Supplément mensuel

Jeudi 4 février 2010

Numéro 44 I Paraît le premier jeudi de chaque mois III. Entretien avec James Ellroy VI. Riad el-Solh, esprit d'Indépendance I V. Les lettres du père du surréalisme à Aube VII. Todorov ou l’espoir en la fragilité du bien V. L’Oulipo : le jeu au secours du je ? VIII. Patrick Rambaud, Saint-Simon de notre temps

de montrer une scène de triolisme et édito le corps d’une actrice libanaise nue… Catastrophes Interdictions et ignorance Tout comme il lui sera interdit d’ap- La censure, encore et toujours... Au Liban, pays qui se considère comme une démocratie libérale précier l’extraordinaire performance et censure de Sean Penn dans le très sérieux Milk ouverte à la différence et aux singularités, certaines autorités s'arrogent encore le droit de décider de Gus Van Sant (2008), biographie du a fin du monde est-elle vraiment militant homosexuel américain Harvey pour 2012 ou les dieux sont-ils - pour les autres - de ce qui peut être lu, vu, entendu, dit et montré. Comme si le citoyen libanais Milk… pressés d’en finir plus tôt ? Notre n'était pas un être adulte, responsable et averti. Lplanète ne tourne pas rond, elle a l’air d’une Le sort réservé aux articles, aux films « CENSURE (Anas- horloge déréglée. Un séisme qui fauche ame Anastasie. Une tasie), illustre engin diale. S’agit-il de et aux ouvrages jugés subversifs par les 170 000 Haïtiens, l’avion de l’Ethiopian recherche rapide sur liberticide français, la même logique autorités religieuses n’est pas meilleur : Airlines qui s’abîme en mer au large de Bey- le plus farouche de ses née à Paris sous le rè- qui a récemment c’est grâce ainsi à une coordination routh… Dans les deux cas, l’impuissance nouveaux ennemis, gne de Louis XIII. » conduit le Hez- étroite entre dignitaires religieux (chré- Dessin paru dans Le des hommes et l’illustration de la fragilité l’Internet, suffit pour Trombinsocope de bollah à faire tiens et musulmans) et la Sûreté que le de la vie, tributaire du hasard ou d’un caprice tirer certaines conclusions sans appel… Touchatout (Léon pression sur une très subversif et malfaisant Da Vinci de la nature. Où est donc l’horloger ? DSelon un site spécialisé dans l’analyse Bienvenu) en 1874. école beyrou- Code de Dan Brown – devenu presque * * * * des prénoms, Anastasie est en effet thine pour cou- l’équivalent chrétien des Versets sata- La censure au Liban est-elle à deux vitesses ? un prénom « médiéval ». L’âge moyen per des passages niques de Salman Rushdie pour l’église Alors que les ciseaux de la Sûreté générale des personnes qui portent ce prénom du Journal d’Anne Frank d’un livre catholique au Liban ! – n’a pas pénétré s’acharnent contre l’hebdomadaire Le Point est de « 82 ans », révèle ce même site, scolaire, à savoir que l’Holocauste ne nos librairies locales. Des films – au qui consacre un dossier à l’affaire de la burqa avant de préciser que « le pic du siècle » saurait émouvoir ? Inutile de chercher demeurant médiocres – touchant au et découpent soigneusement la page 30 du pour ce prénom était en… 1901. Pas à comprendre : la censure ne réfléchit spectre religieux, comme Stigmata de numéro daté du 21 janvier 2010, mesure de doute, Anastasie est bel et bien un pas, elle n’est que pure interdiction, Rupert Wainwright (1999) ou le Da absurde à l’époque des autoroutes de l’in- prénom « ancien », note enfin le site en sans questions. Vinci Code de Ron Howard (2009) formation, alors que, d’autre part, le dernier question. ont rejoint à l’index l’extraordinaire SAS, intitulé La Liste Hariri, n’est toujours La sphère de l’interdit politique est adaptation de La Dernière tentation pas disponible en librairie bien qu’il ne soit Cet argument suffira-t-il à convaincre malheureusement très souple et exten- du Christ de Nikos Kazantzakis par pas officiellement interdit, on voit pullu- nos censeurs locaux que leurs ciseaux sible à souhait : sous l’occupation sy- Martin Scorsese (1988). Et, sur le plan ler dans nos kiosques des feuilles de chou sont parfaitement archaïques, que leurs rienne, elle passait par la censure des musical, inutile de rappeler la campa- locales, financées par l’étranger ou par des méthodes appartiennent véritablement articles ou des caricatures pouvant por- gne imbécile menée par les autorités groupuscules extrémistes, qui véhiculent à un siècle révolu ? Probablement pas. ter atteinte à l’autorité de tutelle, sous jusqu’au début des années 2000 contre de fausses informations, alimentent les ru- L’humour facile ne sauvera probable- prétexte de « ne pas porter préjudice le hard-rock, avec arrestation en masse meurs, travestissent la réalité, exacerbent les ment pas la liberté d’expression de la aux relations avec les pays frères », ou de jeunes accusés d’être des « adora- antagonismes et multiplient les propos inju- censure, cette « abjecte bêtise » que dé- qui osaient critiquer le chef de l’État teurs de Satan »… rieux ou racistes. Dernier exemple en date, nonçait déjà le poète John Milton en et l’armée. Aujourd’hui, le concept de cet hebdomadaire arabophone qui, cette 1644 dans son Areopagitica. Pour la « pays frère » renvoie désormais spéci- Il ne s’agit que de quelques cas révé- semaine, brosse un portrait critique de Ber- liberté d’imprimer sans autorisation ni fiquement à l’Iran, depuis que la Sûreté lateurs du mal qui ronge le paysage nard Kouchner en prenant soin de titrer, de censure, ouvrage fondateur du libéra- générale a considéré que Persépolis politique et culturel libanais. Pourquoi manière tendancieuse, qu’il est « juif » pour lisme britannique et apologie de la li- de Marjane Satrapi, film d’animation est-il si difficile de transmettre un mes- insinuer qu’il sert la politique d’Israël au berté de pensée face à l’émergence des critique sur la révolution islamique de sage pourtant si simple : à l’ère infor- Moyen-Orient ! Ces propos honteux et an- tyrannies politiques et religieuses. Très 1979 en Iran, portait atteinte aux re- matique, celle des téléchargements sur tisémites, qui oublient que la communauté tôt – bien avant les Lumières –, Milton lations avec Téhéran. Ce n’est qu’au Internet, du piratage, l’interdiction est juive, même réduite, fait partie intégrante de mettait déjà en garde contre les effets terme d’une campagne menée conjoin- caduque, et il y a toujours moyen de la mosaïque religieuse au Liban, sont passés retors de la censure et du formalisme tement par la société civile et certains la contourner. Tout est devenu facile et comme une lettre à la poste et, inexplicable- intellectuel sur la société, dans la me- politiques, notamment au sein même accessible. D’où la nécessité d’éduquer ment, n’ont pas ému Dame Anastasie qui sure où tout progrès, toute évolution, que c’est un article virulent de Samir pies partout sur le territoire libanais, du gouvernement, que le film obtien- au lieu d’interdire, d’éduquer non pas possède pourtant la langue arabe. Pourquoi dépend immanquablement selon lui Kassir, en date de novembre 1999, y compris dans le bastion hezbollahi, dra finalement son visa d’exploitation par la répression, mais par la respon- deux poids, deux mesures ? Et à quels critè- d’une coordination, d’une complémen- contre la censure d’une chorégraphie n’échappera pas à la règle) avec, im- en salles, la Sûreté se réservant toute- sabilisation. La censure engendre en res obéit la Sûreté générale dans ce domai- tarité entre la liberté de l’individu et la de Maurice Béjart sur Oum Koulsoum manquablement, une dérive antisémi- fois le luxe de censurer, probablement effet l’autocensure, c’est-à-dire la dé- ne ? Il est temps que le projet concocté par connaissance. au Forum de Beyrouth qui avait valu tique bien prononcée. Ainsi les œuvres par excès de zèle, près d’une minute du pendance et la répression, la dérespon- notre ministre de l’Information Tarek Mitri au journaliste ses premiers déboires de Frank Sinatra, Enrico Macias, Paul film. sabilisation, l’ignorance, et, au final, la pour organiser la censure soit enfin adopté. Prés de quatre cents ans plus tard, ce avec la Sûreté générale et son grand Newman, et d’autres chanteurs et ac- violence. Il s’agit de l’envers de la ci- La liberté d’expression l’exige. Et la crédibi- sont encore les mêmes arguments que manitou de l’époque ? teurs juifs ont-elle tout bonnement été La censure religieuse et morale obéit toyenneté, fondée sur la responsabilité, lité du Liban. les partisans de la liberté d’expression interdites d’entrée au Liban (chef d’ac- à une logique bien plus simple. C’est elle-même résultante de la liberté. Cela s’acharnent à défendre face aux paran- S’il existe par ailleurs un besoin conti- cusation : propagande pro-israélienne) souvent le sexe et la nudité qui offus- reviendrait, dans le concret, à redéfinir Alexandre Najjar gons libanais de la censure, retranchés nuel d’organiser des conférences et des durant le « mandat » syrien sur le pays, quent. Il faut ainsi s’émerveiller du sur le plan juridique les prérogatives principalement derrière des soutanes séminaires sur ce sujet, c’est bien parce et la « liste noire » élaborée par la Sû- courage des censeurs qui « avilissent » extraordinaires et floues concédées et des uniformes. Inutile de dire que que, d’année en année, le « domaine » reté générale n’a eu de cesse de s’allon- leurs âmes en visionnant, très certai- dans ce cadre à la Sûreté générale et à Comité de rédaction : le monde arabe, immergé dans le déni de la censure ne cesse de s’étendre, au ger indéfiniment. Les descentes menées nement horrifiés, les scènes les plus s’orienter forcément vers une adoption Alexandre Najjar, Charif Majdalani, de sa splendeur d’antan, endormi par gré des angoisses existentielles de cer- contre le Virgin Mégastore et les saisies croustillantes des films, afin d’expur- des normes européennes (déjà sévères Georgia Makhlouf, Farès Sassine, la tyrannie et l’extrémisme, embourbé tains groupes religieux ou des change- d’un lot de CD et de DVD au début des ger l’image, et d’assurer ainsi le salut d’ailleurs) en matière d’interdiction Jabbour Douaihy, Ritta Baddoura. dans le complexe de l’avortement de ments de rapports de force en faveur années 2000 sont restées bien gravées de leurs frères… Le peuple libanais est (de restriction plutôt) des films ou des Coordination générale : Hind Darwich l’expérience nahdawie par l’Occi- d’une idéologie ou d’une autre. Une dans les mémoires. Plus récemment, et si pudibond, il est vrai… Si puritain supports médiatiques en fonction de Dessinateur censuré : Mazen Kerbaj dent, et vieillissant donc en marge de typologie rapide montrerait en effet à titre d’exemple (les cas sont innom- qu’il n’est toujours pas prêt à pouvoir catégories d’âge bien établies. Le règne Correction : Marilys Hatem la modernité, ne se trouve guère logé qu’il existe au Liban, depuis la fin de la brables), il existe au Virgin Mégastore apprécier l’audace d’une metteuse en de la censure sauvage et anarchique Ont contribué à ce numéro : à meilleure enseigne. C’est bien pour- guerre en tout cas, deux sortes de cen- un coffret de DVD frappé d’un auto- scène qui tente d’adapter les Mono- ne peut plus perdurer : il va plus que Fifi Abou Dib, Ritta Bassil el-Ramy, quoi l’observatoire SKeyes a organisé sure : l’une touchant au champ poli- collant de la Sûreté, qui informe l’ache- logues du vagin d’Eve Ensler au cadre jamais à l’encontre de l’évolution de Antoine Boulad, Katia Ghosn, Michel la semaine dernière à Beyrouth un sé- tico-idéologique, et l’autre au domaine teur qu’il ne pourra pas retrouver l’un libanais (deux agents de la Sûreté assis- l’homme et du sens de l’histoire. Il ne Hajji Georgiou, Henry Laurens, Youssef minaire d’une journée entière consacré moral et religieux. des films à l’intérieur du boîtier. Celui- taient chaque soir aux représentations s’agit plus que d’un reliquat du passé, Mouawad, Nada Nassar-Chaoul, Fady à la censure, avec des interventions de ci, au contenu jugé « subversif », a été de la pièce Hake Neswen – 2006 – de destiné uniquement à maintenir cer- Noun, Lamia el-Saad, Josyane Savigneau. journalistes et de chercheurs libanais, Dans le premier type de censure, l’at- saisi par la censure : il s’agit de Judg- Lina Khoury, pourtant déjà copieuse- tains esprits dans un état d’assurance Supplément publié en partenariat avec la arabes et internationaux – le tout sous tention a de tout temps surtout été fo- ment at Nuremberg (1961) de Stanley ment censurée avant d’obtenir son per- illusoire qui n’est autre que le récon- Librairie Orientale et la Librairie Antoine. l’œil toujours bienveillant de l’autorité calisée sur le boycott d’Israël (le film Kramer avec Spencer Tracy et Burt mis d’exploitation), ou celle d’un jeune fort de leur médiocrité. L’avenir n’est E-mail : [email protected] locale de référence en la matière, la Sû- d’animation israélien Valse avec Ba- Lancaster, qui se penche sur les atro- réalisateur, Marc Abirached, dont le fait que de liberté. www. lorientlitteraire.com reté générale. Initiative qui n’est, après chir, pourtant projeté au cœur même cités commises par les nazis contre les péché ignoble justifiant l’interdiction tout, que pure logique : faut-il rappeler de la banlieue sud et disponible en co- juifs durant la Seconde Guerre mon- de son film Help (2009) en salles sera Michel HAJJI GEORGIOU II Au fil des jours Jeudi 4 février 2010 Le point de vue de Youssef Mouawad L’image du mois Agenda Le Festival du livre d’Antélias Procrastinations Le Festival du livre d’Antélias se tien- serais-je, dirais-je ministère des Réformes ! Beyroutes dra du 6 au 21 mars Au programme : que notre républi- hommages, conférence et signatures. Oque est bananiè- Lisez al-Dabbour des années re et qu’il ne faut surtout quarante aux années soixan- pas tenter de remédier à te, consultez The Precarious Le Prix de littérature libanaise l’état des choses qui pré- Republic, rien n’a changé de- Le Prix de littérature libanaise sera vaut ? Admettons une fois puis les décades du mandat, décerné le 1er mars prochain à Bey- pour toutes que notre sys- tant qu’une partie libanaise routh aux meilleurs livres (poésie, tème politique n’est qu’un voudra jouer dans la cour roman, essai…) d’expression arabe pis-aller, un machin qui vit D.R. des grands, tant qu’elle parus en 2009. Institué par le Conseil d’expédients à défaut de mieux. aura des ambitions démesurées, tant du travail libanais d’Abou Dhabi, qu’elle ne prendra pas en considé- il est doté d’un montant de 50 000 L’important est de ne pas laisser les ration le bien public commun. Tant USD, le lauréat recevant 25 000 USD choses s’envenimer, ni le dialogue s’in- que le consensus transitoire ne se et chacun des 5 autres finalistes la terrompre. Ah, si l’on pouvait rester fera qu’au bord du précipice et au somme de 5 000 USD. dans les limites de cette dissension dernier quart d’heure ! contrôlée. Surtout qu’on n’aille pas au conflit civil, qu’on ne coure pas à la On nous parle de crise profonde, mais catastrophe. Comme si on n’y était pas quand n’a-t-on pas vécu en situation Actualités déjà, diraient les uns ou les autres ! de crise !? Et puis, n’avons-nous pas Décès d’Eric Segal et J.D. toujours reculé les échéances à telle Salinger Non, on n’y est pas encore, et notre enseigne que les années de paix ci- L’écrivain américain Eric Segal, culture politique est si flexible, si vile relative ne constituaient que des l’auteur du best-seller Love story, malléable qu’elle peut s’accommoder veillées d’armes intitulées al-silm al-ahli l’histoire d’un couple dont la femme de toute violation et de toute ma- al-bared ? Avouons une bonne fois pour est atteinte d’un cancer, vient de dé- gouille. On peut bien faire le silence toutes que la procrastination a été le céder. Le film tiré du livre, interprété sur un massacre et fermer les yeux secret de notre pérennité, en d’autres par Ryan O’Neal et Ali MacGraw, sur quelque assassinat politique ! termes, notre voie royale. a été vu par 70 millions de specta- Une petite entorse faite à la Consti- teurs lors de sa sortie en 1970 ! Un tution par-ci, par-là, n’a jamais jus- On nous parle d’un blocage définitif, autre écrivain de renom, Jerome tifié un recours devant le Conseil d’une paralysie des institutions, mais © Jannette Gaussi David Salinger, est mort le 27 janvier constitutionnel ! à la première éclaircie régionale, tout Beyroutes est un manuel de terrain Suivant un parcours initiatique qui que perçue ou imaginée par certains à l’âge de 91 ans. Il avait rencontré va rentrer dans l’ordre, et la crise ac- pour l'explorateur urbain du XXIe va de Hamra à Borj Hammoud, témoins. le succès en 1951 grâce à son chef- Aurions-nous perdu le sens de la me- tuelle ne sera qu’un mauvais souvenir ! siècle. À vrai dire, il est surtout un en passant par le bord de mer, la d’œuvre L’Attrape-cœurs et n’avait sure ? Et puis n’a-t-on pas vu les colla- Car les bonnes fées veillent sur nous, passionnant et amusant compte rendu banlieue Sud et Achrafieh, le lecteur Initié par l'association Studio Beirut plus rien publié depuis 1965. Il vivait borateurs, ceux du 8 Mars, et les insur- l’Iran et l’Arabie saoudite, les USA et collectif d'études et d'observations thé- (re)découvre d'abord la ville vue par en collaboration avec Partizan Pu- isolé à Cornish, un village du New gés, ceux du 14 Mars, constituer sans l’UE et bien entendu la France qui a matiques et critiques, sur et autour de d'innocents touristes dans les premiè- blik, Archis et la Pearl Foundation, Hampshire. état d’âme un gouvernement d’union porté le Liban sur les fonds baptis- la capitale libanaise. Les 36 différents res minutes de leurs pérénigrations. l'ouvrage, de très belle facture, est nationale et de salut public ? L’essen- maux, sans oublier la Syrie pour faire contributeurs offrent au lecteur/voya- Vient ensuite la ville officielle dans ses édité aux Pays-Bas, avec le soutien tiel est de perdurer, de s’accorder un plus œcuménique, tout le monde étant geur/habitant autant de clefs de lecture quartiers et ses fonctions, suivi de la de la fondation Prince Claus. Il sera Le festival Étonnants voyageurs sursis, de sauver la mise en s’imposant de la partie. pour décrypter l'espace urbain et la vie ville sensible, colorée et riche d'émo- prochainement en vente dans toutes au cœur du séisme la règle du rabibochement et de la combina- à Beyrouth. tion, et enfin la ville inventée, telle les bonnes librairies au Liban. Le festival Étonnants voyageurs qui zione qui a fait ses preuves par le passé Cette divine imposture, notre démo- se tient chaque année à Saint-Malo et qui nous servira de planche de salut cratie, ce pays de Cocagne qu’est le nô- se préparait à inaugurer la deuxième encore une fois ! tre après tout ne peut prétendre rem- édition du festival à Haïti quand le plir les conditions d’al-madina al-fâdila Coup de cœur séisme a frappé l’île antillaise. Les Alors pourquoi nous laisse-t-on enten- ou d’une quelconque Utopia. Nous vi- 50 écrivains invités à participer à dre que nous pouvons réformer le sys- vons dans une principauté d’opérette, l’événement à Port-au-Prince n’ont tème ? En le laïcisant, en le décentrali- et cette forme toujours inachevée de pu prendre l’avion à Orly et ont sant, en l’aseptisant, en le pasteurisant république est probablement la forme Sollers entre profane et sacré échappé de peu à la catastrophe. Les pour le rendre immune à la corruption, la plus accomplie à laquelle les corps Initiation à la lecture de toute l'œuvre de Philippe Sollers, Discours parfait organisateurs du festival qui étaient au clientélisme et au népotisme, et qui constitués peuvent prétendre sans ris- déjà sur place, à savoir Michel et plus est, en rendant opérationnel le que de s’essouffler. est une mosaïque d’érudition, qui discipline dans la dispersion ce que Mélani Le Bris, Dany Laferrière et Lyonel Trouillot, sont saufs, un peut être ce fascinant romancier, essayiste, éditeur et fondateur des miracle quand on sait que leur hôtel, revues Tel Quel et L’Infini. le Karibé, s’est partiellement effondré. Actu BD L’écrivain et géographe québécois Discours Parfait de Philippe Sollers,Gallimard, d’origine haïtienne Georges Anglade Le retour du Templier Dungeon Quest 918 p. démonstration d’érotisme floral ». jamais mettre à l’imparfait, toujours a eu moins de chance puisqu’il a tra- Après le succès t.1 (L'Asso- au présent ». Dans la continuité des giquement péri avec sa femme. du premier ciation), le « La Connaissance comme salut » part évangiles selon Sollers, la partie « Sa- tome de l’adap- prix du Public e dernier livre de Philippe Sol- d’une série de questions que posent cré Jésuite » salue l’« insolite et in- tation en BD de FNAC-SNCF à lers, Discours parfait, est un François Meyronnis, et Yannick Hae- solent » Baltazar Gracián. Le Héros son roman Le Michel Raba- recueil de critiques littéraires nel. Le point de départ est une méta- n’est pas le Prince, qui « n’est l’homme dernier Tem- gliati avec Paul oùL défilent, dans un désordre alphabé- phore du savoir, la découverte en 1945 d’aucune communauté, d’aucun parti, Francophonie plier, Raymond à Québec (La tique et chronologique, les plus grands à Nag Hammadi, en Égypte, des textes il s’exerce, il se protège, il est d’une L’OIF se solidarise avec Haïti Khoury sort Pastèque), le noms du panthéon littéraire exhumés enfouis probablement au IVe siècle et audace avisée ou d’une intelligence « Face à la catas- ces jours-ci le prix de la Série dans le parfum des fleurs. qu’on croyait perdus. L’ex- intrépide ». Ce Garcián, quoique jé- trophe majeure second tome, à Alain Dodier suite, participe par ces traités au mou- qui vient de frap- intitulé Le che- avec Jérome K. L’entrée en matière est donc consacrée vement de contre-réforme catholique per à nouveau valier de la crypte et illustré par Mi- Jérome Bloche aux fleurs dans une étude presque qui engendre, après le Concile de Haïti, je souhaite guel. On y retrouvera l’agent Reilly, T.21 - Déni de académique partant de son en- Trente, le baroque. Sollers bascule exprimer, au nom lancé à la recherche des mystérieux fuite (Dupuis), trée historique en France, via ensuite dans les métamorphoses de la communau- Templiers qui ont attaqué le Metropo- le prix Révéla- la Hollande. Rose, orchidée, d’Eros, des Secrets sexuels, de té francophone, litan Museum. tion àCamille lys… Lys maudit, lys sacré, l’érotisme de Baudelaire du notre solidarité

Jourdy avec accompagnateur de l’an- « Sexe et des Lumières », et notre soutien D.R. Rosalie Blum nonce faite à Marie, lys et appelle à un retour au aux populations haïtiennes, ainsi que Départ du père d’Alix T.3 (Actes Sud), emblème du royaume XVIIIe siècle dans « Ral- nos condoléances les plus sincères Jacques Martin le prix Regards de France avec Philippe lumons les Lumières » aux familles des victimes », a déclaré s’est éteint le 21 sur le monde à Le Bel… De Yahvé à où il constate que « les Abdou Diouf, secrétaire général de la janvier dernier David Prudhomme avec Rébétiko, la Appolen (dieu crée par Français vont mal parce Francophonie, dans un communiqué à l’âge de 88 mauvaise herbe Sollers), le lecteur ap- qu’ils n’aiment pas leurs diffusé au lendemain de la tragédie. Il ans. Consi- (Futuropo- prend le fonctionne- Lumières ». a lancé un appel pressant aux États et déré comme le lis), le prix de ment sexuel reproduc- gouvernements membres de la Franco- dernier grand l’Audace à Jens teur des fleurs et, guidé Enfin, parmi les ré- phonie pour qu’ils se mobilisent très représentant Harder avec par l’acuité de l’analyse, flexions menées, une pla- rapidement face à la situation d’ur- de l’école de Alpha... direc- replonge dans l’histoire ce importante est accor- gence provoquée par ce séisme sans Bruxelles, cet tions (Actes Sud littéraire. Du Cantique des dée à l’antisémitisme dont précédent et qu’ils viennent en aide ancien collabo- BD), le prix Cantiques à Joyce, en pas- « l’ histoire latente n’a pas massivement à la population haïtienne rateur d’Hergé Intergénéra- sant par Guillaume de Lorris été surmontée ». La raison ? en détresse. et de Jacobs tions à Mathieu (le Roman de la Rose) et par L’ignorance. Sollers déplore la s’était distingué Bonhomme l’amant de la Rose, l’audacieux confusion entre l’être juif et l’État grâce à la série et Gwen de Bonneval avec L'Esprit Dante, « Fidèle d’Amour », buvant hébreu, « il me semble qu’à la faveur Le Mois de la francophonie en historique « Alix ». Atteint d’une af- perdu (Dupuis), le prix du Patrimoine « avec les yeux » les fleuves de la mort. du conflit israélo-palestinien, quelque préparation fection oculaire vers la fin des années à Carlos Gimenez avec Paracuellos Ronsard, La Bruyère, Shakespeare, chose comme l’ignorance resurgit » . Comme chaque année, de concert 1980, il avait fait appel à plusieurs (Fluid glacial) et le prix Jeunesse Omar Khayyam, « l’un des esprits les humation de ces gnostiques Une mauvaise lecture du conflit, mais avec le ministère libanais de la collaborateurs (Bob De Moor, Thierry à Julien Neel avec Lou T.5 - Laser plus libres de tous les temps », Vol- s’inscrit dans un temps précis qu’est la aussi une ignorance totale de la Bible Culture, les ambassades francopho- Cayma, Gilles Chaillet…) pour assu- Ninja (Glénat). taire, Rousseau, « l’inventeur d’ins- fin de la Seconde Guerre mondiale et dont Sollers prêche la lecture comme nes, l’OIF et l’AUF proposent un rer la pérennité de ses personnages. À mentionner tants », Mallarmé, Baudelaire, Bec- le début d’une nouvelle période. Une point de départ de l’histoire occiden- programme d’activités francophones aussi le Fauve kett, Proust, ce « moment d’éternité » halte temporelle et philosophique se tale, dans le sens qu’en donne Hemin- au Liban au cours du mois de mars, d'Angoulême, dans la métamorphoses des senteurs, fait par le biais des évangiles. Halte gway où la littérature – sacrée dans le « Mois de la francophonie ». Une Mort de Tibet prix de la dans la « virulence printanière » de ses stylistique, qui traite de l’emploi du cas de la Bible – n’est qu’un « baromè- brochure et un site Web sont en cours Le dessinateur franco-belge Tibet est bande dessinée intermittences, dans les jardins des in- présent dans l’incarnation comme Pa- tre » de l’état historique. d’élaboration. mort le 2 janvier dernier à l’âge de alternative, dé- tenses émotions où l’auteur de La Re- role « le commencement est le Verbe » , 78 ans. Né à Marseille, il avait créé à cerné à Special cherche « se lance dans une incroyable célèbre formule de Jean « qu’il ne faut Rita Bassil el-Ramy partir des années 50 le cow-boy Chick comics No3 pu- La Francophonie aux JO de Bill (70 albums environ depuis 1954) blié à Nanjing Meilleures ventes du mois à la Librairie Antoine et à la Librairie Orientale Vancouver et, en collaboration avec André-Paul (Chine). La Francophonie sera présente aux Duchâteau, le personnage du journa- Auteur Titre Éditions Jeux olympiques et paralympiques liste Ric Hochet (76 albums depuis 1 Dan Brown Le symbole perdu Lattès d’hiver 2010 qui se dérouleront à 1963). Sarko et fils 2 Carla Eddé Beyrouth, naissance d’une capitale Actes Sud Vancouver du 12 au 28 février 2010. C’est le 5 février que sort Sarko et fils, 3 Yasmina Khadra L’Olympe des infortunes Julliard Délégué par l’OIF, Pascal Couche- par Benoît Delépine et Diego Aranega pin sera présent aux JO pour veiller 4 Muriel Rozelier Une vie de pintade à Beyrouth Calmann-Levy Le palmarès d’Angoulême 2010 qui raconte « les hilarantes tribu- au respect de la langue française et Le Festival d’Angoulême 2010 vient lations d’un président et son fils ». 5 Philippe Sollers Discours parfait Gallimard promouvoir la francophonie interna- de fermer ses portes. Dix prix y L’album est présenté sous forme de 6 Jacques Attali Le sens des choses Robert Laffont tionale. En outre, un événement fran- ont été décernés dont le Fauve d’or, chéquier édité par « la Banque prin- 7 Véronique Olmi Le premier amour Grasset cophone présidé par Abdou Diouf, prix du meilleur album 2010 à Riad cière de Neuilly » et réunit plus de 30 8 Lionel Jospin Lionel raconte Jospin Seuil secrétaire général de la Francophonie, Sattouf avec Pascal Brutal t.3 - Plus gags concoctés par le duo Delépine/ aura lieu à Whisler, ainsi que des Jacques Chirac Chaque pas doit être un but NiL fort que les plus forts (Fluide glacial), Aranéga qui sévit dans les pages de 9 animations culturelles, place de la le Prix spécial du jury à Joe Daly avec Siné Hebdo. 10 Marc Levy La première nuit Robert Laffont Francophonie, à Vancouver. Jeudi 4 février 2010 Entretien III

Né en 1948 en Californie, James Ellroy vaillez-vous pour parvenir à ce son ? Il a véritablement vécu, jeune, dans les années 50 et 60, mais il n’a pas fait les est considéré comme l’un des grands noms Chaque mot doit être parfait. Chaque choses que je lui fais faire dans le ro- syllabe, chaque paragraphe. Je le sais man : il ne rentrait pas clandestinement du roman noir. Son exceptionnel talent se quand je l’écris et que je le prononce à dans les villas bourgeoises pour voler révèle dans une construction subversive et voix haute. les culottes des dames. C’était moi qui faisais cela. En somme, Crutchfield labyrinthique du polar, relayée par la complexité Quels sont les poètes que vous lisez ? c’est moi, et moi c’est lui. psychique des personnages. J’aime surtout la poésie d’Anne Sex- C’est la première fois que votre œuvre ton, mais aussi celle de T.S. Eliot, W.H. porte des personnages féminins aussi ames Ellroy, invité de la noire de l’histoire des États-Unis, Auden et Shakespeare. J’ai en mémoire intrigants et centraux. Que dit ce librairie Sauramps/Mont- eux-mêmes considérés comme le ter- 7 ou 8 vers et citations que je garde en changement dans le dernier volet de pellier dans le cadre de sa rain de prédilection du roman noir ? réserve, mais ma lecture de la poésie ne la trilogie ? tournée mondiale autour va pas plus loin que cela. de son dernier Underworld Je ne pense pas que c’était une période Une série de femmes ont influencé USA, a littéralement drainé la foule. particulièrement noire. J’y ai bien sur- Mais le titre original de votre roman, mon écriture dans ce roman. Partie 1 SonJ roman arrive en tête des meilleu- vécu ! C’est vrai aussi que je n’étais Blood’s a Rover, est extrait d’un poè- de ma réponse : j’ai au début adopté le res ventes en France et devance al- pas très lucide à cette époque et n’en me… style de American death trip, puis ma lègrement les succès commerciaux garde pas un souvenir très clair : je fai- seconde ex-épouse m’a dit que c’était français et américains. La presse va sais les quatre cents coups. En gros, C’est vrai. Ces vers sont coincés dans trop long et trop complexe. Elle s’ap- jusqu’à parler d’une « ellroymania » . j’ai adopté un cadre plutôt cinémato- ma tête. Il s’agit d’un extrait d’un poè- pelle Helen Knode, elle-même roman- Qualifié de « chien démon de la lit- graphique de cette période, un genre me de A.E. Housman dont je n’ai pas cière publiée aussi par Rivages. Partie térature américaine » (et qui le re- de Paramount, et puis j’ai réécrit l’his- vraiment lu la poésie. Il y parle d’un 2 : j’ai fait une dépression nerveuse lors vendique), ou encore de « géant du toire à ma sauce, en accord avec mes certain type d’hom- de laquelle Helen a polar mondial », Ellroy a la verve propres spécifications. mes qui errent dans divorcé de moi. Puis d’un Pound ou d’un Truman Capote. le monde entier, at- j’ai eu une relation, Sa lecture-performance d’extraits de Los Angeles est un endroit phare de tirés par la merde. « Chaque sorte de mésalliance son roman est brutale et cette trilogie. Vous y êtes Je préfère de loin ce mot doit être passionnée avec une captivante. Ouverte par récemment revenu suite titre qui désigne bien femme de gauche de petits aboiements, elle à des années d’absence. mon roman, à celui parfait. Chaque nommée Joan, puis clame parmi les passages Quels rapports avez- choisi par mon édi- elle m’a quitté à son les plus agressifs et sar- vous avec cette ville ? teur français. syllabe, chaque tour. De retour à castiques du récit. Ellroy L.A., j’ai eu une re- n’a pas la langue dans sa Je suis né à L.A. Cette On note dans votre paragraphe. Je lation avec Candie, poche – ce qui offusque ville a énormément chan- roman une forte pré- le sais quand je une femme mariée certains – mais porte le gé avec le temps et je la gnance de la mort et mère de deux filles sens exactement là où il recrée dans l’écriture à de la disparition, les l’écris et que je qui m’a aussi lar- faut. Son écriture s’en ma façon. C’est l’endroit personnages étant gué. Partie 3 : j’ai trouve incisive et juste, où je reviens quand je di- plus forts dans l’ab- le prononce à réalisé qu’il me faut hachurée d’un inimitable vorce ou qu’une femme sence que lorsqu’ils voix haute. » écrire une histoire humour noir et imbibée m’abandonne comme un étaient vivants. Un- au sujet d’un garçon de sex-appeal et des horreurs des bas- chien la queue entre les jambes. C’est derworld USA est-il selon vous un ro- perdu qui tombe de manière improba- fonds. aussi l’endroit où il y a tous les gens man sur la mort ou sur la vie ? ble dans une société politiquement in- que j’aime. Aujourd’hui, elle est plu- © Marion Ettlinger correcte, caractérisée par des femmes Dernier volet de la trilogie commen- tôt surpeuplée et difficile, mais il reste C’est un document spirituel qui recon- puissantes. C’est ce qui a donné ce der- cée avec le magnifique American Ta- que c’est une ville où il fait bon vivre, naît l’importance du croire et de la ré- nier roman. bloïd, suivi par American Death Trip, surtout pour un homme de mon âge : volution, l’importance de la possibilité Underground USA s’ouvre sur l’été 61 ans. Je n’ai jamais donné un sens de changer de vie. C’est aussi un docu- Il a fallu que vous soyez quitté par des 1968 : Martin Luther King et Robert conscient à mes sentiments envers James ment spirituel concernant la proximité femmes fortes afin d’introduire des Kennedy ont été éliminés, la conven- L.A. et ma relation à elle. L.A. est en de Dieu tout-puissant et d’hommes personnages féminins puissants dans tion démocrate de Chicago sabotée, moi. foncièrement mauvais à côté de fem- votre dernier roman. Que faudra-t-il Howard Hughes escroqué par la ma- mes puissantes et rédemptrices. Oui! vous arriver afin que vous donniez à fia dans une affaire de casinos de Las Vous décrivez une Amérique très ra- Ellroy :« J’ai Je crois en les êtres humains, mais je un prochain roman une femme com- Vegas, les militants noirs à la veille ciste. Est-ce que vous pensez qu’elle a crois encore plus en Dieu. Je suis un me personnage principal ? d’une insurrection dans les quartiers changé aujourd’hui ? mystique et un théocrate et j’ai surtout sud de Los Angeles, et le FBI, toujours confiance en l’invisible. Je ne vous dirai qu’une seule chose : J’ai sous la houlette de J. Edgar Hoover, OUI ! confiance en rencontré LA femme. Vous pouvez no- tentant tout pour les infiltrer et les Est-ce que les trois principaux per- ter son nom : Erika Schickel. Souvenez- anéantir. Au carrefour de ces tensions, Vous diversifiez dans vos romans, ce- sonnages du roman : Dwight Holly, vous de ce nom. Voilà ma réponse. trois hommes se croisent : Dwight lui-ci en particulier, l’usage des gen- Wayne Tedrow Junior et Don Crut- Holly, l’exécuteur des basses œuvres res et vous utilisez des « documents en l’invisible » chfield sont symboliques de l’histoire Vous commencez ce roman par de Hoover, Wayne Tedrow Junior, encart » qui contiennent des coupures Votre écriture est bourrée de détails pour vous personnellement, ou est-ce américaine ? « Alors » et chapeautez le dernier cha- ancien flic et trafiquant d’héroïne, et de presse, mais aussi des rapports du multiples, inimaginables. Est-ce que propre à la conjoncture du récit ? pitre par « Maintenant ». Alors à notre Donald Crutchfield, jeune détective FBI, de la police et des transcriptions les détails construisent le récit et dic- Don Crutchfield ressemble à l’un de tour de vous demander : « Et mainte- obsédé par les femmes. Les trois sont de conversations téléphoniques, des tent son élaboration ou est-ce la ligne Je ne suis pas conscient de mes ré- mes amis dans la vraie vie. Tedrow et nant » ? à la recherche d’une splendide et dé- extraits de journaux intimes. Com- de la trame qui est tracée au départ férences répétitives concernant la Dwight sont des personnages fictifs, routante inconnue radicale surnom- ment faites-vous pour orchestrer tout afin que les détails s’y ajoutent par température, mais je peux vous dire des assassins, des êtres bas qui essaient En novembre prochain, Rivages pu- mée la « Déesse rouge ». cela ? la suite ? qu’il fait très chaud dans cette pièce ! de profiter du malheur des autres. Ils bliera The Hilliker Curse qui revient J’aime le froid. Je vais en Finlande le ne représentent pas l’Américain ordi- entre autres sur ma relation avec ma James Ellroy braque les projecteurs Ce roman présente de grands moments Je commence la recherche très tôt, mois prochain. Il y a beaucoup de ren- naire, pas plus que ce roman ne repré- mère dont le meurtre n’a jamais été sur un univers underground qu’il historiques complexes et se base sur j’engage des chercheurs afin d’éviter nes qui copulent au grand air là-bas ! sente les E.U. en général. Il met plutôt élucidé. Mon histoire avec ma mère parvient à élever au rang d’un grand de vrais ouvrages historiques infiltrés des erreurs dans la chronologie de Beaucoup de chose sortent incons- en scène des personnages qui sont un n’est pas une histoire de crime mais événement littéraire. Mais attention, de faux documents policiers et de faux l’histoire. Je prends des pages et des ciemment quand j’écris. Il y a aussi le mélange de mercenaires, de mauvais une histoire d’amour, et c’est pour cela Underground USA (131 chapitres en extraits de journaux intimes. J’adopte pages de notes : le plan de ce roman fait que les personnages d’Américain politiciens et de personnalités ratées que le roman traite particulièrement tout sur 800 pages et quelques) n’en essentiellement deux types de techni- fait 400 pages. Ainsi, quand je com- blancs dans mon roman se trouvent du show-biz C’est un roman qui re- de ma relation avec les femmes. Ce qui demeure pas moins un polar au style ques qui permettent au lecteur de re- mence à écrire, je sais exactement où déplacés dans des lieux comme Haïti, présente une tranche particulière de la est surtout étonnant, vu tout ce que je original et réinventé depuis les romans mettre à jour les infos. La première lui va mener l’histoire. J’ai alors la gigan- le Vietnam, ou la République domini- société qui évolue dans quelque chose vous ai dit ce soir, c’est qu’il a une fin phares que sont Le Dahlia noir, White donne la possibilité d’avoir accès aux tesque superstructure à laquelle j’in- caine. Ils ne s’y sentent pas à l’aise à appelé « la Vie ». heureuse ! jazz ou encore L.A. Confidential. Sa documents confidentiels de police ou jecte des détails en improvisant avec cause des grandes chaleurs auxquelles trame complexe et fascinante exige du aux articles des tabloïds en dehors de un sens de l’immédiat et du vivant. ils ne sont pas habitués. Est-ce que Don Crutchfield est le per- Propos recueillis par lecteur une attention également pro- l’existence intime des protagonistes, sonnage qui vous ressemble le plus ? Ritta BADDOURA fonde et passionnée. et une autre de percevoir les faits du Les références au climat et à la tem- En vous écoutant lire des passages du point de vue interne des personnages pérature se présentent de manière roman, on est frappé par la puissan- C’est un ami. Je l’ai payé pour être dans Underworld USA de James Ellroy, traduit par JP La période abordée par votre roman concernés. Ainsi, il a différents angles obsédante dans tous les chapitres du ce sonore et rythmique, le choix des le bouquin. Je l’ai rendu plus jeune et Gratias du titre original : Blood’s a Rover, Rivages/ peut-elle être décrite comme la plus de vue d’un même fait. roman. Est-ce un détail important mots, la musicalité… Comment tra- plus beau qu’il n’est dans la vraie vie. Thriller, 2010, 841p. Roman Autoportrait décalé Si Entrée des fantômes est un texte hanté par la mémoire, c’est par éclats, par boiteux célèbres, de Byron à Talleyrand – dont le portrait est particulièrement fragments. Il s’agit d’un autoportrait décalé, avec tout ce qui caractérise réussi et surprenant. l’art de Schuhl : le sens de la dérision, du burlesque et des dialogues. Il faut suivre Jean-Jacques Schuhl Entrée des fantômes de Jean-Jacques Schuhl, puis anecdotes et péripéties biographi- prononcé, sur un ton d’évidence dé- dans ses tribulations, se laisser porter Gallimard, « L’Infini », 150 p. ques... sinvolte, cette drôle de phrase, car elle par son imaginaire, par ses souvenirs, m’a été le déclencheur d’interrogations par son style. On va avec lui de New La première partie du roman, « le man- et de divagations sur certains aspects York à Paris, de Cannes à Rome, des ean-Jacques Schuhl, qui avait nequin », est très désarçonnante. On se de moi-même. Il arrive que quelques années 1970 à nos jours, on revisite un fait ses débuts en littérature en sent projeté, sans trop savoir où l’on mots semblant une blague frivole aient, monde disparu, on retourne à des fêtes 1972 avec un roman étrange, va, dans un roman de science-fiction, par la suite, des répercussions inatten- évanouies, dans des bars qui n’existent Rose poussière, a attendu avec une atmosphère proche des films dues ». plus. Jean-Jacques Schuhl aime à faire Jprès de trente ans avant de publier le de David Lynch. C’est seulement en croire que le hasard le guide, le goût livre qui lui a valu le commençant la seconde partie, « la nuit Peut-être Raul Ruiz ne comprenait-il de l’aléatoire aussi et ce qu’il appelle en 2000 – année très symbolique –, des fantômes », que l’on comprend de pas à quel point il était ironique de pro- le sampling. Ce n’est pas un collage, Ingrid Caven. Dans cette évocation de quoi il est question. « Le mannequin » poser un rôle de médecin à quelqu’un ou une citation, que l’on doit pouvoir la chanteuse allemande, qui fut l’égé- est l’embryon du roman que le narra- qui, depuis des années, se refuse à une reconnaître, explique-t-il si on l’inter- rie de Fassbinder et qui est depuis des teur qui, comme dans Ingrid Caven, opération de la hanche qui lui évite- roge sur cette technique ; « moi j’aime années la compagne de Schuhl, celui-ci se nomme Charles, aurait voulu écrire. rait de boiter. Cette infirmité fournit à voler, introduire en secret des passages, faisait déjà un exercice de mémoire et Mais il a échoué. En revanche, dans un Schuhl l’un des plus beaux morceaux de des phrases que je reprends à d’autres apparaissait sous les traits d’un certain restaurant chinois de Paris (lieu très bravoure de ce roman : Charles consent auteurs, et que l’on ne voit pas, ou dif- Charles. On pouvait espérer le voir re- important dans le récit), il rencontre à aller voir un médecin, lui montre la ficilement ». Mais même le hasard est commencer, et aller plus avant dans ce le cinéaste Raul Ruiz qui lui propose radiographie de ses os, qui ressemble programmé dans Entrée des fantômes, travail autobiographique. Il a pris son le rôle du chirurgien dans un remake selon lui à un tableau de Francis Bacon, qui est un texte très composé, un ro- temps : dix ans, cette fois. du célèbre film fantastique Les Mains assez effrayant, mais, de nouveau, re- man qui, explicitement, se veut pour d’Orlac – où un chirurgien greffe à un fuse l’opération, par peur de ne pas se « Happy fous », les fous de littérature, On ne saurait toutefois attendre de pianiste victime d’un accident les mains réveiller. Puis il prend rendez-vous chez les fous de rêve, les fous qui veulent Jean-Jacques Schuhl un livre de souve- d’un assassin qu’on vient de guillo- un ostéopathe qui a la mauvaise idée retrouver « quelques moments de grâce nirs au sens traditionnel du terme : récit tiner. Ce film ne se fera jamais, mais, de lui dire qu’il écrirait mieux avec un du XXe siècle » déjà si lointain. d’enfance qui commencerait par « je écrit Schuhl, « je remercie ce montreur corps en bon état. Ce qui ne le convainc suis né à Marseille le 9 octobre 1941 », d’ombres à la lanterne magique d’avoir pas. Suit alors une dérive autour des Josyane SAVIGNEAU © Jacques Sassier / Gallimard / Opale IV Poésie Jeudi 4 février 2010

ternel : « …Bien sûr je ne puis intérieu- rement te blâmer de ne vouloir dire que ce que tu penses et ressens : par malheur, Poème d’ici Les lettres ce n’est pas tout à fait l’optique vou- lue dans les examens. » Et à partir de 1951, c’est de Saint-Cirq-Lapopie, « le du père du plus beau village du monde » où Elisa et André Breton ont acquis une propriété, que Breton écrit, le plus souvent en été, à sa fille restée à Paris ou ayant rejoint surréalisme sa mère sur la Côte d’Azur, lui deman- dant toujours de lui décrire par le menu détail comment se déroule sa vie. à Aube Breton énumère souvent la liste de tous En lisant la correspondance inédite d’André les amis qui lui rendent visite dans cette retraite du Lot qu’il aménage et où il Breton à sa fille, on ne peut qu'être impatient chasse les papillons, recherche des in- sectes et des agates sur les plages. Et de lire, lorsque paraîtra en 2016, cinquante ans l’on entend défiler les Benjamin Péret, après son décès, l’ensemble de la correspondance , Man Ray, Pauwels, Lévi- Strauss, Schuster, Jean-Jacques Lebel, de celui qui a créé le mouvement poétique et Nanos Valaoritis, Léo Ferré… Dans ses lettres, l’imbrication de la vie et de l’œu- © Reuters / Sharif Karim artistique le plus fécond de la modernité. vre est constante chez l’auteur de Nadja Le 25 janvier, un avion de la com- Lettres à Aube d'André Breton, Gallimard, 180 p. De réels élans d’amour paternel tis- ou L’Amour fou. Il y évoque souvent pagnie Ethiopian Airlines au départ sent le fil d’Ariane de toutes ces pages ses difficultés financières – reprochant de Beyrouth s'est écrasé en mer, peu abondamment illustrées, notons-le au à sa fille de ne pas écrire suffisamment après le décollage. Quatre-vingt-dix ’est avec un sentiment em- passage, de cartes postales et autres re- à Louis Breton, le vieux grand-père qui personnes étaient à son bord. La cau- preint d’émotion et de so- productions. les soutient –, les réunions du groupe se du drame est encore inconnue, les lennité que l’on découvre surréaliste au Café de la place Blanche équipes de recherche tentent toujours cette collection constituée Tout commence par l’écriture d’un – demandant parfois à sa fille de lui de trouver la boîte noire, quelque part de soixante et une lettres, poème prémonitoire Tournesol (La rapporter ce qui s’y discute –, la mise au large de l'aéroport... de trente-trois cartes postales et de voyageuse qui traversa les Halles à la en pratique d’un nouveau jeu surréa- deuxC télégrammes, échelonnés sur 28 tombée de l’été) annonçant la rencon- liste « l’un dans l’autre », l’affaire de la ans, entre 1938 et 1966. À la date de tre avec Jacqueline Lamba qui devien- grotte préhistorique de Cabrerets dont la première carte postale écrite de Cuba dra la deuxième épouse d’André Bre- il mettait en doute l’authenticité et qui Aller simple par Ada (diminutif entre André et papa ton. De cet « amour fou » naîtra Aube. D.R. entraîna une rixe avec le guide et une par lequel « la chère petite fée Aube » Or, quelques années plus tôt, sommé de d’avis. Il me semble en effet possible que ces sur l’art et le surréalisme. Puis vint action en justice contre le surréaliste pour la mort désigne son père), cette dernière n’a que dire, lors d’une des séances du groupe dans un cas d’amour passionnel, l’avis la guerre suivie de la mobilisation du pour avoir frotté le dessin rehaussé au trois ans, tandis qu’elle en a trente-deux surréaliste consacrée aux recherches d’une femme prévale contre le mien. » poète avec les nombreux déplacements fusain !… Tempête sur l’aube lorsqu’elle reçoit le dernier billet, en sur la sexualité, ce qu’il pensait au su- Ce fut le cas. Et le prénom même choisi et changements de domiciles de sa pe- forme d’adieu en quelque sorte, sur une jet de devenir père, celui qui voulait pour sa fille montre de quelles espéran- tite famille. Enfin, la rupture qui se Jean-Michel Goutier, qui a édité et pré- feuille de papier découpé et glissé sous « transformer le monde » et « changer ces elle a été investie. traduisit pour Aube, jusqu’à sa quator- senté ce magnifique volume chez Galli- La tragédie foudroie sa porte, à l’étage au-dessus de celui de la vie », avait répondu : « J’y suis abso- zième année, par de très fréquents sé- mard, cite en conclusion cette phrase de Le pays endormi son père, au 42 rue Fontaine, demeu- lument opposé. La triste plaisanterie De quoi parle Breton dans ses lettres jours aux États-Unis, auprès de sa mère Breton : « Ce que j’ai aimé, que je l’aie rant ainsi tout au long de sa vie, même qui a commencé avec ma naissance à son enfant et quelle figure paternel- remariée. gardé ou non, je l’aimerai toujours. » après être devenue Mme Yves Elléouët, doit se terminer avec ma mort. » Y a-t- le se dégage de ces missives ? Celle de Puis, il poursuit : « Cet aveu magnifi- Sur les dunes de une éternelle « Petite aube chérie » : il donc incohérence et antinomie entre l’amour avant toute chose ; mais il faut Faut-il s’étonner dès lors de certaines quement revendiqué a valeur de sésame la condamnation publique de la pater- également souligner que cet échange difficultés scolaires que rencontrera pour accéder au cœur de l’œuvre et de Beyrouth Rien que de l’herbe nité – ainsi que de la structure familiale épistolaire est placé dès le commence- l’adolescente et qui feront écrire à Bre- la pensée de Breton, et tout particulière- La mer vomit ses pour que conventionnelle – et la décision de don- ment sous le signe de l’absence et de la ton des phrases étonnantes, tel ce com- ment pour ce qui concerne cette corres- ma petite Aube ner la vie ? Non, parce que Breton dans séparation. Il y eut au début un séjour mentaire au sujet d’une rédaction mal pondance privée. » entrailles : y fasse passer la suite de sa réponse avait ajouté : « Je de plusieurs mois au Mexique durant notée par l’examinateur où se disputent Une poupée sans le printemps me réserve toutefois le droit de changer lesquels Breton donnait des conféren- le point de vue surréaliste et le rôle pa- Antoine BOULAD enfant Des lambeaux sans chair Le clin d'œil Écrire un voyage plus long que la vie Des bagages défaits de Nada mort anticipée. mais le poème sait que ce n’est pas d’un dieu (…). » Et des ailes brisées possible. Beydoun est à bord du train Nassar-Chaoul Abbas Beydoun a un ticket pour deux. des rendez-vous ratés : seul le retard est Abbas Beydoun nous livre un billet Il en profite pour faire l’aller-retour, là à temps. Il a beau mesurer les dis- pour un constant voyage. Il nous fait Du destin aux mains Le froid de mais s’il retourne certes, ce n’est pas tances et balayer les espaces, le poète face de son siège côté fenêtre et pose sales à la case départ. Pourtant, il tergiverse n’a pas acquis la connivence du temps. successivement chaque parcelle de son janvier intérieurement sans changer de place. Baudelaire l’avait écrit, c’est le temps être sur la tablette-déjeuner en plasti- Le crime était n reste de bûche, entouré de Il s’intoxique de possibilités, et c’est le qui ronge la vie. Et Beydoun regarde que. Les pensées, comme les organes parfait : pacotilles, gît, délaissé, dans train qui se meut à grande vitesse pour les miettes du souvenir disparaître à malades, sont dégagées auscultées. Les le frigo. Dans le salon, les lui. D’autres auraient peut-être un mesure qu’il les évoque et les écrit. Ses médicaments, l’hospitalisation et le Les vagues complices guirlandesU du sapin se sont peu à peu billet pour l’opéra ou pour un vol tran- textes évoquent subtilement la sagesse traitement assisté par la technologie, Ont caché les éteintes, chronométrées par d’impla- satlantique, mais Beydoun préfère les bouddhiste, surtout dans son rapport à l’analyse spirituelle et intellectuelle, cables industriels asiatiques pour ne paysages qui défilent par la fenêtre du l’ego, à l’épreuve et au vide. l’amour, font alors légion et déser- cadavres dépasser en aucun cas le jour de l’An. train. Il sait qu’on ne choisit pas tous tent l’espoir. Le langage vampirise le Effacé les empreintes Dans leur chambre où le ménage a été ses compagnons de voyage, un billet « (…) Un jeune homme âgé de cent ans/ corps, et réciproquement la déchéance fait, le couvre-lit est impeccablement pour deux, c’est deux places pour la Incapable d’un bond géant/ Il n’est du corps vampirise la parole, puis la Et les traces de sang tiré et les coussins à leur place, mais D.R. vie et pour la mort. pas non plus un singe merveilleux/ Au douleur de la perdre. L’écriture de Bey- un léger parfum d’eau de toilette mas- Bitaka Li Shakhsayn d' Abbas Beydoun, Dar contraire/ Il déteste sortir/ Et passe son doun demeure avec ce recueil égale à culine flotte toujours dans l’air. L’in- al-Saqi, 2010, 96 p. « Nous voyageons avec un livre./ Il temps dans la même pièce/ Suivant le elle-même, à la fois sans grandes fulgu- Aux familles éplorées térieur de leurs placards ne contient dit que pour se préparer à la mort, il même rituel chaque jour/ Persévérant rances et sans le moindre relâchement : Ne pas dire plus que des vieilleries, sweats confor- faut un temps plus long que la vie./ il a atteint cet idéal/ Et cette formule un muscle qui continue à battre d’un tables portant encore les taches d’en- vec Bitaka Li Shakhsayn Les morts préfèrent voyager dans un est la bonne sans doute/ Et tout chan- beau rythme et qui, s’arrêtant soudain, La cruauté du destin cre des devoirs de maison, chaussettes que nous traduirons par livre. » gement inversera sa fortune/ Et l’expo- nous coupe le souffle, puis se reprend à L’injustice du hasard dépareillées et pyjamas dont le haut a Un ticket pour deux, Ab- sera au danger/ Voilà pourquoi à partir égrener les mots. mystérieusement disparu. On retrouve bas Beydoun apporte à Peu à peu, le dépouillement s’installe de sa position/ Il bondit loin de tout Mais l’inanité des près de leurs lits des bandes dessinées Anotre ressentir la difficulté d’exister dans tout voyage ; par choix, hasard, désir de transgression/ Ou de toute C’est un rendez-vous avec une réponse, pleurs exhumées de la bibliothèque, et même avec la réalité de l’absence de l’autre peur ou impuissance, qu’importe. Il épreuve éclatante/ Loin d’une enfan- que le poète semble avoir espéré en pre- des Dragon Ball Z qu’ils ont dû relire lorsque celui-ci continue de vivre en y a alors anesthésie. À bord du train, ce oubliée dans un sac/ Et d’un cœur nant ce train. Alors, il s’accroche par La chaleur du comme pour rire, presque en cachette, nous. La solitude fondamentale est en- Abbas Beydoun est fasciné par ce qui morcelé/ Loin de la vie d’autres/ Qui moments à ce qui n’est plus, au fait souvenir pour faire comme avant. Ils ont ironisé core et toujours là, mais l’absence des rigidifie le mouvement, le dépossède n’ont pas maîtrisé l’art de marcher sur qu’un jour lui-même ne sera plus, mais sur le sabot de Noël rempli de friandi- êtres chers la ronge. Beydoun évoque et l’éteint, par la stagnation la stabi- les murs/ Il bondit avant que la vie ne il est prêt à payer le prix de la vérité et ses qu’on continue à placer pour eux plus particulièrement la mort de son lité et le non-désir : ceux-là calment la se transforme en montagne/ Et avant fait le voyage jusqu’au bout. Il affine Leur dire que les sous le sapin, mais les emballages de ami proche, B.H., rongé par un can- souffrance. Les chaussures, les espaces qu’il ne lui soit impossible/ De soule- son attention et sa sensibilité, à fleur de bonbons sont joyeusement éparpillés cer. Témoin du vécu de son ami alors contenants (vêtements, sièges…), les ver sa bibliothèque/ Et transporter sa peau, vers ses sensations internes, ses passagers du vol 409 dans toute la maison. Le téléphone ne qu’il est en voie de disparition, le poète corps et les cœurs rétrécissent dans maison sur le dos/ Il saute quelques an- changements de température, ses souve- Ne sont jamais partis sonne plus. On n’entend plus leurs s’identifie – dans la tristesse et l’avan- ses poèmes. Il n’y a plus de place pour nées/ Parfois des siècles entiers/ Il saute nirs et sa pensée… Il cherche à atteindre rires étouffés ni leurs commentaires cée de l’âge – à la désintégration pro- être. Pendant ce voyage, Beydoun a et rebondit/ Pour atteindre au final son le noyau de sa douleur et glisser avec Impalpables mais goguenards sur la belle fille d’hier et gressive de la mémoire, de la pensée et conscience d’être nulle part et partout bureau seulement/ Ce qui n’est pas le elle sur les mêmes rails. Mais le poème présents s’il faut la rappeler ou pas. du corps jusque dans ses cellules. La à la fois. Pas de contrôleur à bord. De bout du monde/ Il a franchi cent ans et lui murmure que la vérité fait faux- nostalgie et la solitude sont aussi la toute façon, le poète a un double pas- arrive jeune/ Il a dépassé toute épreuve bond lorsque le sens se dévoile. Alors, Un peu comme des Ce matin, pour leur dire au revoir dans proie de la désintégration et en défini- se. La vieillesse, la maladie qui tranche sans l’avoir vécue/ C’est sa vie entière Beydoun écrit à ses morts un livre pour étoiles le petit matin gris, on a retrouvé d’ins- tive, c’est l’absence même qui s’auto- son cou à la jeunesse, la méditation qui n’est pas entamée/ Mais elle s’est qu’ils voyagent longtemps dedans. tinct le geste des vieilles : le signe de détruit. Le poète se retrouve absorbé tortillée d’obsessions tenaces veulent rouillée de si peu d’usage/ Ce sacrifice croix formé en l’air trois fois, comme par la mort advenue, qui est aussi la que ce train aille plus vite que la mort, n’attend rien en retour/ Il est digne Ritta BADDOURA Alexandre Najjar une bénédiction, sous le regard admi- ratif du chauffeur de taxi pour qui, on le sent bien, les mamans sont sacrées quelle que soit leur religion. Talal Haydar, poète de la nostalgie

On ne se réveillera plus en pleine Sirr az zaman (Le Secret du temps) de découvre encore mieux à la déclama- qui n’a jamais quitté son enfance, est nuit en se demandant si « les enfants Talal Haydar, Éd. Charikat al-Matbouatt, Beyrouth, tion, surtout celle du poète lui-même. un poète de la plaine, sa Békaa qu’il sont rentrés de leur soirée ? ». On ne 2009. Sirr az zaman (Le Secret du temps), voit toujours traversée par des cava- courra plus à leur chambre, ouvrant qui vient curieusement après Le Mar- liers galopant vers nulle part, et où les doucement la porte, pour constater chand du temps (Bayya’ az zaman) symboles musulmans et chrétiens se avec une joie indicible qu’ils sont alal Haydar est avare en pu- et Il est temps (Ân al-awan), réunit mêlent à une nostalgie sans remède : bien là, qu’aucun malheur terrible ne blications. Au total, trois ou une quinzaine de poèmes (dont deux les a frappés, qu’on est ridicule avec quatre petits recueils dans les- de « circonstance » en hommage à Ton visage est le retour d’un enfant nos angoisses et qu’ils ont toujours, quelsT il a pu, néanmoins, contribuer Kamal Joumblatt et Rafic Hariri) où après l’absence quand ils dorment, leur tête confiante au renouvellement de la poésie orale il poursuit sa quête de la bien-aimée Ton visage est comme une colline où d’enfants. libanaise après Michel Trad et aux entre l’eau et les songes d’été peuplés hurlent des loups côtés des frères Rahbani. Ce lettré d’oiseaux, à écouter le retour des sai- L’âge qui vient s’en va tout aussitôt À Paris, il fait paraît-il très froid. sorbonnard et troubadour à ses heu- sons entre sommeil et mort ou à épier Ton visage est une bannière de deuil C’est le froid de janvier. Et il nous res perdues a réussi à investir la lan- l’arc-en-ciel et l’envol des colombes. brandie dans le lointain. glace le cœur. gue parlée d’une sensibilité complexe Contrairement aux chantres du villa- sans se départir d’une limpidité qui se ge de la montagne libanaise, Haydar, J. D. © An-Nahar Jeudi 4 février 2010 Dossier V

Questionnaire L’Oulipo : le jeu au secours du je ? de Proust à L’Oulipo, Ouvroir de littérature potentielle, fondé par Raymond Queneau, François le Lionnais et une dizaine de leurs Yehia Jaber amis écrivains, mathématiciens et peintres va fêter ses 50 ans sans avoir pris une ride. Recette d’une jeunesse éternellement renouvelée, ses travaux suscitent un engouement toujours plus grand. Enquête sur un phénomène littéraire surprenant. renez un mot, pre- te depuis 1992 avec la publication des rec choisit la contrainte du lipogramme nez-en deux, faites fascicules de la Bibliothèque Oulipien- (texte où l’on se passe d’une lettre) ou cuire comme des ne chez Castor Astral, de l’Abrégé de des alphabets restreints, il choisit des œufs, prenez un littérature potentielle chez 1001 Nuits, contraintes qui reposent toutes sur le petit bout de sens ou de la toute récente Anthologie de manque. Or le manque est le drame de puis un grand morceau d’innocence, l’Oulipo chez Gallimard. En outre, Perec, manque de mère, de famille, de faites«P chauffer à petit feu, au petit feu plusieurs de ses membres ont publié communauté d’identification. Le choix de la technique, versez la sauce énigma- à titre personnel nombre de romans de cette contrainte est une façon pour tique, saupoudrez de quelques étoiles, et recueils de poèmes qui rencontrent lui d’être au cœur de son moi. » Y com- poivrez et puis mettez les voiles. Où un succès qui va bien au-delà de leurs pris à son insu. voulez-vous donc en venir ? À écrire aficionados habituels. L’intérêt gran- vraiment ? À écrire ? » dissant que suscite l’Oulipo s’observe Il arrive que l’on parle des oulipiens © An-Nahar également par leurs lectures publiques comme de chercheurs. Car ils sont en é en 1961 à Tyr, Yehia Jaber Ainsi s’exprimait Queneau dont le pro- qui se multiplient et font salle comble : effet de véritables explorateurs du lan- a obtenu en 1997 un diplôme pos était d’inventer avec ses complices celles qui se tiennent tous les mois à la gage, qui se sont souvent aventurés d’étudesN supérieures en arts dra- de nouvelles formes poétiques ou ro- Bibliothèque nationale par exemple, ou dans les espaces du « langage cuit » matiques de l’Université libanaise. manesques résultant d’un transfert de celle qui a eu lieu au Louvre il y a peu, selon l’expression de Desnos, c’est-à- Journaliste au quotidien al-Mous- technologie entre mathématiciens et à l’invitation d’Umberto Eco, sur le dire les clichés, expressions, formules, taqbal, il a publié plusieurs écriverons (sic). Ce sont ces préoccu- thème des listes et inventaires, et pour proverbes et dictons qui forment un recueils de poésie en arabe : Le lac pations, au croisement du langage et laquelle il était difficile de trouver un D.R. véritable trésor au sein de la langue de sérum, Prends le livre de force, des mathématiques, qui aboutirent à la strapontin de libre. Le spectacle Pièces contraintes, de nouvelles structures On en vient donc à la question des française. « J’ai trouvé dommage que Les voyous, Comme si j’étais une création de « 100 000 milliards de poè- détachées, créé il y a 4 ans, a été joué formelles ». L’esprit ne s’est donc pas « contraintes » à propos desquelles ce réservoir reste figé, explique Béna- femme divorcée, Uniquement pour mes ». En composant dix sonnets de 14 deux saisons successives à Avignon, modifié, seule la renommée s’est- élar Perec disait : « Au fond, je me donne bou, et j’ai emprunté la démarche de adultes et Amour dans la lessi- vers chacun et en les combinant de fa- longuement repris au Théâtre du Rond gie. Bénabou attribue le succès actuel des règles pour être totalement libre. » Desnos pour défiger la langue. » Cette veuse (2009), ainsi que deux essais çon méthodique, Queneau Point, et il tourne à pré- à « un rapport décontracté que nous Paroles amplement démarche repose sur le critiques : Les étoiles de midi et obtient 1014 poèmes. sent partout en France et entretenons au langage et à l’écriture. commentées de- principe de la substitu- Des mots de mauvaise réputation. ailleurs. Il faut également Nous avons désacralisé la littérature puis. Les contraintes tion. Par exemple, par- « Un « Nous avons l L’Oulipo compte mentionner les comman- et l’écriture sans tomber dans l’esprit oulipiennes permet- tant d’un aphorisme de Quel est le principal trait de votre caractère ? aujourd’hui 35 mem- oulipien des publiques qui sont des chansonniers. Et de ce fait, nous traient donc de se un rapport Klausewitz, Bénabou Souvent perplexe et indécis à cause bres, dont 13 excusés adressées aux oulipiens occupons une place particulière qui libérer du problè- conserve la structure de ma timidité. pour cause de décès. Car est un par des institutions ou plaît aux gens cultivés ». Car cet en- me de l’expression décontracté de la phrase et, en ap- à l’Oulipo, on ne fait pas des villes (ils ont récem- gouement, s’il est bien palpable, se fait de soi. Bénabou portant un vocabu- l Votre qualité préférée chez une rat qui au langage et femme ? de distinction entre les ment créé une œuvre lit- néanmoins dans un cadre restreint, ce- confirme que « dès laire nouveau, fabrique Son humour. vivants et les morts. Et si construit téraire spécifique pour le lui des amateurs de poésie et de jeux de l’origine il est vrai, à l’écriture. quantité d’autres apho- le groupe a réussi à sur- Tramway de Strasbourg) langage qui trouvent dans la démarche l’idée de faire appel rismes. Au point d’en l Qu’appréciez-vous le plus chez vivre à la disparition des lui- ou le colloque interna- oulipienne tout à la fois une dimension à des modèles ma- Nous avons confier la fabrication à vos amis ? plus célèbres d’entre eux tional qui est en prépa- ludique et une réelle exigence, l’articu- thématiques, à des une machine, un pro- Quand ils avouent avoir menti. (R.Queneau, mais aussi même le ration et qui aura lieu lation du jeu à un vrai travail littéraire structures, était un désacralisé la gramme informatique. l Votre principal défaut ? G. Perec ou I.Calvino), à la Sorbonne en mai qui repose sur des références culturel- moyen de sortir du Ce recours à la machi- La gourmandise et mon ventre rond c’est qu’il procède régu- labyrinthe 2010. International en les. Il existe donc une complicité forte tête-à-tête avec soi- littérature et ne a de quoi troubler : qui en résulte. lièrement à des coopta- effet, car l’Oulipo tra- entre auteurs et lecteurs oulipiens. même qui risquait peut-on ainsi mettre de dont il se l’écriture sans l Votre occupation préférée ? tions qui se sont révélées verse à présent les fron- Bénabou affirme d’ailleurs que le lec- d’être lassant ». Et côté la question du sens Le voyeurisme par amour. J’adore d’excellents choix. Les tières et essaime partout teur, « s’il n’est pas d’emblée oulipien, à propos duquel tomber dans et explorer le langage à entrer dans l’intimité de l’autre, de la nouveaux venus se sont propose de en Europe, mais aussi devrait normalement le devenir peu à Jacques Roubaud travers de purs exerci- femme en particulier. parfaitement intégrés à aux USA, au Canada et peu ». Il y a une « formation préalable écrit : « La contrain- ces formels ? À quoi Bé- sortir » l’esprit des l l’esprit du groupe. Parmi jusqu’en Australie. No- nécessaire » pour apprécier véritable- te était un phar- nabou répond qu’il ne Quel serait votre plus grand malheur ? les membres actuellement actifs, on ci- tons enfin que le mouvement a fait des ment les productions oulipiennes, ou makon, un remède chansonniers » s’agit pas d’être esclave Qu’un malheur frappe mon fils. tera Hervé Le Tellier, Paul Fournel ou petits avec l’Oulipopo qui se préoccupe du moins un état d’esprit. Ces textes (remède et poison, de ce que l’on produit Marcel Bénabou, secrétaire provisoi- de littérature policière, l’Oupeinpo qui ne s’adressent donc pas à n’importe poison aussi) à la mélancolie du ro- et que le sens intervient au moment de l Ce que vous voudriez être ? rement définitif et définitivement pro- s’intéresse à la peinture, l’Oumupo qui et beaucoup de gens n’aiment pas man qu’éprouve le romancier dans une la sélection des aphorismes que l’on Moi-même… si je me retrouve. visoire. L’objectif néanmoins reste le qui se consacre à la musique comme qu’on désacralise ainsi le langage. « Si époque où la répétitivité maniaque des conservera. Mais que l’on pourra aussi l Le pays où vous désireriez vivre ? même depuis le début de l’aventure : in- l’Oucipo au cinéma. Mais où qu’ils se nous sommes à présent devenus intou- schémas éprouvés depuis déjà au moins faire le choix du non-sens. Le Liban, à Beyrouth ou à Tyr. venter des règles de composition poéti- trouvent, les oulipiens se reconnaissent chables, nous étions très critiqués par deux siècles engendre l’ennui profond, que qui permettent de créer des œuvres toujours dans la définition qu’a donnée le passé. On nous traitait d’amuseurs passion fondamentale du XXe siècle. » L’Oulipo, qu’est-ce que c’est finale- l Votre couleur préférée ? nouvelles et de dégager les potentialités, d’eux leur illustre fondateur qui affir- publics, de rigolos. On parlait à notre Il y a donc bien pour les oulipiens ce ment ? Une avant-garde ? Un mouve- Le bleu gitane. les ressources cachées, les richesses se- mait qu’« un oulipien est un rat qui propos de Grenier de Montmartre. On constat que depuis 40 ou 50 ans, il se ment littéraire ? Une société secrète ? l La fleur que vous aimez ? crètes des œuvres existantes. L’activité construit lui-même le labyrinthe dont il nous reprochait de pratiquer une litté- publie chaque année en France 600 à La question ne le surprend pas, et Bé- Le gardénia et le jasmin. éditoriale du groupe est très importan- se propose de sortir », un labyrinthe de rature populaire, ce qui est le contraire 700 romans dont très peu sont réelle- nabou répond sans hésiter qu’il s’agit mots, de sons, de phrases, de paragra- même de notre démarche puisque nos ment lisibles. Il y a là quelque chose qui avant tout d’« une bande de copains l L’oiseau que vous préférez ? Le moineau, insaisissable et phes, de chapitres, de livres, de biblio- lecteurs doivent avoir, pour nous ap- cloche et le recours à la contrainte est qui ont des intérêts communs et no- mystérieux. thèques, de prose, de poésie, etc. précier, un minimum de culture. » Éli- pensé comme remède à cette littérature tamment un regard sur la littérature et Le livre de chevet de tistes donc les oulipiens ? D’une certai- qui « tourne en rond et ne tourne pas le langage et le goût de l’exploration » . l Vos poètes préférés ? Mais l’Oulipo d’aujourd’hui est-il vrai- ne façon sans doute. Hervé Le Tellier rond ». Le jeu volerait ainsi au secours Nous sommes à la bibliothèque de l’Ar- Wittman, Ritsos et Mohammad el- Élie Khalifé ment le même que celui des débuts ? M. préfère parler d’« une esthétique de la du je ? Bénabou soutient que « le re- senal qui abrite les archives de l’Oulipo Maghoutt . Bénabou l’affirme sans hésitation, lui complicité ». « Lire un texte à contrain- cours à la contrainte n’interdit pas le je. et qui leur offre un cadre de réunion. l Vos héros dans la fiction ? qui est là depuis 41 ans. Il souligne que tes exige un effort. C’est pourquoi Le moi s’accommode de tout, même de Quoiqu’ils préfèrent souvent aller au Raskolnikov dans Crime et les objectifs poursuivis restent « l’ex- il faut affirmer qu’il y a derrière tout la contrainte. Simplement, on ne dit pas restaurant... Châtiment, Jean Valjean dans Les ploration du langage et des possibili- texte oulipien le regard d’un lecteur lui- les choses directement mais au travers Misérables. tés que donne l’invention de nouvelles même oulipien. » d’une grille ». Et il ajoute : « Quand Pe- Georgia Makhlouf l Votre héroïne dans la fiction ? Ursula dans Cent ans de solitude de Marquez, Nora dans Une maison de Prix Nobel de littérature 2009 poupée d’Ibsen. l Vos compositeurs préférés ? Sayed Darwish, Philemon Wehbé, Ray Charles. À la recherche d’un langage innocent l Vos peintres favoris ? Van Gogh, Dali (les premières hez Herta Müller, ont trouve Elle appartient à la Dans La Convocation, la narratrice, œuvres). partout quantité de petits tas ouvrière dans une usine de confection, de minuscules coupures de minorité germanique. a été convoquée par la Securitate. Dans l Vos héros dans la vie réelle ? journaux roumains, parfois le tramway qui la conduit à ce ren- Kamal Joumblatt et Rafic Hariri Cde la taille d’un mot, parfois d’un titre. Enfance et jeunesse dez-vous inquiétant, elle lutte contre après leur assassinat. Pourquoi ? Pour apprivoiser, dit-elle, sous le régime l’angoisse. Elle tente de résister au sen- l Vos prénoms favoris ? cette langue dans laquelle a baigné son timent d’humiliation que son interro- Zaccaria et Lorca. enfance, et qu’elle ne connaît presque gateur va essayer de lui infliger dès son Ceaucescu, la l D.R. pas. arrivée. Elle porte la blouse de son amie Ce que vous détestez par-dessus tout ? on livre de chevet est Don Securitate, la mise sur disparue. Pour elle, il lui faut résister. Le mensonge. Quichotte de la Manche Cette femme de 56 ans est née en Tran- Ce trajet, avec les réflexions qu’il sus- de Miguel de Cervantès. sylvanie, région de la Roumanie rendue écoute et les menaces à cite, sert à l’auteure de prétexte pour l Les caractères historiques que MC’est un ouvrage qui ne me quitte célèbre par la légende de Dracula. Elle rendre fous surveillants imaginer et raconter les principaux épi- vous détestez le plus ? jamais, qui m’inspire énormément, appartient à la minorité germanique. sodes de la vie de la narratrice. Le ha- Staline et Hitler. qui me transporte et me fait voya- Dans sa famille comme dans son villa- et surveillés. Or le sard fait que le tramway ne s’arrête pas l Le fait militaire que vous admirez ger à chaque lecture. J’adore le lire ge, on ne parle que l’allemand. Enfance à la station où elle doit descendre. Un le plus ? et le relire, tellement l’histoire est et jeunesse sous le régime Ceaucescu. roumain est la langue signe ? Elle décide de ne pas se rendre à Les guerres déclenchées pour une prenante et terriblement humaine. Dracula, c’est le communisme de déla- du régime. Comment la convocation. femme comme la guerre de Troie. C’est un livre envoûtant, cinémato- tion et la Securitate, la mise sur écoute, l La réforme que vous estimez le graphique, visuel, tendre, touchant, les convocations et les menaces à ren- mâcher la même En remettant son prix à Herta Müller, plus ? comique, triste. C’est un livre que dre fous surveillants et surveillés. Or le douzième femme à recevoir le Nobel, La Révolution française. je peux lire en désordre, en com- roumain est la langue du régime. Com- bouillie verbale que les D.R. l’Académie suédoise a précisé qu’elle mençant par le chapitre trente et en ment mâcher la même bouillie verbale passeports pour quitter le pays. Elle y le lui attribuait pour avoir « avec la l L’état présent de votre esprit ? tyrans ? Terriblement solitaire. revenant ensuite au chapitre douze. que les tyrans ? dénonce la corruption qui rampe à tous densité de la poésie et la franchise de C’est un des livres qu’on passe toute lieu, et cette vigilance qui ne la quitte les niveaux de la société, des officiels la prose, dépeint l’univers des déshéri- l Comment aimeriez-vous mourir ? une vie à lire sans jamais l’achever. Herta Müller écrit en allemand. En plus, cette méfiance qui l’empêche de dont on n’attend pas mieux au brave tés ». Mais le combat de Herta Müller Parfois, je préfère mourir subitement C’est aussi un livre sur la nature écrivant, elle cherche à créer une lan- parler, qui lui fait subir les interviews postier et au curé lui-même. Ceux qui est loin d’être fini. « Plus de 40% de sans m’en rendre compte mais, des fois, je souhaite mourir à petit feu de humaine, sur l’absurde, sur la déri- gue vierge, intacte, innocente. Elle veut comme autant d’interrogatoires. veulent quitter le pays ne peuvent don- ceux qui détiennent aujourd’hui le sorte que je puisse savoir qui m’aime sion. C’est un livre qui fait pétiller verbaliser sa réalité, vivre ce qu’il lui est ner que ce qu’ils ont. Ils le donnent. pouvoir en Roumanie viennent de la et qui me pleure ! l’intelligence et stimuler l’imaginai- interdit de vivre, « à la hauteur de ses Parmi ses principaux livres traduits en De leurs sacs de farine jusqu’au corps Securitate et se protègent entre eux », re. C’est un livre qui est toujours rêves ». Telle est la source de cette prose français figurentL’Homme est un grand de leurs filles et de leurs femmes. Et ils a-t-elle affirmé au quotidienLe Monde, l Le don de la nature que vous d’actualité et que je rêve d’adapter puissante aux accents parfois prophéti- faisan sur terre (Maren Sell, 1991, et partent. Ils reviendront. Ils porteront ajoutant : « La Roumanie postcommu- aimeriez avoir ? Une belle voix pour chanter. au cinéma, un jour, et pourquoi pas ques. Elle écrit de courts récits d’inspi- Folio, 1997) et La Convocation (éd. des vêtements qu’on porte à l’Ouest, niste ne s’est pas débarrassée des hor- dans le Liban actuel où j’ai déjà ration autobiographique qui paraissent Métailié, 2001). des chaussures qui les mettent en dé- reurs communistes, dont la délation et l Les fautes qui vous inspirent le rencontré quelques Don Quichotte en Allemagne sous le titre Bas-fonds séquilibre dans l’ornière du village. Ils l’anéantissement de l’intimité étaient plus d’indulgence ? accompagnés de leurs Sancho Pan- (1984). En 1987, soit deux ans avant la Dans le premier, Herta Müller raconte, reviendront avec des objets de l’Ouest, les mécanismes les plus perfides. » Le Une trahison avouée avant d’être découverte. za moustachus au volant de leurs chute du régime, elle réussit à s’enfuir à en plans brefs et cruels, teintés d’une des jouets de l’Ouest, des coiffures, des Nobel la protègera-t-il au moins de ses vieilles limousines… Berlin avec son mari Richard Wagner. poésie déroutante, la vie au jour le bijoux, du maquillage de l’Ouest, signe démons ? l Votre devise ? Elle y emporte son passé, sa crainte dé- jour d’une famille de paysans germa- de leur réussite sociale… et sur leur Ô Dieu, aimez-moi ! * Élie Khalifé est cinéaste. finitive du retour de la dictature en tout no-roumains qui essaie d’obtenir des joue « une larme de verre ». Fifi Abou Dib VI Essais Jeudi 4 février 2010 De l’antisémitisme à lire Riad el-Solh, esprit En France, comme dans le reste du monde Moravia, Clara et Tolstoï vus par des romanciers occidental, le débat sur l’antisémitisme et son Trois biographies, signées par des romanciers, retiennent l’attention : d'Indépendance histoire continue de faire rage. L’historienne René de Ceccatty signe un portrait Riyâd el-Solh fî zamânihi (Riad el-Solh en renommée de la psychanalyse, Élisabeth d’Alberto Moravia (Flammarion) ; son temps) d'Ahmad Beydoun, 2 volumes, 722 p. Dominique Bona, qui avait déjà écrit Roudinesco, apporte sa contribution qui répond sur le couple Claudel, évoque le cou- ple Malraux à travers Clara Malraux uand Riad el-Solh, d’abord aux discours les plus extrémistes. (Grasset), et l’académicien Dominique un des deux pères de Retour sur la question juive d'Élisabeth Il est vrai que les premiers antisémites Fernandez s’attaque, chez le même l’indépendance du Roudinesco, Albin Michel, 2009, 328 p. ont emprunté leur vocabulaire à l’orien- éditeur, au grand Léon Tolstoï. Liban, a été assassiné talisme (sémite, aryen), mais on est là à Amman le 16 août loin du monde de la science, ce sont 1951, il avait moins lisabeth Roudinesco part de des essayistes forgeant des doctrines de Les Américains débarquent Qde soixante ans : 57 selon son biogra- l’apostrophe que des colons la haine. Élisabeth Roudinesco aborde On annonce chez Belfond un nouveau phe, car le mystère nimbe sa date de juifs israéliens adressent à leurs avec tact et mesure la question du sio- Harlan Coben, intitulé Un trader ne naissance (toutes les années entre 1890 Épropres compatriotes, « vous êtes des nisme. Le sionisme est bien à la fois un meurt jamais, à paraître début mars. et 1898 ont été citées), comme son lieu nazis pires que les Arabes », pour rap- mouvement d’émancipation des Juifs On annonce également : Patricia Mac- (Beyrouth, Saïda, Tyr), comme ses éco- D.R. peler qu’aujourd’hui les injures utili- européens et un phénomène colonial. donald, avec Une mère sous influence les de formation… Et pourtant, que de 1951). Avant même sa parution, sa mise son jihad (combat, comme on disait à sant l’accusation « nazi » ou « antisé- En se définissant comme nationalistes, (Albin Michel), Patricia Cornwell avec siècles a traversés cet homme en une si en circulation très limitée lui a valu un l’époque) : « Il est avant tout l’homme mite » sont indifféremment utilisées les Juifs européens engagés dans le sio- l’Instinct du mal (éditions des Deux courte vie, lui qui tenait aux députés article enthousiaste de Hazem Saghieh de la négociation et du contrat. Nous le dans les échanges écrits, en particulier nisme obéissaient en définitive à l’in- Terres) et Ruth Rendell avec On ne lors de ses dernières années un discours dans al-Hayat pointant les affinités en- voyons ainsi consacrer ses efforts ma- sur l’Internet. Cela vaut bien un « re- jonction des antisémites qui appelaient peut pas tout avoir (éditions des Deux de sagesse nourri de son « âge » et de son tre le héros, l’auteur et une génération jeurs, dans l’entre-deux-guerres, à éta- tour sur la question juive ». à leur expulsion d’Europe. De ce fait, la Terres). « expérience ». Militant dans les cercles d’aujourd’hui. blir l’indépendance nationale sur une question de Palestine a pris dès les ori- politico-littéraires d’Istanbul durant ses Constitution et un traité. Il est de même Avec justice, elle reprend la distinction gines la dimension d’une tragédie enfer- années d’étudiant en droit en 1911- Le livre s’offre en deux colonnes indé- un partisan de la souplesse et un inven- entre antijudaïsme, qui vise non à ex- mant les protagonistes dans un conflit Un nouveau Christian Jacq 1913 (?), auteur d’articles appelant à la pendantes et inégales, l’une consacrée teur de solutions, non seulement dans terminer les Juifs mais à les convertir, sans fin. Le romancier Christian Jacq, auteur réforme dans la presse de Beyrouth peu au « contexte » qui a « déterminé la le détail des différends, mais aussi dans à les persécuter ou à les expulser et de best-sellers historiques ayant pour après, il est condamné avec son père à formation politique du personnage et la hiérarchie des priorités. La meilleure qui appartient à l’histoire chrétienne Comme on pouvait s’y attendre, les cadre l’Égypte, nous revient avec l’exil, échappant de peu à la potence, appelé son rôle », la plus longue cernant preuve en est sa conception du rapport et dans une moindre mesure à celle de meilleures pages sont consacrées à la Imhotep, l’inventeur de l’éternité, qui par la cour martiale de Aley durant la les principaux faits et actes de la vie de de l’indépendance et de l’unité, don- l’islam, et l’antisémitisme qui fait des question de la psychanalyse, domaine vient tout juste de sortir aux éditions Première Guerre mondiale. Le voilà en- Riad el-Solh pour dessiner les lignes de nant l’ascendant à la première, faisant Juifs une race au sens quasi biologique d’excellence de l’auteur. Elle montre XO. Succès garanti ! suite à l’automne 1918 à la tête du gou- sa position et de sa trajectoire au milieu dépendre la seconde de la conviction à du terme, un converti juif ne cesse pas que Freud, qui n’a jamais renié sa ju- vernement arabe de Saïda, puis député de son époque et de sa génération. acquérir (par les peuples) de l’existence d’être un juif. déité, ne concevait pas que le retour à la de cette même ville au Congrès syrien de d’intérêts communs. » L’idée de l’indé- terre des ancêtres pût apporter la moin- Henri IV ressuscité Damas en 1919, partisan de Fayçal et Avec une érudition sans faille là où de pendance du Liban ne naît pas chez el- Il faut applaudir tout de suite à ce qui dre solution à la question de l’antisémi- jouant les médiateurs entre les autorités nombreuses périodes ne sont pas encore Solh en 1943, mais est déjà en filigrane est l’idée centrale du livre, s’abstenir tisme européen. Elle décrit avec finesse damascènes et les membres du Conseil sorties de leur zone d’ombre et dans une en 1920 puis en 1928. Mais à aucun d’inventer une généalogie du complot les débats sur la psychanalyse comme administratif du Mont-Liban récalci- langue arabe plus accessible qu’à l’or- moment elle ne sert à gommer celle de contre les Juifs (symétrique inverse de « science juive ». trants à l’influence française. Tout au dinaire, mais dont la pureté classique l’égalité des citoyens dans la république la mythologie du complot attribué aux long du mandat, à travers les condam- épouse la modernité, Beydoun ne cesse nouvelle. Souplesse donc, mais au ser- juifs), et affirmer que si l’histoire de la La dernière partie de l’ouvrage est nations (l’une à mort en août 1920), les de prendre prétexte de la multiplicité vice d’idéaux toujours réaffirmés. persécution des Juifs est ancienne et consacrée au génocide des Juifs entre exils, les voyages, la participation active des versions de faits pour trouver un avérée, celle-ci n’a pas été la même se- mémoire et négation, entre unicité de à la vie politique, l’appui aux luttes re- rythme de récit lento et presque policier, Riad el-Solh, dès ses premières res- lon les époques, de même que les Juifs la Shoah et concurrence des victimes. vendicatives, le tissage d’amitiés de Pa- tranchant nettement à la fin ou laissant ponsabilités (Saïda 1918), s’affirme un n’ont pas été identiques à eux-mêmes C’est un commentaire très riche d’un ris à Jérusalem sans oublier Le Caire et en suspens la question. Nous avons homme de bilans. Très tôt, il découvre tout au long de l’histoire. vaste panorama intellectuel avec de Bagdad, Riad el-Solh n’aura de cesse ainsi droit à une série de séquences de l’importance de l’opinion publique et bien utiles mises au point sur un cer- de lutter pour l’indépendance syrienne l’histoire du Liban contemporain (les noue avec ses faiseurs (principalement Le champ à parcourir est immense et tain nombre de sujets. On y trouve une d’abord, libanaise par la suite, faisant élections de 1943, le renouvellement du les journalistes) des liens d’amitié. Son l’on comprend que l’auteur se limite à juste dénonciation de l’obscénité du né- montre d’un dynamisme et d’une ubi- mandat de Béchara el-Khoury, la guerre biographe ne peut que le suivre et dres- analyser certaines séquences. Ainsi la gationnisme et l’antisémitisme inversé quité extraordinaires. de Palestine, le soulèvement du PPS, se dans une conclusion intitulée « Ce critique du christianisme dans la pen- d’un certain nombre de défenseurs du l’invitation en Jordanie suivie de l’as- qui nous reste » un bilan de l’homme et sée des Lumières passe par celle plus sionisme, prompts à taxer de « haine de Tout ce qui précède occupe moins du sassinat et de ses séquelles…) qui ont de son passage au pouvoir. Il est difficile radicale du judaïsme (et aussi accessoi- soi » des gens d’origine juive qui se per- tiers de la grande biographie, fruit de toutes le mérite d’apporter des éléments d’être à ce point exhaustif et de don- rement de l’islam). Cet antijudaïsme mettent de contester le sionisme. On est D.R. plusieurs années de recherche, que vient peu ou non connus et de les intégrer ner autant au personnage son dû, de tourné spécifiquement contre la Bible passé dans le temps des « procureurs » , À l’occasion du 400e anniversaire de de consacrer Ahmad Beydoun à Riad dans des synthèses magistrales. déconstruire un attrait et de le fonder ne peut être qualifié d’antisémitisme voire des « inquisiteurs », à la multipli- l’assassinat du roi Henri IV, plusieurs el-Solh, car le plus grand nombre de aussi profondément en raison. parce qu’il est d’abord dénonciation cation des procès posthumes plus ou ouvrages paraissent en France. On en pages scrute avec minutie la décennie Mais la multitude des tableaux, loin de de la tradition abrahamique. Après moins justifiés. retiendra : L’assassinat d’Henri IV de de l’indépendance, de ce qu’on a ap- laisser de côté le principal personnage, On a raison d’attendre avec impatience tout l’aboutissement pratique des Lu- Jean-Christian Petitflis (Perrin), Henri pelé son « organisation » (l’édification est au contraire conçue pour en déceler la parution de cette biographie. mières a été l’émancipation des Juifs, La fin de l’ouvrage revient au problè- IV, roi d’aventure de Jean-Marie des institutions) et de ce que l’on peut les nombreux paradoxes et plus pro- vue comme une désaliénation, et non me d’Israël : les Israéliens sont désor- Constant (Perrin), Henri IV de Jean- dénommer sa désorganisation (1941- fondément l’unité de sa trajectoire et de Farès SASSINE leur destruction. mais confrontés à un choix véritable : Pierre Babelon (Fayard) et Henri IV soit faire de leur État une démocratie et la France réconciliée de Gonzague La genèse de l’antisémitisme raciale plus laïque encore et plus égalitaire, en Saint-Bris (éditions Télémaque). est complexe. L’idée même de sémite continuant de le nommer Israël, mais en et de sémitisme vient de l’orientalisme admettant qu’un État de droit ne peut Le rocher de l’ordre e européen du XIX siècle, en particulier être que non juif pour être vraiment Les délires de Daniel Prévost Diplomate efficace et amant volage, Clément Wenceslas Lothaire, d’Ernest Renan. C’est là le passage le démocratique ; soit affirmer le carac- L’acteur Daniel Prévost, connu pour prince de Metternich, n'en a pas moins écrit quelques-unes des plus plus faible du livre, car visiblement, tère juif de leur État, en acceptant du ses rôles décalés, sort en février une l’auteur n’est pas familier avec l’am- même coup qu’il cesse d’être israélien et anthologie réunissant ses meilleures importantes pages de l'histoire de l'Europe. Charles Zorgbibe lui pleur et la complexité de l’œuvre re- démocratique pour devenir religieux et pensées. Justement intitulé Délires, il nanienne ou, en fonction des étapes de racialiste. Dans le premier cas, ils reste- est publié aux éditions du Cherche- consacre une biographie. son achèvement, on y trouve tout et le raient juifs au sens du judaïsme ou de Midi. Metternich, le séducteur diplomate de double français ». Il y aurait sans dou- coalition ; et modifie le rapport des contraire de tout. Le statut des savoirs la judéité, tout en étant citoyens israé- Charles Zorgbibe, Hachette littératures, 2009, 550 p. te tout un livre à écrire sur le sujet, forces entre deux puissances à peu orientalistes du XIXe n’est pas bien liens, au même titre que les non-Juifs : mais Zorgbibe distille avec parcimo- près égales. Metternich, le rallié du compris et interprété, il s’agit d’un jeu des hommes parmi d’autres hommes, nie des dialogues empreints de finesse, dernier jour, devient ainsi le chef de d’hypothèses et d’approximations dé- capables d’accorder un territoire à un à voir uteur de l’Histoire de d’humour et d’ironie ; des répliques file de la coalition contre Napoléon, bouchant sur la définition d’un système peuple qui en a été dépossédé. Dans le Clint et Mandela l’Union européenne cou- que l’on aime à retenir. le « cocher de l’Europe ». Belle perfor- d’interprétation. En ce sens, l’orienta- deuxième cas, ils cesseraient d’être des Invictus, ronné par l’Académie des mance d’opportuniste ! lisme de cette époque n’a pas moins citoyens israéliens en assumant le fait le nouveau sciences morales et politi- Ce livre qui donne la fausse impres- et pas plus de valeur que la physique d’être des Juifs au sens de la nation, de film de Clint ques,A Charles Zorgbibe, qui se réfère sion d’être facile n’est pas à la portée Une fois dissipé le danger représenté par de la même période. On en conserve l’ethnie, de la race et d’un Dieu vengeur Eastwood, entre autres aux Mémoires du diplo- de tous. Il est en effet nécessaire, pour Bonaparte, Metternich se méfia d’une aujourd’hui les données factuelles tan- et meurtrier. évoque la fi- mate Clément Wenceslas Lothaire, en saisir tous les aspects et toutes les expansion russe en Europe centrale. dis que les systèmes interprétatifs sont gure de Nel- prince de Metternich, ne se contente nuances, d’avoir une parfaite connais- Conscient des ambitions russes, il crai- abandonnés. Henry LAURENS son Mandela pas de révéler la correspondance et les sance des événements et des enjeux si gnit d’écraser la France qu’il souhaitait et raconte confidences amoureuses de ce grand étroitement imbriqués ; et d’être fami- simplement ramener à ses frontières comment le séducteur européen qui eut trois épou- liers de tous les grands personnages de 1792. Les divergences grandissant prix Nobel ses autrichiennes, trois maîtresses de cette période qui, gravitant autour en l’absence d’un ennemi commun, la Retour au Christ de la paix russes et trois autres françaises ; huit de Metternich, en ont écrit l’histoire. coalition finit par se scinder. Restait s’efforça de enfants légitimes et quel- Ainsi, seul un lecteur à établir « un ordre international sta- Comment je suis redevenu chrétien de Jean- Nous assistons, dit-il, au surgissement souder son ques-uns de plus… mais avisé observera, à titre ble »… Le Congrès de Vienne fut son Claude Guillebaud, Seuil, coll. Points-Essais, 190 p. d’un nouveau monde, d’une « moder- pays à tra- réserve une large place d’exemple, que Metter- triomphe puisqu’il rétablissait la puis- nité métisse ». Cette démarche com- vers l’équipe à l’histoire de l’Europe nich, qualifié d’« Autri- sance de l’Autriche en Allemagne et en prend des temps forts qui touchent aux nationale de rugby. Magistralement de la première moitié du chien de l’extérieur », a Italie sans toutefois écarter la France crivain, journaliste, éditeur, fondamentaux politiques de l’Occident. interprété par Morgan Freeman, le XIXe siècle. agi autant en Prussien du concert des nations. Il appliqua une Guillebaud reconstitue dans son Il constate, en particulier, que « la dé- film est tiré d’un document biographi- qu’en Autrichien. politique qui tendait à rétablir la puis- livre le parcours rationnel qui mocratie n’a pas été conquise seulement que de John Carlin : Déjouer l’ennemi, Il revient ainsi sur la re- sance des Habsbourg, et bien au-delà, Él’a reconduit à la foi chrétienne, au ca- “contre le christianisme”, mais aussi Nelson Mandela et le jeu qui a sauvé lation entre Metternich Si l’auteur développe au à restaurer un équilibre européen dé- tholicisme, et auquel il a déjà consacré grâce à lui, dans son prolongement, en une nation (éditions Ariane). et le tsar Alexandre Ier et gré de sa fantaisie les re- truit par l’impérialisme napoléonien ; plusieurs ouvrages. intégrant et en laïcisant son héritage » . souligne que « des rap- lations intimes et/ou po- politique qui mena à la conclusion de ports de fascination ré- litiques de Metternich, il la Sainte Alliance. Gand reporter au Monde, Claude C’est au Liban que resurgit, pour Keats et Dumas ciproque se sont établis dissèque en revanche avec Guillebaud avoue avoir été pris du be- l’auteur, la question du « Mal ». « Le soir, Dans Bright Star, Jane Campion évo- entre le diplomate et le monarque » rigueur les trois rôles qu’il a assumés : S’il fut séducteur en son temps, le soin de « ruminer », après avoir consa- à Beyrouth, chez le correspondant du que la passion du romantique anglais qui ont vécu, un temps, « une lune de le vainqueur de Napoléon, le praticien personnage nous apparaît comme cré des années entières « à observer et Monde, Lucien Georges, nous en par- John Keats pour Fanny Brawne, alors miel qui ne sera pas sans conséquence de la diplomatie dans une ère révolu- peu sympathique parce que pédant rendre compte ». Au terme d’une car- lions jusque tard dans la nuit », raconte- que L’autre Dumas de Safy Nebbou, politique ». De même, Zorgbibe passe tionnaire, le fondateur d’un nouvel et glacial. Zorgbibe le décrit surtout rière qui le conduit notamment dans t-il, évoquant « ce vertige étrange qui, en avec Gérard Depardieu et Benoît au crible la relation entre Metternich ordre international. comme le parfait exemple de l’être le Beyrouth des premières années de quelques instants, peut métamorphoser Poelvoorde dans les rôles principaux, et l’Aiglon, ce jeune duc de Reichstadt fourbe et rusé qui, pour faire de la po- la guerre, il part à la recherche de ces un homme ordinaire en un tortionnaire évoque les rapports de Dumas avec décrit par certains comme « l’élève de N’étant pas doué pour l’affrontement, litique, doit savoir intriguer, désinfor- « vestiges » de christianisme qui le tien- capable de tout. C’était l’opaque mys- son « nègre » Auguste Maquet (sortie Metternich » ; et en conclut que « si il ne fut pas un combattant à visage mer, jouer simultanément sur « deux nent, et avec lui la France, debout. C’est tère du passage à l’acte (…) ». en France le 10 février). Metternich n’a pas été son geôlier, découvert. Son symbole est l’araignée échiquiers ». Bonaparte dira même, une véritable « généalogie » des valeurs contrairement à la légende reprise par qui tisse sa toile et guette sa proie. tant il a été manipulé par le ministre fondatrices de l’Occident qu’il va dé- Divorcé-remarié, il avoue : « Je ne suis Edmond Rostand… il ne semble pas « La piqûre de l’araignée après le vol autrichien, qu’il est « le plus grand couvrir et établir. pas un bon chrétien au sens ordinaire Dugain et Staline lui avoir porté une affection sembla- de l’aigle ! » Metternich qui avait misé menteur du siècle ». Mais Metternich du terme. Mon curé s’en accommode. Il L’avant-dernier livre du romancier ble à celle manifestée par l’empereur sur la victoire de la Grande Armée n’aspirait qu’au jugement de la posté- Chemin faisant, il prend conscience que a même le courage de transgresser par- Marc Dugain, Une exécution ordi- François et la famille impériale ». En s’est appliqué à transformer son pays rité. Et la postérité retiendra qu’il fut, le monde entier vit des temps « apoca- fois la règle en me donnant la commu- naire, a été adapté au cinéma par revanche, l’auteur passe beaucoup en satellite du grand empire napoléo- au-delà de toute considération, un lyptiques », un mot qui doit être pris nion sans dire un mot. » Un livre qu’une Jean-Louis Livi et sort au cinéma le 3 trop vite sur la relation entre Met- nien et à feindre une soumission sin- homme de paix. non pas comme synonyme de catas- seule lecture n’épuisera pas. février. Il raconte les dernières heures ternich et Talleyrand qui est l’autre cère. C’était faire peu de cas de l’hiver trophique, mais selon son sens originel de Staline, magistralement interprété modèle du diplomate accompli ; « son russe… L’Autriche se rallie alors à la Lamia EL-SAAD de « révélation », de « surgissement » . Fady NOUN par André Dussollier.. Jeudi 4 février 2010 Rencontre VII Todorov ou l’espoir en la fragilité du bien La signature humaine est un voyage dans l’histoire le rappel d’humiliations vécues dans pas de beauté dans le fait de torturer le passé afin de nourrir le sentiment de un enfant », a dit Dostoïevski, et je et le temps par lequel Tzvetan Todorov revanche. Je ne me reconnais donc pas trouve que c’est bien de partir de cho- dans la formule « devoir de mémoire ». ses claires et simples. L’esthétisme est remonte le cours de son itinéraire intellectuel Tout dépend de l’usage fait du passé, toute une voie que nous pouvons sui- et personnel, habité par l’humanisme et les de l’objectif pour lequel il est évoqué. Il vre, quand l’œuvre se réfère à ce qui se faut sortir d’une image simpliste quant détache du monde commun. On peut marques de sa rencontre avec le mal. au fait de nommer les « méchants » et la par abstraction faire un jugement pu- nécessité de les punir. La manière avec rement esthétique. Ce n’est pas théori- eune étudiant bulgare arrivé Beckett. Enfin, j’ai consacré une- der laquelle il faut traiter les pages sombres quement impossible et nous pouvons dans les années 60 à Paris nière partie à Goethe lequel me sem- de l’histoire n’est pas du tout évidente. vivre dans différents mondes à la fois. où il vit depuis, Tzvetan To- ble proche de mes intérêts. J’essaie de dorov est linguiste et sémio- poursuivre un même questionnement L’humanité face au mal : en toute in- La littérature, ou le sens à l’envers et logue, critique littéraire, his- le long de tous ces sujets, à travers un humanité l’endroit torien des idées, directeur de recherche même style qui les unit, mais aussi par Jhonoraire au CNRS. Auteur d’une œu- une réflexion plus générale qui garde Je tente de montrer qu’il est dangereux La littérature est source de plaisir et vre prolifique couronnée en 2008 par le une certaine cohérence et touche à la de chercher à ériger un mur entre le mal de choses plus importantes aussi : elle prestigieux prix du Prince des Asturies, condition humaine. commis et nous-mêmes, ce qui est une est la première science humaine. La il capture et remanie dans La signature tentation omniprésente. L’humanité source de sagesse au sujet des com- humaine vingt-cinq années d'études et Le titre « La signature humaine » : l’em- n’est pas quelque chose de merveilleux, portements humains se trouve dans les de publications. C’est à la salle Rabe- preinte de l’homme sur le monde il faut la prendre dans sa noirceur et sa mythes puis les romans. La littérature lais du centre-ville de Montpellier, le complexité. Les gens font le mal parce porte une pensée et une conception du 14 décembre passé, que L’Orient Litté- Une romancière de ma connaissance que ça leur paraît être le seul moyen monde sans qu’elle ne soit forcément raire est allé à la ren- m’a suggéré ce titre d’atteindre un objectif didactique. Dans mes contre de Tzvetan To- comme désignant les indispensable. Le mal lectures, j’essaie de dorov venu présenter « L’intellectuel thèmes généraux de n’est pas loin quelque « L’humanité voir comment le texte son dernier ouvrage. mon livre. Il s’agit de part, fait par des gens présente certaines af- Ses réponses et ré- est toujours la signature qui traîne d’une espèce inférieure. n’est pas firmations à la surface flexions, réparties de dans l’histoire : à la Il faut donc éviter de et comment son mou- manière thématique, un exilé dans Renaissance on par- glisser dans la tenta- quelque vement nous apprend sont édifiantes ! lait de la signature que tion de l’aveuglement des informations dif- son pays porte toute chose en sur soi : je ne connais chose de férentes. Je reste dans L’ouvrage : un « auto- son extérieur et par qu’un moyen pour cela, l’analyse littéraire tout portrait chinois » de parce qu’il laquelle nous pou- et c’est l’éducation, la merveilleux, en la mettant au ser- l’auteur doit avoir un vons juger des qualités parole, les livres, les il faut la vice d’une recherche qu’elle recèle. Les al- journaux, les discours du sens car la litté- Ce livre, par le fait de regard neuf, chimistes désignaient des hommes politiques. prendre dans rature est avant tout réunir 25 ans de ré- par signature ce que Si les gens torturaient une construction du flexion dans un même distancié, toute chose et toute par simple plaisir sadi- sa noirceur sens. J’ai inclus dans volume, est une sorte créature laisse dans le que, ce serait un monde cet ouvrage un texte d’autoportrait, même parfois monde et qui permet formidable vu qu’il n’y et sa qui s’appelle « L’espoir si je ne parle pas du de les reconnaître. Je aurait que quelques chez Beckett » alors tout directement de critique. » poursuis cette signa- © Arnaud Février / Flammarion rares sadiques qui fe- complexité. » que tous ses personna- moi-même. J’y parle de personnes et de ture humaine dans cet ouvrage en es- Elle a vécu dans le sens de sa pensée faire une force de ce qui est pour les raient cela. Romain Rolland a dit que ges sont accablés, désespérés. Mais si sujets importants pour moi, de rencon- sayant d’aller le plus loin possible dans et je recommande vivement ses livres. autres une faiblesse : il est parti jeune l’inhumanité fait partie de l’humanité. on les lit attentivement, on s’aperçoit tres marquantes, de ce qui a constitué la compréhension et la réflexion. C’est une personnalité engagée dans et a maintenu un contact suivi avec Tout le reste est un mensonge pieux. que dans la manière même dont ils sont mon univers intérieur, sans révéler quoi la vie publique, dans la résistance, en- son pays la Palestine, même si ce pays Souvent il nous faut exclure les acteurs écrits, il y a une forme de tension dans que ce soit de mon intimité. Je vis avec Les personnages des « Portraits » : voyée dans un camp de concentration n’existe pas. Il a fait de la condition du mal, de l’humanité, et les transfor- la théorie du désespoir, menant au rire. la conviction que l’être est profondé- « fragiles et exemplaires – sorte d’engagement involontaire –, de l’exilé un avantage et a développé mer en monstres, en animaux. Seuls les Rire est un message d’espoir. ment marqué et formé par ses rencon- revenue vivante mais très éprouvée en une thèse selon laquelle l’intellectuel humains sont capables du plus cruel et tres avec les autres et que c’est à travers Germaine Tillion, Aron, Saïd sont des 1945, puis impliquée dans la guerre est toujours un exilé dans son pays procèdent par une forme d’identifica- La volonté d’empathie prime chez cette vie en commun que se constitue personnalités exemplaires, non pas d’Algérie. En tant qu’ethnologue, elle parce qu’il doit se détacher de ce qui tion avec la victime car ils savent ce qui Tzvetan Todorov. La possibilité du mal et se caractérise la vie humaine. J’essaie dans le sens de parfaites, mais par ce connaissait ce terrain et se considérait est allant de soi, naturel, pour pouvoir fait très mal. Ma réflexion sur le mal chez tout un chacun le questionne et de comprendre la pensée des auteurs qu’elles ont à nous apprendre : ce ne comme viscéralement concernée par la avoir un regard neuf, distancié, parfois n’est pas du tout métaphysique, mais l’inspire. Certains paradoxes de sa pen- sur la vie commune, l’amour, la com- sont pas des héros triomphants mais guerre civile. Elle voulait sauver des critique. porte sur celui que nous connaissons sée cependant paraissent, entre son in- préhension de soi, et toutes les expé- des individus qui subissent des échecs vies humaines, arracher les civils à la dans notre histoire récente et part de térêt compréhensif pour l’ambiguïté et riences humaines fondamentales. au cours de leur existence. Je suis torture et aux attentas plutôt que de Humanisme et totalitarisme : la fragi- la formule que tout le monde connaît : la capacité à faire le mal chez l’humain toujours sensible à une certaine fragi- prendre parti : une centaine de per- lité du bien « Délivre-nous du mal » qui figure dans d’une part, et sa distanciation face au Les grandes parties du livre : Portraits/ lité des personnages. Je suis incapable sonnes lui doivent la vie. Aron, grand la prière chrétienne tirée de l’évangile subversif ou au pervers, dimensions Histoire/ Lectures d’écrire sur des êtres qui seraient des professeur au Collège de France, et que Le phénomène totalitaire met en échec selon saint Mathieu. Mon commen- intrinsèques à l’ambivalence humaine héros purs, comme je suis ennuyé par je n’ai jamais rencontré, était, cela se l’humanité, mais il est possible de lui taire est que cette formule est un vœu autant sur le plan psychique qu’éthi- La première section est une série de l’enfermement des individus dans des sent, fragile et tourmenté. Il a dû faire résister et c’est ce qu’ont fait les dif- et que nous ne serons jamais délivrés que. Et c’est peut-être la cohérence portraits : Germaine Tillion , Raymond catégories définitives. J’essaie de pen- des choix difficiles qui l’ont parfois férents personnages cités dans mon du mal. Nous pouvons essayer de l’ap- brillante et si justement pesée de son Aron, Edward Saïd, Jakobson et Bakhti- ser le rapport choix de vie/œuvre de empêché d’écrire comme il l’aurait ouvrage. Je ne développe pas de gran- privoiser, le maintenir sous chape pen- analyse qui dévoile au mieux les jeux ne. Une seconde section, « Histoire », l’auteur, même si je trouve que cette voulu. Son premier projet était d’éta- des théories, mais je m’occupe de cas dant quelque temps, mais la délivrance de l’ombre et de la lumière, sur fond de relate des épisodes liés d’une manière relation n’est pas toujours pertinente blir une étude sur Proust, d’être un particuliers. Le bien est extrêmement définitive du mal me paraît un projet portrait(s) du monde humaniste rongé ou d’une autre au monde totalitaire. et qu’elle n’a parfois rien de spécial à critique littéraire. On a raté un grand fragile et demande toute une chaîne dangereux parce que l’objectif est telle- par le mal. Ce que dit la signature de C’est une expérience à laquelle j’ai été dire de la vie d’un auteur ou d’un ar- critique, mais on a eu un grand com- de complicité pour pouvoir advenir. ment beau qu’on accepterait le sacrifice Todorov est émouvant, instruit, disci- confronté dans mes jeunes années et tiste. Mais chez ceux qui affirment cer- mentateur politique ; c’est la faute à L’exemple du sauvetage des juifs bul- d’individus nombreux pour essayer de pliné, mais il est surtout porteur d’un cela m’a paru essentiel à analyser et taines positions politiques, morales et Hitler, à Staline, aux événements dont gares de la déportation, que j’évoque l’atteindre. héritage de signatures humaines mul- comprendre. Certains textes sont sur le intellectuelles et qui font le contraire il n’est pas sorti indemne. J’ai écrit il dans ce livre, l’illustre parfaitement. tiples ayant, depuis d’autres temps et nazisme, le communisme, d’autres plus de ce qu’ils prêchent, cela est perti- y a vingt ans un ouvrage ayant pour Le mal esthétisé, érotisé : Sade, Mishi- d’autres lieux, réussi à conserver leurs généraux incluent les deux en une sorte nent et représentatif, même si on peut titre L’homme dépaysé, titre qui peut La devoir de mémoire : attention abus ma, Bacon… lettres de paix et d’espoir. de projection sur un écran géant de tenter d’en comprendre les causes. La s’appliquer à Saïd. Ce dernier établis- problèmes qui nous concernent et par- vie n’est certes jamais une incarnation sait un contact entre le tiers-monde et La mémoire est un sujet qui m’interpel- La littérature de Sade ne m’a jamais Propos recueillis par fois nous menacent. La dernière section parfaite de nos idéaux, cependant les le tout premier monde, puisque c’était le. Elle n’est pas plus que la langue ou beaucoup intéressé, je l’avoue. Il fau- Ritta Baddoura présente en majeure partie les auteurs auteurs que j’ai choisis ont vécu leur un New-Yorkais cosmopolite qui ne se l’intelligence, une bonne ou une mau- drait sinon se dire que la littérature n’a français du programme : La Rochefou- vie comme une œuvre. Germaine sentait à l’aise que dans cette ville où vaise chose. Les pires crimes ont été rien à voir avec le monde réel ou bien La signature humaine. Essais 1983-2008 de cauld, Benjamin Constant, Stendhal, Tillion est mise en tête de ce recueil. tout le monde était un étranger. Il sait justifiés par l’appel à la mémoire, par trouver cela un peu gênant. « Il n’y a Tzvetan Todorov, Seuil, 2009, 480 p. Récit Un alpiniste dans l’édition C’est l’histoire d’un homme qui, à plusieurs reprises dans sa vie, choisit de partir et de tourner le dos à ce qui ne répond et épuisés, une errance qui le mène des cachots de Kandahar à une vie de sei- pas à sa soif de liberté. Il s’appelle BW. Plus tard, la passion des livres devient un métier. BW est représentant d’une grande gneur sur les bords du lac Dal, à Sri- nagar, des grandes chevauchées à l’an- maison d’édition. Il part bientôt pour le Liban où il découvre le concret de la guerre. cienne dans les steppes afghanes à une BW de , Seuil, 2009, 205 p. catalogue d’auteurs dont certains s’im- née 2008, Bernard Wallet est en effet singulier, un texte à deux voix, tantôt lence des refus de Wallet au cours de sa expédition imprévue au sommet de poseront grâce à elles sur la scène de frappé à l’endroit le plus fragile et en récit, tantôt dialogue, tantôt monolo- vie, de ce long continuum de révolte et l’Himalaya, dans des pays où les reliefs la littérature, comme Régis Jauffret ou même temps le plus indispensable pour gue à la forme étonnante, hachurée, de survoltage que fut et qu’est toujours tumultueux et toujours à la verticale, es lecteurs libanais qui appré- François Bégaudeau. Mais cela ne va un lecteur, un passionné de livres et un fait de retours à ligne, d’avancées et son existence. Le refus prend ici deux à l’inverse de l’horizontalité ennuyeuse cient la littérature non gal- pas sans crises, notamment à cause de éditeur : les yeux. Me- de brusques décrocha- visages. Il y a celui des insoumissions de la vie dans les sociétés prospères, vaudée connaissent Paysage la figure même de Bernard Wallet, per- nacé de cécité, opéré ges, de changements de la prime jeunesse, avec la fougue, lui inspireront plus tard sans doute, le avec palmiers, cet ouvrage sonnage athlétique au caractère volca- et obligé de se tenir Le texte de tons, de subites la violence et déjà le rejet d’une car- nom de sa maison d’édition. Lque Bernard Wallet a consacré à sa pas- nique et au regard tendre, célèbre pour couché dans l’obscu- montées d’adrénaline, rière toute tracée dans l’athlétisme et la sion violente et tourmentée pour le Li- ses légendaires colères mais incapable rité, Wallet passe alors revient de d’humour, de drôle- course de demi-fond où brille BW. Il y Mais tout cela est traversé le long du ban, un pays qu’il a coutume d’appeler de se prendre pour un chef, de diriger, par des moments diffi- ries, d’aphorismes, de a ensuite celui des grands et incessants livre par des digressions qui, de ma- sa « matrie ». En revanche, ils peuvent de donner des ordres. Le résultat évi- ciles que la découverte manière fulgurances poétiques départs pour tourner le dos à un monde nière récurrente et presque obsession- assez légitimement ignorer que grâce dent de ce caractère inhabituel pour un des agissements de ses récurrente sur et de considérations jugé trop installé dans ses certitudes et nelle, font revenir le texte sur la ques- aux éditions Verticales longtemps di- patron, même au sein d’une petite en- collaborateurs ne fait acerbes sur le monde son ennui. Les voyages évoqués ou ra- tion lancinante de l’édition et du livre, rigées par Wallet, nombre d’écrivains treprise, ce sont les tentatives répétées qu’accroître. Confiné la question contemporain et, en contés dans le livre sont innombrables, abandonnés à la logique consumériste. libanais ont été publiés en France, di- de ses collaborateurs pour l’écarter en et rendu à lui-même, son sein, sur le monde au Moyen-Orient au contact notam- Le dépit et le désespoir de BW sont à rectement en français ou dans des tra- profitant de ses fréquentes absences et l’homme entreprend lancinante de l’édition. Pourtant, ment de la misère palestinienne et de la ce propos complets. Prophète noir du ductions de l’arabe, à l’instar de Fady de ses voyages. Conformément à son alors de raconter une ce n’est pas la vie de guerre dans la région, en Espagne, en devenir de la littérature en voie d’être Stéphan, Imane Humaydane Younès tempérament passionné et guère prêt part de sa vie tumul- de l’édition Wallet, appelé BW, Irlande pendant les émeutes de 1969, remplacée d’après lui par des objets ou Youssef Bazzi. à s’accoutumer à la bassesse humaine tueuse à sa compagne, qui est à proprement en Algérie et bien sûr au Liban. Mais sans valeur autre que commerciale, hélas si courante dans les milieux de la romancière Lydie et du livre, parler ici racontée. une part essentielle du livre est consa- BW en annonce sans cesse la fin, sur C’est en 1996 que Bernard Wallet pouvoir, Wallet ne sévit pas, ce qui Salvayre. Avec son abandonnés On n’y trouve pas, crée au premier voyage, effectué entre tous les tons, amusé, entêté, désespéré. fonde les éditions Verticales, qui par- aurait eu pour conséquence de le jeter accord, cette dernière par exemple, l’his- 1969 et 1971, et qui mène BW des por- Et c’est sur un pari concernant la sur- viennent très vite à jouer dans la cour dans une mêlée de boue et de fange à retranscrit son récit à la logique toire de l’aventure de tes de Clermont-Ferrand, sa ville nata- vie de cet art ou sa mort que s’achève des grands et à troubler la quiétude de quoi tout son être répugne, et il finit coupé de digressions, Verticales, ce moment le, jusqu’aux montagnes de l’Asie, en le livre, à l’issue d’un dialogue hilare ces derniers en tentant de réhabiliter par quitter la maison qu’il a lui-même de colères et d’empor- consumériste. où pour l’amour de la passant, en une longue et épuisante er- entre le récitant et la narratrice, dia- un travail d’éditeur basé sur l’amour fondée. tements, d’échanges, littérature, Wallet a rance par la Bulgarie, la Turquie, l’Iran logue drôle et grave, sans illusions et des textes, le flair dans la recherche d’évocations et de rires, et de tout cela été forcé de composer avec les prati- l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. pourtant heureux et tendu vers l’ave- de talents, la passion de la découverte Les manipulations qui provoqueront fait ce livre au titre à priori énigmati- ques que l’époque impose à son métier Ces pages sont d’une beauté extraordi- nir, comme chaque page de ce très bel et du travail sans médiation avec les son écœurement et son départ défini- que, BW. et qui sont commandées par les seules naire, où l’on suit l’errance d’un jeune ouvrage. écrivains. Les éditions Verticales, par- tif auront été favorisées par des pro- logiques du marché. Le livre n’est, au homme dans la solitude des immenses ties de rien, vont s’offrir en dix ans un blèmes de santé. Au milieu de l’an- BW est donc un objet littéraire très contraire, que le récit de toute la vio- paysages et des pays archimillénaires Charif MAJDALANI VIII Portrait Jeudi 4 février 2010

chez Grasset, reprenant l’esprit de la tout frappé par le fait que le régime de cour de De Gaulle qu’André Ribaud Nicolas Ier est un régime policier : « Ni- avait traitée dans le Canard Enchaîné colas Ier imagine la société comme un Patrick dans les années soixante. « Je fais de supermarché qui espionne ses clients la parodie et non du pastiche », préci- avec des caméras et des vigiles… » Y se-t-il. Il s’en explique dans La Gram- aura-t-il une suite ? « Je suis obligé de maire en s’amusant : « Le pastiche est continuer, soupire-t-il. Mais c’est un Rambaud, un exercice d’admiration, Proust pas- cauchemar, parce qu’il faut tout lire, tichait le style de Flaubert pour le sa- tout suivre. Pour un petit livre, il faut luer ; la parodie, à l’inverse, appartient une documentation infernale. Il ne faut Saint-Simon à la critique, on imite un auteur pour pas rater un événement ou le détail qui souligner ses manies, le tourner en ri- tue. » Une sorte de travail de presse po- dicule, faire rire à ses dépens. » Dans litique, mais en traitant différemment Les Chroniques de Nicolas Ier, Patrick l’événement avec 6 mois de recul. « Je de notre Rambaud veut dénoncer et interpeller. continuerai jusqu’à ce que Sarkozy À la manière du duc de Saint-Simon s’en aille », promet-il. Il ouvrira sa qui sut relater, dans un style imagé et quatrième chronique sur la clausule de elliptique, les incidents de la vie à la la troisième, avec le « fracassant pro- temps cour de Louis XIV, il passe au crible le cès menaçant du Duc de Villepin, qui régime de Nicolas Sarkozy, dit sur le vous faisait trop d’ombrage ». De nou- Auteur prolixe et prix Goncourt en 1997 avec mode plaisant des vérités déplaisantes, veaux personnages viendront occuper diminue des personna- l’avant-scène, comme La Bataille, Patrick Rambaud vient de publier ges de la scène publique au théâtre : Frédéric sa Troisième chronique du règne de Nicolas Ier, une pour les faire paraître ri- « Je fais de Mitterrand, « le prince dicules par le biais d’une Jean », le Goncourt satire impitoyable du mandat de Nicolas exagération très proche la parodie et l’affaire de Marie de la technique des ban- Ndiaye… et se tissera Sarkozy. Portrait d’un écrivain de talent qui des dessinées. Mais si le et non du comme de coutume sur allie parfaitement érudition et humour. titre fait croire que c’est le modèle des Lumières Sarkozy et ses proches pastiche » et des Moralistes, ces in- vec ses lunettes carrées faculté de lettres de Nanterre. « Ça qui sont la seule cible temporels. « L’année du et sa barbe de philoso- me rasait tellement c’était ennuyeux, de Rambaud, le lecteur s’aperçoit vite Goncourt, je voyageais beaucoup. Le phe, il a le profil d’un confie-t-il à L’Orient Littéraire. Nan- qu’il n’en est rien : « La gauche est seul livre que j’amenais avec moi dans élève studieux. Mais terre était loin à l’époque. C’était à une désespérante, nous répond-t-il. L’ar- mes déplacements était Les Caractè- l’image est trompeuse : heure et demie de la place de l’Étoile. chiduchesse des Charentes (entendez res de La Bruyère. J’adore aussi la « Quand j’avais ton âge, je détestais Il fallait prendre deux bus. Il y avait Ségolène Royal), une personne toute comédie italienne des années 60, sur- l’école.A Les années cinquante étaient un bidonville gigantesque au pied de D.R. occupée par sa grandeur, la sœur ju- tout le cinéma de Dino Risi de Mario tristes, les gens s’habillaient sans cou- la fac. Il y avait un cours le matin à 9 per à la trivialité du réel. Après avoir bataille d’Essling, en Autriche, premiè- melle de sa Majesté, mimant l’amour Monicelli, mon rêve c’était de faire Les leurs, les enfants portaient des crava- heures et un autre le soir à 17 heures. débuté comme critique de cinéma sur re bataille que Napoléon ne gagne pas de l’humanité souffrante, a les mêmes Monstres, I Mostri », parce que, dans le tes. J’ai passé des années bouclé dans On traînait dans cet endroit glauque et France Inter, il se lance dans la presse provocant un carnage, 40 000 morts. comportements que Sarkozy. Elle lui même esprit que celui des Lumières, on un collège de 8 heures du matin à 7 sinistre. J’ai tenu deux mois. J’ai passé écrite. Il cofonde en 1970 le mensuel Passionné d’histoire, il consacre ses ressemble. Comme lui, elle est en per- mélange les genres en permanence, on heures du soir ; même les jeux étaient les deux années suivantes à la Ciné- sociétal Actuel dans lequel il parodie dernières années « au contemporain af- te de vitesse en ce moment. Le choix passe du sinistre au drôle. Facétieux, obligatoires. Tout prisonnier a le droit mathèque. J’ai oublié mon sursis. Du de nombreuses personnalités littérai- freux », l’histoire immédiate, « la moti- entre les deux est impossible ! » Mais Patrick Rambaud dédie sa chronique de s’évader. Comme la télévision exis- coup, je me suis retrouvé le 4 mars 68 res. Pour arrondir ses fins de mois, il vation n’étant pas toujours la même », ce sont surtout les hommes et femmes au dramaturge « L’Arétin, terreur des tait à peine, nous nous évadions dans dans une caserne pendant seize mois. prête sa plume à trois ou cinq person- cette fois avec moins de plaisir, vu traditionnellement de gauche et bénéfi- puissants, qui mourut de rire à Venise la lecture… » C’est ainsi que Patrick J’ai passé le mois de Mai 68 à Evreux nalités célèbres par an. « Le Goncourt que sa « colère » face à la « fâcheuse » ciant de « l’ouverture » qui sont les plus en 1556 » ! Rambaud se souvient de son enfance à la base aérienne 105. C’était assez m’a sauvé », nous répète-t-il, soulagé. élection de Sarkozy se « transforme en raillés : Carla Bruni, reconnue de gau- dans La Grammaire en s’amusant. drôle… » La Bataille, ce roman que Balzac n’a projet », et qu’il est « condamné à ça ». che et ayant le statut particulier d’être Rita Bassil el-Ramy Adulte, les choses ne s’arrangeront pas jamais composé, une épopée de trois Naissent alors ses chroniques, satires l’épouse du président, est évidemment avec les études puisqu’il aura passé L’humour sera pour Rambaud un cents pages écrites à la demande de son désopilantes du règne de Nicolas Ier, la victime la plus exposée. Dans cette Troisième chronique du règne de Nicolas uniquement deux mois en 1966 à la compagnon très précieux afin d’échap- éditeur, Jean-Claude Fasquelle, conte la dont le troisième tome vient de sortir troisième chronique, Rambaud est sur- Ier de Patrick Rambaud, Grasset, 2010, 180 p. Essai Chroniques Pour ou contre la femme ? De Nancy Ajram à Karl Marx Nessyane com d'Ahlam Mosteghanemi, Dar al- plus aisé à pratiquer pour l’homme l’auteur lancerait aux hommes étant Nancy n’est pas Karl Marx (Nancy Ajram donne lieu au premier portrait de la comme le bilan mitigé des télévisions Adâb, 2009, 336 p. que la femme arabe. Cela revient au donné que l’interdit est souvent le laysat Karl Marx) de Hazem Saghieh, Dar es- série, une tentative juteuse et avertie satellitaires arabes (al-Jazira en tête) fond à prescrire un remède contre un meilleur moyen de déclencher le dé- Saqi, 2010, 120 p. pour déconstruire, voire « effeuiller » ou les pères et les fils dans la politi- mal qu’on n’a pas vraiment traqué à sir ? le mécanisme de séduction qui fait la que libanaise, il s’attaque aussi à des e n’est pas un manifeste, la racine. L’oubli utilisé à outrance fortune de la jeune star située, selon icônes bien plus cosmopolites comme précise Ahlam Mostegha- peut se révéler toutefois pire que le Quoi qu’il en soit, il nous paraît dif- ancy n’est pas Karl Marx. l’auteur, entre la beauté préraphaélite la trop souvent revisitée Édith Piaf nemi au sujet de Nessyane mal, car les souvenirs douloureux ficile d’imaginer que Mostegnanemi, L’antinomie aurait été plus et la Lolita de Vladimir Nabokov. Suit (chanson quand tu nous tiens !) avec com, mais une déclaration, contribuent à enrichir les émotions et auteure et féministe confirmée qui persifleuse encore si elle une petite quarantaine d’autres textes, « son masque ricaneur collé à la peau Cun bilan, un guide, voire plus est sociologue, Nmettait en vis-à-vis, comme le veu- écrits à différents moments, probable- du visage et regardant le monde » même une thérapie dont puisse croire vraiment lent d’autres intellectuels déçus de ment entre deux articles d’analyse ou l’incontournable Che Guevara le but est d’épargner les « Non à qu’il suffit pour en finir ce qu’est devenu le monde arabe, les politique « sérieuse », où Saghieh en- oscillant entre l’image du saint mar- affres de la mémoire et avec la situation d’infé- Prolégomènes ou la « moukaddamat » tend cerner certaines « mythologies » tyr et celle du combattant imbu de du souvenir à ces femmes l’homme riorité en amour de la du fondateur de la sociolo- contemporaines dont nous convictions inébranlables. La poupée victimes de mâles phal- femme arabe de créer gie arabe, Ibn Khaldoun, sommes devenus si friands Barbie, le boxeur Mohamed Ali Clay, liques et volages, forts qui séduit un parti homogène re- avec le postérieur, soit la depuis Roland Barthes. Le la Cosa Nostra, Hillary Clinton, le d’une domination ances- plié sur lui-même, pra- « mou’akkharat », de la défilé se poursuit logique- MacDonald, le football, la cigarette, trale et imbus d’eux-mê- plusieurs tiquant un oubli mé- chanteuse Nancy Ajram. ment avec d’autres vedet- David Irving et même Leo Strauss, mes, car l’homme, lui, thodique et radical de Saghieh, qui s’est laissé tes de la chanson, Sabah, tout passe sous une plume parfois sé- est un animal oublieux femmes, la gent masculine. Un aller au choix d’un titre la fannana par excellence rieuse et souvent ironique. La boucle tandis que la femme est parti pareil s’apparen- plutôt racoleur, récuse qui se cache derrière son est bouclée avec Karl Marx dont la un être qui cultive la mé- mais oui terait plus à une secte d’entrée de jeu cette contra- rôle contrairement à Fey- « mort » est régulièrement confirmée moire et rumine les ran- qui, sous prétexte d’as- diction entre le sérieux du rouz la transparente, Ab- et le « retour » tout aussi périodique- cœurs : « C’est sur l’oubli à celui surer à ses membres un patriarche barbu de la dul Halim Hafez et Amro ment annoncé. que l’amour construit sa mieux-vivre, aggrave classe ouvrière et la légè- Diab en deux figures ju- nouvelle mémoire ; sans qui séduit leur solitude et leur dé- reté supposée de la jeune star qui fait véniles, deux générations et deux Certes, les textes sont inégaux, écrits l’oubli, il est impossible la même boussolage. des ravages en vidéo-clips et autres manières d’être… De la chanson à la parfois dans des démarches diverses, qu’un amour puisse éclo- publicités. L’éditorialiste averti d’al- poésie il n’y a parfois qu’un pas avec mais les abondantes références histo- re. Les hommes excel- femme Il nous semble de même Hayat ne veut pas qu’on lui impose l’autre Égyptien Ahmad Fouad Najm riques, esthétiques et intellectuelles lent, davantage que les difficile de suivre Mos- un choix exclusif et totalitaire, préfé- qui a bercé nos rêves révolutionnai- ainsi que l’angle d’attaque choisi réé- femmes, par leur capa- plusieurs teghanemi quand elle rant, à travers les articles qu’il réunit res des années soixante-dix avec son ditent le plaisir et l’intérêt que suscite cité à l’oubli et la vitesse décrète qu’il existerait dans ce livre, s’adonner à « un vaste compère, encore plus marginal, feu le toujours la signature de Saghieh dans impressionnante avec fois » en face de la masculi- arc-en-ciel où la vie prend forme et ac- chanteur Cheikh Imam ou avec Ma- ses moindres contributions sur les pa- laquelle ils guérissent nité machiste et au fond quiert un sens ». Et pourtant, Nancy hmoud Darwich, l’emblème meurtri ges d’al-Hayat. de leurs amours tandis que certaines libérer les facultés créatrices d’un être hostile aux femmes une masculinité Ajram n’est pas là seulement pour de la cause palestinienne. Saghieh ne femmes paient des années de leur vie humain. authentique, celle-là méritant tous la trouvaille bruyante du titre, elle se contente pas de thèmes « locaux » Jabbour DOUAIHY pour oublier un homme dont l’amour les éloges. Cette masculinité authen- leur a déjà coûté encore d’autres an- Par ailleurs, l’idée selon laquelle la tique, malheureusement en voie de Publicité nées. » Mosteghanemi demande à frivolité et l’inconstance sont surtout disparition et qui serait caractérisée toutes les femmes arabes abandon- l’apanage des hommes, les femmes entre autres par l’esprit chevaleres- nées par leurs époux ou amants et étant par définition plus enclines à la que, la noblesse de l’âme et du cœur, désireuses d’oublier les blessures de fidélité, s’apparente plus à un stéréo- serait l’apanage « non de l’homme qui l’amour de rejoindre « le Parti arabe type culturel qu’à une vérité scienti- séduit plusieurs femmes, mais celui pour l’oubli », fondé par elle, et dont fique, et elle est heureusement bat- qui séduit la même femme plusieurs le site Web porte le même nom que tue en brèche dans la littérature tant fois », dit-elle reprenant un auteur le livre. L’oubli, rien que l’oubli, pour contemporaine qu’ancienne. français dont le nom n’est curieu- ne point mourir de l’ingratitude et de sement pas cité. Cette classification l’égoïsme de l’homme, c’est la morale L’ouvrage affiche sur sa couverture simpliste, tout en clair-obscur, est in- prêchée tout au long des trois cent la mention « Interdit de vente aux capable de rendre compte du poten- trente pages qui forment ce guide né hommes », ce qui semble coller avec tiel quasi infini des jeux du désir entre des « conseils » et « commandements » son ambition de créer un parti poli- les hommes et les femmes. prodigués à une femme particulière, tique protecteur du féminin, fermé mais que toutes les femmes arabes à l’élément masculin perçu d’emblée L’auteure met dans cet ouvrage avec auraient intérêt à méditer et à retenir comme hostile. Pourtant, cet interdit, verve et humour le doigt sur un pro- comme un bien inestimable. on l’aura bien compris, n’a aucune blème réel qui mérite d’être posé. chance d’être suivi, ce qui nous amène Cependant, quelles formes d’amour L’oubli du passé est présenté comme à nous poser la question des motiva- seraient encore possibles entre des la condition de possibilité de nouvel- tions qui se cachent derrière sa formu- hommes considérés presque tous les amours. Cependant, il n’est nul- lation. Est-ce un artifice pour doper comme volages et briseurs de cœurs lement précisé de quel genre d’oubli les ventes de l’ouvrage en ciblant un et des femmes qui rentrent dans des il s’agit. Ne convient-il pas alors de lectorat masculin dont la curiosité ne relations avec à la base le parti pris distinguer entre l’oubli sain compara- manquerait pas d’être éveillée par un de ne pas s’attacher et de tout oublier ble à une lente digestion et le refou- défi aussi cinglant ? Ou bien est-ce de l’amant une fois la relation termi- lement, incubateur de malaise exis- une manière humoristique de signifier née ? tentiel sinon de névroses ? De plus, aux hommes qu’ils ne sont que des l’auteure se contente de marteler les mineurs, interdits d’accès à certains Nessyane com est-il somme toute un vertus de l’oubli, mais néglige d’étu- produits culturels jugés « osés » ? Et manifeste pour ou contre la femme ? dier les conditions psychologiques ou s’il ne s’agissait là après tout qu’un socioculturelles qui le rendent de loin d’un signal ambigu de séduction que Katia GHOSN