Les trois monts consacrés à saint Michel,

LES TROIS MONTS CONSACRÉS À SAINT MICHEL

Histoire et iconographie Les trois monts consacrés à saint Michel,

histoire et iconographie

LE MONT SAINT-MICHEL (Manche)

Le Mont-Saint-Michel, abbaye bénédictine et forteresse imprenable, campée sur un rocher dominant l’océan, a toujours fasciné les hommes. Le texte de la Revelatio rapporte comment Aubert, évêque d’Avranches, fonda une église au sommet du Mont-Tombe. Consacrée le 16 octobre 708, elle a été érigée en abbaye en 966 et a connu une grande célébrité au Moyen Âge. Après , Jérusalem et avec Saint-Jacques de Compostelle, ce fut l’un des plus grands centres de pèlerinage d’Occident. Le premier pèlerin connu par les textes est un moine franc nommé Bernard qui, au retour d’un voyage au Monte Gargano, à Rome et Jérusalem, y vint en pèlerinage en 867-868. Avec l’installation des moines bénédictins au Xe siècle et la diffusion des récits de miracles, les pèlerins se firent plus nombreux et c’est à cette époque qu’apparut la première mention des chemins montais (1025). Avec les ducs de Normandie, les rois de France ont été nombreux à venir vénérer l’Archange, protecteur traditionnel du royaume. Les textes signalent aussi la venue des « pastoureaux », ces bandes d’enfants venues de France, des Flandres et d’Allemagne. Assiégé en vain par les Anglais pendant plus de trente ans, le Mont-Saint-Michel fut durant la Guerre de Cent ans considéré comme le symbole de l’héroïque résistance nationale. Mais à partir du milieu du XVIe siècle, le Mont perdit de son intérêt militaire et religieux. En 1790, la Révolution chassa les derniers moines et en fit une prison jusqu’en 1863. Le retour de religieux permit alors la relance du pèlerinage. L’ensemble, avec la baie, est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Vincent JUHEL Association Les Chemins du Mont-Saint-Michel

Apparition à saint Aubert Cartulaire du Mont Saint-Michel, Avranches, Lieu de conservation : Avranches, Bibliothèque municipale, ms 210, fol. 4v.

Le manuscrit 210 est le Cartulaire rédigé au milieu du XIIe siècle (vers 1149-1155), sous l’abbatiat de Geoffroi ou de Robert de Torigni : il contient quatre dessins en pleine page dont le premier est rehaussé d’or. L’archange apparaît à l’évêque d’Avranches, Aubert, pour l’inviter à édifier sur le Mont Tombe un sanctuaire consacré à son culte : après deux visites demeurées sans effet, l’archange intervient une troisième fois et manifeste son impatience en touchant le front de l’évêque. Celui-ci repose sur un lit, les yeux ouverts et la tête appuyée sur sa main, réveillé peut-être par le vacarme des cors et des trompettes qui retentissent à toutes les fenêtres du palais épiscopal d’Avranches. La découverte, au début du XIe siècle, d’un crâne présentant le trou régulier d’une perforation fit aussitôt penser au texte de la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis racontant les trois interventions de l’archange auprès d’Aubert : on imagina alors que l’orifice du crâne avait été causé par le doigt de l’archange lors de sa troisième visite. Bibliographie : Monique Dosdat, L’enluminure romane au Mont Saint-Michel (Xe-XIIe s.), Rennes, 2006, p. 112-113.

Voyage des clercs envoyés par saint Aubert au Monte Gargano Bréviaire de Salisbury, dit du duc de Bedford (Paris, 1424-1435), Lieu de conservation : Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, ms lat. 17294 fol. 609v .

Ce manuscrit, exécuté à Paris vers 1424 pour Jean de Lancastre, duc de Bedford et régent de France (mort en 1435), possède une très riche iconographie avec 46 peintures à demi- page et 4300 petites images. Après avoir présenté la fondation du sanctuaire du Monte Gargano, l’artiste illustre par de petites enluminures les origines du Mont Saint-Michel autour du texte de la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis. L’ensemble occupe quatre pages soit seize médaillons, à raison de quatre images par page. Sont ainsi représentés successivement, du folio 608 au folio 610 : des pèlerins en route vers le Mont entouré d’arbres, l’apparition de saint Michel à saint Aubert, saint Michel montre la grotte où se trouve l’animal dérobé à saint Aubert, l’archange demandant à l’évêque d’Avranches de fonder un édifice à cet endroit, le chantier de construction du Mont, son arrêt par la présence d’énormes rocher et l’intervention miraculeuse de l’archange pour résoudre ces difficultés, saint Aubert surveillant la conduite du chantier. Le folio reproduit illustre le voyage des deux clercs au Monte Gargano pour aller demander des reliques de l’archange au sanctuaire des Pouilles, avec successivement: l’archange invitant saint Aubert à envoyer des clercs au Monte Gargano, leur arrivée au sanctuaire du Gargano, l’évêque de Siponto et l’abbé leur donnant des reliques et enfin leur retour au Mont, rapportant à saint Aubert les précieuses reliques de l’archange Au dernier folio (non représenté), saint Aubert accueille les premiers pèlerins, il frappe le rocher pour faire jaillir une source au Mont où l’eau manquait, avant de conclure avec deux vues du Mont (abbaye et clerc au travail dans le scriptorium). Bibliographie : chanoine Leroquais, Bréviaires, t. III, 1934, p. 271-348, pl. LIV-LXV ; Yves Delaporte, Les origines du sanctuaire du Mont-Saint-Michel racontées et illustrées dans le bréviaire du duc de Bedford, Rennes, Impr. Simon, 1958, 27 p. ; Millard Mess, French painting in the time of Jean de Berry, The Limbourgs and their contemporaries, New York, Morgan Pierpont Library, t. I, p. 365 (notice avec bibliographie) ; Charles Sterling, La peinture médiévale à Paris, t. I,, Paris, Bib des arts, 1987, n° 60, p. 435- 449 ; François Avril, Nicole Reynaud, Les manuscrits à peinture en France, 1440-1520, cat exp., Paris, 1994, n° 2, p. 24

Saint Michel et le Mont-Saint-Michel au milieu du XVe siècle, livre d’heure du duc Pierre II de Bretagne (1455-1457), Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, ms lat. 1159, fol. 160v

Cette miniature représente l’archange saint Michel vêtu d’une cuirasse et d’un manteau pourpre : de sa main droite il brandit son épée tandis que de son autre main il tient fermement le dragon à forme mi-humaine mi animale. Dans le bas de la page est figuré le Mont Saint-Michel avec son rempart, son village et l’abbaye. Sur les grèves des voyageurs et des pèlerins se dirigent vers l’entrée du Mont. Cette image est l’une des premières représentations du Mont, mais, à la différence des Très Riches Heures du duc de Berry, antérieures de quelques années, il ne s’agit pas d’une représentation réaliste mais de la transcription en image d’une description topographique du site. L’évocation des pèlerins traversant la grève à pied, leur bourdon à la main ou sur l’épaule, ou en chariot pour les amener au sanctuaire, est particulièrement intéressante.

Le Mont-Saint-Michel vers 1400, Très Riches Heures du duc de Berry, frères Limbourg, (Paris, c. 1410-1416) Lieu de conservation : Chantilly, Musée Condé, ms 65, fol 195

Jean de France, duc de Berry, était le fils du roi Jean le Bon et frère de Charles V. Il était venu par deux fois en pèlerinage au Mont en accompagnant son neveu le roi Charles VI en 1393 et 1394. La peinture du Mont Saint-Michel est l’œuvre d’un des trois frères de Limbourg : c’est la dernière de l’ouvrage qui évoque le combat de saint Michel et du dragon de l’Apocalypse de Jean. Le Mont est représenté avec le village et les remparts. L’abbatiale a encore son chœur roman et toute sa nef avec les deux tours de façade. À l’arrière plan est figurée l’île de Tombelaine sur laquelle se dresse le prieuré montois du même nom, objet d’un important pèlerinage marial . L’ensemble a entièrement disparu depuis le XVIIe siècle. Bibliographie : Millard Mess, French painting in the time of Jean de Berry, The Limbourgs and their contemporaries, New York, Morgan Pierpont Library, t. I, p. 308-324 ; Les Très Riches Heurs du duc de Berry et l’enluminure en France au début du XVe siècle, cat. exp. Musée Condé à Chantilly, Paris, Somogy, 2004.

Collier de l’ordre de saint Michel Collier réalisé par Jean Mellerio en 1877-1878, en argent doré.

J. Mellerio se serait inspiré d'un dessin de Corroyer, dont le modèle provenait d'un bas-relief du XVe siècle. Selon les Statuts de l'Ordre, il "estoit composé de doubles coquilles d'or, liées et noüées en lacs d'amour". Au bout du collier se trouvait un ovale en or, sur lequel était représenté saint Michel terrassant le dragon : il levait son épée flamboyante, prêt à frapper, les ailes largement développées, vêtu d'une cuirasse et du manteau de l'ordre parsemé de fleurs de lys. En dessous était gravé la devise Immensi tremor Oceani "La terreur de l'immense Océan". Bibliographie : Représentations de saint Michel dans le département de la Manche, Catalogue de l'exposition de Saint-Hilaire du Harcouët (avril-octobre 2001), p. 10.

Procession des habitants de Camembert au Mont Saint-Michel , 1772, Peinture sur bois, 1772, Lieu de conservation : église de Camembert (Orne)

Œuvre populaire représentant les pèlerins de Camembert arrivant en pèlerinage au Mont Saint-Michel le 21 septembre 1772. Les participants s’avancent en procession sur la grève avec le nom de chacun d’entre eux inscrit à côté de lui. Dans les airs, saint Michel brandit une épée de la main droite et de la main gauche traîne un démon enchaîné. Le drapeau du pèlerinage a lui aussi été conservé et présente l'image de l'Archange peinte au centre de la compostion, sur chacune des deux faces (XVIIIe siècle). C’est l’un des derniers drapeaux de pèlerinage connus au XVIIIe et au début du XIXe siècle, souvent mentionnés jusqu’aux années 1900 et aujourd’hui disparus. Au cours du XIXe siècle, l’usage de la bannière va supplanter celui du drapeau au cours des pèlerinages et des processions.

Saint Michel et pèlerinage au XVIIe siècle, Image de la confrérie des pèlerins du Mont en l’Ile de la Cité à Paris, datant de 1662, regravée en 1706, Lieu de conservation : Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes Re 13, p. 179

En 1210, Philippe Auguste fonda en sa chapelle Saint-Michel du palais de la Cité une confrérie de saint Michel l’Ange du Mont de la Mer pour ceux qui avaient fait le pèlerinage au Mont-Tombe. Sa fête était le 16 octobre, jour anniversaire de la consécration du Mont-Saint- Michel. L’image s’inscrit dans un cadre architecturé, couronné du portrait de Louis XIV porté par deux angelots. Des files de coquilles ornent les colonnes corinthiennes de l’édicule ouvrant sur la vision suivante : dans les cieux, l’archange triomphe du démon tandis que des groupes de pèlerins, venus de toute part, traversent les grèves en s’aidant de leur pique pour rejoindre le sanctuaire très schématiquement représenté. Avranches, Bas-Courtils, le Mont-Dol et Notre-Dame de Tombelaine sont aussi indiqués. Tous les ans, chaque membre de la confrérie recevait un exemplaire de l’image de la confrérie à laquelle il appartenait et il est probable qu’il l’affichait dans son habitation, pour se placer sous la protection du saint. Cette pratique explique sans doute pourquoi ces images de confréries sont aujourd’hui rarissimes et ne sont parfois plus connues qu’en un ou deux exemplaires. Bibliographie : Marc Nortier, « La chapelle Saint-Michel du Palais à Paris, siège de la confrérie des pèlerins du Mont-Saint-Michel », Les amis du Mont-Saint-Michel, n° 105, 2000, p. 34-46. Anne Lombard-Jourdan, « La confrérie parisienne des pèlerins de saint Michel du Mont », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris, 113e -114e années, 1986-1987, p. 104-178.

Pèsement des âmes, vers 1300, bas-relief, gâble du portail de la Calende, Rouen, cathédrale Notre-Dame,

Le riche décor sculpté des portails des Libraires et de la Calende ont été exécutés grâce au mécénat de Guillaume de Flavacourt, archevêque de Rouen de 1278 à 1306 et constructeur des façades du transept de la cathédrale. Ce grand quadrilobe occupe le centre du gâble surmontant le tympan du portail principal consacré à la Passion du Christ. Dans cette scène où saint Michel pèse les âmes, au jour du Jugement dernier, le diable tente de faire pencher la balance de son côté en tirant sur un plateau. Il faut signaler la grande élégance de la composition, encore empreinte de l’art rayonnant du XIIIe siècle français, le déhanchement de l’archange (contraposto) et la rareté de cette scène isolée dans l’art médiéval. La plupart du temps, elle est en effet intégrée aux ensembles du Jugement dernier. Bibliographie : Markus Schlicht, « La cathédrale de Rouen vers 1300, portail des libraires, portail de la Calende, chapelle de la Vierge », Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, t. XLI, 2005 ; Anne- Marie Carment-Lanfry, La cathédrale Notre-Dame de Rouen, Rouen, 1977, p. 237. et statue de saint Michel, Alexandre Chertier, 1872, Lieu de conservation : Coutances, cathédrale Notre-Dame, Cette statue en bois lamée d’argent a été offerte à sa cathédrale par monseigneur Jean- Pierre Bravard, le « sauveur du Mont » ; l’année suivante il en offrait une autre au sanctuaire du Mont-Saint-Michel où il avait fait venir les pères de Saint-Edme dès 1865, un an après le départ des derniers prisonniers. Cette seconde statue, aujourd’hui déposée à l’église paroissiale du Mont, est le support de la vénération des fidèles depuis cette date. Elle orne les images pieuses, médailles et autres souvenirs de pèlerinage, sans compter des copies en bronze ou des tirages en plâtre installés dans des églises normandes. Son couronnement, réalisé le 4 juillet 1877, a donné lieu à de grandes festivités qui ont rassemblé plus de 20.000 personnes.

Saint Michel, XIIe siècle, peinture murale, chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe (Haute-Loire), Cette peinture a été récemment redécouverte par les restaurateurs sous les repeints postérieurs et notamment sous la restauration d’Anatole Dauvergne, au XIXe siècle ; elle est donc inédite et présente l’archange, un grand bâton à la main, terrassant le dragon, sans le piétiner, suivant une disposition peu courante. Il faut aussi remarquer qu’à la différence des représentations de la cathédrale du Puy-en-Velay, l’archange ne porte pas le costume des dignitaires de la cour impériale de Constantinople et ne suit donc pas le canon iconographique italo-byzantin.

MONTE GARGANO commune de Monte Sant’Angelo, Pouille

Au Ve siècle, le culte de l’Archange s’implanta dans une grotte du Monte Gargano où, selon la tradition, il apparut trois fois à Laurent, l’évêque de Siponto, sacralisant ainsi ce lieu qui devint le but de pèlerins venus de diverses régions italiennes et européennes. Au VIIe siècle, la grotte- sanctuaire attira l’attention des de Bénévent qui se rendirent maîtres du Gargano, plaçant le diocèse sipontin sous leur propre juridiction, faisant de Michel et du sanctuaire garganique leur saint national. À l’intérieur, ils entreprendront une restructuration du site comme en témoignent environ deux cents inscriptions des VIIe-IXe siècles, gravées ou écrites sur les parties les plus anciennes de l’ensemble monumental ; parmi celles-ci, on en compte au moins cinq en caractères runiques, alors que d’autres attestent la présence de pèlerins lombards, francs, anglais et saxons. Au Moyen Âge, la grotte représenta un véritable modèle de sanctuaire michaélique : des lieux de culte furent ainsi édifiés en Italie et en Europe à l’imitation du sanctuaire garganique, implantés au sommet des montagnes ou sur des hauteurs, ils constituèrent des répliques de celui-ci. Les Byzantins, les Normands et surtout les Angevins s’intéressèrent à la vie du sanctuaire ; au XIIIe siècle, ces derniers, donnèrent au sanctuaire une nouvelle configuration en grande partie conservée aujourd’hui. Lieu de culte et centre de profonde spiritualité, le sanctuaire est aujourd’hui confié aux soins des pères de la Congrégation de saint Michel archange. Dernièrement, les communes de Monte Sant’Angelo, Cividale del Friuli, Brescia, Castelseprio, Spolète, Campello, Bénevent, entre autres, et des institutions culturelles ont demandé l’inscription de l’aire lombarde italique sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Pr Giorgio OTRANTO, Università degli Studi di Bari

Saint Michel terrassant le démon, sculpteur napolitain, début du XVIe siècle, Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel,

Grotte et maître-autel Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel.

Entre la fin du XVIe siècle et le milieu du siècle suivant, Domenico Ginnasio (1586-1607) fit creuser le fond de la grotte pour obtenir un sanctuaire plus spacieux et plus approprié à la solennité des messes pontificales. Au cours des premières décennies du XVIIe siècle, l'espace réservé au « rocher de la grotte sacrée qui sert d'autel, et sur lequel furent trouvées les traces de ses pas, comme celles d'un enfant imprimées dans la neige » (Inventaire de 1678) – rocher que des textes anciens décrivaient « entouré d'une petite grille » (Serafmo Razzi, 1576) –, fut agrandi, entouré de marbre et soustrait aux regards « par des plaques de cuivre que Son Éminence le Cardinal Ginnasio, archevêque de Siponto,fit clouer, afin d'ôter aux hommes la curiosité de regarder » (Inventaire de 1678). Il fallait l'autorisation du cardinal pour avoir le droit de regarder l'Autel des Empreintes à travers une ouverture quadrangulaire pratiquée dans l'enceinte de cuivre, fermée par deux petites portes : « l'une d'elles faite d'une plaque d'argent avec un Saint-Michel en relief, de sorte que l'on voit l'Apparition avec la clé, et une autre de bois, pareillement avec des clés de fer ». La statue de marbre représentant l'archange saint Michel, réalisée au début du XVIe siècle pour l'Autel des Empreintes, remplaça des statues plus anciennes en or et en argent commandées par les membres des maisons royales d'Anjou ou d'Aragon. Le pillage auquel se livrèrent les Français en 1799 causa des dommages incalculables à la basilique. Si le Trésor ne retrouva pas sa splendeur, tous les efforts convergèrent pour rendre au sanctuaire le mobilier du passé. En 1852, on décida d’ériger une nouvelles châsse sur l'autel de saint Michel et les ex-voto en métaux précieux furent vendus pour financer la nouvelle châsse. À l'achèvement des travaux qui furent réalisés conformément au projet, leur coût s'éleva à la somme de 25000 ducats. Les éléments en argent et en cristal de la nouvelle châsse furent transportés à Monte Sant’Angelo et montés sur l'autel le 1er mai 1854.

Vue planimétrique du sanctuaire de Monte Sant’Angelo Entre la seconde moitié du XIIIe et les premières décennies du XIVe siècle, l'ensemble architectural dédié à saint Michel connut des transformations profondes sous l'impulsion des souverains angevins qui exerçaient une tutelle particulière sur le sanctuaire. Sous l'égide de Charles Ier d'Anjou, les travaux d'agrandissement et la prolongation de quelques rampes du Degré extérieur préexistant facilitèrent l'accès à la grotte à partir du centre habité de Monte Sant’Angelo où prédominait le groupe d'édifices autour de Santa Maria Maggiore. À partir de 1271, une nef à trois travées vint se greffer sur la paroi d'entrée de la grotte qui donne sur la vallée ; couverte d'une voûte d'ogives à quatre quartiers, elle se superposa aux structures d'époque normande qui existaient sans doute encore. Le portail d'accès à l'église, de style roman, fut démonté et rehaussé pour s'adapter au nouveau niveau du sol sous lequel furent ensevelis les restes du sanctuaire du haut Moyen Âge. C'est dans ce nouvel aménagement du sanctuaire, plus fonctionnel pour l'accueil des pèlerins, que s'inscrit la construction ou peut-être simplement la transformation du campanile, dont la réalisation, selon une inscription, aurait été commencée dès 1274 et confiée au protomagister Giordano de Monte Sant’Angelo et à son frère Marando. Comme celles de Castel del Monte, la tour, de plan octogonal, s'élève sur quatre niveaux communiquant entre eux par un escalier en vis ; chacun des niveaux est couvert, à l’intérieur, d'une coupole et présente des ouvertures.

Custos ecclesiae, XIe siècle, fresque, Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel

La fresque dite du Custos Ecclesiae est la mieux conservée de toutes les peintures des arcs, des pilastres du Degré et de l’autel des Empreintes dont il ne reste que bien peu de fragments retrouvées lors des fouilles archéologiques réalisées dans le sanctuaire. Elle a donné longtemps matière à discussion quant à l'identification du personnage qu'elle représente – tantôt saint Michel, tantôt un moine, peut-être un abbé qui aurait entrepris des travaux dans le sanctuaire ou encore un personnage de haut rang en habit de pèlerin – jusqu'à l'examen récent de l'inscription qu'elle comporte ; en effet, cette inscription permet d'avancer l'hypothèse que le Custos Ecclesiae est un évêque et pécheur du nom de Léon ; de plus, la présomption que cette fresque date de la fin du Xe siècle, est confortée par la découverte, lors de la dépose de la fresque, d'une monnaie d'argent à l'effigie d'Otton Ier (962-973), disparue depuis. sanctuaire – et lui donna les moyens nécessaires à la restauration de l'ecclesia sancti Michaelis, à présent « déserte et en ruines ».

Saint Michel, épisodes de la légende du Monte Gargano et du Mont-Saint-Michel, Missel dit de « Charles VI » (1470-1475), Yale, Beinecke Library, ms 425.

La tradition selon laquelle les origines du culte de saint Michel sur le monte Gargano remonteraient à la dernière décennie du Ve siècle, fixe la date des apparitions de l'archange, aux années 490,492 et 493, dont deux d'entre elles à l'évêque de Siponto. La source essentielle, permettant une reconstitution de l'histoire du sanctuaire et du culte de l'Ange sur le Monte Gargano, est un bref récit hagiographique riche en miracles, dont la date se situe approximativement entre le Ve et le VIIIe siècle, intitulé Liber de apparitione sancti Michaelis in monte Gargano. Suivant cette tradition, « un certain Garganus, homme très riche, qui donnera par la suite son nom à la montagne, un jour que ses troupeaux pâturaient sur les flancs escarpés de la montagne, un taureau qui dédaignait le voisinage des autres animaux et préférait paître seul ne rentra pas à l'étable. Le maître, avec un grand nombre de serviteurs, le cherchant dans les lieux les plus inaccessibles, le trouva, enfin, au sommet du mont, devant une grotte. Emporté par la colère, car le taureau divaguait seul, il se saisit de son arc pour tuer l'animal d'une flèche empoisonnée. Une bourrasque détourna [la flèche] si bien qu'elle perça celui-là même qui l'avait décochée ». « Les citoyens, troublés et stupéfaits de la manière dont s'était déroulé l'événement – ils n'osaient évidemment plus s'approcher davantage – consultèrent l'évêque sur l'attitude à adopter. Et lui, ayant décrété un jeûne de trois jours, jugea qu'il fallait s'en remettre à Dieu. Le saint archange du Seigneur apparut alors en songe à l'évêque: «Tu as bien fait de demander à Dieu ce qui était caché aux hommes. Tu dois savoir que l’événement mystérieux par lequel Garganus a été frappé avec sa propre flèche n’est intervenu que par ma volonté. Je suis l'archange Michel et je suis toujours en la présence du Seigneur. Et puisque j'ai décidé de protéger, sur la terre, ce lieu et ses habitants, j'ai voulu montrer de cette manière que j'étais maître et gardien de ce lieu et de tout ce qui s'y passe ». « Pendant ce temps, les habitants de Siponto ne savaient pas quelle destination donner à ce lieu et s'il fallait rentrer dans l'église et la consacrer [...]. Mais, au cours de la nuit, l'ange du Seigneur, Michel, apparut en songe à l'évêque de Siponto et lui dit : « il ne vous appartient pas de consacrer la basilique que j'ai édifiée. C'est moi qui l'ai fondée, et moi seul peux la consacrer. Mais vous, vous pouvez entrer et même fréquenter ce lieu qui est sous ma protection » …

Reconstitution de l’itinéraire du moine Bernard (867) L’Archange, Bernard et ses compagnons agenouillés devant l’Archange, fresque, XIIIe siècle, Olevano sul Tusciano (Campanie), grotte Saint-Michel

Le témoignage du moine Bernard qui, en route vers la Terre Sainte, fit une halte au sanctuaire au milieu du IXe siècle est, sur ce point, remarquable : « C'est ainsi que, partis de Rome, nous parvînmes au monte Gargano, où, sous un énorme rocher d'un seul tenant, au-dessus duquel poussent des chênes chargés de glands, s'élève l'église de Saint Michel qui, selon la tradition, comme chacun sait, aurait été consacrée par l'Archange lui-même. L'atrium, qui peut contenir cinquante personnes, est au nord. À l'intérieur, vers l'est, il y a une représentation de l'ange ; au sud, il y a un autel sur lequel on célèbre le sacrifice eucharistique et nul autre don ne peut y être déposé. Mais devant l'autel, il y a un vase suspendu dans lequel on dépose les dons votifs et, tout près, d'autres autels. L'abbé de cette église s'appelait Benignatus et était le supérieur d'une communauté nombreuse » (Itinerarium Bernardi monachi).

Portes de bronze, 1076, Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel

Le portail de marbre, dont l'ébrasement à triple ressaut encadre les portes de bronze, ouvre sur un vestibule ou atrium interne et donne accès aujourd'hui à la nef d'époque angevine. On ne connaît pas l'emplacement originel de la porte qui a visiblement subi des modifications pou s'adapter à l'édifice du XIIIe siècle. Cependant, de nombreux indices, notamment l'absence d'élément d'époque angevine dans l'atrium, permettent de penser que l'atrium et l'entrée faisaient partie de l'ordonnance architecturale du début de l'époque normande ; la date d'exécution des portes de bronze (1076) et de leur donation au sanctuaire corrobore cette hypothèse. Comme l’atteste une inscription, les deux vantaux de la porte furent exécutés en 1076 à Constantinople par un noble d’Amalfi et données au sanctuaire. Ce portail appartient à un groupe d’œuvres similaires que l’on rencontre surtout dans le Latium et en Campanie. La décoration en nielle d’argent est également typique des ateliers de Constantinople. Les panneaux illustrent notamment la légende de la fondation du sanctuaire, avec les trois apparitions de l’archange à l’évêque de Siponto.

Boucliers, casques, armoiries, figures humaines, empreintes de mains et de pieds, marques gravées par les pèlerins sur la structure du sanctuaire, 1636-1997 Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel.

« On progressait avec difficulté à travers la foule des pèlerins qui, à chaque pas s'arrêtaient, ou pour dire une prière ou pour graver sur le sol ou les parois, la forme de leur pied ou de leur main. Je ne réussis pas à comprendre ce que signifiait cette coutume: ils disaient qu'ils la faisaient “par dévotion” et un jeune paysan s'offrit à tracer la forme de mon pied, en ajoutant cependant que “ça n'aurait pas fait autant de bien au salut de l'âme de madame, que de le tracer vous-même” [...]. L'immense foule agenouillée au-dessus de la tête de laquelle s'agitait une vague de rameaux de pin ; les prêtres célébrant en habits pompeux, les séminaristes en surplis blanc et les nuages d'encens qui s'élevaient dans cette semi obscurité, tout ressemblait à un rêve » (J. Ross, 1888).

Inscriptions lombardes, VIIe-IXe siècles, Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel

Point de convergence de différentes dynamiques à l'œuvre en Italie méridionale, le sanctuaire de Saint Michel fut investi d'une fonction politique précise, étroitement liée à l'histoire des Lombards, et assuma un rôle de médiation entre la propagation d'une foi populaire et l'affermissement d'une politique religieuse, comme le prouvent l'important corpus épigraphique de cette époque et les inscriptions dédicatoires des ducs lombards, dont l'une – celle de Romuald Ier, duc de Bénévent de 663 à 687, – se réfère explicitement aux travaux de cette période. Parmi les nombreux vestiges épigraphiques et monumentaux mis à jour dans la crypte B, certains se réfèrent probablement à une occupation du sanctuaire antérieure à l'époque lombarde. On compte quelque 175 inscriptions laissées par les visiteurs du sanctuaire, entre le VIe et le IXe siècle.

Inscriptions runiques de pèlerins anglo-saxons, VIIIe siècle, Monte Sant’Angelo, sanctuaire de Saint-Michel, entrée de la galerie lombarde

L'afflux incessant de fidèles se rendant en pèlerinages à la grotte prit rapidement une ampleur de portée européenne. Les pèlerins qui venaient de France, d'Allemagne, d'Espagne, des Îles Britanniques et qui allaient à Rome ou en Terre Sainte, s'arrêtaient au monte Gargano pour vénérer l'Archange, comme en témoignent les vestiges épigraphiques qui montrent bien qu'au nombre des étapes du pèlerin anglo-saxon s'ajoutait celle du promontoire des Pouilles. Bien des visiteurs ont laissé leurs traces dans ce lieu sacré : marques sans signification apparente, simples croix ou noms pour les plus cultivés. Quatre de ces inscriptions ne sont pas en caractères latins ou grecs. Ce sont des runes, caractères utilisés en Angleterre du VIe au IXe siècle. Elles ne forment pas à proprement parler un alphabet, du moins à l'origine. Conçues pour transcrire toutes sortes de textes, elles ne sont pas simplement les correspondantes nordiques des lettres latines ou grecques. Ces signes qui étaient uniquement constitués de traits droits et anguleux, sans le moindre arrondi, étaient adaptés à la gravure sur la pierre, le métal, le bois et avaient aussi et surtout une signification magique et sacrée. L'apprentissage et l'usage de cette écriture étaient exclusivement réservés à l'origine à la caste sacerdotale. L'Église catholique anglo-saxonne, fidèle à la tradition, intégra l'écriture runique dans son patrimoine culturel comme le prouvent les traces en caractères runiques laissées, lors de leur passage au sanctuaire de l'Archange, par Hereberehct, Leofwini, Wigfus et Herraed.

SACRA DI SAN MICHELE (PIÉMONT)

L’abbaye Saint-Michel de La Cluse fut fondée entre 983 et 987 dans le val de Suse par un noble auvergnat, Hugues de Montboissier, sur le Mont Pirchiriano (962 m) dominant la près des anciennes Clusae Langobardorum. Peut-être existait-il déjà une petite église construite par saint Jean confesseur, ermite installé auparavant sur le mont Caprasio situé en face. Le premier abbé, Atvertus, était déjà supérieur de l’abbaye clunisienne de Lézat (Ariège). Les moines bénédictins furent longtemps recrutés en France. Les moines chroniqueurs de l’abbaye revendiquèrent à partir du XIe siècle l’immunité tant des marquis que des évêques de Turin. L’abbé Benoît II (1066-1091) fut un des meilleurs représentants de la réforme grégorienne en Piémont. Pascal II, en 1114, exempta l’abbaye du pouvoir épiscopal. Le XIIe siècle vit, outre une union spirituelle avec Cluny, le Mont-Saint-Michel et Vézelay, la constitution d’un très important temporel formé de terres, d’églises et de dîmes réparties dans diverses provinces européennes. Du XIIe au XIIIe siècle, les abbés de Saint-Michel contrôlèrent d’autres monastères ; ils devinrent des notables de la cour des princes de Savoie, agrandirent et embellirent les bâtiments avec les meilleurs architectes, sculpteurs (Nicolao) et peintres (Defendente Ferrari). Au XIIIe et au XIVe siècle, l’abbaye rayonne moins au niveau international et elle est plus proche de la principauté savoyarde. Les moines indisciplinés accumulèrent les dettes, en 1375, l’abbé Pierre de Fongeret et ses moines furent excommuniés par le pape Grégoire IX. En 1381, le régime de la commende fut institué au profit d’Amédée IV de Savoie. Aujourd’hui, l’abbaye, sous le nom de « Sacra », est habitée par une communauté de pères rosminiens. Pr Giuseppe SERGI Università di Torino

Sacra di San Michele, vue générale Au premier plan à gauche, se trouve l’hôtellerie, surmontée par le monastère ancien et par l’abbatiale aux trois étages superposés.

Escalier des morts, Sacra di San Michele Monumentale construction romane, conduit au sanctuaire, de l’entrée, jusqu’au niveau de l’église. Le long des parois rocheuses, s’ouvrent des niches qui, à l’époque médiévale, abritaient les tombeaux de personnalités locales (abbés et bienfaiteurs du monastère). A son sommet, il ouvre sur le portail roman dit porte du Zodiaque, chef d’oeuvre de la sculpture romane du début du XIIe siècle (vers 1120), travail du maître Niccolo, connu aux cathédrales de Ferrare, de Vérone et de Piacenza.

Saint Michel archange, Antonio Maria Viani, XVIIe siècle Sacra di San Michele Tableau offert en 1633 par le cardinal Maurice de Savoie et expressément destiné au maître- autel de l’abbaye.

Triptypque, Defendente Ferrari, XVIe siècle, Sacra di San Michele Au centre, la Vierge allaite l’Enfant-Jésus, de chaque côté, saint Michel et saint Jean Vincent, ce dernier présente le donateur, Urbain de Miolans, abbé commendataire de la Sacra de 1503 à 1522. Sur la prédelle, au registre inférieur, un cycle de l’Enfance du Christ avec la Visitation, la Nativité et l’Adoration des mages. On remarque l’élégance des visages et la finesse du dessin.

REMERCIEMENTS

Université de Caen Basse-Normandie (OUEN) Centre des Monuments Nationaux – Abbaye du Mont-Saint-Michel Sacra di San Michele in Valle di Susa Basilica Santuario di San Michele di Monte Sant’Angelo Claudio Grenzi Editore Foggia Ing. Paolo Bellosio Bibliothèque nationale de France Commune d’Aiguilhe Commune de Camembert Comune di Monte Sant’Angelo Comune di Olevano sul Tusciano INRAP Institut de France Musée des arts décoratifs, Paris Musée du Petit-Palais, Avignon Ville d’Avranches Ville de Bayeux Ville de Saint-Germain-en-Laye

Avec la collaboration de Corlet Numérique

Notices du catalogue : Vincent Juhel, avec la collaboration de Pierre Bouet. Les notices sur le Monte Gargano sont librement inspirées de l’ouvrage des éditions Grenzi, L’angelo, la montagna, il pellegrino, publié à Foggia, en 1999.

Exposition photographique réalisée sous la direction de Giorgio Otranto et Angela Laghezza, Università degli Studi di Bari, Dipartimento di Studi classici e cristiani. Progetto CUSTOS.