152 99-116 Pharmaciens Et Chocolat
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
99 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2013, 152(1-4), 99-116 LES PHARMACIENS ET LE CHOCOLAT À BORDEAUX AU TRAVERS DE QUELQUES DOCUMENTS GRAPHIQUES (*) Guy DEVAUX (1) Des exemples de la fabrication et de la vente de chocolat, médicinal ou non, par des pharmaciens sont donnés pour la ville de Bordeaux. On s’appuie pour cela sur divers documents graphiques ayant servi à leur promotion. Le Jardin botanique de Bordeaux a organisé du 12 janvier au 30 mai 2010 une exposition intitulée Chocolat plein la cabosse consacrée au cacaoyer, cet arbre des régions tropicales dont le fruit, la cabosse, nous donne les fèves de cacao. Ces fèves, dument travaillées, conduisent au produit si apprécié des gourmands qu’est le chocolat. Cette exposition a été l’occasion de mettre en avant des arguments diététiques flirtant avec la thérapeutique pour favoriser la consommation du chocolat. On est dans le registre des « alicaments », cette trouvaille sémantique des spécialistes du marketing de notre société de consommation… Nous n’en dirons pas davantage sur ce sujet, mais saisirons cette occasion pour éclairer une facette de l’histoire de la pharmacie bordelaise en rappelant que plusieurs pharmaciens de la ville ont œuvré dans le domaine du chocolat et nous ont laissés des documents graphiques qui témoignent de cette activité. (*) Manuscrit reçu le 22 juillet 2013. (1) 126 bis rue François de Sourdis, 33000 Bordeaux. [email protected] 100 Le Chocolat de santé du citoyen Abadie Le document le plus ancien à notre connaissance sur les rapports de la pharmacie et du chocolat à Bordeaux est un prospectus publicitaire de la fin du XVIIIe siècle dont la reproduction a figuré sur la couverture du numéro 257 de la Revue d’Histoire de la Pharmacie [1] et dont nous redonnons ici l’image (Figure 1). Fig. 1 : Prospectus publicitaire du citoyen Abadie, apothicaire à Bordeaux. Jean Abadie, cité par Cheylud avait succédé en 1802 [2] à un certain Maurice Guichard, un religieux mercédaire [= de l’Ordre de Notre-Dame- de-la-Merci], ancien apothicaire de son couvent [3], chassé pendant la période révolutionnaire, et qui, pour subsister, l’avait pris pour associé. Le « chocolat de santé » dont cet apothicaire bordelais vantait le mérite, était préparé depuis l’époque de la Régence (1715-1723) selon la formule d’origine et exclusivement composé de cacao, de sucre et d’aromates [4]. Le Chocolat pectoral au lichen d’Islande du pharmacien Tapie Un autre pharmacien de Bordeaux est connu pour son Chocolat pectoral au lichen d’Islande. Il s’agit de Joseph Tapie, diplômé de l’Ecole 101 supérieure de Pharmacie de Paris, ancien élève et préparateur de Louis Nicolas Vauquelin et installé rue Judaïque-Saint-Seurin (la rue Judaïque Saint-Seurin se distinguait alors de la rue Judaïque-en-la-ville) au numéro 26, il s’était fait remarquer en 1815 au début de son installation par le mauvais accueil qu’il avait réservé à François Lartigue venu l’inspecter avec le Jury médical de la Gironde [5]. Quoi qu’il en soit, Joseph Tapie déposa un brevet d’invention en date du 3 avril 1834 pour un « nouveau Chocolat préparé au lichen d’Islande » [6] (Figure 2). Déjà en 1827, Tapie avait publié une brochure de 17 pages intitulée Essai sur le lichen d’Islande [7] (Figure 3). Fig. 2 : Certificat d’une demande d’un Fig. 3 : Page de titre de la Brevet de cinq ans déposée par le sieur brochure de Joseph Tapie Joseph Tapie pour un chocolat au en 1827 [7]. lichen d’Islande. 102 Dans cette brochure, pompeusement dédiée à « MM. les Docteurs en médecine et en chirurgie de la faculté de Bordeaux ; MM. Bouillon- Lagrange, D.M., Robiquet et Guiart, professeurs à l’école de pharmacie de Paris, Tartras, D.M. à Paris ; MM. George d’Ellisen, docteur en médecine, conseiller d’état, Jean Kayer-Nilkheim, D.M., conseiller à la cour, Wilhem de Lerche, D.M., conseiller à la cour, De Staffaeden, D.M., conseiller d’état : résidant tous les quatre à Saint-Pétersbourg ; Scervin, médecin anglais, à Nice ; Montague, conseiller honoraire de S.M. l’Empereur de Russie », après avoir défini le lichen d’Islande par rapport à d’autres lichens et insisté sur l’importance de disposer d’une drogue exempte de toute impureté, Tapie vante les bons effets de l’emploi des préparations à base de lichen d’Islande dans les affections pulmonaires, en particulier dans la phtisie pulmonaire et laryngée, si redoutées en un temps où la tuberculose faisait des ravages. Il conseille de l’employer sous forme de chocolat, bien accepté par les patients car masquant la saveur amère du principe actif, et il s’appuie sur les prescriptions d’éminents médecins parisiens tels que Pinel, Alibert, et Duméril. Enfin il donne le témoignage d’un des « médecins les plus éclairés de cette ville, le respectable et savant directeur de l’école de médecine de Bordeaux, M. Cailleau, que la mort a trop tôt enlevé aux sciences médicales : dans une conversation particulière qu’il eut avec moi, il me dit avec l’effusion de la reconnaissance la mieux sentie : « Ce peu de vie qui me reste, je le dois à votre chocolat : lui seul contribue à adoucir les souffrances que j’éprouve ; sans lui j’aurais terminé ma triste carrière. Puissent vos travaux si utiles à l’humanité, recevoir la digne récompense que vous méritez ! » Un vieillard courbé sous le poids des ans et des infirmités, ne pouvant prendre aucune espèce de nourriture, en proie aux douleurs les plus cruelles, éprouva un soulagement aussi prompt que marqué, après usage du chocolat au lichen. N’est-ce pas ici le cas de dire avec Leclerc « Heureux le malade qui trouve le remède dans l’aliment, et l’aliment dans le remède ! ». Et naturellement la brochure se termine par la liste des dépositaires du « Chocolat médicinal analeptique au lichen d’Islande » (Figure 4). 103 Fig. 4 : Dépositaires du Chocolat au lichen d’Islande en 1827. La diffusion du chocolat s’accrut, car dans une autre brochure [8], figure une annonce dans laquelle on peut voir que la liste des dépositaires s’allonge aussi bien en France qu’à l’étranger (Figure 5). Une deuxième édition de l’Essai sur le lichen d’Islande, cette fois dédiée « au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République », paraitra en 1846 [9]. 104 Fig. 5 : Dépositaires du Chocolat au lichen d’Islande [8]. Le Chocolat François Un autre chocolat d’origine bordelaise est le Chocolat François. Lui aussi se rattache à la pharmacie et prend son nom de la Pharmacie François au 70, cours d’Alsace-Lorraine, à Bordeaux. Initialement fondée en 1729 par François, apothicaire-droguiste, au 89, rue du Pas-Saint-Georges, l’officine passa ensuite à la famille Fosse vers 1780, Louis Fosse, puis son frère Auguste† : ce dernier n’étant pas pharmacien mais centralien, † Au moment du percement du cours d’Alsace-Lorraine l’officine y fut transférée. À noter que la famille Fosse étant originaire de Castres (Tarn), pour le rappeler, exigea l’emploi de la brique dans la construction alors que tous les autres immeubles du cours d’Alsace- Lorraine sont uniformément en pierres de taille. 105 exploitera l’officine avec l’aide d’un prête-nom. Il en fut de même de son successeur, Henri Fosse, également centralien. Particulièrement entreprenant, Henri Fosse, tout en continuant à exploiter la pharmacie de la rue du Pas-Saint-Georges, créa un laboratoire de produits galéniques (sirops, teintures, etc.). Celui-ci fut installé à Talence dans la propriété du « Chêne- vert » comprise dans un périmètre actuellement délimité par les rues François, du 14 Juillet, et Henri-Fosse. C’est également dans cette usine que fut fabriqué du chocolat en billes auquel Henri Fosse donna le nom de « Chocolat François » [11] (Figures 6 et 7). Fig. 6 : Sortie du personnel de l’usine du Chêne-vert à Talence (vers 1910). Fig. 7 : Une des salles d’emballage du Chocolat François. 106 En 1901 fut créée la Société anonyme de chocolaterie et de confiserie Talencia pour commercialiser ce chocolat qui perdurera jusqu’en 1922 après que la marque eut été rétrocédée à une société suisse [12]. Le Chocolat François devint alors le Chocolat Tobler, et malgré la disparition de l’usine vers les années 1960, le souvenir en demeure par le nom d’une voie de Talence, l’impasse de la Chocolaterie. La commercialisation du Chocolat François donna lieu à une publicité active car il ne se vendait pas uniquement en pharmacie mais « dans toutes les bonnes maisons » : affiches, chromos, etc. En ce qui concerne les affiches, nous en connaissons deux. La première date des années 1910 ; dessinée par J. Verdier, imprimée chez B. Sirven à Toulouse, de dimensions 157 x 116 cm, elle montre deux écoliers se disputant une plaque de chocolat tandis que git à terre un panier d’où s’échappe une autre plaque de chocolat (Figure 8). Fig. 8 : Affiche publicitaire pour le Chocolat François (vers 1910). 107 La deuxième, dont l’auteur est anonyme, représente une femme de chambre qui s’apprête à porter un petit déjeuner dans une chambre ; imprimée par l’imprimerie Lemercier à Paris, cette affiche est déclinée en divers formats (148 x 110 cm ; 71 x 51 cm) ; elle existait également sous la forme de plaque en tôle émaillée (15 x 21 cm) pour permettre une publicité plus durable (Figure 9). Fig. 9 : Plaque publicitaire en tôle émaillée pour le Chocolat François. Quant aux chromos, elles sont innombrables, comme les images que l’on pouvait trouver dans les plaques de chocolat d’autres marques, et que les enfants collectionnaient tous plus ou moins.