LES ROSE de Félix Rose

Francis Simard, mort en 2015, avait pour bérer ses fils. Si les gens, en s’accrochant dernier felquiste, qui s’articule autour de sa part déjà publié ses mémoires et colla- d’abord à ça, veulent en savoir plus, ils l’assassinat du felquiste Mario Bachand, boré avec Pierre Falardeau à la réalisation peuvent fouiller. » seront diffusés à l’automne, sur Illico, dans du film Octobre. une volonté de retracer plus largement On suit une sorte de pèlerinage aux l’histoire du FLQ. Félix Rose va se rendre à plusieurs reprises sources qui reconstitue à grands traits la chez son oncle Jacques, installé dans cette trajectoire de Paul Rose à travers les replis Paul Rose est mort en 2013. Son fils et lui demeure bleu et blanc décorée de deux de sa famille. « C’est le point de vue de la avaient partagé, au cours de la décennie grosses fleurs de lys. Cette maison prend famille Rose que je voulais porter », ex- précédente, une très vive passion pour l’allure, on le conçoit vite, d’un immense plique Félix Rose d’emblée. Son travail ap- la généalogie. « Nous étions plongés, drapeau québécois, symbole omnipré- paraît en bonne partie comme une image presque toutes les fins de semaine, dans sent dans le parcours de ces nationalistes en miroir des paroles prononcées, à la les fonds d’archives. Le grand rêve de mon dont les revendications internationalistes toute fin du film, par son oncle Jacques. Le père, avant que sa santé décline, était de initiales semblent s’être quelque peu re- cœur brisé, absorbé plus par ses émotions se rendre au pays de ses ancêtres, en Ir- pliées au fil du temps. que par la réflexion, celui-ci se demande, lande. » Là-bas, à la surprise de Félix Rose, la voix étranglée, où donc est passé ce son père est accueilli à bras ouverts au par- Tout au long de ce documentaire, on frère qu’il aimait tant. lement par les députés du Sein Féin, parce voit apparaître, dans l’univers immédiat qu’il a, entre autres choses, été un défen- de la famille Rose, des images de Gilles Une série seur des luttes de l’IRA. Durant ce voyage, Vigneault, Yvon Deschamps, Pierre Falar- Paul Rose perd la vue, mais demeure deau, Michel Chartrand, Jean-Claude Ger- Pendant huit ans, pour documenter cette calme et accepte d’être désormais guidé La vie en Rose main, Armand Vaillancourt, Gaston Miron quête de son père, Félix Rose a accumulé par son fils. « Il ne se décourageait pas. » Jean François Nadeau, Le Devoir – 15 août 2020 et bien d’autres. Parfois, ce ne sont que les entrevues avec des felquistes et divers Alors qu’il était en prison pour répondre d’un vaste courant, revient par vagues suc- « Ma famille travaillait depuis un siècle des éclairs qui crèvent l’écran. Là, Plume témoins de l’époque. Il regrette le peu À ses enfants, qu’est-ce que Paul Rose de sa responsabilité dans l’enlèvement, cessives. comme ouvriers à la Redpath Sugar. C’est Latraverse. Ici, Robert Charlebois. Le ré- de cas que la société québécoise fait des avait pu dire de la vie qui fut la sienne ? la séquestration et le meurtre du vice-pre- elle qui incarne les valeurs de solidarité alisateur n’a pas cru bon d’indiquer leur archives, de la mémoire. Les documents C’est par une cousine que Félix Rose avait mier ministre , le felquiste Paul Rose avait trouvé le moyen de faire et d’entraide auxquelles ma famille s’est nom. C’est là un des défauts de ce film que sont souvent difficiles d’accès, dit-il, - dis appris l’existence de cet enlèvement tra- Paul Rose a utilisé un dictaphone pour en- parvenir un de ces enregistrements à sa attachée », ce qui la conduit à repenser sa de tenir les acteurs et la trame historique pendieux, disséminés, malmenés, in- gique auquel son père avait pris part. Très registrer clandestinement des messages mère, dont le prénom, Rose, doublait le condition d’ouvriers malmenés. qu’ils ponctuent pour connus du public trouvables. Un vrai problème de société, tôt, muni d’une caméra amateur, le jeune de sa voix douce et tranquille. Dans Les patronyme de son mari, formant l’identi- d’aujourd’hui. plaide-t-il. homme tente de faire parler son père. En Rose, le documentaire que vient de lui fiant surprenant de Rose Rose, un nom à Dans ce film, explique encore Félix Rose, vain. « Ils ont voulu le briser en prison. consacrer son fils, les mots toujours arri- l’allure de déclinaison latine qui claquera son oncle Jacques se raconte pour la pre- « Ils étaient tous autour des Rose, explique La montagne de matériaux qu’il a accu- Ça n’a pas fonctionné », dit son fils. Pour més à ces vieilles bandes sonores refont partout tant cette femme s’activa sans mière fois. Il avait jusque-là refusé net de le réalisateur. Mais ce n’est pas un cours mulée a permis de produire, en plus de d’autres, les séquelles auront été plus pro- surface. Paul Rose articule sans prétention compter pour faire libérer ses fils. le faire, comme Bernard Lortie, un autre d’histoire. Certains ne doivent même pas Les Rose, une série en six épisodes à la- fondes. Lui continuait d’éprouver le besoin des méditations où l’idée de se laisser membre de la cellule Chénier du Front savoir qui est Gaston Miron aujourd’hui ! quelle Dave Noël, du Devoir, ainsi que le d’agir au présent. porter de l’intérieur, par la force tranquille L’importance de cette femme est ma- de libération du Québec (FLQ), le refuse On a pris le parti d’une histoire univer- journaliste Antoine Robitaille ont prêté des eaux, comme s’il était partie prenante jeure, explique en entrevue Félix Rose. encore. L’autre membre de cette cellule, selle, celle d’une mère qui veut faire li- leur concours. Les épisodes de la série Le (suite verso)...

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Les Rose : Un courageux documentaire personnel Éric Moreault, Le Soleil - 20 août 2020 Les Rose se révèle un documentaire impor- son héritage et, surtout, de tracer un portrait Toutefois, Félix Rose laisse parfois son oncle ...(suite recto) La vie en Rose tifs. Jacques Lanctôt et sa bande étaient au Québec. Ils voulaient assumer jusqu’au tant. Et pas seulement parce que son réalisa- familial. s’en tirer à trop bon compte même s’il n’a pas pressés d’agir. L’enlèvement précipité du bout leur position. » teur Félix Rose est le fils de Paul et le neveu peur de poser les questions incontournables, Les responsables diplomate James Richard Cross eut des de Jacques, les deux felquistes condamnés De celui-ci émerge entre autres Rose Rose, la notamment sur la mort du ministre Laporte. conséquences majeures dans la vie des Écrivain et médecin, Jacques Ferron avait pour la mort de Pierre Laporte lors de la crise mère de Paul, Jacques et de trois autres enfants. «Accident ou meurtre ? Ça appartient au En contrepartie, Jacques Rose apparaît Rose. En enlevant le vice-premier ministre été convié à négocier la reddition des d’Octobre 1970. Bien sûr, son statut lui pro- Son engagement en faveur de la solidarité, de FLQ», s’avère une parade trop facile… avoir du mal à adopter une perspective Pierre Laporte, ils se sentirent obligés de membres de la cellule Chénier, cernée cure un point de vue unique. Ce qui importe, l’entraide et de l’empathie dans sa communau- plus large des événements auxquels il soutenir une action qu’ils avaient au pré- par les policiers dans un tunnel où ils se toutefois, s’incarne dans sa volonté d’offrir un té a profondément façonné les deux frères. Ce Les Rose a surtout le grand mérite d’apporter a été mêlé. Il affirme à la caméra que les alable désapprouvée. La mort de Laporte terraient. Ferron explique : « Eux aussi, contexte, à la fois personnel et universel, avec sacré bout de femme incarne la force matriar- un point de vue différent sur la crise d’Oc- bombes du FLQ n’ont fait aucune victime. découle des conséquences d’une action en période normale, ils étaient contre la un courage remarquable. cale souterraine qui a soutenu le Québec dans tobre. Son visionnement, pour les plus vieux, Ce qui est faux. La bombe placée à la collective, plaide Jacques Rose. À ce titre, violence. La violence leur répugnait. Mais des moments où beaucoup avaient baissé les risque fortement d’être teinté d’a priori ou de Bourse de Montréal avait tout de même il ne saurait y avoir de gens plus respon- ils avaient jugé bon de faire de l’action Il y a 50 ans, le Front de libération du Qué- bras. biais, dans un sens ou dans l’autre. fait plusieurs blessés, observe Félix Rose sables que d’autres, la solidarité s’impo- directe pour accélérer l’histoire, une his- bec (FLQ) a posé, pour faire avancer sa cause, devant son oncle, sans parler d’autres sant à son sens comme un principe supé- toire stagnante. À tel point qu’on pouvait des gestes drastiques qui ont profondément Les Rose révèle ainsi des pans peu connus du Il s’agit d’un documentaire vital, avec une attentats meurtriers. « J’ai voulu montrer rieur, n’en déplaise aux pouvoirs publics. dire qu’au Canada français, il n’y avait pas marqué l’imaginaire, voire l’inconscient col- parcours des felquistes, avant la crise d’Octobre, perspective forte, afin de mieux comprendre la contradiction entre le scénario que d’histoire. Il a fallu relancer l’histoire. Il n’y lectif, des Québécois. La vie de ceux et celles mais aussi après. Le militantisme incessant de pas seulement la crise d’Octobre, mais com- [Jacques] s’est fait et la réalité. » Mais pour Pourquoi Paul Rose et les siens ne a jamais eu de signature de paix depuis qui ont vécu, de près ou de loin, l’affront de la Paul, et de sa mère, a considérablement hu- ment deux hommes pleins de bonne volon- l’essentiel, l’approche du FLQ n’est guère s’étaient-ils pas arrangés pour fuir à 1760. Il y a eu une trêve. Mais l’état de Loi sur les mesures de guerre a changé. manisé les conditions de détention dans les té en arrivent à mettre la main dans un en- remise en question. l’étranger, comme les felquistes de la guerre existe toujours. Ce sont des choses pénitenciers. grenage qui a happé une partie de leur vie. bande de Jacques Lanctôt partis pour que les Rose m’ont dites. » Mais pas autant que celle de la famille Rose. Et, malheureusement, causé du tort à des Le film aborde en douce le conflit qui ré- Cuba ? « Pour mon père et son frère, ex- L’arrestation des deux frères a eu l’effet d’une Ce documentaire n’est pas le premier film gens qui méritaient mieux. sulta, chez les felquistes, de la volonté de plique Félix Rose, il était important, au bombe — les proches ignoraient leurs actions de Félix Rose et il a réalisé un solide travail de vite procéder à des enlèvements sélec- contraire, de se faire arrêter et d’être jugés au sein du FLQ. contexte et de vulgarisation. Certains moments se révèlent particulièrement éclairants sur Le cinéaste réussit toutefois à démontrer, l’époque. avec son film, que leur implication au sein de l’organisation terroriste n’a rien d’un coup Des images d’archives inédites ou peu vues, de tête. Paul Rose, militant de toujours et de des enregistrements clandestins de son père toutes les causes, s’indigne de la condition en prison et des entrevues permettent un re- sociale des Québécois et veut les libérer du gard de l’intérieur grâce à un montage fluide, joug qui les empêche de vivre libre. qui respecte la chronologie des événements, dans un but évident de clarté. Pour y arriver, Félix Rose a pu longuement discuter avec Jacques Rose, qui se confie Il a évité le piège béant du film militant — Les publiquement pour la première fois. La pré- Rose est moins engagé que le percutant Oc- sence du réalisateur à l’écran n’est pas gra- tobre (1994) de Pierre Falardeau. Mais il as- tuite : elle témoigne de sa volonté d’assumer sume sa subjectivité avec courage et honnêteté.

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