GEORGES JOUBERT

LES JEUX D'HIVER DE SAPPORO

C'est avec quelque étonnement hommage à l'esprit des Jeux que les skieurs Européens appri­ olympiques pourrait être apporté rent la nouvelle en 1968 : après par un peuple que la décision prise Cortina d'Ampezzo, Squaw Valley, de démolir au lendemain des Jeux Innsbrück, Grenoble, Sapporo, le plus beau téléphérique jamais ville japonaise, était chargée construit dans ce pays pour rendre d'organiser les jeux olympiques à un site « protégé » une virginité d'hiver ! qu'on entend lui voir assurée de Cette surprise prouve combien le façon définitive ! Quelle merveil­ retentissement accordé, parfois leuse réponse également apportée un peu abusivement, â l'événe­ aux nombreux occidentaux qui ne ment sportif que constituent les voient dans la réussite japonaise jeux, se révèle utile pour éclairer qu'un sacrifice outrancier aux lois l'opinion, élargir ses connais­ de l'économie ! sances et contribuer peut-être à On avait pu craindre qu'une fois abaisser les barrières qu'incons­ encore les Jeux ne soient utilisés ciemment toutes les collectivités pour étayer une politique de pres­ humaines élèvent autour d'elles. tige. Il n'en fut rien et Sapporo Quoi de plus naturel que la grande restera, dans le souvenir de ceux fête du ski soit enfin organisée par qui « vivent » les jeux Olympiques ce pays qui compte plus de 9 mil­ d'hiver, comme un pas fait vers la lions de skieurs, plus de 400 sta­ désescalade. L'organisation fut tions; qui produit annuellement rationnelle, suffisante mais sans près de 2 millions de paires de ski plus. Pour ma part je m'en félicite et qui en exporte environ la moitié. car s'il y avait eu surenchère par Par un pays dont toute la moitié rapport aux Jeux de Grenoble je septentrionale est parsemée de me demande si une seule candida­ stations de ski, les unes presque ture valable aurait pu être trouvée au niveau de la mer à une latitude dans l'avenir. Je précise « vala­ pourtant voisine de celle de ble » car je sais qu'il y aura tou­ Lyon, les autres à 1.000 m d'alti­ jours des candidatures motivées tude, à la latitude de Casablanca ! par des puissances privées, plus Pays dont les habitants aiment le intéressées par une formule de sport, les activités physiques, la publicité peu onéreuse que par la nature. Quelle meilleure preuve réussite finale des épreuves ! Hor­ de cet amour, et quel plus grand mis le téléphérique précédemment

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Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés cité, je suis certain que toutes les diques, ils profitent des mêmes Le skieur japonais, bien qu'il soit installations sportives et même possibilités de neige et de terrain rarement intéressé par la compé­ toutes les infrastructures mises que les Scandinaves et les Russes, tition, est cependant un vrai spor­ en place pourront être rentabi­ avec l'avantage non négligeable tif. La majorité des pratiquants se lisées dans l'avenir. d'une journée beaucoup plus lon­ déplace en groupe dans des condi­ Il est en effet impossible de con­ gue durant l'hiver en raison de la tions assez difficiles. Générale­ cevoir une ville de plus d'un million latitude. ment en train, pour la journée lors­ d'habitants aussi bien placée pour Pour l'instant, en ce qui concerne que la station est proche, plus la pratique du ski. La neige tombe les sports d'hiver, Sapporo est une souvent en voyage d'une nuit pour en novembre et reste générale­ ville de sauteurs. Sur toutes les l'aller et d'une nuit pour le retour, ment jusqu'à fin mars. De petites buttes neigeuses on voit une lon­ afin d'économiser le prix d'une buttes facilement transformables gue chenille de gamins remontant chambre d'hôtel. Ce type de en stades de neige se rencontrent un « bout de pente » pour accéder voyage, pour un déplacement de dans les quartiers périphériques. au départ d'un tremplin de fortune. 400 km, avec petit déjeuner, A 4 ou 5 km du centre de la cité, C'est là que se sont formés les déjeuner et dîner coûte 2.000 yens plusieurs collines offrent des déni­ Kasaya, Konno, Aochi qui assu­ environ auxquels s'ajoute le prix velés de 200 à 300 m. Une piste rèrent son moment de gloire à la des remontées mécaniques (500 à éclairée, de plus de 1 km, fonc­ nation japonaise en s'octroyant les 1.000 yens). Par journée supplé­ tionne à Makomanaï, ville satellite trois premières places au saut de mentaire dans un petit hôtel, il de Sapporo où aboutit l'unique 70 m. Hélas ! l'exploit n'était pas faut compter de 1.000 à 1.500 ligne de métro construite à l'occa­ attendu ce jour là. Une fête natio­ yens. Si l'on considère qu'un sion des Jeux. Cette piste généra­ nale japonaise avait été déplacée ouvrier ou un employé peu payé lement en neige poudreuse fait la de deux jours pour coïncider avec reçoit mensuellement 30 à 40.000 joie des ouvriers et employés cita­ le saut de 90 m et ce jour là, yens, on peut penser que la pra­ dins qui s'y précipitent après leur 30 millions de Japonais connurent tique du ski est moins onéreuse travail (son chiffre d'affaire noc­ la défaite !... mais on ne parla pas au Japon qu'en . Il est vrai turne est dix fois supérieur à celui de catastrophe nationale, on ne que le standing des stations est de la journée). A 10 ou 20 km de chercha pas de responsables, on très inférieur à celui des stations là, une multitude de montagnes s'inclina très poliment et l'on européennes. Les Japonais for­ boisées au relief assez arrondi, vanta les mérites du Polonais, du tunés ne trouvent pas au Japon pour la plupart d'origine volcani­ Suisse et de l'Allemand qui avaient l'équivalent de ce qu'ils peuvent que, peuvent permettre de multi­ fait mieux que les champions s'offrir en Europe et l'on chiffre plier par 100 les possibilités nationaux sur un tremplin qu'ils à 200.000 le nombre des skieurs actuellement offertes aux skieurs connaissaient pourtant moins nippons venant chaque année alpins. Quant aux skieurs nor­ bien. skier dans les Alpes.

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Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés QUE PENSER LES NEIGES DE SAPPORO LES PISTES DE SAPPORO. DU COMPORTEMENT DES FRANÇAIS ? Elles étaient en tout point différentes On a parfois critiqué les pistes de des neiges françaises et italiennes et descente de Sapporo ; on a eu tort Il n'y a eu ni débacle, ni effondrement ; si elles présentaient quelques carac­ à mon avis. Plusieurs considérations tout au plus une méforme collective tères communs avec certaines neiges étayent mon jugement. En premier passagère, une mauvaise adaptation d'Europe centrale, elles s'en différen­ lieu je citerai quelques chiffres : sur à la neige et surtout une malchance ciaient aussi totalement sur d'autres une dénivellation de 772 m, au flanc considérable à la veille des Jeux. points. d'une montagne imposant une ving­ Cette malcance fut en premier lieu la La neige tombait à gros flocons taine de virages très bouclés, tracer fracture de Patrick Russel qui était comme une neige légèrement humide une piste de 2.640 m permettant une avec J.-N. Augert notre meilleur chez nous, à des températures variant vitesse moyenne de 86 km/h, n'est homme, et même le meilleur si l'on de —5 à —10 °C. Elle se tassait très pas un problème facile. Il faut aussi prend en considération le caractère facilement mais alors qu'une neige que cette piste, malgré ses virages, particulier de la neige et le type des française de ce type, une fois tassée, reste une véritable piste de descente tracés qu'imposait la nature des pistes prend et garde une consistance ferme, et ne devienne pas un slalom géant ! de Sapporo. Chez les dames ce sont celle-ci restait friable. Si je n'avais Ce risque était maximum dans la par­ les accidents de Françoise Macchi, pas vu à plusieurs reprises une compa­ tie haute de la piste où 7 ou 8 virages et Jacqueline Rouvier. gnie de militaires japonais tasser la très fermés s'enchaînaient. Par curio­ On peut prétendre que la valeur poten­ piste « aux pieds », c'est-à-dire sans sité, des chronométrages très sérieux tielle de notre équipe féminine était skis et en tapant du talon, j'aurais furent effectués pendant les entraî­ diminué de 50 %. accusé les organisateurs de négli­ nements et... c'est dans ces virages gence dans la préparation des épreu­ que l'écart entre spécialistes du slalom Cette malchance, antérieure aux Jeux, ves. Quelques instants avant les cour­ géant et spécialistes de descente se a-t-elle pesé sur le moral de l'équipe ses on voyait encore les contrôleurs creusait le plus, au bénéfice des et peut-elle expliquer la méforme pas­ déraper dans les portes en évacuant seconds ! Nous reparlerons de ce pro­ sagère de l'ensemble de ses membres. des kilos de neige alors qu'à Val blème en traitant de la technique de En partie oui, car une ou plusieurs d'Isère ou St-Gervais, sur une piste descente des skieurs suisses. médailles en descente féminine, pre­ préparée de la même façon, ils mière épreuve des jeux, aurait pu n'auraient déplacé qu'une maigre améliorer un climat qui dès l'arrivée A mon avis, la piste de descente de poussière de glace. Et cependant cette Sapporo correspond au tracé type à à Sapporo fut jugé peu favorable neige se comportait sous les skis par la plupart des observateurs. Ces rechercher si l'on veut que les pistes comme une neige dure sur laquelle de descente se multiplient dans victoires nous aurions pu les avoir l'accrochage des carres présentait car nos deux blessées, Françoise Mac­ l'avenir au lieu de se raréfier comme un peu la même difficulté que sur les elles l'on fait dans les dix ou vingt chi et Jacqueline Rouvier, étaient plaques à vent qu'on rencontre à alors classées première et seconde dernières années. On parle sans arrêt haute altitude. Mais à l'inverse de ce de protéger les coureurs par des descendeuses mondiales. Isabelle qui se produit sur de telles neiges, Mir, Michèle Jacot et , moyens artificiels coûteux et l'on cri­ s une fois accrochés, les skis impri­ tique implicitement l'absence de dan­ respectivement classées № 3, 5 et maient leur trace dans la neige de 7 pouvaient briguer une médaille, en ger en jugeant certaines pistes trop Sapporo. Ils l'imprimaient même faciles. Même si ces pistes, et ce fut particulier Isabelle qui s'était classée trop et neuf fois sur dix lorsque les 2 fois troisième dans les compétitions le cas à Sapporo, s'avèrent exception­ skieurs cherchaient à utiliser l'appui nellement efficaces pour mettre en les plus importantes de janvier. Il de leur ski incrusté dans la neige pour semble donc bien que la malchance évidence les coureurs qui possèdent se projeter dans la porte suivante, ils la meilleure technique de descente, ait essentiellement joué pour cette sentaient la neige s'effriter sous leur première épreuve ; elle a été l'incident c'est que les commentateurs, malgré poussée. L'observation du comporte­ eux, jugent que le risque, l'angoisse, final qui a fait basculer le moral de ment des skis sur la neige pendant les l'équipe de France. voire la peur, doivent faire partie inté­ compétitions permit certainement grante de l'épreuve de descente. Tel L'effondrement du moral de cette mieux aux spectateurs qu'aux coureurs n'est pas mon avis, car, en définitive, équipe est-il une chose normale ou du de comprendre ce qui se passait de c'est davantage au niveau de l'incons­ moins explicable ? A mon avis oui, particulier. On put observer plusieurs cience que du courage que se situe le même si l'on ne prend en considéra­ façons de mal skier. Il y eut les skieurs problème pose. La maîtrise technique tion aucune des raisons secondaires qui cherchaient à évoluer skis à plat joue actuellement dans tous les cas qu'ont pu avancer les journalistes, avec un déplacement des skis en pivo­ un rôle plus important que le courage accompagnateurs, techniciens de tement assez important ; tous déra­ et sans maîtrise technique le coureur l'équipement gravitant autour des pèrent de façon excessive comme ils ne peut faire preuve que d'incons­ coureurs. Nos sélectionnés, entraî- l'auraient fait sur une neige savon- cience...

La bonne façon. Il y eut plusieurs façons de mal skier...

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Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés neurs et dirigeants portaient de trop neuse. A l'opposé il y eut les skieurs On a dit que la « glisse » jouait trop lourdes responsabilités : on en avait qui cherchèrent à utiliser un impact sur les descentes de Sapporo. Si l'on fait les dépositaires du prestige natio- puissant, presque brutal pour accro­ veut dire par là que le glissement nal et d'intérêts économiques consi­ cher les skis à la neige ; on observa dans les schuss était déterminant on dérables, on les voulait égaux à ce chaque fois un freinage important a tort, car tous les chronométrages qu'ils avaient été à Portillo, Grenoble, avant qu'un appui soit trouvé. En fractionnes effectués ont prouvé que . Eux qui connaissaient outre ces skieurs ne purent se relancer les écarts entre coureurs étaient plus exactement les forces en présence sans accentuer encore ce freinage. importants dans les parties compor­ savaient quels obstacles devaient être Il y eut aussi, et surtout, les skieurs tant de nombreux virages. Si, par franchis et surtout ils savaient avec cherchant à s'accrocher sur la carre « glisse », on entend glissement des quelle sévérité ils seraient jugés en du ski intérieur aux virages ; l'accro­ skis sur la neige, on a raison, car cas d'échec. Etant pour la plupart chage de cette carre cédant sous la l'observation précédente prouve que au sommet de leur carrière depuis pression fut à l'origine de plus de ce n'est pas dans les fractions de par­ plusieurs années ils avaient peu à 50 % des chutes en slalom et slalom cours où les coureurs cherchaient à gagner et beaucoup à perdre. Ils géant et joua un rôle déterminant dans avoir le profil le plus aérodynamique voyaient par contre à leur côté des le mauvais glissement de nombreux que les écarts étaient les plus impor­ équipes nationales en progression coureurs, dans les virages de des­ tants. Compte tenu des neiges parti­ constante, dont le moral s'améliorait cente. culières de Sapporo c'est au niveau de jour en jour, quelques coureurs La bonne tactique résida : des frottements skis-neige plus qu'au extraordinairement doués capables Dans la recherche d'un appui constant niveau de l'aérodynamisme qu'il de taire des miracles en risquant le des skis sur la neige ; convenait de chercher à grignoter tout pour le tout. Leur position Dans le tracé de courbes régulières les dixièmes de seconde. n'était pas facile ; leur équilibre affec­ s'enchaînant sans-à-coup, du moins Les pistes de slalom géant et de sla­ tif de ce fait devenait précaire. Peut- dans les portes bouclées ; être eut-il suffi d'un « boute-en-train » lom manquaient peut-être un peu de Dans une parfaite maîtrise de l'angle variété mais comportaient cependant pour détendre l'atmosphère et renver­ de prise de carres durant les courbes ser la tendance mais il ne se trouva des portions de pente très forte (40 %) afin que les virages puissent être con­ et des pentes moyennes suffisantes personne pour le faire. L'équipe fran­ duits sans être trop coupés, et cela çaise qui avait réussi à « complexer » (25 % pour les slaloms, 22 % et 16 % aussi bien en slalom, slalom géant, pour les géants hommes et dames). pendant plusieurs années toutes les qu'en descente. Il fallait aussi faire équipes étranqères devait à son tour Il aurait été cependant préférable que preuve d'une grande finesse dans les les trop brèves fractions de pente un s'incliner contre leur coalition ! changements de carres et seul rava­ Cette mauvaise réaction devant l'ad­ peu moins forte soient trois ou quatre lement pouvait permettre cette fois plus longues. Les tracés furent versité explique en partie la déficience douceur de contact avec la neige sans caractérisée dont firent preuve nos parfois jugés un peu trop « bouclés » laquelle tout départ en virage devenait par certains observateurs ; mais skieurs qui ne réussirent pas à s'adap­ un freinage. ter aux conditions de courses parti­ compte tenu de la pente, de la largeur culières de Sapporo. des pistes ouvertes en forêt pour le slalom géant et de la nature de la neige, je crois qu'il aurait été difficile de piqueter autrement sans risquer d'éliminer un nombre encore plus grand de concurrents. Il demeure cer­ tain que ces tracés avantageaient les coureurs préférant les virages bouclés Bernard Russi, 1er en descente. au détriment des spécialistes des (photo G. Joubert) enfilades, type Jean-Noël Augert.

L'ECOLE C'est après avoir bien réfléchi que j'utilise le terme d'Ecole. La supériorité collective affi­ SUISSE chée par les Suisses sur les pentes du mont Eniwa fut si nette dès le début des entraî­ nements ; les résultats qu'ils obtinrent à la descente non-stop et à la descente proprement DE DESCENTE. dite furent tels qu'il faut bien s'incliner devant l'évidence : c'est en Suisse au'il faut aujourd'hui aller apprendre les dernières vérités sur la descente. Prendre les trois premières places à la non-stop, et placer en tête des descendeurs mondiaux un « nou­ veau » qui n était que vingt cinquième en début de saison au classement mondial, c'est déjà une performance. Mais classer 4 coureurs sur 4 engagés dans les 6 premières places de l'épreuve définitive c'est se moquer des adversaires. Je me demande s'il exista jamais une victoire collective aussi nette dans une épreuve olympique. Quant au cinquième homme, éliminé en raison des règlements olympiques à la suite de la non-stop, il s'appelle Jean-Daniel Daetwyler. Classé troisième descendeur mondial par la FIS il aurait pu pré­ tendre lui aussi à une place d'honneur ! Peut-on expliquer ce triomphe suisse ? Partielle­ ment oui, par quatre considérations touchant à des domaines très différents.

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Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés 1° L'équipe suisse est 2° L'entraînement à la 3° Les Suisses ont mis au 4° Les skis utilisés par les une équipe qui progresse descente effectué par les point une technique de Suisses représentent cer­ régulièrement depuis plu­ Suisses est différent de virages de descente très tainement un progrès sieurs années. celui qu'effectuent les différente de celle des dans la conception des virages de slalom géant. skis de descente. Elle a toujours possédé, Français. dans le passé, quelques indi­ Pour les Français, s'entraîner Je ne pourrai ici entrer dans A mon avis, il faut voir là une vidualités brillantes, mais sa à la descente c'est faire des le détail de cette technique confirmation de la thèse que force collective n'a jamais centaines de kilomètres à et je me contenterai d'en je défends depuis plus de été considérable jusqu'à ces plus de 1 00 à l'heure sur des donner l'essentiel. 1 5 ans : les coureurs des na­ dernières années. La raison pistes lisses et parfaitement Premier point : dans les cour­ tions qui brillent dans le ski en était simple : la Fédéra­ damées, en position aussi bes, sacrifier la recherche de alpin ont les skis qu'ils méri­ tion Suisse de ski était assez profilée que possible (1). l'aérodynamisme au profit tent. Les progrès de la tech­ mal organisée et souffrait Pour les Suisses, s'entraîner de la recherche d'un freinage nologie permettent la fabri­ à la fois de la rivalité des à la descente c'est aussi faire moindre au niveau skis- cation de skis plus robustes, Cantons et de l'indifférence ce que font les Français, neige. Ce freinage moindre aux caractéristiques dimen- de l'Etat. Depuis 5 ou 6 ans mais en disposant de beau­ implique un minimum de sionnelles et mécaniques un effort national a été entre­ coup moins de facilités maté­ variations de pression ver­ plus précises, mais n'inter­ pris et a très rapidement rielles : pistes souvent moins ticale, c'est-à-dire une capa­ viennent pas pour définir porté ses fruits. Or il est bien bien damées et moins bien cité du corps á absorber, par ce que doivent être ces connu que lorsqu'une équipe préparées, sur lesquelles se flexion ou reploiement, les caractéristiques. C'est l'expé­ progresse et commence à posent davantage de pro­ surpressions qui tendent à rimentation de prototypes s'affirmer au plan mondial, blèmes d'équilibre et qui se produire du fait des reliefs poursuivie par les champions elle le fait généralement en impliquent une plus grande de la piste ; cela implique la qui seule permet la défini­ descente. Cette discipline attention au niveau des con­ plupart du temps une atti­ tion du ski jugé le meilleur. est en effet celle où l'enthou­ tacts skis-neige qu'au niveau tude assez redressée et tou- Or, c'est suivant sa technique siasme est le plus payant ; du profilage du corps pour jours « relâchée » au niveau que le skieur juge tel ou tel et l'enthousiasme est le pro­ la pénétration dans l'air. des groupes musculaires ski meilleur que tel autre. La pre de toute équipe qui Habituée à des pistes moins extenseurs. vedette d'une équipe de « monte ». En outre la des­ marque impose ainsi son « fignolées », l'équipe suisse Second point presqu'aussi cente est la discipline dans peut davantage varier ses type de ski et par contre­ laquelle une technique vala­ important : savoir à chaque coup sa technique aux autres lieux d'entraînement et, de instant quel est l'angle de ble peut être la plus rapide­ ce fait, les coureurs peuvent membres de l'équipe qui, à ment acquise, d'où les prise de carres à adopter leur tour, marquent une pré­ mieux développer leur fa­ afin que le compromis « effet prouesses de champions culté d'adaptation aux neiges férence pour ce type de ski. comme Marie-Thérèse Nadig directionnel joué par la cou­ De ce phénomène de réso­ et aux terrains les plus va­ pure des carres » et « frei­ et Roland Collombin passant riés. Il est bien évident, en nance naît une unité en une demi-saison du nage par dérapage des d'équipe dans le domaine du effet, que les problèmes carres » soit le moins mau­ second au tout premier plan posés par le glissement sur matériel qui fait que, par de la scène mondiale. vais, c'est-à-dire permette la exemple, les skieurs français les neiges sèches qu'on ligne de virage désiré sans de l'équipe Rossignol ne Inversement les équipes trouve en décembre aux très que le freinage soit excessif. peuvent pas actuellement « arrivées » depuis plusieurs hautes altitudes de Courche­ Ce sens de l'angle de prise skier sur des Rossignol années sont composées vel et Val d'Isère ne sont pas de carres doit pouvoir être Suisses... A mon avis ils ont d'athlètes confirmés qui ont les mêmes que ceux qui se développé empiriquement tort et le fait que les skis partiellement barré la route posent lors des nombreuses mais peut-être aussi peut-il suisses soient particulière­ et freiné l'enthousiasme descentes tracées dans le être développé systémati­ ment conçus pour des des jeunes recrues, d'athlè­ courant de la saison dans des quement en multipliant les skieurs lourds ne suffit pas tes qui entendent limiter les stations de basse altitude tests chronométrés sur des à expliquer le fait. Je pense risques d'accidents et qui plus sujettes aux redoux. séries de virages effectués que chaque fois que les affirment leur supériorité en Mais la principale originalité à très grande vitesse, avec skieurs français manifestent utilisant leur métier, leur vir­ des Suisses est de concevoir une technique volontaire­ leur infériorité sur des neiges tuosité, plutôt que leur la pratique du ski libre, à ment modifiée au fil des douces il faudrait en premier enthousiasme. Ces deux phé­ grande vitesse, sur piste peu expériences. lieu incriminer leur technique nomènes opposés ajoutent préparée, comme une forme Troisième point prendre et le matériel qu'elle impose, leurs effets et peuvent con­ d'entraînement à la descente. conscience du dessin parti­ plutôt qu'une inaptitude tribuer au niveau des équipes Il n'y a rien là de très nou­ culier que doit avoir le virage héréditaire à bien farter les nationales, à faire basculer veau et c'est ce que faisaient de descente, différent de skis... brutalement des situations les coureurs Français avant celui du virage de slalom qui semblaient solidement que Jean Vuarnet ne lance, géant, dessin extrêmement acquises. en 1968 ou 1969, le travail variable suivant le terrain, systématique de recherche la vitesse, le rayon de la 5° La forme athlétique de glissement dans l'air et courbe, la nature de la neige. des coureurs suisses est sur la neige. Mais les Fran­ Là encore, seuls des tests meilleure. çais ont eu le double tort : chronomètres systématiques De croire que cette recher­ peuvent être de quelque J'aurais l'occasion de reve­ che méthodique suffisait utilité. nir sur ce point dans un alors qu'elle n'est qu'une prochain numéro de la partie de l'entraînement. Revue EPS. De négliger le glissement sur la neige au profit du glisse­ ment dans l'air. Cette opinion est aussi celle de Jean Vuarnet qui a obtenu d'excellents résultats avec l'équipe d'Italie en variant au maximum les conditions d'entraînement. Je pense que les Suisses doivent au ski libre pratiqué à grande vitesse, sur terrain varié, ce sens du contact skis-neige qui leur a permis de mettre 87 au point une véritable tech­ nique de descente.

Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés NIVELLEMENT DES TECHNIQUES ET DOSAGE DES RISQUES. Les Jeux de Sapporo auront consacré, au moins en slalom et en slalom géant, un nivellement de la technique non pas seulement des meilleurs skieurs mondiaux mais de l'ensemble des coureurs présents. Aux derniers Championnats du Monde de Val Gardena, les qualités physiques et la morphologie propres à chaque champion influençaient encore beaucoup les techniques individuelles. Des athlètes du type détente, comme Jean- Noël Augert ou Christian Neureuther gardaient une silhouette haute plus propice aux reprises de carres et aux rebonds rapides, alors qu'une nouvelle catégorie de skieurs glisseurs du type Gustavo Thoeni et Patrick Russel évoluaient en attitude très fléchie, presque assise. Les premiers, comme les seconds, utilisaient leurs qualités athlétiques de détente pour accroître leur vitesse mais leurs projections en accélération en sortie de viraae étaient très différentes. Les premiers utilisaient plus volontiers une détente brève des deux jambes en trace serrée et en légère avancée, ou une projection par détente de la jambe amont en sortie de virage alors que les autres recherchaient une prise d'appui maximum sur le ski exté­ rieur et une détente prolongée de la jambe aval sans prise d'avancée. A Sapporo tous les skieurs avaient une silhouette voisine et utilisaient l'ensemble des procédés d'accélération avec une préférence marquée pour la tech­ nique glissée que nous avons qualifiée de technique avec avalement et projection latérale (2). On pourrait se demander pourquoi certains jeunes cham­ pions ont réussi à assimiler cette technique complexe en quelques années alors que leurs aînés ont mis trois ou quatre fois plus de temps. La réponse est simple : les jeunes les plus doués se sont forgés tout naturellement la technique du moment en éliminant d'instinct ce qui était dépassé dans la technique de leurs anciens. Ce nivellement des techniques et de la forme athlétique des champions a mis au premier plan une notion tactique dont on a insuffisamment parlé jusqu'à ce jour : l'accepta­ tion de risques plus ou moins importants. Pour mettre cette notion en relief je citerai quelques faits précis : Il est courant que des coureurs tombés durant la première manche et n'ayant plus rien à perdre parcourent la seconde manche en réalisant une performance supérieure d'une seconde à celle de leur rivaux de valeur sensi­ blement équivalente. On assiste actuellement de façon fréquente à un renver­ sement de l'ordre des performances réalisées entre la première et la deuxième manche d'un slalom ou d'un géant. Exemple : le géant de Sapporo. Les coureurs clas­ sés respectivement : 2e, 4e et 5e à la première manche se retrouvèrent 11e. 15e et 14e à la seconde, alors que les

Fernandez Ochoa, 1er au slalom, (photo G. Joubert)

Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés Gustavo Thoeni, champion olympique du slalom géant. (photo G. Joubert)

10e. 11e 12e et 14e de la première manche prirent les 1e, 3e, 6e et 5e places de la seconde. L'explication est simple : les premiers avaient tout à perdre dans la deuxième manche, les seconds tout à gagner. On voit aussitôt tous les problèmes tactiques qui se posent aux concurrents figurant parmi les favoris avant l'épreuve : ils ne doivent pas compromettre définitivement leurs chances en risquant la chute lors de la première manche, mais ils ne doivent pas non plus se créer un han­ dicap qui sera insurmontable lors de la deuxième manche. Ces coureurs doivent compter sur leurs outsiders bien décidés à prendre le maximum de risques dès la première manche en réalisant l'exploit, exploit qui risque de les galvaniser et de leur permettre une seconde manche aussi brillante, ou presque. De ce fait il y a tassement encore plus grand des performances vers le sommet. On retrouve pêle-mêle les favoris et les révélations du moment et les skieurs « fous » du type Tyler Palmer. Seul le super­ champion, celui qui peut gagner l'épreuve en réalisant sur une manche ou même sur les deux manches des perfor­ mances se situant à une seconde de son maximum, peut prétendre gagner plusieurs slaloms successifs ou même plusieurs slaloms dispersés au cours de la saison. Cet état de fait peut troubler les techniciens qui aiment pouvoir expliquer et justifier les performances ; il gêne les journalistes dans leurs pronostics : mais il ne peut que plaire à la foule des supporters solidement attachés à ce qu'on appelle fréquemment la « cruelle incertitude du sport ».

UN FACTEUR NEGLIGE EN FRANCE : L'ENTHOUSIASME. Les victoires de Marie-Thérèse Nadig et de Francisco Fernandez-Ochoa. Les médailles de Roland Collombin, Suzan Corrock, Werner Mattle, Danièle Debernard. Toutes ces victoires doivent être considérées comme des victoires de l'enthousiasme. Certes le « métier » s'est avéré lui aussi payant lorsque des champions confirmés comme Barbara Cochran, Gus- tavo Thoeni, Bernard Russi se classèrent 1er, lorsqu'Anne- Marie Proell, Edmund Bruggmann, Florence Steurer, Wiltrud Drexel, Heini Messner, s'approprièrent une médaille — mais je pensais, avant les Jeux de Sapporo, que l'expérience acquise pesait beaucoup plus lourd lors des compétitions mondiales. Si l'enthousiasme — c'est-à-dire la foi, l'élan, cette espèce de croyance en l'impossible — est capable de créer l'état de grâce qui peut permettre à l'individu de se surpasser et s'il joue un tel rôle lors d'épreuves olympi­ ques, il faut entièrement reformuler le problème de la

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Revue EP.S n°115 Mai-Juin 1972. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés formation de nos champions. Et je suis heureux de voir nable en Equipe de France est venue gentiment me décla­ se confirmer une hypothèse que je fis il y a une dizaine rer qu'elle pensait avoir épuisé les joies du ski de compéti­ d'années et une opinion que j'ai eu l'occasion de défendre tion et qu'elle désirait, dès ce jour, se consacrer à autre à de nombreuses reprises depuis quatre ou cinq ans dans chose. Par la suite, plus de dix jeunes gens et jeunes filles les milieux fédéraux. placés dans la même situation m'ont plus ou moins L'enthousiasme, ou plus exactement la capacité à ouvertement fait la même déclaration. Alors que, par ail­ s'enthousiasmer, n'est pas une qualité qu'on peut pré­ leurs, sur les quatre jeunes gens de mon club admis dans tendre cultiver, mais bien un capital que chacun possède les groupes I et II de l'Equipe de France durant ces der­ plus ou moins, et de manière spécifique pour un objet nières années, trois étaient venus tardivement au ski bien déterminé. Ce capital doit être préservé pour être et n avaient même pas été sélectionnés à dix-sept ans retrouvé presqu'intact au moment où le champion en a le dans l'équipe régionale disputant le Critérium national des plus besoin pour se surpasser, c'est-à-dire au sommet jeunes. L'un d'eux est Patrick Russel et je pense que son de sa carrière ; et ce sommet ne peut se situer qu au démarrage tardif fut l'un des meilleurs atouts de sa réus­ moment où il dispose de son maximum de puissance site. physique et de compétence technique. En France, une Anne-Lise Zryd, championne du monde à Que penser alors du système presque bureaucratique ins­ Val Gardena, une Marie-Thérèse Nadig double cham­ titué en France pour étiqueter, « classer » les skieurs cou­ pionne olympique, auraient couru le risque de n'être reurs à partir de l'âge de dix ans ! Car un tel classement même pas admises à une compétition dite « nationale » existe déjà dans certains Comités régionaux pour établir faute de pouvoir présenter une attestation de classement le tirage au sort de poussins de dix ou onze ans. On voit en série devenue pour le skieur coureur un véritable des benjamins de douze ans accéder à un classement dit passeport. « national », commun pour enfants et adultes. Un crité­ Aujourd'hui en France les coureurs ne cherchent plus à rium national des benjamins et poussins a été institué, gagner les courses, ils cherchent à améliorer leur classe­ en France. La Coupe Perrier, Critérium National des ment en série. Au niveau supérieur ils cherchent à accé­ Jeunes est un « sommet » de carrière pour une légion de der à un groupe national, puis à progresser du groupe III gamins de quatorze à dix-sept ans qui en sont à leur cin­ au groupe II puis au groupe I, en couronnement de leur quième ou sixième année de compétition sérieuse, avec carrière. A chaque étape le coureur considéré comme sélection et stages d'entraînement régionaux, compé­ sérieux est défendu contre les attaques de ses adversaires tition essentiellement sérieuse d'ailleurs pour les parents moins sérieux mais plus impétueux par un tirage au sort qui satisfont à la fois dans cette affaire leur vanité et leurs qui le favorise. Avantagé par un matériel meilleur, un désirs secrets de propriétaires d'écurie de course. On entraînement quantitatif incomparable et un accès assuré parle même très sérieusement dans les milieux FIS et FFS aux plus grandes épreuves, notre coureur sélectionné se d'une épreuve européenne et même mondiale pour les sent protégé. Comment s'étonnerait-on que dans de telles jeunes, avec podium, télévision mondiale, médailles d'or, conditions nos coureurs nationaux usés avant l'heure, d'argent et de bronze... dorlotés et hautement considérés avant qu'ils ne le méri­ tent, ne soient plus des battants, des enthousiastes, des Personnellement, en tant que Président et entraîneur lions lors des grandes compétitions internationales I d'un Club qui a fourni depuis vingt ans bon nombre de coureurs aux équipes nationales, je pense que toute cette Et dans ce noir tableau j'ai sciemment évité de parler des politique sportive est une erreur monumentale. Sans le revenus financiers florissants qui font de nos champions savoir la FFS glisse sur la pente qui a tué la pratique soit des fils prodigues de la grande famille des skieurs sportive de masse aux Etats-Unis., Confronter des gamins, français — soit des hommes d'affaires rendus soucieux par sélectionner les meilleurs, les entraîner, les confronter à le désir légitime de bien préserver leur capital de tous ris­ nouveau, sélectionner encore, c'est déplacer progressi­ ques inutiles tels que fractures, mauvais placements, vement l'âge de la pratique sportive de masse vers baisses de cote dans l'opinion publique... l'enfance, c'est en éloigner la masse des adolescents à Comme on est loin de cette fraîcheur, de cette joie toute l'âge où le sport pourrait leur apporter un maximum. simple qui éclataient sur le visage de ces jeunes cham­ C'est peut-être aussi se priver d'éléments qui, parvenus à pions recevant leurs médailles olympiques en un instant maturité plus tardivement, auraient pu s'intercaler parmi inoubliable où la réalité avait bien voulu s'identifier à leurs les meilleurs. C'est surtout user prématurément ce rêves les plus fous... fameux capital d'enthousiasme. Il y a dix ans, une jeune fille que j'entraînais depuis cinq ans et qui était sélection- G. JOUBERT

1. Les deux pistes presqu'exclusivement utilisées sont les pistes « O.K. » de Val d'Isère et « Jean Blanc » de Courchevel. Ces pistes sont du type « boulevard » et à mon avis trop faciles puisqu'après trois ou quatre descentes de reconnaissance j'ai constaté que des coureurs citadins pouvaient les descendre à pleine vitesse sans prendre de risques exces­ sifs, sauf au niveau des trois ou auatre difficultés de la piste, difficultés que nos coureurs nationaux ont appris à parfaitement franchir au fil des ans. 2. Les caméramen de la télévision japonaise ont projeté à plusieurs reprises, en différé et au ralenti, une fraction du parcours de slalom géant de Gustavo Thoeni et des meilleurs coureurs japonais : la similitude des gestes était éloquente et seuls des techniciens spé­ cialistes pouvaient discerner les détails différenciant le comportement de ces skieurs et expliquant leur moins grande efficacité.

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