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LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 12 JANVIER 2001 YASMINA KHADRA MICHEL WINOCK En exclusivité pour « Le Monde La chronique de Roger-Pol Droit des livres », l’écrivain algérien révèle page VI sa véritable identité et les raisons qui l’ont amené ALFREDO BRYCE-ECHENIQUE à se cacher sous Le feuilleton de Pierre Lepape ARMISTEAD MAUPIN JARED DIAMOND un pseudonyme page II page III page VII a page V Christian Oster, Christian Oster en rieur ému intrigue, paysages. Il a horreur du mot, ou encore le mot de la d’émotion sans doute. Un peu ricaner des facéties mentales du flou et du vague. Le concret, le pro- fin – jamais on ne le trouve. Ce qui Sans se départir d’amour, si on veut, on ne va pas com- narrateur. Vue d’un certain point saïque, au contraire, ne lui font pas n’enlève rien au désir puissant de le mencer à se battre sur les mots, de vue, la loufoquerie est une chose peur. La vulgarité n’est pas son fort, chercher toujours. D’où malaise et de l’humour singulier, d’amour à donner ou à prendre, en sérieuse, surtout si l’on y met, mais pas davantage les déborde- trouble divers. D’où angoisse et rire attendant mieux, mais pas grand- comme Oster, un accent de gravité. ments sentimentaux. Chez lui, cha- mêlés. doucement pathétique, chose, non. » Un jour, au motif de Construit dans « cet état d’urgence que image est calculée, d’ailleurs il y Incontestablement, Christian ses propres déboires sentimentaux, où tous les contraires chaotiquement our évoquer un chagrin en a peu. La moindre perspective est Oster est l’un des grands maîtres par lequel Laura s’installe chez son employeur. s’épousent »,leroman,lui,nese d’amour, nombreux sont les écri- soigneusement balisée, reconnue. actuels de l’humour. Un humour qui il fait passer Et bientôt dans son lit. Rien de fréné- perd nullement dans les brumes de Pvains qui prennent leur envol : le L’imprécision est sa bête noire ; elle n’est ni noir ni d’une autre couleur, tique. Prudence : le cœur de Jacques mer et le sable de la plage qui for- lyrisme est aussi vaste que le ciel, et est aussi celle de ses narrateurs. mais plutôt du genre impassible et saigne encore. Ce qui pourrait n’être ment son dernier paysage. La vieille les plaintifs se croient souvent poè- Avant de prendre son envol – car, pathétique. L’arbre généalogique le langage, qu’une passade prend soudain tout rengaine des amours déçues ou tes. Ils répugnent à visiter et à décri- l’air de rien, Oster le prend finale- dont il descend avec une singulière le poids du bonheur recherché. impossibles et l’émotion qui accom- re le plat pays d’une réalité trop pro- ment, le moment venu –, il se saisit souplesse comporte de nombreuses l’écrivain entrouvre « C’était désespérant parce que je ne pagne le déraisonnable besoin saïque. Alors, forcément, la chose branches ; sur la plus m’étais jamais senti aussi bien et en d’être heureux ne jurent pas, ne amoureuse n’est jamais limitée à elle- proche, se tient Robert la porte de l’émotion même temps c’était comme si je cou- font pas tâche dans ce récit très même. Les images abondent, les Patrick Kéchichian Pinget – un classique. Il lais. Que je me laissais faire. Que je fer- contemporain. Une harmonie qui perspectives se multiplient, l’éthéré y aurait d’ailleurs toute amoureuse mais les yeux. » rend la lecture d’Oster recomman- pactise avec le grossier. Le chagrin de ce thème amoureux, le tourne et une étude à écrire sur la méthode Oster raconte, décrit magnifique- dable, aisée, neuve, heureuse en contamine le monde, que l’on ne le retourne, l’observe, l’étale, le dissè- dont use l’auteur de Loin d’Odile (2), la situation se met en place. L’intri- ment ces instants : « On s’est regar- somme. « Eh oui, rien n’est jamais regarde plus de la même manière ; il que. sur les moyens qu’il se donne et les gue est conçue pour être tout à la dés en mangeant, Laura et moi, avec complètement neuf, c’est comme les modifie les sentiments, bien sûr, Son instrument de travail, son pos- fins qu’il vise. Contentons-nous de fois banale, passablement hiérati- des retenues de sourires, on n’avait mots, les choses reviennent, elles sont mais aussi les pensées, les habitudes, te d’observation, c’est le langage, souligner combien cet humour est, que et… intrigante. Ici, le narra- presque rien à se dire, à ce stade-là, neuves quand même. C’est quand Bryce-Echenique, la psychologie, qui, toutes, inclinent dont il expérimente, depuis une bon- comme celui de Lydie Salvayre mais teur – dont nous n’apprendrons juste à se sentir, elle et moi, à se tenir à même toujours neuf, l’amour. » alors à la catastrophe générale. ne dizaine d’années (1), les ressour- selon une autre modalité et dans un qu’à la moitié du livre, et pas à n’im- bout de regard, oui, comme deux qui Christian Oster, lui, veut plier le ces et les limites. Sa conviction est autre but, de A jusqu’à Z, porte quel moment de la narration, ne voudraient plus se perdre, mainte- (1) Depuis Volley-ball (1989) jusqu’à lyrisme, cette donnée commune, à élémentaire : tout est affaire de conscience, intelligence du langage. qu’il se nomme Jacques –, récem- nant qu’ils ont trouvé comment faire, Mon grand appartement (prix Médicis, de plus étroites exigences. D’abord, mots, y compris la vérité ; simple- Il y a deux moments, deux stades ment plaqué par Constance, décide pour être proches. » Ils se perdront 1999, voir « Le Monde des livres » du il est romancier, c’est-à-dire bâtis- ment, le mot juste – celui qu’on intimement liés mais distincts, dans de prendre une femme de ménage : cependant. Et la dernière réplique 3 septembre 1999), tous chez Minuit. seur d’histoires, avec personnages, appelle aussi le bon ou le dernier l’humour d’Oster. D’abord, celui où « J’avais attendu six mois. Six mois du livre, longtemps préparée, réson- (2) « Le Monde des livres » du sans ménage, six mois sans Constance. nera comme une fatale sentence aux 20 février 1998. Vient d’être repris, sui- Une femme qui m’avait occupé l’es- oreilles du héros, ce sombre quin- vi d’une étude de Jean-Claude Lebrun, prit et le cœur, sans cesse, et qu’il me quagénaire. dans la collection « Double », en suffisait de voir ou d’évoquer pour me L’émotion que Christian Oster insi- poche, aux mêmes Editions de Minuit dire que la vie avait une forme. D’où nue au cœur même de son humour (144 p., 34 F [5,18 ¤]). l’inutilité de ranger, désormais, chez est d’autant plus poignante qu’on ne moi. De maintenir l’ordre. De passer l’attend pas, qu’elle monte sans que UNE FEMME DE MÉNAGE l’aspirateur. » l’on y prenne garde, pour nous sur- de Christian Oster. Le narrateur donc, dans une volon- prendre en train de sourire ou de Minuit, 238 p., 95 F (14,48 ¤). té de sursaut hors de la dépression postsentimentale, s’attache les servi- ces de la jeune Laura. «…Jemesen- tais peu à peu rentrer dans la norme, voire dans l’élite. Pas de problèmes, une désespérance en fin de course, un métier, une femme de ménage, il ne me manquait plus que le bonheur. Mais j’avais le temps, je n’entrais que dans ma cinquantième année. » Tout Yasmina Khadra, ne va pas si bien cependant. Une fou- le de désagréments et de ques- tions – principalement attachées à l’usage, ou au non-usage, par Laura, d’un aspirateur, et à la coiffure de cette dernière, qui travaille bigre- ment son employeur – surgissent. Et si au moins l’envahissement de l’ex- istence par les détails pouvait faire oublier ce qui, à cette existence, man- quait encore… Par ce mot, « bonheur », nous entrons dans le deuxième stade du comique ostérien (il est temps d’in- venter l’adjectif), celui au cours duquel il se transforme, devient, sans rien perdre de ses droits, douce- ment pathétique. C’est sans doute là qu’Une femme de ménage marque une sorte d’évolution dans l’œuvre de Christian Oster. Avec ce roman, l’écrivain s’aventure heureusement vers des zones et dans des paysages à la lisière desquels, jusqu’à présent, il demeurait. En fait, cette transfor- mation a lieu dans le récit qui nous Jared Diamond est proposé, et, à l’intérieur de ce récit, dans la conscience et le désir du narrateur. Jacques est un modeste : « J’étais frileux, comme homme. A part l’amour, je ne valais pas grand-chose. A part aller vers l’amour, j’entends. Je ne parle pas de succès, pitié. » Il n’a pas la folie des grandeurs : « Non, ce n’était pas grand-chose. (…) Un peu J.-P. FAVREAU POUR « LE MONDE » www.lemonde.fr 57e ANNÉE – Nº 17408 – 7,50 F - 1,14 EURO FRANCE MÉTROPOLITAINE VENDREDI 12 JANVIER 2001 FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-MARIE COLOMBANI Sang contaminé : le troisième procès Balkans : enquête sur un trop long silence b Les états-majors européens étaient parfaitement avertis des dangers des armes à uranium est encore retardé appauvri b L’armée américaine n’avait pas caché leur emploi dans le Golfe, en Bosnie, au Kosovo par des vices et en Serbie b La France lance un programme de dépistage pour tous ses soldats des Balkans LES ARMÉES EUROPÉENNES et arme provoque des dommages de procédure les responsables politiques savaient radiologiques aux poumons et au que les Etats-Unis avaient utilisé système digestif ainsi que des dom- LE PROCÈS du volet non ministé- des armes contenant de l’uranium mages chimiques aux reins.