Mémoire de fin d’études

Rodrigue HUART

Le clip musical : Médium d’auteur, hybride entre musique, cinéma et photographie.

Comment définir le clip musical comme un genre à part entière, médium hybride entre musique et cinéma? Quelles sont ses spécificités photographiques, d’un point de vue historique, esthétique et technique?

Sous la direction de Monsieur Christophe CAUDROY

Membres du jury :

Monsieur Christophe CAUDROY Madame Françoise DENOYELLE Madame Claire BRAS Monsieur Pascal MARTIN

Section photographie, promotion 2013 Remerciements

Je souhaite tout d’abord remercier les membres du jury, Madame Françoise Denoyelle et Monsieur Pascal Martin. Je remercie Monsieur Christophe Caudroy pour les conseils prodigués tout au long de la rédaction de ce mémoire et Madame Claire Bras qui m’a permis de poser les bases de cette étude.

Je tiens également à remercier mes camarades de promotion Nejib Boubaker, Louis Boulet, et Thibaut Bissuel, qui, chacun à leur manière m’ont permis d’avancer sereinement jusqu’au terme de l’écriture de ce mémoire. Je remercie Romain Bassenne et Pascale Fulghesu pour leur sympathie et leur disponibilité sans faille. Je remercie Monsieur Michel Coteret, directeur de la formation initiale et l’école ENS Louis Lumière pour le prêt de la Phantom et du studio 2.

Je remercie Abteen Bagheri, Roger Ballen, Pierre-Édouard Joubert, Marty Martin, Pablo Maestres, Chris Milk, réalisateurs de clips musicaux, d’avoir répondu à mes questions avec intérêt et sympathie.

Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m’ont accompagné dans la réalisation de ma partie pratique, le clip Washed Away pour le groupe Juveniles : Pierre Saba-Aris, Arthur Briet, Brice Barbier, Quentin Labail, Théo Raush, Flora Fishbach, Maxime Ducrot, Kevin Fermaud, Loich Lambert et Gilles Desloires. Je remercie également le groupe Juveniles pour la confiance qu’ils m’ont accordée.

Enfin, je tiens à remercier mes parents et mon colocataire Dimitri Faïzi et Valentina Gardet pour leur aide et Sidonie Ippolito pour le soutien sans faille qu’elle m’a apporté.

2 Résumé

À l’ère d’Internet, où s’entrechoquent image fixe, image animée et son, le clip musical se trouve à la croisée des chemins, mêlant en son sein des références, et des codes propres à chacun de ces médiums. Il se pose alors comme un genre à part entière, fruit de cette hybridation. Cette recherche a pour but de définir dans quelle mesure le clip recycle et réinvente en permanence, en adéquation avec les outils technologiques de son époque, les codes narratifs et esthétiques propres à chacun des médiums qu’il se réapproprie. Nous nous interrogerons également sur la position de l’auteur face au clip musical.

Nous reviendrons tout d’abord sur les liens qui s’établissent entre le cinéma et la photographie à travers les époques, et sur la genèse du clip musical. Nous verrons ensuite que ce dernier se pose comme un médium hybride à la frontière entre cinéma, musique et photographie et analyserons comment l’auteur s’approprie cette caractéristique au service de son propos. Cette recherche s’arrêtera également sur les spécificités photographiques de ce médium. Enfin, nous ne manquerons pas d’établir un parallèle entre les mutations esthétiques et techniques du clip musical, et les évolutions récentes des outils de production et de diffusion.

Mots-clés : photographie, cinéma, musique, clip musical, internet, histoire, technique, esthétique, hybride, auteur.

3 Abstract

In the era of Internet, where fixed image, animated image and sound jostle together continually, music video represents a meeting, a mix between the specific references and codes inherent to each of these mediums. Stemming from this hybridization, music video can thus be considered as a genre of its own. This research is intended to define how music videos constantly recycle and reinvent the narrative codes and aesthetics of the mediums they appropriate, in line with the technological tools of their time. We will also study the question of the creator and his position towards music video.

First of all, we will come back to the relationships that appeared throughout the years between cinema and photography, and to the origin of music video. We will then analyse how music video defines itself as a hybrid medium between cinema, music and photography and how the creator can seize upon this characteristic and use it to convey his own message. In this research, we will also study the photographic specificities of this medium. Finally, we will not fail to draw a parallel between the aesthetic and technical evolution of music video and the development of new production and diffusion tools.

Key words: photography, cinema, music, music video, Internet, history, technical, aesthetic, hybrid, director.

4 Table des matières

INTRODUCTION ...... 8

I. HISTOIRE ET DEFINITION D’UN MEDIUM HYBRIDE ...... 10

1. LES PHOTOGRAPHES ET L’IMAGE ANIMEE ...... 10

A. LES PRECURSEURS ...... 10

B. DES PHOTOGRAPHES QUI REGARDENT VERS LE CINEMA ...... 19

C. LES ANNEES 2000, LE WEB, L’ARRIVEE DU CANON 5D MK II ...... 23

2. L’HISTOIRE ET LES ORIGINES DU CLIP MUSICAL ...... 25

A. LES PREMICES HISTORIQUES ...... 25

B. LA POPULARISATION ...... 28

2. LE CLIP MUSICAL, HYBRIDE ENTRE CINEMA, MUSIQUE ET PHOTOGRAPHIE ...... 29

A. DIFFERENTS TYPES DE CLIPS MUSICAUX ET DEFINITION DU CORPUS ...... 29

B. DES ARTISTES A LA CROISEE DES CHEMINS, MUSICIENS, PHOTOGRAPHES ET REALISATEURS DE CLIP . 34

II. L’HYBRIDATION AU SERVICE DE L’AUTEUR ...... 36

1. LE TEMPS ET LA NARRATION ...... 36

A. LA NARRATION DANS LE CLIP MUSICAL ...... 36

B. TEMPS ET DEPLOIEMENT DE «L’INSTANT» ...... 44

C. TEMPS ET PULSATION ...... 52

2. ESPACE, CIRCULATION ET CADRE ...... 56

A. « CIRCULATION » CINEMATOGRAPHIQUE/« FACE A FACE » PHOTOGRAPHIQUE ...... 56

B. TENSION ENTRE PLAN FIXE ET DEPLACEMENT DANS L’ESPACE ...... 58

3. CITATION ET VISION D’AUTEUR ...... 60

A. L’EFFET PHOTOGRAPHIQUE ...... 60

B. LA REAPPROPRIATION D’ICONES PICTURALES ET PHOTOGRAPHIQUES ...... 63

C. LE PHOTOGRAPHE-REALISATEUR : TRANSPOSITION DE SON UNIVERS PERSONNEL AU CLIP MUSICAL . 66

5

III. LES EVOLUTIONS TECHNIQUES, MOTEUR DE CREATIVITE ET D’HYBRIDATION . 71

1. L’ARRIVEE DU CANON 5D MARK II ...... 71

A. HYBRIDATION MATERIELLE ENTRE CINEMA ET PHOTOGRAPHIE ...... 71

B. LE DEVELOPPEMENT DE NOUVEAUX CONTENUS ...... 78

2. LA REAPPROPRIATION DES STANDARDS VISUELS AMATEURS DANS LE CLIP MUSICAL ...... 81

A. L’INFLUENCE DES RESEAUX SOCIAUX : FLICKR, INSTAGRAM… ...... 81

B. REAPPROPRIATION DE L’OUTIL AMATEUR ...... 84

3. VERS L’AVENIR ...... 87

A. LA BLACK MAGIC CINEMA, UNE CAMERA AUX PERFORMANCES « CINEMA » SOUS LES TRAITS D’ UN DLSR ...... 87

B. UNE NOUVELLE FORME HYBRIDE EN DEVELOPPEMENT, LE CLIP INTERACTIF ...... 94

CONCLUSION ...... 98

BIBLIOGRAPHIE ...... 100

PARTIE PRATIQUE ...... 109

PRESENTATION : JUVENILES – WASHED AWAY ...... 110

JUVENILES ...... 110

LE TEXTE : WASHED AWAY ...... 111

NOTE D’INTENTION ...... 111

SYNOPSIS ...... 112

PHOTOGRAMMES ...... 113

POLAROÏDS ...... 116

6

ANNEXES ...... 117

PARTIE PRATIQUE ...... 118

DOSSIER DE PRODUCTION ET DOCUMENTS DE TRAVAIL ...... 118

MOODBOARD ...... 118

DECOUPAGE TECHNIQUE ...... 121

DÉCOUPAGE TECHNIQUE ILLUSTRÉ ...... 124

FOCALES DE TRAVAIL ...... 142

BUDGET, FLUX DE PRODUCTION ET PLAN DE TRAVAIL ...... 143

ENTRETIENS ...... 146

ABTEEN BAGHERI ...... 146

PABLO MAESTRES ...... 155

ROGER BALLEN ...... 160

CHRIS MILK ...... 166

MARTY MARTIN ...... 170

PIERRE-EDOUARD JOUBERT ...... 176

FICHES TECHNIQUES ...... 180

CANON 5D MARK II ...... 180

BLACK MAGIC CINEMA CAMERA ...... 184

PAROLES ...... 186

7 Introduction

S’imposant au fur et à mesure des années comme un canal d’expérimentation et un espace de liberté pour les auteurs d’images, le clip devient un véritable médium d’auteur. Historiquement, l’invention du cinéma et de l’image animée doit beaucoup aux technologies qui ont, dans un premier temps, permis la naissance de la photographie. Depuis que les deux médiums coexistent, ils se nourrissent l’un de l’autre. Si les codes narratifs et les outils sont différents, des ponts se créent inlassablement entre eux, à travers les époques. D’ailleurs, de nombreux photographes ont eu recours à l’image animée : Raymond Depardon, William Klein… Avec l’arrivée du son dans l’image animée, au début des années 20, apparaissent les premiers « clips musicaux ». Alors encore dans sa forme la plus sommaire, le clip musical subira énormément de mutations jusqu’à aujourd’hui. À l’ère d’Internet, où s’entrechoquent image fixe, image animée et son, il se retrouve à la croisée des chemins, mêlant en son sein des références, et des codes propres à chacun de ces médiums.

Nous nous interrogeons alors sur la définition même du clip musical. Comment définir le clip musical comme un genre à part entière, médium hybride entre musique et cinéma ? Quelles sont ses spécificités photographiques, d’un point de vue historique, esthétique et technique ? Comment ces caractéristiques peuvent-elles être mises au service de l’auteur ?

Dans un premier temps, nous nous attacherons à rassembler les informations historiques, esthétiques et techniques qui formeront le socle du mémoire. Il sera intéressant d’étudier le rapport qu’entretiennent les photographes avec l’image animée à travers les âges, leur approche du médium et leur démarche d’auteur. Nous reviendrons également sur l’histoire du clip musical, de ses débuts jusqu’à ses évolutions contemporaines. Nous distinguerons les différentes formes de clip afin de délimiter le corpus d’étude. Enfin, nous présenterons quelques artistes pluridisciplinaires, à la fois musiciens, photographes et/ou réalisateurs de clip, ce qui créera un pont vers la deuxième partie de ce mémoire, tournée vers les auteurs.

8 Par la suite, nous nous attacherons, analyses de clips à l’appui, à mettre en exergue les spécificités photographiques du clip musical, et la dimension hybride de ce dernier, à la croisée des chemins entre cinéma, musique et photographie. Cette étude se fera à travers le prisme de l’auteur. En effet, nous analyserons la position de l’auteur face au clip musical, comment il s’appuie sur ses caractéristiques, afin de les mettre au service de son propos et de sa sensibilité. Nous questionnerons la relation qu’entretient le clip musical avec « l’instant décisif », notion photographique, qui, nous le verrons, trouve également son sens dans le clip. J’aborderai également les questions de dynamique visuelle et rythmique, la relation entre temps et pulsation. Les processus narratifs du clip musical seront abordés sous plusieurs angles. Cela mènera à une réflexion sur le portrait et sa dimension photographique dans le clip musical. Seront étudiées les notions de « circulation » cinématographique et de « face à face » photographique, de composition frontale et/ou de déplacement dans l’espace. Nous nous attarderons également sur la réappropriation de motifs visuels photographiques, ainsi que sur le détournement d’icônes picturales et photographiques dans le clip musical. Nous nous interrogerons enfin sur la pratique parallèle de la photographie et du clip, ce qu’implique cette double activité et les échanges qui existent entre les deux médiums du point de vue de l’auteur.

Enfin, les évolutions techniques seront au centre de notre réflexion. Celles-ci prennent une place importante dans les évolutions contemporaines du clip musical. Comme c’est souvent le cas dans l’histoire de l’art, nous nous attacherons à vérifier que ce sont bien souvent elles qui définissent les usages des techniciens, comme des auteurs. L’influence de la sortie des premiers réflex numériques permettant l’enregistrement de vidéos en Haute Définition, 5D Mark II en tête, sera étudiée, ainsi que l’impact du développement des réseaux sociaux et des plates-formes d’échange d’images fixes et animées. Enfin, nous ouvrirons ce mémoire vers l’avenir en nous arrêtant sur les possibilités techniques, narratives et esthétiques qu’offre l’interactivité dans le clip musical.

Les analyses et réflexions qui seront développées dans ce mémoire s’enrichissent d’entretiens (retranscrits en annexes) avec des photographes et réalisateurs de clips musicaux.

9 I. Histoire et définition d’un médium hybride

1. Les photographes et l’image animée

Dans cette première partie, nous allons nous intéresser à des photographes qui ont expérimenté, d’une manière ou d’une autre, l’image animée. La liste est bien sûr non- exhaustive. Les travaux évoqués et analysés dans cette partie émanent de photographes qui se sont montrés précurseurs dans le domaine ou dont le travail en image animée trouvera un lien avec la suite du mémoire.

a. Les précurseurs

Eadweard Muybridge et Etienne-Jules Marey, animer la photographie

On peut affirmer que Marey et Muybridge furent les premiers à s’intéresser de si près aux mouvements en image, les décomposant photographiquement.

En 1872, Marey affirme que les pattes d’un cheval au galop sont, à un certain moment de la course, toutes décollé du sol. Les scientifiques de l’époque réfutent l’hypothèse et c’est Muybridge qui permet de la vérifier grâce à un dispositif photographique. Il dispose douze appareils photographiques le long d’une piste équestre blanchie à la chaux puis les déclenche en série devant le passage du cheval pour décomposer le mouvement de la course. Le dispositif est rendu possible par l’utilisation du procédé photosensible du collodion humide qui permettait, pour l’époque, des temps de pose rapides. Muybridge poursuivra son travail sur la décomposition du mouvement animal et humain en mettant au point, en 1879, le Zoopraxiscope, projecteur recomposant le mouvement capté grâce au défilement rapide de chacune des images de la séquence. Marey développe parallèlement un dispositif différent. En 1882, il travaille dans un premier temps sur le fusil photographique, permettant de décomposer le

10 mouvement en douze poses. Il l’utilisera brièvement avant de mettre au point, la même année, la chronophotographie. De la même façon que Muybridge, son invention vise à décomposer les mouvements animaux, humains et d’en étudier les particularités. Cependant, son dispositif diffère de celui de son homologue britannique, car il n’utilise qu’un seul appareil photographique exposant plusieurs fois très rapidement la même plaque au gélatinobromure grâce à un obturateur rotatif. Grâce à l’arrivée du film celluloïd en France en 1889, Marey invente un système permettant de faire avancer le film en synchronisation avec l’obturateur, permettant de réaliser les premières images cinématographiques. Cependant, la non-perforation du film pose problème pour obtenir un rendu stable.

Cette invention le pose comme un précurseur du cinéma, aux côtés de Muybridge. Ces faits historiques témoignent d’un lien fort entre photographie et cinéma, un lien qui prendra différentes formes à travers les époques et les auteurs.

William Klein, de la photographie au cinéma

William Klein, par exemple, ne cessera jamais, tout au long de sa carrière de travailler aves les deux médiums.

Il rejoint New York en 1954 pour travailler pour Vogue Magazine. Il travaille alors parallèlement sur son livre New York qui sortira en 1956 et qui aura un grand retentissement. Ses images sont très directes, il veut bousculer. Il utilise le grand-angle, le regard caméra, le flou de bougé, décadre, délaisse l’objectivité documentaire et se place au centre de l’action. Son approche est très novatrice. En 1958, c’est avec cette même envie de transgresser les genres qu’il tourne son premier film Brodway By Light, un documentaire visuel sur les enseignes lumineuses de Broadway, le « premier film pop ». Le film se compose d’une série de plans utilisant les enseignes lumineuses de façon très graphique, les transformant en un enchevêtrement vertigineux de lumières. La relation avec la bande sonore est très importante puisque le film est mis en musique, en faisant également un clip musical mutant.

11

Photogramme de Broadway By Lights (1958), de William Klein

La suite de sa carrière cinématographique se partage entre documentaire et fiction. Son engagement très fort traverse sa pratique photographique et cinématographique, par exemple son soutien à la communauté noire américaine à travers ses films documentaires sur Mohamed Ali ou Little Richard. Sa fiction la plus connue, et désormais culte, est, Qui êtes-vous, Polly Maggoo (1966), dans laquelle l’action prend place dans le monde la publicité et de la mode, revenant ainsi, en filigrane, sur les traces de ses travaux photographiques pour Vogue. Alexandre Liberman, directeur artistique du magazine disait d’ailleurs de ses photographies qu’elles lui évoquaient le story-board d’un film1. William Klein se décrira en 1975 comme un cinéaste, ayant dans un premier temps pratiqué photographie par défaut : « Les premiers livres que j’ai faits, dans une certaine mesure, c’étaient des films que je ne pouvais pas faire. Quand je feuillette l’ sur New York c’est comme ça que je le vois : chaque photo est une image arrêtée d’une scène. J’avais imaginé ce livre comme un film, un film complètement aberrant, sans lien, où on passait comme ça, de scène en scène. »2

Cette dernière citation montre bien le rapport direct qu’établit William Klein dans sa pratique entre image fixe et animée. Comme il l’explique, pour ses premiers livres, il se nourrit des codes du cinéma pour enrichir et densifier son travail photographique.

1 FORTIN Marie-Eve, Commissaire de l’exposition William Klein, l’œil dissident / La rétrospective, Québec, 2012. http://www.cinematheque.qc.ca/fr/programmation/projections/cycle/william-klein-loeil- dissident-la-retrospective 2 FORTIN Marie-Eve, Commissaire de l’exposition William Klein, l’œil dissident / La rétrospective, Opus cité

12 Depardon, aller-retour entre photographie et cinéma

Comme William Klein, Raymond Depardon pratique alternativement cinéma et photographie pour exposer son point de vue d’auteur. Si Klein se revendique cinéaste après avoir été photographe, Depardon ne cessera jamais de se considérer comme un photographe, se servant de l’image animée pour explorer un point de vue qu’il estime inatteignable avec la photographie.

À partir du début des années soixante, le travail de Raymond Depardon s’imprègne d’un échange permanent entre cinéma et photographie. Les aller-retour qu’il effectue entre ces deux pratiques lui permettent de réfléchir au tenant et aboutissant de chacun de ces médiums. Il enrichit sa pratique photographique de par son expérience du cinéma et inversement. Il créer une résonnance entre les deux médiums. Cependant, il cloisonne clairement ces deux pratiques. « Je reste photographe pour préserver le cinéma »3. Sa première expérience de cinéaste, en 1963, se fait sous l’impulsion de son agence de l’époque Dalmas, qui lui demande de filmer, sans son, les passants à Paris. Il tourne des plans-séquences sans jamais couper, car il ne voulait « surtout pas faire des films de photographes, une photo après l’autre, sans son, ça ne veut rien dire ! »4. Il tourne finalement son premier film en 1969 à Prague sur Jan Palach5. Il filme, en plan fixe, depuis sa chambre d’hôtel, la minute de silence en l’honneur de l’étudiant qui s’est immolé place Venceslas. « Tout le monde était dans la rue, les taxis, les bus, tout s’est arrêté, les gens s’étaient figés là où ils étaient. Heureusement pour mon plan je suis sauvé par un clignotant de voiture, sinon, on croirait une photo ! »6. Ce premier plan connu de Depardon est donc complètement empreint de sa culture photographique. Depardon est un photographe qui fait des films. Même s’il se défend de vouloir faire des « films de photographes », terme qui prend une connotation péjorative dans sa bouche. S’il sépare bien ces deux pratiques, il dira tout de même de son travail cinématographique San Clemente, qu’il le considère comme « le prolongement, la

3 Raymond DEPARDON, Le désert américain, Paris, Editions de l’Etoile : Cahiers du cinéma, 1983, p.131 4 DEPARDON Raymond et SABOURAUD Frédéric, in Depardon /Cinéma, Cahiers du cinéma, Paris 1993, p.11 5 Etudiant qui s’est immolé par le feu sur la place Venceslas à Prague en 1969 pour protester contre l’invasion de son pays par l’Union soviétique en 1968. 6 DEPARDON Raymond et SABOURAUD Frédéric, in Depardon /Cinéma, Opus cité, p.13

13 continuation de son regard de photographe ». Dans San Clemente, Depardon filme, caméra à l’épaule, très souvent dans de longs plans-séquences, la vie d’un ancien monastère converti en asile psychiatrique. Enfermés dans cet asile, les aliénés se déplacent librement. La caméra de Depardon, qui déambule dans le lieu, nous interpelle. À travers son objectif, le spectateur déambule parmi les fous. Au départ, c’est un sujet qu’il a couvert en tant que photographe. Il en ramène des images puissantes, très graphiques, avec les silhouettes dégingandées des aliénés fixant l’objectif. En réalisant la maquette du livre, il est interpellé par la dimension cinématographique de ses légendes accolées aux images. Il retourne sur place pour tourner le film, accompagné, d’une preneuse de son, Sophie Ristelhueber. « C’est fou, les deux travaux ne donnent pas du tout la même chose. L’objet n’est pas le même. La photographie est plus dramatique, il n’y a aucun optimisme, tandis que dans le film, les malades commencent à nous parler, à nous raconter des histoires, participent au film »7. Il obtient donc, grâce au film, une proximité qu’il ne trouvait pas dans les photographies, d’une part, grâce au dispositif de déambulation en plan-séquence, et d’autre part, grâce à la prise de son, qui donne la parole aux aliénés.

Depardon réfléchit ainsi aux particularités de ces deux médiums, comprenant l’apport qu’offre le film à différents niveaux. Il questionne également le choix du dispositif, en fonction du sujet traité et de la distance qu’il souhaite prendre par rapport à celui-ci.

7 CADET Francine, « entretien avec Raymond Depardon », Paris, 7 juin 95, in Raymond Depardon, San Clemente : de la photographie au cinéma, mémoire de recherche universitaire sous la direction de M. ODIN Roger, Paris, Paris III, 1995

14 Agnès Varda, du portrait photographique au portrait cinématographique

Si Depardon change de médium pour adapter son point de vue d’auteur sur son sujet, Agnès Varda verra en l’image animée un moyen de prolonger sa sensibilité de photographe. Comme nous allons le voir ici, sa passion pour le portrait traverse toute son œuvre, tant cinématographique que photographique.

De 1951 à 1961, Agnès Varda, forte d’une formation en photographie à l’École des Beaux-Arts, est photographe officielle du Théâtre National Populaire, alors dirigé par Jean Vilar. Elle réalise les archives du théâtre, portraiturant les acteurs de l’époque (Gérard Philipe, Philipe Noiret…). Elle élargit sa pratique au photoreportage, ramenant des clichés de Chine, Cuba, d’Allemagne. Elle poursuit ce travail en France et réfléchit à sa façon de capter le réel. « La photo, c’est une façon de saisir la réalité. On n’invente pas mais on a le pouvoir de choisir sa réalité. »8 C’est dans cet axe de réflexion qu’elle dirigera ses films. En 1954, elle joue sur la frontière entre documentaire et fiction dans son premier film Pointe Courte. Elle y met en scène les comédiens Philippe Noiret et Silvia Monfort et filme un village de pêcheur (à Sète) de façon presque documentaire. Ce dispositif témoigne d’un désir d’ancrer l’histoire dans la réalité. Elle réalise en 1962, le fameux Cléo de 5 à 7, dans lequel elle portraiture cinématographiquement une chanteuse mortellement malade. On retrouve donc au cœur de son cinéma, deux caractéristiques qui la définissaient en tant que photographe : son goût pour la mise en scène de la réalité et pour le portrait. Elle écrit d’ailleurs, dans Varda par Agnès, sur ce rapport qu’elle entretient avec la réalité : « Une dame marche sur le trottoir, portant plusieurs bassines de plastique coloré [...] suit un homme qui porte sous son bras un énorme plateau d’argent. Le montage est déjà fait ! »9. Elle y confronte également photographie et cinéma : « Ces deux saisies de la vie, l’une immobile et muette, l’autre mouvante et parlante, ne sont pas ennemies mais différentes, complémentaire même. La photographie, c’est le mouvement arrêté ou le mouvement intérieur immobilisé. Le cinéma, lui, propose une série de photographies successives dans une durée qui les anime.10 » En 1957, elle confronte les deux médiums dans L’Opéra Mouffe. En effet, le

8 VARDA Agnès, in Varda par Agnès, Paris, Editions des Cahiers du cinéma, 1994, p39 9 VARDA Agnès, in Varda par Agnès, Opus cité, p.143 10 VARDA Agnès, in Varda par Agnès, Opus cité, p.130

15 montage alterne entre prises de vue vagabondes, caméra au poing, des passants et photographies de sans-abris.

Le portrait photographie et cinématographique s’entrechoquent dans le travail d’Agnès Varda. D’ailleurs, Johan Van Der Keuken travaille également sur le portrait à travers l’image animée, avec son regard de photographe, se positionnant à l’exacte frontière de ces deux médiums.

Johan Van Der Keuken, « presque immobilité »

Passionné de photographie, Johan Van Der Keuken (JVDK), intègre pourtant l’Idhec11 en 1957, à l’âge de 19 ans, car il n’existait pas de bourse pour étudier la photographie. Il avait publié deux ans plus tôt son premier livre, Nous avons dix-sept ans, recueil photographique sur l’adolescence. L’enseignement de l’Idhec ne lui convient pas : trop académique, basé sur la culture théâtrale et littéraire. JVDK préfère errer dans Paris, capter le réel, se l’approprier. Il commence tout de même à tourner des films en 16mm avec sa première caméra Bolex. Elle ne permet de tourner que des plans très courts (24 secondes), ce qui laisse à sa pratique une dimension encore très proche de la photographie, de la captation de « l’instant décisif ». Sa rencontre progressive avec le cinéma lui permettra de réfléchir à la confrontation entre médium photographique et cinématographique. « Pendant le tournage, on pense constamment : comment puis-je continuer, quel son, quel texte, quelle musique, quelle action, quel objet puis-je associer à l’image ? Comment vais-je lier tout à tout ? Le film, il me semble, fonctionne par expansion. Quand on prend des photos, on pense : comment vais-je représenter un ensemble en une image ? Comment détacher cette seule image de toutes les autres ? Comment figer le tout ? La photographie fonctionne essentiellement par réduction.12 » Comme Agnès Varda, il reste attaché à la figure du portrait comme en témoigne son film Face Value (1991), documentaire dans lequel on trouve une multitude de portraits visuels et sonores glanés à travers l’Europe au moment de la guerre du Golfe. Les personnes sont, pour la plupart, filmées face caméra, sans qu’elles ne parlent, immobiles,

11 Ecole de cinéma, aujourd’hui devenue la Fémis. 12 VAN DER KEUKEN Johan, in Aventures d’un regard, Paris, Editions des Cahiers du Cinema, 1998, p.57

16 et leur voix enregistrée (avant ou après) est montée par dessus. Le cinéma lui permet cette « expansion » dont il parle dans la citation précédente. Il donne de la profondeur à ces individus en dissociant le son et l’image. Par ces portraits cinématographiques qui s’apparentent presque à des photos, il interroge aussi sur le cadre, le mouvement : « Qu’y a-t-il de plus palpitant que la presque immobilité, que la réalité visiblement découpée par un cadre qui est presque définitif, mais qui éclate au dernier moment, en haut, en bas, sur les côtés, vers d’autres visions ? La photographie ne peut pas faire cela. Seul un moyen d’expression animé peut montrer l’immobilité et le retour vers le mouvement.13 »

Photogramme de Face Value (1991), de Johan Van Der Keuken

Chris Marker, artiste multimédia

Si JVDK joue avec les frontières entre image fixe et animée en réalisant des portraits cinématographiques à la limite de l’immobilité, Chris Marker a quant à lui — bien plus tôt d’ailleurs —, fait imploser les limites entre cinéma et photographie en réalisant un film avec pour matière première… des photographies.

Après la Seconde Guerre mondiale, Chris Marker travaille et voyage pour l’UNESCO, prenant des notes et des photographies. La mise en page de ces images le guide vers le genre cinématographique.14 C’est son travail, La Jetée (1962), qui nous intéressera principalement dans cette partie introductive. Ce film de science-fiction en

13 VAN DER KEUKEN Johan, in Aventures d’un regard, Opus cité, p.57 14 CINE-RESSOURCES, Fiche de Chris Marker, France. http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=11415

17 noir et blanc de 28minutes est exclusivement constitué de photographies15. Il donne vie à ces images grâce au montage, leur relation avec la bande sonore16 , des effets de surimpression, de longs zooms, des fondus… Il brouille aussi les pistes entre cinéma et photographie en utilisant, montées à la suite, des images captées avec très peu d’intervalle de temps, donnant l’impression d’une séquence filmée restituée au ralenti. De plus, si le film est composé uniquement d’images fixes, il puise certaines de ses influences dans la culture cinématographique, comme par exemple Vertigo d’Alfred Hitchcock. En effet, Marker y fait explicitement référence au cours de la séquence avec le tronc d’arbre symbolisant le temps. On retrouve aussi, au cours de certaines parties, des portraits, montée à la suite en musique, un dispositif très fréquemment utilisé dans les clips musicaux. La Jetée se présente donc comme un film hybride, visionnaire, entre roman photo et cinéma. Dans la suite de sa carrière, Marker exprimera sa sensibilité à travers nombreux médiums (installations, écriture) et restera très sensible aux évolutions technologiques. En effet, il utilisera le CD-Rom comme espace de création au moment de sa démocratisation, Second Life17 pour créer un musée virtuel, YouTube pour la première de son court métrage Leila Attacks (2006) et six autres vidéos sous le pseudonyme Kosinki.

Les travaux des photographes analysés dans cette première partie nous ont donné un aperçu des manières avec lesquelles les auteurs ont pu exploiter les limites entre cinéma et photographie, et leur complémentarité.

15 Excepté une courte séquence filmée de 5 secondes sur les battements de paupière de l’actrice Hélène Chatelain. 16 Les images sont accompagnées de la voix d’un narrateur unique et d’une bande son écrite par Trevor Duncan. 17 Second Life est un métavers (univers virtuel) en ligne et en 3D sorti en 2003. Ce programme informatique permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde crée par les résidents eux-mêmes.

18 b. Des photographes qui regardent vers le cinéma

Comme nous avons pu le voir, à travers les travaux de différents auteurs, les ponts entre photographie et cinéma sont nombreux. Après avoir exploré l’univers de photographes s’étant tournés, un moment ou un autre, vers l’image animée pour donner vie à leur vision d’auteur, nous allons ici nous arrêter sur le cas de photographes dont la pratique ou/et le mode de présentation trouvent des connexions avec le septième art.

Jeff Wall, Gregory Crewdson, visions cinématographiques

Les clichés de Jeff Wall et Gregory Crewdson ne prennent pas nécessairement essence dans les mêmes références. Cependant, leurs photographies partagent une dimension très cinématographique au niveau de la mise scène. De plus, la construction et le dispositif créatif des images des deux artistes se font échos. Jeff Wall résume ici très bien un aspect de sa pratique : « L’idée de cinéma m’a intéressé parce qu’elle remettait en cause les critères d’évaluation de la photographie. La seule manière d’établir une collaboration entre le photographe et le personnage dans l’image était de mettre en place un jeu d’acteur. Ce jeu d’acteur était absolument interdit par l’idée du modernisme en photographie. L’esthétique était au cœur de ce que j’essayais de faire, mais il fallait y introduire la performance pour la transformer. Cette performance ne pouvait avoir lieu que dans le travail, l’expérimentation concrète, la fabrication des images, les décisions techniques, les décors… ».18 Pour donner l’impression d’extraire ses images d’un film, Jeff Wall réutilise le processus créatif du cinéma. Il passe même par la vidéo au cours de ses expérimentations menant à l’image finale, fixe. Cette façon de mettre en scène est la seule manière d’atteindre son but. Gregory Crewdson travaille également d’une façon beaucoup plus commune en cinéma qu’en photographie. La création d’une de ses images peut investir une centaine de personnes, de la production jusqu’à la postproduction.

18 WALL Jeff, « Jean-François Chevrier, entretien avec Jeff Wall » in Essais et entretiens, 1984-2001, Paris, Ensba, 2001, p.23

19 On cite très souvent le peintre Edward Hopper 19 comme une influence fondamentale pour ces deux artistes. S’il est vrai qu’on retrouve des connexions évidentes entre leurs œuvres respectives et celle du peintre, leur manière de figer un « instant cinématographique » diverge. En effet, Gregory Crewdson considère ses images comme « congelées dans le silence »20. Les postures très figées de ses personnages, leurs regards absents, l’éclairage clair-obscur, la netteté infinie des ses photographies participe à cette impression. Les images de Jeff Wall sont elles, souvent, plus « bruyantes », pour reprendre l’analogie avec le son établie par Crewdson. Les mouvements sont en cours, arrêtés par le geste photographique. La relation entre leurs œuvres et le cinéma diverge également dans le sens ou les images de Crewdson sont empreintes de références cinématographiques assez évidentes (Lynch, Kubrick, Spielberg, Scorcese…). Il a même invité des acteurs célèbres comme Jodie Foster pour sa série Dream House (2002). À l’opposé, les images de Jeff Wall évoquent plutôt une vision documentaire, avec des éclairages semblant plus naturels, à première vue, que chez Crewdson et des mises en scène sans attaches directes à des références cinématographiques précises.

Il est intéressant de constater les aller-retours entre leurs photographies et le cinéma. Leur travail est très inspiré de l’image animée et celle-ci s’en empare à diverses occasions. Par exemple, on retrouve dans certains clips musicaux une grande influence de Crewdson dans la façon de composer le cadre, les postures des modèles, l’éclairage… Le réalisateur Pablo Maestres m’a fait d’ailleurs fait part de l’influence du photographe sur ses clips. Le fait que Crewdson a réalisé des images pour la série Six Feet Under illustre également ce propos.

19 Peintre réaliste américain, aillant récemment fais l’objet d’une exposition au Grand Palais., Paris. 20 DELAURY Vincent, « Entretien avec Gregory Crewdson », réalisé à Paris, le 27/02/2009. http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/entretien-avec-gregory-crewdson-106782

20 Duane Michals, la photographie devient photogramme

À travers l’analyse des travaux de Jeff Wall et Gregory Crewdson, nous avons pu voir que les codes esthétiques du cinéma trouvent un écho dans la photographie. Nous allons ici voir que les codes et constructions narratives du septième art peuvent aussi être réemployés par des photographes.

Duane Michals est célèbre pour ses séquences photographiques, qu’on pourrait définir comme des romans-photos minimalistes. Son œuvre tire un trait d’union entre cinéma et photographie. En effet, si il utilise comme matière première l’image fixe, il se sert des outils du cinéaste pour donner sens à ses suites d’images. En effet, comme dans un film, ses images prennent sens quand elles sont considérées dans l’ensemble de la séquence. Comme le cinéaste, il joue sur le montage pour se faire entrechoquer les images, leur donner un sens nouveau de par leur rencontre. Il joue aussi sur l’échelle des plans dans Things Are Queer (1973) pour perdre le spectateur dans la mise en abyme infinie de la première image. Grâce à cette technique du montage, il rend ici des images qui peuvent sembler banales prises une à une, mais qui forgent dans leur ensemble une histoire irrationnelle. Ses photographies peuvent donc être assimilées à des photogrammes21 qu’il agence, qu’il monte pour créer ses « films photographiques ».

Things Are Queer, de Duane Michals

21 Au sens cinématographique, une des 24 images enregistrées par seconde par une caméra.

21 Nan Goldin, projection cinématographique

Nan Goldin fait tendre son œuvre vers le cinéma de par son mode de restitution. En effet, elle choisit dans les années 80 de présenter sa série Heartbeat sous forme de projection. Cette série nous fait rentrer dans l’intimité d’un couple. Ses photographies se succèdent en fondu tout au long d’un diaporama visuel et sonore (voix off et musique). Elle emprunte plusieurs attraits du cinéma pour servir ses images, leur puissance évocatrice, narrative et émotionnelle. On compte parmi ceux-ci la projection, qui donne à son travail la dimension spectaculaire du cinéma. Aussi, elle utilise le langage cinématographique pour construire son histoire. Elle utilise une voix off et de la musique, pour apporter de la profondeur aux personnages. Elle maîtrise également les ficelles du montage. En effet, les images se succèdent à des rythmes différents pour donner du relief au diaporama et mettre en exergue les images qu’elles souhaite importantes dans le déroulement de l’histoire. Les images, grâce au dispositif et au montage se répondent, créent de nouveaux sens, de nouvelles évocations. Elle utilise également des ellipses. Cet ensemble d’emprunts au septième art donne la sensation de voir un film au ralenti, objet audiovisuel hybride à la frontière de deux médiums. Le « slide-show » est fréquemment utilisé dans le clip musical, j’y reviendrai plus tard dans ce mémoire. Elle fera évoluer ce mode de présentation en ajoutant deux écrans au dispositif pour sa dernière série Sœurs, Saintes et Sibylles.

Nous avons maintenant couvert un ensemble de travaux photographiques et cinématographiques témoignant des liens très forts qui lient les deux médiums. Les informations rassemblées ici nous permettront d’étudier les caractéristiques du clip musical avec des bases historiques solides, indispensables à la validité de son analyse.

22 c. Les années 2000, le web, l’arrivée du Canon 5D Mk II

Avant de définir le clip musical, il nous reste enfin à donner un aperçu rapide de l’influence d’Internet et des évolutions technologiques sur les pratiques des photographes. Nous allons voir en quoi les phénomènes liés au développement du web changent les usages de certains auteurs.

Ulrich Leboeuf et Guillaume Herbaut, un nouvel élan par la vidéo

Depuis maintenant environ cinq ans, ces photographes trouvent dans le médium vidéo une nouvelle manière d’utiliser et de présenter la photographie. Cette nouvelle direction dans leurs travaux s’explique par plusieurs événements et phénomènes contemporains.

Le premier est le constat que la photographie de presse arrive à cette période dans une impasse économique et que parallèlement, le web devient de plus en plus présent et influent. Les photographes y voient un nouveau mode de diffusion, qui implique de nouveaux supports. Ils vont alors expérimenter, presque à l’aveugle dans un premier temps, comme l’explique Ulrich Leboeuf à Renaud Bouchez : « Comment faire ? Avec Territoires de fiction, on a fait appel à des réalisateurs, des monteurs, des preneurs de son. On leur a donné la matière et on leur a dit “lâchez-vous”. Et ils ont animé nos photographies. Il y avait des résultats très satisfaisants, d’autres moins.... Mais c’était le début d’une réflexion. Moi, je n’étais pas satisfait, car je perdais le fil de mon propos. Ça me posait problème en tant qu’auteur. En tant qu’auteur, je voulais maîtriser ma narration. 22 » C’est naturellement qu’Ulrich Leboeuf décide alors de commencer à filmer. Guillaume Herbaut, pour sa part, avait déjà expérimenté le médium vidéo dans les années 90, en réalisant des films courts à base de photographies et de prise de son. Mais, à l’époque, il ne trouve pas de diffusion pour ces travaux. « On était déjà dans un format audiovisuel fort, mais il n’y avait pas les canaux de diffusion. J’avais créé des formats de trois, quatre, cinq minutes. Mais il n’y avait pas Internet. Il y a eu quatre,

22 BOUCHEZ Renaud, « Entretien avec Ulrich Leboeuf », in Le recours à l’image animée chez les photographes du réel. Quels enjeux pour la narration?, mémoire de fin d’études sous la direction de M. BOLLENDORF Samuel, Noisy-le-Grand, Ecole Nationale Supérieure Louis-Lumière, 2011, p.203

23 cinq vidéos. Ma destination c’était la télé, mais c’était un format un peu compliqué. Avec l’arrivée d’Internet, ces objets là, de quatre ou cinq minutes pouvaient trouver une place.23 » Internet représente une nouvelle vitrine pour ces productions hybrides entre photographie et vidéo, ces POM (Petites Oeuvres Multimédias) comme les définis Wilfrid Estève. Il représente aussi un véritable espace de liberté permettant d’expérimenter, comme l’explique Ulrich Leboeuf. « Sur le web, il peut y avoir de la création, plus qu’à la télévision. David Lynch l’explique bien : la créativité, ça se passe sur le web.24 » Si comme le souligne Leboeuf, Internet représente un vaste espace de liberté, cette manière de produire fait abstraction de la demande et du marché, ce qui peut créer un décalage gênant dans le cas de webdocs qui ne trouvent finalement jamais leur public.

Un autre événement marquant de l’époque participe à cet élan : l’arrivée du Canon 5D Mark II, reflex numérique qui permet l’enregistrement de vidéo en Haute Définition. Ses attributs en font un candidat idéal pour accompagner cette nouvelle pratique, sans chambouler la façon de travailler des photographes puisqu’il s’agit du même outil que pour réaliser des images fixes25.

Rod Maurice, du portrait de presse à la « Live session »

Rod Maurice est un blogueur musical et fut l’un des premiers photographes français à réaliser des « Live Sessions ». Son blog, le Hiboo présentait26 des interviews d’artistes musicaux, des chroniques, des billets d’humeur, des chroniques de concert et surtout ses photographies de concert. Quand le Canon 5D Mark II sort, il comprend que ce nouvel outil lui permet de pouvoir facilement réaliser des vidéos d’un genre nouveau. Troquant sa casquette de photographe pour celle de vidéaste au cours des rencontres qu’il fait avec les artistes, il les filme en train d’interpréter un morceau en acoustique, avec son seul

23 BOUCHEZ Renaud, « Entretien avec Guillaume Herbaut», in Le recours à l’image animée chez les photographes du réel. Quels enjeux pour la narration ?, Opus cité, p.189 24 BOUCHEZ Renaud, « Entretien avec Ulrich Leboeuf », in Le recours à l’image animée chez les photographes du réel. Quels enjeux pour la narration?, Opus cité, p.204 25 Je reviendrai plus longuement sur ce point dans ma troisième partie. 26 Rod Maurice a clôturé Le Hiboo en 2012.

24 reflex numérique, en plan séquence. Naissent alors ses « Hiboo d’Live 27», hybride entre portrait photographique et « Live Performance ». Nous reviendrons plus en détail sur cette pratique dans la suite de ce mémoire.

Les auteurs évoqués dans cette partie témoignent de l’influence que peuvent avoir les avancées technologies et sociales sur les usages et les pratiques de l’image, fixe comme animée. Ce phénomène se répercute également sur le clip musical, comme nous pourrons le voir par la suite.

2. L’histoire et les origines du clip musical

a. Les prémices historiques

Avant de rentrer dans le cœur de la problématique, il convient de revenir sur les origines du clip musical, sa naissance, son développement d’un point de vue esthétique, historique et économique.

En 1895, Thomas Edison et William Kennedy Laurie Dickson tournent Dickson Expérimental Sound Film, premier film avec une bande sonore enregistrée simultanément à l’image. Le film fut tourné pour le Kinétophone, invention de Thomas Edison permettant de regarder un film avec sa bande sonore. En réalité, le son et le film n’étaient pas synchronisés. Un phonographe placé à l’intérieur du Kinétophone lançait la bande sonore au début de la séquence. La synchronisation se limitait à cette action.

Le 15 avril 1923 est projeté au Théâtre Rivoli à New York pour la première un film avec une bande sonore sur la pellicule. Le dispositif fut inventé par Freeman Harrison Owens. Bien que ces deux premières avancées ne soient pas directement liées au clip dans le sens où elles ne furent pas utilisées à des fins promotionnelles pour des artistes musicaux, elles marquent le début de l’association du son -et de la la musique- à l’image animée.

27 Terme par lequel il définit ses « Live Sessions ».

25 En 1927 sort le très célèbre Chanteur de Jazz, considéré comme le film marquant la rencontre entre le cinéma sonore et les spectateurs. Le film puise dans la puissance narrative de sa bande sonore pour créer des émotions inédites. Certaines scènes du film mettent déjà en place un dispositif d’illustration renvoyant directement au clip musical. En 1928, Oskar Fishinger sort une série de Studies, films synchronisés avec de la musique populaire et classique. Expériences qui seront la base de Fantasia 12 ans plus tard. À partir de 1929, un nouveau type de film fait son apparition : les performances d’artistes filmées. La première à voir le jour est signée Bessie Smith pour St-Louis Blues réalisé sous l’impulsion de son agent comprenant très bien l’importance et la puissance de l’image pour son artiste.

En 1940, les studios Disney présentent Fantasia, film d’animation sans dialogues - sauf pour Mickey et le chef d’orchestre- illustrant de grands thèmes de la musique classique. Pour la première fois, une création visuelle est réalisée dans le but d’être projetée avec une musique bien précise, créant un pont entre son et image par le scénario, la dynamique des images… Concept inédit, le projet fut, durant la période de production, qualifié de « film d’animation-concert » 28 puis de « spectacle cinématographique musical évolutif »La même année, les Soundies commencent à se répandre dans les restaurants, bars, hôtels américains. Les Soundies sont des jukebox dans lesquels l’image animée s’ajoute au son. En effet, une représentation de l’artiste joué est restituée par le Soundies. On peut définir ce mode de présentation comme le premier à permettre la diffusion de clips musicaux. Les Soundies ne furent plus produits après 1946. Cependant, ils eurent de nouvelles vies en Italie (les Cinebox) et en France. En effet, en 1958, le « Scopitone » est développé en France. Sur le même principe que les Soundies, il utilise de la pellicule couleur 16mm. Il s’exportera en Angleterre et aux États-Unis dans les années soixante. Des artistes renommés réalisent leurs films Scopitones : Johny Hallyday, Françoise Hardy, Nancy Sinatra…

En 1956, Tony Bennet est filmé, marchant à Hyde Park, Londres. Ces images seront utilisées pour réaliser un clip vidéo sur la chanson The Serpentine afin de la diffuser sur des chaînes de télévision anglo-saxonnes. 3 ans plus tard, en 1959, « The

28 Des projections ont été réalisées avec un orchestre jouant en direct les thèmes de chaque séquence.

26 Big Bopper », Richardson29 utilise pour la première fois le terme « music video », posant un nom sur une pratique qui se développera de plus en plus rapidement les années suivantes.

Sur cette lancée, les Beatles seront probablement les plus avant-gardistes. En effet, en 1964 est diffusé A Hard Day’s Night, un « faux documentaire » sur les Beatles réalisé par Richard Lester, alternant entre scènes dialoguées et séquences musicales reprenant les chansons de l’album. Ils poursuivent ce travail sur l’image avec la sortie de Help ! en 1965 qui comprend pour sa chanson titre une séquence dans laquelle on voit le groupe jouer le morceau. Cette séquence pose les bases de ce que sera jusqu’à aujourd’hui un clip musical de type « performance ». On y trouve en effet un enchaînement de plans larges et serrés ainsi que des plans assez inhabituels pour l’époque avec des angles de prise de vue audacieux. Ce type de clip ne sera pas central dans mon étude, il est cependant intéressant de relever l’aspect fondateur de ce film des Beatles. Les Beatles ont aussi très bien compris la puissance de l’image animée et tournent des films promotionnels pour chacun de leurs nouveaux morceaux en vue de diffusions télévisuelles, principalement aux États-Unis, territoire encore à conquérir. Ces courts films sont alors appelés « Film Inserts ». Les « Films Inserts » se multiplient et chaque grand groupe de l’époque utilise ce média (The Rolling Stones, The Kinks). Parmi ces « Films Inserts », la vidéo de Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan, tournée en 1966, marque son temps et devient culte. Dylan tient devant lui des panneaux sur lesquelles sont écrits les mots-clefs du texte du morceau sur un plan fixe qui dure tout le temps de la chanson. De façon minimaliste, il utilise l’image animée et la lie de façon directe à la musique, par le texte, pour décupler la puissance narrative du morceau.

Les émissions de variétés de se développent, particulièrement Top Of The Pops en Angleterre au début des années 70. Parallèlement, le développement de la vidéo va permettre aux artistes de réaliser des clips à moindre coût30. La vidéo sera beaucoup utilisée par la scène New Wave avec par exemple le groupe Devo.

29 Disc-Jockey, chanteur et présentateur radio de l’époque. 30 En regard du coût de production d’un clip tourné en 35mm.

27 b. La popularisation

En 1981, MTV31 est lancée. C’est la première chaîne intégralement dédiée à la musique. Elle donne donc une grande place au clip musical. Cette chaîne va véritablement démocratiser le clip musical grâce à sa présence internationale et à son grand succès. À partir de ce moment, la sortie d’un clip pour accompagner celle d’un single devient un standard. Les budgets grossissent, les maisons de disques comprenant l’impact énorme que pouvait avoir un clip sortant du lot sur MTV. Les clips deviennent de plus en plus sophistiqués et scénarisés à l’instar du légendaire Thriller de Mickaël Jackson, réalisé par John Landis en 1983. En 1992, MTV commence à créditer le réalisateur de clip dans les infos apparaissant en début et fin de clip au moment de la diffusion. Cette pratique est un indicateur important permettant d’affirmer que le clip musical est, à partir de ce moment, considéré comme un véritable médium d’auteur. Au fur et à mesure des années, MTV diversifie ses programmes, donnant de moins en moins de place au clip. Il va alors poursuivre sa mutation (du moins, de son réseau de diffusion) avec l’arrivée de YouTube sur internet en 2005. YouTube est un site d’hébergement de vidéos. Il est rapidement devenu la plateforme incontournable des artistes pour diffuser leurs clips musicaux. Les maisons de disque investissent ce domaine avec un partenariat entre YouTube (Google), Universal et Sony Music qui donne naissance à , site d’hébergement vidéo intégralement dédié à la musique. Nous reviendrons au cours de ce mémoire sur la profonde influence qu’a pu avoir le développement de YouTube, entre autres, sur l’utilisation, la forme, la diffusion et le contenu des clips musicaux. En effet, par son intermédiaire, de nouvelles formes de clips sont nées et se sont développées. Pour illustrer l’importance de YouTube dans la diffusion du clip musical, j’ai rassemblé quelques chiffres très évocateurs. YouTube est le troisième site le plus visité du monde. 9 des 10 vidéos les plus vues sur Youtubes sont des clips musicaux. Le Billboard 32 a choisi en 2012 d’inclure le nombre de vues YouTube dans le calcul établissant les fameux classements/charts.

31 Music Television. 32 Magazine hebdomadaire américain consacré à l’industrie musicale, véritable référence pour les professionnels de la musique.

28 2. Le clip musical, hybride entre cinéma, musique et photographie

a. Différents types de clips musicaux et définition du corpus

Avant d’entrer dans le cœur de mon argumentaire et dans l’analyse de clips musicaux du corpus, il convient de définir les différents types de clips existants. Je fixerai par la même occasion les bornes d’étude de mon mémoire en regard de ces définitions. À noter que certains termes qui définissent les types de clips anglo- saxons. Ils seront ici utilisés comme tel, car ils sont couramment utilisés de cette manière dans les métiers du clip et qu’ils ne trouvent pas nécessairement d’équivalent en français.

Performance

Comme son nom l’indique, ce type de clip met en scène une représentation de l’artiste musical. Il peut prendre plusieurs formes.

Live performance

Dans ce cas, il s’agit simplement d’une captation visuelle et sonore du morceau titre au cours d’un concert. Le résultat est alors fonction de la qualité de la représentation, de la réalisation33, du lieu et du public. Peu de place est laissée à la créativité dans ce cadre, dans le sens de création d’auteur en tout cas. Il est plus question de savoir-faire. Des dispositifs particuliers peuvent être mis en place au moment du tournage ou de la postproduction, mais cela relève généralement plus de l’effet que d’une vision d’auteur. Ces documents peuvent en revanche avoir une véritable valeur historique par exemple pour les captations mythiques du premier Woodstock Rock Festival (1969).

33 J’entends ici par réalisation, l’ensemble des moyens techniques mis en places pour réaliser la captation visuel et sonore de l’événement.

29 Derrière les « Live Performances » se cachent un autre type de clip, pour lequel le résultat peut s’avérer proche de ces derniers, mais qui diffère dans le processus de réalisation. Je fais référence aux « Live Vicissitudes ». Sont désignés par ce terme les clips prenant l’allure de captations live, mais dont l’environnement a été créé de toute pièce : public invité et casté, salle de concert louée, une multitude de prises, réenregistrement du groupe en studio ou utilisation de la version studio du titre… On trouve également des clips qui utilisent de véritables images live comme base de travail. Des plans de publics peuvent, par exemple, être tournés en studio par la suite et des créations animées ajoutées en postproduction. Le clip de Kanye West et Jay Z, Ni**as In Paris (2012) illustre très bien cette façon de travailler.

Photogramme de Ni**as In Paris (2012), le clip de Kanye West et Jay Z

Enfin, on peut citer les « Studio Performances » ou plus généralement Electronic Press Kit (EPK). Ces clips consistent en règle général à montrer l’artiste en studio, en tournée, en concert. Il permet de tisser un lien direct avec le public en montrant les dessous du processus créatif. On y trouve aussi une dimension documentaire. Ce genre de clip est très fréquent, car, en général, très peu cher34, et efficace auprès du public. Pour illustrer cette catégorie, nous pouvons citer Gold On The Ceilling (2012) par les Black Keys, réalisé par Reid Long.

34 Surtout depuis l’arrivée des DSLR qui permettent à un membre de l’équipe de technique de tourner des plans très simplement pendant la tournée ou l’enregistrement.

30 Scenery Performance

Dans ce cas, on retrouve toujours l’artiste en pleine performance mais il s’agit de mise en scène. On ne retrouve pas une mise en situation de type concert comme pour les « Live Vissicitudes ». Le groupe/artiste est placé dans un décor fabriqué de toute pièce pour tourner les images du clip. L’ensemble visuel est, le plus généralement, à l’image de l’esthétique du groupe, du texte de la chanson ou de la charte graphique pour l’album en cours. On peut, dans cette catégorie, évoquer un sous-ensemble fréquemment utilisé : la « Dropped Performance ». Dans ce cas, le dispositif est le même, l’artiste va chanter, jouer son morceaux dans un décor choisi, à la différence que celui-ci est préexistant35. Ce genre de clip est très courant chez les groupes indépendants, car il demande très peu de moyens et peut être tourné très rapidement sans écriture préalable. Il est souvent le lieu d’un amoncellement de clichés propres au genre musical concerné : dans une désaffectée pour un groupe métal, en bas d’HLM pour du rap, dans la nature pour un artiste pop…

J’y reviendrai plus tard dans ce mémoire, mais il est intéressant de noter que les « Live Sessions », florissantes sur internet, sont un hybride entre une « Live Performance » et une « Dropped Performance ». Une « Live Session » consiste à filmer l’artiste jouer son morceau dans un lieu choisi (dans la nature, dans la rue, dans une chambre d’hôtel), le plus souvent en acoustique et en très peu de prises36. Ce type de contenu est la plupart du temps produit par la presse internet, et très souvent tourné par des photographes avec un DSLR.

Narration

La plupart des clips musicaux contemporains entre dans cette catégorie. Depuis sa popularisation à travers la naissance de MTV dans les années 80 puis de YouTube dans les années 2000, le clip s’est porté de plus en plus vers la narration. Elle peut cependant prendre plusieurs formes, que je vais définir brièvement ici pour y revenir dans ma deuxième partie.

35 Par exemple : dans la nature, en banlieue, dans une usine désaffectée… 36 Les « Live sessions » sont d’ailleurs très souvent composé d’un seul et unique plan séquence.

31 La narration peut être directe, c’est à dire qu’elle retranscrit fidèlement en images le texte de la chanson. Le clip utilise alors les paroles comme un scénario pour réaliser un court métrage. Cette façon de procéder n’est pas toujours adaptée, en ce sens que les textes des chansons ne sont pas toujours très figuratifs, offrant généralement plutôt une suite de métaphores ou d’images mentales relativement abstraites. Ce dispositif est utilisé, donc, de préférence, avec une chanson dans laquelle une véritable histoire est contée.

La narration peut être indirecte. C’est le cas le plus fréquent. L’écriture du clip se base sur différents identificateurs de la chanson : son atmosphère, son univers, une image utilisée dans le texte, son rythme… Une histoire est alors composée librement, en relation plus ou moins étroite avec le texte. Je parle d’ailleurs ici, d’histoire, mais au sens large du terme. En effet, les clips ne suivent pas toujours une trame narrative très stricte. La liberté induite par le clip permet souvent au réalisateur de préférer la sensation au sens. Cette façon d’envisager le clip donne une liberté très grande, donnant au réalisateur la possibilité de s’exprimer pleinement et d’apporter une véritable plus-value par sa créativité. Cela permet de créer un échange plus riche entre la chanson et les images, et de créer une nouvelle œuvre, autonome, résultant de la rencontre de deux médias (musique et image) et visions d’auteur (compositeur et réalisateur).

Illustration

Je désigne par ce terme les clips basés sur des expérimentations visuelles. Cette catégorie est très large. Elle peut par exemple représenter les réalisations en animation, 3D, motion design…

Actuellement, on retrouve fréquemment des clips composés d’un corpus d’images d’archives, provenant de sources diverses, sélectionnées dans le souci de suivre une direction artistique bien définie. Ces images sont montées, assemblées pour créer une œuvre autonome et inédite, en les détournant de leur fonction initiale. On peut citer le clip de MS MR, Hurricane pour illustrer ce genre de production. On peut le définir comme une forme de « collage » audiovisuel.

32 On peut aussi faire entrer dans cette catégorie les très répandues « Lyrics Video ». Ces clips retranscrivent en animation le texte de la chanson. Très souvent utilisé dans le Hip-Hop pour lequel le texte est très important, nous pouvons citer Suicide Social d’Orelsan qui utilise ce dispositif. Le sens des mots est à cette occasion appuyé par des animations, des créations graphiques qui ajoutent une nouvelle dimension au texte. Cependant, toutes les « Lyrics Video », ne sont pas forcément l’objet d’un travail aussi important que sur le clip cité plus haut. En effet, ce support est souvent utilisé par les maisons de disque pour diffuser une vidéo à moindre coût, en attendant la production du véritable clip pour le morceau.

Croisements

Il faut noter que les clips sont souvent l’assemblage de plusieurs des catégories citées précédemment. Il est par exemple fréquent que l’histoire principale ou les images d’illustrations soient entrecoupées de séquences « Performance ». On peut aussi rencontrer le cas de figure dans lequel les personnages du scénario chantent le texte au cœur de l’action, réunissant performance et narration dans les mêmes images. Cela peut permettre de créer un lien de façon très directe entre la musique et l’image.

Définition du corpus

L’objet de ce mémoire est de définir les spécificités photographiques du clip musical et démontrer ce qui en fait un genre hybride entre cinéma, musique et photographie. Les clips qui composent mon corpus répondent tous à une exigence : qu’ils résultent d’une vision d’auteur. Cette condition posée, plusieurs catégories se retrouvent naturellement écartées comme par exemple les « Live Performances », sauf cas particulier. Une place particulière sera également donnée aux clips de réalisateurs et photographes avec qui j’ai pu échanger au cours d’entretiens. Naturellement, les clips choisis permettent de créer un lien avec l’hypothèse de ce mémoire, qui stipule que ce médium - considérant ses caractéristiques esthétiques, techniques et historiques - invite particulièrement à la réappropriation de spécificités photographiques. Une grande partie des clips étudiés sont contemporains car cette étude est profondément inscrite dans l’époque actuelle et se veut tournée vers l’avenir.

33 b. Des artistes à la croisée des chemins, musiciens, photographes et réalisateurs de clip

Actuellement, de nombreux artistes musicaux s’impliquent dans la réalisation de leurs clips et visuels. Les images sont conçues de pair avec le son et le texte, rendant ces composantes indissociables. Conscients de l’importance du clip dans leur développement, ils souhaitent garder le contrôle sur l’ensemble de leur création et envisagent la vidéo comme le prolongement de leur univers musical. Je vais dans cette partie en citer quelques illustres exemples.

Woodkid, artiste total

Yoann Lemoine est réalisateur de clip, photographe et musicien (sous le pseudonyme Woodkid). Après avoir réalisé des clips pour Lana Del Rey, Drake, Katy Perry, il passe derrière la caméra pour mettre en image ses propres chansons. Il impose à ces vidéos une direction artistique très précise. Ses images sont d’un noir et blanc très graphique et développent un univers propre à lui-même, mêlant dimension épique, fantastique, effets spéciaux, paysages grandioses, animaux, le tout le plus souvent en slow-motion. Cette direction est dans la lignée de sa musique, grandiloquente elle aussi, très produite, à grand renfort d’orchestre symphonique et percussions tribales. On trouve dans ses images la même tension que dans sa musique : entre grandiloquence écrasante et sensibilité enfantine, candide. Woodkid, dans sa posture d’artiste total, va même plus loin. Son album Golden Age est accompagné d’un livre de 140 pages comprenant les paroles des chansons, illustrées et mises en récit. Il n’envisage pas sa musique sans les images et vice-versa. Il écrit, pense son projet dans sa globalité et met en œuvre, réalise toutes les composantes qui le définissent.

Die Antwoord, Sud-Africains hors normes

Die Antwoord est un groupe électro hip-hop sud-africain, se revendiquant du mouvement contre-culturel Zef. Ce mouvement prend à contre-pied la pauvreté en sacralisant le mode de vie populaire des banlieues difficile du Cap, portant en adoration ostentatoire des accessoires et vêtements bon marchés comme un signe extérieur de

34 richesse. L’image est donc, au départ de leur projet, très importante puisqu’elle est une des composantes qui leur permet d’affirmer une identité très forte, complétement hors- norme. Partant de ce constat, c’est le groupe qui écrit et réalise lui-même ses clips. Ils empruntent dans leurs premières vidéos des leitmotivs visuels du photographe Roger Ballen qui co-réalisera avec Die Antwoord le très impressionnant I Fink U Freeky. Je reviendrai plus tard sur cette vidéo puisque j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec Roger Ballen sur ce sujet. Au visionnage de leurs clips, on comprend que leur propos trouve toute sa force et sa dimension d’auteur en considérant les composantes du projet dans leur ensemble.

Kanye West

Kanye West, rappeur producteur américain, accorde une très grande importance à son image et donc à ses clips vidéos. Si il ne réalise pas tous ses clips, il en suit le processus de façon très étroite. En 2010, il passe finalement derrière la caméra pour réaliser Runaway, un film de 35 minutes composé de neuf séquences, chacune illustrant un morceau de son album My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Il s’agit en fait d’une série de clips, dont l’ensemble suit une trame narrative. Dans une esthétique mêlant futurisme baroque et codes vintages contemporains, West nous raconte une histoire d’amour entre lui-même et un ange déchu, tombé du ciel en début de film, à qui il apprendra à se sociabiliser. Il réutilise dans ces images des leitmotivs qui avaient fait le succès de ses précédentes vidéos, avec par exemple une influence de David Lachapelle très présente. Dans une interview pour MTV, il explique d’ailleurs qu’à la base de son processus créatif pour cet album, il avait choisi des photographies qui l’inspiraient pour composer ses morceaux. Ces mêmes références l’ont guidé dans l’écriture de Runaway avec Hype Williams37, avec l’envie d’obtenir un rendu photographique très présent dans le film. En effet, on pense également à des images de Guy Bourdin au visionnage des images, et le plan fixe est fréquemment utilisé pour mettre en avant le stylisme et la composition très étudiée de chacune des scènes.

37 Réalisateur de clips vidéo américain. Il travaille principalement sur des projets Hip-Hop et avait déjà réaliser des clips pour Kanye West.

35 II. L’hybridation au service de l’auteur

Dans cette deuxième grande partie, nous allons nous attacher à comprendre dans quelle mesure le clip musical s’impose comme un médium hybride entre cinéma, musique et photographie à travers différents axes d’analyse. Parmi ceux-ci, la narration et le temps : comment déployer un arc narratif dans ce format ? Comment est abordée la notion du temps et de « l’instant décisif » ? Nous questionnerons également la position de l’auteur, tant littéralement (le cadrage et la circulation dans l’espace) que conceptuellement, au cœur de ce genre. Nous examinerons les façons avec lesquelles l’auteur met l’hybridation au service de sa vision et de sa sensibilité. Cette recherche s’appuiera sur l’analyse de clips, témoins de phénomènes et tendances qui dictent la direction de ce mémoire.

1. Le temps et la narration

Dans un premier temps, dans cette deuxième grande partie, nous allons nous arrêter sur les ponts qui se créent entre photographie, cinéma et musique (en comprenant le texte, l’écrit) à travers les modèles narratifs et les notions de temps et « d’instant » développés dans le clip musical.

a. La narration dans le clip musical

Si la trame narrative d’un clip musical peut s’avérer plus ou moins sophistiquée suivant les travaux, elle revêt souvent une dimension photographique. De par son format court — le temps d’une chanson —, le clip impose une forme de narration minimaliste, une forme de cinéma instantané qui se doit d’aller droit aux émotions, d’imposer son propos sans détour. D’ailleurs, la façon dont sont écrites les paroles de chansons rejoint souvent ce mode de narration. Les musiciens auteurs évoquent fréquemment une « écriture cinématographique », signifiant que leurs textes donnent à « voir ». Il est, à mon sens, plus question « d’écriture photographique », les paroles enchaînant des sentences instantanées, reflets d’un état d’âme ou d’une situation à un instant « t ». Ceci

36 étant posé, la relation entre paroles et images devient une problématique centrale dans l’approche du clip musical.

Paroles et trame narrative du clip musical

Certains propos des réalisateurs interrogés pour les besoins de ce mémoire témoignent d’un certain recul par rapport aux textes des chansons qu’ils mettent en images. Marty Martin explique qu’il se fit dans un premier temps aux sensations que lui procure la musique : « J’entends la musique, je ressens le sens que veut transmettre l’artiste. Je recherche les images dans ma tête en suivant complètement mes sensations à l’écoute. Je lis le texte ensuite et généralement, ça se rejoint assez bien ».38 Pierre- Edouard Joubert opte pour le même point de vue, préférant d’abord se fier à l’univers visuel qui se dégage à l’écoute du morceau : « Quand j’écoute le morceau pour la première fois, je me concentre uniquement sur ce que la musique m’inspire, l’univers qui s’en dégage. Dans un second temps, je lis le texte. Je prends note du ou des grands thèmes abordés ».39 Si ces deux réalisateurs ne lisent pas les paroles en premier lieu dans leur processus de création, le texte a d’une façon ou d’une autre une influence sur leur travail d’auteur, la musique aidant à faire le lien entre prose et image. Ce lien est plus ou moins ténu suivant les clips et peut être établi par le réalisateur de diverses manières.

Les paroles utilisées comme un fil rouge : narration directe

Des réalisateurs utilisent pour certains de leurs clips le texte comme une ligne directrice à partir de laquelle ils déploient leur vision d’auteur, instaurant un dialogue permanent entre texte et image.

Dans son clip pour Lana Del Rey, Blue Jeans (2012), Yoann Lemoine40 choisit de mettre en image, de façon assez littérale, le texte du morceau. La chanson évoque un amour déçu, à la première personne. Un amour perdu, un homme décrit comme « punk

38 HUART Rodrigue, « Entretien avec Marty Martin », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Mémoire de fin d’études sous la direction de M. CAUDROY Christophe, Paris, Ecole Nationale Supérieure Louis-Lumière, 2013, pp. 169-175 39 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pierre-Edouard Joubert », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 175-180 40 Woodkid sous son pseudonyme musical. Il en était question dans la première partie du mémoire.

37 rock »41, qui semble à travers les paroles un peu bohème et mauvais garçon. Son départ provoque « la mort d’une partie d’elle-même »,42 mais elle continuera à « l’aimer jusqu’à la fin des temps »43. Lemoine reprend exactement les mêmes protagonistes dans son clip et, en quelque sorte, paraphrase les paroles en image. L’homme est tatoué, l’attitude assurée, rejoignant le portait qu’en tire Del Rey dans son texte. On voit la chanteuse fondre pour lui, dans une piscine, pour finalement se laisser emporter au fond de l’eau, métaphore évidente de « la partie d’elle-même qui est morte à son départ ». Pour plus de puissance dramatique, c’est l’homme, de ses propres mains, qui l’attire au fond de la piscine. Si « l’adaptation » du texte peut paraître basique sous cet angle, Lemoine apporte son regard et sa sensibilité d’auteur à travers plusieurs caractéristiques du clip. Comme il a l’habitude de le faire, il file une métaphore avec un animal. Dans la piscine, l’homme est remplacé dans certains plans par un crocodile, prédateur extrêmement dangereux et froid, symbolisant la brutalité de la rupture et de la douleur de Del Rey. Puis, le noir et blanc et le slow motion utilisés sont une ses marques de fabrique44. Il apporte également sa sensibilité de photographe dans le traitement des images. L’analyse de cette dimension du clip sera abordée plus tard dans cette deuxième partie.

Si le texte de Claire de Lune (2013) des Flights Facilities est beaucoup moins imagé que celui de Blue Jeans, Dave Ma en fait un clip, qui, au visionnage, semble très lié au texte. La chanson, au texte très minimaliste, laisse place à diverses interprétations. On peut tout de même affirmer avec certitude qu’elle évoque un voyage vers l’inconnu45 de deux personnes connectées par un lien très fort. Dave Ma donne vie au texte avec deux femmes, que l’on suppose amis très proches ou sœurs. Le voyage à la destination inconnu dans les paroles est en fait le suicide qu’elles commettent à la fin de la vidéo et auquel elles se préparent en vivant de derniers moments ensemble. Le jeu des actrices et le côté répétitif de leurs actions rejoignent la dimension hypnotique des paroles, répétées inlassablement tout le long du morceau. Ma met également les mots de la chanson dans la bouche de ses actrices qui susurrent le texte, à quelques moments du clip, en

41 Terme directement extrait du texte. 42 «When you walked out that door, a piece of me died» 43 «I will love you till the end of time» 44 Tous les clips qu’il réalise pour son projet Woodkid sont en noir et blanc et riche en slow motions. 45 «Tell me that it’ll stay the same, where we go, where we go, where we go.»

38 synchronisation avec la musique. C’est une façon de rapprocher un peu plus les images du texte — et donc du morceau — pour créer une œuvre à part entière en liant chacune de ses composantes.

Interprétations libres des paroles : narration indirecte

D’autres réalisateurs choisissent également d’utiliser le texte comme une base de départ pour la conceptualisation leurs clips. Mais, à la différence de Lemoine et Ma pour Blue Jeans et Clair de Lune, ils en font une interprétation plus libre. S’amusant à en détourner la portée (sans pour autant le vider de sa substance originelle).

Par exemple, le groupe Revolver raconte dans Still (2013) l’histoire d’un homme (ou d’une femme) qui, à force de voyage et de vie de bohème, a perdu ses repères et veut revenir à une stabilité réconfortante. Pablo Maestres décide de traiter le sujet de façon amusante, décalée et poétique en remplaçant le personnage de la chanson en donnant vie à… une boule disco qui, après de longs voyages tout le long du clip, reviendra à « ses origines » : juché aussi d’une piste de danse devant laquelle joue le groupe. Maestres détourne le texte de son personnage originel, mais en garde la substance, tout en introduisant l’univers qu’il développe dans ses travaux. Il pose son regard d’auteur sur le texte et le morceau.

Nabil46 utilise le même procédé pour illustrer le morceau Late Night (2013) des Foals. Le chanteur, évoquent, à la première personne, les états d’âme changeants d’un personnage vraisemblablement schizophrène, tantôt paranoïaque (« Maman, entends-tu ma peur ? C’est après moi ! »47), tantôt en paix avec lui-même (« Ils disaient que j’étais perdu, mais maintenant, je me suis trouvé »48). Nabil met en image l’ambivalence de ce personnage en le démultipliant. La caméra plane dans un hôtel, de chambre en chambre, chacune renfermant des personnes dans des situations variées, toutes chargées d’une émotion — positive ou négative — très forte : une femme qui accouche, un couple qui fait l’amour, un homme qui se pend… Ces situations sont toutes liées par la notion

46 Clippeur actuellement très demandé (Foals, Frank Ocean, Antony And The Jonhsons, James Blake…) 47 «Oh Now Mama, do you hear my fear ? It’s coming after me ! » 48 «They said I once was lost, but now I’m truly found »

39 de vie et de mort. En alternance avec cette caméra qui dévoile les scènes intimes des chambres de l’hôtel, on voit le groupe jouer dans la salle de réception du bâtiment. Le clip se conclut sur des plans du chanteur, du sang sur le visage et coulant abondamment du nez. On peut y lire plusieurs significations. L’interprétation la plus directe serait que le chanteur est le narrateur est que l’hôtel est une projection mentale violente de ses états d’âme changeants. Projection mentale se répercutant physiquement sur lui-même par le sang qui apparaît sur son visage à la fin de la chanson. Le sang représente également la thématique qui traverse le clip : le basculement entre la vie et la mort (la naissance, le suicide, l’amour). Nabil prolonge le travail d’écriture de Yannis Philippakis49 , se le réapproprie, et ajoute des niveaux de lecture aux paroles par sa vision d’auteur.

Photogrammes de Late Night (2013), de Nabil

Enfin, pour clôturer cette partie sur les réalisateurs qui interprètent librement les textes des chansons qu’ils mettent en image, nous allons nous attarder sur le clip d’Edouard Salier50 Waiting For A Sign (2013) pour Scratch Massive. Ce travail est intéressant, car il permet de mettre en avant la compréhension — ou l’interprétation — d’un texte de chanson est fonction de l’univers et de l’ambiance musicale proposée par l’artiste, et donc, du dialogue qui né de la rencontre entre l’écrit et la musique. Ce clip montre que cette appréciation est également valable pour la vidéo. Les images donnent un angle nouveau au texte. Dans le cas de Waiting For A Sign, les paroles se limitent au titre de la chanson, scandé tout le long du morceau comme un slogan sur un instrumental électronique au rythme spartiate, froid, teinté d’accents tribaux. Porté par cette ambiance, Salier nous fait suivre un groupe d’enfants asiatiques violents dans un décor naturel, à l’atmosphère très moite. Un malaise se créer au fur et à mesure que les images défilent jusqu’à la scène finale, dans laquelle l’enfant meneur du groupe arrache à

49 Chanteur, auteur de Foals. 50 Réalisateur, photographeur, graphiste, plasticien.

40 main nue le cœur d’un vieil homme au milieu d’un lagon, le brandissant comme un trophée. Salier, à partir d’un morceau très froid, plutôt urbain, transporte l’œuvre dans des terres exotiques, lui ajoutant une dimension mystique avec ce groupe d’enfant arracheur de cœur.

Le jeu des mots

Dans certains clips, les réalisateurs choisissent d’appuyer la construction du film sur un mot ou une expression phare du morceau (souvent le titre), par exemple le collectif We Are From L.A. (WAFLA) qui réalise le clip interactif de The Shoes, Cover Your Eyes (2011). WAFLA utilise l’interactivité (et non le scénario) pour créer le lien entre le clip et le texte. À l’ouverture du site, il est demandé à l’utilisateur d’autoriser l’utilisation de la webcam de l’ordinateur. Les premières images qui apparaissent plongent le spectateur, en vue subjective, dans une soirée qui aurait mal tourné, dans une atmosphère très bruyante et oppressante. En se couvrant les yeux avec les mains, le spectateur est sorti de cette ambiance et la chanson électro-pop des Shoes se met en lecture. Dans un registre moins ludique, on peut également évoquer le travail de Nabil sur Cut The Wolrd d’Antony And The Johnsons. Devant l’ambiguïté du texte51 d’Antony Hegarty52, Nabil choisit de s’inspirer de l’expression « cut the world »53 pour mettre en image le morceau. La première séquence du clip montre une employée anxieuse se rendre dans le bureau de son supérieur54 pour finalement lui trancher la gorge (référence à « cut »). Elle sort du bâtiment et se retrouve dans une foule (référence à « world ») de femmes aux habits tachés de sang, que l’on suppose toutes meurtrières. À partir d’un texte énigmatique très personnel, Nabil réalise une fable féministe troublante, moderne, violente et universelle.

Contre-pied

Pour illustrer Time To Dance (2012), hymne joyeux et frénétique à la danse du groupe The Shoes, Daniel Wolfe a pris le total contre-pied de l’ambiance du morceau et

51 Les paroles semble parler de la lutte d’une femme sur la domination sexiste d’un hommes ou des hommes. 52 Chanteur et auteur d’Antony And The Johnsons. 53 Expression qui ne peut se traduire, inventée par Antony Hegarty, au sens énigmatique. 54 Interprété par Willem Dafoe.

41 du texte. Il réalise un clip de plus de 8 minutes en forme de court métrage, dans lequel la caméra suit un meurtrier psychopathe rappelant Patrick Bateman, l’infâme héros d’American Psycho de Bret Easton Ellis. Les images sont en décalage total avec la musique, elles représentent l’extrême opposé de ce que projette Time To Dance. Par ce grand écart, le réalisateur choque, interpelle le spectateur pour ajouter de la puissance à l’œuvre. Dans le cas de Time To Dance, le clip lorgne clairement du côté du cinéma, de par son format long, sa construction et sa narration.

Photogramme de Time To Dance (2012), de Daniel Wolfe

Nous allons cependant dans la partie suivante nous arrêter sur la notion de portrait photographique dans le clip musical. Une notion en tension avec la portée forcément cinématographique du médium, à base d’images animées.

Entre narration cinématographique et portrait photographique

Il y a deux façons d’aborder la notion de portrait photographique dans le clip musical. La plus directe est celle que l’on retrouve très souvent dans les clips hip-hop. Ceux-ci ont été fondateurs dans leur utilisation du portrait, au sens photographique du terme. S’ils ne sont pas photographiques au sens littéral, puisque cela reste de l’image animé, le cadre est fixe (ou à l’épaule, mais dans une volonté de rester stable) et les personnages prennent la pose comme pour une photographie.

Des portraits à l’intérieur du clip

Un des premiers clips à utiliser ce dispositif est Ha (1998) du rappeur Juvenile, réalisé par Marc Klasfled. On y voit alternativement des portraits posés d’habitants de son quartier et des séquences dans lesquelles Juvenile rappe face caméra avec un arrière plan composé de son quartier et de son cercle d’amis, placé également face caméra.

42 Cette structure est devenue un véritable standard dans le clip rap, en témoigne ces deux photogrammes tirés de clips réalisés à 12 ans d’intervalle.

À gauche : image tirée de Juvenile-Ha, à droite : image tirée de Booba — Jour de Paye (2010) réalisé par Chris Macari.

Cette utilisation du portrait s’est étendue au-delà du hip-hop. On retrouve ce dispositif dans Ghost (2012) du groupe Presets réalisé par Abteen Bagheri. Le réalisateur confie d’ailleurs l’influence qu’a eue sur lui le fameux clip de Marc Klasfled. « Je dirais que les portraits du clip des Presets sont inspirés par le hip-hop. Particulièrement, le clip Ha de Juvenile réalisé par Marc Klasfled qui est composé de séquences dans lesquelles le rappeur dit son texte face caméra dans son quartier, entrecoupé de portraits des habitants. Je voulais mettre les enfants du clip des Presets devant la caméra pour me connecter avec eux émotionnellement avant qu’ils montent sur le plongeoir ».55

À gauche : image tirée de Juvenile - Ha, à droite : image tirée de Presets - Ghost.

Si le dispositif est proche, l’esthétique est différente – un noir et blanc très léché pour Ghost —, ainsi que la fonction des portraits. Bagheri parle de « connexion émotionnelle », alors que dans les clips hip-hop, il est plus question de

55 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154

43 représenter l’espace social, le quartier. Dans Ha, on peut voir toutes les classes sociales du quartier : policiers, enfants… Dans un registre encore différent, on trouve dans Nightlife réalisé par Emily Kai Bock pour Sebastien Schuller des portraits très posés, face caméra — à l’épaule —, regard objectif, de l’héroïne de la vidéo. Ce clip crée le lien avec une autre dimension de la notion de portrait photographique dans le clip musical.

Entre narration et portrait

En effet, dans Nightlife, les portraits sont entrecoupés de séquences dans lesquelles on suit un épisode de vie de l’héroïne pendant la nuit. Il n’y pas de trame narrative à proprement parlé, il est plutôt question de déambulation. C’est en ce sens qu’un rapprochement peut-être fait avec le portrait photographique. C’est un instantané de la vie du personnage, de la fiction ancrée dans le réel. On retrouve cette approche dans Califronia d’Abteen Bagheri pour Delta Spirit. Le clip portraiture un groupe de jeunes déambulant dans une banlieue américaine. Comme dans le travail d’Agnès Varda — même si la réalité est dans ce cas plus esthétisée —, le spectateur navigue entre fiction et réalité. D’ailleurs, comme la photographe réalisatrice, Bagheri trouve cette authenticité en se nourrissant du réel, en faisant participer au clip des acteurs non professionnels, castés sur place et filmés dans leur environnement habituel. « Elle (la fiction) ne donne pas l’impression d’être “jouée”, comme quand je prends mes photographies. Les gens aiment ça. Les personnages du clip ne sont pas des acteurs professionnels. Ils viennent de la rue. On ne peut pas leur demander de jouer quelque chose et espérer qu’ils le reproduisent exactement de la même manière quelques minutes plus tard. Le fait de travailler avec ce genre de personnes ajoute de l’authenticité au clip ».56 Il crée, à l’occasion de cette explication un pont avec sa pratique photographique, mettant en relation son approche des deux médiums.

b. Temps et déploiement de «l’instant»

La notion de temps est primordiale dans l’étude du clip musical. Sa durée est en grande partie dictée par le morceau qu’il illustre, et donc, très souvent, entre 2 et 5

56 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154

44 minutes. À l’échelle cinématographique, le clip est un battement de cil, un instant. Il se positionne donc, rien que par son format, à mis chemin entre cinéma et photographie. Dès lors, on trouve dans sa construction des parallèles évidents avec des procédés et des structures photographiques, que nous allons analyser dans cette partie.

Le clip musical et la série/séquence photographique

On parle fréquemment « d’image unique » en photographie, que l’on peut opposer dans notre recherche au flux continu d’images qu’induit le procédé cinématographique. Par opposition avec le cinéma, la photographie manifesterait donc le besoin de contenir tout son sens en une seule image. Par exemple, les travaux de Gregory Crewdson témoignent de cette envie. Le photographe condense « un film » en une image, interceptant un moment clef — un « instant décisif » — dans un flux narratif virtuel, fruit de son imagination. La photographie n’est cependant pas à envisagée de cette seule manière. Pour beaucoup d’auteurs, c’est dans l’assemblage, le montage, la série et la séquence que leurs travaux trouvent leur sens et leur portée (par exemple, le photographe Duane Michals). De par sa nature, c’est principalement par cette construction que le clip musical crée du sens — ou des sensations —.

Construction sérielle

Dans Late Night (2013), Nabil fait naître les émotions par la confrontation et le montage de différentes situations. D’une chambre à l’autre, il plonge le spectateur de la même manière dans l’intimité des personnages concernés. Il lie sa série avec les plans du groupe qui joue dans l’hôtel, créant une unité de lieu et de temps. Le dispositif renvoie à la construction d’une série photographique, créant le dialogue entre plusieurs « images » que sont chacune des scènes, chacune des chambres.

We Are Young (2011), réalisé par Pierre-Edouard Joubert pour les Juveniles utilise également un dispositif renvoyant à la série photographique (de façon plus directe d’ailleurs). Joubert choisit d’utiliser un cadrage et un fond unique, pour faire défiler une galerie des personnages plus ou moins excentriques devant sa caméra. Si le sens et la portée du message (si il existe vraiment dans We Are Young) sont différents de ceux véhiculés à travers le travail de Richard Avedon dans American West, on retrouve la

45 même envie de mettre en avant la personnalité des modèles, en utilisant un dispositif de prise de vue unique. De l’aveu de Joubert, le clip n’est d’ailleurs pas inspiré des photographies de Richard Avedon, mais de mugshots57. Nous reviendrons sur ce point dans la partie qui lie les icônes photographiques au clip musical.

Dans le même registre que Joubert, Christian Pitschl utilise la série et le dispositif unique pour faire jaillir « l’instant décisif » de Bloodflows (2013) de Sohn. Ici, c’est le cadrage et la position du modèle qui est fixe. À chaque plan, le fond change. Le réalisateur change d’espace, mais fait le lien entre chacun d’eux par son modèle qui reste dans la même position et dans la même zone du cadre. Au fur et à mesure que les images et les lieux défilent, de la fumée entre dans le cadre par les bords, jusqu’à submerger le modèle. La série est alors brisée. Plus de cadre fixe, la caméra virevolte autour du modèle entouré par la fumée et le montage se fait vif (il était lent jusqu’ici). Le mécanisme sériel permet ici au réalisateur de décupler la puissance sensationnelle de son « instant décisif » en créant une rupture (en brisant le mécanisme en synchronisation avec la rupture musicale qui intervient à ce moment).

Enfin, dans la même idée de décuplement de l’impact des images par l’utilisation d’un mécanisme sériel, nous pouvons évoquer Fade Away (2013) réalisé par Romain Chassaing pour l’illustre DJ Vitalic. Ce clip utilise exactement la même logique que Things Are Queer (1973), la séquence photographique de Duane Mickaels qui perd le spectateur dans une mise en abyme infinie de la première image de la série. Dans Fade Away, le principe est retranscrit dans une atmosphère mafieuse et violente. La vidéo s’ouvre sur une séquence dans laquelle un malfrat se fait assassiner d’une balle dans la tête. Le tueur récupère la valise que portait ce premier. Dans la séquence suivante, le meurtrier se fait à son tour assassiner, étrangler et déposséder de la valise. La valse continue, la valise passe de main en main, d’assassinat en assassinat. Le clip se termine sur un plan d’un énième meurtrier récupérant la valise sur la plage, scruté de loin aux jumelles par un homme en noir… La boucle est sans fin.

57 Photographies d’identifications policiaires.

46 Ce dernier exemple montre bien que le clip musical est souvent l’occasion pour les réalisateurs de recycler les dispositifs de séquences et séries photographiques. Ceci s’explique, en partie, par le format court qui impose une synthèse proche de la notion « d’image unique » abordée dans l’introduction de cette partie. Si l’image n’est pas « unique », le flux vidéo est limité, dans le cas du clip, dans le temps, imposant aux clippeurs, par divers mécanismes de constructions, de toucher le spectateur de façon quasiment immédiate.

Collages 2.0

Toujours dans une mécanique sérielle, le clip musical est souvent le fruit d’un travail d’assemblage d’images de sources diverses. Certains artistes font du clip un terrain de jeu dans lequel ils font, défont, assemblent des images pour créer une œuvre nouvelle et unique à partir de matériaux préexistants. Ils accumulent des « instants », les assemblent en un seul, créant un sens et une dynamique nouvelle entre des images qui n’auraient jamais pu (ou dû) se rencontrer.

Chez Panteros66658, ce travail de collage 2.0 est assorti d’une volonté de créer, autour d’une thématique, des correspondances visuelles entre des images sources prélevées sur la toile et des images qu’il tourne lui même. On trouve cette façon de travailler très rigoureuse dans Pieces Of Gold (2012), réalisé en collaboration avec Myd et Boston Run pour The Aikiu. Pour Pieces Of Gold, Panteros666 a rassemblé un corpus d’extraits de films pornographiques rétros dans lesquels on voit des hommes en action.

Photogramme de Pieces Of Gold (2012), de Panteros666

58 Artiste pluridisciplinaire lillois : DJ, producteur, réalisateur, graphiste, humoriste…

47 Il découpe l’écran en deux dans sa diagonale et fait apparaître sur la deuxième partie de l’écran des plans serrés de musiciens jouant de divers instruments (basse, clavier, percussions…). Par le cadrage, il crée une continuité graphique entre les deux vidéos créant une illusion d’optique surréaliste : les acteurs pornos jouent de la musique. Il crée un parallèle visuel surréaliste entre le plaisir sexuel et le plaisir de jouer de la musique. Il utilise des correspondances visuelles de ce genre dans plusieurs de ses travaux, par exemple, dans Humanity pour I Am Un Chien dans lequel les membres du groupe reproduisent à l’identique des mouvements et expressions d’animaux tirés d’images de documentaires animaliers.

Panteros666 aime explorer ce champ des trompe-l’œil vidéos, une démarche différente d’un autre adepte du collage 2.0 : Cyriak59. Ce dernier collecte, lui aussi, une grande quantité d’images sur internet, mais cela, dans un but différent : créer un univers graphique qui lui est propre à travers l’assemblage, le choix et l’animation de ces images. Dans Cirrus, réalisé pour Bonobo, on retrouve la même manière surréaliste d’assembler, découper, coller des bouts d’images entres-elles que chez Raoul Haussman 60 (par exemple). Bien sûr le travail de Cyriak se différencie par la nature même de sa matière première : de l’image animée. Il déploie le même procédé que les artistes surréalistes adeptes du collage et l’actualise en leur donnant vie grâce à la vidéo. Il est intéressant de noter que si l’animation donne une version modernisée du collage surréaliste, les images sources utilisées par Cyriak sont dans une esthétique très « vintage », marquant son attachement à ce rendu que l’on trouve dans les œuvres surréalistes dadas, comme en témoigne les deux images ci-jointes.

À gauche : « ABCD », collage de Raoul Haussamn, à droite : image tirée de Bonobo - Cirrus par Cyriak.

59 Illustrateur connu pour ses animations surréalistes. 60 Ecrivain, plasticien et photographe dadaïste.

48 Cette façon de travailler s’est énormément développée grâce à la source intarissable d’images (fixes comme animées) que fournit Internet. Le développement de plateformes comme Tumblr ou Pinterest 61 a participé à répandre cet esprit de création par le recyclage et la réappropriation d’œuvres existantes. Avec ses travaux, Cyriak s’inscrit dans cette démarche. On peut également citer le très contemporain mouvement Seapunk dans lequel les artistes s’amusent à assembler des images dont l’esthétique renvoie aux tout début d’Internet : pixels apparents, couleurs vives, textures mal définies…

Le slowmotion : étirement extrême de «l’instant»

Le slowmotion (ralenti) est très largement utilisé dans le clip musical. Il étire « l’instant » de façon extrême, parfois jusqu’à la frontière entre image fixe et animée, entre cinéma et photographie. Son utilisation trouve différentes explications suivant les cas, avec une envie commune des réalisateurs de décupler l’impact de leurs images et de leur narration.

Il existe une première raison, très simple, qui explique l’utilisation, devenue très répandue, du slowmotion dans les clips musicaux : elle fait rêver les réalisateurs, comme l’explique Abteen Bagheri : « J’ai grandi en faisant des courts métrages, rêvant de réaliser des slow motions, mais je n’avais pas de matériel pour le faire. Je suppose que dès que j’ai pu avoir des budgets le permettant, j’ai sauté sur l’occasion ! ».62 Bien heureusement, son utilisation ne s’explique pas uniquement par cette simple observation, cette technique vient bien souvent servir un propos, une envie de l’auteur. Poussé à l’extrême, il « incarne » le propos, par exemple, dans le clip About You (2012) réalisé par Vash pour XXYYXX. Sans trame narrative, la vidéo se limite à une suite de plans en slowmotion de filles qui fument (entre autre), face caméra, cadre serré. Le ralenti est sur certain plan tellement extrême que la vidéo devient presque photographie. On peut créer un parallèle avec les portraits vidéos de JVDK dans Face Values, dans lequel le réalisateur explorait la « presque immobilité ». L’instant « insignifiant » -une fille qui fume- est magnifié, se

61 Réseaux permettant d’échanger, rebloguer des images. Chaque inscrit créer alors sa propre galerie et devient son « curator ». 62 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154

49 cristallise dans le flux du temps, en temps réel, aux yeux du spectateur. Car, il est bien question d’impact avec l’utilisation du slowmotion.

C’est dans ce sens que Jonhatan Glazer l’utilise pour le plan final de Rabbit In Your Headlights (1998) pour UNKLE. Le ralenti décuple la puissance du personnage qui fait voler en éclat une voiture, en mettant son corps en opposition avec une posture christique. Cette impression de puissance vient servir le propos de l’auteur. Il met en exergue la révolte du personnage, un homme marginal, qui se fait renverser continuellement par des voitures dans le flux de la circulation. Ce ralenti lui permet d’intensifier, de décupler impact de sa métaphore (en plus de la posture christique que prend le personnage pour arrêter la voiture). Il passe du flux continu vidéo (et du flux routier) à l’arrêt sur image, à « l’image unique » pour conclure son histoire, y mettre un point d’orgue, définitif.

Photogramme de Rabbit In Your Headlights (1998), de Jonathan Glazer

C’est dans cet même idée de mettre en exergue « l’instant décisif » que Pablo Maestres utilise le slowmotion dans Be Brave Benjamin (2012) pour Devil Fool. Le clip met en scène une succession d’actions violentes, coupées avant leurs termes par le montage : « Pour cette vidéo, je ne voulais rien montrer de violent à l’écran. De là m’est venue l’idée de couper toutes les actions juste avant qu’elles se concrétisent. C’est une façon (le slowmotion) de rendre cette notion « d’instant décisif » plus intense ».63 Il utilise également cette technique abondamment dans All That (2012) pour Fur Voice,

63 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159

50 cette fois-ci pour souligner la composition soignée de ses plans, aux inspirations très photographiques. Nous y reviendrons plus tard car c’est une des manières permettant au réalisateur d’injecter sa sensibilité photographique dans ses travaux vidéo. Une envie que l’on retrouve dans les clips de Woodkid par Yoann Lemoine qui suspend le temps pour intensifier l’impact de ses compositions.

Enfin, Abteen Bagheri et Pierre-Edouard Joubert donnent également des explications plus pragmatiques à l’utilisation du slowmotion dans leurs travaux, des explications en rapport direct avec les habitudes et les contraintes de production des clips indépendants. En effet, par exemple, en raison des budgets très serrés, les réalisateurs travaillent souvent avec des acteurs amateurs, comme le souligne Abteen

Bagheri : « Je travaille souvent avec des personnes qui ne sont pas acteurs et ils ne sont pas forcément très à l’aise ou habitués à être dirigés. Je filme alors systématiquement à une fréquence d’image plus élevée, car je sais que j’en aurai besoin (au montage). Quand j’utilise le slowmotion, c’est souvent que je trouve « la » seconde à laquelle le personnage donne une attitude, fait un mouvement qui colle à mon idée de l’esthétique du clip. Cette fameuse seconde devient finalement 4 secondes et je peux alors l’utiliser ».64 Pierre-Edouard Joubert complète l’observation de Bagheri : « Avec un mini budget, on n’a pas le temps de filmer tout ce que l’on veut. Alors, on essaye de gagner un peu de temps aussi ».65

64 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 65 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pierre-Edouard Joubert », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 175-180

51 c. Temps et pulsation

Nous avons jusqu’ici dans cette partie, exploré les notions de temps dans le clip musical sous l’angle de la narration et du déploiement de « l’instant », laissant de côté le rapport entre temps — le flux vidéo — et pulsation — rythmique —. Or, ce rapport est central dans la réussite d’un clip musical. C’est lui qui dicte la dynamique de l’œuvre, suivant la manière dont le réalisateur met en relation image et son.

L’image, assujettie au rythme musical

Quels que soient les choix du réalisateur quant à la dynamique visuelle de ses images et du montage, son travail est inévitablement assujetti au rythme et à la dynamique musicale du morceau qu’il illustre. Cependant, il peut se servir du rapport qu’il crée entre temps et pulsation pour appuyer son propos, sa vision d’auteur : accompagner le rythme ou aller à son encontre, jouer sur des correspondances visuelles et sonores à plusieurs niveaux…

Dynamique visuelle

Cyriak, pour Cirrus de Bonobo, choisit de construire ses collages et boucles vidéo surréalistes en synchronisation avec le tempo du morceau. Le morceau de Bonobo est électronique, minimal. Cyriak appuie visuellement les temps — dans le sens de la pulsation — au cœur des boucles visuelles qu’il construit. Cela ajoute à la dimension hypnotique du clip et lie l’image et le son par le rythme pour créer un œuvre cohérente. Dans l’idée de lier la vidéo à la musique par le rythme, Samuel Bayer souligne le tempo et l’ambiance survoltée d’American Idiot de Green Day en opérant d’incessants changements de vitesse d’un plan à l’autre. Les images sont tantôt extrêmement ralenties, tantôt accélérées. Il joue également avec des effets de lumières stroboscopiques pour ajouter en excitation dans ce cocktail punk rock explosif. Ces artifices visuels peuvent sembler classiques et convenus, mais le clip impressionne, car le playback reste quasiment synchronisé en permanence avec la musique, malgré les changements de vitesse des images. Cet effet nécessite de tourner les plans à des vitesses différentes au tournage pour, qu’une fois l’accélération ou le ralenti appliqué en postproduction, la synchronisation du playback reste crédible. Enfin, pour apporter encore en énergie au

52 clip, Bayer mélange les vitesses au sein de mêmes plans66 et applique au clip un montage très vif. Jonhatan Glazer utilise le même effet 2 ans plus tard dans Street Spirit (2006) pour Radiohead, mêlant images à vitesse réelle et images ralenties au sein de mêmes plans. Ajoutant à cela un montage très lent et des plans exclusivement fixes et très composés, le réalisateur accompagne l’atmosphère aérienne du morceau.

À l’opposé, un clip musical peut également trouver son efficacité dans une contradiction entre rythme du montage, dynamique visuelle et pulsation, atmosphère d’un morceau. C’est ce que prouve Roger Ballen avec I Fink U Freeky (2012), réalisé pour et avec Die Antwoord. Die Antwoord produit une musique hybride entre techno et hip-hop, très rythmée et agressive. Le groupe renvoie une image très éloignée des canons pop mainstreams, dérangeante, qui trouve un écho évident dans le travail de Roger Ballen. Le clip d’I Fink U Freeky va dans ce sens : personnages marginaux aux physiques troublants, décors inquiétants, souris et cafards… Le clip développe un message ambigu, entre une musique taillée pour les boîtes de nuit et un univers d’une « bizarrerie » revendiquée. Une ambiguïté prolongée par le rythme du montage, très lent, et des plans exclusivement fixes quand il est dans la norme d’adopter un montage très vif et des mouvements de caméra incessants pour illustrer ce genre de musique. Roger Ballen s’exprime d’ailleurs sur ce point : « Pourquoi opposer autant le tempo et le rythme du montage ? Je pense que le propos du clip est ambigu dans beaucoup de ses aspects. La plupart des clips musicaux parlent de la même chose : sexe, amour… Ils ne disent rien. C’est la même chose encore et encore, avec les mêmes mots ! Je pense que cette vidéo est très métaphorique, elle va beaucoup plus loin qu’un clip musical habituel. Et je pense que c’est en ce sens que c’est une œuvre d’art et non pas une “publicité” pour une chanson ».67 Il va d’ailleurs plus loin dans son développement. Il prétend que toutes les étapes du processus créatif tendent à en faire une œuvre à part entière dans le monde du clip musical. L’opposition entre la dynamique visuelle et la pulsation est une des composantes qui participe à cet effort.

66 Par exemple, le chanteur est au ralenti, pendant que le bassiste est en accéléré et ce dans un seul et même plan. 67 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165

53 La pulsation s’immisce dans l’image et la narration

Certains réalisateurs utilisent aussi cette relation image/son pour intensifier la puissance narrative de leur film. C’est le choix que fait Daniel Wolfe pour Time To Dance (2012), réalisé pour The Shoes. Déjà évoqué plus tôt dans ce mémoire pour le décalage saisissant entre l’atmosphère de l’intrigue et celle du morceau, ce clip provoque un profond malaise en synchronisant les actes de barbarie du personnage principal avec le rythme frénétiquement dansant de la chanson. Par exemple, au moment d’achever une de ses victimes, allongée sur le sol, les coups de couteau du meurtrier sont assénés en rythme avec beat 68 . Dans la scène finale du clip, l’assassin se rend dans une discothèque, désespérément vide, s’appuie contre un mur, contrarié, il tape furieusement contre le mur avec son poing, encore une fois en rythme. Il regarde à ce moment un danseur fou, entrant en transe au rythme du morceau. Encore une fois, si c’est bien l’opposition entre la trame narrative et l’atmosphère du morceau qui donne toute l’ambiguïté et la puissance et à l’œuvre de Daniel Wolfe, le rapprochement qu’il produit entre les images de l’intrigue et la pulsation du morceau accentue grandement l’efficacité du clip, et appuie le propos de l’auteur.

Jonathan Glazer va encore plus loin dans la relation image/son qu’il propose dans A Song For The Lovers (2000), réalisé pour Richard Ashcroft, leader charismatique de The Verve. Comme Daniel Wolfe avec Time To Dance, Glazer crée un décalage entre la teneur du morceau et les images, mais cela, dans un registre très différent puisqu’il le fait ici plutôt sur le terrain de l’humour (carrément potache sur le plan final du clip). En effet, le morceau d’Ashcroft, se veut grandiloquent, puissant et universel, à grand renfort de cordes, alors que les images placent le chanteur dans un quotidien incroyablement banal. La caméra de Glazer suit toutes les étapes de son réveil, du petit-déjeuner au rasage jusqu’à…son passage matinal aux toilettes qui conclut le clip. L’immersion du morceau dans le quotidien banal du personnage est largement appuyé par l’utilisation du son « in »69, qui prend, par moment, le dessus sur la chanson, fait relativement rare dans l’histoire du clip musical, qui, par définition, donne la part belle à la musique dans sa bande sonore. On entend le chanteur fredonner les mélodies -par dessus la chanson- en

68 Terme faisant référence à la partie rythmique du morceau. (Et donc à la pulsation) 69 Le son émis dans le champ (dialogues, bruitages…).

54 prenant son petit déjeuner, comme le fait chacun d’entre nous, au réveil, une chanson dans la tête. Il part ensuite à la salle de bain, ferme la porte derrière lui, on n’entend alors la musique que partiellement, comme si elle suivait le personnage, la porte nous empêchant d’accéder à l’information sonore. On écoute le morceau depuis le cerveau d’Ashcroft. C’est avec un trait d’humour que Glazer conclue le clip, le morceau stoppe net au moment où le chanteur s’installe, debout, devant ses toilettes. Il stoppe son écoute mentale de la chanson pour se concentrer sur son besoin d’uriner. Le morceau, reprend, de façon tout aussi nette quand le chanteur commence à uriner. Finalement, si cette approche donne l’impression, à première vue, de placer le morceau dans la banalité du quotidien, il l’ancre en fait dans l’universalité, le plaçant dans un contexte commun à tous : se lever avec une chanson dans la tête, sans pouvoir s’en détacher.

Photogramme de A Song For The Lovers (2000), de Jonathan Glazer

Comme les autres aspects du clip musical que nous avons pu analyser jusqu’ici, la relation entre la pulsation et le temps –vidéo- est un outil, au service de l’auteur, lui permettant de développer et d’appuyer son propos.

55 2. Espace, circulation et cadre

Les réalisateurs de clips sont également souvent photographes. Quand ils passent derrière la caméra, de nombreuses questions s’imposent à eux. Parmi celles-ci, les notions de déplacement, de placement par rapport au sujet à filmer, de circulation dans l’espace sont matières à réflexion. Comme transmettre son propos au spectateur en passant de l’image fixe à l’image animée ? La possibilité de changer la perception du spectateur dans un même plan, en se déplaçant, est inhérente au médium vidéo. Quand le photographe doit se contenter d’un seul et unique point de vue pour faire passer son message, le vidéaste peut, en un même plan, en proposer une infinité. Nous allons explorer les différentes manières d’aborder cette problématique à travers le travail de plusieurs réalisateurs. Cela permettra de comprendre comment le clip, à travers ces notions, crée un pont entre cinéma et photographie.

a. « Circulation » cinématographique/« Face à face » photographique

À travers les portraits qu’il inclue dans son clip Ghosts (2012) — que nous avons déjà abordé sous un autre angle dans ce mémoire —, Abteen Bagheri joue avec la tension entre « circulation » cinématographie et « face à face » photographique. Il utilise des cadrages frontaux et des compositions très photographiques pour portraiturer les jeunes plongeurs. Cependant, plutôt que de poser sa caméra sur pied pour asseoir ses compositions soignées, il préfère la garder à l’épaule. Il s’en explique dans son entretien : « J’ai pensé que ce serait plus organique ainsi. Et puis, ces portraits sont tous en slow- motion, ce qui donne une impression de flottement de la caméra qui me plaît. J’ai pensé que le rendu serait plus vivant de cette manière plutôt que de poser la caméra sur pied ». 70 On comprend que c’est assez intuitivement que le réalisateur a fait ce choix, imaginant les portraits plus directs, plus puissants de cette manière. Il parle également de « rendu plus vivant », signifiant que donner une respiration, une impression de flottement à l’image rend les portraits plus vivants : l’image animée donne vie à la

70 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154

56 photographie. Il utilise d’ailleurs le même dispositif pour The Alarm du rappeur Milli Mars, fortement inspiré du Ha de Mark Klasfeld, également évoqué plus tôt dans ce mémoire.

Nabil joue également avec la tension entre « face à face » photographique et « circulation » cinématographique dans Novacane (2011), clip en plan-séquence réalisé pour Frank Ocean. Durant la première partie, la caméra pivote lentement, Frank Ocean pose, assis dans un canapé, stoïque. On pourrait presque croire que l’on se déplace dans une photographie, mais des femmes en mouvement apparaissent et disparaissent en surimpression dans la pièce. Après un tour de 180°, la caméra s’arrête sur Frank Ocean, assis sur le lit de la chambre, au milieu du cadre, face caméra. Il chante son texte. Le cadre est — quasiment — fixe jusqu’à la fin, de très légers mouvements avant et arrière, presque imperceptibles, accompagnant la dynamique du morceau. Le spectateur est en « face à face » avec l’artiste. La « circulation » se joue dans les formes en surimpression qui apparaissent et disparaissent en écran de fumée. La tension entre ces notions est exacerbée par l’utilisation du plan-séquence, qui instaure une attente, l’attente de « l’instant décisif ». Cet « instant décisif » clôture le clip quand Frank Ocean prend une claque en synchronisation avec la dernière note de la chanson, qui met un terme aux pérégrinations mentales du chanteur et aux hallucinations offertes au spectateur pendant trois minutes.

Nous avons déjà abordé Bloodflows (2013), réalisé par Christian Pitschl pour Sohn, plus tôt dans ce mémoire pour sa construction en forme de série photographique qui se brise en fin de morceau avec une caméra virevoltant autour du modèle. Au-delà de la construction en séquence, c’est la rupture que crée le réalisateur entre une première partie en « face à face » et une fin toute en « circulation » cinématographique, qui fait la puissance de son œuvre. En effet, la première partie est intégralement construite avec des plans fixes, tous composés de manière identique avant que la caméra ne « circule » autour du modèle, se déplaçant vivement dans l’espace défini précédemment par les plans fixes. La caméra s’insinue dans la photographie et y virevolte. Elle s’approprie l’espace photographique.

57 Ce clip nous permet également de questionner la relation du réalisateur de clip avec le plan fixe, en opposition avec le déplacement de la caméra dans l’espace (notion étroitement liée aux questions abordées de « circulation » cinématographique et de « face à face » photographique), et de crée le lien avec la partie qui suit.

b. Tension entre plan fixe et déplacement dans l’espace

Pour I Fink U Freeky (2012), morceau de Die Antwoord, Roger Ballen fait un choix radical. Son clip est exclusivement composé de plans fixes. Comme expliqué plus tôt au moment d’aborder la question de la relation entre temps et pulsation dans le clip, ce choix contraste avec l’esthétique musicale très dansante et sautillante du morceau. Il s’en explique dans son entretien : « Je suis un “black and white still photographer”. C’est ce que je suis depuis cinquante ans maintenant ! C’est mon esthétique. Je pense que les installations du clip sont très fortes et qu’elles donnent déjà beaucoup à voir. Trop de plans ou des mouvements auraient diminué l’impact de celles-ci. Elles représentent une part très importante du clip. Je pense que cela aurait nuit au film d’ajouter du mouvement ». 71 Roger Ballen a en fait suivi instinctivement sa sensibilité de photographe, préférant concentrer toute son attention dans la composition de ses installations. Celles-ci ne prennent sens uniquement que dans le cadrage qu’il a déterminé pour chacune d’entres elles. Le clip est alors un ensemble d’installations photographiques devenant vivantes par la captation vidéo du mouvement des corps, et non par des déplacements du cadre en leurs seins.

Palbo Maestres, photographe avant de devenir réalisateur de clip, tout comme Roger Ballen, adopte quant à lui une approche différente. All That (2012), qu’il a réalisé pour Fur Voice, se compose de diverses installations, tout comme I Fink U Freeky, mais il ne les traite pas de la même manière que le photographe sud-africain. Tout d’abord, ses installations sont dans une esthétique très différente, proche de l’univers de Gregory Crewdson, ce que revendique d’ailleurs le réalisateur. Mais ce qui nous intéresse dans cette partie est la façon avec laquelle il se positionne et déplace son regard dans celles-ci. Il évoque cette question dans son entretien : « Je porte aussi beaucoup d’attention à la

71 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165

58 composition de mes images, que je construis comme mes photographies. J’utilise souvent des travellings pour donner vie à ces compositions, donner vie à la photographie. Encore une fois, c’est une manière de mêler mes deux pratiques ».72 Maestres compose ses installations avec énormément de soin et de précision, tant au niveau de la mise en espace que de la mise en lumière. Il en tire ensuite des images animées à différentes valeurs de plans, toujours en mouvement. Les travellings sont lents, ils viennent appuyer, mettre en évidence les lignes de force et les différents plans de ses installations. Au contraire de Ballen, Maestres trouve dans le mouvement une manière de magnifier ses images, d’utiliser les possibilités de la vidéo pour faire vivre ses compositions.

Dans un registre différent, Alex Southam choisit également de déplacer son regard dans sa composition pour lui donner vie dans Tesellate (2012), réalisé pour le groupe Alt-J. Il détourne dans ce clip la fresque L’école d’Athènes (vers 1510) du peintre Raphaël. Nous reviendrons sur la notion de réappropriation d’icônes picturales dans le clip musical dans une partie suivante. Nous nous intéresserons ici à la façon avec laquelle le réalisateur exploite le gigantisme de sa composition par le déplacement du point de vue. Comme dans L’école d’Athènes, la fresque du clip est composée de multiples scènes, réparties dans un même plan. Commençant par en donner une impressionnante vue d’ensemble, la caméra se déplace ensuite de scène en scène, latéralement, en avant, en arrière… Comme si un spectateur examinerait une toile de cette ampleur en déplaçant son regard, en s’approchant, en se reculant, en s’arrêtant sur une scène qui l’interpelle… Southam utilise ici comme point de départ une image unique : une version modernisée de L’école d’Athènes. Il fait vivre cette grande photographie en déplaçant inlassablement le point de vue de la caméra et en mettant en mouvement les personnages qui la composent. Dans une esthétique assez proche, Marco Brambilla utilise également cette construction en forme de fresque dans Power, réalisé pour Kanye West. Il choisit pour sa part de dévoiler sa composition le long d’un zoom arrière très lent qui laisse découvrir peu à peu l’ensemble de l’image. Dans les deux cas, les réalisateurs construisent une seule et unique image qu’ils font vivre par les possibilités qu’offre le médium vidéo. Par leurs

72 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159

59 travaux, ils créent un pont entre image fixe — peinture, photographie — et image animée.

Photogramme d'une des images finales de Power, de Marco Brambilla

3. Citation et vision d’auteur

Le clip musical donne une grande liberté aux auteurs. Il est souvent pour eux, le lieu d’expérimentations visuelles. Reflet de son époque, le clip absorbe toutes les inspirations visuelles, sans limites, sans distinction de source, ou de forme. Dans ce cadre, les réalisateurs (très souvent, également plasticiens, photographes, créatifs) créent des ponts entre leurs inspirations, leurs autres formes d’expression et le clip musical. Ce phénomène se manifeste de différentes manières.

a. L’effet photographique

Nous avons eu l’occasion, tout au long de cette partie de mettre en avant le fait que le clip trouve des accointances avec l’image fixe de par son format et son utilisation. La photographie est d’ailleurs un point de départ de réflexion pour beaucoup de réalisateurs comme l’explique Pierre-Edouard Joubert : « Souvent, mon point de départ est une photographie. J’ai un dossier, dans lequel je stocke toutes les photos qui me parlent, toutes les photos qui m’inspirent quelque chose. Lorsque je reçois un morceau, je l’écoute en boucle et je fais défiler les photos, jusqu’à ce que quelque chose me vienne en

60 tête ».73 Cette méthodologie transparaît d’ailleurs dans son clip We Are Young (2011) pour les Juveniles sur lequel nous reviendrons un peu plus tard pour évoquer ses influences directes. Marty Martin utilise également une base d’images qui lui sert de référence pour y puiser son inspiration. De cette façon d’utiliser la photographie comme référence visuelle pour la création et la conceptualisation du clip musical ressort des œuvres dans lesquelles on retrouve des motifs visuels, tant dans le rendu que dans la composition, qui évoquent directement le médium photographique. Le clip devient alors hybride, dans son esthétique, entre cinéma et photographie. Blues Jeans (2012), le clip de Yoann Lemoine pour Lana Del Rey illustre bien cette idée. Comme fréquemment dans la plupart de ses réalisations, l’image est en noir et blanc. Cependant, il est ici utilisé de façon différente qu’à son habitude. Plutôt adepte d’un noir et blanc riche en nuance de gris et très défini, il opte ici pour un rendu plus contraste et surtout pour des effets visuels empruntés aux usages photographiques. Pour appuyer cette observation, voici ci-dessous un photogramme du clip mis en relation avec un autoportrait d’Antoine d’Agata.

À gauche : photogramme de Blues Jeans, à droite : recadrage d’un autoportrait d’Antoine d’Agata.

Lemoine reprend ici l’effet de déformation de l’autoportrait d’Antoine d’Agata, utilisant le même cadrage frontal. Dans le clip, Lemoine fait « vivre » l’effet, en animant la déformation au rythme des ondes de l’eau en arrière-plan.

73 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pierre-Edouard Joubert », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 175-180

61

À gauche : photogramme de Blues Jeans, à droite : recadrage de « Sans Titre », Brésil, 2006 d’Antoine d’Agata.

Il utilise également une esthétique très proche de certaines images d’Antoine d’Agata en transposant le flou de bougé en vidéo. En se réappropriant ces « effets photographiques », Lemoine sert le propos de son clip. Il esthétise le malaise du personnage principal (Lana Del Rey) en donnant une impression de vue troublée, d’une manière assez rare en vidéo ou en cinéma, créant un pont entre esthétique photographique et cinématographique.

Dans cette même idée de donner vie avec des images animées à un rendu qui appartient au domaine photographique, Haley Wolf utilise des changements de point incessant sur Tyler The Creator74, dans le clip Yonkers (2011). Ces changements de mise au point ne s’opèrent pas uniquement dans un plan parallèle au plan-film, mais dans différents axes, comme il est possible de le faire à l’aide d’objectifs à bascule, sur une chambre photographique par exemple. Associé au cadrage frontal, au noir et blanc et aux mouvements très lents de la caméra, les images donnent l’impression de voir une photographie en mouvement constant.

Pour conclure sur cette idée « d’effet photographique » dans le clip musical, nous allons nous arrêter sur Separator (2013), réalisé par Elliot Sellers pour Crystal Fighters. Le réalisateur crée avec cette vidéo un pont intéressant avec la partie suivante. En effet, on y trouve un effet visuel d’écho dans les mouvements des personnages. Le rendu évoque immédiatement les mouvements décomposés des chronophotographies d’Etienne Jules Marey. L’effet est modernisé, car en couleur et en mouvement permanent, mêlant « l’instant » propre à la photographie au flux continu de la vidéo.

74 Rappeur américain.

62

À gauche : photogramme de Separator, à droite : une chronophotographie d’Étienne Jules Marey.

Au-delà de la réutilisation d’un « effet photographique », Sellers cite les icônes de la photographie que sont les images d’Étienne Jules Marey. Nous allons d’ailleurs voir que le clip se prête fréquemment au jeu des citations d’images très connues et iconiques.

b. La réappropriation d’icônes picturales et photographiques

Le clip musical absorbe énormément de références visuelles pour les recycler, les réutiliser, les détourner. Nous avons pu observer au fil de cette étude que l’image fixe prenait une place importante dans son processus créatif. C’est donc naturellement qu’on y retrouve fréquemment des citations d’icônes picturales et photographiques.

En 2012, Alex Southam détourne L’école d’Athènes (vers 1510) pour son clip Tessellate (2012) réalisé pour le groupe Alt-J. Il la cite d’ailleurs directement au tout début du clip en filmant un personnage portant un t-shirt sur lequel la fresque est imprimée.

À gauche : photogramme de Tessellate d’Alex Southam, à droite : fresque de Raphaël « L’école d’Athènes » (vers 1510).

L’utilisation de cette icône de l’art pictural donne une dimension universelle au clip, cette fresque est ancrée dans l’inconscient collectif. En se la réappropriant, le clip captive

63 immédiatement le spectateur. De plus, le réalisateur crée un décalage entre l’esthétique très classique de l’arrière-plan — qui ressemble très fortement à l’original — et les personnages qu’il met en scène. Ils semblent tout droit sortis d’un clip de hip-hop ou d’une banlieue anglo-saxonne, tant au niveau du stylisme que des attitudes. Ce décalage rejoint assez bien l’atmosphère de la musique d’Alt-J : une pop lyrique, luxuriante, aux arrangements très modernes. Cette œuvre met en exergue une caractéristique fondamentale du clip musical, qui transparaît dans toutes les analyses que nous avons pu faire jusqu’ici : l’expérimentation incessante en terme de croisement des références, des époques et des médiums, et l’utilisation des nouvelles technologies pour créer des ponts entre les pratiques afin de faire du clip musical un support d’expression hybride, affranchi de toute limite entre les genres, les techniques et les esthétiques. Ce constat fait, il est évident que des icônes photographiques sont elles aussi le point de départ créatif pour nombre de réalisateurs de clip. Par exemple, comme l’explique Pierre- Edouard Joubert, son We Are Young (2011), réalisé pour les Juveniles est « parti d’une photographie de mugshot75 ».76 Il reprend les codes de cette imagerie : lignes noires et blanches en arrière-plan, images en noir et blanc, personnages charismatiques devant l’objectif. Il tire de cette inspiration une version très esthétisée — et dans l’air du temps — du mugshot, tout en slowmotion. Warren Fu détourne quant à lui les codes esthétiques de la photographie surréaliste de Man Ray ou d’André Kertész pour South My Soul (2013), réalisé pour Depeche Mode : noir et blanc très contraste, femmes nues, éclairages surréalistes, gros plans sur les corps. Il utilise aussi un format carré, peu habituel aujourd’hui pour appuyer son parti pris.

Les icônes de la photographie contemporaine trouvent également un écho dans le clip musical. En témoignent les propos de Pablo Maestres au sujet de All That (2012) réalisé pour Fur Voice : « Pour All That, je voulais créer une atmosphère particulière,

75 Photographie policière, portrait d’un suspect après son arrestation. 76 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pierre-Edouard Joubert », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 175-180

64 avec une suite d’évènements intrigants. Ma principale influence pour cette vidéo a été Gregory Crewdson ».77

À gauche : photogramme de All That, réalisé par Pablo Maestres, à droite : photographie de Gregory Crewdson, « Untitled » (2005).

La mise en parallèle du photogramme tiré de All That et de la photographie Untitled (2005) de Gregory Crewdson témoigne de l’influence directe du photographe américain sur le réalisateur espagnol pour la création du clip de Fur Voice. Cette réappropriation peut même être considérée comme une mise en abîme d’influence. Crewdson injecte dans ses images une certaine image du cinéma américain, à travers les éclairages et la mise en scène. En reprenant les codes de la photographie de Crewdson, Maestres recycle également les icônes du cinéma hollywoodien. Un cercle sans fin qui peut aussi nuire à la créativité. De nombreux clips se contentent de recycler des esthétiques bien établies et sans forcément y ajouter beaucoup de créativité et d’intérêt. C’est là qu’intervient la limite entre pastiche et travail d’auteur, une limite bien fine quand les réalisateurs de clips choisissent d’utiliser des icônes populaires.

Toujours dans le cadre de la photographie contemporaine, les Sud-Africains de Die Antwoord, dont Ninja78 à réalisé — ou coréalisé — l’intégralité des clips, trouvent un écho à leur univers dans le travail photographique de Roger Ballen (lui aussi Sud- Africain). D’ailleurs, Roger Ballen et Die Antwoord vont bientôt cosigner un livre compilant des photographies du tournage d’I Fink U Freeky. Die Antwoord en ont écrit la préface que Roger Ballen synthétise ainsi dans son entretien : « Ils y expliquent que “Roger Ballen est responsable de Die Antwoord”. Mon imagerie, mon esthétique,

77 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159 78 Rappeur du groupe.

65 l’impact de mes photographies ont été très importants dans la création de leur identité artistique ». 79 Une influence que revendique le groupe dans ses premiers clips, en incluant systématiquement dans les décors des dessins très proches de ceux que l’on trouve dans les installations photographiques de Ballen. Les deux images mises en parallèle ci-dessous en témoignent.

À gauche : photogramme d’Evil Boy, réalisé par Ninja, à droite : photographie de Roger Ballen « Room Of The Ninja Turtle » (2003).

Après de multiples demandes du groupe, Ballen finit par accepter de collaborer avec eux pour un clip sur le morceau I Fink U Freeky. Cette anecdote nous mène naturellement vers la partie suivante qui vise à montrer comment différents photographes/réalisateurs transposent leurs univers photographiques en image animée à travers l’exercice du clip musical.

c. Le photographe-réalisateur : transposition de son univers personnel au clip musical

Une grande partie des réalisateurs interrogés pour les besoins de ce mémoire sont également photographes. Les entretiens ont donc été l’occasion d’échanger sur leurs façons d’envisager la réalisation de clips musicaux en relation avec leurs travaux photographiques.

Comme expliqué en fin de partie précédente, I Fink U Freeky (2012) a été réalisé par Roger Ballen en collaboration avec Die Antwoord. Ballen explique dans son

79 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165

66 entretien comment a été conçu le clip : « Durant les dix dernières années de ma carrière, mon travail a pris une dimension “installation” (“installation aspect”). Et le clip a été construit avec deux directions parallèles : les installations et l’intégration de Ninja et Yo- Landi$$ (les membres de Die Antwoord) au cœur de celle-ci par leurs mouvements, leurs costumes ».80 Le clip a donc été l’occasion pour le photographe de travailler à partir des mêmes bases que pour ses images fixes : les installations et l’intégration de personnages en leurs seins. Il explique également la méthodologie qui a permis la collaboration avec le groupe : « Nous avons parcouru mes livres ensemble et avons choisi les images sur lesquelles s’appuyer pour créer les installations en réutilisant les concepts de ces photographies ».81 C’est donc le travail de Ballen même qui a été la référence pour la conceptualisation des scènes et des images. Il détaille d’ailleurs dans l’entretien les images référentes pour chacune des scènes du clip. À titre d’exemple, voici un parallèle qu’il crée entre une de ses images et une scène d’I Fink U Freeky : « Dans le clip on voit Ninja et Yo-Landi$$ enrobés de papier journal. Cette idée est tirée de l’image Retreat qui est dans Boarding House ».82 L’illustration ci-dessous suivante illustre son propos.

À gauche : photogramme d'"I Fink U Freeky" par Roger Ballen, à droite : photographie de Roger Ballen, « Retreat » (2005).

80 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165 81 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165 82 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165

67 Au-delà de la création des installations en vue du tournage, c’est dans la direction des « acteurs » — ils ne sont pas professionnels — et leur casting que Ballen a retranscrit sa manière de travailler et sa sensibilité. Il a choisi lui-même, toujours en collaboration avec Die Antwoord, les figurants du clip comme il le fait pour ses travaux photographiques. Il s’en explique en ces termes : « Elle (la fiction) ne donne pas l’impression d’être “jouée”, comme quand je prends mes photographies. Les gens aiment ça. Les personnages du clip ne sont pas des acteurs professionnels. Ils viennent de la rue. On ne peut pas leur demander de jouer quelque chose et espérer qu’ils le reproduiraient exactement de la même manière quelques minutes plus tard. Le fait de travailler avec ce genre de personnes ajoute de l’authenticité au clip ».83 La notion d’authenticité qu’il exprime ici intervient de la même manière quand il évoque ses photographies. Finalement, Ballen, dans tout le processus créatif du clip, a voulu appliquer la même méthode qu’il utilise pour élaborer ses travaux de photographe. Ceci explique pourquoi on retrouve dans I Fink U Freeky la même atmosphère et la même puissance évocatrice que dans ses images fixes. Photographe de longue date, Ballen n’a cependant pas pu résister à l’appel de l’appareil photo pendant le tournage du clip puisqu’il en tire une série qui sera l’objet d’un livre qui sortira dans les mois à venir, lui aussi, cosigné par Die Antwoord. Il explique pourquoi il tenait à retranscrire ces moments en photographie, en plus de l’image animée : « Je voulais documenter ce qu’il se passait. Je suis très content de l’avoir fait, car c’est un moyen parallèle de voir ce qu’il s’est déroulé pendant le tournage. Cela donne une idée du processus créatif du clip. Il m’a semblé important de faire ces images, car elles apportent une autre lecture du projet ».84 On peut lire dans ses dires que, pour lui, le processus créatif est, dans ce cas, presque aussi important que l’œuvre en elle-même, probablement car celui-ci exprime à lui seul sa sensibilité et sa singularité en tant qu’auteur photographe. L’exemple d’I Fink U Freeky illustre très bien le fait que le clip est un art hybride, permettant des connexions évidentes entre image fixe et animée. En retranscrivant, sans détour, sa façon de travailler et d’envisager un projet, Ballen réalise avec ce clip une œuvre, certes unique dans sa carrière, dans la continuité de ses travaux photographiques.

83 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165 84 HUART Rodrigue, « Entretien avec Roger Ballen », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 159-165

68 Ballen évoque dans son entretien l’importance qu’il accorde à l’authenticité de son l’œuvre, à la part de réel qui surgit à travers la prestation des figurants d’I Fink U Freeky. On retrouve ce souci de capter le réel chez Abteen Bagheri. Il l’exprime quand il décrit sa pratique photographique : « Ce sont juste des moments de vie capturés. Je m’amuse en ce moment à prendre très souvent avec moi un petit appareil photo argentique. Mais, je ne ré-éclaire jamais quand je fais mes photos, je capture juste la réalité ».85 Quand il évoque son travail sur le clip musical, il va dans le même sens : « Avec des clips à petit budget, c’est difficile d’avoir vraiment de bons acteurs donc il faut essayer de se rapprocher un maximum de la réalité en castant des personnes “authentiques” ».86 Il reprend d’ailleurs le terme « authentique » sur lequel Ballen insistait dans son entretien. En se plongeant dans les clips de Bagheri, on ressent bien cette envie de retranscrire la réalité avec fidélité, même si, bien sûr, elle est bornée par le découpage et la mise en scène. California (2012), réalisé pour Delta Spirit, donne vraiment l’impression au spectateur de déambuler au côté de la bande d’adolescents, figure centrale du film, à travers le regard du réalisateur.

Pablo Maestres a, de son aveu, commencé a réalisé des clips musicaux un peu part hasard, alors qu’il était encore uniquement photographe. Il explique ce qu’il l’a intéressé dans ce médium : « J’y ai vu une opportunité intéressante pour mêler musique et photographie grâce à la vidéo. Quand je conçois mes clips, je réfléchis toujours à partir de photographies. Mes références sont principalement photographiques ».87 S’il garde sa sensibilité de photographe, il pose d’entrée le clip comme médium hybride, croisement entre musique et photographie grâce à la vidéo. C’est d’ailleurs ainsi qu’il construit ses clips comme il l’explique ici : « J’essaye toujours de mettre mon regard de photographe dans mes clips. Pour moi, les deux pratiques sont liées. Je réfléchis de la même manière pour les deux médiums. Et quand je ne trouve pas les photographies parfaites pour décrire l’ambiance que je veux donner à une vidéo dans mon moodboard, je réalise les

85 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 86 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 87 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159

69 images moi même ».88 Il associe ici sa pratique photographique à celle du clip par un côté pratique : la possibilité de créer des références visuelles lui-même grâce à son savoir-faire de photographe. Il exprime également la façon avec laquelle il associe les deux pratiques. On ressent d’ailleurs cette filiation aux regards de ses images. On retrouve clairement les leitmotivs de ses photographies dans ses clips : des corps planants, l’attention porté à « l’instant décisif », l’humour, la douceur.

À travers ces exemples, on peut voir la relation étroite qui lie la photographie au clip dans la pratique de ces artistes. Ceux-ci ne créent pas de distinction dans la façon de travailler chacun de ces médiums, les voyant même comme complémentaires, la pratique de l’un enrichissant l’autre, et vice-versa. Ceci s’explique par le format et la nature même du clip, comme nous avons pu le détailler tout au long de cette deuxième grande partie, qui se prête facilement à l’hybridation des pratiques, des genres et des techniques, au service de l’auteur.

88 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159

70 III. Les évolutions techniques, moteur de créativité et d’hybridation

1. L’arrivée du Canon 5D Mark II

Impossible, dans le cadre de ce mémoire de passer outre l’influence qu’a pu avoir l’arrivée sur le marché du Canon 5D Mark II. Je m’attacherai, dans cette partie, à déterminer ce que cette évolution technologique a changé dans le monde du clip musical, d’un point de vue technique et esthétique.

a. Hybridation matérielle entre cinéma et photographie

Avant d’en venir aux considérations esthétiques et conceptuelles, il convient de comprendre en quoi le Canon 5D Mark II a été techniquement révolutionnaire, quelles avancées technologiques il représente et quelles limites il impose à son utilisateur.

Appareils photographiques numériques (APN) et enregistrement vidéo

C’est à la fin des années 90 que les premiers APN89 comprenant une fonction vidéo font leur apparition. Elle est présente sur des compacts, avec des caractéristiques techniques ne permettant qu’un usage amateur. En effet, les capteurs sont très petits et les DSP90 trop peu puissants sur ces appareils pour pouvoir tourner à des résolutions et débits acceptables dans le monde professionnel. De plus, la plupart des APN équipés de cette fonction était incapable, à l’époque, de filmer à 24 images secondes, donnant une image saccadée dés qu’un quelconque mouvement intervient dans le cadre. Cette fonction est alors considérée comme un gadget.

89 Appareil Photo Numérique. 90 Digital Signal Processor, le processeur interne à l’APN.

71 En 2008, les choses s’accélèrent nettement avec l’arrivée conjointe du Canon 5D Mark II et du Nikon D90, les deux premiers boîtiers reflex permettant l’enregistrement d’images animées. Le 5D Mark II se démarque par certaines de ses caractéristiques techniques pour s’imposer sur ce nouveau marché. En effet, si les deux boitiers répondent à la norme vidéo HD (High Definition), le D90 est limité au 720p (1280x720 pixels) quand le 5D permet un enregistrement en 1080p (1920x1080 pixels). De plus, ce dernier permet, grâce à une entrée mini-jack, de brancher un micro externe pour enregistrer le son dans de meilleures conditions. Ce sont, à mon sens, principalement ces deux caractéristiques qui feront du 5D l’ambassadeur des DSLR sur le marché. Nikon comme Canon enrichissent rapidement leurs gammes, proposant aujourd’hui, dés l’entrée de gamme, l’enregistrement vidéo HD sur ses boîtiers comme avec le 1100D chez Canon. La vidéo HD est donc désormais un outil dont peut se saisir l’amateur. Le 5D a aussi été renouvelé avec le Mark III en 2012.

Cinéma et photographie, un engouement commun

Les DLSR ont vite connu un grand engouement chez les photographes comme chez les cinéastes et vidéastes. En effet, ce nouvel outil offre des possibilités complètement inédites à l’époque. C’est la première « caméra » à grand capteur (24x36) et objectifs interchangeables à moins de 3000 euros (2899 euros à sa sortie en novembre 2008). Les amateurs d’image animée ont donc tout de suite été interpellés par ce nouveau produit, car les caméras numériques à objectifs interchangeables sont très chères. À titre d’exemple, à l’époque, le prix de la Red One, caméra considérée comme « abordable » avoisine les 15000 euros.

Le grand succès du 5D Mark II — puis des DSLR — s’explique par la possibilité qu’il offre aux photographes de réaliser images fixes et animées depuis le même appareil, et aux vidéastes la possibilité de produire des images au rendu inimaginable sur leurs caméscopes à prix équivalent. C’est d’ailleurs cet argument que met en avant Abteen Bagheri quand je lui évoque le 5D Mark II : « Avant le 5D, la seule façon d’avoir de très courtes profondeurs de champs et des objectifs interchangeables était de tourner en film, ce qui est très cher, ou avec des caméras numériques hors de prix. Le 5D coute moins de

72 la moitié d’une optique pour une caméra RED ! ». 91 Comme l’explique Abteen, la grande taille du capteur permet de tourner facilement avec des profondeurs de champ très courtes donnant un « rendu cinématographique » – avec un outil photographique – qui devient très utilisé avec les DSLR. Je reviendrai sur les questions de rendu inhérentes au 5D et DLSR plus tard. Guillaume Herbaut, pour sa part, confie à Renaud Bouchez l’intérêt qu’il trouve dans les DSLR : « C’est génial de passer de l’un à l’autre (de la photo à la vidéo) comme ça, sans s’interroger... Enfin bien sûr qu’on s’interroge, mais on a le même matériel et c’est très rapide ».92 À noter que le 5D Mark II était, à l’époque, très attendu par les photographes, car il prenait la succession du 5D, premier reflex numérique « non professionnel » à capteur 24x36. Il marquait alors les débuts de la démocratisation du plein format.

Un grand attrait de l’appareil est sa petite taille et sa maniabilité. Les cinéastes, habitués à de volumineuses caméras et optiques, se retrouvent avec un appareil photo dans les mains pour filmer. Cette miniaturisation de l’outil donne une grande liberté au tournage. Abteen a d’ailleurs évoqué cette caractéristique au cours de notre entretien : « Ce j’aime aussi avec cet appareil (le 5D), c’est sa taille. En comparaison avec des caméras comme l’Alexa, c’est minuscule. Quand on l’a utilisé pour le clip d’Asap Rocky, le chef opérateur pouvait tourner très facilement autour de lui, en le tenant simplement à la main ».93 Dans le cadre du clip musical, c’est un grand avantage. En effet, les tournages sont souvent très rapides et dans plusieurs lieux différents. Le 5D permet donc d’enchaîner le tournage des plans plus rapidement et d’être plus efficace. Cette caractéristique intéresse aussi les cinéastes, comme Quentin Dupieux, qui la met en avant quand il évoque le choix de tourner son film Rubber (2010) au 5D : « La caméra94 n’est pas à toi, c’est un gros truc tripoté par plein de gens et quand tu as obtenu exactement ce que t’avais prévu de tourner, tu la rends. Tu n’as pas le temps de faire corps avec et de t’en servir comme d’un outil artistique. […] Je veux le (le 5D) déplacer

91 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 92 BOUCHEZ Renaud, « Entretien avec Guillaume Herbaut», in Le recours à l’image animée chez les photographes du réel. Quels enjeux pour la narration?, Opus Cité, p.190 93 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 94 Sous entendu les caméras cinémas habituelles

73 d’un mètre, je le fais moi-même. Je veux changer d’objectif, je le fais moi-même... Tout d’un coup, j’ai la sensation d’un retour à la normalité […] avec ce pouvoir inestimable d’être aux manettes. Sur un film traditionnel, tu n’as pas les manettes, malgré tes intentions ».95 Pour Quentin Dupieux, cette facilité de manipulation en regard des caméras cinémas lui donne plus de liberté créative. Il souligne donc ici le fait que le choix n’est pas seulement pratique (et financier), mais aussi artistique. Cet équipement à taille réduite permet aussi d’être relativement discret, qualité importante pour les photographes ou les réalisateurs de documentaires. Abteen a réalisé un documentaire sur la Bounce Music à New Orléans96 avec la C30097 : « C’était parfait pour ce tournage, car nous allions au contact des gens et avec une plus grosse caméra, je pense qu’ils auraient été intimidés. Avec la C300, les gens pensent presque que c’est juste un appareil photo et n’imaginent pas que ça puisse donner des images très cinématographiques ». 98 L’argument est évidemment également valable pour le 5D qui offre cette même discrétion.

Le 5D Mark II est aussi très performant en basse lumière et c’est une des raisons de son succès. Abteen avait été très impressionné au moment de sa prise en main de l’appareil photo : « Quand il est sorti, j’étais très impressionné par la qualité d’image, particulièrement en basse lumière. Dès que je l’ai eu dans les mains, j’ai tourné des images en extérieur, de nuit, et j’ai trouvé ça fou ».99 En effet, il permet de tourner plus facilement de nuit que la pellicule, moins sensible. Darren Aronofsky100 l’utilisera pour cette raison afin de réaliser les scènes de nuit en extérieur de Black Swan (2010).

95 MANGIN Arnaud, « Entretien avec Quentin Dupieux », Paris, le 09/11/2010. http://cinema.jeuxactu.com/interview-cinema-qui-se-cache-derriere-rubber-mr-oizo-et-steak- 12176.htm 96 BAGHERI Abteen, That B.E.A.T, couleur, 9min., 2013 97 Caméra professionnelle de Canon qui reprend les caractéristiques du DSLR, dans son ergonomie. 98 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 99 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 100 Réalisateur américain de Black Swan, Pi, The Wrestler, Requiem For A Dream.

74 Les limites de l’outil DSLR

Si les DSLR ouvrent un nouveau champ de possibilités, c’est au prix de sacrifices et d’inconvénients que je vais évoquer dans cette partie. Il ne faut pas perdre de vue que les DSLR sont des appareils photo auxquels a été ajoutée la possibilité de filmer. L’ergonomie et la construction de ces appareils sont donc principalement dévouées aux photographes et donc à la prise de vue d’images fixes.

Tout d’abord, sa petite taille, qui était présentée comme un avantage dans la partie précédente est également un inconvénient. En effet, les DSLR sont très légers101 en regard de caméras comme l’Alexa ou la Red One. Cela pose problème en terme de stabilisation. Le poids plus conséquent d’une caméra numérique entraîne une certaine inertie dans les mouvements et donc une stabilisation naturelle. Avec un 5D utilisé à la main, le moindre mouvement vertical ou horizontal devient fortement perceptible et brutal. Ainsi, quand l’opérateur se déplace, l’image devient vite tremblante. Il faut donc avoir recours à divers accessoires pour résoudre ce problème : monopode, épaulière adaptée… Une autre solution est parfois envisagée pour réduire artificiellement ces « vibrations » : l’utilisation du slow motion. Ralentir les images réduit l’impression de brutalité dans les mouvements pour obtenir un rendu plus proche du flottement. À noter qu’il est impossible de tourner des plans en slow motion avec un 5D Mark II dont le frame rate102 ne dépasse pas les 30images/seconde (im/s). En revanche, c’est possible avec le 7D, le 6D ou encore le 5D Mark III qui permettent de filmer à 60im/s en 720p (1280x720 pixels).

Un autre inconvénient est la gestion de la mise au point. Les optiques photographiques ont une course de point beaucoup plus courte que les optiques cinématographiques. C’est-à-dire que pour un changement de point équivalent, il faut tourner la bague de mise au point plus longtemps sur une optique cinématographique. Cela s’explique facilement en examinant les deux pratiques : quand le photographe veut effectuer une mise au point le plus rapidement possible pour réaliser un cliché, le cinéaste souhaite pouvoir faire ses changements de point de la façon la plus douce

101 Le 5D Mark II nu pèse moins d’un kilo. 102 Nombre d’images enregistrées par seconde.

75 possible. Le capteur est aussi très grand sur le 5D Mark II (ce qui engendre des profondeurs de champ plus courtes à ouverture de diaphragme équivalente) et le « moniteur » de visée se matérialise par un écran LCD 103 de 3 pouces (7,2cm de diagonale). La mise au point devient donc assez complexe, et rapidement imprécise. Il convient donc, encore une fois, d’équiper l’appareil en conséquence : un follow focus104 pour compenser la courte course de point des optiques photos, et un viewfinder ou un moniteur externe HDMI105 pour compenser la petite taille du moniteur LCD.

Les inconvénients qui sont évoqués jusqu’ici se règlent en accessoirisant le DSLR. En revanche, les soucis causés par le Rolling Shutter ne trouvent pas de solution et l’opérateur devra s’en accommoder. Le Rolling Shutter est une méthode d’acquisition d’image dans laquelle l’ensemble de chaque image n’est pas enregistré à un même « moment t ». Chaque image est enregistrée en scannant chaque ligne de pixels une à une. Ainsi, le capteur continue d’enregistrer de l’information lumineuse tout en réalisant le processus d’acquisition. Cela permet d’augmenter la sensibilité du capteur. Cette technologie est utilisée sur les appareils équipés de capteurs CMOS, comme pratiquement tous les DLSR. Cette technologie paraît intéressante à première vue, c’est d’ailleurs le cas puisqu’elle permet aux DSLR d’obtenir cette sensibilité qui fait, en partie, leur succès. Cependant, ce processus engendre des aberrations dans l’enregistrement d’images animées. La plus courante et plus décriée par les utilisateurs est l’effet « Jello ». Le fait que tous les points du capteur ne soient pas enregistrés au même moment provoque des mouvements irrationnels des formes de l’image captée. Cette aberration intervient quand la captation est sujette à des vibrations ou à des mouvements. Quand j’ai questionné Marty Martin et Pierre-Edouard Joubert sur le rendu du 5D, c’est d’ailleurs un des premiers inconvénients qu’ils m’ont cités. Ce problème peut-être minimiser dans certains cas. Il est par exemple possible de réaliser un mouvement de caméra plus lentement que le rendu final souhaité afin de minimiser

103 Liquid Crystal Display : écran à cristaux liquides. 104 Système qui permet de contrôler la bague de mise au point sans avoir à toucher directement l’objectif. Cet accessoire réduit les risques de bougés en touchant l’objectif et permet de fluidifier et rendre plus précis les changements de point. 105 High-Definition Multimedia Interface.

76 l’aberration, puis de l’accélérer en postproduction. Cette solution ne s’applique que dans un éventail de situations limité.

Les utilisateurs du 5D lui reprochent souvent son rendu trop « lisse ». Bien que ce soit subjectif, ils entendent par là un rendu éloigné du rendu filmique, cinématographique, sans texture. Des artifices sont utilisés en postproduction pour changer ce rendu, comme l’utilisation de scans de films 35mm en incrustation pour donner une texture analogique à l’image. C’est d’ailleurs la technique d’utilise Jean- Edouard Joubert pour Blackout des Juveniles : « Il a été tourné au 7D, avec plein de petits filtres simulant le 16mm (en postproduction). Mais j’ai essayé de rester subtil et de ne pas trop en abuser. On me demande souvent avec quoi j’ai tourné ce clip. J’aime bien ça. J’ai réussi à casser le rendu DSLR ».106 Jean-Edouard parle d’ailleurs ici de « casser » le rendu DSLR, comme pour signifier que cette esthétique induite par l’utilisation de cet outil doit être détournée, car elle n’est pas « acceptable » en tant que telle.

Esprit Do It Yourself (DIY)

Nous avons précédemment fait le point sur les caractéristiques qui font le succès des DSLR et sur les limites que l’outil impose. De ce constat s’est développé un énorme champ des possibles en terme d’accessoirisation et d’utilisation. L’outil se prêtant particulièrement, de par son prix, à une utilisation par des petites entreprises ou photographes et réalisateurs indépendants, se sont développées des voies alternatives pour utiliser et accessoiriser les DSLR : c’est l’avènement du DIY (Do It Yourself107). On trouve énormément de sites sur lesquels les internautes se partagent leurs idées nouvelles pour fabriquer des accessoires, en détourner l’utilisation… Le but étant double : expérimenter, trouver des manières inédites de produire des images et, très souvent, abaisser considérablement les coûts d’équipement dans un esprit de « débrouille ». On retrouve très souvent cette approche chez les réalisateurs de clips indépendants, qui, avec peu de moyens, rivalisent d’inventivité pour parvenir à exprimer

106 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pierre-Edouard Joubert », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 175-180 107 Se traduit par « Fais le toi-même ». Le terme renvoie à une approche « artisanale », alternative. On peut dire qu’il est à la vidéo et à la photographie numérique ce que sont les « « Procédés alternatifs » dans la pratique photographique.

77 leurs envies visuelles. Ces sites traitent souvent à la fois de photographie et de vidéo, représentant bien l’hybridation des pratiques amenée par les DSLR, hybridation qui prend vie à travers les clips musicaux. On peut citer en exemple le site http://diyphotography.net qui traite aussi bien de techniques DIY en photo et vidéo.

b. Le développement de nouveaux contenus

Photographes et nouvelles formes d’expression

Avec ce nouvel outil dans les mains et la progression de la presse en ligne, les photographes ne peuvent pas s’empêcher de s’essayer au médium vidéo. Ces expérimentations mèneront à l’arrivée de contenus inédits, fruit de la rencontre entre les praticiens de l’image fixe et un outil qui leur permet d’accéder à l’image animée simplement.

Le web-documentaire

Le web-documentaire n’est pas né du seul fait de l’arrivée de 5D Mark II, bien sûr. La vidéo n’est d’ailleurs pas toujours le média source principalement utilisé pour cette nouvelle forme de documentaire. Cependant, il est intéressant de mettre en parallèle l’arrivée des DSLR et le développement des web-documentaires, nouvelle forme qui fait disparaître les barrières entre photographie, le son et le cinéma.

Les « Live Sessions »

Comme le web-documentaire, les « Live Sessions » sont nés de l’avènement de plusieurs phénomènes techniques et culturels. À partir du début des années 2000, les blogs et webzines musicaux ont commencé à se développer sur Internet. Sur le modèle des fanzines papier, ils sont, pour la plupart, le fruit du travail de quelques journalistes professionnels ou amateurs passionnés qui travaillent de manière indépendante, avec peu de moyens. Autour de ces journalistes commencent à se rassembler des photographes qui répondent aux besoins en illustration de ces plates-formes : portraits d’artistes, photos de concert… Avec l’arrivée du 5D Mark II, ces photographes se retrouvent en possession d’un appareil photo qui permet de réaliser des vidéos de qualité. Naturellement, ils commencent donc, au cours de séances de portraits, à proposer aux

78 artistes d’être filmés en interprétant un de leur morceau en acoustique. Rod Maurice « Le Hiboo » est un des premiers en France à réaliser ce genre de contenus. Ceux-ci sont le prolongement vidéo du classique portait de presse. Le photographe se voit attribuer une vingtaine de minutes avec l’artiste, souvent dans une chambre d’hôtel pour réaliser des portraits. Les « Live sessions », au départ, sont réalisés dans les mêmes conditions, très rapidement. On comprend bien cette dimension avec la vidéo de Magic Wondermeal (2008), filmé par Rod Maurice pour l’artiste Barth. La vidéo est filmée en plan fixe et en plan séquence et, on peut le supposer, en une seule ou très peu de prises. Ces vidéos rencontrent un grand succès, car elles donnent au spectateur une grande proximité avec l’artiste. Elles se multiplient alors, car faciles et rapides à produire. Pour se démarquer, les photographes commencent à sophistiquer le dispositif, ce qui réclame plus d’investissement à l’artiste filmé, comme on peut le voir avec Wide Eyes (2010), toujours réalisé par Rod Maurice pour Local Natives. Le groupe est au complet et interprète le morceau en acoustique. La caméra n’est plus sur pied, Rod se déplace constamment autour des artistes, mais le clip toujours en plan-séquence. Au fur et à mesure, on commence à voir fleurir des vidéos du même type, non plus en plan- séquence, mais avec des coupes, supposant généralement qu’il y a eu plusieurs prises. On quitte alors le domaine des « Live Sessions », s’approchant finalement plus d’une captation « live », certes dans des conditions particulières, mais qui ne répond plus vraiment aux fondamentaux de l’exercice. Enfin, devant le succès de ces nouveaux contenus, des maisons de disques commencent à produire des « Live sessiosn » avec beaucoup plus de moyens, comme en témoigne Work Stripped (2013) de l’artiste Iggy Azalea (réalisateur inconnu). Le dispositif est le même : une version acoustique du morceau, en plan-séquence. Seulement, dans ce cas, on peut voir carrément une formation classique importante avec une dizaine de musiciens, et des mouvements de caméra très fluides supposant l’utilisation d’un steadycam.

L’explosion du clip indépendant / amateur

L’arrivée des DSLR a grandement démocratisé la pratique de la vidéo. « Tout le monde » peut maintenant s’improviser réalisateur ou du moins s’y essayer. Cela a entraîné une explosion du nombre de clips indépendants (voir amateurs) sur internet, les

79 réseaux sociaux et plates formes de mise en ligne de vidéos aidant à leur donner une grande visibilité.

Ce phénomène a une grande influence sur la qualité des clips musicaux et sur son marché professionnel. Les personnalités interrogées au cours des entretiens concordent globalement vers les mêmes constats. Marty Martin évoque la concurrence féroce qu’engendre ce nouvel afflux de réalisateurs potentiels : « ça rend le marché très surchargé, il y a de plus en plus de monde et ça devient très difficile de percer ».108 Le marché de l’audiovisuel devient il est vrai très chargé, surtout dans les domaines créatifs comme le clip musical. Cet argument est cependant contrebalancé par le jeune réalisateur Abteen Bagheri qui voit ces nouvelles possibilités comme une aubaine : « En m’imaginant il y a 5/6 ans, avant YouTube et le 5D, je ne saurais même pas imaginer comment les réalisateurs perçaient. Ça devait être très difficile ».109 Ce point de vue est logique étant donné sa position. Abteen vit aujourd’hui du clip musical grâce à une vidéo réalisée pour Asap Rocky, Peso, tourné au 5D en une journée, qui lui a permis de se faire repérer par une société de production.

Le débat s’ouvre aussi sur la qualité générale des clips, tant sa présence sur la toile et sa production (quantitative) est devenue énorme. Marty Martin a son avis sur la question : « Le 5D permet d’expérimenter plus, mais je trouve que tout ce phénomène qu’il a entraîné tire aussi un peu la qualité générale vers le bas. On peut tourner tellement facilement que ça mène beaucoup de réalisateurs à la paresse ».110 Il pointe aussi du doigt dans l’entretien les rendus qui s’uniformisent… Il en sera question un peu plus tard. Abteen va dans le même sens, précisant lui que l’outil ne remplacera de tout façon pas la créativité : « Sérieusement, même si n’importe qui peut maintenant faire des

108 HUART Rodrigue, « Entretien avec Marty Martin», in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 169-175 109 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 110 HUART Rodrigue, « Entretien avec Marty Martin», in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 169-175

80 vidéos, cela prend toujours énormément de temps et de travail pour produire un contenu de qualité. Je vois beaucoup de clips tournés au 5D et ils sont très souvent mauvais ».111

2. La réappropriation des standards visuels amateurs dans le clip musical

Nous l’avons vu, le clip musical peut prendre les formes d’un genre hybride entre cinéma, photographie et musique. Ses références peuvent aussi être hybrides et il peut se nourrir, comme le fait souvent la photographie, des pratiques amateurs d’un point de vue aussi bien technique qu’esthétique.

a. L’influence des réseaux sociaux : Flickr, Instagram…

Les réseaux sociaux, éclos dans la deuxième partie des années 2000, ont pris une place très importante sur internet. On pense en premier lieu à Facebook et Twitter, fers de lance dans le domaine, mais un grand nombre de plates-formes de partage d’images fixes et animées se sont développées parallèlement. De nouveaux réseaux sont créés fréquemment (Vine, Pinterest…), mais les plus importants en terme de trafic et d’influence restent Instagram et Flickr.

Instagram et Hypstamatic, l’esthétique vintage

Instagram est une application iOS112 et Android113 et un service de partage de photographies. Elle permet de partager ses images avec son réseau d’amis, d’y laissant des commentaires… Elle a la particularité de donner la possibilité à l’utilisateur d’utiliser un filtre qui s’applique sur l’image. Les filtres proposés par l’application sont tous dans une esthétique « vintage », simulant des rendus argentiques divers (traitement croisé, kodachrome). Les photographies réalisées avec l’application sont aussi forcément au

111 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 112 Système d’exploitation des Smartphones et tablettes numérique d’’Apple. 113 Système d’exploitation open-source dédié aux Smartphones et tablettes numériques, utilisant le noyau Linux. On trouve ce système d’exploitation sur une grande partie des Smartphones et tablettes de marques concurrentes à Apple.

81 format carré. À noter l’existence d’Hipstamatic, application proposant le même type d’effets, dont la naissance précède celle d’Instagram et qui a grandement contribué à la large diffusion de ce type d’images. Cette esthétique, au départ fruit d’applications à destination des amateurs s’est introduite dans la pratique de photographes professionnels. C’est le fait de pouvoir photographier avec l’iPhone, très petit et discret, qui a séduit dans un premier temps le photoreporter Damon Winter dont les photos de guerres réalisées en Afghanistan ont été publiées en une du New York Times.

Deux des quatre images réalisées avec Hipstamatic par Damon Winter qui ont fait la couverture du New York Times.

Cet exemple montre bien comment cette esthétique visuelle s’est diffusée à tous les niveaux de professionnalisation des métiers de l’audiovisuel : de l’amateur captant ses moments de vacances, donnant une valeur ajoutée, une authenticité à ses images grâce aux filtres, jusqu’aux photographes professionnels, et nous allons le voir, dans les clips musicaux. Chris Milk évoque le rapport que les gens ont avec ces applications : « Je comprends pourquoi les gens aiment utiliser ces filtres sur leurs images. D’une part, ça les rend plus belles, et d’autre part, ça donne un côté authentique aux photographies ».114 Des groupes ont décidé d’utiliser ces applications pour réaliser leurs clips à partir de photographies. Par exemple, A Place To Bury Stranger, avec son clip So Far Away, propose de suivre le groupe le long sa tournée, à grande vitesse, par l’enchaînement de moments de vie captés à travers l’application Hipstamatic. Cela crée un lien immédiat avec les fans qui suivent le groupe avec le même regard photographique que le leur,

114 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169

82 utilisant le même type d’application. The Vaccines, groupe anglais, a poussé l’idée plus loin en proposant à ses fans de participer à l’élaboration de leur clip Wetsuit, en partageant leurs photos de festivals de l’été 2011 sur Instagram avec le tag 115 #Vaccinesvideo. Les plus de 2000 images récoltées sont la matière première de leur clip, diaporamas de moments de vie de fans pendant les festivals de l’été. Les Vaccines ont exploité toute l’interactivité que permet ce genre de réseau pour réaliser un clip, à partir d’images fixes, de manière participative.

Au-delà de l’utilisation de photographies Instagram ou Hipstamatic en dehors de leur cadre originel, l’esthétique vintage est devenue très présente dans les clips, certains reprenant également les codes récurrents dans ce type d’images (pose, accessoires, mise en scène…). Pour comprendre ce phénomène, il convient de présenter le réseau Flickr. Comme Instagram, Flickr est un réseau de partage d’images fixes. Il est cependant utilisé principalement sur PC et Mac et non sur Smartphone, et est plutôt dédié aux partages d’images plutôt « artistiques ». Des photographes professionnels et amateurs se côtoient sur la plate-forme pour partager leurs travaux personnels. Il s’est développé sur ce réseau toute une communauté de photographes utilisant les mêmes codes, une photographie aux teintes pastel, reprenant une esthétique vintage, emplie de nostalgie, mettant en scène la plupart du temps la vie d’une certaine jeunesse. Parmi ces jeunes photographes, on peut citer Théo Gosselin, l’un des plus populaires sur le réseau. On retrouve dans son travail des codes et artifices de mise en scène déclinés par toute une génération de jeunes photographes : portraits mélancoliques (souvent des nus féminins) dans les bois, rassemblements d’amis sur les toits de la ville au coucher du soleil, une ambiance qui peut rappeler celle de Sur La Route de Jack Kerouac, des fumigènes colorés, des images quasiment systématiquement face au soleil pour obtenir un effet délavé dû au flare… Ces réseaux permettent de mettre en avant les tendances du moment et celles-ci ressurgissent dans les clips. Cela s’explique par le fait que les réalisateurs de clips utilisent beaucoup la photographie comme base de travail. Nombre des réalisateurs interrogés pour les besoins de ce mémoire utilisent des bases de données d’images desquelles ils s’inspirent pour créer, penser l’univers visuel de leurs vidéos. On y

115 Mot précédé du caractère « # » dans le texte écrit par l’utilisateur qui accompagne sa photo Instagram. Le mot prend ainsi valeur de mot-clef rattaché à l’image.

83 retrouve donc ces codes. Pablo Maetres résume très bien ce phénomène : « Instagram, Tumblr, Flickr… Toutes ces plateformes créent les tendances du moment. Et beaucoup de réalisateurs utilisent ces bases de données comme référence pour créer leurs clips. Ça m’arrive aussi ! Quand tu me parles de ce phénomène, je pense immédiatement au clip de Rihanna, We Found Love (réalisé par Melina Matsoukas). Il me donne l’impression que la réalisatrice a récupéré toutes les références de Flickr et Instagram pour les assembler et en faire un clip. On retrouve des motifs visuels récurrents sur ces plateformes comme des personnages utilisant des fumigènes de couleur… En plus de la question du rendu s’ajoute les poses, les motifs visuels qui deviennent eux-mêmes des références ». 116 Cette façon de travailler et ces réseaux tissent un lien ténu entre photographie et clips musicaux.

À gauche : photogramme tiré de We Found Love. À droite : photographie de Théo Gosselin.

b. Réappropriation de l’outil amateur

La réappropriation des codes amateurs dans les clips musicaux ne se résume pas à l’esthétique et les codes récurrents aux applications citées dans la partie précédente. On retrouve ce phénomène à travers l’utilisation de matériel dédié originellement à un usage amateur. Un phénomène que l’on retrouve en photographie quand, par exemple, des artistes se réapproprient des outils comme les Holgas, appareils photographiques 35mm et moyen format en plastique, de fabrication sommaire.

116 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159

84 Dans le cadre du clip musical, on peut citer l’exemple de la GoPro, caméra HD miniature « tout terrain ». Cette caméra (elle permet également de faire des photographies) est très largement utilisée pour des captations de performances de sport extrême. Très petite et très légère elle permet d’être accroché facilement sur le casque d’un snowboarder ou le guidon d’un motocross. Elle est aussi étanche, permettant des prises de vue sous l’eau. De par son prix abordable, elle s’adresse aussi aux amateurs qui l’utilisent très souvent pour capter des moments de vacances avec des possibilités inédites : pouvoir se prendre en photo sous l’eau dans la piscine du camping, la transporter partout avec soi grâce à sa petite taille… Dotée d’un très grand angle (angle de champ de 127° à 170°), elle permet de pouvoir la tenir à bout de bras pour se filmer pendant ses exploits de vacances. C’est avec ce dernier exemple que je vais illustrer le fait que ces codes induits par l’utilisation d’un outil amateur sont, comme les références à l’esthétique Instagram, recyclés dans le clip musical. Dans la vidéo de Beauty And A Beat ft. Nicki Minaj de Justin Bieber (réalisée par lui-même), on voit l’artiste tenir une caméra à bout de bras, tournée vers lui, donnant des images très semblables à celle que peut donner une GoPro utilisée par un vacancier. Il utilise ce dispositif pour se filmer en train de chanter et danser dans un décor de vacance idyllique. Il recycle les codes amateurs, mais les met en scène : chorégraphie millimétrée, un grand nombre de figurants… Au niveau de l’esthétique, on retrouve la qualité d’image relativement moyenne de la GoPro, renforçant ce pont avec la pratique amateur. Le clip rapproche l’artiste de son public, en se mettant à son niveau. Il utilise le même outil que lui pour filmer ses « péripéties de vacances » (certes, très mises en scène).

À gauche : photogramme tiré de Beauty And A Beat ft. Nicki Minaj. À droite : Dimitri, mon colocataire se prend en photo sous l’eau à Bali, Indonésie.

85 L’emploi d’un appareil amateur est aussi une solution pour un artiste en manque d’inspiration de renouveler sa créativité en sortant de ses habitudes de travail. C’est le cas de Marty Martin qui évoque l’utilisation de l’iPhone 4 pour tourner le clip de Cascades pour Flakjakt : « En 2010, je me suis retrouvé bloqué créativement. Je me suis rendu compte que j’avais perdu de vue mon envie de raconter des histoires, distrait par toutes ces nouvelles technologies. J’ai entendu parler de la sortie de l’iPhone 4 et j’y ai vu une bonne opportunité pour filmer avec “une merde”, me détacher de ce qui me bloquait justement ».117

117 HUART Rodrigue, « Entretien avec Marty Martin », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 169-175

86 3. Vers l’avenir

a. La Black Magic Cinema, une caméra aux performances « cinéma » sous les traits d’ un DLSR

Après des années de suprématies chez les réalisateurs indépendants et les petites sociétés de production, les DSLR feront face à une concurrence nouvelle dans les années à venir. Celle-ci prend forme avec la sortie prochaine de plusieurs nouvelles caméras développées par Blackmagic Design : les Blackmagic Cinema Camera. La série est déclinée en 3 modèles : la Pocket Cinema Camera118 (sortie en juillet 2013), la Cinema Camera119 (disponible depuis 2012) et enfin, la Cinema Camera 4K120 (sortie en juillet 2013). Les avancées technologiques qu’apportent ces caméras peuvent toucher la pratique du clip dans les années à venir. Il est donc intéressant de se plonger dans les caractéristiques techniques de ces nouveaux produits et d’en envisager leurs usages en regard des DSLR. Dans cette partie, je prendrais pour référence pour représenter les DSLR le 5D Mark III (disponible depuis 2012), successeur du Mark II.

À gauche et au milieu : la Cinema Camera et la Production Camera 4K (elles ont le même boitier). à droite : la Pocket Cinema Camera.

Une ergonomie inspirée des DSLR

Blackmagic Design concurrence ouvertement le marché entier des DSLR avec les caméras que l’entreprise annonce. Cela se vérifie par nombreux choix de conception de ces caméras. Le plus évident est la taille de celles-ci. La CC et la 4K ont des dimensions très proche d’un DSLR contrairement à des caméras comme l’Alexa ou la Red Epic,

118 PCC 119 CC 120 4K

87 toutes deux plus volumineuses. La CC et la 4K sont cependant plus lourdes (environ 1,5 kg) que le 5D Mark III (environ 950 g). Avec ce seul constat, on comprend la volonté de Blackmadesign de proposer un produit dont l’ergonomie se rapproche de celle des DSLR. D’ailleurs, un des arguments marketing mis en avant est le fait que la 4K est la plus petite caméra du marché permettant l’acquisition d’images animées en 4K121. La miniaturisation est également un des points forts de la PCC qui prend les dimensions des appareils photo compacts à objectifs interchangeables, un nouveau type d’appareil photo récent représenté par la série Nex de Sony, le Nikon 1 ou encore le Canon M. Une autre caractéristique de ces caméras qui témoigne de l’envie de Blackmagic Design de se placer sur le même marché – au moins en parti – que les DSLR, est la monture des objectifs. En effet, la CC et la 4K proposent une monture EF122. Le client peut ainsi utiliser son parc d’optique constitué pour son DSLR Canon et utiliser directement une de ces caméras. La PCC est quant à elle équipée d’une monture MTF123 active124 permettant d’utiliser toute une gamme d’optiques MFT peu coûteuses ou de monter à l’aide d’adaptateur des optiques PL, Super 16 et même… EF ! Enfin, tout comme sur un DSLR, l’enregistreur est intégré à ces caméras. La caractéristique qui diverge le plus de l’ergonomie d’un DSLR est, selon moi, le mode d’alimentation. La CC et la 4K ont une batterie intégrée, d’une autonomie annoncée d’environ 90 minutes, qu’il est impossible de retirer. Il faudra donc prévoir une source d’alimentation externe pour des tournages en extérieur sans source de courant à proximité.

À chaque caméra son capteur

Chacune des 3 caméras annoncées ont un capteur qu’il leur est propre. La PCC est dotée d’un capteur Super 16 (12,48 mm x 7,02 mm), la CC d’un capteur dont la taille se situe entre le Super 16 et le Super 35 (15,81 mm x 8,88 mm) et enfin la 4K d’un capteur Super 35 (21,12 mm x 11,88 mm). La différence de taille entre les capteurs impose de s’équiper (en terme d’optiques) différemment pour chacune de ces caméras. En effet,

121 3840 x 2160 pixels, soit deux fois la HD 1080p. 122 Monture des DSLR Canon. 123 Micro Four Third. Standard crée par Olympus et Panasonic 124 Active signifie ici qu’elle permet une communication avec le boîtier par voie électronique. Cela sert à piloter l’ouverture du diaphragme depuis la caméra par exemple.

88 l’angle de champ étant fonction de la focale de l’objectif et de la taille du capteur, une même optique utilisée sur chacune de ces caméras ne donnera pas la même image, l’angle de champ étant différent de par la taille du capteur qui varie pour chacune d’entre elles. Le schéma ci-joint rassemble les tailles des capteurs et leur coefficients multiplicateurs respectif125.

Ces capteurs plus petits permettent de tourner avec des profondeurs de champ plus étendues, rendant la mise au point plus aisé que sur un DSLR. Il sera tout de même possible d’obtenir des images avec des profondeurs de champ très courtes en utilisant des optiques à très grande ouverture.

Des caractéristiques techniques à la hausse

Les nouvelles caméras proposées par Blackmagic reprennent donc l’ergonomie des DSLR, et sont équipées de capteurs plus petits. Mais ce qui fait de ces nouveaux outils de potentiels « DSLR Killers », comme on peut le lire sur internet, c’est la nature des fichiers qu’ils permettent d’enregistrer. En effet, toutes sont capables d’enregistrer en

125 Sauf pour le Super 16.

89 CinemaDNG126 ou en ProRes 422 (HQ)127 avec une dynamique annoncée de 13 Ev128, contre 11,7 Ev pour le 5D Mark III. En plus de proposer une plage dynamique plus grande qu’un DSLR, la nature des fichiers de sortie permettra une bien plus grande latitude en postproduction grâce au CinemaDNG qui utilise des RAW ou au Prores 422 (HQ) qui est un format de fichier compressé, mais avec une conservation des informations très grandes (débit de 220Mbits/s et profondeur de codage de 10 bits). Les fichiers permettront donc une utilisation bien plus poussée que les séquences H.264129 en sortie du 5D Mark III (jusqu’à 90Mbits/s). À noter que le Nikon D800 offre la possibilité d’enregistrer les fichiers vidéos non compressés sur un enregistreur externe grâce à une sortie HDMI. Les caméras Blackmagic Design se démarquent également par la définition des images qu’elles permettent d’enregistrer : la PCC enregistre en 1080p (comme les DSLR), la CC en 2,5K (2432x1366 pixels) et enfin la 4K, comme son nom l’indique, en 4K (3840x2160 pixels). La 4K permet l’enregistrement à 60im/s en 1080p, quand le 5D Mark III se limite au 720p (1280x720 pixels) pour cette même cadence d’image. Cette caractéristique attirera pour sûr le regard des réalisateurs de clips, grands amateurs, comme nous avons pu l’évoquer précédemment dans ce mémoire, de slow motions.

Enfin, une caractéristique très intéressante est proposée sur la 4K. Elle est dotée d’un Global Shutter, en opposition au Rolling Shutter des DSLR. Nous avons évoqué plus tôt les inconvénients du Rolling Shutter et les aberrations que cette technologie pouvait entraîner. L’utilisation d’un Global Shutter, qui permet l’enregistrement simultané de tous les pixels du capteur, supprime le redouté effet « Jello » que l’on trouve sur les plans en mouvement des DSLR. Le Global Shutter comporte cependant un inconvénient, il abaisse la sensibilité native du capteur. En effet, afin d’enregistrer tous

126 Format de fichier open-source pour les fichiers cinéma numériques, créer à l’initiative d’Adobe. Cinema DNG contient des clips vidéos qui sont composés de séquences d’images RAW, accompagnées d’audio et de métadonnées. 127 Format de compression développé par Apple pour une utilisation en postproduction (supporte les fichiers allant jusqu’au 4K). 4 :2 :2 renseigne sur l’échantillonnage des composante : cela signifie que les deux composantes chromatiques ont un taux d’échantillonnage égal à la moitié de celui dédié à la composante luminance. Enfin, le débit est variable est Prores, le débit cible pour le HQ est de 220Mbit/s. 128 12Ev pour la 4K en réalité, j’y reviendrai plus tard. 129 Norme de codage vidéo destinée au final.

90 les pixels d’une image simultanément, chaque photosite est muni d’un obturateur, laissant moins de place au passage de la lumière. Pour avoir une idée de la perte de sensibilité que la technologie entraîne, la Sony F5 utilisant un Rolling Shutter a une sensibilité nominale de ISO800 contre ISO500 pour son équivalente F55, utilisant un global shutter. Ceci explique la dynamique « d’uniquement » 12Ev pour la 4K contre 13Ev pour la CC et la PCC.

Flux de production et implication matérielle en postproduction

Si les capacités techniques évoquées plus tôt sont impressionnantes, il faut poser son attention sur le flux de production qui en découle. Celui-ci se rapproche-t-il du flux de production habituel pour les utilisateurs de DSLR ? En terme d’étapes et de matériel ?

L’enregistrement se fait sur des disques SSD130 sur la CC et la 4K (et sur carte SD131 sur la PCC). Les fichiers générés sont bien sûr très volumineux. À titre d’exemple, 128 Gb représentent 32 minutes en 1080p ProRes 25im/s sur la CC, contre 176 minutes en 1080p 25 im/s H264 ALL-I132 sur le 5D Mark III. En CinemaDNG RAW 2,5K 25im/s, 128 Gb ne représentent plus que 17 minutes de vidéo. Si la qualité d’image et la latitude en postproduction sont plus grandes en tournant avec une caméra Blackmagic Design plutôt qu’avec un DSLR, la quantité d’information est, de fait, plus importante. En effet, en se référant aux chiffres donnés plus haut, les fichiers CinemaDNG RAW 2,5K réalisés avec la CC sont 17,6 fois plus volumineux que les fichiers de sortie du 5D Mark III et les fichiers ProRes 1080p 5,5 fois plus. Cela se répercute sur les espaces de stockages qui devront s’élargir, impliquant des coûts de production plus élevés. Cela implique aussi de bien déterminer, en amont, les besoins

130 Solid-state Drive. Disques durs utilisant de la mémoire flash. Ils sont plus robustes, plus rapides (en terme de débit), plus réactifs et moins consommateurs d’énergie que les classiques disques durs mécaniques. 131 Secure Digital 132 Mode d’enregistrement du 5D Mark III permettant d’obtenir des fichiers à un débit allant jusqu’à 90Mbit/s. A titre de comparaison, le débit des vidéos du Mark II était de 30Mbit/s. Il est cependant toujours possible d’enregistrer à ce débit sur le 5D Mark III, afin de limité la taille des fichiers, grâce au mode IPB.

91 pour chaque projet. Toutes les vidéos ne nécessitent pas d’être tournées en 4K ou en CinemaDNG.

Le flux de production reste quant à lui relativement simple. Deux possibilités sont à envisager : tournage en ProRes et tournage en CinemaDNG. Dans le premier cas, c’est très simple les fichiers sont directement dans un format parfaitement adapté à la postproduction. L’opérateur peut donc directement commencer le montage. Dans le cas où les images sont tournées en CinemaDNG, il faut compter une étape supplémentaire. Le format CinemaDNG n’est pas supporté par les logiciels de montages. Cela arrivera probablement dans le futur (il le fût sur Premiere CS5.5, mais à disparu sur CS6) étant donné que c’est un format open source, ce qui facilite le processus. Pour le moment, il faut donc créer des proxys133 à partir, par exemple, de Resolve134 pour commencer le montage. Il faudra ensuite revenir dans Resolve une fois le montage (et les effets) terminé, pour étalonner et exporter le film final à partir des fichiers RAW sources pour exploiter au maximum la dynamique des images enregistrées. Ce flux de production n’est pas très éloigné des habitudes des utilisateurs de DSLR. En effet, sur Final Cut, il faut encoder des proxys ProRes pour pouvoir travailler sur les fichiers enregistrés sur DSLR. Une étape que l’on retrouve ici dans le cas de l’utilisation du CinemaDNG. En ProRes, le flux de production est on ne peut plus simple, c’est prêt à l’emploi. Cela peut s’avérer très intéressant pour les projets qui nécessitent un montage relativement rapide. Par exemple, le contenu web comme les « Sessions Live », évoquées plus tôt, peuvent être tournées en 1080p ProRes, ce sera largement suffisant pour les besoins de diffusions.

Les caméras de Blackmagic Design offre donc une certaine souplesse dans l’utilisation de ses caméras afin de pouvoir en adapter leur utilisation en fonction de

133 Fichiers encodés à partir des fichiers sources, plus adaptés au travail de postproduction. Typiquement le ProRes. 134 Logiciel de correction colorimétrique développé par Blackmagic Design, fourni avec les caméras.

92 chaque projet, une approche intéressante en regard des DSLR qui n’offre d’autre alternative que le tournage en H.264135.

Positionnement sur le marché

Blackmagic Design propose des tarifs très agressifs pour ses caméras. La PCC est annoncée à 785 €. Une caméra permettant l’enregistrement en 1080p en RAW ou ProRes (HQ) à ce prix est un signal très fort envoyé à la concurrence directe (principalement Canon et Nikon avec leur DSLR). En effet, les fichiers provenant d’un PCC sont potentiellement plus qualitatifs que ceux d’un DSLR, cela à un prix correspondant au début de gamme de Nikon et Canon par exemple. De plus, sa miniaturisation extrême permet d’envisager des possibilités inédites pour une caméra délivrant de telles images : caméra embarquée, utilisation de drone léger, crash cam… La CC et la 4K se place, en terme de tarif, se le même marché que les experts de Canon et Nikon. La CC est vendue à 2355 € (un peu plus cher que le 6D de Canon) et la 4K est annoncée à 3145 €, exactement le même prix que le 5D Mark III.

Tueuse de DSLR ?

Au vu de ce tour d’horizon des capacités que proposent les caméras de Blackmagic Design, il semble que les DSLR vont souffrir d’une concurrence féroce. Il faut cependant nuancer ce « cataclysme » annoncé sur nombre de blogs. En effet, si les DSLR ont été largement utilisés par des professionnels s’intéressant uniquement à la vidéo, une grande partie des utilisateurs de DSLR pratique simultanément image fixe et image animée, ce qui est impossible avec les caméras Blackmagic Design. Les photographes/vidéastes sont attachés à la possibilité de pouvoir réaliser des photographies et des films avec un seul et même outil.

Pour recentrer cette analyse sur le sujet du mémoire qu’est le clip musical, les caméras Blackmagic Design semblent une solution très intéressante pour la production de clips. Elles peuvent aussi bien être utilisées sur des « petites » productions comme les

135 Hormis le D800 qui permet l’acquisition de rushes non-compressés grâce à une sortie HDMI à connecter à un enregistreur externe.

93 « Live Session », ou des captations live que sur des productions plus exigeantes avec un travail poussé en postproduction.

b. Une nouvelle forme hybride en développement, le clip interactif

L’hybridation technologique du clip musical ne passe pas seulement par le matériel, il passe également par l’avancée des techniques de développement web. En effet, depuis maintenant quelques années fleurissent sur la toile des clips musicaux interactifs. Comme les photographes avec le web-documentaire, certains réalisateurs se penchent sur les nouvelles possibilités qu’offre le développement web afin d’apporter un éclairage nouveau sur leur travail. Ils se matérialisent par des sites internet dans lesquels la notion d’interactivité intervient de diverses manières dans la mise en scène du spectateur et du contenu. L’utilisation la plus classique et la plus convenue de l’interactivité est de donner au spectateur le choix de la suite du déroulement de l’arc narratif. Cependant, on trouve dans certains clips interactifs des façons plus élaborées d’investir le spectateur dans le média, dans le travail de Chris Milk136 par exemple. Le champ des possibles est très vague et reste encore largement à explorer comme le souligne ce dernier dans son entretien : « On ne sait pas ce que seront les modèles établis d’écriture (“storytelling”) dans 100 ans, exactement comme les pionniers du cinéma n’envisageaient pas la structure en 90 minutes et 3 actes des films actuels ». 137 Il y explique également son rapport au clip interactif : « Dernièrement, je suis fasciné par l’interactivité et j’expérimente beaucoup pour trouver comment utiliser les technologies de développement modernes pour raconter des histoires de façon plus humaine (“human” dans le texte) et intense qu’auparavant ».138 Selon lui, les nouvelles possibilités qu’offre internet permettent d’intensifier les émotions transmises par les images en impliquant le spectateur dans le processus créatif du clip, comme il le souligne ici: « La chose la plus intéressante dans ces canvas139 interactifs est que le spectateur — ou l’utilisateur – n’est plus

136 Réalisateur de clips pour U2, Chemical Brothers qui se spécialise depuis quelques années dans le clip interactif. 137 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169 138 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169 139 Composant de HTML qui permet d'effectuer des rendus dynamiques d'images bitmap via des scripts. Déjà implémenté dans certains navigateurs, il fait partie de la spécification HTML5.

94 passif, il participe à la trame narrative et co-crée l’art (“co-creating the art”) ».140 Cette volonté d’impliquer le spectateur transparaît dans tous ses travaux.

Le clip Wilderness Downtown qu’il a réalisé pour Arcade Fire (http://www.thewildernessdowntown.com/) fut l’une des premières créations artistiques exploitant les caractéristiques de la nouvelle norme HTML 5. Sur la page d’accueil du site, le spectateur est invité à entrer l’adresse à laquelle il a vécu son enfance. Le clip se déroule ensuite, grâce à l’utilisation connectée de Google Maps141 et Google Streetview, dans le lieu défini plus tôt, et dans une multitude de fenêtres du navigateur web qui s’ouvrent puis se ferment dans un flux continu pour « raconter l’histoire » (comme l’exprime Chris Milk).

Capture d’écran du clip Wilderness Downtown. On y voit l’immeuble dans lequel je vis et une vue aérienne. La fenêtre en dessous montre les images qui se déroulent parallèlement et qui sont le fil conducteur du clip.

Chris Milk déploie ici ses images dans une multitude de cadres. Il démultiplie l’écran pour offrir une fresque au spectateur, une fresque qui est propre à celui-ci, une fresque unique. Cette même utilisation des fenêtres « vivantes » du navigateur est présente dans le clip Golden Chains de Alb (http://albgoldenchains.com/). Dans celui-ci, le fil conducteur est une vidéo au milieu de l’écran. On y voit le chanteur du groupe

140 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169 141 Service de cartographie à partir d’images satellites.

95 marcher et jeter des effets personnels hors du cadre. Des fenêtres apparaissent alors, offrant la possibilité d’acheter ces accessoires, l’argent récolté permettant à l’artiste de produire son premier album. Si le dispositif n’est pas interactif dans le sens ou une seule version du clip existe — elle n’est pas personnalisée par l’action du spectateur —, il permet au média d’entrer dans le quotidien du spectateur : les fenêtres permettant d’acheter les effets personnels du chanteur son des liens vers divers sites tels qu’Ebay, Priceminister… Le clip s’immisce alors dans la réalité, créer un pont direct avec le spectateur.

S’immiscer dans la réalité du spectateur est d’ailleurs un des objectifs de Chris Milk. Avec son dernier travail Hello/Again pour Beck, on peut, grâce au face-tracking effectif à travers la webcam, diriger son regard dans la scène qui nous est offerte (une captation à 360° d’un morceau de Beck en concert). Il évoque ce travail dans son entretien : « Mon but était de créer l’expérience la plus organique possible et de l’i individualiser complètement. Quand on est dans le “meat-space” 142 et qu’on veut regarder vers le haut, on relève le visage, on n’utilise ni un clavier ni une souris. Dans Beck/Hello, Again, le contrôle simule, au mieux avec la technologie existante, l’expérience que le spectateur aurait dans la “vraie vie” (“real life”) ».143 Ainsi, le spectateur pour voir ce qui se passe sur la droite du cadre visible à l’écran tourne la tête vers la droite. Il pilote la caméra comme s’il était « aux concert » avec des gestes naturels. En réalité, le dispositif n’est pas encore parfait, car il manque de précision et de réactivité comme il l’admet lui même : « Le système est-il parfait ? Non. Mais cela représente une nouvelle phase d’expérimentation pour moi. J’aurais souhaité utiliser l’eye tracking plutôt que le face tracking, mais les éléments ne sont pas encore vraiment réunis pour le permettre ».144 La marge de progression est encore gigantesque et ce genre d’interfaces ne cessera d’évoluer.

142 Utilisé pour exprimer l’idée de monde « physique » ou réel en opposition au monde virtuel constitué par Internet. 143 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169 144 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169

96 Si Chris Milk s’est investi complètement dans ce nouveau médium, nombre de réalisateurs hésitent à franchir le pas, ou en tout cas n’y sont pas forcément très sensibles. C’est le cas d’Abteen Bagheri qui s’exprime sur le sujet dans ces termes : « C’est un concept assez difficile à assimiler dans ma pratique. Quand je veux raconter une histoire, je veux avoir le pouvoir sur celle-ci. Cependant, je ne suis pas totalement fermé pour travailler sur un projet de ce type. C’est complètement nouveau, ajouter de l’interactivité ouvre un énorme champ de possibilités ».145 Pablo Maestres va dans le même sens : « J’aime concevoir un clip musical avec un début et une fin ». 146 L’impression de perdre le contrôle sur le fond, l’arc narratif repousse les réalisateurs même s’ils voient dans ces nouvelles possibilités une grande richesse potentielle. Ils peuvent aussi être quelque peu freinés par le changement de dispositif de production qui implique la création d’un clip interactif (développement web). Chris Milk diverge sur ce point : « Le processus de conceptualisation est le même pour moi. Je me pose et écris des idées. Les étapes de production sont les mêmes, avec, tout de même, l’étape supplémentaire de la construction du site. Travailler avec des développeurs n’est, pour moi, pas du tout différent que de collaborer avec l’ensemble d’artistes avec qui je travaille sur toutes le productions que je peux faire ».147

Pour conclure sur le clip interactif, il sera intéressant d’en suivre l’évolution, car cette nouvelle forme de narration est un véritable moteur d’hybridation des médias. Il peut concentrer la multitude de médias présente sur internet (vidéo, photographie, musique, illustration, animation, texte) pour en faire une création unique et inédite.

145 HUART Rodrigue, « Entretien avec Abteen Bagheri », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 145-154 146 HUART Rodrigue, « Entretien avec Pablo Maestres », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 154-159 147 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169

97 Conclusion

Nous avons, à travers cette recherche, exploré différentes manières d’aborder le clip musical, du point de vue de l’auteur, du théoricien et du technicien. Le champ d’études est vaste, car ce mémoire a l’ambition de couvrir les différents axes d’analyse qui font du clip musical un sujet riche et passionnant. Nous avons alors pu discerner les caractéristiques propres à ce médium, le posant comme un genre, un art à part entière. Nous avons également dégagé les liens forts entre le clip musical et la photographie, sous différents aspects.

Ce mémoire nous a permis de constater que les évolutions technologiques, techniques et sociales des dernières années tendent à effacer peu à peu les frontières entre les arts. Avec les nouveaux outils de prise de vue hybrides capables de capter des images fixes ou animées, et l’importance grandissante d’Internet ; le cinéma, la photographie, le son, la vidéo et la peinture s’entrechoquent, s’assemblent pour faire naître de nouvelles grammaires et codes artistiques. Le clip musical est un témoin significatif de ce phénomène. Son format, et son mode de diffusion et de production, offrent aux auteurs la liberté d’expérimenter, de pousser l’hybridation des médiums à l’extrême pour découvrir des manières inédites de mettre leur propos artistique en image et en son. Si l’histoire de l’art et les codes inhérents à chaque médium sont ancrés dans la culture collective, l’auteur de clip musical se les réapproprie et les recycle sans limites pour créer, s’appuyant sur les technologies de son temps pour définir un langage qui lui est propre.

Les terrains d’expérimentations sont encore infinis aux vues des récents travaux exploitant les dernières techniques de développement web en terme d’interactivité. Comme le souligne Chris Milk, quand il s’exprime sur le champ des possibles qu’ouvrent ces nouvelles technologies, « on ne sait pas ce que seront les modèles établis

98 d’écriture (“storytelling”) dans 100 ans ». 148 L’auteur de clip musical se pose alors comme un artiste défricheur ancré dans son temps, en phase avec son époque, dont les travaux sont d’ailleurs scrutés de près par le cinéma qui ne manque pas de s’en inspirer fréquemment.

Cette étude, s’arrêtant sur le cas bien délimité du clip musical, nous permet d’énoncer des considérations d’ordre plus général sur l’art. Tous les phénomènes cités plus haut nous amènent légitimement à penser qu’il devient en 2013, dans une certaine mesure, assez vain de vouloir délimiter et cloisonner les différentes formes d’art entre elles tant elles tendent naturellement, dans le contexte contemporain, à communiquer et à s’enrichir mutuellement. Comme le synthétise très simplement Chris Milk, « c’est le même ‘muscle’. Quand je conçois mes visuels, qu’ils soient animés ou fixes, c’est la même façon d’envisager la création. Tout vient du même endroit (‘Its all coming from the same place’) ».149 Dés lors, dans une époque où l’accès aux outils et à la technique devient la norme, les seules limites restantes sont celles de l’imagination de l’auteur.

148 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169 149 HUART Rodrigue, « Entretien avec Chris Milk », in Le clip musical : médium d’auteur, hybride entre cinéma, musique et photographie, Opus cité, pp. 165-169

99 Bibliographie

Image animée

AMIEL Vincent, Esthétique du montage, deuxième édition, Paris, Armand Colin, 2010, 176p.

SORLIN Pierre, Esthétiques de l’audiovisuel, Paris, Nathan, Série Cinéma, 1992, 223p.

Internet

MANGIN Arnaud, « Entretien avec Quentin Dupieux, Paris, 09/11/2010. http://cinema.jeuxactu.com/interview-cinema-qui-se-cache-derriere-rubber-mr-oizo- et-steak-12176.htm

Relation entre image fixe et animée

BELLOUR Raymond, L'Entre,Images. Photo. Cinéma. Vidéo, Paris, La Diférence, coll. Les Essais, 2002, 352p.

DEPARDON Raymond, SABOURAUD François, Depardon/cinéma, Paris, Cahiers du cinéma : Ministère des Affaires étrangères, 1993, 175p.

GUIDO Laurent, LUGON Olivier (sous la direction de), Fixe/animé : croisements de la photographie et du cinéma au XXe siècle, Paris, L'Âge d'homme, 2010, 453p.

LE MAÎTRE Barbara, Entre flm et photographie. Essai sur l'empreinte, Saint,Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2004, 160p.

Mémoires

BOUCHEZ Renaud, Le recours à l’image animée chez les photographes du réel. Quels enjeux pour la narration ?, mémoire de fin d’études sous la direction de M. BOLLENDORFF Samuel, Noisy-le-Grand, École Nationale Supérieure Louis Lumière, 2011, 219p.

CADET Francine, Raymond Depardon, San Clemente : de la photographie au cinéma, mémoire de recherche universitaire sous la direction de M. ODIN Roger, Paris, Paris III, 1995, 274p.

RABIER Romain, Cinéaste et photographe, mémoire de fin d’études sous la direction de M. BERDOT Jean,Louis et CHEVALLIER Laurent, Noisy-le-Grand, École Nationale Supérieure Louis Lumière, 2007, 102p.

100

Photographes

BERGALA Alain, DEPARDON Raymond, Correspondance new,yorkaise, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Cahiers du cinéma, 2006, 128p.

DEPARDON Raymond, San Clemente, Paris, Centre national de la photographie, 1984, 104p.

DEPARDON Raymond, Le désert américain, Éditions de l’Étoile : Cahiers du cinéma, 1983, 159p.

FLEISCHER Alain, L'empreinte et le tremblement, écrits sur le cinéma et la photographie 2. Suivi de Faire le noir, Paris, Galaade éditions, 448p.

FRANK Robert, KEROUAC Jack, Les Américains, Paris, Delpire, 1958, (édition consultée : 2007), 174p.

HERBAUT Guillaume, MASI Bruno, La Zone, Paris, Naïve, 2011, 167p.

MICHALS Duane, What I wrote. Ce que j’ai écrit, Paris, Delpire, 2008, 211p.

MICHALS Duane, Changements, Paris, Hersher, 1981, 64p.

MOHOLY-NAGY László, Peinture, Photographie, Film et autres écrits sur la photographie (Malerei, Fotografie, Film, Munchen, Albert Langen Verlag, 1927), traduit de l’allemand par Catherine Wermester et de l’anglais par J. Kempf et G. Dallez, préface de Dominique Baqué, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2007, 320 p. [1ère édition, Nîmes, Ed. Jacqueline Chambon, coll. Rayon photo, 1993, 280p.]

VAN DER KEUKEN Johan, Aventures d’un regard, Paris, Editions des Cahiers du cinéma, 1998, 240p.

VAN DER KEUKEN Johan, L’oeil lucide. L’oeuvre photographique, Paris, Éditions de l’Oeil, 2001, 236p.

VARDA Agnès, Varda par Agnès, Paris, Editions des Cahiers du cinéma, 1994

WALL Jeff, « Jean-François Chevrier, entretien avec Jeff Wall » in Essais et entretiens, 1984-2001, Paris, Ensba, 2001, 378p.

101 Catalogues d’exposition

Brutal, Tender, Human, Animal : Roger Ballen Photography, Perth, Australie, Art Gallery of Western Australia, 2011, 34p.

Roger Ballen, Iziko, Afrique du Sud, Iziko Museums, 2011, 15p.

Roger Ballen : 1982 – 2009, Milan, Italie, La Triennale di Milano, 2009, 28p.

Internet

CINE-RESSOURCES, Fiche de Chris Marker, France. http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=11415

DELAURY Vincent, « Entretien avec Gregory Crewdson », réalisé à Paris, le 27/02/2009. http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/entretien-avec- gregory-crewdson-106782

FORTIN Marie-Eve, Commissaire de l’exposition William Klein, l’œil dissident / La rétrospective, Québec, 2012. http://www.cinematheque.qc.ca/fr/programmation/projections/cycle/william-klein- loeil-dissident-la-retrospective

Entretien filmé

CASPER Jim, « Entretien avec Roger Ballen », Lens Culture Conversations, Afrique du Sud, 2012. https://vimeo.com/8733816#

Le clip musical

VIAL Jérémy, Une histoire immédiate d’images et de son, mémoire de fin d’études sous la direction de Mme LEVY Francine, Noisy-le-Grand, École Nationale Supérieure Louis Lumière, 2007, 84p.

102 Clips

À noter que l’intégralité des clips cités est compilée dans la clef USB qui accompagne le mémoire.

A PLACE TO BURY STRANGERS, A Place To Bury Strangers - So Far Away, 2012

ALTOBELLI David, Philip Selway - By Some Miracle, 2010

BAGHERI Abteen, Delta Spirit - California, 2012

BAGHERI Abteen, Milli Mars - The Alarm, 2011

BAGHERI Abteen, The Presets – Ghosts, 2012

BALLEN Roger, Die Antwoord - I Fink U Freeky, 2012

BARTH Greg, Passion Pit - I'll Be Alright, 2012

BAYER Samuel, Green Day - American Idiot, 2004

BIEBER Justin, Justin Bieber - Beauty And A Beat ft. Nicki Minaj, 2013

BRAMBILLA Marco, Kanye West – Power, 2010

BRUNEEL Maxime, Concorde - Summer House, 2013

CAGNIARD Guillaume & JR, Patrice - Ain't Got No, 2010

CHASSAING Romain, Vitalic – Fade Away, 2013

CORBJIN Antin, Nirvana - Heart Shaped Box, 1993

CYRIAK, Bonobo - Cirrus, 2012

DAVENEL Nicolas & DELEBECQUE Thomas, Minitel Rose - Heart of Stone, 2011

DE WILDE Autumn, The Raconteurs - Salute Your Solution, 2008

DEAN BURKHART David, Icky Blossoms - Cycle, 2012

DUPIEUX Quentin, Mr Oizo - Analog Worms Attack, 1999

DUPIEUX Quentin, Mr Oizo - , 1999

103 FRANK Robert, Rolling Stones - Rocks Off, 1972

FU Warren, Depeche Mode - Soothe My Soul, 2013

GAVRAS Romain, M.I.A. - Bad Girls, 2012

GLAZER Janathan, UNKLE - Rabbit in Your Headlights Feat. Thom Yorke, 1998

GLAZER Jonathan, A Song For The Lovers - Richard Ashcroft, 2000

GLAZER Jonhatan, Radiohead - Street Spirit, 2006

GONDRY Michel, The White Stripes - The Hardest Button To Button, 2003

GOULDING Ellie, Ellie Goulding - Anything Could Happen, 2012

HADLAND Chris & GARNES JoLynn & FIDELL Hannah, Polica - Lay Your Cards Out, 2011

HAYCOCK Vincent, Florence + The Machine - Lover To Lover, 2012

JONAS & FRANCOIS, Iggy Azalea - Work, 2013

JOUBERT Pierre-Edouard, Juveniles - Blackout, 2012

JOUBERT Pierre-Edouard, Juveniles - We Are Young, 2011

JOUBERT Pierre-Edouard, Minitel Rose - Continue, 2010

KAI BOCK Emily, Sebastien Schuller - Nightlife, 2012

KAMATA Tetsuo, Walker Lukens - Dear Someone, 2013

KLASFELD Marc, Juvenile - Ha, 1998

KRUG Neil, Gonjasufi - The Blame, 2012

LACHAPELLE David, Britney Spears - Everytime, 2004

LACHAPELLE David & BYRNE John, Florence + The Machine - Spectrum, 2012

LANDIS John, Michael Jackson - Thriller, 1983

LAVIE Oren & YUVAL & MERAV Nathan, Oren Lavie - Her Morning Elegance, 2009

104 LEMOINE Yoann, Lana Del Rey - Blue Jeans, 2012

LEMOINE Yoann, Lana Del Rey - Born To Die, 2012

LEMOINE Yoann, The Shoes - Wastin' Time, 2011

LEMOINE Yoann, Woodkid - Iron, 2011

LEMOINE Yoann, Woodkid - Run Boy Run, 2012

LONG Reid, The Black Keys - Gold On The Ceiling, 2012

MA Dave, Flight Facilities - Clair De Lune feat. Christine Hoberg, 2012

MAESTRES Pablo, Be Brave Benjamin - Devil Fool, 2012

MAESTRES Pablo, Fur̈ Voice - All That, 2012

MAESTRES Pablo, Inspira - Onades De Nit, 2011

MAESTRES Pablo, Revolver - Still, 2013

MARSALIS Amanda, Taken By Trees - Dreams, 2012

MARTIN Marty, Flakjakt - Cascades, 2010

MATSOUKAS Melina, Rihanna - We Found Love ft. Calvin Harris, 2011

MAURICE Rod, HibOO D'Live #021 - F.M. - Certain People, 2008

MAURICE Rod, HibOO D'Live #022 - Barth Magic - Wondermeal, 2008

MILK Chris, Kanye West - Touch The Sky, 2006

MILK Chris, The Chemical Brothers - The Golden Path, 2003

MURPHY Dudley, Bessie Smith - St. Louis Blues, 1929

NABIL, Antony and the Johnsons - Cut the World, 2012

NABIL, Foals - Late Night, 2013

NABIL, Frank Ocean - Novacane, 2011

NABIL, James Blake - Overgrown, 2013

105 NABIL, Frank Ocean – Novocane, 2011

NINJA, Die Antwoord - Enter The Ninja, 2010

NINJA, Die Antwoord - Evil Boy, 2010

NINJA & NEALE Terence, Die Antwoord - Baby's On Fire, 2012

NINJA & NEALE Terence & FOOKEN BERGH Saki, Die Antwoord - , 2012

PANTEROS666 & MARZAT Ines, Panteros666 - Hyper Reality, 2013

PANTEROS666 & Myd & BUN Boston, The Aikiu - Pieces Of Gold, 2012

PANTEROS666, I Am Un Chien – Humanity, 2013

PANTEROS666, Panteros – Brother (Stuck In The Sound Remix), 2012

PENNEBAKER Donn Alan, Bob Dylan - Subterranean Homesick Blues, 1967

PITSCHL Christian, Sohn - Bloodflows, 2013

SALIER Edouar, Scratch Massive - Waiting for a Sign ft. Koudlam, 2013

SELLERS Elliot, Crystal Fighters - Separator, 2013

SOUTHAM Alex, Alt-J - Tessellate, 2012

THE VACCINES, The Vaccines - Wetsuit Instagram Video, 2011

UNKNOWN, Iggy Azalea - Work Stripped, 2013

UNKNOWN, MS MR - Hurricane, 2012

UNKNOWN, Orelsan - Suicide Social, 2011

UNKNOWN (Scopitone), Francoisȩ Hardy - Comme Tant d'Autres, 1963

VASH , XXYYXX - About You, 2012

WEST Kanye, Jay,Z & Kanye West - Ni**as In Paris, 2012

WEST Kanye, Kanye West - Runaway, 2010

WOLF Haley, Tyler The Creator - Yonkers, 2011

106 WOLFE Daniel, The Shoes - Stay The Same, 2011

WOLFE Daniel, The Shoes - Time To Dance, 2012

YOUNG Replicant, The XX - Chained, 2012

Films

À noter que les films suivis de * sont compilés dans la clef USB qui accompagne le mémoire.

BAGHERI Abteen, That B.E.A.T, couleur, 9min., 2013 *

CROSLAND, The Jazz Singer, noir et blanc, 90min., 1927

ARMSTRONG Samuel, ALGAR James, ROBERTS Bill, BEEBE Ford, FERGUSON Norman, HEE T. & JACKSON Wilfred, Fantasia, couleur, 125 min., 1940

DEPARDON Raymond, New York, N.Y., noir et blanc, 10 min., France, 1986.

DEPARDON Raymond, RISTELHUEBER Sophie, San Clemente, noir et blanc, 90 min., France, 1980

DICKSON William K. L., Dickson Experimental Sound Film, noir et blanc, Royaume- Unis, 1894 *

HITCHCOCK Alfred, Vertigo, couleur, 128 min., Etats-Unis, 1958

KLEIN William, Broadway by light, couleur, 12 min., France, 1958 *

KLEIN William, Qui êtes-vous Polly Maggoo ?, noir et blanc, 102 min., France, 1966

LESTER Richard, A Hard Day’s Night, noir et blanc, 88 min., 1964

LESTER Richard, Help !, couleur, 92 min., 1965

MARKER Chris, La Jetée, noir et blanc, 28 min., France, 1962 *

107 MARKER Chris (sous le pseudonyme Kosonki), Leila Attacks, couleur, 1 min., France, 2007

RIEFENSTAHL Leni, Olympia, noir et blanc, 226 min., Allemagne, 1938

VAN DER KEUKEN Johan, Face Value, Pays-Bas, 1991

VAN DER KEUKEN Johan, Les vacances du cinéaste, 37 min., Pays-Bas, 1974

VARDA Agnès, Cléo de 5 à 7, noir et blanc, 90 min., 1962

VARDA Agnès, L’Opéra Mouffe, noir et blanc, 17 min., 1958

VARDA Agnès, La Pointe Courte, noir et blanc, 89 min., 1955

108 Partie Pratique

Musicien depuis le plus jeune âge, passionné par l’image (fixe comme animée), le clip musical s’est imposé à moi comme le médium idéal pour exprimer ma sensibilité artistique, à la croisée des chemins entre image et musique. Depuis plusieurs années, une grande part de mon travail personnel est tourné vers le monde musical : captations de concert, portraits de groupes et de musiciens, clips musicaux…

J’ai vu dans cette partie pratique de mémoire l’occasion idéale de porter mon travail à une étape supérieure en terme de moyens (financement et mise à disposition de matériel par l’école, apport financier de ma part) et de visibilité. Ayant jusqu’ici réalisé des images principalement pour des musiciens de mon entourage, j’ai pour cette partie pratique contacté un groupe en développement à l’échelle nationale : Juveniles. Enthousiasmé par mon travail, le groupe accepte que je lui réalise un clip, dans l’optique d’une sortie officielle en septembre prochain. Je me suis ainsi mis dans une situation de commande professionnelle, devant convaincre le groupe par un synopsis, un dossier de production…

Cette réalisation m’a permis de progresser sur plusieurs fronts :

— L’approche de caméras « cinéma » (RED Scarlet-X et Phantom) — La constitution et la gestion d’une équipe de production et de postproduction (chef opérateur, assistant-réalisateur, acteurs, responsable du flux de production, responsable des effets spéciaux, styliste) — La conceptualisation d’un clip en relation avec une réflexion poussée sur le médium (le mémoire). — La réalisation d’un clip qui me permettra de me professionnaliser dans ce domaine.

109 Présentation : Juveniles – Washed Away

Le clip de Washed Away accompagne mon mémoire sur le clip musical, dans lequel je le décris comme un médium hybride entre cinéma, musique et photographie et en définis les spécificités photographiques. Après discussion avec les Juveniles et leur management le clip est entré dans leur promotion et fera donc l’objet d’une sortie officielle en septembre prochain.

J’utilise dans Washed Away des éléments narratifs, visuels et techniques qui sont centraux dans mon approche du clip musical : le slow motion, le plan fixe, le rapport narratif texte-image, le rôle du hors champ… Autant d’axes d’étude qui servent dans mon mémoire à définir les atours photographiques de ce genre.

Lors des présentations des parties pratiques, je souhaite joindre à la projection du clip, une série d’images réalisées au polaroïd 600. Ce seront des portraits d’Émile et Flora, ainsi que des paysages. Ces photographies seront réalisées sur les lieux du tournage. Elles sont le prolongement photographique de Washed Away, la trace, en image, des souvenirs des protagonistes du film.

À noter que vous trouverez les premiers clips des Juveniles dans le DVD qui accompagne le mémoire. Ils sont tous réalisés par Pierre-Edouard Joubert.

Juveniles

Juveniles est un groupe rennais synth-pop, récemment signé en édition chez AZ/Universal Music Group et en tour par 3 Pom Prod, dont le premier album, à paraître prochainement, est produit par le très reconnu Yuksek.

Le site officiel des Juveniles : http://www.juvenilesmusic.com/

110 Le texte : Washed Away

« Plastic head on sticks In the darkness of this room, they are Witnessing your every move But you came along

Washed away

Stuck in self denial Make an effort to find something new You don't want anyone around But you came along

Washed away »

Note d’intention

Washed Away est une chanson sur l’effacement. On devine qu’après une série d’épreuves, le personnage n’a d’autre solution que de disparaître. Dans ce clip, je souhaite donner vie à ce personnage, à la fois de façon réaliste — dans l’approche esthétique de l’image — et poétique, lyrique, dans les événements qui s’y déroulent.

Pour cela, j’aimerais tourner le clip à la plage du Cap-Breton sur laquelle des bunkers ont été retournés par le passage des marées. Dans ce décor prédomine déjà cette notion d’usure, d’effacement de la mémoire… Aussi, je voudrais tourner le clip en slow motion pour donner une dimension intemporelle aux images.

Je mettrai en scène un personnage principal féminin dans le clip. Je l’appellerai Flora.

111 Synopsis

Flora est au Cap-Breton avec son petit ami. Il est tôt le matin. Ils sont seuls, heureux. Ils chahutent, rient, se promènent à travers les bunkers et le long de la plage du Cap-Breton. Flora pose pour lui. Il la photographie au polaroïd.

La séquence suivante marque une rupture. Nous voyons les portraits polaroïd extraits de leur contexte, sur fond blanc. Flora disparaît progressivement de ces images. On comprend que le temps mis en image dans la séquence d’ouverture est révolu et que d’une manière ou d’une autre, le couple n’est plu. Les souvenirs disparaissent et seuls les lieux restent.

La scène finale met en scène cette disparition de manière spectaculaire. Flora est seule au Cap-Breton, et disparaît des lieux qui furent le théâtre de leur ballade en début de clip. Elle court vers la mer, jusqu’à s’immerger totalement. Elle court vers l’horizon jusqu’à devenir transparente. Enfin, elle s’envole vers le ciel pour finalement sortir du cadre.

Note

Vous trouverez en annexe le dossier de production de Washed Away, ainsi que quelques documents de travail.

112 Photogrammes

Séquence 1 : Ouverture sur les plans fixes

Séquence 2 : Le couple s’amuse

113

Séquence 3 : Émile prend Flora en photo

Séquence 4 : Flora disparaît des polaroïds

114

Séquence 5 : Flora s’apprête à disparaître

Séquence 6 : Flora disparaît

115 Polaroïds

116

ANNEXE

117 Partie Pratique

Dossier de production et documents de travail

Moodboard

Image tirée de XX-Chained. J’aimerais m’approcher de cette esthétique réaliste, épurée. Le clip utilise également le ralenti. Il sera également utilisé dans le clip de Washed Away, pour suspendre un peu plus le temps. L’idée étant de tourner toutes les images à 120im/sec avec la caméra ARRI Alexa

Image tirée d’un de mes travaux photo. J’illustre ici la présence dans le cadre des personnages sur les plans d’ouverture. Imposant le lieu dans un premier temps.

118

Google Images, pour donner un aperçu des Bunkers retournés par l’inlassable passage de marée. Ce lieu renvoi bien à l’idée du clip et de la chanson : l’effacement, le passage du temps.

Le cadre

119

Images qui donnent une idée du rendu désiré pour l’envol de Flora

Cette image illustre l’idée de transparence.

120 Decoupage technique

SEQ. Plan n° n° Lumière Action Ordre de tourn. EXTERIEUR JOUR - Série de plans fixes (larges) des lieux 1 1 Capbreton - Lieu 1 - 1 dans lesquels l'action prendra place. Matinée EXTERIEUR JOUR - 2 Anglet - Lieu 2 - // 7 Matinée EXTERIEUR JOUR - 3 Anglet - Lieu 3 - // 13 Matinée EXTERIEUR JOUR - Flora et Émile entrent dans le cadre. 4 Capbreton - Lieu 1 - Même valeur de plan que 2 Matinée précédemment. EXTERIEUR JOUR - 5 Anglet - Lieu 2 - // 8 Matinée EXTERIEUR JOUR - 6 Anglet - Lieu 3 - // 14 Matinée Flora et Émile chahutent entre les EXTERIEUR JOUR - bunkers, rient. Elle prend la pose 2 7 Capbreton - Lieu 1 - 3 pour lui, il la photographie au Matinée polaroïd. EXTERIEUR JOUR - Shoot Polaroïd avec et sans Flora 8 Capbreton - Lieu 1 - 4 (sur pied) Matinée Flora prend Émile par la main, EXTERIEUR JOUR - l'entraine sur la berge. Elle prend la 9 Anglet - Lieu 2 - 9 pose pour lui, il la photographie au Matinée polaroïd.

121 EXTERIEUR JOUR - Shoot Polaroïd avec et sans Flora 10 Anglet - Lieu 2 - 10 (sur pied) Matinée

EXTERIEUR JOUR - Flora et Émile chahutent, rient. Elle 11 Anglet - Lieu 3 - prend la pose pour lui, il la 15 Matinée photographie au polaroïd.

EXTERIEUR JOUR - Shoot Polaroïd avec et sans Flora 12 Anglet - Lieu 3 - 16 (sur pied) Matinée

Cadre polaroïd avec les portraits de 3 13 STUDIO 20 Flora. (Prise de vue en photo)

Cadre polaroïd avec les mêmes 14 STUDIO images que dans le plan précédant. 21 Sans Flora. (Prise de vue en photo) EXTERIEUR JOUR - La caméra tourne autour de Flora. 15 Capbreton - Lieu 1 - 5 Les larmes lui viennent aux yeux. Matinée EXTERIEUR JOUR - La caméra tourne autour de Flora. 16 Anglet - Lieu 2 - 11 Les larmes lui viennent aux yeux. Matinée EXTERIEUR JOUR - La caméra tourne autour de Flora. 17 Anglet - Lieu 3 - 17 Les larmes lui viennent aux yeux. Matinée Flora avance vers la mer entre les EXTERIEUR JOUR - bunkers. Elle accélère le pas jusqu'à 4 18 Capbreton - Lieu 1 - 6 courir. Elle avance dans l'eau jusqu'à Matinée s'immerger totalement. Flora avance vers le bout de la berge. EXTERIEUR JOUR - Elle fixe l'horizon. Elle accélère le pas 19 Anglet - Lieu 2 - jusqu’à courir. Elle disparaît au fur et 12 Matinée à mesure jusqu'à devenir totalement transparente.

122 Flora s'élance vers le ciel. Prises de EXTERIEUR JOUR - vue du lieu vide en vue de 20 Anglet - Lieu 3 - 18 l'incrustation de son corps planant Matinée dans les airs.

Prises de vue de Flora qui plane en 21 STUDIO 19 studio.

123 Découpage technique illustré

Séquence 1 – Intro – 0'00’’ à 0’25’’

Le clip s’ouvre sur une série de plans fixes sur les paysages vides de la plage du Capbreton. Principalement sur les trois lieux dans lesquelles l’action prendra place. Flora et son petit ami apparaissent au fur et à mesure dans le cadre dans des plans d’ensemble très larges.

Plan 1 et 4

Action et cadre Série de plans fixes sur le lieu 1 –Capbreton Plage, Bunkers retournés-. Flora et Émile entrent dans le cadre. Plans très larges. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

VUE CAM 1

124 Plan 2 et 5

Action et cadre Série de plans fixes sur le lieu 2 –berge. Flora et Émile entrent dans le cadre. Plans très larges. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

VUE CAM 1

125 Plan 3 et 6

Action et cadre Série de plans fixes sur le lieu 3. Flora et Émile entrent dans le cadre. Plans très larges. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

VUE CAM 1

126 Séquence 2 – Couplet 1+Refrain 1 – 0’25’’ à 1’12’’

La caméra entre dans l’intimité du couple. Nous le suivons dans sa ballade. Flora prend son petit ami par la main, l’entraîne, virevolte. Elle prend la pose pour lui. Il la photographie au polaroïd. Ils continuent le shoot photo sur trois lieux différents.

Plan 7

Action et cadre Flora et Émile chahutent entre les bunkers, rient. Elle prend la pose pour lui, il la photographie au polaroïd. La scène est filmée en plan fixe, en plan plus serré, face à la mer. Deux autres prises sont tournées à l’épaule en plan moyen: une première qui suit Flora, la seconde qui suit Émile. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

127 Plan 8

Action et cadre Flora prend la pose pour Emile / même image sans Flora. Caméra et objectif Polaroïd 600

128 Plan 9

Action et cadre Flora prend Émile par la main, l'entraine sur la berge. Elle prend la pose pour lui, il la photographie au polaroïd.La scène est filmée en plan fixe, en plan plus serré, face à la mer. Deux autres prises sont tournées à l’épaule en plan moyen: une première qui suit Flora, la seconde qui suit Émile. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

Plan 10

Action et cadre Flora prend la pose pour Emile / même image sans Flora. Caméra et objectif Polaroïd 600

129 Plan 11

Action et cadre Flora et Émile chahutent, rient. Elle prend la pose pour lui, il la photographie au polaroïd. La scène est filmée en plan fixe, en plan plus serré, face à la mer. Deux autres prises sont tournées à l’épaule en plan moyen: une première qui suit Flora, la seconde qui suit Émile. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

Plan 12

Action et cadre Flora prend la pose pour Emile / même image sans Flora. Caméra et objectif Polaroïd 600

130 Séquence 3 – Couplet 2 – 1’12’’ à 1’39’’

Cette séquence alterne entre un plan sur les polaroïds (les portraits de Flora que son petit ami a réalisés sur la plage) collés sur un cadre et Flora, seule au Cap breton. Le cadre est suspendu sur un fond blanc, extrait de tout contexte, comme suspendu, souvenir extrait de sa substance. Tout au long d’un zoom très lent sur ce cadre, Flora disparaît des images. Elle s’efface. Ce zoom est entrecoupé d’images de Flora au Capbreton, seule dans chacun des trois lieux.

Plan 13

Action et cadre Plan fixe sur le cadre avec les portraits de Flora. Caméra et objectif Canon 5D Mark II (prise de vue photographique) / Canon 100mm f/2.8 L. Eclairage 2 boîtes à lumière

131 Plan 14

Action et cadre Plan fixe sur le cadre avec les polaroïds sans Flora. Caméra et objectif Canon 5D Mark II (prise de vue photographique) / Canon 100mm f/2.8 L Eclairage 2 boîtes à lumière Note postproduction Les plans 13 et 14 sont superposés. Le calque avec les portraits de Flora diminue en opacité progressivement. Un léger zoom est ensuite appliqué sur l’ensemble de la séquence.

132 Plan 15

Action et cadre La caméra tourne autour de Flora. Plan taille. Elle fixe l’horizon. Des larmes lui viennent. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

Plan 16

Action et cadre La caméra tourne autour de Flora. Plan taille. Elle fixe l’horizon. Des larmes lui viennent. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

133

Plan 17

Action et cadre La caméra tourne autour de Flora. Plan taille. Elle fixe l’horizon. Des larmes lui viennent. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

134 Séquence 4 – Refrain 2 + Final – 1’39’’ à 2’30’’

La fin du clip est une alternance de plans de Flora, seule dans chacun des lieux. Elle va s’effacer progressivement de différentes manières. Le rythme du montage et la dynamique des images se font de plus en plus intenses tout le long du dernier refrain. La tension monte jusqu’au final du morceau sur lequel on passe d’un lieu, d’un « effacement » à l’autre, guidé par l’atmosphère et le rythme de ces riffs finaux.

Lieu 1 (Plan 18) Flora marche vers la mer. Elle traverse les bunkers retournés. Elle accélère le pas, puis court vers l’eau jusqu’au à s’y immerger complètement.

Lieu 2 (Plan 19) Flora marche vers le bout du ponton, elle accélère le pas, puis court, disparaissant –visuellement- progressivement jusqu’à la transparence totale.

Lieu 3 (Plans 20 et 21) Flora s’envole au ralenti puis plane, jusqu’à sortir du cadre.

135 Plan 18

Action et cadre Flora marche vers la mer. Elle traverse les bunkers retournés. Elle accélère le pas, puis court vers l’eau jusqu’au à s’y immerger complètement. L’action est filmée depuis plusieurs angles en plan fixe (cam 1, 2 et 3 sur le plan ci-dessous). Une prise supplémentaire sera tournée en suivant Flora en plan moyen, à l’épaule. Enfin, une dernière prise sera effectuée avec une Go Pro 3, fixée sur la tête de Flora, pour avoir une vision subjective au moment de l’immersion.

Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm + Go Pro 3

136 Plan 19

Action et cadre Flora marche vers le bout du ponton, elle accélère le pas, puis court, disparaissant –visuellement- progressivement jusqu’à la transparence totale. L’action est filmée depuis 4 points de vue en plan fixe (cf. plan). Chaque angle de vue est tourné une seconde fois sans Flora. Cela permettra d’effectuer l’effet de transparence en postproduction, en superposant les deux couches et en modifiant progressivement l’opacité du plan avec Flora.

Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

137 Plan 20

Action et cadre Flora s'élance vers le ciel. + Prises de vue du lieu vide en plan fixe (en vue de l'incrustation de son corps planant dans les airs). Et ce, du même point de vue avec 3 valeurs de plan. Caméra et objectif RED Scarlet-X et 10-22mm & 24-70mm

138 Plan 21

Action et cadre Flora plane dans le ciel. Prises de vue de Flora en studio. Flora saute sur un trampoline. Cette action est filmée avec 3 valeurs de plan différentes, correspondant à celles des plans fixes tournés à Anglet en vue de l’incrustation. Ils seront ensuite très largement ralentis (6% de la vitesse réelle). Caméra et objectif Phantom

139

Note technique

La phantom sera utilisée à 400im/sec afin d’obtenir un ralenti à 6% de la vitesse réelle une fois le rush transposer à 24im/sec. Les « sources mur » permettent d’éclairer le fond vert (pour permettre le détourage de Flora). Les polys sont dressées entre ces sources et Flora pour éviter de parasiter l’éclairage qui lui est dédié. La grande source diffuse permet d’éclairer Flora comme elle l’aurait été par la lumière du jour.

La caméra sera positionnée à la même hauteur et orientée avec le même angle (en hauteur) qu’à Anglet pour obtenir une incrustation crédible au niveau des perspectives. Les même optiques seront utilisées successivement (18 / 35 et 85mm) et la caméra sera positionnée à la même distance de Floa qu’à Anglet (environ 10m)

140 Fin – 2’30 à 2’45’’

Le clip se conclut sur trois plans fixes des trois lieux, en silence. Après le tumulte de la scène finale et la disparition de Flora. Crédits.

141 Focales de travail

Kit optiques Phantom : 18mm / 25mm / 35mm / 50mm / 85mm Crop factor Phantom : 1,4 Focales 35mm équivalentes : 25mm / 35mm / 50mm / 70mm / 120mm

Kit optiques RED Scarlet EF : 10-22mm / 24-70mm / 50mm Crop factor en 3K : 2,17 Focales 35mm équivalentes : 27-48mm / 52-152mm / 108mm Crop factor en 2K : 3,25 Focales 35mm équivalentes : 32-71,5mm / 78-227mm / 162mm

Focales à utiliser pour la séquence d’incrustation (au tournage Cap Breton): Focales 35mm équivalentes : 25mm / 50mm / 120mm Focale sur le tournage avec la RED Scarlet EF : 11,5mm / 24mm / 55mm Distance du modèle : 9m

142 Budget, flux de production et plan de travail

BUDGET - WASHED AWAY Polaroïds + Cadre 157 Location Bungalow 170 Déplacement 350 Location Red Scarlet 460 Trampoline 70 Nourriture 100 Accessoires / Stylisme 70 Location Canon 10-22mm 50 TOTAL 1427

REMBOURSEMENT ECOLE 500

INVESTISSEMENT PERSONNEL 927

BUDGET TOTAL DU CLIP DANS CONDITIONS PROFESSIONNELLES (APPROXIMATIF) Location Studio (1 jour 1/2) 1500 Location Phantom HD (1 jour) 1000 Location optiques 400 Cachet Arthur (5 jours) 750 Cachet Pierre (5 jours) 750 Cachet Rod (5 jours) 750 Cachet Razmo (1 jour) 150 Cachet Flora (1 jour) 150 Cachet Théo (3 jours) 450 Cachet Quentin (2 jours) 300 Cachet Julia (1 jour) 150 TOTAL 6350 BUDGET REEL 1427 TOTAL (+ BUDGET REEL) 7777

143

Display LUT LUT Display 24fps DCIXYZ_Log2Lin 2K (1998x1080 - 1,85) DPX XYZ 10 bit Full Range XYZ 10 bit Full DPX Conforming DCP Encoding R3D/DPX Color Grading Color R3D/DPX

EDL for VFX integration (working : 2048x1080 @ 24fps) resolution

XML for conformation Digital Cut

2048x1080 H.264 DCIXYZ_Log2Lin Input Burnin LUT On Line Editing DPX (working : 2048x1080 @ 24fps) resolution 2K 1,89 RGB 10bit Full Range 2K 1,89 RGB 10bit Full with Reel Name and TC Metadata TC with Reel Name and

EDL with locators for VFX 3K @ 24fps

Apple Proress 422LT DigitalCut

2048x1080 H.264 Composited VFX Composited

! ow Work Away Washed 2K @ 24fps Apple Proress 422LT Proress Apple 24fps @ 2K Compositing 3K @ 24fps (3072x1620) Center Crop extraction used for VFX and Pan/Resize extraction Crop used for Center Transcode Apple Proress 422 LT Proress Apple Transcode Display LUT LUT Display R3D from Scarlet R3D from sRGB_XYZLog2Lin Input LUT (Lin2Log) Input LUT DPX from Phantom Phantom from DPX - decode using : Clip - decode Debayer parameters : parameters Debayer ------color science : Version 2 Version : science - color - color space : REDcolor 3 : REDcolor space - color - gamma curve : REDlogFilm Transcode 2k @ 24fps (2048x2048) Transcode - debayer quality : Full Res Premium quality : Full - debayer R3D DPX Transcode DPX 3K @ 24fps (3072x1620) DPX Transcode 2K 555fps 3K 48/24fps (2048x2048 - 1) (3072x1620 - 1,89) SCARLET

144

x 5 3 9h 14 plans 13, Mardi Studio 14-mai Liste 3 9h-13h Studio ENSLL Vincennes : 8h Vincennes 20 Rue Ampère, 20 Rue Ampère, Plan de travail SEQ.3 93200 Saint-Denis x x x x x x x 4 4 plans 21 8h30 Mardi Studio 07-mai Liste 2 9h-19h Studio ENSLL SEQ.4 20 Rue Ampère, 20 Rue Ampère, Vincennes : 7h30 Vincennes 93200 Saint-Denis x x x x x 3 6h plans 18 plans 15 plans 1, 4 Jour plans 7, 8 Lundi 1,2,3,4 06-mai Liste 1 6h30-12h Capbreton, Capbreton, SEQ.4 SEQ.3 Camping : 5h30 SEQ.1 Aquitaine, France SEQ.2 Chemin de la Mer, Chemin de la Mer, Capbreton - Lieu 1 Capbreton plans 17 x x x x x 2 6h plans 20 plans 3, 6 plans 10, Jour 1,2,3,4 05-mai Liste 1 6h30-12h Dimanche Cavaliers / Avenue des Avenue SEQ.3 Boulevard des Boulevard Anglet - Lieu 3 Plages, Anglet, SEQ.4 Camping : 5h30 SEQ.1 SEQ.2 Aquitaine, France 11 x x x x x 1 6h plans 16 plans 19 plans 2, 5 Jour plans 9, 10 1,2,3,4 04-mai Liste 1 Samedi 6h30-12h Cavaliers / Avenue des Avenue Boulevard des Boulevard Anglet - Lieu 2 Plages, Anglet, SEQ.3 SEQ.4 Camping : 5h30 SEQ.1 Aquitaine, France SEQ.2 x x x 16h Jour 03-mai 9h-18h ENS LL ROUTE ROUTE Labenne Vendredi plage 40530 Vincennes : 8h Vincennes 38 Avenue de la 38 Avenue x x x x 9h Jour Jeudi Denis 02-mai 9h-18h TESTS TESTS 93200 Saint- Studio ENSLL Vincennes : 8h Vincennes 20 Rue Ampère, 20 Rue Ampère, x x x 16h Jour 01-mai 16h-20h Mercredi PRISE CAM Reims : 13h30 78 220 Achères Plans N° SEQ. Rodrigue Huart Saba-Aris Pierre Brice Barbier Arthur Briet Quentin Labail Flora Fishbach Maxime Ducrot Washed Away Washed Jour de tournage Jour Date Départ Heure arrivée Heure arrivée Adresse Horaire Jour/Mixe/Nuit Lieu Poste Réalisation Assist. Réal Chef Op 2 Chef Opérateur Responsable VFX Personnage/Rôle Flora Emile Matériel

145 Entretiens

Abteen Bagheri

24 ans, américain. Réalisateur américain de clips musicaux. http://abteen.org/

Entretien réalisé en anglais, via Skype, le 4 mars 2013

R. Quelle est ta principale activité ? La réalisation de clips musicaux ? Ou du documentaire ? J’ai vu sur ton site que tu avais tourné un documentaire.

A. Pour l’instant, je fais principalement des clips musicaux.

R. J’ai pu voir que tu tenais un blog photo. Exerces-tu cette pratique professionnellement ?

A. Non, c’est vraiment pour le plaisir, je ne suis pas photographe professionnel.

146 R. Et comment définirais tu ton utilisation de la photographie, comment définirais tu tes photographies ?

A. Je dirais que ce sont juste des moments de vie capturés. Je m’amuse en ce moment à prendre très souvent avec moi un petit appareil photo argentique. Mais, je ne ré éclaire jamais quand je fais mes photos, je capture juste la réalité.

R. Dans tes clips, même si c’est plus esthétisé, on retrouve cette idée de capturer des moments de vie. Je pense au clip de Delta Spirit, Califonia. Le spectateur est à l’intérieur de ce groupe d’ados comme si il « trainait » avec eux.

A. Oui ! Pour ce clip, nous sommes allés voir un concert punk rock et nous avons rencontré là-bas des ados de cette scène à qui nous avons proposé de jouer dans le clip. Seul le rôle principal féminin a été casté « professionnellement. Avec des clips à petit budget, c’est difficile d’avoir vraiment de bons acteurs donc il faut essayer de se rapprocher un maximum de la réalité en castant des personnes « authentiques. On appelle ça du « street casting ».

R. Très bien. Et comment es-tu arrivé dans le clip musical ? Quelle est ta formation, ton « background », ton parcours ?

A. Je suis allé à Stanford University, j’ai fini mes études en 2011. J’y ai étudié la littérature et « creative writing » (poésie, fiction). J’y ai aussi suivant des cours de cinéma. Ils n’étaient pas centrés sur la production, mais plutôt sur l’écriture. Et j’en suis content, car la plupart des gens que je rencontre qui travaille en production n’ont pas forcément eu l’occasion de travailler sur ce côté plus théorique de l’écriture. De toute façon, je ne pense pas la production est quelque chose que l’on peut vraiment apprendre en cours.

R. Tu as donc appris la partie technique de ton travail de façon autodidacte ?

A. Oui, je le fais depuis ma jeunesse. Je faisais des courts métrages. À Stanford, il y avait la « Film Society » qui avait de l’équipement. Personne n’utilisait l matériel alors je j’utilisais tout le temps. J’ai fait beaucoup de courts métrages. Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai voulu me tourner vers le clip musical donc j’en ai fait un pour Asap Rocky (http://www.youtube.com/watch?v=ob3ktDxAjWI). Je lui ai proposé au bon moment,

147 car il n’avait pas encore signé en maison de disque, il était complètement indépendant. Ça a donc été facile d’avoir cette possibilité. Le clip a bien fonctionné et j’ai commencé à avoir du travail.

R. Une petite question que je pose à tous les réalisateurs que j’interroge, avec quelle caméra préfères-tu travailler ?

A. Question difficile. J’ai l’habitude de répondre l’Arri Alexa, c’est celle avec laquelle nous avons tourné Delta Spirit. C’est elle qui donne un rendu le plus proche du film. Mais j’aime aussi beaucoup la Red Epic. Le rendu est complètement différent. C’est comme si Red disait « oubliez le film », le numérique est une nouvelle esthétique. J’aime les images nettes qu’elle peut donner. Elle est aussi plus petite que l’Alexa.

R. Tu as tourné pas mal de tes vidéos au 5D ? Asap Rocky par exemple ?

A. Oui, c’est le seul clip que j’ai tourné au 5D. J’ai ensuite toujours eu la chance d’avoir des budgets de productions permettant de tourner avec des caméras « plus performantes ».

R. Je trouve quelque chose d’assez étonnant dans ton travail. Tu tournes avec des clips ayant assez de budget pour avoir du matériel comme des Alexa ou des Red Epc, mais on sent une façon de faire très proche de la scène indépendante. Par exemple avec le clip de Millimars, qui je suppose a été tourné très rapidement, n’est- ce pas ?

A. 2 jours et demi pour ce clip oui. Ce que j’aime en travaillant sur des « independants videos », c’est que même si le budget est plus petit, par exemple le budget de Delta Spirit était 7000 dollars -, on tourne pendant 3 jours. Les gens présents sur le tournage sont motivés, car ils sont ici par envie. On peut tourner plus longtemps. À l’opposé, j’ai réalisé un clip à 90 000 dollars ou même le clip des Presets qui était un clip à 30 000 dollars. Nous avons tourné ce clip en Australie et les jours de travail durent 8 h en Australie donc nous avons seulement tourné 16 h au total ! J’ai l’habitude de tourner 14 h en un jour et encore 12 h le jour suivant… J’ai aussi réalisé un clip pour une chanteuse pop anglaise, Arlissa (le clip à 90 000 dollars). L’équipe du label musical était sur le tournage et ils voulaient changer pas mal d’idées que j’avais en tête. Au final, je ne

148 suis pas très fier de la vidéo. Il y avait une équipe d’environ 30 personnes ce que je trouve vraiment trop pour ce genre de vidéos. Ça nous a beaucoup ralentis.

R. Comment regardes-tu des clips musicaux ? Que regardes-tu ?

A. Je regarde surtout des films, car c’est vraiment ça que je voudrais faire par la suite. Je regarde beaucoup de clips de mes amis réalisateurs. Cela fait déjà pas mal de clips à regarder… !

R. Quel genre de films voudrais-tu réaliser ?

A. J’aimerais écrire un thriller. J’ai fait du documentaire, tourner 12 jours à New Orleans, et on en a tiré des images très authentiques des gens sur place. Si je devais faire un film maintenant, ce serait entre le documentaire et la fiction. Troubler le spectateur sur la frontière entre réalité et fiction. Par exemple, aller sur des lieux avec un script et faire inter réagir les personnages fictionnels avec la réalité du lieu et des personnes qui l’habitent.

R. Comment décrierait ton rôle de réalisateur ? Comment se passe le processus créatif ?

A. Dans un premier temps, j’écris une proposition. En général, cela prend une journée ou deux jours si je peux avoir un peu plus de temps. Les réalisateurs de clips écrivent très souvent des propositions, car nous sommes quasiment en permanence à la recherche du prochain travail. Cela peut-être frustrant. Parfois, j’écris des choses qui m’excitent beaucoup, mais qui ne sont pas retenues. C’est ce qui fait que les clips que j’ai réalisées ne sont pas nécessairement les idées dont je suis le plus fier, mais celles qui ont été choisies. Je travaille avec un chef opérateur, Isaac Bauman (http://isaacbauman.com/). Une fois que je suis choisi pour une vidéo, on se retrouve pour discuter du pitch, du rendu que l’on veut donner au clip, des optiques et des caméras à utiliser… J’écris alors une « shot-list » qui liste les plans principaux de la vidéo. Ces listes sont assez courtes. Sur le tournage, je n’utilise presque pas cette « shot- list ». Je m’en sers juste de référence pour être sûr de ne pas oublier de filmer quelque chose, mais la plupart du temps, j’aime beaucoup improviser. Je tourne principalement « on locations », assez peu en studio. De cette manière, il se passe souvent quelque chose

149 que l’on n’attendait pas et c’est ça que l’on veut filmer. Ou au contraire, un des plans n’est finalement pas réalisable sur place et il faut trouver des solutions créatives pour pallier au problème. Je ne fais pas de story-boards.

R. Et quelles sont tes sources d’inspiration quand tu dois écrire si vite ?

A. C’est différent à chaque fois. Des fois, j’entends la chanson et je sais immédiatement dans quel monde je veux que sois la vidéo soit. Quand j’écoute une chanson des centaines de fois, assis, sans trouver d’idée rapidement, je prends un peu de recul. Je regarde des films qui peuvent se rapprocher de l’univers visuel du groupe ou je sors faire du sport en écoutant la chanson. Je n’ai pas de méthode spécifique. C’est la partie la plus difficile, trouver une idée dont on est fier et qui convaincra également le label, la maison de disque et l’artiste.

R. Dans mon mémoire, je développe l’idée que les clips musicaux sont un médium hybride, entre cinéma, photographie et musique. Je sais que tu es photographe, même si ce n’est pas de professionnellement. Est-ce que tu vois un lien entre ton travail photographique et vidéo ?

A. Oui. Je pense que les meilleures photographies que j’ai pu réaliser sont avec des sujets humains dans le cadre, des personnages. Je retrouve cette sensibilité pour mes clips musicaux. Je pense que même quand on a des lieux de tournages excellents, tant qu’un personnage n’entre pas dans le cadre, ce n’est pas cinématographique. Je pense que si je pratiquais plus la photographie, je documenterais des « subcultures ». Je trouve intéressant de montrer des choses qui ne sont habituellement pas visibles. C’est quelque chose que j’ai souvent en tête pour mes clips musicaux.

R. En parlant de « subcultures », tu as commencé en réalisant un clip pour Asap Rocky, es-tu particulièrement fan de hip-hop ou est-ce plutôt une question de hasard ?

A. J’aime le hip-hop, mais c’est n’est pas forcément mon préféré. J’écoute beaucoup de styles différents. J’ai grandi en regardant MTV et les meilleures vidéos quand j’étais adolescent étaient celles de Hip-Hop, car ils avaient toujours les plus gros budgets. Et puis, j’aime la fluidité de la performance hip-hop. J’aimerais faire plus de clips pour du

150 hip-hop, mais les artistes sont souvent assez compliqués. Asap Rocky a été sympa sur le tournage, mais à la sortie du clip, il s’est crédité en tant que coréalisateur du clip sans rien me demander ! Il avait en fait juste proposé de tourner le clip dans son quartier, mais nous avons fait tous les repérages avec mon chef opérateur. Nous tournions à Harlem et nous n’avons eu besoin que de faire le tour 2 ou 3 pâtés de maisons pour trouver tous les lieux de tournage grâce à la diversité du décor. Nous avons tout fait à pied. Joung Jeezy, un rappeur américain très connu voulait que je réalise un court métrage pour lui à Mexico. J’en ai discuté avec son manager et les échanges étaient bons. Mais ensuite, Joung Jeezy me dit qu’il veut partir le lendemain à Mexico pour filmer. Mais on ne savait même pas quoi filmer… ! Je lui ai répondu qu’on ne pas juste y aller, qu’il fallait y réfléchir avant, faire de l’écriture. Je pense que beaucoup de clips hip-hop actuels sont vraiment mauvais, ils deviennent paresseux. Car ils savent que, quelle que soit la vidéo qu’ils posteront, ils auront quand même des millions de vues sur YouTube.

R. Tu utilises souvent le slow motion, c’est assez commun dans les clips musicaux. Je vois ça d’un œil photographique et me dit que c’est une façon d’étirer « le moment décisif » comme pouvait le concevoir Henri Cartier Bresson. J’aimerais connaître tes motivations pour utiliser du slow motion.

A. Il y en a plusieurs. J’ai grandi en faisant des courts métrages, rêvant de réaliser des slow motions, mais je n’avais pas de matériel pour le faire. Je suppose que dès que j’ai pu avoir des budgets le permettant, j’ai sauté sur l’occasion ! Aussi, je travaille souvent avec des personnes qui ne sont pas acteurs et ils ne sont pas forcément très à l’aise ou habitués à être dirigés. Quand j’utilise le slow motion, c’est souvent que je trouve LA seconde à laquelle le personnage donne une attitude, fait un mouvement qui colle à mon idée de l’esthétique du clip. Cette fameuse seconde devient finalement 4 secondes et je peux alors l’utiliser. Quand je filme des « non-actors », je filme systématiquement à un frame-rate plus élevé, car je sais que j’en aurai besoin comme j’expliquais précédemment. J’utilise aussi le slow motion quand la dynamique de la chanson m’inspire ce genre de mouvements.

151 R. Pour continuer dans le champ photographique, je pense que le clip que tu as réalisé pour les Presets, Ghost, est ton travail le plus photographique. J’aimerais savoir si tu avais des influences photographiques pour ce clip. Personnellement, il m’a beaucoup fait penser à la photo du plongeon de Kertesz. Tu filmes des plongeons au ralenti, en noir et blanc. Est-ce une influence ?

A. Non ! J’aurais aimé connaître ce photographe avant de tourner ce clip ! Ce qui est marrant avec ce clip, c’est que j’avais un premier script pour le clip et finalement, je l’ai repris de zéro à 2 heures du matin pour écrire en une heure cette proposition avec les plongeurs. Je ne pensais vraiment pas que j’allais gagner l’appel d’offres… Mais ils ont aimé ! La plus grande influence pour ce travail est le film « Olympia » de Leni Riefenstahl. C’est un film allemand de propagande des années 30 aux influences nazies, ayant pour but de démontrer la supériorité des athlètes allemands. Mais les images de ces olympiades sont magnifiques, en noir et blanc, avec des slow motions, des images jouées à l’envers… Leni Riefenstahl filme plusieurs sports et il y a une séquence sur les plongeurs qui m’a inspiré le clip. Nous avons ensuite regardé quelques films en noir et blanc avec mon chef opérateur, car la façon d’éclairer pour du noir et blanc et très différente que pour la couleur. On l’a tourné en couleur, mais tous les moniteurs sur le tournage ont été réglés en noir et blanc. Si tu voyais les rushs en couleur, ça ne paraît pas du tout naturel, les lumières n’ont aucun sens ! En noir et blanc, c’est cool quand les lumières ne font pas forcément sens. Mon chef opérateur en parlerait mieux que moi. Par exemple, quand on tourne en couleur, j’aime que le rendu soit naturel. Nous n’avons alors qu’une ou deux sources et elles sont positionnées de façon sensée, par exemple pour simuler une arrivée de lumière par la fenêtre, une lampe, pour tourner les images du clip des Presets, il y avait beaucoup plus de sources, et il n’y avait pas forcément de sens général de la lumière. On voulait plutôt créer un espace lumineux surréaliste. Le plus important était de mettre en valeur les corps.

R. Une autre dimension photographique de ce clip est cette façon de monter à la suite des portraits des plongeurs, en plan fixe. On retrouve ce schéma dans l’intro du clip de Millimars.

A. Oui ! Je dirais que les portraits du clip des Presets sont inspirés par le Hip-Hop. Particulièrement, le clip « ha » de Juvenile réalisé par Mark Romanek qui est composé

152 de séquences dans lesquelles le rappeur dit son texte face caméra dans son quartier, entrecoupés de portraits des habitants. Je voulais mettre les enfants du clip des Presets devant la caméra pour me connecter avec eux émotionnellement avant qu’ils montent sur le plongeoir.

R. À propos de ces portraits, pourquoi ne pas avoir choisi de les tourner sur trépied, mais à l’épaule ? Étant donné qu’ils sont assez composés et photographiques.

A. J’ai pensé que ce serait plus organique ainsi. Et puis, ces portraits sont tous en slow motion, ce qui donne une impression de flottement de la caméra qui me plaît. J’ai pensé que le rendu serait plus vivant de cette manière plutôt que de poser la caméra sur pied.

R. J’aimerais maintenant te demander ton avis sur le Canon 5D Mark II. Il a créé une connexion entre les photographes et les réalisateurs et ouvert une voie aux réalisateurs de clips indépendants.

A. J’adore le 5D. Je l’ai utilisé à l’université pour faire un court métrage. Avant le 5D, la seule façon d’avoir de très courtes profondeurs de champs et des objectifs interchangeables était de tourner en film, ce qui est très cher. Le 5D coute moins de la moitié d’une optique pour une caméra RED ! Quand il est sorti, j’étais très impressionné pour la qualité d’image, particulièrement en basse lumière. Dés que je l’ai eu dans les mains, j’ai tourné des images en extérieur, de nuit, et j’ai trouvé ça fou. Ce j’aime aussi avec cet appareil, c’est sa taille. En comparaison avec des caméras comme l’Alexa, c’est minuscule. Quand on l’a utilisé pour le clip d’Asap Rocky, le chef opérateur pouvait tourner très facilement autour de lui, en le tenant simplement à la main. C’est quelque chose qui est complètement impossible avec d’autres caméras pour lesquelles il faut des rigs adaptés. Et même avec les accessoires adaptés, il est rare que l’on puisse retrouver la liberté de mouvement que permet le 5D. Je viens de tourner un documentaire avec la Canon C300. Je définirais cette caméra comme un hybride entre un 5D et une Alexa. Elle est petite et donne de très bonnes images en basse lumière. C’était parfait pour ce tournage, car nous allions au contact des gens et avec une plus grosse caméra, je pense qu’ils auraient été intimidés. Avec la C300, les gens pensent

153 presque que c’est juste un appareil photo et n’imaginent pas que ça puisse donner des images très cinématographiques.

R. Grâce au 5D, des centaines de clips sortent chaque jour, car c’est maintenant à la portée de tous. Quel est ton point de vue sur ce phénomène. Le ressens-tu comme une « menace » professionnellement ?

A. C’est difficile pour moi de me positionner, car, en quelque sorte, c’est grâce au 5D que je suis aujourd’hui un réalisateur de clips musicaux. Dans un sens, je suis la menace (rire). Sérieusement, même si n’importe qui peut maintenant faire des vidéos, cela prend toujours énormément de temps et de travail pour produire un contenu de qualité. Je vois beaucoup de clips tournés au 5D et ils sont très souvent mauvais. Mais, en m’imaginant il y a 5/6 ans, avant YouTube, je ne saurais même pas imaginer comment les réalisateurs perçaient. Ça devait être très difficile.

R. Les DSLRs ont aussi amené un nouveau rendu. Il semble partout aujourd’hui ! Une réponse intéressante se profile avec l’arrivée de la Black Magic Cinema Camera qui offre la possibilité de tourner en 2,5K, avec un plus petit capteur, dans une gamme de prix équivalente.

A. J’ai hâte de l’essayer. J’aime quand la netteté s’étend sur une grande distance. En effet, avec ma façon de travailler, les choses intéressantes ne se passent pas toujours forcément au premier plan. Quand il est possible d’avoir de la vie dans ces images à plusieurs niveaux, c’est intéressant.

R. Pour conclure, les clips interactifs se développent, proposant une nouvelle forme de narration. T’en es-tu intéressé ?

A. Oui, j’en ai vu quelques un. J’ai été marqué par celui d’Arcade Fire réalisé par Chris Milk. J’en ai vu quelques un qui propose des fins alternatives comme celui de Chairlift. Le spectateur choisit la tournure des événements à suivre. C’est un concept assez difficile à assimiler dans ma pratique. Quand je veux raconter une histoire, je veux avoir le pouvoir sur celle-ci. Cependant, je ne suis pas totalement fermé pour travailler sur un projet de ce type. C’est complètement nouveau, ajouter de l’interactivité ouvre un énorme champ de possibilités.

154 Pablo Maestres

29 ans, espagnol. Réalisateur de clips musicaux et photographe. http://www.pablomaestres.com/

Entretien réalisé en anglais, via Skype, le 8 mars 2013

R. J’aimerais commencer cet entretien avec des questions plutôt générales. Concernant tes activités, j’ai vu que faisait de la photographie en parallèle avec les clips musicaux. Est-ce une activité professionnelle ou une démarche plus personnelle ?

P. J’ai commencé à travailler en tant que photographe. Puis le hasard m’a amené à travailler des clips musicaux. J’y ai vu une opportunité intéressante pour mêler musique et photographie grâce à la vidéo. Quand je conçois mes clips, je réfléchis toujours à partir de photographies. Mes références sont principalement photographiques.

R. Quelle est ta formation ?

P. J’ai commencé par étudier la communication visuelle à l’université. Ce n’est pas très commun. Toutes les personnes que j’ai pu rencontrer travaillant sur des clips musicaux viennent d’écoles de cinéma ou de photographie. J’ai appris la photographie et

155 la vidéo par moi même, en photographiant et réalisant des clips pour des groupes de musique indépendants.

R. En parcourant ton site, j’ai trouvé qu’il existait un lien très fort entre ton travail photographique et tes clips. On retrouve des éléments, des leitmotivs dans tes deux pratiques. Par exemple les corps en suspension du clip de All That, de Fur Voice, que l’on retrouve souvent dans tes photographies.

P. Oui. J’aime beaucoup utiliser les personnes et objets volants (rire). Pour Fur Voice, je voulais créer une atmosphère particulière, avec une suite d’évènements intrigants. Ma principale influence pour cette vidéo a été Gregory Crewdson.

R. J’avais en effet noté pour ce clip des rapprochements avec l’univers de Crewdson, par exemple le plan de la femme à côté de la voiture.

P. Oui, je voulais utiliser le même genre de lumières que dans les photographies de Crewdson pour créer l’atmosphère de la vidéo. J’essaye toujours de mettre mon regard de photographe dans mes clips. Pour moi, les deux pratiques sont liées. Je réfléchis de la même manière pour les deux médiums. Et quand je ne trouve pas les photographies parfaites pour décrire l’ambiance que je veux donner à une vidéo dans mon moodboard, je réalise les images moi même.

R. Ce clip est assez complexe. Comment l’as-tu conçu ? L’as tu pensé plan par plan et story-boardé avant le tournage ?

P. Oui. Quand je prépare un clip, je divise la chanson en plusieurs parties dans lesquelles je répertorie tous les plans que je veux tourner. J’ai toutes les images dans ma tête. J’ai déjà une idée très claire du montage final avant le tournage : les images à mettre sur les impacts, la dynamique… J’ai besoin de cadrer très précisément mon travail avant le tournage. C’est ma façon de faire. Je laisse très peu de place à l’improvisation. Tout est écrit à l’avance. Mais le tournage a été très compliqué pour Fur Voice. Je n’ai pas pu réaliser tous les plans que je voulais. J’ai donc dû m’adapter au moment du montage et repenser quelques enchainements, mais la structure est bien celle que j’avais imaginée au moment de l’écriture.

156 R. Tu utilises fréquemment le slow motion. Penses-tu que cela vient de ton regard de photographe ?

P. Je ne suis pas forcément « fan » du slow motion. Je l’utilise quand, à l’écoute de la chanson, le slow motion me semble intéressant pour la dynamique des images. De plus, le slow motion décuple souvent l’impact visuel. Je porte aussi beaucoup d’attention à la composition de mes images, que je construis comme mes photographies. J’utilise souvent des travellings pour donner vie à ces compositions, donner vie à la photographie. Encore une fois, c’est une manière de mêler mes deux pratiques.

R. Dans ta vidéo Be Brave Benjamin, je pense que l’utilisation du slow motion a une dimension narrative. Toutes les actions sont filmées au ralenti sans qu’on n’en voie jamais « l’instant décisif ». C’est comme si, grâce au ralenti, tu travaillais constamment sur « l’instant décisif » sans jamais le montrer.

P. Pour cette vidéo, je ne voulais rien montrer de violent à l’écran. De là m’est venue l’idée de couper toutes les actions juste avant qu’elles se concrétisent. C’est une façon de rendre cette notion « d’instant décisif » plus intense.

R. C’est donc toi qui montes tes vidéos ?

P. Oui, toujours.

R. J’aimerais maintenant te demander ton avis sur le Canon 5D Mark II. Il a créé une connexion entre les photographes et les réalisateurs et ouvert une voie aux réalisateurs de clips indépendants. Quasiment n’importe qui peut maintenant avec les moyens de réaliser un clip. Le vis-tu comme « une menace » ?

P. Oui et non. J’ai réalisé mes premières vidéos avec un 5D, car je n’avais pas de budget. Je déteste le rendu de cet appareil aujourd’hui. Ça a été très à la mode il y a 5 ans. Il y a tellement eu de vidéos réalisées avec cet appareil, c’est fini maintenant. Ou alors, toute une panoplie de plug-ins est utilisée pour changer le rendu du 5D. Mais, je peux difficilement dire que c’est un mauvais outil, car il m’a permis de débuter et de réaliser mes premières vidéos. Aujourd’hui, je travaille principalement avec la ARRI Alexa ou la RED Epic. Je préfère utiliser la RED Epic quand j’ai le choix. Mais pour Fur Voice, j’ai utilisé l’Alexa, car il y a beaucoup de plans de nuit. L’Alexa était plus

157 adaptée, car elle a une meilleure sensibilité. Cette caractéristique permet de réduire le budget éclairage pour rentrer dans les frais de production. Mon rêve est de tourner en 35 mm, mais c’est extrêmement cher.

R. Et pour tes photographies, quel matériel utilises-tu ?

P. J’utilise un Bronica SQ, un appareil moyen format 6x6 pour mes photos argentiques. Pour le numérique, j’utilise un Nikon D90. Ce n’est pas le meilleur appareil photo, mais ça me va, car j’arrive à faire tout ce dont j’ai envie avec.

R. En parlant de ta pratique photographique, comment te décrirais-tu en tant que photographe ?

P. Ce qui est important pour moi et de capter les choses avec spontanéité. Pour certains projets, j’ai organisé des fêtes avec des amis dans le seul but de réaliser des photographies. Par exemple, pour Enjoy it, j’ai invité mes amis à faire à se retrouver sur mon toit, pour faire la fête et s’amuser avec de l’eau. Les images de la série sont toutes tirées de ce moment. C’est le genre de choses que j’aime faire pour mes projets personnels. J’ai besoin de spontanéité. Je réalise aussi des pochettes d’album, le plan de travail est alors différent. C’est moins spontané, je présente des dessins que je fais valider avant de réaliser une image la plus proche possible de la maquette.

R. Est-ce que tu vends tes images en galerie ?

P. Non, je n’ai pas envie de faire ça (rire). J’ai déjà exposé en galerie, mais ça me semble étrange. Ces photos sont numériques, photoshopées et elles ne me semblent pas légitimes dans ce cadre. Quand j’achète une photographie en galerie, j’estime qu’elle ne doit pas être retouchée. C’est une « règle » que j’ai pour mes achats et je l’applique à mon travail, à moi-même. Je sais que c’est un peu « vieux jeu », mais c’est ma façon de voir les choses (rire). Cette année, j’ai fait très peu de photographie, car j’étais très occupé avec les clips.

158 R. Pour revenir à la vidéo et aux questions de rendu, les pratiques amateurs se généralisent en parallèle avec l’iPhone, la Go Pro. Ces pratiques et esthétiques sont réutilisées par les créatifs dans leur travail. Qu’en penses-tu ? Instagram et le retour du vintage ont par exemple un impact énorme sur les étalonnages des clips…

P. C’est vrai. Instagram, Tumblr, Flickr… Toutes ces plateformes créent les tendances du moment. Et beaucoup de réalisateurs utilisent ces bases de données comme référence pour créer leurs clips. Ça m’arrive aussi ! Mais je préfère revenir à mes grandes influences photographiques, comme par exemple Crewdson comme j’ai pu l’évoquer plus tôt au sujet de Fur Voice. Quand tu me parles de ce phénomène, je pense immédiatement au clip de Rihanna, We Found Love. Il me donne l’impression que la réalisatrice (Melina Matsoukas) a récupéré toutes les références de Tumblr, Flickr et Instagram pour les assembler et en faire un clip. On retrouve des motifs visuels récurrents sur ces plateformes comme des personnages utilisant des fumigènes de couleur… En plus de la question du rendu s’ajoute les poses, les motifs visuels qui deviennent eux-mêmes des références.

R. Pour finir, les clips interactifs se développent, proposant une nouvelle forme de narration, t’y es-tu intéressé ?

P. Oui, ça m’amuse. Mais, je ne me sens pas vraiment concerné en tant que réalisateur. Encore une fois, je suis « vieux jeu » (rire). Mais, j’aime concevoir un clip musical avec un début et une fin. Après, je suis un peu gainé par certains types d’interactivités qui sont purement commerciales. J’ai vu des clips dans lesquels des fenêtres cliquables apparaissent au sein même de la vidéo permettant d’acheter le morceau ou l’album de l’artiste. Je pense que ce genre de protocole joue en la défaveur du clip, car il mélange le commerce au clip musical. Ce sont pour moi deux mondes différents.

R. Je vois ce que tu veux dire. Mais le clip musical lui-même est une forme de publicité pour l’artiste, tu ne penses pas ?

P. Oui, en effet. Mais aujourd’hui, je pense qu’on peut parler de clip musical « d’auteur ». Beaucoup de clips qui sortent maintenant sont des créations artistiques à part entière. Le côté commercial se situe maintenant plus dans les placements produits

159 que l’on peut voir dans des clips mainstreams. On y retrouve des marques de casques audios, de boissons, de voitures…

Roger Ballen

62 ans, américain Photographe, réalisateur de I Fink U Freeky pour Die Antwoord http://www.rogerballen.com/

Entretien réalisé en anglais, via Skype, le 13 mars 2013

R. J’aimerais dans cette interview discuter principalement de votre travail sur I Fink U Freeky de Die Antwoord. Regardez-vous des clips musicaux ?

RB. Pour être honnête, je n’en regarde quasiment jamais. D’ailleurs, j’écoute assez peu de musique ! J’ai une sensibilité principalement aux arts visuels. D’ailleurs, je pense que le clip I Fink U Freeky est unique, car il ne dépend d’aucune référence.

R. En effet, il n’est pas rare que des photographes soient contactés pour réaliser des clips, mais cette vidéo est vraiment unique en plusieurs points. Dans I Fink U Freeky, on retrouve l’atmosphère très puissante de vos images fixes. Le considérez- vous comme une « extension » vidéo de votre travail photographique ?

RB. Oui, je pense. Durant les dix dernières années de ma carrière, mon travail a pris une dimension « installation » (« installation aspect »). Et le clip a été construit avec

160 deux directions parallèles : les installations et l’intégration de Ninja et Yo-Landi$$ (les membres de Die Antwoord) au cœur de celle-ci par leurs mouvements, leurs costumes. Ça a été un processus créatif très interactif. La création de ces installations a été la première étape de ce processus.

R. À propos du processus créatif, vos photographies ont-elles été un point de départ ? Je pense qu’on retrouve dans la vidéo des citations de votre travail. En effet, le principal plan du clip avec Ninja qui danse et Yo-Landi$$ assise sur la chaise me fait penser à Man and Maid, Nothern Cape.

RB. Oui, ils ont été très influencés par mon travail. D’ailleurs, nous préparons un livre ensemble. On y trouvera des images du tournage de I Fink U Freeky. Ils ont écrit un texte qui y sera intégré. Pour synthétiser, ils y expliquent que « Roger Ballen est responsable de Die Antwoord ». Mon imagerie, mon esthétique, l’impact de mes photographies ont été très importants dans la création de leur identité artistique. Donc, oui, tu as tout à fait raison.

R. Ils se proclament du mouvement sud-africain « Zef ». Quelle est votre position par rapport à ce mouvement ? Et comment positionnez-vous ce travail en regard de cette sous-culture ?

RB. Mon travail n’est pas vraiment rattaché à la culture « Zef ». Je mets en image l’état d’esprit psychologique de la race humaine. Mon travail est au-delà de tout rattachement à une culture particulière. Mon but n’est pas de commenter l’aspect d’une quelconque culture, mais plutôt d’inspecter la nature psychologique de l’être humain.

R. On peut tout de même établir un pont entre l’univers « Zef » de Die Antwoord et le vôtre, n’est-ce pas ? Dans leur aspect provocateur, original ?

RB. Oui, tu as raison. Die Antwoord et moi-même nous intéressons, peut-être de façons différentes, au subconscient et à une identité alternative de la culture occidentale. Je pense que leur travail est plus contemporain, dans le sens où les gens comprennent directement qu’ils mettent en perspective la culture de masse contemporaine. À l’opposé, mon travail dépasse tout rattachement à une culture. Enfin, je l’espère en tout cas. Je ne sais pas si je réponds à ta question… Mais la matière que nous travaillons peut

161 sembler commune, oui ! Une forme de contre-culture, des forces que la plupart des gens considèrent comme très sombres. Des forces qui dérangent les gens, des forces dont ils ne veulent pas admettre qu’elles existent. Des forces dont les gens ont peur ! Et je pense que Die Antwoord synthétise ces forces. Mon travail s’en nourrit également. Je pense que c’est ce qui nous relie.

R. Je m’intéresse à votre façon de travailler sur ce clip en comparaison à vos habitudes. J’ai lu dans une interview que vous commencez souvent un travail photographique avec un mot ou un titre. Quel a été le point de départ de la création des installations de I Fink U Freeky ?

RB. Le point de départ a été de décider que nous avions besoin de 6 installations. Ensuite, nous avons parcouru mes livres ensemble et avons choisi les images sur lesquelles s’appuyer pour créer les installations en réutilisant les concepts de ces photographies. La première installation que nous avons élaborée est directement inspirée d’une de mes photographies Kitchen Counter. Une autre installation que l’on peut appelé Shack Scene est liée à une image tirée de Boarding House nommée Giraf House et à d’autres images tirées de mes derniers travaux qui ont été réalisés dans des maisons fragiles (« flimsy ») comme on peut en trouver en Afrique du Sud. Nous avons ensuite pensé à l’installation avec la baignoire. Peu de temps avant le tournage, j’ai fait une photographie très intéressante avec une baignoire entourée de graffitis. Nous avons ajouté à ça des gens allongés sur le sol avec Yo-Landi$$ qui chante. Dans le clip on voit aussi Ninja et Yo-Landi$$ enrobés de papier journal. Cette idée est tirée de l’image Retreat qui est dans Boarding House.

R. Plus qu’une extension « animée » de votre travail, ce clip est aussi un véritable hybride entre photographie et vidéo. Par exemple, il est intégralement composé de plans fixes, fait plutôt rare pour un clip illustrant un morceau de ce style musical (entre électro, hip-hop et techno). Pourquoi avoir choisi de procéder de la sorte ? Vous n’avez à aucun moment été tenté d’ajouter des mouvements de caméra ?

RB. Tu sais, je suis un « black and white still photographer ». C’est ce que je suis depuis cinquante ans maintenant ! C’est mon esthétique. Je pense que les installations du clip sont très fortes et qu’elles donnent déjà beaucoup à voir. Trop de plans ou des

162 mouvements auraient diminué l’impact de celles-ci. Elles représentent une part très importante du clip. Je pense que cela aurait nuit au film d’ajouter du mouvement.

R. D’accord. Dans le même ordre d’idée. J’ai aussi noté que le montage est très lent par rapport au tempo du morceau et aux habituels montages de clips pour ce genre de musique. Cela donne une impression assez particulière, comme si les images planaient sur le beat.

RB. Oui, c’est une bonne remarque. Personne n’avait attiré mon attention sur cet aspect avant toi. Si tu regardes mon travail et que tu essayes de la comparer à ce clip, tu peux voir que mon travail a plusieurs niveaux de lecture. Ce n’est pas évident de mettre une étiquette sur mes images. De significations opposées s’affrontent dans la plupart de mon travail, je pense que c’est impossible de donner une définition du sens précis d’une de mes images. Je pense que le paradoxe, l’opposition en image donnent des significations plus complexes. Pour revenir au clip, pourquoi opposer autant le tempo et le rythme du montage ? Je pense que le propos du clip est ambigu dans beaucoup de ses aspects. La plupart des clips musicaux parlent de la même chose : sexe, amour… Ils ne disent rien. C’est la même chose encore et encore, avec les mêmes mots ! Je pense que cette vidéo est très métaphorique, elle va beaucoup plus loin qu’un clip musical habituel. Et je pense que c’est en ce sens que c’est une œuvre d’art et non pas une « publicité » pour une chanson.

R. Quel est votre rapport à la fiction ? En effet, votre travail est en grande partie documentaire et ce clip est une pure fiction. En allant plus loin, on peut dire que vous avez mis en scène vos références documentaires.

RB. Pas vraiment. Avant 1994, mon travail était plutôt documentaire, en effet. Cependant, comme je t’ai expliqué tout à l’heure, il a ensuite pris une autre direction. Des critiques définissent aujourd’hui mon travail entre le sérialisme et l’art brut. Je dirais que le travail que j’ai réalisé ces dix dernières années est au-delà du rapport documentaire/fiction. Il est très difficile, à la vue de ces photographies, d’affirmer que les scènes qu’elles représentent sont des vrais endroits que j’ai documentés ou s’ils sont des créations de mon esprit.

163 R. D’ailleurs, vous avez dit à propos de Boarding House que quand vous commenciez une série, en arrivant sur le lieu de travail, vous n’aviez pas forcément une idée précise de ce que vous alliez en faire. Vous déterminez, en voguant dans le lieu, la direction que les images doivent prendre.

RB. Oui, exactement. J’essaye d’aller dans les endroits que je choisis avec l’esprit libre. Je ne peux pas prédire ce qu’il s’y passera. Mes photographies sont le résultat de milliers de petites étapes successives. Il n’y pas d’intérêt à prévoir à l’avance ce que je vais faire, car je ne peux pas prédire le futur. Quand je suis sur place, j’essaye d’être détendu, l’esprit libre. Je peux alors tirer le meilleur des circonstances.

R. Pour la vidéo, j’imagine que vous avez dû travailler différemment, avec moins de place pour « l’improvisation ».

RB. Oui, bien sûr. Mais il y a aussi beaucoup de spontanéité dans ce clip. Il a été tourné en 4 ou 5 jours, avec très peu de répétition. Nous avions une idée très claire de ce que nous voulions faire et nous l’avons juste fait ! Et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles cette vidéo a un grand impact. Elle ne donne pas l’impression d’être « jouée », comme quand je prends mes photographies. Les gens aiment ça. Les personnages du clip ne sont pas des acteurs professionnels. Ils viennent de la rue. On ne peut pas leur demander de jouer quelque chose et espérer qu’ils le reproduiraient exactement de la même manière quelques minutes plus tard. Le fait de travailler avec ce genre de personnes ajoute de l’authenticité au clip.

R. J’aimerais maintenant discuter des photographies que vous avez réalisées sur le tournage du clip. Pourquoi ressentiez-vous le besoin de réaliser des images en parallèle de la vidéo ?

RG. Je suis un photographe ! Je voulais documenter ce qu’il se passait. Je suis très content de l’avoir fait, car c’est un moyen parallèle de voir ce qu’il s’est déroulé pendant le tournage. Cela donne une idée du processus créatif du clip. Il m’a semblé important de faire ces images, car elle apporte une autre lecture du projet.

164 R. J’imagine que beaucoup de groupes vous ont contacté pour réaliser leur clip musical après le succès de la vidéo de Die Antwoord ?

RB. Oui, en effet. Mais, pour être honnête avec toi, le problème est que je vis en Afrique du Sud. La plupart des gens qui me contactent sont en France, à New York, Tokyo… C’est très difficile de réaliser un projet comme celui-ci en dehors de mon environnement. Ce serait très compliqué pour moi de prendre l’avion pour Paris et de travailler avec un groupe sur place sans connaître les gens, les lieux… Dans la vie, souvent, les choses les plus importantes arrivent de façon spontanée. Elles se passent, car elles le doivent. Ce n’est pas facile de mener à bien un projet sans connaître les gens. « I Fink U Freeky » est très authentique, car elle ne donne pas l’impression d’être une fiction, mais plutôt une métaphore. J’aime dire que les meilleures images sont comme des balles (de pistolet) avec un virus à l’intérieur. Elles rentrent en toi et te transforment. Et cette vidéo est rentrée dans la tête de millions de personnes. C’est parfois compliqué de comprendre pourquoi ça a fonctionné, pourquoi c’est arrivé. Ça devient alors très difficile de réitérer ce genre de phénomènes. La vie est comme ça.

R. J’imagine que vous avez maintenant vu les autres clips de Die Antwoord. Qu’en pensez-vous ?

RB. Je pense qu’ils sont des réalisateurs (« videomakers ») très talentueux. Je pense qu’il y a très peu de groupes qui sont capables à la fois de faire de la musique et être très bons réalisateurs. Je les ai trouvé très originaux. Je ne pas dire que je suis un expert en clips musicaux, car je n’en ai jamais regardé. J’ai 62 ans, et j’imagine que ma fille connaît beaucoup mieux ce monde que moi (rires).

165 Chris Milk

32 ans, américain. Réalisateur de clips musicaux (U2, Green Day, Chemical Brothers), publicités et clips interactifs. http://www.chrismilk.com/

Entretien réalisé en anglais, par mail, le 26 mars 2013

R. Quelle est ta relation au clip musical ?

C. Les clips musicaux m’ont obsédé toute mon enfance. J’ai dû faire une centaine de versions personnelles de Thriller de Mickael Jackson. Quinze ans plus tard, je réalisais mon premier clip « professionnel » pour les Chemical Brothers, Golden Path. J’aime le clip principalement pour la relation qu’il fait exister entre image et musique. Quand j’écris un clip, la musique est d’ailleurs toujours le point de départ.

R. Dans mon mémoire, je développe l’idée que le clip musical est un hybride entre cinéma et photographie. Je sais que tu es, en plus d’être réalisateur, photographe. Quelle est la relation entre ton travail photographique et ton travail sur les clips ?

C. Pour moi, c’est le même « muscle ». Quand je conçois mes visuels, qu’ils soient animés ou fixes, c’est la même façon d’envisager la création. Tout vient du même endroit (« Its all coming from the same place »).

166 R. J’ai vu que tu partageais ton flux instagram sur ton site. Je pense que le retour en force de l’esthétique « Vintage » - principalement via Instagram- a une grande influence sur les clips musicaux. Beaucoup utilisent cette esthétique. On la retrouve également dans quelques-unes de tes vidéos, notamment Touch The Sky de Kanye West. Quel est ton point de vue sur ce phénomène ?

C. L’étalonnage « Vintage » amène une dimension nostalgique qui peut intensifier la résonance émotionnelle de l’histoire quand c’est utilisé correctement. Techniquement, on trouve très souvent des hautes lumières assez chaudes et des ombres douces, caractéristiques naturelles de diapositives comme le Kodachrome ou l’Ektachrome. Pour Touch The Sky, je l’ai utilisé, car l’histoire se déroule dans les années 70. C’est esthétique est maintenant étiqueté « effet instagram ». Je trouve ça un peu décevant, mais je comprends pourquoi les gens aiment utiliser ces filtres sur leurs images. D’une part, ça les rend plus belles, et d’autre part, ça donne un côté authentique aux photographies.

R. Plus qu’un hybride entre photographie, musique et cinéma, tes clips utilisent aussi les nouvelles technologies. Pourquoi et comment as-tu décidé de travailler avec l’interactivité ?

C. Mon but premier est toujours de raconter des histoires qui résonnent dans la tête des gens avec grande puissance émotionnelle. Dernièrement, je suis fasciné par l’interactivité et j’expérimente beaucoup pour trouver comment utiliser les technologies de développement modernes pour raconter des histoires de façon plus humaine (« human » dans le texte) et intense qu’auparavant. On ne sait pas ce que seront les modèles établis d’écriture (« storytelling ») dans 100 ans, exactement comme les pionniers du cinéma n’envisageaient pas la structure en 90 minutes et 3 actes des films actuels. On peut seulement expérimenter, continuer de créer de nouveaux canvas150 sur lesquels on vient peindre de nouvelles choses. La chose la plus intéressante dans ces canvas interactifs est que le spectateur - ou l’utilisateur – n’est plus passif, il participe à la trame narrative et co-crée l’art (« co-creating the art »). Regarde par exemple les films interactifs sur le web, les jeux vidéos ou les environnements en réalité virtuelle, tous on une grande résonnance, car il est plus question dans ces expériences des choix du

150 Composant de HTML qui permet d'effectuer des rendus dynamiques d'images bitmap via des scripts. Déjà implémenté dans certains navigateurs, il fait partie de la spécification HTML5.

167 participant que celles du créateur. Tous mes projets sont expérimentaux sur plusieurs niveaux. Je découvre ou apprends toujours quelque chose. Le projet que j’ai réalisé pour Beck a été une grande expérimentation sur l’immersion sensorielle. Comment créer un environnement visuel et sonore en « surround »151 qui peut être visualisable par toutes les personnes qui utilisent la technologie d’Internet telle qu’elle existe aujourd’hui ? Je pense que le « storytelling » en réalité augmentée, la possibilité de vivre à l’intérieur de la narration, arrivera plus vite qu’on ne le pense. Lincoln m’a donné l’opportunité de tester quelques théories que j’ai développées sur l’immersion audiovisuelle152. Mon prochain projet se nourrira de ces tests.

R. Je pense que l’on peut voir ton attirance pour l’interactivité dans une de tes premières vidéos, Golden Path pour les Chemical Brothers. Le personnage principal interagit avec des machines dans ce clip. Réfléchis-tu à l’interactivité depuis longtemps ?

C. En effet, j’y réfléchis depuis longtemps déjà, mais le moment auquel tu fais référence n’est, je pense, qu’un heureux accident.

R. Ça doit être très différent de travailler sur un clip interactif par rapport à une vidéo plus « classique ». Quelles sont les différences principales dans le processus créatif ?

C. Le processus de conceptualisation est le même pour moi. Je me pose et écris des idées. Les étapes de production sont les mêmes, avec, tout de même, l’étape supplémentaire de la construction du site. Travailler avec des développeurs n’est, pour moi, pas du tout différent que de collaborer avec l’ensemble d’artistes avec qui je travaille sur toutes le productions que je peux faire.

151 Qui entoure le spectateur. 152 Lincoln est une marque de voiture. Elle s’attache à communiquer une image tournée vers l’innovation. C’est pourquoi elle a financé des tests et une partie de la production de Hello/Again pour Chris Milk.

168 R. Avec la captation live de Beck Beck/Hello, Again, tu amènes l’interactivité à un nouveau niveau. Le spectateur interagit avec son corps à travers la webcam grâce au « face tracking ». Ça a dû être un énorme défi. Peux-tu m’en parler ?

C. Mon but était de créer l’expérience la plus organique possible et de l’individualiser complètement. Quand on est dans le « meat-space »153 et qu’on veut regarder vers le haut, on relève le visage, on n’utilise ni un clavier ni une souris. Dans Beck/Hello, Again, le contrôle simule, au mieux avec la technologie existante, l’expérience que le spectateur aurait dans la « vraie vie » (« real life »). Grâce à la webcam, le spectateur peut changer l’orientation de la caméra 360° simplement en levant ou tournant la tête. Le système est-il parfait ? Non. Mais cela représente une nouvelle phase d’expérimentation pour moi. J’aurais souhaité utiliser « l’eye tracking » plutôt que le « face tracking », mais les éléments ne sont pas encore vraiment réunis pour le permettre. L’évolution du design des interfaces graphiques permettra de plus en plus de rapprocher les actions réelles, physiques des actions virtuelles. Le but est que l’interface devienne transparente finalement.

R. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de limites à l’interactivité. Je suis impressionné par la façon avec laquelle tu les repousses dans ton travail. Quelles limites sont elles les plus dures à gérer ? Et quelles limites voudrais-tu dépasser dans tes prochains projets ?

C. Comme je l’expliquais plus tôt, j’aimerais pouvoir créer des expériences totalement immersives, dans lesquelles on perd conscience de l’interface.

153 Utilisé pour exprimer l’idée de monde « physique » ou réel en opposition au monde virtuel constitué par Internet.

169 Marty Martin

32 ans, américain. Réalisateur de clips musicaux, publicités et photographe. http://themartymartin.com/

Entretien réalisé en français, via Skype, le 21 mars 2013

R. Quelles sont tes activités ? D’après ce que j’ai vu sur ton site, c’est assez varié : pub, clip, documentaire…

M. J’ai commencé il y a 11 ans sans vouloir en faire forcément un business. J’étais assez naïf, je ne me rendais pas compte à quel point c’est difficile de percer dans cette industrie. Mon premier court métrage m’a permis d’attirer l’intention. Depuis, je travaille régulièrement. Il s’agit souvent de « consulting ». Les agents m’engagent souvent pour écrire les pubs, elles sont ensuite réalisées par quelqu’un d’autre. J’aime être en contrôle sur les projets que je choisis et c’est assez frustrant de ne pas réaliser ce que j’écris. Les commandes que je réalise ne me permettent pas toujours de m’épanouir en tant qu’artiste, mais me permettent d’avoir une situation confortable pour développer mes projets personnels. En ce moment, je travaille sur une adaptation cinématographique de Ghost In The Shell 154 , j’ai engagé une équipe d’artistes pour travailler là-dessus. J’aime travailler avec une approche assez Kubrickienne : allier matière à réflexion et divertissement « commercial ».

154 Manga de science-fiction de Masamune Shirow.

170 R. J’ai pu voir tes photographies sur ton site internet. Est-ce une pratique personnelle ou professionnelle ?

M. Plutôt personnelle, même si j’aimerais qu’elle représente plus de commandes professionnelles. En image animée, j’aime le défi de créer une forme de réalité en assemblant plusieurs angles de vue, pour emmener le spectateur dans la fiction. En photographie, il faut capter une émotion et concentrer toute sa créativité en une seule image. Je suis fasciné par cette idée. J’expérimente beaucoup en photographie même si je ne montre pas encore cette partie de mon travail : notamment des séries de nus plutôt abstraits. Je m’intéresse de près à la connexion de l’être humain avec la nature. Je représente ainsi en photographie des choses qui semblent à première vue sans liens entre elles, mais qui sont en fait connectées conceptuellement. J’aime représenter cette idée de façon plus ou moins explicite dans mes images. Mais toute cette partie de mon travail est encore « secrète ».

R. Quel rapport as-tu au clip musical ? Comment le regardes-tu ? Le conçois- tu ?

M. C’est compliqué… ! J’aime et je n’aime pas (rires). Le clip permet aux artistes de tenter des choses qu’ils n’oseraient pas faire dans un long métrage. Ça donne l’opportunité d’expérimenter énormément, sans obstacle. Personnellement, je fais un peu face à un dilemme. On me propose souvent des clips pour lesquels la musique ne m’atteint pas forcément. Je me demande alors si je dois le faire pour gagner de l’argent et parce que ça va être « cool » finalement ou si je dois me concentrer uniquement sur ce que j’aime. Je suis principalement touché par la voix dans la musique. J’aime quand un chanteur trouve sa propre manière de s’exprimer. Pour moi, le clip doit être le prolongement de ces émotions provoquées par l’artiste. Sans la musique, juste avec les images, on doit retrouver les sensations qu’on éprouve à l’écoute du morceau.

R. Comment nourrit ton travail sur un clip ? Quel point de départ ? Comment se déroule l’écriture ?

M. J’ai une base de donnée d’images de plus de 20 000 images, que je parcours et mets à jour quotidiennement. Quand on me propose un clip, je parcours les images en écoutant le morceau et je mets de côté les images qui se rapprochent de l’univers que je

171 construis mentalement en me plongeant dans la chanson. Je télécharge aussi beaucoup de clips musicaux, que je classe, note et qui me servent à stimuler mon inspiration au moment de l’écriture.

R. Et concernant le texte de la chanson ?

M. Je dois dire que les paroles m’échappent complètement. En anglais, je n’entends pas le texte, je n’entends rien. J’entends la musique, je ressens le sens que veut transmettre l’artiste. Je recherche les images dans ma tête en suivant complètement mes sensations à l’écoute. Je lis le texte ensuite et généralement, ça se rejoint assez bien.

R. Tu travailles également avec le médium photographique. Ces pratiques sont- elles liées pour toi ? Dans ma recherche, je souhaite rapprocher ces deux pratiques.

M. Au début du processus créatif pour le clip, les images que j’imagine s’apparentent à des photographies. C’est un peu comme si je visualisais un mur vide, mentalement, que je remplis de photographies qui prennent sens au fur et à mesure. Elles commencent à raconter une histoire. Ensuite, j’écris. Pendant l’écriture, je me laisse beaucoup de liberté. Je ne me donne aucune limite, je laisse tout ce qui me traverse l’esprit tomber sur la page. Alors, bien sûr, il y a une dimension commerciale au clip, il sert à « vendre » le chanteur, le musicien. Mais, je ne veux pas me laisser distraire par cet aspect qui est superficiel.

R. J’ai vu sur ton site que tu utilises fréquemment le Canon 5D Mark II pour tes projets. Comment as-tu vécu son arrivée sur le marché ? A-t-il changé ta pratique de la vidéo et de la photo ?

M. Avant que j’utilise les DSLR, je me servais du Canon XL2155. J’étais l’un des premiers à découvrir les adaptateurs 35mm 156 qui pouvaient se monter dessus. J’ai commencé à utiliser des objectifs photographiques sur le caméscope et j’ai aimé travailler de cette manière. Quand le 5D est arrivé, j’y ai tout de suite vu une façon de faire la même la chose plus simplement. De plus, le XL2 m’empêchait de filmer beaucoup de choses de par sa faible sensibilité. Au début j’ai été déçu du rendu des DSLR et c’était

155 Caméscope professionnel. 156 Bague permettant de monter des optiques photos 24x36 sur le caméscope.

172 un peu l’impression générale. J’ai tout de suite trouvé que les images avaient un rendu de « gelée ». Mais son bas coût et ses caractéristiques techniques intéressantes m’ont contraint à l’utiliser. J’ai aimé le défi de vouloir donner aux images tournées au DSLR un aspect plus « filmique ». Et puis, le 5D est devenu très à la mode, d’un coup, tout le monde a trouvé ça génial. C’est vrai que le 5D rend l’ensemble du processus « plus facile », mais visuellement, techniquement, beaucoup de choses me dérangent donc je suis en train de passer sur l’Alexa. J’adore cette caméra, mais c’est très cher donc je vais garder le 5D pour des petits projets tout de même.

R. Le clip indépendant a explosé grâce à l’arrivée du 5D. Que penses-tu de ce phénomène ? Qualitativement ? Concurentiellement ?

M. C’est vraiment pour le meilleur et pour le pire. Le prix très bas de ces DSLR permet à quasiment n’importe qui de pouvoir s’essayer à la vidéo. C’est une bonne chose. Cependant, ça rend le marché très surchargé, il y a de plus en plus de monde et ça devient très difficile de percer. Mais je reste persuadé que si tu es bon, tu y arriveras quand même. Il faut faire avec ça. Le 5D permet d’expérimenter plus, mais je trouve que tout ce phénomène qu’il a entrainé tire aussi un peu la qualité générale vers le bas. On peut tourner tellement facilement que ça mène beaucoup de réalisateurs à la paresse. Après, je suis entouré de beaucoup de chefs opérateurs qui sont nostalgiques de l’époque ou tout se tournait en film. Je les rejoins dans un sens, car, comme je le disais, j’essaye avec cet outil d’obtenir un rendu « filmique ». Mais, je trouve que cette mentalité est vieux jeu. Car, au final, il faut vivre avec son époque, le numérique permet beaucoup de choses. Certes, le rendu change, mais il faut l’accepter. Il faut accepter l’évolution naturelle de la technologie.

R. Tu dis que le 5D permet d’expérimenter beaucoup. Cependant, je trouve qu’il a aussi amené une uniformisation des rendus : profondeurs de champ très courtes, l’image très vite reconnaissable d’un DSLR…

M. Oui, c’est vrai. Mais je pense que c’est une passade. Je suis sur que le choses vont changer. On est un peu bloqué en ce moment. On a un peu épuisé les possibilités de ces outils et on finit par faire ce qui est attendu avec. Il ne faut pas perdre de vue que

173 l’outil importe peu finalement. C’est l’émotion que l’on transmet avec les images qui prévaut toujours.

R. Les pratiques amateurs se généralisent en parallèle avec iPhone/Go pro. Ces pratiques et esthétiques sont réutilisées par les créatifs dans leur travail. Instagram et le retour du vintage a par exemple un impact sur les étalonnages des clips. Tu as réalisé un clip tourné intégralement à l’iPhone : Cascades par Falakjakt. Dans cette vidéo, tu réutilises ces codes amateurs, mais tu en fais quelque chose d’assez professionnel avec de la postproduction assez poussée.

M. En 2010, je me suis retrouvé bloqué créativement. Je me suis rendu compte que j’avais perdu de vue mon envie de raconter des histoires, distrait par toutes ces nouvelles technologies. J’ai entendu parler de la sortie de l’iPhone 4 et j’y ai vu une bonne opportunité pour filmer avec « une merde », me détacher de ce qui me bloquait justement. J’y ai aussi vu un défi : cacher les défauts d’une technologie assez limitée.

R. Tu travailles aussi sur de la pub. Comment envisages-tu cette pratique en regard du clip ? Comment différencies-tu ces deux façons de travailler, sachant qu’il y a un aspect commercial dans les deux cas ?

M. Pour la pub, je dois penser principalement au consommateur. On cible les gens de façon précise. Pour le clip, en effet, on cible aussi, mais il y a plus de liberté créative. Une liberté qui existe très peu dans la pub, de par les personnes qui interviennent dans la création d’un spot : agence de communication, directeur artistique…

R. L’arrivée de la Black Magic Cinema Camera peut, potentiellement, changer la tendance du marché des DSLR. Elle propose de tourner en 2.5K RAW au même prix que le 5D Mark III ! Comment entrevois-tu ce nouveau produit ?

M. Je suis très curieux. J’ai acheté le 5D Mark III qui est très bien pour faire de la photographie, mais qui a les mêmes problèmes que le Mark II pour la vidéo. D’après ce que j’ai vu, la BMCC a vraiment un piqué beaucoup plus fort que les DSLR. Mais, il y a un problème commun à toutes ces caméras, c’est le « Rolling-Shutter ». Ça crée une image « gelée ». Je ne comprends pas pourquoi on retrouve encore ces problèmes sur les nouvelles caméras alors qu’il y a des solutions, certes plus chères, qui existent. Alors, je

174 suis sûr qu’il y a encore plein de choses à améliorer sur la BMCC, mais elle m’attire. On attend beaucoup du prochain firmware qui devrait régler une partie des points noirs de la caméra.

R. Les clips interactifs se développent, permettant une nouvelle forme de narration, t’y es-tu intéressé ?

M. Je pense que tout le monde se dit en ce moment qu’un jour on pourra avoir une vraie interactivité, même au cinéma. Je suis fasciné par le futur, ça m’intéresse vraiment, mais je ne sais pas si c’est voué à vraiment se développer, comme la 3D par exemple. Je ne suis pas sûr que ce soit l’avenir. Cela représente le fantasme du spectateur d’avoir le contrôle permanent sur l’action qui se déroule sous ses yeux. Par exemple, en ce moment, je travaille avec Microsoft pour une série de pub pour le Kinect. Ces spots seront diffusés sur Internet et ils veulent y mettre de l’interactivité. J’ai donc réfléchi à son utilisation dans ce cadre : quand donner la possibilité de changer le scénario ? Et c’est à ce moment que je suis dit qu’il ne faut pas tomber dans le « cliché », ce qui peut être facile avec l’interactivité je trouve. Je cherche actuellement une manière originale d’aborder cette technologie. Ça peut être très puissant c’est vrai. Donner l’illusion au spectateur de pouvoir contrôler l’histoire, c’est assez incroyable. On aime tous croire qu’on est en contrôle.

175 Pierre-Edouard Joubert

29 ans, français Réalisateur de clips musicaux et motion designer http://www.pierreedouardjoubert.com/

Entretien réalisé en français, par mail, le 8 mars 2013

R. Quel rapport avez-vous au clip musical ? Comment le regardez-vous ? le concevez-vous ? Est-il pour vous un médium d’auteur ?

P-E. J’ai forcément un rapport étroit avec le clip, puisque j’en fais. Je le regarde finalement avec peu de conviction, car, il y en a beaucoup à jeter. Puis, de temps à autre, un ou deux clips sortent du lot et attirent mon attention. Un peu comme dans un musée, ça ne sert à rien de passer cinq secondes sur chaque œuvre, il vaut mieux s’attarder sur ce qui nous attire et leur consacrer plus de temps.

R. Comment nourrissez-vous votre travail sur un clip ? Quel point de départ ? Comment se déroule l’écriture ?

P-E. Souvent, mon point de départ est une photographie. J’ai un dossier, dans lequel je stocke toutes les photos qui me parlent, toutes les photos qui m’inspirent quelque chose. Lorsque je reçois un morceau, je l’écoute en boucle et je fais défiler les

176 photos, jusqu’à ce que quelque chose me vienne en tête. Et puis si rien ne vient, je sors me vider la tête et je recommence.

R. Comment articulez-vous l’écriture de vos clips avec le texte des chansons illustrées ?

P-E. Je lis le texte au début du processus, mais parfois, malheureusement, rien ne s’en dégage. Quand j’écoute le morceau pour la première fois, je me concentre uniquement sur ce que la musique m’inspire, l’univers qui s’en dégage. Dans un second temps, je lis le texte. Je prends note du ou des grands thèmes abordés. Je garde ça dans un coin de ma tête, mais je ne m’en souci généralement pas trop. Je ne considère pas le texte comme un script qu’il faudrait suivre, mais plutôt comme une piste de création.

R. Vous travaillez également avec l’image fixe. Ces pratiques sont-elles liées pour vous ? Dans ma recherche, je souhaite rapprocher ces deux pratiques. Le clip peut souvent se rapprocher d’une séquence photographique ou du portrait photographique. Que pensez-vous de cette façon d’envisager le clip musical ?

P-E. L’image fixe est pour moi c’est une grande source d’inspiration, mais ça ne reste souvent qu’un point de départ.

R. On peut mettre en parallèle le temps vidéo et la pulsation, le rythme d’une chanson. Comment maniez-vous ces notions ? Participez-vous au montage ?

P-E. Oui, je participe au montage, je regarde tous les rushs avec le monteur, sélectionne avec lui ce qui me plaît, et le laisse une journée seul, pour qu’il me propose quelque chose. Cela me permet de prendre du recul sur le projet et d’envisager les choses différemment grâce au regard neuf et frais du monteur. À partir de là, on continue d’explorer cette proposition ou repars de zéro si je ne suis pas satisfait. Pour ce qui est du rythme, c’est pour moi assez naturel, instinctif.

177 R. Comment avez-vous vécu l’arrivée du 5D ? Quelles possibilités y avez-vous vues ?

P-E. J’ai trouvé ça génial au début, mais après quelques mois, j’ai vite compris que ça ne remplaçait pas une caméra. La profondeur de champ est plus faible certes, mais à quel prix, une image qui tremble et trop lisse.

R. Grâce à l’arrivée du 5D et de l’abaissement des coûts de production pour les clips indépendants, le nombre de clips a explosé. Que pensez-vous de ce phénomène ? Qualitativement ? Comment vivez-vous cette concurrence professionnellement ?

P-E. Qualitativement, c’est une horreur selon moi. Mais ça à permis la production de choses vraiment bien. C’est un mal pour un bien. Pour la concurrence, je fais partie de cette vague de réalisateurs, difficile, donc, d’avoir un point de comparaison.

R. Le 5D induit un rendu photographique (de par la grande taille du capteur, son ergonomie), un rendu qui tend à se généraliser pour les petites productions. Quel est votre regard sur ce phénomène ?

P-E. Je n’aime pas du tout, pas dans le milieu professionnel. C’est très bien pour les amateurs ou les petits projets sans budget, mais lorsque l’on cherche la qualité avec un 5D, il faut beaucoup d’accessoires pour le tournage, un gros travail en postproduction… J’ai fait quelques projets au 5D, c’est un bon outil, mais ça demande des étapes supplémentaires. En tant que réalisateur, lorsque tu rejoins une boite de production, c’est pour qu’ils t’apportent un encadrement et des solutions auparavant inaccessibles. Si ils te proposent de tourner avec ce que tu as déjà chez toi, l’intérêt est moindre.

R. Les pratiques amateurs se généralisent en parallèle avec iPhone/Go Pro. Ces pratiques et esthétiques sont recyclées par les créatifs. Qu’en pensez-vous ? Instagram et le retour du vintage a par exemple un impact énorme sur les étalonnages des clips… On retrouve, par exemple, une esthétique dans cette veine dans la vidéo de Blackout.

P-E. C’est très bien pour les pratiques amateurs ou pour certains projets qui le demandent. Mais c’est parfois déconcertant. Dans les films, on filme les webcams en

178 35mm et dans le clip, on essaye de faire du 35mm avec un iPhone. Je m’inclue également, le clip de Blackout a été tourné au 7D, avec plein de petits filtres simulant le 16mm. Mais j’ai essayé de rester subtil et de ne pas trop en abuser. On me demande souvent avec quoi j’ai tourné ce clip. J’aime bien ça. J’ai réussi à casser un peu le rendu DSLR.

R. Le clip des Juveniles, We Are Young , est à mon sens votre clip le plus photographique. En effet, il est composé d’une succession de portraits en noir et blanc en plan fixe et en slow motion. On est très proche d’une séquence photographique : cadre identique, galerie de personnages. Un peu à la manière de Richard Avedon avec son American West. Quelles sont vos influences pour ce clip ?

P-E. Ce clip est parti d’une photographie de mugshot.

R. Qu’est-ce qui vous a guidé vers le choix du Noir et Blanc ?

P-E. Le cadrage unique, sur un fond, soit noir, soit blanc. La couleur n’était pas nécessaire.

R. Comment justifiez-vous l’utilisation du slow motion ?

P-E. Le rythme d’un morceau d’une part, et puis avec un mini budget, on n’a pas le temps de filmer tout ce que l’on veut. Alors, on essaye de gagner un peu de temps aussi.

R. On retrouve cette dimension photographique dans le clip de Minitel Rose, Continue, de par l’utilisation du stop-motion qui fragmente les mouvements par une succession d’instant. Pourquoi avoir choisi cette technique pour ce clip ?

P-E. Alors, ce n’est pas du stop motion (puisque le mouvement n’est pas stoppé), mais de la pixilation. À l’époque je devais tourner ce clip avec un peu de budget, et puis tout est tombé à l’eau au dernier moment. Plus de caméra, plus rien. Donc j’ai décidé de « filmer » avec mon reflex numérique (pas de 5D à l’époque). Je voulais ensuite faire des morphings entre les images, mais finalement, les tests étaient moins concluants avec les morphings.

179 Fiches techniques

Canon 5D Mark II

180

181

182

183 Black Magic Cinema Camera

184

185 Paroles

Foals – Late Night

Oh, I hoped that you were somebody / Someone I could count To pull me to my feet again / When I was in doubt Oh now Mama, do you hear me / Calling out your name? Oh now Mama, do you hear me / Calling out your name?

Now I'm the last cowboy in this town / Empty veins and my plastic broken crown They said I swam the sea then ran aground They said I once was lost, but now I'm truly found

And I know the place but not the wave / I feel, I feel no shame Oh now Mama, do you hear my fear? / It's coming after me! Calling out your name! Stay with me !

Then you threw your heart away / Oh, I know just what to say Through the phone cord; it can wait / We've still got time to say And I know you ran away / Oh, I know but I'm feeling okay But now I found love and the feeling won't go Now I found love but the feeling won't go! See you walk away! / Feeling okay, now! Happy now? Stay with me!

186 Antony And The Johnsons – Cut The World

For so long I’ve obeyed that feminine decree I’ve always contained your desire to hurt me

But when will I turn and cut the world?

My eyes are coral, absorbing your dreams My skin is a surface to push to extremes My heart is a record of dangerous scenes

But when will I turn and cut the world? When will I turn and cut the world?

The Shoes – Time To Dance

Hey brother get up check the wings / Do what I do it's what I feel Up to the sun, It won' t be long / And now it's time for you to run Amen it's time to dance Hey sister come on kick the world / The world is yours, up to you girl It was so fun you feel so strong / And now it's time for you to burn Amen it's time to dance

T-I-M-E-T-O-D-A-N-C-E in the city

187 Lana Del Rey – Blue Jeans

Blue jeans, White shirt / Walked into the room you know you made my eyes burn It was like James Dean, for sure / You so fresh to death & sick as ca-cancer You were sorta punk rock, I grew up on hip hop But you fit me better than my favorite sweater, and I know That love is mean, and love hurts / But I still remember that day we met in December, Oh baby!

I will love you till the end of time / I would wait a million years Promise you'll remember that you're mine / Baby can you see through the tears? Love you more / Than those bitches before Say you'll remember, oh baby, say you'll remember I will love you till the end of time

Big dreams, gangster / Said you had to leave to start your life over I was like: "no please, stay here," / We don't need no money we can make it all work But he headed out on Sunday, said he'd come home Monday I stayed up waitin', anticipatin' and pacin' but he was Chasing paper / "Caught up in the game" that was the last I heard

I will love you till the end of time / I would wait a million years Promise you'll remember that you're mine / Baby can you see through the tears? Love you more / Than those bitches before Say you'll remember, oh baby, say you'll remember I will love you till the end of time

You went out every night / And baby that's alright I told you that no matter what you did I'd be by your side / Cause Ima ride or die Whether you fail or fly / Well shit, at least you tried. But when you walked out that door, a piece of me died I told you I wanted more-but that not what I had in mind I just want it like before / We were dancin' all night

188 Then they took you away- stole you out of my life / You just need to remember...

I will love you till the end of time / I would wait a million years Promise you'll remember that you're mine / Baby can you see through the tears? Love you more / Than those bitches before Say you'll remember, oh baby, say you'll remember / I will love you till the end of time

The Shoes – Stay The Same

So when I wake up / I feel the same feeling The same feeling that I felt last night. Now my bones are cold / And my body aches Like it did last night / it is that same feeling

Every time we stumble / Every time we fall Every time we try to make it stop Every time we stumble / Every time we fall Every time I feel you're falling apart

I feel like nothing can change, again / we see the same ghost everyday And when it comes, tomorrow will be the same We feel the same / We're still the same / We stay the same

So when we go out / We always dance the same / like we did last night We always stay up / We always stay up late I'm always losing sleep / Like I did last night

Every time we stumble / Every time we fall Every time we try to make it stop Every time we stumble / Every time we fall Every time I feel you're falling apart

189 I feel like nothing can change, again / we see the same ghost everyday And when it comes, tomorrow will be the same We feel the same / We're still the same / We stay the same

So when I wake up / I feel the same feeling The same feeling that I felt last night Now my bones are cold / and my body aches Like it did last night / it is that same feeling oh

Britney Spears – Everytime

Take my hand / Why are we Strangers when our love was strong Why carry on without me

Everytime I try to fly I fall Without my wings / I feel so small I guess I need you baby And everytime I see you in my dreams / I see your face Its haunting me / I guess I need you baby

I make-believe / That you are here Its the only way / That I see clear What have I done / You seem to move on easy

I may have made it rain / Please forgive me My weakness Caused you pain / And this song's my sorry

At night I pray / That soon your face will fade away

190 Flight Facilities – Clair de Lune

If I would know you, would you know me

Don't go, tell me that the lights won't change, Tell me that you'll feel the same, and we'll stay here forever, Don't go, tell me that the lights won't change, Tell me that it'll stay the same, Where we go, where we go, where we go.

Revolver - Still

Can you hear the wind blowing by my window? Fall comes in time every year, that's one thing I know I spent a long time travelling around and sometimes quite far away Now that I've been from town to town, I just don't know what to say

The things that I used to care about I don't anymore You know I'm still here

So many new faces and places I don't remember Where I was or what I was doing last December I've been wearing so many masks now my mind is a mess I don't think I ever felt more alien to myself

You know I'm still here You know I'm still on my own in the daytime Still in the same bed at night Still keep on walking the old path / And you're still with me when I'm down You know I'm still here

191 The Shoes – Cover you Eyes

Get tight like a drum, like a shark bite / Like a f*ck on a cold night Draw spit from your lips to your finger tips / As we get to grips. No stress getting hard pressed up to my chest / Are we there yet? Send a prayer, make a "Yes" out of thin air / The mathematics of a heart laid bare.

I'm burning up, all over you, cover your eyes. In every bone you feel it too, cover your eyes, Get to the point we're getting to, cover your eyes, Cause my love is a real bright light, You fall at first sight.

Type O, my (oh my...) blood boils if I / Stick it too close by. My shout let's lie down, let's eat out / Till your breath it can't breathe out. Keep on till the long waves pile on / Catch the crest of the next one, Pluck a "Yes" from the cold thin air / The mathematics of a heart laid bare.

I'm burning up, all over you, cover your eyes. In every bone you feel it too, cover your eyes, Get to the point we're getting to, cover your eyes, Cause my love is a real bright light, You fall at first sight.

192