INTERVENTIONS EN CLASSE QUESTIONS DE CINÉMA 2016–2017 Lycéens et apprentis au cinéma en Île-de-France Académies de Créteil et Versailles

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 1 Les questions de cinéma sont des interventions thématiques à partir d’un ou plusieurs films de la programmation. Elles favorisent l’ouverture sur d’autres films de l’histoire du cinéma. À partir d’un axe précis lié à des enjeux de mise en scène, l’intervenant porté par sa connaissance intime du cinéma propose aux élèves différents extraits de films. Objectif de ce type d’intervention : amener les élèves à consolider ensuite cette courte expérience grâce à cette ouverture sur le cinéma en tant que pratique culturelle. « Pour apprendre à voir, il faut d’abord apprendre à parler, à parler de ce que l’on voit. » Marie-José Mondzain

V Morse de Tomas Alfredson teurs de manière non synchrone à la connaissance 19 PROPOSITIONS Le morse n’est pas le seul code présent dans ce film qu’en ont certains personnages. de genre. Le cinéaste se joue des codes et des stéréo- Quels sont les effets de ces différentes « distorsions » 1 types de la « vampire » et de l’adolescent harcelé. sur notre rapport à la vérité filmique ? Le spectateur Par ailleurs, les pères aussi absents que protecteurs, enquête et s’initie à l’erreur, au doute, à mesure que Autour d’À bout de souffle, Blow Out, L’homme questionnent les figures achétypales. le personnage se confronte à la complexité du qui tua Liberty Valance, Morse monde extérieur. Il ne dispose que d’indices, et non POUR UNE LECTURE FÉMINISTE V L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford de preuves, qui le rendent incapable de saisir le réel Dans ce , John Ford rejoue la partition de la par le centre audiovisuel Simone de Beauvoir au moyen de l’enregistrement sonore ou visuel. En femme déchirée entre deux hommes à travers son Nous vous proposons d’aborder les mécanismes du 2007, Brian De Palma propose d’ailleurs un mani- personnage de Hallie qui taquine sporadiquement feste autour de ce questionnement de la vérité regard, de nous en jouer et de les déjouer. C’est une la virilité de ses héros. invitation à une expérience critique féministe qui contenue dans les images avec Redacted, autour de la renouvelle le plaisir du cinéma, nos perceptions et représentation de la guerre en Irak ; d’autant plus nos analyses. nécessaire lorsque les sources se multiplient. 2 V À bout de souffle de Jean-Luc Godard Patricia et Michel incarnent toute l’ambiguïté du Sur l’ensemble de la programmation « male gaze » (regard masculin) au cinéma : fascina- LE SECRET DANS L’IMAGE tion pour la femme mystérieuse, complicité du héros masculin avec ses pairs et fétichisme pour le Le cinéma art de l’illusion. L’image montre autant corps de l’héroïne. JLG filme cependant Patricia qu’elle cache au moins de trois manières : la première, comme un personnage plein de projets et à la fois dans le champ, certains détails sont délibérément ambiguë dans ses désirs. Et c’est bien l’aspiration à laissés imperceptibles, surtout à la première vision ; l’autonomie de l’héroïne qui vient se heurter à ce la deuxième, la « présence » du hors-champ, ce que regard masculin. le cadrage exclut que le montage pourra ensuite dévoiler ; la troisième, de la fabrication, l’image ne V Blow Out de Brian De Palma laisse entrevoir que quelques traces. Par ailleurs, le V Filmographie indicative : Le personnage de Jack se préoccupe davantage de film peut laisser croire à l’objectivité du point de L’avventura (Michelangelo Antonioni) la qualité de ses enregistrements sonores que de vue (l’outil optique de la caméra n’est-il pas nom- À cause d’un assassinat (Alan J. Pakula) l’héroïne Sally : son perfectionnisme se verra comblé mé-qualifié « objectif »), ce qui nous mène à la Le chagrin et la pitié (Marcel Ophüls) par le cri tragique de cette dernière. Personnage de question suivante : quelle relation le spectateur 1 « prostituée », maquilleuse, Sally apparaît comme entretient-il avec ce « subjectif de l’objectif » ? Enfin, 1. François Niney, Le subjectif de l’objectif : Nos tournures d’esprit à l’écran, un des archétypes des héroïnes de De Palma. certains éléments du récit sont révélés aux specta- KLINCKSIECK, collection 50 questions, 2014

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 2 Citizen Kane (Orson Welles) Dead Zone (David Cronenberg) Les enchaînés (Alfred Hitchcock) Le dictateur (Charlie Chaplin) Inception (Christopher Nolan) L’exercice de l’état (Pierre Schoeller) Jackie Brown (Quentin Tarantino) Lincoln (Steven Spielberg) L’homme invisible (James Whale) JFK (Oliver Stone) Matrix (Larry et Andy Wachowski) Marseille contre Marseille (J.L. Comolli) Rashomon (Akira Kurosawa) Mr Smith au Sénat (Frank Capra) Shara (Naomi Kawase) Primary (Robert Drew) Snake Eyes (Brian De Palma) Primary Colors (Mike Nichols) The Truman Show (Peter Weir) Tempête à Washington (Otto Preminger) Vertigo (Alfred Hitchcock) Vers sa destinée (John Ford) Zodiac (David Fincher) Séries House of Cards, West Wing (À la maison blanche) The Truman show (Peter Weir) Vanishing Point (Richard C. Sarafian) 3 4 Le cinéma de Woody Allen Autour de Blow Out, L’image manquante, L’homme Autour d’À bout de souffle, Blow Out, L’homme Série Les Simpson qui tua Liberty Valance qui tua Liberty Valance, Morse FILMER LE POUVOIR « JE NE SUIS PAS UN HÉROS » 5 Qu’est-ce que filmer le pouvoir politique ? S’agit-il Le cinéma peut glorifier les actes héroïques de per- Autour d’À bout de souffle de rendre compte à l’image de l’écriture politique, sonnages dotés de capacités exceptionnelles ou, à de son storytelling, ou bien, de filmer la langue, les l’opposé, s’intéresser à des hommes moyens. Ces « LA NOUVELLE VAGUE : gestes et les corps, comme une remise en scène – en derniers, hommes « sans qualités », confrontés à PORTRAIT D’UNE JEUNESSE2 » cause – de son propre dispositif ? Ces interrogations des obstacles qui excèdent leur mesure, doivent De la jeunesse partout : présence de cet âge dans la trouvent leur point nodal dans le lien qui unit le avant tout combattre leurs craintes. Leur courage, société, sur les écrans, dans les salles de cinéma, cinéma à la société et la représentation du monde et, parfois défaillant, ce défi à leurs peurs, les confronte mais aussi derrière la caméra. Une génération éclot, plus largement, sur les rapports entre réel et fiction. au risque d’échouer partiellement ou totalement. (s’)éclate et s’empare des espaces citadins. Contexte Ce type de personnage résiste en partie à l’édification d’émergence : la jeunesse des années 50 change son de leurs actes, mais renvoie le spectateur mieux que rapport au monde adulte et trouve ses propres réfé- tout autre à sa quotidienneté : héroïque, si l’on rences… Au cinéma de nouveaux modes de produc- veut, en tant qu’anti-héros. tions, paradigmes de narration, matériels de filmage V Filmographie indicative : et prise de son, décors (naturels), visages et corps. The Big Lebowski (Joel Coen et Ethan Coen) À bout de souffle : Jean Paul Belmondo, Jean Seberg, Clerks, les employés modèles () , caméra légère, dialogues à la volée, jump-cut Drive (Nicolas Winding Refn) et autres digressions godardiennes sont bien sûr les Easy Rider (Dennis Hopper) parfaits exemples de cet « esprit du temps ». Fenêtre sur cour et La mort aux trousses (Alfred Hitchcock) V Filmographie indicative : Impitoyable (Clint Eastwood) Le beau Serge, Les cousins et Les bonnes femmes (Claude Invasion Los Angeles (John Carpenter) Chabrol) Filmographie indicative : V Un jour sans fin (Harold Ramis) Le bel âge (Pierre Kast) Bob Roberts (Tim Robbins) Kick Ass (Matthew Vaughn) Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Le petit lieutenant (Xavier Beauvois) 2. Titre d’un livre d’Antoine de Baecque paru en 2009 aux éditions Sharon (Avi Mograbi) Pierrot le fou (Jean-Luc Godard) Flammarion2 Titre d’un livre d’Antoine de Baecque paru en 2009 aux éditions Flammarion

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 3 La boulangère de Monceau, La carrière de Suzanne et Le signe Harold et Maud (Hal Ashby) V Filmographie indicative : du Lion (Eric Rohmer) L’impossible Monsieur Bébé (Howard Hawks) Apnée (Jean-Christophe Meurisse) Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda) I love you Phillip Morris (Glenn Ficarra et John Requa) Cul de sac (Roman Polanski) Blue Jeans et Adieu Philippine (Jacques Rozier) Jules et Jim (François Truffaut) Contes cruels de la jeunesse (Nagisa Oshima) L’eau à la bouche (Jacques Doniol-Valcroze) Nous ne vieillirons pas ensemble (Maurice Pialat) Le départ (Jerzy Skolimowski) Le feu follet (Louis Malle) Panique à Needle Park (Jerry Schatzberg) Une femme est une femme et Pierrot le fou (Jean-Luc Godard) Une femme est une femme et Tous les garçons s’appellent Pierrot le fou (Jean-Luc Godard) La fille du 14 juillet(Antonin Peretjatko) Patrick (Jean-Luc Godard) Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner) () Hiroshima mon amour (Alain Resnais) Sailor & Lula (David Lynch) Greetings et Hi Mom ! (Brian De Palma) Lola (Jacques Demy) Thelma & Louise (Ridley Scott) Mean streets (Martin Scorsese) Moi un noir (Jean Rouch) Titanic (James Cameron) Out 1 : noli me tangere (Jacques Rivette) Paris nous appartient (Jacques Rivette) Tous les autres s’appellent Ali (R.W. Fassbinder) Pipicacadodo (Marco Ferreri) Les 400 coups et Jules et Jim (François Truffaut) Voyage en Italie (Roberto Rosselini) La reine des pommes (Valérie Donzelli) Les films avec Fred Astaire et Ginger Rogers ou ceux Tirez sur le pianiste et Jules et Jim (François Truffaut) avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall Victoria (Justine Triet) Séries Clair de lune et How I Met Your Mother La vie au ranch (Sophie Letourneur) Le cinéma de John Cassavettes

7 Autour d’À bout de souffle 8 LA DÉSINVOLTURE COMME STYLE Autour de L’homme qui tua Liberty Valance « Improviser le cinéma », selon la belle formule de WESTERN Gilles Mouëllic 3 : ce lâcher prise peut permettre Genre cinématographique majeur et viril de la de transformer, pour un film « fauché », ce manque conquête de l’Ouest américain au XIXe siècle : de moyen en manifeste esthétique. Ce flirt avec avant, après ou pendant cette conquête et avec ou 6 l’apparence de l’amateurisme technique offre aux sans affrontements cowboys-indiens. Son apogée Autour d’À bout de souffle cinéastes un terrain d’expérimentation formelle, coïncide avec l’âge d’or du cinéma hollywoodien narrative et du jeu d’acteur. avant que ses composants – Far West, Indiens, Cava- EN COUPLE AU CINÉMA lerie, Chemin de fer – ne deviennent des poncifs. Sujet des sujets. Les amoureux sont jeunes et beaux, Sa puissance relève de sa capacité, par-delà les de la chair à magazines et affiches. Leurs romances, conventions, à s’emparer des mythes américains à la ville ou/et à l’écran, alimentent décennie après tout en les forgeant en retour. Dans les années 60, décennie une grande part de la mythologie cinéma- une nouvelle génération de cinéastes, dont certains tographique. Films et séries TV électrisent ces duos européens, s’en empare et renouvelle le genre amoureux, de l’étincelle à l’explosion, dans la joie « spaghetti » ou « crépusculaire ». Une occasion de ou le drame. Comment les cinéastes ont-ils composé revisiter ses mythes et légendes au gré de l’évolu- ce ballet cinématographique fait de vagues, de ten- tion sociale, historique et cinématographique. Le sions, de ruptures, de ressacs et d’écumes ? western est intiment lié à des cinéastes et acteurs V Filmographie indicative : Autant en emporte le vent (Victor Fleming) 3. Gilles Mouëllic est professeur en études cinématographiques, à Bonnie and Clyde (Arthur Penn) l’Université Rennes 2, de l’essai Improviser le cinéma, 2011, Yellow 5 ans de réflexion Nicholas( Stoller) Now-côté cinéma

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 4 le symbolisant : John Ford, Howard Hawks, Anthony V Filmographie indicative : Mann, Sam Peckinpah, Sergio Leone, Clint Eastwood, Catherine Trammel – Basic Instinct (Paul Verhoeven) Garry Cooper, James Stewart… Le conducteur du camion – Duel (Steven Spielberg)

V Filmographie indicative : Dark Vador – Star Wars (Georges Lucas)

L’appât (Anthony Mann) Frank – Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone)

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Hannibal Lecter – Le silence des Agneaux (Jonathan

(Andrew Dominik) Demme)

Le bon, la brute et le truand et Il était une fois dans l’Ouest Harry Powell – La nuit du Chasseur (Charles Laughton)

(Sergio Leone) Jack Torrance – Shining (Stanley Kubrick)

Dead Man () Le Joker – The Dark Knight (Christopher Nolan).

Django Unchained (Quentin Tarantino) M – M le maudit (Fritz Lang)

La horde sauvage (Sam Peckinpah) Norman Bates – Psychose (Alfred Hitchcock)

Little big man (Arthur Penn) Paul Decourt – Que la bête meure (Claude Chabrol)

L’homme des hautes plaines et Impitoyable (Clint Eastwood) Le Pingouin – Batman : Le défi (Tim Burton) La piste des géants (Raoul Walsh) Président Snow – Hunger Games : l’embrasement Les westerns de John Ford et d’Howard Hawks (Francis Lawrence) Casino et Le loup de Wall Street (Martin Scorsese) La Reine de cœur – Alice au pays des merveilles (Disney) Easy Rider (Denis Hopper) Lincoln (Steven Spielberg) Le magicien d’Oz (Victor Fleming) 10 Our Daily Bread (King Vidor) Autour de L’homme qui tua Liberty Valance Le parrain (F.F. Coppola) LES MYTHES AMÉRICAINS Rocky (John G. Avildsen) L’ « usine hollywoodienne » et le « rêve américain ». Scarface (Brian De Palma) Le cinéma américain a toujours accueilli les mythes (Paul Verhoeven) fondateurs de la démocratie américaine et la part de There Will Be Blood (Paul Thomas Anderson) rêves – d’illusions – qu’elle charrie depuis les pre- Le cinéma de Frank Capra, Charlie Chaplin et John Ford miers pas des colons sur la « Terre promise », en Série The Sopranos passant par la Déclaration d’indépendance, la 9 guerre de Sécession ou bien le New Deal. Des films 11 comme ceux de Frank Capra ou les grands genres, Autour de L’homme qui tua Liberty Valance et particulièrement le western, réactivent cette Autour de Blow Out « PLUS RÉUSSI EST LE MÉCHANT,… histoire réelle et fantasmée d’un territoire et de son VOIR LE SON peuple : un discours idéologique, proféré avec un …, plus réussi sera le film. » C’est Alfred Hitchcock, ex- La bande sonore d’un film est-elle toujours soumise sens aigu de la pédagogie, prend forme grâce à pert en la matière, qui nous avertit. Justement, com- à l’image ? N’y a-t-il pas de cas où le son s’affranchit des histoires, des héros et des valeurs communes au ment sont ces méchants ? Qu’entend-on exactement de l’illustration des motifs visuels ? « rêve américain ». Si certains réalisateurs épousent par « méchants », par opposition aux « gentils » ? Des films, des cinématographies, accordent une ces récits fondateurs, beaucoup ne manquent jamais Qu’est-ce qui les rend si méchants ? Quels ressorts place prééminente au son jusqu’à en faire le moteur de les questionner, voire de les critiquer, malgré un identificatoires nous fascinent et participent au succès de leur écriture : hors-champ sonore qui contamine véritable attachement culturel. public d’un film ? S’identifie-t-on au bourreau, à l’intérieur du cadre, « floutage » ou au contraire la victime ou aux deux ? C’est une belle occasion de V Filmographie indicative : ultra-précision des bruits, mixage reproduisant visiter ces « monstres » de cinéma et de voir en quoi Les amants du nouveau monde (Terrence Malick) une écoute « intelligente » collant à la subjectivité ils nous renseignent sur notre propre humanité. Autant en emporte le vent (Victor Fleming) des personnages…

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 5 remonter specta

À chaque fois que les cinéastes dépassent la simple • Reproduire des œuvres déjà existantes. C’est le cas Les « reboots » en général (nouvelle version d’un transcription « naturaliste » de l’enregistrement du assez fréquent du remake au sens strict. Il s’agit le plus film qui a souvent connu de nombreuses suites) micro, ensuite savamment mixée en conformité souvent de l’actualisation de motifs au gré des évo- Série Cinéma de notre temps où un cinéaste de la avec l’image visuelle, ils font littéralement entendre lutions techniques et de l’évolution des mœurs afin génération suivante dresse à « sa manière » le portrait le son : sa vraie « nature » protéiforme, complexe, de séduire une nouvelle génération de spectateurs. d’un aîné au travail. où le silence existe et peut alors s’emplir d’échos. • S’inspirer d’illustres aînés. Ces réalisateurs- spectateurs créent des œuvres qui se nourrissent de films-totems, mais leur production acquiert grâce 13 à leur inventivité passionnelle une autonomie vis- Autour de Blow Out à-vis de l’original. Partant d’un canevas générique qui ne leur appartient pas, leurs films n’en sont pas LE CINÉMA DE LA « PARANOÏA » moins personnels. • Dévoiler le travail de fabrication. En général, cet envers du décor, qui fascine aujourd’hui encore le public, vise moins à désacraliser la « magie » de ce travail qu’à jouir de son aura. Par un tour de passe- passe, l’illusionniste révèle ses « trucs » au profane, mais lui en préserve toute la primeur.

V Filmographie indicative : La réalité vacille chez le personnage qui se répète en Le chanteur de jazz (Alan Crosland) boucle, à l’infini : « On me ment, ils nous surveillent, Chantons sous la pluie (Stanley Donen) un complot sourd près de (chez) moi. » Le doute de tout Conversation secrète (F.F. Coppola) l’assaille et rend sa lucidité malade avide d’indices, Eraserhead (David Lynch) y compris contradictoires, qui viendraient alimenter Le locataire (Roman Polanski) sa thèse. Le cinéma américain s’est largement Phantom of the Paradise (Brian De Palma) emparé de cette thématique après l’assassinat de Pickpocket () JFK en 1963 : « 26 secondes : L’Amérique éclaboussée 4 » Roma (Federico Fellini) selon la formule de Jean-Baptiste Thoret qui La vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck) renvoie à la durée du film amateur d’Abraham V Filmographie indicative : Le cinéma de Jacques Tati Zapruder où ce dernier filme l’événement ; le crâne L’armée des douze singes (Terry Gilliam) Série The Wire – Sur écoute (créée par David Simon) du Président explose. The Artist et OSS 117 (Michel Hazanavicius) Comment cette vitalité morbide est-elle devenue Chantons sous la pluie (Stanley Donen) un enjeu substantiel du cinéma avec la génération 12 (Jim Jarmusch) du Nouvel Hollywood ? Quelle distance critique les Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Soyez sympas Autour de Blow Out cinéastes, comme les spectateurs, entretiennent-ils rembobinez () avec cet événement traumatique inaugural ? Enfin, REMAKE La fille du 14 juillet(Antonin Peretjatko) ce genre filmique est-il parvenu à se renouveler, à Rejouer, refaire, détourner, parodier : le cinéma de Hollywood Ending et La rose pourpre du Caire (Woody Allen) s’actualiser, au fil de l’histoire politique et cinéma- l’après, d’après la première fois et donc un cinéma Psychose (Gus Van Sant) tographique ? – joyeusement – condamné à refaire ce qui le précède. Vertigo (Alfred Hitchcock) Ces films font du cinéma leur sujet et convoquent La jetée (Chris Marker) l’histoire du cinéma. Plusieurs hypothèses se pré- Saga Scream (Wes Craven) 4. Jean-Baptiste Thoret, 26 secondes : L’Amérique éclaboussée. L’assassinat sentent : Le cinéma de Quentin Tarantino de JFK et le cinéma américain, Rouge profond, 2003

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 6 V Filmographie indicative : la découverte du corps, de la sexualité, de sa propre aujourd’hui encore toute sa vivacité. En témoignent Conversation secrète (F.F. Coppola) force physique, la rencontre de l’autre, l’initiation les nombreuses séries ou sagas cinématographiques Un crime dans la tête (John Frankenheimer) via une mise en danger contrainte ou volontaire, avec récentes qui en ont fait leur motif central : l’occasion Le dossier Anderson (Sidney Lumet) les risques inhérents de blessures, contamination et notamment de « flirter » avec le monde adolescent Ennemi d’État (Tony Scott) félicité. Quels ressorts esthétiques et thématiques (cf. Question de cinéma « Cinéma fantastique et Invasion Los Angeles (John Carpenter) permettent aux adolescents d’adhérer au monde adolescence »). Greetings (Brian De Palma) fictionnel ? Cette adhésion préalable permet aux Le film de vampire ne représente-t-il pas une allé- Minority Report (Steven Spielberg) spectateurs d’identifier un cadre connu et de se gorie du cinéma tant ce dernier se nourrit de la vie La mort aux trousses (Alfred Hitchcock) projeter dans les personnages. de ceux qu’il filme ? En d’autres termes, « l’art est comme l’incendie, il naît de ce qu’il brûle » comme l’affir- Le procès (Orson Welles) V Filmographie indicative : mait Jean-Luc Godard dans ses Histoire(s) du cinéma. Rosemary’s Baby (Roman Polanski) Carrie (Brian De Palma) Soleil vert (Richard Fleischer) Halloween (John Carpenter) Total Recall (Paul Verhoeven) It Follows (David Robert Mitchell) Les trois jours du Condor (Sidney Pollack) Spider-Man (Sam Raimi) La vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck) Scott Pilgrim vs The World (Edgar Wright) Les films d’AJ Pakula Retour vers le futur (Robert Zemeckis) La saga « Jason Bourne » Super 8 (J. J. Abrams) Teen Wolf (Rod Daniel) 14 Vendredi 13 : le tueur du vendredi (Steve Miner) Sagas Harry Potter, Divergente, Hunger games, Scary movie, Autour de Morse Scream et Twilight V Filmographie indicative : CINÉMA FANTASTIQUE ET ADOLESCENCE Série Buffy contre les vampires(Joss Whedon) The Addiction (Abel Ferrara) Le bal des vampires (Roman Polanski) Les adolescents aiment le cinéma fantastique. Le cinéma Dark Shadows (Tim Burton) fantastique aime les adolescents. 15 Dracula (F.F. Coppola) Cibles commerciales et figures centrales des intrigues Entretien avec un vampire (Neil Jordan) des films fantastiques, les adolescents y retrouvent Autour de Morse Horror of Dracula (Terence Fisher) de manière biaisée, allégorique et exacerbée des VAMPIRES (Jim Jarmusch) questions (!) – réponses (?) aux turpitudes de leur âge : Les vampires et la figure emblématique de Dracula- Martin (George Romero)

Nosferatu, issue du classique littéraire de Bram Nosferatu (F.W. Murnau)

Stoker, traversent l’histoire du cinéma et vinrent à Nosferatu, fantôme de la nuit (Werner Herzog)

la rencontre de plusieurs générations de specta- Les séries Buffy contre les vampireset True Blood

teurs : muets et expressionnistes, sonores et sous les Saga Twilight et Underworld traits de Bela Lugosi, Christopher Lee puis Vincent Price, masculins ou féminins, sérieux ou parodiques, classiques ou modernes, mais toujours aristocra- tiques. Le vampire s’est mué en fonction de la pré- gnance des enjeux politiques contemporains des différentes époques : il sera par exemple en 1972 hippie dans Dracula 73 ou black dans Blacula… Après les années 1980, plusieurs films de vampire s’affranchiront de l’archétype Dracula. Cela per- mettra au genre de se renouveler et de garder

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 7 Le sixième sens (Night Shyamalan) La langue ne ment pas (Stan Neumann) 16 The Thing (John Carpenter) Nostalgie de la lumière (Patricio Guzmán) Autour de Morse Les yeux sans visage (Georges Franju) Nuit et brouillard (Alain Resnais) Les films de la Hammer Film Productions Shoah (Claude Lanzmann) METTRE EN SCÈNE LE FANTASTIQUE Sur la plage de Belfast (Henri-François Imbert) Quels sont les outils cinématographiques de prédi- S21 la machine de mort khmer rouge (Rithy Panh) lection du cinéma fantastique : thèmes, choix d’ac- 17 Valse avec Bachir (Ari Folman) teurs, types de personnages, scénarios, ambiances Autour de L’image manquante Voyages (Emmanuel Finkiel) visuelles ou sonores ? Alfred Hitchcock employait MÉMOIRES & CINÉMA DOCUMENTAIRE l’expression « direction de spectateurs » par oppo- sition à « direction d’acteurs », à propos de son film « Musées et commémorations instituent autant l’oubli que la 18 Psycho : prendre l’audience par la main, lui imposer mémoire » déclarait Claude Lanzmann au début de Autour de L’image manquante Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures. une place, que ce soit par des artifices scénaristiques L’INTIME DANS L’HISTOIRE ou des astuces de mise en scène. C’est ce pacte (de Le cinéma, comme lieu de mémoire, recueille des contamination) que le spectateur doit signer pour paroles-témoignages. Cette démarche documen- accéder à l’étrangeté du monde et entrer dans le fan- taire qui écoute une « parole vive » met en évidence tastique : il peut ainsi goûter volontairement à ce jeu le souci d’appréhender la mémoire comme une ma- alors même qu’il se trouve en apparence contraint. tière vivante. Cela donne au spectateur les moyens de se représenter ce qui s’est passé et de se l’approprier. S’ajoutent souvent à ces voix des prises de vues de lieux au présent et des archives filmiques : certaines inédites ou dévoilées de manière inédite par le jeu du montage et du passage du temps. À travers ces diverses formes, c’est toujours la question de la mé- moire comme mouvement – d’une histoire, d’une pensée – qui est soulevée. Histoire et histoire intime se croisent et se mêlent. Le chemin des individus creuse les sillons de l’His- toire. C’est cette histoire intime dont le cinéma dis- pose pour rendre compte d’événements historiques au moyen de récits et personnages. Dès lors l’Histoire serait-elle uniquement présente V Filmographie indicative : dans les films comme une vague toile de fond, La belle et la bête (Jean Cocteau) un simple cadre temporel ? À l’opposé, l’Histoire Blair Witch Project (Daniel Myrick et Eduardo Sánchez) « rugissante » ne serait-t-elle pas parfois indiffé- Carie et Sisters (Brian De Palma) rente aux souffrances des individus qu’elle tance ? Cure (Kiyoshi Kurosawa) histoire et Histoire peuvent certes cohabiter dans Duel (Steven Spielberg) l’indifférence mutuelle ; mais bien plus souvent, au L’échine du diable (Guillermo del Toro) cinéma, elles agissent l’une sur l’autre, échos du La féline (Jacques Tourneur) singulier sur la multitude et, à l’inverse, du monde Les griffes de la nuit (Wes Craven) sur le témoin. Le masque du démon (Mario Bava) V Filmographie indicative : Nosferatu le vampire (F.W. Murnau) Le chagrin et la pitié (Marcel Ophüls) V Filmographie indicative : Les oiseaux (Alfred Hitchcock) Drancy avenir (Arnaud des Pallières) Amarcord (Federico Fellini) Ring (Hideo Nakata) Une jeunesse allemande (Jean-Gabriel Périot) L’Anglaise et le Duc (Eric Rohmer)

Questions de cinéma 2016–2017 / www.acrif.org • page 8 Autant en emporte le vent (Victor Fleming) par là-même ce qu’une image dite « réelle » ne sau- V Filmographie indicative : La bataille de Solférino (Justine Triet) rait montrer. L’invention du « documentaire d’ani- 200 000 fantômes (Jean-Gabriel Périot) Chronique d’un été (Jean Rouch) mation » interroge ainsi autant les prétendues Camp 14 : Total Control Zone (Marc Wiese) Persepolis (Marjane Satrapi) limites d’un genre (l’animation) et le domaine Chienne d’histoire (Serge Avédikian) Le pianiste (Roman Polanski) réservé de la prise de vue réelle, qu’elle prolonge les Conversation animée avec Noam Chomsky (Michel Gondry) Le tombeau des lucioles (Isao Takahata) témoignages historiques se rapportant aux grands Conversation Pieces et Creature Comforts (Studio Aardman) Les raisins de la colère (John Ford) conflits et traumatismes du XXe siècle. Couleur de peau : miel (Laurent Boileau et Jung Sik-jun) Reprise (Hervé Le Roux) Comment ce cinéma d’animation se confronte-t-il à Gen d’Hiroshima (Mori Masaki) Rome ville ouverte (Roberto Rossellini) l’Histoire de manière vivante et inventive ? En met- Le naufrage du Lusitania (Winsor McCay) Voyages (Emmanuel Finkiel) tant en scène l’histoire personnelle et la mémoire Persepolis (Marjane Satrapi) Un violon sur le toit (Norman Jewison) historique ainsi qu’en brisant les tabous visuels Ryan (Chris Landreth) The Immigrant (James Gray) des films en prises de vue analogiques, ce cinéma The Story of Menstruation (Disney) Série Mad Men permet de réinterroger événements et blessures. Le tombeau des lucioles (Isao Takahata) Valse avec Bachir (Ari Folman)

19 Autour de L’image manquante

LE DOCUMENTAIRE D’ANIMATION * Le cinéma d’animation représente l’Histoire dans * * un mouvement à la fois réaliste et poétique. L’abstrac- tion du dessin animé transforme le réel et semble nous éloigner d’une représentation réaliste du monde ; mais elle permet aussi d’aborder l’Histoire avec un point de vue esthétique et moral, révélant

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