H. SIELENS Journaliste E Problème De La
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
H. SIELENS Journaliste e problème de la J 'esperanto fit son apparition dans le monde DE GRANDS PENSEURS le 21 juillet 1887 et compte actuelle- POSENT LA QUESTION ment des milliers d'adeptes dans tous les pays En premier lieu ce sont des philosophes de civilisés. A l'occasion du soixantième anniver- saire de cette langue auxiliaire internationale, premier plan qui s'intéressent á la question nous avons pensé pouvoir présenter dans „De- de la langue universelle: main" une étude d'ensemble sur le problème C'est ainsi que René Descartes (Cartesius de la Iangue mondiale. 1596-1650) , Jan . Komensky (Comenius 1592- Ce problème devient de plus en plus actuel 1670), Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646- en ce moment; il est en corrélation étroite avec 1716), John Locke (1632-1704), G. Dalgarno les principes politiques, sociaux et économi- (1627-1687), John Wilkins (1614-1672), ques; il intéresse toujours davantage les phi- Friedrich Nietzsche (1844-1900) et beaucoup lologues d'autres dont les noms sont moins retentis- et parmi eux des linguistes de répu- sants, montrèrent la nécessité de mettre en tation internationale et les organisations économiques, politiques et sociales tant natio- usage une langue internationale ou d'en élabo- nales qu'internationales. rer une. Plus, il ne se contentèrent pas d'attirer l'at- LE VERITABLE PROBLEME tention sur le problème, ils n'y auraient e problème essentiel de la langue artificielle eu qu'un mince mérite mais quelques-uns se posa du fait que le grand nombre et la di- d'entre eux s'en occupèrent activement. versité considérable des langues constituent Il en fut ainsi du philosophe René Descartes, un obstacle très grave dans les relations inter- qui dans une lettre écrite à son ami intime nationales; celles-ci sont aussi difficiles à l'abbé français Mersenne, le 20 novembre nouer qu'à entretenir. 1629, fixa les principes qui devaient être à la A l'époque contemporaine vient s'ajouter base d'une langue artificielle internationale. l'idée de la paix, et l'on admit de plus en plus Leibnitz ira plus loin, non seulement il éta- qu'un contact international, non seulement blira les principes, mais encore il rédigera lui- entre les classes élevées, mais aussi entre les même deux projets de langues artificielles. plus modestes habitants des différents pays C'est d'abord une sorte de système mathé- et parties du monde, aurait comme conséquen- matique, une langue chiffrée; plus tard, il ce de meilleures relations, de sorte que le élaborera une système qui peut s'écrire et moyen de rendre ces relations possibles contri- même se parler. A l'heure actuelle, les archi- buerait à faire mieux connaître et à apprécier ves de la ville de Hanovre doivent encore d'autres pays, évitant des froissements inter- conserver des- centaines de documents inédits nationaux, qui souvent résultent d'incompré- concernant l'ceuvre de Leibnitz, en rapport hension plus que d'animosité. avec le problème de la langue internationale. Ce problème fut posé depuis des centaines Et, nous devons bien le dire, il est étonnant d'années; en effet, dès le 12e siècle, l'abbesse de constater que toutes les théories possibles Hildegardis créa une sorte de langue inter- des différents philosophes sont constamment nationale, „Ignota lingue" afin de vaincre les rééditées et publiées, qu'elles sont éprouvées et difficultés dues à la diversité des langues. Au étudiées de toutes manières, mais que tout 16e siècle le savant arabe Mehuddin essaya un aussi systématiquement leurs études et opi- nouveau projet, le „Balaibalan". nions sur une langue universelle sont mises à Entretemps, l'étude des langues continua et l'arrière-plan, ou, pis, passées sous silence de les philologues prétendent qu'il y a actuelle- propos délibéré. ment de 3000 (1) à 3600 (2) langues et dialec- SYSTEMES PHILOSOPHIQUES tes répandus sur le globe terrestre. OU PASIGRAPHIES Et tandis que les érudits continuaient leurs recherches et leurs travaux scientifiques, le TourT our à tour, plusieurs systèmes de pasigraphie problèmes d'une langue artificielle se posait de ou langue philosophique virent le jour. façon de plus en plus aiguë. Pensons rien qu'un N&is trouvons deux systèmes complètement moment aux relations internationales toujours développés de la main de l'anglais George Dal- plus actives et au fait que l'homme du XXe garno : „Ars signorum vulgo character-un iver- siècle a supprimé totalement les distances par salis et lingua philosophica" (Londres 1661) ses inventions et progrès scientifiques. et de l'évêque de Chester, John Wilkins: De siècle en siècle apparurent de prétendues „An Essay towards a Real Character and a solutions du problème, solutions qui chaque Philosophical Language, with an alphabetical fois et très rapidement apparurent ne rien ré- Dictionary" (Londres 1668). soudre mais qui cependant ont conduit à une (1) E. Kieckers. „Die Sprachsumme der Erde", Heidel- étude constante du problème qui finalement berg 1931. (2) A. Meillet et M. Cohen. „Les Langues du Monde, doit mener à la solution. Paris 1921. 144 langue auxiliaire internationale Ces langues philosophiques constituent un En 1732 paraît à Leipzig, le système de grand pas en avant sur la longue route qui Carpophorophilus „Novum inveniendie Scrip- mène à la langue artificielle. Elles ne se basent turu oecumenicae"; il est suivi peu d'années nullement sur des langues existantes, mais sur plus tard par des systèmes combinés des Fran- une classification symbolique des différentes çais P. Maupertuis (1756) en Faignet (1765), idées. de l'Allemand M. Michaelis (1759), du Hon- C'est à une telle langue que Leibnitz grois Kalman de Tapolzafö (1772) , enfin en- après qu'il eut acquis la conviction qu'une core des Français Condorcet (1774) et Delor- langue chiffrée, par le fait qu'elle ne pouvait mel (1795). être parlée, n'avait aucune chance de réussite Et cependant ce n'est pas encore ici que a toujours travaillé, jusqu'à sa mort. s'arrêtent les tentatives de ce siècle puisque Et ici il convient d'ajouter que le but, à paraissent encore les langues artificielles de cette époque, n'était pas d'introduire une lan- l'Allemand Ch. Berger (1779) , du Français gue artificielle pour faciliter les relations in- Joseph de Mairaeux (1797), du Russe C. ternationales et à utiliser a côté des langues Wolke (1797), de l'Autrichien J. Vater (1799) nationales. Le but était simplement de créer et pour finir encore un système allemand dû une langue destinée à remplacer les langues à la main de Grotefeud (1799) . existantes. Quand nous aurons dit que les systèmes dits EVOLUTION DU PROBLEME philosophiques étaient créés de toutes pièces, Si d'une part la nécessité d'un moyen d'ex- étaient totalement impossibles à apprendre et pression international se faisait sentir toujours à retenir, et que la moindre erreur d'une sim- avec plus d'acuité, d'autre part le matériel ple lettre amenait une différence considérable d'étude se trouvait plus aisément par suite de dans le sens, et quand nous aurons ajouté que de la parution des projets précités et de bien si l'histoire nous apprend que de nombreux d'autres encore dont nous ne devons pas don- auteurs ont créé de tels systèmes, elle ne nous ner ici une liste complète. dit jamais qu'un seul de ces auteurs connais- Les philologues exploraient de plus en plus sait lui-même son propre système, nous en les divers aspects du problème et graduelle- aurons dit assez pour faire sentir que cette ment l'unanimité se raillia à la déclaration de première étape ne pouvait pas apporter une principes suivante: solution. 1. Une langue internationale auxiliaire des L'ouvrage du philosophe anglais John Locke langues nationales, serait . d'une incontestable ,,Essa_y on Human Understanding" (1690) et utilité pour l'humanité sur les terrains politi- le livre de Leibnitz qui s'en inspira, ,,Neue que, social et économique ainsi que dans le Abhandlungen über den menschlichen Ver- domaine culturel et pourrait améliorer la com- stand" et son „De stilo philosophico Nizolii", préhension internationale. paraîtront cependant de grande importance. 2. La langue internationale pourrait diffici- L'oeuvre du linguiste Samuel Borchart, dont lement être une des langues mortes classiques, les ouvrages sur une langue mondiale, dérivée et une langue nationale existante n'apporterait de l'hébreu, parus en 1692 à Leyde et à pas la solution. Ces diverses langues sont trop Utrecht, montre aussi que les plus grands pen- difficiles et leur étude exige trop de temps seurs de cette époque s'occupèrent de ce pro- pour être acquises par les plus modestes d'entre blème. nous, et même si nous écartions cet obstacle, une langue morte ne pourrait convenir aux TOUJOURS DE NOUVEAUX SYSTEMES besoins de la vie moderne, car elle ne permet- En 1661 déjà, une pasigraphie fut publiée trait même pas à des intellectuels qui auraient par l'Allemand J. Bercher; d'autres tentatives fait une étude approfondie d'exprimer con- suivirent: celles de l'Allemand A. Müller, du venablement leur pensée. Français Ph. Labbé, de l'Espagnol P. Digbous D'autre part, si l'on adoptait comme langue (1653) et de l'Anglais Urquart en cette même internationale une langue nationale existante, année 1653. Il devait bientôt pleuvoir toute ce choix entraînerait des conséquences quasi une série de systèmes, principalement d'après imprévisibles sur le terrain politique et écono- les indications de Descartes, Leibnitz, Wil- mique, et une rivalité entre groupes linguis- kins, etc. tiques ne tarderait pas à se dessiner. Au XVIIIe siècle, l'intérêt porté au problè- 3. En conclusion aux principes 1 et 2 il est me de la langue internationale augmente régu- donc nécessaire de créer une langue nouvelle. lièrement. En conséquence de quoi se pose la question : 145 la Iangue créée artificiellement devrait être Volapük avait prouvé qu'une masse de gens soit une langue à priori, soit à posteriori; c'est- aspiraient à une langue internationale, son à-dire une langue composée sans tenir compte échec porta un coup d'autant plus rude à la des langues ou des éléments linguistiques pré- solution définitive du problème, parce que le existants et sans égard à aucun sentiment lin- monde était maintenant d'autant plus scepti- guistique, ou bien un système basé sur une ou que quant à la possibilité de le résoudre.