tout de classer les différentes catégories de colons entre Révolution et Contre-Révolution.

18 A partir de janvier 1793, le Comité devint peu à peu l’adjuvant du Comité de défense générale, où siégeaient trois de ses membres. Les projets des principaux décrets relatifs aux colonies furent en effet présentés au nom de ce grand comité41. Le 5 mars, le Comité de marine et celui des colonies furent réorganisés et calqués sur le Ministère de la Marine et des Colonies (qui avait été lui-même remodelé le 14 février 1793) : il était ainsi précisé que le Comité des colonies correspondrait avec la 5ème section du ministère. C’était engager une première étape vers la fusion des deux comités, laquelle fut effectivement arrêtée le 20 août 1793 par le Comité de salut public42, le Comité colonial étant du reste devenu une coquille vide depuis les journées des 31 mai/2 juin 1793 malgré le renouvellement de ses membres, le 6 juillet43. La réunion des deux comités en un seul ne fut toutefois officiellement décrétée par la Convention que le 7 fructidor an II (24 août 1794) : le Comité de marine et des colonies aurait désormais « la surveillance des objets attribués à la commission de marine et des colonies » ; mais, strictement subordonné au Comité de salut public qui avait la charge de la défense des colonies, il devrait se « borner à la dénonciation des abus et à la proposition des lois relatives à cette partie ». Enfin, l’instruction du procès des différents protagonistes de l’« affaire des colonies », qui empoisonnait les travaux du Comité depuis le début de la

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Convention, fut externalisée un mois plus tard par la formation d’une commission spéciale, le 9 vendémiaire an III (30 septembre 1794)44.

19 La guerre avait donc validé la position défendue sous la Constituante par Moreau de Saint-Méry, selon lequel la dissociation des deux départements n’avait aucun sens45. La Convention avait progressivement reproduit ce modèle ; et, de fait, le Comité de marine était devenu prépondérant dans les affaires coloniales à partir du mois d’avril 1793, du moins pour toutes les affaires dont le Comité de salut public ne s’était pas emparé. En dépit des attributions définies en 1790, le Comité s’avéra in fine faiblement impliqué dans la production législative, théorisant d’abord son incompétence, puis évitant tout simplement de faire la loi coloniale. Néanmoins, sa perpétuation signifiait le maintien d’un droit dérogatoire et avalisait une conception impériale. Le Comité était devenu un organe associé à l’exécutif, dans une logique de collaboration plutôt que de subordination ; il s’était parallèlement transformé en une sorte de jury d’accusation colonial – deux attributions qui furent finalement dissociées. Mais sans doute les continuités sont-elles moins lisibles dans les compétences du Comité, que dans sa composition, marquée par la prépondérance des intérêts coloniaux.

La composition du Comité : la prégnance de l’ « intérêt colonial »

20 Tout au long des débats sur la formation du Comité, la question de sa composition s’était révélée particulièrement sensible. Si l’Assemblée ne le réserva finalement pas aux seuls planteurs et négociants, nombre de ses membres officiels avaient en réalité des intérêts coloniaux, souvent économiques. Or, ce constat est valable pour l’ensemble des comités des trois Assemblées – l’exception de la Convention devant être nuancée, contrairement à l’image, moins formulée qu’implicite, du « comité anti-planteurs ». Justifiant leur élection, la connaissance des spécificités locales ou du commerce colonial instituaient ces députés comme « experts ».

21 Dans chacun des trois comités, le nombre des membres avait été initialement fixé à douze, auxquels étaient adjoints deux suppléants sous la Constituante, six sous la Législative et quatre sous la Convention. Le premier Comité ne fut pas renouvelé, mais des membres furent intégrés : Louis Monneron, le 20 janvier 1791, et six autres membres – précisément, comme nous le verrons, pour contrebalancer les « biais coloniaux » – le 22 août 1791. Le deuxième Comité conserva ses membres pendant toute la session, à l’exception de Vergniaud qui fut remplacé par le suppléant, Merlet, en mars 1792. Appliquant la règle du non-cumul, peu de membres élus au Comité colonial, le 11 octobre 1792, confirmèrent leur nomination. Les ténors des Amis des Noirs et/ou Girondins – Grégoire, Kersaint et Garran-de-Coulon – déclinèrent, abandonnant Boyer- Fonfrède à un Comité plus modéré. Le 15 octobre 1792, malgré la promotion de suppléants, le Comité réorganisé ne comptait en réalité que neuf membres jusqu’à ce que Camboulas, Rouzet et Ferry fussent effectivement admis le 10 janvier 1793, puis Pomme, député de Cayenne, le 25 avril 1793. Au total, 39 députés (sans compter les 6 adjoints d’août 1791, et Despinassy étant seul à avoir siégé dans deux comités) siégèrent officiellement au sein du Comité.

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Liste des membres du Comité des colonies

Mandat/ Entrée dans le Connexion Nom Qualité/profession département comité coloniale

Constituante

Alquier La Rochelle Avocat 02/03/1790 Propriété

Propriété Barnave Dauphiné Avocat 02/03/1790 familiale

Propriété/ Begouën Caudebec Négociant 02/03/1790 négoce

Champagny Montbrison Lyon Major (Marine) 02/03/1790 ?

Saintes, La Garesché Négociant 02/03/1790 Négoce Rochelle

Gérard Saint-Domingue Planteur 02/03/1790 Propriété

Propriété Lameth Péronne, Amiens Militaire 02/03/1790 familiale

Le Chapelier Rennes Avocat 02/03/1790 ?

Monneron Pondichéry Négociant 20/01/1791 Propriété

Payen de Propriété Tours Habitant/militaire 02/03/1790 Boisneuf familiale

Pèlerin de La Orléans Médecin 02/03/1790 Carrière Buxière

Reynaud de Saint-Domingue Habitant/militaire 02/03/1790 Propriété Villeverd

Thouret Rouen Avocat 02/03/1790 ?

Législative

Barbotte Orne Avocat 25/10/1791 ?

Avocat du roi, trésorier Propriété Brulley Indre-et-Loire 25/10/1791 de France familiale

Courtin (aîné) Seine-et-Oise Négociant 25/10/1791 ?

Despinassy Var Militaire 25/10/1791 Carrière

Homme de loi/ Gonyn Haute-Garonne 25/10/1791 ? cultivateur

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Journu-Aubert Gironde Négociant 25/10/1791 Négoce

Lecurel Haute-Saône Avocat 25/10/1791 ?

Propriété Levavasseur Seine-Inférieure Militaire 25/10/1791 familiale

Merlet Maine-et-Loire Homme de loi 01/03/1792 ?

Nogaret Aveyron Avocat 25/10/1791 ?

Queslin Manche Notaire 25/10/1791 ?

Tarbé Seine-Inférieure Négociant 25/10/1791 Négoce

Vergniaud Gironde Avocat 25/10/1791 Familiale

Convention*

Blanc Marne Commerçant 11/10/1792 Carrière

Propriété/ Boyer-Fonfrède Gironde Négociant 11/10/1792 négoce

Brunel Hérault Administrateur 15/10/1792 Carrière

Camboulas Aveyron Négociant 10/01/1793 Familiale

Creuzé- Propriété Vienne Avocat/homme de loi 15/10/1792 Latouche familiale

Despinassy Var Militaire 10/01/1793 Carrière

Ferry Ardennes Professeur 10/01/1793 ?

Guillermin Saône-et-Loire Militaire 11/10/1792 ?

Mazade-Percin Haute Garonne Homme de loi 11/10/1792 Carrière

Pénières- Corrèze Avocat et syndic 15/10/1792 ? Delzors

Pomme Cayenne ? 25/04/1793 Propriété

Peyre Basses-Alpes Négociant 15/10/1793 Négoce

Rouzet Haute-Garonne Homme de loi 10/01/1793 ?

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Taveau Calvados Administrateur 15/10/1793 ?

L’adjonction du 10 janvier 1793 n’est pas mentionnée dans les Archives parlementaires ; mais elle apparaît dans les procès-verbaux du Comité. Le même jour, Brunel, Boyer-Fonfrède et Pénières furent élus commissaires au Comité de défense générale, mais continuèrent à assister à certaines séances du Comité. AN, D*XVI 5, fo. 23. * L’adjonction du 10 janvier 1793 n’est pas mentionnée dans les Archives parlementaires ; mais elle apparaît dans les procès-verbaux du Comité. Le même jour, Brunel, Boyer-Fonfrède et Pénières furent élus commissaires au Comité de défense générale, mais continuèrent à assister à certaines séances du Comité. AN, D*XVI 5, fo. 23.

22 A l’exclusion des six membres imposés au Comité en août 1791, les profils socio- économiques des membres titulaires présentent de nombreuses analogies. Sous la Constituante, on compte quatre avocats, deux négociants, trois militaires et un « habitant » ; mais c’est la prépondérance des propriétaires de plantations qu’il faut souligner. Au moins huit d’entre eux étaient en effet plus ou moins directement dans ce cas (par exemple, Alquier avait pour épouse une riche propriétaire). En outre, les non- propriétaires étaient liés au monde colonial par d’autres biais : Barnave, ami des Lameth, était également le parent de Bacon de la Chevalerie, l’un des planteurs les plus turbulents de Saint-Domingue ; Thouret et Le Chapelier étaient quant à eux issus de provinces dont les élites avaient fait fortune dans le commerce colonial. Sous la Législative, si les députés propriétaires d’habitations y étaient nettement moins nombreux que dans la précédente Assemblée, ils étaient en revanche surreprésentés dans le Comité. Outre les juristes et avocats (9 sur 13), figuraient trois négociants et deux militaires. Le monde du commerce, qui y était en force, avait des relations d’affaires avec les Antilles. Le père de Levavasseur comptait parmi les principaux négociants de Rouen. Vergniaud avait pour cousin un sénéchal de Saint-Domingue avec lequel il entretenait une correspondance suivie. Le beau-frère du Girondin, Boyer- Fonfrède, appartenait à une grande famille du négoce bordelais. Ancien capitaine à Saint-Domingue, Despinassy y avait peut-être des intérêts. Encore une fois, les départements maritimes étaient surreprésentés (quatre Normands et deux Girondins).

23 Le Comité de la Convention comptait moins de propriétaires d’habitation mais davantage d’individus qui avaient réellement vécu dans les colonies. Plusieurs y étaient nés ou y avaient assumé des fonctions administratives, au service du ministère de la Marine. Blanc, qui s’était enrichi dans le négoce du vin en Haute-Marne, était un créole de Martinique ; Brunel avait été successivement sénéchal et lieutenant-général en Ile- de-France avant de se fixer à Béziers. Quant à Mazade-Percin, il présentait une véritable carrière impériale : procureur du roi et sénéchal à Bourbon, il était devenu commissaire ordonnateur de la partie du Nord à Saint-Domingue en 1789. Alors que Boyer-Fonfrède représentait le grand commerce colonial et que Peyre avait essayé de percer en Martinique, les députés n’ayant aucun intérêt économique connu dans les Antilles (Ferry, Pénières, Taveau) y semblent à peine plus nombreux que dans les comités précédents. Les connexions pouvaient aussi être indirectes : Creuzé-Latouche avait, en la personne de son cousin, le député Creuzé-Pascal, une connexion avec Saint- Domingue46.

24 La coloration politique des comités est peut-être moins pertinente que celle de la proximité des membres avec les divers groupes de pression. En effet, c’étaient les « patriotes », avec Le Chapelier et Barnave, qui semblaient avoir la haute main sur le Comité, comme s’en était réjoui Brissot dans son journal. Or, la proximité du Comité

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avec la société des colons apparut progressivement. Bégouen était en effet lié au club Massiac par l’intermédiaire du grand négociant havrais Foäche, de même qu’Alexandre de Lameth par son frère Charles. Barnave lui-même était en relation avec de nombreux membres qu’il invita plusieurs fois à se réunir chez lui47. Cette proximité devint évidente au printemps 1791, lorsque le Comité soutint le décret du 13 mai stipulant qu’« aucune loi sur l’état des personnes non libres ne pourra[it] être faite par le corps législatif pour les Colonies, que sur la demande formelle et spontanée des assemblées » et lorsqu’il s’était opposé de toutes ses forces au décret du 15 mai accordant les droits politiques aux libres de couleur nés de père et mère libres. Pour contrer ces pressions et atténuer l’influence de Massiac, le 22 août 1791, Destutt de Tracy et Regnaud de Saint-Jean d’Angély réclamèrent l’adjonction de six nouveaux membres, étrangers au comité48. Cependant dès le 29 août 1791, quatre d’entre eux présentèrent une démission collective. Tracy le motivait par son opposition à « la persistance du comité dans un système qu[il avait] toujours combattu » ; La Rochefoucauld ajoutait que le comité tâchait de contrecarrer le décret du 15 mai 1791, alors qu’il était censé assurer son application. Brostaret précisait : « j’ai cru devoir y rester pour appuyer l’opinion que je crois bonne et je ne me rebuterai pas en présence des difficultés que nous éprouvons, parce que je sais que les comités ne font pas la loi dans l’Assemblée nationale, qu’ils ne font que la lui proposer et que, quel que soit le décret proposé par la majorité du comité, il reste toujours à la minorité le droit de faire ses objections, ses propositions : l’Assemblée peut alors connaître qui a raison ». A la suite de ces déclarations, Regnaud demanda le renouvellement complet du Comité au nom de « l’intérêt national » – cette motion fut ajournée et finalement non adoptée49. Au lendemain du décret du 24 septembre 1791, abrogeant le décret du 15 mai, il y eut bien conjonction entre la scission feuillante (Barnave ayant été exclu des Jacobins à la suite du débat sur les colonies), la stratégie du club Massiac et la politique du Comité colonial50.

25 Sous la Législative, l’entrée de Vergniaud marqua l’admission d’un proche des Amis des Noirs et d’un jacobin avancé. Avec Ducos, il avait milité pour que des droits politiques fussent accordés aux libres de couleur ; mais, ce « noyau de la Gironde » avait fait fortune dans l’économie coloniale et l’esclavage : l’abolitionnisme devait être mis au service d’une réforme économique profonde. Cette dimension permet sans doute de mieux comprendre les accommodements de ces Girondins qui reportèrent l’abolition graduelle à une époque plus favorable. Du reste, Vergniaud n’était en aucun cas l’homme fort du Comité : face à lui, Journu-Aubert, appartenant au même milieu bordelais mais inscrit aux Feuillants, et surtout Charles Tarbé, frère du ministre des Contributions et grand négociant rouennais, dominaient le Comité de la Législative. Or, ces derniers étaient la tête de pont du Club Massiac51. Sous la Convention, malgré le nombre de députés de tendance girondine, il existait une minorité importante de « modérés » sur les questions coloniales, autour de Creuzé-Latouche (président) et Mazade-Percin (secrétaire)52. La vraie rupture n’intervint que lors de la nomination de Boyer-Fonfrède au Comité de défense générale et de l’admission de Camboulas – le neveu de Raynal, nettement plus radical que son oncle et farouchement opposé aux lobbyistes des planteurs. Reste que la position de ces deux députés favorables à Sonthonax et Polverel53 ne faisait pas l’unanimité au sein du Comité comme le prouve la séance du 23 janvier 1793 : après « une longue délibération », le Comité proposa en effet d’annuler la plupart des arrestations opérées par les commissaires civils en octobre 179254. Creuzé-Latouche assortit l’élargissement d’une indemnisation des individus déportés « arbitrairement » le 1er févier55.

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26 Se contenter d’une analyse interne du Comité, considéré comme une entité hermétique et unitaire, est partiellement fallacieux. Tout d’abord, le Comité était très souvent réuni à d’autres comités. Dès le 3 mars 1790, le Comité d’agriculture et de commerce, qui avait déjà préparé un rapport sur la traite, nommait quatre membres pour assister le Comité colonial56. Jusqu’en mars 1791, ce Comité déjà élargi avait la haute main sur les projets de décret présentés à l’Assemblée ; mais, sur la demande tactique de Barnave qui voulait atténuer les préventions contre lui, la Constituante décréta le 5 avril 1791 que le Comité colonial se réunirait officiellement aux comités d’agriculture et de commerce, de marine et de constitution, pour préparer les instructions constitutionnelles des colonies57. De fait, tous les projets proposés à partir de cette date le sont au nom des Comités réunis58, qui ont tenu 22 séances communes du 27 avril 1791 au 26 septembre 1791. Cependant, il ne faudrait pas en déduire que le poids des colons en aurait été diminué puisqu’au sein de ces comités figurent entre autres le député de Guadeloupe, de Curt (Marine), l’ancien administrateur de Cayenne et Saint-Domingue, Malouet (Marine), le député de Martinique Moreau de Saint-Méry (Agriculture et Commerce), le grand propriétaire Delattre (Agriculture et Commerce) – tous membres du club Massiac ou du moins ayant assisté à certaines de ses séances. Defermond et Legendre, du Comité de marine, peu favorables aux vues du Comité colonial, se trouvèrent d’autant plus isolés que la plupart des autres membres des comités ne participèrent nullement aux séances. Pour avoir soutenu le décret du 15 mai 1791, et rédigé seul des instructions destinées à accompagner le décret, Dupont de Nemours du Comité d’agriculture et de commerce fut violemment pris à partie par les membres du Comité lors des quatre séances auxquelles il assista ; Rabaut Saint-Étienne fut également très mal reçu le 26 mai59. Lors de la législature suivante, le Comité colonial était souvent réuni à de nombreux autres comités (Marine, Commerce, Militaire, Secours, Diplomatique…), mais non de façon aussi pérenne que précédemment. Sous la Convention, le Comité se réunit au moins trois fois avec les Comités de commerce et de finances en octobre 1792 pour régler des problèmes liés aux finances coloniales, deux fois avec le Comité de sûreté générale en novembre. Les réunions avec le Comité de la marine furent extrêmement nombreuses jusqu’à juillet 1793 : il y eut au moins 17 séances communes. Or, si, à partir de janvier 1793, au sein du Comité colonial, Camboulas exprimait hautement ses vues radicales grâce au soutien du Comité de défense générale, plusieurs membres du Comité de la marine se montraient beaucoup plus sensibles aux arguments des lobbyistes planteurs60 : par ce biais, ces derniers purent exercer une influence qui ne s’était pas démentie dans les comités successifs.

27 Cette influence pouvait aller jusqu’à la participation effective aux séances du Comité. Au-delà des réunions décrétées par l’Assemblée nationale, le Comité colonial accueillait en son sein nombre d’individus qui n’en avaient pas reçu le mandat. Les notes de Moreau de Saint-Méry consignant les propos tenus lors de 56 séances du Comité colonial de la Constituante montrent que les discussions étaient ouvertes à des constituants qui n’avaient pas été élus membres, tels que les députés des colonies – Moreau lui-même (bien avant que la réunion au Comité d’agriculture et de commerce ne fût ordonnée), Dillon (Martinique), de Curt, La Charrière (Guadeloupe), Gouy d’Arsy, Reynaud, Villeblanche (Saint-Domingue), etc. Mais participèrent également aux séances plusieurs des « 85 », ceux des anciens membres de l’assemblée autonomiste de Saint-Domingue qui avaient débarqué à Brest, le 14 septembre 1790, et dont les menées avaient pourtant été condamnées par l’Assemblée sur le rapport de Barnave le 12 octobre61. Le principal porte-parole de l’ancienne assemblée coloniale n’était autre que

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Valentin de Cullion, qui avait ordonné la décapitation du sénéchal du Petit-Goâve, Ferrand de Baudières, pour avoir rédigé une pétition en faveur des libres de couleur en novembre 178962. Participèrent également les députés de l’Assemblée du Nord de Saint- Domingue qui étaient venus en métropole dénoncer l’assemblée de Saint-Marc, tel Trémondrie, ou encore les députés extraordinaires de manufactures et de commerce, Rostagny et Abeille. Si ces individus ne pouvaient voter, ils participaient pleinement aux délibérations et monopolisèrent les discussions. Barnave comme Moreau de Saint- Méry parurent à toutes les séances ; Dillon, Cullion et Gouy y intervinrent quasiment à chaque fois, tandis que les membres officiels, Le Chapelier et Thouret, ne se présentèrent qu’une seule fois.

28 Sous l’Assemblée législative, nous ne disposons que de procès-verbaux officiels, d’une extrême discrétion quant à la participation effective des membres et à l’intervention éventuelle d’éléments extérieurs. Si le proche des Girondins, Kersaint, fut autorisé à présenter un rapport sur le « rétablissement de l’ordre dans les colonies », les 10-11 novembre 179163, ce furent bien davantage les lobbyistes des colons blancs qui avaient l’oreille du Comité. Les registres de la commission de Saint-Domingue, mandatée par l’assemblée coloniale pour défendre les intérêts des planteurs, en témoignent exemplairement. Ainsi annoncent-ils, le 6 décembre 1791 : « Déjà nous avons vu tous les membres du Comité Colonial, nous continuerons à les voir collectivement et individuellement, nous assisterons à leurs séances et ne négligerons aucuns des moyens qui pourront contribuer au succès de notre affaire » ; le 16 décembre : « Le comité colonial que nous voions souvent nous paroit être dans les meilleures intentions ; il avait besoin de lumières et de documents : nous nous sommes hâtés de lui participer tous ceux qui étoient en notre pouvoir ». Ces bonnes relations avec le Comité ne furent pas même affectées par le 10 août 1792 puisque la commission, le 25 août, « propos[ait] de faire remerciements tant au comité colonial qu’au ministre de la Marine sur ce que prenant en considération les observations de la commission ils [avaient] fait accompagner l’envoi à St. Domingue du décret de liberté et d’égalité d’instructions qui p[ouvaient] prévenir les suites funestes qu’aurait eu la promulgation pure et simple de ce décret »64. Sous la Convention, les principaux porte-parole de la commission, Page et Brulley réussirent à se faire entendre du Comité de défense générale et se rendirent à plusieurs reprises aux séances du Comité colonial65. Le 8 février, par exemple, ils « entretinrent le comité d’affaires de leurs colonies et [donnèrent] des renseignements fâcheux sur la conduite du commissaire civil Sonthonax »66. Les 25-26 mars et 15-17 mai 1793, devant les membres des Comités des colonies et de marine réunis, ils furent confrontés à Julien Raymond : de ce face-à-face dépendrait le sort du décret du 5 mars, qui avalisait la formation de régiments constitués de libres, et qui autorisait les commissaires à faire dans « les règlements de discipline et de police des ateliers, tous les changements qu’ils juger[aient] nécessaires »67. On comprendra donc que s’en tenir à la composition officielle ne permet pas de comprendre le fonctionnement du Comité, dont les frontières avec les groupes de pression s’avérèrent éminemment poreuses.

« Nous sommes ici en famille » : des débats coloniaux sous le sceau du secret

29 Pour comprendre le fonctionnement du Comité, il faut apprendre à lire entre les lignes, tant les procès-verbaux officiels sont elliptiques. C’est pourquoi les notes détaillées de

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Moreau de Saint-Méry constituent un document exceptionnel, les propos des intervenants y étant cités précisément. Pourtant, ces pages n’auraient pas dû nous parvenir, puisque Moreau avait été prié de supprimer les notes et « le fai[sai]t depuis le commencement du travail des instructions »68. Les procès-verbaux du Comité sous la Législative manifestent bien davantage de discrétion, malgré les deux secrétaires- commis affectés. Alors que le mois de décembre 1791 fut marqué par le débat sur l’insurrection générale de Saint-Domingue et par un affrontement très violent entre Tarbé et Brissot sur les droits des libres de couleur, on lit que « les délibérations du comité n’ayant porté sur aucun objet principal pendant le mois de décembre, on a[vait] cru pouvoir se dispenser de les écrire »69. Le secrétaire-commis Salley, qui rédige les procès-verbaux du Comité colonial de la Convention70, sait également manier la litote et l’euphémisme. Ainsi-écrit-il : « En suite du décret rendu par la Convention [le 5 mars 1793], les colons des isles du vent et des isles sous le vent ont été entendus et les Comités réunis de marine et des colonies les ont ajournés après une légère discussion à demain 7 heures du soir »71. Les commissaires Page et Brulley rapportent quant à eux une version nettement moins édulcorée de cette « légère discussion » : Camboulas se serait en fait écrié qu’« il étoit ridicule de prolonger la discussion sur ce décret ; puisqu’il en étoit ainsi, il falloit discuter la grande question de savoir s’il étoit important pour la France d’avoir des colonies, & si elle pouvoit y laisser exister la servitude. Cette phrase, dictée par l’impatience, a excité une rumeur générale dans le comité ; on s’est écrié que ce n’étoit pas l’instant d’agiter cette question ; alors le citoyen Camboulas a dit qu’il retiroit sa proposition ; qu’il ne l’avoit faite, que pour prouver qu’il ne falloit pas remonter au principe, parce que IN PRINCIPIUM ERAT VERBUM »72. Cependant, comme l’avait dit Barnave, ces échanges devaient rester « en famille », même si des fuites étaient toujours à prévoir73.

30 Compte-tenu du biais des sources, il apparaît dès lors hasardeux de rendre compte de la régularité des séances ou de leur fréquence. Sous la Constituante, 56 séances sont attestées ; mais on ignore totalement ce qu’il en est pour 1790. Le Comité de la Législative se réunit au moins 11 fois en novembre 1791 ; puis aucune séance n’est mentionnée jusqu’en février 1792 ; et on relève 14 séances seulement jusqu’à la fin de la session. Quant au Comité de la Convention, il se serait réuni 59 fois entre le 27 octobre 1792 et le 27 avril 179374. A ces séances, il faut en ajouter 12 autres qui eurent lieu dans le local du Comité de marine et auxquelles intervinrent plusieurs membres du Comité colonial. Quant à la participation effective des membres aux séances, elle n’est pas toujours évidente. Sous la Constituante, les ténors de l’Assemblée tels que Lameth, Le Chapelier et Thouret furent chacun membres de plus de quatre comités différents. Thouret ne se serait présenté la première fois au Comité que le 9 octobre 179075 ! Sous la Législative, l’assiduité des membres semblait également très inégale : seuls neuf d’entre eux siégeaient effectivement lors de la première réunion. Bien que Vergniaud eût été élu président, il se signala par son absence, laissant le champ libre à Tarbé. Ainsi le député de Gironde déclara-t-il à l’Assemblée qu’il ignorait une partie du rapport présenté le 11 janvier 1792, dont il se désolidarisait complètement. Tarbé répliqua alors : « M. Vergniaud ne vient point aussi souvent aux séances du comité qu’il le désirerait »76. Plusieurs membres qui n’intervinrent jamais dans l’hémicycle ne s’impliquèrent pas davantage dans le Comité (Barbotte, Courtin). Enfin, certains conventionnels s’absentèrent longuement, ayant été envoyés en mission dans les départements, tel Mazade-Percin à Rochefort entre janvier et juillet 1793.

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31 Ces éléments nous portent à nous interroger sur le caractère collectif des activités du Comité, dont la tâche principale consistait à préparer des rapports et des projets de décret. La distribution de ces travaux était donc cruciale, car le membre désigné se devait de rassembler les informations, les trier et les hiérarchiser, avant de soumettre son interprétation et ses solutions législatives ou exécutives au reste du Comité. A ce titre, la place de rapporteur s’avérait bien plus importante que celle de président ou de secrétaire, comme le prouve la marginalisation de Vergniaud dans le Comité sous la Législative. Le sujet était en fait brûlant : ainsi Linguet accusa-t-il Barnave d’avoir troqué son statut de rapporteur pour celui de « ministre des colonies ». Ce dernier aurait mené ses travaux à Massiac et non au sein d’un comité trompe-l’œil. Si l’absence de procès-verbaux ne permet pas de déterminer la participation du Comité à l’élaboration des textes, on sait qu’il consulta personnellement la Garde Nationale de Bordeaux, ainsi que Billard, membre influent du Club Massiac77. Sous la Législative, la préparation des rapports était répartie entre les différents membres, sur des critères de spécialisation géographique78. Mais les rapports les plus importants – car ils déterminaient toute la politique coloniale de l’Assemblée –, ceux qui portaient sur Saint-Domingue, revenaient à Tarbé et à Journu-Auber, les proches de Massiac79. Les autres membres étaient souvent réduits à produire des textes sur des sujets mineurs et diverses pétitions à traiter concernant des cas particuliers. Il ne faudrait toutefois pas exagérer le cloisonnement des travaux, ni occulter les marges importantes de débat. Sous la Législative, par exemple, le choix de lettres à lire en séance avait donné lieu à « de longues discussions », le 9 novembre 179180, ou, sous la Convention, la lecture du rapport Camboulas fit l’objet de plusieurs relectures, les 4 et 8 février 179381.

32 Nos sources ne nous permettent pas d’approfondir l’analyse pour ces deux comités ; et sans doute les modalités de fonctionnement variaient-elles selon les circonstances. En revanche, les notes de Moreau prouvent qu’il y eut bien un débat au sein du Comité colonial élargi entre octobre 1790 et juin 1791. L’historiographie a eu tendance à réduire ce Comité au rôle de garant du « système colonial », dans une perspective sans doute trop monolithique. Ce qui frappe au contraire, c’est la violence des altercations, Barnave n’écrasant pas les discussions, tant s’en faut. Lorsque Dillon proposa de déclarer citoyens actifs les libres de couleur, Cullion défia le député de Martinique en ces termes : « avant cela il faut que vous tuiés quelques-uns de nous. Moi par exemple, je le déclare »82. La préparation des instructions constitutionnelles mit en effet au jour une grande variété de désaccords autour de l’autonomie politique des colonies, de la représentation coloniale à l’Assemblée nationale, de l’existence d’un tribunal de cassation, de la création d’un ministère spécifique aux colonies, du découpage administratif de Saint-Domingue, des contributions exigibles d’un citoyen actif, de l’unification du droit colonial, du régime prohibitif ou encore des droits à accorder aux libres de couleur... Si Barnave entendait favoriser « un principe métropolitain », en assurant la souveraineté nationale par la représentation coloniale et le maintien d’un Exclusif favorable au commerce de métropole, Le Chapelier ne voulait accorder qu’un droit de pétition à des assemblées coloniales, tandis que Gouy demandait que les colonies fussent assimilées à des départements…

33 Surtout le Comité servait à rendre possibles des débats qui eussent été inadmissibles dans l’hémicycle ou qui eussent pu tourner en faveur des « philanthropes ». La définition de la citoyenneté active, qui supposait une comparaison serrée avec les choix opérés par l’Assemblée nationale pour la métropole, est en ce sens un exemple

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particulièrement éclairant dans la mesure où se superposent les considérations juridiques, sociales et de couleur. Pour Barnave, il était essentiel d’« intéresser tous les Blancs », « sous condition d’une contribution directe parce qu’elle suppos[ait] une propriété au moins en esclaves et que le maître [était] intéressé au maintien de l’ordre » : il fallait donc établir une citoyenneté active fondée sur la propriété d’esclaves et une domiciliation de trois ans. Trouvant ces critères trop laxistes, Malouet s’en insurgea parce que selon lui, il était nécessaire d’exclure de la chose publique les petits blancs – commis, économes, sous-économes – outre ces « aventuriers » achetables, qui, craignait Dillon, pouvaient affluer par millions dans les colonies. « Comment Mrs les députés [avaien]t-ils pu consentir à n’exiger qu’une propriété de 15 mille livres pour l’éligibilité à St. Domingue », demanda Malouet : « qui n’a pas cela ? » ; le bien peu fortuné Moreau de Saint-Méry répondit : « il y a chés moi des hommes pauvres et plein de mérite ». Pour Reynaud, afin de « conserver la dignité de la couleur, [il fallait] repousser les petits blancs car les esclaves les mépris[ai]ent » : le débat portait donc aussi sur les droits à accorder aux libres. Devaient-ils être considérés comme des alliés en tant que propriétaires d’esclaves ou au contraire constituer cette classe intermédiaire qui préserverait le préjugé de couleur ? Malouet estimait ainsi qu’ « ils étaient le rempart le plus sûr contre les ennemis intérieurs », alors que La Galissonnière, rejetant les comparaisons avec Sparte et Athènes, affirmait hautement « qu’il fallait conserver aux Colonies l’aristocratie de la couleur »83. Tout le répertoire du colonial était donc exploré, dans une langue du privilège inacceptable à l’Assemblée ; mais en ce lieu ne faisait consensus qu’un seul principe : la préservation de l’esclavage.

Maîtriser le vote du projet et l’exécution de la loi : l’emprise sur l’Assemblée et le ministère

34 Espace de débats coloniaux, le Comité était également l’officine où se préparaient les séances de l’Assemblée. Ses membres avaient d’abord le souci de contrôler les informations coloniales : Barnave fit en sorte que tous les documents portant sur les colonies fussent examinés au préalable par le Comité, au nom de l’expertise des planteurs et négociants. Le 29 juillet 1790, lorsqu’un courrier de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue parvint à l’Assemblée nationale, il en empêcha la lecture et demanda à ce qu’il fût d’abord examiné par le Comité afin de ne pas créer la panique84. Le tri et le choix des pièces présentées faisaient l’objet d’un travail minutieux comme en témoignent les brouillons du projet visant à abroger le décret du 15 mai 179185. Quand le Comité parvint à ses fins le 24 septembre, les documents justificatifs avaient été soigneusement sélectionnés (40 hostiles au décret, 8 favorables seulement), suscitant l’ire de Reubel qui déclarait avoir « entendu la lecture de différentes adresses qui étaient sorties du même moule, préparées d’avance et déjà faites et signées avant que le décret fût rendu »86. La pratique était coutumière : en février 1791, Barnave avait déclaré qu’« il [fallait] qu’il vienne des députés de Bordeaux, des autres ports & qui dans une adresse modérée, ferme, qui dise que l’intérêt des colonies, de la métropole est qu’on cesse de les agiter » ; Trémondrie expliquait qu’il était indispensable d’« écrire aux chambres de commerce, aux Assemblées générales de commerce » ; « comme on a fait sur le décret du 8 mars », précisait Reynaud. Et Moreau de Saint- Méry d’écrire une lettre destinée à toutes les Chambres de commerce87, afin de diffuser

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un argumentaire clef-en-main – ce que la langue médiatico-politique appellerait aujourd’hui des « éléments de langage ». Le Comité ne se contentait donc pas de filtrer les informations, il les produisait. Ces manœuvres étaient mises au service d’une cause : constitutionnaliser l’initiative des colonies sur l’état des personnes de manière à contrecarrer les Amis des Noirs, qui s’annonçaient comme les futurs hommes forts de la législature suivante.

35 Cependant, l’expérience de la Constituante informa les pratiques des acteurs sous la Législative. Pour éviter ces écueils, Tarbé adopta une stratégie dilatoire, consistant à tâcher de « faire oublier » les colonies. Les commissaires notèrent à ce sujet « que l’intention du Comité colonial étoit d’attendre l’effet qu’aura[it] produit à St. Domingue la connaissance de la loi du 24 septembre »88. Les nouvelles de l’insurrection générale parvenant régulièrement à l’Assemblée, cette tactique s’avéra impraticable et le Comité fut tenu de présenter un rapport. Le 30 novembre 1791, des colons firent le récit des « massacres de Saint-Domingue » ; mais le lendemain, Tarbé annonçait que le Comité colonial n’était pas en mesure de présenter son rapport et demandait que la lecture n’en fût faite que le 10. Brissot en profita pour prendre l’initiative et prononcer un très long discours sur Saint-Domingue89. Il s’agissait de couper l’herbe sous le pied du Comité, avec l’aide probable de Vergniaud, de manière à fixer les termes du débat sans laisser le champ libre à Tarbé. Minoritaires dans le Comité, les « Brissotins » parvinrent ainsi à faire voter le décret du 7 décembre, qui organisait la répression et justifiait les concordats, au terme d’une séance houleuse avant la lecture du rapport du Comité90. L’influence des Girondins ne cessant de croître tout au long de la session, le Comité tenta en février 1792 de brouiller les cartes en confiant la lecture de son rapport à Journu-Auber, lui-même député de la Gironde, dont « l’influence promettait plus de succès »91. Toutefois, ces stratagèmes n’empêchèrent nullement le vote du décret du 28 mars 1792, car le Comité « joui[ssait] d’une assez grande défaveur dans l’assemblée »92.

36 Mais le Comité n’exerçait pas seulement son influence sur l’Assemblée, il hantait également les couloirs du ministère de la Marine et des Colonies. Sous la Constituante et la Législative, le Comité colonial et le ministre avaient en effet collaboré dans la fabrique et dans l’(in-)exécution des lois (selon qu’elles étaient conformes aux vues du Comité). En amont, le ministre jouait un grand rôle dans le déclenchement du processus législatif : c’est lui qui suscitait les débats à l’Assemblée, en transmettant les informations concernant les colonies, notamment les lettres qu’il recevait des gouverneurs. Or, ces annonces étaient coordonnées avec le Comité. Ce fut par exemple le cas, le 22 août 1791, lorsque les nouvelles catastrophiques du gouverneur Blanchelande permirent d’enclencher la riposte législative aboutissant au décret du 24 septembre. En aval, la collaboration alla jusqu’à empêcher l’expédition des décrets non conformes aux vues du Comité, en particulier celui du 15 mai 179193. Cette connivence attira les soupçons : le député Albitte déclara en séance, le 13 janvier 1792, après lecture d’un rapport de Journu-Auber : « je suis étonné qu’on nous renvoie sans cesse au ministre pour avoir des avis et des plans. C’est de fait donner l’initiative au ministre sur tous les points qui concernent l’utilité publique »94. Le Comité des colonies, à la différence du Comité de la marine, ne prit pas part à la campagne de dénonciations menée contre le ministre Bertrand de Molleville. Le successeur, Lacoste, était également fort apprécié des commissaires de Saint-Domingue, car « toute la confiance qu’il inspir[ait] à l’assemblée nationale ser[aient] emploiés pour la réussite de [leur] affaire ». Sous la Convention, si le nouveau ministre, Monge, s’intéressa peu aux

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colonies, Page et Brulley trouvèrent en Adet, le chef du Bureau des Colonies, une oreille attentive, un fonctionnaire soucieux de défendre leurs intérêts95.

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37 Lorsque l’esclavage fut aboli, le 16 pluviôse an II, l’Assemblée nationale n’avait plus en son sein de Comité colonial spécifique. Il serait sans doute hasardeux d’en induire une relation de cause à effet, mais l’existence même de ce Comité plaidait en faveur du pluralisme juridique. « Colonial » : sa seule dénomination offrait un argument contre l’assimilation. A n’en pas douter, il serait également faux de confondre le Comité de la Constituante et celui de la Convention, lequel défendit vigoureusement les droits des libres de couleur. Cependant, dans les trois comités, certaines constantes ne se démentirent pas : le profil « colonial » des membres, une semblable difficulté à interpréter les événements des Antilles ou des Mascareignes, le poids des lobbies – considérés comme des sources d’informations – et surtout une conception impériale qui tâchait d’articuler une vue d’ensemble des colonies, visant ainsi à l’unification d’un droit colonial par-delà les particularismes locaux. En ce sens, le Comité s’inscrivait dans la filiation des commissions de législation instituées par les ministres Choiseul, Sartine et Castries, pour ordonner l’État impérial depuis la fin de la guerre de Sept ans96. Ces éléments de continuité, enchâssés dans une chronologie plus large, incitent à nuancer fortement l’opposition entre un comité « feuillant » et un comité « girondin », selon une grille de lecture masquant des dynamiques coloniales qui préexistent à 1789.

38 Mais, outre cette spécificité coloniale, le Comité exacerbe en quelque sorte les tensions inhérentes au système des comités, car, en définitive, de quoi l’expertise coloniale était-elle le nom ? d’une approche technicienne du bien commun, du souci d’assurer la conservation de l’État impérial ou d’intérêts particuliers savamment maquillés ? Quand des individus non élus en viennent à rédiger des projets de loi ; quand on distribue les rôles à tenir dans l’hémicycle ; quand les scenarii des séances sont écrits à l’avance, et que chacun tâche de jouer sa partition ; qui, dès lors, parle en tribune ? qu’est-ce que la représentation nationale ?

NOTES

1. Jacques-Pierre BRISSOT DE WARVILLE, Lettre de J.-P. Brissot à M. Barnave sur ses rapports concernant les colonies, les décrets qui les ont suivis, leurs conséquences fatales..., Paris, Desenne, 1790, préface. 2. Annales politiques et littéraires, t. XVIII, n° 158, p. 117. 3. L’Ami des patriotes ou le défenseur de la Révolution, t. III, n° 54, p. 389. 4. L’Ami des patriotes ou le défenseur de la Révolution, t. II, n° 25, p. 266. 5. Paul Cheney a judicieusement souligné l’ambivalence historiographique de Barnave : il fut considéré comme l’interprète de l’ascension de la bourgeoisie par l’école classique et le héros du tragique révolutionnaire par les historiens révisionnistes. Voir Paul CHENEY, Revolutionary Commerce: Globalization and the French Monarchy, Cambridge, Harvard University Press, 2010, p. 198-201.

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6. Ibid., Souad DEGACHI, Barnave, rapporteur du comité des colonies, Révolution Française.net, 2007. 7. L’ouvrage de référence reste : Gabriel DEBIEN, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution ; essai sur le club Massiac (août 1789-Août 1792), Paris, A. Colin, 1953 ; voir aussi Déborah LIÉBART, « Un groupe de pression contre-révolutionnaire : le club Massiac sous la Constituante », Annales historiques de la Révolution française, no 354, décembre 2008, p. 29-50. 8. Le seul travail d’ensemble est une thèse américaine, très difficile d’accès en France : Valerie Yow QUINNEY, The Committee on Colonies of the French Constituent Assembly, University of Wisconsin, 1967. Deux articles du même auteur en reprennent certains éléments: Valerie QUINNEY, « Decisions on Slavery, the Slave-Trade and Civil Rights for Negroes in the Early French Revolution », The Journal of Negro History, vol. 55, no 2, avril 1970, p. 544-557; Valerie QUINNEY, « The Problem of Civil Rights for Free Men of Color in the Early French Revolution », French Historical Studies, vol. 7, no 4, octobre 1972, p. 117-130. 9. Pour des raisons évidentes, l’historiographie, depuis très longtemps et jusqu’à récemment, s’est concentrée sur deux moments-clefs : la décision de ne pas appliquer les droits de l’homme dans les colonies sous la Constituante, et l’abolition de l’esclavage le 16 pluviôse an II. Voir par exemple sur la Constituante : Léon DESCHAMPS, Les Colonies pendant la Révolution. La Constituante et la réforme coloniale, Paris, Perrin, 1898 ; Henri JOUCLA, Le conseil supérieur des colonies et ses antécédents : avec de nombreux documents inédits et notamment les procès-verbaux du comité colonial de l’assemblée constituante, Paris, éd. du monde moderne, 1927 ; David GEGGUS, « Racial Equality, Slavery, and Colonial Secession during the Constituent Assembly », The American Historical Review, vol. 94, no 5, décembre 1989, p. 1290-1308 ; sur l’abolition : Yves Bénot, « Comment la Convention a-t-elle voté l’abolition de l’esclavage en l’an II », AHRF, n° 293-294, p. 349-361 ; Florence GAUTHIER, « Le rôle de la députation de Saint-Domingue dans l’abolition de l’esclavage » dans Marcel DORIGNY (dir.), Les abolitions de l’esclavage. De L.F. Sonthonax à V. Schoelcher, 1793,1794, 1848, Paris, Presses universitaires de Vincennes, UNESCO, 1995, p. 199-211; Jeremy D POPKIN, You Are All Free: the Haitian Revolution and the Abolition of Slavery, Cambridge, Cambridge University Press, 2010. 10. Parmi les travaux soulignant la rupture républicaine : Bernard GAINOT, « La Constitutionnalisation de la liberté générale sous le Directoire » dans M. Dorigny (éd.), op. cit., p. 213-229 ; Jean-Daniel PIQUET, L’émancipation des Noirs dans la Révolution française : 1789-1795, Paris, Karthala, 2002 ; ceux qui insistent sur le dualisme et minimisent la rupture : Josep M. FRADERA, « L’esclavage et la logique constitutionnelle des empires », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 63, no 3, juin 2008, p. 533-560; Miranda F. SPIELER, « The Legal Structure of Colonial Rule during the French Revolution », The William and Mary Quarterly, vol. 66, no 2, avril 2009, p. 365-408. 11. Le livre-tournant fut Yves BENOT, La Révolution française et la fin des colonies, Paris, la Découverte, 1988. Nous suivons également les analyses de Jean-Frédéric Schaub, invitant à ne pas séparer l’histoire coloniale de l’histoire générale : Jean-Frédéric SCHAUB, « La catégorie « études coloniales » est-elle indispensable ? », Annales HSS, n° 3, 2008, p. 625-648. 12. Les enjeux de la formation du Comité sont présentés de façon très détaillée dans V. QUINNEY, op. cit., 1967, p. 24-166 : sauf mention spéciale, cette partie se fonde sur ces chapitres. 13. Blanche MAUREL, Saint-Domingue et la Révolution française. La représentation des colons en France de 1789 à 1795, Paris, PUF, 1943, p. 1-5 ; Malick GHACHEM, « The Trap of Representation : Sovereignty, Slavery and the Road to the Haitian Revolution », Historical Reflections/Réflexions historiques, 20, n° 1, 2003, p. 123-144. Furent successivement admis les députés de Guadeloupe (22 septembre 1789), de Martinique (14 octobre 1789), des comptoirs de l’Inde (19 septembre 1790), d’Ile-de- France (12 février 1791) – soit un total de 17 députés et 26 suppléants. 14. Tous ces groupes ont fait l’objet de travaux spécifiques, parfois anciens : Joseph LETACONNOUX, Le Comité des députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France et l’œuvre économique de l’Assemblée constituante, 1789-1791, Paris, E. Leroux, 1913 ; Gabriel DEBIEN, op. cit., 1953 ; Florence GAUTHIER, L’aristocratie de l’épiderme : le combat de la Société des citoyens de couleur, 1789-1791, Paris,

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CNRS éd., 2007 ; Marcel DORIGNY et Bernard GAINOT, La Société des amis des Noirs, 1788-1799, Paris, EDICEF, 1998. 15. Archives parlementaires (AP), t. VIII, p. 554 16. Louis-Charles Gillet de La Jaqueminière, Rapport fait au nom de la section du comité d’agriculture et de commerce, chargée par l’Assemblée nationale de l’examen de la déclaration des députés de Saint-Domingue, relative à l’approvisionnement de l’île, Paris, Baudouin, 1789. 17. F. GAUTHIER, op. cit., p. 65. 18. AP, t. X, p. 263. 19. Ibid., p. 347-353. 20. F. GAUTHIER, op. cit., p. 63-65. 21. Patriote français, n° 206, 2 mars 1790, p. 1. Or, dans ce texte publié par M. Dorigny, Mirabeau préconisait la création d’un comité pour « préparer la liberté ». Honoré-Gabriel de Riquetti MIRABEAU (comte de), Victor HUGO, Marcel DORIGNY et Société française d’étude du XVIIIe SIÈCLE, Les bières flottantes des négriers, Université de Saint-Etienne, 1999. 22. AP, t. XII, p. 6. 23. L’opinion de Pétion, non prononcée, fut néanmoins imprimée. Voir AP, t. XII, p. 78-92. 24. L’Assemblée nationale seule disposait toutefois du pouvoir constituant, puisqu’elle seule représentait la nation. L’article 4 stipulait ainsi : « Les plans, préparés dans lesdites assemblées coloniales, seront soumis à l’Assemblée nationale, pour être examinés, décrétés par elle, et présentés à l’acceptation et à la sanction du roi ». Ibid., p. 72. Par la suite, lors de plusieurs séances du Comité, Barnave rappela « la suprématie du corps national » et s’opposa vertement à l’idée qu’une section de l’empire pût être souveraine. ANOM, 87 MIOM 95, fo. 205, 250. 25. Ibid. 26. Lorsqu’Anthoine, au nom du Comité des rapports, présenta un projet de décret sur une affaire anecdotique de Martinique, le député de Bordeaux et membre de Massiac, Nairac, demanda à ce que les documents fussent renvoyés au Comité des colonies préalablement : AP, t. XIX, p. 579. 27. AP, t. XIX p. 446-578 ; t. XXI, p. 125-127. 28. Voir également : rapport de Payen concernant les troubles de Martinique, 21 avril 1791, AP, t. XXV, p. 235 ; rapport de Barnave sur la situation des colonies, 23 septembre 1791, t. XXXI, p. 252-259. 29. Moreau avait entrepris de codifier l’ensemble du droit colonial (près de 8 000 lois pour Saint- Domingue seulement) et avait été engagé à ce titre par le ministre de la Marine, Castries, dans les années 1780. Voir : Dominique TAFFIN (éd.), Moreau de Saint-Méry ou Les ambiguïtés d’un créole des Lumières : actes du colloque, 10-11 septembre 2004, Fort-de-France, Société des amis des archives et de la recherche sur le patrimoine culturel des Antilles, 2006. 30. AP, t. XXII, p. 138-139. 31. AP, t. XIX, p. 570. 32. AP, t. XXVII, p. 213-231; 236-237. 33. AP. t. XXII, p. 665-666. 34. AP, t. XXII, p. 483. 35. AP, t. XXII, p. 350. 36. Le Patriote français, vol. 3, p. 446-447. 37. Le seul projet législatif notable du Comité, qui concernait la représentation coloniale, fut présenté le 18 août et voté le 22 août 1792. AP, t. XLVIII, p. 358-361. 38. Par exemple, le rapport présenté par Rouyer qui confirme la commission civile envoyée à Saint-Domingue et fait décréter le rappel des commissaires civils aux Iles-du-Vent le 5 novembre 1792. AP, t. LIII, p. 167. 39. AP, t. LIII, p. 685-686, 30 novembre 1792, « acte d’accusation contre Blanchelande » ; t. LVII, p. 190, 4 février 1793, rapport relatif « à divers fonctionnaires civils et militaires de Saint- Domingue, prévenus d’avoir été les principaux agents du projet de contre-révolution dans les

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colonies » ; t. LX, p. 442, 25 mars 1793, « rapports sur l’affaire des citoyens Brudière et Ligières » ; p. 692, 26 mars 1793, « rapports sur l’affaire des citoyens Cambefort et Touzard » ; t. LXII, p. 611 « rapport sur la conduite du citoyen Ailhaud »,. 40. AP, t. LVIII, 1er février 1793, p. 110, « rapport sur des indemnités à accorder à des citoyens déportés injustement des colonies », ; AP, t. LXV, 28 mai 1793, p. 489, « rapport sur les secours à accorder aux déportés de Saint-Domingue ». 41. En particulier, le décret du 19 février 1793 qui ouvrait les ports des Antilles aux Américains, et, surtout, celui du 5 mars - préparé préalablement au sein du Comité colonial - qui mettait en état de défense les colonies et validait la politique menée jusque-là par les commissaires civils à Saint-Domingue. 42. Dans le but de récupérer le local du Comité : A. AULARD, Recueil des actes du Comité de salut public, VI, p. 40. 43. Le rapport du 21 juin 1793 sur les déportés des colonies fut présenté par Poultier au nom des Comités de la guerre, de la marine et des finances réunis, sans participation du Comité colonial : AP, t. LXVII, p. 43. Par le décret d’accusation contre Polverel et Sonthonax du 16 juillet 1793, le Comité de salut public, chargé de faire un rapport pour rétablir l’ordre, avait été autorisé à « prendre au Comité colonial toutes les pièces et renseignements qui pourr[aien]t lui être nécessaires » : AP, t. LXIX, p. 39. 44. Cette commission organisa le grand procès opposant les colons et les commissaires. Elle fut également à l’origine de la série D XXV « Comité des colonies » et du célèbre rapport retraçant la révolution de Saint-Domingue. Jean-Philippe GARRAN-DE-COULON, Rapport sur les troubles de Saint- Domingue, fait au nom de la commission des colonies, des Comités de Salut public, de Législation et de Marine réunis, Paris, Imprimerie nationale, 1797. 45. Louis-Médéric MOREAU DE SAINT-MÉRY, Sur les dangers de la division du ministère de la Marine et des Colonies, Paris, Impr. nat., 1790. 46. Creuzé-Pascal était un très grand propriétaire de l’île : il se signala notamment par son opposition à la « députation tricolore » de 1794. 47. AN, D XXV, 89, « procès-verbaux des séances de la société des colons réunie à l’hôtel Massiac », vol. 4, fo. 55, « 221e séance, 28 avril 1791 », fo. 62 « 222e séance, 3 mai 1791 ». 48. Furent donc adjoints Destutt de Tracy, La Rochefoucauld, Castellanet, Brostaret, Périsse- Duluc et Louis Monneron. A part ce dernier, député de Pondichéry mais favorable aux droits des libres de couleur, ces nouveaux membres étaient étrangers aux intérêts coloniaux. AP, t. XXIX, p. 625-628. 49. AP, t. XXX, p. 55-56. 50. Le 11 mai 1791, Barnave avait soutenu aux jacobins un discours contre Brissot et s’y était fait applaudir ; mais le 25 septembre 1791, il en fut exclu suite au débat colonial de la veille, avec les Lameth et Duport sur proposition de Polverel et Régnier : voir L. Deschamps, op. cit., p. 239. 51. G. DEBIEN, op. cit., p. 341. 52. M. Dorigny soutient qu’il faut intégrer Creuzé-Latouche à la mouvance girondine plutôt qu’à la Plaine. Toutefois, sur les questions coloniales, ce député se montre bien plus modéré et discret que ses collègues de Gironde. On sait du reste combien il est difficile de définir l’appartenance girondine. Sur les 12 députés ayant siégé dans le Comité, un membre a été exécuté le 31 octobre avec Brissot, 2 firent partie des 75 protestant contre l’arrestation du 2 juin, 6 furent appelés Girondins. Voir A. SOBOUL (éd.), op. cit., p. 311; Michael John SYDENHAM, The Girondins, Londres, University of London, Athlone press, 1961, p. 218-226. 53. Boyer-Fonfrède afficha son soutien à la commission civile dans le journal de Brissot, deux jours avant la présentation du rapport Camboulas à la Convention le 5 mars 1793. Patriote français, n° 1299, p. 257-258. 54. Sur la demande initiale de Mazade lors de la séance du comité du 10 janvier 1793 ; le Comité ne retint en fait qu’une seule accusation, contre le gouverneur d’Esparbès. AN, D*XVI 5, fo. 24-25.

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55. AP, t. LVIII, p. 110. 56. F. GAUTHIER, op. cit., p. 141. 57. AP, t. XXIV, p. 595. 58. AP, t. XXII, p. 483; t. XXIV, p. 682; t. XXV, p. 636-638. 59. ANOM, 87 MIOM 95, fo.262-272. 60. Le principal contact en son sein est Martel dont la fréquentation avec Brulley et Page est attestée à partir de juin 1793 mais paraît antérieure. AN, D XXV 76, dos. 751, fo. 11. 61. Ils furent tactiquement blanchis le 28 juin 1791, sur proposition du Comité colonial : AP, t. XXVII, p. 583-584. 62. J.-P. GARRAN-DE-COULON, op. cit., 1797, t. I, p. 110. 63. AN, D*XVI 5, fo. 4, séances du 10 et 11 novembre 1791. 64. AN, D XXV 76, dos. 749, « Copies des lettres de Millet, Cougnacq Mion, Chesneaux de la Mesgrière, Lebugnet, La Gourgue, Saint James, Commissaires de l’Assemblée générale de Saint Domingue près la métropole », non foliotées. 65. AN, D XXV 63, dos. 629, « réponses des commissaires de St. Domingue aux questions du citoyen Boyer Fonfrède membre du comité colonial », 30 janvier 1793. 66. AN, D*XVI 5, fo. 27. 67. AN, D*XVI 2, fo. 31-32, fo 47. Sur le rôle joué par ce décret, voir : J. POPKIN, op. cit., p. 336. 68. ANOM, 87 MIOM 95, fo. 266, 23 mai 1791. 69. AN, D*XVI 5, fo. 6. 70. AN, D*XVI 5, fo. 27. 71. AN, D*XVI 2, fo. 31, 26 mars 1793. 72. Augustin-Jean BRULLEY et Pierre-François PAGE, Développement des causes, troubles et désastres des colonies françaises, Paris, 1793, p. 16-17. 73. « quoique nous soyons ici en famille, il ne faut pas se dissimuler que ce qui s’y passe sera connu » : ANOM, 87 MIOM 95, fo. 185, 27 avril 1791. 74. Calculs effectués d’après les registres conservés sous la cote AN, D*XVI 5. 75. Selon Linguet, Annales politiques et littéraires, t. XVIII, n° 158, p. 143. 76. AP, t. XXVII, p. 229-230. 77. G. DEBIEN, op. cit., p. 190. 78. Gonyn, rapport sur la Martinique, (AP, t. LXII, p. 672) ; Lécurel, trois rapports sur des affaires particulières de Tobago, (t. XLI, p. 363 ; XLII, p. 324 ; XLIII, p. 41) ; Levavasseur sur la Guyane et Bourbon (t. XLV, p. 195-196 ; L, p. 592-609). 79. Rapports sur « les troubles de Saint-Domingue » présentés par Tarbé le 18 novembre 1791 (AP, t. XXXV, p. 131-136), le 10 décembre 1791 (p. 701-710), le 11 janvier 1792 (t. XXXVII, p. 222-229), le 29 février 1792 (t. XXXIX, p. 198-209) ; par Journu-Auber le 10 février 1792 (t. XXXVIII, p. 354-358), le 27 mars 1792 (t. XL, p. 533-538), le 15 mai 1792 (t. XLIII p. 424-428). 80. AN, D*XVI 5, fo. 4. 81. AN, D*XVI 5, fo. 26. 82. ANOM, 87 MIOM 95, fo. 69, 3 février 1791. 83. ANOM, 87 MIOM 95, fo. 238-246, 4 mai 1791. 84. AP, t. XVII, p. 411. 85. AN, D XVI 1. 86. AP, t. XXX, p. 283. 87. ANOM, 87 MIOM 95, séance du 4 février 1791, fo. 72-78. 88. AN, D XXV 76, dos. 749, « Copies des lettres… », 25 décembre 1791 89. AP, t. XXV, p. 472-490. 90. AP, t. XXV, p. 645. 91. AN, D XXV 76, dos. 749, « Copies des lettres… », 26 février 1792. 92. Ibid., 20 mars 1792.

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93. G. DEBIEN, op. cit., p. 201. 94. AP, t. XXXVII, p. 352. 95. Marcel DORIGNY et Fabrice MATTATIA, « Gaspard Monge dans la Révolution : du ministère girondin au Comité de salut public de l’an II », Bulletin de la Sabix [En ligne], 41, 2007 ; AN, D XXV 76, dos. 750 « Registre des délibérations du Bureau de la Commission de l’assemblée coloniale de la partie française de Saint-Domingue », fo. 32, 34. 96. Jean TARRADE, « L’administration coloniale en France à la fin de l’Ancien Régime : Projets de réformes », Revue historique, no 229, mars 1963, p. 103-122.

RÉSUMÉS

Le Comité des colonies sous la Constituante incarna la « corruption » du mouvement patriote. Pourtant composé de « révolutionnaires », il fit obstacle à l’abolition de la traite ainsi qu’à l’extension des droits de citoyen actif aux libres de couleur. Son opposition farouche à l’application de la Déclaration des droits de l’homme dans les colonies en fit l’ennemi principal de « philanthropes », pourtant prudents. L’article vise à aller au-delà de cette image, à juste titre controversée, en étudiant les formes successives du Comité sous les trois premières Assemblées. On peut ainsi observer les transformations d’une institution qui s’appropria des compétences étendues pour tenter d’imposer sa politique coloniale. Loin d’être monolithique toutefois, le Comité fut le lieu d’affrontements multiples, qui opposèrent une grande variété de lobbies coloniaux, et dont le célèbre Club Massiac ne sortit pas toujours gagnant. Soucieux d’échapper aux regards de l’Assemblée mais très perméable à ces groupes de pression, le Comité constitua un lieu de débats, qui devaient néanmoins rester « en famille » - une « famille » se dissimulant derrière le paravent de l’« expertise coloniale ».

The Constituent Assembly’s Colonial Committee came to embody the « corruption »of the patriot movement. Though composed of « revolutionaries », it successfully thwarted the abolition of the slave trade and the extension of active citizenship to free people of color. Its fierce opposition to the implementation of the Declaration of Rights in the colonies made it the main enemy of the still-cautious « philanthropists », This article aims to revise this controversial image by analyzing the successive forms taken by the committee under the three assemblies. The study sheds new light on a transforming institution that managed to amass considerable power and endeavored, with greater and lesser success, to impose its own colonial policy. The committee, however, was far from monolithic: it was the site of numerous struggles among colonial lobbies, including the famous Club Massiac. Desirous of escaping the surveillance of the Assembly but very susceptible to influence from interest groups, the Committee became a site of debates. However, these debates were supposed to stay within the « family » circle—a family that concealed itself behind the screen of « colonial expertise ».

INDEX

Mots-clés : Comité des colonies, Révolution française, colonies, lobby colonial Keywords : Colonial Committee, French Revolution, Colonies, colonial lobbies

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AUTEUR

MANUEL COVO Doctorant (CENA-MASCIPO, EHESS) ATER (Centre Georges Chevrier, Université de Bourgogne)

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La Convention ou l’empire des lois Le Comité de législation et la commission de classification des lois The Empire of Laws under the Convention. The Legislation committee and the commission for the classification of laws

Annie Jourdan

1 Et si la période de l’an II était décrite en fonction de l’ensemble des lois qu’elle a promulguées ? Car des milliers de lois ont dès lors été conçues, promulguées et plus ou moins fidèlement appliquées durant la période. Une telle approche paraîtrait peut-être irréelle, voire irréaliste. Elle redresserait pourtant un équilibre quelque peu bancal, puisque depuis deux ou trois décennies, la Révolution française est très souvent dépeinte sous sa face sombre, celle des violences et des massacres, comme si elle se résumait exclusivement dans les drames sanglants qui en ont ponctué les séquences1. C’est en somme ce dont se plaignait Barère en 1836 dans une lettre à l’historien Léonard Gallois. Au « noble vengeur de la Convention nationale » qui venait de consacrer un ouvrage à cette assemblée, il rappelait : « dans cette seconde partie contre-révolutionnaire depuis le 9 Thermidor, la terreur royaliste ne vaut pas mieux que la terreur révolutionnaire, mais du moins cette dernière avait pour but la liberté et l’égalité »2. Il n’avait pas tort, en ce sens qu’une multitude de lois ont été décrétées en l’an II, qui ne touchent pas seulement à la justice pénale, mais encore à la société civile, aux secours publics et aux institutions républicaines3. A la tête de cette entreprise se trouvait notamment le Comité de législation, dont jusqu’à présent on a plutôt sous- estimé le rôle4.

Le Comité de législation

2 Baptisé Comité de législation civile et criminelle, cet important organe de la Révolution avait été créé le 13 octobre 1791 par l’Assemblée législative. Le comité avait d’abord été divisé en huit sections afin de préparer un projet de code civil et un code de procédure civile. Il succédait en somme au Comité de législation criminelle établi par la Constituante le 14 septembre 1789, aux côtés du Comité de constitution5. Modifié le 22 janvier 1790 avant de devenir durable, il resurgit donc le 13 octobre 1791, chargé

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désormais de la législation civile, et non plus seulement criminelle. Le 9 janvier 1792, le comité est définitivement réorganisé en deux sections comptant chacune vingt-quatre membres. La première prend le nom de « section systématique » et a pour mission de préparer les lois civiles et criminelles ; la seconde sous l’appellation « section des rapports » doit étudier les pétitions adressées à la Convention et en faire le rapport aux séances plénières du dit comité. Le 23 janvier suivant, une commission composée de Ducastel, Robin, Guadet et Gohier propose un plan de travail pour la section systématique, qui est aussitôt accepté. Il prévoit de diviser cette section en huit sous- sections de trois membres, chacune chargée d’une partie des réformes à venir. Dans la première, Thorillon, Charlier et Garran-Coulon travailleront sur la procédure civile de première instance et d’appel, de requête civile et de cassation relativement à tous les tribunaux en place. La deuxième section – Corbel, Gohier et Froudière – se voit confier le mariage, les enfants légitimes ou naturels, l’adoption, etc. Dans la troisième, Hua (remplacé par Bigot en mars suivant), Codet et François des Vosges s’occupent des tutelles et des curatelles. Une quatrième section (Azéma, Briolat, Guadet) est chargée des choses meubles et immeubles, des propriétés ; des servitudes et alluvions. La cinquième avec Ducastel, Laplaigne et Lesueur travaille sur la transmission des biens, les donations, testaments, codicilles, fidéicommis, substitutions. Dans la sixième, Delmas, Robin et Bournel s’intéressent aux successions légitimes et aux partages. Aux septième et huitième (Labastide, Caubère, Vimard et Ribbes, Veirieu, et de la Coste) adviennent les obligations, les contrats et les conventions matrimoniales. La législation civile est donc à l’ordre du jour, elle occupe et occupera durablement un grand nombre de députés6. De fait, durant la Législative, ce comité s’est soucié non seulement de la présentation des projets de droit constitutionnel, mais aussi de droit civil, d’organisation judiciaire, de droit criminel, de police civile et de police militaire.

3 Sous la Convention, le comité prend le nom de Comité de législation civile, criminelle et de féodalité. Ainsi était supprimé de fait le comité féodal créé par la Constituante. Le 14 octobre 1792, la Convention prend connaissance du nom des quarante-huit membres et des quatorze suppléants qui le composent. Le 10 novembre 1792, ses membres sont répartis entre une section civile et une section criminelle. S’y retrouvent notamment Lanjuinais, Garran-Coulon, Lepelletier et Philippeaux. En décembre, Cambacérès accède à la présidence, tandis que Lanjuinais est élu vice-président et que le secrétariat revient à Azéma et à Robert Lindet. Le 12 janvier 1793, nouveau remaniement. Pour la première fois, Merlin de Douai figure parmi les membres – aux côtés de Buzot, Louvet, Lanjuinais, Larivière, (Robert) Lindet, Mailhe, Saladin et Vergniaud – et bien d’autres encore, moins connus. Le 28 janvier, une nouvelle réorganisation divise le comité en 4 sections de douze membres chacune. Les trois premières sont consacrées à la législation civile ; la quatrième au Code pénal et aux changements à y apporter7. Merlin en fait partie, alors que Cambacérès figure dans la deuxième consacrée aux successions et aux enfants nés hors le mariage.

4 A la suite des journées du 31 mai et du 2 juin, la Convention doit renouveler et compléter tous les comités, exception faite du Comité de salut public qui se maintient tel quel. A l’instigation de Cambacérès qui se plaint de la surcharge de travail et insiste sur l’urgence de donner au peuple « des lois analogues au gouvernement républicain », le Comité de législation est alors divisé en deux sections. L’une composée de douze membres s’occupera de la révision du Code civil et du Code criminel et « d’en approprier les dispositions aux bases du gouvernement républicain »8. L’autre section

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sera chargée des rapports sur les affaires particulières qui lui seront renvoyées par la Convention nationale. Le 28 juin suivant, le comité renouvelé se remet au travail9. S’y retrouvent Azéma, Bar, Berlier, Bézard, Cambacérès, Charlier, Delaunay aîné, Florent Guyot, Garran-Coulon, Génissieu, Lacoste, Merlin, Oudot, Ricord10. Entre-temps, les Girondins ont donc disparu et sont remplacés soit par leurs suppléants, soit par des députés tirés au sort, tandis que s’y perpétuent les deux juristes les plus importants de la Révolution et de l’Empire. Ce sont eux aussi qui très souvent présenteront à la tribune de la Convention les lois concoctées par le dit comité, et ce, au-delà du 9 Thermidor : Cambacérès se chargeait entre-temps de ce qui touchait aux projets du Code civil et Merlin de Douai, plus particulièrement, de ce qui concernait le droit pénal et les pétitions en rapport avec ce droit. A partir du 3 floréal an II, tous deux étaient également impliqués dans le recensement et la classification des lois11.

Le comité au travail

5 Les séances du comité se tenaient en général le soir, après celles de la Convention et se prolongeaient parfois tard dans la nuit. Les projets de loi qui y étaient rédigés ne pouvaient être présentés à la Convention avant d’avoir été discutés et arrêtés dans le comité général – soit en assemblée plénière, laquelle se réunissait les mardi et samedi de chaque semaine12. Le comité avait donc pour mission de rédiger les rapports et projets de décret que demandait la Convention nationale, mais dès lors, il préparait aussi les projets de « lois générales qui pouvaient être discutées et arrêtées sans attendre la Constitution ». Lorsque celle-ci serait acceptée, il était prévu de former de nouvelles sections pour examiner les lois existantes dans leur rapport avec les bases de la constitution.

6 En août 1793, une nouvelle réorganisation réduisait le nombre de membres du dit comité. Le Comité de salut public en désigna un certain nombre en septembre suivant, auxquels s’ajouta en octobre Bézard, ce qui portait à dix-sept l’ensemble des commissaires. Les bureaux comprenaient tout d’abord huit commis. En prairial an II, leur nombre passa à dix-huit13. Après le 9 thermidor, l’ensemble fut remanié par le décret du 7 fructidor an II, lequel créait seize comités, dont un Comité de législation, composé de seize membres. Il devait surveiller les administrations civiles et judiciaires, opérer le recensement et la classification des lois, et prendre les mesures d’exécution nécessaires. Le 17 fructidor suivant, le comité précisait lui-même ses attributions. Aux projets de loi et aux affaires particulières qui lui advenaient depuis plus longtemps s’ajoutent alors les arrêtés de suspension ou de destitution des fonctionnaires publics sous sa surveillance. C’est ainsi qu’en floréal et en prairial an III, c’est au Comité de législation que sont confiées les enquêtes sur les représentants en mission et les dénonciations afférentes14. Le nombre d’affaires allant croissant, le comité est contraint de se réunir chaque soir à partir de vendémiaire an III. Durant plus d’un an encore, il poursuit sans relâche ses travaux et conçoit la plupart des lois fondamentales de la Convention, au-delà même du 9 Thermidor. L’entrée dans l’ère constitutionnelle de brumaire an IV met fin à cette carrière exceptionnelle15.

Les lois pénales du printemps 1793

7 Jusqu’au 2 juin 1793, dans le Comité de législation, Merlin et Cambacérès œuvrent donc de concert avec des hommes comme Lanjuinais, La Rivière, Louvet, Buzot, Saladin ou

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Vergniaud16. C’est dire qu’en mars 1793, quand il s’agit d’élaborer les lois du tribunal criminel extraordinaire, le Comité de législation comprend des Girondins influents, qui sont coresponsables de la mise en place des premières mesures de salut public17. Depuis le 27 février en effet, des mouvements sont perceptibles à Paris, qui inquiètent la Convention. Elle a donc demandé à son comité un projet de décret pour punir et réprimer le pillage et la provocation au pillage. Le 6 mars, Garran-Coulon du dit comité propose déjà de mettre en activité les deux sections du tribunal de Paris, afin d’accélérer la marche de la justice. Entre-temps, le comité avait projeté d’exiger la peine de fer à l’encontre de ceux qui encourageaient au pillage et la peine de mort quand celui-ci aurait eu lieu. Le 9 mars suivant, suite à la séance exceptionnelle de la Convention sur la composition et l’organisation du tribunal criminel extraordinaire, Cambacérès propose qu’il soit « formé un tribunal national révolutionnaire qui ne soit établi que pour juger des peines les coupables conspirateurs et contre- révolutionnaires ; qui ne soit établi que pour assurer la révolution et qui ne soit pas censé entrer dans le plan de l’organisation judiciaire ; que les juges de ce tribunal instruisent et jugent publiquement le procès des accusés sans jurés »18. La discussion s’engage sur ce point délicat : y aura-t-il ou non un jury ? La majorité des membres du comité pense malgré tout qu’il est nécessaire et que les jurés doivent venir de tous les départements19. En attendant leur élection, ils seront pris parmi les citoyens de Paris.

8 Depuis septembre 1792, le comité était aussi chargé de redéfinir la notion d’émigré. La loi devait porter contre « les véritables ennemis naturels, reconnus dans la classe des privilégiés », à savoir les ci-devant nobles et les prêtres qui avaient plus que quiconque à pâtir du nouvel ordre. Le comité avait arrêté que c’était à la personne elle-même à prouver qu’elle n’était pas émigrée. Quant à la définition, elle était fort simple : « toute personne qui a fui la patrie par lâcheté ou trahison »20. Le projet définitif sera arrêté bien plus tard : le 7 février 1793. Un autre problème se présente en octobre 1792 : la Convention demande à son comité de penser le mode de jugement du roi, à partir de deux bases : Louis XVI peut-il être jugé21 ? Et si c’est le cas, peut-il l’être par la Convention nationale ? Le comité répond affirmativement, à la majorité absolue des voix. A partir de novembre 1792, Cambacérès s’occupe également de l’organisation du tribunal et de la procédure civile. Début janvier, c’est le sort des enfants naturels qui retient son attention, tandis que Lanjuinais s’est vu confier le projet sur la majorité civile et politique. Quelques jours plus tard, le comité doit statuer sur les visites domiciliaires et la défense générale. Ensuite, ce sont les fournisseurs aux armées qui sont l’objet des discussions. Le 23 janvier 1793, un projet de tribunal criminel du département de Paris est jugé nécessaire, en raison de la vaste démographie de la capitale. Le 27 février, on l’a dit, la Convention demande à son comité un projet de décret afin de réprimer le pillage et l’incitation au pillage. Deux projets de tribunaux extraordinaires sont alors conçus par Lesage et par Robert Lindet, tous deux membres du Comité de législation. C’est le dernier qui l’emporte dans la séance de la Convention du 10 mars. Pendant ce temps, Cambacérès peaufinait le texte et le présentait aux membres du comité. Le 9 du même mois, il plaidait à la Convention tout à la fois pour l’organisation immédiate du tribunal révolutionnaire et l’exécution rapide des lois22. C’est à lui aussi qu’est due l’introduction de la catégorie ‘hors de la loi’ du 19 mars dans la loi contre les rebelles : « Tous les rebelles pris les armes à la main seront mis à mort dans les vingt-quatre heures »23. Une commission militaire prononcerait le jugement, sans aucune procédure criminelle et sans jury. Cambacérès ajoutait : « le projet contient des mesures sévères et il en coûte à votre comité de vous les proposer »24, mais

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les circonstances étant ce qu’elles étaient25, il le proposa malgré tout et la Convention accepta le projet avec beaucoup moins de répugnance qu’elle n’en avait manifesté le 10 mars précédent.

9 Entre-temps, deux membres du Comité de sûreté générale étaient venus consulter celui de Législation pour délibérer sur les mesures à prendre contre les étrangers résidant en France et contre les Français de séjour à Paris qui n’y avaient pas leur domicile. De même étaient poursuivis les vagabonds et les gens sans aveu26. Cette première délibération du 15 mars 1793 fut suivie le 20 par une nouvelle discussion entre les trois comités, avant que le projet ne soit porté à la Convention et arrêté le lendemain27. Trois jours plus tard une loi était proposée contre « tous les genres de prêtres et de moines qui n’auraient pas prêté serment ». Ils étaient enjoints de quitter la France et de ne pas y revenir sous peine de mort. Dans d’autres cas, ils seraient déportés à l’île Saint- Vincent28. Seuls seraient exceptés les infirmes et les vieillards. Mais le problème du jugement des contre-révolutionnaires n’était pas encore résolu. Le 5 avril, il est de nouveau à l’ordre du jour. Se pose alors la question de savoir si le tribunal extraordinaire sera ou non un tribunal d’instruction. Le Comité de législation s’accorde pour répondre par la négative.

Les multiples activités du comité

10 Depuis le 26 mars précédent, alors que la mise en activité du tribunal extraordinaire préoccupait les esprits, les membres du comité examinaient également un projet relatif à la loi qui défendait aux députés de faire des journaux. Et ils réunissaient les pièces et dénonciations concernant Marat. C’était au Comité de législation en effet qu’il revenait d’établir l’acte d’accusation contre l’Ami du Peuple. Il en fera de même pour Brissot en août suivant par l’intermédiaire de Merlin de Douai, de Guyot et de Hentz29. Le 13 avril, Delaunay a terminé le rapport relatif à Marat et conclut au bien-fondé de l’accusation, ce qui est ensuite approuvé par la Convention. L’Ami du Peuple en effet aurait provoqué au meurtre, à l’assassinat ; il aurait stimulé les violences populaires et le pillage et menacé la souveraineté du peuple en appelant de ses vœux un tribun militaire, un dictateur, un triumvir. Chaque chef d’accusation est alors successivement mis aux voix et adopté. Renvoyé au tribunal extraordinaire, Marat sera malgré tout acquitté, mais l’Assemblée nationale a commis une grave erreur en faisant arrêter un de ses membres. Elle crée un précédent, qui se retournera contre d’autres représentants. Les Montagnards se feront un devoir de le rappeler aux survivants girondins de retour après Thermidor, afin de motiver les arrestations du 2 juin et d’en minorer l’illégalité30.

11 Parallèlement aux nombreuses lois pénales contre les émigrés, les ci-devant nobles, les prêtres réfractaires, les fabricants de faux assignats, et outre celles relatives aux peines à infliger dans le cas de tentatives de crimes non consommés, le Comité de législation traite les pétitions des particuliers et les questions qui leur parviennent des tribunaux criminels des départements au sujet de telle ou telle procédure. Il tranche aussi sur l’émission de faux assignats. Pour une contrefaçon de 25 livres, le suspect recevra une peine de 6 années de fer ; de 4 années pour des assignats inférieurs à cette somme. En cas de récidive, le criminel verra ces peines doublées. Merlin de Douai se voit ainsi confiés plusieurs rapports sur les peines relatives « aux individus qui discréditent les assignats » dans les départements du Haut et du Bas Rhin31. Et surtout, sous la direction

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de Cambacérès, le comité se préoccupe du code civil. A plusieurs reprises, Cambacérès présente son rapport sur les enfants naturels, sans beaucoup de succès. Soit l’assemblée générale n’est pas au complet, soit la discussion est rapportée en raison d’autres priorités. Les premiers articles n’en seront votés qu’en brumaire an II. C’est-à-dire quelques jours seulement avant l’abandon soudain du code par la Convention, le 3 novembre 179332.

12 Dès août 1793, Cambacérès avait pourtant pensé faire voter son premier projet de Code civil. L’heure hélas n’était pas à une législation pacifiste. Devant les troubles qui se répandent dans les départements et qui font craindre une guerre civile généralisée, le 16 août, la Convention demande à son comité « un rapport sur le mode d’exécution pour la mise en état d’arrestation des personnes suspectes ». Merlin de Douai est désigné pour le rédiger. Trois jours plus tard, il présente en assemblée plénière un premier rapport qui est ajourné. Deux membres lui sont adjoints pour corriger ce texte initial et « présenter de concert de nouvelles vues sur cet objet important ». Ce sera chose faite le 29. Le projet est alors adopté et présenté à la Convention33. Le 31 août, la Convention le fait encore modifier avant de l’accepter définitivement le 17 septembre suivant. Ce décret passera à la postérité sous le nom de loi des suspects. Mais c’est dire que la question préoccupait l’assemblée depuis début août, et non seulement depuis le 5 septembre. Elle avait été soulevée par les députés des assemblées primaires, de séjour à Paris, pour l’acceptation de la Constitution et la fête de l’Unité et de l’Indivisibilité de la République du 10 août. Mais c’est dire aussi que deux des lois les plus répressives et les plus révolutionnaires – ou faut-il dire terroristes ? - ont été conçues et défendues par des hommes qui sont longtemps passés pour des modérés, voire pour des opportunistes.

De la responsabilité des légistes révolutionnaires

13 Opportunisme ou conviction sincère ?34 Car, que ce soit Merlin ou Cambacérès, aucun des deux juristes ne reniera ces textes à la chute de Robespierre35. Bien au contraire. Merlin défendra le tribunal révolutionnaire et la justice sévère et inflexible qu’il implique jusqu’à sa suppression36. Le 23 thermidor, il se fâche même qu’on veuille modifier le dit tribunal, alors qu’il s’agirait simplement d’en supprimer les abus, dus selon lui à la loi du 22 prairial. Pourtant, le 14 thermidor précédent, Merlin fulminait qu’on veuille si rapidement supprimer cette fameuse loi, car disait-il, « en vertu de quelle loi les juges exercent-ils leurs fonctions ? En vertu de la loi du 22 prairial. Or, si vous rapportez cette loi, vous n’avez plus de juges ! »37. Quant à Cambacérès, en brumaire an III, il plaide encore et toujours pour le maintien de la loi des suspects : « la loi dont on parle ici fut rédigée en très grande connaissance de cause et après un examen très approfondi… ce n’est qu’en la maintenant exactement que la Convention pourra conserver à l’ordre du jour la sévérité et la justice nécessaires aux temps où nous nous trouvons »38. Certes, lui aussi condamne les abus induits par la loi de prairial, « mais pour cela il ne faut pas détruire l’institution. Il faut les prévenir. C’est ce que fait la Convention depuis le 9 thermidor… la Convention ne doit pas permettre que la révolution rétrograde »39. Le 23 thermidor précédent, Cambacérès soutenait son collègue Merlin et ne craignait pas à cette date de faire l’éloge du gouvernement révolutionnaire, « ce palladium de la république » : « cette salutaire conception, inconnue à tous les peuples qui avant nous ont tenté d’être libres, donna bientôt à tout une face nouvelle »40. L’inflexibilité des légistes était également perceptible le 13

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ventôse an II, quand Merlin conseillait au Comité de législation de faire juger les personnes accusées de vol par le tribunal révolutionnaire – « pour ne pas laisser traîner les choses en longueur »41. Et que dire de l’intervention du 25 frimaire an III, quand, au milieu des tumultes et des protestations, Merlin se refuse fermement à ce que les Girondins proclamés hors la loi soient réintégrés ? « Avez-vous fermé les portes des Jacobins », s’écrie-t-il, « pour ouvrir celles du Temple »42 ? Ces interventions suffisent- elles à donner raison à Robert Lindet ? Dans sa défense de l’an III, Lindet en effet imputait à Merlin et au Comité de législation les « assassinats judiciaires » dont on accusait les anciens membres des Comités de Salut public et de Sûreté générale. A lire leurs rapports, ajoutait-il, on observera « par quels degrés rapides le tribunal révolutionnaire devint l’effroi de la France ». C’est qu’ils firent « augmenter chaque jour les attributions et l’activité redoutable de ce tribunal »43. A remonter dans le temps, il s’avère en effet que c’est à un rapport de Merlin qu’est due la proposition du 30 frimaire an II d’assimiler la procédure criminelle dans les départements à celle du tribunal révolutionnaire, ainsi qu’il l’avait fait antérieurement pour les tribunaux militaires44. Le 12 floréal, le Comité de législation discutait une loi proposée par Merlin, qui fut portée le 19 à la Convention. Ce jour-là, après avoir entendu le rapport du Comité de Salut public et du Comité de législation, la Convention décrétait qu’en vertu de la loi du 27 germinal, les tribunaux et commissions révolutionnaires établis dans les départements par les arrêtés des représentants du peuple étaient supprimés pour ce qui touchait aux jugements des crimes contre-révolutionnaires, lesquels seraient exclusivement du ressort du tribunal révolutionnaire45. En principe, du moins, car le Comité de salut public avait le droit d’en décider autrement, ce qui explique par ailleurs son arrêté du 21 floréal relatif à la création de la commission populaire d’Orange46.

Des mœurs et des principes

14 A suivre les interventions de Merlin, l’impression domine que ce qui lui importe, c’est que les lois soient conformes aux principes. Ceux-ci peuvent être révolutionnaires, ils n’en doivent pas moins être justes, car de la « bonté des institutions » dépendrait la garantie sociale. Le 25 fructidor an II, quand il est question de libérer les patriotes et de suspendre l’exécution des jugements ayant pour cause la révolution, Merlin rétorque qu’on ne saurait dévier des principes. Pas question en effet de libérer impunément tout citoyen : « Il y a ici une confusion d’idées qui m’étonne. Il y a trois sortes d’accusation : on peut être arrêté comme suspect pour les cas prévus par la loi du 17 septembre ; comme contre-révolutionnaire ou pour des délits dont connaissent les tribunaux criminels ». Aucun des trois chefs d’inculpation ne saurait être suspendu sans causer du tort à la loi et à la société47, concluait Merlin sur un ton tranchant qui n’avait rien à envier à celui de Robespierre. Et d’ajouter : « la république ne peut se sauver quand on déviera des principes ». Le 23 germinal an III, enfin, quand il reconçoit « les bases de l’ordre social et du bonheur public », c’est à nouveau à partir des mœurs, des principes et des lois48.

15 Le rapport du 8 nivôse an III sur le nouveau tribunal révolutionnaire illustre fort bien ce que Merlin entendait par principes et par justice, et dévoile en filigrane ce que le légiste reprochait à la loi du 22 prairial. Tout d’abord il en critique les abstractions perverses, qui rendaient vagues et indéterminés les délits contre-révolutionnaires49. Merlin se flatte d’y substituer une définition exacte et précise. Proclamer par exemple qu’était contre-révolutionnaire, celui qui « altérait l’énergie du gouvernement

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révolutionnaire », est à ses yeux aberrant, tout comme « le droit dont s’était investi un seul homme de traduire qui il voudrait au tribunal, sans en référer à qui que ce fût »50. Il condamne encore le fait qu’avait été supprimée la défense devant le jury, ce « droit naturel », palladium de la liberté publique. Et puis, l’amalgame des détenus lui est insupportable, de même que la dénomination de jurés patriotes : « à la faveur de cette abstraction, toutes les autres règles étaient anéanties ». Notamment un renouvellement régulier du jury, composé d’hommes de toutes sortes et issus de tous les départements. Il n’est pas non plus favorable à la « conviction morale » et souhaite lui adjoindre des preuves positives, sinon la loi serait par trop arbitraire. Enfin, scandale des scandales pour un homme du droit : la loi du 22 prairial avait fait disparaître la graduation des peines : « la mort, la mort, toujours la mort ! ». Le nouveau projet, selon lui, remet « tous les principes à leur place »51. Dès le 23 thermidor, sur la motion de Bourdon de l’Oise, la Convention avait de fait accepté de réintroduire la question intentionnelle52. Mais c’était tout ce qu’avait toléré Merlin à l’époque. Et c’est seulement le nouveau tribunal du 8 nivôse an III qui ajoute d’autres obstacles à l’arbitraire : il prévoit un renouvellement régulier des juges et des jurés, une graduation des peines, l’abolition du délai de trois jours pour les délibérations du jury, la communication des motifs de l’arrestation à l’accusé, la présence d’un conseil et les règles élémentaires de la procédure53.

16 Ces critiques relatives à la loi du 22 prairial dévoilent donc ce qu’en pensaient en leur for intérieur les juristes de la Révolution, et ce qu’ils n’avaient osé pleinement exprimer durant les séances houleuses des 22-24 prairial54. Sous prétexte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouvait la France, tous acceptaient l’existence d’un gouvernement révolutionnaire, sévère et énergique, doté d’un tribunal extraordinaire, mais répugnaient à l’arbitraire des lois.

17 Entre-temps le Comité de législation avait cessé de tenir à jour ses registres et procès- verbaux et surtout, il mentionnait de moins en moins le nom des intervenants et des rapporteurs55. Le 17 fructidor an II, le comité avait donc été réorganisé et ses pouvoirs accrus au détriment des deux grands comités de la Convention, et, au grand dam de Cambacérès qui continuait de plaider pour la force du gouvernement et contre l’éparpillement des pouvoirs – mais qui n’en était pas moins réélu président. Quant à Merlin de Douai, il faisait désormais partie du Comité de salut public56. Une série des archives nationales contient les derniers procès-verbaux du fameux Comité de législation des 22 fructidor an II au 22 pluviôse an III57, lesquels traitent essentiellement les pétitions de particuliers. Le 14 brumaire an III, Cambacérès disparaît de la liste des membres et le 19, c’est Bar qui devient président. Un peu plus tard, Merlin réintègre le comité et poursuit son œuvre de légiste. C’est à lui qu’est due la nouvelle loi du 18 nivôse an III contre les émigrés – loi dont il espère bien qu’elle « jettera la terreur » parmi les ennemis58. Mais il est également un des seuls à prendre la défense de Maignet contre les attaques de Rovère et consorts. A ses yeux, Maignet n’aurait fait qu’obéir à « l’infâme » comité de salut public, mené par Robespierre59.

18 Le plus surprenant sans doute est que lors des règlements de compte qui se succèdent entre fructidor an II et prairial an III, aucun des deux juristes ne fut incriminé ou accusé. Que ce soit Barère, Billaud-Varenne ou Collot d’Herbois, dans leurs défenses, jamais ils n’invoquent ni Merlin, ni Cambacérès. Leurs ennemis et accusateurs ne mentionnent pas non plus les membres du Comité de législation et leur rôle dans les lois qui leur avaient valu la prison, l’exil ou la perte d’un proche60. Le seul à citer Merlin

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et à l’impliquer dans la mise en place des lois terroristes est donc Robert Lindet, qui avait été membre du dit comité avant de passer dans celui de Salut public61. Lui-même s’était constamment préoccupé des subsistances et, ne serait-ce son projet de tribunal extraordinaire de mars 1793, avait peu contribué aux lois d’exception et aux arrêtés pris par le Comité de Salut public ou celui de législation. Cela n’empêchera pas son arrestation au lendemain des journées de prairial. Il est vrai qu’il avait constamment défendu ses collègues : Barère, Billaud et Collot62 et la politique du gouvernement révolutionnaire.

La commission de codification des lois63

19 Parallèlement à leurs tâches ordinaires, plusieurs membres du Comité de législation étaient impliqués dans la plus ambitieuse des initiatives de la Convention : la codification et le recensement des lois64. C’est l’autre face de la médaille pour ainsi dire, puisqu’y était également abordé tout ce qui avait trait à la législation civile, et non seulement la législation pénale et criminelle65. L’œuvre de la commission de codification des lois apporte un éclairage nouveau sur les préoccupations des hommes de l’an II. Elle démontre l’intérêt que les Conventionnels portaient à une mise en ordre et une meilleure diffusion des lois. Curieusement, c’est le 26 germinal an II que prend forme cette initiative novatrice, sur l’intervention de Saint-Just66. Outre des mesures de police générale contre les ci-devant nobles et les étrangers, la Convention décrète alors la nomination de deux commissions chargées de rédiger un code succinct et complet des lois rendues jusqu’à ce jour et « un corps d’institutions civiles propres à conserver les mœurs et l’esprit de liberté »67. Le premier code est donc confié au Comité de législation qui coordonne l’ensemble et crée à cet effet une commission de recensement et de classification des lois. En floréal an II, quand celle-ci se met au travail, elle constate l’existence de plus de dix mille textes, provenant des trois assemblées successives. Louis Rondonneau en est le secrétaire général et travaille sous la direction de Cambacérès, Merlin de Douai et Couthon, lesquels en sont responsables. La commission confirmée le mois suivant sur la proposition de Couthon aurait dû comprendre plusieurs sections, chacune chargée d’un domaine spécifique. Vingt-huit codes étaient ainsi prévus pour classifier, uniformiser et simplifier la législation révolutionnaire et la rendre accessible au peuple français.

Une codification sur des bases républicaines

20 L’ensemble sera rangé par ordre de matière, et par ordre chronologique, de sorte à en faciliter la consultation. Le 11 prairial, Couthon se réjouit de pouvoir remettre d’ici peu le plan général du code complet des lois : une législation uniforme « placée sur de véritables bases républicaines ». A cette date, deux mille décrets ont déjà été réunis, émargés et en partie copiés. Le 8 prairial, le procès-verbal de la séance de la commission de classification mentionnait déjà que le but de la Convention était de donner « au peuple français une législation complète »68. A cet effet, les lois en vigueur seront « reformées, achevées et rendues concordantes pour que les Français puissent avoir véritablement des lois ». Dans la séance du 26 prairial, la commission en arrête définitivement la division à venir. Trois parties sont ainsi prévues : l’organisation du gouvernement, qui comprendra la constitution et le code du gouvernement révolutionnaire ; la deuxième développera l’action du gouvernement et la troisième ses

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moyens ou sa force69. Les premiers codes livrés à la rédaction seront celui du gouvernement révolutionnaire, celui de la police, de la justice criminelle et civile. Au cours du mois suivant, le travail préparatoire est assez avancé pour que Cambacérès en présente à la Convention la teneur et l’intention70.

21 Tout d’abord, les lois doivent garantir à l’homme ses droits naturels : « c’est cette garantie qu’il est venu chercher dans les associations politiques ». L’action du gouvernement en revanche est de contenir chacun dans le cercle de ses devoirs. Par organisation du gouvernement, Cambacérès précise qu’il entend la distribution des pouvoirs : « elle donne en temps de révolution le code révolutionnaire ; et pour le temps qui suit la révolution, le code constitutionnel ». Le but du gouvernement ainsi conçu est ni plus ni moins l’ordre et la paix de la société, de même que les « droits imprescriptibles de l’homme »71. Une fois les pouvoirs organisés, il « faut en déterminer l’application et l’exercice ». C’est-à-dire leur action sur la société : règlement des relations extérieures, surveillance générale ordinaire et répression. A ces mesures qui pacifieront la société s’ajoutent encore celles relatives à la prospérité et au bonheur que l’homme est susceptible d’attendre d’un gouvernement libre. Viennent alors les codes particuliers : agriculture, commerce, sciences et arts, contributions, émigration, travaux et secours publics. La seconde partie du plan est donc consacrée aux actions du gouvernement en vue d’apporter « l’abondance et la félicité ». Et de conclure sur les moyens devant assurer le succès de l’entreprise : ils consisteraient dans l’instruction publique, la force publique et les finances. Ces moyens feront la force du gouvernement. L’ensemble devait être achevé le 1er thermidor.

22 Les archives de la commission de classification procurent d’autres informations sur les convictions des responsables. La législation y est comprise comme étant diplomatique, politique et civile. Elle se divise en lois principales et en lois réglementaires. Les premières ne doivent contenir que les principes du droit, et peut-être quelques règles de conduite72. Ce sont celles qui constituent l’Etat, tandis que les lois réglementaires concernent le gouvernement. Les premières doivent être prévues pour être de longue durée, contrairement aux secondes qui se modifient avec les circonstances. Le rédacteur – vraisemblablement Rondonneau, mais peut-être aussi Cambacérès ou Merlin – ajoutait que ces diverses législations étaient souvent contradictoires et qu’il ne fallait donc pas les confondre. La législation diplomatique en effet règle les manières d’être et les intérêts de la République avec les nations étrangères, tandis que son corollaire politique comprend toutes les lois concernant les intérêts de la République vis-à-vis des citoyens qui la composent et s’étend à l’administration, à la police, aux domaines nationaux, aux établissements, aux travaux publics etc. Inversement, la législation civile règlemente les intérêts des citoyens entre eux. Elle n’est pas moins importante, tout en étant nécessairement subordonnée à la législation politique : « l’intérêt d’un particulier doit céder devant l’intérêt général, qui est aussi le sien », concluait le rédacteur.

La mission de Rondonneau

23 Le 13 floréal, les représentants du peuple constituant la commission – Merlin, Cambacérès et Couthon – choisissent donc le citoyen Rondonneau comme secrétaire général. Il aura à sa disposition un personnel nombreux, trié sur le volet : « chaque employé doit justifier de son certificat de civisme. S’il laissait échapper le plus léger

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trait d’incivisme, il serait destitué sur le champ ». Rondonneau a prévu d’avoir à sa disposition 30 copistes, 20 secrétaires commis, 20 garçons de bureau ; 3 chefs et un secrétaire. L’ensemble devait coûter à l’Etat quelques 50.000 livres. Rondonneau, qui a du reste publié par la suite divers recueils de lois, comptait prendre pour base de son travail plusieurs collections comprenant toutes les lois publiées jusque-là : celle des décrets de Baudoin, la collection dite du Louvre ; et celle publiée sous la surveillance du ministre de la Justice73. L’idée était d’en établir l’ordre chronologique ; de mentionner en émargement la substance de chaque loi et les dispositions qui pouvaient s’y rapporter. Chaque loi serait recopiée sur une feuille détachée avant d’être « exactement collationnée » et classée par ordre de matière. Le 20 floréal est rédigé le règlement de police des bureaux. On attend des employés qu’ils s’affairent sans répit de 8 h du matin à 4 h. de l’après-midi – il leur est interdit de s’absenter « même sous prétexte de prendre leurs repas ou d’aller dans une autre division ». Le 21 messidor, un nouveau règlement spécifie que les rédacteurs rapprocheront les lois de sorte à faire connaître les interprétations, les modifications, additions ou développements. Mais ils ont également le droit d’indiquer celles qui doivent être retranchées ou de proposer « un système nouveau dans son ensemble et dans toutes les parties lorsque celui de la matière sera vicieux ou indéterminé ». Une fois par décade, ils rendront compte de leur travail74.

24 Ces détails démontrent bien à quel point les légistes de la Convention étaient pressés de terminer le travail, mais aussi combien ils souhaitaient donner à la France « un système complet basé sur les principes de liberté et d’égalité ». Toute loi positive devant reposer sur un principe du droit naturel75. Cambacérès réaffirme cette conviction le 4 brumaire an III, quand il s’indigne qu’on critique ou délaisse l’initiative, sous prétexte que Couthon y avait été impliqué. Et de rappeler que c’est Merlin et lui qui en assumaient la direction : « en quinze jours, nous avons fait le dépouillement de 14.400 décrets », rappelait-il, irrité76. Couthon, chargé du code du gouvernement révolutionnaire, semble-t-il, ne venait jamais à la commission. L’ouvrage sera poursuivi, mais seuls seront terminés par la Convention le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV, conçu par Merlin de Douai et la loi de police générale du 1er germinal an III, présenté par Sieyès au nom des trois grands comités du gouvernement77. Entre-temps, les copistes avaient pourtant bien fait avancer le travail, ainsi qu’en témoignent les minutes du gouvernement révolutionnaire78.

Le code du gouvernement révolutionnaire

25 Un des codes les plus importants est en effet celui du gouvernement révolutionnaire. Mais l’initiative n’en est pas moins surprenante : codifier un gouvernement, annoncé comme étant provisoire ne promettait certes pas sa suppression sur le court terme79. Il est vrai par ailleurs que cette codification allait en fixer définitivement les termes, en assurer une meilleure application et en sanctionner les abus. Depuis plusieurs mois, Billaud-Varenne se plaignait du reste que les lois ne soient ni exécutées ni appliquées « exactement »80. Les divers comités recevaient une importante correspondance où les tribunaux formulaient leur désarroi devant l’inflation incroyable des lois, leurs contradictions ou leur redondance. Le Comité de législation notamment était accablé de pétitions et de missives sur des cas particuliers que ne savaient résoudre les autorités impliquées81. Ainsi, un des tribunaux criminels de département demande l’avis du comité sur ce qu’il convient de faire d’un prêtre déporté retrouvé dans le

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département en question. Le comité émet son avis : renvoyer le prévenu devant le dit tribunal. Le 1er octobre 1793, par contre, quand un tribunal s’enquiert de la procédure à suivre relativement à un individu arborant la cocarde blanche, le comité décide de renvoyer l’affaire au tribunal révolutionnaire. Parfois, il donne son avis et renvoie l’affaire aux comités de salut public et de sûreté générale, à qui il appartient de trancher82. Enfin, une de ses tâches non négligeables est de prononcer sur les vices de procédure – quitte à annuler le jugement de tel ou tel tribunal. L’uniformisation des lois promettait donc de faciliter l’exécution des décrets de la Convention et de mettre fin à l’arbitraire ou à l’impunité. Sous la direction de Merlin et de Cambacérès, la commission de classification allait fixer les lois relatives aux autorités constituées, à la législation révolutionnaire, à l’administration, à la force publique et à la police et sûreté générale. Et surtout supprimer ce qui était répétitif ou contradictoire83.

26 En introduction à ce code, un des rédacteurs avait ajouté : « Le code révolutionnaire est la direction organisée de la foudre du peuple. Au moment de l’explosion il se sert de sa force et de son bras pour briser les trônes et renverser les tyrans. Cette victoire obtenue, il en cimente le succès par des lois pénales contre les ennemis de la liberté et par le supplice des conspirateurs »84

27 Le code précise : « le gouvernement révolutionnaire a la même action que le gouvernement ordinaire. Il a en outre une action qui lui est propre ». Et puis, quasi tautologiquement : « son action comme gouvernement ordinaire est réglée par les lois ordinaires ; son action comme gouvernement révolutionnaire est réglée par les lois révolutionnaires »85. La Convention y est décrite comme le centre du gouvernement et exerce exclusivement le pouvoir législatif, lequel consiste dans la confection et l’interprétation des lois. Il est donc interdit à toute autorité et à tout fonctionnaire public de faire des proclamations et de prendre des arrêtés, sous prétexte d’interpréter la loi ou d’y suppléer. Mais cela impliquait ici encore que les lois soient connues. Sur la motion de Billaud-Varenne, la Convention avait déjà accepté la création d’un Bulletin des lois, qui serait envoyé quotidiennement aux autorités constituées de chaque département. Le code révolutionnaire en prévoit la lecture publique tous les décadis. Le hasard veut du reste que le premier numéro sorte au lendemain de la loi du 22 prairial et publie cette dernière. Sa carrière n’en sera pas moins remarquable, puisqu’il se perpétuera jusqu’en 1931. Aux yeux de la Convention, ces mesures diverses devaient donc assurer le bon fonctionnement du gouvernement – qu’il soit révolutionnaire ou constitutionnel.

28 Le code précise également la distribution des pouvoirs et leur hiérarchie. Tout en haut de la pyramide se trouve la Convention ; juste au-dessous les comités qui sont responsables devant elle et doivent régulièrement lui rendre compte de leurs travaux. L’ensemble détermine les tâches de chacun et les autorités qui en sont responsables. A lire ces archives – qui collationnent donc des lois en vigueur – la Convention fait tout son possible pour que tout corps et tout individu doté d’un certain pouvoir rendent compte à une ou deux autorités supérieures. Le code du gouvernement révolutionnaire dévoile donc en premier lieu une volonté de contrôle et de surveillance. Il a à cœur d’éviter les abus de pouvoir, les injustices et la corruption. Les représentants en mission doivent ainsi rendre compte à la Convention de leurs opérations. Ils sont personnellement responsables des arrêtés qu’ils ont pris et sont tenus de se conformer à ceux du Comité de salut public. Il ne leur est pas non plus permis de lever des taxes révolutionnaires sans la permission de la Convention86. Qui plus est, il leur est demandé de se manifester au Comité tous les dix jours. Leurs suspensions ou remplacements de

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personnel sont susceptibles d’être révoqués par ce même Comité. Tous enfin, en mission ou à Paris, sont comptables à la nation de l’état de leur fortune depuis la Révolution. Les commissaires auprès des armées ont plus de liberté. Ils sont autorisés à prendre les mesures de salut public que les circonstances « peuvent nécessiter ». Leurs pouvoirs en fait sont illimités – à charge de les motiver a posteriori, surtout en cas d’échec. Les corps constitués, les agents nationaux et tous les fonctionnaires publics sont donc placés sous l’inspection immédiate du Comité de Salut public. Les districts, par exemple, sont tenus de rendre compte tous les six jours de l’exécution des lois révolutionnaires, notamment de leurs tâches de surveillance. Les ministres eux-mêmes sont responsables devant le Comité de salut public – notamment ceux de la Guerre et de la Marine. Ils ne peuvent promouvoir ou destituer des officiers généraux sans en avoir présenté la liste au dit comité. Quant aux agents nationaux, qui allaient remplacer les procureurs syndics de département, leur nomination est vérifiée par le district avant d’être contrôlée par la Convention. Leur tâche consiste à parcourir leur arrondissement pour vérifier que les lois sont bel et bien exécutées.

29 Depuis le 25 septembre 1793, le Comité de salut public revendiquait seul cette dénomination. Les autres comités dans les sections et les départements porteraient le nom de comité(s) de surveillance87. Les lois des 31 août et 17 septembre 1793 avaient permis à ces comités de surveillance de dresser la liste des gens suspects de leur section, de décerner contre eux un mandat d’arrêt et de faire apposer les scellés sur leurs papiers. Le Comité de sûreté générale est quant à lui chargé de la police générale et intérieure. Lui aussi doit rendre compte à la Convention de ses opérations. Inversement, c’est à lui que s’adressent les comités révolutionnaires, chargés de la surveillance ou de la poursuite des suspects, de l’examen des certificats de civisme, du registre des offrandes et de l’application des mesures révolutionnaires arrêtées par les deux grands comités du gouvernement. S’ils arrêtent préventivement, il leur faut inscrire les motifs sur un registre88. Les présidents des comités de surveillance et des comités révolutionnaires correspondent obligatoirement tant avec le Comité de sûreté générale qu’avec le district qui les surveille. A Paris, les comités révolutionnaires communiquent directement avec le dit comité – afin que « la police n’éprouve aucune entrave »89. A la fin de chaque mois, ces comités révolutionnaires envoient l’analyse de leurs délibérations et de leur correspondance à l’organe qui est chargé de les surveiller immédiatement. Leurs président et secrétaire doivent être renouvelés tous les 15 jours et ne peuvent être réélus qu’après un mois d’intervalle. Le code précise bien qu’ils ne doivent inclure aucun noble, ni prêtre non-marié. Last but not least, le Comité de sûreté générale est le seul habilité à élargir les citoyens arrêtés.

30 Du sommet à la base de la pyramide, un quadrillage minutieux encadre donc le personnel révolutionnaire. S’il avait eu le temps de fonctionner effectivement avant Thermidor, sans doute les abus qu’il y a eu à déplorer auraient-ils progressivement régressé. Mais c’est dire malgré tout que la Convention était consciente de la nécessité d’un contrôle sévère des nombreuses autorités et fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre le système90. De sa part, rien n’est laissé au hasard – sur papier du moins91. Aux tâches imparties aux diverses autorités s’ajoutent du reste les peines que celles-ci encourent en cas de négligence ou d’inexécution des lois : selon les cas, une suspension du droit de citoyen pendant trois ou quatre ans et une amende du quart ou du tiers des revenus. Mais c’est dire aussi l’immensité des tâches imparties aux deux ou trois grands comités du gouvernement, qui doivent contrôler l’ensemble des corps constitués, les divers comités populaires et les représentants en mission, sans oublier la

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correspondance incroyable qu’implique ce contrôle. Tâches gigantesques dont on peut se demander si elles ont toutes été assumées pleinement et qui expliquent sans nul doute les « bavures » d’un régime qui est entré dans la postérité comme terroriste.

31 Le gouvernement révolutionnaire se ressentit du 9 Thermidor, sans qu’il ait été pour autant jugé nécessaire de le supprimer. Bien au contraire, puisque, dès le 17 thermidor, le Comité de législation faisait parvenir un projet précédé d’une déclaration des principes du gouvernement révolutionnaire, « pour servir de garantie aux droits et à la liberté du citoyen ». Projet apprécié du « bon docteur » Lanthenas qui se félicite des mesures nouvelles. Le projet en question spécifie que le gouvernement révolutionnaire consiste dans « la centralisation de tous les moyens de défense de la République contre ses ennemis extérieurs, et de tous ceux de vigilance et de force contre ses ennemis du dedans », de même que dans « l’organisation prompte de tout ce qui peut sauver et renforcer la république ». Les rédacteurs précisent bien que ce n’est point là une dictature, mais l’emploi de toutes les forces, le dévouement de tous les citoyens et de tous les bras au salut de la patrie – ce qui suggère que sont réquisitionnés l’ensemble des Français, ce qui est vrai, on va le voir. La forme donnée au gouvernement révolutionnaire est ensuite motivée par les circonstances périlleuses auxquelles la France est exposée. Au centre de ce gouvernement se trouve une fois encore la représentation nationale : « le centre de l’opinion publique, de la morale et de l’instruction républicaine ». Quiconque tentera de l’avilir, sera « réprimé avec […] vigilance et puni avec […] sévérité »92. L’expérience récente permettrait, selon les auteurs, de corriger ce qui y était défectueux, de rendre à la représentation nationale l’unité de sentiments et d’action que les factions lui avaient ravie. Un des principes fondamentaux stipule que « tout moyen était bon quand on y coopérait de bonne foi », puisque c’était pour établir la liberté. Enfin, les institutions républicaines contribueraient à rétablir l’union et à préparer la paix et la prospérité. Ces institutions – morale républicaine et instruction publique – sont décrites alors comme les moyens du gouvernement révolutionnaire. De fait, plutôt que de formuler des principes, les douze articles de la déclaration rédigés par le Comité de législation cherchaient à perpétuer le gouvernement révolutionnaire, tout en le dissociant de ses antécédents « terroristes ». La nuance était subtile et le texte guère convaincant, ce qui n’était sans doute pas son objectif premier.

Contrôle et surveillance

32 La justice participe évidemment du gouvernement révolutionnaire. Le code prévu s’en souciait donc au plus haut point et remettait de l’ordre dans toutes les lois décrétées jusque-là. Notamment les grandes mesures pénales de la Convention de mars et d’avril 1793, quand avaient été créé le tribunal criminel extraordinaire et proclamée la peine de mort pour crime contre-révolutionnaire93. La section des peines reprend donc ces lois antérieures, les réunit et les ordonne. Les copistes et les secrétaires semblent du reste avoir eu du mal à concevoir un ordre satisfaisant. Le plus souvent, les minutes du code réunissent côte à côte des décrets qui ne sont ni forcément complémentaires, ni forcément compatibles. Ainsi au décret sur le jugement du tribunal révolutionnaire sans recours au Tribunal de cassation succède un article sur les autorités constituées qui sont toutes soumises à l’inspection immédiate du Comité de salut public, tandis que les personnes privées le sont au Comité de sûreté générale. Autre exemple de lois cette fois quelque peu contradictoires. A l’article qui contraint les femmes à arborer la

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cocarde tricolore succède un article qui proscrit toute tentative pour obliger « les citoyens de se vêtir d’une manière particulière »94. Personne ne parut s’apercevoir de la contradiction.

33 L’essentiel des articles quoi qu’il en soit concerne ici encore la surveillance et le contrôle des autorités. Ainsi un article sanctionne-t-il les abus d’autorité et la prévarication des fonctionnaires par cinq ans de fer et des confiscations ou amendes. Un autre leur interdit de faire des proclamations, de prendre des arrêtés ou d’interpréter ceux qu’ils reçoivent. Une section spéciale concerne l’agriculture et les précautions à prendre pour que le peuple ne manque pas de pain. Les grains eux- mêmes sont surveillés et recensés. Le 4 mai 1793, une première loi sur le maximum a déjà été décrétée, tandis qu’en août suivant, la Convention publie une liste des produits de première nécessité qui ne doivent pas quitter le territoire de la République. De même les ouvrages d’orfèvrerie et de joaillerie en or et en argent sont interdits d’exportation95. Parmi les autres sections du code se retrouvent les finances et les fonds publics. Une fois encore, la Convention a arrêté qu’aucune taxe, aucun emprunt forcé ou volontaire ne pourrait être levé sans un décret approuvé par elle. Il est de même interdit aux autorités de disposer des fonds publics ou d’en changer la destination sans autorisation. Quant aux taxes, elles sont progressives et peuvent s’élever à plus de 50 % quand les revenus sont élevés. Ainsi pour un revenu de 11.000 livres, elles se montent à 6500, alors qu’un revenu de 1500 livres n’en rapporte que 100 à l’Etat.

34 Parmi les mesures révolutionnaires recensées par Rondonneau, celles relatives à la réquisition apparaissent comme extrêmement importantes. La France tout entière en effet est appelée à participer96 : les jeunes citoyens ensemencent les terres et s’occupent de la mouture des grains ; les imprimeurs et les ouvriers fabriquent ou réparent les armes ; les hommes mariés forgent les canons ; les femmes font les tentes et les habits, et servent dans les hôpitaux ; les enfants mettent le linge en charpie ; les cordonniers consacrent leur temps à faire des souliers pour les soldats ; les savants inventent des moyens pour améliorer l’armement et les balles ; les artistes enfin sont réquisitionnés, tout comme la gendarmerie, chargée de traquer les déserteurs. Bref, « jusqu’au moment où les ennemis auront été chassés du territoire de la République française, tous les Français, conformément à la loi du 23 août 1793 restent en réquisition permanente »97.

35 Pour compenser la suppression des armées révolutionnaires arrêtée le 14 frimaire an II, un décret stipule également la formation d’une garde dans chaque grande ville choisie parmi les citoyens les moins fortunés, lesquels seront armés et salariés aux frais de la République. La section « des suspects » n’est pas moins intéressante. Elle comprend six catégories98. Les comités de surveillance sont censés les rechercher et les dénoncer aux commandants de la force publique qui les arrêtent. Néanmoins, et cela prouve une fois de plus la prudence de la Convention, pour décider de l’arrestation d’une personne, les membres du comité en question doivent être sept au minimum et ne prendre une décision qu’à la majorité absolue des voix. Les comités de surveillance sont sommés du reste d’envoyer au Comité de sûreté générale l’état des personnes qu’ils auront fait arrêter avec les motifs de l’arrestation et les papiers qu’ils auront saisis. Qui plus est, « ceux qui auraient agi par rancœur ou vengeance » seront dénoncés au Comité de sûreté générale et punis en conséquence.

36 Le décret du 23 ventôse avait également prévu la création de six commissions populaires « pour juger promptement les ennemis de la Révolution détenus dans les

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prisons »99. Deux sont créées en floréal. Les autres ne verront pas le jour, puisque la loi n’est réactualisée que les 4 et 6 thermidor. Quelques jours plus tard, l’institution elle- même sera condamnée, car associée à Saint-Just qui en avait pris l’initiative. Elle vaut cependant la peine d’être notée, car elle confiait aux simples citoyens une partie non négligeable de la police. Parallèlement aux comités révolutionnaires et aux comités de surveillance qui étaient l’œil de la vigilance, les deux commissions populaires dites du Museum poursuivaient les suspects et examinaient qui était ou non passible d’arrestation. Une fois cela découvert, elles envoyaient les détenus au tribunal révolutionnaire et faisaient parvenir leurs décisions aux Comités de salut public et de sûreté générale qui y apposaient leur visa. C’est dire que les deux comités qui avaient présidé à leur création avaient pris des précautions afin que les suspects soient jugés promptement, mais non précipitamment. Une troisième disposition leur prescrivait de présenter les tableaux des patriotes arrêtés100, pour qu’on pût en ordonner la mise en liberté définitive. Les commissions populaires jugeaient non seulement les détenus de Paris, mais aussi ceux de tous les départements, ainsi que le stipulait la loi du 27 germinal101. Leurs activités étaient si intenses qu’au lendemain de Thermidor, elles seront soupçonnées d’arbitraire et supprimées en conséquence.

37 Une troisième commission populaire avait été établie à Orange pour accélérer les jugements des suspects du Vaucluse. Mise en activité le 15 prairial sur un arrêté du Comité de salut public du 21 floréal102, elle s’avéra en vérité peu respectueuse des lois votées à Paris. Le 12 messidor, en effet, un agent de la Convention écrivait pour s’en plaindre, que sur douze suspects, neuf seulement étaient condamnés à la peine capitale, deux ayant été déportés et le dernier mis en détention. L’agent, Agricola Nouveau, dénonçait ce fait comme contraire à la loi du 22 prairial, laquelle ne connaissait plus que la peine de mort103.

38 La législation révolutionnaire était donc en partie entre les mains de simples citoyens auxquels étaient confiées la surveillance, la recherche et la poursuite. C’était impliquer le peuple dans la révolution et lui confier de vraies responsabilités, mais c’était aussi courir le risque de trop d’indulgence, ou inversement, de trop grande sévérité. C’était sans doute encourager les vengeances personnelles et favoriser l’assouvissement d’intérêts privés. Les comités de la Convention en étaient conscients, mais avaient-ils réellement les moyens d’y remédier ? Les lois tendaient certes à y pallier. Encore devaient-elles être fidèlement exécutées et surtout bien diffusées. Les abus constatés - pour le meilleur et pour le pire104 - semblent bien prouver que le système était loin d’être parfait.

Une société juste et équitable

39 Outre le code révolutionnaire, la commission de classification des lois conçoit donc des codes divers, touchant aux diverses facettes de la société. Celui des secours publics est assez avancé en floréal, quand Barère en fait un long rapport à la tribune105. Il est ainsi prévu de donner des secours aux familles des défenseurs de la patrie, aux citoyens acquittés par le Tribunal révolutionnaire, mais aussi aux orphelins, infirmes, vieillards et démunis106. Pour les recenser, des commissaires de la Convention ont alors pour tâche de faire accélérer la confection des rôles exigés par la loi du 4 mai 1793 pour ces secours – qui s’élevaient de 25 à 60 livres par an107. Le 8 messidor suivant, il est même question de la formation d’un livre de bienfaisance nationale qui comprendrait non seulement des secours pécuniaires, mais aussi des secours à domicile. Ce genre de lois

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fait partie de ce que les contemporains appelaient les lois démocratiques. Elles suggèrent une volonté d’améliorer le sort des pauvres et de récompenser les patriotes pour leurs sacrifices, et, dans le même temps, elles visent à souder les intérêts populaires à la Révolution108.

40 Quant aux autres codes, ils n’ont pas été achevés en l’an II109. Pour la plupart, les matériaux sont restreints et les dossiers se limitent souvent à l’organisation générale. C’est ainsi que le code de l’émigration contient 13 pièces, concernant les travaux du bureau des dettes des émigrés du département de la Seine, et des lettres et des documents relatifs à la dite liquidation110. Celui des travaux publics comprend un rapport sur l’organisation des bâtiments publics, le plan général d’un code, de même que des décrets et plusieurs titres, analyses et commentaires sur le sujet. Le code militaire se compose des listes et analyses des décrets sur la cavalerie, les chasseurs, les dragons et les hussards. Il inclut les rapports et les projets sur la législation militaire, les conseils de discipline et la police. Y sont adjoints les tableaux des mouvements des armées. Y figure également tout ce qui concerne « les gendarmeries nationales » à partir de leur organisation de 1790-1791111. Dans un dossier des archives du Comité de salut public sont également mentionnés les chapitres de plusieurs projets112 : le code des administrations civiles confié au citoyen Duvallon comprendrait les corps administratifs, les municipalités, la division, les biens communaux et les élections. Le code des sciences exactes engloberait les inventions et recherches scientifiques, les arts mécaniques, les usines, les filatures et les manufactures. C’est que, disait Barère à la tribune un beau jour de septembre 1793, « Paris a perdu une population d’aristocrates. Il faut le peupler de savants »113. Le commerce n’était pas non plus négligé : le code, qui y était consacré, mentionnerait ainsi les lois sur la liberté intérieure, les exceptions en matière d’exportations, le maximum et les lois contre les accapareurs ou les délits en la matière. Le code des travaux publics, qui revenait à Rondelet, inclurait les édifices nationaux, les lois sur les monuments publics et les peines appliquées à quiconque dégraderait les monuments des arts. Le plus exhaustif se trouvait être le code criminel, attribué au citoyen Cordier, qui se composerait de dix-huit chapitres114.

41 Les travaux étaient donc vastes et fastidieux, ce qui explique leur achèvement sur le long terme seulement. Plusieurs des codes seront en effet poursuivis soit par le Directoire, soit par Napoléon, qui, sur ce point également, était bien l’homme de son siècle, puisque lui aussi désirait codifier l’ensemble des lois, qu’elles soient civiles ou criminelles, commerciales, militaires ou judiciaires115. Ici encore, c’est Louis Rondonneau qui en assure la publication – et peut-être même la rédaction. Mais cela prouve avant tout l’intérêt et le sérieux que manifestait la Convention relativement à la mise en ordre des lois, nécessaires à la reconstruction de la France, alors même qu’elle affrontait les puissances de l’Europe.

Les lois démocratiques

42 Parallèlement aux codes, un document anonyme des archives du Comité de salut public recense les lois démocratiques votées par la Convention116. Celles-ci constituent en somme le troisième volet du triptyque – puisque triptyque il semble bien y avoir. Elles sont autant de preuves du souci pressant des représentants de pourvoir aux besoins du peuple et à sa sécurité. Les dates mentionnées témoignent bien que l’époque montagnarde tenait à en revendiquer la paternité. La première loi recensée date en

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effet du 4 juin 1793. C’est celle qui accorde des pensions alimentaires et des secours aux veuves de militaires morts aux combats ou par suite de blessures. Suivent en juin le décret qui détermine le mode de partage des biens nationaux ; celui qui abolit la loi martiale ; celui qui fixe le montant117 des récompenses nationales données aux défenseurs de la patrie et qui organise les secours à fournir annuellement aux enfants et aux vieillards ; qui accorde des pensions de retraite aux militaires blessés dans les combats et qui établit dans chaque département une maison de secours destinée à recevoir les pauvres, les infirmes ou les aveugles des deux sexes. En juillet, est décrétée la suppression sans indemnité de toutes les redevances ci-devant seigneuriales, des droits féodaux censuels et de ceux qui avaient été conservés par le décret du 28 août 1792. Le 14 août suivant, il est arrêté des indemnités pour les citoyens qui auraient éprouvé des pertes suite à l’invasion des ennemis et le 19 août des indemnités pour ceux qui seraient chargés d’enfants abandonnés.

43 Le mois de septembre est plus favorable encore aux démunis. Le 9, la Convention accorde quarante sous aux citoyens indigents pour assister aux assemblées de leur section ; le 10, elle ordonne que les citoyens dans un besoin pressant de grains puissent s’en faire prêter par les greniers de la république de leur arrondissement ; le 11, c’est le décret sur le maximum qui sera fixé pour les objets de première nécessité le 29 septembre suivant. Le ministre de l’Intérieur recevrait trois millions pour faire diminuer l’effet des accaparements et le prix des denrées. Le 13, une loi est votée permettant d’acquérir « des biens d’émigrés à concurrence de 500 livres en faveur de ceux qui n’ont point eu partage des biens communaux », les dits biens payables en vingt ans sans intérêt. Les acquéreurs de biens nationaux obtiendraient une prime s’ils se libéraient avant échéance. Le 16 septembre, une autre loi chargeait les municipalités de faire cultiver les terres des défenseurs de la patrie. Le 19, un décret accordait des secours aux patriotes des Tuileries et environs pour les pertes éprouvées lors du 10 août.

44 En octobre, était réglée l’interprétation de l’article du 10 juin sur le mode de partage des biens communaux. Les acquéreurs de biens de la liste civile étaient autorisés à payer moitié en inscription sur le grand livre et moitié en assignats le prix de leur acquisition. Un décret portait sur l’extinction de la mendicité ; un autre stipulait que le défaut de paiement des amendes prononcées par la police correctionnelle entraînerait une détention des personnes insolvables qui ne dépasserait pas un mois. Durant ce même mois, la pêche du maquereau et du hareng était permise à tout Français, tandis que des écoles allaient être ouvertes dans « toute la république à raison de la population ». Des articles additionnels de brumaire an II complétaient cette loi favorable à l’instruction publique. Ce même mois était déclaré nul tout jugement sur les procès intentés relativement aux droits féodaux ou censuels, fixes et casuels, abolis sans indemnité et rendus postérieurement à la loi du 28 août 1792. De nouvelles indemnités étaient décrétées pour venir au secours de ceux qui avaient souffert des intempéries, des incendies ou autres accidents, de même que les familles qui avaient pâti des massacres du Champ de Mars, tandis qu’étaient adoptés plusieurs articles du code civil, relatif aux enfants nés hors du mariage.

45 Durant le mois de frimaire se décèle un même souci de porter secours aux démunis et de démanteler tout ce qui reste de la féodalité. S’y ajoute l’abolition de toutes les procédures instruites et de tout jugement rendu sur des faits relatifs aux insurrections populaires concernant le prix des denrées, sans oublier le nouveau décret du 29

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frimaire sur l’organisation de l’instruction publique. Le mois de nivôse suivant augmente d’un tiers les secours et indemnités réservés aux défenseurs de la patrie et à leur famille et confirme l’exécution de la loi sur les secours publics. Une autre précise que les acquéreurs de biens nationaux auront dix ans pour achever le paiement en remboursant le dixième chaque année. La Convention demande également l’accélération de l’exécution de la loi pour que les terres des défenseurs de la patrie soient cultivées, et exige par ailleurs que toutes les communes de France plantent des pommes de terre. Le 28 nivôse est arrêté un décret sur les difficultés rencontrées dans l’application des lois sur les ci-devant droits féodaux. Au mois de ventôse sont votées les fameuses lois qui ordonnent le séquestre des biens des personnes détenues et reconnues ennemies de la Révolution et l’établissement par les communes d’un état des patriotes indigents auxquels sera donnée une propriété « sur les lieux des ennemis de la Révolution ». Aux citoyens blessés en défendant la patrie serait également accordée « une portion de terre assez considérable pour élever leur famille ». Parallèlement étaient fixés les salaires dus aux instituteurs et aux institutrices des petites écoles. Les 14 et 16 ventôse, enfin, une nouvelle somme de vingt millions était mise à la disposition du ministre pour être répartie entre les citoyens ayant éprouvé des pertes par l’invasion et le ravage des ennemis et cinq cent mille livres leur étaient ajoutées pour venir au secours des citoyens infirmes et incapables de travailler. La liste des lois démocratiques s’achève au 16 ventôse, quatre mois et demi avant Thermidor118 et ne comprend pas donc l’ensemble des lois votées par la Convention, notamment celle du 22 floréal sur les moyens d’extirper la mendicité et les secours à accorder aux indigents119 ou celle du 19 prairial qui accorde des secours aux patriotes étrangers, réfugiés en France120. Le 13 prairial, la Convention désirait déjà accélérer la distribution des secours publics, dans le même temps où elle décrétait la création de l’Ecole de Mars. Le 16, elle s’intéressait à l’uniformité de la langue française et décidait de faire rédiger une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau. Tout comme les codes entrepris depuis germinal an II, cette liste - non exhaustive - témoigne avant tout des préoccupations multiples de la Convention qui ne se limitaient donc nullement à la répression ou à la surveillance. Des institutions diverses et variées faisaient leur entrée dans le paysage de la France révolutionnaire, dont allaient hériter le Directoire et le Consulat, qui orienteraient cependant la législation sur une voie moins humanitaire.

46 D’une part, le gouvernement était donc révolutionnaire jusqu’à la paix, et il exigeait une activité de tous les instants et de tous les Français, doublé de la poursuite et de la punition des ennemis de la Révolution ; d’autre part, il y avait des récompenses, des indemnités et des pensions ; des prix équitables pour les objets de première nécessité ; des promesses de prospérité pour les démunis ; mais encore des écoles, des monuments, des fêtes, des inventions, des concours, et des lois en faveur de l’agriculture et du commerce121. La codification entreprise préparait bel et bien la rentrée de la France dans l’ère républicaine. Ce n’était pas là une vague utopie robespierriste, mais des mesures pensées et mises en œuvre par les légistes des divers comités et commissions, et même si la législation n’était pas toujours fidèlement appliquée par les autorités départementales122. A voir cette boulimie d’activités, force est de donner une fois encore raison à Barère, qui regrettait la mauvaise réputation de la Convention, dont « tous les travaux ont été méconnus, toutes les intentions calomniées, tous les bienfaits empoisonnés et presque tous les résultats anéantis »123. Et il est vrai que l’œuvre positive et constructive de la Convention a été éclipsée dans les

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mémoires par celle que, depuis Thermidor an II, il a été convenu d’appeler la Terreur. De cela, les Thermidoriens sont pour une grande part responsables124.

47 S’intéresser aux divers comités et commissions permet de mieux comprendre l’incroyable complexité du système mis en place par la Convention125 et partant, la Révolution elle-même. Il s’avère ainsi que les lois civiles et pénales étaient conçues par des juristes éminents, tels que Cambacérès et Merlin de Douai, qui fulminaient du reste quand Saint-Just et Robespierre s’accaparaient ces prérogatives, que ce soit lors du décret du 23 ventôse, de l’arrêté du 21 floréal ou de la loi du 22 prairial. Cette approche rend donc leurs pleines responsabilités à des personnages jugés secondaires, qui n’en pesaient pas moins sur les décisions et sur le cours de la Révolution – laquelle ne s’est identifiée à Robespierre qu’un temps seulement126. Elle témoigne encore de ce que la législation n’était ni bâclée ni confinée entre les mains des « idéologues »127, si l’on me permet l’anachronisme, mais qu’elle était amplement discutée et étudiée avant d’être définitivement proclamée128. La fameuse loi des suspects du 17 septembre 1793, inspirée du projet de Merlin du 19 août précédent en est un exemple éloquent, tout comme celle du Tribunal révolutionnaire qui donna matière à bien des débats et à plusieurs projets. Un autre exemple pourrait être la rédaction de l’acte d’accusation contre Brissot, rédigé par trois membres du Comité de sûreté générale, assistés de trois membres du Comité de législation – Merlin, Hentz, Guyot129. La correspondance du Comité de législation démontre encore que bien des autorités départementales cherchaient sincèrement à suivre les ordres du gouvernement et qu’elles s’adressaient souvent en haut lieu afin de ne pas faire d’erreurs. Elle démontre encore que les cas particuliers étaient traités avec soin et les décisions jamais prises à la légère130. Last but not least, l’examen des textes décrétés par la Convention et conçus par le Comité de législation et la commission de classification des lois dévoile que législations civile et pénale marchaient de concert et que l’une et l’autre étaient inséparables131. La codification entreprise depuis germinal an II préparait l’entrée en république démocratique de la France. Et cette législation portait non point sur la répression en tant que telle, mais avant tout sur la surveillance et le contrôle des citoyens et des autorités. Parallèlement, elle construisait une société juste et équitable, qui devait récompenser les patriotes des sacrifices faits à la patrie132. De ce point de vue, il est difficile d’y percevoir une terreur véritable, à moins d’interpréter les lois coercitives exigées par les circonstances comme telles133. Des lois fondées sur les droits de l’homme, et, rappelons-le, conçues et décrétées pour la plupart par des légistes, connus et reconnus, et non seulement par Couthon, Saint-Just et Robespierre134.

NOTES

1. Seuls les historiens du droit abordent cette facette de la Révolution, mais fondent le plus souvent leur interprétation globale sur celle des historiens de la Révolution. Notamment sur les ouvrages dits révisionnistes, qui demandent pourtant à être revus et corrigés, parce qu’ils méconnaissent le contexte, les précédents français ou étrangers, et la rhétorique propre à l’époque. Sur les dangers à méconnaître la réalité beaucoup plus complexe, où s’entremêlent

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stratégies rhétoriques, contraintes discursives et visées idéologiques, voir P. CAMPBELL (ed.), The Origins of the French Revolution, Palgrave, 2006, p. 7-9. Notamment l’article de Marisa LINTON, « The Intellectual Origins of the French Revolution », p. 139-159. 2. Il ajoutait « Vous avez compris l’œuvre politique de la Convention, dont le malheur fut de n’être pas entendu et de parler une langue non comprise, ce qui la força à prendre des mesures rigoureuses ». Mss. No.144. Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Léonard Gallois écrivait alors une Histoire de la Convention par elle-même en 8 volumes (Paris, 1836-1848). Pour une première tentative de réhabilitation du gouvernement conventionnel, voir le Journal des Hommes libres, Messidor an VII, no.8, p. 32. 3. Etrangement donc, la législation révolutionnaire a été très peu étudiée. Françoise Brunel pourtant insistait bien sur cette facette de la Révolution, sans s’intéresser du reste au Comité de législation ou à la codification et sans focaliser sur les détails. Voir Thermidor. La chute de Robespierre, Bruxelles, 1989, p. 45 et p. 61-64. Inversement, Carla Hesse a bel et bien consacré des études aux lois révolutionnaires et à leur prolifération, mais pour se concentrer sur les lois pénales et la série W des Archives nationales, ce qui évidemment l’incite à conclure sur le caractère éminemment répressif de la législation révolutionnaire. « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », Annales HSS, vol. 4, 2002, p. 915-933. Les tables ou répertoires publiés par les contemporains suggèrent tout autre chose et nous y revenons plus loin. Voir la Table générale alphabétique et raisonnée des matières contenues dans le répertoire de jurisprudence et dans le recueil alphabétique des questions de droit de M. Merlin par L. Rondonneau, Paris, 1829 ou Répertoire des lois et des arrêtés du gouvernement de 1789 à l’an XI par ordre alphabétique, chronologique et par classement de matières de Guillaume Beaulac, Paris, 1804. 4. Dans un article de fond, Georges Bourgin s’en plaignait déjà dans « Le Comité de législation », Nouvelle Revue historique du droit français, t. 35, 1911, p. 624-648. 5. Pierre LASCOUNES ET ALII, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Paris, 1989, p. 97-102. Voir aussi Archives parlementaires, 1e série, t. 8, p. 641. Ce premier comité comprenait de Beaumetz, Fréteau, Tronchet, Le Berthon, Thouret, Target et Lally-Tolendal. 6. Un chapitre succinct est consacré au Comité de législation dans Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible code civil, Paris, 1992, p. 115-122. Voir aussi Philippe SAGNAC, La législation civile de la Révolution française. Essai d’histoire sociale, Paris, 1954. 7. La première se concentre sur les conventions matrimoniales, l’administration des biens des époux, les droits respectifs des époux, les tutelles, les curatelles, et sur l’autorité paternelle. La deuxième présentera des lois sur les successions directes, sur les enfants nés hors du mariage, l’adoption et les successions collatérales. La troisième se consacre aux donations, testaments, substitutions, moyens d’acquérir et de conserver. Quant à la quatrième, elle est vouée aux conventions, obligations, hypothèques, rentes, restes de la féodalité, et aux changements à faire au code pénal. AN- D III 380. 8. Archives parlementaires, 1e série, éd. J. Madival & E. Laurent, Paris, 1867, t. 66, p. 4. 9. Sur Merlin de Douai, voir Hervé LEUWERS, Un juriste en politique. Merlin de Douai, Arras, 1996, p. 75. 10. Sur ces détails, A. DEJACE, Des règles de dévolution successorale sous la Révolution, E. Bruylast, LGDJ, 1957, p. 280-282. Informations que je dois à Anne Simonin, que j’ai plusieurs fois consultée et que je remercie en conséquence. Elle aussi s’intéresse à la législation. Voir le dossier « Regards croisés : Si l’on parlait de république », AHRF, n° 364, 2011, p. 211-238. En particulier, p. 219. 11. AP, t. 89, p. 169. 12. AN D III-380. 13. Georges BOURGIN, op. cit., p. 634. En prairial an II, il y avait trois sections avec dans chacune un chef, un sous-chef et trois commis.

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14. Un nombre important de cartons d’archives est consacré à ces dénonciations et aux dossiers des représentants en mission, de même qu’aux observations des membres du comité. Ces poursuites s’amorcent donc après la réinsertion des Girondins dans la Convention et les journées de Germinal et de Prairial. AN-D III 343-358. 15. G. BOURGIN, p. 640-641. 16. Aux côtés de Berlier, Garran-Coulon, Bézard, Génissieux, Lacoste, Oudot, Florent Guyot, Charlier, Azéma et Bar. 17. De même, la création du Comité de salut public du 6 avril 1793 se fait d’après le rapport d’Isnard, membre du Comité de défense générale. Voir AN- AF II * 45. Procès verbaux du Comité de Défense générale. 18. Les procès-verbaux des séances sont consignés dans la série AN D III* 54-58 – non paginée. 19. Ces discussions ont donc lieu avant que le débat ne se déplace vers la Convention. Or, dans le Comité de législation, les décisions sont souvent peu contestées. Les procès-verbaux en tout cas ne reproduisent pas les dissensions – contrairement à ceux de la Convention. La question du jury sera également discutée à la Convention dans la séance du 10 mars, mais ce qui frappe ici, c’est que, dès cette date, Cambacérès proposait qu’il n’y en ait point. 20. AN D III-380. 21. AN D III* 54. 22. Voir les discussions les 9 et 10 mars dans AP, t. 60, p. 59-71. Les deux séances furent houleuses. La seconde dura 8 heures d’affilée ; reprit le soir à 7 h.45 et se termina à 4 heures et demi du matin. 23. La loi était ainsi libellée : « Ceux qui auront pris part à des révoltes ou émeutes contre- révolutionnaires … ceux qui auront pris ou prendront la cocarde blanche ou tout autre signe de rébellion sont hors de la loi. En conséquence, ils ne peuvent profiter des dispositions des lois concernant la procédure criminelle ou l’institution des jurés ». Procès-verbaux de la Convention, Paris, 1793, vol. 8, p. 88-89. Sur cette catégorie, voir la thèse d’Eric de Mari, que nous n’avons pu consulter – malgré notre demande expresse à l’auteur, dont nous n’avons pas eu de réponse. Rappelons toutefois que cette catégorie pénale existait déjà en Angleterre sous le nom de « outlaw ». 24. Archives parlementaires, t. 60, p. 331 (décret du 19 mars 1793). Voir aussi les discussions du 10 mars 1793, où plusieurs membres du Comité de législation qui ont accepté le projet lors de la discussion du 9 au comité le condamnent devant la Convention. Ainsi Lanjuinais et Buzot, tandis que Cambacérès défend vigoureusement ce qu’il appelle dès lors le tribunal révolutionnaire. Sur cette séance, note 22. 25. Et témoignage éloquent des acteurs eux-mêmes sur les motivations qui les poussaient, il ajoutait : « Vous n’oublierez pas que les circonstances commandent presque toujours les décisions », AP, t. 60, p. 331. 26. Une loi du 1 er août 1793 stipulait que les étrangers devaient être signalés et arrêtés, s’ils n’étaient pas domiciliés en France avant le 14 juillet 1789. Mais notons bien que le décret du 21 mars stipulait déjà l’établissement dans chaque commune d’un comité chargé de recevoir les déclarations des étrangers qui y résidaient ou y arrivaient. AN D XXXIX, 10. La méfiance envers les étrangers, facilement assimilés aux émigrés ou contre-révolutionnaires ne doit pourtant pas faire oublier que les patriotes étrangers réfugiés en France furent constamment protégés et secourus. Les Américains de séjour dans la capitale ne furent même pas inquiétés. Qui plus est, le 21 floréal an IV, la loi dite xénophobe et terroriste d’août 1793 était réintroduite, mais cette fois, en raison du « complot babouviste ». Bulletin des Lois, an IV, n° 45, p. 395. 27. AN- D III* 54. La méfiance à l’égard des étrangers ne date donc pas d’août 1793. Au printemps 1793, la Convention s’inquiète de leur afflux, notamment à Paris. 28. La déportation à l’île Saint-Vincent fut proposée le 26 mars par Charlier pour les prêtres qui, ayant prêté serment, n’auraient pas de certificat de civisme. AN D III* 54.

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29. AN-D III* 55. En date du 20 août 1793. 30. Journal des hommes libres, n° 190, 10 germinal an III, p. 784. Voir aussi no.187, p. 769, où Leblanc rappelle les propos d’Isnard « qui voulait la ruine de Paris » ou Lecointre qui proteste contre les Girondins de retour : « si vous n’aviez pas attisé les brandons de la guerre civile départementale, jamais la Convention n’aurait été obligée de prendre des mesures extraordinaires ». 31. AN-D III-380, en date du 3 septembre 1793. 32. Sur les mésaventures du code civil, Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible code civil, Paris, 1992, p. 123-141. 33. La Convention le fait encore modifier le 31 août. Voir Hervé LEUWERS, op.cit., p. 78. Pour le texte définitif, AP, t. 73, p. 246. 34. Les historiens – historiens de l’art inclus – ont longtemps interprété la participation enthousiaste des révolutionnaires aux lois de l’an II comme pure contrainte ou bien comme opportunisme. Il n’en est rien, ainsi que je l’ai démontré dans plusieurs contributions pour ce qui est des artistes, et ainsi qu’il en ressort des recherches ici entreprises. 35. Voir aussi Hervé LEUWERS, op.cit., p. 69-94. Nous ajoutons ici quelques détails non mentionnés par Leuwers, lesquels confirment néanmoins son interprétation. A savoir que personne n’a contraint Merlin à proposer de telles lois. La période qui suit ne fait que corroborer cette interprétation. 36. Le 23 thermidor an II, contre les opposants, Merlin décrit le tribunal révolutionnaire comme « le fruit des délibérations des trois comités réunis pendant un jour et trois nuits entières. On ne peut pas dire que ce soit là une loi extorquée ». Le Moniteur, t. 21, p. 448. 37. Le Moniteur, t. 21, p. 369. Il fulminait aussi qu’on veuille désorganiser « totalement le gouvernement révolutionnaire ». 38. L’argument des circonstances ne date donc pas de Thermidor ou des historiens prorévolutionnaires du XIXe siècle. Cambacérès l’évoque dès mars 1793 et persiste après Thermidor. A force de nier le rôle des circonstances, on en vient du reste à ne plus comprendre ce qui motivait ces hommes – ou à imputer leurs véritables motivations à une idéologie fixe, anachronique ou fantaisiste. 39. Le Moniteur, t. 21, p. 658 (séance du 16 fructidor an II). 40. Le Moniteur, t. 21, p. 473 (séance du 23 thermidor). 41. AN- D III* 56. 42. Séance du 25 frimaire an III. Le Moniteur, t. 22, p. 770. 43. Robert Lindet au peuple français, Paris, 1794, p. 7-8. Second mémoire de Robert Lindet, s.d., s.l. 44. Le Moniteur, t. 19, p. 14 et t. 18, p. 35 (rapport de Merlin sur l’ajout d’un cinquième juge en cas de désaccord des juges durant un procès et suppression d’une loi antérieure comme quoi, en cas de désaccord, c’était l’avis le plus doux qui prévalait). 45. AN D III-381 et D III * 56. La discussion du rapport de Merlin eut lieu au Comité de législation le 12 floréal an II. Le décret fut rendu le 19 floréal. Il réglait donc la compétence du tribunal révolutionnaire de Paris et celle des tribunaux criminels en France. Le Moniteur, t. 20, p. 419. 46. Diverses pièces dans AN F 7-4435. Sur les signataires de l’arrêté, voir Françoise BRUNEL, op. cit., p. 66. 47. Le Moniteur, t. 21, p. 741, 25 fructidor an II. 48. Le Moniteur, t. 24, p. 211-212, voir Hervé LEUWERS, op. cit., p. 92. 49. Par rapport évidemment à la loi des suspects qu’il avait lui-même conçue. Le Moniteur, t. 23, p. 77-79 et p. 105-110. 50. Les mémoires et défenses des membres de l’ancien Comité de salut public accusaient Robespierre d’avoir fait arrêter des individus selon son bon vouloir – et sous le sceau du Bureau de police générale. Les recherches d’Arne ORDING, Le Bureau de police du Comité de Salut public. Etude sur la Terreur, Oslo, 1931, ne permettent pas de conclure en ce sens. Jusqu’ici, nos propres recherches ont été peu concluantes sur ce point précis.

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51. Notons toutefois que son intervention du 23 prairial en faveur de l’introduction d’un considérant ne portait pas sur ces points, mais sur les prérogatives du Comité de salut public au détriment de la Convention. Le 8 nivôse an III, en conséquence, Merlin dévoile tout à la fois ce qu’il pensait vraiment et ce qui était devenu lieu commun depuis Thermidor. Le Moniteur, t. 23, p. 105-110. 52. Bulletin des lois, n° 201 et n° 202. 53. Ainsi était notamment supprimée la loi du 15 germinal sur la mise hors des débats. Voir aussi Bronislaw BACZKO, Comment sortir de la Terreur, p. 96 ff. Mais Baczko ne voit pas que le tribunal ne fut pas vraiment réformé le 23 thermidor et qu’il fut simplement réintroduit sous la forme qu’il avait avant le 22 prairial. La véritable réforme date du 8 nivôse an III et la suppression est du 12 prairial suivant. Entre-temps avait été introduite la loi sur la police générale du 1er germinal. Pour les dates correctes, voir Hervé LEUWERS, op.cit., p. 89. Pour le texte original, Bulletin des lois, n° 537, p. 4-16. 54. Encore Delacroix avait-il protesté que l’article sur la dépravation des mœurs lui paraissait incongru et pouvant mener à l’arbitraire. Les autres opposants à la loi s’étaient focalisés sur l’article XX. Le Moniteur, t. 20, p. 697-698 et p. 714. 55. Font défaut en effet les procès-verbaux qui recouvrent la période des 17 messidor-4 thermidor, ceux des 6-23 thermidor, et ceux enfin des 24 thermidor-16 fructidor. Voir AN D III* 56. Nos connaissances ne sont donc que fragmentaires, ce dont se plaignait déjà Georges Bourgin, qui donne néanmoins suffisamment d’informations bibliographiques. 56. Sur les nominations successives de Merlin, voir Hervé LEUWERS, op. cit., p. 85. Merlin revient au Comité de législation en nivôse an III. 57. AN D III*-58. La série AN D III*-57 contient le répertoire des personnes concernées, et non des procès-verbaux. 58. Le Moniteur, t. 23, p. 165. 59. Le Moniteur, t. 23, p. 156-157. Merlin y incrimine l’arrêté du 21 floréal et démontre que Maignet n’a fait que suivre les ordres. Ce dernier ne fut donc pas inquiété à ce moment-là. 60. On peut consulter les défenses des divers conventionnels et les procès qui leur sont faits à partir du 13 fructidor an II dans la série AD XVIII C 244-250. 61. Une exception cependant est Barras, qui mentionne mais sans spécifier les « dispositions draconiennes » de Merlin. Barras, Mémoires de Barras, 4 vols., Paris, 1895-1896, III, p. 393. 62. Contrairement à ce qu’écrit Baczko (et avant lui nombre d’historiens), il y a une solidarité remarquable entre les membres des comités, qui ne se trahiront jamais. A force d’être traînés dans la boue, ils dénonceront certes ceux qui en sont la cause et qui n’avaient aucune raison d’être aussi vindicatifs : Fréron et Tallien, en particulier. Pour les mémoires en faveur des accusés, AN AD XVIIIC-248 (Prieur de la Côte d’Or, Carnot, Lindet, Maure et Faure).Voir aussi les défenses de Barère, AN AD XVIII C-249. Un beau livre qui rend justice aux Conventionnels, celui de Sergio LUZZATTO, Mémoire de la Terreur, Lyon, PUL, 1991. 63. Le nom initial de cette commission était le comité de recensement et de classification des lois. Mais très vite, on parla de commission de classification. Voir les rapports de Rondonneau, AN D III 380. 64. Georges Bourgin regrettait justement que personne n’ait fait des recherches sur ces travaux de classification des lois. Carla Hesse dans l’article cité évoque sans plus cette commission, alors que cette dernière justement devait mettre fin à ce que Hesse nomme « une incessante prolifération » des lois. 65. Le 3 floréal an II, Couthon avait fait décréter l’établissement de deux commissions. L’une serait chargée de présenter un cours d’institutions sociales et l’autre un code des lois rendues jusque-là. La première était confiée au Comité de salut public ; la seconde à Merlin, Cambacérès et Couthon. AP, t. 89, p. 169.

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66. Est-ce si étonnant, quand on sait que Saint-Just se plaignait tout à la fois de l’absence d’institutions républicaines et des négligences des fonctionnaires. Mais l’article se trouvait mêlé à des dispositions pénales ; c’est ce qui en fait l’étrangeté. Les plaintes contre l’inexécution des lois datent du mois d’août 1793. Voir AP, t. 73, p. 171. Sur les projets de Saint-Just et Billaud- Varenne, voir Françoise BRUNEL, op. cit., p. 46-52. 67. SAINT-JUST, Œuvres complètes, Paris, 2004, p. 767. Le décret est du 27 germinal an II. Il sera amendé le 11 prairial sur proposition de Couthon, AP, t. 91, p. 147-148. 68. AN D-III 380. 69. AN D-III 380. Sont mentionnés les deux premiers codes (Constitution et Gouvernement révolutionnaire) ; ceux qui devaient inclure l’action du gouvernement : le code des relations extérieures, le code de police, de la justice criminelle, de la justice civile ; des administrations civiles ; de l’agriculture ; des dépenses et entrées ; du commerce ; des approvisionnements ; des ponts et chaussées ; des transports, postes, etc. ; le code monétaire et celui des secours publics. Pour ce qui était des moyens ou de la force, il y avait : le code de l’enseignement public ; le code militaire ; de la marine et des colonies ; de l’armement ; des fortifications ; des domaines nationaux ; des eaux et forêts ; des contributions ; de la trésorerie nationale, de la liquidation et de la comptabilité. Font défaut sur cette liste celui de l’émigration et celui des sciences exactes. Voir aussi la liste donnée par Georges Bourgin, op. cit., p. 636, qui, curieusement, ne mentionne pas la série D- XXXIX, qui contient les minutes du code rédigées par Rondonneau et celles du comité de la classification des lois. 70. Ce rapport du 27 messidor an II est publié dans Mémoires inédits de Cambacérès, 2 vols., Perrin, 1999, I, p. 219-227. 71. Ibidem. 72. AN D III-380. D III-362. 73. Louis Rondonneau est devenu le propriétaire et le fondateur du dépôt des lois. Sous l’Empire, il est notamment bibliothécaire au Conseil d’Etat. On lui doit enfin plusieurs éditions de la Collection générale des lois, décrets, arrêtés, senatus consultes publiés depuis 1789, de même qu’une Table générale alphabétique et raisonnée des matières contenues dans le Répertoire de jurisprudence et dans le recueil alphabétique des questions de droit de M. Merlin, Paris, 1829. Cette table donne une idée de la façon méthodique dont il entendait son travail. Ses contacts avec Merlin semblent avoir été excellents, ainsi qu’en témoigne une lettre de ce dernier du 13 avril 1820 publiée dans la Table susnommée. Sur Rondonneau, voir l’étude détaillée de N. Choublier-Grimben, « Louis Rondonneau et le Dépôt des lois », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. 166, 2008, p. 195-240. L’auteur n’aborde pas la période conventionnelle. 74. Lors d’une autre séance, il était prévu que Rondonneau rende compte chaque jour à la Commission. AN D-III 380. A lire les consignes données aux fonctionnaires et à voir leur nombre, on assiste alors à une véritable bureaucratisation de la fonction publique. 75. Cambacérès, Mémoires, I, p. 223. 76. Le Moniteur, t. 22, p. 658. 77. Le Moniteur, t. 24, p. 33-37. Ainsi, comme sous la Constituante venait en premier la répression au nom de l’ordre public. La même chose vaut pour le Directoire dont le Code des délits et des peines est le premier à voir le jour. Bulletin des lois, no.1221 du 3 brumaire an IV – avec la réorganisation de l’instruction publique (même date). 78. Sur le code révolutionnaire, AN D-XXXIX - 9 et 10. 79. Après le 9 Thermidor, on a vu qu’il n’était nullement question de le supprimer – il se perpétrerait jusqu’à la paix générale – ou du moins jusqu’à l’entrée dans le régime constitutionnel. Le tribunal par contre est supprimé le 12 prairial an III, mais la commission militaire qui s’y substitue dès le 4 prairial n’est sans doute pas plus clémente. Sur la justice exceptionnelle de l’après-Thermidor, Howard G. BROWN, Ending the French Revolution. Violence, Justice and Repression from the Terror to Napoleon, University of Virginia Press, 2006.

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80. Cela donnera lieu à la loi du 14 frimaire an II, qui décrétait notamment la création d’un Bulletin des lois de la République et le remplacement des procureurs syndics par des agents nationaux. 81. Voir D-III 321, 1. Sur les juges de paix qui demandent qu’on leur envoie les lois – qu’ils n’ont donc pas – et sur la question de savoir si l’agent national a le droit ou non d’apposer les scellés. Qui plus est, le Comité des pétitions faisait souvent parvenir sa propre correspondance au Comité de législation. 82. AN D-III* 54-56. 83. AN D-XXXIX-10. 84. AN D XXXIX-9. Ce texte hautement idéologique pourrait être de Billaud-Varenne à qui Rondonneau semble avoir envoyé les premiers titres. Rondonneau ne se permettait pas de tels apartés. Ses remarques à lui sont strictement juridiques. 85. AN D XXXIX-9. 86. Le problème des taxes abusives sera soulevé après Thermidor. Notamment à propos de la mission de Fouché dans l’Allier. AN D-III 348. 87. Voir dans ce numéro, l’article de Raphaël Matta. Sur le Comité de sûreté générale, voir celui d’Emilie Cadio. 88. AN D XXXIX-10. Ce carton – microfilm – comprend les deux premières parties du code révolutionnaire. 89. AN-D III-381. 90. C’est si vrai que le 22 fructidor an 2, le Comité de législation donne encore et toujours la priorité à la surveillance des corps constitués. AN D-III* 58. 91. En principe, car dans la réalité, il y eut donc des excès. On y reviendra dans un article ultérieur. Inversement, nombre de représentants en mission ont été fidèles à leur mission. Voir Michel BIARD, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, CTHS, 2002. 92. Le Moniteur, t. 21, p. 687-688. 93. Les premières lois contre les émigrés sont en réalité du 9 juillet 1791 et du 9 novembre de la même année. Elles s’aggravent le 9 février 1792, ensuite le 27 juillet (confiscation de biens). Le 1er mars 1793, la Convention les déclare « bannis à perpétuité » et « morts civilement ». 94. AN DXXXIX- 10. 95. Il fallut pourtant bien en exporter pour payer les subsistances et les produits de base dont avait besoin la Convention pour survivre. C’est ainsi que furent exportés en Amérique des produits de luxe, saisis dans les maisons « nationales » pour rembourser les commandes de grains, de potasse, de salpêtre, de suif, de cuivre et autres métaux ou matériaux. F 11-223 et F 11-292-293. Toute une équipe d’Américains trafiquait pour le compte de la France. Sur cet aspect de la Révolution, notre article à paraître, « Business and Liberty. Four patriots during the Atlantic Revolution », Congress of Dunfee, University of New Hampshire (à paraître). 96. Vivant Denon en témoigne dans ses Lettres à Bettine, où il évoque les tours de garde qui lui sont imposés, ce qui ne l’enchante guère. Ailleurs, un rentier se plaint des réquisitions en argent que revendique continuellement sa section. Ailleurs encore, une femme se voit contrainte de verser 3000 livres sous peine d’être poursuivie. Il est certain aussi que certains comités de surveillance abusaient de leurs pouvoirs. Vivant Denon, Lettres à Bettine, Actes Sud, 1999, p. 285-299 et Célestin GUITTARD, Journal d’un bourgeois de Paris sous la Révolution, Paris, 1974, p. 260 et p. 285-286. Voir aussi AN F7-4435. 97. AN DXXXIX-11. Ces réquisitions diverses, et pas forcément militaires, sont incluses dans le code militaire. 98. La loi recensée est celle du 17 septembre, suivie de tous les décrets ultérieurs concernant des cas particuliers, tels que les marchands qui ne respecteraient pas le maximum ; les tanneurs qui ne vendent pas et ne remplissent pas leurs postes sans interruption ou les détenteurs de biens

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nationaux qui n’auraient pas fait leur déclaration. L’article 1 précise : les gens suspects sont en état d’arrestation. Les suspects étaient conduits dans les maisons d’arrêt du lieu de leur détention. Que je sache, la loi du 22 prairial n’est pas incluse. Ce peut être une question de date. Rondonneau en tout cas en a définitivement effacé le souvenir dans sa Table générale alphabétique et raisonnée sur les lois depuis 1789. 99. AN D XXXIX-10. 100. Deux lois des 25 floréal et 12 prairial an II prévoyaient que le Comité de salut public contrôle les jugements des commissions populaires et examine la liste des condamnés à mort et des acquittés depuis la création du Tribunal révolutionnaire. AN F7-4436/1, vol. 3, pièce 19. Les 2 et 3 thermidor, deux nouveaux arrêtés spécifiaient que les prévenus jugés par les commissions populaires seraient immédiatement mis en jugement – après que les deux comités du gouvernement avaient paraphé leur décision. Recueil des Actes du Comité de Salut public, t. 15, p. 316 et p. 334. Voir aussi AN F7-4599. Sur les avis des commissions populaires, voir les pièces imprimées dans le rapport de Saladin, Rapport au nom de la Commission des Vingt-Un fait le 12 ventôse par Saladin, Paris, ventôse an III, AN AD XVIIIC-248. Le plus souvent, elles conseillaient la déportation. 101. Voir les détails dans Réponse des membres de l’ancien comité de salut public dénoncés aux pièces communiquées par la Commission des vingt-un, Paris, ventôse an III, p. 79-90. AN AD XVIIIC-249. 102. C’est ce qui sera reproché aux membres de l’ancien Comité de salut public. On jugea même que ses dispositions exceptionnelles (le seul verdict étant la mort et les preuves étant la conviction intime), annonçaient la loi du 22 prairial, ce qui paraissait confirmer la culpabilité des trois grands « coupables ». Attribué à Robespierre, l’arrêté initial pourtant était signé des autres membres du Comité de salut public. Voir Françoise BRUNEL, op. cit., p. 65-66. 103. AN F7- 4436/1, pièce 243. Sur les condamnations peu « orthodoxes » d’Orange, voir Françoise BRUNEL, Ibidem, p. 66. D’après l’enquête d’Anne-Marie Duport citée par Françoise Brunel, sur les 432 condamnations prononcées, une centaine portait des peines de réclusion et des amendes. Les commissions populaires, du reste, proposaient pour la plupart des peines de déportation, et non des exécutions. Sur les réalités judiciaires, Robert ALLEN, Les tribunaux criminels sous la Révolution et l’Empire, Rennes, PUR, 2005. 104. Au sujet des abus ou des erreurs, voir notamment les explications des anciens membres du Comité de salut public, AN AD XVIIIC-249. 105. Un nouveau rapport fut fait le 8 messidor, concernant la loi relative à la formation d’un livre de Bienfaisance nationale, laquelle concernait les cultivateurs et artisans vieillards et infirmes, ou les femmes démunies des campagnes. Le premier décret était du 22 floréal. Procès-verbaux de la Convention, t. 37, p. 124, et pour le 8 messidor, ibid., t. 63, p. 115-117. Voir Françoise BRUNEL, op. cit., p. 59-60. 106. Le 19 prairial, une loi prévoit également de distribuer des secours publics aux réfugiés étrangers – Liégeois, Belges, Mayençais et tous ceux qui souffraient de l’occupation des armées ennemies. P.V. de la Convention, t. 39, p. 108-109. 107. AN DXXXIX -11. Le Comité de salut public arrêta en effet une loi pour surveiller et accélérer la confection des listes. 108. Sur les problèmes rencontrés pour mener à bien cette œuvre, Françoise BRUNEL, op. cit., p. 74-75. 109. Le 8 germinal an III, alors qu’il est encore question d’achever les lois organiques de la Constitution de 1793, Merlin de Thionville et Merlin de Douai convenaient cependant que le code judiciaire était quasiment terminé. De fait, il sera voté le 3 brumaire an IV. Le Moniteur, t. 24, p. 90-91. Il ne restait plus, disaient-ils, qu’à légiférer sur le pouvoir exécutif. L’abandon définitif de cette constitution date des journées de Germinal et de Prairial. 110. En l’an IV, la liquidation des dettes des émigrés n’était pas encore achevée. AN DXXXIX- 12. 111. AN DXXXIX-11.

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112. AN DXLII-7, pièce 103. 113. Le Moniteur, t. 17, p. 680 (17 septembre 1793). 114. Nous ne mentionnons pas ici l’instruction publique, mais on le sait, celle-ci était évidemment au centre des préoccupations. Le décret du 29 frimaire an II y était consacré, et 6831 écoles avaient déjà été créées avant Thermidor. Bernard LEHEMBRE, Naissance de l’école moderne. Textes fondamentaux, Nathan, 1989, p. 118. 115. La législation politique par contre était plus que succincte et entièrement sous sa domination. Furent réalisés un Code rural et forestier ; un Code militaire ; un Code de commerce - parallèlement au Code civil, et plus tard au Code criminel. Rondonneau publia aussi un recueil sur les lois françaises introduites dans les pays annexés par Napoléon à partir de 1810. 116. AN DXLII-7, pièce 102. Se pourrait-il que cette liste soit celle de la commission chargée du cours des institutions sociales, confié au Comité de salut public, et plus précisément à Saint-Just ? Voir AP, t. 89, p. 169. 117. La somme mentionnée de 600 millions paraît invraisemblable, d’autant que la guerre et les subsistances absorbaient la plupart des fonds dont disposait la Convention. Tout ce qui suit provient de DXLII-7, pièce 102. 118. Sur les difficultés rencontrées par plusieurs projets, Françoise BRUNEL, op. cit., p. 74-75. 119. Sur cette loi qui sera encore à l’ordre du jour le 8 messidor, Ibidem, p. 59-61. Le 22 floréal était créé le Livre de la Bienfaisance nationale. Pour vérifier si ces lois ont bien été décrétées, voir Procès-Verbaux de la Convention, Paris, an II, t. 37, t. 38 et t. 39 aux dates mentionnées. 120. On trouvera ces lois au titre 148 sur les indemnités dans le Répertoire des lois de G. Beaulac, op. cit., p. 539-540. La Convention est la seule à s’en être préoccupée à ce point. De même, elle a surpassé de loin les assemblées précédentes en ce qui concerne les lois ou décrets sur les sciences et les arts, p. 560-564, titre 157. Ces priorités civiles, sociales et culturelles nuancent donc l’interprétation trop univoque de Carla Hesse. 121. Le Comité des subsistances était fort actif. D’énormes sommes étaient en jeu, et le plus souvent, il fallait payer comptant. Les révolutionnaires avaient donc besoin de banquiers patriotes, même à l’étranger. En ventôse an II, par exemple, 125 millions de livres étaient nécessaires, alors que les banquiers n’en proposaient que 50. De germinal an II à vendémiaire an III, 850 millions avaient été mis à la disposition des subsistances. Voir les tableaux dans AN F11-292 et 293. C’est un aspect de la Révolution qui mériterait d’être mieux étudié. Néanmoins, Pierre CARON, Le Comité des subsistances de l’an II, Paris, 1924. 122. Sur la pleine réalisation des décrets de ventôse, il est difficile de conclure. Il semblerait que les autorités départementales aient renâclé à les exécuter, car ces administrations comprenaient de grands propriétaires. Couthon s’en plaignait aux Jacobins le 1er floréal. Collot ajoutait que « le plus grand avantage pour la république est de multiplier les propriétaires » - contre Couthon, en ce sens que, lui, était conscient que l’opération rapporterait peu à la France. Société des Jacobins, VI, p. 85-87. 123. Mss. No.144. Bibliothèque historique de la ville de Paris. 124. Jean-Clément MARTIN, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, 2006. 125. Et évidemment par la Constituante et la Législative qui avaient ouvert la voie, mais avaient eu moins d’obstacles à surmonter. 126. Les Thermidoriens parleront de 14 mois de dictature robespierriste. C’est évidemment bien moins long. Son pouvoir quasi absolu devient perceptible après la chute des factions, quand il impose à la Convention la loi sur l’Etre suprême et puis celle du 22 prairial. Notons par ailleurs que Robespierre semble avoir apprécié Merlin, ainsi qu’en témoignent ses propos du 24 prairial. 127. Par idéologues, nous pensons à Robespierre et Saint-Just, trop souvent mis en avant – pour le meilleur et pour le pire - dès qu’il s’agit de la Convention. Or, leur rôle paraît plutôt limité quand on examine la fabrique des lois. Nous avons voulu ici rendre leur véritable dimension aux

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personnages soi-disant secondaires, en raison de leur rôle éminent et durable dans la législation révolutionnaire. 128. C’est bien ce que reprocheront les Thermidoriens à la loi du 22 prairial, imposée par le « triumvirat » sans qu’elle ait été discutée par les personnes habilitées. De même il n’était pas rare qu’une loi soit rapportée ou modifiée, ce qui en rendait l’exécution encore plus difficile dans les départements. 129. Merlin se plaignait même le 26 septembre 1793 que les comités ne se soient pas encore réunis pour rédiger l’acte d’accusation. AN F7-4443, plaquette 4. 130. Que ce soit des remises en liberté ou des arrestations pour vices de procédure. AN D-III* 54 et 58. 131. Bien qu’il soit indéniable que le pénal eut et conserva la priorité, et ce même après Thermidor. 132. Les décrets sont légion à la Convention qui accordent telle ou telle somme aux victimes d’injustices. Le Comité de législation y contribuait. On peut comparer avec l’Amérique comme le fait Dominico LOSURDO dans son dernier ouvrage provocateur, Liberalism. A Counter-History, Verso, 2011, où il suggère que les Etats-Unis ont peu légiféré en matière de lois civiles, préférant laisser aux Etats leurs prérogatives – et leurs égoïsmes. 133. Sur le sujet, notre article « Les discours sur la terreur à l’époque révolutionnaire (1776-1798). Etude comparative sur une notion ambiguë », French Historical Studies, n° 36, I, 2012. Rappelons que les régimes totalitaires et terroristes sont justement caractérisés par l’absence de lois positives. Hannah ARENDT, Le système totalitaire, Paris, 1972, p. 281-87 et ibid., Crises of the Republic, New York, 1969, p. 154-155. 134. Cet aperçu ébranle quelque peu les interprétations idéologiques fantaisistes, qui se fondent sur quelques discours subjectivement sélectionnés de Robespierre et de Saint-Just. Notamment, Dan EDELSTEIN, The Terror of Natural Right. Republicanism, the Cult of Nature and the French Revolution, Chicago, CUP, 2009.

RÉSUMÉS

La Révolution a énormément légiféré, c’est bien connu. Des milliers de lois ont alors été discutées et rédigées par le Comité de législation, qui touchaient à la justice pénale et criminelle mais aussi à la société civile et aux institutions républicaines. C’est de ce comité qu’il sera question ici, et en particulier, du comité sous la Convention et de son rôle dans les lois dites terroristes. S’y ajoutera un aperçu de ses autres missions, notamment celle qui concerne la classification et la simplification des lois, entreprises toutes deux sur ordre de la Convention de l’an II.

The period of the Convention has been one of the most studied and the most interpreted, but no research has been done on the whole body of legislation that it enforced. Too much importance has been attached to some of these laws – like the law of 22 Prairial – whereas others have been absolutely neglected. Furthermore, almost no attention has been given to the Legislation committee, although its members were the ones who proposed and drafted all these laws. Amongst them were two key lawyers, Merlin de Douai and Cambacérès, who were responsible for devising the civil and penal texts of this period – except for the law of 22 Prairial. Not only is it essential to know more about their proposals on this topic, but it is also salient to realize that the Convention was busy with the classification and simplification of all laws implemented since the

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very beginning of the Revolution. A commission was appointed to do the job. At its head was Louis Rondonneau, the great collector and publisher of revolutionary and imperial legislation – until the 1830s. Such an approach can be useful to help us gain a better understanding of the French Revolution. Indeed, it allows us to rediscover some secondary actors who are considered moderates although they were the authors of the most repressive laws of 1793. They even wanted these laws to be perpetuated after Thermidor. Moreover, such an approach gives us concrete proof that the Convention was also preoccupied by common (civil) laws – or what they called ‘democratic laws’- and not only by penal and criminal issues – or what has been called revolutionary government. And this revolutionary government was maintained until the enforcement of the 1795 Constitution.

INDEX

Mots-clés : législation, justice, code, lois démocratiques, étrangers, émigrés, suspects, tribunal révolutionnaire, gouvernement révolutionnaire, Cambacérès, Merlin de Douai Keywords : Legislation, Justice, Civil Code, Criminal Code, Democratic laws, Foreigners, Emigrants, Suspects, Revolutionary Tribunal, Revolutionary Government, Cambacérès, Merlin de Douai

AUTEUR

ANNIE JOURDAN Université d’Amsterdam

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Le Comité diplomatique : l’homicide par décret de la diplomatie (1790-1793) ? The diplomatic Committee: the legal assassination of Diplomacy (1790-1793)?

Virginie Martin

1 L’idée suivant laquelle le Comité diplomatique, entre sa création le 29 juillet 1790 et sa suppression en juin 1793, aurait confisqué cet « attribut naturel de l’Exécutif »1 qu’est la politique extérieure, constitue un lieu commun rarement contesté. Pourtant, affirmer que « le Comité diplomatique de la Législative, puis de la Convention, fut, plus que les ministres des Affaires Etrangères, le responsable de la politique étrangère de la France durant la Révolution »2, revient à dire que l’Assemblée s’est imposée, au détriment de l’Exécutif, comme un laboratoire de la loi en matière diplomatique. En cela, le Comité diplomatique aurait permis aux députés de violer la Constitution de 1791, qui confère au roi seul la conduite de la diplomatie, tant en termes de recrutement des agents que de suivi de la correspondance et des négociations diplomatiques3. L’action exécutive dévolue de droit ou exercée de fait par certains comités est apparue comme le symbole et le symptôme d’une séparation des pouvoirs imparfaite, sinon caduque. Henri Olive range ainsi le Comité diplomatique dans la catégorie des « comités d’exécution », qui se distinguent précisément des « comités de législation » par leur propension à s’octroyer les fonctions de l’Exécutif, voire à se substituer aux ministères4. Si André Castaldo souligne que la partition entre « comités d’exécution » et « comités de législation » doit être relativisée, puisque les « comités ont tous, plus ou moins, […] vocation à s’occuper d’administration » et que l’Assemblée a donc, par là, toujours eu « tendance à attirer à elle l’Exécutif », il n’en reconnaît pas moins l’incursion croissante sur le terrain de l’Exécutif de ces comités chargés de la « défense nationale »5. Selon lui, cette incursion procède d’une double nécessité : il s’agit à la fois de remédier à l’inertie croissante du gouvernement et de surveiller de façon toujours plus étroite les agents d’un Exécutif toujours plus suspect. D’organes chargés de la préparation des lois, certains comités

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seraient ainsi devenus les outils permettant aux députés de veiller à l’exécution des lois.

2 Or, de simples surveillants, certains comités se seraient érigés en véritables tuteurs de l’Exécutif. En la matière, le Comité diplomatique fait figure de cas d’école : en empiétant de façon toujours plus poussée sur un champ, pourtant constitutionnellement du ressort de l’Exécutif, le Comité diplomatique serait parvenu à s’emparer de la conduite de la politique extérieure au détriment du ministère des Affaires Étrangères. À l’instar de tous les autres comités pourvus d’une compétence exécutive, le Comité diplomatique aurait en effet été doublement dévoyé : en tant qu’organes privilégiés de la communication (orale et écrite) entre les deux pouvoirs, ces comités ont été conçus à l’origine comme une charnière ou comme un trait d’union entre l’Assemblée et les ministères. Devenus, en raison des défaillances de l’Exécutif et d’un contexte d’urgence, les « nécessaires surveillants » de l’action de l’Exécutif, les comités auraient alors contribué au dialogue de sourds de l’Assemblée et du ministère, alimenté une mésentente structurelle entre les deux pouvoirs et joué un rôle décisif dans l’agonie de la monarchie constitutionnelle. Ces « comités-Protées » ont donc moins été envisagés comme des « laboratoires de la loi » que comme des outils d’assujettissement de l’Exécutif - au point d’être considérés comme les « ancêtres » des deux grands comités du gouvernement d’exception (le Comité de sûreté générale et le Comité de salut public). Toujours cité comme une illustration parfaite de cette mutation ou de cette dérive institutionnelle, le Comité diplomatique n’a pourtant jamais été étudié en tant que tel6.

3 Faute d’études consacrées à la genèse, aux compétences et aux travaux du Comité diplomatique, son histoire a toujours été abordée sous un angle politique pour le moins réducteur qui en fait la chasse gardée de quelques députés (Mirabeau et Brissot) avant de devenir le pré carré d’un parti (Girondin). Cette histoire à sens unique se déroule en trois chapitres : après avoir été inexistant ou presque sous la Constituante, ce comité aurait vu sa voix confisquée par Mirabeau, pour mieux conserver à Louis XVI ses prérogatives régaliennes. À l’inverse, sous la Législative, le Comité diplomatique serait devenu, entre les mains des Girondins en général et de Brissot en particulier, le véritable organe de la politique extérieure et surtout, la « machine » qui permet aux boutefeux de la Législative de lancer la « marche à la guerre ». Enfin, sous la République, le Comité diplomatique, se serait fait l’auxiliaire de la diplomatie belliciste et propagandiste des Girondins, avant d’expirer en même temps qu’eux, en juin 1793. Conçu comme un instrument de paix, ou plutôt, comme un garde-fou qui devait contraindre l’Exécutif à la scrupuleuse observance du décret du 22 mai 1790, le Comité diplomatique se serait donc mué, entre octobre 1791 et avril 1792, en une véritable machine de guerre. Impuissant à produire des projets de lois susceptibles de réformer la diplomatie, le Comité diplomatique aurait donc été le principal instigateur des décrets qui ont précipité la France dans la guerre. Sous la Convention, non seulement il n’a pas su empêcher la formation de la première coalition, mais il n’a pas été cet outil qui aurait permis de sortir la France de la guerre. Ce sont les raisons de cette triple faillite – de la réforme de la diplomatie, du maintien de la paix et des solutions pour sortir de la guerre – qu’il nous faut ici examiner. Si le Comité diplomatique a été un des lieux de « l’homicide » simultané de l’Exécutif et de la paix, n’est-ce pas parce qu’il n’a jamais pu devenir ce qu’il aurait pu être : un lieu de gestation des décrets qui, votés dans l’enceinte parlementaire, auraient pu régénérer la diplomatie ? Et si le Comité

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diplomatique n’a accouché que de la guerre et des conquêtes, n’est-ce pas parce qu’il n’a jamais pu s’ériger, ni en droit, ni de fait, en véritable « laboratoire de la loi » ?

Le comité diplomatique de la Constituante : l’impasse du contrôle législatif sur le ministère des Affaires Étrangères

4 Dans le bilan qu’il dresse de l’action des comités sous la Constituante, l’archiviste de l’Assemblée nationale, Armand-Gaston Camus fait de la « surveillance » du ministre des Affaires Etrangères la mission originelle du Comité diplomatique7. En réalité, sa naissance controversée témoigne des difficultés à fixer la définition de son rôle comme à cerner les contours de ses attributions. Ce n’est en fait que très progressivement que d’une fonction technique (la vérification des traités conclus sous l’Ancien Régime), le Comité diplomatique s’adjuge une fonction politique (le contrôle du ministre des Affaires Étrangères).

Une naissance ambigüe : la vocation imprécise du Comité diplomatique (mai-août 1790)

5 Montmorin et Bouillé n’ont pas seulement en commun leur implication dans le projet de fuite du roi. Ils sont également à l’origine des deux discussions qui vont aboutir à la création du Comité diplomatique : le premier, directement, en signalant le 14 mai 1790 les armements de l’Angleterre et de l’Espagne, consécutifs à « l’affaire de Nootka Sound », qui nécessitent que la France se mette, préventivement et conformément au Pacte de Famille, sur le pied de guerre – ce qui amène l’Assemblée à aborder pour la première fois la question diplomatique sous l’angle constitutionnel ; le second, indirectement, parce qu’une lettre qui lui est adressée fin juillet trahit les intentions équivoques du roi – ce qui permet de reposer la question du nécessaire contrôle du Législatif sur l’Exécutif en matière diplomatique. C’est au terme de cette double séquence, comprise entre la mi-mai et la fin juillet 1790, sous la menace d’une guerre (contre l’Angleterre) et d’une invasion (de l’Autriche), que le Comité diplomatique voit le jour.

Le débat du 14-22 mai 1790 : avortement ou ajournement du Comité diplomatique ?

6 Que la question de l’établissement d’un Comité diplomatique soit soulevée pour la première fois lors du « débat sur la guerre et la paix » de mai 1790 ne saurait surprendre : c’est en effet la question circonstancielle du soutien militaire à apporter à l’allié espagnol dans son différend avec l’Angleterre, posée dans les séances des 14 et 15 mai qui, dès le 16, se transforme en une question constitutionnelle. Débattue durant plus de huit jours, cette question constitutionnelle se pose moins en termes strictement diplomatiques qu’en termes institutionnels8. Parce qu’elle doit avant tout permettre de délimiter les prérogatives du législatif et de l’Exécutif en matière de guerre et de paix, cette question s’articule essentiellement autour d’un point sur lequel le débat achoppe : le degré d’autonomie qu’il importe de laisser à l’Exécutif en matière de politique extérieure. En effet, si personne ou presque ne remet véritablement en cause le

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monopole royal en la matière9, ce sont en revanche les moyens dont l’Assemblée dispose pour surveiller l’action diplomatique de l’Exécutif qui posent problème.

7 Deux moyens sont alors invoqués, mais à l’exclusion l’un de l’autre : celui de la responsabilité ministérielle, défendue majoritairement par les députés de droite ; celui du Comité diplomatique, avancé par une minorité de députés de gauche10. Si le Comité diplomatique ne voit finalement pas le jour à l’issue du débat de mai 1790, c’est moins en raison de la combativité de la droite que de la « démission » de la gauche sur cette question. En effet, les députés patriotes subordonnent alors la création éventuelle d’un Comité diplomatique à la nécessité de déléguer le droit de guerre et de paix à l’Assemblée : dès lors qu’on ôtait à l’Exécutif le moyen d’être dangereux (en déclarant la guerre sans le consentement de l’Assemblée), il n’était plus vraiment nécessaire de chercher à contrôler l’action ministérielle par le moyen d’un comité spécifique. Or, loin d’être la solution de compromis que Mirabeau a défendue devant les députés, le décret du 22 mai 1790 permet de « constitutionnaliser » ce qui n’était alors que provisoire : le monopole du roi sur la diplomatie, sans contrôle parlementaire11. Discutée mais finalement avortée dans ce débat du 14-22 mai 1790, la naissance du Comité diplomatique le 29 juillet procède des inquiétudes soulevées par les agissements de l’Exécutif sur les frontières.

Le décret du 29 juillet 1790 : un corrigé du décret du 22 mai ?

8 En effet, à la fin juillet, c’est parce que le décret du 22 mai, bien que « sage et nécessaire » selon Philippe Fréteau de Saint-Just, « éprouve si promptement une infraction évidente », que les députés concluent à la nécessité de créer un Comité diplomatique. Le 27 juillet, l’Assemblée apprend deux faits, dont la corrélation jette le doute sur les intentions de la Cour : d’une part, le roi a donné l’ordre au marquis de Bouillé d’autoriser le passage de troupes autrichiennes sur le territoire français ; d’autre part, les principaux postes frontaliers sur la frontière du nord-est se trouvent dégarnis de troupes. L’Assemblée se voit alors contrainte d’aller demander des comptes à l’Exécutif par le seul moyen dont elle dispose alors : l’envoi d’une députation12. Or, cette députation dit à elle seule les limites du décret du 22 mai : en laissant au roi le double monopole des forces armées et de l’appareil diplomatique, l’Assemblée ne peut donc évaluer qu’en « aveugle » la validité d’ordres qu’elle ignore, en vertu de traités dont elle ne connaît pas la teneur, et en fonction d’événements qui lui sont délibérément cachés par l’Exécutif. Le 28 juillet, le rapport que soumet Fréteau à l’Assemblée ne se contente pas de recenser toutes les fautes du ministre des Affaires Étrangères (Armand-Louis de Montmorin) : il aboutit au vote d’un décret qui ouvre une première brèche dans le monopole royal en matière de défense militaire et de négociations diplomatiques13.

9 C’est dans la droite ligne de ce décret que l’Assemblée applaudit à la création d’un « Comité des affaires étrangères ». Cependant, la nature même de ses attributions fait encore débat : ce Comité doit-il se contenter de vérifier les actes du gouvernement en fonction de la teneur des traités contractés avant la Révolution (comme le veut d’André, dès le 27 juillet14) ou bien est-il habilité à contrôler « en amont » l’action du ministre des Affaires Étrangères (comme le soutient d’Aiguillon, le 2815) ? A priori, dans l’esprit de Fréteau qui est l’auteur de la motion présentée le 29 à l’Assemblée, les deux : « Nous devons aussi observer qu’ayant trouvé un traité de la France avec la Savoie, qui a le même objet que celui de 1769 avec l’Autriche, il nous a paru nécessaire que

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l’Assemblée nommât un Comité pour en faire l’examen ainsi que des autres traités qui existent avec les différentes puissances. Ce Comité, composé de douze personnes prendrait connaissance de tout ce qui est relatif aux affaires extérieures du royaume, en rendrait compte à l’Assemblée sous huit jours, et proposerait en même temps ses vues sur les moyens de pourvoir à la sûreté de l’État ».

10 Pourtant, le décret du 29 juillet limite la mission du Comité diplomatique au seul examen des traités : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera nommé un Comité de six membres chargés de prendre connaissance des traités existants entre la France et les puissances étrangères et des engagements respectifs qui en résultent, pour en rendre compte à l’Assemblée, au moment où elle le demandera »16.

11 Si le Comité diplomatique se réduit finalement à ce rôle purement technique d’examen des traités, c’est en raison de la lettre même du décret du 22 mai qui ne l’autorise pas à faire plus : comme le rappelle Regnault de Saint Jean d’Angély, augmenter les prérogatives du Comité diplomatique revient à « détruire » l’initiative du roi et à « anéantir » la responsabilité ministérielle17. Cependant, alors qu’ils refusent au Comité diplomatique tout moyen de contrôle, en amont, sur l’action gouvernementale, les Constituants ne parviennent pas à se doter, en aval, d’un véritable moyen de mise en accusation des ministres. En effet, non seulement ils ne définiront jamais le « crime de lèse-nation »18, mais ils tarderont à fixer les modalités de la responsabilité ministérielle19. Cette absence de définition pénale de la responsabilité ministérielle explique le changement de vocation des comités en général et du Comité diplomatique en particulier20 : c’est parce que la responsabilité ministérielle demeure d’abord indéfinie avant de devenir inopérante que les comités ont pu s’octroyer des compétences qu’aucun décret ne leur confère21 : le droit de contrôler l’Exécutif procède d’un devoir de surveillance qui doit permettre aux députés de l’empêcher de nuire.

Une tutelle tardive et imparfaite sur l’Exécutif : de la complicité au « procès »

12 Pourtant, s’il faut attendre le printemps 1791 pour que le Comité diplomatique exerce réellement cette fonction de surveillance du ministre des Affaires Étrangères, c’est en raison des rapports de force au sein même du Comité diplomatique. En effet, ses relations avec Montmorin sont d’abord commandées par une confiance aveugle (alimentée par Mirabeau), avant de faire place, à partir d’avril 1791, à une défiance chronique (entretenue par Fréteau de Saint-Just).

La collaboration de Montmorin et du Comité diplomatique (juillet 1790-avril 1791)

13 Il est communément admis que jusqu’à sa mort le 2 avril 1791, Mirabeau serait parvenu à étouffer le Comité diplomatique, en le condamnant à une inertie chronique. La liste des rapports produits au nom du Comité entre la fin juillet 1790 et avril 1791 confirme ce « noyautage » : sur les neuf rapports seulement que le Comité présente à l’Assemblée durant ces huit premiers mois d’existence (sur un total de 40 pour l’ensemble de la Constituante), Mirabeau en a été cinq fois le rapporteur. De là, on est allé jusqu’à dire que Mirabeau s’était servi du Comité diplomatique pour « diriger la politique extérieure » et pour devenir « plus puissant que le ministre des Affaires Étrangères »22. En réalité, c’est bel et bien Mirabeau qui a permis à Montmorin de demeurer « puissant ». En effet, si le député d’Aix-en-Provence est parvenu à limiter l’étendue des

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travaux et des exigences du Comité, ou du moins à les orienter dans le sens de la cour, c’est en exploitant la confiance des députés dans un ministre avec lequel, à partir de décembre 1790, il cherche à mettre à exécution le plan qui devait permettre de « sauver » la monarchie constitutionnelle23. En outre, cette prétendue mainmise de Mirabeau sur ce Comité ne fut que relative, du fait même des résultats du scrutin du 1er août 1790 qui y font entrer des figures de premier plan, loin de lui être dévouées – à commencer par le « vainqueur » de ce scrutin : Philippe Fréteau de Saint-Just.

Tableau n° 1 : Les membres du Comité diplomatique de la Constituante

Membres Nombre de voix obtenues

Fréteau 217

Mirabeau l’aîné 181

Du Châtelet 166

Barnave 159

Menou 144

D’André 120

Suppléants

Malouet 116

Begouen 113

Lameth 103

Du Pont 99

Maury 94

Sieyès 91

14 Ces élections reflètent la recherche d’un équilibre politique entre les deux « partis » de gauche, qui s’est fait au détriment de la droite (qui ne compte qu’un seul membre : le duc du Châtelet). Sur les six députés élus, deux appartiennent à la gauche radicale, en tant que membres du club des Jacobins (Menou et Barnave) et deux à la gauche modérée, en tant que membres du club de 1789 (Mirabeau et d’André). Fréteau de Saint-Just peut apparaître dans une position intermédiaire entre la gauche modérée et radicale, n’étant membre d’aucun club, mais figurant parmi les « députés actifs » de la gauche. Si l’on tient compte des douze membres (titulaires et suppléants) élus le 1er août, c’est donc la gauche modérée qui l’emporte : la gauche radicale compte au total trois représentants (Menou, Barnave, en tant que membres ; Lameth en tant que suppléant) et la gauche modérée, quatre membres, inscrits au Club de 1789 (Mirabeau, d’André, et, parmi les suppléants : Sieyès et Dupont de Nemours).

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15 Plus généralement, ce sont les députés qui ont joué un rôle crucial dans l’adoption des deux décrets du 22 mai et du 29 juillet 1790 qui l’ont emporté. À l’exception du duc du Châtelet (qui, le 18 mai, soutenait la délégation exclusive au roi du droit de guerre et de paix et qui s’était explicitement déclaré contre la création d’un Comité diplomatique) et de Mirabeau (qui soutenait la délégation concurrente aux deux pouvoirs), trois des six membres du Comité diplomatique font partie des principaux défenseurs de la délégation exclusive du droit de paix et de guerre à l’Assemblée. Or, non seulement Fréteau de Saint-Just, Menou, Barnave jouent un rôle majeur dans la création du Comité diplomatique entre les 27-29 juillet 1790, mais ils n’ont pas caché leur ambition de faire du Comité diplomatique un véritable outil de surveillance du ministère. La principale ligne de fracture au sein du Comité diplomatique de la Constituante oppose donc deux des députés auxquels incombe la paternité respective des décrets du 22 mai et du 29 juillet 1790 : Mirabeau et Fréteau de Saint-Just.

16 Entre Fréteau de Saint-Just et Mirabeau, ce ne sont pas seulement les missions confiées au Comité diplomatique qui font l’objet d’un contentieux, c’est également l’évaluation globale du danger extérieur qui menace ou non la France : alors que Fréteau, dans la droite ligne de son intervention du 29 juillet 1790, insiste constamment sur la réalité de la menace extérieure et sur la nécessité de surveiller la conduite des puissances étrangères et celle du ministre des Affaires Étrangères, Mirabeau s’emploie à l’inverse à constamment le minorer, afin de dissuader les députés de mettre sous tutelle le département des Affaires Étrangères. Ainsi, Mirabeau et d’André multiplient les « nouvelles rassurantes » à l’Assemblée, qui sont autant des démentis aux « rumeurs alarmistes » répandues dans la presse et divulguées aux députés par Fréteau. Ces démentis, ils les tiennent directement du ministre, Montmorin, qui sélectionne à dessein les nouvelles qu’il souhaite voir communiquer à l’Assemblée. De la sorte, le Comité diplomatique ne fait qu’enregistrer la parole du ministère et de ses agents en la répercutant dans l’enceinte parlementaire. Or, ce système ne fonctionnait qu’en raison de l’aura de Mirabeau et de la confiance dont était crédité le ministre des Affaires Étrangères. La mort du tribun le 2 avril 1791 et la crise de Varennes de juin 1791 remettent en cause la légitimité de cette collaboration sans suspicion.

L’esquisse d’un premier contrôle législatif sur la diplomatie (avril-septembre 1791) ?

17 La disparition de Mirabeau autorise en effet l’ouverture d’un double procès : contre le Comité diplomatique, accusé d’incompétence et contre le ministre des Affaires Étrangères, taxé de négligence. Le 19 avril 1791, alors qu’il est question d’une nouvelle menace d’invasion sur les frontières françaises, les députés dénoncent à l’unisson l’inertie commune et concertée du ministre des Affaires Étrangères et du Comité diplomatique : à Reubell, qui constate que « le ministre des affaires étrangères garde le silence » sur les dangers qui menacent la France, Babet réplique : « Et le Comité diplomatique dort ». Au silence du ministre équivaut donc le sommeil du Comité. Robespierre va plus loin : c’est le sommeil du Comité qui permet et justifie ce silence de Montmorin sur les affaires intéressant la sécurité nationale24. En effet, le Comité est jugé coupable d’entretenir le « secret » du ministère, en soustrayant à l’Assemblée des pièces qui intéressent la sûreté de l’État. C’est autant la matière sur laquelle le Comité diplomatique travaille que la manière dont il en rend compte que Robespierre et Menou dénoncent de concert : aux avis et adresses alarmistes envoyés depuis les départements

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frontaliers par la « vigilance patriote », le Comité diplomatique a préféré les informations rassurantes fournies par le ministère. Au terme de cette séance houleuse, la gauche patriote parvient donc à donner au Comité les compétences larges qu’elle réclame depuis le printemps 1790 et qui lui permet, dès l’été 1791, de se livrer à la première esquisse d’un contrôle sur le ministère des Affaires Étrangères. En effet, à partir du printemps 1791, la surveillance toujours plus étroite qu’exerce le Comité sur le ministère est la conséquence de la défiance contre un ministre qui dispose de tous les moyens pour compromettre la sûreté de l’État, en dissimilant à l’Assemblée, au nom même de la raison d’État, la réalité de la situation diplomatique française. Si c’est le secret diplomatique qui rend le ministre « irresponsable », c’est au secret diplomatique qu’il faut s’attaquer, tant pour lever l’impunité ministérielle, que pour garantir la sécurité nationale. C’est à l’aune de trois ruptures majeures dans la communication entre le ministère et l’Assemblée que se mesure le changement initié par le procès du 19 avril 1791.

18 Alors que jusqu’ici, le ministre n’informait le Comité que des faits et pièces qu’il réclamait ou qu’il avait intérêt à rendre publics, à partir d’avril 1791, il doit l’instruire directement de tout ce qui intéresse la sûreté des frontières et la situation diplomatique de la France. Parce que le ministre devient responsable de ce qu’il tait autant que de ce qu’il dit, il lui appartient désormais de communiquer ces informations diplomatiques qu’il attendait précédemment qu’on lui demande – et qu’il ne livrait pas toujours. Or, non seulement les communications entre Montmorin et le Comité se multiplient, mais la nature même des documents communiqués change : alors que jusqu’en avril 1791, le ministre se contentait de rapports ou de mémoires synthétisant la correspondance diplomatique reçue depuis l’étranger, dont il ne divulguait qu’exceptionnellement des extraits, à partir d’avril 1791, il est amené à communiquer au Comité de plus en plus de dépêches originales, voire de mémoires secrets25.

19 Enfin, le Comité prend davantage en compte la voix de l’opinion publique au détriment de la parole diplomatique véhiculée par le ministre. Symptomatique de ce glissement : le rapport de Fréteau de Saint-Just sur la situation extérieure de la France du 11 juin 1791. La nouveauté ne tient pas seulement aux clauses du décret du 13-15 juin auquel ce rapport aboutit (qui, pour la première fois, érigent l’émigré en un « non-sujet de droit » 26. Elle tient également au matériau à partir duquel il a été élaboré. En effet, Fréteau se fonde sur l’ensemble des pétitions et adresses alarmistes qui avaient été jusqu’alors soigneusement écartées par le Comité, pour confectionner un premier tableau de la contre-révolution extérieure et intérieure27. Ce rapport du 11 juin sanctionne le changement de compétence du Comité diplomatique : chargé de l’examen des fondements mêmes du dialogue (traités et dépêches), il est devenu l’initiateur des mesures de sévérité contre les « traîtres du dehors » et l’instigateur d’une politique de fermeté à l’égard des puissances étrangères. En se réclamant de l’autorité de cette même « vigilance patriote », la Législative reprendra à son compte la ligne définie dans ce rapport. Elle dénoncera aussi l’une des faillites les plus tangibles de la Constituante : le sacrifice de la réforme de la diplomatie.

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La réforme avortée de la diplomatie : un rôle législatif mineur

20 L’examen des quarante rapports présentés devant la Constituante par le Comité diplomatique permet de distinguer deux grandes catégories de matières qu’il a eues à traiter : d’un côté, des objets structurels de droit public, relatifs aux traités à conserver ou à réviser ; de l’autre, des objets circonstanciels qui portent sur les questions de sécurité nationale, sur les sujets de contentieux avec les puissances étrangères et enfin, sur le problème de la circulation des biens et des personnes.

Tableau n° 2 : Classement thématique des rapports faits devant la Constituante par le Comité diplomatique

Rapports / communications faits par le Comité diplomatique Nombre

Renouvellement des traités d’Ancien Régime et négociation de nouveaux traités 2

Indemnités aux princes possessionnés en France 3

Sûreté du royaume 18

Réunion d’Avignon à la France 6

Affaires particulières (étrangers en France ou Français de l’étranger) 5

Circulation des biens et des personnes après Varennes 6

TOTAL 40

21 Comme le montre le tableau ci-dessus, le hiatus entre sa vocation originelle et la réalité de ses travaux est patent : alors qu’il n’a été créé que pour vérifier la constitutionnalité des traités d’Ancien Régime, le Comité a essentiellement fourni des rapports sur les problèmes liés à la sécurité nationale. Il semble donc que le Comité de la Constituante ait finalement moins traité de diplomatie en tant que telle que des mesures de défense militaire commandées par la menace de guerre. En termes d’alliances et de traités, le bilan du Comité diplomatique est extrêmement mince, pour ne pas dire indigent : rappelons que les deux seuls traités signés sous la monarchie constitutionnelle qui sont soumis à la ratification du corps législatif les 10 décembre 1791 et 29 avril 1792, se limitent au renouvellement d’une convention de commerce, avec une enclave du département du Haut-Rhin de « 7000 âmes » (la minuscule république de Mulhausen) et à deux « conventions d’indemnités » conclues avec deux des plus petits princes allemands (celui de Salm-Salm et de Loewenstein-Wertheim)28.

22 Cette stérilité dans un domaine qui lui avait pourtant été explicitement assigné lors de sa création s’explique en réalité par le premier grand rapport rendu par Mirabeau le 25 août 1790 sur cette question. Dans ce rapport qui devait permettre de juger de la « constitutionnalité » du Pacte de Famille, Mirabeau « verrouille » en quelque sorte le Comité diplomatique, en posant les principes et surtout, les limites, d’après lesquels il doit ou non réformer les engagements diplomatiques de la France. Dans la droite ligne de ce qu’il défend depuis le début de l’année 1790, Mirabeau cherche alors à ôter à l’Assemblée le droit de légiférer sur ces traités – et d’en contester la teneur, sinon

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l’existence. En rappelant la nécessité de conserver les alliances tant que l’Europe aura « besoin de politique », Mirabeau annonce dès le préambule un principe que les Constituants ne remettront jamais en cause : si la nation française a changé « ses lois et ses mœurs », et si « elle doit sans doute changer sa politique », elle doit néanmoins persister « à suivre partiellement son ancien système qu’elle ne pourrait détruire soudainement sans péril »29 : en ce qui concerne les relations diplomatiques, point de table rase donc, mais un travail constant de négociation pour rendre compatibles les principes nouveaux (de droit) et les héritages (de la diplomatie) – autrement dit, le droit constitutionnel français et le droit public de l’Europe. À cet effet, Mirabeau pose deux principes fondamentaux : le premier est la reconnaissance et le respect de tous les traités conclus sous l’Ancien Régime ; le second est l’engagement, en conformité avec l’article 4 du traité du 22 mai 1790, à ne conserver dans ces traités que les clauses strictement défensives. En conséquence, Mirabeau propose de renvoyer à l’examen du Comité diplomatique ces corrections nécessaires et de confier aux ministres du roi le soin de « négocier le renouvellement du traité » d’après les bases exposées dans son rapport : la réforme des traités d’Ancien Régime dépend donc tout entière de la collaboration nécessaire du roi et de l’Assemblée. Adopté sans discussion, ce décret ne débouche pourtant sur aucune correction ultérieure du Pacte de famille de la part du Comité diplomatique, et sur aucune renégociation en un « pacte national » de la part du ministère des Affaires Étrangères.

23 Le Pacte de famille reste donc en l’état, comme tous les autres traités hérités de l’Ancien régime, qui ne seront jamais examinés que lorsque les circonstances l’exigeront – autrement dit, pour régler les différends survenus ponctuellement avec certaines puissances étrangères. Ainsi, quand contentieux il y a, le Comité diplomatique s’emploie à légitimer les prétentions françaises en se fondant sur la lettre même des traités, et en recourant à des solutions diplomatiques pour dédommager les puissances étrangères de leurs pertes. Ainsi, c’est strictement sous l’angle du droit public que Mirabeau, au nom du Comité, traite la question des princes possessionnés d’Alsace et que le principe des indemnités à négocier par l’Exécutif est décrété le 28 octobre 179030. De même, la question récurrente du rattachement d’Avignon à la France est tout à fait emblématique des réticences des Constituants à envisager autrement que sous l’angle du droit public le traitement des relations extérieures. C’est en effet de haute lutte que, le 14 septembre 1791, après quatre rapports successifs, Menou parvient à « arracher » in extremis à l’Assemblée le vote qui décrète le rattachement d’Avignon à la France – en arguant moins des principes de droit naturel que de la rupture effective des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.

24 En effet, le Comité s’est également refusé à être le porte-parole du droit des gens : s’il a pris en compte les réclamations des souverainetés étrangères, il a systématiquement occulté les revendications des nations, se refusant toujours à se faire leur avocat auprès de l’Assemblée. Enfin, il n’a disposé d’aucun droit de regard sur le profil et les agissements des agents diplomatiques, renonçant en cela à devenir l’artisan d’une réforme de l’appareil diplomatique, pourtant d’autant plus pressante que les ambassadeurs du roi se refusaient à devenir les organes de la nation. S’il n’a donc été à l’origine d’aucun rapport qui aurait permis de réformer la structure, les traités ou les principes diplomatiques, il a en revanche été particulièrement investi dans la question de la défense nationale. À celui que l’on suppose instruit des « secrets diplomatiques », les députés demandent logiquement de statuer sur la dangerosité des menaces sur les frontières : comme le Comité militaire et le Comité des recherches et des rapports avec

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lesquels il collabore étroitement, le Comité diplomatique doit veiller à l’exécution des décrets relatifs à la mise en défense des frontières nationales31. C’est ce que prouvent, au lendemain de Varennes, les rapports produits par Fréteau contre les émigrés et contre la sortie des hommes, des armes, du numéraire et des grains : à l’été 1791, le Comité diplomatique a ainsi fabriqué les lois qui permettent de rendre les frontières étanches et peut-être, déjà, de mettre la France en état de siège. Dans la continuité de cette politique, le Comité diplomatique de la Législative se serait distingué par la fabrication des décrets qui, à partir de l’automne 1791, aboutissent à la déclaration de guerre du 20 avril 1792.

Le Comité diplomatique de la Législative : une machine de guerre aux mains des « Brissotins » ?

25 L’idée selon laquelle Brissot se serait imposé comme « l’âme » du Comité diplomatique de la Législative et qu’il en aurait fait la tribune de sa campagne belliciste est l’une des plus communément admises. Dans la droite ligne des analyses de François Furet, Franck Attar s’emploie dans son dernier ouvrage à décrypter la genèse de cette « marche à la guerre » sous l’angle de la confiscation progressive, par Brissot et ses partisans, du débat sur la politique extérieure32. Pour ce faire, les Girondins auraient progressivement « investi le Comité diplomatique », en le transformant en un laboratoire de leur politique agressive33. Sans nier le rôle essentiel joué par Brissot dans la déclaration de guerre du 20 avril 1792, son instrumentalisation du Comité à cette fin belliqueuse mérite d’être réexaminée.

Une mission de surveillance de l’Exécutif : de l’implicite à l’explicite

26 Le Comité diplomatique de l’Assemblée législative est rétabli « à une très grande majorité » par le décret du 14 octobre 179134. Ce décret se contente de stipuler la création d’un « comité des questions et matières diplomatiques », sans définir pour autant ses attributions. Le décret du 15 octobre n’apporte pas plus de précision, sinon qu’il change l’intitulé du décret adopté la veille en instituant un « comité des matières diplomatiques ». L’hésitation sur l’intitulé initial de ce second Comité diplomatique n’est pas fortuite : le 14 octobre, les députés tentent de concilier les deux positions défendues lors du débat qui a présidé à sa renaissance - celles en faveur de l’examen des « matières » diplomatiques (la teneur des traités) et celles en faveur de la prise en charge des « questions » circonstancielles de la politique extérieure (le contrôle de la diplomatie). Le 15, les députés semblent avoir renoncé à cette seconde option et avoir souscrit à une formule qui rapproche le Comité diplomatique de la Législative de son prédécesseur de la Constituante. Reste que c’est le « flou » entretenu par ces deux décrets qui va permettre, dans la pratique, une extension très large de ses compétences : en ne défendant pas au Comité de surveiller l’action du ministre, tacitement, ces deux décrets l’y autorisent.

27 En effet, c’est la nécessité d’obtenir des renseignements fiables sur les rassemblements d’émigrés et sur les agissements des ministres qui va entraîner le Comité à examiner les « questions » plutôt que les « matières » diplomatiques. Dès le 20 octobre, derrière la question de la légitimité d’un décret sur l’émigration, se pose celle de l’aide potentielle (politique, militaire ou financière) que leur accordent les puissances qui les accueillent :

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sous la Législative, la question de l’émigration devient donc d’emblée la grande question diplomatique qu’ont en partie évacuée les Constituants. En effet, comment légiférer de façon adéquate sur cette question de l’émigration, si l’Assemblée ne dispose d’aucun renseignement sur la nature de ces rassemblements et sur leur potentielle collusion avec des puissances étrangères dont elle ignore les intentions ? Que le Comité soit naturellement appelé à devenir cet organe de renseignement, cela va de soi. Qu’il en vienne à devenir le principal outil de surveillance des émigrés, cela tient à l’absence, pendant deux mois, d’un comité chargé explicitement de la surveillance des complots contre-révolutionnaires. En effet, au début de la Législative, le Comité des recherches est supprimé, pour n’être finalement rétabli que le 25 novembre 1791 sous le nom de « Comité de surveillance ». Le Comité diplomatique se voit donc confier, de concert avec le Comité de législation, la mission de récolter des informations et de fournir des rapports sur ces complots contre-révolutionnaires.

28 Parallèlement, durant l’automne 1791, les Législateurs s’emploient à dissiper le flou sur la responsabilité ministérielle, afin de se donner les moyens de poursuivre pénalement les ministres. Présenté au nom du Comité de législation par Hérault de Séchelles le 22 février 1792, le rapport sur le mode d’exécution de la responsabilité ministérielle rend explicite ce que les Constituants avaient laissé dans l’implicite : en justifiant les non- dits du Code pénal par l’impossibilité de définir par une liste exhaustive les « délits négatifs », le Comité de législation reconnaît pour la première fois explicitement le droit pour les députés d’inculper les ministres pour leur négligence, autrement dit pour leur « responsabilité négative »35. En s’attribuant le devoir de surveiller les ministres et en s’adjugeant le droit de les poursuivre pour leurs délits de négligence, les Législateurs confèrent à leurs comités une compétence que leur avaient refusée les Constituants : celle de demander aux ministres des comptes sur leur administration. Car pour pouvoir décréter d’accusation les ministres, il faut pouvoir connaître leurs crimes : les comités sont donc tacitement chargés de fournir à l’Assemblée les renseignements à partir desquels elle peut statuer sur l’éventuelle culpabilité du ministre. Ce qui n’était qu’implicite, le décret du 25 janvier 1792 le rend obligatoire : en décrétant que « les comités remettront aux commissaires chargés de correspondre avec les grands procurateurs, toutes les pièces relatives à la poursuite des crimes de lèse-nation », l’Assemblée confie aux comités une mission d’enquête et d’expertise sur les actes de l’Exécutif.

29 Or, parce que les décrets d’accusation lancés par l’Assemblée contre les ministres sont soustraits au veto royal, le seul moyen de contourner le décret du 22 mai et de briser le monopole royal en matière diplomatique consiste donc à mettre en accusation le ministre des Affaires Étrangères : inculper ce dernier permet de s’emparer de la correspondance diplomatique et par là, d’instruire les députés des secrets qu’il a tentés de leur dissimuler. Dès lors, le Comité diplomatique de la Législative peut devenir ce que le décret du 29 juillet lui refusa et ce que les décrets des 14-15 octobre 1791 hésitèrent à lui reconnaître explicitement : un organe de contrôle du ministère des Affaires Étrangères. C’est ce contrôle étroit et nécessaire du Comité diplomatique sur le ministère, qui aurait permis à ses membres brissotins de fomenter la « marche à la guerre ».

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Le Comité diplomatique de la Législative, un comité « brissotin » ?

30 L’analyse de la composition du Comité diplomatique et de l’évolution des rapports de force en son sein invalide pourtant l’idée d’un Comité entièrement inféodé à la stratégie belliciste et propagandiste de ces « Girondins d’avant la Gironde »36. En effet, entre la fin octobre 1791 et la mi-mars 1792, le Comité diplomatique de la Législative n’est pas un espace girondin mais feuillant, dominé par Koch et non par Brissot.

Le Comité diplomatique : un comité feuillant

31 C’est ce que prouve la liste des douze premiers membres élus le 25 octobre 1791 au sein du Comité diplomatique de la Législative37 : seulement un tiers de ses commissaires est inscrit au club des Jacobins (Mailhe, Gensonné, Brissot et Rühl) tandis que cinq d’entre eux appartiennent au club des Feuillants (Lemontey, Baert, Ramond, Schirmer et Jaucourt). Sans être inscrits dans aucun de ses deux clubs, Koch, Briche et Treilh- Pardailhan penchent en faveur de ce dernier groupe. Du point de vue de la provenance géographique de ses commissaires, il faut noter la prédominance des députés originaires des départements frontaliers du Nord-Est : un tiers des membres du Comité proviennent des départements du Haut-Rhin (Schirmer) et du Bas-Rhin (Koch, Rühl, Briche), auquel on peut adjoindre Ramond de Carbonnières, certes élu à Paris, mais originaire de Strasbourg. De même que le débat sur la question du droit de guerre et de paix permettait d’expliquer la composition du Comité diplomatique de la Constituante, de même, ce sont les prises de position de ces députés dans le débat sur les émigrations (20 octobre-9 novembre 1790), initié par Brissot, qui les « propulsent » au sein du Comité diplomatique de la Législative : entre le 20 et le 25 octobre 1792, neuf des douze commissaires élus le 25 ont pris position sur cette question. Or, tous se sont distingués en s’opposant aux mesures de rigueur préconisées par Brissot38. Autant que les renseignements dont ils disposent sur ces rassemblements d’émigrés, c’est donc la « prudence » qu’ils ont manifestée sur cette question diplomatique des émigrés qui justifie l’élection de ces détracteurs de Brissot. En choisissant Ramond, Baert, Jaucourt, Lemontey (qui se sont tous signalés pour leur avis modéré dans le débat sur les émigrés) ainsi que les auteurs du rapport du 22 octobre 1792 (Koch, Briche, Ruhl, soutenus par Schirmer), les Législateurs ont donc adressé un vote de défiance au journaliste du Patriote français - lequel ne peut donc compter dans ce Comité diplomatique que sur le soutien de Gensonné. Plutôt que d’une « entrée remarquée »39 des Brissotins au sein du Comité diplomatique, il convient donc de souligner leur « entrée par la petite porte » – ce que confirme d’ailleurs l’absence de Brissot et de Gensonné lors de la première séance du Comité diplomatique, au cours de laquelle sont élus son président et son secrétaire40.

32 C’est à la fois ce poids politique des Feuillants et des députés de l’Alsace qui justifie l’élection, le 28 octobre, du spécialiste incontesté des questions de droit public, Christophe-Guillaume Koch, en tant que président du Comité diplomatique ainsi que sa réélection aux mêmes fonctions le 2 mars 179241. Entre l’automne 1791 et le printemps 1792, ce n’est pas donc pas Brissot le porte-parole officiel du Comité diplomatique, mais son président, Koch. Brissot a au contraire brillé par son silence, sinon par son absence du Comité diplomatique. La liste des affaires qui lui sont dévolues par le Comité diplomatique confirme cet effacement42. Quand il parle, c’est donc toujours en son nom propre et pour s’opposer aux options défendues par le Comité diplomatique : si Brissot

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agit sur le Comité diplomatique, ce n’est pas au cours de ses délibérations, mais « en dehors », en amont comme en aval des rapports produits par ses collègues. À cet égard, il n’a pas instrumentalisé le Comité diplomatique, il en a été au contraire l’un de ses principaux détracteurs.

Du « statu quo feuillant » au « putsch girondin » (mars 1792)

33 Le Comité diplomatique sous la Législative n’est renouvelé que deux fois et, dans les deux cas, en deux temps : d’abord par un tirage au sort qui permet d’exclure la moitié de ses membres (les 25 janvier et 6 juin 1792), puis par l’élection de nouveaux commissaires qui doivent remplacer par moitié les membres précédemment exclus par le sort (les 2 mars et 17 juillet 1792). Or, plutôt que d’introduire la rotation souhaitée, cette procédure a en fait permis de consolider à leur place les mêmes membres.

Tableau n° 3 : Les « faux renouvellements » du Comité diplomatique sous la Législative.

EXCLUS PAR LE EXCLUS PAR LE ELECTION DU 25 Elections du 2 mars ELECTIONS DU 17 SORT : SORT : OCTOBRE 1791 1792 JUILLET 1792 25 janvier 1791 6 juin 1792

MEMBRES

Koch ×

Ruhl × ➢ × ➢

Gensonné × Bonnier

Brissot × ➢

Lemontey × ➢

Briche × ➢

Baert × Lindet

Ramond × ➢

Mailhe × ➢

Schirmer × Daverhoult

Treilh-Pardailhan × Vienot de Vaublanc

Jaucourt × ➢ ×

SUPPLÉANTS SUPPLÉANTS [devenus titulaires à partir du 12 mars 1792]

Daverhoult Schirmer

Hérault de Fauchet Séchelles

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Carnot ainé Jean Debry × ➢

Delaunay Pozzo × ➢

Téalier Lasource

Dubois-Dubais Vergniaud

Collet Isnard

× : signale les membres exclus par tirage au sort. ➢ : signale les membres réélus.

34 Ainsi, le 2 mars 1792, quatre des six membres exclus lors du tirage au sort du 25 janvier 1792, sont immédiatement réélus (Ruhl, Lemontey, Jaucourt et Briche). Daverhoult, qui en devient commissaire, n’est pas véritablement « nouveau », puisqu’il avait été élu suppléant lors des élections du 25 octobre 1791. À l’inverse, Schirmer, titulaire depuis le 25 octobre, n’est pas définitivement exclu puisqu’il est élu le 2 mars 1792 en tant que premier suppléant. Ainsi, le renouvellement introduit le 2 mars 1792 n’exclut finalement véritablement que Treilh-Pardailhan et ne fait rentrer qu’un seul membre inédit : Vienot de Vaublanc. Le même phénomène se reproduit lors des élections du 17 juillet 1792 qui annule les effets de « l’épuration » du 6 juin 1792. Le 6 juin 1792, tandis que les six membres conservés le 25 janvier 1792 sortent (Koch, Ramond, Mailhe, Gensonné, Brissot, Baert) et que le sort désigne quatre nouveaux sortants (De Bry, Rühl, Jaucourt et Pozzo), sept des dix sortants sont pourtant immédiatement réélus le 17 juillet 1792 (Pozzo, Ruhl, Mailhe, Brissot, Jean Debry, Ramond, Koch) : sur les neuf membres que compte dès lors le Comité diplomatique, seuls Bonnier d’Alco et Lindet sont véritablement nouveaux.

35 On ne peut donc que souligner la permanence des mêmes membres au sein du Comité diplomatique : dix des douze membres élus le 25 octobre 1791 demeurent membres du Comité jusqu’au 17 juillet 1792 (Lemontey, Briche, Ruhl, Jaucourt, Baert, Mailhe, Gensonné, Ramond, Brissot et Koch) – voire onze, puisque Schirmer, nommé suppléant le 2 mars redevient membre délibérant dès le 12 mars. Huit d’entre eux étant reconduits le 17 juillet 1792, ce sont donc les trois quarts des douze membres élus le 25 octobre 1791 qui demeurent en poste au sein du Comité durant toute la durée de la Législative. Ainsi, la composition presque inchangée du Comité diplomatique entre octobre 1791 et septembre 1792 semble bel et bien plaider en faveur d’une prédominance tout au long de la Législative des adversaires de Brissot. À cet égard, les élections du 2 mars 1792 sont tout à fait emblématiques de la « prudence » de l’Assemblée à l’égard des positions défendues par les Brissotins : en reconduisant au sein du Comité diplomatique une majorité feuillante, hostile à la guerre, l’Assemblée législative a apporté un nouveau vote de défiance à Brissot.

36 Brissot tire donc la leçon de ces élections du 2 mars : pour obtenir la majorité au sein du Comité, il invente une solution juridique qui lui permet, dix jours après ces élections, d’en annuler les effets. Comment ? En augmentant le nombre de membres au sein du Comité diplomatique par la titularisation des six suppléants élus le 2 mars : trois d’entre eux sont des proches (Jean De Bry, Lasource et Vergniaud) et quatre d’entre eux sont ouvertement acquis au parti de la guerre (Hérault de Séchelles, Debry, Lasource et

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Vergniaud). Le 12 mars, deux jours après être parvenu à mettre en accusation le ministre Delessart, le groupe brissotin remporte en effet une seconde victoire en parvenant à faire voter, « à une très grande majorité », un décret que les députés avaient pourtant rejeté dix jours plus tôt : l’adjonction des suppléants au sein du Comité diplomatique43. L’offensive des Girondins pour s’emparer de la conduite de la politique extérieure ne daterait donc que de la mi-mars 1792 et se serait opérée par deux moyens : d’abord, par la destitution du ministre des Affaires Étrangères, Delessart, partisan de la paix, et par son remplacement par Dumouriez (décret du 10 mars) ; ensuite, par le renouvellement du Comité diplomatique réélu le 2 mars (décret du 12 mars). Ce ne serait donc qu’à partir de ce « putsch » du 12 mars que le Comité diplomatique, désormais composé de 18 membres, serait devenu brissotin et belliciste.

37 Encore faut-il nuancer la responsabilité de ce comité « brissotin » dans la déclaration de guerre. En effet, à partir de mars 1792, les Brissotins ne confisquent pas véritablement la parole au détriment des modérés du Comité diplomatique qui continuent à jouer un rôle actif. Mieux : entre le 12 mars et le 20 avril 1792, le Comité diplomatique ne s’exprimant plus sur les notes provenant de la cour de Vienne, ce ne sont pas ces suppléants girondins qui accélèrent la guerre. En effet, à partir de sa nomination au ministère le 15 mars 1792, Dumouriez « bâillonne » en quelque sorte le Comité qui semble s’en remettre entièrement à lui pour l’appréciation de la situation générale des relations extérieures. Si le 20 avril 1792 apparaît comme « le jour de gloire » de Dumouriez44, il est aussi le jour où l’abdication du Comité diplomatique face au ministre des Affaires Étrangères est peut-être la plus évidente : c’est en effet sur le seul rapport de Dumouriez et non sur le rapport du Comité diplomatique que la guerre est déclarée. Et de fait, le soir même, c’est sous la dictée de Dumouriez que ce Comité, en la personne de Gensonné, rédige le décret que l’on sait.

Le Comité diplomatique de la Législative : la défense de la « dignité nationale »

38 La liste des rapports produits par le Comité diplomatique de la Législative confirme la nécessité d’invalider la thèse d’un Comité « fauteur de guerre ». Cette liste montre qu’il a surtout été à l’initiative des décrets destinés à assurer la défense nationale, qui sont de deux ordres : ceux qui sont rendus avant la déclaration de guerre, relatifs aux mesures à prendre contre les émigrés, aux réponses ou ultimatums à adresser à l’Empereur, aux fonds extraordinaires destinés aux ministères de la guerre et des affaires étrangères (12 au total, qui constituent plus de 50 % des rapports produits entre octobre 1791 et la fin avril 1792 ) ; ceux rendus au lendemain de la déclaration de guerre (6 au total), relatifs à la circulation des biens et des personnes ou à la défense des frontières. À cela, s’ajoutent les décrets que l’on pourrait qualifier « d’arbitrage » qui portent sur les contentieux avec les puissances étrangères sur des points ponctuels de droit public (11), sur les réclamations des Français de l’étranger pour les persécutions dont ils sont victimes (11), et enfin, sur les ratifications de convention ou de traité (1 seulement).

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Tableau n° 4 : Classement thématique des rapports faits devant la Législative par le Comité diplomatique.

Rapports faits au nom du Comité diplomatique Nombre

Mesures contre les émigrés 4

Réponses ou ultimatums à fournir aux diverses notifications impériales 5

Demandes de fonds extraordinaires du ministère de la Guerre ou des Affaires Étrangères. 3

Réclamations des puissances étrangères : contentieux avec la France 11

Affaires particulières (Français de l’étranger) : vexations, injustices, persécutions… -rapports généraux (5) 11 -rapports sur des pétitions individuelles (6).

Mesures « circonstancielles » liées à la guerre et à la défense du royaume 3

Circulation des biens et des personnes 3

Dénonciation contre les agents de l’Exécutif 2

Ratification de conventions / traités 1

TOTAL 43

La question des émigrés et des « intentions » des puissances étrangères

39 Entre octobre 1791 et mars 1792, les décrets rendus contre les émigrés ainsi que les réponses adressées à l’Empereur ont été largement inspirés par les rapports du Comité diplomatique. Le glissement en quelque sorte « naturel », de la question des peines à infliger aux émigrés à celle des explications à exiger des puissances étrangères qui les protègent, est permis par l’article 14 du décret contre les émigrés du 9 novembre :

40 « Article 14 : L’Assemblée nationale charge son Comité diplomatique de lui proposer les mesures que le roi sera prié de prendre au nom de la nation, à l’égard des puissances étrangères limitrophes qui souffrent sur leur territoire les rassemblements des Français fugitifs »45.

41 Cet article confère au Comité diplomatique des attributions inédites : il est désormais chargé de fixer les bases sur lesquelles l’Exécutif doit négocier avec les puissances étrangères, en contravention avec les articles du décret du 22 mai. Par ce décret, le Comité diplomatique est en effet pour la première fois autorisé à légiférer en matière diplomatique, le roi étant tenu d’exécuter les décrets de l’Assemblée sur un domaine dans lequel il a pourtant constitutionnellement l’initiative. Durant l’automne 1791 et l’hiver 1792, trois solutions à ce double problème des rassemblements d’émigrés et de la complicité des puissances étrangères sont concurremment envisagées, occasionnant de violents débats au sein de l’Assemblée et une scission permanente au sein même du Comité diplomatique. Alors que trois « dissidents » du Comité diplomatique (Rühl, Daverhoult et Brissot) préconisent la formule de l’ultimatum pour lever toute

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ambiguïté sur les intentions des puissances étrangères, les solutions diplomatiques « classiques » constituent en revanche l’option défendue par les Feuillants.

42 En effet, c’est Rühl et Daverhoult, qui, en marge du Comité et en leur nom propre, lancent l’offensive contre les solutions modérées et diplomatiques prônées par Koch dans son rapport du 22 novembre. Le 27 novembre, non seulement Rühl exige de l’Exécutif qu’il force ses ambassadeurs à obtenir la dispersion complète des émigrés, sous peine de représailles armées mais il est le premier à déplacer le débat sur les intentions « hostiles » de l’Empereur46. À sa suite, Daverhoult sonne le glas des solutions diplomatiques classiques et entonne l’hymne à la guerre, en proposant de forcer les puissances étrangères à se prononcer sur leurs intentions à l’égard de la France dans des délais précis au terme desquels, la France serait tenue de leur déclarer la guerre47. La motion de Daverhoult, qui est renvoyée au Comité diplomatique, oblige donc Koch à présenter le 29 novembre un second rapport sur cette même question. Ce que l’Assemblée vote ce jour-là n’est donc pas un décret rendu au nom du Comité, mais, comme le dit Isnard, un décret de Daverhoult « amendé par le Comité diplomatique »48. Ce rapport de Koch « modère » en effet, et le ton, et les moyens prônés par son suppléant : d’une part, il efface la menace de représailles armées ; d’autre part, il « sauve » en quelque sorte les négociations rejetées en bloc par le député fayettiste, en préconisant deux moyens : en recommandant d’abord d’accélérer les négociations sur les indemnités consenties aux princes possessionnés en France - de sorte qu’en leur donnant satisfaction sur cette question, ils seront en quelque sorte condamnés à donner satisfaction à la France sur celle des émigrés ; en priant ensuite le roi de renouveler le corps diplomatique pour y faire rentrer des ministres patriotes - à la fois pour obtenir des renseignements « fiables », qui permettent de démentir les « rumeurs » en provenance des départements frontaliers (systématiquement relayées par Rühl dans l’enceinte parlementaire), mais également, pour assurer le succès de ces mêmes négociations.

43 C’est pourtant la victoire de cette diplomatie de la fermeté (par « l’ultimatum »), sur la diplomatie classique (par la négociation) qui entraîne la déclaration de guerre du 20 avril 1792. Cette diplomatie de la négociation par l’ultimatum (ou de l’ultimatum sans la négociation), soutenue par Daverhoult et Rühl à l’automne 1791, est en effet récupérée à partir de janvier 1792 par Gensonné et par Brissot. Or, si Brissot adhère alors à cette politique de l’ultimatum, c’est moins pour l’issue militaire à laquelle elle peut aboutir, que pour la fin de ces « mensonges diplomatiques » qu’elle doit enfin permettre d’obtenir. En effet, si la diplomatie ne permet pas de faire respecter la dignité nationale à l’étranger, parce qu’entre les mains d’ambassadeurs royalistes, elle est devenue un outil de la contre-révolution, non seulement il ne faut plus faire confiance à l’outil diplomatique, mais il faut renoncer à en faire usage. C’est donc en quelque sorte parce que la diplomatie demeure « malade » que la guerre devient, à terme, nécessaire. Dans les quatre grands discours qu’il prononce devant la Législative (20 octobre, 27 décembre, 17 janvier, 10 mars), Brissot ne varie pas de ligne : si la France révolutionnaire ne peut négocier avec des puissances rétives au dialogue diplomatique, ce n’est que par la guerre qu’elle peut « forcer » ces puissances à reconnaître sa souveraineté. En adoptant cette diplomatie de l’ultimatum, Brissot ne veut initialement, ni démasquer le roi, ni faire tomber la monarchie constitutionnelle, ni libérer les peuples voisins, mais donner, par la menace de guerre, ce que la diplomatie royale lui refuse : les moyens pour la France de défendre son indépendance en Europe.

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La subordination des principes du droit des gens aux logiques de l’intérêt national ?

44 Le Comité diplomatique de la Législative se spécialise dans le traitement et le règlement de trois types de questions : les réparations des « insultes » subies par les Français à l’étranger, les réclamations des étrangers qui demandent justice à l’Assemblée et les réclamations des gouvernements étrangers sur des points ponctuels de droit public. À la différence de son prédécesseur, le Comité de la Législative produit beaucoup plus de rapports sur les persécutions subies par les Français à l’étranger, qui sont désormais traitées en regard de la protection que ces mêmes puissances étrangères accordent aux émigrés contre-révolutionnaires. Ces rapports témoignent d’une prise de conscience : la nécessité pour l’Assemblée de secourir les intérêts français compromis à l’étranger par les négligences des agents de l’Exécutif. La première évolution est d’ordre politique : de la question ponctuelle des vexations subies par les Français de l’étranger, le Comité diplomatique passe à la question générale des dispositions de ces puissances étrangères à l’égard de la France. Le Comité de la Législative opère en la matière une « traduction » des intentions de ces puissances, désormais mesurée à l’aune des vexations qu’elles font subir aux Français de l’étranger. La seconde évolution est d’ordre géographique : le rapport du 17 février 1792 relatif à l’arrestation illégitime de deux Français dans les Pays-Bas autrichiens, les trois rapports de Ramond sur la situation des Français en Espagne, ainsi que ceux qui sont rendus en juillet-août 1792 sur les persécutions subies par les Français en Savoie et en Suisse, témoignent de l’élargissement géographique de son champ de compétences : il étend désormais sa suspicion, son examen et ses réclamations à l’ensemble des puissances européennes. La troisième évolution est d’ordre institutionnel : sous la Constituante, le Comité diplomatique se contentait de renvoyer ce type de réclamations au ministère des Affaires Étrangères, en le priant de tout mettre en œuvre pour rendre justice aux victimes françaises. En dessaisissant l’Exécutif de ces dossiers, la Législative légifère désormais sur ces objets : dès lors qu’un décret est rendu à cet égard, le ministre n’est plus seulement « prié », il est « tenu » de l’exécuter et d’obtenir gain de cause auprès des puissances étrangères. De la sorte, le Comité diplomatique ne se contente plus d’orienter les négociations, il les dicte.

45 Le Comité de la Législative se distingue aussi par le règlement des questions laissées en suspens par celui de la Constituante, portant notamment sur le statut des étrangers en France. Sur ce point, il faut souligner que les principes du droit des gens sont demeurés entièrement subordonnés aux exigences de l’intérêt national. Le rapport produit par Ramond les 20-21 décembre 1791 en témoigne : informé la veille de l’arrivée d’un nombre considérable de Brabançons dans les environs de Lille et de Douai, le Comité diplomatique est chargé d’examiner les mesures à prendre sur ce rassemblement : composé de réfugiés belges statistes, expulsés de leurs pays, ces Brabançons semblent préparer une invasion en Belgique, comme le prouvent les enrôlements auxquels ils procèdent. La question soulevée par cette affaire se décline en deux volets, qui mettent en balance les impératifs du « droit des gens » (et des lois de l’hospitalité) avec les nécessités de la « sûreté nationale » : faut-il « protéger » des étrangers aux vues hostiles contre un voisin (l’Empereur) dont on cherche alors d’autant plus à ménager la susceptibilité qu’on l’a sommé de disperser les rassemblements d’émigrés français ? Faut-il appuyer cette propagande révolutionnaire ou ménager l’allié impérial ? En

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somme, faut-il sacrifier la cause révolutionnaire étrangère aux intérêts diplomatiques momentanés de la France49 ? En optant pour la seconde solution, sous couvert de ne pas soutenir des réfugiés dont la révolution « aristocrate » apparaît suspecte, et en proposant de les accueillir à la condition qu’ils dispersent leur rassemblement armé, le Comité diplomatique persiste donc à subordonner les principes de solidarité à l’égard des peuples en révolution, à la logique de l’intérêt national. De même, la multiplication des contentieux avec l’étranger pose la question de la compatibilité entre le droit public de l’Europe, hérité de l’Ancien Régime (les traités diplomatiques) et le droit positif révolutionné par les députés (les décrets de l’Assemblée). Appelé à arbitrer ces conflits de droits, le Comité diplomatique a, suivant les cas, prôné l’une ou l’autre des options, sans établir de véritable règle. La seule qui semble avoir été suivie en la matière est, là encore, celle de l’intérêt national.

46 L’affaire des Suisses du régiment de Châteauvieux est emblématique des problèmes posés par la conciliation nécessaire entre ce que Lemontey appelle « l’humanité et la politique »50, autrement dit, entre les principes du droit des gens et la lettre des traités diplomatiques. Dans les séances des 24-31 décembre 1791, Mailhe présente un rapport au nom du Comité diplomatique sur les 41 Suisses du régiment de Châteauvieux détenus aux galères de Brest, qui ont été exclus de la loi d’amnistie du 14 septembre 1791 par les Constituants. Ces derniers s’étaient fondés en cela sur la lettre même des traités passés entre la France et les cantons helvétiques, qui stipulent que les Suisses « ont toujours conservé une police sur leurs corps militaires qui sont au service de la France »51. Cependant, par le décret du 15 septembre 1791, les Constituants avaient chargé le roi « d’interposer ses bons offices » auprès de la Suisse pour obtenir leur libération52. C’est parce que ce décret n’a pas été exécuté par Montmorin que cette affaire est renvoyée au Comité53. Or, dans le rapport qu’il présente le 24 décembre 1791 sur cette question, le Comité diplomatique épouse l’avis du ministre, Delessart qui, deux jours plus tôt, lui avait conseillé la prudence afin de ne pas froisser la susceptibilité des alliés suisses54. Le Comité souscrit donc au « respect dû aux traités » plutôt qu’aux règles du droit des gens, en proposant une solution intermédiaire qui consiste à solliciter leur grâce auprès des chefs militaires de ce régiment55. Un constat s’impose : sous la Législative, la défense de l’intérêt national a constamment prévalu sur la promotion des « droits naturels » dans la production des décrets sur la politique extérieure. La dignité nationale ne dépend pas du respect de ces principes de droit, mais uniquement du respect des puissances étrangères à l’égard du « nom français ». C’est pour s’assurer de ce respect que le Comité a constamment disputé au ministère son monopole du renseignement diplomatique.

La « bataille » pour le contrôle du renseignement sur l’étranger

47 Trois décrets, rendus sur des rapports ou sur des motions du Comité, forment les jalons essentiels de cette bataille constante des députés pour s’emparer du renseignement diplomatique. Le décret du 1er-2 janvier 1792 stipule que « le ministre des Affaires Étrangères rendra compte de tous les éclaircissements relatifs aux complots des révoltés près les cours étrangères et la désignation de leurs principaux agents ». Ce décret constitue une addition au décret d’accusation rendu la veille contre le cardinal de Rohan : pour remédier au manque de preuves avérées contre d’Autichamps, Breteuil et Bouillé, le rapporteur de ce décret, Gensonné propose d’aller rechercher ces preuves dans la correspondance diplomatique56. De la sorte, le Comité fait en quelque sorte

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d’une pierre deux coups : en rendant le décret d’accusation contre les chefs des émigrés contre-révolutionnaires, il se donne également les moyens de décréter d’accusation les agents de l’Exécutif qui n’auraient pas relayé ou qui ne transmettraient pas les renseignements intéressant la sûreté nationale57. Essentiel, ce décret marque un tournant capital dans l’identification même des « ennemis » de la Révolution : les mesures de rigueur ne visent plus seulement les traîtres du dehors (les émigrés), mais également ceux de l’intérieur (les ministres et leurs agents infidèles). Si ce décret fait des dépêches des preuves pour confondre, officiellement, les émigrés et, officieusement, les agents diplomatiques, celui du 2 février en fait des preuves des « mensonges par omission » du ministère.

48 Le décret du 2 février 1792 viole pour la première fois la « règle d’or » à laquelle les Constituants n’ont jamais voulu toucher : celle du secret diplomatique. La veille, alors que le ministre avait été dénoncé pour son « silence » quant aux intentions hostiles de l’Espagne, Goupilleau avait demandé que « les ministres soient tenus de nous lire les lettres qu’ils reçoivent, entièrement et non par extraits, parce qu’on nous trompe toujours avec des extraits ». Delacroix pointe alors du doigt une des failles structurelles du système de communication entre l’Assemblée et les ministres : en laissant au ministre la possibilité de sélectionner à sa guise les documents et les extraits de la correspondance diplomatique, il peut minimiser les dangers et fausser ainsi les délibérations des députés. Pour y remédier, il faut donc permettre au Comité diplomatique de prendre connaissance de la correspondance officielle des ambassadeurs58. En effet, ce décret autorise le Comité à se faire rendre compte de la correspondance et des instructions qui leur sont envoyées : en substance, il donne donc au Comité le pouvoir de suivre les négociations menées par les agents de l’Exécutif. Le 20 février 1792, le ministre Delessart s’engage à communiquer non plus des extraits ou des synthèses (qui, avant cette date, sont qualifiés dans les registres du comité de « nouvelles »), mais également des « dépêches originales » dont il donne désormais lecture au comité59.

49 Enfin, le décret du 14 mars, qui ordonne au ministère de délivrer au Comité la « copie de la correspondance avec les envoyés de France chez les puissances étrangères », a été interprété comme un véritable transfert de la diplomatie, du ministère vers le Comité. En réalité, ce décret n’est qu’un complément du décret d’accusation rendu contre Delessart le 12 mars. Rappelons en effet que trois des chefs d’inculpation retenus contre lui sont relatifs à ce déficit de communication des renseignements diplomatiques. Ce décret n’a donc qu’une portée rétrospective, puisqu’il ne s’applique qu’à la correspondance diplomatique échangée sous le ministère de Delessart et il ne vise qu’à donner à la Haute Cour nationale les preuves légales de la culpabilité de Delessart60. En ce sens, ce décret n’a pas autorisé le comité à s’emparer du suivi de la correspondance diplomatique, mais seulement à prendre connaissance des dépêches qui peuvent servir de pièces à conviction pour l’instruction du procès de Delessart.

50 Peut-on dès lors considérer que le Comité diplomatique a bel et bien remplacé le ministère entre 1790 et 1792 ? À l’évidence, non. Les trois décrets des 2 janvier, 2 février et 14 mars n’ont jamais eu qu’un seul but : il s’agissait moins pour les Brissotins de s’emparer de la diplomatie au détriment de l’Exécutif, que de se donner les moyens de contrôler l’action ministérielle et de confondre un ministre « suspect » : lui ôter les moyens de nuire ne signifiait pas pour autant que le comité ait rendu par là le ministère impuissant, ni même qu’il l’ait effectivement dépouillé de tout pouvoir. Dès

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lors que ce ministre est remplacé par un « patriote » (Dumouriez), la question de cette surveillance nécessaire ne se pose plus ni dans les mêmes termes, ni avec la même extension. La lutte menée par les Brissotins en faveur de la communication de la correspondance diplomatique permettait, certes, de leur donner un droit de regard sur les négociations menées par l’Exécutif. Elle ne leur donnait pour autant aucune influence sur le recrutement diplomatique et aucun moyen d’orienter réellement ces négociations.

51 Si le Comité diplomatique ne s’est pas emparé de cette correspondance diplomatique et s’il n’a donc pas remplacé le ministère, il a en revanche eu tendance à substituer aux informations officielles les avis officieux qu’il recevait ou qui lui étaient renvoyés. Selon Franck Attar, les Girondins seraient parvenus à s’emparer du Comité diplomatique en violant le règlement de l’Assemblée sur trois points : d’une part, en ne procédant pas au renouvellement trimestriel du comité, puis en adjoignant à ce comité avec voix délibérative les six suppléants élus le 2 mars – soit une double entorse au décret du 14 octobre 1792 ; d’autre part, en recevant directement des lettres, mémoires et adresses sans passer par le filtre du Comité des pétitions et du bureau de l’Assemblée pour leur permettre d’exercer « un « contrôle sans concurrence sur le traitement des questions internationales par l’Assemblée »61- et ce, en contravention avec l’article 25 du règlement intérieur de l’Assemblée ; enfin, en transformant le Comité diplomatique, d’un organe d’information en un « organe de décision », ce qui en aurait fait « un instrument de conquête de l’Assemblée, en violation des dispositions du règlement de celle-ci » – en l’occurrence, de l’article 26 du même règlement qui stipule que « les comités ne pourront en aucun cas répondre à des demandes ou questions, ni former de décisions, soit provisoires, soit définitives ».

52 Sur le premier point, il faut souligner que le « putsch » des Girondins le 12 mars ne procède pas d’une entorse au règlement, qui aurait été inédite et spécifique à ce Comité : non seulement les comités ont toujours usé de ces « règles générales » avec beaucoup de liberté (en témoigne la règle du non-cumul, constamment violée sous les trois assemblées), mais le flou du règlement laissait une marge d’interprétation que d’autres comités ont su exploiter. Faire du règlement de l’Assemblée la « loi cardinale » du fonctionnement des comités, c’est aussi oublier que ce règlement est avant tout le fruit d’un contexte (celui du « procès » de l’omnipotence des comités de la Constituante, qui justifie l’adoption des articles 25 et 26) et que la plupart des articles contenus dans ce règlement ont été en partie annulés par des décrets ultérieurs, qui ont reconnu aux comités le droit de correspondre directement avec les administrations provinciales. Les comités ont donc eu deux vocations majeures : celle d’interprètes de la loi auprès des organes subalternes de l’Exécutif, celle de courroie de transmission entre les citoyens et les administrations d’un côté, et l’Assemblée et le ministère de l’autre.

53 Les comités ont bénéficié, sous la Constituante, comme sous la Législative, d’un pouvoir réglementaire que les députés ont cherché, dès 1789, à ôter au pouvoir Exécutif62. En dotant leurs comités de cette « attribution intermédiaire » entre l’Exécutif et le Législatif (le droit « de faire des prescriptions secondaires nécessaires à l’application des lois »)63, les députés se sont donné un outil pour surveiller l’exécution des lois mais également pour la préciser, sans nécessairement passer par l’adoption de « décrets réglementaires ». Ainsi, dès le 3 novembre 1791, l’Assemblée législative adopte un décret qui autorise « le bureau des renvois et correspondances à renvoyer à chaque comité les pétitions et pièces qui ont rapport à chacun de ces comités »64. Il en va de

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même des pétitions, que les comités sont officiellement autorisés à examiner en vertu du décret du 7 janvier 1791 qui stipule que « les pétitions adressées à l’Assemblée seront renvoyées dans les comités qui en rendront compte à l’Assemblée nationale ». Le droit de pétitionner à la barre de la Constituante dépend donc de l’avis émis par le comité sur ces pétitions que lui renvoient l’Assemblée65. Enfin, le décret du 20 novembre 1791 charge les comités de « renvoyer les différentes pétitions sur lesquelles l’assemblée a décrété qu’il n’y avait pas lieu à délibérer aux différents pétitionnaires », avec mention des ministres, corps constitués, et comités, auxquels les pétitionnaires doivent s’adresser : les comités sont donc autorisés à traiter les pétitions qui n’ont pas été jugées « dignes » de parvenir jusque dans l’hémicycle parlementaire66. Rarement portées devant les députés mais directement traitées « en interne »67, ces pétitions au Comité diplomatique sont de trois ordres : il s’agit soit de demandes de radiation de la liste des émigrés, soit de demandes de naturalisation, soit de requêtes d’intercession dans les affaires judiciaires impliquant à l’étranger des citoyens français. Ce même 20 novembre 1791, l’Assemblée prend un décret qui annule les dispositions prises par l’article 25 du règlement de la Législative en autorisant une correspondance directe entre les comités et les administrations « pour se procurer les renseignements et éclaircissements qu’ils croiront nécessaires sans pouvoir, dans aucun cas, donner ni avis ni décisions »68.

54 Ces dérogations successives au règlement donnent donc au Comité diplomatique un privilège essentiel : la maîtrise de l’information sur l’étranger en provenance de sources autres que celles, officielles mais secrètes, de la diplomatie. Privilège à double tranchant : car si le Comité diplomatique dispose ainsi de preuves pour démentir le discours diplomatique relayé par le ministère, il doit aussi à la fois tenir compte de ces renseignements et satisfaire les attentes de ceux qui les relaient. À ne vouloir considérer que les pressions exercées par le Comité sur le ministère, on oublie que ces pressions ne sont aussi que le résultat de celles exercées par cette « voix patriote » sur les législateurs. Si le Comité diplomatique fait pression (sur l’Exécutif), c’est parce qu’il est lui-même sous pression (de l’opinion publique).

55 En effet, non seulement la voix de l’opinion publique concurrence la voix diplomatique, mais elle entre directement en conflit avec elle dans l’appréciation des dangers extérieurs qui menacent la France : la première ne cherche qu’à relayer des nouvelles inquiétantes, quand la seconde n’a de cesse de tranquilliser. Les lettres, adresses et pétitions reçues directement ou indirectement par le Comité, qui émanent dans leur grande majorité, soit de particuliers, soit des administrations provinciales (départements, districts ou communes), sont généralement de trois types : il s’agit de réclamations individuelles ou locales, qui réclament des réparations pour les vexations subies à l’étranger ; de mémoires relatifs aux questions ponctuelles ou générales de politique extérieure ; ou encore de lettres dénonçant la collusion des puissances étrangères avec les émigrés – ces dernières étant proportionnellement les plus nombreuses. Ces documents ne se contentent pas d’informer les députés de la teneur des dangers qui menacent la France. Ils sont également porteurs de réclamations et de dénonciations : ils réclament presque toujours un renforcement des moyens de défense (lesquels sont systématiquement présentés comme déficitaires) et ils dénoncent les agents de l’Exécutif, soit pour leur négligence, soit pour leur collusion avec les ennemis de la France. En cela, les archives du Comité sont bel et bien le produit de cette peur de l’étranger et de cette défiance de l’Exécutif.

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56 La voix publique s’est-elle faite pour autant le véhicule de la déclaration de guerre ? Pas véritablement, si l’on en croit les pièces conservées dans les archives du Comité : à l’exception de l’intermède compris entre mars et mai 1792, ni les départements frontaliers ni les citoyens n’ont réclamé à cor et à cri la guerre. En revanche, tous s’accordent sur une double nécessité : celle de mener une politique de rigueur et de fermeté à l’égard des puissances étrangères afin de relever la dignité nationale et celle de ne plus accréditer les rapports des agents de l’Exécutif qui ne font « qu’endormir » les députés sur les dangers réels qui menacent la France. En ce sens, la voix de l’opinion publique a moins servi de caution à la déclaration de guerre, en tant que telle, qu’à la « diplomatie par l’ultimatum » menée par l’Assemblée entre janvier et avril 1792. L’étude approfondie du Comité de la Législative permet donc de relativiser la responsabilité des Brissotins dans la déclaration de guerre d’avril 1792. Celle du Comité diplomatique de la Convention permet quant à elle de remettre en cause l’idée qu’ils auraient été les auteurs de l’expansion militaire française à l’automne 1792.

Le Comité diplomatique de la Convention : un comité « propagandiste » ou « expansionniste » ?

57 L’expansion militaire française de l’automne 1792 a généralement été attribuée à la prédominance des idées propagandistes et bellicistes des Girondins au sein de la Convention. Cette « période girondine », comprise entre l’automne 1792 et le printemps 1793, a généralement été identifiée comme un véritable âge d’or de la « diplomatie de propagande », qui aurait été théorisée dans le décret du 19 novembre 1792 et permise par le rôle directeur de Brissot au sein du Comité diplomatique. Une telle interprétation repose cependant sur trois postulats contestables : que les principes des Girondins aient été véritablement expansionnistes et propagandistes, que ce « parti » ait réellement dominé le Comité diplomatique et que ce dernier ait bel et bien été l’organe de la politique extérieure.

Le Comité diplomatique de la Convention face au Conseil Exécutif provisoire : tutelle ou collaboration ?

58 Entre août et septembre 1792, le passage de la monarchie constitutionnelle à la République se fait davantage sous l’angle de la transition que de la rupture institutionnelle. Cette transition est ménagée par le maintien des principaux comités hérités de la Législative. Bien que redéfinis, ces derniers n’en conservent pas moins leur forme et leur fonction, tant de laboratoire des lois que de tuteur d’un Exécutif désormais « provisoire ». Paradoxalement, les compétences des comités à vocation exécutive ne sont pourtant que peu explicitées : si l’Exécutif a été « décapité » par la révolution du 10 août, quel rôle incombe désormais aux comités chargés de la surveillance de ce gouvernement « sans tête »69, qui est pourtant désormais composé de ministres élus par les députés ?

Une reconduction sans discussion : la nition ambigüe du Comité diplomatique

59 Comme lors du précédent changement de législature, les comités de la Législative sont appelés devant les Conventionnels pour « déposer leur bilan », et suivant une

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procédure analogue, sont ou non, conservés par la nouvelle Assemblée. Dès le 29 septembre, la Convention décide « d’établir sur-le-champ les comités qu’elle jugera nécessaires »70, à partir de la liste des comités existant sous la Législative71. Le peu de débat soulevé par leur maintien ou leur suppression suggère que les députés en 1792 ont majoritairement admis la nécessité et la légitimité de leur existence – qui étaient pourtant encore contestées à l’automne 1791. C’est ainsi que le 2 octobre 1792, la Convention décrète sans discussion la formation d’un Comité diplomatique composé de neuf membres, mais sans définir réellement ses fonctions72. Une esquisse de définition se retrouve cependant dans un document spécifique, absent des Archives parlementaires : « l’instruction sur l’établissement des comités de la Convention nationale » rédigée par le président du Comité des pétitions et de correspondance (Eugène Gossuin)73. Dans ce mémoire, deux types de comités sont clairement distingués parmi les 23 recensés : ceux « dont les fonctions sont relatives au régime intérieur de la Convention nationale » ; ceux « occupés au régime général de la République […] dont les fonctions embrassent toutes les parties du gouvernement ». Compris dans cette dernière catégorie, le Comité diplomatique reçoit les attributions suivantes : « Ce comité, établi par le même décret du 2 octobre dernier [qui fonde le comité colonial], et composé de neuf membres, est chargé d’examiner et de proposer à la Convention nationale tout ce qui peut intéresser la République sous le rapport de ses relations avec les nations étrangères »74.

60 Cette redéfinition des compétences du Comité diplomatique de la Convention introduit deux nouveautés majeures par rapport aux législatures précédentes : d’une part, pour la première fois, les députés lui reconnaissent une initiative en termes diplomatiques dont ne bénéficiaient pas ses prédécesseurs puisqu’il a le pouvoir de « proposer » des projets de décrets en matière de politique extérieure ; d’autre part, le Comité n’y est plus défini comme le « surveillant » du ministère des Affaires Étrangères : il doit se cantonner à « l’examen » de ses actes. Par là, la République postule entre ses comités législatifs et son Conseil Exécutif un concert inédit qui procède de la réconciliation théorique entre ces deux pouvoirs. Désormais, le Comité diplomatique est considéré comme l’auxiliaire, voire comme l’adjuvant du ministre des Affaires Étrangères, et non plus comme l’opposant qu’il a toujours été. De fait, ce Comité ne servira ni de guide, ni de censeur à l’Exécutif.

Le Comité diplomatique à la remorque de l’Exécutif (octobre 1792-janvier 1793)

61 En comparant le tableau des communications faites par le nouveau ministre des Affaires Etrangères, Lebrun, devant le Conseil Exécutif et celui des nouvelles, rapports ou dépêches qu’il adresse au Comité, trois conclusions s’imposent : d’une part, il y a un décalage temporel important entre les nouvelles qu’il transmet au Comité et celles qu’il rapporte au Conseil (de l’ordre d’une semaine à dix jours en moyenne) ; d’autre part, le ministre ne se fait pas l’écho systématique des nouvelles qu’il transmet par ailleurs au Conseil Exécutif ; enfin, Lebrun prend l’habitude d’informer directement l’Assemblée de certains événements ou de certains arrêtés du conseil relatifs à la diplomatie, sans passer au préalable par le « filtre » du Comité. Celui-ci ne joue donc aucun rôle de censure par rapport aux informations relayées par le ministre dans l’enceinte parlementaire, encore moins sur les arrêtés qui sont votés au sein du Conseil. Le Comité se contente de traiter des objets qui lui sont renvoyés par la Convention après lui avoir été soumis par Lebrun. Sur les vingt-quatre communications adressées par le ministre

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au Comité, seulement cinq rapports sont relatifs aux dispositions des principales cours européennes, tandis que tous les autres ne portent que sur des objets diplomatiques mineurs. Enfin, Lebrun ne semble pas s’être rendu physiquement au sein du Comité aussi souvent (cinq fois seulement) que ses prédécesseurs, pour traiter avec lui des affaires en cours.

62 L’examen du registre des délibérations du Conseil Exécutif confirme les conclusions permises par l’étude du registre des procès-verbaux du Comité. Durant l’automne 1792, les communications entre l’Exécutif et le Comité diplomatique, ont été quasiment nulles : d’un côté, Lebrun se contente de produire des rapports très sommaires et très sélectifs au Comité, de l’autre, le Conseil et le Comité n’ont entretenu presque aucune communication. On peut conclure que le Comité a laissé les mains libres au Conseil Exécutif en matière diplomatique et qu’il n’a exercé qu’un contrôle très lâche, sinon indigent, sur la politique suivie par le ministère. Le Comité diplomatique ne fut donc pas, contrairement à ce qu’affirment plusieurs historiens, l’organe décisionnel en matière de politique extérieure au début de la République. Il ne traite des questions diplomatiques que dans deux cas : lorsqu’il y a litige avec des puissances étrangères sur des points ponctuels de droit qui réclament un examen des traités et lorsqu’il y a violation du droit des gens à l’encontre des citoyens français. À l’inverse, s’il produit essentiellement des rapports sur la gestion et le devenir des conquêtes militaires françaises, ce n’est pas lui qui décide de ces conquêtes, qui sont arrêtées par le Conseil Exécutif et dont la Convention n’est jamais instruite qu’après coup.

Le Comité diplomatique de la Convention : un comité « jacobin » sans tête ou bicéphale ?

63 À l’automne 1792, le parti de Brissot serait parvenu à diriger la politique extérieure en se servant du « bastion girondin » que constitue le Comité diplomatique et de ses deux « chevaux de Troie » que sont, au sein du Conseil Exécutif, le ministre des Affaires Étrangères (Lebrun) et le ministre de l’Intérieur (Roland). En réalité, cette prétendue hégémonie des Girondins sur le Comité doit être relativisée. Tous les membres du Comité diplomatique de la Convention bénéficient d’une certaine expérience sur les questions de politique extérieure, qu’ils ont acquise sous les deux précédentes législatures. En effet, huit des neuf membres élus le 11 octobre 1792 ont été députés sous les deux précédentes assemblées (six sous la Législative, deux sous la Constituante) et deux d’entre eux ont siégé au sein du Comité de la Législative (Brissot et Gensonné). Cependant, cette expérience est sans nul doute le seul dénominateur commun de ces nouveaux élus : tant du point de vue de leurs affinités politiques que du point de vue de leur conception de la guerre, ce comité apparaît comme un patchwork d’opinions divergentes. Ainsi, du côté des « cosmopolites », on peut ranger l’abbé Grégoire qui, sous la Constituante, s’est distingué à plusieurs reprises par la défense du droit des nations, ainsi que le baron prussien Anarchasis Cloots qui s’est imposé à la tête des nombreuses députations d’étrangers réfugiés en France comme le porte-parole de la propagande révolutionnaire par la guerre. Reubell a été le principal détracteur du Comité de la Constituante, en s’opposant systématiquement aux mesures de conciliation prônées par ses rapporteurs à l’égard des puissances étrangères. Guyton- Morveau et Carnot sont, quant à eux, deux spécialistes des questions militaires, comme le prouvent leurs interventions répétées dans toutes les discussions relatives à la défense nationale sous la Législative. Enfin, Guadet et Kersaint se sont signalés sous la

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Législative durant les grands débats sur la guerre comme les principaux soutiens des positions défendues par Gensonné et Brissot.

64 En outre, la composition de ce Comité témoigne plutôt de la recherche d’un équilibre entre les deux tendances politiques de la Convention, qui penche, certes, en faveur des Girondins, mais de peu : si cinq des neuf commissaires appartiennent à cette nébuleuse girondine (Brissot, Guadet, Gensonné, Kersaint et, dans une moindre mesure, Grégoire75), les Girondins ne disposent pas pour autant de la majorité : Gensonné quitte le Comité diplomatique immédiatement après y avoir été élu, pour céder sa place au premier suppléant, Charles Villette (membre de la Plaine et l’un des principaux rédacteurs de la Chronique de Paris). À l’inverse, trois des commissaires élus le 11 octobre sont Montagnards (Carnot, Cloots et Guyton-Morveau) auxquels on peut leur adjoindre Reubell, bien que ses choix politiques le rendent plus difficilement classable76. Ainsi, le Comité de la Convention ne semble pas tant avoir été dirigé par un « parti », que composé d’une somme d’individualités dont les positionnements sur la diplomatie et sur la guerre ne sont pas encore nettement définis en octobre 1792. C’est pourquoi les rapports de force y sont beaucoup moins lisibles que ceux de la Constituante et de la Législative. En effet, si Koch et Gensonné apparaissent bel et bien comme les deux chefs de file du Comité diplomatique de la Législative, comme l’avaient été Mirabeau et Fréteau de Saint-Just sous la Constituante, le Comité de la Convention ne semble pas avoir eu de véritable « chef de file », mais plutôt une direction en deux temps et à deux têtes : plutôt girondine à l’automne 1792, clairement montagnarde à partir de janvier 1793. C’est ce que révèle le tableau ci-dessous qui recense l’intégralité des rapports produits devant la Convention par le Comité diplomatique.

Tableau n° 5 : Les rapporteurs du Comité diplomatique de la Convention.

Commissaires Nombre de rapports

Carnot 10

Guyton-Morveau 5

Grégoire 3

Guadet 2

Debry 2

Brissot 2

Kersaint 1

Cloots 1

Reubell 1

Villette 0

Anonyme 1

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Mailhe 1 [ex-membre du Comité diplomatique de la Législative]

Lasource 1 [ex-membre du Comité diplomatique de la Législative]

TOTAL 30

65 Au total, durant l’automne 1792, le noyau dur des Girondins (Brissot, Guadet, Kersaint), n’a produit que six rapports (sept en comptant celui de Lasource, ex-membre du Comité diplomatique de la Législative), auxquels on peut ajouter les trois rapports produits par Grégoire et les deux de Jean De Bry. Ainsi, en fournissant à eux seuls quinze des trente rapports du Comité diplomatique, essentiellement à partir du mois de janvier 1793, ce sont Carnot et Guyton-Morveau, deux Montagnards, qui ont en réalité dominé ce Comité. L’opposition la plus visible se situe donc entre les deux « têtes » successives du Comité, Carnot et Brissot, et autour d’une pierre d’achoppement : la question des « réunions », autorisée par le décret du 15 décembre, dont le premier s’est fait le véritable porte-parole au nom du Comité et le second, le détracteur.

Comité diplomatique ou comité de gestion des conquêtes militaires ?

66 Entre l’automne 1792 et le printemps 1793, le Comité a davantage traité de la guerre que de la diplomatie proprement dite. En effet, les deux tiers de ses rapports concernent la gestion des conquêtes militaires, les annexions de pays conquis et les mesures de défense nationale. Sans conteste, le Comité s’est spécialisé sous la Convention dans le traitement des demandes de réunions des pays conquis, qui ont fait l’objet de près de la moitié de ses rapports. À l’inverse, les questions diplomatiques se sont essentiellement résumées au traitement des affaires individuelles, autrement dit aux pétitions d’étrangers ou de Français.

Tableau n° 6 : Classement thématique des rapports faits devant la Convention par le Comité diplomatique.

Rapports faits au nom du Comité diplomatique par un rapporteur membre de ce Nombre comité

Réunions à la France de pays conquis 14

Gestion des conquêtes militaires (conduite des généraux, indemnités à prélever…) 5

Réclamations des puissances étrangères : contentieux avec la France 2

Affaires particulières : pétitions individuelles de Français. 2

Affaires particulières : pétitions d’étrangers 3

Mesures intéressant la sûreté intérieure : contre les émigrés, contre les étrangers 2

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Adresse aux puissances étrangères (États-Unis) 1

Fonds du ministère des Affaires Étrangères 1

TOTAL 30

67 Ainsi, l’examen des affaires qui lui sont renvoyées, des rapports qu’il produit et des papiers contenus dans ses archives est sans équivoque77 : le Comité diplomatique a surtout été le moteur de la politique d’annexion menée ponctuellement à l’automne 1792, systématiquement à partir du décret du 15 décembre. Cependant, cette politique d’annexion n’est que le dernier volet d’une compétence qui s’étendait initialement à tous les problèmes liés aux conquêtes françaises. Avant de s’imposer, sous la houlette de Carnot et de Cambon, comme le lieu par excellence d’enregistrement et de légitimation des conquêtes françaises, le Comité diplomatique se spécialise en effet sur deux questions essentielles : la conduite des généraux français dans les pays conquis et les doléances des peuples « libérés ». Avant de légitimer ces conquêtes en leur donnant une forme légale par le biais des décrets d’annexion (à partir de la mi-décembre), le Comité diplomatique a donc cherché à donner des règles et à fixer des bornes à ces conquêtes en s’imposant comme l’organe de tutelle des généraux (entre octobre et décembre 1792).

68 En effet, dès le mois d’octobre, c’est au Comité qu’il incombe de statuer sur la question des formes tant financières que politiques des conquêtes françaises. Ainsi, les documents relatifs à l’invasion de la Savoie par Montesquiou sont systématiquement renvoyés au Comité qui est chargé par la Convention, dès le 28 septembre, « de lui faire incessamment un rapport sur la manière dont le général Montesquiou doit se conduire en Savoie »78. Suite à l’avancée des armées françaises sur d’autres fronts, ce rapport est étendu le 13 octobre à « la conduite que doivent tenir les généraux français lorsqu’ils rentreront sur le territoire ennemi »79. D’où, la présentation de deux rapports, qui s’inscrivent aux antipodes du décret qui sera rendu le 15 décembre : celui de Cloots le 20 octobre (sur les réquisitions financières) et de Lasource le 24 octobre (sur la gestion politique des conquêtes). Cloots propose un projet de décret visant, certes, à « autoriser les généraux de la république à lever des contributions lorsqu’ils entreront en pays ennemi »80 mais « où la morale des peuples est en opposition avec le machiavélisme des princes », puisqu’il consiste à « n’exiger aucune contribution des propriétaires plébéiens », mais à appliquer « le droit des gens sur les domaines de la couronne », en ne frappant de saisie que les biens des princes, seigneurs et nobles81. Quant au rapport de Lasource sur la « conduite à prescrire aux généraux français en pays ennemi », il reconnaît aux peuples conquis le droit de se donner librement, c’est-à-dire sans ingérence française, la Constitution qu’ils souhaitent, et ce, au nom de deux principes : celui de la « renonciation aux conquêtes » et celui « du principe éternel et sacré de la souveraineté des peuples »82. Ainsi, à l’automne 1792, la première définition des conquêtes françaises va dans le sens du principe de l’auto-détermination et semble préserver les principes de l’article 4 du décret du 22 mai. Les doléances des députés des peuples conquis contre les exactions financières ou militaires commises par l’armée française font également l’objet d’un renvoi systématique au Comité diplomatique. Rappelons d’ailleurs que c’est sur le rapport du Comité diplomatique et de la Guerre réunis que, le 18 novembre 1792, la Convention décrète l’arrestation du général

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Anselme dont les agissements à Nice sont jugés contraires à la conduite prescrite par la Convention aux généraux en pays étrangers – le Comité donnant ainsi tort à l’un des généraux français et raison aux populations qu’il a conquises. Le Comité a donc initialement une vocation de tribunal puisqu’il statue sur les réclamations des populations étrangères des territoires conquis et qu’il apparaît comme un arbitre naturel dans les différends qui les opposent aux militaires français.

69 En ce sens, que le Comité diplomatique ait eu à statuer sur les demandes de réunion émanant de ces mêmes populations conquises ne saurait surprendre. Ces demandes de réunion sont reçues sous deux formes : soit par la réception en son sein de députations de délégués des pays conquis, soit par l’examen des pétitions qui lui sont renvoyées par la Convention. Mais qu’il en soit venu, à partir de la fin décembre 1792, à ne plus traiter que de ces questions, est plus étonnant. De fait, tous les rapports qu’il produit en aval du décret du 15 décembre 1792 ne font qu’avaliser ces annexions : alors qu’à l’automne 1792, il apparaissait comme une « digue » pour canaliser les velléités de conquêtes des généraux français, à partir de janvier 1793, il est bel et bien devenu le principal outil de légitimation de ces conquêtes, qu’il n’envisage plus que sous la forme unique des annexions et dont Carnot se fait désormais le seul rapporteur. Carnot s’érige en effet en porte-parole de ces décrets d’annexion qu’il présente « à la chaîne » devant la Convention entre janvier et mars 1793, sans rapport préalable et, manifestement, sans délibération du Comité. À partir de janvier 1793, le Comité diplomatique s’est donc fait, en la personne de Carnot, l’exécutant de cette politique initiée par le Comité des finances de Cambon. Cela témoigne d’un changement de rapports de force au sein du Comité diplomatique, sanctionné par la substitution de Carnot à Brissot à sa tête et d’une rupture décisive par rapport à sa vocation initiale : dépouillé de ses prérogatives diplomatiques, ce Comité est devenu, de fait, le comité de l’expansion française en Europe.

70 Cette défaite politique des Brissotins s’explique avant tout par la pression exercée par des comités parallèles sur le Comité diplomatique : le tournant de décembre 1792, sanctionné par le décret du 15, est certes idéologique, mais il est incontestablement permis par le jeu institutionnel, c’est-à-dire par les rapports de force entre plusieurs comités qui mettent le Comité diplomatique de Brissot en défaut, avant de le mettre entièrement dans l’ombre de celui qui apparaît alors comme son principal concurrent : le Comité des finances de Cambon. La Convention semble en effet avoir opté pour un travail commun de ses comités dans la préparation des rapports et des projets de décret. Dans ce système de rapports produits « à plusieurs », tout prouve que le Comité n’a pas eu une place hégémonique. Lors des rapports présentés en commun au nom de plusieurs comités réunis, les rapporteurs du Comité de la guerre et du Comité des finances ont presque systématiquement évincé ceux du Comité diplomatique. C’est particulièrement vrai pour la question de la gestion des conquêtes militaires : dans ce domaine, le Comité diplomatique s’est fait court-circuiter par le Comité des finances qui ne rend pas moins de trois rapports consécutifs sur cette question en décembre 1792. Ainsi, c’est parce que le Comité n’a jamais eu le monopole de ces questions qu’il n’a pu s’imposer comme le véritable chef d’orchestre de la politique à mener à l’égard des pays conquis et que la politique menée par la Convention à l’égard des pays conquis a été aussi chaotique et fluctuante – les décrets présentés par un comité pouvant être désavoués voire entièrement contredits par un décret présenté ultérieurement sur la même question par un autre comité. Progressivement dépouillé de ses attributions par des comités concurrents, le Comité diplomatique a donc été en quelque sorte condamné

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à se spécialiser à partir de janvier 1793 sur cette « politique de réunions » qu’aucun décret n’avait prévu comme de son ressort. Et c’est Carnot qui s’est donc fait le porte- parole d’une politique qui ne fait plus l’objet d’aucune discussion, ni dans l’Assemblée, ni même dans le Comité au nom duquel, pourtant, il rapporte.

71 En effet, à partir de janvier 1793, deux phénomènes contradictoires s’observent : le nombre des délibérations consignées dans le registre de ses procès-verbaux décline sensiblement ; inversement, le nombre des rapports produits devant la Convention augmente considérablement (dix-huit des trente rapports du Comité diplomatique sont produits entre janvier et avril 1793). Pourtant, à partir de février 1793, le Comité diplomatique ne se réunit quasiment plus (trois fois en février, trois fois en mars, aucune fois en avril et une seule fois en mai 1793), comme s’il était en quelque sorte déjà mort fin janvier. De même, le registre des pièces renvoyées au Comité montre qu’à partir de janvier 1793, le ministre Lebrun interrompt « brutalement » ses communications avec le Comité. En réalité, quand Carnot, le principal rapporteur en 1793, parle « au nom du Comité diplomatique », il parle au nom d’une coquille vide. En effet, dès janvier 1793, en même temps qu’il a été vidé de ses fonctions diplomatiques, le Comité s’est aussi vidé de ses membres. Entre janvier et juin 1793, même s’il demeure maintenu de droit, le Comité diplomatique semble avoir cessé ou presque de fonctionner, du moins de se réunir – quatre de ses membres (Brissot, Guadet, Guyton- Morveau puis Carnot) siégeant désormais au sein du Comité de défense générale, créé le 1er janvier 1793 à l’initiative de Kersaint. Cette « agonie » du Comité diplomatique semble ainsi avoir été inversement proportionnelle à la vigueur croissante du Comité de défense générale, dont les pouvoirs ne cessent d’augmenter au cours du mois de janvier 179383 et qui est « petit à petit investi de l’ensemble des compétences relatives aux relations extérieures »84. Dès lors qu’il n’a plus été question de ces annexions, le Comité diplomatique n’avait plus lieu d’être. Le 3 juin 1793, dans la discussion sur la réorganisation des comités, lorsque Jean Bon Saint-André propose de le supprimer, la Convention ajourne sa motion85. Cet ajournement ne débouche cependant sur aucun décret et n’appelle aucune discussion ultérieure. Depuis le mois de janvier 1793, le Comité était, de fait, déjà en état de mort clinique. En juin, les députés n’ont pas jugé nécessaire de sanctionner, en droit, ce décès par un décret.

72 L’étude du Comité diplomatique annihile la thèse d’une confiscation de la politique extérieure par l’Assemblée sous la Révolution française. Si l’Exécutif est demeuré maître de la définition et de la conduite de la diplomatie jusqu’à l’établissement du gouvernement d’exception en 1793, c’est parce que les députés n’ont jamais conçu ce Comité comme un véritable laboratoire de la loi, encore moins comme un organe de substitution du ministère des Affaires Étrangères. Tout au plus est-il apparu comme un outil de surveillance et de censure de ce ministère qui, pour autant, n’a jamais été véritablement mis sous tutelle par l’Assemblée. À aucun moment, le Comité diplomatique n’a violé la règle cardinale du secret diplomatique ; à aucun moment non plus, il ne s’est érigé en moteur de la rénovation des principes diplomatiques. Ces derniers sont demeurés subordonnés aux exigences de l’intérêt national plutôt qu’aux préceptes de droit naturel qui furent, certes, discutés par les députés mais sans jamais être gravés dans le marbre de la loi. Faut-il dès lors en conclure que la diplomatie fut, sous la Révolution, l’un des seuls champs du politique entièrement rétifs à la loi ? Et faut-il l’imputer au fait qu’en politique extérieure, selon Brissot, « il n’y a point de loi à suivre », sinon celle de « l’intérêt national qu’il faut défendre au dehors »86 ?

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73 Appréhender la fabrique de la politique extérieure sous un angle institutionnel n’a pas pour enjeu de « désidéologiser » ou de dépolitiser les épisodes canoniques du débat parlementaire – du décret du 22 mai 1790 au décret du 15 décembre 1792, en passant par la déclaration de guerre du 20 avril 1792. Mais plutôt de relativiser le rôle de l’enceinte parlementaire dans la production de ces lois qui ont été consacrées comme les jalons majeurs de la politique extérieure sous la Révolution : si ces lois étaient en partie préparées, en amont, dans ces coulisses de l’enceinte parlementaire que sont les comités, elles étaient, en aval, largement contournées et réinterprétées par l’Exécutif, dans le secret des bureaux ministériels. Dans leur grande majorité, ces lois apparaissent moins comme le fait de ces logiques partisanes, connues parce que « audibles », que comme le produit de mécanismes institutionnels, d’autant plus complexes à décrypter qu’ils demeurent largement invisibles. Le jeu politique tel qu’il se dégage de la transparence du débat parlementaire gagnerait à être envisagé plus systématiquement en regard de ce jeu institutionnel qui se déroule dans l’obscurité des échanges entre les comités et les organes de l’Exécutif. Le croisement des Archives parlementaires, des papiers des comités et des archives des ministères permet de comprendre que si la politique extérieure fut un enjeu des luttes politiques qui ont constamment déchiré l’Assemblée, elle fut aussi un produit de ces conflits institutionnels entre le Législatif et l’Exécutif qui ont précipité la chute de la monarchie constitutionnelle avant d’hypothéquer le devenir même de la République.

NOTES

1. Joseph BARTHÉLÉMY, Démocratie et politique étrangère, Paris, Alcan, 1917, p. 90. 2. Jean TULARD, Jean-François FAYARD, Alfred FIERRO, Histoire et dictionnaire de la Révolution française, Paris, Laffont, 1987, article « Comité diplomatique », p. 663. 3. Titre III, chapitre IV « De l’exercice du pouvoir exécutif », articles 1 et 2 ; Chapitre IV, section III, « Des relations extérieures », articles 1 à 3, dans Jacques GODECHOT, Les Constitutions de France depuis 1789, Paris, Garnier Flammarion, 1970, p. 55 et p. 58. 4. Henri OLIVE, L’action exécutive exercée par les comités des Assemblées révolutionnaires, Th. Droit, Aix, 1908, p. 28-30, p. 37-38, p. 80 ; François MAURY , « Le gouvernement de Louis XVI devant l’Assemblée Constituante », Annales des Sciences Politiques, 1900, p. 484-508 (p. 491-492 et p. 500-502). 5. André CASTALDO, Les méthodes de travail de la Constituante. Les techniques délibératives de l’Assemblée Nationale (1789-1791), Paris, PUF, 1989, p. 218, p. 222, p. 235, p. 240-241. 6. À ma connaissance, il n’existe aucun ouvrage ou article exclusivement consacré au Comité diplomatique. 7. AP, t. 34, 13 octobre 1791, p. 208 : « C’est l’inertie des ministres, dans un temps où l’on paraissait douter de l’établissement de la Constitution qui a déterminé l’établissement d’un comité pour s’instruire et rendre compte à l’Assemblée des relations de la France avec les puissances étrangères. On a senti l’importance que cette surveillance se continuât et le Comité a subsisté jusqu’à la fin de la session ».

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8. Marc BELISSA, Fraternité universelle et intérêt national (1713-1795). Les cosmopolitiques du droit des gens, Paris, Éd. Kimé, 1998, p. 179-197 ; Michel TROPER , La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, Paris, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 1973, p. 39. 9. Guillaume GLÉNARD, L’Exécutif et la constitution de 1791, Paris, PUF, 2010, p. 195-198, 232-233, 247-251. 10. Selon le Journal général de l’Europe, c’est le marquis de Sillery, grande figure de la noblesse libérale et membre du club des Jacobin qui, dès le 17 mai, propose, « l’établissement d’un comité politique pour conférer avec le ministre des Affaires étrangères afin que, d’après son rapport, l’Assemblée pût délibérer » (Journal général de l’Europe, n° 61, p. 169). Le 19 mai, Le Peletier de Saint Fargeau reprend à son compte l’idée avancée par Sillery : tout en limitant sa compétence à l’examen conjoncturel du Pacte de Famille, il lui assigne pour mission la rédaction d’une « proclamation » des nouveaux principes diplomatiques de la France révolutionnaire – idée seulement défendue par l’abbé Boisgelins (le 21 mai) et par Goupil de Prefeln (le 22 mai). 11. Sur la genèse et l’adoption des différents articles de ce décret, je me permets de renvoyer à Virginie MARTIN, La diplomatie en Révolution. Structures, agents, pratiques et renseignements diplomatiques : l’exemple des diplomates français en Italie (1789-1796), thèse inédite de doctorat sous la direction de Jean-Clément MARTIN (Paris I – Ea 127/IHRF), 2011, 3 vol. , t. 1, p. 179-188. 12. Cette députation est composée de Menou, d’Elbhecq, d’André, Emmery, Dubois et Fréteau. 13. Par le décret du 28 juillet 1790, l’Assemblée annule les ordres adressés par le roi aux commandants des frontières du royaume et interdit le passage des troupes (article 1) ; mais surtout, l’Assemblée « se réserve de statuer sur la demande de l’ambassadeur d’Autriche » (article 2) ; enfin, conformément aux « réclamations de plusieurs municipalités des frontières à l’effet d’être armées pour soutenir la Constitution », elle ordonne aux ministres de rendre compte au Comité militaire « des demandes d’armes et de munitions » qui leur seront faites de la part de ces municipalités et de prier le roi d’accélérer leur fabrication pour les distribuer aux citoyens « partout où la défense du royaume rendra cette précaution nécessaire » (article 3). 14. AP, t. 17, 27 juillet 1790, p. 381. 15. AP, t. 17, 28 juillet 1790, p. 390. 16. AP, t. 17, 29 juillet 1790, p. 399 ; Journal des Débats et des Décrets, n° 364, p. 3 ; Procès-verbal de l’Assemblée nationale, coll. Baudoin, n° 364, 29 juillet 1790, p. 4-5. 17. AP, t. 17, 29 juillet 1790, p. 399. 18. Anne SIMONIN , Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité (1791-1958), Paris, Grasset, 2008, p. 233-240 ; Roberto MARTUCCI, « En attendant Le Peletier de Saint-Fargeau : la règle pénale au début de la Révolution », AHRF, 2002, n° 2, p. 77-104 (p. 79-80). 19. Michel TROPER , La séparation des pouvoirs, op. cit., p. 73-74 ; Michel TROPER , « Responsabilité politique et fonction gouvernementale », dans Olivier BEAUD et Jean-Michel BLANQUER (dir.), La responsabilité des gouvernants, Paris, Descartes et cie, 1999, p. 33-56. 20. Sur l’articulation étroite entre la responsabilité ministérielle et les prérogatives diplomatiques de l’Exécutif, voir Virginie MARTIN, La diplomatie en Révolution, op. cit., t. 1, p. 173-174 et p. 192-196. 21. Michel PERTUÉ, « La Haute Cour nationale dans la Constitution de 1791 », dans Justice populaire, Actes des journées de la Société d’histoire du droit, Lille, 25-28 mai 1989, Hellemmes, 1992, p. 159-169. 22. Henri OLIVE, L’action exécutive exercée par les comités des Assemblées révolutionnaires, op. cit., p. 76-78. 23. Guy CHAUSSINAND-NOGARET, Mirabeau, Paris, Seuil, 1982, p. 282-283 ; Jacques GODECHOT, La Contre- Révolution. Doctrine et action (1789-1804), Paris, PUF, 1984, p. 60-64 et p. 151-153. Sur le rapprochement entre Mirabeau et Montmorin, voir A. de BACOURT (éd.), Correspondance de Mirabeau et du Comte de La Marck pendant les années 1789, 1790, 1791, Paris, Le Normant, 3 vol. , 1851,

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t. 1, p. 195-197 et Mémoires, correspondances et manuscrits du général La Fayette, publiés par sa famille, Paris, H. Fournier aîné, 1837-1838, 6 vol. , t. II, p. 366-367. 24. AP, t. 25, 19 avril 1791, p. 205-208. 25. Voir par exemple le mémoire communiqué par Montmorin à D’André le 5 mai 1791 qui dresse un bilan chiffré et politique des rassemblements d’émigrés ainsi qu’une estimation des « intérêts et dispositions des princes étrangers et de leurs liaisons avec les Français émigrés ». Source : AN, F7 4396, « Mémoire sur la situation, les forces et les projets des princes possessionnés en Alsace, des Français rassemblés le long des frontières helvétiques et germaniques depuis Lausanne jusqu’à Trêves et sur les dispositions de la Franche-Comté de l’Alsace et de la Lorraine » [mars- avril 1791]. 26. Sur l’interprétation de ce décret du 13-15 juin 1791, voir Anne SIMONIN, Le Déshonneur dans la République, op. cit., p. 222-226. 27. AP, t. 27, 11 juin 1791, p. 120. 28. AP, t. 35, 10 décembre 1791, p. 718 ; AP, t. 37, 5 janvier 1792, p. 92-95 ; 12 janvier 1792, p. 349 ; AP, t. 42, 29 avril 1792, p. 659-662. 29. AP, t. 18, 25 août 1790, p. 263-264. 30. AP, t. 20, 28 octobre 1790, p. 82-83. 31. Au total, 14 des 40 rapports recensés pour le Comité diplomatique entre juillet 1790 et septembre 1791 ont été faits au nom de plusieurs comités réunis – les Comités militaire (pour la question des renforts de troupes), des rapports et des recherches (pour la question des émigrés), et d’Avignon constituant les « partenaires » privilégiés du Comité diplomatique. Jusqu’à avril 1791, il semble que le Comité diplomatique n’ait pas monopolisé la parole sur ces questions de sûreté intérieure et extérieure du royaume : il y a eu un équilibre des compétences en la matière entre ces quatre comités. 32. François FURET, « Les Girondins et la guerre : les débuts de l’Assemblée législative », dans François FURET, Mona OZOUF (dir.), La Gironde et les Girondins, Paris, Payot, 1991, p. 192. 33. Franck ATTAR, Aux armes citoyens ! Naissance et fonctions du bellicisme révolutionnaire, Paris, Seuil, 2010. 34. AP, t. 34, 14 octobre 1791, p. 223 ; Journal des Débats et des Décrets, n° 14, 14 octobre 1791, p. 10-11. 35. AP, t. 39, 22 février 1792, p. 9-12. 36. Ran HALÉVI, « Les Girondins avant la Gironde, esquisse d’une éducation politique », dans François FURET, Mona OZOUF (dir.), La Gironde et les Girondins, op. cit., p. 137-168. 37. AP, t. 34, 25 octobre 1791, p. 398. 38. AP, t. 34, 28 octobre 1791, 469. 39. Marc BELISSA, Fraternité universelle, op. cit., p. 259. 40. AN, F7 4395, Registre des procès-verbaux du Comité diplomatique (28 octobre 1791-30 juillet 1792), séance du 28 octobre 1791. 41. AN, F7 4395, Ibid., séance du 28 octobre 1791 et séance extraordinaire du 2 mars 1792. 42. En effet, jusqu’à janvier 1792, il ne produit qu’un seul rapport au sein du Comité diplomatique au sujet des menées hostiles du dey d’Alger contre la France. Alors que le 9 novembre 1791, le Comité diplomatique lui confie l’examen du « rapport général du ministre des Affaires Étrangères » (présenté devant l’Assemblée par Montmorin le 31 octobre 1791), Brissot ne rend aucun rapport sur cet objet. De même, le 9 novembre 1791, alors qu’on lui avait remis le rapport sur l’affaire des Suisses de Châteauvieux emprisonnés aux galères de Brest, Brissot délègue ce rapport à Mailhe, qui se charge de le présenter à l’Assemblée le 24 décembre 1791. Par la suite, Brissot n’est plus chargé que de deux dossiers : le 11 mai 1792, il est chargé « d’aller examiner les papiers de M. Delessart » et le 24 mai 1792 d’aller rechercher « au bureau des Affaires Étrangères les pièces relatives à la dénonciation portée contre M. de Montmorin et le comité autrichien ».

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43. AP, t. 39, 12 mars 1792, p. 598-599. 44. Jean-Pierre BOIS , Dumouriez, héros et proscrit : un itinéraire militaire, politique et moral entre l’Ancien Régime et la Restauration, Paris, Perrin, 2005, p. 198. 45. AP, t. 34, 9 novembre 1791, p. 701. 46. AP, t. 35, 27 novembre 1791, p. 397-399. 47. AP, t. 35, 27 novembre 1791, p. 400-401. 48. AP, t. 35, 29 novembre 1791, p. 441. 49. AP, t. 36, 20 décembre 1791, p. 267-272. 50. AP, t. 36, 31 décembre 1791, p. 717. 51. AP, t. 36, 19 décembre 1791, p. 264 ; 24 décembre 1791, p. 347. 52. AP, t. 30, 15 septembre 1791, p. 678-679. 53. AP, t. 34, 1er novembre 1791, p. 560. 54. AP, t. 36, 24 décembre 1791, p. 350. 55. AP, t. 36, 24 décembre 1791, p. 363. 56. AP, t. 36, 1er janvier 1792, p. 728-729. 57. AP, t. 37, 2 janvier 1792, p. 9 : « Décrète que le ministre des affaires étrangères sera tenu de remettre au Comité diplomatique dans le même délai [sous trois jours] toutes les notes et éclaircissements relatifs auxdits complots et aux circonstances qui les ont accompagnés ou suivis, que les agents de la nation auprès des puissances étrangères ont dû lui faire parvenir ; comme aussi de dénoncer à l’Assemblée nationale ceux d’entre lesdits agents qui peuvent s’être rendus coupables de connivence avec les révoltés, soit en favorisant ouvertement leurs projets, soit en négligeant d’instruire le gouvernement des dispositions hostiles qu’ils ont manifestées et des négociations qu’ils ont préparées et suivies sous leurs yeux dans les cours étrangères ». 58. AP, t. 38, 1er février 1792, p. 60. 59. AN, F7 4396, Réponses aux questions adressées à M. Delessart par le Comité diplomatique, 17 février 1792. 60. AP, t. 39, 14 mars 1792, p. 694-696. 61. Franck ATTAR, Aux armes citoyens !, op. cit., p. 108 et note 43, p. 370. 62. Michel VERPEAUX, La naissance du pouvoir réglementaire, 1789-1799, Paris, PUF, 1991, p. 14-15 et p. 42-49. 63. Jean COLLAS, L’exercice du pouvoir Exécutif dans la Constitution de 1791, Paris, imp. régionale, 1899, p. 35-36. 64. AP, t. 34, 3 novembre 1791, p. 603. 65. AP, t. 22, 7 janvier 1791, p. 52-53. 66. AP, t. 35, 20 novembre 1791, p. 248-249. 67. Au total, en croisant les papiers du Comité diplomatique avec le registre des procès-verbaux, j’ai recensé 55 affaires particulières portées sous la forme de pétitions à la connaissance du Comité entre août 1791 et janvier 1793. Ce dernier a majoritairement traité ces demandes individuelles sans passer par le canal de l’Assemblée puisque ces pétitions individuelles n’ont fait l’objet que de neuf rapports devant l’Assemblée (1 sous la Convention, 5 sous la Législative et 3 sous la Convention). Le Comité a donc travaillé sur ces questions soit avec le ministre (à qui il renvoie la pétition), soit avec d’autres comités (à qui il délègue ces affaires), soit avec le pétitionnaire lui-même (quand il estime avoir besoin d’éclaircissements ou quand il juge que la pétition ne peut être reçue). 68. Ce décret reproduit les termes mêmes du décret du 16 février 1790 par lequel la Constituante leur donnait déjà toute latitude pour obtenir les documents jugés nécessaires à leurs travaux auprès des administrations royales et provinciales (AP, t. 11, 16 février 1790, p. 436 et p. 618-619). Il sera décrété presque dans les mêmes termes par la Convention le 1er octobre 1792 (AP, t. 52, 1er octobre 1792, p. 262). 69. Antonio DE FRANCESCO, Il governo senza testa, Naples, Morano, 1992.

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70. AP, t. 52, 29 septembre 1792, p. 231-232. 71. AP, t. 52, 1er octobre 1792, p. 263. 72. AP, t. 52, 2 octobre 1792, p. 278. 73. Le décret du 12 octobre 1792 stipule que « la nomenclature des travaux des divers comités sera imprimée et distribuée aux membres de la Convention, et envoyée dans les départements ». 74. AN, AD I 38, dossier B, « Comités et commissions, 1790-an XIII », fol. 9, p. 25. 75. Sur l’affiliation ambigüe de Grégoire au « parti girondin », voir notamment Alyssa Goldstein SEPINWALL, L’Abbé Grégoire et la Révolution française. Les origines de l’universalisme conquérant [2005], Paris, Les Perséides, 2008, p. 186-188. 76. Alain BISCHOFF, Jean-René SURATTEAU, Reubell, l’Alsacien de la Révolution française, Steinbrunn-le- Haut, éditions du Rhin, 1995, p. 121-124. 77. Ces demandes de réunion forment deux des dix volumes d’archives du Comité (AN, F7 4401-4402). 78. AP, t. 56, 28 septembre 1792, p. 188-191 ; 3 octobre 1792, p. 295. 79. AP, t. 56, 13 octobre 1792, p. 485. 80. AN, F7 4395, Registre des procès-verbaux (octobre 1792-février 1793) : séance du 19 octobre 1792, p. 4. 81. AP, t. 52, 20 octobre 1792, p. 593-594. 82. AP, t. 56, 24 octobre 1792, p. 651-656. 83. Marc BOULOISEAU, Le Comité de salut public, Paris, PUF, 1980, p. 15-16. 84. Arnaud LE PILLOUER, Les pouvoirs non-constituants des assemblées constituantes, Paris, Dalloz, 2005, p. 347. 85. AP, t. 66, 3 juin 1793, p. 4 : « Notre diplomatie, c’est la vérité, la liberté ; je demande la suppression du Comité diplomatique ». Le Journal des Débats et des Décrets, n° 260, 3 juin 1793, p. 37-38 ne signale pas cette motion du député. 86. AP, t. 39, 10 mars 1792, p. 539.

RÉSUMÉS

Alors qu’il n’a jamais été étudié en tant que tel, le Comité diplomatique a pourtant été considéré comme l’organe de fabrication de la politique extérieure sous la Révolution, qu’il aurait confisquée au détriment de l’Exécutif. L’analyse approfondie des rapports, des procès-verbaux et des archives du Comité diplomatique, entre 1790 et 1793, démontre le contraire : s’il ne fut ni la tribune du bellicisme girondin, ni le moteur d’une redéfinition des normes diplomatiques, ce Comité a cherché à s’ériger comme une instance de contrôle du ministère des Affaires Etrangères. L’échec de ce contrôle explique autant les ambiguïtés de la diplomatie de la monarchie constitutionnelle que les contradictions de la diplomatie républicaine.

While it has never been studied as such, the Diplomatic Comittee has long been considered the foreign policy making body during the French Revolution, allegedly to the detriment of the Executive power. The thorough analysis of reports, minutes and archives of the Diplomatic Committee between 1790 and 1793 tends to refute this - although it never was an opinion column for warmongering Girondins, nor a driving force to redefine political norms, this Comittee tried to erect itself as a control authority for the Ministry of Foreign Affairs. The failure of this

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authority accounts as much for the diplomatic ambiguities during the constitutional monarchy as for the contradictions of the republican diplomacy.

INDEX

Keywords : diplomacy, Executive power, Foreign secretary, Girondins, war Mots-clés : diplomatie, Exécutif, ministre des Affaires Etrangères, Girondin, guerre

AUTEUR

VIRGINIE MARTIN Maîtresse de conférences à l’Institut d’Histoire de la Révolution française, IHMC/EA127/UMS 622, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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Le Comité de salut public (6 avril 1793 - 4 brumaire an IV) The Committee of Public Safety (April 04th 1793 - October 26th 1795)

Raphael Matta Duvignau

1 Le Comité de salut public est créé le 6 avril 1793. Il est supprimé le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), date de la dissolution de la Convention nationale et de l’entrée en vigueur de la Constitution adoptée le 5 fructidor an III qui établit le Directoire exécutif.

2 Son instauration résulte d’un processus institutionnel et politique complexe dont la genèse est à rechercher dans la journée révolutionnaire du 10 août 1792 et dans l’appel à la formation d’une nouvelle assemblée constituante, la Convention nationale qui, une fois installée, montre jour après jour ses faiblesses chroniques : souveraine et dictatoriale, elle éprouve cependant les pires difficultés à diriger le pays en raison de l’absence de lien entre elle, qui gouverne, et le Conseil exécutif provisoire, qui administre ; on stigmatise même l’ineffectivité du contrôle opéré par le pouvoir central sur le pouvoir local et l’incapacité des autorités à obtenir une interprétation rapide d’un texte. Face à ces obstacles, la Convention décide de s’appuyer sur un organe capable d’assurer la jonction entre la fonction législative et la fonction exécutive en décrétant, le 6 avril 17931, la formation en son sein d’un Comité de salut public2, mettant ainsi en place un organe extraordinaire dont les membres sont autorisés à prendre toutes les mesures qu’ils estimeront nécessaires. Dorénavant, la République dispose d’un organe à tendance gouvernementale qui, dans un contexte d’état d’exception3, organise à son profit une dictature à la fois idéologique, politique et administrative soutenue par la Terreur.

3 L’activité du Comité déroge aux principes élémentaires du droit public érigés en dogmes depuis 1789 puisque, pour restaurer une fonction administrative défaillante, la Convention « absorbe et exerce [elle]-même, ou par délégation via ses Comités, le pouvoir exécutif »4. D’une part, l’activité extraordinaire du Comité s’explique parce qu’elle se situe, contrairement à toutes les déclarations de principes de la période, à l’épicentre de deux fonctions conçues sous la Révolution comme foncièrement antinomiques : la fonction gouvernementale et la fonction administrative. Le Comité a

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progressivement procédé à la concentration puis à la confusion de ces fonctions5. D’autre part, le temps du Comité, différent de celui des autres organes révolutionnaires, est celui de l’urgence et de la nécessité, de l’immédiat et de l’impératif ; les exigences du salut public précipitent les événements et accélèrent de manière exponentielle les délais de prise d’une décision.

4 Cette étude6 doit permettre de comprendre comment le Comité a pu gouverner et administrer un pays en Révolution. En définissant les règles déterminant son statut, l’exercice de ses attributions, sa composition, ses modalités de fonctionnement ainsi que la nature de ses relations avec les autres institutions, il a été possible d’exposer comment, au moyen de ses actes quotidiens, de ses méthodes de travail et de son organisation, il a pu évoluer de la qualité de simple outil au service d’un régime politique essoufflé en une institution autonome prenant à son compte les destinées du pays. Pour démontrer que le Comité est devenu le principal organe révolutionnaire, il convient d’abord de le considérer comme l’outil du Gouvernement révolutionnaire. Ensuite, son caractère original s’observe au regard de la confusion entre sa nature d’organe politique et son organisation bureaucratique. Enfin, sa force est d’avoir instauré à son profit exclusif une centralisation politique et administrative pour embrasser la quasi-totalité de l’intervention étatique.

La clef de voûte d’un régime d’exception

5 A l’origine conçu comme une simple commission de la Convention, le Comité se présente progressivement comme le principal instrument du Gouvernement révolutionnaire. Cependant, par une organisation particulière et par l’attribution de compétences étendues voire illimitées, il va rapidement s’émanciper de l’assemblée et devenir, au terme d’un processus de mutation, d’émancipation et de construction d’un pouvoir autonome, un véritable organe politique indépendant.

L’instrument du Gouvernement révolutionnaire

6 Le Gouvernement révolutionnaire est un régime politique exceptionnel débutant le 10 août 1792 par un moment inconstitutionnel de violation de la Constitution de 1791, se poursuivant le 10 octobre 1793 par un moment a-constitutionnel puisqu’il est décidé que le gouvernement de la France ne sera pas régi par une constitution et s’achevant le 5 brumaire an IV par un moment constitutionnel, celui de l’entrée en vigueur de la Constitution de l’an III. Le Comité a en réalité été conçu pour être à la fois l’instrument du Gouvernement révolutionnaire et le bras armé de la Convention nationale. A ce titre, il parait indispensable de le replacer dans son contexte politique et juridique initiaux et de présenter l’environnement institutionnel dans lequel il évolue.

7 Le Comité est, au même titre que ces homologues, organiquement et statutairement une commission de la Convention. L’assemblée reste donc l’organe politique investi de la puissance originelle, primitive et souveraine. En septembre 1793, Barère réaffirme la position de subordination du Comité : « Vous avez chargé de ces fonctions […] un extrait de vous-mêmes, qui, toujours actif, vous représente quand vous n’êtes pas rassemblés pour délibérer en commun »7. Le 12 germinal an II, Carnot souligne à nouveau la filiation organique et naturelle : « Émanation directe, partie intégrante et amovible de la Convention »8. Les membres du Comité se qualifient eux-mêmes de

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« commis » de la Convention afin de se prémunir contre toute accusation de dérive dictatoriale ; en refusant de s’émanciper et d’officialiser leur autonomie, ils renforcent la prééminence de l’assemblée et consolident leur rôle de figure de proue. Ces assimilations conduisent à s’interroger sur la confusion potentielle entre la Convention et son Comité. Cette solution repose sur la superposition de deux équations, lesquelles rendent compte de l’existence de deux « entités » : d’abord une fusion du Peuple dans la Convention, ensuite un transfert de la Convention dans le Comité, lequel serait alors investi d’une partie de l’expression de la puissance souveraine ; la prééminence du Comité est acceptée par la Convention parce qu’elle repose sur son indistinction avec l’Assemblée. Ainsi, à l’instar de plusieurs auteurs qui ont œuvré à l’édification d’une qualification juridique du Comité, ce dernier doit avant tout être considéré comme un organe « émanant de l’Assemblée, nommé par elle, théoriquement responsable devant elle »9. En effet, à l’issue de nos travaux et de l’analyse des relations entretenues entre le Comité et la Convention, on peut écrire que celui-là est juridiquement subordonné à celle-ci et devant laquelle il est responsable.

8 Pa railleurs, à l’instar des autres comités, le Comité participe à la rationalisation du travail « parlementaire ». Les comités doivent donc principalement être considérés comme des outils d’aide à la décision. En outre, le Comité est l’organe d’une technique gouvernementale particulière, antiministérielle. Le Gouvernement révolutionnaire est souvent considéré, dans l’histoire de France, comme le second modèle institutionnel ayant fait place à un dispositif antiministériel : la polysynodie. Dans les faits, la Convention gouverne par l’intermédiaire de tous ses comités. Le système des Comités est souvent considéré comme le symptôme de l’interventionnisme du législateur dans les affaires exécutives.

9 La présentation du Comité comme clef de voûte de l’ensemble du système révolutionnaire nécessite de le replacer dans son environnement institutionnel général. On se limitera, ici, à mentionner brièvement les principaux « points de contact » institutionnels du Comité.

10 Les Comités de la Convention sont théoriquement placés dans une situation de stricte égalité. Toutefois, le Comité bénéfice d’un privilège extraordinaire qui lui permet d’asseoir sa domination sur ses homologues. Cette prééminence découle du décret du 13 septembre 179310 : « tous les comités, à l’exception de celui de salut public, seront renouvelés » et qu’elle « charge son Comité de salut public de lui présenter une liste de candidats pour chacun d’eux »11. Le Comité, désormais à l’origine de la composition des autres comités, s’assure la mainmise sur le personnel politique national et contrôle, même indirectement, toutes les branches du gouvernement et de l’administration du pays.

11 Le Conseil exécutif provisoire. Durant leur cohabitation, les rapports entre le Comité et le Conseil exécutif provisoire sont ceux d’une stricte subordination. Une grille d’analyse rend compte de l’existence de trois degrés de rapports traduisant le processus par lequel le Comité affirme crescendo sa mainmise sur le Conseil. D’abord, il se contente de demander des informations et des rapports aux ministres. Ensuite, il donne des instructions au Conseil tout en lui laissant une certaine latitude d’exécution. Enfin, le Conseil apparaît comme un pur instrument d’exécution entre ses mains, surtout après l’adoption du décret du 14 frimaire an II.

12 Les douze commissions exécutives : le décret du 12 germinal an II constitue une nouvelle étape dans la formation d’un régime politique dycastéral. D’après Carnot, la

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multiplication de ces commissions se justifie doublement : d’abord, parce que la classification des objets d’administration se prête naturellement à cette division, ensuite, parce que ce mouvement permet d’atténuer le pouvoir de chacune. Les commissions sont les suivantes : Administrations civiles, police et tribunaux ; Agriculture et arts ; Armes, poudres et exploitation des mines ; Commerce et Approvisionnements ; Finances ; Instruction publique ; Marine et Colonies ; Organisation et mouvement des armées de terre ; Relations extérieures ; Secours publics ; Transports, postes et messageries ; Travaux publics. Par ailleurs, d’après l’organisation des bureaux du Comité, chaque division de ce dernier assure la surveillance d’une ou de plusieurs commissions.

13 Les Députés du peuple en mission. Il existe une certaine ambivalence statutaire des Députés, tantôt bénéficiaires d’une grande autonomie, tantôt rattachés plus directement au pouvoir central. En réalité, cette alternance est fonction de la volonté du Comité qui parfois leur confie des pouvoirs illimités (décret du 9 avril 1793), souvent les place sous son contrôle et sa surveillance stricts12, réduisant de ce fait leur autonomie. Cette domination sur l’institution des Députés est accentuée par la compétence du Comité dans la procédure de nomination ou de rappel de ces derniers.

14 Les Comités de surveillance représentent, par leur implantation communale et par leurs relations privilégiées avec les différentes autorités politiques, un échelon incontournable de la mise en œuvre du Gouvernement révolutionnaire. Ils constituent les meilleurs appuis des Comités de salut public et de sûreté générale dans les villages et villes de la République, matérialisent l’interdépendance fonctionnelle entre le centre gouvernemental parisien et la province et participent à la structuration d’un nouvel espace politique.

15 Les clubs patriotiques et les sociétés populaires « doivent être les arsenaux de l’opinion publique »13. Le Comité voit en elles de précieux instruments actifs de propagande et appuis dans la lutte contre le fédéralisme Par un arrêté du 16 frimaire an II, il leur assigne un rôle significatif, puisqu’elles sont désormais, au même titre que différentes administrations régulières, les dépositaires de l’envoi des lois dans les localités par le Gouvernement : elles ont une fonction, même limitée, d’exécution et d’application des lois14. Les sociétés et clubs sont également directement financés par le Comité, sur les fonds mis à sa disposition par différents décrets (6 avril 1793, 2 août 1793 et 7 fructidor an II).

16 Les agents du Comité : le Comité a rapidement pris conscience de l’utilité de bénéficier, au niveau local, d’agents directement rémunérés par lui qui surveilleraient l’activité administrative dans les localités et qui lui rendraient personnellement compte de leurs actions. Le Comité envoie, dès le 15 avril 1793, des agents pour contrôler les corps administratifs et lui faire connaître l’esprit public dans les départements, les armées, les administrations, les tribunaux, les sociétés populaires, et de lui donner des renseignements sur l’état des subsistances, de l’agriculture, du commerce, des manufactures, etc... Certains arrêtés révèlent que ces agents sont investis d’un pouvoir décisionnel et qu’ils interviennent dans l’administration révolutionnaire.

17 Les agents nationaux apparaissent comme les pivots de l’activité révolutionnaire. Créés par le décret du 14 frimaire an II, ils sont chargés de requérir et de poursuivre l’exécution des lois, de dénoncer les négligences dans cette exécution et les infractions pouvant être commises. Ils sont tenus d’écrire et de rendre compte tous les dix jours aux Comités de salut public et de sûreté générale.

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18 La Commune de Paris a été un instrument de premier plan pour les Jacobins, mis entre les mains du Comité par le décret du 10 octobre 1793 plaçant tous les corps constitués sous sont autorité directe, sous sa tutelle.

19 L’armée révolutionnaire est une sorte de police politique. Ses fonctions originelles, protéger les subsistances et exercer une mission de police politique, s’étendent rapidement : elle représente, sous l’autorité du Comité, un moyen d’action gouvernementale en étant chargée de l’exécution de certains de ses réquisitions ou arrêtés.

20 Le Tribunal révolutionnaire est quant à lui une instance juridique exceptionnelle chargée de juger les « suspects » et d’assurer la protection et la pérennité du mouvement politique révolutionnaire. Sa mission est d’assurer une sorte de « tranquillité politique » ; il représente alors un relais de gouvernement pour le Comité, puisque ce dernier préside à sa composition en proposant à la Convention, qui valide, les jurés devant y être nommés.

21 Toute cette nomenclature permet d’observer que les autorités entretiennent un maillage en réseau de l’ensemble des fonctions administratives et gouvernementales. En conséquence, le Gouvernement révolutionnaire se présente comme une stratification d’autorités politiques, administratives ou populaires insérées dans un continuum d’action-réaction fonctionnant selon un système pyramidal, où chaque action d’une autorité est contrôlée par une autre qui lui est supérieure, laquelle doit elle-même rendre des comptes à une troisième, etc. Par conséquent, fondé sur un système ultra hiérarchisé ayant à son sommet le Comité, il constitue un mode de direction du pays qui n’instaure pas une hiérarchie des normes, mais plus une hiérarchie politique et évolutive d’autorités : la norme suprême est celle émise par l’autorité qui, à un moment, domine.

Les membres du Comité de salut public

22 Toute recherche portant sur le Comité ne peut occulter une présentation générale de ses membres. L’analyse macroscopique du Comité doit aussi permettre d’observer que si ce dernier est un organe collégial, son organisation n’en est pas moins propice à une certaine spécialisation.

23 La composition du Comité : une synergie de fortes individualités. Le recensement de l’ensemble des membres du Comité met en exergue l’existence de trois périodes significatives et caractéristiques de l’influence du Comité sur le cours de la Révolution. Une fois achevé, ce travail permet d’apprécier les évolutions politiques ayant affecté la Convention et, par conséquent, de comprendre les forces et les faiblesses du Comité.

24 Le Comité « Danton », phase d’ajustement. Durant sa courte existence (6 avril-10 juillet 1793), les Jacobins sont soigneusement tenus à l’écart : le radicalisme n’est pas encore à l’ordre du jour et la plupart des membres sont connus pour être modérés. Par ailleurs, le Comité est guidé par des hommes disposant de connaissances sérieuses dans les domaines majeurs : plusieurs d’entre eux sont d’anciens juristes (procureur du roi, avocat, juge), d’autres manient les finances ou sont commerçants, d’autres encore sont scientifiques et plusieurs, enfin, sont d’anciens militaires.

25 Le « Grand » Comité présente une stabilité de circonstance. A partir du 20 septembre 1793, le Comité est composé de Barère, Couthon, Carnot, Robert Lindet, Jean Bon Saint-

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André, Prieur de la Côte d’Or, Hérault de Séchelles, Prieur de la Marne, Billaud- Varenne, Saint-Just, Robespierre, et Collot d’Herbois. Cette composition est le résultat d’une lente maturation débutée le 10 juillet 1793 visant à doter le Comité d’une majorité jacobine. Tous, ou presque, disposent d’une expérience politico-administrative acquise dans les assemblées départementales, les précédentes législatures ou dans d’autres comités de la Convention : celle-ci semble avoir constitué une véritable équipe capable de gouverner le pays. Cette composition reste identique jusqu’au 9 thermidor an II.

26 Le Comité thermidorien subit quant à lui un renouvellement imposé. Afin d’éviter la réédition des abus de la période terroriste, la Convention modifie l’organisation du Comité en imposant une rotation mensuelle par quart de ses membres. En conséquence, le Comité fait l’objet d’une composition très hétéroclite. Cette orientation correspond au nouveau rôle qui lui est assigné : sa prééminence antérieure est révolue car la force d’inertie du gouvernement doit être contenue. Le renouvellement mensuel et partiel interdit ainsi l’édification d’un « noyau dur » de membres. Aucun d’eux n’aura le temps ni les moyens d’imposer sa volonté sur ses collègues.

27 En définitive, la composition du Comité reflète trois conceptions différentes de l’exercice du pouvoir : d’abord, le Comité se situe dans le prolongement du Comité de défense générale et se caractérise par une certaine modération ; ensuite, la Convention lui confie la quasi totalité du pouvoir : la permanence des membres rend ainsi compte de la volonté de laisser l’équipe gouvernementale rétablir la situation par tous les moyens, même les plus extrêmes ; enfin, la Convention a changé de majorité politique, l’urgence et les dangers sont moindres et les Jacobins ne sont plus en position de force.

28 Le Comité est un organe collégial. Le principe de la collégialité est le corollaire de l’unicité du Comité – institution en tant qu’organe politique homogène soumis à l’autorité unique de la Convention.

29 Cela se traduit d’abord par l’exigence d’une délibération et d’une décision communes. La collégialité d’un organe implique que la décision soit le produit d’une délibération majoritaire. Ainsi, toute décision est théoriquement prise au nom du Comité et par lui. En vérité, si ses arrêtés sont des mesures prises à la suite d’une délibération adoptée conformément aux exigences procédurales prévues par quelques décrets, la pratique laisse à supposer que ce principe souffre de plusieurs atténuations. En effet, le principe d’une délibération collective sur l’ensemble des sujets s’est rapidement avéré inadapté : devant l’accroissement de leur activité, les députés ont choisi d’adapter leurs méthodes de travail aux exigences de l’action. Comme aucun texte ne l’interdit, ils ont procédé à une répartition des affaires entre chacun d’entre eux ; l’important étant, en définitive, que les décisions donnent l’apparence d’avoir été prises en commun : ce sera tout le rôle joué par la signature des actes, procédure matérialisant l’exigence de la délibération. Mais devant l’immensité du travail et les exigences de la célérité de l’action, une pratique s’est progressivement dégagée, selon laquelle chaque membre signe seul, au nom du Comité tout entier, les arrêtés qui ne requièrent pas forcément l’attention de tous. En vérité, il convient de distinguer d’un côté, les arrêtés délibérés et adoptés en séance générale et, de l’autre côté, les arrêtés émanant des bureaux particuliers. Dès lors, le degré de responsabilité incombant aux membres du Comité dépend de telle ou telle configuration : théoriquement, elle est générale pour un arrêté délibéré et signé en assemblée plénière, tandis qu’elle est individuelle et repose sur un

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ou deux membres pour les arrêtés élaborés au sein de chaque section et faisant l’objet d’un simple « vu » de la part des autres membres.

30 Entre les membres, la hiérarchie est absente. Aucun député ne peut se prévaloir d’une quelconque supériorité hiérarchique envers ses collègues. Toutefois, deux remarques s’imposent. Premièrement, cette absence de hiérarchie n’est pas contradictoire avec l’apparition d’un dispositif tendant à la coordination du travail et des compétences entre chacun des membres du Comité. Les archives montrent l’existence d’un Bureau constitué d’un président et de plusieurs secrétaires, et dont le rôle est de veiller à l’harmonisation du travail15. Deuxièmement, le modèle « légal-rationnel » ne peut pas faire disparaître tout élément d’allégeance personnelle. Chaque organisation est le théâtre de la promotion ou de la mise en avant de certains de ses membres. Cette domination charismatique s’exprime surtout durant la période pré-thermidorienne au cours de laquelle Danton et Robespierre, les principaux chefs politiques du Comité, ont été de véritables meneurs d’hommes. La conséquence de cette supériorité charismatique est inévitablement la propension à l’individualisation du pouvoir. A partir de la crise du 9 thermidor an II, seuls, peut-être, Cambacérès, Merlin de Douai ou Sieyès peuvent être considérés comme des leaders, dont le rôle est de « commander » et de constituer un point de fixation utile au maintien de l’équilibre de l’organisation.

31 Non hiérarchisé, le Comité est néanmoins spécialisé. Très rapidement après la création du Comité, on assiste à l’apparition de départements ministériels, à savoir des sortes de services constitués d’agents placés sous l’autorité d’un chef politique et appelés à traiter, dans un sens défini par ce dernier et en les répartissant par services, des matières ayant entre elles une certaine affinité.

32 C’est dans le Comité « Danton » que l’on observe les prémices d’une rationalisation du travail. Les membres du premier Comité ont en effet effectué une distribution des affaires en fonction des branches d’activités que le Comité est amené à surveiller : Correspondance générale, Affaires étrangères, Guerre, Marine, Contributions publiques - Intérieur – Justice, Pétitions et réclamations. Ces Sections correspondent aux ministères du Conseil exécutif : Justice, Marine, Affaires étrangères, Intérieur, Guerre, Contributions et revenus publics.

33 Le « Grand Comité » forme quant à lui un gouvernement parallèle. Le Comité est organisé en grandes divisions, couvrant ainsi l’action des ministres du Conseil exécutif, puis celle des commissions exécutives. Chaque ministère ou commission dispose ainsi d’un référant au Comité qui exerce une autorité presque illimitée sur ce département. Trois types de membres se distinguent durant cette période : les révolutionnaires (Barère, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois) qui assurent la « communication » du Comité ; ils en sont les porte-paroles, les politiques (Robespierre, Saint-Just et Couthon) qui donnent un sens à l’action révolutionnaire. Ils usent de leur autorité politique ou de leur charisme : ils sont les maîtres de la Révolution. Enfin, les travailleurs : les « organisateurs de la victoire » (Carnot, Prieur de la Côte d’Or et Lindet). Ce triumvirat est continuellement absorbé par le labeur administratif : Lindet nourrit la population et les armées, Carnot organise la défense nationale et crée des armées, Prieur fournit les armes et le matériel.

34 Enfin, le Comité thermidorien offre une spécialisation séquentielle. Le renouvellement mensuel imposé limite considérablement, du moins en théorie, la constitution d’une équipe dirigeante composée de membres exerçant chacun, continuellement, son autorité sur une branche particulière de l’administration générale de la République.

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Cependant, les faits démontrent que chaque membre, une fois élu, est affecté à la direction d’une Division ou d’une Section et exerce sa fonction durant la totalité de son mandat (4 mois), ce qui lui permet de créer des réseaux, d’asseoir son autorité et de mettre en place une stratégie d’action.

35 La thématisation et la spécialisation de son travail ont permis au Comité d’étendre son autorité sur toutes les branches du gouvernement, de s’investir dans la sphère d’activité de l’administration et d’exercer des fonctions exécutives. Cette organisation a favorisé l’émergence d’une structure à vocation ministérielle capable d’exercer des fonctions gouvernementales.

L’émergence d’une fonction gouvernementale

36 L’apparition de la fonction gouvernementale par le truchement du Comité naît d’un paradoxe : les Conventionnels sentent la nécessité d’imaginer de nouvelles formes pour l’exercice du pouvoir mais persévèrent dans leur refus d’entériner la confusion des pouvoirs au profit du Comité. Ainsi, lentement mais certainement, la Convention élabore un ensemble de textes organisant les pouvoirs publics, confiant au Comité des outils pour exercer une fonction gouvernementale et lui attribuant des prérogatives lui permettant d’incarner le pouvoir politique.

37 La mise en place progressive d’un organe gouvernemental. Le Gouvernement révolutionnaire se présente in fine comme le produit d’une construction juridique particulière et d’une systématisation graduelle par le biais de textes « organiques » : six décrets « statutaires » fondent les pouvoirs du Comité, organisent ses attributions et déterminent son rôle.

38 Le Comité remplit une fonction de supervision et d’impulsion. L’urgence de la situation conduit la Convention à adopter les décrets du 6 avril 1793 et du 19 vendémiaire an II16 qui confèrent au Comité les compétences nécessaires pour contrôler et impulser l’action des autorités constituées. Ces textes témoignent de l’accroissement progressif de ses attributions, même si ces dernières relèvent toujours de la sphère de l’extraordinaire et de l’exorbitance.

39 En outre, le Comité exerce sa prééminence sur les organes détenteurs de la fonction exécutive. On retiendra du décret du 14 frimaire an II17 la mise en exergue de la fonction de surveillance qui permettra au Comité de dominer la fonction exécutive. Ce décret a pour objectif de constituer un gouvernement fortement centralisé afin de s’opposer à tout retour du fédéralisme et a pour effet de multiplier les chaînes de subordination tout en réduisant le nombre des échelons hiérarchiques. De cette manière, l’efficacité de l’action gouvernementale est théoriquement renforcée : au moyen de cette simplification administrative, il opère un meilleur contrôle, plus resserré et plus direct. En définitive, la Convention gouverne par l’intermédiaire de son Comité de salut public18.

40 Peu à peu, la fonction gouvernementale s’affirme. En adoptant le décret du 12 germinal an II19, la Convention franchit un pas décisif dans la systématisation du Gouvernement révolutionnaire et dans l’établissement de la prépondérance du Comité. Elle lui confie la quasi-totalité du pouvoir en créant des commissions exécutives placées sous sa subordination directe et exclusive. La séparation des pouvoirs a vécu, il n’y a plus de pouvoir exécutif « autonome » organiquement indépendant de la Convention. Désormais, la pensée du gouvernement est réservée au Comité et les détails de l’action

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administrative sont confiés aux commissions exécutives. Ce système « héliocentrique » fait du Comité le point de fixation de toute l’activité administrative : les commissions lui permettent de détenir tous les pouvoirs car grâce à elles, il maîtrise la quasi-totalité du processus décisionnel et représente alors le point de fusion entre les fonctions exécutive et législative. Il exerce alors une véritable dictature administrative sur l’ensemble de l’appareil d’État.

41 Cette fonction gouvernementale se stabilise ensuite. La crise thermidorienne remet en cause l’hégémonie du Comité. Pour prévenir toute nouvelle dictature, la Convention adopte le décret du 7 fructidor an II20 qui atténue l’influence du Comité en restructurant et en réaménageant les pouvoirs publics et en fixant pour la première fois les compétences de l’ensemble des Comités. Cependant, le nouveau mode de gouvernement s’avère, en pratique, peu satisfaisant…C’est la raison pour laquelle, par décret du 21 floréal an III, elle confie à nouveau les pleins pouvoirs au Comité, qui exerce désormais un contrôle absolu sur toutes les commissions exécutives.

42 Une telle fonction gouvernementale extraordinaire dispose de plusieurs outils. « Le Gouvernement révolutionnaire a besoin d’une activité extraordinaire, précisément parce qu’il est en guerre »21. En tant qu’instrument principal du Gouvernement révolutionnaire, le Comité doit pouvoir lui aussi être capable d’agir de manière extraordinaire. Il exploite les moyens politiques, financiers, administratifs et juridiques que lui confie la Convention afin d’opérer une direction effective du pays. Il dispose de trois catégories de prérogatives.

43 En premier lieu, d’un pouvoir d’initiative législative. On sait que plusieurs comités de la Convention disposent de la compétence de soumettre à l’Assemblée des projets de décrets. Le Comité exerce une « fonction législative » identique. Toutefois, le salut public, notion aux contours mal définis, qui ne se limite pas à la guerre mais qui concerne également potentiellement toutes les branches de la société, lui permet de couvrir un domaine d’intervention le plus large possible. L’éclectisme du « programme législatif » du Comité, que l’on peut augurer à l’aune de l’exploitation des cartons AF II 28 et AF II 29 regroupant les Décrets rendus sur proposition du Comité, démontre que ce dernier se démarque de ses homologues par sa capacité à proposer des projets de décrets relevant de tous les domaines de l’administration générale et du gouvernement de la République.

44 Ensuite, le Comité peut compter sur un pouvoir juridique unilatéral exorbitant. Le Comité est une autorité publique révolutionnaire recourant au procédé de la décision unilatérale comme principal moyen d’action : les objectifs de Défense de la Révolution et d’instauration de la République l’autorisent à imposer sa volonté à l’ensemble du corps social. Eu égard aux circonstances, le fondement du Salut public prévaut tant sur des dispositions formelles que sur des considérations liées aux principes de légalité, de séparation des pouvoirs ou encore d’État de droit. Dans ces conditions, s’il est inutile d’opérer une analyse juridique des actes du Comité, il est indispensable de présenter une sorte de nomenclature de ceux-ci. On peut alors mettre en lumière l’existence de plusieurs « sous-catégories » d’arrêtés. Certains portent atteinte à des libertés (arrestations). Les réquisitions constituent également des atteintes à certains droits fondamentaux. D’autres arrêtés sont pris au titre des missions de surveillance (annulations, suspensions, approbations ou confirmations, autorisations d’actes d’autres autorités). Plusieurs mesures modifient la condition individuelle des agents publics (nominations, révocations, destitutions, suspensions, promotions,

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augmentations ou mises à la retraite). Enfin, plusieurs arrêtés fixent des règles générales (instructions, plans de travail ou règlements). Tous ces actes bénéficient d’un privilège que l’on pourrait assimiler, aujourd’hui, à une sorte de « bénéfice de l’exécution préalable ». On suppose que les actes du Comité possèdent une autorité immédiate et qu’à ce titre, ils disposent d’une sorte d’« autorité de chose décidée ». En effet, les impératifs du salut public ne peuvent rester sans conséquence sur l’autorité de ces actes supposés servir les nécessités de l’intérêt public et requérant, de ce fait, célérité et efficacité.

45 Les crédits politiques semblent également illimités. La Convention accorde au Comité une réserve financière sur laquelle il peut ordonner librement les dépenses qu’il souhaite, sans contrôle de la part de la Trésorerie nationale, afin de mener à bien ses dépenses secrètes ou politiques. L’existence de ces fonds spéciaux est caractéristique d’une technique de gouvernement employée au service d’une action extraordinaire, guidée par l’urgence. Par cette somme, la Convention signifie au Comité, à qui elle accorde de ce fait une quasi-autonomie financière fonctionnelle, qu’il peut employer tous moyens pour parvenir au but souhaité. L’article 4 du décret du 6 avril 1793 lui affecte une somme de 100 milles livres ; le décret du 2 août 1793 lui octroie un crédit illimité de 50 millions de livres ; le décret du 7 fructidor an II ouvre un crédit de 10 millions. En conséquence, le Comité dispose de la capacité de mobiliser rapidement, sans procédure particulière, des sommes d’argent importantes et de les affecter, sans intermédiaire, à une fin précise. Partant, le gouvernement gagne en rapidité et en efficacité. L’existence de ces crédits correspond en tous points à la période considérée : gouverner et administrer révolutionnairement, c’est diriger un pays en dehors des formes traditionnelles mises en place pour assurer l’ordre social.

46 Le Comité assure la personnification du pouvoir politique. Une autorité politique doit, pour être qualifiée de gouvernement ou pour prétendre exercer une fonction gouvernementale, représenter l’État dont elle émane et dont elle assure les intérêts. Le Comité est donc en quelque sorte la « voix » du pouvoir politique révolutionnaire. Grâce à deux moyens principaux, le Comité peut être considéré comme le porte-parole de la République révolutionnaire. D’abord, les adresses « générales » sont des déclarations politiques par lesquelles il assoit sa stature nationale et gouvernementale et bénéficie, ainsi, d’un canal officiel pour communiquer à l’ensemble de la nation. Ensuite, les rapports sur l’état de la République et du gouvernement relèvent originellement d’une obligation de présenter un rapport hebdomadaire sur la situation politique globale. Progressivement, le Comité s’affirme comme le seul organe capable de parler au nom de la République et apparaît, en conséquence, comme la seule autorité capable de prendre les décisions qui s’imposent.

47 Par la conduite de la diplomatie, le Comité incarne également la République. Par plusieurs décrets, la Convention confie au Comité l’exercice d’attributions diplomatiques, de sorte qu’il capte rapidement plusieurs attributions du Comité diplomatique et du ministre des Affaires étrangères. A partir de germinal an II, avec la soumission de la Commission des Relations extérieures au Comité, cette mainmise sera totale. Il dispose ainsi de très larges compétences pour nommer les agents de la France à l’étranger, réglementer et orienter le travail diplomatique22, financer des projets diplomatiques ou encore prendre en charge les tractations internationales. Au vu des archives, le Comité contrôle matériellement l’activité internationale de la France. Par ailleurs, l’existence de ces relations diplomatiques directes entre le Comité et les

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représentants des puissances étrangères démontre que les autres États le reconnaissent comme un interlocuteur légitime, investi de pouvoirs de représentation de l’État, fonction ressortissant ordinairement au gouvernement.

48 Au vu de ces éléments, le Comité doit être perçu comme un organe extraordinaire dont les conditions d’existence et les attributions sont liées à la construction d’un système institutionnel évolutif, le Gouvernement révolutionnaire, fruit, d’abord, d’une concentration horizontale du pouvoir politique, ensuite, d’une centralisation verticale de l’exécution des lois. Il est en outre impossible de le considérer comme un organe secondaire chargé de remplir une simple fonction d’exécution des lois ; il dispose de l’autorité nécessaire et des compétences idoines pour donner une véritable impulsion politique, administrative ou juridique aux différentes autorités révolutionnaires.

Le Comité de salut public, « machine administrative »

49 Plusieurs indices administrent la preuve que le Comité acquiert, progressivement, certaines des caractéristiques des organisations administratives bureaucratiques. L’édification de cet organe politique en organe administratif constitue la base fonctionnelle de soutien à l’action de ses membres. En effet, son activité est rendue possible par une organisation interne à tendance bureaucratique, c’est-à-dire une forme d’organisation d’application très générale et fondée sur la professionnalisation des employés, la division du travail, la hiérarchisation des fonctions et l’impersonnalité des règles régissant les rapports mutuels entre ses membres. L’immersion dans la « chambre des machines » offre la possibilité de construire une sorte de « science administrative » du Comité. L’examen attentif des archives permet de mettre en lumière trois traits saillants essentiels : l’infrastructure interne, les méthodes de travail et le personnel administratif.

L’infrastructure administrative

50 Les papiers du Comité fournissent des informations précieuses sur son organisation interne et sur l’agencement de ses bureaux et de ses services. L’exploitation des cartons AN AF II 23 a et b permet de vérifier l’hypothèse selon laquelle le Comité se présente comme une institution politique soumise à un processus de bureaucratisation.

51 Il convient d’en examiner d’abord l’organisation et le fonctionnement internes. On entend par organisation interne l’ensemble des éléments permettant d’apprécier le Comité autrement que par le prisme du droit et des règles présidant à l’exercice de ses attributions. Le Comité de salut public est le principal occupant du Pavillon de Flore. L’implantation des bâtiments publics, matérialisant l’existence de l’autorité, doit être observée avec une attention toute particulière car la localisation des institutions est révélatrice de la place politique qu’elles occupent23. Ainsi, déterminer l’emplacement du Comité permet d’opérer une rencontre entre la géographie et le pouvoir : l’analyse des documents relatifs à la géographie des bureaux renseigne sur la maîtrise de l’espace administratif et institutionnel du Comité et, par conséquent, sur sa place au sein de l’organisation des pouvoirs révolutionnaires. Installé au Pavillon de Flore, le Comité demeure au sein de la Petite Galerie, dans les appartements de la Reine. Un couloir de planches le relie au Théâtre des Tuileries, où se déroulent les séances de la Convention. Pratique et symbolique, ce cordon ombilical assure un lien « génétique » entre

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l’Assemblée et le plus important de ses Comités. Une fois introduit au Comité, le visiteur trouve un long corridor, bordé de bureaux où travaillent les employés, et débouchant sur les cabinets de travail des chefs de sections et sur la grande salle de réunions. Toutes ces informations révèlent l’existence d’une sorte de « hiérarchie horizontale ».

52 Le Comité s’est progressivement agrandi en gagnant les appartements du Roi puis en annexant les locaux de ses colocataires. La multiplication des locaux d’une administration résulte de l’accroissement de ses affaires : à plusieurs reprises, le Comité s’est restructuré en adaptant son agencement intérieur par des débordements successifs sur ses plus proches voisins. Ce phénomène n’est pas anodin car si l’absorption des autres Comités est physique et matérielle, elle est avant tout symbolique dès lors que le Comité phagocyte surtout leurs compétences et attributions.

53 L’analyse archivistique met par ailleurs en évidence l’existence d’un certain amalgame entre la routine administrative et les impératifs extraordinaires liés à sa mission. De nombreux aménagements sont régulièrement effectués : dérisoires, comme de multiples réparations ou, d’ampleur, comme de lourds aménagements (corps de bibliothèques, machines d’imprimeries). En outre, le Comité est soumis à quelques impératifs liés à la gestion (stockage et approvisionnement) des « consommables » de bureaux, tels les bougies, l’encre, les plumes, les mines et crayons noirs, la cire et le papier. De la même manière, les membres du Comité organisent, fixent les règles et assurent le suivi quotidien de procédures visant à assurer une sorte de confort matériel même rudimentaire sur le lieu de travail : l’amélioration des conditions de travail (chauffage) et les approvisionnements en denrées alimentaires sont des préoccupations constantes.

54 L’architecture bureaucratique du Comité peut être qualifiée de tentaculaire. L’architecture d’une organisation correspond à la manière dont est imaginé un système logique et rationnel de répartition des compétences. L’infrastructure institutionnelle peut se définir comme l’agencement intellectuel des différents services à partir desquels les décisions sont prises et le travail effectué. La création de bureaux est inhérente à toute organisation et le Comité n’échappe pas à cette règle. Ses papiers, témoins éloquents de sa bureaucratisation, ont révélé que ses membres ont progressivement perfectionné l’ordonnancement des bureaux. Sa phase de croissance peut être divisée en quatre grandes étapes : sa formation et sa première configuration, la distribution des tâches entre les membres du Comité, une tentative de recadrage et, enfin, l’adoption de sa structure générale définitive. Pour simplifier, on peut dire que les structures administratives deviennent des « outils » au service des membres, chacun dirigeant une section. Les bureaux deviennent de véritables cellules d’exercice d’un travail administratif et l’intitulé des sections confirme définitivement le basculement du Comité vers une organisation à tendance gouvernementale, puisque ses structures internes se superposent aux attributions du Conseil exécutif provisoire. La spécialisation thématique permet d’embrasser l’ensemble des domaines dans lesquels le pouvoir révolutionnaire intervient.

55 L’analyse des états mensuels du personnel a permis l’élaboration d’un organigramme général : on décompte en moyenne 12 sections et « bureaux composés » regroupant près de 29 bureaux. En parallèle, il existe près de 25 bureaux indépendants. De manière plus générale, le Comité se compose de 54 bureaux et de 4 services isolés. Son infrastructure générale peut donc être schématisée de la manière suivante : une

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division, structure principale, se décompose en sections, structures secondaires, elles- mêmes divisées en bureaux qui peuvent voir leurs attributions distribuées entre plusieurs sous-parties. Cette arborescence, entraînant une hiérarchisation des structures ainsi que la spécialisation du travail, conduit au cloisonnement des services, caractéristique classique des organisations administratives. Le travail se divise, se spécialise et s’articule autour de plusieurs « départements », similaires à des domaines généraux d’administration. Chaque bureau est le titulaire de compétences rationae materiae, parfois même rationae loci. Les membres du Comité ont construit, à leur bénéfice exclusif, un outil capable d’embrasser la totalité de l’action administrative.

56 Le recensement exhaustif des différents emplois24 a été rendu possible grâce aux états du personnel, lesquels indiquent, pour chaque agent, sa fonction. Une fois ce relevé effectué, on peut proposer un organigramme-type par service, illustrant une condition sine qua non de l’existence d’une bureaucratie : la hiérarchisation du personnel. Sur les états du personnel, au sein de chaque bureau sont regroupés, par ordre décroissant, les employés bénéficiant des mêmes émoluments. La coïncidence est saisissante lorsque l’on s’aperçoit qu’à chaque groupe de salaires correspond une fonction déterminée. En outre, les divisions administratives ou Sections du Comité sont généralement placées sous l’autorité d’un directeur, et les subdivisions dirigées, chacune, par un chef, assisté d’un ou de plusieurs sous-chefs.

57 En somme, le Comité présente une infrastructure répondant aux canons classiques de la hiérarchisation et de la spécialisation des organisations. Ce type d’agencement interne contribue à la mise en œuvre de la domination du Comité sur l’ensemble de l’activité administrative révolutionnaire. Le Comité a intégré, condensé et digéré des procédures administratives déjà existantes, tout en les améliorant. Ces observations permettent de voir le Comité comme le symbole d’un phénomène ayant tendance à se généraliser à partir du XVIIIe siècle : le triomphe de la Bureaucratie25.

Les méthodes de travail

58 Entreprendre une étude des méthodes de travail du Comité conduit à examiner l’ensemble des dispositifs employés et des procédures suivies visant à produire une décision. Le dépouillement des archives révèle l’existence de deux moments d’actions, distincts, souvent complémentaires, mais pas toujours successifs : la récolte de l’information et le traitement des dossiers, faisant apparaître un formalisme bureaucratique très poussé.

59 Le premier temps est celui de la collecte d’informations. Le Comité exploite plusieurs outils visant à rassembler le plus de renseignements possibles sur le fonctionnement de l’appareil étatique, sur ses relations avec les citoyens et sur les besoins actuels ou futurs du public. Spontané ou recherché, sur les détails ou sur les principes d’une réforme majeure, le renseignement est la base essentielle de toute action administrative. Par conséquent, la pertinence des choix des autorités, dictés par le principe de cohérence, dépend étroitement de la qualité des données sur lesquels ils sont fondés. Ainsi, si le Comité agit dans l’urgence, il éprouve le besoin de bénéficier de renseignements objectifs et sûrs ; c’est la raison pour laquelle il s’est investi dans un vaste programme de collecte systématique de données et de renseignements.

60 Le Comité a eu rapidement recours au procédé des enquêtes administratives et/ou statistiques26, faisant de la collecte d’informations une véritable technique de

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gouvernement. D’abord, il est possible de mettre en avant l’existence d’une sorte de « circuit de la quête statistique » ; les enquêtes suivent un parcours en trois étapes. En premier lieu, l’émission et l’initiative de l’enquête : le Comité est le principal initiateur des enquêtes de la période du gouvernement révolutionnaire (1/3 des opérations sont impulsées par le Comité). Ensuite, l’opération matérielle de l’enquête : le Comité confie aux autorités locales ou à des agents nationaux le soin de procéder concrètement aux recensements et aux enquêtes. Enfin, l’analyse des résultats par le Comité. Dans les faits, il s’est lancé dans une vaste campagne de renseignements et de recensements, sans jamais se restreindre aux questions militaires : ainsi les animaux, les matières premières, le matériel militaire, les approvisionnements et les subsistances, le fonctionnement de l’appareil étatique, les relations entre le pouvoir et les citoyens, les besoins actuels ou futurs du public, l’économie et le commerce, les personnels civils et militaires, l’administration de la justice ou encore la situation de la République, pour ne citer que les principaux, ont été l’objet de différentes enquêtes. En commandant des investigations sur des sujets entrant, ou non, dans son champ de compétence, en analysant pour la plus grande partie lui-même les résultats et surtout, en prenant des décisions appuyées sur ces derniers, le Comité maîtrise, de bout en bout, la chaîne administrative.

61 Les comptes décadaires tiennent une grande place dans la vie du Comité : ce sont des comptes rendus adressés chaque décadi au Comité envoyés par les administrateurs de district ou les agents nationaux afin de le tenir informé de la situation dans les départements sur l’esprit public, les mouvements, les agitations, les révoltes mais aussi sur les journaux ou encore les théâtres27. A partir de ces comptes, les agents du Comité peuvent dresser plusieurs tableaux, comme les Tableaux de la situation politique de la République28. Une fois les comptes adressés au Comité, le travail d’analyse revient alors à ses employés qui auront à transformer l’information et à la classer selon des critères stricts et simplificateurs à l’usage exclusif des membres du Comité. Dès lors, ce dernier n’est plus, ici, un simple organe politique, un gouvernement « ordinaire » bénéficiant du travail préalable de l’administration ; il devient aussi cette administration. On assiste alors à une sorte de confusion, en son sein, des fonctions décisionnelles et préparatoires. L’exercice concomitant de ces différentes fonctions lui permet ainsi de maîtriser dans sa globalité la chaîne décisionnelle, donc de réduire le plus possible des zones d’incertitudes inhérentes à tout système bureaucratique étiré, comme la rétention ou la déformation de l’information.

62 Le deuxième temps est celui du traitement interne des dossiers, de leur cheminement entre les différentes structures, bref des procédures bureaucratiques menant à l’étape ultime : la décision du Comité. Selon le modèle bureaucratique wébérien, l’usage généralisé de l’écrit et la normalisation des procédures sont des conséquences de la rationalité administrative. Pour vérifier ces hypothèses théoriques, il paraît nécessaire d’effectuer une immersion dans la « chambre des machines » afin de mettre en lumière le fait que l’aménagement de ces règles entraîne l’apparition de deux phénomènes inséparables de l’idée de bureaucratie : la standardisation des comportements et la hiérarchisation du personnel.

63 L’analyse approfondie des archives met d’autre part en lumière une profusion d’instructions et d’ordres de travail destinés à fixer le comportement de l’ensemble des employés. Les instructions recensées comportent plusieurs caractéristiques communes : ces actes sont toujours pris en la forme unilatérale et procèdent de la seule

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autorité du Comité ; les ordres sont généraux, impersonnels et visent une catégorie ou une fonction précise ; ces instructions constituent de véritables injonctions. Ces éléments prouvent l’existence de règles ayant pour objet principal d’assurer la cohérence et l’harmonie de l’organisation et dont la fonction est de déterminer la conduite des agents en les plaçant dans une situation de stricte subordination juridique. Le Comité produit donc en son sein un système normatif rigide. En effet, tous les aspects du fonctionnement du Comité font l’objet d’une traduction et d’un encadrement juridiques. Le juridisme apparaît alors comme une condition sine qua non de l’existence du phénomène bureaucratique. Cette stabilisation est notamment permise par des règles générales et impersonnelles interdisant l’individualisation des consignes. Véritables codes comportementaux, ces instructions sont indispensables au bon fonctionnement de l’organe et placent les employés dans une situation de stricte dépendance vis-à-vis de ceux qui les ont édictées.

64 Le Comité voit une spécialisation, une division et une hiérarchisation des fonctions des employés. On peut regrouper les fonctions exercées au Comité autour de quatre grands pôles : la petite main d’œuvre, les fonctions techniques spécialisées, les fonctions d’application et d’encadrement, les fonctions de direction, d’orientation, de surveillance et de contrôle. Ce travail de catégorisation des fonctions révèle l’existence d’une hiérarchie fonctionnelle, consistant, d’une part, en un dispositif de remontée systématique de l’information de la base (réception du courrier, analyse, formulation d’une proposition de solution) au sommet (prise d’une décision) et, d’autre part, à l’exécution et à la mise en forme de la résolution (rédaction, copie, expédition). Dans ce schéma, chaque employé exerce une fonction bien précise.

65 Comment les membres du Comité travaillent-ils ? La science administrative met en lumière les différentes phases du processus décisionnel, c’est-à-dire les procédures par lesquelles une autorité aboutit à une décision, à savoir la manifestation d’une volonté de produire des effets, juridiques ou non, divers et variés. Peu d’études ont mis en exergue la complexité interne du Comité : il nous incombe de combler en partie cette lacune en décortiquant les procédures en vigueur. L’idéal aurait été de suivre, pas à pas, le parcours d’un dossier. Néanmoins, l’état de conservation des archives, s’il est exceptionnel, pèche par certains manques. Dès lors, pour rendre compte des procédures internes de travail, le parti pris a été, à l’appui de tous les ordres de travail recueillis, d’imaginer le portrait-robot de l’organisation du travail interne et de proposer des instructions fictives mais reflétant un modèle général conceptualisé à partir des différentes informations collectées. Cette réglementation artificielle a pour objectif de comprendre la manière dont le courrier à l’arrivée, document adressé au Comité, est traité et entraîne une réponse, symbolisée par le courrier au départ. Plusieurs étapes peuvent être observées : réception du courrier, répartition du courrier, distribution interne aux bureaux, analyse des documents, traitement des dossiers, enregistrement et signature et expédition. La conséquence directe de cette organisation est l’individualisation du travail. Les employés deviennent des instruments passifs qui reçoivent, subissent et exécutent les directives sans faire preuve d’initiative. Le Comité procède à une sorte d’« organisation automatique » du travail.

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Le personnel administratif

66 Les archives contiennent un grand nombre de documents inédits ou peu exploités qui fournissent des renseignements substantiels sur l’organisation de son personnel et sur le régime juridique, légal ou coutumier, auquel il est soumis. On abordera respectivement : l’entrée en fonction, les droits et obligations des employés, ainsi que les évolutions possibles de la carrière au sein du Comité.

L’entrée en fonction : un recrutement partisan, clientéliste, spécialisé et peu formalisé

67 Le Gouvernement révolutionnaire exigeant une adhésion expresse des agents aux valeurs dominantes, le Comité recrute alors un personnel doté des qualités nécessaires à tout individu œuvrant à la régénération de la société : être un bon citoyen et un bon patriote permet d’être un bon révolutionnaire. Les employés doivent prouver leur civisme, défini comme le dévouement envers la collectivité : accomplir les différents devoirs imposés à chaque citoyen (comme le versement de la contribution publique ou le service de garde nationale), mais aussi assurer une vie décente à leur famille. Durant la Révolution, être un « bon citoyen » relève d’un jugement d’ordre politique : cette qualité se mérite et il convient d’être déclaré comme tel. C’est donc la raison pour laquelle le Comité exige de ses employés la production d’un certificat de civisme ou d’un certificat de sûreté, attestations indispensables pour ne pas être qualifié de contre-révolutionnaire.

68 Avec la Révolution, la construction des nouveaux appareils politiques et administratifs a conduit à une vague sans précédent d’enrôlements d’agents publics nouveaux. Afin de mieux connaître ce personnel administratif, on peut considérer ses origines géographiques. Quatre départements se démarquent nettement : Paris, la Côte d’Or, l’Yonne et l’Oise représentent 55 % du personnel total connu. Si l’on considère les « régions » d’origine, on observe alors que deux grands pôles agrègent autour d’eux les principaux départements « fournisseurs » : l’actuelle région Île-de-France et l’actuelle circonscription administrative de la Bourgogne. L’importance du phénomène relationnel, l’institutionnalisation de la règle du patronage et le système informel d’intégration des administrations publiques de l’époque sont autant de facteurs à prendre en considération.

69 L’exploitation des archives permet de rectifier l’idée reçue selon laquelle le personnel administratif des administrations révolutionnaires serait incompétent et d’analphabète. A partir de l’étude de leurs dossiers personnels, on peut dire que les employés sont majoritairement issus de quatre secteurs principaux : les professions juridiques, les étudiants, les militaires puis les employés d’administration ou de bureaux, regroupant à elles seules 53,6 % des employés. Le Comité recherche un personnel apte, spécialisé et sur lequel il peut compter, rompu aux procédures administratives et bureaucratiques. En recrutant des personnes familiarisées avec le travail demandé, il contribue à la construction de l’appareil administratif moderne, même si la monarchie en avait posé les fondements. Partant, ces résultats confirment que l’idée selon laquelle la Révolution représente la période charnière du passage, pour l’Administration, de l’amateurisme ou supposé tel des agents, à leur professionnalisme.

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70 Les documents ne rendent pas véritablement compte d’une procédure particulière présidant à la nomination des agents administratifs. En tout état de cause, le constat est celui d’une multiplicité des procédures de recrutement : certains employés sont nommés, d’autres réquisitionnés, beaucoup sont parrainés. De surcroît, deux procédures semblent être en revanche écartées : le concours et le contrat. Par ailleurs, aucun texte ne vient arrêter le nombre maximum d’employés. Les états mensuels des employés du Comité représentent la source principale pour appréhender la démographie du personnel administratif. On constate alors un accroissement progressif, voire exponentiel, de leur nombre. L’augmentation des charges incombant au Comité justifie la complexification de son infrastructure. Ces résultats fournissent la preuve qu’il est absolument impossible de prévoir et d’anticiper les évènements en période de crise, d’autant que la durée éphémère du Comité interdit toute planification. A défaut de gestion prévisionnelle, il s’agit de « gestion contingente » des effectifs. Recruter lorsqu’il le fallait, remercier lorsque les besoins étaient moins pressants : le Comité a mis en œuvre le principe de « flexibilité du travail ».

Le bénéfice de droits et d’avantages

71 Les agents du Comité se voient reconnus un droit à un traitement régulier et proportionnel à la fonction exercée. La rémunération des agents du Comité obéit aux mêmes principes directeurs présidant à celle de l’ensemble des salariés publics durant la Révolution : égalité, légalité, insaisissabilité, paiement après service fait et publicité. Par ailleurs, l’analyse des états du personnel permet de constater l’émergence d’une corrélation entre la rémunération, la fonction exercée, et le rang hiérarchique occupé. La Révolution semble être le point de départ du passage d’une gestion individuelle à une « gestion collective » de la rémunération des salariés publics.

72 Ces employés reçoivent des avantages liés à leur fonction. Les salariés publics révolutionnaires bénéficient parfois de situations avantageuses sans pour autant jouir de privilèges outranciers. Ces mesures remplissent une double mission : améliorer les conditions d’exercice des fonctions et assurer aux employés une certaine protection. Les institutions révolutionnaires, perpétuant une pratique développée sous l’Ancien régime, adoptent un système permettant aux employés publics de bénéficier d’avantages matériels (logement de fonction, habillement), financiers (gratifications, indemnités, aides et secours) ou encore administratifs (avantages protecteurs ou quelques garanties comme l’aménagement des obligations militaires).

73 La consultation des archives révèle enfin l’existence de plusieurs requêtes adressées par les employés aux membres du Comité. Ces suppliques sont alternativement individuelles ou collectives, émanant d’un employé ou d’un groupe d’agents associés pour formuler la même demande. L’examen de ces démarches fournit des renseignements sur les « droits » des salariés publics, notamment celui de pétitionner29. Au vu de ces observations, on peut affirmer que le Comité est un lieu où se développe, à un niveau certes assez limité, la défense collective des intérêts professionnels. En fait, l’existence de ces revendications s’inscrit dans un courant initié dès les débuts de la Révolution française : s’il ne s’agit pas d’évoquer le « syndicalisme »30, à tout le moins peut-on mentionner, et encore, la notion d’« archéo-syndicalisme ».

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La soumission à des devoirs et obligations

74 L’examen des archives du Comité révèlent les prémices d’une « déontologie » administrative révolutionnaire. Travailler pour la République implique d’adopter un comportement irréprochable. Les archives mettent en lumière l’existence, même embryonnaire, de règles visant à dicter aux salariés publics révolutionnaires une conduite conforme à ce que l’on peut attendre de ceux qui servent la nation. Ces règles, concernant essentiellement la vertu et le civisme, et relatives à la « déontologie » ou à l’« éthique » administrative révolutionnaire, relèvent principalement de la moralisation des conditions de rémunération des agents publics. Les pouvoirs publics se sont efforcés tantôt de soustraire les employés à la tentation de la corruption, tantôt de leur interdire de cumuler fonctions et rémunérations.

75 Le régime disciplinaire du Comité n’est pas codifié mais reste particulièrement rigide. Les employés font l’objet d’une surveillance très poussée : les chefs de bureaux ont un rôle important puisqu’ils rendent compte régulièrement du comportement des employés. Le pouvoir disciplinaire est celui d’infliger des sanctions à l’égard d’agents hiérarchiquement subordonnés. Les membres du Comité s’appuient sur un ensemble de règles juridiques, textuelles ou non écrites (les plus nombreuses), pour régler la situation, tantôt collective, tantôt individuelle, de son personnel administratif. Pour apprécier l’étendue de l’exercice de ce pouvoir par le Comité, il suffit de se référer à ses nombreuses décisions : le pouvoir disciplinaire se matérialise par plusieurs types de mesures : la « révocation », la « destitution » ainsi que la « privation de liberté ».

76 D’autre part, un travail de relevé des carrières des employés du Comité a permis de mettre en évidence l’inexistence d’un système organisé et général de promotion automatique des employés, même si au sein de chaque type d’activité des nuances peuvent être apportées. En vérité, les perspectives théoriques de progression de carrière dépendent de la fonction occupée par chacun lors de son arrivée. A ce titre, deux groupes se dégagent : celui constitué par les deux extrémités de la pyramide : tant les surqualifiés que les non qualifiés n’avaient pratiquement aucun espoir de progression dans la hiérarchie ; celui composé du « ventre mou » des employés : ce marais offre le plus de perspectives gratifiantes. Pour synthétiser, on peut affirmer que la progression existe mais qu’elle n’est que relative : l’ascension n’est ni automatique, ni de droit et résulte le plus souvent d’un concours de circonstances, liés à la vacance de certains postes. L’insécurité de l’emploi est la règle et la menace d’une destitution ou d’une rétrogradation est la réalité.

77 Le Comité, organe politique a donc intégré en son sein une administration bureaucratique, structurée et hiérarchisée. L’agencement des bureaux, l’augmentation de son personnel et la démultiplication des cellules spécialisées font de lui une institution comparable aux organisations administratives classiques. Son organisation constitue un moyen de monopoliser le pouvoir. En effet, il assoit son pouvoir par la convergence, en son sein, de l’ensemble des branches de l’action publique révolutionnaire auparavant éclatées alors entre divers ministères, Comités ou commissions exécutives. Son organisation interne lui permet de superviser le Gouvernement révolutionnaire.

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L’action centralisatrice du comité

78 Présenter l’action du Comité, c’est révéler le processus de construction de ce pouvoir indépendant par l’appropriation - parfois la dénaturation – de ses prérogatives, compétences et attributions initiales, par la transformation de son organisation en une véritable « machine » bureaucratique et par le développement de méthodes de travail spécifiques au service d’une action énergique. Le Comité symbolise le regroupement graduel au sein d’un même organe des principales fonctions étatiques : la frontière hermétique, érigée en dogme, entre le gouvernement et l’administration s’effrite et les Jacobins reconnaissent la nécessité d’intervenir dans la sphère administrative. Cette emprise sur les fonctions administratives et gouvernementales se concrétise à la fois par la détermination et la mise en œuvre des grandes orientations nationales et par la direction et la gestion des agents publics.

L’emprise sur la fonction administrative

79 Pour les Jacobins, l’exécution des mesures révolutionnaires constitue un souci permanent. Un gouvernement est inefficace, et donc moins légitime à exercer le pouvoir, si ses décisions ne reçoivent pas l’exécution souhaitée. C’est donc pour restaurer l’autorité politique centrale et l’unicité de l’impulsion et de la direction de l’action administrative que le Comité a été créé. Il s’agit, en l’espèce, d’illustrer la manière dont le Comité a centralisé, à son profit, la direction de l’ensemble de l’appareil administratif. En fait, spontanément ou sur habilitation de la Convention, le Comité a dépassé le cadre originel de ses attributions ; son activité correspond au schéma d’action suivant : prendre des mesures générales, prendre en charge lui-même, ou du moins superviser l’action administrative puis, enfin, sanctionner les erreurs. Cette emprise sur la fonction administrative se manifeste par la surveillance, l’impulsion et la coordination de l’activité administrative.

80 Créé pour pallier les carences du Conseil exécutif provisoire, le Comité prend le relais de la surveillance et du contrôle de l’action administrative. Ainsi, François Burdeau estime que pour tout gouvernement souhaitant restaurer l’autorité du centre, le meilleur moyen est de s’assurer de la « docilité » des autorités administratives placées sous son autorité, et ce par le biais de la « surveillance »31. Cette opinion paraît parfaitement adaptée aux circonstances révolutionnaires et à la mission principale du Comité. Il existe deux types de surveillance.

81 La surveillance constitue le cadre juridique dans lequel le Comité maintient les organes révolutionnaires, nationaux et locaux, sous son autorité. En premier lieu, le Comité procède à la mise en œuvre des pouvoirs qui lui sont conférés par les différents décrets de la Convention. Ensuite, il étend son activité à toute la sphère de l’action publique : par une sorte d’interprétation extensive du décret du 6 avril 1793, il déduit « qu’il est de son devoir de surveiller toutes les branches de l’administration générale de la République »32. Cet arrêté constitue à la fois le fondement juridique de son action et un blanc-seing pour intervenir dans l’ensemble de l’activité administrative française. On peut alors affirmer que surveiller le Conseil exécutif ou les fonctionnaires publics, c’est avoir la mainmise sur l’Administration, au sens organique, et que surveiller telle ou telle branche d’administration, c’est la maîtriser, au sens matériel. Le Comité mène ses missions grâce à trois principaux moyens : une organisation bureaucratique adaptée,

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des procédés matériels visant à la centralisation de l’information (transmission de toutes sortes de documents) et des moyens juridiques adéquats. L’activité juridique du Comité se matérialise au moyen de deux types d’actes. D’abord, les mesures par lesquelles le Comité anéantit les effets des actes pris par toutes les autorités placées sous son inspection. Ces mesures (annulation, cassation ou suspension) sanctionnent les décisions qu’il estime contraires à l’Intérêt public ou aux lois. Ensuite, les mesures par lesquelles il ratifie des actes déjà pris ou valide des propositions d’actes. Ici, le Comité exerce à la fois des fonctions de contrôle et d’impulsion de l’action administrative. On recense des autorisations (en amont des décisions, elles représentent une condition suspensive à l’exercice d’un droit ou d’une prérogative) et des approbations (en aval, elles confirment l’entrée en vigueur des actes déjà pris et en considèrent la régularité et l’opportunité). Toutes ces mesures lui permettent de concrétiser son ingérence dans la sphère administrative. Il est alors possible d’écrire que la fonction de surveillance administrative révolutionnaire se rapproche fortement de la tutelle33 juridique, au sens premier du terme. Le fait d’autoriser ou d’approuver, et d’annuler ou de réformer des décisions prises par d’autres autorités conduit le Comité à se présenter comme le seul et véritable supérieur hiérarchique de ces autorités.

82 En vertu des différents décrets de la Convention déterminant les règles relatives à l’épuration des administrations ou des armées, le Comité est autorisé à opérer une surveillance resserrée des individus ; il exerce de ce fait des fonctions relevant plutôt du domaine de la police et de la préservation de l’ordre public, relevant théoriquement de la compétence du Comité de sûreté générale. En fait, la surveillance des individus correspond aussi à une déclinaison de la Terreur. La mise en œuvre de cette surveillance a été possible grâce à la création d’une structure particulière, le Bureau de police générale. Enfin, le contrôle de la circulation et de l’établissement des personnes constitue une énième facette de l’activité du Comité.

83 Mais la fonction du Comité ne se limite pas à la surveillance et à l’accélération de l’action administrative confiée au Conseil exécutif, elle s’étend également à la fonction d’impulsion, déclinée sous trois formes générales : financière, administrative et juridique.

84 Le Comité finance tout d’abord la mise en œuvre de certains programmes. Les dépenses secrètes constituent l’un des principaux outils de gouvernement. Le Comité semble avoir dépassé le strict cadre de ses compétences originelles en matière d’affectation de ces sommes puisqu’il a puisé dans ces fonds pour accélérer l’action publique, hâter la mise en œuvre de certains programmes et donner une certaine vigueur à l’activité du Gouvernement révolutionnaire. L’examen approfondi du carton AF II 32(Dépenses du Comité, effectuées sur les fonds mis à la disposition de ce dernier par la Convention nationale) a permis de mettre en évidence que le Comité exploite des procédés relevant d’une activité gouvernementale extraordinaire pour intervenir dans la sphère « ordinaire » de l’activité administrative. C’est le principe même de la confusion des pouvoirs.

85 Ensuite, le Comité exerce un pouvoir d’instruction et de commandement, proche de l’expression d’un pouvoir hiérarchique. L’examen des actes du Comité démontre que ce dernier adresse aux autorités placées sous son autorité toutes sortes de mesures ayant pour objet d’imposer un comportement. Ce pouvoir d’instruction se manifeste principalement par l’édiction de circulaires. Ni véritables décisions, ni simples communications, elles ont vocation à faire connaître l’interprétation qu’il convient de

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donner à un texte, ou à imposer un comportement précis. Les différentes circulaires recensées ont pu être regroupées en fonction de leur objet : les plus importantes sont celles tendant à rappeler aux autorités destinataires le sens des lois ; certaines procèdent à l’interprétation des décrets ; d’autres se bornent à expliquer l’action du Comité ; d’autres encore rappellent les autorités destinataires à l’ordre parce qu’elles ne respectent pas toujours les dispositions de certains décrets ; d’autres, enfin, constituent de véritables instructions, voire des injonctions. La circulaire représente donc la principale manifestation de la fonction qui lui incombe, à savoir maintenir la cohérence du Gouvernement révolutionnaire et de l’action des autorités administratives. Or, soulignons que la circulaire est un outil généralement utilisé au sein d’une administration. Cependant, le Comité n’est en aucun cas intégré dans une quelconque hiérarchie administrative... L’utilisation de ce procédé confirme, là encore, l’état de confusion des pouvoirs.

86 Mais le Comité exerce aussi un pouvoir d’organisation et de réglementation de différents services. La coordination générale du Gouvernement révolutionnaire le conduit à fixer les règles de fonctionnement d’institutions ou d’administrations diverses, à organiser leur travail ou, encore, à déterminer les principes de la rémunération de leurs agents. Le pouvoir réglementaire organisateur correspond, mutatis mutandis, au pouvoir dont disposent actuellement les chefs de services, d’organiser et de réglementer les services placés sous leur autorité. Le cas de l’organisation des commissions exécutives est le plus significatif34. Il est également compétent pour réglementer d’autres institutions : l’Agence des salpêtres et poudres, l’Agence particulière destinée à la formation et à la conservation des cartes et plans de tous genres, l’Agence nationale des postes aux lettres, l’Agence du maximum ou encore l’Agence de vérification, réception et paiement des fusils. Ainsi, en procédant à l’organisation des administrations et de plusieurs « services publics », il fournit les conditions de l’action des autorités administratives. En créant des services et en réglant leurs modalités de fonctionnement, il donne une sorte d’impulsion à l’appareil d’État.

87 Certains arrêtés contiennent une justification qui ne laisse aucun doute quant à la du Comité capacité et à sa légitimité à intervenir dans tous les domaines. Plusieurs « considérants » se démarquent par l’autorité des principes ou des objectifs qu’ils dégagent. Il s’agit de motivations politiques, économiques, institutionnelles ou organisationnelles estimées de premier ordre par lesquels le Comité construit son propre bloc de compétences, accroît sa domination, justifie son rôle d’impulsion et d’initiateur de l’action publique et, surtout, étend ses prérogatives originelles. Il choisit les fondements de son action, s’émancipe de la Convention.

88 Le Comité assure également la coordination de l’action administrative. Il est en effet indispensable pour le Gouvernement de réduire autant que possible la zone d’incertitude résultant du pouvoir discrétionnaire des administrations locales. L’absence de communication entre le centre et la périphérie se fait ressentir sur le contrôle de l’action administrative et induit la paralysie, voire l’anarchie, au sein de l’administration. La priorité est donc de donner à un organe les moyens nécessaire pour intervenir afin d’endiguer la prolifération des incohérences au sein de l’appareil administratif et de permettre l’uniformisation, à défaut d’unicité, de l’action des autorités. Le Comité assure donc un rôle de coordination de l’activité des autorités révolutionnaires afin de restaurer la cohérence de l’action gouvernementale. Cette

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activité, placée au carrefour de la surveillance et du pouvoir d’instruction, constitue le moyen de légitimer une ingérence dans l’action administrative révolutionnaire.

89 Pour asseoir son autorité, le Comité doit être capable de maîtriser les flux d’informations et de communications. La loi vient de Paris mais elle est conditionnée par la connaissance de la situation du pays et elle doit être appliquée dans les départements. Paris a besoin des renseignements sur la situation politique locale et sur les suspects. La Province, quant à elle, a besoin d’instructions et d’orientations. D’un côté, il entretient une correspondance abondante avec les diverses autorités du Gouvernement révolutionnaire : la constance des liens épistolaires place progressivement ces dernières dans une position de subordination. Il crée alors à son profit un réseau unique et exclusif d’échanges, faisant ainsi converger vers lui l’ensemble de l’action publique. D’un autre côté, la conduite d’un gouvernement de guerre exige la rapidité mais aussi la sécurité dans la transmission des informations : le Comité crée le service des Courriers extraordinaires, dispositif par lequel il s’assure non seulement la rapidité de l’acheminement du courrier mais aussi la sûreté et la confidentialité de sa correspondance. L’existence de ce réseau permet d’accélérer la transmission et donc l’exécution des ordres et, en retour, un contrôle plus actif des autorités. Ces courriers contribuent ainsi à la concrétisation de la centralisation administrative.

90 Afin de raccourcir le délai entre l’édiction d’une norme et son application, le Comité a rapidement compris l’importance de créer un organe, qu’il dirigerait lui-même, pour informer les administrations provinciales des décisions prises à Paris. Sur sa proposition, la Convention crée alors le Bulletin des lois de la République par le décret du 14 frimaire an II. L’existence de cet outil contribue à la réalisation de l’unité et de l’indivisibilité de la République : en fournissant les moyens d’une exécution uniforme des lois sur l’ensemble du territoire, le Comité œuvre ainsi à éviter toute forme de fédéralisme. Désormais, toutes les autorités chargées d’exécuter les lois disposent d’un recueil regroupant les textes fondant leurs actions respectives ; elles pourront alors s’y référer. Par la surveillance de ce service, le Comité contribue à assurer un « état de droit révolutionnaire » de sorte que les intéressés ne pourront plus se dégager de leur responsabilité en invoquant la méconnaissance des lois et de leurs compétences respectives.

91 Le Comité est aussi très régulièrement sollicité sur un grand nombre de questions portant sur l’application ou l’exécution de ses propres arrêtés ou de certains décrets de la Convention. Ses réponses font de lui l’interlocuteur privilégié des administrations et ses « interprétations » lui permettent d’uniformiser l’action administrative et l’application du droit révolutionnaire.

92 Après avoir opéré une centralisation politique, le Comité, grâce aux moyens de surveillance, d’instruction et de coordination, réalise finalement une certaine forme de centralisation administrative. En outre, en prenant en charge la détermination et la conduite de grandes « politiques nationales », il assure sa mainmise sur l’administration générale de la République et permet l’émergence d’une troisième sorte de centralisation que M. Hauriou appelle la centralisation des affaires, et qui se caractérise par « l’unité dans l’exécution des lois et aussi dans la gestion des services » 35.

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La détermination et la conduite des grands programmes nationaux

93 Dire que le Comité gouverne et administre révolutionnairement le pays, c’est supposer qu’il développe une activité extraordinaire pour un organe de sa nature, même en période aussi troublée. En effet, il ne semble pas correspondre, au vu de l’ampleur des tâches qui lui incombent, au modèle courant des gouvernements provisoires. On observe de sa part une activité très intense en matière d’investissement des fonctions administratives et gouvernementales puisqu’il est à l’origine (rapports, enquêtes administratives, initiative législative), à la mise en œuvre (exercice du pouvoir réglementaire « normatif » et « organisateur ») et à la finalisation (mesures individuelles ou particulières d’application) de grands projets d’envergure, dépassant ainsi le strict cadre d’une « gestion d’affaires », même prise sous un angle de droit public. L’analyse approfondie des archives permet de procéder à une analyse juridique empruntant les outils de la science administrative de l’activité du Comité, notamment en mesurant l’adéquation entre les objectifs initiaux, les résultats finaux et les moyens mis en œuvre. On comprend alors comment le Comité a usé de ses compétences, exploité ses attributions, exercé ses pouvoirs de surveillance et d’instruction et profité des moyens d’action mis à sa disposition pour maîtriser la totalité du processus, de la décision politique à l’application concrète, conduisant ainsi à une convergence des fonctions administratives et gouvernementales en son sein et à une emprise sur la majeure partie des domaines de l’intervention étatique.

94 Le Comité élabore des « politiques » qui se présentent généralement sous la forme d’un programme d’action dans un secteur de la société. Ces programmes définissent des buts et des objectifs à atteindre. Constitués de mesures normatives autoritaires et unilatérales, ils forment ainsi la substance d’une politique, laquelle s’adresse à des individus ou à des groupes affectés par ce programme. Ces « politiques » peuvent être classées en fonction de leur objet. D’un côté, celles dites révolutionnaires dont le principal objet est d’assurer dans l’urgence la Défense de la Nation, la pérennisation de la Révolution et la préservation de l’intégrité du territoire de la République…bref, sauver la Patrie en danger par tous les moyens en prenant « toutes les mesures de défense générale extérieure et intérieure » nécessaires. D’un autre côté, celles dites républicaines dont l’objet est de fonder un nouveau régime politique et de jeter les bases de la République, puisqu’au moment de la création du Comité, la République n’est pas encore une réalité concrète.

95 La mise en œuvre de diverses politiques prises en charge par le Comité nécessite le plus souvent la création de structures administratives, intégrées ou non à sa propre organisation bureaucratique, vouées à l’animation et à la coordination de l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation des objectifs. Cette propension à la démultiplication des structures et à l’externalisation des fonctions administratives se manifeste, à une échelle plus ou moins importante, à l’occasion de la mise en œuvre des programmes militaire et économique, ainsi qu’à l’occasion des mesures prises pour favoriser les approvisionnements et pour accorder à la population des secours publics.

96 Un gouvernement ne peut normalement administrer efficacement un pays s’il ne fournit pas aux autorités chargées de mettre en œuvre ses programmes et d’exécuter ses décisions les moyens matériels, humains et financiers adéquats. Le Comité en a conscience et développe une batterie impressionnante de mesures vouées à cet effet, essentiellement dans le domaine de la guerre.

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97 Enfin, une fois le programme gouvernemental initié et enclenché, une fois les moyens fournis et les structures administratives mises en place, les autorités compétentes chargées d’exécuter et de faire exécuter ce plan assurent un suivi quotidien de l’ensemble des mesures adoptées. Par ailleurs, la qualité et la force d’un gouvernement s’apprécient à la réaction qu’il oppose aux difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre d’un programme.

La mainmise sur la carrière des agents publics

98 Le Comité assure sa mainmise sur l’appareil d’État en prenant directement ou indirectement en charge l’organisation, la direction et la gestion de la carrière de plusieurs catégories de militaires et de personnels de l’administration révolutionnaire. L’étude de cette mainmise permet de comprendre par quels moyens le Comité a pu s’octroyer la maîtrise presque totale de deux outils indispensables à tout Gouvernement en guerre : l’Administration et l’Armée.

99 Pour un organe, la capacité à maîtriser les évolutions, les fluctuations et la composition des effectifs des organisations administratives et militaires qui lui sont subordonnées représente une puissante source de pouvoir. Les états nominatifs des personnels permettent au Comité de recruter efficacement les agents publics car la plupart de ses décisions sont fondées sur l’appréciation de la situation objective des personnes intéressées. De nombreux cartons36 d’archives contiennent la totalité des renseignements parvenus au Comité. Par la maitrise de ces informations, il se trouve en position de force vis-à-vis de toutes les autres autorités. L’exploitation de méthodes de travail résultant de son activité de surveillance lui permet de destituer, d’arrêter ou d’écarter tout individu « suspect », ou au contraire de promouvoir tout citoyen méritant.

100 La mainmise du Comité s’effectue principalement par le contrôle de la composition des effectifs. Habilité à approuver les propositions de nomination ou de recrutement, il peut façonner une Armée et une Administration selon ses propres exigences. Au vu de la pratique, si le Comité, de prime abord, ne se présente pas comme l’autorité compétente pour prendre des décisions, il n’en demeure pas moins que son concours est cependant indispensable à la régularité des actes. En effet, comme la Convention met en place une procédure d’approbation des propositions émises par d’autres autorités, le Comité reste l’autorité qui, en dernier ressort, détient les clefs de l’action. L’activité du Comité dans ce domaine participe à la matérialisation de l’idéal dépeint par Saint-Just : pour que les lois et l’ensemble des mesures révolutionnaires soient exécutés, il faut que le gouvernement et les personnels d’exécution soient eux aussi révolutionnaires.

101 Le Comité prend en charge le suivi quotidien des agents publics et se prononce sur plusieurs points : les demandes de congés (à la demande des intéressés ou à la demande d’un tiers) ; les demandes d’aides, de secours divers ou de dédommagement des aléas subis au cours des fonctions (il est chargé de pourvoir aux différents équipements : fourniture de moyens de service comme les chevaux ou voitures, et se prononce sur les demandes d’indemnisation de certains préjudices) ; les demandes tendant à mettre un terme à la carrière (démissions ou reclassement) ; les sanctions, le Comité détenant un véritable pouvoir disciplinaire.

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102 Le Comité s’est considérablement investi dans la détermination et la fixation des traitements et salaires des employés. Il détient – ou s’est arrogé – la compétence de régler le statut financier de plusieurs catégories d’agents publics. S’il paraît surprenant cependant de voir le Comité, gouvernement provisoire d’exception, s’immiscer dans ce genre d’activité, il est encore plus étonnant de constater que l’organe exerce régulièrement une fonction purement administrative de gestion quotidienne en statuant sur des demandes particulières. Le Comité est à la fois l’autorité qui réglemente et celle qui applique les mesures générales aux situations particulières. On recense trois grandes catégories de décisions individuelles : les augmentations de salaires, les secours et divers dédommagements.

103 En conclusion, le Comité dispose d’une marge d’action illimitée puisqu’il est compétent pour prendre des actes de disposition, pour engager les destinées du pays, pour lui imprimer une certaine direction politique et pour accomplir les réformes qu’il estime nécessaires. Or le fait que ces missions et ces fonctions, incombant normalement à plusieurs autorités, soient rassemblées entre les mains d’un collège de députés constitue une réalité inédite. Hormis quelques exceptions significatives et de par l’extension du champ des compétences, il dirige et contrôle la quasi-totalité de la chaîne de l’action publique.

104 En vérité, l’action du Comité s’inscrit dans un schéma global entièrement maîtrisé dont le mot d’ordre est la « centralisation » : en effet, le Comité apparaît comme l’unique point central vers lequel convergent tous les résultats de l’action administrative ; il est fondé à imposer unilatéralement et autoritairement sa volonté à toutes les autorités ; enfin, il développe une intense activité de coordination de l’ensemble des acteurs administratifs et gouvernementaux.

105 Le Comité apparaît en définitive comme une institution ayant réussi à concilier, à moderniser, voire à dénaturer plusieurs outils juridiques, différentes pratiques gouvernementales et techniques administratives déjà existantes pour les adapter à ses besoins. Son immixtion dans les affaires gouvernementales et administratives constitue une extension illégale, car imprévue, de ses compétences, mais les événements ont conduit les révolutionnaires à mettre de côté leur tendance légaliste et à se soumettre à la loi de la nécessité. Au final, le Comité a, pas à pas, brisé tous les obstacles à l’exercice d’une dictature.

NOTES

1. PVC, t. 9. 2. Après : le Comité. 3. François SAINT-BONNET, L’état d’exception, Paris, Puf-Léviathan, 2001. 4. Grégoire BIGOT, « La fonction administrative : d’une fonction subordonnée à une fonction souveraine (1789-1814) », in Territoires et cultures. Mélanges en l'honneur d'André-Hubert Mesnard, Paris, EJA, 2006, p. 301.

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5. Second mémoire des membres des anciens Comités de Salut public dénoncés par Laurent Lecointre. Les membres du l’ancien Comité de salut public au peuple français et ses députés, Imprimerie nationale, 5 pluviôse an III : « Nous surmontâmes ces difficultés de l’exécution en la [l’administration] dirigeant nous-mêmes ». 6. Raphaël MATTA-DUVIGNAU, Gouverner, Administrer révolutionnairement : le Comité de salut public (6 avril 1793- 4 brumaire an IV), Thèse droit, Université Panthéon-Assas, 2010, 682 p. 7. AP, 1ère série, t. 75, p. 130. 8. Lazare CARNOT, Rapport et projet de décret sur la suppression du Conseil exécutif provisoire et son remplacement par des commissions particulières, Convention nationale, 12 germinal an II, AP, 1ère série, t. 87, p. 697. 9. Julien BOUDON, Les Jacobins. Une traduction des principes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, LGDJ, 2006, p. 463-529. 10. PVC, t. 20, p. 214. 11. PVC, t. 20, p. 330. 12. Par exemple, les décrets du 5 frimaire an II et du 14 frimaire II obligent les Députés à se « conformer exactement aux arrêtés du Comité ». 13. RACSP, t. 10, p. 347. 14. Le Comité les charge de dresser « la liste des citoyens qui sont le plus propres à remplir les fonctions publiques dans tous les genres » (RACSP, t. 8, p. 388). 15. AN AF II 23 a. 16. PVC, t. 22, p. 209. 17. PVC, t. 26, p. 336. 18. Gérard SAUTEL, « Centralisation et décentralisation », in L’Administration de la France sous la Révolution, Genève, Librairie Droz, 1992, p. 39. 19. PVC, t. 34, p. 309. 20. PVC, t. 44, p. 89. 21. Maximillien ROBESPIERRE, Rapport à la Convention nationale sur les principes du Gouvernement révolutionnaire, 5 nivôse an II. 22. V. Les nombreux ordres de travail adressés aux agents diplomatiques : le 20 août 1793, plan de travail pour la conduite des relations diplomatiques ; le 7 mai 1793, consignes de diplomatie avec la Suisse pour conserver l’alliance et fructifier les relations commerciales ; le 24 septembre 1793, Bases provisoires diplomatiques. Par ces biais, le Comité assure définitivement son autorité sur les agents affectés à la diplomatie. 23. Vida AZIMI, « Les lieux de l’administration : géographie des bureaux sous l’Ancien Régime », in MSHD, 46e fasc., 1989, p. 153. 24. On dénombre dix-huit types d’emplois. 25. Clive CHURCH, Revolution and red tape: the French ministerial bureaucracy 1770-1850, Oxford, 1981, p. 75. 26. Isabelle GUEGAN, Inventaire des enquêtes administratives et statistiques, 1789-1795, Paris, 1991, CTHS. 27. AN AF II 25. Ce carton regroupe l’ensemble de ces comptes. 28. AN AF II 65, p. 480-483. 29. Reconnu dès 1789 pour tous les citoyens. 30. Vida AZIMI, « Archéologie du syndicalisme dans la fonction publique française : les prémices du XVIIIe siècle », J.E.V., 1991, p. 1. 31. François BURDEAU, Histoire de l’administration française. Du 18e au 20 e siècle, 2ème éd., Paris, Montchrestien, 1994, p. 60. 32. AN AF II 23 a, p. 180, n° 8. 33. Gérard SAUTEL, « Les Jacobins et l’administration », in R.D.P., juillet-août 1984, p. 885.

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34. V. Arrêtés du 12 germinal an II sur les compétences respectives des commissions et du 21 thermidor an II sur la rémunération de leurs employés (AN AF II 24). 35. Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, 12e éd., Paris, Dalloz, 2002, p. 71. 36. Pour les militaires, cf. AN AF II 335 à 400.

RÉSUMÉS

Institution d’exception, extraordinaire et provisoire, le Comité de salut public a pris en charge, du 6 avril 1793 au 4 brumaire an IV, la surveillance, le contrôle et la direction des fonctions gouvernementales et administratives et a organisé à son profit une concentration des pouvoirs et une dictature idéologique, politique et administrative soutenue par la Terreur. Par sa nature, son organisation et son activité, le Comité se présente comme une autorité politico-administrative organisée bureaucratiquement dont la principale fonction est de répondre, dans le contexte extraordinaire qui est celui d’un état d’exception, à des missions de défense générale de la Révolution et de fondation de la République. Le Comité a su instaurer une centralisation politique et administrative pour, in fine, embrasser la quasi-totalité de l’intervention étatique et devenir, au terme d’un processus de construction d’un pouvoir autonome, le principal sujet actif du Gouvernement révolutionnaire.

The Committee of public safety is an exceptional, extraordinary and temporary institution which gives rise to a lot of questions. It appears like the National Convention’s commission which, from 6th April 1793 to 4th Brumaire An IV, has assumed the responsibility for supervision, control and leadership of governing, and which has organised too a concentration of power, leading to an ideological, political and administrative dictatorship, supported by the Reign of Terror. The Committee is a political and administrative authority, organised like an administration, which main function is to defend the French Revolution and the Republic, in an extraordinary context, a state of emergency. This present research is mainly based upon a work on the archives of the Committee, which are gathered and available for consultation at the Archives nationales. Through the study of original and unpublished documents, we aim to demonstrate how the Committee has progressively developed a specific way of governing, which has led to the submission of the Convention and a confusion of legislative, executive and administrative powers. Using this work on archives, we also aim to show, on one side, the Committee moving over a kind of “un-legality” state and, on the other side, a process of change, emancipation and gradual construction of an autonomous power, during which the purpose of a system – the Revolutionary Government – has become its « driving force ».

INDEX

Mots-clés : Comité de salut public, confusion des pouvoirs, construction d’un pouvoir autonome, composition, missions, contacts, méthodes de travail Keywords : Committee of Public Safety, non-separation of Powers, missions, composition, French Revolution, Contacts, working methods

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AUTEUR

RAPHAEL MATTA DUVIGNAU Docteur en droit, Université Panthéon-Assas, CERSA-CNRS [email protected]

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Le Comité des décrets The Committee of Decrees

Martine Sin Blima Barru

1 Le Comité des décrets créé sous la Constituante est un organe législatif habilité à « communiquer » avec le pouvoir exécutif, une mission première assez restreinte que l’on retrouve dans l’appellation que lui donne la Constituante. Il est le comité de la surveillance de l’envoi des décrets qui doit soutenir l’Assemblée dans cette tâche qu’elle ne peut assumer au quotidien.

2 Cette fonction est poursuivie sous la Législative et la Convention, mais à cette compétence d’autres vont s’ajouter. Elles sont liées à des typologies de décrets qui nécessitent la mise en œuvre de circulations administratives particulières de documents comme les décrets d’aliénation des biens nationaux et les archives domaniales qui permettent de les gérer, les décrets de mise en accusation auprès de la Haute-Cour, l’appel des suppléants des députés. La complexité des procédures à suivre, autant que l’accélération des événements révolutionnaires, vont amener le Comité des décrets sur le devant de la scène politique.

3 Du fait de la longévité du Comité des décrets jusqu’à la fin de la Convention thermidorienne, son mode de fonctionnement et les méthodes de travail employées n’ont pas toujours été uniformes. Les archives produites par son travail sont de plus assez inégales. Assez pauvres sous la Constituante, elles sont autant le reflet d’une activité restreinte à un petit nombre de fonctions, que d’une maigre production écrite d’un comité à l’organisation plutôt floue. Sous la Législative, déjà, ses missions s’étoffent et la documentation dont on dispose témoigne d’un comité plus structuré dans son travail et soucieux de son efficacité. Sous la Convention, les archives deviennent volumineuses en même temps que ses fonctions prennent de l’importance et permettent de suivre son travail au quotidien. L’exploitation des registres des délibérations tenus avec régularité sous la Législative et la Convention sont une source centrale d’information sur les travaux exécutés. La richesse du corpus des motions, rapports et discours des députés des Assemblées nationales révolutionnaires1 et des Recueils des Archives parlementaires2 permettent également de rendre sa place, au sein d’autres comités plus connus, à ce comité que l’historiographie a pour une bonne part

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ignoré. Il faut noter que cette désaffection n’est pas seulement due à l’opinion longtemps véhiculée3 d’un comité d’importance secondaire, mais aussi au fait que les sources sont dispersées dans différents fonds des Archives nationales dans la sous-série D/I§1 qui lui est affectée ou intégrées dans d’autres sous-séries qui lui sont étrangères4 - ce qui ne rend pas leur recherche aisée.

Un comité très restreint sous la Constituante

Les débuts de la surveillance de l’envoi des lois

4 Lors de la séance du 21 novembre 1789, Rabaud de Saint-Etienne remarque que dans sa province, celle de la sénéchaussée de Nîmes et de Beaucaire, de nombreuses municipalités n’ont pas encore reçu divers décrets de l’Assemblée nationale, dont celui du 4 août5. Robespierre va dans son sens en mettant en avant que des troubles favorables à une guerre civile sont entretenus par les ennemis du bien public. Pour déjouer ces manœuvres, il souligne qu’il est indispensable qu’un concert s’établisse entre l’Assemblée et les ministres du roi. A la suite de ce très court échange Rabaud de Saint-Etienne propose de créer un Comité des décrets : « Il sera nommé un comité de quatre membres, chargés de communiquer avec le garde des sceaux et les secrétaires d’Etat ayant le département des provinces, pour s’assurer de l’envoi des décrets sanctionnés ou acceptés, prendre connaissance des récépissés qui constatent cet envoi et rendre compte à l’Assemblée ».

5 Quelques jours plus tard, lors de la séance du 4 décembre 1789, les premiers commissaires chargés de la surveillance de l’envoi des décrets de l’Assemblée nationale sont élus : Fréteau de Saint-Just, Le Chapelier, Malouet et Alexandre de Lameth.

6 La création du comité intervient au moment où les débats de l’Assemblée visent à régler les questions relatives aux procédures d’élaboration des lois, au rôle que le roi doit avoir ou ne pas avoir, et à ce qui relève de l’exécution, de la promulgation et de la sanction de la loi. Comme Michel Verpeaux le souligne6, il y a un vide qui se crée parmi l’ensemble des décrets constitutionnels adoptés en cette fin 1789, autour du mode d’exécution des décrets par les administrations et les tribunaux, peu distinct lui-même de la notion de promulgation. Si l’exécution doit se faire sans retard, rien n’est précisé quant au délai à respecter, ni sur les mesures à prendre si le retard devenait trop grand. En dehors du principe de la stricte séparation des pouvoirs7, la répartition des pouvoirs entre l’Assemblée et le roi est encore en devenir, et ce flou renforce l’incertitude liée à l’exécution des lois par les corps administratifs, propice à négligence de leur part. Dès le 5 novembre 1789, les débats de l’Assemblée s’emparent du sujet. Au cours de cette séance, le député La Poule déplore le défaut de circulation des décrets du fait d’un enregistrement mal assuré par les cours de justice8. Il cite le Parlement de Besançon qui a refusé d’enregistrer le décret sur la jurisprudence criminelle et ceux qui concernent l’exportation et la circulation des grains et, plus généralement, tous les décrets de l’Assemblée nationale. Alexandre de Lameth demande que six personnes soient chargées de savoir où en est l’expédition des différents décrets sanctionnés ou acceptés par le roi, qui doivent être envoyés dans les provinces. Bien que la motion ne soit pas acceptée, elle marque une étape dans la recherche d’une solution pour améliorer l’envoi, l’exécution des décrets et la diffusion aux corps administratifs.

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7 Le décret de création d’un nouveau comité, adopté quelques jours plus tard, le 21 novembre, est la suite logique de ces prises de positions. A cette date, il n’est encore que le Comité de la surveillance de l’envoi des lois, puisqu’il ne s’agit alors que de répondre au vide institutionnel par une solution pratique. Du fait de la séparation des pouvoirs, le comité va servir d’intermédiaire et va pouvoir communiquer directement avec les ministères de la justice et de l’intérieur à la place de l’Assemblée en mettant en place un contrôle de la sanction et de la promulgation.

8 Sous la Constituante, il n’a encore que très peu de moyens pour remplir ses fonctions. Il est un des plus petits comités avec le Comité des lettres de cachet, ne comptant que quatre commissaires élus parmi les députés de l’Assemblée. Il ne se réunit qu’occasionnellement sans aucune réglementation quant à son fonctionnement interne.

L’exactitude des décrets, la collation comme moyen

9 Les moyens d’exécution de ses missions ne sont pas précisés par l’Assemblée une fois le décret de création adopté et sont donc laissés à son appréciation. Mais pour pouvoir exercer un contrôle efficace sur le ministère, il faut le poids d’un décret d’organisation dont la Constituante ne peut longtemps faire l’économie. Le 23 mars 1790, Alexandre de Lameth, membre du comité, lui présente un projet de décret pour formaliser l’exercice de leur activité et les délais à respecter tant au niveau du corps législatif que de l’exécutif9. Le président de l’Assemblée nationale doit présenter à l’acceptation ou à la sanction du roi dans un délai de trois jours, les décrets adoptés. Le ministre de la justice dispose ensuite de huit jours pour informer le président de l’Assemblée de la sanction ou « des raisons du roi de la différer », euphémisme désignant le droit de veto royal. Les commissaires du comité, dont il est bien rappelé qu’ils sont chargés de surveiller l’expédition et l’envoi des décrets sanctionnés, devront veiller à l’exécution de ces dispositions.

10 Cependant s’il est important de fixer le mode de diffusion des décrets, les autres opérations qui se déroulent entre l’adoption et leur envoi aux corps administratifs, ensemble de collations d’après la minute originale et d’expéditions, favorisent l’introduction d’erreurs par rapport au texte original. Lors de la séance du 6 juillet 1790, Bouche, nouveau commissaire au comité depuis le 31 mars, souligne l’importance de collationner les décrets avant qu’ils ne soient présentés à la sanction : « Il est impossible de les emporter du bureau des procès-verbaux, attendu que dans le même moment où l’on en a besoin les commis les transcrivent, de manière qu’on les envoie aux Archives sans avoir été comparés aux originaux ; pour accélérer la vérification et l’envoi, il est nécessaire de savoir quel jour on les porte à la sanction. Il importe également d’empêcher que les décrets restent à la sanction plus de temps qu’il n’est nécessaire au bien public »10.

11 Il rend compte des nombreuses erreurs qui se glissent dans les décrets et parfois de l’absence de la signature des secrétaires de l’Assemblée sur plusieurs minutes des procès-verbaux. Le décret adopté le même jour enrichit les fonctions du comité de la correction des « décrets, proclamations et lettres patentes »11 qui sont collationnés sur les procès-verbaux originaux. L’intitulé du comité se modifie en comité chargé de collationner les décrets et d’en surveiller l’expédition et l’envoi après la sanction. Cependant cette longue appellation n’aura pas de postérité : dans la pratique, il demeure le Comité de la surveillance de l’envoi des lois.

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Les méthodes de travail en œuvre

12 « S’assurer de l’exactitude et de l’existence des décrets »12. C’est en ces termes que Poisson, membre du Comité des décrets sous la Convention, résume le travail assuré par ses prédécesseurs et qui reste l’une des principales fonctions du comité depuis la Constituante.

13 A ses débuts, cette mission a été assurée avec très peu de moyens : quatre députés composent le Comité de la surveillance de l’envoi des décrets, Fréteau de Saint-Just, Le Chapelier, Malouet et Alexandre de Lameth, assistés de deux secrétaires commis. A partir du 31 mars 1790, deux nouveaux commissaires, Bouche et Emmery, les rejoignent. Le comité occupe une place modeste dans les bâtiments de l’Assemblée dans le hall attenant à la salle des séances, une seule pièce étant suffisante. Seul comité installé dans l’enceinte même de la Constituante, cette situation privilégiée devait être la garantie de son efficacité. Ils se réunissent rarement et ne dressent aucun procès- verbal de leurs réunions. En cas de nécessité, les membres du comité reçoivent une convocation qui les invite à se retrouver à une date et à une heure précise pour débattre d’un projet de décret.

14 La préparation du projet de décret sur le mode d’expédition et de transmission des décrets sanctionnés en juillet 1790 est caractéristique de ce mode de travail peu rigoureux. Les membres du comité ont été convoqués le vendredi 2 juillet à six heures du soir après la séance de l’Assemblée. N’étant que trois, ils ont attendu deux heures et ont mis au point le projet sans plus attendre. Au moment de la rédaction, Bouche se retrouve seul. Lors de la séance de la Constituante du 6 juillet, une altercation s’engage entre les députés Bouche et Malouet, qui témoigne du manque de travail en commun, si ce n’est d’une réelle dissension entre les deux hommes. Après l’exposé de Bouche, Malouet souligne qu’il n’en a pas eu connaissance et il émet l’hypothèse que c’est peut- être aussi le cas des autres membres du comité. Au vu des éclaircissements sur l’élaboration du texte, Bouche ayant précisé que tous les membres avaient été convoqués, Malouet reprend et dénigre un projet de décret qui ne résulte pas de l’unanimité du comité. Ceci n’entraîne pas sa nullité puisqu’il est adopté par l’ensemble des députés du corps législatif, mais il atteste bien d’une évidente absence d’organisation du travail. Cet incident met aussi en avant le rôle primordial de Bouche au sein du comité qui assume la place de président du comité, sans qu’on puisse trouver trace d’une élection des autres commissaires en sa faveur ou de l’existence d’un tel poste à cette époque. Par défaut, l’absence des autres membres laisse une large place qu’investit Bouche, membre le plus impliqué dans les affaires du comité sous la Constituante.

15 Quand le Comité des décrets de la Législative règle sa nouvelle organisation13, les méthodes de travail du précédent comité sont tout de suite critiquées. Si les nouveaux membres se montrent assez vagues quant au contenu de leurs reproches, ils souhaitent cependant remédier au manque de régularité des réunions, de concertation et de compte rendus des délibérations. Autant d’éléments qui sont présents à leur esprit et qu’ils veulent réformer.

16 Les deux secrétaires-commis, Bar et Béhaigne, assument par contre une grande partie du travail du Comité des décrets. Les enregistrements qu’ils effectuent dans les différents registres liés à la surveillance des décrets et à la réception de la

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correspondance, montrent leur régularité dans l’accomplissement des fonctions du comité. Un registre sert à consigner les lettres adressées au garde des sceaux et les réponses faites suite aux réclamations des municipalités concernant des décrets qu’elles n’ont pas reçus. Dans un deuxième, sont consignés les décrets, proclamations et lettres patentes qui sont collationnés sur les procès-verbaux originaux. Cette opération se fait sous la surveillance de l’archiviste et dans ses locaux. En tant que garde des Archives nationales c’est lui qui est à même de garantir l’authenticité des expéditions sur parchemin des décrets qu’il conserve ; à ce titre il signe quotidiennement chacun des états des décrets collationnés dressés à partir de ces originaux. Le dernier registre contient la copie des réponses que les députés, membres du comité, rédigent suite à des demandes de décrets qui leur sont réclamés14. Toutes les minutes de la correspondance échangées avec le ministre de la justice et de l’intérieur sont également conservées en une suite ininterrompue avec la correspondance de la Législative. Du fait du droit de contrôle sur le ministère de la justice pour ce qui tient à la sanction, les secrétaires- commis se rendent aussi régulièrement dans les bureaux du ministre pour suivre l’expédition des décrets et consulter les deux registres de sanction qui y sont tenus l’un sur les décrets présentés à la sanction et l’autre plus spécialement sur les décrets concernant les ventes des domaines nationaux15.

L’accumulation des compétences sous la Législative

Une organisation précise

17 Un des premiers soins des nouveaux députés élus à la Législative est d’uniformiser le fonctionnement de chacun de ses comités en imposant un même modèle d’organisation. L’une des dispositions du décret du 23 octobre 1791, relatif à la remise aux comités des papiers déposés par leurs prédécesseurs aux Archives nationales, impose de déterminer le lieu, le jour et l’heure où ils se réuniront et également de tenir deux registres, l’un présentant le résultat de leurs délibérations, l’autre enregistrant toutes les pièces qui leur sont adressées.

18 Le comité, reconduit dans ses fonctions, a été entièrement renouvelé en conséquence de l’interdiction faite aux constituants de se présenter à la Législative. Le nombre des commissaires est porté à huit : Girod, d’Ameron, Gaubert, Bernard, Poisson, Jouffret, Mouysset et Pontard. Ils élisent à la majorité relative Pontard comme président et deux secrétaires Mouysset et Girod. En remédiant aux méthodes incertaines de travail de la Constituante, les membres du comité tiennent régulièrement leurs séances le soir vers 6h ou 7h après celles de la Législative, sans pour autant fixer les jours de la semaine où ils se réunissent. Ils enregistrent leurs comptes rendus dans un registre qui couvre l’ensemble de la période. Y sont aussi enregistrés les rapports lus en séances, les arrêtés adoptés, les lettres envoyées ou reçues. Chaque séance commence par la lecture du procès-verbal de la séance précédente, qui est ensuite adopté. De plus le comité tient scrupuleusement à jour le registre d’enregistrement des correspondances échangées avec ses principaux partenaires institutionnels à savoir les ministres de la justice, de l’intérieur et les grands procurateurs de la Haute-Cour nationale.

19 L’organisation interne du comité en ce qui concerne les procédures d’expédition, de sanction et d’envoi des décrets, reçoit une réglementation précise et dirigiste. Ce souci d’efficacité se manifeste dans un décret du 12 novembre 1791 de 9 articles, loin de la

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brièveté du décret fondateur de la Constituante16. Le comité reçoit d’abord l’envoi de la note des décrets de la veille que lui adresse le secrétariat de l’Assemblée par l’intermédiaire du secrétaire du bureau des procès-verbaux (article 1). Il reçoit aussi deux expéditions des décrets du bureau des procès-verbaux après que le secrétariat de l’Assemblée ait dressé la minute du procès-verbal des séances, lu et adopté (article 2 et 3). A partir de ces deux expéditions, le comité les collationne et les rectifie si nécessaire et les fait passer au président pour la présentation au roi (article 4). Une des expéditions reste au Comité des décrets, la seconde est envoyée au ministre de la justice par l’intermédiaire des commissaires en charge de la sanction. Suit le passage au bureau du sceau, puis l’original authentique de la loi est déposé aux Archives nationales. Le garde des Archives l’adresse au Comité des décrets pour qu’il soit, à nouveau, collationné d’après la minute conservée par le comité, puis l’original retourne aux Archives nationales (article 5 et 6). Le Comité des décrets va recevoir deux autres documents : la note de la loi sanctionnée adressée par le ministre de la justice au secrétariat de l’Assemblée qui la dépose au comité (article 7) et, la copie de la note des envois faits par le ministre de la justice aux municipalités et aux autres ministres. En dernier lieu, le ministre de l’intérieur lui envoie un état journalier des lois promulguées la veille (article 8). Le décret s’applique également aux décrets déjà rendus et antérieurs à ce décret (article 9).

20 On a donc six passages par le Comité des décrets : l’information de l’adoption du décret, le décret lui-même avant la sanction, le décret sanctionné, l’information que la sanction a été effectuée, l’information de l’envoi aux autorités, l’information sur la promulgation. Le décret du 12 novembre place le comité en garant de l’authenticité des décrets par la double collation qu’il effectue, d’abord sur l’expédition des décrets dont il garde un exemplaire, puis sur l’original authentique de la loi après qu’elle ait été sanctionnée, scellée et déposée aux Archives nationales. Il se substitue au garde des Archives dans ce rôle. Il assure de plus, toujours cette surveillance de l’exécution de la loi et de la promulgation par la copie de la note de la sanction venant du ministre de la justice, surveillance également de l’envoi aux ministres et aux municipalités par l’état de promulgation du ministre de l’intérieur. Cette organisation place le Comité des décrets en tant qu’institution centralisatrice de la diffusion des décrets, avec un droit de regard sur l’ensemble des étapes qui suivent l’adoption des décrets par l’Assemblée et son passage au bureau des procès-verbaux. Les besoins d’efficacité administrative vont l’amener progressivement à étendre encore ses compétences sur le bureau des procès-verbaux d’une part, et sur le bureau des secrétaires de l’Assemblée d’autre part.

Perte d’autonomie du bureau des procès-verbaux et du secrétariat de l’Assemblée

21 Une des clefs de la réussite des opérations du Comité des décrets réside dans l’amélioration des procédures effectuées en amont au bureau des procès-verbaux de l’Assemblée nationale. Lors de la séance du 1er mai 1792, le Comité des décrets décide d’intervenir à ce niveau17. Il nomme deux de ses commissaires pour l’inspection du bureau des procès-verbaux et aussi pour la surveillance des commis expéditionnaires qui y travaillent. Quelques jours plus tard, le 21 mai, les deux commissaires aux procès- verbaux, présentent leur rapport analysant la situation sur « l’organisation du bureau des procès-verbaux, sur les moyens de l’améliorer et sur la nécessité de s’en occuper afin non seulement de faire disparaître le retard qu’éprouve l’ordre à mettre dans les

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procès-verbaux arrivés mais encore d’y établir une suite d’opérations correspondantes et qui offrent un ensemble propre à éviter la confusion qui pourrait résulter de l’organisation actuelle »16. Le bureau reste rattaché au Comité de l’inspection de la salle, mais il est mis sous l’autorité du Comité des décrets qui récupère ses fonctions. Le comité fait enregistrer cette nouvelle organisation par la Législative le 24 mai 179218.

22 Le comité réorganise ses propres missions en faisant passer certaines de ses fonctions au bureau des procès-verbaux, sans qu’elles ne cessent d’être sous sa surveillance. Le bureau est divisé en cinq sections, la 1ère et la 4 ème bénéficient de compétences nouvelles. La 1ère, la section de la sanction, est chargée de la double expédition des décrets, leur collation étant aussi effectuée sur place par les commissaires des procès- verbaux, issus du comité. La copie qui était envoyée par le ministre de la justice, est maintenant dressée par la 1ère section de la sanction en même temps que la collation des deux expéditions. La 4ème, section de l’expédition des procès-verbaux, envoie directement l’une des deux expéditions collationnées aux Archives nationales. L’autre exemplaire qui était avant conservé par le comité, reste au bureau des procès-verbaux où l’ensemble des expéditions est relié sous forme de registres.

23 Le Comité des décrets renforce son autorité sur le bureau des procès-verbaux en assurant la nomination de l’ensemble du personnel des secrétaires-commis. Il ne s’agit pourtant pas d’un renouvellement intégral, la plupart étant déjà présents sous la Constituante. Le décret du 1er juin 1792 assoit la légitimité du comité sur le bureau en les renommant sur leur poste, créant par ce procédé leur dépendance par rapport au comité. De plus la tutelle du comité est d’autant plus affirmée qu’il s’agit d’une nomination provisoire, chacun devant la voir confirmer dans un délai d’un mois. La présence des secrétaires-commis du bureau des procès-verbaux doit ainsi tout au comité.

24 Les événements du 10 août 1792 vont permettre d’étendre les compétences du comité sur le secrétariat de l’Assemblée. L’exécution rapide des décrets adoptés est essentielle dans ces circonstances. En l’absence du roi, la promulgation est assurée par le Conseil exécutif provisoire qui se plaint du retard pris par l’envoi des décrets, retard qui n’est pas compatible avec leur urgence. Depuis le décret de création du 21 novembre 1791, les secrétaires du bureau de l’Assemblée nationale devaient dresser chaque jour une note des décrets rendus pour la passer le lendemain au Comité des décrets par l’intermédiaire du bureau des procès-verbaux. Mais jusqu’en août 1792, ceci ne sera pas exécuté. Parmi les mesures qui figurent dans le décret du 9 septembre 1792, relatif à la correspondance du Comité des décrets avec les corps administratifs et les tribunaux pour l’envoi et la réception des lois19, le Comité des décrets doit mettre en place au secrétariat de l’Assemblée deux de ses commis qui y resteront pendant le temps des séances. Pour rendre la procédure plus rapide, ils recevront directement les rapports des mains des rapporteurs et les présenteront aux secrétaires qui en prendront note sur le procès-verbal. Si les décrets sont urgents, ils les expédieront sur le champ et rapporteront ensuite les minutes au secrétariat. Ce décret est mis en application le même jour après son enregistrement par le Comité des décrets.

25 A la fin de la Législative, la place occupée par le comité dans la surveillance de la circulation des décrets après l’étape du vote par l’Assemblée est donc prééminente. L’ensemble des fonctions du bureau des procès-verbaux et une partie de celles du secrétariat de l’Assemblée ont été transférés au profit du comité, modifiant sensiblement les rapports entre les différents services internes au corps législatif.

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Les étapes de la surveillance de l’exécution des lois

26 Le Comité des décrets a pour tâche principale de s’assurer de l’exactitude des décrets envoyés et de leur expédition. Un ensemble législatif en fixe les différentes étapes. Mais entre la description de la procédure telle qu’elle est détaillée dans les décrets et la pratique, le système a souffert de quelques failles.

27 En ce qui concerne les relations du Comité des décrets et du secrétariat de l’Assemblée, on a vu qu’il a fallu la chute du roi pour permettre au Comité des décrets d’intervenir dans le fonctionnement du secrétariat. Les autres étapes sont assurées avec plus de régularité. Le Comité des décrets reçoit les expéditions destinées à la sanction pour les collationner sur la minute. La collation est ensuite présentée au président de l’Assemblée qui juge du fond, et au commis des procès-verbaux qui en vérifie la forme. Les commissaires de la sanction, au ministère de la justice, reçoivent l’expédition et remettent au comité une note datée du jour où les décrets sont présentés au roi. Quand le décret a été sanctionné ou accepté, une minute est conservée aux Archives du sceau de la Chancellerie, et après la formalité du sceau, une expédition des décrets sanctionnés est déposée aux Archives nationales. Après le 10 août 1792, le ministre de la justice présente directement les décrets au bureau du sceau. Le comité doit collationner l’expédition sur la minute de cette expédition, mais si cette procédure est suivie, ce dernier point ne sera pas exécuté.

28 Irrégulièrement, le comité reçoit du ministre de la justice, une note des décrets sanctionnés ou acceptés par le roi. Une fois les décrets promulgués, il reçoit également un état des décrets adressés aux ministres et aux corps administratifs, une fois que ces derniers ont adressé l’accusé de réception au ministre de la justice.

29 Le comité, en concertation avec le garde des Archives nationales, doit dresser la collection des décrets rendus par l’Assemblée nationale constituante. L’imprimerie transmet au comité tous les procès-verbaux. Le comité se rend dans les bureaux du ministre de la justice pour consulter son registre d’enregistrement des lois où sont consignés les destinataires et les dates des envois et vérifier si l’envoi du décret, qu’un corps administratif se plaint de ne pas avoir reçu, a bien été envoyé, avant d’en faire la réponse. A noter que s’il s’agit de particuliers réclamant des décrets, les commissaires du comité ne sont pas autorisés à leur répondre directement ; le commis en chef doit rédiger un avis leur recommandant de s’adresser directement à l’autorité concernée.

L’aliénation des biens nationaux

30 Sous la Constituante, le Comité des décrets avait reçu une nouvelle compétence avec la collation des décrets des procès-verbaux. Ces corrections auraient dû concerner également les décrets d’aliénation des biens nationaux, mais cette mesure sera imparfaitement assurée. Le 28 février 1791, la Constituante adopte un décret mettant les rapporteurs du Comité d’aliénation dans l’obligation de vérifier les erreurs qui ont pu se glisser dans les décrets, avant que ceux-ci ne soient expédiés. La vérification doit se faire par collation des expéditions de ces décrets en présence d’un secrétaire et d’un membre du Comité des décrets, ce dernier devant parapher tous les renvois. Du fait de la mauvaise application de cette décision, les décrets d’aliénation échapperont à la vérification du Comité des décrets.

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31 Au début de la Législative, cette nécessité est toujours d’actualité. Il importe que les erreurs soient corrigées pour que les municipalités, qui ont fait des soumissions pour l’acquisition de biens nationaux, ne subissent pas de pertes importantes, que la vente des biens ne prenne pas de retard et que la nation ne soit pas lésée. Ces erreurs concernent tant les minutes que les décrets d’aliénation et les états qui y sont joints. Le décrets du 26 août 1791 sur les biens nationaux, en transférant les compétences du Comité d’aliénation au pouvoir exécutif, permet de trouver une solution par la simplification administrative induite. Les documents produits sont transférés aux Archives nationales - ce qui permet, en principe, au Comité des décrets d’opérer plus facilement les corrections nécessaires.

32 Fort de ses nouvelles compétences, le rôle du ministre de la justice va être déterminant dans la recherche d’une solution. Le 10 septembre 1791, Duport, ministre de la justice, avait sollicité Bouche, au sein du Comité des décrets, et Camus, garde des Archives nationales, pour préparer un projet de décret visant à réformer le fonctionnement de la collation des actes liés à la vente des biens domaniaux. Après avoir examiné les minutes originales et les originaux authentiques des lois qui sont déposés aux Archives du sceaux, Duport, s’est rendu compte qu’il manquait un assez grand nombre de minutes de décrets rendus par l’Assemblée nationale entre 1789 et 1790, que la majeure partie de ces minutes présentait des irrégularités qui les frappaient de nullité, soit parce qu’elles ne portaient pas de date de sanction, soit parce qu’elles n’étaient pas revêtues de la signature du ministre. Cette question intéresse son service mais aussi les Archives nationales à qui le ministre de la justice adresse les originaux authentiques en parchemin et, bien sûr, le Comité des décrets. Il leur demande donc de se concerter pour élaborer un projet de décret, mais celui-ci ne voit pas le jour.

33 A la fin de la Législative, encore une fois à l’initiative du ministre de la justice, relayée par Camus et Poisson, commissaire au Comité des décrets, ils élaborent un projet de décret pour régler le problème toujours présent de la lenteur de la collation des décrets relatifs aux municipalités qui ont acheté des biens nationaux afin qu’elles profitent du 16ème auquel elles ont droit sans attendre que cette collation soit achevée. Cette question sera renvoyée par l’Assemblée au Comité de l’extraordinaire des finances et l’aspect financier en sera réglé, mais l’aspect organisationnel ne trouvera pas d’issue avant la fin de la session. Les retards continueront à s’accumuler imposant un suivi administratif permettant de réduire le plus possible les erreurs.

34 Le Comité de l’aliénation transmet les états des biens nationaux acquis au ministre de la justice. Mais ces états contenant trop d’erreurs de calcul ou trop d’irrégularités, certains n’étant pas signés, le ministre de la justice ne peut faire les expéditions aux municipalités sans que les documents soient vérifiés. Deux secrétaires-commis du Comité des décrets sont affectés à la collation des expéditions, bientôt rejoints par un secrétaire supplémentaire, jusqu’à atteindre ponctuellement cinq employés avant de se stabiliser à quatre. Ils sont installés dans les locaux des Archives nationales où sont conservées les doubles minutes sanctionnées déposées par la Chancellerie, placées sous la surveillance d’un commissaire nommé par le Comité des décrets. Les erreurs sont parfois en nombre si important que le commissaire du comité et ses commis doivent avoir recours au procès-verbal des experts, qui ont fait l’estimation de la valeur du bien avant sa vente, pour savoir lequel, entre la minute de sanction et l’état du Comité d’aliénation, est correct. A défaut, ils recourent à l’état dressé par les municipalités soumissionnaires et approuvé par les directoires, pièce également déposée aux

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Archives nationales. Il y a donc plusieurs documents à vérifier. Chacun des quatre secrétaires-commis en prend un : l’un a le procès-verbal, un autre l’état dressé par la municipalité, un troisième la minute de sanction et le dernier celle du Comité d’aliénation. Les commis notent à la plume les corrections en comparant les pièces les unes aux autres. Le commissaire du Comité des décrets paraphent les quatre documents en les comparants au procès-verbal des experts.

35 Ensuite la collation de la minute de sanction et de l’expédition est effectuée sur le même procès-verbal. Trois personnes concourent à la collation elle-même. Pendant ce temps, le quatrième commis est employé à faire l’erratum qui doit accompagner l’expédition venant de la Chancellerie, quand elle est renvoyée au ministre de la justice avec la minute de sanction paraphée par le commissaire du Comité des décrets. Les bureaux de la Chancellerie demeurent chargés de transcrire en entier, à partir de l’erratum, l’expédition corrigée ou d’en gratter les seules erreurs. Ce quatrième commis dresse aussi l’erratum de la minute qui reste au Comité des décrets. Les errata sont consignés dans un registre20. L’erratum est envoyé au bureau des procès-verbaux de l’Assemblée nationale qui doit rendre les minutes conformes aux corrections paraphées par le commissaire du comité. Ce dernier signe les actes de rectification. Il tient également, de façon périodique, un état des décrets collationnés.

36 Les expéditions corrigées sont renvoyées au ministre de la justice qui les adresse ensuite à Amelot, commissaire du roi auprès de la caisse de l’extraordinaire, pour que ce dernier les expédie aux municipalités qui ont acquis des biens nationaux et exiger d’elles le paiement des annuités ou les premiers paiements dont elles doivent s’acquitter. Cette procédure permet de réduire les risques de préjudices pour la nation ou pour les municipalités. A la fin de la Législative, cependant, ce travail très lent a pris beaucoup de retard malgré son apparente efficacité. Poisson, reconduit au Comité des décrets de la Convention, note lors de leurs premières sessions qu’il reste plusieurs caisses de décrets à vérifier.

Un centre de correspondance unique pour les mises en accusation

37 Deux décrets successifs vont lui attribuer un rôle de premier ordre dans le processus d’élaboration des mises en accusation auprès de la Haute-Cour nationale d’Orléans créée par la Constitution du 3 septembre 179121.

38 Le 27 janvier 1792, le député Goujon demande à l’Assemblée d’établir « un centre de correspondance unique » pour le suivi des affaires liées à la Haute-Cour, en nommant trois commissaires « spécialement chargés de correspondre, sous les ordres de l’Assemblée, avec les grands procurateurs, et à qui seront attribués tant les lettres et pièces relatives à tout ce qui pourra intéresser la poursuite des crimes que les renvois ci-devant faits aux différents comités »22. Le décret adopté attribue cette compétence, en apparence de façon surprenante, au Comité des décrets. Depuis 1790, il entretient effectivement une importante correspondance avec les corps administratifs de la nation, lui conférant ainsi une autorité en la matière, mais il n’est pas le seul dans ce domaine. Cette nouvelle attribution lui revient également puisqu’il s’agit in fine d’assurer l’envoi des décrets d’accusation. Mais dans ce cas, ses missions vont largement déborder la seule surveillance de l’envoi des décrets. Il va prendre en charge l’ensemble de la procédure présidant à la préparation des décrets avant même leur adoption et leur envoi. Les besoins administratifs consécutifs à l’envoi des décrets, des

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actes et des pièces d’accusation à la Haute-Cour confèrent une fonction centrale au comité.

39 Dès le lendemain de l’adoption de ce premier décret, Mouysset, membre du Comité des décrets, fait adopter par l’Assemblée son projet d’élargissement des fonctions du comité en précisant l’organisation à établir avec la Haute-Cour nationale. Les pièces permettant d’appuyer l’accusation et qui sont déposées aux Archives nationales lui seront remises (article 1). En effet, entre le moment de la création de la Haute-Cour et les dates des 27 et 28 janvier, les pièces liées aux décrets d’accusation ont été déposées aux Archives. Le comité entretiendra une correspondance avec la gendarmerie nationale pour faire parvenir les pièces et actes d’accusation aux grands procurateurs qui siègent à la Haute-Cour (article 2). Le comité présentera à l’Assemblée les actes non encore rédigés et les enverra après leur approbation par l’Assemblée (article 3).

40 Au fur et à mesure, ce travail prend une part considérable dans l’emploi du temps du comité, entre la recherche des pièces d’accusation déposées aux Archives ou détenues par d’autres comités ou par les ministères, et la rédaction des actes eux-mêmes, dont les commissaires du Comité des décrets assurent l’élaboration. Lors de leurs séances, l’ensemble des membres du comité désigne celui d’entre eux qui sera chargé de rédiger l’acte d’accusation. Le comité prend alors contact avec les comités et les ministères, par correspondance ou en se rendant sur place, pour collecter les pièces d’accusation nécessaires. Une fois l’acte rédigé, le rapporteur le présente en séance. Les membres du comité peuvent discuter, modifier son contenu lors de la délibération, avant de l’accepter. Ce même rapporteur le présente ensuite à la Législative qui adopte alors le décret d’accusation.

41 Le commandant de gendarmerie vient au comité retirer les documents, pièces et décrets d’accusation, pour les transmettre aux grands procurateurs de la Haute-Cour. Les premières fois donnent lieu à une séance extraordinaire solennelle, mais très vite l’augmentation du nombre des transferts fait qu’ils ont lieu en séance ordinaire, jusqu’au moment où, à partir du 13 juin 1792, devenues une opération administrative courante, les remises des documents à la gendarmerie ne sont plus reportées au procès- verbal des séances du Comité des décrets.

42 La correspondance avec les grands procurateurs est aussi très volumineuse, puisqu’elle concerne tous les sujets liés aux actes d’accusation mais aussi tout ce qui relève de l’organisation interne de la Haute-Cour depuis son emplacement jusqu’aux gratifications de leurs employés. Toute la correspondance de la Haute-Cour transite par le Comité des décrets qui assure sa transmission aux autres institutions destinataires, Assemblée nationale ou comités. C’est le Comité des décrets qui rédige leurs réponses. Conséquence de ce travail considérable, le 1er juin 1792, le comité nomme par arrêté deux de ses membres pour se consacrer uniquement à la correspondance et préparer les projets de réponses. Les envois aux grands procurateurs sont présentés en séance à l’ensemble du comité avant leur départ. Trois commis du Comité des décrets mettent à jour deux registres, l’un consacré à l’enregistrement de la correspondance du comité vers les grands procurateurs, l’autre pour l’enregistrement de la correspondance émanant des grands procurateurs23, chaque courrier étant intégralement retranscrit.

43 La Haute-Cour de justice va cesser ses fonction avec le début de la Convention, mais le Comité des décrets va conserver la rédaction des actes d’accusation des tribunaux qui la remplacent, jusqu’au transfert de cette compétence à la Commission des six créée le 15 mars 1793. La seule modification tient à la collaboration que le comité établit avec

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d’autres comités pour rédiger conjointement les actes d’accusation. De même, toutes les autres fonctions initiées sous la Législative connaissent une continuité sous la dernière législature.

La Convention, le temps de la maturité

La centralisation autour du Comité des décrets, un outil d’administration moderne

44 Le 2 octobre 1792, la Convention nationale arrête que le Comité des décrets aura neuf membres, soit un de plus par rapport à la Législative. Le 11 octobre sont nommés, Poisson, seul à être reconduit dans ce comité, Lemoine (Manche), Forestier, Cazeneuve, Laloy, Mauduyt, Borie, Albouys, La Boissière. Nouveauté de cette législature et qui concerne l’ensemble de ses comités, des suppléants sont également nommés : Bissy, Soulignac, Cochon de Lapparent, Vernerey, Drulhe, Dupuis24.

45 Dès la première séance du Comité des décrets, le 18 octobre 1792, la réunion au bureau des procès-verbaux est mise en délibération. « Attendu la connexité de leurs travaux […] on ne tarda pas à s’apercevoir que ses relations habituelles l’unissaient plus étroitement au Comité des décrets » plutôt qu’aux commissaires de la salle. Le regroupement en un seul comité est accepté. Il est formé de deux sections « dont l’une surveillerait sans interruption les procès-verbaux, correspondance et renvoi »25 et l’autre garderait sa compétence sur les décrets. Le 24 octobre 1792, la Convention confirme l’arrêt en adoptant leur réunion.

46 L’Assemblée confirme aussi son rapprochement avec le secrétariat du corps législatif. Dans le décret du 3 octobre 1792 sur le mode d’impression et de distribution des décrets, un des secrétaires-commis du secrétariat est détaché de ce service pour être placé sous la responsabilité du comité pour rédiger les décrets, tout en restant sous la surveillance des autres secrétaires pendant le cours des séances. Ce secrétaire doit ensuite les passer rapidement à l’impression. La délibération du comité du 3 novembre 1792 et son arrêt du 1er février 1793 renforcent ce dispositif pour reconduire une disposition établie sous la Législative : deux de ses commis sont désignés pour prendre note des décrets en assistant à tour de rôle à toutes les séances de l’Assemblée. Les décrets après avoir été imprimés et transmis au Comité des décrets, sont envoyés au Conseil exécutif provisoire qui, au moment de leur publication, renvoie les décrets de la Convention et les actes du pouvoir exécutif aux Archives nationales et au Comité des décrets. Le Conseil exécutif provisoire transmet les décrets aux corps administratifs et aux tribunaux. Nouvelle compétence du Comité des décrets, c’est lui qui assure alors l’impression des actes adoptés par le Conseil exécutif et les distribue aux députés. Deux commissaires du comité doivent aussi surveiller l’envoi et les accusés de réception des décrets, et la signature de toutes les lettres nécessaires. Après un relâchement dans l’application de cet arrêté, la Convention va intervenir à la demande même de ses secrétaires. Ceux-ci se plaignent de la façon dont les décrets sont présentés à leur signature sans qu’ils puissent en vérifier l’exactitude. Aussi le 3 avril 1793, la Convention décrète que le Comité des décrets nommera deux de ses commissaires pour collationner à la minute les décrets qui ne pourront être présentés à la signature du bureau sans avoir été visés par l’un de ces commissaires. Autre élément de contrôle, depuis le décret du 15 octobre 1792, les corps administratifs doivent envoyer des états

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hebdomadaires certifiés des décrets reçus au Comité des décrets. Cet état des lois doit contenir : « 1° la date de l’envoi et de la réception de chacune des lois, 2° la date des lettres par lesquelles ils en auront accusé la réception aux ministres, 3° enfin, la date des envois qu’ils en auront fait eux-mêmes aux directoires de districts, pour être, par ceux-ci faits aux municipalités »26.

47 La précision de cette procédure ne permet pas de supprimer entièrement les retards dont on trouve encore de nombreuses plaintes dans les débats de l’Assemblée. De plus, elle ne règle pas les dysfonctionnements induits par les activités des autres comités. Ainsi, le 9 nivôse an II (29 décembre 1793), Monnel, l’inspecteur aux procès-verbaux du Comité des décrets rend compte du fait que différents comités envoient fréquemment des commis à la section des procès-verbaux pour s’emparer des décrets au fur et à mesure qu’ils sont rendus. L’expédition en est retardée et, de plus, certains décrets se trouvent ainsi perdus. Par conséquent, le même jour, un décret de la Convention est nécessaire pour que la minute des décrets de la veille soit immédiatement remise au bureau des procès-verbaux . Aucun décret ne pourra être imprimé avant qu’il n’ait été collationné par les inspecteurs aux procès-verbaux.

48 La Convention va renforcer le rôle central du comité dans la surveillance de l’envoi des décrets, dans le contrôle de son exactitude, dans l’encadrement des activités du bureau des procès-verbaux et de son secrétariat, en complétant ses fonctions par la reconnaissance de son travail de regroupement des sources du droit. Sous la Constituante, les Archives nationales et le Comité des décrets sont les deux services où aboutissent les décrets adoptés. Très tôt, ces deux services se mettent à constituer des collections de décrets, surtout pour répondre au besoin de connaissance interne à l’Assemblée qui doit disposer à portée de main de l’intégralité des décrets rendus en une suite continue. Depuis le 26 octobre 1789, les Archives tiennent une table chronologique des minutes officielles des décrets et actes émanés de la représentation nationale dont le ministre de la justice assure le dépôt. Cette collection ne concerne donc que les décrets sanctionnés ou acceptés. Au début de la Législative, Giraud, premier secrétaire-commis en chef du Comité des décrets, a commencé une table alphabétique chronologique plus large que celle des Archives, puisqu’elle concerne tous les décrets, proclamations et arrêtés de la Constituante. La Convention va attacher une grande importance à la continuité de ces travaux. Le 31 juillet 1793, elle approuve le travail entrepris par Giraud, l’autorise à le continuer pour ce qui n’aurait pas été enregistré concernant les décrets, proclamations et arrêtés de l’Assemblée constituante et à poursuivre avec ceux de l’Assemblée législative et de la Convention nationale. Le décret du 8 nivôse an II (28 décembre 1793) confirme la nécessité de continuer cette table et de plus, il en ordonne l’impression et la distribution pour en assurer ainsi une diffusion plus large que la seule enceinte du corps législatif. La table des décrets du comité est une réponse à un besoin de centralisation des décrets propre à toute administration moderne27, telle qu’elle est en train de se mettre en place sous la Convention.

49 Le pas vers une diffusion à grande échelle va être rapidement franchi. La Législative avait déjà créé le 3 septembre 1792, par l’intermédiaire de sa commission de correspondance, le Bulletin national pour diffuser ses décrets et les discours des députés à l’ensemble de la nation28. Les besoins de diffusion vers les corps administratifs vont amener la Convention à initier une nouvelle forme d’envoi en créant la première publication officielle de la loi. Le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) crée le

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Bulletin des lois de la République, recueil officiel des lois, et le 25 prairial an II (13 juin 1794), la Convention charge le Comité des décrets d’en commencer l’impression. Le 26 messidor an II (14 juillet 1794) le comité, assemblé en séance, adopte un arrêté organisant un bureau de surveillance de l’envoi du nouveau Bulletin des lois. Après l’envoi du Bulletin par l’Agence des lois, les autorités constituées doivent adresser par décade au Comité des décrets un état certifié des Bulletins déjà reçus. Le suivi de cette correspondance est très large et s’étend au tribunal de cassation, au tribunal révolutionnaire, aux administrations et tribunaux de districts, à la municipalité et aux tribunaux d’arrondissements de Paris, aux comités révolutionnaires, aux sections et comités civils, aux comités de surveillance, aux juges de paix. Le comité est bien ce centre de correspondance unique ambitionné par la Législative mais il est aussi un instrument de centralisation administrative qui permet à la Convention d’atteindre toutes les institutions et autorités29.

Le remplacement des députés absents, démissionnaires ou mis en accusation

50 La permanence de l’Assemblée fait partie des grands principes de 1789. La Législative ajoute l’exigence de présence de 200 députés au moins pour pouvoir discuter un projet de décret. Fin 1792, la situation de la nation impose que tous soient présents. Le 4 décembre 1792, un débat s’engage à la Convention sur l’importance de la réunion de l’ensemble des députés et sur la nécessité de rappeler tous ceux qui sont en congés. La Convention ordonne que tous les députés encore éloignés la rejoignent sous une quinzaine. Ils sont tenus de se faire inscrire aux Archives nationales où est conservé le registre des inscriptions des députés. Le cas échéant, la Convention demande au Comité des décrets d’appeler leurs suppléants pour les remplacer. Tout au long de la période où siège cette Assemblée, sous l’impulsion soit de la Convention soit du comité, un ensemble de décrets va être adopté sur l’appel des suppléants, cette mission prenant une importance de plus en plus grande dans les travaux du comité. La fonction peut paraître étrangère aux compétences du comité. Cependant, en regardant la procédure administrative nécessaire à l’application du décret, il s’agit encore, dans un premier temps au moins, de surveiller et de s’assurer que les décrets appelant les suppléants sont bien envoyés dans leurs départements. Mais l’accélération des événements va lui conférer de fait une position particulière dans la gestion des députés démissionnaires, décédés ou en état d’arrestation, mission entre administration des absences et surveillance des personnes.

51 La Convention après avoir entendu le rapport présenté par Laloy, membre du Comité des décrets, l’autorise le 5 février 1793 à appeler les suppléants des députés qui sont morts ou qui ont donné leur démission, et à écrire à ceux qui sont absents pour congés dont le terme serait expiré, pour connaître les motifs de leur retard afin d’en rendre compte à la Convention. Pendant les jours qui vont suivre, le comité va consacrer plusieurs de ses séances à l’organisation de cette fonction. Ce qui lui permet de présenter et de faire adopter par l’Assemblée, le 27 mars 1793, un décret de 5 articles consacré aux procédures prévues pour donner une plus grande efficacité à leurs travaux. Les députés obtenant un congé sont tenus de notifier au Comité des décrets les dates de départ et de retour (article 1) qui sont notées sur un registre dont une copie certifiée des déclarations est envoyée au bureau des mandats (article 2). Les députés encore absents devront notifier leur retour au comité (article 3) et s’ils ne sont pas

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revenus dans un délai de 3 semaines ils devront démissionner et leurs suppléants seront alors appelés (article 4). Ceci ne s’applique pas aux députés qui pourront justifier leur absence et dont la recevabilité du motif sera jugée par la Convention.

52 A la suite de l’interdiction des congés, contenue dans le décret de la Convention du 6 juin 1793, le Comité des décrets est chargé de rappeler tous les membres encore absents. L’Assemblée précise le 25 juin 1793 que le Comité des inspecteurs de la salle doit communiquer au Comité des décrets la liste des députés absents sans cause pour appeler les suppléants. Par la suite, le comité vient à la barre de la Convention toutes les fois où un député a besoin d’être remplacé, pour présenter un rapport sur son suppléant. La Convention prend alors un décret qui statue sur son admission.

53 Quand le rapide remplacement des députés absents n’est plus la seule préoccupation de la Convention, mais qu’il s’agit aussi de vérifier le civisme des suppléants avant de les admettre et d’écarter les traîtres à la patrie, l’Assemblée adopte la proposition de Couthon du Comité de salut public le 19 germinal an II (8 avril 1794). A partir de cette date, les rapports pour l’admission des suppléants sont rédigés conjointement par le Comité de salut public, le Comité de sûreté générale et le Comité des décrets. On est passé de l’appel des suppléants à la surveillance des personnes. Cependant ce fonctionnement collégial ne survivra pas à thermidor an II. Le 7 fructidor an II (24 août 1794), Monnel du Comité des décrets fait remarquer que l’importance prise par le Comité de salut public entrave le bon fonctionnement de la procédure d’admission des suppléants. En profitant de l’affaiblissement de fait des Comités de salut public et de sûreté générale, le Comité des décrets fait voter par la Convention, le même jour, un décret qui lui permet de se libérer de ses liens avec ces deux comités. Ainsi le 11 fructidor an II (28 août 1794), la Convention charge le Comité des décrets de contrôler que le Comité de salut public a bien rappelé les commissaires de la Convention et que ceux-ci ont le cas échéant renoncé à leur poste s’ils ne sont pas revenus dans la quinzaine30. Les commissaires doivent au préalable être informés de l’existence de ce décret et du fait qu’ils ont été rappelés. Le Comité de salut public communiquera donc au Comité des décrets la liste des députés en mission pour qu’il leur adresse les décrets les concernant. Le lendemain, cette mesure est étendue aux représentants du peuple en mission auprès des armées ou à l’intérieur de la République, et le Comité des décrets devra constater leur retour.

Le Comité des décrets, procès-verbaux … et archives

54 Si le Comité des décrets acquiert plus d’indépendance sous la Convention thermidorienne, les événements de thermidor an II vont aussi avoir pour conséquence de lui accorder des compétences plus larges.

55 Le corps législatifs se lance dans de longs débats sur la réorganisation des comités. En ce qui concerne le Comité des décrets, après les discussions des séances des 14, 23, 26 et 28 thermidor an II (1er, 10, 13 et 15 août 1794), les députés adoptent le décret de création du 7 fructidor an II (24 août 1794). Le comité, partiellement renouvelé, est composé de 16 membres : Lofficial, Monnel, Lehault, Cormilleau, Hubert, Auger, Gomaire, Mouysset, Bouguyot, Danjou, Enjubault, Vinet, Cordier, Batellier, Maigen, Viquy31. Ce nombre est à l’image de l’élargissement ses attributions : la première section est compétente sur la surveillance des archives de la Convention et du sceau de la République, la seconde section sur la surveillance de la rédaction des procès-verbaux,

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de l’expédition des décrets, de l’impression, de la publication et de l’envoi des lois. Il devient le Comité des décrets, procès-verbaux et archives. C’est véritablement la consécration des compétences du comité.

56 Cette évolution est concomitante de la législation que la Convention nationale met en place en ce qui concerne le triage des archives domaniales et judiciaires. L’impact de la vente des biens nationaux avait démontré la nécessité pratique d’une centralisation de la documentation sur laquelle les aliénations s’appuient. De ce fait, il est important pour éviter la perte ou la soustraction des documents de créer un rapport de subordination et de surveillance à un dépôt central qui les contiendrait toutes. La Constituante avait bien adopté un décret, le 7 août 1790, qui allait déjà dans ce sens mais qui ne sera pas appliqué : le Comité des domaines, pour empêcher la perte les décrets de confiscation des biens du clergé et autres institutions supprimées, en faisant disparaître les titres de propriété, faisait soumettre les titres domaniaux à la surveillance du garde des Archives nationales32. Quatre ans plus tard la Convention met en place une commission regroupant des députés issus des Comités des domaines, de salut public, des finances, de législation et d’instruction publique, nommée commission des archives, pour donner corps à cette double volonté, d’une part politique et financière en ce qui concerne les documents relatifs à la vente des biens domaniaux, et d’autre part, de recherche d’une centralisation des archives. Le 7 messidor an II (25 juin 1794), la commission présente son rapport à la Convention : tous les dépôts sont soumis à l’autorité de l’archiviste de la République. Au lendemain du 9 thermidor an II (27 juillet 1794), le Comité des décrets, procès-verbaux et archives est chargé d’organiser cette centralisation. Le rapport présenté par Lofficial, du Comité des décrets, le 3 brumaire an III (24 octobre 1794) et adopté par la Convention, constitue le décret d’application de la loi du 7 messidor. L’organisation mise en place par le comité place Cheyré, ancien dépositaire des archives domaniales au Louvre, à la tête de la section domaniale et Terrasse, ancien dépositaire des archives judiciaires au palais de justice, à la tête de la section judiciaire et règle le mode de fonctionnement de ces deux sections. La nécessité de dégager les archives liées à la vente des biens nationaux conditionne leur mode de triage. Un premier tri doit être opéré pour distinguer les titres de propriétés publiques ou privées et ceux qui peuvent servir à l’instruction, c’est-à-dire qui concernent l’histoire, les sciences et les arts. Le but de ce premier triage est de mettre de côté tout ce qui est du domaine de l’érudition pour pouvoir classer les titres, chartes et manuscrits et les remettre aux bibliothèques de districts et à la Bibliothèque nationale. La catégorie restante doit être divisée entre les deux dépôts domaniaux et judiciaires. Un troisième tri doit être opéré sur le territoire national par des agents « versés dans la connaissance des chartes » au sein d’une nouvelle institution, l’Agence temporaire des titres, placée sous la surveillance du comité. Le décret du 3 brumaire prévoit aussi que les dépenses liées aux aménagements des locaux, comme toutes les dépenses accessoires, seront arrêtées à l’avenir par le Comité des décrets. La liste des membres de l’Agence temporaire des titres, responsables de l’exécution des tris définis dans la loi du 7 messidor, sera dressée par le comité. Tous les autres dépôts de Paris, et le personnel qui y était attaché, sont supprimés et le Comité des décrets, procès- verbaux et archives est autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires à la conservation de leurs titres et à faire apposer les scellés sur ces dépôts.

57 Dans les mois qui suivent, le comité adoptent en séance de nombreux arrêtés concernant les personnes employées dans les deux sections et à l’Agence temporaire des titres, les travaux à entreprendre, la mise en place des triages dans les

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départements et la nomination de leurs préposés à raison de 3 à 9 employés par département. Agissant dans ce domaine en véritable direction administrative, rien de ce qui concerne le triage, le fonctionnement et l’organisation des archives domaniales et judiciaires ne se fait sans l’autorisation du comité qui agit alors sans avoir plus besoin d’en référer à l’Assemblée. Autant de moyens qui place le comité au centre d’un réseau de dépôts et crée une tentative de rationalisation de la documentation publique à l’échelle nationale. L’ancienneté dans la gestion de la documentation liée à la vente des domaines nationaux, ainsi que ses compétences dans la gestion des décrets en général, a joué en faveur du Comité des décrets pour occuper cette place. Les Archives nationales, qui connaissent aussi bien ce corpus, étaient alors affaiblies du fait de l’absence de Camus en captivité en Autriche. Le décret de messidor an II lui a donné la responsabilité administrative, cette autorité n’étant que formelle et ne se manifestant par aucune action concrète, mais sans avoir les moyens de son exécution, puisque relevant du seul Comité des décrets, procès-verbaux et archives. Ses seules activités sont alors la conservation des ensembles d’archives constitués depuis 1789, l’accueil des originaux des décrets, les expéditions effectuées d’après ces originaux et la surveillance du bureau du comptage des assignats.

La bureaucratie à l’œuvre

58 A la fin de la Convention, le Comité des décrets, procès-verbaux et archives montre le spectacle d’une administration d’envergure aux rouages bien réglés. Pourtant les critiques des députés sur le défaut de transmission des décrets aux corps administratifs et judiciaires et sur la lenteur de la procédure, ponctuent toujours de leurs échos les débats de l’Assemblée. Sans être une critique directe, ou même indirecte, des commissaires du comité, le fait que les reproches portent sur une de ses activités historiques, pose la question de son efficacité, des méthodes de travail utilisées, ou du travail effectué en lui-même.

59 Ce travail du comité est cependant indéniable et produit un important corpus. Les registres des délibérations sont régulièrement mis à jour et occupent deux épais registres à la fin de la session de la Convention nationale. Chaque procès-verbal est signé de tous les membres présents, les seules signatures des président et secrétaires ne suffisant plus. Si l’activité des commissaires dans les différentes sections du comité le rend nécessaire ou si des ministres ou d’autres institutions le demandent, le secrétaire du comité effectue des expéditions des divers arrêtés ou extraits de procès-verbaux par collation des registres. Les mandats de dépenses sont soumis à l’approbation des membres délibérants, ils sont signés par le président et les secrétaires, et leur contenu est retranscrit sur le registre des délibérations. Toutes les décisions sont prises collégialement par les membres présents. Lors de ses séances, il n’y a pas de hiérarchie entre les différents commissaires.

60 Deux membres et deux suppléants sont nommés à la section des procès-verbaux, dont ils assurent l’inspection à tour de rôle. En application du décret du 16 août 1792 sur la distinction entre lois fondamentales et décrets secondaires33, le travail d’inspection de ce bureau consiste, en outre, à veiller scrupuleusement au fait que les décrets rendus sur des affaires particulières ne soient ni publiés, ni affichés à la manière des lois générales, sauf si un décret exprès ne l’ordonne. Ils doivent aussi surveiller la collation

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des décrets pour prévenir les fautes de rédaction, les omissions ou toute autre erreur qui pourraient compromettre l’objet de la loi.

61 Un membre est nommé à l’inspection de la section des archives pour surveiller la collation des décrets d’aliénation, comme on l’a vu, et accélérer l’achèvement du travail, objet de préoccupation constante du comité et auquel le ministre de la justice les pousse régulièrement. Quatre commis l’assistent. Après avoir pensé demander une augmentation du nombre des commis appartenant à cette section pour résorber le retard pris, le Comité des décrets trouve une solution plus économique en décidant, à partir de décembre 1792, de faire travailler le dimanche et les jours de fête les quatre commis et le commissaire de la collation des décrets d’aliénation aux Archives nationales.

62 Deux commissaires sont nommés pour l’inspection de la section des décrets. Ils surveillent la correspondance et l’envoi des décrets aux corps administratifs et judiciaires, ils signent toutes les lettres liées à cette activité et rendent compte à chaque séance des difficultés, plaintes ou réclamations qui leur parviennent.

63 Un autre est choisi pour siéger à la Commission centrale, puisque tous les comités sont tenus d’y envoyer un de leurs commissaires. Ceux-ci doivent y porter le relevé du tableau fait par les secrétaires-commis au bureau des secrétaires de la Convention, pour que la Commission soit en mesure de placer aux jours fixés et indiqués, les ajournements prononcés par l’Assemblée et pour que l’ordre des discussions et des rapports ne soit pas interverti.

64 Les inspecteurs ne restent à leur poste qu’un seul mois et ils ne peuvent être réélus dans la même section qu’après un intervalle d’un mois. A la fin de leur exercice, ils doivent faire un compte rendu, inséré dans le registre des délibérations, des travaux effectués dans les bureaux.

65 Chaque commissaire pour son bureau décide des congés accordés aux secrétaires- commis qui en dépendent. Ils en rendent compte en séance. A partir de juin 1793, en fin d’exercice, il dresse la liste des « commis patriotes et dont l’assiduité et l’amour du travail »34 ont été constatés et auxquels il donne un certificat. Seuls ceux qui ont été reconnus comme tels sont conservés à leur poste. Chaque commissaire peut adopter des règlements particuliers pour fixer les heures de travail des commis sous leur surveillance. Les horaires sont affichés dans chaque bureau après avoir été adoptés par le comité.

66 Chaque section du Comité des décrets, procès-verbaux et archives a un commis en chef nommé à la pluralité des suffrages à haute voix. Chacun est responsable de la surveillance du travail du bureau et de son organisation pour qu’il n’y ait pas de retard. Le travail extraordinaire doit être assuré comme le travail quotidien, sans ajout de nouveaux commis. Ils rendent compte, également, des compétences de chacun des commis dans leur travail, mais également de leur attitude par rapport aux idées révolutionnaires. Leur titre de chef ne leur donne pas, pour autant, une autorité hiérarchique sur les autres commis qui restent leurs égaux. Le maître mot est la responsabilité attendue de la part de chacun des commis. De ce fait, quand ils dénoncent l’un d’entre eux, le commis accusé est entendu par le comité en présence du secrétaire-commis en chef de son bureau. Il est prévu que si le motif de dénonciation est motivé par les mauvais sentiments d’un commis, celui-ci serait renvoyé et son nom

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inscrit au procès-verbal avec les causes de son renvoi. Son nom serait également affiché dans tous les comités de la Convention et dans les bureaux des ministères.

67 Après les réticences des Assemblées constituante et législative à voir se remettre en place des appareils administratifs, la période de la Convention traduit la spécialisation importante des compétences des députés et de ce fait des secrétaires-commis en opérant des regroupement par domaine d’intervention. Les événements imposent de pouvoir mobiliser rapidement les compétences présentes. On assiste à la mise en place de ce qui peut s’apparenter à un organigramme structuré reposant sur un personnel stable souvent présent dans les bureaux de l’Assemblée nationale depuis 1789.

68 Quand la Constituante crée le Comité des décrets en plein débat sur la définition de la loi, elle entend mettre en place un organe qui lui permette, sans enfreindre le « sacro- saint » principe de la séparation des pouvoirs, de surveiller l’efficacité du pouvoir exécutif dans l’envoi des décrets aux corps administratifs et judiciaires. Le bon fonctionnement de la promulgation présupposant que les étapes précédentes soient également correctement effectuées, l’action du comité va entraîner une modification de l’organisation interne des Assemblées révolutionnaires jusqu’à devenir un intervenant principal dans l’ensemble de la procédure de la surveillance de la rédaction des procès-verbaux, la correction des décrets, leur expédition, leur impression, leur publication, la diffusion de la connaissance des textes législatifs. Son influence va également entraîner une transformation institutionnelle par l’assimilation des missions du bureau des procès-verbaux, qu’elle absorbe complètement, et partiellement du secrétariat de l’Assemblée et des Archives nationales.

69 A partir de cette place privilégiée d’intermédiaire entre le corps législatif, l’exécutif et les administrations dans les départements, le comité met en œuvre, au cours de la Législative et de la Convention, des compétences grandissantes spécialisées dans la gestion de décrets spécifiques que sont les décrets d’aliénation des biens nationaux allant jusqu’au règlement des questions liées aux archives domaniales et judiciaires, les décrets de mise en accusation auprès de la Haute-Cour nationale, les décrets d’admission des députés suppléants. Alors qu’il est par sa taille réduite comme par son rôle limité, l’un des plus petits comités de la Constituante, ce comité perdure pourtant jusqu’à la séparation de la Convention en devenant une institution qui, sans atteindre la dimension d’autres comités de cette période, n’en est pas moins une administration à l’organisation d’envergure dont l’action s’est imposée sous la Révolution autant que celle de comités plus connus.

NOTES

1. Archives nationales [AN], série C 2. Jean MADIVAL et Emile LAURENT, Archives parlementaires. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, 1ère série, 1787-1799, Paris, 1867-.... [AP]. 3. Voir notamment la thèse de droit d’Henri OLIVE L’action exécutive exercée par les comités des Assemblées révolutionnaires, Marseille, 1908, qui crée une séparation assez discutable entre les

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comités, certains n’auraient que des fonctions législatives d’autres que des fonctions exécutives. Le comité des décrets ne relève lui d’aucune catégorie étant complètement ignoré par l’auteur. 4. Il s’agit des sous-séries AB et C des Archives nationales pour l’essentiel. 5. AP, t. 10, p. 159 6. Michel VERPEAUX, La naissance du pouvoir réglementaire, 1789-1799, Paris, PUF, 1991. 7. Jacques GODECHOT, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1985. 8. AP, t. 9, p. 696-697. 9. AP, t. 12, p. 308. 10. AP, t. 16, p. 725. 11. La terminologie employée pour désigner la loi n’avait pas été complètement tranchée. Ces deux anciennes désignations, proclamations et lettres patentes, sont couramment utilisées par les contemporains pour désigner deux modes de promulgation des décrets de l’Assemblée par l’exécutif. Le projet du Comité de constitution du 27 juillet 1789, chapitre II, Principes du gouvernement français, article 23 précisait : « Le Roi peut ordonner des proclamations, pourvu qu’elles soient conformes aux lois, qu’elles en ordonnent l’exécution, et qu’elles ne renferment aucune disposition nouvelle. ». L’article 17 des Articles de Constitution du 2 octobre 1789 le confirme que « Le pouvoir exécutif ne peut faire aucune loi, même provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois pour en ordonner ou en rappeler l’observation. ». Jusqu’à la loi du 2 novembre 1790 qui unifie la promulgation, le ministre de la Justice utilise généralement la forme des lettres patentes pour les envois aux tribunaux en lui attribuant une valeur juridique supérieure à la forme de la proclamation utilisée pour l’envoi aux corps administratifs. 12. AN, D/I§1c/1 13. AN, D/I§1b/2, séance du 12 novembre 1791. 14. L’ensemble de ces registres sont dans la sous-série AN, D/I§1a. 15. AN, AA//25, dossier 882, AA//26, dossier 886 16. AP, t. 35 p. 22. 17. AN, D/I§1b/2 18. AP, tome 44, p. 57 19. AP, t. 49, p. 508. 20. AN, D/I§1a/2 21. Titre III de la Constitution de 1791 sur les pouvoirs publics : chapitre III sur l’exercice du pouvoir législatif, section première sur les fonctions et pouvoirs de l’Assemblée nationale législative et chapitre IV sur l’exercice du pouvoir exécutif (article XXIII). 22. AP, t. 37, p. 689. 23. AN, D/I§1b/6* et 7* 24. AP, tome 52, p. 278, 280 et 455. 25. AN, D/I§1c/1* 26. AP, t. 52, p. 514 27. Elle reprend aussi une tradition administrative qui remonte à la première table chronologique des actes officiels initiée par Louis-Georges de Bréquigny en 1769 dans le cadre de ses travaux à l’Académie des Inscriptions : Louis George Oudard Feudrix de BRÉQUIGNY Table chronologique des diplômes, chartes, titres et actes imprimés concernant l’histoire de France, Paris, Imprimerie royale, 1769-1783. 28. Maria Betlem CASTELLA I PUJOLS, Révolution, Pouvoirs et Information : le contrôle de l’information dans les assemblées Parlementaires (1789-1795), thèse sous la direction de Jean-Clément MARTIN et Lluis ROURA I AULINAS (co-tutelle), Paris I, IHRF, 2008. 29. Sur le rôle des autres comités dans l’élaboration, la publication et l’envoi du Bulletin des lois de la République, voir les articles de Maria Betlem Castella i Pujols sur le Comité des pétitions et de

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correspondance, d’Alain Cohen sur le Comité des inspecteurs de la salle et de Raphaël Matta- Duvigneau sur le Comité de Salut public. 30. Décret de la Convention nationale du 10 prairial an II (29 mai 1794). 31. Tout au long de la Convention nationale, le Comité des décrets connaît pas moins de dix renouvellements partiels, par moitié au terme de la loi du 22 décembre 1792, ou par quart, suite à la loi du 7 fructidor an II (24 août 1795). De plus, le rythme des départs des représentants en mission et de leur retour impose au comité de nombreuses variations dans sa composition. 32. Voir les deux article d’Amédée OUTREY sur les raisons de l’échec de l’application du décret du 7 août 1790 : « La législation révolutionnaire sur les archives, la loi du 7 septembre 1790 », Libr. du Recueil Sirey, 1955 et « Un épisode mal connu de l’histoire des Archives nationales : la tentative de mise en application, par Danton, du décret du 7 août 1790 sur la réunion des archives du Conseil, septembre 1792-avril 1793 », Revue historique de droit français et étranger, 1958, n° 4, p. 530-554. 33. Les lois sanctionnés par le roi et celles qui n’étaient pas soumises à sa sanction ne recevaient pas le même mode de promulgation. La chute de la royauté bouleverse les procédures. En attendant de réformer le système, les législateurs mettent en place des modalités de fonctionnement provisoire et chargent le Comité des décrets de distinguer les décrets qui doivent être envoyés à l’ensemble de la Nation, et qui doivent être imprimés et affichés de ceux qui n’ayant pas un intérêt général n’ont pas besoin d’avoir la même publicité. 34. AN, D/I§1c/1

RÉSUMÉS

Le débat législatif de la Constituante sur la définition de la loi révolutionnaire avait accordé peu de place à une question qui ne semblait pas devoir poser problème, celle de son envoi aux corps administratif et judiciaire. Cependant très rapidement, les pétitions des municipalités et les députés se font l’écho de retard dans la réception des décrets adoptés, de réticences à leur enregistrement par les Parlements. Pour éviter tout risque de désordre, la Constituante crée un comité de surveillance de l’envoi des décrets. Très vite, l’Assemblée nationale lui adjoint la mission de s’assurer de l’exactitude des décrets envoyés. La difficulté de régler définitivement les problèmes liés à l’envoi et les anomalies ou irrégularités qui émaillent les décrets, vaut au comité des décrets d’être reconduit sous les législatures suivantes. L’augmentation de la documentation administrative met en lumière d’autres disfonctionnements liés aux procédures plus complexes appliquées à la gestion des décrets d’aliénation des biens nationaux, ce qui lui permettra de devenir l’acteur de l’organisation du triage des archives domaniales sous la Convention, et des décrets de mise en accusation de la Haute-Cour de la nation de la Législative et des tribunaux de la Convention. Afin d’en assurer un contrôle plus précis, ses compétences sont augmentées de ces deux missions en même temps que le nombre de ses secrétaires-commis est renforcé, et que ses liens se resserrent avec d’autres institutions partenaires que sont le bureau des procès-verbaux et le secrétariat de l’Assemblée nationale, les Archives nationales et le ministère de la justice, allant jusqu’à intégrer dans son service certaines de leurs missions, voire jusqu’à absorber certains de leurs services.

The Committee of Decrees was part of the Committee of the national Assembly of the French Revolution. It has been ignored by historians. This is less a sign of it being unimportant and more

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about record-keeping which made its operations only partly visible to historians. By setting up the Committee, the original aim of the members of the National Assembly was to create a temporary Commission that would supervise the sending out of decrees. This was in fact a temporary solution until the final adoption of the new Constitution. It was beset by difficulties because there were so many stake-holders in developing the law. As a result, it was transmitting the law very slowly to the various administrative bodies. It was all very uneven and unstable. The Commission became the Committee to speed things up and send out legislation. It became a permanent player, accountable to the National Assembly, the National Archives, the Minister of Justice, the King and various administrative departments. The National Assembly and the National Convention confirmed the importance of the Committee. It was a cog in the operation of the High Court in Orleans. It was also an instrument to verify the citizenship of members of the National Assembly prior to their admission. Its monitoring role and the sending out of orders to all the precincts of the National Assembly was evolved through the creation of the Bulletin de lois de la République. It played a key role in the economics of the French Revolution by setting out decrees for property and the payment of pensions. Under the Convention thermidorienne, the Committee was responsible for the general management of the Republic’s archives. It sorted out records as defined in the Act of 7 Messidor II.

INDEX

Mots-clés : Comité des décrets, lois révolutionnaires, Archives nationales, Révolution française Keywords : Committee of Drecrees, National Archives, revolutionary laws, French Revolution

AUTEUR

MARTINE SIN BLIMA BARRU Doctorante à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, EA127/UMS 622 IHRF, chargée d’études documentaires aux Archives nationales

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