Red Cardell Par Jacques-Olivier Badia, publié le 29/10/2010

Le mot « éclectisme » n’a rien de vain pour Philippe Pagès. Qu’on en juge : depuis le début pas si lointain de la saison, Le Bijou aura programmé conte et chants africains, le flamenco alternatif d’Equidad Barès, les provocations craspouètes de Didier Super, de la musique kurde, de la chanson dite française et en tout cas toulousaine à bretelles (d’accordéon), Didier Labbé jazzant comme jamais, la fureur tzigano-croate de Zaragraf, le délicat Bertrand Belin, du reggae- nonchalant avec Kilembé et les corsitudes d’Alba. Il y fallait bien un peu de celtitude, pour le côté ethno-régional, et de rock pour faire bon poids. C’est chose faite avec la venue cette semaine de Red Cardell, trio breton qui vint déjà dans les lieux au temps lointain où l’on pouvait y danser – une lurette, et belle…

Paint it red

On se disait bien, aussi, que ça faisait penser à quelque chose malgré la débagoulade de notes tombées d’un accordéon à l’accent lointainement celtisant : le riff blues-rock, les paroles en angliche, le côté mauvais garçon mid-sixties… Mais il fallut arriver à la fin pour comprendre : « I wanna see it painted, painted, painted black », ça vous rappelle quelque chose ? Pas exactement les Rolling Stones pour autant (qui, à notre connaissance, n’y ont jamais chanté « we used to dream about the revolution »), mais le même esprit et la même famille – de Bretagne en Grande-Bretagne, n’est-ce pas… Le ton, en tout cas, était donné face à un public acquis d’avance, la famille au premier rang, une poignée de vieux fans braillards au fond, ici et là quelques-uns qui se souvenaient encore de Red Cardell version 93. Un ton inchangé malgré un premier album tout-en-français, « Soleil blanc » (le douzième tout de même), d’où tomba pour suivre un Brother Johnson pur boogie-rock, enchaînant pour la nostalgie sur un Casatchok à flétrir les vulnéraires en pot de Rika Gozman épouse Zaraï – « un sonotone, un casatchok au mégaphoooone », yeah ! Et bien plus tard, pour rester dans la référence, une version moins protest que heavy de Like a Rolling Stone. Décidément, on ne sort pas plus des pierres qui roulent que du milieu des sixties, quoiqu’il y ait loin des Stones à . Mais éclectisme, toujours éclectisme… Il y eut donc du groove et du post-funk, des fonds rythmiques presque reggae, une « gavotte Nouvelle Orléans » salement secouée, une espèce de flûtiau folklorique (bon, une bombarde) dont le son sentait bon le pays de la mer (Armor en VO), « well it’s one for the money, two for the show » sans Elvis, le folk voyageur de qui se retrouve « à mille lieues de l’endroit d’où l’on vient », La fête au village, un accordéon MIDI dévoyant allègrement le son de ses soufflets, Monsieur, You’ve Got to be Alone et l’on en passe. Que du nanan.

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« Monsieur, veuillez décliner votre identité »

Toulouse étant assez loin de Quimper, on n’y connaît pas aussi bien Red Cardell que là-bas et c’est grand dommage. La formation mêle depuis l’origine une brouettée d’influences, parmi lesquelles le rock et le folk de Bretagne ne tiennent qu’une part, quoique assez prépondérante. Les autres ? du punk, de la partagée entre , Maghreb et Amérique (celle du Nord, parce que côté latino…), de la chanson de tradition française, de l’électro. Et (presque) toujours du gros son parce que tout de même, ça décrasse bien les portugaises. Mais sans renier la qualité musicale, que porte notamment l’accordéon de Jean-Michel Moal. Un fêlé, celui-là, qui entre deux verres de vin et une petite blonde grimace à la mesure de ses contorsions sur les touches, envoie ici les notes à pleines louches, là s’amuse de syncopes iconoclastes, s’esbigne pour tripoter quelques potards et tirer de son piano à bretelles des sons qui ne sont pas les siens. La celtitude, c’est plutôt lui, tandis que la guitare sans caisse de Jean-Pierre Riou s’emploie à assurer l’énergie rock sur la rythmique bien frappée de Manu Masko. Et côté textes (pour ce qu’on en comprit dans le déluge de décibels), une inspiration populo-rigolarde mâtinée d’un bon brin de poésie bluesy, quelques coups de gueule au milieu pour faire bon poids. Bien sûr cela fait du bruit, mais cela fait surtout du bien. Pour preuve, un public embarqué dès la première note et jusqu’au bout toujours là pour frapper dans les mains, reprendre un refrain, lancer un lazzi ou suivre une mélodie sans paroles. On appelle ça une sacrée ambiance, et tant pis pour les chafouins et les oreilles qui sifflent.

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