H. SIELENS Journaliste e problème de la

J ' fit son apparition dans le monde DE GRANDS PENSEURS le 21 juillet 1887 et compte actuelle- POSENT LA QUESTION ment des milliers d'adeptes dans tous les pays En premier lieu ce sont des philosophes de civilisés. A l'occasion du soixantième anniver- saire de cette langue auxiliaire internationale, premier plan qui s'intéressent á la question nous avons pensé pouvoir présenter dans „De- de la langue universelle: main" une étude d'ensemble sur le problème C'est ainsi que René Descartes (Cartesius de la Iangue mondiale. 1596-1650) , Jan . Komensky (Comenius 1592- Ce problème devient de plus en plus actuel 1670), Gottfried Wilhelm Leibnitz (1646- en ce moment; il est en corrélation étroite avec 1716), John Locke (1632-1704), G. Dalgarno les principes politiques, sociaux et économi- (1627-1687), John Wilkins (1614-1672), ques; il intéresse toujours davantage les phi- Friedrich Nietzsche (1844-1900) et beaucoup lologues d'autres dont les noms sont moins retentis- et parmi eux des linguistes de répu- sants, montrèrent la nécessité de mettre en tation internationale et les organisations économiques, politiques et sociales tant natio- usage une langue internationale ou d'en élabo- nales qu'internationales. rer une. Plus, il ne se contentèrent pas d'attirer l'at- LE VERITABLE PROBLEME tention sur le problème, ils n'y auraient e problème essentiel de la langue artificielle eu qu'un mince mérite mais quelques-uns se posa du fait que le grand nombre et la di- d'entre eux s'en occupèrent activement. versité considérable des langues constituent Il en fut ainsi du philosophe René Descartes, un obstacle très grave dans les relations inter- qui dans une lettre écrite à son ami intime nationales; celles-ci sont aussi difficiles à l'abbé français Mersenne, le 20 novembre nouer qu'à entretenir. 1629, fixa les principes qui devaient être à la A l'époque contemporaine vient s'ajouter base d'une langue artificielle internationale. l'idée de la paix, et l'on admit de plus en plus Leibnitz ira plus loin, non seulement il éta- qu'un contact international, non seulement blira les principes, mais encore il rédigera lui- entre les classes élevées, mais aussi entre les même deux projets de langues artificielles. plus modestes habitants des différents pays C'est d'abord une sorte de système mathé- et parties du monde, aurait comme conséquen- matique, une langue chiffrée; plus tard, il ce de meilleures relations, de sorte que le élaborera une système qui peut s'écrire et moyen de rendre ces relations possibles contri- même se parler. A l'heure actuelle, les archi- buerait à faire mieux connaître et à apprécier ves de la ville de Hanovre doivent encore d'autres pays, évitant des froissements inter- conserver des- centaines de documents inédits nationaux, qui souvent résultent d'incompré- concernant l'ceuvre de Leibnitz, en rapport hension plus que d'animosité. avec le problème de la langue internationale. Ce problème fut posé depuis des centaines Et, nous devons bien le dire, il est étonnant d'années; en effet, dès le 12e siècle, l'abbesse de constater que toutes les théories possibles Hildegardis créa une sorte de langue inter- des différents philosophes sont constamment nationale, „Ignota lingue" afin de vaincre les rééditées et publiées, qu'elles sont éprouvées et difficultés dues à la diversité des langues. Au étudiées de toutes manières, mais que tout 16e siècle le savant arabe Mehuddin essaya un aussi systématiquement leurs études et opi- nouveau projet, le „Balaibalan". nions sur une langue universelle sont mises à Entretemps, l'étude des langues continua et l'arrière-plan, ou, pis, passées sous silence de les philologues prétendent qu'il y a actuelle- propos délibéré. ment de 3000 (1) à 3600 (2) langues et dialec- SYSTEMES PHILOSOPHIQUES tes répandus sur le globe terrestre. OU PASIGRAPHIES Et tandis que les érudits continuaient leurs recherches et leurs travaux scientifiques, le TourT our à tour, plusieurs systèmes de pasigraphie problèmes d'une langue artificielle se posait de ou langue philosophique virent le jour. façon de plus en plus aiguë. Pensons rien qu'un N&is trouvons deux systèmes complètement moment aux relations internationales toujours développés de la main de l'anglais George Dal- plus actives et au fait que l'homme du XXe garno : „Ars signorum vulgo character-un iver- siècle a supprimé totalement les distances par salis et lingua philosophica" (Londres 1661) ses inventions et progrès scientifiques. et de l'évêque de Chester, John Wilkins: De siècle en siècle apparurent de prétendues „An Essay towards a Real Character and a solutions du problème, solutions qui chaque , with an alphabetical fois et très rapidement apparurent ne rien ré- Dictionary" (Londres 1668). soudre mais qui cependant ont conduit à une (1) E. Kieckers. „Die Sprachsumme der Erde", Heidel- étude constante du problème qui finalement berg 1931. (2) A. Meillet et M. Cohen. „Les Langues du Monde, doit mener à la solution. Paris 1921. 144 langue auxiliaire internationale Ces langues philosophiques constituent un En 1732 paraît à Leipzig, le système de grand pas en avant sur la longue route qui Carpophorophilus „Novum inveniendie Scrip- mène à la langue artificielle. Elles ne se basent turu oecumenicae"; il est suivi peu d'années nullement sur des langues existantes, mais sur plus tard par des systèmes combinés des Fran- une classification symbolique des différentes çais P. Maupertuis (1756) en Faignet (1765), idées. de l'Allemand M. Michaelis (1759), du Hon- C'est à une telle langue que Leibnitz grois Kalman de Tapolzafö (1772) , enfin en- après qu'il eut acquis la conviction qu'une core des Français Condorcet (1774) et Delor- langue chiffrée, par le fait qu'elle ne pouvait mel (1795). être parlée, n'avait aucune chance de réussite Et cependant ce n'est pas encore ici que a toujours travaillé, jusqu'à sa mort. s'arrêtent les tentatives de ce siècle puisque Et ici il convient d'ajouter que le but, à paraissent encore les langues artificielles de cette époque, n'était pas d'introduire une lan- l'Allemand Ch. Berger (1779) , du Français gue artificielle pour faciliter les relations in- Joseph de Mairaeux (1797), du Russe C. ternationales et à utiliser a côté des langues Wolke (1797), de l'Autrichien J. Vater (1799) nationales. Le but était simplement de créer et pour finir encore un système allemand dû une langue destinée à remplacer les langues à la main de Grotefeud (1799) . existantes. Quand nous aurons dit que les systèmes dits EVOLUTION DU PROBLEME philosophiques étaient créés de toutes pièces, Si d'une part la nécessité d'un moyen d'ex- étaient totalement impossibles à apprendre et pression international se faisait sentir toujours à retenir, et que la moindre erreur d'une sim- avec plus d'acuité, d'autre part le matériel ple lettre amenait une différence considérable d'étude se trouvait plus aisément par suite de dans le sens, et quand nous aurons ajouté que de la parution des projets précités et de bien si l'histoire nous apprend que de nombreux d'autres encore dont nous ne devons pas don- auteurs ont créé de tels systèmes, elle ne nous ner ici une liste complète. dit jamais qu'un seul de ces auteurs connais- Les philologues exploraient de plus en plus sait lui-même son propre système, nous en les divers aspects du problème et graduelle- aurons dit assez pour faire sentir que cette ment l'unanimité se raillia à la déclaration de première étape ne pouvait pas apporter une principes suivante: solution. 1. Une langue internationale auxiliaire des L'ouvrage du philosophe anglais John Locke langues nationales, serait . d'une incontestable ,,Essa_y on Human Understanding" (1690) et utilité pour l'humanité sur les terrains politi- le livre de Leibnitz qui s'en inspira, ,,Neue que, social et économique ainsi que dans le Abhandlungen über den menschlichen Ver- domaine culturel et pourrait améliorer la com- stand" et son „De stilo philosophico Nizolii", préhension internationale. paraîtront cependant de grande importance. 2. La langue internationale pourrait diffici- L'oeuvre du linguiste Samuel Borchart, dont lement être une des langues mortes classiques, les ouvrages sur une langue mondiale, dérivée et une langue nationale existante n'apporterait de l'hébreu, parus en 1692 à Leyde et à pas la solution. Ces diverses langues sont trop Utrecht, montre aussi que les plus grands pen- difficiles et leur étude exige trop de temps seurs de cette époque s'occupèrent de ce pro- pour être acquises par les plus modestes d'entre blème. nous, et même si nous écartions cet obstacle, une langue morte ne pourrait convenir aux TOUJOURS DE NOUVEAUX SYSTEMES besoins de la vie moderne, car elle ne permet- En 1661 déjà, une pasigraphie fut publiée trait même pas à des intellectuels qui auraient par l'Allemand J. Bercher; d'autres tentatives fait une étude approfondie d'exprimer con- suivirent: celles de l'Allemand A. Müller, du venablement leur pensée. Français Ph. Labbé, de l'Espagnol P. Digbous D'autre part, si l'on adoptait comme langue (1653) et de l'Anglais Urquart en cette même internationale une langue nationale existante, année 1653. Il devait bientôt pleuvoir toute ce choix entraînerait des conséquences quasi une série de systèmes, principalement d'après imprévisibles sur le terrain politique et écono- les indications de Descartes, Leibnitz, Wil- mique, et une rivalité entre groupes linguis- kins, etc. tiques ne tarderait pas à se dessiner. Au XVIIIe siècle, l'intérêt porté au problè- 3. En conclusion aux principes 1 et 2 il est me de la langue internationale augmente régu- donc nécessaire de créer une . lièrement. En conséquence de quoi se pose la question : 145 la Iangue créée artificiellement devrait être Volapük avait prouvé qu'une masse de gens soit une langue à priori, soit à posteriori; c'est- aspiraient à une langue internationale, son à-dire une langue composée sans tenir compte échec porta un coup d'autant plus rude à la des langues ou des éléments linguistiques pré- solution définitive du problème, parce que le existants et sans égard à aucun sentiment lin- monde était maintenant d'autant plus scepti- guistique, ou bien un système basé sur une ou que quant à la possibilité de le résoudre. plusieurs langues existantes. LA SERI E S'ALLONGE TOUJOURS DE NOUVELLES TENTATI VES A près l'échec du volapük le mouvement ne s'arrêtera pas : une nouvelle série de langues L e X I X siècle verra encore surgir toute une artificielles se répandent dans le monde, avec série de langues nouvelles, mai il apportera les peu ou pas de succès. principes définitifs, et enfin la langue artifi- Nous le répétons: nous n'avons pas l'inten- cielle qui gagnera une large partie du monde tion d'en donner une liste complète, ce serait en l'espace de quelques décades. d'ailleurs à peine possible, puisque en 1927 Malgré les expériences et les désillusions une une statistique du mouvement espérantiste in- série de nouvelles pasigraphies voient le jour ternational (1) mentionnait déjà 520 langues dès le début du 19e siècle: les systèmes alle- artificielles et que depuis, il s'en est encore mands Näther (1805) en Niethamner (1808), ajouté toute une série. de l'Italien Gigli (1818), des Hongrois I. Gari Quelques-unes méritent cependant d'être (1820) et A. Rethy (1821) , du Belge Herpain mentionnées afin que le lecteur puisse se faire (1823) , la langue du Français A. Grosselin une idée des efforts infatigables produits en (1836) , la „Langue universelle" du Français faveur d'une langue internationale : le „Spelin" Vidal (1844) et enfin le „Projet d'une langue de Bauer (1888), le „" (1889) du Fran- universelle" de l'Espagnol Ochando Sotos çais A. Nicolas, le „Mundolingue" (1889), le (1845) qui connut quelques adeptes. „Dil" de l'Allemand Fierweger (1893) , le Dil- On peut en dire autant du système original pok" (1898), la „Langue bleue" du Français du Français J. Sudre, la langue musicale „Sol- Bollack (1899), „l'" de l'Allemand résol" dans laquelle toutes les notions et for- Molenaer (1903) , l'„ I diom Neutral" (1902) mes grammaticales étaient rendues par des du Russe Rosenberger qui, quelques années combinaisons musicales. plus tard, en 1912, publia un nouveau projet Outre ces divers systèmes a priori le 19e „Reform-Neutral". siècle nous offre aussi quelques langues artifi- Mais en 1887 apparut une modeste brochure cielles empruntant une voie nouvelle; celles de la main du médecin polonais L. L. Zamen- basées sur un fond a posteriori : la langue hof, sous le pseudonyme „D- ro Esperanto". basée sur le latin due à l'Allemand F. Gerber Et cette langue, comparativement à tous les (1832) , la „Communicationssprache" de l'Al- systèmes et particulièrement au Volapük, lemand Schipfer J. (1839) et les systèmes de commença une propagande plus lente, mais Martinez (1852), de Rudelle (1859) et Pirro d'autant plus victorieuse, puisqu'elIe atteignit (1868). les proportions d'un , mouvement mondial. VOLAPU K Nous reviendrons plus tard en détail sur l'„Esperanto", c'est ainsi que se nomme cette C'est. en 1880 qu'un pas définitif semble langue; mais disons tout de suite qu'après sa être franchi lorsqu'est publié par l'Allemand publication, beaucoup d'autres langues arti- M. J. Schleyer, une nouvelle langue „Vola- ficielles ont encore été proposées. C'est ainsi puk" (dérivé des mots anglais „world" et qu'on vit encore paraître „Apolema" (1907) „speak". ) du Français de la Grasserie, ,,Latino sine flex- Pour la première fois, une formule de com- ione” (1903) de l'Italien Peano, „I do" (1907) , promis semble être appliquée avec succès; en „Antido" I (1907) , „Auli" (1909) , „Antido effet, le prêtre allemand combinait une gram- II" (1910), „Lingvo Kosmopolita" (1912), maire avec un vocabulaire a posteriori pour la „Dommi" (1913), „Lingvo Internacional" majeure partie. (1914) , ,,Wede" (1915) , „Geogjot" (1916) , Malgré ses nombreuses imperfections la lan- „Romanal" (1917), „" (1919), gue connut une grande faveur et pour la pre- ,,Occidental" (1912) , „Nov-Esperanto" (1925), mière fois, une langue artificielle conquit en „" (I 928) . un an des adeptes en Europe, en Amérique, Nous pourrions encore mentionner des sys- et en Extrême-Orient. tèmes plus „modernes'' parmi lesquels „Basic En 1884, un congrès international du vola- English" pour lequel Churchill semble soute- pük se réunit à Friedrichshafen, en 1887 à nir une campagne, et quelques autres projets Munich et en 1889 à Paris. Et ici le sort de du „dernier bateau" dans ce domaine, mais ce cette langue si prometteuse fut brusquement serait inutile parce que ces „langues" sont scellé! Car si lors du premier congrès un en- restées jusqu'à présent à l'état de projet, et le thousiasme avait régné, il apparut bientôt resteront probablement toujours. que la langue n'était pas aussi utilisable qu'on l'avait espéré au début. L'arbre qui avait (1) Katalogo pie Lingvoj - Universala Esperanto-Asocio, fleuri si vite se dessécha rapidement. Si le Genève 1927. 146 L' ESPERANTO ...,,Je sentais, écrit-il plus tard, que je me Ainsi que nous le disions plus haut, l'Espe- trouvais devant le Rubicon, et que, le jour ranto fut présenté au monde en 1887, il y a où ma brochure aurait paru, je ne pouvais donc exactement 60 ans, et précisément à l'épo- plus reculer. Je savais ce qui attend un mé- que où régnait un vif intérêt en faveur du Vo- decin qui dépend du public, si ce public com- lapük. L'Esperanto en subira les conséquences mence à le considérer comme un fantaisiste,. favorables et fâcheuses. Le désavantage fut qui s'occupe de questions accessoires; je sen- qu'on prêta peu d'attention à l'Esperanto: tais que sur cette carte, je jouais ma vie et c'était l'oeuvre d'un pauvre petit médecin de celle de ma famille, mais je ne parvenais pas la Pologne russe, qui avait édité une fort mo- à chasser la pensée qui emplissait mon corps deste brochure et avait même dû faire appel et mon âme... et je franchis le Rubicon." à la bourse de son beau-père; de sorte que II franchit le Rubicon et... l'Esperanto avait toute propagande adéquate avait dû être lais- entrepris sa marche vers la victoire défini- sée de côté. tive. Le Volapük, tout au contraire, disposait Car les soixante années écoulées l'ont claire- d'énormes moyens de propagande, nous se- ment montré: l'un après l'autre, les arguments rions presque tentés de dire de moyens com- des théoriciens fanatiques sont tombés, les merciaux, et réussit bientôt à déborder de discussions entre philologues se sont terminées l'Europe centrale et occidentale. à l'avantage de l'Esperanto, les objections de La chute du Volapük qui était la suite iné- toute nature se sont avérées fausses: l'Espe- luctable de son manque d'aptitude à l'usage, ranto n'essaie pas de chasser les langues na- fut un coup fatal pour ceux qui croyaient à tionales, l'Esperanto n'est pas au service d'un la possibilité d'une langue auxiliaire interna- certain groupe politique social ou financier, tionale. Ceux qui se séparèrent du Volapük, il n'est pas davantage sous la coupe de l'une n'adhérèrent que difficilement à l'Esperanto, ou de l'autre puissance religieuse ou philoso- à moins qu'ils_ fussent, dans une certaine mesu- phique: l'Esperanto a rendu des services dans re, considérés comme des spécialistes en cette tous les domaines, il a été appliqué avec suc- matière. cès dans toutes les branches de l'intellect, tant Cependant, ceux qui avaient eu des difficul- sur le. plan scientifique ou commercial que tés avec le Volapük il n'est vraiment plus littéraire. utile de parler des autres langues qui avaient Et lorsqu'on objecte qu'après 60 ans l'Es- paru jusqu'à ce moment et qui purent jeter peranto n'a pas encore conquis le monde, nous un regard sur l'Esperanto, y furent immédiate- ne pouvons répondre que ceci : le monde, en ment gagnés. C'est ainsi que l'oeuvre du Doc- effet, oui; mais pas certains organismes offi- teur Louis Lazare Zamenhof, qui était né à ciels qui ont toujours besoin de beaucoup de Bjalistok dans la province russe de Grodno, le temps pour se rendre compte de l'existence 15 décembre 1859, se fraya lentement un che- d'une certaine situation de fait. min. Notre but n'est pas de nous livrer à une Et s'il était possible avant cette époque de démonstration de propagande. Nous désirons discuter sur la possibilité de l'emploi d'une uniquement esquisser la situation telle qu'elle langue artificielle, malgré ou plutôt à cause se présente : la solution du problème d'une de l'existence d'environ deux cents projets, langue internationale est trouvée; elle a été depuis le moment où l'Esperanto fut connu trouvée en 1887, et tel est l'avis du linguiste la discussion cessa automatiquement. le Dr. Björn Collinder, de l'Université d'Up- C'est pendant sa vie d'étudiant que Zamen- sala; c'est aussi l'avis de philologues autori- hof avait commencé son oeuvre. Il s'était révé- sés, tels que Max Müller, Baudouin de Courte- lé un brillant élève aux cours de langues. Il nay, Jespersen et Meillet. parlait le russe et le polonais, il possédait l'hé- Nous affirmons que l'Esperanto possède une breu, l'anglais, l'allemand, il étudiait le grec et littérature propre, que ce ne sont pas des di- le latin et révélait un sens linguistique remar- zaines mais des milliers d'ouvrages qui existent quable. Il avait employé lui-même sa langue en cette langue, qu'elle est journellement em- pendant des années de 1878 à 1887 —; il ployée dans tous les pays du monde, et l'avait parlée et écrite, en prose et en poésie, nous désirons le souligner, qu'elle est em- il s'en était servi pour des traductions, il l'avait ployée par de simples travailleurs, qui ont expérimentée et maniée dans tous les domai- réussi à créer un puissant mouvement espe- nes. C'est ainsi que dès le début, et quoique rantiste ouvrier, tandis qu'au contraire, des la première brochure ne contînt qu'une gram- organismes internationaux en sont encore aux. maire de quelques pages, qu'un vocabulaire de expédients pour résoudre les difficultés du 900 mots environ, et n'offrit que deux ou problème des langues. trois textes en Esperanto, il avait fait de cette Citons d'une part le grand philosophe russe langue quelque chose de vivant. La mince Tolstoï qui a écrit: „Les sacrifices que chaque brochure, rédigée en russe, parut peu après en homme de notre monde européen ferait en con- polonais, en français, en anglais et en alle- sacrant quelques heures à l'étude de 1'„Espe mand. ranto",, seraient si minimes, et les conséquen- Zamenhof avait cependant longtemps hésité ces qui résulteraient seraient si grandes, que avant de se résoudre à la publier. l'on ne peut refuser d'en faire l'essai.” 147 „D'autre part, la remarque de l'Espéran- chaque discours, parce que les allocutions, tiste français, M. Rollet de l'Isle, (1) : „Les après avoir été prononcées dans la langue ori- diplomates, les hautes personnalités de tous les ginale, sont relues en franais et en russe, de pays assemblés pour étudier --- et si possible sorte qu'une harangue d'une demi-heure prend résoudre les grandes questions que posent automatiquement une heure et demie. les relations entre les peuples, ne peuvent le Le correspondant constata que, à 4 h. 32, plus souvent se comprendre que par l'intermé- Attlee était absorbé par un problème de mots diaire d'interprètes , car le français n'est plus croisés, qu'à 4 h. 36 Evatt quitta la salle pen- aujourd'hui la langue diplomatique que théo- dant qu'on y déclamait la traduction d'un dis- riquement, et, dans la pratique, comme on le cours d'un représentant de l'Inde britannique, sait, le nombre des langues employées aug- qu'à 4 h. 37 tous les délégués présents lisaient mente constamment. le journal à l'exception du délégué éthiopien „Dans ces délibérations si graves, où un mot qui s'était endormi. Le correspondant relève mal placé, une nuance dans l'expression, peu- qu'à 4 h. 40 le délégué américain James Dunn, vent détruire en un instant tout un laborieux après s'être plongé pendant quelques instants travail de persuasion, on est donc entièrement dans des documents officiels, les met de côté à la merci d'intermédiaires qui, quelqu'expé- et s'absorbe dans la page sportive du „Daily rimentés et consciencieux qu'ils soient, peu- Telegraph". Au même instant il constate que vent trahir ceux qu'ils traduisent, par erreur le délégué néo-zélandais a commencé à écrire ou ommission, sans que ces derniers puissent une lettre. Deux minutes plus tard le délégué même s'en douter. de l'Inde britannique Peruses tire une brochu- „Dans ces séances, où se joue le sort des re „Ce que vous offre Paris", probablement peuples, c'est donc une méthode aussi dange- pour préparer sa soirée du samedi. A 4 h. 50, reuse, aussi primitive que l'on est contraint le délégué éthiopien s'éveille en sursaut, à d'employer. On ne peut se défendre d'une pro- cause des applaudissements qui saluent un nou- fonde amertune en pensant aux possibilités vel orateur; à 4 h. 52 Spaak extrait de sa d'entente qui ont peut-être été perdues, faute, poche un roman à couverture jaune... et cela pour les négociateurs, d'avoir pu se commu- dure depuis six jours déjà..." niquer librement leurs idées et leurs senti- Et. a la même époque, à Berne, des centaines ments. d'Espérantistes se réunissaient en Congrès in- „Ceux qui ont la lourde charge de parler ternational pour la première fois depuis la au nom des nations qu'ils représentent dans deuxième guerre mondiale. Il y avait des pro- ces grandes assises, trouveraient dans l'Espé- fesseurs d'université, des juristes, des employés ranto un parfait instrument d'expression de et de modestes travailleurs manuels, et tous leurs idées et de simplification de leurs tra- suivaient, à longueur de journées, des débats vaux. Mais ces nations aussi sont intéressées et des explications, se fréquentaient du soir au premier chef à voir disparaître ces pro- au matin, pour la plupart, la première fois cédés archaïques de discussion en langues di- de leur vie, sans interprètes et sans casque té- verses, dont les conséquences peuvent être si léphonique. dangereuses.” UN APPEL A L'U.N.O. Que ces difficultés ne sont pas exagérées, le simple touriste s'en aperçoit tout autant que Le mouvement espérantiste international a le diplomate le plus en vue. projeté de faire appel à un des organismes Nous vivons plus que jamais dans une ère dépendant de l'U.N.O., l'U.N.E.S.C.O., afin de conférences et les aveugles volontaires doi- d'organiser une sérieuse enquête internationale vent bien constater combien de difficultés pré- par rapport au problème de l'esperanto. sente la diversité des langues. La conférence A cet effet, les Esperantistes et les sympa- de Paris dura 69 jours, plus que le double du thisants sont priés d'adresser une pétition à temps prévu, d'où il résulta que la réunion l'organisme précité, afin de donner plus de de l'assemblée générale de l'O.N.U. dut être force à l'invitation faite à l'U.N.O. postposée et ceci presque exclusivement par Et il est bien significatif qu'à l'époque ac- suite de la perte de temps provoquée par les tuelle, quand le mouvement espérantiste a traductions continuelles et les discussions à derrière lui la guerre mondiale, qui a eu des leur sujet. conséquences terribles . pour l'organisation Et il est amusant de reproduire ici un des années d'interdiction dans de nombreux compte rendu d'un correspondant de l'„United pays occupés, des milliers de morts, des an- Press” qui assista à une séance où c'étaient des nées de privation de contact et de propagande, interprètes et non des diplomates qui déci- plus de 300.000 signatures ont afflué en un daient en partie du bonheur et du malheur minimum de temps. Ces signatures se parta- de millions d'hommes: gent comme suit: „Les hommes d'État font des mots croisés, 1. Suivant le pays d'origine lisent le journal ou font la sieste, tandis que les peuples de la terre attendent qu'ils fas- Hollande . . 46.843 France . . . 31.833 sent la paix", dit le correspondant. Il ajoute d'ailleurs, honnêtement, que les Grande-Bretagne . 27.134 délégués sont obligés d'entendre trois fois (1) Initiation 4 i'Esperanto. Paris 19:28. 148 Tchécoslovaquie . 25.422 Étudiants . . . . 28.571 Bulgarie . . . . 21.992 Conducteurs d'automobiles 2.164 Allemagne 19.713 Employés de l'Etat 7.120 Suède . . ▪ 17.759 Ouvriers du textile . . 1.313 Norvège . . 13.750 Ouvriers du transport . . 13.664 Yougoslavie . • 11.740 Employés communaux 3.348 Danemark 9.107 Tailleurs 5.517 Pologne . 8.105 Divers . . . 18.752 Autriche 7.644 Si nous connaissons la valeur relative de Brésil . • 6.711 telles statistiques et si nous savons que dans Belgique . 6.604 presque tous les pays civilisés des dizaines de Finlande . 6.340 milliers d'Espérantistes ne sont même pas affi- Etats-Unis 6.254 liés à un organisme, nous pouvons aisément Argentine . . . 6.248 concevoir que l'Epéranto a d'ores et déjà fait Italie . . . 5.844 son chemin. (1) Islande . . . . 4.065 Hongrie . . . 3.589 CONCLUS ION Portugal . . . 3.462 Il a été prouvé de façon absolue, que l'Espe- Australie . . . • .3.230 ranto peut être utilisé dans tous les domaines; Nouvelle-Zélande 2.540 ses applications actuelles dans le monde en- Suisse . . . 1.882 tier vont sans cesse croissant, de même que Egypte . . . . 1.794 l'intérêt en faveur d'un langue auxiliaire in- Maroc . . . 1.037 ternationale, témoigné par d'importantes en- Grèce . . . . 810 treprises et des organismes officiels de divers Palestine . . 505 pays. Nous nous demandons si, dans notre Irlande . . . . 463 pays qui, tant par sa situation que par son Uruguay . . 460 économie particulière, est plus que d'autres Canada . . 359 destiné à entretenir des relations avec l'étran- Espagne . . 276 ger, et dont les populations entretiennent Indes . . . . . 225 naturellement de telles relations internationa- Autres pays . 733 les, et où enfin l'enseignement a atteint un 304.473 niveau élevé, le problème ne devrait pas être étudié de près par le ministère compétent. 2. Selon la profession, la fonction ou l'occu- En premier lieu quelques personnalités spé- pation des signataires cialement désignées seraient chargées par le Ministère de l'Instruction Publique de mener Artistes . . . .. 1.788 une enquête serrée sur l'état de choses dans Magistrats communaux 480 les autres pays. Dentistes . . . . . 511 Et nous ne doutons pas que la conséquence Dessinateurs . . . . 1.974 de cette enquête serait tout au moins encou- Ménagères . . . 41.623 rageante. Le moment est en effet venu de Autorités scolaires . 1.058 penser à suivre l'exemple d'autres pays et de Electriciens . . . 2.665 donner un appui plus substantiel à l'institu- Pharmaciens . . . . 1.147 tion de cours d'Espéranto et qui sait à Agriculteurs . 9.134 l'organisation de ces cours dans des établisse- Hôteliers . . . . 1.547 ments déterminés, ce qui jusqu'à présent n'a Ingénieurs . . . 12.547 été réalisé que par la seule initiative de quel- Instituteurs . . . 17.299 ques administrations communales ou d'insti- J uristes . . . 1.383 tutions privées, et encore le soir uniquement. Journalistes . . 1.059 Une telle mesure produirait indubitable- Commerçants . 52.343 ment des résultats satisfaisants et sa répercus- Employés du bâtiment 5.832 sion ne tarderait pas à se faire sentir. Médecins . . . . . 3.969 Travailleurs manuels . (1) Ceux qui désirent appuyer la pétition à l'U.N.O., • 19.521 peuvent recevoir les formulaires nécessaires en Linguistes . . . .. 292 s'adressant au Secrétaire Général de la Ligue Espé- Artisans . . . 20.399 rantiste Belge, 230, Peter Benoitlaan, Merelbeke. Personnel de la marine 1.051 HENRI A. R. SIELENS. Né le 2-10-1915. Obtint en Parlementaires . . 216 1935 le diplôme de professeur d'Espéranto conformé- Policiers . 1.960 ment aux exigences de l'Académie Internationale Espérantiste. Journaliste depuis 1936. Pendant la Marchands 8.613 guerre, fait prisonnier au front et interné en Allema- Savants . . 1.087 gne. Libéré le 14-2-1941 comme invalide de guerre. Imprimeurs . . . . 3.037 Employé sous l'occupation. Reprise de son activité de Employés des P.T.T. 6.622 journaliste dès la libération. Actuellement secrétaire de rédaction à la „Volksgazet", secrétaire de rédaction Membres du clergé . . 1.347 et éditeur responsable de „Morgen" et prófesseur de Délégués des syndicats 413 droit administratif à l'Université populaire Institut Soldats . . . • 3.107 Emile Vandervelde, à Anvers. 149