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Margotton et les furieux La reine Margot de Patrice Chéreau Thierry Horguelin

Number 73-74, September–October 1994

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23260ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Horguelin, T. (1994). Review of [Margotton et les furieux / La reine Margot de Patrice Chéreau]. 24 images, (73-74), 94–95.

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MARGOTTON ET LES FURIEUX par Thierry Horguelin

vec La reine Margot, Alexandre moment où il avait décidé de le trahir, il n'ait A Dumas est l'auteur non seulement d'un pas osé aller jusqu'au bout. Dumas disait en scénario brillamment dialogué (avec une substance qu'il importait peu de violer l'his­ intelligence de la construction et de la pro­ toire pourvu qu'on lui fît de beaux enfants. gression dramatique qu'il avait conquise au On ne reprochera donc pas à Chéreau d'avoir théâtre), mais encore d'un découpage visuel violenté Dumas à son tour, mais, ne l'ayant incluant même des indications scéno­ fait qu'à moitié, d'accoucher d'un canard graphiques, qui ne demandaient qu'à être boiteux, comme s'il avait hésité entre fidé­ suivies. Le pari aurait pu tenter en leur lité et trahison. Par exemple, le film amoin­ temps un Michael Curtiz ou un Cottafavi. drit considérablement le rôle picaresque de Rien n'étant plus étranger à son univers que La Môle et Coconnas sans se résoudre à les l'invention feuilletonesque, l'ampleur ro­ supprimer, de sorte qu'ils en deviennent des manesque et la verve irrésistible de l'auteur pantins ou trop ou trop peu présents, dont Margot () assaillie par des Trois mousquetaires, Patrice Chéreau a la relation d'amitié-rivalité devient ri­ Guise (Miguel Bose) et ses deux frères, tenté tout autre chose. La question n'est pas goureusement incompréhensible. Il en Alençon (Julien Rassam) et tant qu'il soit resté fidèleo u non à Dumas résulte un scénario extrêmement confus, Anjou (Pascal Greggory, de dos). (faux problème), mais qu'à partir du grevé d'ellipses aberrantes, qui dépèce le

9-_ N°73-74 24 IMAGES Charles IX (Jean-Hugues Anglade) et Henri de Navarre (Daniel Auteuil). roman en lambeaux au lieu d'en proposer La fureur clanique, la barbarie des liens des majuscules), et, pour faire bien, douteux une reconstruction libre et cohérente adap­ du sang qui transforme les rapports d'amour chantage à l'Histoire: la Saint-Barthélémy, tée à la vision de Chéreau, crépusculaire jus­ en rapports de prédation, voilà ce qui in­ naturellement, c'est Auschwitz et la Bosnie. qu'au Grand-Guignol: l'histoire de téresse Chéreau. Mais si l'on doit saluer son Jamais dominée par une vision, mais tirail­ comme un foutoir incestueux et sanglant, intelligence (dont témoignent ses propos lée entre des impératifs contradictoires, cette secoué de convulsions hystériques. sur le film, qui sont symptomatiquement brave Margot est à la fois un film de Claude À cela s'ajoute un malentendu dont le plus intéressants que le film lui-même), on Berri (un film de producteur vendu à fort cinéaste n'est pas responsable: la promotion ne peut que déplorer l'écart entre l'ambition tapage comme un grand spectacle popu­ du film est naturellement faite sur le nom considérable du projet et sa mise en œuvre laire), de Patrice Chéreau (un film d'auteur d'Adjani. Or, non seulement Margot n'est bancale, incapable d'accoucher d'une véri­ hanté par la pulsion de mort) et de Danièle qu'un fil de l'inextricable nœud d'intrigues table proposition cinématographique, de Thompson (scénariste-dialoguiste de Gérard et de complots qui déchirent catholiques construire un espace, d'impulser un rythme Oury), un film de tout le monde et de per­ et huguenots, mais Adjani reste comme et une modulation, fût-ce dans le registre sonne. • extérieure à la troupe d'acteurs que Chéreau, frénétique: des stridences indifférenciées ne homme de théâtre, a réuni autour de lui (et sont plus des stridences. Film théorique, qui fait d'ailleurs le meilleur du film: il faut asphyxié, académique au fond dans son mo­ rendre cette justice au cinéaste d'avoir fait dernisme, La reine Margot n'échappe aux «exploser» Jean-Hugues Anglade et Pascal clichés du film historique à costumes (trop LA REINE MARGOT Greggory, pour ne nommer qu'eux, comme souvent prétexte à inventaire d'antiquaire) France 1994. Ré.: Patrice Chéreau. Scé.: Chéreau jamais on ne les avait vus au cinéma). Le véri­ que pour se noyer dans des poncifs plus et Danièle Thompson d'après le roman d'Alexandre table personnage central du film, ce pour­ exténuants encore: morbidité insistante, Dumas. Ph.: Philippe Rousselot. Mont.: François Gédigier et Hélène Viard. Mus.: Goran Bregovic. «fièvre des corps jetés les uns contre les rait être Catherine de Médicis, sorte de vam­ Int.: Isabelle Adjani, Vincent Perez, Daniel Auteuil, pire manipulateur régnant dans l'ombre sur autres» (comme cela s'est écrit un peu par­ Jean-Hugues Anglade, Pascal Greggory, , ses fils qu'elle finira par dévorer en voulant tout, de Studio aux Cahiers du cinéma) Dominique Blanc. 159 minutes. Couleur. Dist.: les sauver. censée illustrer la Violence du Pouvoir (avec C/FP.

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