André Velter Troubadour Au Long Cours
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UNIVERSITÉ DE PARIS SORBONNE (PARIS IV) ÉCOLE DOCTORALE III, Littératures Françaises et Comparée N° d’enregistrement : . Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Paris Sorbonne Discipline : Littérature Française Présentée et soutenue publiquement par Sophie NAULEAU Le 31 janvier 2009 Titre de la thèse : ANDRÉ VELTER TROUBADOUR AU LONG COURS Vers une nouvelle oralité poétique Sous la direction de : M.le Professeur Pierre BRUNEL Non seulement je vois plus clair grâce à vous, mais je me sens aussi le cœur plus vaste et l’âme ardente, capable de tenir la vie sur le qui-vive. André Velter à René Char, lettre du 2 juin 1986. 2 Merci à Françoise d’Aubigné, et à Messieurs Pierre Brunel, Robert Kopp, Serge Bourjea et Jean-Pierre Martin. 3 OÙ L’ÉCRIT S’ORALISE Au-dedans et au-dehors, le poème a ouvert l’espace. De gré et de force. Avec volonté de nuire au sommeil des mots, au froid profil des jours, à l’avenir donné en héritage. Le poème a décliné les noms, les lieux, les solitudes. Il a brûlé l’étape première. La route est devenue l’horizon des horizons, le départ sans fin, le rêve au plus près du soleil et des pierres. Ainsi je suis parti à la suite de mon chant. André Velter, Étapes brûlées . 4 Si André Velter considère la poésie comme le genre majeur des littératures du siècle dernier, c’est qu’il a choisi de l’éprouver en tant que « ferment actif, irremplaçable, irréductible »1. Et ce dès ses débuts à Paris en 1963, avec Serge Sautreau, sous le regard de Simone de Beauvoir 2 et Jean-Paul Sartre qui furent pour beaucoup dans leur première publication aux éditions Gallimard à l’âge de vingt ans : « seule la poésie peut encore éprouver et penser le monde, en son entier comme en chacun de ses éléments, parce qu’elle seule sait accueillir le philosophique, le politique, le social, voire l’économique (autrement dit le champ collectif), et le souffle de l’être dans sa singularité (autrement dit le chant individuel). La poésie est le lieu sur le qui-vive, en alerte, du prophétique. Le lieu de la clairvoyance, autant que de la voyance. Car la prophétie n’a rien à faire du futur : elle est dans le présent une effraction, un éclair, une révolte qui va à contre-destin. »3 Né le 1 er février 1945 dans le village sous la neige de Signy-l’Abbaye, précisément entre la fin de la bataille des Ardennes et le partage du monde à Yalta, l’itinéraire à contre destinée d’André Velter témoigne de cette confiance active accordée aux pouvoirs et au souffle du poème. Depuis les années 60 et la publication de Aisha - suite polyphonique dans le sillage sax et blues de John Coltrane -, il n’a cessé de s’en remettre à l’écriture. Près d’un bon mètre linéaire en volumes de poèmes sur les rayonnages des bibliothèques. Auxquels s’ajoutent les traductions, préfaces, articles, revues, inédits, livres à tirage limité et de nombreux essais aux formats inclassables. Sans oublier les bandes magnétiques et leurs dizaines de milliers d’heures enregistrées. Car en plus d’être poète, André Velter a très longtemps parlé aux auditeurs de France Culture . Là, il a créé en 1987 Poésie sur parole – titre inspiré du sang andalou et mexicain d’Octavio Paz : « Contre le silence et le vacarme, j’invente la Parole, liberté qui s’invente elle-même et m’invente, chaque jour »4, et qui dit l’engagement tonique et quotidien de la parole poétique : « La poésie mais où en est-elle en ce vacarme »5 interrogeait déjà les jeunes auteurs d’ Aisha … L’émission a fêté ses vingt ans, avant de rendre l’antenne. Avec la complicité de Claude Guerre, il a voulu réconcilier musique et 1 André Velter, présentation d’ Orphée Studio. Poésie d’aujourd’hui à voix haute , Gallimard, 1999, p.8. 2 « Une réunion, très nombreuse et assez hétéroclite, s’est tenue chez moi au début de l’automne 64. Il y avait des romanciers en herbe : Annie Leclerc, Georges Perec ; des poètes : Velter et Sautreau qui écrivaient leurs œuvres en collaboration ; (…) des étudiants et surtout des étudiants en philosophie : Jeanine Rovet, Sylvie Le Bon, Dollé, Peretz, Benabou, Régis Debray. » Simone de Beauvoir, Tout compte fait , Gallimard, 1995, p.189. 3 Serge Sautreau & André Velter, « Ça s’aggrave », entretien avec Franck Laroze, 1998, inédit. 4 Octavio Paz, Liberté sur parole , Poésie / Gallimard, 1994, p.16. 5 Serge Sautreau & André Velter, Aisha , Gallimard, 1966, p.29. 5 poésie sous la forme de mises en voix publiques et radiophoniques, consacrées autant aux contemporains qu’aux poètes classiques. Tentative réussie faisant salle comble au Théâtre du Rond-Point de 1995 à 1999, pour « décupler l’audience d’une poésie sans entrave, prête [encore et toujours] à tenir parole » : « Les Poétiques sont à la poésie ce que les Dramatiques sont au théâtre, explique André Velter. Des mises en écoute plutôt que des mises en scène. Des polyphonies qui déclinent tous les modes d’une entreprise singulière. Chaque mois, c’est un poète tel qu’en lui-même, mais escorté, guidé, bousculé parfois, qui risque sa parole. »1 Puisqu’il n’y a plus à craindre de se retourner sur la beauté au bord de tout dire, ni de raison d’enterrer avec Eurydice tous les chants enchantés, ce tour d’horizon des voix a reçu pour baptême du feu le nom d’ Orphée Studio . « Car une fois pour toutes » Rilke a tranché : « Quand cela chante, c’est Orphée »2. Puis, en l’an 2000, le ring s’est expatrié de ville en ville : Marseille, Reims, Bayonne ou Saint Malo et s’en est allé jusqu’en Transylvanie avant de poser ses câbles et micros, le temps de deux hivers, au Théâtre de l’Aquarium – Mais nous, à qui le monde est patrie, comme au poisson la mer… disait le divin Dante de La vie en dansant . Également directeur de Poésie / Gallimard depuis 1998 (la collection de poche de six pouces et des poussières aux bandeaux de couleur sur couverture blanche marquée des trois lettres noires de la nrf qui font encore effet), c’est quotidiennement, et à grand renfort d’exemplaires réimprimés, qu’André Velter dénonce « l’acte de décès de la poésie (…) placardé voilà plus de trente ans »3 ! Amoureux des caravansérails, il est aussi l’inventeur et le coéditeur de Caravanes , « lieu d’universelle rencontre qui accueille les récits, les blasphèmes et les chants », soit une belle et dense revue des littératures de la planète qui n’a d’égal que la générosité de son maître de publication Jean-Pierre Sicre, feu Monsieur Phébus. C’est dire son attachement aux voix étrangères et à l’immense caisse des résonances possibles : En accomplissant une sorte de déambulation dans la poésie mondiale, je tiens à multiplier les pistes, à secouer la torpeur formaliste et jargonnante qui n’a que trop régné chez nous. Écoutez Adonis, Bhattacharya, Juarroz, Souleïmenov et vous retrouverez la nécessaire présence du chant. 4 Ayant rebandé la corde de L’Arbalète qui publia Genet, il officie, toujours chez Gallimard, à la sortie de vingt-et-un volumes puis cède la place. Enfin, bien que 1 André Velter, présentation d’ Orphée Studio. Poésie d’aujourd’hui à voix haute , Gallimard, 1999, pp.8-9. 2 Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée , XXVIII, traduction de Charles Dobzynski. 3 André Velter, « Les secrets de la situation poétique », Midi à toutes les portes , Gallimard, 2007, p.310. 4 André Velter, entretien avec Robert San Geroteo et Jean-Marie Le Sidaner, Flache , N°9, Charleville- Mézières, Juin 1989. 6 désormais à l’écart du Monde , pour lequel il rédigea tant et tant de feuillets, il reprend parfois du service, comme à la mort de l’ami de L’été grec Jacques Lacarrière ou encore de Julien Gracq. Bref, non content d’écrire ses propres livres, qui pourtant le contentent, André Velter travaille à ceux des autres. Sa bibliographie débute en poésie et en tandem avec Aisha . Proses, essais et traductions ouvrent ensuite la voie d’une écriture plurielle. Le Grand passage et Ça cavale sont les tout premiers disques, avec volonté d’explorer à l’oreille, en musique et sur tous les tons l’oralité nouvelle. L’Arbre-Seul révèle le panache, les voyages et l’errance des deux côtés du monde, avec un faible immense pour les déserts et les rives lointaines de l’inconnu. Du Gange à Zanzibar confirme l’appel des Orients, destinations bien réelles revues et corrigées à l’aune de nos imaginaires. Le Haut-Pays garde le cap sur l’ailleurs mais vu du ciel des rapaces, fortifiant et l’altitude et le lyrisme aride de la langue velterienne. L’entrée en scène du Théâtre équestre de Bartabas précise la trajectoire, canalisant la fougue, affinant la pensée, attendu qu’à cheval comme « En camion ou sur un buffle bleu / l’heure est toujours à passer la frontière »1. Non seulement Zingaro suite équestre met les mots à nu et au galop mais il est, n’en déplaise à la monture de Lao-tseu, le signe éclatant d’une véritable « consanguinité d’énergie »2. Velter a trouvé le lieu et la formule d’un art poétique inédit dans le sillage du grand centaure d’Aubervilliers : la Poésie équestre qui ne craint pas d’improviser avec de la sciure, de la sueur, de la colère et du cœur. Bien sûr, côté œuvre vécue sans faux- semblant ni arrangements à la petite semaine, il y a surtout La vie en dansant fauchée par la mort et les poèmes nés en la forêt de longue absence, telle la « longue attente » de Charles d’Orléans, dédiés à l’alpiniste Chantal Mauduit.