Jean-Louis Bory
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JEAN-LOUIS BORY MARIE-CLAUDE JARDIN JEAN-LOUIS BORY PIERRE BELFOND 216, boulevard Saint-Germain 75007 Paris Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre, aux Éditions Pierre Belfond, 216, bd Saint-Germain, 75007 Paris. Et, pour le Canada, à Edipresse Inc., 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, H3N 1W3. ISBN 2.7144.2568.2 Copyright © Belfond 1991 A Gil et Jacques LE CLICHÉ « A chaque fois qu'on ouvre un tiroir d'où s'échappe une bribe de la vie de Jean-Louis se déroule un fil qu'il faut décoconner et cela appelle l'ouverture d'autres tiroirs — et le processus est sans fin. » Jean Cornec 1 Une année « à marquer d'une pierre drôlement blanche » « Ni idole, ni maître à penser, cela me fait profondément chier », a déclaré un jour Jean-Louis Bory dans une interview. Alors que peut-il encore incarner pour nous une dizaine d'années après sa mort ? Un « maître à exister », comme on l'a dit de son presque contemporain Jean-Paul Sartre ? Dans la mesure où il est passé maître dans l'art du sourire, peut-être... « Souriez, écrit-il dans La Peau des zèbres (p. 206). Allons. N'oubliez pas de sourire. Très important. Pour les autres. Que vous n'avez jamais le droit d'emmerder avec vos histoires de cul. Et pour vous-mêmes. Sou- riez toujours, souriez-vous dans votre glace, dans les vitrines, dans les pare-brise. Vous croirez que tout ne va pas si mal que ça, que tout cela n'a pas tellement d'importance. Souriez pour continuer à vivre. Souriez à en crever. Faites comme moi. » « A en crever... » Il avait oublié qu'on peut mourir de rire. Qu'à trop vouloir faire « comme si », on risque d'y laisser sa peau. Je l'ai connu peu avant que le rire en lui ne se brise. Et le contraste entre le rieur et l'ombre qu'il était devenu était si poignant, si into- lérable, que je n'ai eu de cesse de découvrir le ou les coupables. J'ignorais à quel point l'enquête serait longue et difficile. « L'adieu, la nuit, le trou dans la terre, ça ne collait pas avec cette gourmande, l'à-dieu ça ne collait pas avec cette païenne... » Ainsi parlait-il à la mort de Colette. Vingt-cinq ans plus tard, le 11 juin 1979, il se suicidait. Des années ont passé, et l'envie me vient de lui retourner la formule : le trou dans la terre, ça ne « colle » pas non plus avec ce gourmand qui disait dans Ma moi- tié d'orange : « J'ai faim des autres. En chair et en os. Mon idée fixe. » Rien à faire, on ne se fait pas à cette absence. Ça ne colle pas. Alors on se dit, comme Angelo Rinaldi, « qu'il faut faire quel- que chose ». Et l'on se met à raconter. Comme ça. Simplement parce que ça ne colle pas. Colette... Jean-Louis Bory... Le hasard veut que leurs deux noms aient déjà été réunis. C'était en 1945, le 10 décembre, pour être plus précis. Il faisait un froid glacial, et l'on s'apprêtait à décer- ner le nouveau prix Goncourt. « Que n'ai-je les yeux de mes chats ! » La romancière se fraye difficilement un chemin dans l'obs- curité. A soixante-douze ans, le regard pervenche aux fameuses prunelles effilées en oblique a une fâcheuse tendance à perdre de son acuité. Si seulement Roland Dorgelès ne l'avait pas si lâche- ment abandonnée... Maudites restrictions ! La guerre est terminée, mais les coupu- res d'électricité continuent. Rien ni personne n'est épargné. Ni le restaurant Drouant, ni le jury du Goncourt qui a choisi ce jour pour délibérer. Une bougie au bas de l'escalier, une autre au premier étage — prestement accaparée par l'un des nombreux journalistes pré- sents — , l'éclairage est plutôt maigre. Au pied des marches, le « couvert n° 2 » a bien offert un bras secourable à sa vénérable voisine de table, mais, l'instant d'après, il s'était volatilisé. Sans doute enlevé par un reporter en mal de pronostic. Il en faudrait davantage, cependant, pour entamer la belle humeur de Colette. Depuis plus de vingt ans qu'elle piétinait à la porte des Goncourt, elle se voit doublement récompensée. Élue le 2 mai au « couvert n° 1 », elle a déjà voté une première fois et s'apprête à renouveler l'expérience. Peut-on rêver meilleure revanche ? En effet, pour cette année 1945, les Goncourt auront consacré deux romanciers. La raison en est simple : en 1944 aucun prix n'a été décerné. Le lundi 2 juillet, la première femme à siéger au jury Goncourt depuis Judith Gautier a eu la joie de voir couronner une congénère, Elsa Triolet, récompensée pour son recueil de nouvel- les : Le premier accroc coûte deux cents francs. Une femme élue, une autre primée : on ne pourra décidément plus taxer les Goncourt de misogynie. Un vent d'anticonformisme aurait-il commencé de souffler avec l'élection de la romancière à scandale ? Le vote du 10 décembre va en fournir la démonstration. Lors- que les portes du salon n° 15 s'ouvrent enfin devant Colette à bout de souffle, ses cinq collègues masculins se précipitent à sa rencon- tre. « Il est bien temps », songe à part elle la romancière qui ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour les absents. Sacha Guitry, Jean Ajalbert et René Benjamin — accusés comme on le sait « d'intelligence avec l'ennemi » (« Il me semble en effet n'en avoir pas manqué », aurait rétorqué le premier) — sont momentanément écartés des délibérations. Au grand désagrément de Colette qui ne cache pas son indignation devant ces « procès intérieurs » qu'elle n'hésite pas à qualifier de « dégueulasses ». Mais encore une fois, le plaisir chez elle l'emporte sur la ran- cune, « si — comme elle l'écrira plus tard à sa fille, Colette de Jouvenel — j'ose appeler "plaisir" ces moments d'aigreur et de chichis qu'on nomme réunion d'un jury ». Conciliante, elle sou- rit à Roland Dorgelès et tend une main amicale à André Billy, Léo Larguier, Francis Carco et Lucien Descaves. Le pauvre Justin Rosny, cloué au lit par la grippe, a dû, pour sa part, se résoudre à voter par correspondance. Jamais déjeuner des Goncourt ne se sera déroulé en comité si restreint. Les délibérations n'en seront que plus brèves. Colette prend place au couvert n° 1 sous le majestueux lustre de palmes de cristal. Son choix est déjà fait, et elle est bien déci- dée à mettre tout son poids dans la balance pour le défendre. D'avance elle balaie mentalement toutes les objections. L'auteur est très jeune. C'est son premier roman. Et alors ? La vocation du prix Goncourt n'est-elle pas précisément d'encourager un débu- tant ? Et puis son protégé a le mérite de faire rire, et un ton qui tranche singulièrement avec l'avalanche de bons sentiments et de pathétique qui ne cesse de déferler sur la littérature d'après-guerre. En outre la paysanne qui n'en finit pas de sommeiller en elle fond devant certaines descriptions, comme ce rosier qui fait « éclater le corset de ses boutons » ou ces nuages comparés à « de gros édre- dons au ventre couleur de souris grise ». Sans parler de ce chien « Comme Vous » dont le seul nom fait le régal de son proprié- taire et qui présente tant d'affinités avec son propre « Toby chien ». Décidément, sans hésitation possible, sa voix ira à ce roman dont l'anticonformisme l'enchante. Enfin, quelqu'un pour qui guerre n'est pas forcément synonyme d'héroïsme ; quelqu'un qui sait qu'aux circonstances exceptionnelles répond aussi la banalité. Au milieu de tous ces romans épiques, c'est une bouffée de fraîcheur et de simplicité qui ravit l'auteur du Blé en herbe et de Gigi. Le président Roland Dorgelès, qui siège, conformément à la cou- tume, sous le portrait d'Edmond de Goncourt, est — elle le sait de source sûre — un inconditionnel de Vladimir Porché. A elle de réussir à le convaincre. Et ce défi n'est pas pour déplaire à cette charmeuse. D'autant plus qu'elle se sait déjà un allié dans la place en la personne d'André Billy. Ce dernier, chroniqueur au Figaro, a en commun avec elle d'avoir tambouriné longtemps à la porte des Goncourt. Deux lourds handi- caps pesaient sur lui : non seulement, il était critique — ce qui lui valait l'hostilité de La Varende et de René Benjamin — , mais il appartenait en outre à un journal dont le directeur (Pierre Brisson) avait le tort de « déplaire » à Sacha Guitry. Depuis deux ans, cepen- dant, il est membre à part entière de l'académie Goncourt. Et, par son métier, il est l'un des plus au fait de la vie littéraire. Dans sa maison de Barbizon se côtoie tout ce qui compte dans la France des lettres. Et, comme Colette, il a eu le coup de foudre pour ce jeune romancier qui traite l'Occupation de manière si peu conventionnelle. Moins d'une heure plus tard, la séduction de Colette conjuguée à l'autorité d'André Billy a fait son œuvre : le prix Goncourt 1945 est attribué à Jean-Louis Bory pour son roman Mon village à l'heure allemande. Rarement délibération aura été aussi brève. Seule déception pour la romancière : son charme n'a pas opéré sur Roland Dorgelès. Il est resté inflexible, réservant sa voix à Vladimir Porché et son Amour au Vallespir.