Revue des langues romanes

Tome CXXI N°2 | 2017 Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rlr/441 DOI : 10.4000/rlr.441 ISSN : 2391-114X

Éditeur Presses universitaires de la Méditerranée

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2017 ISSN : 0223-3711

Référence électronique Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017, « Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire » [En ligne], mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 15 mars 2021. URL : http:// journals.openedition.org/rlr/441 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rlr.441

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SOMMAIRE

Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Introduction Joëlle Ginestet et Gilles Guilhem Couffgnal

Ouvertures : lectures en contexte

L’œuvre d’Yves Rouquette : la poésie au risque de l’engagement Julien Roumette

Les cultures vivantes et leurs assassins : Yves Rouquette lecteur de Frantz Fanon Norman Ajari

De l’engagement à la création littéraire

La question nationale chez Robert Lafont, Yves Rouquette et Joan Larzac (1967-1969) Jean-Pierre Cavaillé

Ives Roqueta, escriveire public Maria-Joana Verny

Yves Rouquette : poème et première personne Joëlle Ginestet

Mémoire et histoire engagées

Lengadòc Roge d’Ives Roqueta, escriure per bastir una memòria : 1851 cossí bastir un remembre escafat ? Gauthier Couffn

Yves Rouquette et les vidas des : le disque au service de la langue et de la littérature occitanes Gilles Guilhem Couffgnal

Éditer Rouquette : le sort d’une écriture engagée

Har tornar a la lutz : dix ans d’édition d’œuvres occitanes d’Yves Rouquette Jean Eygun

Yves Rouquette : situation de l’œuvre, problématique des travaux (dix thèses) Marjolaine Raguin-Barthelmebs et Jean-Pierre Chambon

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Hommages

En remembre d’Ives mon fraire Joan Larzac

Hommage à Yves Rouquette Marie Rouanet

Yves Rouquette (1936-2015) : premier état bibliographique Françoise Bancarel et Joëlle Ginestet

Varia

Le type occitan médiéval Uc(h)afol en toponymie Jean-Pierre Chambon et Philippe Olivier

Un Catalan à Rodez : la contribution du Cerverí aux débats ruthénois Miriam Cabré

Joan de Castellnou revisité Notes biographiques Sadurní Martí

Trois Histoires drôles en occitan du bas Limousin (Sainte-Fortunade, Corrèze) : édition philologique et glossaire Lucette Ludier-Soleilhavoup

Critique

Jean-François Courouau (dir.), La Langue partagée. Écrits et paroles d’oc 1700-1789 Genève, Droz, coll. « Bibliothèque des Lumières », 2015, 553 p. Bénédicte Louvat-Molozay

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Introduction

Joëlle Ginestet et Gilles Guilhem Couffignal

Quand aurai tot perdut mon lassitge ma lenga e lo gost de luchar me virarai encara un còp cap a vosautres òmes mieus… 1 Aux yeux de tous, l’entrée d’Yves Rouquette en littérature commence par ces quelques vers de l’Escriveire public publiés en 1958. Ils annoncent un coup d’éclat dans le monde de l’écriture poétique en langue occitane. Quelques années plus tard, le poète aux multiples engagements a confirmé son désir d’une nouvelle expression avec la direction d’un ouvrage collectif La nouvelle chanson occitane (1972) et une participation active à l’élaboration d’une exposition qui demeure exceptionnelle dans la mise en évidence de la langue et de la littérature : Mille ans de littérature occitane (juillet-août 1974). Parallèlement à cette œuvre, et de façon peut-être consubstantielle, Yves Rouquette développe une activité militante qui dépasse la seule cause littéraire, comme en témoigne sa participation au volume consacré à la grève de Decazeville (Los Carbonièrs de la Sala, 1975) illustrant la notion de « colonialisme intérieur » (voir notamment Lagarde 2012). De 1958 jusqu’à sa mort en 2015, Yves Rouquette incarne une véritable figure du monde occitan, tant par son œuvre littéraire jamais interrompue que par l’énergie qu’il a constamment déployée pour défendre ses idées.

2 La journée d’étude du 5 novembre 2015 organisée par le laboratoire ELH-PLH à l’Université Jean-Jaurès et les expositions conjointes De la Natura de quauquas bèstias : pichòt bestiari fantasierós escrich en lenga d’òc al sègle XIIIe transcrich en lengatge d’ara1 per Ives Roqueta e Pierre François e Ives Roqueta ; 60 ans de creacion occitana2 présentées dans l’Atrium de la Bibliothèque universitaire ont permis de poser la question du lien entre l’engagement (ou les engagements) et la création littéraire tels que le poète l’a conçu et vécu (ou les a conçus et vécus). Car c’est bien la nature d’un tel lien qui est à interroger. L’engagement d’un écrivain peut faire l’objet d’un classement thématique dont la biographie ou des essais témoignent : promotions de valeurs, dénonciations, instruction du public, etc. La littérature occitane ne manque pas de « causes » à défendre, à commencer par sa propre existence. Mais une telle approche risque de mener à la vision d’un écrivain qui aurait conçu son œuvre comme un simple

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outil de transmission et revient à dissocier radicalement le geste d’écriture de toute autre forme d’action au sein de la société. Or, Yves Rouquette fait partie de ces auteurs qui n’ont eu de cesse d’affirmer l’unité de leur œuvre et de leur engagement, sans jamais réduire l’un à l’autre. 3 Son premier engagement, c’est celui de la littérature d’oc toujours pensée, à la fin des années 50, comme une entité en soi, et dans le prolongement, malgré les divergences apparentes, du renaissantisme de la fin du XIXe siècle et du Félibrige. Dès ses débuts dans ce milieu de lettrés, Yves Rouquette revendiquera une voix plus populaire et une participation aux évolutions de l’occitanisme contemporain qui voit l’émergence d’un discours politique et social dépasser le seul cadre littéraire et culturel. Cette trajectoire paraît, a posteriori, très cohérente, qui voit un jeune poète refuser l’« imitation servile » des maîtres en littérature (comme il le rappelle en 1986 dans la revue Folklore) pour incarner une figure d’intellectuel solidement — ou pour mieux dire politiquement — ancré dans sa société et témoin de la culture populaire. Dans le numéro de la revue Folklore, consacré en grande partie à l’œuvre mistralienne, il pose son refus d’être un écrivain « doctement byzantin » qui ne serait ni ethnologue, ni folkloriste, ni sociologue. Il estimait que dans d’autres pays (Chine, États Unis, Amérique du Sud, Égypte, Italie), les écrivains n’hésitaient pas à reconnaître leur ancrage dans la culture populaire, leurs emprunts au domaine non savant (tels les artistes du folk-song, du pop-art). Et il citait ceux qui avaient échappé à l’imitation mistralienne : Valère Bernard, Camelat, Monzat, Grenier, Pons et Mouly dont seul Camproux avait su dire l’apport de « rouerguitude » au roman en langue occitane. Enfin, rien n’avait non plus empêché Max Rouquette d’écrire et de redonner vie au jeu du tambourin. « [Max] Rouquette respire large, Nelli aussi », écrit-il. En faisant référence à des auteurs qui eux-mêmes revendiquaient la proximité avec le « peuple » (La Pauriho de Bernard par exemple), aussi bien qu’au maître de l’héritage troubadouresque (le Nelli d’Armas de vertat), Yves Rouquette expose toute la complexité de son idée de la culture, qu’il pense comme un tout englobant aussi bien la conservation de chansons et jeux traditionnels que la revendication d’une langue de culture haute, au sein d’une société occitane maîtresse de son destin politique. C’est cette pensée complexe, qui cherche à dessiner une même « idée occitane » sous diverses formes, artistiques ou plus directement critiques, que nous avons voulu commencer à explorer. 4 En guise d’ouverture, deux communications proposent une lecture de l’œuvre en contexte et rappellent l’ancrage de la poésie d’Yves Rouquette dans la pensée politique et de son temps et les partis pris artistiques qui en découlent. Spécialiste d’écrivains du domaine de la littérature en langue française dont l’œuvre s’est construite au milieu du XXe siècle3, Julien Roumette nous invite à interroger les rapports complexes des mouvements anticolonialistes des années soixante avec la Résistance. Ciblant la présence de figures iconiques et de villes martyres dans la poésie d’Yves Rouquette d’alors, il relève le parallèle avec les luttes anciennes (notamment la croisade contre les Albigeois) mais surtout la liberté de ton (détournements, autodérision…) qui émerge du rapprochement entre éléments tiers-mondistes et histoire des pays d’Oc. En philosophe spécialiste de Frantz Fanon, Norman Ajari4 insiste sur l’analyse de la dévitalisation des langues par Fanon qui a visiblement marqué le poète occitan pour qui la langue est « existence ». Après un retour vers les rôles de réunification et de transfiguration attribués à l’art par les romantiques, Norman Ajari précise les fondements de la pensée

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de la Négritude d’Aimé Césaire qui marquent une rupture aux moments des décolonisations. Il insiste sur la pensée de Fanon autour de « la zone du non-être » et la violence des archétypes génératrice de la haine mortifère de soi qui se caractérise par une complaisance vis-à-vis de son propre environnement culturel, ce contre quoi Fanon prévient, tout comme Yves Rouquette, qui a avancé pour sa part le concept de « glaciation » qui visait particulièrement l’expression félibréenne et le « folklorisme ». 5 Pour mieux comprendre ces liens ténus entre engagement et création, nous proposons un parcours critique qui commence par exposer la position de Rouquette dans le paysage idéologique occitaniste du XXe siècle. Jean-Pierre Cavaillé revient sur les années 68 marquées par les chroniques écrites par Yves Rouquette pour la revue Viure. Les articles lafontiens et rouquetiens ont joué un grand rôle dans la réflexion politique occitaniste et divergent sur la définition de ce qu’est une nation. La notion clé de « colonialisme intérieur », théorisée par Robert Lafont, qui n’implique pas une remise en cause de l’appartenance à la nation française, devient tacitement clivante puisque Jean Larzac et son frère Yves Rouquette insistent sur la confusion entretenue entre État (entendu comme organisation sociale) et Nation (entendu comme réalité culturelle) et n’entendent pas se contenter de l’autonomisme régionaliste. 6 C’est peut-être cette quête de la place de l’intellectuel dans la société qui l’entoure et du contenu politique et culturel propre à informer cette société, qui explique le cheminement poétique de Rouquette, sous le signe du « public ». L’Escriveire public publié en 1958 a révélé un jeune poète dont un premier poème « Vespre » est paru dans la revue Oc en 1953 (n° 188, 1953, 22). Marie-Jeanne Verny retrace les débuts de l’itinéraire d’auteur et de critique d’Yves Rouquette qui a vraiment commencé au contact de Robert Lafont et qui s’est confirmé avec son texte de 1956 Aicí siam (Oc, n° 199, 1956, 1-3). Les voix des deux Rouquette, Max et Yves, sont nées de deux préoccupations identiques, le souvenir des humbles et le pays de l’enfance. Le « ieu », les « amics » et les hommes du pays ne vont cesser de se côtoyer dans leur poésie mais il est impossible d’évoquer Yves Rouquette en « écrivain public » sans aborder son travail de critique dans Viure d’abord, puis dans La Dépêche du Midi. En suivant le fil des humbles morts ou vivants, Marie-Jeanne Verny en arrive à son art du récit court qui se profile dans Ponteses (1976) et ressurgit dans l’Ordinari del monde (2009) et A Cada jorn son mièg lum (2015). Indissociablement liée à l’intimité du « ieu », la nature poétique de la première personne selon Yves Rouquette est dépendante de ses années de formation, de son amour pour la langue occitane mais aussi, nous rappelle Joëlle Ginestet, d’influences plus vastes liées à son époque (poètes et penseurs de la négritude et de la décolonisation, lettrisme prônant l’insurrection des mots…), si bien qu’il adopte une position claire vis-à-vis de l’esthétique : elle n’est à ses yeux qu’une mode alors que la beauté est la seule véritable « insurrection ». Son long travail se caractérise par une plongée dans le « ieu » à la rencontre des morts qui l’habitent au fil d’un parcours fait de doutes et d’émerveillements mais en tenant la parole et la vie en ligne de mire. 7 La relation entre engagement et création se lit encore dans une dimension particulière de l’œuvre de Rouquette, celle qui le voit soucieux de mettre en lumière une histoire sociale occitane. Ce rapport à l’histoire et aux mémoires sociales qui lui sont liées se lit d’abord dans le grand roman socialiste occitan inachevé Lengadòc Roge (1984). Gauthier Couffin explique que le roman, dont l’intrigue se concentre sur l’année 1851, année de résistance au coup d’État de Bonaparte, a vu le jour dans un monde occitaniste qui se penche sur son histoire puisque trois ouvrages ont paru dans les années 70/80 : 700 ans

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de révoltes occitanes de Gérard De Sède, Histoire d’Occitanie de l’équipe constituée par Robert Lafont et André Armengaud et Descolonisar l’istòria occitana de Joan Larzac. En romancier, Yves Rouquette a ouvert son roman de 1851 avec l’événement festif — avéré historiquement — du Carnaval de Capestang, ce qui révèle un aspect profond de son écriture qui demeure associée à la question de la fragilité de la mémoire populaire. Le lien entre histoire et mémoire populaire se retrouve également dans la modernisation des Vidas de troubadours qui ont fait l’objet d’enregistrements dans les années 70 avec l’ensemble vocal et instrumental du Clemencic Consort. Gilles Couffignal a étudié ce travail que l’érudit a entrepris et que la voix du récitant a accompli pour l’auditeur d’aujourd’hui, dans une œuvre qui se situe au carrefour de la musique savante et populaire, à l’orée de la vague folk qui a marqué la culture occitane de l’époque. 8 Enfin, les engagements occitanistes d’Yves Rouquette ont eu une répercussion directe sur son travail de créateur, puisque, comme le rappellent à plusieurs reprises les auteurs de ce numéro, ils ont conduit à sa marginalisation dans le paysage éditorial occitaniste. Marjolaine Raguin et Jean-Pierre Chambon parlent même d’une exclusion du canon de la littérature occitane du XXe siècle qui explique en partie l’absence d’études scientifiques autour de l’œuvre rouquettienne. Ils en appellent donc à un transfert, des textes médiévaux d’oc aux textes contemporains, du savoir-faire philologique, tout en insistant sur le besoin de distinguer l’édition « commerciale » d’une édition scientifique qui demeure à effectuer. Le dernier éditeur en date d’Yves Rouquette, Jean Eygun, rappelle cette marginalisation et fait précisément état de sa relation avec l’auteur, au cours des dix dernières années de sa vie. En partageant son travail entre la réédition d’une partie de ses poèmes et l’édition d’écrits plus récents, Jean Eygun nous éclaire sur la façon dont le poète, romancier, nouvelliste et dramaturge a envisagé la parution de ses écrits jusqu’à sa disparition. 9 Aux articles des intervenants invités au cours de la journée d’étude du 5 novembre 2015, nous avons souhaité joindre deux écrits de Jean Larzac et Marie Rouanet, deux voix d’écrivains qui sont nées et se sont développées dans l’enfance et/ou plus tard près de celle d’Yves Rouquette. Nous les remercions tous deux pour leur participation à ce volume. 10 Nous avons, en guise de conclusion ou plutôt d’invitation à poursuivre les travaux, souhaité donner un premier état bibliographique de l’œuvre, afin de guider les étudiants, formateurs et chercheurs dans le vaste continent littéraire et critique que constituent les écrits d’Yves Rouquette. Françoise Bancarel, du CIRDOC, s’est attelée à cette tâche avec Joëlle Ginestet. 11 Au fil des ans, Yves Rouquette a constitué une bibliothèque à la fois personnelle et commune avec son épouse Marie Rouanet qui vient d’être en grande partie cédée à la médiathèque de Camarès. Le poète de La Serre avait à portée de nombreuses œuvres complètes et notamment celles de Josè Sebastia Pons, Jean Digot, Jean Malrieu, Michel Raglin, des troubadours, de Max Rouquette, Jean Boudou, Marcelle Delpastre, Bernard Manciet, Joan Larzac, et en un mot, presque tout ce qui a été publié en occitan… Il avait aussi de plus vastes horizons poétiques : Knud Sørensen, Ronny Someck, Césaire, Pier della Vigna, Serguei Essenine, Paol Keineg, Youen Gwernig, Rainer Maria Rilke, Gabriel Celaya, Eugène Guillevic, Paul Éluard, René Char, Francis Catel, Jean Follain, Raymond Busquet, Blaise Cendrars, François de Cornière, Paul Claudel, Paul Valéry, Eugène Guillevic, Jean Malrieu, Guillaume Apollinaire, Jules Supervielle…

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12 Yves Rouquette a aussi traduit des extraits, romans et nouvelles dont certains ont été publiés : Conversazione in Sicilia (Conversation en Sicile) d’Elio Vittorini, « Combray », la première partie Du Côté de Chez Swann de Marcel Proust, La Mosca (La Mouche) de Luigi Pirandello, Les Sans-Gueule de Marcel Schwob, des extraits en prose de Leonardo Sciascia et Cesare Pavese, Geronimo’s Story Of His Life (Mémoires de Geronimo), récit recueilli par Stephen Melvil Barrett, Jésus II et Choléra de Joseph Delteil, Le Sud d’Yves Berger, The Pearl (La perle) de John Steinbeck, quelques pages de Jules Renard et de Jean-Henri Fabre. 13 Si ce n’est pour ses propres poèmes, le passage de l’occitan au français est plus rare, mais il faut noter deux œuvres remarquables : Lo Chincha Merlincha et Placet als policians, récits en vers qui ont été traduits en vers, ou encore un petit texte sur les Bains de Sylvanès. 14 Yves Rouquette a aussi suscité la parution de plusieurs revues puisqu’il a été rédacteur en chef de la revue Oc de 1963 à 1965, a créé les revues Viure avec Robert Lafont et Volèm Viure al Païs avec Jean-Pierre Laval. Ses collaborations sont nombreuses comme l’atteste la bibliographie élaborée par Françoise Bancarel qui poursuit ce travail minutieux de recherche : Entretiens sur les lettres et les arts (Rodez, éd. Subervie), Nòva, Lo Gai Saber, Letras d’oc, Témoignage chrétien, La Dépêche du Midi, La Gueule ouverte, La Barbacane, Vida nòva, Trobadors, Revolum, Connaissance du pays d’oc, Sud, Heresis, Le Petit Biterrois, Journal intime du Massif central, Supplément d’âme, Obradors, Massif central, Vagabondages, Plumalhon, Corbières-Matin, Lo Leberaubre, Prouvenço d’aro, La toison d’or, Souffles, Septimanie, La Maison des écrivains, Lieux d’être, Cap-Lòc, Revue du Rouergue, Terre de vins, Estuaire, etc. 15 À ce jour, l’élaboration de la bibliographie de la production personnelle d’Yves Rouquette est encore en cours car les travaux occasionnels de l’auteur parsemés au fil de sa carrière dans des revues, anthologies, florilèges et dans des enregistrements divers nécessitent un vaste tour d’horizon. Un seul ouvrage réunit une série de comptes rendus écrits pendant une dizaine d’années sur les parutions en langue occitane ancienne ou contemporaine dans sa chronique « En Occitan » de La Dépêche du Midi mais il n’inclut pas ses chroniques sur divers sujets. Le nombre total des chroniques journalistiques d’Yves Rouquette en occitan ou en français s’élève en effet aux alentours du millier. 16 Cette première journée d’études, d’abord pensée comme une forme d’hommage, suscitera peut-être, nous le souhaitons, de nouveaux travaux. L’œuvre d’Yves Rouquette, accessible grâce au travail éditorial de Jean Eygun, semble avoir retrouvé sa place dans le paysage littéraire occitan, et sa mise au programme des concours de l’enseignement, CAPES et agrégation, signe de facto son intégration au canon littéraire d’oc.

NOTES

1. Exposition conçue par le C.I.D.O. et diffusée par le C.I.R.D.O.C. (Béziers).

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2. Exposition conçue par Cap l’Òc (Saint-Affrique). 3. ROUMETTE Julien (dir.), « Les irréguliers, un autre après-guerre. Gary, Guilloux, Malaquais… », Littératures, 70, 2014. 4. AJARI Norman, « Frantz Fanon : Poétique de l’actualité et théorie critique de la culture », CERVULLE Maxime, QUEMENER Nelly, VOROS Florian (dir.), Matérialisme, culture et communication, vol. 2, Paris, Presses des Mines, 2016, 247-260.

AUTEURS

JOËLLE GINESTET

Université Toulouse Jean-Jaurès, ELH/PLH

GILLES GUILHEM COUFFIGNAL

Université Paris-Sorbonne, STIH

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Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Ouvertures : lectures en contexte

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L’œuvre d’Yves Rouquette : la poésie au risque de l’engagement

Julien Roumette

1 Mon regard est extérieur et, sans doute, quelque peu naïf, sur une œuvre à laquelle je n’ai accès qu’en traduction. Ma lecture du recueil La faim, seule, qui rassemble des poèmes tirés de toutes les périodes de l’œuvre de l’écrivain, me suggère quelques questions, quelques esquisses de pistes de réflexion, formulées à partir de mon propre sujet d’étude — qui sont les rapports entre engagement politique et esthétique chez les irréguliers du roman français d’après-guerre, sur une période qui est plutôt celle qui précède l’œuvre de Rouquette.

2 La question des rapports entre engagement et littérature est piégée. On a tendance à juger l’écrivain à l’aune de ses positions politiques — au risque de ne plus voir ce qui fait la spécificité de la littérature, de ne plus voir que l’écrivain construit un discours qui est d’une autre nature que le discours politique — un discours qui ne peut qu’aborder de biais, par ses propres moyens, la question de l’engagement. Ou alors, autre approche, on sépare l’écrivain de l’homme, l’engagement et la création littéraire, et on fait de celle-ci une entité à part qui se développerait de façon indépendante. Dans les deux cas, on est perdant. C’est à l’articulation des deux que se jouent les phénomènes les plus intéressants. Encore faut-il ne pas avoir une vision réductrice des rapports entre les deux. 3 Plusieurs points sont à examiner :

4 D’abord, d’un point de vue historique et politique : de quel engagement parle-t-on ? Comment l’homme et l’écrivain se situent-ils historiquement sur l’échiquier politique de l’époque ? Quelles parties de ses idées, quels signes, ou quelles traces de son engagement se retrouvent dans ses œuvres ? 5 Esthétique, ensuite. De quelle manière l’écrivain envisage-t-il les liens de son œuvre littéraire, et en l’occurrence poétique, avec son engagement politique ? Et, le cas échéant, en quoi sa vision donne-t-elle naissance à une forme littéraire originale ? 6 S’agissant d’Yves Rouquette, une partie de ces choix tient, bien sûr, à celui d’écrire en langue occitane. Mais ils ne peuvent tous s’y résumer. Et on ne peut s’arrêter à cette

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seule dimension. L’occitan, oui — mais pour dire quoi ? Pour écrire comment ? En un mot : pour quoi faire ? 7 Définition liminaire

8 Action politique et littérature ne font pas toujours bon ménage. La littérature a tout à perdre si elle se fait, comme il arrive parfois, le simple relais d’un discours idéologique ou politique. Vercors faisant le bilan des années de la Résistance, distinguait ce qu’il appelait « littérature clandestine et littérature résistante » : La littérature résistante avait pour objet de convaincre [les] hommes et de les rassembler, par le truchement de la presse clandestine, des brochures et des tracts. Donc une littérature de propagande, se résumant en un genre unique, ou presque : le libelle, le pamphlet. En résumé, des actes de la pensée, bien plutôt que des œuvres […] [ce] que j’appelle littérature clandestine (non pas résistante), c’est cette floraison d’œuvres de la pensée, de la pensée en tant que telle, de la pensée qui ne se soumet pas plus aux directives de la lutte qu’à celles de l’ennemi1. 9 Cette distinction me semble pertinente hors du contexte spécifique de la guerre. Elle conduit à ne pas considérer le travail littéraire comme seulement une création formelle originale qui ajouterait une dimension esthétique à l’engagement, mais à examiner également sa visée. Comme Vercors le dit clairement : le critère d’une véritable littérature résistante — et l’on voit que le terme peut déborder le cadre historique auquel il l’applique — est son indépendance par rapport au discours militant, son autonomie par rapport à lui, la façon dont, tout en portant une parole engagée, il renvoie à des valeurs qui dépassent le strict cadre de l’engagement.

10 Quand il s’agit d’examiner la figure d’un écrivain qui a mis sa plume au service d’une cause, la première question à poser est donc : de quelle façon ? Comme révolté ou comme défenseur d’une doctrine politique ? En marginal ou en héros/héraut d’un ordre ? Orienté vers la préservation d’un passé ou comme ouverture vers un avenir ? En ayant une distance avec le discours politique qui l’habite ou non ? Y a-t-il vision poétique ou pas ? 11 Par l’intermédiaire de l’œuvre d’Yves Rouquette, je voudrais ici poser un regard sur un moment-clé, celui de la fin des années soixante, où l’influence et la fascination pour les mouvements radicaux révolutionnaires fut forte. Justement parce que ce fut une période d’intense influence politique sur les artistes, elle est significative pour étudier les rapports entre esthétique et politique. Ce fut une sorte de climax, porté par ce que certains ont appelé le « soulèvement mondial de la jeunesse » des années soixante, mouvement commencé aux États-Unis et qui balaie la France au moment de 1968 et au début des années soixante-dix. Le positionnement par rapport à ces discours radicaux est un des « points chauds » de la période pour une problématique comme la nôtre. C’est aussi celui où des écrivains de la génération de la Résistance et de la France Libre, comme Romain Gary dans Chien blanc ou Louis Guilloux dans Salido ou Ok, Joe !, prennent leurs distances avec le discours radical tiers-mondiste et où se joue donc une rupture de génération.

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La nécessaire situation dans une histoire de l’engagement politique des écrivains occitanistes et félibres

12 Avant de se plonger dans ce moment politique de la fin des années soixante, d’un point de vue de méthode historique, la situation politique d’un écrivain de la génération d’Yves Rouquette ne peut pas faire l’économie de l’histoire chargée des rapports entre le monde littéraire occitan et la politique au cours du siècle, et en particulier avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale. Les représentants de la culture occitane se sont affrontés selon des lignes politiques qui étaient celles de l’histoire de la France au début du siècle, à travers une figure comme Maurras, notamment, et ils se sont déchirés politiquement au moment de la Seconde guerre mondiale. Une vision régionaliste, influencée par le Félibrige, accusée d’être folklorisante, s’est ralliée à la Révolution nationale de Vichy et à la vision du retour à la terre. S’y est opposé un occitanisme qui, au sortir de la guerre, a rompu avec cette vision, avec la création de l’IEO, sous l’impulsion de Jean Cassou, issu de la Résistance. Historiquement, et en remontant encore un peu, on serait également en droit de poser aux écrivains et au mouvement occitan la question de leurs positions vis-à-vis de la guerre d’Espagne, et de la Catalogne, une des places fortes de la République et de la lutte contre Franco.

13 La démarche d’Yves Rouquette doit être située par rapport aux générations précédentes, et à la période qui a précédé, et notamment par rapport à la guerre, de la même façon qu’il est intéressant d’interroger les rapports, qui ne sont pas simples, des mouvements anticolonialistes des années soixante avec la Résistance. On ne peut pas ne pas voir dans l’attrait pour une rupture radicale et l’appel à une nouvelle conscience révoltée un lien avec le rejet d’une partie de l’attitude de ceux qui ont précédé — un rejet et une filiation par rapport à d’autres. 14 N’étant pas spécialiste de ces questions, je n’irai pas plus loin dans cette direction. Je me contente de formuler cette série de questions, qui me paraissent essentielles pour situer une démarche qui est aussi une forme de révolte contre les positions des générations qui l’ont précédée.

L’inscription dans les luttes révolutionnaires des années soixante

15 Ce qui saute aux yeux à la lecture de l’œuvre d’Yves Rouquette, c’est l’écho des luttes contemporaines. De ce point de vue, il est représentatif d’une époque, dont il reprend les icônes. Dans l’Ode à Saint Aphrodise, datée de 1968, il écrit : Les lèvres en sang Satchmo Jette dans le ciel du bon dieu Des notes grosses toutes rondes Les notes de Satchmo Sont des ballons de toutes les couleurs Et sur chacune se trouve écrite une phrase De Malcolm X, de Jésus Christ, d’Henry Miller De Mao, de Mistral, de Fontan, de Bouddah De papa Marx et de tonton Engels

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De Che Fanon et de Frantz Guevara En langue impeccablement noire (Roqueta 2009, 42-43) 16 Le radicalisme des mouvements noirs américains fascine toute une époque, notamment la figure de Malcolm X. L’association des occitans aux luttes noires est très révélatrice. Rien ne marque mieux sans doute la rupture vis-à-vis de toute une tradition félibre. On peut s’amuser à imaginer la réaction d’un Maurras, par exemple, face à ce rapprochement de l’occitan et de la langue et des peuples noirs. Audace, j’entends, Audace, c’est-à-dire, pour Haïphong et Hanoï Audace les Vietcongs Audace les noirs, les jaunes, les rouges Audace à vous d’ici, têtes d’ânes, têtes de bœuf sans têtes Car vous êtes noirs vous aussi (Roqueta 2009, 46) 17 De même, tracer des parallèles entre le sac de Béziers et les crimes de l’histoire contemporaine est une façon de légitimer une révolte moderne par une continuité historique. Présenter ce massacre comme source des massacres modernes le réactualise, en quelque sorte. Dans un aller-retour où les deux réalités historiques s’éclairent mutuellement, le parallèle avec les mouvements de décolonisation conduit à évoquer la guerre d’Algérie, et, fait rare, les massacres de Madagascar en 1947, ainsi que le contexte de la Guerre froide. Dans Ode à la Sainte Face, de 1959 : Et tu répands ta lumière au milieu du désert Dans les rues de Budapest Pour les enfants d’Hiroshima Pour les noirs d’Amérique De Madagascar de partout Pour les tueurs d’Algérie (Roqueta 2009, 24) 18 Dans l’Ode à Saint Aphrodise, s’ajoute la référence aux guerres du Vietnam et d’Indochine, situées dans la continuité des grands massacres et crimes de la Guerre d’Espagne et de la Seconde guerre mondiale : Un pied sur Saint-Nazaire L’autre sur Aphrodise L’entre-jambes sur la Madeleine Où eut lieu En l’an 1209 Et le 22 juillet La répétition générale Pour Guernica Pour Oradour Pour Hiroshima Pour Sakiet Pour Hanoï Pour Haïphong Pour Hanoï et Haïphong confondues (Roqueta 2009, 44) 19 Hanoï et Haïphong : villes symboles et martyres autant des bombardements américains que français. Haïphong fut bombardée par la marine française, ce qui déclencha la lutte d’indépendance et la guerre d’Indochine, en 1946. Hanoï subi de lourds bombardements américains à partir de 1965, massifs de la Noël 1972 (postérieurs à la publication du texte).

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20 Rouquette reprend l’antienne anti-américaine et anti-impérialiste de toute une époque protestataire qui a fait de la guerre au Vietnam le symbole de la violence du nouvel ordre mondial : Demeure de la mort Demeure de la paix made in USA (Roqueta 2009, 46)

Une grande liberté de ton

21 Pour autant, ce qui me paraît le plus révélateur, c’est la liberté de ton du poète. Les références accumulées ne sont pas sans une certaine irrévérence par rapport à un discours qui sacralise les icônes révolutionnaires. La démarche de Rouquette semble être de se situer dans le cadre du mouvement et du discours tiers-mondiste, mais avec un certain humour, emboîtant le pas à Anatole France qui soulignait que les révolutionnaires — et les idéologues en général — manquaient singulièrement d’humour.

22 Quelques points qui ont accroché ma lecture.

23 La vision du mouvement noir américain est révélatrice d’une perception de l’extérieur, assez « globale » et moins analytique et idéologique que symbolique. Louis Armstrong n’a jamais été proche de Malcolm X, et ce dernier ne devait pas avoir beaucoup d’estime pour ce qu’incarnait Armstrong. Un certain ordre raciste a même pu se satisfaire parfaitement de la figure du musicien noir. Mais ce qui compte ici, c’est moins l’analyse politique que la prééminence que le poète donne à l’artiste dans l’expression de la révolte noire. La langue « impeccablement noire » est d’abord celle du trompettiste. Et c’est à ce titre que Mistral est rapproché d’hommes politiques comme Mao ou Malcolm X. 24 La référence à la lutte armée est au cœur du débat initié par Fanon et Sartre (qui n’apparaît pas). Elle est détournée dans l’œuvre de Rouquette. Dans En armes (1969), se présenter comme déjà mort pourrait ainsi introduire une justification du recours à la violence : Notre mort nous l’avons Tellement loin derrière nous Il y a si longtemps Que le prêtre de service Dans un vieux cimetière de la ville Jeta sur notre caisse La première pelletée de terre Que la mort Ne peut plus rien sur nous 25 Mais l’image guerrière est détournée, métaphorisée par la référence à la nature, qui l’atténue aussitôt : Et maintenant nous sommes terre Chaumes sont nos cheveux Et caille et lièvre notre cœur De la tête aux pieds nous sommes Habillés de luzernes Verts de colère En armes comme des châtaigniers Habités du bonheur des truites (Roqueta 2009, 52)

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26 Affirmation d’une résistance ancrée dans la terre, de longue durée, pourrait-on dire, mais qui ne peut que difficilement passer pour un appel à prendre les armes et qui se tient à distance de la fascination pour la lutte armée proprement dite qui hante cette époque où les mouvements révolutionnaires sont particulièrement virulents.

27 L’image guerrière se retrouve au début de Messe pour les cochons (1969) : « J’entrerai quelque jour dans ma tête, tout seul, la mitraillette au poing » (Roqueta 2009, 54). Je voudrais m’arrêter un instant sur cette image du cochon : c’est le terme polémique et violemment caricatural utilisé, à la même époque, par les radicaux noirs des Panthères Noires pour désigner les policiers. Le terme est largement diffusé, on l’entend dans la bouche des militants américains, par exemple, dans le documentaire d’Agnès Varda tourné en 196822. La différence est que le terme, chez Rouquette, sert à fustiger la résignation d’un peuple dont la révolte se fait attendre — peuple dans lequel il s’inclut. Il fait partie des cochons. Si dans Messe pour les cochons, le ton est à la colère et appelle à la révolte, l’image, qui ne cesse de revenir, est aussi parée d’autodérision. Les cochons, c’est aussi « nous », et l’image dépasse de beaucoup la satire idéologique. 28 C’est que l’appel à la révolte vise à provoquer aussi — et peut-être surtout — les siens. À les réveiller de ce qui est présenté comme une « nuit ». La provocation est directe et elle ne va pas sans une certaine violence : « Nous avons tout baissé, tête, bras et culotte » (54), en une claire identification avec la bête qui se laisse égorger : « Un cochon, ça n’a jamais qu’un an à vivre dans l’ombre de sa cellule. Et moi, et moi et moi et moi !… Le cochon, quand il monte au jour, on prend garde qu’il ne coure, on le maintient par la patte et par l’oreille, et l’air au sang se mêle » (Roqueta 2009, 54). Le ton est à la colère et à la révolte, pas à l’apitoiement sur un passé déchu : « Seigneur, n’aie pitié ni de nous ni des autres. » C’est un « peuple défait, sans yeux ni poings, sans moelle ni cervelle, et Peuple, cependant, errant comme moi, elle, et tous, dans cette nuit que tu as cru bon d’émailler d’étoiles qui se moquent du peuple » (Roqueta 2009, 54). 29 Le rattachement au discours anticolonialiste se fait ainsi non sans nuances. La vision n’est pas réduite au seul discours militant qui assimile la revendication occitane aux luttes anti-impérialistes, anticolonialistes et antiracistes. 30 L’oppression en pays occitan a pris par le passé des formes violentes. Elle a relevé de la guerre et des massacres. L’ombre du sac de Béziers pèse lourd encore, huit cents ans plus tard, sans parler de la répression des mineurs au début du siècle. Mais elle ne peut pas être du même ordre dans ses conséquences et ses implications politiques concrètes que les massacres bien actuels de la colonisation dans les pays africains d’après-guerre.

Vision politique et dynamique créatrice

31 Dans des périodes de confrontation idéologique intense, les figures les plus intéressantes sont celles qui préservent leur liberté créatrice.

32 Ceux qui savent rester attentifs à l’humain, privilégier les hommes plutôt que les mots d’ordre, refuser de simplifier la nature humaine : en un mot ceux qui refusent de s’aveugler et sont capables de mettre en cause une idée, si juste et belle soit-elle, de la peser au poids de la vie, de ne pas tenir celui-ci pour négligeable, et de ne jamais cesser d’y voir l’essentiel — comme le disait Vercors.

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33 Le positionnement politique peut, dans ces conditions, avoir une portée esthétique véritable, qui dépasse la seule inscription dans une revendication et un engagement. 34 Cela se traduit par la volonté de renouveler la création littéraire en l’ouvrant à des influences et à des écritures nouvelles, en soumettant la forme aux impératifs de la vision plutôt qu’en se refermant sur une tradition pour la préserver. La création véritable ne se joue pas dans les Académies. Même si elles le savent. Ce sont toujours les écritures en marge qui apportent le renouveau. 35 Les charges contre un certain académisme relèvent ainsi de l’affirmation d’une liberté créatrice : comme dans l’Ode à Saint Afrodise : « petit homme inoffensif, petit bourgeois, petit félibre francisé petit savant devenu immense » (Roqueta 2009, 44). 36 La référence inattendue au jazz participe ainsi d’un renouvellement qui passe par un brassage culturel. 37 L’écriture a une liberté de ton, de vocabulaire — « la danse du soufflet » : « Dieu fit l’homme à son image. Il le fit donc guenon et lui souffla au cul » (Roqueta 2009, 132) —, de thèmes (avec en particulier la présence de la sexualité — dans les très beaux poèmes de Ponteses, en 1976, « Les rats », « Le jour des battages », « Les Chauchard, lui et elle ») —, bouscule une vision académique et folkloriste de la littérature occitane, avec une véritable modernité de l’écriture poétique. On n’est pas dépaysé par rapport à la poésie française contemporaine, se retrouvant du côté de Jouve ou d’une certaine littérature québecoise. 38 Ouverture aux luttes contemporaines, vision de la culture populaire décapée des conservatismes folkloriques, sont quelques traits que l’on peut appréhender en traduction. Par des choix de thèmes et de forme, par une dimension plus populaire que folklorique, par une écriture provocatrice, iconoclaste par rapport à un provençalisme traditionnel. Cette indépendance a toutes les chances de se trouver du côté de la poésie véritable. 39 La jonction entre engagement et esthétique se fait dans la définition de la poésie comme un « langage commun » : « Il faut du temps et du travail pour traduire tout ça en langage commun qui donne faim et force » (Roqueta 2009, 104). L’autonomie créatrice du poète le conduit vers un centre qui est l’humain, un universalisme « concret », pour reprendre l’expression de Jean Larzac où la dimension politique se fond dans une dimension spirituelle et esthétique.

* * *

40 Après le « moment politique » des années soixante et soixante-dix, l’œuvre de Rouquette montre — c’est, en tout cas, le cas dans ce recueil — une évolution et un recentrage. Les discours et images de la révolte politique sont moins présents. L’expression de la colère et de la révolte cède le pas à une vision plus attentive à l’humain, et à une forme d’humilité : « Notre honneur ne sera que cela : avoir été, être et vouloir rester de condition banale » (« Tardièrs benlèu », Roqueta 2009, 162). Les poèmes chantent la beauté de figures prises dans la vie quotidienne, dans Ponteses (1986), en particulier. Jean Eygun parle d’un poète « qui sait dire, comme peu le savent faire, la pauvreté de l’idiot et sa beauté. L’homme, avec l’aide de Dieu, est ici la clé de voûte » (Roqueta 2009, 10)

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41 « Le poème, c’est le travail sur la mémoire du désir » (Roqueta, 94), écrit Yves Rouquette, dans une très belle définition de la poésie qui englobe une dimension politique, mais ne se limite pas à elle.

BIBLIOGRAPHIE

ROQUETA Ives, Pas que la fam. Causida poëtica 1958-2004 — La faim, seule. Choix de poèmes 1958-2004, Toulouse, Letras d’òc, 2005, rééd. 2009.

SIMONIN Anne, Les Éditions de Minuit 1942-1955, le devoir d’insoumission, [1995], Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine, Paris, 2008.

NOTES

1. Vercors, « Le silence de la mer et la littérature clandestine, 1940-1944 », conférence citée dans Simonin 2008, p. 129-130. 2. Black Panthers, reportage réalisé par Agnès Varda en 1968.

AUTEUR

JULIEN ROUMETTE

Université Toulouse-Jean Jaurès, ELH-PLH

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Les cultures vivantes et leurs assassins : Yves Rouquette lecteur de Frantz Fanon

Norman Ajari

1 On mesure encore mal l’étendue de l’influence de la pensée du psychiatre et philosophe anticolonialiste Frantz Fanon, et la variété des horizons d’où provenaient ses lecteurs. Si l’on connaît son usage par les Africains-Américains ou la diversité de ses emplois dans les luttes anti-impérialistes latino-américaines, sa réception dans l’espace français est généralement tenue pour négligeable, et résumée au seul nom du préfacier des Damnés de la terre, Jean-Paul Sartre. L’ambition de ce texte est d’étudier une lecture méconnue de l’œuvre du penseur martiniquais : celle de l’écrivain occitan Yves Rouquette. Le problème de la culture de l’opprimé constitue le cadre de cette rencontre. En effet, Rouquette cite à plusieurs reprises Fanon comme étant, davantage encore que l’une de ses références, l’un des éveilleurs qui lui permirent d’accéder à sa propre politique de l’écriture occitane. Il s’agira dans ce qui suit de se demander ce que Rouquette a pu voir et trouver chez Fanon pour nourrir sa propre réflexion sur la langue, la culture et la vie éthique. Lisons ce qu’il écrit au détour d’une recension du recueil Poèmas d’amor e de mort de Serge Carles : Ce qu’affirme — avec une rare puissance, avec une sincérité lucide — la poésie de Serge Carles, c’est ce sur quoi, voici déjà longtemps, se fondait toute la pensée de Frantz Fanon. Et c’est ce qui me la rend proche, chère, indispensable. Il ne dépend que de nous-mêmes, comme personnes et comme peuple, que nous soyons morts ou vivants. Ne rêvons pas à côté des choses. Tricher, même dans la trouvaille, ne sert à rien. Allons droit au malheur. Ne l’analysons pas. Mangeons-le. C’est vrai que ce pays est mort. C’est vrai que “dans aucun pays les vers ne rongent à la fois la chair vivante et la chair morte, mais ici oui”. Et c’est vrai qu’on lâche partout les chiens contre ceux qui le disent (Rouquette 2013, 243). 2 Le pays colonisé est un pays mort, culturellement. Mais une puissance du négatif le hante, une possibilité pour les morts de sortir de leur tombe. On examinera l’hypothèse selon laquelle Rouquette emprunte à Fanon sa critique de l’hégémonie de la culture coloniale comme processus de dévitalisation et de nécrose des « modes d’exister » de

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ceux qu’elle domine. On tâchera d’explorer, à travers cette théorie critique « vitaliste » de la culture (Ajari 2016), l’ébauche d’un dialogue décolonial où, soit depuis l’extérieur, soit depuis l’intérieur de la géographie européenne, il s’est agi pour chacun des deux auteurs, non seulement d’inventer une conception de la vie culturelle en rupture avec l’héritage romantique, mais encore d’opposer une pensée et une écriture politiques aux visions impérialistes. En effet, Fanon et Rouquette considèrent tous deux qu’une culture ne se possède pas, ne s’approprie pas, ne se préserve pas : elle se vit. Lorsque Rouquette invite dans l’important article de 1986, « Un écrivain occitan face à la culture populaire », à « restaurer l’occitan comme langue de création » (Rouquette 1986, 74), il ne dit pas autre chose : la langue, c’est l’existence. La bonne langue est celle qui s’articule à ce que Fanon nomme un « devenir actionnel », c’est-à-dire une possibilité d’agir librement. Or pour toutes celles et tous ceux dont le vécu a été tissé d’oppression (ici Fanon pense spécifiquement aux Antillais descendants d’esclaves et à tous les colonisés), l’accès à un tel état ne va pas de soi. C’est pourquoi ce texte porte sur les cultures vivantes et leurs assassins : certaines analyses de Fanon expliquent la dévitalisation des langues, c’est-à-dire avant tout des existences qu’elles traduisent, et les conditions d’un rétablissement de leur intensité. Rouquette y fut sensible.

3 Nombreux sont les écrivains, poètes, philosophes, à avoir considéré la production culturelle comme liée intimement à la notion de vie. Ils assignaient à la culture la tâche de lutter contre toutes les formes de nécrose intellectuelle et sociale. Dans un premier temps, d’un point de vue plus philosophique et éthique que littéraire, on dessinera à grands traits une brève histoire de l’idée romantique d’une coappartenance de la culture et de la vie, guidée par l’idéal d’une réconciliation de l’Europe moderne avec elle-même. On verra que l’œuvre d’Aimé Césaire constitue à cet égard un tournant, qui déplace significativement le centre de gravité de cette tradition théorique. Il ouvre la voie aux conceptions de la culture de Fanon et de Rouquette, qui ne formulent plus une critique interne mais externe de la modernité européenne. Elle sera exposée à travers l’examen de deux grandes formes de ce que ces auteurs qualifient de dévitalisation sociale et culturelle. La haine de soi, tout d’abord, à laquelle Fanon a consacré plusieurs analyses. Puis, on s’attachera à cette forme perverse d’institutionnalisation de la culture dominée que Rouquette a nommée la « glaciation ».

Sujet, objet et vie dans la pensée politique romantique

4 Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe l’ont démontré dans L’Absolu littéraire (1978) : le romantisme et l’idéalisme allemand naissent tous deux des problèmes laissés en héritage par la philosophie d’Emmanuel Kant. La philosophie morale de ce dernier, rompant avec celle de Rousseau, avait en effet fait du sujet, c’est-à-dire de la raison, le siège de la moralité. Ce n’est plus l’objectivité, c’est-à-dire le sentiment naturel, la pitié, la capacité à compatir, qui fondent la dimension éthique de l’individu. La morale n’est plus une sagesse, un enseignement dérivé d’une somme d’expériences de vie, qui constituerait un guide de bonne conduite. C’est la raison qui pose ses lois en vertu du principe de non-contradiction. D’où une nécessaire division, une séparation entre l’objectivité (la nature, l’empirique) comme ce qui est et le sujet (la raison, l’a priori) comme ce qui doit être. D’où un conflit permanent entre le sujet et l’objet : l’individu est originairement tiraillé entre les commandements de sa raison et la puissance désirante qui sourd de son corps vivant. Contrairement à un lieu commun répandu, le

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romantisme n’est pas un pur et simple irrationalisme, une exaltation échevelée des puissances telluriques : ce que visent les romantiques allemands, au même titre que les philosophes idéalistes du premier XIXe siècle, c’est un dépassement de l’opposition entre rationalité et vie naturelle, qui réaliserait l’identité entre les deux.

5 Ce problème — qui va hanter les jeunes Schelling, Hegel, Hölderlin, Schlegel — dépasse le cadre étroit de la philosophie morale dont il semble procéder à première vue. En effet, à la faveur d’un jeu d’équivalences, cette conception d’une séparation entre le sujet et l’objet désignera aussi bien la séparation moderne entre l’individu et la communauté : sorte d’atomisation du social causée par le rationalisme de l’Aufklärung. La pensée kantienne — mais aussi la Révolution française qui, comme l’a montré Stathis Kouvélakis (2003) de façon convaincante, en constitue pour ces auteurs une sorte de double gémellaire dans le social-historique — font figure de symptômes d’une vie moderne qui ne va plus de soi. Au tournant du XIXe siècle, les romantiques prennent acte d’un effondrement de la conception traditionnelle de la vie organique de la communauté, dont l’homogénéité des Cités grecques ou les trois ordres de l’Ancien Régime constituent des modèles exemplaires. Par exemple, comme le remarque le philosophe slovène Slavoj Žižek, le « point de départ de Hölderlin est le clivage entre (l’impossible retour à) l’unité organique traditionnelle et la liberté réflexe moderne : nous sommes, en tant que sujets finis, discursifs et conscients, jetés hors de l’unité que nous formions avec le tout de l’être et auquel nous désirons néanmoins revenir, mais sans sacrifier notre indépendance » (2015, 29). Alors que la raison s’éveille à sa propre autonomie, elle se fait la juge du corps naturel, et de ses pulsions, de son désir intense et volcanique de faire communauté. À l’inverse, ce dernier veut dépasser cette rationalité qui le bride et retrouver une totalité organique. De ce hiatus naît l’indéracinable sentiment d’une communauté absente. L’enjeu du romantisme serait donc d’assurer la vie d’une telle communauté au moyen de la création, de la production culturelle, sans pour autant abandonner l’idéal d’autonomie promu par la modernité. 6 Avec le romantisme, la modernité européenne devient le lieu d’un problème, voire d’un péril. Le « dernier des romantiques », Heinrich Heine, hérite de ce nœud. Si son interprétation n’est qu’une nouvelle manière de décrier la conflictualité entre le sujet rationnel et l’objectivité naturelle, l’un de ses mérites a été d’y dégager la centralité de la question de la vie, comme un chemin de traverse permettant d’en résoudre les antinomies. Comme il l’avance dans un fragment de 1833 intitulé « Différentes manières de considérer l’histoire », la modernité peut être vue comme une gigantomachie qui voit s’affronter deux éthiques. L’une, anti-moderne et traditionaliste, affirme le caractère cyclique du temps et, partant, la vanité des efforts qui visent à réaliser l’émancipation de la raison et l’amélioration de l’humaine condition. L’autre, celle des Lumières, représente le temps homogène et vide du progrès, l’avancée linéaire de l’humanité vers davantage de liberté et une conscience toujours plus aiguë d’elle-même. À ces deux modèles canoniques qui se laissent interpréter respectivement comme le temps de la nature (de l’objet) et celui de la raison (du sujet), Heine se propose d’opposer un temps de la vie. Il serait fondé, non pas sur un éternel retour du passé ignorant de l’agitation politique et sociale des humains, ni sur le constant avènement d’un avenir émancipateur, mais sur une attention constante et vigilante au présent, avec ses besoins et ses troubles. La grande lacune de la modernité, c’est qu’elle bride l’intensité de la vie et n’en rend pas possible la pleine réalisation :

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La vie n’est ni fin ni moyen; la vie est un droit. La vie veut faire valoir ce droit contre la mort engourdissante, contre le passe ́ et sa façon de le faire valoir c’est la révolution. L’indifférentisme élégiaque des historiens et des poètes ne doit pas paralyser notre énergie dans ce travail; et les chimères de ceux qui nous promettent un avenir heureux ne doivent pas nous inciter à mettre en jeu les intérêts du présent et le droit de l’homme a ̀ défendre en premier le droit de vivre — Le pain est le droit du peuple, dit Saint-Just, et ce sont les paroles les plus sublimes de toute la Révolution (Heine 1998, 192). 7 La vie, sans laquelle la raison aussi bien que la communauté sont sans support et dont l’incarnation est donc impossible, se trouve ainsi élue par Heine comme principe unificateur du sujet et de l’objet. La lutte contre la mort sous tous ses aspects est ainsi décrite comme la vérité ultime de la condition humaine. Heine parachève l’argumentaire romantique. Son projet de réaliser la communauté, tout en demeurant méfiant à l’égard des penchants mortifères du conservatisme traditionaliste aussi bien que de l’enthousiasme progressiste, trace les lignes d’une autocritique de la modernité européenne qui influencera les marxistes hétérodoxes de l’École de Francfort tels que Walter Benjamin ou Theodor Adorno. Sa conception de la vie peut également se lire comme une matrice de la pensée politique des avant-gardes, au sens que donne à ce terme le théoricien allemand Peter Bürger : « Les avant-gardes ont eu pour projet la négation de l’art autonome dans le sens d’une reconversion de l’art dans la vie concrète » (2013, 891). L’art, et notamment la littérature, a vocation à réunifier ce qui a été séparé, à re-totaliser la vie moderne disjointe, à transfigurer l’insupportable solitude du sujet — à la façon dont, dans l’ancienne Grèce, l’esthétique commune de la tragédie avait pu constituer le ciment social nécessaire à l’établissement du jeune système démocratique.

8 Un projet indissociablement poétique, culturel et politique comme celui de la négritude d’Aimé Césaire, parfois considéré comme relevant de l’avant-garde (Alliot 2008, 108), se situe dans les coordonnées tracées par cette histoire, qui est celle de la modernité intellectuelle et littéraire européenne. Mais il rompt également avec elle sur certains plans essentiels. L’arc thématique qui va de la modernité aux avant-gardes a assigné à la vie la tâche de retisser l’insupportable séparation entre le sujet et l’objet, c’est-à-dire l’individu et la communauté, caractéristique de la société moderne. La mort dont il s’agit de sortir est ici synonyme d’opposition entre individualité rationnelle et collectivité affective. Césaire, pour sa part, pense le rapport entre la culture et la vie à partir d’une critique, non plus interne, mais externe de la modernité européenne. Il note que toutes les valeurs d’émancipation ou de liberté ou d’émancipation portées aux nues par la modernité ne se découpent jamais que sur fond de dénonciation de la sauvagerie prémoderne. Il s’attaque dès lors à la question de la différenciation entre culture et barbarie, c’est-à-dire de la violence de la hiérarchisation que cette bipartition du monde implique (Dussel 1992). Ainsi écrit-il dans la présentation de la revue Tropiques qu’il fera paraître en Martinique à partir de 1941 : « Mais ici l’atrophiement monstrueux de la voix, le séculaire accablement, le prodigieux mutisme. Point de ville. Point d’art. Point de poésie. Point de civilisation, la vraie, je veux dire cette projection de l’homme sur le monde; ce modelage du monde par l’homme; cette frappe de l’univers à l’effigie de l’homme. Une mort plus affreuse que la mort, où dérivent les vivants » (Césaire 2016, 34). 9 Ce diagnostic de la nécrose culturelle concerne ce pays colonisé qu’est la Martinique, ce qui change tout. Le problème qui se pose à Césaire ne saurait se limiter à la solitude de

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l’individu ou sa perplexité face aux transformations de l’ordre du monde. Est, à ses yeux, centrale la condition exceptionnelle d’être soi-même le représentant d’un peuple auquel toute culture a été déniée par la violence de la traite transatlantique, puis du joug colonial. Selon lui, « un régime politique et social qui supprime l’auto- détermination d’un peuple, tue en même temps la puissance créatrice de ce peuple ». Il ajoute : « partout où il y a eu colonisation, des peuples entiers ont été vidés de leur culture, vidés de toute culture » (Césaire 2016, 360). À partir du « tournant décolonial »2 que Césaire imprime dans la pensée issue du romantisme, le problème de l’Europe ne réside plus dans « ce qui lui arrive » mais dans ce qu’elle fait subir, comme totalité, au reste du monde — c’est-à-dire à tous les peuples des territoires offerts à sa domination coloniale, c’est-à-dire également raciste. La perspective ouverte par Césaire sera celle que prolongeront Frantz Fanon, puis Yves Rouquette.

Zone du non-être et haine de soi

10 Comme l’a justement remarqué le philosophe jamaïcain Lewis R. Gordon, Fanon interprète le racisme colonial comme l’imposition à une culture d’une fausse notion de ce qu’est la culture, puisque de deux groupes humains contemporains, elle fait un moderne et un barbare. Fanon qualifie les conséquences de ce rejet hors de la vie culturelle de zombification, c’est-à-dire de mort sociale (Gordon 2015, 87). Dans son dernier ouvrage, Les Damnés de la terre, Fanon décrit trois étapes de la formation des poètes, écrivains et intellectuels colonisés. Bref, trois stades de la vie culturelle du peuple dominé (Fanon 2002, 211-212). Ces trois étapes, dans le style de La Phénoménologie de l’esprit de Hegel, semblent signaler un lien intime entre l’individu et le collectif, entre le sujet et l’histoire. À chacune de ces étapes, en effet, se cristallise une forme donnée de la conscience du peuple colonisé. C’est-à-dire plus précisément un moment dans le rapport de force qui confronte le colonisé au colon de manière continuée. Toutefois, ce ne sont pas des stations bien délimitées, qui se succéderaient dans le temps de façon linéaire. Ce sont plutôt des idéaux-types qui ne se rencontrent que sous des formes bâtardes et hybridées. Le premier de ces stades est celui de la haine de soi du colonisé, qui est peut-être la manifestation la plus profonde de la zombification culturelle. Le second stade sera nommé, d’après Rouquette, la glaciation (Rouquette 1974, 73). Enfin, le dernier moment sera celui de la libération — une libération qui ne va pas, chez Rouquette aussi bien que chez Fanon, sans une attention spécifique à la question des cultures populaires.

11 L’emploi de la notion de haine de soi est malaisé. D’une part, parce qu’elle a de gênantes allures moralisantes, et de l’autre parce que c’est une formule qui s’apparente aujourd’hui à un cliché. Or pour sortir des sermons et des stéréotypes, il importe de comprendre cet affect dans sa genèse, c’est-à-dire de le rattacher à l’organisation du monde particulière à laquelle il répond. La « haine de soi » n’est ni une faute morale, voire une trahison de sa propre essence, ni une situation dont on se débarrasse par un simple effort de la volonté. Pour l’expliquer, on peut recourir au concept fanonien de « zone du non-être ». Cette notion ne se confond pas avec les partages géographiques, même si Fanon montre ses conséquences dans l’organisation urbaine. Ce n’est pas non plus un concept purement philosophique, bien qu’il emprunte son vocabulaire à l’ontologie. La zone du non-être, pour Fanon, c’est le mode d’apparaître du colonisé (c’est-à-dire du Nègre, de l’Antillais, du Maghrébin…) dans le monde blanc (c’est-à-dire

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la colonie ou la métropole coloniale). Si le colonisé ne semble pas « doté » d’un être palpable, c’est que son existence et sa nature sont sans cesse soumises à la question. Le chapitre de Peau noire, masques blancs intitulé « l’expérience vécue du Noir » l’illustre en mettant en scène une série de doutes existentiels traversés par un colonisé soumis au regard d’une société colonialiste. 12 Ainsi, au cœur du concept fanonien de zone du non-être se trouve l’idée de violence raciale. Certains lieux communs de la réflexion française sur le racisme se bornent à n’y voir qu’une série de qualifications, telles que : « le Nègre est ainsi », « l’Arabe est comme cela », etc. Ces qualifications existent bien sûr, elles sont mêmes abondantes, mais elles sont insuffisantes pour expliquer l’inégalité raciale dans son concept. Fanon, de même que des penseurs comme l’Africain-Américain W.E.B. Du Bois ou l’Argentin Enrique Dussel, considère que le racisme procède moins par qualification que par problématisation. L’archétype de cette conception, qui est également son acte de naissance, est la fameuse controverse de Valladolid en 1550. Il y a racisme dès lors qu’une instance se déclare légitime pour raisonner sur l’appartenance ou non à l’humanité d’un groupe, d’un peuple, d’une nation. En réalité la réponse se trouve dans la question : l’accusation d’inhumanité n’a jamais été proférée qu’à l’encontre d’êtres humains. Ainsi le processus de racialisation n’est-il pas lié, comme le sens commun voudrait le faire accroire, à des lacunes : l’ignorance ou la bêtise. C’est au contraire un usage impropre et excessif de l’évaluation rationnelle, qui s’autorise à rompre le lien éthique envers l’autre humain. Il n’y a de racisme qu’ordinaire, et structurel. 13 En effet, si l’exemple de la controverse de Valladolid est emblématique et utile pour comprendre ce dont il est ici question, il convient de ne pas se laisser abuser par son caractère unique et sa dimension cérémonielle. Le racisme est la mise en danger permanente de la relation éthique par son évaluation. Comme l’écrit Fanon, « il y a une constellation de données, une série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l’éducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de la radio, d’un individu, pénètrent un individu — en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient » (Fanon 1952, 124). Cette multiplicité de supports de mémoire trace un espace mental délimité, où l’être (c’est-à-dire le légitime) et le non-être (c’est-à-dire ce qui est soupçonné d’illégitimité) se dessinent. La notion de constellation qu’emploie Fanon est importante : elle signale le caractère mondain de la race, sa dépendance à l’égard d’un ensemble de dispositifs qui forment, déforment ou constituent les images des types humains, mettant certains d’entre eux dans des situations de porte-à-faux, d’écartèlement. Cela veut également dire qu’il faut énormément d’êtres, une grande quantité d’objets et une intense propagande pour construire la zone du non-être : elle se fonde sur toute une armature matérielle. On peut dire, en conséquence, que la race n’est ni dans le corps, ni dans la tête, mais bien dans le monde. Sur le plan du langage, cette constellation se manifeste par exemple dans le petit nègre qu’on emploie pour s’adresser au Noir ou des formes simplifiées qu’on croit devoir mobiliser pour se faire comprendre de l’Arabe. On les évalue et les juge inaptes ou illégitimes dans la langue majeure. 14 La zone du non-être est la zone de ce qui est jugé, malléable, contingent, soumis à une évaluation critique sans réserve. Cette compulsion évaluative se soutient de tout un monde mémoriel qui construit une vision du monde européocentriste. Le rapport du colonisé à sa propre langue dérive de la précarité de cette position. Tout l’enjeu, pour celui dont la langue maternelle est par exemple le créole, va consister à passer du non-

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être à l’être, de l’illégitimité à la légitimité, en empruntant au colon son langage. Le « français de France » est la synecdoque de la civilisation. Ici convergent de nombreuses formes de violence. Le lieu où vit le colonisé est souvent misérable, ghettoïsé. Vivre dans la zone du non-être ne va pas sans une exposition démesurée aux risques de la souffrance et de la mort. Comme l’écrit Fanon dans un autre contexte : « On comprend que le “nègre” veuille quitter Harlem; mais c’est vouloir être blanc » (Fanon 2015, 441). Ce qu’on nomme « haine de soi » n’est pas autre chose que la volonté de fuir un contexte mortifère en se fuyant soi-même — c’est-à-dire en prenant le colon pour modèle et en se faisant reconnaître par lui. L’envers de cette tentation se laisse résumer en un double renoncement : renoncement à contribuer à une transformation du monde existant, et renoncement à l’idée de fuir pour un ailleurs qui ne serait pas marqué par la confrontation continuée aux maîtres coloniaux. La langue est un outil privilégié dans cette quête de reconnaissance. Parler une langue revient à participer à son monde. « Rien de plus sensationnel qu’un Noir s’exprimant correctement, car, vraiment, il assume le monde blanc » (Fanon 1952, 28), écrit Fanon. Maîtriser la langue, c’est s’insérer dans une autre constellation que celle qui écrase le Nègre, le tirant irrémédiablement vers la zone du non-être. Les violences et les vexations qu’il subit sont le premier motif de son désir de reconnaissance, c’est-à-dire d’assimilation. 15 Or Fanon met au jour, au cœur de ce désir de devenir à son tour un humain véritable, un cruel paradoxe. Chercher à s’intégrer dans le monde blanc légitime, c’est ce qui le légitime. Et cela revient à renforcer l’emprise qu’il exerce sur soi. Les conséquences de cette incarcération culturelle se manifestent à chaque faux pas du colonisé linguistique. Toute accentuation trahissant trop manifestement son origine lointaine, tout usage d’un vocable jugé exotique, seront accueillies par des ricanements, des plaisanteries stéréotypées, des airs entendus, voire des leçons de grammaire. Ces moments d’échec sont voués à se perpétuer, voire à se multiplier, car on ne gagne pas la reconnaissance en se fiant à la munificence des principaux responsables et bénéficiaires d’une situation inégale. Le colon ne libère pas le colonisé, il lui accorde des permissions — ce qui participe des attributs de son pouvoir. C’est pourquoi, explique Fanon, certains cherchent à « se rejoindre par le patois, en s’installant bien confortablement dans ce que nous appellerons l’umwelt martiniquais » (Fanon 1952, 29). Cette complaisance vis- à-vis de son propre environnement culturel, dont les manifestations ne se limitent pas au cas antillais, ne va pas sans poser d’autres problèmes. Yves Rouquette, dans le cadre de la culture occitane qui fut la sienne, assuma le rôle de critique vigilant et attentif de ce confort indu, mis en évidence par Frantz Fanon.

La glaciation et l’étincelle

16 Dans l’article « Un écrivain occitan face à la culture populaire », plus que de la haine de soi, Rouquette se préoccupe de ce second danger qui plane sur les cultures colonisées : cette complaisance qu’il nomme « glaciation ». Dans les années 1970, déjà, il en dessinait les contours : « Je dis simplement que l’occitan morne, glacé, passé au tamis et au moule de la rationalité officielle française qu’emploient tant d’écrivains aujourd’hui gagnerait à s’affronter avec cette langue de la trouvaille sauvage qui reste celle de l’occitan non enseigné. Non point pour gagner en saveur. Mais bien plutôt pour que leur esprit s’y libère en apprenant que si le langage est répétition de modèles, il est aussi révolution perpétuelle dans l’invention, dans la rupture » (Rouquette 2013, 82).

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Rouquette s’oppose, au nom de sa vitalité, à une forme de réflexion sur la culture occitane marquée, selon lui, par une triple normalisation. Normalisation politique d’abord, puisqu’elle renonce à toute conception d’une souveraineté occitane. Normalisation culturelle ensuite, puisque ce courant prône une déférence à l’égard de la culture française, de ses classiques et de ses façons. Normalisation idéologique enfin, car elle prônerait l’ascendant des cercles savants sur la parlure ordinaire, sur la langue des villages, bref, sur la culture populaire. Ces trois normalisations résument ce que Rouquette qualifie de glaciation : une volonté de constituer la langue à l’imitation de la langue coloniale, mais en lui ôtant toute force.

17 L’intérêt de ces réflexions, qui dit aussi leur proximité avec la pensée fanonienne, tient d’abord en ce qu’elles ne cèdent pas à la facile vénération du paysan et de sa langue comme figures d’une authenticité originaire. Ces procédés, que l’on rencontre chez un Heidegger ou, plus récemment, dans l’ouvrage Décoloniser l’esprit de l’écrivain kenyan Ngugi wa Thiong’o, ne sont pas utiles à l’argumentaire de Rouquette. Ce que les occitanistes qu’attaque Rouquette prennent pour de la culture est en fait tout autre chose. La glaciation est la conséquence de cette erreur de catégorie, qui peut n’être qu’une méprise, mais peut aussi bien être le résultat d’une stratégie ou d’une politique données. Rouquette le confesse : il a connu ce moment de glaciation : « J’ai marché très longtemps, comme on dit à présent, à côté de mes pompes. Écrire me coûtait. C’était un exercice ascétique. Parfaitement antimilitariste, anticolonialiste, j’écrivis un manifeste de la jeunesse occitane qui était une déclaration d’amour à la France. Plus j’allais dans le sens d’une poésie policée, d’une prose tenue en laisse, plus j’avais le sentiment de me mentir, de me travestir, de m’éloigner de moi-même » (Rouquette 1974, 83). Et ceux qui allaient le ramener à lui-même allaient être Fanon et l’internationale situationniste : « Si je cherchais ma vérité il fallait que je la cherche depuis mon camp. Donc que je rompe avec l’idée que je m’étais faite de l’écrivain d’oc. Fanon et les situationnistes firent le reste : ils m’apprirent que le travail de l’intellectuel n’était pas d’expliquer le malheur, de disserter dessus, de proposer avec lui ces arrangements mais de le manger, de le manger, de le manger, jusqu’au dégueulis » (Rouquette 1974, 83-84). 18 La juxtaposition de ces deux noms peut surprendre. Mais, dans le cadre de l’exposé de Rouquette, elle est lumineuse. Non seulement Fanon et Guy Debord ont en commun d’être à la fois des théoriciens révolutionnaires, des stylistes et des figures éthiques, mais surtout ils sont tous deux des penseurs de la non-séparation entre l’activité créatrice et la vie quotidienne — argument qui est au cœur de la conception rouquettienne de la culture populaire. On pourrait la comprendre comme la culture qui s’oppose violemment à ce que Fanon appelle la pensée bourgeoise : « l’aliénation intellectuelle est une création de la société bourgeoise. Et j’appelle société bourgeoise toute société qui se sclérose dans des formes déterminées, interdisant toute évolution, toute marche, tout progrès, toute découverte. J’appelle société bourgeoise une société close ou ̀ il ne fait pas bon vivre, ou ̀ l’air est pourri, les idées et les gens en putréfaction. Et je crois qu’un homme qui prend position contre cette mort est en un sens un révolutionnaire » (Fanon 1952, 182). 19 La glaciation dénoncée par Rouquette s’apparente à cette pourriture. Tout ce qui réclame d’être conservé est déjà mort; seuls importent le droit et la possibilité effective de vivre et de faire vivre sa propre culture — Césaire, déjà, l’avait vu. Cette culture, d’ailleurs, n’est rien d’autre que cette vitalité, cette nécessité vitale de créer à partir du déjà-là. Le lieu de la défense, de la protection, de la conservation, n’est pas celui de la

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culture mais celui de l’inculture. D’ailleurs, ceux qui parlent aujourd’hui « d’insécurité culturelle » méconnaissent que l’entrée de la sécurité dans le champ de la culture est synonyme de débilité affective et de ruine de l’intelligence. C’est, pour Fanon, ce qui arrive inéluctablement dès lors que la culture est pensée comme ce que l’on a plutôt que comme ce que l’on fait. « Notre mort nous l’avons / tellement loin derrière nous, / il y a si longtemps / que le prêtre de service / dans un vieux cimetière de ville / jeta sur notre caisse / la première pelletée de terre / que la mort / ne peut plus rien sur nous »3. 20 Tout comme c’est le cas chez Rouquette, cette conception de la culture ne s’accompagne pas chez Fanon d’une haine du passé. Seulement, souligne-t-il, il importe « de garder toujours présents sous les yeux les trois éléments du temps : le passe,́ le présent et l’avenir » (Fanon 2012, 92). Ce versant de sa pensée est particulièrement sensible dans la manière dont il conçoit le rôle de l’intellectuel organique de la révolution anticoloniale à l’imitation de la figure du conteur, dont il sait le rôle dans les cultures populaires d’Afrique du nord aussi bien que d’Afrique noire. Dans le cadre des luttes de libération anticoloniales, en effet, il a constaté une transformation du rôle et de la fonction de ces figures traditionnelles de la socialité villageoise : ils deviennent relais de l’actualité du combat. Liant les individus entre eux, entrelaçant dans son récit formes et accents traditionnels à la nouveauté révolutionnaire, le conteur se fait l’instrument d’un rétablissement du monde social détruit par le colonialisme. Se faisant, il se rend nécessaire : sa présence devient vitale pour ceux qui l’entourent. Dans la parole du conteur s’élèvent de nouvelles constellations. Ni celles, inquisitrices et accusatoires, du racisme européocentriste; ni celles, putréfiées et impuissantes, de la glaciation culturelle. Le nouveau et l’intense émergent au cœur du familier, du spontané. Dès lors que l’intellectuel accepte le rôle du conteur, il sacrifie définitivement toute conception autoréférentielle du langage. On n’écrit pas pour écrire. L’écrivain anticolonial ne cherche plus à obéir à quelque cahier des charges, mais à se couler dans l’histoire elle-même, cette « vie souterraine, dense, en perpétuel renouvellement » (Fanon 1952, 212). Il cherche à ce que sa parole, comme celle du conteur public, participe d’un long circuit de l’action qui met en relation combattants et non-combattants, villes et campagnes, agir et pensée réflexive. En somme : il s’agit de politique. Il me semble qu’il en va ainsi d’Yves Rouquette, qui n’écrit pas occitan pour écrire occitan, mais parce que cette langue renferme à ses yeux une forme particulièrement intense d’exister, qu’il associe au jeu. La culture populaire est celle qui ne se préoccupe pas d’elle-même, mais est fondamentalement xénophile et éthique (c’est-à-dire soucieuse de chaque membre de sa communauté). Mais, pour mettre en œuvre une telle éthique, il lui faut préalablement s’écarter d’une culture coloniale, prédatrice et totalitaire, qui ne tolère nulle part qu’elle-même et s’obstine à abolir toute altérité.

Conclusion

21 Les romantiques avaient placé en la culture un grand espoir : celui de réunir enfin l’individu et la communauté, divisés par la moderne opposition du sujet rationnel et de l’objectivité naturelle et désirante. Par le regard impitoyable qu’il porta sur l’Europe, Aimé Césaire a réduit ces enjeux à des tracasseries mineures. À ses yeux, c’est la violence coloniale et la déshumanisation raciste qui constituaient les véritables balafres

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de la modernité. Frantz Fanon a proposé, avec son analyse de la haine de soi, une phénoménologie précise de leurs conséquences existentielles sur la vie des colonisés. Il y a là imposition d’une fausse conception, rigide et dévitalisée, de ce qu’est la culture. En critique de ce qu’il nomme la « glaciation », Yves Rouquette a entrepris de réaffirmer sa conception instauratrice, créatrice et inventive de la culture occitane qui est la sienne. Peut-être n’est-il nulle part plus proche de Fanon, le Martiniquais devenu Algérien, qu’en ce passage où il abdique sa propre francité — celle, en tout cas, que fantasment les nostalgiques d’un Occident conquérant, blanc, catholique et romain : « Charles Martel [a] été tout autant l’ennemi des Arabes “qu’il arrêta” à Poitiers, que le destructeur d’Agde, de Béziers et de Nîmes : l’ennemi, donc, de nos ancêtres » (Rouquette 2013, 219). De son propre aveu, l’importance que Rouquette accorde à Fanon dans son parcours tient au fait qu’il est celui duquel il apprit à manger et à dégueuler le malheur. Cette étrange formule dit une attention affective sans réserve, sans mise à distance évaluative, accordée à la misère humaine et aux brutalités qui la causent. Elle dit une éthique de l’empathie inconditionnelle. Mais elle en dit aussi la négation, le rejet littéraire violent, agressif. La force de la culture populaire tient à son intrinsèque dissidence d’avec la culture coloniale aussi bien que les provincialismes glacés qui l’imitent en miniature. C’est cela, une vie.

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NOTES

1. Olivier Quintyn précise cette conception : « L’art comme domaine séparé doit être dépassé, au sens hégélien du terme, c’est-à-dire absorbé et relevé dans une nouvelle pratique de la vie » (2015, 36). 2. « Avec l’approche décoloniale, ce qui compte, c’est plutôt la conscience du fait que les formes modernes du pouvoir ont produit (tout en les occultant) des technologies de la mort, qui affectent de façon différente sujets et communautés. Le tournant décolonial permet aussi de réaliser que les formes du pouvoir colonial sont multiples; que l’expérience, ou la connaissance, propres aux sujets les plus concernés par le projet de mort et de déshumanisation moderne, sont d’une importance capitale si nous voulons comprendre les formes modernes du pouvoir et proposer des alternatives. En ce sens, il ne s’agit pas de proposer une seule grammaire de la décolonisation, un seul idéal de monde décolonisé. Pour l’essentiel, le tournant décolonial est un concept qui cherche à mettre au centre du débat la colonisation et la décolonisation; la première est conçue comme un élément fondateur de la modernité, la seconde est envisagée comme l’ensemble des stratégies et des contestations susceptibles de changer de façon radicale les formes hégémoniques du pouvoir, de l’être, et de la connaissance » (Maldonado-Torres 2014, 47). 3. « Nòstra mòrt l’avèm / talament luònhta en arrèr / i a talament de temps / que lo prièire de servici / dins un cementèri vièlh de la vila / escampèt sus nòstra caissa / la darrièira palada de tèrra / que la mòrt / pòt pas ren sus nosautres » (Roqueta 2005).

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AUTEUR

NORMAN AJARI

Université Toulouse-Jean-Jaurès, ERRAPHIS

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Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

De l’engagement à la création littéraire

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La question nationale chez Robert Lafont, Yves Rouquette et Joan Larzac (1967-1969)

Jean-Pierre Cavaillé

1 Aborder la question de la nation dans l’occitanisme des années soixante n’est pas chose aisée car, le moins que l’on puisse dire est que le mouvement occitaniste, si l’on met de côté François Fontan et le PNO, dont l’ostracisme même d’ailleurs est des plus révélateurs4, ne brille pas par la clarté des positions, pourtant conflictuelles, qui s’y exercent. Heureusement, dois-je m’empresser de dire, que Laurent Abrate a très judicieusement décrit et analysé la situation dans son livre (Abrate 2001, 505-550). Cette absence de clarté, ces hésitations, ces embarras, ces contradictions mêmes me paraissent symptomatiques d’une situation pour le coup spécifiquement franco- française, concernant la difficulté, dans notre pays, dans ces années-là, mais aujourd’hui la chose est encore pire, à penser et assumer positivement la notion de nation dans l’optique d’un processus qui, quant à lui, fut au moins en ce temps-là parfaitement assumé, de désaliénation et de décolonisation occitanes (car aujourd’hui ces concepts mêmes ont cessé d’être utilisés pour mettre en cause la domination centraliste).

2 Pourquoi est-il si difficile de devenir et plus encore de se déclarer nationaliste et indépendantiste, tout particulièrement, dans les régions occitanes, de la part de ceux-là mêmes qui reconnaissent légitime de parler d’Occitanie ? Tout aussi difficile — juste pour faire une comparaison qui puisse ne serait-ce que nous permettre d’oser la poser, que de se déclarer républicain sous l’Ancien Régime. Cette question intéresse évidemment l’histoire des idées politiques occitanistes et le contexte qui la contraint, l’histoire politique nationale française. Pour y répondre, il faudrait envisager la conception française de la nation, qui repose sur la citoyenneté et semble inséparable du dogme de l’unité et de l’indivisibilité républicaine, en insistant sur la large adhésion et participation à cette conception dans les régions occitanes elles-mêmes, qui rend si difficile l’expression de toute alternative nationale. Mais cette question m’intéresse ici tout particulièrement d’un point de vue moins explicatif que descriptif, car elle rejoint

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une réflexion beaucoup plus générale que je poursuis sur le problème de l’acceptabilité. J’entends par là le travail difficile, hasardeux et toujours risqué, mais nécessaire, effectué par les acteurs, à quelque niveau que ce soit, pour rendre acceptable par le public ou plus modestement par leur entourage, mais aussi et d’abord à leurs propres yeux, ce qui ne l’est pas dans la culture de leurs contemporains. 3 Certes, dans les dernières décennies, comme les interventions de Joan Larzac au présent colloque l’ont bien montré, ce nationalisme fut pleinement revendiqué par les frères Rouquette (du moins dans certains lieux et occasions d’expression), et cela paraît contredire ce que je viens à peine d’avancer, mais il me semble qu’il s’agit là surtout d’une clarification rétrospective, rendue possible par l’échec même de la revendication politique occitaniste (de quelque obédience soit-elle) après 1981, au profit de positions « culturalistes », fédératives de toutes les bonnes volontés démocratiques mobilisées pour la préservation de la langue. C’est parce que la question politique occitaniste a cessé d’être véritablement débattue et active (ce qui, à mon sens est extrêmement dommageable pour la question linguistique elle-même), qu’il est devenu possible de déclarer franchement ce qui, au vif de l’action et de ses inévitables contraintes, était si difficile à formuler sans détour. 4 Je m’appuierai sur un texte au statut particulier paru dans Cronicas de Viure, rassemblant comme le titre l’indique, les chroniques qu’Yves Rouquette avaient écrites pour la revue Viure, qui a joué un si grand rôle dans la réflexion occitaniste politiquement engagée, durant ses années de publication, entre 1965 et 1973, au plus fort moment d’activité du C.O.E.A (Comitat occitan d’estudis e d’accions créé en 1962) et au moment de la création de Lucha occitana. Il s’agit d’une critique de l’ouvrage de Robert Lafont, Sur la France, paru chez Gallimard en 1967. Le texte, intitulé « Sur la France e sus Occitània » est publié dans Viure en 1969. Il possède un statut très particulier ; Yves Rouquette indique en effet en note qu’il s’agit d’un montage réalisé par Felip Gardí (Philippe Gardy) d’extraits de textes que Joan David (Jean-Philippe Monnier5), Joan Larzac et lui-même destinaient à une publication dans Viure et dont les originaux (du moins le sien) se sont perdus. Cette note n’en dit pas plus, mais revenant en 2009 sur ce texte, Rouquette affirme qu’il s’agissait bien en fait du résultat d’une opération de censure ordonnée par Lafont6, au motif que les trois auteurs se seraient montrés trop ouvertement nationalistes (voir infra). Il dit aussi avoir accepté les coups de ciseaux car ce qu’il tenait « pour essentiel » avait été conservé par Gardy7. 5 Le fait qu’Yves Rouquette accepte de republier le texte sous son nom et en conservant la rédaction à la première personne montre suffisamment, s’il en était besoin, l’étroite communauté de pensée et d’action qui unissait les auteurs et en particulier les deux frères. Cela est confirmé par un long texte de Joan Larzac sur le même sujet, « Sous la France », composé à Fribourg durant l’hiver 1967-1968, où sont exprimées des idées entièrement convergentes, également en occitan. Il parut d’abord sous forme d’un petit livre en 1969 dans la petite maison d’édition dirigée par l’auteur, 4 Vertats 8, et fut ensuite repris dans le tome I de Descolonisar l’istòria occitana, en 1980, dont il constitue l’un des textes liminaires (Larzac 1980a, 46-64). 6 La critique — une critique interne au COEA, dont Lafont était le « secrétaire général » — porte sur un point essentiel de Sur la France : la distinction faite entre nation primaire et nation secondaire à laquelle Lafont consacre un chapitre entier intitulé « Des deux types nationaux ». Je résumerai son analyse originale et évoquerai rapidement ses enjeux.

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Lafont : Nation primaire, nation secondaire

7 Le point de départ explicite de sa réflexion réside dans ce qui lui apparaît comme deux définitions antagonistes de la nation9 : celle qui est issue de la pensée germanique (Herder, Fichte, Humboldt…), qui conçoit la nation comme l’association de quatre éléments constitutifs — la langue, les traditions, la race et l’État — et la célèbre définition de Renan, qui repose sur le contrat national établi par la Révolution française, pour lequel la nation est « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble » (Lafont 1967b, 3910). « D’un côté la nation se définit par des composantes, langue, race, traditions, indépendantes de la volonté des nationaux, de l’autre côté il y a consentement au présent, fidélité au passé, désir d’avenir, c’est-à-dire choix et volonté. À la nation « biologique » s’oppose la nation « des citoyens » (Lafont 1967b, 42-43). La stratégie théorique (et à la fois rhétorique, comme nous verrons) de Lafont consiste à mettre l’État de côté dans la définition de la nation11 et surtout à tirer des deux définitions opposées deux types différents de nation qui sont amenés par l’histoire à se superposer (Lafont parle de « construction duale »), voire à se « confondre », et cette confusion, qu’il nomme « nationalisme », est le mal endémique dont souffre la nation française (et pas seulement elle !).

8 Du premier type de nation d’abord, il évacue la « race », car aucune nation ne coïncide avec une race… « chercher dans la race une base biologique à la nation est une illusion » ; de ce point de vue ce qu’il appelle, lui, nation « biologique » (entre guillemets) « naît en détruisant une identité biologique ». En effet, le « mélange de populations, réalisé et stabilisé, est devenu un fait premier » : « c’est là un fait de conscience collective, nullement un fait physique ». C’est pourquoi il propose de généraliser plutôt le terme « d’ethnie » : « l’ethnie est contradictoire de la race. Elle naît dans l’histoire, sous une clarté de nouvelle aurore, quand un groupe humain fait fi de la multiplicité de ses origines, oublie les migrations qui l’ont constituée et les guerres antérieures à une fusion » (Lafont 1967b, 44). Il est intéressant, entre parenthèses, que Lafont insiste ainsi sur l’oubli, dans la définition de l’ethnie où la mémoire identitaire joue un si grand rôle. L’ethnie est une conscience collective faite autant d’oubli que de mémoire. 9 Dans la définition de l’ethnie, la langue joue un rôle déterminant : « La langue perpétue le double caractère du peuple conscient de son identité. Elle est à la fois le résultat des brassages anciens et une stabilité d’identité » (Lafont 1967b, 45). La langue est ici non l’objet de la science12, mais une affaire de représentation et de conscience identitaire : « il y a langue lorsqu’il y a […] accord massif des usagers sur leur identité linguistique » (Lafont 1967b, 45). 10 L’ethnie ainsi définie surtout à partir de la langue, n’est pas nation, mais tout au plus « pré-nation ». Pour qu’il y ait nation, il faut une « forme originale de civilisation qui permette à la masse humaine, non seulement de ressentir, mais de vivre socialement un destin de communauté » (Lafont 1967b, 45). Outre la langue, il doit exister un fait culturel ou civilisationnel identitaire, « qui change de nature avec les lieux et les temps, mais qui tend toujours à opposer l’ethnie à ses voisines » et surtout l’existence d’une « élite d’hommes qui pense le groupement humain, non pas en termes instinctifs et sourds, comme la masse du peuple, mais en définitions claires » (Lafont 1967b, 48). Cette théorisation de la constitution et de l’action nécessaire d’une élite, qui donne aux

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éléments constitutifs de la nation « une forme supérieure et lucide » (Lafont 1967b, 49), par opposition au peuple massifié qui se rapporte à sa propre identité de manière instinctive et sourde, est l’aspect qui apparaît peut-être aujourd’hui le plus choquant chez un penseur de gauche, mais c’est que la gauche pensait encore ouvertement ainsi en ces années-là (elle continue d’ailleurs à le faire aujourd’hui, mais de manière plus discrète) la relation, dans les processus révolutionnaires ou de libération nationale, de l’élite éclairée aux masses (encore) aliénées13. Jean Larzac se contente de souligner quelques inconséquences et incohérences de Lafont à ce sujet14. Il faudrait d’ailleurs examiner de près, du point de vue d’une sociolinguistique critique, ce que cette position idéologique et la conscience de leur propre statut d’intellectuels éclairés, impliquent dans les représentations que l’occitanisme de cette époque a pu véhiculer de la langue occitane. 11 En tout cas, ce sont ces trois éléments : conscience d’une identité linguistique, d’une identité culturelle et présence active d’une élite, qui définit la nation primaire, qui n’a rien pour autant, comme on le voit, de primordiale. Du reste cette nation est fragile et mortelle, elle peut se perdre, par exemple, par la « trahison des élites, leur assimilation irréversible par une autre nation… » et elle redevient alors une « ethnie » signalée par sa seule langue (Lafont 1967b, 50). 12 La nation secondaire, elle, est « antithétique » de la nation primaire, elle n’a pas de « préhistoire » ni de soubassement ethnique, mais elle naît d’un événement historique, qu’elle se donne comme acte fondateur. Elle possède, comme l’autre, un contenu culturel « à partir duquel puisse se développer une tradition nationale » : « ce contenu est lié au fait historique initiateur » (Lafont 1967b, 54). Ses éléments constitutifs sont d’une part ce fait inaugural (« l’événement historique stabilisé »), un fait culturel : « l’idéologie politique en mouvement et — une fois encore —, une élite, « qui pense la nation suivant cette idéologie… ». Mais, cette fois, l’élite n’est pas intellectuelle ou religieuse ; elle est « la classe dirigeante du pays qui, dans son activité économico- politique, crée la culture vivante, l’institutionnalise, la pare de toutes les surestimations habituelles pour en faire une foi publique, l’insère dans l’enseignement officiel et couronne ainsi l’édifice national » (Lafont 1980a, 55). Il est à noter que s’il prend les États-Unis comme paradigme de « l’État secondaire », Lafont ne fait pas, du moins explicitement, du contrat, de la volonté commune clairement énoncée, un élément constitutif de celui-ci. Peut-être les candidats seraient-ils trop peu nombreux et veut-il forger un modèle non restreint par cette condition ? Le fait est qu’il réserve essentiellement dans son exposé l’élément du contrat à la nation française née de la Révolution, qui sert de modèle ensuite à d’autres nations du monde. Le fait qu’il ne s’en explique pas est cependant révélateur d’une sérieuse difficulté. 13 La nation France est donc née le 17 juin 1789, lorsque les députés du Tiers se constituent en « Assemblée nationale ». Ce jour-là la France devient « une nation secondaire, fondée par le contrat politique de citoyenneté ». Ce jour-là « le contrat refait la nation à sa racine » (Lafont 1967b, 187-188). Dans La Révolution régionaliste, il avait bien spécifié les choses : « La Révolution française détruit toutes les nations résiduelles, dans un grand mouvement d’enthousiasme. Elle crée une nation nouvelle, non plus subie, mais voulue… » (Lafont 1967a, 186) : Mais cette conscience nationale fut très vite viciée et trahie, par la réaction thermidorienne puis par la Constitution bonapartiste de l’an VIII, de sorte que la conscience nationale « n’a été pure que dans les textes constitutionnels révolutionnaires, dans les déclarations des guides de la nation : on y voit le destin

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national identifié à la libération des hommes ; la nation secondaire y est toujours définie par sa mission universelle » (Lafont 1967b15). 14 C’est que la France, comme, d’autres nations secondaires, et plus que les autres, puisqu’elle s’était donné la vocation, par son universalisme, d’être la « nation des nations », fut vite victime du mal qui menace cette construction duale : la confusion typologique, la confusion catastrophique entre nation primaire et nation secondaire. Ce mal a un nom, « nationalisme », non pas seulement hypertrophie, mais bien d’abord « dégénérescence » du « sentiment national » (Lafont 1967b, 56-57). Lafont, ainsi, assume le sens péjoratif que le mot « nationalisme » possède en français et qui rend en effet tout emploi positif du terme quasiment impossible16. Dans le nationalisme, la nation secondaire revendique les traits ethniques d’une nation primaire à travers des mythes nationaux en partie hérités de l’Ancien Régime17 et réprime en son sein les nations primaires qu’elle s’est agrégée, leur déniant toute forme de reconnaissance et en fait d’existence. Je note au passage que toute l’analyse de Lafont suppose que les nations primaires annexées par la France, sous l’Ancien Régime, demeurent sous- jacentes ou souterraines, alors qu’il les dit aussi mortes ou moribondes, et tout au plus réduites au statut de simples ethnies. Sur ce point aussi, me semble-t-il, il manque de clarté18. Le nationalisme est surtout une idéologie qui sert de paravent et de légitimation à l’expansion du capitalisme. C’est un point que je ne développerai pas ici, mais il est essentiel, inhérent aux convictions socialistes de Lafont. À ses yeux, c’est la bourgeoisie qui a trahi la nation secondaire républicaine de 89 et qui est essentiellement responsable de l’impérialisme colonial, à l’extérieur comme à l’intérieur. C’est ainsi l’anticapitalisme de la tradition socialiste qui permet, chez Lafont, de préserver la virginité première et substantielle du pacte national révolutionnaire (ce que récuseront les frères Rouquette, tout aussi socialistes, avec la plus grande vigueur, voir infra)19. 15 Les notions pour rendre compte de l’entreprise visant à détruire les nations primaires, en supprimant leurs langues, en dévalorisant leurs cultures et en assimilant leurs élites et en étendant partout le marché, sont celles « d’aliénation » et de « colonialisme intérieur », dans lesquelles se retrouvent presque tous les théoriciens et militants occitanistes de l’époque20. « L’aliénation est la substitution à un avenir que l’on déduit logiquement de l’autonomie culturelle et parfois de l’indépendance politique, d’un devenir de soumission culturelle et d’un déplacement du sentiment politique » (Lafont 1967b, 154). Ainsi Lafont parle-t-il pour les membres des nations primaires de France d’« aliénation provinciale » pour l’Ancien Régime (chapitre IV)21 et d’« aliénation nationale » pour les temps successifs à la Révolution (chapitre V). Il fait de Barère (« Citoyens, vous détestez le fédéralisme politique. Abjurez celui du langage. La langue doit être une comme la République »22), le prototype de l’occitan aliéné : « il lui faut conquérir la langue de Versailles, comme le peuple a conquis le château » (Lafont 1967b, 196). 16 L’aliénation trouve sa forme extrême dans le « colonialisme intérieur » qui affecte aussi bien l’économie et les institutions politiques que l’éducation, la langue et bien sûr l’ensemble de la culture. « La décolonisation outre-mer a rapatrié le colonialisme. Nous en sommes au moment de virulence d’un colonialisme intérieur » (Lafont 1967b, 258). Il est à ce sujet très proche des frères Rouquette qui insistent eux aussi sur la colonisation des cerveaux (« l’enemic dins la clòsca »23) et des modes de vie et pas seulement sur l’appropriation des ressources et des moyens de production24. Je ne peux m’étendre ici sur cette notion cruciale de « colonialisme intérieur » dans l’occitanisme des années 70,

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dont la généalogie a surtout été faite à ce jour par Alain Alcouffe (2009, 35). Lafont, qui l’a véritablement théorisée et popularisée, la distingue scrupuleusement de celle de colonialisme extérieur, dès lors que les colonisés et les colonisateurs, à l’intérieur, disposent des mêmes droits civiques (Lafont 1967a, 153-15425).

17 Lafont appelle bien sûr à la désaliénation et à la décolonisation, mais il ne remet nullement en cause l’appartenance à la nation secondaire, c’est-à-dire à la France : « Non, dit-il, qu’il soit question de promouvoir des “libérations nationales” dans le cadre de l’hexagone. Du fait du contrat national, le colonialisme intérieur n’est pas l’extérieur. Mais désaliéner, oui. Réinstaller la France dans ses dialogues intérieurs, dans la justice ethnique, dans la démocratie culturelle » (Lafont 1967b, 260).

Yves Rouquette : la nation française n’existe pas

18 Voilà donc quelle est la position de Lafont, rejetée avec véhémence par les frères Rouquette. Du moins s’agit-il de la position explicite de l’auteur de Sur la France. Yves en effet le suspecte d’avoir cherché à « espaurugar pas son public francimand e mai que mai l’esquèrra francesa enfangada dins son passat nacionalista »26, Joan Larzac le croit par contre, pour l’essentiel, de bonne foi. L’adoption d’une stratégie rhétorique en même temps que théorique pourtant ne me semble certes pas à rejeter. Joan Larzac écrit dans le tome II de Descolonisar l’istòria occitana que « Perbòsc coma Mistral en d’autres temps e coma tantes e maites, disiá çò qu’èra pensable, ne pensava just un pauc mai »27. Il fait référence à la manière dont Perbòsc articule la petite patrie dans la grande patrie, tout en disant que « sa véritable patrie » reste la petite. Me semble ici intéressante l’idée selon laquelle la limite du pensable est en fait d’abord celle de la limite de ce qui paraît dicible, publiable aux acteurs ; ainsi les occitanistes, par la force des choses, ont-ils toujours pensé juste un peu plus loin que ce qu’ils pouvaient écrire. C’est d’ailleurs toujours et plus que jamais le cas, mais cela est normal. Il en va ainsi de toute expression publique d’un engagement politique, et d’autant plus lorsque les acteurs savent que leurs positions sont minoritaires et soumises à tous les procès d’intention.

19 J’ajouterai, concernant nos auteurs, que ces contraintes sont d’autant plus fortes lorsqu’ils écrivent en français, du fait du large public francophone visé et de la lutte qu’ils doivent mener contre l’idéologie véhiculée par la langue française elle-même, telle qu’ils la trouvent aménagée lorsqu’ils s’en emparent. L’invention d’une prose théorique et idéologique en occitan dans les années soixante du siècle dernier (aujourd’hui sinon quasiment perdue, en tout cas extrêmement réduite), dont témoignent les textes des frères Rouquette, fut la conquête d’un espace de liberté d’expression, où l’on put enfin écrire « presque » à la hauteur de sa pensée et de ses propositions d’action, du fait justement que l’on s’adressait à un public de lecteurs sans doute très restreint, mais réceptif à ce type d’audace (mais tous n’étaient pas non plus disposés à suivre jusqu’au bout, et des précautions théoriques et rhétoriques existaient bien aussi en occitan). En particulier, l’expression d’une revendication nationale occitane, tout à fait inacceptable, irrecevable, autrefois comme aujourd’hui pour le grand public francophone, était « presque » possible en occitan, comme le montrent les textes des frères Rouquette28. Ce « presque » est évidemment ici mis pour le « un peu plus » d’avance de la pensée sur l’écriture, mais aussi du fait d’une très forte autocensure spontanée, contre laquelle — en eux-mêmes donc —, ils doivent lutter. Il n’en demeure pas moins, comme y insisteront a posteriori les frères Rouquette, que dans

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certains de leurs textes, la position nationaliste est à peu près, sinon franchement assumée29. La contrepartie de cette relative liberté de parole occitane fut que cette revendication demeura presque invisible et inaudible, non seulement pour le grand public mais aussi pour l’intelligentsia francophone. On la suspectait certes, mais comme une sorte de crime inconfessé et inconfessable, non comme une doctrine exposée et discutée au grand jour. 20 Lafont, quant à lui, de manière très consciente, avait fait le choix de composer ses écrits politiques en français de façon à être publié par les maisons d’édition parisiennes les plus prestigieuses, en un temps où une fenêtre s’était ouverte pour ce type de production intellectuelle en français. Mais, on le sait, cette fenêtre s’est vite refermée, y compris pour Lafont lui-même (ces ouvrages ne purent plus paraître que de la manière la plus confidentielle, dans de petites maisons d’édition et désormais sans aucun relai critique national). Aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile, sinon presque impossible, de faire accepter par les maisons d’édition parisiennes des textes sur les langues minorées de l’hexagone, du moins s’ils abordent le sujet d’un point de vue politique un tant soit peu offensif. Cela est aussi vrai de la presse régionale, comme en témoignent les chroniques inoffensives d’Yves Rouquette lui-même pour la Dépêche publiées en 2000 et cette année même 2015. Nous sommes relégués de fait, pour le partage et la discussion de ce type de discours, à l’entre-soi militant ou aux catacombes universitaires, qui ne dérangent personne. 21 Mais, même s’il me semble que je suis là au cœur de mon sujet, il est sûr que je m’écarte de la ligne de mon exposé, à laquelle je m’empresse de retourner. Quelles sont les critiques qu’Yves Rouquette assume en son nom dans cette chronique pour Viure ? Elle se résume à l’affirmation selon laquelle ce que « Lafònt sona una nacion segondària es pas jamais una nacion, mas un Estat, o, tot simplament, un regim politic »30. Cet État, une fois créé, cherche à devenir ce que Lafont appelle une « nation primaire » et ce passage, comme tant d’exemples le montrent, « suspausa totjorn una lucha, dobèrta o amagada, vergonhosa o triomfanta contra las lengas e las culturas de las nacions que se trapan integradas dins l’Estat »31. Certes la Révolution, nommée dans le texte « còp d’Estat », est un immense progrès pour l’idée de démocratie, mais en posant la valeur universelle des principes de liberté, égalité et fraternité, les habitants du royaume de France « s’en dessaisissent » : ce n’est pas la France qui part à la conquête du monde entier, mais la démocratie, ce qu’oublie Lafont. Cette critique, d’ailleurs, ne porte pas, car Lafont souscrirait très probablement à cette formulation. 22 Par contre, le texte de Viure enfonce le clou, affirmant que ce livre de Lafont, comme le précédent (La Révolution régionaliste, paru la même année, mais achevé dès 196432) oblige à en finir avec « la confusion entretenue en France entre l’État et la Nation » 33. En fait, affirme Rouquette non sans provocation, la nation française n’a encore jamais existé, « e s’un jorn existís serà pas que dins la mesura qu’aurà capitat d’un band a liquidar per sempre las realitats nacionalas que l’etnia francesa s’es sotmesas e de l’autre a sabotar la realizacion d’un Estat europenc »34, État européen qui n’aura, lui, aucune raison d’empêcher par exemple les réunifications de nations aujourd’hui séparées par une frontière (Catalogne, Pays-Basque, etc.). Mais il envisage aussi ce que pourrait être l’Europe, si elle devenait une nation secondaire, celle que rêve de construire « una borgesiá apatrida : una part de la tèrra ont se sacrificariá los pòbles a un pòble, las lengas a una lenga, las culturas a una pseudò-cultura perfiechament uniformizada »35. On peut ainsi craindre de l’Europe le même danger, mais en grand si l’on peut dire, que celui que représente la France pour

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ses propres nations ; ce qui revient d’ailleurs au passage, me semble-t-il, à rester finalement prisonnier, de la part de Rouquette, du modèle français, comme modèle de constitution nationale moderne. 23 Après ce livre de Lafont, déclare Rouquette, il est enfin temps de sortir au grand jour : « Fins ara avèm tengut a tot lo mond, a nosautres, a l’esquèrra francesa e a l’esquèrra d’Occitània un lengatge prudent, rassegurant e timid »36. Nous avons jusque-là appelé régionalisme notre revendication nationale, mais « podèm ara parlar boca dobèrta » (« nous pouvons désormais parler à pleine voix ») et exiger, comme en Espagne, que la France reconnaisse qu’elle est un État multinational et qu’il faut en prendre acte de façon à assurer à terme le passage « a un estat europenc, multinacional el tanben e de contengut socialista »37. 24 Ce texte, cela doit être souligné, est publié en occitan, de manière on ne peut plus confidentielle, et le fait est que cette proposition reste aujourd’hui, et plus que jamais, inacceptable et donc exclue du débat public en France. Mais il faut aussi, bien sûr, tenir compte des passages manquants, censurés dans Viure, qui ont disparu. On ne peut, faute de mieux, que s’en remettre au souvenir d’Yves Rouquette ; en effet le pas du projet national y semble avoir été franchi (d’où la décision que Lafont aurait prise de faire remodeler l’article par Gardy) : « çò que Lafònt sòna “nacion segondària”, aquò’s pas per nautres qu’un Estat que cal ajudar a deperir coma tal. Çò qu’apèla “nacion primària” son de nacions sens cap d’organisacion estatala e an besonh de se’n donar una se se vòlon pas pèrdre, lenga e tot çò autre, dins un futur pròche38. » 25 Lafont est tout de même salué pour avoir posé les fondements d’une « contre-histoire » de France qui est la seule façon possible aujourd’hui de « faire l’histoire d’Occitanie ». C’est justement dans le cadre d’une telle contre-histoire, entreprise de désaliénation et de décolonisation de l’histoire occitane, que son frère produit sa propre critique du livre de Lafont.

Joan Larzac : le mythe du contrat national

26 Dans Sous la France, Larzac fait aussi allégeance à Lafont, pour la même raison que son frère39, mais aussi en déclarant d’emblée qu’il lui doit le concept d’« aliénation », qu’il utilise pour le critiquer. Il salue en outre son précédent ouvrage, la Révolution régionaliste, qui a réussi par son analyse économique à convaincre une bonne partie de l’intelligentsia française, de droite comme de gauche, qu’il existe un véritable colonialisme à l’intérieur du pays, et ainsi a porté la bataille occitaniste hors du culturalisme, c’est-à-dire sur le terrain de l’économie et donc de la politique40.

27 Il reproche surtout à Lafont d’entretenir le mythe national français : « França una, e generosa, patria de la Libertat e de l’Umanisme » (Larzac 1980, 49). Peut-on exploiter ce mythe, sans en être dupe, de façon à contribuer à la « reconnaissance généreuse de notre liberté occitane » ? Absolument pas, même si Lafont semble le penser. La question se pose donc de la « duplicité » stratégique de l’auteur. Fait-il comme De Gaulle dont il dit lui-même que, dans le processus de décolonisation, il a utilisé le mythe de la France pour en modifier les effets ? Larzac lui reconnaît, pour la condamner, une certaine duplicité, mais il juge que sur le fond, Lafont, reste prisonnier du mythe : « il y croit », lorsqu’il dit par exemple que « la France elle-même a le sens de la vie démocratique », lorsqu’il adhère au messianisme patriotique de Lamartine : « Ma patrie est partout où

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rayonne la France,/ Où son génie éclate aux regards éblouis ! ». Pour ma part, je crois que Larzac montre par ces exemples exactement le contraire de ce qu’il voudrait ; à savoir que Lafont en effet exploite le mythe contre lui-même mais que, ce faisant, il ne peut pas ne pas, malgré tout, l’entretenir. C’est là une règle de la communication biaisée, à laquelle personne n’échappe, mais loin de moi d’en condamner pour autant la pratique, si souvent nécessaire. Larzac, lui, pose la question sur un plan moral et tout à la fois sur celui de l’efficacité, et condamne radicalement la démarche41. 28 Par contre, comment ne pas lui donner raison, lorsqu’il écrit que l’affirmation selon laquelle la nation naît en 1789 est des plus contestables ? Ce que Lafont nomme « conscience nationale » par rapport à ce qu’il appelle nations primaires, est déjà présent sous l’Ancien Régime. En fait, le mot nation, malgré l’effort de clarification, ou à cause de lui (du fait qu’il sert une stratégie rhétorique), est ambigu dans les écrits de Lafont. Lui-même indique une généalogie médiévale de la double nation française, déclarant que la France en se constituant, dès l’époque médiévale et entre autres, mais surtout, à travers l’annexion de l’Occitanie, « a sans doute créé la nation moderne. Elle a aussi ouvert le temps des nationalismes dévastateurs » (Lafont 1967b, 11242). Mais alors, de deux choses l’une, ou cette nation est d’emblée « légitime » et donc elle n’a pas besoin de la légitimation de 1789, ou elle est « illégitime » et force est de constater que la Révolution n’apporte aucun changement substantiel dans la relation aux « nations du dedans » ; elle ne fait qu’accentuer, radicaliser et porter à ses plus extrêmes conséquences le mouvement depuis longtemps déjà en marche. C’est pourquoi d’ailleurs, dans son histoire décolonisée d’Occitanie, Larzac refuse de faire de la Révolution française un nouveau point de départ et l’une des grandes scansions de l’histoire occitane : le XVIIe siècle est pour lui celui de la « désagrégation » de la société occitane et le XVIIIe siècle dans son ensemble, celui de son « éclatement » (Larzac 1977, chap. II et III). 29 Surtout, à ses yeux, le « contrat national », si central chez Lafont, n’est qu’un mythe ; s’il a existé virtuellement dans la constitution de 1793, il ne fut jamais réalisé, cette constitution n’ayant jamais véritablement été appliquée comme le reconnaît Lafont lui- même (Larzac 1977, 53). De toute manière, les peuples et les cités qui, dans le moment révolutionnaire, donnent leur accord au contrat national — parmi lesquels en effet, grande partie des Occitans — « son totes ja d’un biais o d’un autre assimilats, alienats a França » (« ils sont tous déjà, d’une façon ou d’une autre, assimilés, aliénés à la France », p. 55) : s’il y a, comme l’affirme Lafont, « réfection de la nation », celle-ci ne porte nullement sur « la désaliénation ethnique » et « n’abolit nullement les conséquences négatives de la conquête », contrairement à ce qui est affirmé dans La Révolution Régionaliste (Lafont 1967a, 141). 30 Au contraire, la colonisation intérieure n’a fait que s’intensifier. Lafont distingue scrupuleusement colonisation intérieure et colonisation extérieure, justement parce que, grâce à la Révolution, les colonisés de l’intérieur, grâce au pacte national, sont des citoyens et possèdent le droit de vote. Pour Larzac, ce droit est un leurre, parce que les colonisés étant minoritaires, ils ne sauraient d’aucune façon faire avancer leur condition par les urnes. Pour lui, intérieur et extérieur ne signifient qu’au-dedans et au-dehors de l’hexagone (qui, demande-t-il, peut sérieusement parler de colonialisme intérieur pour les territoires d’outre mer ?). Tout colonialisme, quel qu’il soit, est extérieur (« se tracha totjorn d’una terra autra, situïda en defòra del punt colonizaire »43) et intérieur, car la colonisation est toujours intégrée à des degrés divers (sans intégration

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au moins minimale, on ne peut parler de colonisation)44. Aussi, à rebours de Lafont, il soutient que la colonisation intérieure est encore pire que celle du dehors ; elle est plus profonde, plus complète, car plus invétérée (Lafont 1977, 5745). « La colonizacion interiora es la qu’a mai capitat coma colonizacion »46. 31 De toute façon, comment une nation pourrait-elle contenir d’autres nations ? « Nacion, affirme Larzac, ditz un absolut. Es un concèpte barrat sus el, al contrari de region (que pòt totjorn esser region d’una region d’una region) »47. 32 Pour qu’il puisse avoir raison, il faut refuser l’ambiguïté structurelle du terme de nation qui désigne aussi bien les États souverains (« Nations Unies », etc. où le terme nation est tout à fait équivoque) que les nations au sens — dirai-je — « ethnique », qu’elles soient dotées ou non d’État (et si elles ne le sont pas, intégrées à des États qui les reconnaissent ou, comme en France, ne les reconnaissent pas). Il s’agit là, on le voit, plus ou moins, une fois de plus, de ce que Lafont nomme nations primaires. D’ailleurs, Larzac reconnaît de manière explicite que la notion de nation primaire, telle que l’entend Lafont, est « très claire » (Larzac 1977, 60). 33 Par contre, celle de nation secondaire, comme « phénomène de conscience réflexive », ne l’est pas du tout, car elle est subjective par définition (du fait de sa réflexivité) et « soumise aux fluctuations de la conscience collective ». Qui plus est, si le pacte national doit être conscient, l’expression d’« aliénation nationale », qu’utilise Lafont, est contradictoire (la nation secondaire est ou n’est pas et ne saurait être aliénée). En fait, on ne peut parler de nation que par « analogie » (un même nom pour deux choses différentes, précise Larzac) et de manière très insatisfaisante ; aussi Larzac propose-t-il l’abandon provisoire de ce mot ambigu, tout aussi ambigu que celui de France dans le livre de Lafont (comme englobant ou non les ethnies « mêlées dans l’auto- colonisation »), au profit des termes d’État français, d’Occitanie et de France (hors des territoires des ethnies que recouvre l’État français).48 34 Dans les textes collectifs du COEA, il n’est cependant jamais explicitement question de revendication nationale, mais de l’interrelation entre socialisme (« seul moyen de décoloniser effectivement »), régionalisme (« seule garantie démocratique de cette décolonisation ») et occitanisme (« seul capable de donner au régionalisme socialiste décolonisateur toute sa dimension qui est aussi culturelle ») dans le projet de décolonisation49.

Un État national peut-il être réellement démocratique ?

35 Il reste que la définition de ce que Lafont appelle nation primaire convient à Larzac et à Yves Rouquette. Pour eux, seuls sont « légitimes » les États qui ne colonisent ni l’aliènent, en leur sein ou au-dehors, d’autres nations. Ces nations-là, en effet, ne sauraient contenir en leur sein d’autres nations, sans cesser d’être des nations « légitimes ». C’est bien en cela que nation est un concept « absolu » et que l’on peut entrevoir dans cette remarque de Larzac une critique de la nation au profit de la « région », qui n’est pas ici développée.

36 Mais pour que nos auteurs se distinguent de manière claire et nette sur le plan théorique du projet fontanien, à cette époque tourné en dérision par Yves Rouquette et rejeté par tous les membres du COEA50 — celui de l’exacte et universelle coïncidence États/Nations/Ethnies (Fontan [1961] 1975) —, il faudrait qu’ils affirment qu’il ne

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saurait y avoir d’État qui ne soit pluriel, soit, dans leur vocabulaire, plurinational ou pluriethnique. En fait, comme Rouquette le reconnaîtra lui-même en 1974, Fontan fut rejeté violemment et méchamment (et par lui le premier), dès 1955, sans aucune réfutation51. Car il me semble en effet que leur pensée politique de la démocratie, sociale et socialiste (très proche de celle de Lafont), économique, politique, linguistique et culturelle, qu’ils veulent « ouverte » (ils ne cessent de le répéter), et tournée sur le monde, à portée universelle (il ne s’agit rien moins que de libérer l’homme ici comme partout, Yves Rouquette surtout assumant une posture de messianisme révolutionnaire52), butte sur les limites que leur imposent les notions de nation et d’ethnie qu’ils conservent de fait et n’interrogent pas pour elles-mêmes et en elles- mêmes, du moins à cette époque. 37 Certes, il ne semble pas excessif de les considérer dans ces années, ainsi que le fait Lafont a posteriori, comme des nationalistes ou crypto-nationalistes, si l’on veut bien ne pas donner à ce mot la connotation péjorative qu’il a presque nécessairement en français. « Mai 1968, dit Lafont, les avait enflammés. C’étaient des nationalistes exaltés […]. Ils étaient devenus tiers-mondistes et ne pouvaient souffrir l’adjectif “intérieur” mis à colonialisme »53. En réalité, on le voit, ces positions précèdent 1968, mais ce n’est qu’après les événements que les frères Rouquette et Lafont vont se brouiller durablement et diverger politiquement de manière substantielle. La rupture définitive intervenant en 1980, mais dès 1974 ils quittent (ou plutôt sont exclus de) la revue Viure54. Cependant, il est très significatif que ce nationalisme, tout « exalté » qu’il fût, demeure foncièrement un crypto-nationalisme et un crypto-indépendantisme, au sens où, dans l’engagement, les frères Rouquette ne le mettent dans ces années jamais réellement en avant, s’accordant sur des positions « régionalistes » qui, pour être radicales, n’en restaient pas moins floues (et floues du fait de leur radicalité même, qui conduisait à excéder le régionalisme lui-même ; à un certain degré de radicalité « régionalisme » est de toute façon un concept insuffisant). Il est ainsi très difficile de faire la part entre l’autocensure (les frères Rouquette étaient bien conscients que la plupart des militants du C.O.E.A puis de Lutte occitane n’auraient pas accepté de s’engager dans un mouvement de libération nationale) et le malaise qu’eux-mêmes éprouvaient devant l’idée de nationalisme (voir Abrate 2001, 535). 38 Ainsi il est étonnant de lire sous la plume de Rouquette une demande de clarification, face à la création par Robert Allan, lui aussi par ailleurs membre de C.O.E.A, du Partit Socialista Occitan, qui s’engageait sur la voie nationale de manière pourtant plus ouverte (et n’eut d’ailleurs guère de succès), comme le montre son journal Actualitat Occitana : « Es pas pecat mortal de dire e d’escriure que sola una presa de consciéncia nacionala pòt menar l’occitanisme a la victoria. Per ieu al mens. Mai alara o cal dire. Sens embrolhas. Negre sus blanc. E recampar a l’entorn de l’idea nacionala de collaborators e un public. Dins la clartat »55. Mais c’est pour signifier, que lui, n’en sera pas : « Mon antinacionalisme, se en primièr s’opausa al nacionalisme francés desfaitaire d’Occitània e de sos òmes e que donc coma tal devèm denonciar de longa, me cal dire que s’opausa tanbèn al nacionalisme occitan »56. C’est comme si assumer le nationalisme revenait à adhérer au même modèle politique et historique que le modèle français, position forte si l’on veut dans la détermination à ne pas tomber dans les mêmes travers idéologiques que l’adversaire, mais d’une extrême faiblesse aussi, puisqu’elle revient à reconnaître une incapacité à forger un modèle de nation alternatif sans pour autant se montrer capable d’une critique en profondeur de la notion elle-même.

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39 En 1973, Rouquette écrira enfin dans Viure : « existís plan una nacion occitana. Oprimada, segur, alienada, en defòra del camp de consciéncia de la màger part dels occitans. Nacion pr’aquò. E, se se pausa nacion, cal ben dire que l’aparament d’una nacion, sa projeccion en abans dins l’istòria a far, es un nacionalisme »57, à condition, précise-t-il de ne pas confondre, comme on le fait en France (et comme le fait bien sûr Lafont, avec son concept de nation secondaire) « la nacion coma realitat culturala » et l’État « que, coma organizacion sociala es pas que l’infrastructura de la cultura presa al sens total de la paraula »58. Mais alors que sera cette nation projetée dans le futur, si elle ne doit pas devenir un État ? Yves évoque dans ce texte, sans entrer dans le détail, l’appareillage institutionnel démocratique dont ont besoin aussi bien la nation occitane que le socialisme. Des institutions, fussent-elles « transitoires » (mais vers quoi ?), qu’il faut arracher aux notables pour imposer à la fois la « justice sociale » et la « justice culturelle ». En fait, conclut-il — et ce sont les derniers mots de sa dernière chronique dans Viure, il faut distinguer « Nacion », « Estat » et « Socialisme » (révolutionnaire) : le mouvement occitan combat pour « de tips novèls d’organizacion politicas, socialas e culturalas ont lo « politic » aurà pas jamai qu’una fonccion de servici e non pas d’egemonia »59. J’avoue ne pas bien comprendre ce que peut être une organisation politique ou le « politique » (les guillemets renvoient sans doute à la politique partisane) n’est pas hégémonique… Au moment où l’on aurait enfin cru à une revendication politique nationale, Yves Rouquette se replie sur la nation culturelle, arguant de sa primauté et de celle, tout aussi urgente, de la justice sociale qui, elle, ne connaît pas les différenciations culturelles ni les frontières régionales ou étatiques. 40 Quant à Lafont, on sait, il trouvera, avec d’autres, une voie de sortie dans l’idée d’autonomisme régionaliste, sur le modèle du compromis espagnol. La notion d’autonomie, entièrement absente des textes d’avant mai 1968, est au demeurant fort intéressante et étroitement liée à celle alors en vogue d’autogestion. Au moment où elle se développe, dans les années 1970, elle permet la plus grande flexibilité, au prix de la plus grande indétermination, chacun pouvant lui attribuer les contours et les limites qu’il souhaite. Elle était alors — l’est-elle encore ? —, à la différence de celui de nationalisme indépendantiste, un concept politique acceptable en France. 41 Quand, plus tard, Yves Rouquette revient sur ces années de lutte, il est fier de rappeler, en polémique ouverte contre Lafont, lequel aurait dit60 « en fait de nation en Occitanie, je n’en connais pas d’autre que la nation gardiane », qu’il fut l’un de ceux qui affirmèrent en ces années, « hors de toute appartenance au P.N.O. (Parti Nationaliste Occitan), la vocation nationale de l’Occitanie » (Rouquette 1986, 76 et 80). Pourtant, dans son discours même de l’époque, comme on l’a vu, cette vocation n’est pas et ne pouvait être clairement affirmée, non d’abord pour des raisons, une fois encore, de risques immédiats de censure (qui existaient bien au sein même des groupes auxquels ils appartenaient, comme me le montrent les vicissitudes de la critique du livre de Lafont par les frères Rouquette), mais de crédibilité, d’acceptabilité de persuasion et même d’auto-persuasion. Dans le même article, alors qu’il s’en prend, une fois encore et avec la plus grande véhémence aux positions de l’IEO ouvertement antinationales défendues par et sous Lafont à partir de 1952, Rouquette ajoute une chose très contestable, mais très importante pour mon propos : « Jusqu’alors, dit-il, malgré les mille précautions d’usage, il est clair que l’immense majorité des écrivains et des militants occitanistes n’ont jamais vraiment renoncé à penser que l’Occitanie pourrait faire sa rentrée comme telle dans ce qu’on appelle le concert des nations » (p. 76)61. Je souligne

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la formule « mille précautions d’usage », qui fait en fait apparaître combien cette idée est justement difficile à exprimer en contexte français. 42 Et l’on peut soutenir qu’en effet, l’histoire intellectuelle et politique de l’occitanisme est frustrée d’un véritable mouvement national qui, bien sûr (in abstracto), aurait pu avoir toute sa place dans un plus vaste mouvement et n’aurait eu en soi rien de honteux, contrairement à ce que le nationalisme français voudrait nous imposer comme une évidence. Le parti fontanien lui-même, quelles que soient les critiques qu’on peut lui adresser, malgré son extrême rigueur théorique et idéologique (ou précisément à cause d’elle !), n’a rien de criminel ni d’ailleurs, en soi, d’antidémocratique, même si je suis de ceux qui pensent que l’équation — qui est d’ailleurs finalement celle des nationalistes français, dont les promoteurs actuels de l’« identité française » — une langue, un peuple, un État, ne peut pas ne pas conduire à imposer d’étroites limites à la démocratie (voir infra). 43 Pour revenir à notre corpus d’avant 1968, le problème majeur selon moi, est celui des limites qu’imposent à la pensée politique les notions d’ethnie et de nation. Dans leurs textes, Yves Rouquette et Larzac — tout comme d’ailleurs Lafont lui-même —, continuant à penser en termes d’ethnie et de nation, posent l’Occitanie comme une entité politique et culturelle préconstituée, existant depuis qu’existe la langue. Ils ne posent pas — mais est-il possible de le faire ? — l’Occitanie pour ce qu’elle est, foncièrement : un projet culturel et politique d’avenir, que l’on peut définir de bien des manières, que l’on peut fonder sur une histoire, sans le présupposer dans l’histoire. Cette présupposition d’une entité occitane qui ne se confond pas avec la langue, d’une Occitanie sinon éternelle (elle se veut historique), en tout cas idéelle, relève évidemment du mythe, national et/ou ethnique. 44 Cela, à mon sens, ne condamne pas du même coup l’usage des notions d’aliénation et de colonisation intérieure, certainement pas, même si nous sommes conduits à les réviser de manière drastique, dès lors que nous ne posons pas l’Occitanie comme une entité préconstituée et donc notre identité occitane comme un être immuable, une essence, inaliénable en soi mais aliénée en ses « espèces » (pour parler le langage thomiste de l’eucharistie)62. Aussi faut-il sans doute réviser la notion d’aliénation, la réélaborer à partir d’autres concepts : ceux de domination, de dépossession, de spoliation, mais aussi de renoncement actif, de servitude volontaire, de désir mimétique… 45 Quoi qu’il en soit, parler d’aliénation et de colonialisme intérieur n’en est pas moins légitime, car les relations de domination et de colonisation économique, politique, culturelle et linguistique restent des faits indéniables, même si leur énoncé reste aujourd’hui à la limite de l’inacceptable. J’étais par exemple moi-même, plein de prévention à l’égard de la notion de « colonialisme intérieur », et je la trouve aujourd’hui, dans le sillage des études et revendications postcoloniales, tout à fait pertinente. 46 Pour ma part, je suis, autrement dit, enclin à penser que nous devons écarter les notions de nation et d’ethnie si nous voulons vraiment penser l’État réellement démocratique, lequel protège, en lui, par la constitution et la loi, le libre jeu de la pluralité culturelle et linguistique, qu’il ne peut pas, comme tout État, ne pas contenir. Un tel État ne saurait se dire nation en un autre sens que celui de la simple affirmation de la souveraineté nationale, sans être en contradiction avec lui-même. La confusion en effet entre l’État et ce que Lafont nomme nation primaire est une catastrophe pour la démocratie (et cela Lafont l’avait bien vu). Peut-être serait-il temps d’affirmer qu’une

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nation (un État national) démocratique est rigoureusement parlant une contradiction dans les termes, comme le fait bien apparaître tous les jours l’usage de la notion d’« identité nationale ». La pleine reconnaissance de la pluralité linguistique exige un travail de distinction entre langue, culture et État qui passe par une critique de la nation. Cependant, face à un État qui affirme l’union consubstantielle de la nation et d’une langue et culture unique, en luttant contre toute reconnaissance effective des langues historiques et de la diversité culturelle sur le territoire dit « national », la tentation nationaliste, appuyée sur de nombreux précédents historiques, est parfaitement compréhensible. Ce qui est plus difficile à comprendre, en fait, c’est que, dans le cas français, le plus souvent, elle n’ose pas même se formuler ni s’avouer elle- même.

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NOTES

4. Je renvoie sur ce point aux pages très éclairantes de Laurent Abrate (2001, 493-504). Très révélatrice me semble l’expression de Lafont écrivant en 1974 que Fontan, dans les années 1953-1954, « commence à exposer la thèse sans fard d’un nationalisme séparatiste. » (Lafont 1974, 493). 5. Je remercie Philippe Gardy de m’avoir permis de préciser cette identification. 6. Déclarations confirmées par Joan Larzac lors du présent colloque. Philippe Gardy, par contre, qui m’a contacté à la suite de la prépublication du présent article le nie :« Cette publication a été effectuée avec l’accord des auteurs, qui avaient eux-mêmes raccourci leurs textes après discussion au sein d’un comité de rédaction auquel ils avaient participé à cet effet. », mail privé, 8 mars 2016. Il ajoute que des archives existent qui permettraient de trancher la question, notamment au CIRDOC de Béziers. 7. « Gardí es cargat per Lafònt de tirar çò que seriá de tròp dins mon article. O fa. Accepti. Çò que teni per essencial es gardat per Gardí. » (Roqueta 2009, 17). 8. Ne pas confondre avec « 4 Vertats ». Le Petit livre de l’Occitanie, publié chez Maspero en 1972, après l’avoir été, sous le titre de Le petit livre de l’Occitanie, Comité Occitan d’Études et d’Action (COEA), sous la direction de Jean Larzac, aux éditions les 4 Vertats, Saint-Pons, 1971, ouvrage en français de divers auteurs (Jean Larzac, Yves Rouquette, Michel Rouquette…) où le texte de Larzac ne figure pas. 9. Cependant Joan Larzac, dans le II e tome de Descolonisar l’istòria occitana (Larzac 1977, 19-21), affirme, non sans quelque fondement, que la source réelle, mais inavouable, du montage théorique de Lafont est le Proudhon du Principe fédératif, qui oppose les « nations primitives » aux « soi-disant nationalités » modernes. C’est que le texte de Proudhon, que Lafont avait vu cité par M. Decremps (1954), vaut aussi comme une critique anticipée de sa proposition : « J’ai méconnu, selon M. Morin, l’idée moderne de nationalité. Mais ce qu’il appelle avec tant d’autres nationalités, est le produit de la politique bien plus que de la nature : or, la Politique ayant été jusqu’à ce jour aussi fautive que les gouvernements dont elle est le verbe, quelle valeur puis-je accorder aux nationalités sorties de ses mains ? Elles n’ont pas même le mérite du fait accompli, puisque l’institution qui leur a donné naissance étant précaire, les soi-disant nationalités, œuvre d’un vain empirisme, sont aussi précaires qu’elles, naissent et disparaissent avec elle. Que dis-je ? Les nationalités actuellement existantes venant à s’écrouler par la déconfiture du système qui les a établies, laisseraient la place aux nationalités primitives dont l’absorption a servi à les former, et qui regarderaient comme un affranchissement ce que vous appelleriez, vous, dans votre système, une destruction. » (Proudhon 1863, 270). 10. Cette opposition est classique et sans cesse rappelée, en France en particulier dans le but d’exalter ce qui serait la conception française, réputée fondée uniquement sur la volonté exprimée de vivre ensemble. Cependant l’opposition, en réalité, comme l’a bien noté Gérard Noiriel, est bien moins nette que ne l’affirment ces auteurs. D’autant plus que celui-ci assimile en fait deux positions très distinctes, celle des révolutionnaires de 1789 (Siéyès, etc.) pour lesquels c’est le pacte qui fait la nation (conception de la nation reposant entièrement sur la citoyenneté)

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et celle de Renan, plus tardive (1882), qui intègre, plus qu’elle ne la contredit, la conception allemande de la Volkstum, en insistant autant sur le passé partagé (culte des ancêtres, etc.) que sur le pacte sans cesse renouvelé (le fameux « plébiscite de tous les jours »). Celui-ci, comme l’écrit très bien G. Noiriel, est « pris dans un déterminisme historique qui n’est pas très différent du déterminisme ethnico-racial » de la conception allemande (Noiriel 2015, 24). A.-M. Thiesse le remarquait déjà au début de son grand livre : « appartenir à la nation, c’est être un des héritiers de ce patrimoine commun et indivisible, le connaître et le révérer. Les bâtisseurs de nation, par toute l’Europe, n’ont cessé de le répéter. » (Thiesse 1999, 12). 11. « Il faut tenter une définition de la nation qui ne soit pas celle de l’État. » (Lafont 1967b, 42) ; « le fait de l’État est considéré comme le point extérieur aux structures qui les complique et d’où vient la confusion » (id.) 12. « La conscience ethnique n’admet pas que l’identité linguistique se dissolve. Le danger en cela est le dialectalisme, état naturel pourtant de toute langue » (Lafont 1967b, 45). L’ethnie se fonde sur « le sentiment linguistique » et non sur « le fait brut de la langue » (46). 13. On peut évidemment se demander, si la nation n’est pas le fait de ce groupe élitaire, qui s’arroge le pouvoir de parler à la place du peuple. Sans le vouloir, Lafont rejoint la constatation à laquelle conduit une définition sociohistorique de la nation : « la nation n’est qu’un regroupement d’individus parmi d’autres, dont la spécificité tient au fait qu’il réunit des personnes qui luttent pour conquérir ou pour défendre leur liberté politique. Cette liberté, c’est ce qu’on appelle la souveraineté » (Noiriel 2015, 29-30). Voir aussi à ce sujet, Christian Lagarde (2008, 78), citant Tom Nairn. 14. Larzac s’appuie sur les deux livres de Lafont, qu’il a lu de très près : « I a au mens una contradiccion entre lo ròtle donat als eleits dins la formacion de la consciéncia nacionala (p. 49, 55, 248, e Rev. Reg. p. 225), e sa depreciacion aici (p. 155, 160, 188), entre lo mal que ditz del pòble pichon, « mai sensible als mits » (p. 155), e l’aplicacion que doblida de ne far per son adesion al mit de 1789. Tornamai, p. 233, Lafont se mesfisarà del pòble, que compromet las propausicions des elèits per l’activisme… » (« Il y a au moins une contradiction entre le rôle donné aux élites dans la formation de la conscience nationale, p. 49, 55, 248 et Rev. Rég., p. 225), et sa dépréciation ici (p. 155, 160, 188), entre le mal qu’il dit du petit peuple, « plus sensible aux mythes » (p. 155), et l’application qu’il oublie d’en faire par son adhésion au mythe de 1789. À nouveau, p. 233, Lafont se méfiera du peuple, qui compromet les propositions des élites pour l’activisme…) et il donne raison aux élites activistes bretonnes dont parle à cet endroit Lafont qui en 1932 dynamitèrent un monument et la voie ferrée devant le président Herriot, par le biais d’un laconique « coma se lo govèrn compreniá quicòm mai que las bombas » « comme si le gouvernement comprenait autre chose que les bombes » (Larzac 1980a, 56). 15. Voir la critique de Joan Larzac : « Mission universala de França. Va plan. Mas quora ? Quant de meses, quant d’annadas ? « pas que dins los tèxtes » ! » (« Mission universelle de la France. Fort bien. Mais quand, combien de mois, combien d’années ? ‘seulement dans les textes’ ! », (Larzac 1980a, 52). 16. Cependant, il y a tout lieu d’affirmer que c’est le nationalisme, au sens le plus large, l’engagement, le militantisme en faveur de la nation et la construction, par les nationalistes, d’un imaginaire collectif, qui invente et crée la nation, et non l’inverse, à moins de penser la nation comme une essence, un déjà-là que viendrait dégager et promouvoir le nationalisme (comme le font les frères Rouquette ; Lafont quant à lui, est plus prudent, mais parle bien, comme on l’a vu supra, de « forme originale de civilisation » comme condition de possibilité historique de la nation). Voir à ce sujet, Christian Lagarde (2008, 75-77), qui s’appuie sur Miquel Caminal (« c’est le nationalisme qui crée la nation et pas l’inverse »). 17. Mythes de la grandeur, mythe de finalité, vocation impériale… Lafont 1967b, 192-193. 18. « La mort des nations en France a la lenteur de toute évolution dans l’Ancien régime » (Lafont 1967b, 154).

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19. Là encore, voir Abrate 2001, 528-529. 20. Voir Alain Alcouffe 2009. 21. « Une nation qui se développe librement est en chemin dans le temps. Elle progresse dans toutes les directions, s’accorde à l’évolution des mœurs et des idées, le plus souvent la conduit. Une nation provincialisée s’enkyste hors des routes du siècle. Si elle les retrouve, ce ne peut être qu’esthétiquement et en relation dialectique avec la culture de la nation qui l’a absorbée. La nation, qui était d’abord un mouvement de l’histoire, est devenue une nation amorphe suspendue à l’histoire qui se fait au-dessus d’elle. L’aliénation est cette transformation d’un mouvement en masse. » (Lafont 1967b, 178). 22. Discours du 8 pluviôse an II, cité dans Lafont 1967b, 195. 23. L’ennemi dans la tête, sous-titre de t. II de Descolonisar l’istòria occitana (Larzac 1977). 24. Par exemple dans l’Abans dire des Cronicas de 'viure' : Yves Rouquette dénonce « la colonisacion del viure » comme achevant « la de l’esperit » (Roqueta 1975b, 11). 25. Voir les commentaires d’Abrate (2001, 530). 26. « ne pas effrayer le public franchouillard et surtout la gauche française embourbée dans son passé nationaliste » (Roqueta 1975b, 143). 27. « Perbosc, comme Mistral en d’autres temps et comme tant et tant d’autres, disait ce qui était pensable, il en pensait juste un peu plus » (Larzac 1977, 17). 28. Cela n’était pas tant un problème de censure publique que d’autocensure dictée par la recevabilité du message. Aussi suis-je surpris de la cruelle question que pose Philippe Martel, écrivant à propos de ces années : « pourquoi alors ne pas assumer publiquement et penser politiquement le cryptonationalisme que l’on discerne chez un certain nombre de ses militants ? » La réponse est évidente. Le nationalisme n’était pas alors — pas plus qu’aujourd’hui — acceptable, et d’autant plus d’ailleurs que ces militants estiment pour la plupart que l’image d’un tel nationalisme est desservie voire même ridiculisée par sa version fontanienne, la seule à se publier ouvertement (voir Yves Rouquette, à ce sujet, Roqueta 1975b, 21, cité infra). 29. C’est ce que Joan Larzarc, lorsqu’on lui en parle, trouve absolument évident. Yves y insiste dans son texte de 2009, relevant surtout deux passages concluant deux de ses Cronicas : « Qu’Occitania se desseparèsse de França ? O visiái pas tant facil, mas a l’ora de l’Euròpa, qual sap ? E s’arribava, per ma fé, siái per » (« Qu’Occitanie pût se séparer de France ? Je ne le voyais pas si aisé, mais à l’heure de l’Europe, qui sait ? Et si cela arrivait, par ma foi, je suis pour »), Viure, n° 4, dans Roqueta 1975b, 28 ; « (se cal) pas enganar sus las possibilitats vertadièras de desvolopament d’una cultura d’òc dins lo quadre d’una nacion non occitana. » (« il ne faut pas se tromper sur les vraies possibilités de développement d’une culture d’oc dans le cadre d’une notion non occitane »), Viure, n° 7, dans Roqueta 1975b, 37. 30. [ce que] « Lafont appelle une nation secondaire n’est jamais une nation, mais un État, ou tout simplement, un régime politique », CV, p. 143. 31. « … suppose toujours une lutte, ouverte ou cachée, honteuse ou triomphante contre les langues et les cultures des nations qui sont intégrées dans l’État », Ibid. 32. Voir, Abrate 2001, 569. 33. CV, p. 144. On sent fortement la marque d’Yves Rouquette dans l’entrée « nation » du lexique présenté à la fin de 4 Vertats, où aucune allusion n’est faite à la distinction de Lafont : « notion mal définie dont la définition varie d’un dictionnaire à l’autre, et d’une édition à l’autre d’un même dictionnaire, mais toujours suivant le principe qu’elle doit s’appliquer à la France hexagonale : « Réunion d’hommes habitant sur un même territoire. » (Littré-Larousse), « ayant une origine commune. » (Larousse), « et » (Littré) « ou » (Larousse) « des intérêts depuis assez longtemps communs » (Larousse et Littré), « pour qu’on les regarde comme appartenant à la même race. » (Littré), « des mœurs semblables et le plus souvent une langue identique. » (Larousse). Mais on s’est aperçu que la France n’avait pas, comme on le croyait, ni une communauté d’origine

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(Francs/Celtes/Wisigoths), ni des intérêts communs (colonisateurs et colonisés n’ont pas les mêmes intérêts ; ni exploiteurs et exploités !), ni les mêmes mœurs (parachutés à Lille ou à Marseille, vous ne vous y tromperiez pas !), ni la même race, ni la même langue. Alors on supprime tout ce qui pourrait rester du sens premier de nation pour ajouter un critère qui, en fait, n’a rien à voir avec celui-ci : l’existence d’un État. On arrive à la définition du Petit Littré : « Pays ou ensemble de pays dont les habitants sont unis par une solidarité voulue et des institutions communes ». C’est réserver le nom de nation aux États non contestés par une minorité ayant obtenu par une guerre de sécession le droit à l’autodétermination. Il est bien évident qu’alors l’Occitanie n’est pas une nation. On lui trouve alors le nom de nationalité. Mais si la langue est partie intégrante de la définition de la nation, c’est alors la France hexagonale qui n’en est pas une, et l’Occitanie est une nation » (Larzac 1972, 196-197). 34. « Et s’il existe un jour, ce ne sera que dans la mesure où il aura d’une part réussi à liquider pour toujours les réalités nationales que l’ethnie française s’est soumises et de l’autre à saboter la réalisation d’un État européen » (Roqueta 1975b, 144). 35. « une bourgeoisie apatride : une partie de la terre où l’on sacrifierait les peuples à un peuple, les langues à une langue, les cultures à une pseudo-culture parfaitement uniformisée », ibid. 36. « Jusqu’à maintenant, nous avons tenu devant tout le monde, à nous autres, à la droite et à la gauche d’Occitanie, un langage prudent, rassurant et timide », ibid. 37. « à un État européen, multinational lui aussi et à vocation socialiste » (Roqueta 1975b, 145). 38. « Ce que Lafont nomme « nation secondaire », ce n’est pour nous autres qu’un État qu’il faut aider à dépérir comme tel. Ce qu’il appelle « nation primaire », ce sont des nations sans aucune organisation étatique et il leur faut s’en donner une si elles ne veulent pas se perdre, perdre leur langue et tout le reste, dans un futur proche », « Robert Lafont, l’occitan, Oc e ièu » (Roqueta 2009, 17). 39. « Sur la France es lo raconte implacable d’aquela pèrdia d’identitat a travèrs dels atemptats successius que lo responsable n’es França » (« Sur la France est le récit implacable de cette perte d’identité par le biais d’attentats successifs dont la France est responsable) » (Larzac 1980, 48). 40. Michel Rocard, par exemple, en 1966, alors qu’il était membre du PSU, avait publié une brochure intitulée Décoloniser la province. 41. « Es una question morala, e, coma tota question de morala, de vertat, e finalament d’eficacitat. Avèm pas lo drech de jogar sus un defaut per lo metre al servici d’una valor. La fin justifica pas lo[s] mejans » (C’est une question morale, et, comme toute question de morale, de vérité, et finalement d’efficacité. Nous n’avons pas le droit de jouer sur un défaut pour le mettre au service d’une valeur. La fin ne justifie pas les moyens » (Larzac 1980, 50). 42. « La première création nationale française est grande. Mais elle est basée sur une injustice historique, sur un recul global et une utilisation perverse de la civilisation occitane » (Lafont 1967b, 111). 43. « Il s’agit toujours d’une terre autre, située en dehors du lieu colonisateur ». 44. Larzac 1977, 58. 45. Voir aussi p. 58, où Larzac énumère et réfute les arguments de Lafont sur cette question. 46. « La colonisation intérieure est celle qui a le mieux réussi comme colonisation » (Larzac 1977, 59). 47. Ibid. 48. Il propose – cela est bien dans l’esprit du temps – de soumettre le problème à une commission – reprochant à Lafont de faire croire dans son livre – et cela est parfaitement vrai – « qu’es un òme sol, manca de referéncias a d’estudis o d’accions d’òmes o de còlas » (Larzac 1977, 62). 49. Michel Rouquette dans Larzac 1972, 163. 50. Plus exactement il explique que si Fontan et son parti n’avaient pas été aussi délirants il les aurait peut-être rejoints : « Aguessi pas pensat […] que lo fondator del Partit Nacionalista Occitan èra tocat de deliri ideologic » (« si je n’avais pas pensé […] que le fondateur du Parti Nationaliste Occitan

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était frappé de délire idéologique ») ; « son biais de tot resòlver definitivament dins sa clòsca e dins lo pus mendre detalh, sas discripcions espectaclosas de son Occitània a venir (tot i èra previst e reglat : la linha de frontièira, las doganas, los sagèls, la recuperacion dels Occitans de Tourcoing o de París, la relevacion de las allocacions per las familhas parlant la lenga d’òc…) m’aguèsson pas fach cridar al nonsens e crentar, a cima, qualque sinistra trufariá, probable qu’a aquela epòca i aguèssi aderit » (« si sa façon de tout résoudre définitivement dans sa tête et dans le moindre détail, ses descriptions spectaculaires de son Occitanie à venir (tout y était prévu et réglé : la ligne de frontière, les douanes, les sceaux, le rapatriement des Occitans de Tourcoing ou de Paris, l’augmentation des allocations pour les familles parlant la langue d’oc…) ne m’avaient pas fait crier au non-sens et craindre, en amont, quelque sinistre canular, il est probable que, à cette époque, j’y aurais adhéré » (Roqueta 1975b, 21). Plus sérieusement, avec aussi une ironie certaine, Michel Rouquette écrit dans 4 Vertats : « d’autres spéculaient en chambre sur une théorie générale des nations — ainsi F. Fontan proposant dans sa brochure : Ethnisme, vers un nationalisme humaniste un remodelage complet de la planète » (dans Larzac 1972, 163). Rouquette rend justice à Fontan dans son texte pour Los Carbonièrs de La Sala (1975), « Lo començament de quicòm », p. 136 sq. Dans un article de 1986, il reproche à Lafont d’avoir réduit « la pensée nationaliste de François Fontan à une affaire de schizophrène doublé d’un homosexuel » (Rouquette 1986, 80. Je remercie Gilles Couffignal de m’avoir communiqué cet article peu connu). 51. « En 1955 lo sistèma de Fontan es pas doncas refutat. Çò que còmpta es de l’enterrar, lèu fach. E per aquò ren non val los arguments ‘ad hominem’ : Fontan es un caluc, un paranoïac, una tapeta, etc… Confèssi — e n’ai vergonha — qu’ai presa ma part a aquela ‘campanha’« (« En 1955 le système de Fontan n’est pas donc réfuté. L’important est de l’enterrer, vite fait. Et pour ça, rien ne vaut les arguments ‘ad hominem’ : Fontan est un fou, un paranoïaque, une tapette, etc. je confesse — et j’en ai honte — que j’ai pris part à cette ‘campagne’« (Roqueta 1975a, 137). C’est que, ajoute-t-il, « L’independéncia d’Occitània, ausam pas solament ne somiar » (« l’indépendance de l’Occitanie, nous n’osons pas seulement en rêver »), ibid. Voir sur ce point Abrate (2001, 495) qui confirme cette absence de réfutation en bonne et due forme de Fontan, de la part des membres de l’IEO puis du COEA. 52. Voir les passages de ses Cronicas citées en exergue. 53. Cité par Miquel Ruquèt, Biographie de Robert Lafont sur le site de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon, http://www.histoire-contemporaine-languedoc-roussillon.com/ Bio%20Lafont.htm 54. Voir Abrate, déjà cité. 55. « Ce n’est pas un péché mortel que de dire et écrire que seule la prise de conscience nationale peut conduire l’occitanisme à la victoire. Pour moi au moins. Mais alors, il faut le dire. Sans faux- fuyant. Noir sur blanc. Et réunir autour de l’idée nationale des collaborateurs et un public. Dans la clarté. », Mais la clarté est-elle possible et souhaitable, à ce niveau ? Ne dit-il pas lui-même, dans sa chronique pour le n° 24 de Viure : « tot ipèr-occitanisme que non tendriá compte del contèxte istoric e de las mentalitats, son los melhors mejans d’embarrar, de gelar nòstra accion » (Roqueta 1975b, 244). 56. « Mon antinationalisme, s’il s’oppose d’abord au nationalisme français qui détruit l’Occitanie et ses hommes et qu’il faut donc comme tel dénoncer avec force, il me faut dire qu’il s’oppose aussi au nationalisme occitan », Actualitat Occitana, n° 29-30, oct.-nov. 1967. Cité dans Abrate 2001, 537 et 576. Voir, ibid., la réponse d’Allan. 57. « Il existe bien une nation occitane. Opprimée, c’est sûr, en dehors du champ de conscience de la majeure partie des Occitans. Mais nation quand même. Et si l’on pose la nation, il faut bien dire que la défense d’une nation, sa projection en avant dans l’histoire à faire, est un nationalisme », Viure n° 28 (Roqueta 1975b, 244). 58. « la nation comme réalité culturelle ». [l’État] « qui, comme organisation sociale n’est autre que l’infrastructure de la culture prise au sens complet du mot », Ibid. Cf. Abrate 2001, 536.

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59. « Des types nouveaux d’organisation politiques, sociales et culturelles où le ‘politique’ n’aura jamais qu’une fonction de service et non d’hégémonie » (Roqueta 1975b, 246). 60. Je n’ai pas trouvé la source de cet énoncé, que Rouquette avait déjà cité dans Los Carbonièrs de la Sala (Roqueta 1975a, 137). 61. Dans l’article de Òc paru après le décès de Lafont, en 2009, revenant à l’état d’esprit dans lequel il se trouvait dans les années 50, de défiance maximale à l’égard de Fontan et de ses idées, il écrit cependant : « Ni Lafònt, ni Bru, ni Camprós ni los escrivans occitanistas del sègle XIX e XX qu’ai poscut legir an pas abançada l’idèa d’un Miègjorn o d’una Occitania independenta a rapòrt de l’Estat francés. A mon entorn, vesi pas degús per pensar la causa possibla, pensabla, o solamant desirable » « Ni Lafont, ni Bru, ni Camproux, ni les écrivains occitanistes du XIXe et du XXe siècle que j’ai pu lire n’ont avancé l’idée d’un Midi et d’une Occitanie indépendante par rapport à l’État français. Autour de moi, je ne vois personne qui pense la chose possible, pensable, ou seulement désirable » (Roqueta 2009, 14). On voit la différence, dans ce dernier état de la pensée de Rouquette, pas de réel cryptonationalisme avant Fontan… 62. Voir la définition proposée de l’aliénation dans 4 Vertats : « … le bien suprême est la personnalité propre, l’identité. […]. C’est parce que les Occitans sont aliénés à la « nation » française — parce qu’ils ont perdu leur identité au profit de l’identité française — que se produit plus facilement l’aliénation des ressources naturelles et du sol. […] l’aliénation n’est jamais totale : il reste toujours le point de départ possible d’une reconquête, d’une affirmation de soi, tant qu’il n’y a pas de suppression physique ou robotisation absolue » (Larzac 1972, 183).

AUTEUR

JEAN-PIERRE CAVAILLÉ

Université Toulouse-Jean Jaurès — LISST

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Ives Roqueta, escriveire public

Maria-Joana Verny

1 Amb aquel títol, que remanda al títol del primièr volum publicat per Ives Roqueta dins la prestigiosa colleccion « Messatges », ai volgut prene dos camins, aquel de la genèsi d’una vida d’escritura e d’engatjament (qu’es ja tota dins aquel primièr volum) e aquel de la nocion d’« escriveire public », que demanda l’analisi de la postura de l’òme, del militant e de l’artista, a partir de qualques exemples dins l’ensems de l’òbra. Una postura que se remarca tant dins l’escritura de creacion coma dins l’escritura critica.

2 Camins pas qu’esboçats. L’aventura occitanista dels darrièrs decennis del sègle XX a pas encara trobat sos istorians que completarián lo trabalh pionièr de Laurenç Abrate sus lo periòde abans 1968, benlèu perqué los istorians potencials ne son totes estats actors e qu’es malaisit de faire la part de la subjectivitat. Òm me perdonarà donc de pas donar aquí un apròchi sintetic clavat mas sonque lo recampament de qualques pèças portadas al dorsièr d’un futur estudi distanciat. 3 Remontarem dins l’itinerari biografic d’Ives Roqueta tal coma lo podèm conéisser, dempuèi sa naissença a Seta de parents originaris d’Avairon fins a la genèsi de son aventura occitanista. La dificultat d’aquela remontada objectiva, a partir dels eveniments biografics, es qu’es sovent mesclada de recits interpretatius dels protagonistas, en l’occurréncia dels dos principals, Robèrt Lafont e lo quiti Ives Roqueta. La causa es pas simpla : Ives Roqueta, l’ai conegut e ai conegut, plan mai qu’el, Robèrt Lafont, qu’es a la sorsa de l’engatjament de son capdet. Ai conegut l’un e l’autre al moment que s’espetava la proximitat d’engatjament que los ligava, al moment qu’aquela relacion quasi fusionala s’anava virar en conflicte de familha, amb una brutalitat qu’espantava la militanta novelària qu’èri. D’Ives Roqueta, ai tanben viscut, en dirècte, d’espetorridas d’una vulgaritat assumida e mai de moments de tendresa poëtica… l’un e l’autre que se podián immediatament succedir. Foguèri testimòni tanben de las invectivas a son esgard, mas, encara mai, de l’adulacion acritica que d’unes li portavan. Tot aquò, plan sovent ligat a la causida d’un « camp », lo camp « Lafont » o lo camp « Roqueta »… 4 Una istòria de l’occitanisme de la fin del sègle vint aurà donc, dins qualque temps, a se clinar sus totes los documents que concernisson aquestes eveniments, per una bona part literaris, la literatura del temps estent sovent una literatura « a claus », pas totjorn

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intelligibla sens l’agach de l’istorian. De biografias esclairarián probable mantuna causa, e mai ne posquèsson pas resòlver tota la complexitat psicologica e ideologica, causa que poirà benlèu permetre, un jorn, per exemple, l’estudi de la correspondéncia crosada. Los dos itineraris que nos interessan aquí son estrechament ligats a l’occitanisme de l’aprèp-guèrra, tant al nivèl politic coma al nivèl cultural. A la fin de la vida d’Ives Roqueta, al moment qu’editavi Robèrt Allan, una causa que sabiái sovetada per el dempuèi la mòrt d’Allan en 1998, aguèri d’Ives Roqueta una letra de mercejaments esmoventa. Escambièrem qualques corrièrs, ont li gausèri dire çò que m’aviá alunhada d’el e de son òbra, d’annadas de temps1, es-a-dire sas invectivas violentas, publicas, reiteradas, contra Lafont. Me respondèt sus fòrça causas, e mai intimas, mas me diguèt pas res de sa relacion amb Lafont. 5 Pasmens, pensi pas que se pòsca pensar la postura de Roqueta escriveire public sens remontar a aquel rescontre fondator, çò qu’anam ensajar de faire.

La genèsi d’una vida d’escritura e d’engatjament

Retorn sus un itinerari

Nos anam doncas passejar dins las piadas d’un pichòt Setòri, nascut en 1936, que nais un segond còp en 1946, en ausir dins la boca de Lafont, son professor al collègi, una lenga vesina d’aquela de La Sèrra, pròche de Camarés, en Avairon, lo luòc d’origina de la familha. D’ara en la, Ives Roqueta foguèt un actor precòç de l’occitanisme contemporanèu : Lafont lo faguèt dintrar en 1952 al conselh d’estudis de l’IEO e son primièr poèma foguèt publicat en 1953 dins OC. Aviá 17 ans. L’an d’après, coordonèt dempuèi lo licèu de Montpelhièr, ont èra en hypokhâgne, lo Moviment de la Joventut Occitana. Lafont faguèt l’entremièja amb de joves poètas d’el coneguts : los Provençals Sergi Bec e Robert Allan, mai que mai. La revista OC publiquèt d’el, regularament, tèxtes de creacion e de critica literària e tèxtes-manifèstes. Sos dos primièrs recuèlhs pareguèron en 1958 (L’Escriveire public) e 1959 (Lo Mal de la tèrra). En 1962, Ives Roqueta venguèt cap-redactor de OC, aprèp e a la demanda de Robert Lafont. 6 Sautam 40 ans ; en 2009, Roqueta donèt a la revista OC un tèxt titolat « Robèrt Lafont, l’occitan, ÒC e ieu » ont tornava sus aquelas annadas de formacion.

A la sorsa : la revelacion lafontiana e l’influéncia de Max Roqueta

7 Lo trabalh sus los primièrs passes poetics d’Ives Roqueta es estat largament balisat per Felip Gardy (2011), dins un article ont analisa lo retorn del lirisme dins la poesia occitana de las annadas 50 a travèrs los cases plan diferents d’Ives Roqueta e de Sèrgi Bec. Gardy a plan mostradas las influéncias poeticas multiplas (francesas e occitanas) d’un Roqueta qu’es d’abòrd un grand legeire e un grand critic, coma o mòstran sas cronicas dins La Dépêche du Midi, recentament reeditadas (Roqueta 2013). Amb l’ajuda segura de Gardy, confrontada a d’elements de la correspondéncia entre Ives Roqueta e Lafont, se pòt remontar aquel decenni dins lo qual se plaça, amb la parucion de L’escrivèire public, la naissença de Roqueta « escriveire public ». D’ara en la, serà dobla la contribucion de Roqueta a l’aventura literària modèrna : òbra d’autor e òbra de critic.

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Lafont « èra ma maire »

Fins a son rescontre amb Lafont, l’occitan, aquela lenga interdicha en familha, lo jove Ives se l’èra raubada a La Sèrra, pròche de Camarés, en Avairon, ont los parents l’avián mandat del temps de la guèrra, mai que mai en cò d’un vesin vièlh. Es çò que nos apren — e mai se nos cal gardar la distància que conven per rapòrt al recit d’inspiracion autobiografica — lo raconte Lo poèta es una vaca, ont aquel vesin es nommat Estòqui : Estòqui que me parla en òc, e ieu que li respondi un còp en òc, un autre en francimand, dins una lenga que se cèrca e se trapa, sens tròp de pena, ai idèa. Los autres, quand me parlan òc, es qu’aquò li escapa. Parlan òc entre eles. E pas que òc. E mai a l’ostal. E quand mon paire ven, o ma maire, aquò’s coma, levat per ieu, lo francimand l’aguèsson doblidat. Pèrdi pas un mot de tot çò que se ditz que çò que compreni pas o endevinhi, mas aquel biais de far me maca : es un pauc coma se me trasián defòra coma s’èri d’endacòm mai […]. Al moment de dire qué que siá i a quicòm que se nosa dins ma garganta. La vergonha m’emponha e torni al francimand. I a pas Estòqui. Parli en òc e aquò sembla pas de l’estomagar… (Roqueta 1967, 16-17 ; 2013, 22) 8 E lo ròtle de Lafont ? Ai sovenir d’aver ausit Ives Roqueta cridar (d’aquel temps compreniái pas) a Orlhac en 1980 : « On m’a dit que je voulais tuer le père. Lafont, c’est pas mon père, c’est ma mère. » Èra l’assemblada generala de l’IEO que consumiguèt la rompedura violenta entre las doas tendéncias que se’n disputavan la direccion, una tendéncia ligada a Ives Roqueta « Per un IEO non-dependent », e una tendéncia ligada a Robèrt Lafont « l’Alternativa ». Aquela declaracion se faguèt dabans un public palaficat de 300 personas que recampava tot l’occitanisme de l’ora e que, per sa màger part, prenguèron aquò coma una declaracion provocatritz de mai.

9 Quasi trenta ans mai tard, Ives Roqueta publiquèt en 2009 dins lo numerò 92-93 de la revista OC, consacrat a la necrologia de Lafont, un texte titolat « Robèrt Lafont, l’occitan, òc e ieu », qu’es estat, en son temps, un pichòt escandal : mai d’un i legiguèron lo sacrilègi, tan pròche de la disparicion de Lafont. Lo numero es aisit de trobar. I remandam los legeires, que ne donarem aquí pas qu’un extrach. Sièis ans an passat… Podèm ara tornar legir aquel article sens l’emocion immediata e i destriar l’amor que naseja sota l’invectiva… E mai la violéncia n’es signe del caractèr apassionat d’aquela relacion. Aquí donc cossí conta 50 ans pus tard, Ives Roqueta, son rescontre amb Lafont : M’es arribat de dire qu’agèri pas jamai a « tuar lo paire » ambé Robert Lafònt per la bona rason qu’èra ma maire. Èra e demòra vertat. Es d’el, a 10 ans, que nasquèri a ma lenga. Es a sos corses — donats benevòlament alara — que mon esperit se noiriguèt de son ensenhament d’occitanista : grafia, literatura dels trobadors a Còrdas o a Espieut. Tot i èra talament clar, divèrs e apassionant que quand Lafònt agèt quitat Seta per Arles, faguèri lo cors a sa plaça per las primièras e terminalas. (Roqueta 2009b, 12). Lo tèxt s’acaba aital : Cadun anava son camin. Nos vesiam plan mens, mas nòstras convèrsas demorèron coralas. Li aviái gardada mon admiracion, ma reconeissença e una afeccion tendra que ren a pas abrasucadas. Per el, coma per Andriva-Paula Lafònt, sa primièira femna, lo sovenir dels jorns clars èra e demòra pus fòrt que tot. (Roqueta 2009, 20) 10 Tot es dich dins aquel bilanç.

11 Las annadas que nos ocupan son marcadas per una correspondéncia sarrada entre los dos òmes, correspondéncia personala e generala — militanta — a l’encòp. Lafont i es

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sonat « car amic », « Roberto mio », « Frangin Robert » ; una letra de 1957 es signada « ton frairet, coma dises tan plan ».

Ives Roqueta, actor de primièr plan

Òc-ben. Segonda naissença. D’ara en la, foguèron ligats Robèrt Lafont e Ives Roqueta, e Roqueta prenguèt una part precòça dins l’occitanisme del temps. Lafont èra lo centre dels escambis entre los membres de la generacion qu’avián 10 ans de mens qu’el : l’estudi de las correspondéncias depausadas al CIRDOC dins lo fons Lafont o mòstra clarament. Es Lafont que donèt a Sergi Bec l’adreiça d’Ives Roqueta qu’aviá cargat, en 1954, d’animar lo Moviment de la Joventut Occitana, per lo qual Ives Roqueta publiquèt dins Òc en 1955 lo tèxt « Los joves Occitans » e en 1956 lo manifèste « Aicí siam ». 12 Lo Roqueta qu’avèm conegut es ja tot entièr dins lo primièr tèxt : Nòstre primièr dever es de revindicar lo drech a l’emocion elementària. E sèm los sols de lo poder far. Quora disèm que degun a pas lo drech, e mai n’aguèsse lo poder, d’usinar una cultura e de destacar un òme de sa terra, de sas amistats, de son biais de viure, podèm èstre segurs que de joves nos escotarián, se cridàvem mai fòrt. Solament los occitanistas son una raça de poëtas : avèm doblidat consí se crida. Cantar, marmusar, zonzonejar, nos plànher, nos acampar a cinc o sièis per parlar de nòstre platonic amor de la lenga, aquò rai : o sabèm far. Totes tant que sem. Mas sabèm pas mai çò que cridar vòl dire. Se los joves d’Occitània tornavan aprene lo crit, Occitània seriá benlèu sauva. (Roqueta 1955c, 178) 13 E la seguida enumèra lo refús del regionalisme, de l’embarrament felibrenc, e afortís la fam dels joves, que se sabon trobar entre eles de cada part de la faussa frontièra de Ròse.

14 Aquela exigéncia d’engatjament foguèt afortida dins lo tèxt de 1956 « Aicí siam », que constatava l’anequeliment de la lenga e reivindicava l’engatjament e lo combat « Mas siam nascuts per la batèsta mai que per lo cant. » E la brutalitat volguda de la darrièra frasa es sens ambiguïtat : « Seriá de saber se, òc o non, nos an copats » (Roqueta 1956a, 3). Pasmens èra tanben engatjat, Roqueta, al quiti moment que deslargava aqueles crits de guèrra, dins lo trabalh d’escritura e lo trabalh de critica. La data de la parucion dels primièrs tèxtes (poesia o pròsa poetica) n’es una pròva (1953, 55, 56…) 15 Aquel primièr decenni de l’engatjament occitanista del jove Ives Roqueta foguèt dels fegonds : collaboracion — escritura e critica — a OC, mas tanben a d’organs tan variats coma Entretiens sur les lettres et les arts, bailejat a Rodés per l’editor Subervie, o encara lo jornal Témoignage Chrétien, que li prepausèt un article pel centenari de Mirèio, illustrat d’un biais iconoclasta, çò escriu a Lafont, per l’amic de totjorn Pèire François. La lectura de las correspondéncias d’aquel temps liura un testimòni pertocant de la complexitat tecnica, politica e umana de la bastison de l’occitanisme d’aquel temps. Dins aquel microcòsme ont tot lo mond coneissiá tot lo mond, ont se confrontavan e mai s’afrontavan de personalitats d’escriveires tan desparièras coma las de Lafont, Roqueta (Ives e Max), Bec (Sèrgi e Pèire), Nelli, Allan, Allier, Espieux, Manciet, Castan, sens oblidar los Catalans, mai que mai lo grand poèta — e comunista — Jòrdi-Père Cerdà, recentament defuntat, sota lo contraròtle de l’administracion tecnica e financièra de l’IEO (amb lo ròtle eminent d’Ismaël Girard), darrièr las necessitats economicas e, mai largament, practicas (mesa en òbra concrèta de las edicions), las tensions èran evidentas, inevitablas. E passèron totes, los autors, per de moments de descoratjament

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deguts tant als trecimacis de lors astradas personalas qu’a l’anar del moviment. Aital, en 10 ans, Ives Roqueta es estat capable de delargar de crits d’estrambòrd, puèi de dintrar dins de moments de tristum e mai de se replegar dins una retirada mistica.

Una òbra en gestacion

Entre 1953, data del primièr poèma publicat dins OC e 1960, ont arrestam aquel estudi, Roqueta publiquèt dos recuèlhs de poèmas, e tanben, dins OC sèt poèmas, dos tèxtes longs de pròsa, l’un, « Èrbas Baujas » (Roqueta 1955b, 168-172), qu’es d’un lirisme discret, l’autre, « Défense de parler au chauffeur o los tres carris de Chinchorla » (Roqueta 1957b, 185-190), qu’es puslèu dins la dralha d’aqueles retraches narratius coma l’òbra quitarà pas de ne bastir, en pròsa coma en vèrses. Lo recuèlh recent, L’ordinari del monde (Roqueta 2009b), n’es un dels darrièrs exemples : retraches de mond umils rescontrats dins l’anar de la vida, istòrias singularas de mond que dintraràn pas dins l’Istòria. 16 Gardy (2011) a analisat lo primièr tèxt publicat d’un poèta de dètz-e-sèt ans. Lo ton de l’escriveire, tot de sensualitat tendra e sauvatja, se sentís tanben, coma i se sentís l’influéncia de la lectura de Max Roqueta, dins la pròsa « Èrbas baujas », dedicada pasmens a Lafònt.

17 Cap de reduccion possibla al crit que se’n parlava totara… Finesa, sensibilitat, sensualitat, tendresa, tant dins l’òbra de creacion coma dins lo trabalh de critica. L’escritura de Roqueta, dins totas sas dimensions — a despart benlèu de la satira volontàriament grossièra contenguda dins lo recit Lo Trabalh de las mans (Roqueta 1977), es ja tota dins aqueles primièrs tèxtes. I a tanben l’agach del critic, legeire bolimic, que sap, en qualques linhas d’una cronica, dire l’essencial sus una òbra. Ne veirem un exemple a prepaus de Max Roqueta. 18 Aital dins « La vertut de la poesia » (Roqueta 1959, 63-682) consacrat a Mirèio e que s’acaba per un agach sus la poesia contemporanèa. Lo manuscrit d’aquel tèxt, sensiblament diferent del tèxt publicat per la revista, es servat al CIRDOC, dins lo fons Robèrt Lafont. Es dubèrt per doas citacions, l’una de Jòrdi-Père Cerdà, l’autra de Lafont : …coma ditz Cerdà « Tota llenga fa foc3 ». Un temps coma o afortiguèt tanben Robèrt Lafont que son « sol poder es que de dire4 » « Aquí es ombra aquí es lutz Sabèm lo verai coma d’arbres… E me demandi se nos siam pro mainats coma dempuèi un sègle nòstra poesia sap e ditz la vertat del mond que la carreja e qu’al mitan dels jòcs e dels exercicis poetics d’un temps ont la poesia es sempre estada en estat d’accusacion, la poesia d’òc espelís coma un mond de vertat, vòli dire un mond ont cada causa sèrva sa plaça (poesia, òmes, objèctes) son espessor, sa realitat de totjorn, un mond que son evidéncia es pas la de la causa facha, del poëma, mas la quita vertat del las causas qu’existisson, un mond que se pòt paupar, tastar, niflar, ont, mai que mai, se pòt viure. » (ms LAF.H.015, Roqueta 1959, 64-65). 19 La seguida del tèxt precisa la pensada exigenta de Roqueta, darrièr la diversitat de las voses poeticas de son temps, qu’enumèra (Allan, Bec, Saurat, Nelli, Manciet) : « besonh d’enonciar, d’aprivadar lo mond […], egal respiech de la lenga… ». Refusa tanben un intellectualisme dessecant : Un lengatge cargat essencialament d’exprimir los rapòrts dels òmes entre eles, e los rapòrts dels òmes amb lo mond de las causas. Es a dire de rapòrts que son mai que mai siá practics, siá afectius. Una lenga parlada e non escricha. Una lenga de païsans e non pas de filosòfs, una lenga d’enrasigament carnal, fisic, ont cada vocable fai

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image, nos torna una espessor, una color, un bruch, un moviment. E es perqué ai un besonh qu’es pas de dire d’aquel enrasigament de tot ieu dins un univèrs de natura qu’escrivi en òc e non pas en francés. (Roqueta, 1959, 67) 20 Sa pensada es explicitada aital : « Se disi arbre, vesi un arbre ». Afortís Roqueta, en se referissent a Éluard, que la poesia occitana dona a veire « la realitat rufa del mond ».

Ives Roqueta legeire : de Lafont a Max Roqueta

Aquel art poetic que ven claure una critica de Mirèio bufa l’evidéncia de la proximitat d’Ives Roqueta amb lo Lafont de l’escritura sensuala qu’òm oblida totjorn darrièr un Lafont mai cerebral. Mas ne giscla tanben l’influéncia de Max Roqueta. La correspondéncia o mòstra plan : delai las diferéncias immensas de personalitat, delai los engatjaments desparièrs, Ives sap de qué deu a Max. Afaire d’amistat, aquí tanben, coma n’es testimòni aquel extrach d’una letra del 12 d’agost de 1957, mandada a Camprós : Rouquette est ce qu’il est mais je ne conçois pas que cet homme — notre premier écrivain d’IEO dans le temps et la qualité — soit sans cesse visé par de petites pointes qui, rapportées à lui (il y a des « cafards » à l’IEO) risquent de décourager un homme qui est d’abord un écrivain capable de voir, de sentir et d’aimer le crapaud, la pierre et la fourmi. Et pour faire cela il faut avoir les pieds sur terre. Alors pour Max je vous en prie un peu de respect. Et pardonnez cela à l’amitié et à l’admiration. Quand les administrateurs de l’IEO seront morts, des hommes découvriront les « secrèts de l’èrba », non ? Fermons le ban et n’en parlons plus. (ms. LAF. 0/69, Fons Lafont, CIRDOC) 21 E mai siá jove, Ives Roqueta es capable d’un agach personal precís e sensible sus çò que legís, coma o vesèm en 1957, amb son article « Per presentar Verd paradís » (Roqueta 1957a, 115-119). Es pas tombat, l’Ives Roqueta de 21 ans, dins la trapèla porgida per lo títol… A plan comprés, abans que Max l’explicite dins son entreten amb Enric Giordan publicat dins la primièra revirada francesa (M. Rouquette 1980, 312-313), lo sens antifrastic del títol, la beutat dolorosa d’una natura contemplada amb d’uelhs d’enfant : Roqueta nos aprén a veire. Roqueta vei. Es lo mai grand « voyant » de nòstra literatura. Imagina pas ren. Se fabrica pas de visions. I a pas de carriòla dins los camins del cèl, ni de salon al fons d’un lac. Pas que la vida del campèstre, umana, vertadièira, lo grand embriagament del viure, de la pluma que vòla, del singlar que vòl pas morir, de la saba que monta, de la sòrga cercant lo jorn, de la butada capuda e cridanta de l’erba. Un mond que viu dins sa mòrt, que tendriá dins doas paumas e que Roqueta engrandís fins a las raras de son còr. Un mond del silenci e un mond d’evidéncia. (Roqueta 1957a, 116) e la solesa que giscla de la lectura de l’òbra : La pròsa de Roqueta — dins son destacament de totas las vanitats del mond dels vivents, sa dicha umila e fervorosa de la vida esconduda — es una cerca de l’innocéncia elementària, una confidéncia sens fin, doça, discrèta e dolorosa. Es una cerca d’òme sol e lo nos emplegat per Roqueta, aquel nos del temps passat, ven a nosautres coma un sanglòt. […] Parlavi totara del silenci : caldriá parlar de soletat. Es dins sa soletat d’òme e d’escrivan que Roqueta trapèt lo quite subjècte de son òbra : lo còr a còr amb lo campèstre. La soletat ont tot s’escranca, ont tot s’enauça. La soletat d’ont nais tota mitologia nòva. (Roqueta 1957a, 118) 22 Per lo recuelh L’escriveire public que nos ocupa, la lectura del poèma eponim d’Ives Roqueta nos remanda immediatament a un poèma de Max Roqueta, coma un resson inversat, puèi que l’obsession de la pèrda, de la nuèch e de la mòrt, en cò d’Ives

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Roqueta, se revira dins la darrièra estròfa en una mena de messianisme. De notar que lo poèma de Max foguèt d’abòrd publicat dins un recuèlh d’omenatges a Leon Còrdas, sus lo qual Ives Roqueta, pus tard, dirà de paraulas tan finas e sensiblas (Rouquette & Camberoque 1986). Ives Roqueta, L’Escriveire public (1958, 49-51) Quand aurai tot perdut mon lassitge ma lenga e lo gost de luchar me virarai encara un còp cap a vosautres òmes mieus carretièrs jornalièrs pastres varlets de bòria caratges doblidats esperduts renegats òmes dels vilatges esconduts dins un temps que vòl pas que pòt pas espelir e traparai dins vòstre agach dins lo quichar de vòstras mans dins vòstres crits mandats de lònga de fons a cima de la tèrra e que degun pòt far calar una rason de creire encara Tornarai èsser per vosautres abitants grèus e maladrechs d’un país de la votz d’enfança e de tèrra lo mainatge qu’ai pas quitat d’èsser un enfant de la vila en cèrca de l’amor del pibol plegadís coma un cant de pelhaire trevant los nauts pelencs de la vòstra mementa d’òmes que sabon tot sens aver ren legit que lo libre del temps que fai Quilharai una taula còntra lo vam dels sèrres e me farai per vosautres escriveire public.

* * *

Max Roqueta, Lo Maucòr de l’unicòrn5 ([1988] 2000, 34-36) La lenga s’es perduda au fons dau bòsc. S’es perduda. Degús la sona pas. E se durbís la boca Es sens resson. La lenga s’es perduda. Atròve pas la votz dau carbonièr entre los euses. Nimai la votz dau carretièr. Nimai aquela das ruscaires. E los aucèls vòlan sens nom. Los que sabián. Coma s’èra la mòrt que i parlava. E las èrbas an delembrat lo nom qu’avián, que degús las sona pas pus. Degús per sonar la frigola, lo reponchon e lo renèbre E lo camin s’es perdut en camin. A perdut son nom emai sas sabatas. Sap pas pus ont vai nimai d’ont ven. E serpateja dins las èrbas, per manièra. Aretròva los carrairons de salvatgina, s’aretròva au bel temps jove qu’èra nòu e vièrge coma filha nusa.

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Cèrca son nom a cada tèrme e n’ausís lo resson a la pèira plantada. Plora dins los rècs das carris romans ; los Romans son mòrts qu’anavan per òrta. E degús respond pas a son . E lo vièlh camin se perd en camin. E lo rei de catla es partit tanben per sempre mai. Voide es lo carrairon ont de penons se perdèt dins lo temps. Èra las de non pas entendre quauque votz i dire son nom. E los qu’avián la boca aisida per parlar, aqueles que parlavan a la sauma e que fasián beure lo muòu, la tèrra i a tapat las bocas. E sa plaça es voida dins l’èr. Envergonhats de son parlar, se son mesclats a quauque nèbla dins quauque comba a ras d’un riu. E quand la nèbla s’es levada l’èrba lusissiá dins los clars das mil fuòcs de sas lagremas, l’èrba qu’a delembrat son nom. E ieu demòre mut e nus per lo camin. La nuòch sola per ieu e per lo mond. La nuòch sola per los blats e los òmes. La nuòch per acampar dins sa fauda de sòmi lo sòmi escur das paures que siam totes, èrbas, camins, aucèls, pèiras e flors, traces que siam e que lo sabèm pas. La nuòch qu’en la bauma de sa tenèbra dins sos dets mòrts compta sos diamants. 23 Per los dos autors, la pèrda de la lenga es una obsession. Mas es tanben ligada a la fin d’un mond, amb son foncionament economic ; es ligada al remembre dels òmes umils que la parlavan, « carretièr(s) » per Ives coma per Max, « jornalièrs pastres varlets de bòria » per Ives, « carbonièr » e « ruscaires » per Max. Ives evòca « un país de la votz d’enfança e de tèrra » e Max enumèra, amb un biais que li es familièr, los elements umils dels païsatges de son « verd paradís » d’enfança : « èrbas », sovent nomenadas per lor nom, « aucèls » o « carrairons ».

24 Diferisson pasmens per sa fin, los dos poèmas : Max ne demòra a l’impossibilitat de parlar « ieu demòre mut e nus per lo camin », alara qu’Ives, dins l’ardor de sa jovença, se quilha en quilhar « una taula / contra lo vam dels sèrres » e es aquí que se proclama « escriveire public ».

De L’escriveire public a « l’escriveire public »

« L’escriveire public », qualques elements per dintrar dins l’òbra

L’article de Gardy met en evidéncia la coloracion lirica de l’escritura poetica que se delarga a partir de 1950. Gardy cita un editorial de ÒC signat par Max Roqueta, a la prima de 1951, que s’acaba aital :

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L’ora es venguda de portar testimòni ; Lo devèm tant au blat que lèva coma au pòble tot escàs despertat qu’espèra la votz de sa carn e los ressons de sa vida. Après lo cant solitari, l’ora es venguda del parlar (Roqueta 1952, 4) 25 Aquelas òbras liricas, segon la lectura de Gardy, escrichas dins lo decenni, e aquela d’Ives Roqueta en particular, entrebescan lirisme personal e lirisme collectiu. Lo « ieu » i es omnipresent, dins sas exaltacions coma dins sos , e aquel « ieu » se ven tanben incorporar a un « nos » collectiu o encara s’adreiça a una segonda persona que pren de caras divèrsas, del « tu » de la persona aimada al « tu » del país o al « vos » dels òmes que lo pòblan.

26 L’escriveire public pareis donc en 1958 (e lo segond recuelh, Lo Mal de la tèrra — Poèmas 1957-58, en 1959). Lo libre es dedicat a Max Roqueta e cada seccion se dubrís per un epigraf ont apareisson tres autors franceses : Paul Éluard, Guillaume Apollinaire e René Guy Cadou. Una version del poèma V (Roqueta 1958, 20-21) « Ara que ton abséncia… » èra ja pareguda dins Òc (Roqueta 1955a, 117). 27 Lo lirisme personal percorrís lo recuèlh que conten de supèrbes poèmas d’amor apassionat (los poèmas I, II, III, IV, V) de la part 1, dedicada a Éluard, que son inspiracion se sentís dins lo biais de Roqueta, o la « Pròsa d’adieu per Odeta », que sembla volontàriament amagada al centre de la part 2, per la causida de la pròsa e per la forma de confidéncia personala que pren, e mai se la femna aimada se ven dissòlver dins un bèl alargament cosmic : Me soveni solament qu’aquela nuòch mon païs prenguèt sa color per jamai : sapièri la forma pesuga dels sòmis e sus las ribas del matin coneguèri l’anar cansat de cada femna, lo gost de cada flor e de cada desaire. D’un vam prenguères ton caratge d’eternitat e de natura. (Roqueta 1958, 30-31) 28 Lo lirisme collectiu, amb l’emplec de la primièra persona, es puslèu present dins la segonda part, dobèrta per un epigraf d’Apollinaire : « Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux que j’aime parmi lesquels je n’étais pas » (25). Aital n’es de la « Cançon pel carbonièr » dedicada « Als menaires de Cevenas » que ne vaquí la debuta : Mon amic dels negres uòlhs qual te raubèt ta ròsa sorna Qu’aviá nisat sus ton espatla ? Èra una ròsa de carbon que lusissiá al trefons de ta nuòch coma un grand solelh de vertat una ròsa ta companha que te disiá lo fuòc del jorn veraia coma un carboncle que se sarrava de ton pitre aucèl en cèrca de calor dins los camins de negra nuòch (Roqueta 1958, 27) 29 Se i sentís una proximitat amb lo recuèlh de Max Allier A la raja dau temps (1951), que Roqueta tant lo presava.

30 Lo poèma « Odenlino » (Roqueta 1958, 32-39) es aital dedicat dins sa version francesa « Pour Pierrot », en referéncia a l’amic d’enfança, amic de tota una vida, Pèire François, illustrator de mantuna òbra de Roqueta. Es un montatge de notacions sens òrdre aparent, coma se ne vei dins l’òbra del pintre, que cadun de sos tablèus recampa mantuna scèna pichòta, mantun personatge, dins un univèrs de realisme magic que ne rendon plan compte, per exemple, aquelas doas darrièras estròfas :

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Pèire a pres totes los linòs los a cargats sus sa becana es partit rire au barcarés amb sos companhs qu’an gost d’enfança. Pèire Pèire es temps de prima oblida la bauja que dança subre los rais de l’arc de seda Veni al bar de la marina ont la Verge ten botiga — que cal ben passar lo temps I beurem a l’amistat Lo Crist se seirà a la taula aurem totes de caps d’ase e rirem d’èsser tan baugs. (Roqueta 1958, 37-38) 31 La part 3 se dobrís per una citacion de René-Guy Cadou, autra font d’inspiracion per Ives Roqueta : « Beau pays, si je lève les yeux, je nomme tes chevaux, tes fleurs, tes naufragés. Je te nomme l’amour, ô campagne des hommes où le ciel s’est couché » (Roqueta 1958, 41). Los poèmas d’Ives Roqueta son dins la seguida d’aquela dedicaça, lo país i es interlocutor dins los poèmas 1, 2 e 3. Lo primièr contunha dirèctament las paraulas de Cadou, lo vèrb « te dirai » i fa resson al « Je te nomme » del poèta francés : Te dirai Amor bel païs semenat de mans e de sòmis macat de dalhas e d’oras lòngas d’èrbas baujas e de desirs mòrts ont demorarem abans nuòch esperant de secrèts que lo vèspre aprivada Per parlar de tu vielh païs dirai solament a mos amics de vèspre qu’un jovent pres dins lo doble filat de la mar e de la sabla velha a la pòrta del castel ont la Bèla del Bòsc s’endormís tot degrunant las amistats coma un lòng capelet de barcas Entre las èrbas e lo cèl Dirai als amics que la mar davant los cavals de la nuòch sorís coma un enfant al sortir de la sòm que sus l’aiga de luna trista mon païs es dobèrt coma la man del vent (Roqueta 1958, 43) alara que lo segond poèma dona un nom al país : Terras meunas Occitània pèiras de sang dins lo solelh… (Roqueta 1958, 45) 32 De pas creire amb aquela debuta qu’avèm aquí un poèma « militant » o « patriotic »… Sai que non. La crida de Roqueta es pas sonque crida de circonstància. Se jamai amaguèt pas, aqueste, sas tentacions nacionalistas, son rapòrt al mond, al país e als òmes que lo pòblan, es pas jamai estat estequit dins l’espaci d’una proclamacion patriotica. Basta de legir la fin d’aquel poèma per se’n convéncer, se n’èra besonh, qu’es la tendresa que domina, presenta a travèrs l’alternança de formas de la primièra persona e de la segonda persona del plural, proximitat de lengatge entre lo « ieu » e « los amics », entre los òmes e lo país que lo tenon dins sas mans :

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Ara sabi al vòstre pas als rodals de vòstres camins se la sason vos foguèt bòna e lo temps que farà e las dròllas qu’aimatz e l’escaisnom que vos donèron anuòch pòdi sortir de l’ombra dire amb vosautres los meteis mots mesclar neu e solelh per estre urós ensems en gaitant lo païs tot mon païs dins vòstras mans (Roqueta 1958, 47) Lo país, dins lo quatren poèma de la darrièra part, es evocat coma una creacion poetica : Poirai plus desenant quitar de dire ton esplendor sauvatja ò païs escalprat dins un soc de lenha (Roqueta 1958, 53) 33 Es la revirada francesa que nos permet aquela interpretacion : ô pays / que j’ai sculpté dans un morceau de bois ».

34 « Vida e pantais », sòmi e realitat alternan dins una larga fresca ont defilan de païsatges — o d’elements de païsatges — embugats de notacions oniricas : « l’espèra del sabaud », « paraulas de folhum », « arbres cambiadisses », « bòsques delembrats », « espèr de sabla e d’aiga », « cavalcadas de nívols », « la trida que s’atarda dins un pantais de cade », « las formigas luchairas contra l’espasa de l’erbilh », « rotas dobèrtas coma un pantais sens fin »… D’aquí d’alai se devinhan de ressons dels motius de Verd Paradís e de J.S. Pons… 35 Los darrièrs vèrses de l’Escriveire public (poèma IV, part 3) me semblan significatius d’aquela tendresa que los « damnes » (notar al passatge lo jòc sus las paraulas de l’Internacionala), ne fan paradoxalament partida, coma gisclada d’emocion : Dirai los damnes de ma terra e sas paraulas fòrtas e doças coma un lum Te dirai campèstre dels òmes En images de lenga (Roqueta 1958, 59)

Ives Roqueta — l’òbra critica

Avèm vist a la debuta d’aquel article la precocitat del trabalh de critic d’Ives Roqueta, la finesa e la pertinéncia d’aqueste, dins una escritura eleganta, precisa, a l’encòp fèrma e empatica. Lo Roqueta critic es eclectic e las òbras que saluda an sovent pas res de veire amb l’imatge de vulgaritat provocatritz que cultivèt l’òme sa vida tota. 36 Dins lo periòde que seguís immediatament aquel qu’avèm estudiat, aquí un exemple de doas criticas paregudas dins lo la revista Viure (Roqueta 1969), que dona idèa de sa capacitat a presar doas òbras prigondament diferentas, un recuèlh de Felip Gardy e un recuèlh de Roland Pecout. I poiriam apondre la tresena cronica, sus D’ont siás ?, de Rosalina Roche (1969), per donar idèa de la fegondidat de la produccion critica de Roqueta. Contentem-nos, per aquesta òbra, de notar son sens de la formula : Lo lirisme es pausat a la pòrta. Òm n’ausís que plan melhor lo batec del còr, a aquel bruch de passes d’una femna que marcha, ont sap ben, ont sap pas, aquò depend de l’ora, en cerca d’un païs sens parets, d’un amor de l’autre e de totes que fariá lo mond abitable autrament qu’amb de mots. (Roqueta 1969, 41)

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37 Las doas primièras cronicas, las avèm volgudas reprene entièras, en annèxe, d’abòrd per que son pas aisidas de trobar, e puèi per donar idèa de la coeréncia de l’escritura critica de Roqueta e de la fòrça d’aquesta dins sa concision. Las cronicas criticas d’Ives Roqueta son aital bastidas coma un tot sarrat, compact, totjorn just e precís dins sa vision dialectica de las causas.

38 Caldrà un jorn recampar aquel trabalh d’Ives Roqueta critic. Jòrdi Blanc, de las edicions Vent Terral ven de dubrir lo talh amb l’edicion en volum de sas cronicas paregudas dins La Dépêche du Midi entre 1974 e 1982 (Rouquette 2013c). Vaquí son analisi del trabalh de critic d’aqueste : Grand lecteur, à l’appétit jamais émoussé, Rouquette sait communiquer son plaisir, ne méprisant aucun genre, apportant son attention aussi bien à d’imposantes sommes qu’à de petits tirages ronéotés de quelques feuillets, n’ayant pas peur de bouleverser les hiérarchies consacrées, plaçant les contes populaires au niveau de Racine ou de Valéry, sensible à ce que Delteil, comme Jaurès, appelait la joie du peuple, élevant le style populaire au niveau d’un moyen de connaissance et de discernement. (Rouquette 2013, 6-7) 39 Aquel recuèlh es d’un pretz inestimable, a l’encòp per las qualitats de l’escritura critica d’Ives Roqueta que ne parlavi, mas tanben perqué dins los quasi vint ans que se tenguèt aquela cronica, los 223 tèxtes que i foguèron escriches rendon compte de la quasi totalitat de çò que se publicava en occitan o sus l’occitan. Pensi pas qu’aguèssem, enluòc, amb una sola signatura, un tal corpus de disponible.

40 « Escriveire public », disiam… Es ben en tant qu’escriveire public que se plaça aquí lo Roqueta critic. Causís un jornal quotidian, largament legit en Miègjorn-Pirenèus, e i escriu de presentacions a l’encòp exigentas, sens concession, e d’una lectura aisida. Aquí tanben, i auriá tot un trabalh de faire sus la recepcion d’aquel trabalh. 41 Per donar idèa d’aquela escritura, prendrai l’exemple del rendut compte de las reviradas de Lorca per Robèrt Allan, aquí donat en annèxe. Dins l’espaci redusit de la cronica de jornal, Roqueta capita de faire passar sa granda cultura, dins un espaci sarrat, e de situar l’òbra presentada dins un contèxt istoric e cultural larg. De segur que la lectura critica es colorada d’ideologia amb l’allusion a l’estatut de l’occitan que deuriá venir « lenga nacionala », eslogan d’una batèsta que menèt l’IEO dins la fin de las annadas 70, amb tota l’ambiguïtat cultivada que i se legissiá a l’epòca : l’occitan reconegut coma lenga al dintre de la nacion França ? L’occitan lenga de la nacion occitana ? Mas l’essencial es dins lo percors de l’influéncia de Lorca sus la poesia occitana de la segonda part del sègle XX, e dins l’allusion als grands poètas estrangièrs que son influéncia se i sentís. En qualques mots, Roqueta ditz son admiracion per Allan e rampèla la proximitat de l’escritura d’aqueste amb la de Lorca.

Ives Roqueta autor, Ives Roqueta Escriveire public

Cossí interpretar los vèrses que clavan lo poèma eponim que nos servís de fil d’Ariana : « me farai per vosautres / escriveire public » ? L’escriveire public es aquel qu’escriu las paraulas de los que dessabon l’escritura. Aital, es pas qu’un trochament que sa paraula pòrta la paraula del mond. Aquela foncion, segur que Roqueta se la donèt, benlèu mai que degun mai, demièg los escriveires occitans contemporanèus. Sa prigonda fraternitat amb çò que sona, dins dos recuèlhs contemporanèus, L’ordinari del monde e A cada jorn son mièg-lum (Roqueta 2009 e 2015), es evidenta. Segur que trobam dins l’òbra

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de Max Roqueta, per exemple, de retraches de mond umils, mas sentissèm, en cò de Max, una mena de distància de classa : son agach es de segur un agach d’amistat, de respièch, mas demòra exterior. Roqueta, sortit del pòble, a pas jamai oblidat aquel mond de sas originas, tant del Sud Avairon, soca de la familha, coma de Seta ont passèt sas annadas de formacion. 42 Mai d’un còp exprimiguèt Ives Roqueta, sa volontat de parlar de son monde, dins de tèxtes que se pòdon legir coma tant d’arts poetics. Aital n’es del primièr poèma del recuèlh Ponteses, significativament sotatitolat « Poèmas — Cronicas » (Roqueta 1979 6), que son títol fai referéncia als estatjants del Pont de Camarés, lo vilatjòt que ne dependiá l’ostal familhal de La Sèrra : Los de la plèba, aquò te parla pas jamai que de plaga a plaga, sens solament que boleguen los pòts. […] Alara, tampam las fenèstras, atudam los lums, esperam que lo darrièr bruch de passes de la patrolha se siaga aluenchat. E apuèi cantam, a votz bassa, en nos disèm de òc, a nosautres e al monde, e nos parlam dels nòstres a dents sarrada, a contralum. (Roqueta 1988, 103) « nos parlam dels nòstres… ». Los títols dels poèmas de Ponteses son lo mai sovent de noms pròpres que remandan a tantes èstres probablament crosats : « Miquialon », « Camillon », « Lo Combet », « Sauvan », e tantes maites. L’òbra formigueja d’aqueles retraches, tendres o mai sovent crudèls. Se’n tròba tanben dins l’ensems titolat « Cadun los seus », que repren en part Ponteses, a començar per aquel tèxt de dubertura, e i ajusta d’autres tèxtes. Lo títol n’es significatiu, coma es significatiu aquel de l’antologia « L’escritura, publica o pas » que n’es tirat. 43 Es benlèu aquí que mai excellís Roqueta, dins aqueles tèxtes breus, en pròsa o en vèrses, entre descripcion e narracion. Dins lo biais d’un Gaston Couté, es capable, el lo cristian, de parlar sens cap de condemnacion morala d’una maire infanticida, e de laissar devinhar l’òrre caminament tragic que la mena a un acte aital (« Marineta » dins Roqueta 1988, 1117). Es pas dins lo mite coma o es Max amb la figura de Medelha, mas dins la realitat sociologica. E mai se sovent abarreja aquela realitat sociologica de mitologia biblica o greco-latina, es totjorn l’observacion de scènas viscudas que fai nàisser l’evocacion, coma dins la pròsa titolada « La filha de Noè » (Roqueta 2009, 7), retrach ponhent d’una devòta que la ten al « ventre la paur panica del jutjament e de l’infèrn » en causa de son paire tan sovent « bandat a mòrt coma un Noè e cent còps mai obscène, dins sas cauças de velós, que lo grand patriarca nud. » Es pas per azard tanpauc que causís Jòb per centre d’un de sos recuèlhs.

44 Poiriam prene tantes exemples dins l’òbra, d’aquela atencion portada al pòble menut e a las tragèdias que viu. Es pas un mond idilic, lo mond que pintra Roqueta, es un mond de desirs e de violéncia, que la mòrt — los mòrts — i son tan presents coma la vida e los vius. Lo recuèlh eponim de l’antologia L’escritura, publica o pas se dobrís significativament per aqueles vèrses :

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Dempuèi totjorn, los que son mestièr es d’escriure sa plaça es al mièg dels mòrts (Roqueta 1988, 7) 45 Dins aqueles tèxtes, tot l’art de Roqueta es dins la concision de las notacions que pauc a cha pauc nos adraian de cap a una fin sovent non esperada.

46 Aquel art de la bastison narrativa, dins lo recit brèu coma dins lo recit mai long, participa de l’estil de Roqueta. Aital n’es del recit d’inspiracion autobiografica Lo poèta es una vaca, que comença per l’evocacion del personatge d’Estòqui just après sa mòrt : August Estòqui. Son còs espandit sul camin. Dos òmes, une femna : tres lums. E çò que cal de tèrra pel camin, de folhum e de cèl endarrèr per qu’aquel còs, que la mòrt ven de i donar lo copant de la pèira, prenga sa justa plaça. La primièra pregària e lo vent pel folhum. Es aital que me cal començar : e mai s’ai pas jamai cercat a saber consí Estòqui èra mòrt, es aital. Mas ne sabi pas ren. M’agrada solament de pensar a de còps que lo grand còs d’arbre d’Estòqui es tombat endacòm entre la Sèrra e lo Pont, dins la bòria de Gen après la castanhal, e es totjorn alara lo meteis endrech que me tòrna ; aquí ont son camin e lo nòstre se separavan. (Roqueta 1967, 6 ; 2013,13) 47 E tot lo demai de l’òbra es una remontada dins lo passat que nos fa descobrir, pauc a cha pauc, amb lo narrator, la figura d’Estòqui, que foguèt lo passaire de lenga del jove Setòri, a costat d’autras figuras de las environas de la Sèrra, familha o vesins pròches.

48 S’ensagèt tanben, Roqueta al recit long, mai que mai amb Lengadòc roge, ont l’escriveire public que vòl èsser conta la gèsta d’aquel mond del pòble que resistiguèron, en 1851, al còp d’estat de Napoleon (Roqueta 1984). 49 Remontada encara mai luenh dins l’istòria amb una de sas darrièras creacions inspirada per las estatuas-peiras quilhadas del musèu Fenailles de Rodés : Dieusses primièrs. Nos i conta son emocion quand, de jove, descobriguèt, guidat pel poèta Jean Digot, las estatuas qu’èran dins un « debarràs » del musèu. Aquel supèrbe long poèma tira la vida de las estatuas de pèira, fai viure lo mond que las farguèron o que las inspirèron e que nos venon, subran, tan pròches dins sas emocions, sas paurs e sos desirs elementaris, tan pròches dels nòstres desirs, de las nòstras paurs, de las nòstras emocions : Èra fa cinc mila ans. Èra ièr. Ièr a primauba, ièr al pus plen del jorn, quand ochava e grilhs d’Italia s’acòrdan per, a tu e a ieu, cantar sa jòia amara d’èsser al monde per tant pauc de temps qu’aquò siague, ièr encara, al calabrun que las ombras se fan longas e linjas per s’anar pèrdre dins la nuòch. Èra del temps de la pèira esclatada puèi alisada, de l’umanitat rara e de l’abondància dels bens, de gaire d’oras emmerçadas a se ganhar lo viure e de las longas pausas, òbra facha. Èran aicí plan de davant que çai venguèssem far nòstres tres torns pichons e, lèu, tornar nòstra part de cauç a la tèrra. Las joventas cargavan dejà de colars de coire batut, de galets traucats, a son còl per abelir son visatge e sas tetas e se rendre encara mai desirablas pels mascles. (Roqueta 2013, 47) 50 « Èra fa cinc mila ans. Èra ièr », çò ditz Roqueta. Sèm ben dins la meteissa proximitat que li fai prene la votz de « l’ordinari del monde ». « L’escriveire public » se fai aquí lo

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pòrta-votz d’aqueles òmes e d’aquelas femnas que nos rend, subran, tan pròches. E lo remembre me ven de la lectura publica que faguèt d’aquel tèxt, a Rodés, dins la cort del musèu Fenailles, pendent lo festenal Estivada de julhet de 2013. Al cap d’una longa ovacion esmoguda del public, nos diguèt, dempuèi la cort del musèu, en puntant son det de cap al darrièr estanci ont son expausadas las estatuas : « oblidatz-me, compti pas. Anatz las veire, de tota urgéncia. Vos espèran amontnaut. »

51 Roqueta escriveire public… òc-ben, lo títol d’aquela òbra de joinessa es ben aquel que se poiriá donar a l’ensemble de l’òbra per rendre compte d’aquela volontat capuda de donar una votz a aqueles que n’an pas. Volontat non amagada de faire nàisser un pòble, autant que de faire viure una lenga, volontat que se tuertèt al tragic de la realitat sociolinguistica e politica, aquela de l’anequeliment d’una lenga e de l’abséncia de consciéncia nacionala. 52 Mas se pòt pas redusir Roqueta al combat ideologic que foguèt lo sieu, pas mai que se pòt faire silenci sus aqueste. L’òbra es granda de la fòrça d’una escritura e la fòrça de l’escritura se noirís de la consciéncia tragica de l’istòria. Demòra l’òbra e l’urgéncia del trabalh critic…

BIBLIOGRAPHIE

Œuvres d’Yves Rouquette

1953, « Vèspre », OC, 188, 22.

1954, « Orientacion », OC, abril, 4.

1955a, « Ara que ton abséncia… », OC, 197, 117.

1955b, « Èrbas baujas », OC, 198, 168-172.

1955c, « Los joves occitans », OC, 198, 178-179.

1956a, « Aicí siam », OC, 199, 1-3.

1956b, « Doblidèri pas rèn… », OC, 199, 14.

1956c, « T’aimi quora l’ivern carreja… », OC, 199, 15.

1956d, « Elena lo tieu nom », OC, 199, 16.

1956e, « Planh per Loïs Avinho », OC, 201-202, 255.

1957a, « Per presentar “Verd Paradís” », OC, 205, 115-119.

1957b, « “Défense de parler au chauffeur” o los tres carris de Chinchorla », OC, 206, 185-190.

1958a, L’Escriveire public, Toulouse, IEO, « Messatges ».

1958b, [Presentacion de El Viatge (Benguerel 1957), nouvelle de], OC, 210, 207-208.

1958c, [Presentacion de Tutti frutti (Rouré 1958)], OC, 210, 209.

1959a, « Lo Mal de la tèrra », OC, 211, 1-20.

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[1959b], Lo Mal de la tèrra, s.l., Edicions del Movement de la Joventut Occitana, « Sirventès ».

1959c, « La vertut de la poesia », OC, [208-209-201] 212-213-214, 63-64.

1960, « Istòria », OC, 216, 25.

1967, Lo poèta es una vaca, s.l., Lo libre occitan.

1969, [Cronicas de Cantas rasonablas de Gardy, Avèm decidit d’aver rason, de Pecout, e D’ont siás, de Rosalina Roche], Viure, 16, 40-41)

1976, Ponteses, Villeneuve-sur-Lot, Forra-Borra.

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1986, en collaboration avec Charles Camberoque, « Léon Cordes, homme de parole et d’action », Connaissance du Pays d’Oc, 72, 52-57.

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2004, Le Chant des millénaires, version française d’Yves Rouquette, dans Auteurs en scène, , Presses du Languedoc.

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2005b, Pas que la fam / La faim, seule. 1958-2004, Toulouse, Letras d’òc.

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2013c, En occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral.

2015, A cada jorn, son mièg lum. L’ordinari del mond II, Tolosa, letras d’òc.

Autres auteurs

ALLIER Max, 1951, A la raja dau temps / À la rigueur du temps, Toulouse, IEO, « Messatges ».

ABRATE Laurenç, 2001, 1900-1968. Occitanie, des idées et des hommes, Puèg-Laurenç,

IEO-IDECO.

CERDÀ Jordi-Pere, 1954, Tota llengua fa foc, Toulouse, IEO, « Missatges ».

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LAFONT Robert, 1957, Dire, Tolosa, IEO, « Messatges ».

LAFONT Robert, 1959, [Critica de L’Escriveire public], OC, 214, 44-45.

PETIT Jean-Marie (éd.), 1985, Leon Còrdas, Béziers, CIDO.

RICARD Georges, 1985, Tables signalétiques et analytiques de la revue OC. 1924-1977, Béziers, CIDO.

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ROUQUETTE Max, GIORDAN Henri et SURRE-GARCIA Alain, 1980, Vert paradis. L’espace de l’écriture occitane, Paris Le Chemin Vert.

ANNEXES

Cronicas dins Viure (Roqueta 1969, 40 - 41)

Felip Gardy, Cantas rasonablas, poëmas, Messatges, I.E.O., 1968. I a pas gaire de rason ni de canta dins aquestes poëmas de Gardy. I a lo silenci e la foliá. I a, mai exactament, la joinessa, l’amor e la mòrt traversats dins lo silenci de la foliá. E i a la poësia, tanben e mai que mai, ganhada, susada, dins aquela davalada a l’infèrn. E n’i a pro per desvariar lo mond dins aqueste periode d’Occitanisme explosiu, militant, comunautari, liric, en representacion collectiva de se. E es aital qu’ausissi un pauc de pertot, qu’aquel libre de Gardy aquò es pas aquò, que passa pas, qu’avèm besonh de quicòm mai, qu’avèm pas de temps a perdre amb de causas aital e patin e cofin. Ausissi dire sus Gardy un molon de necitges bravasses e n’ai mon confle. Demandi als amators de galaupadas a la Roland Pecout, dels torrents d’imprecacions de l’Estrangier, dels còps de ponh pel morre a la Tabarca, de las soscadissas en abans a la Roërgue si, li demandi de perdre lo temps que cal, insistissi : de perdre tot lo temps que cal, a escotar Gardy. Dins lo silenci. Son silenci a el e lo vòstre. Amb la votz qu’arriba del ventre. Amb las paraulas que se pausan dins un silenci plen e òrre. Fenèstras e pòrtas tancadas, parpelas sarradas. Grisas sus blanc. Negras sus blanc. Rojas sus blanc. Pas d’illusion. Pas de fracàs. Una vida exactament viscuda, dins un mond mal fach. Un amor mancat. Un comèrci de cada ora amb l’absurd, amb lo suicidi. Una vida, exactament perque ironicament, transcricha. Sabi pauc de mond que vivon sa vida en òc. l a Gardy. Es pas de sa fauta a el se la vida es mal facha, se l’Euròpa sentís lo cadavre, se l’amor fa pietat, se rèn justifica pas de durar encara quand I’amor partís a bocins emportant amb el païsatges e òmes, en defòra d’aquela mediòcra beutat qu’es lo sentit visceral d’existir donat per la paraula largada. Escotatz : « Dins dos ò tres milierats d’ans / quand li nòstres problèmas / seràn pas qu’una agulha / rovilhada / au recanton / de la pensada arqueologica dis òmes / (aquò fai de ben / de se trufar de se) / aicí viurem / larga terra / amb cortinas d’arbres pichòts / la sembla-vida / dis annadas seissanta / dau segle vint/ ò a pauc près / segon lo biais qu’auràn de / faire lo compte / Sai que pron estrangiers I’un per l’autre nos / trobarem / per nos dire la bòna jornada / abans de / jogar la jòga / anciana anciana / d’aqueli que sabon sènsa saber. » Tot i es dins aquel poëma que clava aquel Messatges. Vòli dire : tot Gardy, tota la poësia de Gardy. La sembla-vida e la necessitat absoluda de viure encara, l’ironia sauvaira, l’eternitat messorguièira e indispensabla, l’atissament a tirar de tot, del pus mendre estat mental, una beutat amarganta e tonica. Lo coratge fisic. La dignitat trufarèla. L’absurd traversat, assumit e vincut. Lo silènci — paraula nosada — dels espandis de l’autre costat del solelh. Roland Pecout, Avem decidit d’aver rason, poëmas, col. 4 Vertats, 1969.

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D’ONT pus mens ne dirai, d’ont melhor farai. Pecout a causit d’aver rason. A plan causit e a agut rason. Conoissi pas a l’ora d’ara de poësia mai tonica. Ieu en tot cas n’ai fach mon pan, mon vin, mon aigardent tanben. Vaqui de poëmas qu’an d’espatlas, de ventre, de colhas, de cambas. Un cap tanben. E plan organizat. Vòli dire : sens cap de complexe. De complexes n’aviàm un viatge. Aquel d`aqui n’a pas Pas la pena de vos convidar a vos daissar trucar, bacelar, emportar per la votz d’aquel jove de vint ans : quand maissa, aquò s’entend de Bordèu a Menton. E vos mainatz que fa bèl tot d’un cop en Occitània, qu’avètz vint ans coma al mes de mai de l’an passat. E que siám SAUVES, totes.

Compte rendut de las reviradas de Lorca per Robèrt Allan (Rouquette 2013, 197-198)

Federico Garcia Lorca en occitan, grâce à Robert Allan Tant que la langue occitane ne bénéficiera pas, avec les autres langues parlées dans l’hexagone, d’un statut de langue nationale — avec ce qu’un tel statut suppose d’enseignement et de diffusion partout aujourd’hui en Europe, y compris en Espagne — il faudra saluer toute publication d’un texte étranger traduit en occitan comme un événement et comme un acte de volonté. Personne, en effet, n’a attendu Robert Allan et son travail d’adaptation pour découvrir la poésie de García Lorca en Occitanie. Dès avant la guerre, le poète andalou était lu par les écrivains d’oc qui cherchaient à rompre avec l’éloquence félibréenne et à trouver dans l’inconscient populaire un contre-poison au bon sens souvent radoteur de la production « poétique » du moment. En 1945, et dans les années qui suivirent, la vogue du poète espagnol assassiné fut si grande en milieu occitan qu’on ne peut se passer de la référence au romancero ou au divan du tamarit lorsqu’il s’agit de lire les poètes de la nouvelle génération : Max Rouquette, Robert Lafont, Léon Cordes, Roger Barthe, Jean Mouzat, Delfin Dario, Enric Espieut, Robert Allan. L’occitan n’est pas si loin du castillan pour que ces écrivains, en rupture d’école, ne soient allés sans doute chercher dans l’original espagnol une façon nouvelle, directe et allusive, de s’empoigner avec leur propre langue. Il n’en restait pas moins que pour l’ensemble du public occitan c’était toujours (et c’est toujours) à travers la médiation du français, des traductions françaises aisées à trouver dans le commerce, qu’on appréhendait les auteurs étrangers : Lorca, Machado, Essenine, Alberti, Withmann, Pavese, Rilke, etc… pour ne parler que des poètes dont l’influence sur la poésie d’oc me paraît évidente. Que penserait-on d’un écrivain italien découvrant la poésie américaine à travers une traduction en chinois ? Absurde ! C’est pourtant là une situation occitane classique. C’est avec cette situation que Robert Allan, en poète de grand talent, à la sensibilité très proche de celle de Lorca, tente d’en finir. Il aide les Occitans à se faire, en occitan, une âme ouverte au monde entier. Cela valait un grand coup de chapeau et un merci pour la joie qu’il nous donne, banale ailleurs, exceptionnelle ici. (29 mars 1977).

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NOTES

1. Malgrat l’emocion que m’aviá causada, dempuèi mon temps de liceana, la lectura d’unes poèmas coma « Ara que ton abséncia », o l’escota de las interpretacions d’aqueles tèxtes per la novèla cançon occitana. 2. S’agís del numerò 212-213-214, numerotat per error 208-209-201, segon Ricard 1985. 3. Del títol del recuelh de Cerdà 1954, n° 17 de la colleccion « Messatges », sonada per l’escasença « Missatges » (1954). 4. Aquela citacion de Lafont, tirada del poèma « A mis amics occitanistas » (dins Lafont 1957), es pas estada represa dins OC, que fai solament allusion al títol del recuelh, per ne sotlinhar la fòrça. 5. Aquel poèma pareguèt primièr, amb una dedicaça a Leon Còrdas : « Per lo vièlh Lion / de la Legenda Occitana dels sègles / en omenatge coral dau Mas-Vièlh », dins Petit & Cordes (1985). 6. Aquel recuèlh es estat per part représ dins un ensems titolat « Cadun los seus » (Roqueta 1988) e dins Pas que la fam (Roqueta 2005). 7. Aquel tèxt es pas dins Ponteses.

AUTEUR

MARIA-JOANA VERNY

Université Paul-Valéry Montpellier 3, LLACS EA 4582, F34000, Montpellier, France

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Yves Rouquette : poème et première personne

Joëlle Ginestet

1 S’engager pour s’inventer face à un temps vécu irréversible, pour ne pas devenir un apolitique, un adepte de la non-pensée, de la nostalgie, du répétitif pour ne pas être inutilement satisfait. Au lieu de tomber dans le dolorisme nostalgique suscité par la disparition progressive de la langue et de la parole et, sans nier cette souffrance, clamer l’insurrection des mots. Pour essayer de mieux cerner la première personne des écrits d’Yves Rouquette (Ives Roqueta)1, il est nécessaire d’effectuer un mouvement vers l’extérieur du monde linguistique, littéraire et artistique occitan de manière à tenter de mieux comprendre le caractère de son écriture qu’il a voulue « publica » dès son recueil L’Escriveire public (1958). Publique, certes, mais nous savons qu’elle est ensuite devenue une « écriture publique ou pas » comme l’indique le titre du recueil L’Escritura, publica o pas (1988) qui réunit des poèmes de 1972 à 19872 et auquel Pas que la fam — La faim, seule 1958-2004 (2005) a pu être associé pour offrir une vision assez vaste du parcours d’un poète en son temps.

2 Dans son article « L’imitation servile, non. » paru dans la revue Folklore en 1986, Yves Rouquette a donné quelques indications sur ses premières années de passion pour la littérature et surtout la poésie et a nommé quelques-unes de ses premières rencontres littéraires, poétiques, théoriques… (73-85). Ce temps de formation est essentiel pour essayer de comprendre son « écriture », car il convient de parler de son « écriture » plutôt que de son « œuvre littéraire » qu’une analyse fragmenterait en genre romancé, poétique, dramatique, journalistique… Son écriture transgresse les genres avec la publication de l’Oda a Sant Afrodisi (1968) et va en effet s’affirmer peu à peu pour ne plus se limiter au sage exercice d’un poète étiqueté défenseur de la langue occitane en péril3. 3 Yves Rouquette a écrit des textes de passion pour son temps, pour le réel et contre les illusions aliénantes et aurait sans doute prêté attention à la conception de la culture de Romain Gary dans La Nuit sera calme : La culture n’a absolument aucun sens si elle n’est pas un engagement absolu à changer la vie des hommes. Elle ne veut rien dire. C’est une poule de luxe (Gary 1976, 64).

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4 Aussi, se poser la question de la première personne poétique qui anime l’écriture d’Yves Rouquette dans ses recueils en vers mais aussi au détour d’un paragraphe de ses romans où il semble parfois oublier son objectif narratif, ou encore dans ses chroniques critiques ou de type journalistique, c’est se poser la question de la place de l’artiste occitan dans la société moderne tout en demeurant attentif à son approche singulière.

5 C’est au collège Paul-Valéry de Sète, grâce à son contact avec Robert Lafont qui y a lancé l’enseignement de l’occitan, que le jeune Yves s’est retrouvé emporté dans l’aventure occitaniste. Le professeur est en train de poser les différentes bases de son œuvre : il se fait connaître comme romancier avec la Vida de Joan Larsinhac (Subervie 1951), comme sociolinguiste avec Phonétique et graphie du provençal : essai d’adaptation de la réforme linguistique occitane aux parlers de (I.E.O, 1951), essayiste avec L’occitanisme, la vida provinciala e la cultura populara (I.E.O. 1952) et le poète de Paraulas au vielh silenci (S.E.O. 1946) et son recueil Dire (I.E.O. 1957) est en gestation. En 1954, Yves Rouquette voit pour la première fois une « pròsa » écrite en 1954 et intitulée « Èrbas Baujas », publiée dans la revue Òc (n° 198, 1955, 168-172). L’auteur âgé a tenu à ce que ce récit de « novelari » figure à la suite de la réédition du Poèta es una vaca par Cap l’Òc de Saint-Affrique en 2013 (91-99) avec la mention de Robert Lafont à qui il est dédié : Avèm cresegut bon de lo tornar publicar aicí (91). 6 Il y utilise la première personne pour une montée de début de printemps vers la maison de la Sèrra, berceau de pierre et de terre des Rouquette qu’ils ont abandonnée aux quatre vents là-haut, au-dessus de Camarès. Le jeune narrateur prend a posteriori conscience de ce « quicòm », ce « quelque chose » qui lui dit (maintenant) « qu’aicí » (à la fois là, mais aussi ici), un but l’attendait : Quicòm me ditz qu’aicí una tòca m’esperava. (97) 7 Dans le silence et plutôt que de se reposer, il s’était alors mis à faucher les herbes folles qu’il avait fait sécher et portées dans la grange malgré l’étable vide jusqu’à ce que ses mains rougissent. Fourbu mais heureux, c’est alors qu’il se souvient des paroles moqueuses de l’arrière-grand-père : Aquò’s quicòm mai que de téner un estilò. (98)

Regard vers l’extérieur de la sphère occitane

Écrire sans a priori esthétique

L’idéologie nazie et l’impossibilité de nier la brutalité de certains actes colonisateurs ont pu amener l’écrivain des années d’après-guerre à ne plus se comporter en être mineur, à ne plus faire de la fiction et du style fleuri un écran qui cache la violence du pouvoir. Le moment semblait venu, et particulièrement dans les lettres occitanes, de dépasser la figure obsolète de l’écrivain meneur du peuple et de se défaire d’une certaine attitude de subordination qui se limiterait à l’intime, au souvenir, à l’anecdotique. Dans les années de prise de conscience aigüe de la mort d’une langue, Serge Bec, l’autre poète en langue occitane de la génération d’Yves Rouquette et dont l’œuvre s’est construite en grande partie après la période de la guerre d’Algérie à laquelle il a participé, a trouvé sa voie dans un jeu d’images qui unissent le paysage à la femme aimée. Le parcours du jeune Rouquette qui a d’abord voulu susciter l’élan collectif d’une jeune poésie occitane, a pris une direction dont son écriture témoigne : saisie sur le vif d’hommes et femmes dans la simplicité de la vie quotidienne,

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expressions idiomatiques, aphorismes parfois, remarques ironiques et questions fondamentales de la destinée du poète bilingue que la langue occitane a construit dès l’enfance au sein d’une communauté qui la privilégiait alors, et qui est devenu un amoureux inconditionnel de la littérature.

En s’imprégnant de son temps

Il convient de jeter un regard sur les remises en cause de l’art de la génération de jeunes poètes des années 50 à 60, et pour cela on peut évoquer une des figures majeures du lettrisme, le roumain Isidore Isou, arrivé clandestinement à Paris pour y investir plusieurs champs de création avec l’intention de réaliser l’universalité et créer une internationalité égale pour toutes les langues, indifféremment de leur importance. Il fallait que la poésie devienne transmissible n’importe où. Isou a aussi été à l’origine d’une méthode de création qui prendra plus tard le nom de Créatique ou Novatique (1942-1976), à partir de laquelle il a redéfini à peu près tous les domaines de la culture, des sciences aux arts en passant par les techniques, la philosophie, la théologie et la vie. George Bataille, dans sa revue Critique, lui reprochait son impudence qui voulait tout bousculer et le trouvait « infiniment grossier, sans mœurs et sans raison. » Mais dans le Manifeste de la poésie lettriste de 1942, publié dans Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, on trouve cette phrase d’Isou qu’Yves Rouquette n’aura pas reniée même si le lettrisme n’a finalement été qu’une imprégnation de jeunesse : Chaque victoire de la jeunesse a été une victoire contre les mots (Isou 1947, 13). 8 Maurice Lemaître, un autre lettriste, a aussi affirmé que la seule critique définitive était la création. Le lettrisme d’abord et ensuite l’internationalisme situationniste ont donc appelé à « l’insurrection des mots » et dans les années 1960, Guy Debord proclamait : Il faut mener à la destruction extrême toutes les formes de pseudo-communication, pour parvenir un jour à une communication réelle directe (Debord 1958, 21). 9 Yves Rouquette a effectivement préféré la hardiesse à la fidélité à une esthétique préconçue, comme il l’a dit dans « L’estetica » : L’estetica, aquò’s pas jamai qu’una crassa de mòda. La beutat n’a pas res a far. La beutat es endacòm mai. Son esclat es l’esplandor de çò verai. Sorgís, nuda, d’aquí onte ren l’aviá pas anonciada. […] La beutat es morala. Òc-ben : morala e de lònga insurgida ; emai quand passa per contemplativa, elegiaca, o litanica, o liturgica, s’encabra al mespretz de tota moralitat, coma contrapoison al destin4 (Letras d’òc 2015, 71). 10 Mais pour lui, le poème n’a jamais été facilité et innocence. C’est « un travail », a-t-il écrit en 1976 dans le numéro 11 de la revue Obradors (I.E.O. 1988, 94-95).

En lisant Aimé Césaire

Au côté de Frantz Fanon, Aimé Césaire, le poète de la négritude, fait partie des influences qui ont motivé les choix poétiques d’Yves Rouquette. Au cours d’un entretien, « La poésie, parole essentielle », réalisé à Paris en 1982 par Daniel Maximin à l’occasion de la publication du recueil Moi, laminaire et de la réédition du Cahier d’un retour au pays natal, Césaire a livré sa conception de la poésie : La poésie, c’est pour moi la parole essentielle. […] La poésie, c’est la parole rare, mais c’est la parole fondamentale parce qu’elle vient des profondeurs, des fondements, très exactement, et c’est pour ça que les peuples naissent avec la poésie. Les premiers textes ont été des textes poétiques (DEGESCO 1982, 1-11).

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11 Césaire n’a jamais regretté le temps consacré à la cité qui l’a pourtant empêché de poursuivre une œuvre de façon suivie : La poésie, telle que je la concevais — que je la conçois encore, — c’était la plongée dans la vérité de l’être. Si notre être superficiel est européen, et plus précisément français, je considère que notre vérité profonde est africaine. Il s’agissait de retrouver notre être profond et de l’exprimer par le verbe : c’était forcément une poésie abyssale. […] Elle [la poésie] était arme parce que c’était le refus de cet état superficiel et le refus du monde du mensonge… C’était la plongée en moi-même et une façon de faire éclater l’oppression dont nous étions victimes (Rombaud 1976, 34) 12 Dans l’idée d’une littérature de la décolonisation, il y a l’exigence de remettre intégralement en question la situation dominant-dominé : « Les derniers seront les premiers » (Mathieu 20, 1-16) ou « Tant son los darrièrs coma los primièrs », comme le fait dire Jean Boudou au colporteur sermonneur protestant La Rovièira dans La Quimèra (I.E.O. 1974, 457) qui le tenait lui-même des prêches du pasteur Claude Brousson, avocat nîmois au moment de la révocation de l’édit de Nantes quand il proposait un rassemblement sur les ruines du temple à Saint-Hippolyte-du-Fort alors que les pasteurs s’enfuyaient et qu’il ne restait que les vieux prophètes.

13 La fidélité à un concept de l’Occitanie ne suffisait pas à Yves Rouquette qui a exprimé son point de vue en 1975 dans une de ses chroniques « Tant de temps coma Occitània demorarà una soscadissa intellectuala… » du numéro 7 de la revue Viure, une revue parue entre 1964-1973. Pour lui, écrire serait « un acte politic » et tant que l’Occitanie resterait une somme de problèmes régionaux français, une littérature sans honte ne pourrait émerger. 14 Le dernier article qu’il a publié dans le numéro 28 de Viure s’intitule « Réalisme » (Vent Terral 1975, 243-246). Il y pose l’axe de sa lutte, « la descolonizacion totala dels Occitans, part de la lucha mondiala contra l’imperialisme ». Il envisage alors une orientation socialiste et un passage par l’aménagement du territoire qui tiendrait compte du contexte historique et des mentalités. Ce n’est pas pour une spécificité ethnique que le peuple occitan est opprimé, il l’est économiquement et socialement. En note finale de son article, il s’excuse auprès du lecteur pour sa langue d’essayiste « de farlabica » (frelatée, falsifiée) car si sa langue d’enfance se plie à l’art du récit et à la poésie, en se relisant en 1975, il prend modestement conscience de sa difficulté à changer de registre de langue pour ses chroniques (vocabulaire, syntaxe…). Son projet d’un grand mouvement n’a pas abouti mais il n’a pas renoncé pour autant à poursuivre son « travail ».

En lisant Joseph Sébastien Pons

C’est relativement jeune et alors qu’il a encore écrit peu de poésie qu’Yves Rouquette s’est engagé dans la rédaction d’un ouvrage sur Josep Sebastià Pons qui a été publié chez Seghers dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » (1963) et pour lequel il a été amené à faire un choix de textes, une bibliographie, des portraits. Il a travaillé à partir de notes de Max Rouquette et obtenu des témoignages d’Henri Frère, Robert Lafont et André Susplugas. Il admire le poète Pons qui a su boucler sa vie dans sa maison du Boulès comme on boucle un poème, et qui a achevé son voyage « dans la paix et la bonne conscience de l’œuvre accomplie, après avoir conquis sa joie de haute lutte » (Seghers 1963, 13). Et il reprend dans cet ouvrage, la pensée que Max Jacob avait

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énoncée dans un article publié dans la revue Fontaine en 1942 : « Tant vaut l’homme, tant vaut le poète ». Une langue en vaut aussi une autre, disait Yves Rouquette qui estimait que c’étaient les clichés qui avaient empêché l’œuvre catalane de Pons de trouver des traducteurs, un public et une audience en France. L’étude de la poésie de Pons a été un enseignement pour le jeune érudit qui appréciait que ce poète n’eût pas rédigé un journal intime et se fût plutôt exprimé à travers sa lecture du contemplatif curé de Camélas auteur d’un Traité5 dont il s’était inspiré pour élaborer son intemporel récit La Vigne de l’Ermite (1987). 15 Parmi les poètes aimés, il y a aussi Jean Digot, co-fondateur en 1951 avec Denys-Paul Bouloc et Frédéric-Jacques Temple des prix Artaud, Voronca et Sernet et animateur pendant de nombreuses années des Journées Poésie de Rodez, qui lui a fait prendre conscience des pierres millénaires qui parsemaient le rougier de Camarès, la terre de ses grands-parents et des anciens (D’Anna 2002, 247-256). Yves Rouquette évoque l’infatigable Digot dans le long poème Dieusses Primièrs : Aimavi sa poësia esparnhanta de mots, la votz de sos poèmas, grisa coma la d’un vent que passa sus l’aiga plana d’un estanhòl, sa tèma testarda, ciutadana, a se voler plan mai qu’un poèta : un òme util als autres òmes6 (Cap l’Òc 2013, 53). 16 Le jeune Rouquette demeurant chez ses grands-parents a été très tôt interpellé par un autre « bèl grand e naut somiaire » (beau, grand et éminent rêveur), le prêtre Frédéric Hermet qui avait consacré sa vie à essayer de déchiffrer le message des nombreuses pierres millénaires rouergates nommées par lui « statues-menhirs » (1898). Le poète Jean Digot lui avait fait redécouvrir certaines d’entre elles, oubliées, dans une salle fermée du musée Fenaille de Rodez7. En son temps, en lisant le prêtre Honorat Ciuró, Pons avait pressenti que pour aller au bout de soi, il fallait aller au bout de son œuvre. On constate aussi que, dans son étude pour Seghers, le jeune poète et militant Yves Rouquette vante les bienfaits de la distanciation que la vie en retrait procure. C’est un besoin, qu’au fil de sa vie, les séjours réguliers dans la maison de La Serre près de Camarès ont pu satisfaire.

Une première personne et ses morts

Dans « Per ipsum » de Roergue, si, alignant tous les pronoms pour désigner tous les hommes, quels qu’ils soient, Yves Rouquette pose la question de la modestie de l’homme sur un ton qui se rapproche de celui des psaumes bibliques : Cum ipso, et in ipso, ieu, tu, el, nosautres, vosautres, eles que fasèm pas d’ombras al solèlh […] cossí voldriás que posquèssem quicòm per ton onor e per ta glòria a cada jorn que ren fa pas ?8 (Letras d’òc 2009, 32-33). 17 Dès le premier poème du premier recueil de L’Escriveire public de 1958, repris trente ans plus tard dans L’escritura, publica o pas (1972-1987), Yves Rouquette continue d’interpeller de façon très claire « los que son mestièr es d’escriure »9 (I.E.O 1988, 6-7) et rappelle à

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nouveau que leur place est au milieu des morts car c’est la condition nécessaire pour pratiquer le « dire juste », derniers mots du second poème (I.E.O 1988, 8-9).

Le « je » fragile conquérant

La traduction de la force des images qui surgissent de façon chaotique fait donc partie de ce travail qui fait le poème. Et le « tu » qui est inclus dans le « nous » est à la fois un alter ego, mais aussi parfois le jeune frère aimé, Jean Rouquette devenu Joan Larzac, prêtre, écrivain, poète, traducteur. À l’occasion, il semble y avoir peu de différence entre le dialogue intérieur et le dialogue avec ce frère comme dans « Aqueles uèlhs que cal tampar… », poème de la partie « Après lo Paire » de Pas que la fam — la faim, seule 1958-2004 : puèi una autra de femna e nautres dos, Joan, e nòstras partenças pels òrts ont amb una pluma per marra voliam desrabar la vida las autras vidas que nos caliá per desesperar pas d’aquesta10 (Letras d’òc 2005, 142-143). 18 Fréquemment, la parole s’impose dans les vers avec autorité, sous la forme d’aphorismes, comme dans « En fòrça » publié dans le numéro 11 d’Obradors (1976) et dans lo Castel dels Cans (1977) : Es en fòrça que cal escriure o bastir11 (I.E.O. 1988, 73). 19 Un sentiment de culpabilité pointe quand dans « Orate frates » de La Messa pels pòrcs, le poète utilise le pronom « nous » qui renvoie à la communauté poétique et à la communauté militante. Lui se fait le reproche de ne pas être un défenseur infatigable de la justice et s’adresse à Nòstre Sénher mais en prenant pour intercesseur son frère croyant, au sens large et plus particulièrement à son frère Joan Larzac : Prega mon fraire. Diga-ié que lo temps vai e ven e vira per jorn, per mes e per an, e nosautres cossí avèm virat amb el e que n’avèm vergonha12 (Letras d’òc 2009, 20-21). 20 Ce sentiment de culpabilité de n’avoir pas pu ou su redonner un dynamisme social ou une fierté aux locuteurs d’une langue en péril est issu de la honte éprouvée par Adam et Ève chassés de l’Éden, cette honte qui est au centre du poème « As dich » doit être combattue viscéralement : La vergonha nos ten, as dich As dich, as dich, e d’autres Se son levats qu’an dich : Avèm pas besonh d’un lum vengut d’endacòm mai que del pus fons del ventre13 (Letras d’òc 2009, 52-53).

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L’ineffable figure paternelle

Les grandes figures de la société patriarcale, qu’elles soient autobiographiques, du monde de la terre, nées de l’écriture ou divine(s) sont les plus riches, mais aussi celles dont le poète Yves Rouquette voudrait se détacher sans y parvenir vraiment. Il y a, au fond, dès le quatrième poème de L’escritura publica o pas, « une toute-puissance » qui rêve inconsciemment de réduire le poète au silence : Aquel bruch al fons del negre, es qu’aquò’s Dieu que sòmia en te sarrant lo còl entre sas doas manassas ?14 (I.E.O. 1988, 12-13). 21 Cette toute-puissance du père ou de Dieu rêverait-elle d’étouffer sa création, ou est-ce le poète qui s’étouffe lui-même (« t’escanas » : tu te tues à la tâche, tu t’étouffes) et cela dans les émanations du brasier de la création. Le poète retranscrit simplement une respiration de fumeur, en un alexandrin, deux décasyllabes et des assonances en [a] et [s] annoncées dans les « manassas », dernier mot de la strophe précédente : O s’es l’èr solament que passa en estuflant Dins tos paumons del temps que t’escanavas Al mièg del fum, los vèspres de brasasses ?15 (I.E.O. 1988, 12-13). 22 Le poète observe cette figure paternelle (humaine ou divine) qu’il aime mais craint aussi, tout en regrettant qu’elle puisse être morte. Le désespoir guette dans « Pater » de la Messa pels pòrcs (1969) : E ara mon paire siám sols siám sols e paures, e entrepreses davant ton grand còs espandit sens espèr ni que ton règne nos avenga ni que nòstra volontat siá facha aicís ont aimàvem de viure16 (Letras d’òc 2009, 34-35).

L’acceptation

L’enjambement du vers 4 au vers 5 dans le poème « Memento » de la même Messa dels pòrcs (1969), montre que le poète est chargé d’une mémoire personnelle mais surtout collective dont il se trouve être le dépositaire et qui menace de réduire à néant, non pas son esthétique puisqu’elle ne peut pas se planifier, mais son art : Siái malaute de remembres, siái confle a ne crebar dels meunes e de los de mon pòble desmemoriat17 (Letras d’òc 2009, 30-31). 23 Puisqu’il n’est pas question pour Yves Rouquette de se laisser piéger par les normes d’une esthétique, il doit se dévouer à son art, son activité fabricante à laquelle il ne peut d’ailleurs pas se dérober. C’est le tragique destin du poète occitan qu’il évoque dans sa « Préface » au recueil de poèmes choisis de Bernard Lesfargues, Pentecôte publié à Bergerac : La poésie n’est donc pas affaire de technique, mais de disponibilité aux mystères de l’ici-bas, mais d’application à dire, juste et ferme, l’adorable et insoutenable condition d’être humain. Pour cela il faut l’art — c’est celui de

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Lesfargues — qu’avaient les batteurs de monnaie celtes d’abstraire de la réalité ce qu’elle contient d’essentiel et d’éternel dans sa précarité. Mais tout autant, il y faut ce sentiment tragique et jubilant de la vie qui fonde tout l’art ibérique du dire et du faire. Et ce sentiment, Lesfargues le partage aussi bien avec Thérèse et Jean de la Croix que Becquer, Machado ou Pons. […] Qu’il s’agisse de l’angoisse commune devant le néant, la mort, l’amour perdu, le temps qui mène tout au même abîme, le désir qui nie le désir ou la panique qu’on éprouve à voir la langue de son intelligence et de son cœur, de sa mémoire et de son espérance, tomber dans l’enfer des civilisations mortes, l’attitude de Lesfargues reste à peu près la même. Sa parole est celle, radicalement, d’un condamné à la mort ou à l’exil intérieur, d’un pessimiste actif, d’un interdit de Paradis (Les Amis de la Poésie 1999, 5-7). 24 Au-delà de Césaire et de Jean Digot en guerre contre le piètre langage dépourvu de parole, c’est dans Arma de Vertat de Nelli, d’une écriture pourtant assez hermétique qui alliait des ingrédients de l’érotique troubadouresque, de l’imaginaire des contes, du surréalisme et de la métaphysique, qu’Yves Rouquette s’est retrouvé. René Nelli qui avait tant fréquenté Joë Bousquet. Dans son article « Joë Bousquet : entre l’écriture du poème et l’écriture de l’essai » (Glaudes 2002, 436), Xavier Ravier évoque la phrase de René Nelli extraite de son ouvrage Joë Bousquet, sa vie, son œuvre : « Le langage est issu de l’être et non pas de la pensée claire. » (Nelli 1975,167). Ravier cite aussi dans la même note le philosophe Ferdinand Alquié qui avait précisé dans un article « Joë Bousquet et la morale du langage » : Et sans doute Bousquet exprime-t-il en ceci une difficulté commune aux écrivains. Mais, au lieu de déplorer l’insuffisance de toute parole et de se réfugier par un mouvement facile en quelque ineffable expérience, voici qu’il se préfère un langage et, avec lui, le tissu objectif de sa vie (Cahiers du Sud, 1950, 187-190).

Tourments et émerveillements de la première personne

Le « je » en action dans les poèmes d’Yves Rouquette est tantôt violent, tantôt radical, tantôt ironique, tantôt bienveillant et se garde de céder à la tendance au refoulement et à l’aliénation qui dénaturerait le rapport au temps irréversible. Le « nous » est naturellement dominé par la « desmesura » de ses terreurs, de ses désirs et se crée des dieux encore plus effrayants. À cela, il oppose un dieu-enfant dressé et le plus souvent assis sur les genoux de sa mère dans Lemosin’s blues (Letras d’òc 2005, 11) : il se sent héritier de cet enfant qui est dans les bras des vierges catalanes, telles qu’on les a aussi sculptées en Languedoc dans la première moitié du XIIIe siècle (Pradalier-Schlumberger 1998, 37). 25 Si le critique a dû enrichir son lexique pour ses chroniques et essais en langue occitane, dans La Messa pels pòrcs de 1969, le poète avoue aussi un manque troublant dans cette langue qui lui a été donnée : Se marrer, Cossí se ditz dins mon país ? Sabi pas18 (Letras d’òc 2009, 36-37). 26 Ce rire qui n’est pas le rire du désespéré mais le « rire avec » qui ramène sainement à la mesure, le rire modeste contre l’orgueil est absent. C’est un leimotiv dans les textes

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poétiques d’Yves Rouquette à qui manque non pas l’éclat de rire (« s’escalafar ») mais le mot pour exprimer ce qui pourrait soulager la tragédie du temps qui passe.

27 Dans « Endacòm mai » du numéro 11 d’Obradors, la première personne n’arrive pas à se fondre dans la communauté de son temps et devient alors ironique, voire agressive, pour qualifier une société qui se laisse tenter par la superficialité : Al castel i a pas que voide sul voide, toristas, e crits de gralhas19 (I.E.O. 1988, 74-75). 28 Toujours dans le même numéro d’Obradors, le poème « Es pas que ieu » montre le poète amoureux de la vie qui, au milieu de son cimetière d’êtres pourrissants, se plaint : Es vosautres qu’es malaisit de vos aimar, atalats a noirir los vèrmes20 (I.E.O. 1988, 96-97).

L’outil de travail

Au fil de l’écriture et du temps, Yves Rouquette se débarrasse de la ponctuation pour ne laisser que les points, tirets, quelques parenthèses et les essentiels points d’interrogation. Et c’est ainsi qu’il s’interroge et qu’il interroge les autres poètes sur leurs deux langues dans « Programa » de Roèrgue, si de 1969 : Asclada es ta garganta ? E apuèi ? […] Remèdi : agusar los cotèls l’un sus l’autre e nos virar cap al blau de las crincas e udolar los uòlhs dins los uòlhs de borreta del país entre Sòrga e Viaur21 (Letras d’òc 2009, 44-45). 29 Le poème est utile à l’homme et dans « Rason », toujours dans le recueil Roèrgue, si (1969), Yves Rouquette présente la raison comme un outil en utilisant une métaphore rurale s’inspirant de la locution proverbiale « téner l’estèva drecha22 », comme l’a fait à sa façon Jean Boudou dans Lo Libre de Catòia où le grand-père confie un jour à son petit-fils la gaule avec une pointe à son extrémité (l’agulhada) pour qu’il guide seul l’attelage : La rason es pas qu’un bùou que cal cargar sarrat e menar fèrme23 (Letras d’òc 2009, 46-47). 30 Il précise quelques pages plus loin que le poème réclame toute son attention car pour éviter qu’il ne devienne inutilement répétitif, il doit veiller : Lo solelh es negre tanben quand l’acaram a nòstra istòria E los camins se despacientan d’anar totjorn dins lo meteis sens obligat Arrapa-te a aquel còs qu’als cairforcs

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los signes cambian24 (Letras d’òc 2009, 50-51). 31 Et enfin, il insiste toujours sur l’extrême utilité de la raison dans « Fidèls » : Avèm una rason facha per desmontar la mecanica del malastre25 (Letras d’òc 2009, 58-59).

Le « je » et la foi

Dans la Messa pels pòrcs (1969), le poème « Kyrie » est l’occasion d’adresser une prière à Dieu, Notre Seigneur (Nòstre Sénher) qu’il tutoie et qu’il cherchera sans relâche malgré son apparente absence. Dans la rue, il ne voit passer qu’un « peuple défait, sans yeux, sans poings, sans moelle ni cervelle » : e pòble pr’aquò en errança, coma ieu, coma ela, coma totes, dedins aquela nuòch que creseguères bon de mirgalhar d’un estelam que se trufa del pòble26 (Letras d’òc 2009, 10-11). 32 L’amour du prochain n’est absolument pas inné comme l’annonce une citation de Maurice Clavel en guise d’introduction aux poèmes de « Cadun los seus - À chacun les siens », initialement publiés, pour la plupart, sous le titre de Ponteses en 1976 et repris dans L’Escritura publica o pas : Je n’aime pas les hommes, j’espère un jour pouvoir les aimer. La plupart de mes tentatives me rebutent, accusant mon vide. Je donne du vent, comme ce radiateur que je purge. Il faut être trempé en Dieu, non, trempé de Dieu pour aimer : mourir et ressusciter — c’est parfois possible, par grâce — de l’incandescence de cette haute tension qui passe… (I.E.O. 1988, 101).

Le « je » et la mort

L’angoisse de la mort de la parole familiale et sociale est pour le poète Yves Rouquette « lo freg » qui fige ou rend les souvenirs pesants. Mais il ne peut reprendre les « clichés » du passé qui redonnerait de la force à la honte (vergonha) originelle. Cette poésie est dépassée, nous dit-il dans « La nuòch del ventre » d’où le poème est lancé vers l’avenir : Dins mas paraulas reganhudas siái pas brica l’estrangièr que pels òmes sens futur Negre siái de maire negra de paire negre e esclau e al mièg del ròse e del verd del ventre de ma maire m’ausissi caminar cap al jorn27 (Letras d’òc 2005, 62-63). 33 C’est ainsi que Roèrgue, si se termine sur deux poèmes manifestes : « Salut » où se succèdent des associations humoristiques d’images où le poète s’agenouille dans l’herbe à la façon des vaches et « En armas » où il conjure la mort, en pratiquant un deuil au quotidien. Cette mort, il la voit derrière lui et elle n’a donc plus de pouvoir sur le « nous » puisque le paysage rouergat arme les hommes : cap e tot siám vestits de lusèrnas verds de colèra

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en armas coma de castanhièrs abitats del bonur de las trochas dins lo grand trepadís del temps28 (Letras d’òc 2009, 64-65). 34 La mort n’est jamais définitive puisque le corps peut faire bouger « la pèl de la tèrra » comme l’enfant « lo ventre de la femna » (I.E.O. 1988, 10-11) ; et, à la mort d’Estòqui son mentor, le narrateur du Poèta es una vaca reste imprégné par l’image mouvante et rythmée du « balalin-balalan de calelhas » qui lui permet de rester conscient de la mort réelle de cette figure paternelle29 (Cap l’Oc, 14).

Le « je » et la parole

Le poète est celui qui saisit la révolte intérieure des hommes du pays dont il est issu, et qui rappelle leur parole (« parlar », « parli ») afin ne pas se livrer à une dérisoire énumération de mots mourants. Toutefois, la parole ne peut rester forte et vivante que si elle débouche sur la « pacha » évoquée dans Lemosin’s blues. Elle se matérialise par un contact de la main de la part des négociateurs en fin de discussion. La « pacha » les engage et les responsabilise après l’échange. (Letras d’òc 2005, 10). Mais pour arriver à cet accord, la parole doit être portée par le mot juste et prendre force dans un ton juste, tantôt lyrique, tantôt satirique ou élégiaque et a mezza-voce, « comme pour une confidence » indiquent les dictionnaires. Les poèmes « Secreta » de La Messa dels pòrcs et « Quand parli » de Roergue, si, ses deux recueils de 1969, présentent cette voix retenue et patiente qui permet au poète de transmettre la violence du cri intérieur :

Quand parli amor e vergonha o revòlta ai pas besonh d’auçar la votz Al dintre A mièja-votz d’aqueste pòble escorgat cal parlar de l’amor. ai pas jamai quitat d’anar A bramals de la tèrra raubada, d’esbleugiment en esbleugiment a ponhs sarrats amb nòstre pòble, davant son onestetat a dents copadas, a contra-jorn, sa paciéncia de la lutz que de còps endevinhi.30 sa fòrça josterrana pasibla e terribla (Letras d’òc 2009, 22-23) e aquel crit e aquel crit que monta emai de las bocas clavadas de totes los fonccionaris del freg31 (Letras d’òc 2009, 54-55).

35 Dans Roèrgue, si, pour tenir à distance la pensée standardisée et standardisante, Yves Rouquette s’appuie sur des antithèses et privilégie la disposition spatiale sur la page, les reprises lexicales et les anaphores. Réédités dans Pas que la fam - La faim, seule (2005), les poèmes de Roèrgue, si, avec titres et point final d’achèvement uniquement, ne sont plus distincts des vers choisis des recueils Òda a Sant Afrodisi et Los negres siam pas sols.

36 Et Yves Rouquette a particulièrement utilisé la virgule pour faire de ses titres des affirmations volontaristes : « si » pour Roergue, si, « siam pas sols » pour Los Negres, siam pas sols et dans le titre français, « seule » pour La faim, seule, « publica o pas » pour L’Escritura, publica o pas ou encore « non » dans son article de Folklore « L’imitation servile, non ». Cette virgule de pause introduit l’idée d’une question-réponse intérieure,

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un doute mais aussitôt, une détermination, une affirmation. On trouve aussi les deux points qui introduisent une parole plus directe même si la parole du poète est rarement détournée et le point d’interrogation qui pose l’apparent problème de la fracture bilingue de la gorge « Asclada ta garganta ? » pour finalement l’écarter car le « deux » est finalement principe créateur. En deux mots, s’il veut naître, le poète imprégné des paysages et des hommes sait qu’il doit maîtriser sa pensée grâce à la raison (rason, si), creuser avec paciéncia (patience) pour comprendre (comprene, si) ; et se dépasser (ausar, si), tout en fuyant absolument « tot pintoresc » (tout pittoresque).

Un « je » en métamorphose

L’existence du poète n’est réalisée que par les mots, et si la mort des mots est destructurante, le poème, lui, ramène de l’ordre. Le récit Lo Poèta es una vaca est dédié à Gerrit Achterberg puisque son titre est la traduction de ses vers intitulés « De dichter is een koe », et aussi à Jean Boudou. Yves Rouquette rappelle dans son récit qu’Achterberg, traduit par Henk Breuker sous le titre de Matière, avait été édité par Frédéric-Jacques Temple et François Cariés en 1952 (Cap l’Òc 2013, 37). Le poète néerlandais a mis à jour un « je » qui éprouve la disparition de l’être aimé disparu mais dont le moi du poète engagé psychiquement reste en retrait quand le poème arrive pour devenir un objet réel. Selon le poète néerlandais, cet effacement du moi révélait une très forte puissance à l’intérieur qu’il désignait comme un grand Vous. Et en mettant la mort qui n’a cessé de le ronger au cœur de sa création, il a aboli des frontières pour devenir homme-animal, ou surtout homme-femme comme dans « Sexoïd » (poème de la période 1946-1948) : Ik ben een man geworden met twee lijven, nl. dat van mij en van mijn vrouw32 (Constantijn Huygens Instituut, 2000, 380). 37 Achterberg, qui en était venu à tuer la femme aimée, qui avait vécu dans un asile d’aliéné, qui avait développé le thème d’Orphée et s’était voué à une écriture poétique devenue recherche de l’absolu, a été une voix à laquelle Yves Rouquette et Jean Boudou ne sont vraisemblablement pas restés insensibles.

Un « je » du côté du vivant

Yves Rouquette a été fidèle à sa langue, aux gens de son pays et au paysage aimé qui ne se dépeint pas, mais qui, une fois que les souvenirs de l’enfance l’ont marqué, devient le visage du destin : l’enfant Yves Rouquette avait eu une révélation évoquée dans Lo Poèta es una vaca : Es dins aquel perièr que montavi, es a aquel endrech, entre aqueles dos garrics, a aquel viral del camin, aquí ont l’èrba èra tan corta qu’aprenguèri un matin coma l’aubièira podiá èsser quicòm de tan bèl e de tant angoissós. Lo grand silenci, la primièira lusor del matin suls cristals e ieu davant, sèt ans, que m’agromelissi per veire, veire, veire a se n’emplir los uòlhs a se quitar prene tot, uòlhs e ventre pel pampalhejar de l’èrba corta, a se quitar emplenar tot. E puèi a te levar a la perfin e lo mond es banal e corrisses que vas èsser en retard : lo pontilh, la comba de Cèrç e aital33 (I.E.O. 1967, 18-19). 38 Au fur et à mesure que les siens ont disparu, l’absence s’est creusée, le paysage a été modifié par les bulldozers et les gens ont déserté leur pays à cause de la guerre d’Algérie ou des raisons économiques. L’écrivain a alors relu son récit du Poèta es una

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vaca entamé à Nîmes en avril-mai 1956 et terminé à Béziers en mai 1966, et il semble avoir alors accepté que chaque chose soit à sa place et qu’il doive, lui aussi, le poète, trouver sa propre place dans ces lieux et dans un imaginaire en cours de reconfiguration. Dans « La Comba » (il s’agit de la Comba del Monge ou Combe du Moine) du Castel dels Cans (1977), le poète se retrouve dans un paysage que les agriculteurs ont concrètement modifié, mais il dépasse les sentiments de regret et de nostalgie en goûtant la réalité d’une permanence : Ara i a de barbelats de pertot e de vacas al mièg. Passi las oras a las pregar Devòtament Entre que mos enfants carbomban coma fasiái quand èri trace34 (I.E.O. 1988, 86-87). 39 Le petit enfant fragile semble avoir reçu son énergie de son contact physique avec la terre, l’herbe, la nature. Mais cette vigueur joyeuse, aimante et rassurante est indissociable de la conscience de la mort, quelques pages plus loin, dans « Pensant a Pons, Josèp Sebastia » : A cima arriba que davala del cèl una immensa claror alleugerint el pas de les donzelles O solament la certitud, a te copar braces e cambas, que vas morir35 (I.E.O. 1988, 94-95). 40 Dans une langue dont les mots meurent, le poème protège l’éblouissante aventure de la vie exprimée dans certains passages en prose du Poèta es una vaca (1967) : Una cambeta que me fasiái en plena corsa e, pataflòu, tot lo verd de la tèrra m’arribava pel morre, puèi tot lo cèl, puèi l’èrba mai, e a caribombar fins qu’a sentir pas pus ont son cambas e braces36 (Cap l’Òc 2013, 38).

Conclusion

41 Yves Rouquette a pratiqué une relecture décalée dans le temps qui fait partie de son activité littéraire. Lui, qui se voulait dès 1958 « Escriveire public » dans son poème manifeste à destination des hommes et femmes modestes, est un des écrivains parmi les plus attentifs aux ouvrages de ses contemporains écrivains en langue occitane. En 2013, l’éditeur Vent Terral a ainsi réuni dans En Occitan : Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, deux cent vingt-trois chroniques initialement rédigées en français pour le journal de La Depêche du Midi entre 1974 et 1983. Et Yves Rouquette a aussi régulièrement sélectionné des extraits pour des ouvrages scolaires et des ouvrages en français autour de sujets divers, très tôt prêté sa voix pour des enregistrements de troubadours et des documentaires, été dramaturge et a collaboré avec des plasticiens et musiciens. Son travail de traducteur d’œuvres, notamment celui de Joseph Delteil, a enrichi l’analyse qui peut être faite de cette écriture si particulière du domaine littéraire en langue française. La poésie d’Yves Rouquette, animée par une langue de communication pourtant marquée du sceau de la mort mais nourrie par des contacts avec des hommes, femmes et enfants croisés dans la vie quotidienne et des artistes choisis, révèle quant à elle, une exigeante et vivante aventure de l’être.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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NOTES

1. Né le 29 février 1936 à Sète et décédé le 4 janvier 2015 à Camarès. 2. Dans le cas d’ouvrages réédités, les références des ouvrages d’Yves Rouquette renvoient aux éditions les plus récentes dans la mesure où elles ont été effectuées du vivant du poète en accord avec les éditeurs I.E.O. Messatge, Cap l’Òc, Letras d’òc. 3. Selon le témoignage d’Yves Rouquette dans son article de Folklore, à la parution de Paciéncia en 1968, Josep Sebastià Pons le fustigea : … on dirait que vous écrivez pour avoir une bonne note. 4. L’esthétique, ce n’est jamais qu’un rebut de la mode. La beauté s’en moque. La beauté est ailleurs. Son éclat est la splendeur de ce qui est vrai. Elle surgit, nue, du lieu où rien ne l’avait annoncée. […] La beauté est morale. Oui : morale et sans cesse insurgée ; et quand elle passe pour contemplative, élégiaque, litanique ou liturgique, elle se raidit face au mépris de toute valeur morale, comme un contrepoison face au destin (trad. J. G.). 5. Honorat Ciuró est né à Camelas en 1612 et y est décédé en 1674. Il s’est occupé de la communauté de Thuir mais il regagnait souvent son ermitage de Saint Martí de la Roca. Son Dietari (ou Livre de raison) a inspiré J.-S. Pons. 6. J’aimais sa poésie économe de mots / la voix de ses poèmes, grise / comme celle d’un vent qui passe / sur l’eau plane d’une mare, / son obstination citoyenne à se vouloir / beaucoup plus qu’un poète : un homme utile à d’autres (I. R.). 7. Les statues-menhirs sont aujourd’hui largement exposées au public. Plus tard, Estève Regul lui fera aussi découvrir le site préhistorique au sud de la Cella du prieuré de Saint-Michel-de- Grandmont. Il lui dédiera son « Ensag d’ofici a la tenèbra de Grandmont — Essai d’office à la ténèbre de Grandmont » (I.E.O 1988, 372-389). 8. Et cum ipso et in ipso / moi, toi, lui, nous, vous, eux / qui ne faisons pas d’ombre au soleil […] comment voudrais-tu / que nous puissions quelque chose / pour ton honneur et pour ta gloire / durant ces jours que rien ne fait ? (I. R.) 9. Ceux dont le métier est d’écrire (I. R.). 10. Puis une seconde femme et nous deux Jean, / et nos départs vers les jardins, / où, avec la plume pour pioche, / nous voulions arracher à la vie / les autres vies qu’il nous fallait / pour ne pas désespérer de la nôtre (I. R.). 11. C’est en force qu’il faut / écrire ou construire (I. R.). 12. Prie, mon frère, dis-lui / que le temps va et vient et vire / au jour, au mois et à l’année / et nous, comment nous avons tourné avec lui / et nous en avons honte (I. R.). 13. La honte nous tient, tu as dit / Tu as dit, tu as dit et d’autres / se sont levés ici qui ont dit : / Nous n’avons pas besoin / d’une lumière / venue d’ailleurs / que du fond de nos ventres (I. R.). 14. Ce bruit au fond du noir : / peut-être Dieu qui rêve, / te serrant le cou dans ses mains (I. R.). 15. Peut-être l’air qui passe en sifflant / dans tes poumons et tu t’étouffes / dans les tourbillons de fumée / aux après-midi de brasier (I. R.).

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16. Et maintenant, mon père, nous sommes seuls. / Seuls et pauvres et désemparés / devant ton grand corps étendu, / sans espoir / ni que ton règne nous arrive / ni que notre volonté soit faite / ici / où nous aimions vivre (I. R.). 17. Je suis malade de souvenirs. / Plein à crever des miens / et aussi de ceux / de mon peuple sans mémoire (I. R.). 18. Se marrer, / comment dit-on cela dans mon pays ? / Je l’ignore (I. R.). 19. Au château, il n’y a / que vide sur le vide, / touristes, / et cris de corneilles (I. R.). 20. C’est vous qu’on a bien du mal / à aimer, attelés / à engraisser les vers (I. R.). 21. Ta gorge est fêlée ? Et après ? [...] Remède : aiguiser les couteaux / l’un sur l’autre et nous tourner / vers le bleu des sommets / et aboyer, / nos yeux dans les yeux de génisse / du pays entre Sorgue et Viaur (I. R.). 22. Tenir fermement le manchon de la charrue ou bien mener une affaire, une entreprise... (I. R.). 23. La raison n’est qu’un bœuf / qu’il faut charger serré / et mener ferme (I. R.). 24. Le soleil est noir aussi / confronté à notre histoire / Et les chemins perdent patience / à devoir aller toujours / dans le même sens obligé / Colle-toi / à ce corps : / aux carrefours les signes changent (I. R.). 25. Nous avons une raison / faite pour démonter / la mécanique du malheur (I. R.). 26. Et peuple pourtant / en errance / comme moi, elle et tous / dans cette nuit que tu crus bon / d’émailler de millions d’étoiles / qui se moquent du peuple (I. R.). 27. Dans mes paroles grinçantes / je ne suis l’étranger / que pour les hommes sans futur / Noir je suis, de mère noire / de père noir et esclave / et du fond du rose et du vert / du ventre de ma mère / je m’entends cheminer vers le jour (I. R.). 28. De la tête aux pieds nous sommes / vêtus de luzernes, verts de colère / en armes comme des châtaigniers / habités du bonheur des truites / dans la grande ruée du temps (I. R.). 29. La peau de la terre – Le ventre de la femme - Le balancement des lanternes (trad. J. G.). 30. C’est à mi-voix / qu’il faut parler de l’amour / mais en hurlant de la terre volée, / à poings fermés avec son peuple / à dents cassées, à contre-jour, / de la lumière que parfois je devine (I. R.). 31. Quand je parle / amour et honte ou révolte / je n’ai pas besoin / de hausser le ton (I. R.). Au dedans / de ce peuple écorché / je n’ai jamais cessé d’aller / d’éblouissement en éblouissement / devant son honnêteté / sa patience / sa force souterraine paisible et terrible / et ce cri / et ce cri qui monte / même des bouches fermées / de tous les fonctionnaires du froid (I. R.). 32. Je suis devenu un homme avec deux corps, / c.-à-d. le mien et celui de ma femme (Trad. H. Breuker) 33. C’est dans cette côte pierreuse dont je faisais l’ascension, c’est à cet endroit, entre ces deux chênes, à cette courbe du chemin, là où l’herbe était si courte que j’ai appris un matin combien la gelée blanche pouvait être une chose extrêmement belle et angoissante. Le grand silence, la première lueur matinale sur les cristaux et moi devant, à sept ans, qui m’accroupis pour voir, voir, voir, en remplissant mes yeux, en me laissant absorber entièrement, yeux et ventre, par ce scintillement de l’herbe courte, et me laissant totalement immerger. Puis, quand tu te redresses enfin, le monde est banal et tu cours ensuite pour ne pas être en retard : le petit pont, la combe du Cers et voilà (trad. J. G.). 34. Maintenant il y a des barbelés partout / et des vaches au milieu / que je prie pendant des heures / tandis que mes enfants font des roulades / comme je faisais, tout petit (I. R.). 35. Au bout il arrive que descende du ciel / une immense clarté / qui rend léger le pas des jeunes filles / ou seulement la certitude, / à couper bras et jambes, / qu’on va mourir (I. R.). 36. Je faisais une culbute en pleine course et, vlam, tout le vert de la terre arrivait sur mon visage, puis tout le ciel, puis encore l’herbe, et à cabrioler jusqu’à ne plus sentir où sont bras et jambe (I. R.).

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AUTEUR

JOËLLE GINESTET

Université Toulouse-Jean Jaurès, ELH-PLH

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 88

Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Mémoire et histoire engagées

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Lengadòc Roge d’Ives Roqueta, escriure per bastir una memòria : 1851 cossí bastir un remembre escafat ?

Gauthier Couffin

La pròsa d’Ives Roqueta, la necessitat de la memòria

Lo remembre de se, de sa pròpia istòria, d’en primièr amb Lo Poeta es una vaca son los sovenirs personals d’Ives Roqueta que son prepausats coma viatge dins un temps e dins un país pel legeire. Mas lo sovenir es tanben lo remembre collectiu, la memòria comuna qu’a partir de las istòrias personalas fargan amassa l’Istòria granda : es la dinamica de Lengadòc Roge. 1 Ives Roqueta conta çò seu, e pren lo partit d’afortir que la vertat es pas lo problèma de la literatura, es que tot çò qu’escriu es seu, ven d’el. Mas subretot considèra tanben que dins sos remembres personals, dins l’individualitat de çò que foguèt per exemple son enfança a el, i se pòt trapar lo comun, l’universal que sap faire sortir lo poeta.

2 Çò qu’es aicí es d’en pertot, çò qu’es pas aicí es pas enlòc (Roqueta 1977) nos ditz Ives Roqueta dins son recuèlh de poesia Lo castel dels cans. Aquesta frasa la tornam trapar justament dins la boca d’un dels personatges de Lengadòc Roge coma un leit-motiv. 3 Tanben Lengadòc Roge, de l’òbra tota en pròsa d’Ives Roqueta sembla lo roman que mai desvolopa la tematica de la memòria, del remembre a l’encòp individual e collectiu. Plan segur lo libre se presenta primièr coma los memòris del personatge d’Armand Miquèl. Personatge fictiu que la paraula li es donada per contar çò qu’es pas estat contat. A mai la question del rapòrt entre la realitat e la ficcion demòra per Ives Roqueta una question falsa : Coma ditz Bodon, « Tot es vertat. » Cada causa es vertat e apuèi i a çò autre que deuriá èsser vertat a son torn. (Roqueta, entreten amb l’autor 11/05/08)

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4 Dempuèi l’Escriveire public : se faire la votz d’aquel que parla pas, dire çò qu’es pas estat dich, escriure per que los mots s’escafen pas es una tissa gaireben obsessionala per Ives Roqueta que benlèu culmina dins Lengadòc Roge. E es un pauc un d’aquò’s que me ròda dempuèi l’istòria de l’escriveire public : èsser la pluma de lo qu’escriu pas, èsser lo racontaire d’un tipe que raconta pas. (Roqueta, entreten amb l’autor 04/06/09) 5 Salvar de l’oblit la paraula, lo passat, la memòria perque cada istòria individuala carreja en ela sa part d’universalitat, aquí lo ròtle de l’escriveire public, lo ròtle qu’Ives Roqueta vòl, el, donar a son escritura amb Lengadòc Roge.

6 La memòria necessària a l’escrivan, es tanben indispensabla dins son rapòrt al legeire, dins lo numèro d’Auteurs en scène que li es estat consacrat Ives Roqueta confessa : Le contact avec le public m’a conduit à penser que tout texte doit pouvoir vibrer résonner en écho dans les mémoires, aller y faire monter ces vagues d’images sans lesquelles il n’y a pas d’émotion. (ed. Lebau 2004, 9) 7 Ròtle essencial de la question de la memòria dins la creacion de Lengadòc Roge. La causida de situar la debuta de l’accion de çò qu’èra presentat coma una saga, amb lo còp d’Estat de Loís-Napoleon Bonaparte en 1851 es relacionada a l’enveja de daissar pas disparéisser lo remembre d’aqueles eveniments o puslèu de reviscolar lo remembre desaparegut. Lo sentiment d’Ives Roqueta a prepaus del periòde de 1851 es qu’es un periòde mal conegut, e pasmens un moment important dins l’istòria del País Occitan, un moment que marca lo començament de quicòm. Tanben per Ives Roqueta afortissiá volontièr l’importància qu’un escrivèire se deu de donar al temps passat : Òm escriu que del passat. Lo futur cal èsser fòls per l’imaginar, nos aparten pas e sai pas s’aparten a qualqun. Lo present, tanlèu qu’es present, cabussa dins lo passat. […] Alara se sovenir, es una de las foncions essenciala de l’òme. Se cal sovenir. E se cal sovenir de son aventura, e se cal sovenir de l’aventura de l’umanitat tala que l’avèm pel cap conoscuda e questionada. (Roqueta, entreten amb l’autor 11/05/08) 8 Argerianas publicat un detzenat d’annadas aprèp Lengadòc Roge esclaira l’òbra d’Ives Roqueta sus la question de plaça de la memòria dins l’escritura. Dins aquel raconte de viatge trobam l’illustracion d’aqueste sentiment que la memòria es necessària e mai per l’escriveire, indispensabla. Los passatges introspectius que son nombroses dins lo libre permeton de fargar una grasilha de lectura per una melhora compreneson dels enjòcs de l’òbra tota d’Ives Roqueta e lo biais de l’escrivan de pensar e realizar son prètzfach : Mon trabalh d’escritura es pas estat jamai qu’un trabalh sus l’òrle, l’escruma dels sovenirs. (Roqueta 1994, 51) D’acostumada tòrni de mos viatges, luènches o pròches amb un cargament de cartas postalas […] Ajudan al sovenir. A partir de l’imatge m’arriba de poder tirar suls fialses d’una memòria, infidèla e malsegura, de recompausar un moment, una orada, de retrobar un fum de detalh materials, emai de visatges que cresiái pas solament los aver enregistrats. (Roqueta 1994, 52) 9 Vesèm aital l’escriveire se pensar coma un fargaire de sovenir, un trabalhador de la memòria, que cava dins sa mementa per tornar bastir sul papièr. Se poiriá benlèu pensar que mai luènh qu’Argerianas, granda part de l’escritura d’Ives Roqueta foguèt aital pensada coma un trabalh sus « l’escruma dels sovenirs ».

10 Lo simbòl que çò que pòt representar la memòria en cò d’Ives Roqueta lo traparem dins un moment fòrt del raconte d’Argerianas. Ives Roqueta amb d’autres escrivans, franceses e argerians, que son recampats en Argeria, se’n va un vèspre veire lo cementèri de la vila de Zeraïdi ont se tròban.

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11 Aquel cementèri francès es estat profanat, destrusit e abocinat a la fin de la guèrra d’Argeria. L’autor ne fa un retrach d’una espantosa beutat ont l’orror de la violéncia de las profanacions sistematicas es denonciada, mas ont podèm entreveire a travèrs aquela pintura l’imatge metaforic de çò qu’es la memòria. La tablèu dispausa dins aquel cementèri de las parets arroinadas, de falguièiras, d’arronzes, d’èrbas salvatjas e vivas, una granda crotz de fonta negra e rovilhada qu’es la sola a èsser pas estada derrabada, de lausas esclafadas, abocinadas, aneientidas, que cap es pas demorada entièira, puèi los bocins, lausas e croses totes recobèrts e entrepegats dins una meteissa dala de ciment que venguèt barrar los traucs del cavòts e recobrir totas las tombas d’una soleta capa ont foguèron pegats, entremesclats los tròces de lausas. Imatge fòrt e potent ont los noms e las datas inscrichas sus las lausas desaparéisson, dins un grand puzzle macabre, mas ont un arglantièr enòrme plega pasmens jos sas flors. Aquel tablèu grèu e prigond que trobam en posicion exactament centrala dins lo raconte d’Argerianas, nos presenta a travèrs d’un imatge vist e d’emocions viscudas per l’autor, çò que poiriá èsser la memòria en cò Ives Roqueta. 12 Un sant fum de bocins de vidas del monde tot, agropat dins una sola dala, jos l’autoritat dels aujòls, dels mòrts entremièg la beutat salvatja de las falguièiras e l’esperança amb las flors d’arglanièrs. Los mòrts, aital designats, son omnipresents dins la poesia d’Ives Roqueta e dins sos escriches coma los companhs necessaris de la creacion literària : Dempuèi totjorn, lo que son mestièr es d’escriure sa plaça es al mièg dels mòrts. (Roqueta, 1989)

1851 dins lo projècte Lengadòc Roge

Se poiriá longament desvolopar aquesta question de la plaça de la memòria a travèrs tota la produccion en pròsa d’Ives Roqueta, e lo diptic de l’Ordinari del monde permetriá sens cap de dobtes de cavar mai prigondament aqueste subjècte. Tornam ça que la a Lengadòc Roge per assajar de veire quina memòria se bastís aquí. Un autor que s’acara al genre del roman istoric causís d’esclairar un temps de l’istòria. 13 De segur s’agís de fargar amb la literatura un otís de memòria que vendriá contar una istòria e tanben solide contar l’Istòria. Lo motor essencial de la creacion d’aquel roman sembla de segur de residir dins la trama prevista per l’ensemble d’aquela òbra. A la basa del projècte d’escritura sembla de se trapar aquela idèa del primièr roman socialista occitan (Roqueta 1977). La volontat de reunir jos una sola entitat literària d’eveniments màgers per l’Istòria d’Occitània e per l’Istòria del moviment socialista — per servar la formula que Roqueta presenta a mòda de galejada dins Lo trabalh de las mans — sembla prigondament ligada a la naissença de Lengadòc Roge.

14 A travèrs las evolucions del personatge central, Armand Miquèl, al fial dels eveniments, se serián vistas tanben las evolucions e los cambiaments d’un país e de las mentalitats de sas gents dins lo passatge d’una societat a una autra, d’un sègle a un autre, dins un periòde ont los tremolums politics, economics e social foguèron enòrmes. La causida d’escritura se ven plaçar tanben per Ives Roqueta dins aquel projècte d’un larg raconte d’un periòde estraordinàriament dense en moments istorics decisius dins l’Istòria del pòble en Lengadòc : Quand pensèri qu’un mème òme podiá aver viscut en plena enfança 1851 e qu’en 20, podiá èsser vièlh mas pas mòrt, me soi dich que podia èsser amusant de butar aquò. […] Mas pensavi qu’èra una causa fantastica que dins l’istòria d’aquel país a aquel moment, òm poguèsse aver aquò. (Roqueta, entreten amb l’autor 11/05/08)

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15 Podèm veire a l’origina de tota motivacion per l’escritura de Lengadòc Roge, la volontat de contar dins una òbra literària que seriá d’inspiracion a l’encòp occitanista e socialista, d’eveniments que son per Ives Roqueta importants per l’Istòria e la memòria d’un pòble d’Òc e evidentament d’un pòble Roge.

16 Mas o sabèm ça que la, del projècte tal coma èra estat pensat ne poirem veire qu’aqueste tròç “Los Enfants de la Bona” primièra partida de la saga Lengadòc Roge que veirà pas jamai lo jorn. 17 La saga de Lengadòc Roge nos conta doncas l’annada 1851 jos la segonda Republica. Nascuda de la revolucion de febrièr de 1848, aquela Republica foguèt dins un primièr temps un grand moment d’esperança per las classas popularas amb l’introduccion del sufragi universal, la liberalizacion del regime de la premsa que premetèt una difusion melhora de las idèas rojas, la creacion dels talhièrs nacionals. Pasmens lo primièr volum comença al moment que lo regim es en tren de cabuçar dins l’autoritarisme. Los personatges del band republican abans lo moment del còp d’Estat son mostrats coma partetjats entre l’espèr d’un cambiament qu’arribariá en 1852 siá amb las eleccions presidencialas, siá d’un autre biais, e d’un autre costat la crenta que lo poder venga encara mai autoritari e repressiu. 18 D’un autre costat, fixar la debuta de la saga Lengadòc Roge al moment del còp d’Estat de Bonaparte èra tanben metre lo roman jol signe de la resisténcia. Los moviments populars que se manifestèron notadament en Lengadòc a l’anóncia de la novèla de la dissolucion de l’amassada pel Prince-President, foguèron pas de moviments purament revolucionaris, mas efectivament de moviments de resisténcia. 19 Lo primièr moviment istoric evocat dins Lengadòc Roge es aital un moment d’insureccion per la defensa de l’òrdre establit mai que non pas una revolucion. Sembla qu’aquela dimension aguèsse agut son importància e lo fach que lo moviment siá en granda part legalista e prenga la defensa de la Republica en conformitat amb los articles 68 e 110 de la Constitucion de 1848 que balhan coma dever al pòble de defendre la Republica es essencial. Lo mond, tal que los vesèm dins Los enfants de la Bona, se son batuts en mai del combat per la defensa la Republica tala coma èra, per la possibilitat que semblava portar en ela aquesta Republica de menar a l’aveniment de La Bona. Aquela istòria es aital presentada coma l’istòria d’un espèr assassinat. 20 Efectivament es de notar qu’aquel moment de la resisténcia al còp d’Estat de Bonaparte en 1851 ont començan las aventuras d’Armand Miquèl constituís istoricament una desfacha pel pòble. Aquela desfacha serà seguida dins lo raconte dels autres moviments istorics per çò que se pòt considerar coma d’autras desfachas per las classas popularas e per Occitània. Pasmens aquel moment constituís tanben tant pel país Occitan coma pel moviment obrièr la naissença de quicòm.

Contar 1851 : una dificultat ?

Dins la seguida d’eveniments istorics previstes dins l’arquitectura de Lengadòc Roge, es segur que la Resisténcia al còp d’Estat de Bonaparte en 1851 es pas l’eveniment istoric mai conegut, nimai mai famós en cò del public occitan. 1907 e Marcelin Albèrt, la Comuna de Narbona cantats per Claudi Marti, constituisson de periòdes mai familhièrs per un legeire occitan de mercés notadament al trabalh de vulgarizacion efectuat pels cantaires de la nòva cançon occitana. Ça que la, 1851 es pas tanpauc completament

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escafat e d’unes trabalhs de l’istoriagrafia occitana o quitament occitanista de la annadas 1970/1980 botèron en lutz aqueste periòde : 21 Amb la segonda Republica e la resisténcia al còp d’Estat de 1851 nais una Occitània Roja. L’idèa es defenduda per tres obratges de las annadas 70-80 : 700 ans de révoltes occitanes de Gérard De Sède, Histoire d’Occitanie de la còla constituida per Lafont e Armengaud e Descolonisar l’istòria occitana de Joan Larzac.

22 Dins son trabalh de compilacion del eveniments istorics en Occitània e son trabalh de critic de l’istoriografia francesa, Joan Larzac porgís una vision del periòde qu’es essencialament centrada sus la tematica de la revòlta. Les révoltes occitanes de décembre 1851 signent ainsi l’acte de naissance de ce « Midi Rouge » aux traits profondément originaux qui, depuis lors, s’est si souvent affirmé, dans les luttes populaires comme dans les urnes. (De Sède 1982) 23 La resisténcia al còp d’Estat del 2 de decembre dins l’Histoire de l’Occitanie d’Armengaud e Lafont es estudiada per departament e per region. I vesèm las mapas electoralas e subretot la mapa del moviment de resisténcia al còp d’Estat qu’efectivament marca un contraste pron net entre la part occitanofòna de França e lo demai del país. Sur les 9 départements insurgés […], 8 sont occitans. Sur les 22 départements où des troubles se sont produits 16 sont occitans. (De Sède 1982) 24 Los grands fogals de l’insureccion en Occitània tal coma son presentats aquí son Gèrs e Òlt-e-Garona, la part Oest d’Eraut, e mai que mai Provença amb Var. L’accent es metut sus la disproporcion de la repression sanguinosa dels insurgents amb lo detalh de las arrestacions e deportacions dins los departaments mai trebolats e l’article s’acaba sus la precision que los insurgents : […] voulaient non seulement combatre le coup d’Etat les armes à la main, mais aussi instaurer la République démocratique et sociale. (De Sède 1982, 742) 25 Amb d’apròchis diferents cadun d’aqueles tres obratges demòra restacat a una pensada clarament d’esquèrra e l’agach donat sul passat del país d’Òc, porgís dins cada cas una vision partisana de la memòria occitana. Dins lo trabalh de reconstruccion d’un passat escafat de la consciéncia collectiva occitana — per tant qu’aquela consciéncia existiguèsse — l’insurreccion, civica per la defensa de la Constitucion o revolucionària per l’aveniment de la Republica sociala, ocupa una part non negligibla dins aquela istoriografia occitana e se situa aital pas talament luènh del projècte de Lengadòc Roge d’Ives Roqueta ont 1851 es la debuta per Occitània e pel pòble de quicòm de novèl que passa per lo refús de çò impausat per la fòrça.

26 Se vei doncas que, sens èsser un temps istoric propiament popular, la segonda Republica e 1851 son pas totalament absents del trabalhs de recèrcas del monde occitan de las annadas 1980. Mas per aquò, degun poiriá pas afortir que fagan partida d’una memòria collectiva occitana.

Faire viure un temps escafat : l’exemple del carnaval

Lo trabalh de l’escriveire es pas pr’aquò lo de l’istorian e per contar l’Istòria "Roja e Occitana" Roqueta deu trabalhar la materia viva dels personatges e dels eveniments. L’escriveire vòl a l’encòp faire descobrir al pòble d’òc una istòria qu’es seuna e faire que la se pòsca apoderar. S’agís pas trabalhar sus d’estatisticas nimai de cronologias estrachas mas de rendre viu un periòde, de lo rendre versemblable al legeire e de faire

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qu’aqueste periòde entre en ressonància amb las memòrias dels legeires. Per assajar de capitar aquela escomesa Ives Roqueta pren lo partit d’apuejar son raconte un temps fòrt lo carnaval de Capestanh qu’ocupa en volum una plaça plan importanta dins Lengadòc Roge e que probablament poirà trobar resson dins l’imaginari de son lectorat. 27 Lo capítol segond dels Enfants de la Bona es lo raconte de la jornada del dimècres de la cendras de 1851 dins lo vilatge de Capestanh. Titolat « Lo dimècres de las cendras » aqueste capítol d’un cinquantenat de paginas marca vertadièrament la debuta de la novèla. Es long e pr’aquò tota l’accion se debana en un sol luòc, en un solet jorn. Presenta una jornada excepcionala d’aquel vilatge país-bassòl a travèrs l’agach del personatge-narrator Armand Miquèl qu’a dotze ans a aquel moment.

28 La fèsta del Carnaval tala coma la descriu Ives Roqueta es una fèsta populara inscricha dins una larga tradicion occitana. Se debana segon de rituals establits ont los membres del vilatge segon lor estatut jògan de ròtles precises. 29 Lo Carnaval de Capestanh es tanben benlèu un pretèxte per l’autor de descriure una societat viva e conviviala e de dreiçar lo retrach d’una fèsta tipicament occitana a un moment ont dins las annadas 1980 son a se reviscolar un pauc d’en pertot en Occitània las fèstas de Carnaval. A l’epòca ont foguèt publicat Lengadòc Roge, en 1984, en granda part jos l’impulsion del moviment occitanista, se reapropriava un pauc d’en pertot, tant dins los vilatges coma dins las vilas, la fèsta populara tradicionala del Carnaval per ne faire un moment important de convivialitat, d’escambi e de divertiment. Parla d’un Carnaval es s’adreiçar a un legeire occitan e li parlar de quicòm que coneis, qu’a viscut e que li es pròche quitament se l’accion del raconte se passèt un sègle e mièg abans. Dans les années 1965 et surtout après 1968, la fête languedocienne prend un nouveau départ. Un peu partout, d’anciens carnavals renaissent, l’infantilisation des masques ne s’impose plus, la jeunesse et les anciens, ensemble, surmontent la honte e retrouvent plaisir à la mascarade […].Si le carnaval n’a pas encore reconquis tout son ancien territoire, rares sont les lieux où quelques activistes ne complotent pas son retour. (Fabre 1977) 30 A Tolosa, per exemple, un grand Carnaval popular se tòrna organizar a comptar de 1981 e capita de recampar en 1984 fins 150 000 personas (Sicre 1984) per las carrièras de la ciutat mondina. Podèm veire dins aqueste capítol tanben un omenatge a las practicas festivas popularas occitanas. Efectivament lo Carnaval, tal coma es pintrat aquí, sembla de tornar prene dins son debanament d’elements eiçuts de diferentas fèstas tradicionalas de diferents vilatges de Lengadòc e d’Avairon.

31 A travèrs la pintura que fa Roqueta d’un eveniment tradicional, nos mòstra lo sens que balha a la tradicion. Aital Roqueta afirma dins lo retrach que fa del carnaval de Capestanh l’importància de sacralizar pas la tradicion, coma o explicava : Cerqui totjorn a çò que lo folclòre siague pesuc de contegut filosofic s’òm vol, o en tot cas de pensada o d’imaginari, e non pas una reproduccion d’un modèl que seriá talament preciós. (Roqueta, entreten amb l’autor 11/05/08) 32 De son Carnaval de Capestanh dins Lengadòc Roge, Roqueta fa un viatge dins las tradicions carnavalencas e festivas occitanas, non pas coma un catalòg mas coma un biais de crear d’adesion en cò del legeire.

33 Se debana pel Dimècres de las Cendras, qu’es teoricament un jorn de june ont dins la tradicion catolica se manja pas de carn. Per provocacion anticlericala e benlèu tanben per tradicion carnavalenca los òmes del vilatge, joves, vièlhs e mai que mai maridats de l’annada s’en van manjar publicament a la terrassa de l’albèrga carn rostida e

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carniflalha. La quita etimologia del mot carnaval, del latin CARNE VALE (Heers 1984, 224) marca los darrièrs jorns per manjar de carn, beure e se divertir abans lo periòde de Carèsme amb sos junes, sas abstinéncias e sas constrenchas. 34 Es doncas normal que pels carnavalejaires aquel Dimècres de la Cendras siá jorn de bombància. Dins la tradicion carnavalenca occitana, la mangiscla occupa una plaça essenciala, mai que mai per çò qu’es del pòrc coma per exemple pel Carnaval de Carcassona, se passejan penjats a la cima d’un pal salcissòts, salcissa e carniflalha de tota mena. Dins totas las transgressions que permet carnaval, l’abús de mangiscla e de beguda es benlèu lo mai representatiu. Dins la tradicion literària occitana, d’autors coma Godolin o Augièr Galhard joslinhèron plan dins lors òbras l’importància essenciala del manjar dins lo temps de Carnaval. 35 La jornada de fèsta comença tre lo matin a la sortida de la messa onte los joves del vilatge, los uns travestits en monges e mascarats de negre, los autres en camisa de nuèch e enfarinats (la descripcion dels vestits es pas sens remembrar lo debanament de la bufatièira dins d’unes endreches) secutan a bèlas manadas de cendras escampadas, femnas e òmes venguts escotar lo presic. La diferenciacion pel costume d’aqueles dos gropes de jovents remembra dins la tradicion del carnaval de Limós l’oposicion entre fecas e godils. Los fecas estent los menaires, vestit del blanc costume del molinièr pron cande dins son ensemble, e los godilhs lo demai mascarats d’un biais liure e fantasieirós. 36 Aprèp lo dinnar, los joves fan lo sarrabastal pel vilatge al son de la musica, totjorn presentats en doas bandas l’una en blanc l’autra en negre, pòrtan de balajas de ginèstas que chimpan dins los fumarièrs abans de las fretar jol morre dels badaires. Aquel aspècte escatologic de la fèsta es pas sens remembrar lo carnaval de Cornonterral ont s’acaran blancs e palhasses dins una batèsta de raca e de pissanha. 37 Los joves passan puèi dins los ostals ont quistan en cò dels estatjants monedas e uòus coma se fasiá dins fòrces vilatges de Roergue quand los joves, sovent los conscriches qu’aprestavan la fèsta votiva anavan quistar moneda e mangiscla en cò dels estatjants. Òm pòt rescontrar de racontes sus aquelas menas de practicas dins los testimoniatges accampats per C.P. Bedel dins los obratges de la colleccion AL CANTON (Bedel 2002), mai que mai dins los libres que concernisson lo país de Sud-Avairon. 38 Aquesta practica de la retribucion festiva, quista o mena d’impòst en mangiscla e en moneda pels joves al moment de la fèsta, sembla d’èsser tanben plan presenta dins los vilatges de la Nauta Valada d’Auda ont los joves carnavalejaires vestits de camisas de nuèch van quèrre pels ostals, uòus, carnsalada, botelhas e moneda (Fabre, Camberoque 1977, 32). De passatge pels ostals n’aprofièchan per furgar d’en pertot per veire se cap de filha seriá pas resconduda dins un canton. 39 La fèsta contunha puèi un pauc mai tard dins lo vèspre amb l’arribada del cortègi dels òmes maridats amb a lor cap Simon Miquèl desguisat en curat ventabofòla, mascarat de vèrd e jaune. Los costumes colorats dels carnavalejaires e lors caras pintradas a otrança lèvan un pauc de versemblança al tablèu e semblan un briconèl anacronics, pr’amor que seriá pauc probable qu’al sègle XIX, un bracièr jornalièr fasquèsse de despensas costosas per una fèsta de Carnaval. 40 Ça que la malgrat l’exageracion dins la qualitat dels costumes, la preséncia d’un curat de la sotana mirgalhada en cap de fila del Carnaval e de jovents nombroses mascarats en monges marca un èime satiric anticlerical prigondament ancorat dins la tradicion

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carnavalenca. S’agís aquí d’un aspècte caracteristic dels carnavals dels sègles passats desapareguts dins los carnavals del sègle XX : Les carnavals de villages aux XVIIIe et XIXe siècles, dans le Biterrois surtout, sont aussi de magnifiques parodies, vestimentaires, gestuelles et linguistiques du pouvoir clérical ; cet axe-là a presque disparu. (Fabre, Camberoque 1977, 137) 41 Los diferents grops de carnavalejaires se recampan sul plan de Sant-Estève. Es de notar que dins lo Carnaval de Capestanh tal coma lo pintra Ives Roqueta, los grops d’òmes segon lors atges e lor estatuts son cargats de missions especificas precisas dins lo debanament de la fèsta. Efectivament se pòdon destriar dins aquel tablèu al mens tres grops que tornam sovent trapar dins las tradicions festivas de Lengadòc bàs e de sud Avairon : los joves, los novèls maridats e los òmes.

42 A travèrs la descripcion d’aquel Carnaval revolucionari de Capestanh de 1851, Ives Roqueta ofrís tanben un panoramà de las practicas carnavalencas e festivas lengadocianas. A partir de las practicas carnavalencas de l’espaci lengadocian ne fa una sintèsi dins aquela compilacion plena de vam. Tot çò que la tradicion fèstiva populara poguèt produsir en País d’Òc de mai viu e de mai gaujós pren tot son sens e tota sa prigondor dins l’associacion que fa Ives Roqueta entre carnaval e contestacion. S’agís d’illustrar un sentiment partejat que per Carnaval fèsta e politica sovent son associats : La lutte commence dans le rire, affirme ensuite sa force, tranquille ou violente, et s’achève dans le feu. (Fabre, Camberoque 1977, 176) 43 Mas subretot aicí, Ives Roqueta fa viure al legeire un eveniment que coneis. Ancora son raconta dins la fèsta populara que trapa immancablament un resson per un legeire de 1984. Lo Carnaval de Capestanh de 1851 es un fach istoric, (Ferras 1971) que degun probablament a pas dins sa memòria qu’a tanpauc pas impregnat cap d’imaginari nimai de memòria collectiva. Los Carnavals occitans de la Segonda Republica foguèron largament oblidats per la populacion del país d’òc mas foguèron pr’aquò lo temps d’una revòlta festiva. La fèsta del carnaval de Capestanh participa de tot un moviment de manifestacions popularas a tonalitat politica roja. Pertot la repression que patiràn los carnavalejaires roges serà tan disproporcionada coma lo mòstra Ives Roqueta dins Lengadòc Roge amb la condemnacion de Simon Miquèl.

44 Roqueta capita amb lo raconte del seu Carnaval de faire d’aqueste temps istoric e de la dinamica que pòrta un temps que pòt parlar a un legeire occitan eventual. En tot trabalhar a desvolopar un raconte que met en scèna un grand nombre de personatges a l’entorn de l’eròi Armand Miquèl, fa tanben acte de pedagogia en volent explicar e explicitar un temps istoric non pas desconegut mas pas gaire popular pr’aquò. En s’apuejant sus çò que podiá trobar resson per legeire recebent Lengadòc Roge dins las annadas 80 al moment de sa publicacion reviscòla un passat escafat e tracha de lo faire dintrar dins una memòria que demòra per el una idèa indissociabla de l’acte d’escritura.

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Ives Roqueta

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FABRE Daniel, Carnaval ou la fête à l’envers. Paris, Gallimard, 1995.

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SICRE Claude, Carnaval a Toulouse, Toulouse, Privat, 1984.

Autra referéncia mencionada dins l’article :

LEBEAU, Jean (dir.), « Yves Rouquette, entre parole et spectacle », Auteurs en scène, 6 juin.

AUTEUR

GAUTHIER COUFFIN

Licèu Foch, Rodés

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 98

Yves Rouquette et les vidas des troubadours : le disque au service de la langue et de la littérature occitanes

Gilles Guilhem Couffignal

Introduction

1 En 1976, sort chez Harmonia Mundi un coffret de 4 disques 33 tours de musique médiévale, sous la direction de René Clemencic (Clemencic Consort 1976). La première partie, qui sera rééditée à part dès 1977, est entièrement consacrée aux troubadours occitans. Yves Rouquette participe à cette entreprise musicale en tant que récitant et propose, dans sa propre adaptation, une lecture des vidas et razos. Bien identifiés par l’histoire littéraire, ces objets sont de courts récits anecdotiques composés entre le XIIIe siècle et le début du XIVe siècle et qui, dans les premiers chansonniers de la même époque, sont mêlés aux poèmes des troubadours proprement dits, génériquement appelés cansos, généralement de facture bien antérieure (XIe-XIIe siècles). Parallèlement, la collaboration de Rouquette avec les musiciens de René Clemencic donne naissance, aux éditions Ventadorn, à un disque de performances poétiques intitulé M’ausissi caminar cap al jorn (Clemencic Consort 1977). À quelques mois d’intervalle, le public peut donc découvrir un coffret de poésie médiévale édité par une maison de disques prestigieuse, en passe de devenir internationale1, et un disque de poésie contemporaine, diffusé par une maison occitaniste récemment créée2. Je m’intéresserai ici à cette collaboration d’Yves Rouquette avec le Clemencic Consort sous l’angle des rapports entre production de savoirs et création artistique, considérant que ce que l’on appelle « réception des troubadours » touche au moins deux domaines : l’histoire de la constitution du corpus des troubadours comme objet de savoir et l’influence que les troubadours, ou l’idée que l’on s’en fait, ont pu avoir sur les artistes occitanophones postérieurs. Je poserai donc successivement deux questions : comment René Clemencic

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et Yves Rouquette donnent-ils à entendre les troubadours ? Quelles sont les formes et les enjeux d’une libre adaptation de l’ancien occitan ? En d’autres termes, en quoi l’imaginaire linguistique occitan d’Yves Rouquette aboutit-il à la création de nouveaux objets artistiques ? Une adaptation littéraire antérieure des mêmes vidas et razos servira ici de point de comparaison, la Crounica legendària, œuvre de jeunesse du poète homonyme Max Rouquette publiée en 1937.

Donner à entendre les troubadours : chanter ou réciter ?

Le genre des vidas et razos dans l’histoire des savoirs sur la langue et la littérature occitanes

2 Yves Rouquette a insisté sur l’importance à accorder au genre des vidas, en saluant notamment la Crounica legendària das troubadours de Max Rouquette (1937), traduction d’un choix de proses médiévales (Y. Rouquette 1986, 76). L’objet même que représentent les vidas dans la littérature occitane est pourtant problématique, pour au moins trois raisons. La première est la question de l’autonomisation des vidas et razos par rapport aux cansos. Les premiers chansonniers du XIIIe siècle — dénommés A, B, I et K depuis la bibliographie de Pillet et Carstens (voir Boutière et Schutz, xvii) — font alterner vidas, razos et cansos dans un ensemble cohérent. Ce n’est qu’au cours du XIVe siècle que les récits en prose sont placés dans une section à part (Boutière et Schutz, xix). Ce phénomène a beaucoup marqué les romanistes, qui y voient la naissance de l’histoire littéraire : Et c’est précisément parce qu’on les considéra bientôt comme un genre se suffisant à lui-même, que les chansonniers du XIVe siècle, au lieu de les intercaler entre les poésies, les transcrivent à part, les unes à la suite des autres, formant ainsi des recueils qui constituent la première ébauche d’histoire littéraire existant en Europe. (Boutière et Schutz, xviii) 3 De là découle le second problème que posent les vidas : celui de leur fonction. Du moment où ces textes ont été lus par les romanistes comme une proto-histoire littéraire du trobar, on les a désignés sous le nom de « biographies des troubadours » (Raynouard 1820), pour aussitôt en critiquer le contenu, largement fictif. La contradiction est encore patente chez Nelli et Lavaud dans leur anthologie de 1960 : Les « Vidas » (vies) correspondent à ce que nous appellerions aujourd’hui, à proprement parler, des « Biographies » ; elles prétendent nous raconter la vie et les aventures des troubadours. Les « Razos » sont des commentaires qui nous expliquent le sens de leurs poèmes, nous rapportent les circonstances dans lesquelles ils furent écrits. […] Mais, en réalité, Vidas et Razos ont tendance à se confondre en une sorte de genre unique, parce que les Razos donnent des éléments biographiques — d’ailleurs souvent peu exacts — et que les Vidas sont souvent imaginées à partir de ce que le poète dit de lui-même dans ses vers. (Lavaud et Nelli, 256) 4 La taxinomie savante veut classer, « à proprement parler », des « biographies » et des « commentaires », mais ne trouve que des récits anecdotiques, dénués de valeur documentaire, de sorte que la frontière posée par la terminologie contemporaine perd sa fonction démarcative. Tout au long du XIXe siècle et jusqu’à la seconde moitié du

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XXe siècle, le malaise demeure, chez les romanistes, devant ces objets littéraires originaux, à cause de leur manque de fiabilité en tant que sources historiques.

5 Cette absence de valeur documentaire nous amène au troisième problème que posent, du point de vue de l’histoire de la réception des troubadours, les vidas et razos. Depuis Nostredame (1575 ; 1913), ces petits textes ont été détournés et pastichés, servant à construire une mythographie autour des troubadours3, de sorte qu’ils ont occulté le texte même des poètes occitans du Moyen Âge, resté pour ainsi dire inédit jusqu’à Rochegude et Raynouard au début du XIXe siècle (voir Courouau et Luciani 2015). Troubadour, à l’époque moderne, est devenu un nom-fétiche, clé d’un vaste imaginaire littéraire, ce que Robert Lafont a appelé le « texte-troubadours », pour le démarquer du « texte des troubadours » (Lafont 1982, 27). Les mouvements renaissantistes de langue d’oc, Mistral en tête, ont une attitude ambiguë face à ce phénomène : les nouveaux savoirs linguistiques et historiques sur les troubadours donnent une assise solide à leurs propres travaux, ainsi qu’un gain considérable en légitimité ; mais certains mythes, véhiculés par une tradition de commentaires remontant à Nostredame, comme celui des Cours d’Amour, sont volontairement perpétués : la fable est trop belle pour être évacuée par la nouvelle science (voir Lafont 1967). 6 Lorsque, en 1976, Yves Rouquette collabore avec le Clemencic Consort pour offrir au public sa propre version des vidas et razos, il marque une nouvelle étape dans l’histoire de ces textes, qui semblent traverser et interroger l’histoire de la littérature occitane, tant du point de vue de sa construction en tant que discours scientifique que de la manipulation de ce discours par les créateurs.

Les vidas : du document erroné au monument littéraire

7 Le disque du Clemencic Consort offre à son auditeur des poèmes de troubadours accompagnés d’extraits de vidas et razos. Son originalité tient au nouveau statut donné à ces textes, rompant avec les deux écueils qui leur étaient historiquement attachés. Ils ne sont pas présentés comme documents biographiques — ce qui évite les préventions des romanistes sur leur degré de véracité — et ils ne font pas l’objet d’un détournement mythographique dans la lignée de Nostredame. L’ensemble du projet repose sur un souci d’authenticité, illustrant notamment la thèse de l’influence « arabo-andalouse » sur l’art des troubadours4. C’est ce point précis qui intéresse le milieu de la musicologie médiéviste, comme en témoigne un compte rendu de la revue Early Music (Wright 1981, 136-137).

8 Dans un autre compte rendu, au sein, cette fois, d’une revue de romanistique, les disques du Clemencic Consort sont salués pour leur apport à la connaissance des troubadours, dans la continuité du disque de Thomas Binkley : I argued for the obvious (but un-literary/philological) proposition that recorded performances of medieval lyric poetry could be useful — were necessary even — for any proper study (classroom or otherwise) of the particular nature and problems of troubadour and trouvère lyric. […] The Binkley recording was a first step […] and remains a superior production in every respect : on the one hand, superior accuracy in all matters (musicological, literary-historical, linguistic) subject to verification; on the other, superior imagination and flair in matters requiring reconstruction and educated guessword. […] C.’s Troubadours is, on many counts, the best yet : unequalled for the depth and fullness with which the material is combined and performed; unmatched for the intelligence, taste, and artistry of conception

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and execution — in short, a collection of performances worth many times their weight in books and aricles on the subject. (Beck 1985, 419-421) 9 Ce qui frappe les auditeurs, lors de la sortie du disque, c’est la force de proposition de René Clemencic, qui met en pratique une hypothèse sérieuse, en tant que chercheur- praticien, au même titre que son devancier Thomas Binkley, dans un domaine où analyse musicologique et création artistique s’opposent parfois (Haines 2004, 205 et suiv.) Il s’agit d’une interprétation de l’art des troubadours tel qu’il a été transmis dans les chansonniers, consciente de la vanité s’attachant à toute entreprise de reconstitution historique5. Dès lors, les problèmes précédemment exposés que peuvent poser les vidas sont contournés : la question de leur statut au sein de l’histoire littéraire occitane est évacuée. Par pragmatisme, la reconstitution sonore s’attache à interpréter les poèmes tels qu’ils ont été transmis, au sein des premiers chansonniers, entourés des vidas. C’est bien l’objet artistique chansonnier des troubadours qui est visé et non le texte authentique, fruit de la recherche philologique classique. En évitant d’hypostasier le texte littéraire mouvant du trobar, les disques de René Clemencic opèrent un retour efficace à la matérialité de cette poésie, faisant primer l’expérience poétique sur la classification des textes.

10 Yves Rouquette, par sa participation à la mise en musique d’une telle œuvre, va plus loin que la doxa alors véhiculée par une anthologie comme celle de Nelli et Lavaud. Les deux anthologistes considéraient bien que les « biographies des Troubadours », si décriées, sont à lire « comme de minuscules et charmants contes », mais ils continuent à les séparer des cansos, en distinguant les poèmes des pièces relevant, selon eux, du « romanesque » (Lavaud et Nelli 1965, 257). René Clemencic et Yves Rouquette s’affranchissent de cette analyse pour revenir à la forme chansonnier et rétablir le lien étroit entre poème et prose, sans oublier la part d’iconographie imprimée sur la pochette. Dès 1976, la voix d’Yves Rouquette, en s’intégrant aux instruments et au chant du Clemencic Consort, permettait de faire entendre les vidas et razos comme des monuments littéraires, à parts égales, ou plutôt en continuité avec les cansos, et non plus comme les documents mensongers d’une histoire travestie, embarrassant l’étude sérieuse des troubadours. 11 Paradoxalement, lorsqu’Yves Rouquette prête sa voix à ces versions des vidas, il n’est pas si éloigné de Nostredame qui, à sa façon et dans son époque, cherchait à rendre compte du chansonnier qu’il avait sous les yeux, où se mêlait poésie et prose narrative, dans un ensemble textuel et iconographique de première qualité : Je puis asseurer vrayement avoir veu & leu deux grands tomes divers escripts en lettre de forme sur parchemin illuminez d’or et d’azur, qui sont dans les Archifs du Seigneur Comte de Sault, ausquels sont descrites en lettre rouge, les vies des Poetes Provensaux (qu’ils nommoyent Troubadours) & leurs Poësies en lettre noire, en leur idiomat (Nostredame 1575, 12-13 ; 1913, 14) 12 Ce chansonnier du Comte de Sault, quoique plus ou moins identifié par Chabaneau et Anglade (1911), est perdu ; mais la description qu’en donne Nostredame le rapproche des premiers chansonniers d’origine vénète, richement illustrés et qui présentent cette particularité de mêler les poèmes aux récits, en distinguant ces derniers par une encre vermillon. L’ensemble constitué par vida, illustration et canso fonctionne comme un tout6. Le chansonnier, dans ce cas précis, est un objet d’art dont la complexité et l’unité a de quoi fasciner des lecteurs tels que Nostredame, René Clemencic ou Yves Rouquette. La création artistique suscitée par cette rencontre est évidemment déterminée par le cadre de pensée de chaque acteur, à resituer dans son époque. Mais la mythographie de

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Nostredame et la recherche-action du couple Clemencic-Rouquette me semblent relever de la même démarche et procéder du même geste de lecture.

L’art du trobar comme expérience esthétique

13 Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la critique ait salué ces disques pour l’expérience artistique qu’ils proposent : The texts are treated as an integral and important part of the performance. Of the 13 songs performed only two are given a purely instrumental rendering. The pace is unhurried (except in a rather breathless A l’entrada del tens clar on HM 396) : tempi are moderate, the song texts unabridged, and the stanzas often separated by lengthy instrumental passages. As a result, many songs last well over ten minutes. The whole forms a unified entertainment (albeit of mixed quality) as opposed to a succession of short pieces. […] Reading of the 13th-14th century lives of the troubadours (known as vidas), recountend in a deep, sonorous voice by Ives Rouquette, alternant with songs. […] [They] are easy to follow, enjoyable in themselves, and contribute to our appreciation of the songs. (Wright 1981, 137) 14 Aujourd’hui encore, l’auditeur peut être frappé de ces choix artistiques, qui donnent à l’œuvre tout son cachet : les poèmes sont chantés en entier, sur un tempo permettant leur compréhension, tandis que les effets de bourdon et l’accompagnement musical des parties récitées créent une grande unité. La performance du Clemencic Consort, par rapport à une simple anthologie de cansos interprétées, permet, pour la première fois semble-t-il depuis plusieurs siècles, de donner corps à l’objet d’art qu’ont transmis les chansonniers, un objet d’art vécu comme expérience : Most noteworthy in this regard is the absence of the music-anthology approach — strings of snippets without coherence or context. Here instead, vidas, razos, and songs of individual artists, artists as individuals, are related and interowen in sequences and proportions wich allow the song and its ‘background’ to illuminate and enhance each others. Thus in the flux and flow of narrative and song, each complements the other, as the words and music pulse, or drift, back and forth through the mysterious alchemy where thought transforms to music, emotion into song. […] For the appropriately initiated listener, the Clemencic Consort offers a captivating and enchanting experience of troubadour sensuality and spirituality (commensurate in excitement, exaltation, ecstasy), balanced by intellect, playfulness and wit impossible to infer form the mere printed page. (Beck 1985, 421) 15 Pour ce qui est des vidas et razos, elles sont parfois coupées voire mêlées 7, ce qui fait partie des quelques reproches formulés contre le disque : The first two readings incorporate razos as well. A razo tells how a particular song came to be composed, e.g. the well-known Calenda Maia by Raimbaut de Vaquerias. Consequently, it seems perverse to follow extracts from razos for Peire Vidal’s Pos tornatz sui en Porensa and De chantar m’era laisatz with neither of these two, but with Baron de mon dan covit. These reservation apart, the readings are easy to follow, enjoyable in themselves, and contribute to our appreciation of the songs. (Wright 1981, 137) 16 Le disque, certes, ne suit pas exactement un manuscrit de référence, mais, dans l’ensemble, les vidas et razos occupent de longues plages sonores, entrecoupées de cansos ou bien de passages instrumentaux, qui font la part belle au texte.

17 L’adaptation à l’occitan moderne d’Yves Rouquette, servie par une diction particulièrement soignée et posée, permet une compréhension directe à l’auditeur

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occitanophone. Le coffret est accompagné d’un livret, comportant non seulement les textes originaux et les traductions des cansos, mais encore le texte adapté des vidas et razos. Ce dispositif, somme toute très classique, est cependant à comparer aux pratiques qui ont accompagné la naissance de la maison de disques dont est en charge Yves Rouquette, Ventadorn, spécialisée dans la nouvelle chanson occitane : dans les pochettes sont glissées les paroles, en graphie dite alibertine et en traduction française, ce qui fait de l’objet générique « disque occitan », dans les années 70, un moyen de diffusion et d’apprentissage efficace de la langue et de sa graphie normalisée (Zerby-Cros 2010). Le projet artistique de Clemencic, né d’un souci de respect des textes et de leur langue originale, rejoint là la pédagogie militante de Rouquette, non seulement en diffusant les textes des troubadours, donnant un poids historique et donc une légitimité à la langue occitane, mais encore en permettant l’écoute, à grande échelle, d’un occitan simple, issu de la prose brève des vidas et razos, actualisée par un des principaux poètes du moment. L’expérience est complète, qui permet de s’immerger dans un univers sonore rendant proche une poésie pluriséculaire, par-delà toute difficulté de compréhension linguistique ou de dépaysement culturel.

Formes et enjeux de l’adaptation linguistique

Traduction, adaptation ?

18 Toujours dans son compte rendu pour la revue spécialisée Early Music, le critique Laurence Wright reproche à Yves Rouquette de ne pas avoir pris le texte original des biographies, contrairement à ce qui a été fait pour les poèmes. C’est l’occasion pour lui de s’interroger sur le statut de ce texte particulier : traduction ou adaptation ? Disappointingly, he uses his own translations (‘adaptations’ is a more appropriate term) into modern Occitan. [The original Provençal texts can be found in J. Boutières and A.-Schutz, Biographies des Troubadours (Paris, 1964).] (Wright 1981 : 137) 19 On reconnaît dans ces quelques lignes le poids des appellations classiques de la romanistique qui utilise régulièrement le terme provençal pour désigner l’ancien occitan (Salvat 1954). Mais on remarque que le passage du « provençal original » à l’« occitan moderne » est qualifié, plus que de traduction, d’adaptation. C’est là un des enjeux de la collaboration d’une des figures de proue de l’occitanisme au projet du Clemencic Consort. En proposant sa propre version des vidas dans un occitan compréhensible, Rouquette montre et prouve par l’exemple la continuité entre la langue des troubadours et l’occitan contemporain. Continuité mais aussi différence : c’est tout l’intérêt, non seulement de l’adaptation, mais encore de la publication simultanée des disques sur les Troubadours et du recueil de poésies récitées M’Ausissi caminar cap al jorn.

20 La réussite, sur ce point précis, du mouvement occitaniste, rend presque anecdotiques de tels propos. Tout exposé sur l’occitan passe par une référence aux troubadours qui, dans une société soucieuse de préséance historique comme la nôtre, permet d’étayer la revendication occitaniste contemporaine. Mais si l’on replace le coffret Clemencic dans son contexte, nous sommes précisément, au milieu des années 1970, au moment où l’idée d’une continuité linguistique et littéraire, depuis Guillaume IX d’Aquitaine jusqu’aux « poètes de la décolonisation » (Rouanet 1970), sort des cénacles lettrés pour pénétrer la société française, ne serait-ce que méridionale. C’est le moment où Yves

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Rouquette monte, à Béziers, l’exposition au titre-programme « Mille ans de littérature occitane » (Lugand et Rouquette 1974). Ce geste caractéristique des anthologies occitanistes, qui consiste à réunir des extraits d’œuvres littéraires d’expression occitanes du XIe siècle jusqu’au XXe siècle, devient public et est plus largement diffusé8. La caution morale, ainsi que le travail poétique sur les vidas qu’apporte Yves Rouquette dans ces disques est le pendant d’une actualité éditoriale telle que la parution, chez l’éditeur national Seghers, de l’anthologie de René Nelli, La Poésie occitane des origines à nos jours (1972) ou du « Que sais-je ? » que Jean Rouquette a consacré à la Littérature d’Oc (1963). 21 Le sens de cette entreprise, qui cherche à démontrer l’existence d’une langue, l’occitan, et suppose son évolution régulière depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, est souligné par les commentateurs qui, tout en regrettant le choix d’Yves Rouquette de ne pas donner le texte original, trouvent un intérêt linguistique et pédagogique à l’adaptation : The vidas and razos, however (not the songs), have been thoroughly modernized […] This may be a drawback if one wishes to use the recordings in conjunction with study of the original vidas. On the other hand, comparison of the latter with Yves Rouquette’s modernized versions presented here could serve usefully to characterize and evaluate the differences between the language of the textes and moderne Occitan. (Beck 1985, 421) 22 En insistant sur sa version adaptée, et non traduite, Yves Rouquette balaie certaines idées reçues sur l’occitan. Son caractère archaïque d’abord : puisque la modernité du texte proposée est irréductible à l’original, l’occitan ne peut plus être considéré comme la survivance d’une ancienne langue. Son caractère anhistorique ensuite : puisqu’il s’agit bien d’une adaptation, laissant voir la proximité et, partant, la filiation entre les deux états de langue, l’occitan contemporain n’est plus un des patois dégénérés d’une langue ancienne, mais bien le résultat d’une évolution linguistique similaire aux autres langues romanes. Dès lors, la forme que prend cette adaptation devient le support d’un discours épilinguistique implicte : tout le jeu d’Yves Rouquette consiste à exhiber la langue médiévale, en faisant entendre la langue contemporaine.

Adaptation phonétique, prosodique et stylistique

23 La première des caractéristiques de l’adaptation d’Yves Rouquette est la fidélité aux traits phonétiques et phonologiques de l’occitan contemporain. Certaines réalisations phonétiques sont tout à fait propres à l’occitan parlé, véritables schibboleths qui dénotent la volonté d’utiliser une langue authentique (la lenga de l’ostal), par rapport aux processus qui, par effet Buben ou volonté de standardisation liée à la modernisation graphique, masquent certains phénomènes fréquents : • assimilation ou amuïssement consonantiques : lo pus fòl òme [lu’py’fɔ’lɔme] ; als pastors e als cans [aspas’tuseas’cɔs] • dentalisation : pels lops [pej’luts] ; pus que cap d’òme al monde [kat’dɔme]

24 D’autres traits concernent des évolutions phonétiques modernes tendant à rendre localisable le languedocien parlé par Rouquette : • bascule de la diphtongue [-ju] > [-iw] : òme foguèt de paura generacion • évolution de la finale tonique [-jɔ] > [-je] : de sa foliá • labialisation de [a] > [-ɔ] : coma se fa [’kumɔse’fɔ]9

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25 Dans le même temps, le récitant a recours à de nombreuses pauses qui lui permettent de suivre le rythme de la phrase originale, fonctionnant essentiellement par coordination. Si l’on compare une transcription des vidas oralisées par Yves Rouquette et la version traduite de Max Rouquette, on peut mesurer cet attachement au style paratactique10 :

en Peire Vidals si se fazia apelar lops E Peire Vidal si se fazia apelar Lop per per ela, e portava armas de lop. Et en ela e portava armas de lop. Et en la la montanha de Cabaret el se fetz montanha de Cabaretz si se fes cassar cassar als pastors ab cas & ab mastis & als pastros ab los mastis et ab los ab lebriers, si com om fai lop ; e vesti lebrers, si com hom fai lop. E vesti una una pel de lop per donar a entendre pel de lop per donar az entendre als als pastors & als cans qu’el fos lops. pastors et als cans qu’el fos lop. (Chabaneau 1885, 66) (Boutière et Schutz 1964, 369)

e Pèire Vidal se fasiá apelar Lop / per En Pèire Vidal se fasiá dire lo Lop e ela // e portava armas de lop // portava un lop dins sas armas. E dins e / dins la montanha de Cabaret se la montanha de Cabarés, per los fasiá caçar // pels pastres // amb los pastres e sos chins, matís e lebrièrs, el mastins e los lebrièrs / coma se fa pels faguèt lo lop ; e vestiguèt una pèl de lops // e vestiguèt una pèl de lop / per lop per ié faire creire que n’èra un. donar entendre als pastors e als (M. Rouquette 1937) cans / que el / èra lop (Clemencic Consrot 1976)

26 Là où Max Rouquette a tendance à produire une période, avec hyperbates et énumérations (« dins la montanha de Cabarés, per los pastres e sos chins, matís e lebrièrs, el faguèt lo lop »), Yves Rouquette retient de l’original le grand nombre de propositions, dont l’enchaînement est souligné par les pauses : « dins la montanha de Cabaret se fasiá caçar // pels pastres // amb los mastins e los lebrièrs / coma se fa pels lops ». Là où Max Rouquette emploie deux pronoms anaphoriques pour éviter la répétition (« vestiguèt una pèl de lop per ié faire creire que n’èra un »), Yves Rouquette met en valeur cette répétition par une légère pause : (« vestiguèt una pèl de lop / per donar entendre als pastors e als cans / que el èra lop »).

27 On peut analyser cela comme un effort de diction pédagogique. Il s’agit également, et peut-être avant tout, d’un rapprochement entre la prose médiévale et le goût de Rouquette pour le conte traditionnel. C’est par son intérêt profond pour l’oralité traditionnelle, dont témoigne son « Enquête sur le folklore » dans la revue Oc (1964) et sa communication au colloque Ethnographie d’Oc (1986), qu’Yves Rouquette peut nourrir son interprétation des intonations et du rythme caractéristiques de l’art des conteurs. Si l’on prend, pour comparaison, la description des personnes collectées, à peu près à la même époque, par Daniel Fabre et Jacques Lacroix dans les Pyrénées audoises, on remarque que les conteurs ou conteuses les plus réguliers et reconnus pour leur talent, se singularisent par un débit et un rythme particuliers, une diction précise (Fabre et Lacroix, 1973, 47-59). Ce n’est pas ici le lieu d’initier une étude du style simple dans la littérature occitane des années 1960-1970, on peut toutefois esquisser l’idée d’une rencontre entre prose médiévale des vidas, art du conteur traditionnel et, particulièrement dans le cas d’Yves Rouquette, style biblique11. 28 En tout état de cause, les choix de l’écrivain occitan au moment de donner sa voix au texte des vidas permettent de créer un sentiment de familiarité linguistique et culturelle, grâce à cette voix chaude du conteur, à ces accents d’un occitan que les

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auditeurs peuvent juger « authentique », c’est-à-dire en lien direct avec les sonorités du « patois » de la campagne ou de la basse ville. Ce parti pris dans l’adaptation des vidas et razos rejoint les orientations artistiques de René Clemencic et, notamment, le timbre du soliste René Zosso, accentuant son vibrato pour chanter les troubadours. Dans une postface à la réédition d’un ouvrage savant sur Bernard de Ventadour, Yves Rouquette donne sa vision du chant des troubadours, qu’il veut tenir éloigné du chant lyrique : […] il n’est pas besoin d’avoir une voix de conservatoire pour [chanter Bernat de Ventadorn] : quand les poètes-chanteurs se comptent par centaines, leurs voix sont obligatoirement plus proches de celles de Trenet ou de Brassens que de celle de la Callas (Appel et Rouquette 1990, 170). 29 L’adaptation des vidas par Rouquette est un moyen de faire sortir le texte du trobar des lieux communs de l’art savant, pour en donner une version proche des performances artistiques communes. Cependant, c’est cette familiarité savamment construite qui permet à Yves Rouquette une certaine audace dans la conservation d’archaïsmes linguistiques.

Modernisation morphosyntaxique et conservatisme lexical

30 Certains traits vont dans le sens d’une modernisation complète de la langue des vidas, comme l’effacement des traces de déclinaison, particulièrement visible grâce à la fréquence des énoncés attributifs. Le morphème flexionnel graphique <–s> du cas sujet est systématiquement effacé (« Bernat de Ventadorn » ; « Pèire Vidal »). L’emploi des temps est aligné sur l’usage contemporain : l’imparfait remplace le prétérit quand il a un aspect descriptif (cf. Beck 1985, n. 1, 421) :

Bernatz de Ventadorn si fo Bernat de Ventadorn èra de Lemosin […] // de Limozin […] Hom fo de òme foguèt de paura generacion // filh d’un paubra generacion […] E venc sirvent qu’èra fornièr / qu’escaudava lo forn bels hom et adreichs, e saup per còire lo pan del castèl // e venguèt / bèl ben chantar e trobar òme / e adrech / e sabiá plan cantar e trobar (Boutière et Schutz 1964, 20) (Clemencic Consort, 1976)

31 Mais, si l’on poursuit la comparaison avec la traduction de Max Rouquette, on remarquera l’effort de rendre compréhensible le lexique médiéval. Ce phénomène est particulièrement visible dans la distribution des termes dòna, molhèr et femna :

Peire Vidals […] s’entendia en totas Peire Vidal […] s’entendia en totas las las bonas domnas […] e si s’entendia bonas donas […] E si s’entendia en ma en ma domna n’Alazais de Roca dona N’Azalais, qu’era molher d’En Martina qu’era molher d’en Barral […] Barral […] En Barrals si sabia be que En Barrals si sabia be que Peire Vidals Peire Vidals se entendia en la moiller se entendia en sa molher […] e la dona […] e la dona ho prendia en solatz, si o prendia en solatz, aissi con fazian coma fazion totas las autras donas totas las autras donas (Chabanneau (Boutière et Schutz 1964, 361) 1885)

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Pèire Vidal […] s’entendiá ambe las Pèire Vidal […] aimava totas las bonas dònas […] e […] s’entendiá / amb femnas […] E parlava a Dòna Alazaís, madòna Azalaís qu’èra molhèr d’En femna d’En Barral […] En Barral sabiá Barral […] En Barral sabiá ben que que Pèire Vidal cortesava sa femna Pèire Vidal s’entendiá ambe sa molhèr […] e la dòna ne preniá solaç, coma […] e la dòna o preniá en solaç coma fasián totas las autras dònas (M. fasián totas las autras dònas Rouquette 1937) (Clemencic Consrot 1976)

32 Dans sa traduction de 1937, Max Rouquette fait correspondre au terme médiéval molher le terme contemporain femna pour désigner l’épouse, conserve le nom commun dòna pour désigner la femme noble, et simplifie l’expression « ma domna n’Azalais » en « Dòna Azalaís ». Pour sa part, en 1976, Yves Rouquette reprend le terme molher en l’intégrant à la langue contemporaine, par la notation graphique de l’ouverture du <–e> final et, à l’oral, par la non-réalisation du <–r>12.

33 Ce point de vocabulaire est d’autant plus important qu’il intervient dans un domaine, les désignations de la femme, soumis à la normativisation lexicale d’Alibert. En effet, l’occitan contemporain semble ne connaître que la forme femna pour le nom générique et dans le sens d’« épouse », et dama pour la désignation de qualité 13. Dans son dictionnaire, Alibert omet, manifestement de parti pris, les formes dama et madama, qu’il considère comme des gallicismes (Alibert 1958). Il enregistre par ailleurs la forme dòna, qui se trouvait encore employée, dans certains dialectes, dans des sens spécifiques14. C’est un cas typique de la méthodologie prescriptive d’Alibert : s’appuyer sur un emploi diatopique particulier pour donner comme norme un lexème se rapprochant de la langue ancienne, de façon à rendre inutile un autre lexème, jugé trop proche du français (malgré les emplois autochtones de la base dama, comme le sens de « revenant féminin » attesté à Cahors, selon le FEW). En conservant, dans son adaptation des vidas, l’opposition dòna/molhèr, Yves Rouquette se met en conformité avec une tendance à privilégier les formes anciennes, en cohérence avec l’emploi des articles du nom propre, na et en. Dans ce cas précis, il s’agit bien d’un emprunt, dans un exercice littéraire visant un effet d’archaïsme, mais d’un archaïsme, en quelque sorte, rendu vivant. La théorie d’Alibert semble ici remotivée par une pratique artistique spécifique, faite de l’adaptation de lexèmes vieillis mais qui restent compréhensibles pour le locuteur contemporain. 34 Ce goût pour l’expérimentation, pour la réactivation d’archaïsmes, se retrouve dans d’autres cas, où le terme original conservé par Yves Rouquette ne relève pas d’un point de vocabulaire si commenté par la tradition normative et n’est compréhensible, dans son sens ancien, que grâce au contexte. Il en va ainsi de la forme pronominale du verbe entendre, dans le sens de « courtiser une femme »15, employé trois fois dans l’extrait de la vida de Pèire Vidal précitée. Alors que Max Rouquette emploie à chaque occurrence un synonyme (« aimava », « cortesava ») ou d’un sens particulier du verbe parlar non répertorié pour la langue ancienne16, Yves Rouquette conserve systématiquement le verbe entendre. Entre modernisation et conservatisme, le récitant donne à écouter un état de langue neuf, une nouvelle sorte d’occitan littéraire, nourri de ses doubles sources médiévales et orales. C’est le parler et l’art oratoire, issus d’une longue confrontation avec les traditions narratives orales, qui rendent compréhensibles de tels archaïsmes. La langue néo-classique ainsi créée estompe les frontières entre occitan hérité et occitan ancien, la présence de l’un permettant la présence de l’autre.

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Conclusion

35 La collaboration d’Yves Rouquette avec le Clemencic Consort se situe à l’intersection de deux phénomènes. D’un côté, elle participe de la volonté de diffusion d’une culture occitane de masse, par l’usage du disque et par l’importance accordée à l’expérience sensorielle dans la valorisation de la littérature ancienne. De l’autre, en continuant une entreprise renaissantiste qui a fait de l’époque du trobar un âge d’or de la langue occitane, Yves Rouquette poursuit son travail à la fois linguistique et littéraire, fondé sur l’apport mutuel de la culture orale et de la littérature classique occitanes. De ce double point de vue, on peut tenter de resituer cette entreprise artistique dans deux temporalités.

36 À l’échelle du XXe siècle, ce moment de l’œuvre d’Yves Rouquette est une des formes et progrès de l’occitanisme contemporain, marqué par l’œuvre normalisatrice d’Alibert et la volonté d’un rapprochement, graphique et même lexical, avec la langue médiévale, aussi bien que par la quête d’un registre littéraire prenant sa source dans une langue spontanée et localisée. Le résultat tient moins d’un exposé théorique sur l’identité de la langue occitane, que de l’expérimentation, qui renouvelle la surprise du locuteur occitanophone devant les textes narratifs médiévaux. Cela nous engage à approfondir la question des rapports aux savoirs et aux entreprises de normalisation linguistiques entretenus par les écrivains d’oc, en évitant une typologie simpliste qui opposerait des occitanistes normatifs aux régionalistes réalistes. Le cas d’Yves Rouquette paraît exemplaire, par la qualité de ses écrits, par la complexité de ses sources (orales, lettrées), par la force de son discours épilinguistique et politique mais aussi, et peut- être surtout, par les différentes évolutions de son discours et de ses relations avec les différents acteurs du mouvement occitaniste (Chambon 2014). 37 À l’échelle, bien plus large, de la littérature occitane post-médiévale, il est remarquable que les traces d’une réflexion et d’un engagement sur la situation culturelle contemporaine de l’occitan puissent se lire dans une adaptation des vidas des troubadours. Déjà l’entreprise de Nostredame, au XVIe siècle, par la mise en scène du même corpus, formait un discours sur l’état de la culture occitanophone et posait des questions d’actualité littéraire (Jourde 2014). Les disques parus sous la direction de René Clemencic témoignent de la permanence, ou du renouveau, d’un attrait pour l’art du trobar perçu comme un objet complexe, mêlant divers supports et genres ; il faut croire que la littérature occitane ait trouvé, dans ce corpus si particulier, un lieu de réflexion sur le rôle de l’écrivain et sa langue dans la société, rôle d’autant plus problématique que, de Nostredame à Yves Rouquette, l’occitan a perdu l’usage public et prestigieux qui était le sien à l’époque dont témoignent les Vidas.

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NOTES

1. Les éditions Harmonia Mundi n’ayant pas fait l’objet, à ce jour, d’études précises, voir la nécrologie de son fondateur, Bernard Coutaz, dans le quotidien Le Monde (Machard 2010). 2. Sur l’aventure de la maison d’édition phonographique Ventadorn, fondée par Yves Rouquette, voir Zerby-Cros 2010. 3. L’aspect mythographique, ou du moins le détournement de textes originaux vers un autre de type de création littéraire, a longtemps été la source d’une mécompréhension de l’œuvre de Nostredame. Qualifié d’« impudent faussaire » par ses éditeurs Anglade et Chabaneau, il faut attendre les travaux de Jean-Yves Casanova (2012) et Michel Jourde (2014) pour montrer la

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cohérence littéraire de l’œuvre de Nostredame et l’inadéquation des termes de « faux » ou « supercherie » pour ce cas précis. 4. Thèse particulièrement vulgarisée par les écrits d’Henri Davenson, pseudonyme du latiniste Henri-Irénée Marrou. 5. « Une reconstitution satisfaisante de la pratique musicale médiévale n’est jamais possible » (Clemencic Consort 1976). Voir Haines 2004, 246. 6. Le rôle de l’iconographie dans cet ensemble complexe a été mis en lumière par Jean-Baptiste Camps (2013). 7. Notons que, malgré la démarche globale de René Clemencic, le texte même des vidas et razos continue de pâtir de son déclassement historique : il n’est pas aussi sacré et intouchable que celui des poèmes. 8. Sur le rôle particulier que prend le geste anthologique dans la constitution du corpus littéraire occitan, voir l’article de François Pic. 9. Un autre trait, la vocalisation des marques du pluriel ([sajkãn’sus] ; las autras gents [la’zawtrɔj’ʒen] ; pels pastres [pej’pastres] : los pastors [lujpas’tus]), par sa systématicité, pose la question du travail linguistique de Rouquette : le [-s] étant réputé ne pas se vocaliser devant consonne occlusive sourde, ces formes peuvent être perçues comme hypercorrections dialectalisantes, à moins qu’elles ne soient effectivement héritées. Dans quelle mesure la langue de Rouquette procède-t-elle d’une (re)conquête linguistique ? 10. Les citations synoptiques qui suivent mettent en regard les adaptations des deux poètes avec les éditions savantes. 11. Les mêmes questions peuvent se poser à propos de Jean Boudou, dont le style simple est souvent perçu, de façon un peu réductrice, comme un acte militant, celui de rendre accessible une nouvelle prose occitane. 12. Le terme médiéval molher a certes perduré dans certaines régions, mais dans un sens différent (« maîtresse de maison »), ou bien dans des dérivés domme desmolherat, « célibataire, veuf » (FEW, VI, 200). 13. Voir ALF, VIII, 376 belle dame et XII 548A ma femme, femme. 14. « Grand-mère », « jeune fille », « fillette » « bru », « sorcière » (FEW, III, 124). 15. Voir Levy 3, 53b. 16. Voir Levy 6, 84b et TDF.

AUTEUR

GILLES GUILHEM COUFFIGNAL

Université Paris-Sorbonne, STIH

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Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Éditer Rouquette : le sort d’une écriture engagée

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Har tornar a la lutz : dix ans d’édition d’œuvres occitanes d’Yves Rouquette

Jean Eygun

Une rencontre

1 Lorsque je pris la décision de fonder une maison d’édition de littérature occitane dans les années 2003-2004, c’est une anthologie poétique qui s’imposa comme premier ouvrage devant servir de pierre de fondation à la nouvelle maison. Or, qui dit anthologie dit contacts avec les auteurs pour obtenir leur accord (ou avec les ayants droit des auteurs morts, ce qui est souvent beaucoup plus délicat). C’est à cette occasion que je pris contact avec Yves Rouquette. Et je dois avouer que je fus surpris par la qualité de l’accueil et d’écoute du poète, et par son ouverture au monde. Me situant moi-même en marge de l’occitanisme établi, qu’il soit associatif ou universitaire, il m’était peut-être plus facile d’être reçu et d’échanger avec Yves Rouquette, en marge de toute institution dans ces années-là. De plus, l’entreprise de fondation d’une nouvelle maison d’édition de livres occitans étant en soi déraisonnable, elle ne pouvait que recevoir son amical soutien et son intérêt bienveillant. C’est à compter de cette rencontre humaine que se développera le projet d’édition de certains de ses textes.

En souvenir de Clermont-Ferrand

2 Il est aussi possible qu’un souvenir personnel, antérieur de quelques dizaines d’années à ma rencontre avec Yves Rouquette ait pu jouer un rôle dans mon désir de le publier. En 1977, jeune étudiant à Montpellier, je participais avec d’autres membres du Cercle des étudiants occitans de Montpellier à l’Université Occitane d’Été de Clermont- Ferrand. Cette UOE vit la montée de l’affrontement entre les partisans d’Yves Rouquette (et de son frère Jean) et ceux de Robert Lafont, prélude à l’éclatement de

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l’IEO quelques années plus tard. Emporté par la fougue qui caractérise souvent la jeunesse, je participais à cet affrontement dans le camp des lafontistes.

3 Mais, quelques années plus tard, revenu de cette adhésion aveugle au chef d’école que voulait être Lafont, j’ai lu la poésie d’Yves Rouquette, en particulier dans le volume publié en 1988 sous le titre L’escritura, publica o pas. Et dans cette lecture, au-delà de la reconnaissance de la qualité de son écriture, ce qui m’a touché, c’est l’humanité profonde d’Yves Rouquette et son attention aux hommes, en particulier aux hommes de peu. M’est revenu alors en mémoire le souvenir désagréable de Clermont-Ferrand, et de cette fracture ancienne de l’occitanisme, origine pour partie de la relégation subie par Yves Rouquette. Faut-il préciser que je n’ai jamais évoqué avec Yves Rouquette cet épisode, lui qui ne pouvait m’avoir remarqué dans la masse des troupes lafontiennes d’alors.

Un auteur marginalisé

4 Au début des années 2000, Yves Rouquette se retrouvait isolé, marginalisé. Dans certains milieux occitanistes, il était alors de bon ton de considérer qu’il n’écrivait plus, que son temps était révolu, qu’il avait certes été un bon écrivain, mais seulement dans les années 1960. J’ai ressenti à ce moment-là l’incongruité de cette situation étonnante : un écrivain occitan de grande qualité, volontairement ignoré par l’établissement culturel occitan. Alors même que la cohorte des écrivains d’oc de valeur se trouvait bien clairsemée. Je ne saurais certes nier les responsabilités propres d’Yves Rouquette dans cet éloignement, par son goût sans doute excessif pour les provocations, quelquefois brutales et injustifiées, par ses prises de positions abruptes et sa plume féroce. Et aussi un refus, confinant quelquefois à l’autodestruction, de tout accommodement, combiné à une souffrance réelle face à cette marginalisation subie et à l’effacement de son œuvre. Ayant pris conscience de ce gâchis, mon travail d’éditeur a donc consisté à permettre à Yves Rouquette d’être publié et lu à nouveau. Et seulement cela.

Au-delà de la caricature

5 En 2004, paraît le numéro 6 de la revue dirigée par Marie-Hélène Bonafé, Auteurs en scène, numéro en grande partie consacré à Yves Rouquette. Il donne à voir et à lire une réalité bien plus riche et complexe de l’œuvre et de la personnalité de l’écrivain que la caricature bâtie et proposée par Rouquette lui-même ou par ses opposants. Dès les premières pages, dans ces conversations retranscrites par M.-H. Bonafé, on saisit les points d’appui, les héritages, les convictions mais aussi les contradictions du poète et de l’écrivain. La lecture de cette revue foisonnante, vrai livre au demeurant, permet de mieux comprendre bien des ressorts profonds de son écriture. Ce fut très certainement pour moi une incitation supplémentaire à proposer à Yves Rouquette de publier certains de ses textes. Notons que ce numéro essentiel contient aussi des extraits d’œuvres inédites qui seront plus tard publiées en volume : Armistiça, Lo Cant dels Millenaris, L’Ordinari del monde.

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Nos premières éditions : Poésie d’Oc au XXe siècle, Lemosin’s blues, Pas que la fam

6 Dans le premier livre publié par Letras d’òc, Poésie d’Oc au XXe siècle, comme d’ailleurs dans le volume de Camins dubèrts paru en 2011, Yves Rouquette a bien entendu eu toute sa place. Mais quelles que soient sa qualité et son utilité, une anthologie, ce n’est qu’un choix forcément réducteur, schématique et personnel de quelqu’un qui s’arroge le pouvoir de choisir. C’est ainsi.

7 Puis, aux premiers mois d’existence de Letras d’òc, paraît Lemosin’s blues, mince livret que nous avons publié de façon tout à fait précaire, humble et artisanale : c’est, à mon sens, un des plus beaux témoignages d’amitié en poésie, dédié à son ami disparu, Jean Debernard. Toutes les qualités profondes de la poésie d’Yves Rouquette sont réunies dans ces textes brefs. Sans aucune hésitation, le poète accepta de publier cette œuvre sous cette pauvre vêture, reflet de la très grande modestie de nos moyens en 2005. 8 Quelques mois plus tard, la publication de Pas que la fam, anthologie personnelle, était destinée à donner à lire et à faire découvrir à de nouveaux lecteurs, bien différents de ceux des années 1960 à 1980, quelques textes parmi les plus forts et les plus représentatifs de Rouquette. 9 C’est dans le même esprit que nous avons réalisé par la suite la réédition de la Messa pels pòrcs et de Roèrgue, si, désirant ainsi faire découvrir à un nouveau public des œuvres marquantes de la poésie occitane du XXe siècle (L’Òda a sant Afrodisi qui nous paraissait plus datée et liée à l’actualité du Bas-Languedoc des années 1960 fut republiée par la suite par l’association Cap l’Òc de Saint Affrique).

Des textes forts, restés ignorés

10 Tout livre ne rencontre pas le public auquel l’éditeur le destine. C’est le jeu. Mais il nous faut malheureusement regretter l’absence de tout écho donné à la publication de certains textes d’Yves Rouquette parmi les meilleurs et les plus forts que nous ayons édités.

11 Ainsi d’El, Jòb, dont la parution avait déjà été envisagée une vingtaine d’années auparavant par un autre éditeur. Je me dois de préciser ici que l’échec de cette première tentative d’édition ne me semble pas être dû à la fragilité du projet éditorial de l’époque mais aux doutes qui pouvaient assaillir Yves Roquette au sujet de la qualité de certains de ses textes. Or, ce recueil, que nous avons publié en 2007, est à mon sens une des œuvres maîtresses de la poésie d’Yves Rouquette. Mais je dois constater avec un peu d’amertume, que ce texte fort, dur et cependant magnifique n’a tout simplement pas eu de lecteurs. Peut-être faut-il voir dans cette indifférence un blocage culturel de toute une partie du lectorat occitaniste par rapport à tout ce qui touche de près ou de loin au spirituel. Ou encore une incompréhension, une méconnaissance, pour ne pas dire une ignorance partagée des sources bibliques de son inspiration. 12 Notons ici en passant qu’Yves Rouquette a par la suite fortement soutenu l’entreprise de publication de la première traduction intégrale de la Bible en occitan réalisée par son frère Jean Rouquette (Joan Larzac), même s’il pouvait se montrer très critique lors

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de discussions informelles sur le contenu même de certains livres de l’Ancien Testament. 13 Totalement différent du précédent, tant dans le ton qu’en tant que genre littéraire, mais lui aussi d’une très grande qualité, Armistiça, traduction-adaptation d’une comédie d’Aristophane, Lysistrata, n’a, elle non plus, pas rencontré de lectorat occitan, et n’a été jouée par aucune compagnie théâtrale occitane. Ce fut un regret partagé entre le traducteur-adaptateur et l’éditeur.

Une œuvre longuement mûrie

14 Quant à L’Ordinari del monde que nous avons publié en 2009 (le volume suivant en 2015), il est de ces œuvres qui justifient le labeur quelquefois ingrat de l’éditeur et font à juste titre la fierté d’un catalogue.

15 Mais ce livre vient de loin.

16 En effet, les premières versions de certains textes de l’Ordinari del monde ont été publiées dès 1976 sous le titre de Ponteses. Poèmas – Cronicas dans la collection Forra- Borra de l’Escòla Occitana d’Estiu : Aqueste quasèrn es estat estampat pel Ceucle Occitan de Vilanòva d’Òlt e tirat a 150 exemplaris al compte de l’autor. Novembre de 1976. Sur la page de titre, Yves Rouquette précise : […] Disèm ben « Gens de Dublin » en francés – e degun non se trufa. Aquestes, son monde del Pont = Ponteses. 17 La référence est ici explicite à Camarès : Lo Pont (de Camarés) étant le nom occitan ancien de l’agglomération liée au pont de pierre. Commune, faut-il le préciser, où se dresse la maison de La Sèrra, maison et paysage si présents dans l’œuvre de Rouquette. Et, dès le premier texte du recueil, le poète revendique la portée de cette parole muette : Los de la plèba, aquò te parla pas jamai Que de plaga a plaga, sens solament que boleguèm los pòts. 18 Rouquette publiera une nouvelle version de ces textes en 1988 sous un titre gommant alors toute référence géographique et donc personnelle explicite : Cadun los seus, dans L’escritura, publica o pas. Puis, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est une version en prose de certains textes qui paraîtra dans la publication fondamentale d’Auteurs en scène. La présentation qu’en fait Yves Rouquette à cette occasion se suffit à elle-même : Ce sont des morceaux de vie traitant de sujets graves, parfois dramatiques, puisés pour l’essentiel sur ces tas de choses que je sais des gens. Des gens pour qui j’ai pu éprouver une sorte de compassion comme ce curé pédophile, ce notaire véreux et qui acheva sa vie seul comme un pauvre bougre ; ou cette jeune fille à bacchantes qui chantait jadis dans un chœur de femmes. Textes courts, proches des poèmes, d’historiettes. Un travail énorme commencé il y a plusieurs années de cela et qui se veut être un remède à la poésie emmerdante. 19 L’horizon de Camarès et du Rougier s’élargit alors à Sète, à Béziers, ainsi qu’à d’autres paysages plus lointains, à d’autres cercles culturels aussi. De cette gerbe de nouvelles brèves, touchant quelquefois au poème en prose, je puis témoigner, pour en avoir discuté avec lui, qu’Yves Rouquette avait pleinement conscience de la qualité des textes

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composant le premier volume de l’Ordinari del monde et d’être ainsi arrivé à une véritable maturité de son écriture.

20 Quant au choix des nouvelles présentes dans les deux recueils de l’Ordinari del monde que nous avons publié, il s’est fait très simplement et a été réalisé comme il se doit en collaboration entre l’auteur et l’éditeur, le dernier mot sur le choix final revenant bien entendu à l’auteur, ici Yves Rouquette. Il s’agit là d’un mode de travail éditorial tout à fait banal et habituel. Retenons cependant la grande qualité d’écoute de l’auteur lors de la préparation de cette publication. Après la mort de son fils, l’envie d’écrire, la faim d’écrire avait quitté pour un temps Yves Rouquette. C’est en partie ce qui explique le délai de quelques années pour la parution du second volume, en sus des contraintes économiques et financières s’imposant à notre maison d’édition1. 21 Cette aventure éditoriale inachevée me laisse bien sûr des regrets : qu’il n’ait pu tenir dans ses mains le recueil de chansons occitanes de Marie Rouanet, paru un mois après sa mort alors qu’il l’attendait, comme la traduction par son frère du Novèl Testament, un an plus tard, ou bien encore, évidemment, de n’avoir pu publier d’autres œuvres demeurées en chemin d’Yves Rouquette lui-même, rare écrivain à l’écoute du monde et des hommes.

NOTES

1. A cada jorn son mièg lum ayant paru après la mort d’Yves Rouquette, celui-ci n’a pas pu relire les épreuves du livre. Ce qui peut expliquer certains rares « gasconismes » dus à la distraction de l’éditeur et relevés par la lectrice minutieuse qu’est Marie-Jeanne Verny.

AUTEUR

JEAN EYGUN

Éditeur, Letras d’òc

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Yves Rouquette : situation de l’œuvre, problématique des travaux (dix thèses)

Marjolaine Raguin-Barthelmebs et Jean-Pierre Chambon

1 Pourquoi l’œuvre d’Yves Rouquette n’a-t-elle bénéficié que si peu des soins des occitanisants ? Par où commencer pour la traiter et dans quelle optique ? À partir d’une pratique de connaissance très étroite, mais en nous aidant de quelques assomptions de portée générale, nous voudrions apporter quelques éléments de réponse à ces deux questions. N’ayant pour ainsi dire pas rencontré l’écrivain, n’ayant abordé que depuis peu de temps l’étude de ses textes, n’en connaissant qu’un petit nombre et fort mal, nous sommes bien placés pour formuler de manière axiomatique, avec la distance requise, les dix thèses suivantes portant sur la situation de l’œuvre et la problématique des travaux. Nous espérons que, placées qu’elles sont, pour l’essentiel, sous le signe consensuel de la philologie, ces considérations propédeutiques pourront retenir l’attention des spécialistes.

2 Voici les dix thèses que nous leur soumettons : (1) constat : Yves Rouquette n’est pas entré dans le canon de la littérature occitane du XXe siècle ; (2) corollaire : l’exclusion du canon est la réplique de l’exclusion du comité de rédaction de Viure en 1973 ; (3) conséquence : l’étude scientifique de l’œuvre est au point mort ; (4) perspective : la tâche des occitanisants consiste à passer de la connaissance sensible de l’œuvre-vie à la connaissance rationnelle des textes ; (5) condition nécessaire pour ce faire : s’extraire de la rumeur qui offusque l’œuvre afin de se concentrer dans le silence sur les textes et leur traitement ; (6) techniquement : le premier moyen de ce passage est l’édition philologique des textes, écrits et oraux ; (7) condition nécessaire : la distinction à marquer et à pratiquer entre édition scientifique et édition commerciale ; (8) circonstance favorable : il suffit, pour l’essentiel, de transférer des textes médiévaux d’oc aux textes contemporains le savoir-faire philologique ; (9) rappel : si la lecture philologique n’entre pas en concurrence avec les autres, elle est méthodologiquement prioritaire ; (10) conclusion : le plus juste hommage à rendre à Yves Rouquette serait de produire des éditions scientifiques à la hauteur de son œuvre.

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Thèse 1. Au son du canon : les exclus

Nouvelliste, romancier, reporter, animateur de revues, homme de théâtre, essayiste, éreinteur, traducteur, diseur, orateur et poète DE NATION OCCITANE1, Ives Roqueta/Yves Rouquette n’est pas entré dans le canon de la littérature d’oc du XXe siècle tel que celui- ci s’est formé dans les deux dernières décennies de ce siècle, en un bel équilibre géopolitique : l’autre Rouquette, Manciet, Boudou, Delpastre, Lafont, Delavouët, voire Nelli2. On s’y attend, puisqu’à dire d’expert (Lafònt 1979, 94), notre auteur, « fauta d’estre Celine, a menat lei Letras d’òc au cagador, ont es totjorn besonh de papier, mai èra pèr un pet foirós ». 3 Hypothèse (qu’il faudrait savoir mettre au duel, la même exclusion ayant frappé Jean Larzac)3 : Yves Rouquette l’Occitan n’est pas UN exclu ; Occitan, il est L’exclu, l’objet de la négation qui fonde la définition et l’image de la littérature occitane contemporaine telle qu’elle entend se représenter à elle-même.

Thèse 2. Ce qui fut exclu : la double peine

4 Pour appréhender précisément les causes et les modalités de cette (double) exclusion, il faudrait que soient connus les mécanismes de formation du canon et d’obtention du consensus. Il faudrait, en d’autres termes, qu’on puisse se fier à une histoire de la littérature occitane après 1970. Nous nous bornerons pour l’heure à observer que la formation du canon coïncide chronologiquement avec les profondes transformations qui ont affecté le courant renaissantiste dont Yves Rouquette et Jean Larzac furent des figures de proue : l’occitanisme moderne, puis l’occitanisme politique. De force contestatrice qu’il fut dans la décennie 1966-1976, ce courant politico-littéraire se mua en effet à partir des années 1980 avec l’accès de la social-démocratie aux affaires (1981) en un groupe de pression intégré de plus ou moins près dans l’appareil de l’État français4, un appareil qui se rénovait alors à travers la régionalisation et englobait de plus en plus lisiblement les « associations » en leur déléguant diverses tâches subalternes. « Les régionalistes proposant leurs humbles services à la France éternelle » (Larzac 2004, 46), cette « collaboracion franca amb los poders publics » (Lafont 1999, 119) tournait le dos à l’orientation qu’Yves Rouquette avait défendue avec son frère : « lo nacionalisme universalista de las tripas e de las cervèlas »5 (Larzac 2004, 39) ; vers 1982, Yves Rouquette se retira du mouvement (Y. Rouquette in : Coll. 2004, 14)6.

5 Or, il faut prendre garde ici à une caractéristique structurelle de l’institution littéraire occitane contemporaine : dans celle-ci, producteurs de littérature, leaders politiques et culturels, spécialistes académiques et évaluateurs de la littérature sont, dans une très large mesure, les mêmes individus7. C’est pourquoi — telle sera notre hypothèse provisoire — il n’y a au canon qu’un seul Rouquette. 6 Conséquence hypothétique : l’exclusion du canon littéraire constitue la réplique de celle qui frappa en 1973 les mêmes Yves Rouquette et Jean Larzac, exclus alors tous deux du comité de rédaction de Viure, admirable revue et saint des saints de l’intelligentsia occitane et occitaniste. L’affaire s’était nouée littérairement et politiquement dès avant mai-juin 1968, quand la revue refusa L’ESTRANGIÈR DEL DEDINS de

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Jean Larzac, un poème dont la puissance de rupture inouïe s’avéra un irrémédiable révélateur (Y. Rouquette in : Coll. 2004, 20 ; 2009a, 14). 7 Si notre interprétation est exacte, ce ne sont donc pas seulement deux œuvres qui furent exclues du canon, mais plus encore une orientation politique révolutionnaire (proche de celle que résume le nom de Jean Cardonnel), orientation anti-impérialiste donc nationale8 — sous un autre point de vue, celui de Lafont : machiste, populiste et haineuse9 —, et du même coup les choix esthétiques alors intrinsèquement liés à cette orientation10. Les deux frères auraient ainsi longuement et cher payé au plan de leur reconnaissance et de leur statut en littérature leur opposition à la tendance régionaliste issue de la FGDS mitterrandienne : celle qui allait se fondre dans l’appareil d’État français (dans la terminologie rétrospective propre à Jean Larzac (2004, 49) : les « occitanistes normalisés »).

Thèse 3. Des études presque au point mort

La situation épistémique de l’œuvre d’Yves Rouquette — ne parlons pas de celle de Jean Larzac — se ressent très fortement de cette exclusion du canon pour ne pas dire qu’elle en découle. Certes, la littérature secondaire consacrée à notre auteur ne fait pas entièrement défaut et certains éléments de connaissance utiles ont été produits ici ou là11. Pourtant, du vivant de l’auteur, l’étude scientifique de ses textes, de sa langue et de son style, n’aura été entamée qu’à peine. Sauf lacune dans notre information, les études yves-rouquettiennes sont à ce jour pratiquement au point mort12 : les textes demeurent un continent inexploré.

Thèse 4. Du passage de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle

La tâche qui se présente aujourd’hui aux occitanisants consiste à passer de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle des textes. On ne s’élève point de l’une à l’autre par d’imperceptibles progrès, mais par décision de méthode.

Thèse 5. Faire taire la rumeur pour entendre les textes

8 Condition nécessaire de ce passage : s’extraire de la rumeur confuse, biographique, péritextuelle — les amitiés et les rancœurs, les choses vues, entendues ou sues de seconde main, l’œuvre-vie, la légende noire —, mais aussi des ressassements d’auteur, qui nimbent ou offusquent l’œuvre, afin de se concentrer sur les textes et leur traitement. Première coupure. Faire le silence pour entendre les textes ne signifie pas pour autant faire abstraction de leurs conditions de production, mais seulement prendre résolument pour principe le précepte sola scriptura.

Thèse 6. De l’édition philologique des textes (écrits et oraux)

Techniquement, le premier moyen du passage à la connaissance rationnelle d’une œuvre est connu : c’est l’édition philologique. C’est-à-dire, selon la juste définition de la

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philologie (celle d’un Albert Henry (1983) ou d’un Alberto Varvaro (2012), par exemple)13 : l’établissement des textes ET de leur sens. Nous dirons — en reprenant une formule (orale) d’Albert Henry — qu’une cure de philologie est à prescrire. Comme Alberto Varvaro l’a souligné dans son testament spirituel, « qualsiasi testo scritto deve essere trattato con i metodi e gli strumenti della filologia » (Varvaro 2012, 28). Ce qui est vrai des troubadours l’est aussi de Boudou, de Manciet et d’Yves Rouquette comme de Francés Conheràs, d’une affiche ou d’une interview : « è vero sempre » (Varvaro 2012, loc. cit.). 9 Le passage par la philologie que nous prônons implique l’abandon de l’essayisme comme mode de pensée, le renoncement aux problématiques a priori et aux généralisations prématurées « loin de la chair des textes » (Gardy 1996, 19). Si cela s’avère possible, la cure philologique doit s’entreprendre à base de manuscrits autographes et tirer parti d’éventuels états antérieurs. Prenons le seul fragment de manuscrit d’Yves Rouquette dont nous ayons connaissance : celui de LA FILHA DE NOÉ dans L’ordinari del monde [I]. Nous constatons, par exemple, que l’autographe porte « la Santa Vèrge »14 (avec l’archaïsme médiévalisant, voire le catalanisme, Vèrge)15, alors que l’impression pré-originale (Roqueta 2004, 119) et l’impression originale (Roqueta 2009b, 7) ont au contraire « la Santa Vièrja », avec la forme courante de l’occitan contemporain16. La forme Vièrja n’est donc pas une donnée de langue immédiate, mais une conquête d’écrivain17. De manière légèrement plus complexe, le manuscrit autographe emploie « anma » (Roqueta 2004, 125), la pré-originale « arma » (Roqueta 2004, 119), alors que l’originale revient à « anma » (Roqueta 2009b, 7), une forme que nous interprétons comme une graphie étymologisante représentant l’occitan courant [ˈamo]18. Ces deux exemples en une seule page illustrent le travail auquel se livre le poète pour s’approprier telle quelle la langue ordinaire des mondes ordinaris, débarrassée des schibboleths renaissantistes19. Il faut du temps pour [se] tornar far una lenga20, une langue sans cesse à conquérir.

10 Il ne faudrait cependant pas fétichiser la dernière édition revue par l’auteur. S’agissant d’un écrivain dont les œuvres sont souvent disponibles dans des éditions courantes, il serait presque paradoxal de s’astreindre par principe, au cas où l’on disposerait de manuscrits, à éditer en reproduisant les éditions courantes (Paul Delbouille (1987, 221-222) et Varvaro (2012, 42-43) ont d’ailleurs montré que la notion de dernière volonté de l’auteur n’est pas si claire et ne doit pas être acceptée sans examen par le philologue)21. 11 Ajoutons — puisque nous avons affaire à un homme d’éloquence — que les textes oraux relèvent aussi, comme Varvaro (2012, 29) l’indique opportunément, de l’édition philologique. Les conditions de production de l’œuvre et l’autoperception du parcours de l’auteur, à la connaissance desquelles les textes oraux concourent souvent, doivent être étudiées, elles aussi, sur la base de textes dûment transformés en sources, c’est-à- dire philologiquement constitués et interprétés. 12 À titre de document de travail, nous proposons un essai d’édition d’extraits d’une allocution d’Yves Rouquette prononcée en 2009 (Chambon/Raguin en prép.) Cette expérience pose de nombreuses questions concrètes et de méthode : comment transcrire le texte ? Dans quelle mesure le toiletter ? Quelles informations l’apparat critique doit-il contenir ? Sans oublier le versant linguistique de l’enquête philologique : dans quelle variété diatopique d’occitan Yves Rouquette s’exprime-t-il oralement ? S’agissant des écrivains occitans, qui font nécessairement usage d’une

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langue dialectale non standardisée, la prise en compte des textes oraux est en effet primordiale pour l’appréciation diamésique et stylistique de leur langue d’art. À l’horizon, une question plus générale : est-il vrai ou non d’Yves Rouquette qu’« un texte littéraire d’oc […] renvoie aussitôt le lecteur suffisamment informé à son lieu précis d’écriture » (Lafont 1997, IV = Gardy 1997, IV) ? Le poète a certes donné sa réponse : « Tota lenga es la de l’ostal / o pas que bruch sens poder sul silenci »22 ; cela ne dispense pas le philologue et le linguiste de faire leur travail.

Thèse 7. D’une autre rupture préalable

Tout progrès de la connaissance scientifique reposant sur la rupture ou la coupure, le préalable philologique implique de tracer et de maintenir une ligne de démarcation claire entre l’édition scientifique destinée à la « lecture lente » et à l’étude, d’une part, et l’édition commerciale destinée à la lecture courante et à l’otium, de l’autre23. Or, on sait que la main invisible du marché — si restreint que soit le marché littéraire occitan — conspire à effacer ou à brouiller cette coupure. Il convient donc de nadar contra suberna en affirmant que l’édition a la bòna par des non-philologues ne peut se substituer à l’édition philologique (dans une certaine mesure, l’édition courante constitue un obstacle épistémologique — parfois même un obstacle tout court — à l’édition scientifique) et de pourvoir les textes d’Yves Rouquette d’éditions philologiques.

Thèse 8. Du transfert des méthodes et des techniques

Il est à peine besoin de souligner que ceux des provençalisants qui s’occupent de textes contemporains ont de la chance : grâce à une pléiade de savants, principalement italiens, la philologie occitane médiévale a en effet été portée à la pointe de la philologie romane. Il n’est donc que de transférer aux textes contemporains, avec les adaptations voulues, les méthodes et les techniques appliquées d’ordinaire aux seuls textes littéraires médiévaux24. On trouvera là le meilleur moyen de résorber les fameux dénivellements entre la période médiévale et les périodes post-médiévales pointés par Lafont (1987, 13, 19) tout à la fois comme « dénivellement d’exigences scientifiques » et « dénivellement général de la qualité », des dénivellements qui caractérisent encore structurellement nos études occitanes.

Thèse 9. La lecture philologique et les autres

D’autres lectures que la lecture philologique sont possibles et légitimes : il est probable qu’on trouvera chez Yves Rouquette des thèmes et des motifs, un Œdipe, de l’intertextualité ou des échos de ses engagements et de mille problématiques apportées de l’extérieur du texte. Différemment, « c’est […] le texte qui questionne le philologue, et non le contraire. L’interprétation philologique consiste à entendre les questions du texte, à les identifier et à y répondre » (Chambon/Greub à paraître, § 2.1.) Dans sa minutieuse modestie, la lecture philologique n’entre pas en concurrence avec les autres, mais elle s’avère méthodologiquement prioritaire en ce qu’elle s’attache à établir sur un texte sûr le sens « prévu et voulu » par l’auteur (Varvaro 2012, 128). On pourrait invoquer ici le poète : « le langage poétique ne veut pas dire autre chose que ce qu’il dit » (Y. Rouquette in : Coll. 2004, 9). Mot à mot, phrase après phrase, texte après

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texte, loin des grilles25, la lecture philologique garantit le respect de la singularité des textes et de l’œuvre. Elle est l’assise et la pierre de touche des lectures non philologiques, lesquelles peuvent se développer alors sans arbitraire et gagner par là en sûreté.

Thèse 10. Du juste hommage

13 Le plus juste hommage que pourront rendre les savants à Yves Rouquette — et, par transitivité, à la langue dans laquelle il s’est le plus souvent exprimé — serait, nous semble-t-il, de produire des éditions scientifiques qui, dans leur ordre propre, soient à la hauteur de l’œuvre à éditer. Si la tâche ne dépassait pas les possibilités du petit nombre de personnes qualifiées, on pourrait rêver à des œuvres complètes ou, plus à portée de main peut-être, à l’édition d’un volume ou d’œuvres poétiques choisies.

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NOTES

1. Chose notable, Yves Rouquette ne se considérait pas, en effet, comme Français, mais bien comme Occitan de nation : « Sièm Occitans en primièro […] sièm pas ren du tot » ; « Ieu n’èri [de la nation française] : pòdi tornar » (voir Gravier s. d. ; Chambon/Raguin en prép.). 2. « De ce siècle encore inachevé, des séries de textes émergent déjà. Sans mêler de jugements de valeur à cette constatation, notons quelques noms pêle-mêle : Georges Reboul, Jean Boudou, Max Rouquette, Bernard Manciet, Max-Philippe Delavouët, Robert Lafont, René Nelli, Marcelle Delpastre… D’autres encore sans doute » (Gardy 1996 [1994], 30). Le nécrologe de Lafont par Yves Rouquette donne une idée des auteurs que ce dernier retenait du XXe siècle occitan : « Max Roqueta […], Delpastre, Manciet, Saurat o Nelli o Lesfargas […] (e mai tot còp Còrdas o Allan) ; [...] Dubernard » (Roqueta 2009a, 11-10) ; on peut ajouter Boudou : « que teni Bodon pel melhor romancièr d’òc » (ibid., 15) et Jean Larzac. 3. « Le frère qu’il me fallait. Le compagnon de toutes les luttes » (Y. Rouquette, in : Coll. 2004, 20). 4. Appareils idéologiques d’État y compris, cela va (presque) sans dire. 5. Jean Larzac s’adressait à Yves Rouquette. La traduction française (p. 45) omet de rendre universalista. 6. Pour Lafont (1999, 23), « subreviurà pas, lo movement occitan coma tau, a 1983 ». 7. C’est là l’une des caractéristiques structurelles fondamentales de ce système en tant que système littéraire d’une langue minoritaire menacée. La figure type de l’homme-orchestre est évidemment Robert Lafont. 8. Cf. Chambon (2014, 268-271). Vers la fin de sa vie, Yves Rouquette se rapprocha du Parti de la nation occitane (PNO) ; cf. Chambon/Raguin (en prép.). 9. Le jugement littéraire de Lafont cité plus haut (sous « Thèse 1 ») s’appuie en effet sur l’argumentaire idéologique et politique suivant : « masclum agressiu, populisme en apogèa, pissolet en retorica, òdis en simfònia » (Lafònt 1979, 94). 10. Il est aisé de constater qu’aujourd’hui encore la parole universitaire peut avoir pour fonction la continuation de la guerre par d’autres moyens. 11. Nous pensons surtout au numéro d’Auteurs en scène (Coll. 2004), en particulier à l’article de Philippe Gardy, et à Gardy (2011). Voir aussi Gardy (1992, 70-74 ; 1996, 45-46, 55-56), Chambon (2014) et, de manière plus générale, Kirsch (1965, 76-78), Lafont-Anatole (1970, 2, 818-824), Fourié (2009, 280). 12. Quasi-néant assuré en tout cas de 1977 à 2007 (voir Pfeffer/Taylor 2011 et Klingebiel 2011). 13. Cf. aussi Chambon/Greub (2015). 14. Page du manuscrit reproduite dans Roqueta (2004, 125). Il s’agit d’une mise au propre, au stylo-plume sur une feuille de classeur copie simple (grand format, grands carreaux). 15. Type attesté par le FEW (14, 503a et b, VIRGO) jusqu’en 1420, puis, isolément, chez Goudouli.

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16. Type panoccitan attesté par le FEW (14, 503a et b) avec les localisations suivantes : mdauph. bdauph. Barc. mars. (A), aveyr. (bièrjo), Vinz. Tulle, Bagnères, béarn. land. ; ALMC 1674 (Ardèche, Aveyr. Lozère, HLoire, Cantal). 17. Cf., dès 1970, à propos de quand mêmes : « Teni al gallicisme. L’ai soslinhat per que los gramaticians occitanistas lo me fagan pas petar » (Roqueta 1970, 11). 18. Sur les types arma et ama (ce dernier régnant partout, en emploi autonome), voir FEW (24, 581b, 582a et b, ANIMA), ALF 1754 et Chambon (2011, 563 n. 188). La forme graphique anma s’inspire d’aocc. arch. anma (notamment Boeci et Sainte Foy, FEW 24, 581b) ou de lat. anima. 19. Dès 1975, Yves Rouquette s’excusait dans son recueil des Cronicas de “Viure” de « tot aquel vocabulari e mai que mai d’aquela sintaxi de farlabica que tròp sovent li aurà calgut engolir » (Roqueta 1975, 246). En ce qui concerne les emprunts au français, voir l’allocution de Rodez, en 2009 : « Ieu siái tranquille : quand disi lo tractor, en francés se dison lo tracteur, m’es egal » (Gravièr s. d. ; Chambon/Raguin, en prép.). 20. « Lo fornial amb Cabròl », v. 2 (Roqueta 1988 [1973], 31). 21. Allons plus loin : en matière de textes littéraires occitans du XXe siècle, l’essentiel du travail philologique consiste souvent, si l’on dispose d’autographes et/ou d’états antérieurs, à procéder à partir de ces matériaux à la déconstruction des textes courants en montrant comment ceux-ci ont été construits. Dans certains cas, on peut alors mettre au jour le travail de ce que Philippe Gardy a appelé la Main et l’un de nous, plus globalement, l’Instance (Chambon 2012). En respectant les textes et de par sa démarche critique, la philologie déjoue irrévérencieusement les Mains et l’Instance normalisatrices. 22. « Tota lenga », v. 1-2 (in : Roqueta 1988, 37). 23. Dans une édition scientifique, « è non solo opportuno ma indispensabile che l’editore procuri di applicare tutte le rissorse della filologia testuale […]. L’impresa richiede capacità, esperienza e tempo, spesso anni ; essa è estranea, per tempi e costi (umani ed economici), all’editoria commerciale » (Varvaro 2012, 44). 24. L’un de nous a déjà eu l’occasion d’exprimer cette idée ailleurs (Chambon 2010, 880, 888). 25. Y compris des grilles lexicales : il est par exemple philologiquement illégitime de traduire « occitan » quand Y. Rouquette écrit « òc ».

AUTEURS

MARJOLAINE RAGUIN-BARTHELMEBS

Université de Liège, CESCM

JEAN-PIERRE CHAMBON

Université Paris-Sorbonne, CEROC

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 127

Yves Rouquette (1936-2015) engagement et création littéraire

Hommages

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 128

En remembre d’Ives mon fraire

Joan Larzac

1 Es amb aqueles mots de tendresa qu’Ives me dedicacèt L’Escriveire public, e me sembla, a tornar legir tota son òbra qu’escriu cent còps per ieu en se fasent la paraula de nosautres totes. E ieu, d’ont mai va, d’ont mai m’espiant dins la glaça me trapi semblant a mon fraire enanat e d’ont mai agachi fotografiada sa cara ai bèl cercar quauqua traça de semblança amb ieu d’ont mens ne trapi Quand, traça, li demandavan qual semblava, aviá respòst que se semblava a el Empacha pas que quand li demandavan de qual èra — Dels Roqueta del Pont, disiá. E ieu de Confolèus (Poèmas per Ives, inédit)

Enfanças parallèlas o entrecrosadas, puslèu

Gavachons de la montanha

2 Èrem nascuts a Seta totes dos, el en 1936 e ieu dos ans pus tard en 38. En febrièr, el lo 29, e ieu lo 13. Aquò fa que sos anniversaris tòmban totjorn après los meunes, mas cada quatre ans, las annadas bissextilas. Arribi totjorn çaquelà dos ans après el, amb los sovenirs que sa pluma a raubats a la meuna, e qu’ai totjorn dins mon tenchièr.

3 Es aital que, dins L’ordinari del mond, Ives parla del grand amor de nòstre papà, […] la paura Fernanda, mòrta de Ftisia galopanta en metent al jorn un enfant mascle e dejà mòrt. […] Es que mon paire se n’es consolat el ? A ma femna diguèt que nani, pas jamai a de bon. L’aviá dins sa cambra, aquel imatge, tot lo temps que visquèt veuse. La paura mamà aviá Fernanda en amistat, quand èran jovas totas doas. Gardèt la fotografia. L’agèri dins ma cambra ont dormissiam, mon fraire e ieu. E encara aicí, dins l’ostal ont escrivi, n’i aviá una, la mèma, en dessús de mon lièch. E abans de me jaire, ma grand me fasiá pregar que velhèsse sus ieu. Era, disiá, la mamà qu’aviái al cèl.

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Cantan encara sa paura glòria, los aucèls pels garrics, la tartana al mitan de cèl e, lo rèc quand carreja, los bartasses en flors, los cabròls que japan dins la castaneda. Sa glòria de filhona. De filha escolarizada pas gaire ; de jove plaçada per serviciala a còç d’un medecin jamai sadol de femnas e que mon paire l’asirava e la tirèt de sas manassas ; de la femna facha qu’ajudava, dintrat de la gara, a cordurar a la maquina de pepetas de petaç. (Letras d’òc, 2009, 69) 4 Quand legissi los Dieusses Primièrs, mònti totjorn los dos estatges de l’ostal ont madomaisèla Carrèra aviá fach de levandièira a la mamà, per Ives e per ieu, e me ven aquel soslèu que nos ten luòc a totes dos del gost de la magdalena de Prost : Çò que perdura, quand la memòria s’anequelís e que l’oblit ganha, aquò’s l’odor dels èssers e de las causas […] La tanben, a far venir lo vòmit, qu’emplissiá los escalièrs del numerò cinc de la placeta a Seta quand la maire Capèla fasiá còire una sopa de tripalha de buòu per sos cans. E encara la dels mòrts qu’òm tarda a entarrar. (Cap l’Òc, 2013, 65) 5 Mas aquel recòrd es pus tard, après la guèrra, quand tornèri de l’Avairon quauques meses abans mon fraire e que lo curat Bringuièr lo prenguèt tanben après ieu coma clèrgue e que portant, qui la crotz darrièr lo catafalc, qui l’encensièr, podiam diagnosticar a sa flaira de dequé lo mòrt èra mòrt. Avèm dos ostalses, la Glèisa amb l’ordinari de la Messa recitat de tèsta, e al cap del corredor, ont lo papà emplegat de gara a montada la bicicleta, l’apartament estequit, ont i a pas qu’un fornet de marca Faunus qu’òm aluca pas que quand lo freg es aquí o que i a quauque rostit a faire, quauqua tarta, o un flan. A l’ostal coma a la Glèisa, es en francés qu’òm parla a Dieu […] E en latin per li parlar dels mòrts : de profundis. […] L’ainat a dotze ans (ço ditz L’Ordinari del Mond II, d’un doble poëtic d’Ives), lo segond dètz (aquò’s ieu), la filha (la pichòta sòrre qu’avèm pas avuda) uòch » […] arche d’or, arche d’alliance […] En francés tornarmai […] Lo pus vièlh es pro grand per trapar dins aqueles vocables lo resson de la poësia sens parièira per el, que ven de descobrir dins lo psaume que ditz : montes exultaverunt ut arietes et colles sicut ani ovium. Es al collègi. Dempuèi dos ans fa de latin. (Letras d’òc, 2015, 99) L’eròi de Lengadòc Roge me remanda l’imatge del papà dins del fons de son miralhet : Agafèt lo rasor dins lo tirador del bufet, tirèt sa cencha, (es d’aquela cencha que nos amenaçava quand escotavem pas) l’acroquèt a l’espanholeta de la fenèstra per la bocla e se metèt a polir la lama abans de se la passar dins la man. Gaires èran los òmes qu’avián un rasor a l’ostal. Se sabonèt amb de sabon negre e dins un flòc de miralhet redond penjat a costat del bufet començava a se copar la barba. (I.E.O., 1984, 314) 6 E i a ges de dobte, l’Antòni de « L’Antipetiserpentigraf » dins La Paciéncia es plan el, e ieu Danís. Me soveni plan de sa malautiá qu’aviá fach de mon fraire un èstre a part de ieu, inaccessible dins çò que i legissi coma son secret. Cossí podiá èstre estat gelós de ieu ? Antòni servava lo recòrd d’un ostal ont Micon teniá ges de plaça, coma s’aviá pas existit… Èra malaut. La mamà l’aviá pres dins son lièch. E lo papà dormissiá dins la cambra de darrièr, sa cambra d’Antòni que preniá jorn sus la cambra de la mamà per un fenestron naut plaçat e destrech que la nuòch lo daissavan dubèrt per en cas que cridèsse… Se soveniá pas d’aver cridat jamai. Mas voliá pas garir. Garir seriá estat deure tornar aval, a dos passes de la cambra negra ont l’embarravan quora fasiá l’aissable. Seriá estat pèrdre la calor mofla de la mamà, lo plaser de se frelhar contra ela, maissas barradas, uòlhs cutats, quand lo matin lo tirava del sòm, poder pas pus niflar l’odor ispra un briconèl — una odor de lach e de lenha, de citronèla, e de farda — la que mamà totjorn carrejava sus ela.

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Garir ? Antòni ne risiá. Aviá garit. Se vesiá tornar de l’escòla — la saqueta que trucava los botelhs, la jòia de traversar lo mercat — passava pel canton dels fruches, fai lèu, e dels peisses, fai lèu, ganhava lo canton dels legums. Aquí, entre favaròls e caulets, davant los rafes e los naps, las panièras d’espinarcs, de lachugas, de bleda, d’agreta, d’escorsonèras o de trufas, aimava que l’agantèsse coma una mena de vertigi, coma quora los uòlhs vos dòlon endedins d’aver tròp longtemps agachat tombar l’aiga d’una palsièira o lo solelh dins lo folhum. (I.E.O., 1968, 55) 7 Es qu’es aquò possible que mon futur mèstre en occitanisme foguèsse estat gelós de ieu quand, occitan sens o saber, declaravi en patés — non pas davant la sopa, coma o cònta dins Lo Poëta es una vaca, mas davant las islas nadairas de la crèma de la mameta — « Aquò’s plan bon ! » Me raubèt ben la sovenença que m’empusavan ieu, pus magrostin, e non pas el, pel trauc del vaissèl per brossar la rausa de la darrièra vendémia ! Mon fraire, perqué benlèu es mai pichon, patís mens a faire son trauc dins aquel jòc entre doas lengas ont sembla admés un còp per totes que se parla òc entre adultes e francimand amb los mainatges. Quand a finit sa sopa, mòstra sa sieta e ditz : ‘Aquò’s plan bon’ e tot lo mond rison. E ma mameta lo pren per la barbicha : ‘Morre pichon !’ Ieu non. M’agradariá. Mas al moment de dire qué que siá i a quicòm que se nosa dins ma garganta. La vergonha m’emponha e tòrni al francimand. I a pas qu’amb Estòqui. Parli òc e aquò sembla pas l’estomagar, ni per de rire, ni autrament. Ai passat lo cap per la trapèla del vaissèl nòstre que nos l’es vengut netejar e disi : ‘Quant de rausa, macarèl ! Quant de rausa !’ (Cap l’Òc, 2013, 22). 8 Del Pont, me venguèt veire un jorn a Confolèus, ont lo tonton Gabrièl e la tatà Germèna avián desbarrassat la mameta de la Sèrra del capdèt que passava son temps a se targanhar amb l’ainat. Vegèt alara la paret tristoneta de la glèisa per la fenèstra del membre ont tornèt reconstituïr la pacha que, del grand qu’aviam pas conoscuts, faguèt lo paire de l’ainada bastarda de mamà, tatà Loïsa, sòrre Maria Magdalena de Jèsus. Un secret de familha que cerquèri pas jamai a de mon band a lo saber : A Confolèus i aviá mon fraire Joan, mon oncle Gabrièl e la tatà Germèna, e la mameta que dempuèi d’ans quitava pas lo lièch e que blanca sus fons dels lençòls e de las cortinas, a ieu, me fasiá paur […] Los teulats del vilatge a l’auçada de mos uòlhs s’embarravan dins sas montanhas, gris de la lausa sul gris-negre dels bòsques, lo vilatge ont mon fraire Joanet s’èra trapat tan lèu al sieu, a ieu me demorava barrat… Mon oncle se perdíá en grands rasonaments : Petain, Verdun… Enlà dins Confolèus i aviá pas aquel grand flòc de cèl que la capòta d’Estòqui empegava sul roge de la tèrra. Vira-revira, m’embestiavi. A Confolèus tot èra estequit. […] la granda bòria de Rozairós a caval entre dos païses, lo nòstre roge e verd, tot estripat de planas, tot flocat de bòsques pichons, de randalhas, de vinhas, tot traucat de jaças, de bòrias, lo cèl a cinc cents diables, naut, larg e redond, en cabucèla, e lo païs d’enamont, de la mamà, de Joan, d’Estòqui plan longtemps, gris e negre, tot en plans verticals, sarrat contra lo cèl, falguièras e sapins, desertat, angoissós, nimai per l’aiga que pertot rajava, a cada plec de tèrra, a cada tombada de còsta en fonts o en rècs pichonèls ont voliái totjorn m’amorrar. (Cap l’Òc, 2013, 54) 9 Quand escriguèt aquò, èra ja lo sol mèstre a la Sèrra. Contèt cossí dins Erbas baujas. Aviá dètz e nòu ans. Ieu demorarai « Joan sens tèrra ».

Setòris de la Placeta

10 Èrem doncas dintrats a Seta. Mas pas a l’escòla sant Vincenç de las sòrres de sant Maur ont un còp m’èri cagat dins las bralhas e que de la vergonha auriái pas gausat agandir

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l’ostal s’Ives i m’aviá pas pres per la man. Al Pont èri pus fièr. Ives èra a cò dels fraires, e carrejava dins sa saqueta lo dinnar per nautres dos. M’avián mes ieu a la Santa Familha, e las religiosas s’estabosissián de mon repertòri de pregàrias e de cantics. Cal dire que, se d’un band sortissiái a penas d’aquela passa ont encari tetavi, me’n soveni, dins l’abric josterran de la placeta pendent las alèrtas, d’un autre band sabiái ja legir coma un grand. M’èra arribat çò que cònta — de sa maire — Armand Miquèl : Mon paire ensagèt ben tota una passa de li mostrar las letras de jornal, las gròssas mai que mai. S’aviái sachut, ço ditz, quand ton paire me voliá ensenhar… (Lengadòc Roge, I.E.O., 1984, 107) 11 Mas ieu aviái sachut, e, aviái quatre ans. Ives ne faguèt un jorn davant ieu lo calcul per tatà Joana. Voliái pas res aprene a l’escòla, disiá ela, « e se son fraire o aviá pas dich a l’ostal… » seriái encara un ase. « Es vrai ? m’aviá dich lo papà ? » Aquò’s doncas aital que sus sos genolhs pairals aviái deschifrat l’alfabet dins las paginas del Miegjorn Liure (qu’apelavan encara l’Éclair). E quand me placèron a Confolèus, fasiái l’admiracion del vilatge en presicant als autres enfants sus la plaça.

12 Lengadòc Roge s’inspirarà encara de ieu quand lo narrator se contenta pas de se vantar de recitar de tèsta lo « suscipiat » mas m’emprunta lo raconte de ma vocación : ‘T’agradariá d’èstre rector pus tard ?’ me demandava ma maire. Òc, m’agradariá […] M’es arribat de jogar, quand èri pus pichon, a dire la messa amb las filhas del quartièr, de montar de processions coma las fan per las rogasons. (I.E.O., 1984, 37) 13 Se soveniá sai que de mos pròpris sovenirs confolèusòls, qu’aviái transcriches dins La Boca a la Paraula. (Òbra Poëtica, I.E.O., 1986, 232).

14 Legissi « Fin de Jornada, 1943 ». Es que li ai contat cossí, ausissent a Confolèus de dins un prat penjolut los avions que passan dins lo cèl e lo bruch del bombardament de Seta, aviái corregut plorar dins lo davantal de Germèna ? « Papà es mòrt », ço fasiái. Probable. Mas dins la version qu’es la seuna, ont se dòna dètz ans al luòc de sèt (L’Ordinari del mond, Letras d’òc, 2009, 98), Ives plora pas, el ! 15 Empacha pas que me rauba sens cilhar l’onor qu’agèri ieu a Seta, « la velha del primièr nadal, de portar l’enfant Jèsus de l’autar a la grépia » (I.E.O., 1984, 42). Un onor que reveniá al pus traça. Rapatriat abans el èri vengut lo primièr enfant de còr d’aprèp la guèrra (– « De qual es aquel pichon ? » – « De ieu. » – « Lo me prestatz ? » aviá dich a mamà lo curat Bringuièr). 16 Ara, amb los dos ans qu’aviá el de mai que ieu, e una annada d’avança, èrem totes dos a l’Institucion sant Josèp de Seta. Auriái poscut contar a sa plaça quant de còps anèrem ajudar Fernand lo sacrestan, amb una pèça de cinc francs d’alara pels entarraments, e quant de còps l’anavem quèrre bandat coma tres asclas a l’assucador de la carrièra Frederic Mistral (L’Ordinari del mond, II, Letras d’òc, 2015, 86). Auriái poscut narrar per mon compte los sovenirs qu’Ives prèsta a Armand Miquèl dins Lengadòc roge. Son regent s’apelava al Pont Monsur Negre, a Seta Monsur Lauriòl, e a travèrs Morgues son companh de classa vesi ieu Descreaux mon amic d’aquel temps : Corrissi a l’escòla. I arribi trempe coma un rat, mièg-ora abans los autres, qu’es mon torn ambé Morgues d’alucar lo fornèl, balajar lo pelsòl, passar la pelha, levar la polsa de las taulas, fretar lo tablèu, asclar los soquets de garric que serviràn per la jornada. […] Çò primièr tirar las cendres. Lo fornèl es un « Godin » que lo mèstre faguèt crompar l’an delà […] Tirar las cendres. Las metre de costat que serviràn per la bugada e per portar a l’òrt del mèstre lo potassium, lo calcium, lo magnesium… (I.E.O., 1984, 367-368) Quand dins Argerianas, parla de Seta a la Liberacion, i me vesi, ajudant la mamà :

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Totas las canalizacions èran estadas emmonnadas pels bombardaments ; i aviá pas d’aiga als robinets de cap d’ostal ; solament a las fonts de las plaças una orada lo matin, una orada lo vèspre e las coas s’alongavan davant caduna ; de femnas e d’enfants, tot còp d’òmes, amb de ferrats, d’arjòls, de dorgas, de tinòlas, de pegals, d’olas. (Gai Saber, n° spécial, 1994, 17) 17 I a, dins L’Ordinari del mond, lo lach que distribuissián als J 1, J 2, J 3 e que cèrqui encara s’a lo meteis gost cada còp que ne cròmpi dins los super-mercats. La guèrra ven de finir. Et tot, praquò, de manca es, encara : lo pan, la carn, lo lach, lo burre. Cada matin, a ora dicha, las escòlas se voidan. Los mèstres menan los enfants al teatre municipal beure son quart de lach american, manjar sos bescuòches vitaminats […] arriban los iranges d’Espanha. […] e la mamà nos pren, lo frairòt e ieu, a nòu oras lo dijòus, après l’escòla los autres jorns, e nos trapam, quauques detzenats, a triar, a tirar al cotèl çò poirit. […] Es, apuèi, lo jus d’irange a cada repais […] Los borgesòts de l’escòla n’an pas autant. (Letras d’òc, 2009, 88) 18 Los Marchand, per exemple, Xavièr, Ives que serà cònsol de la vila, e Brunon lo caganís, que se farà jesuita. Quand Ives conta dins « L’Antipetitserpentigraf » lo carnaval de Niça, Micon, aquò’s plan ieu Micon, que l’Antòni lo « cèrca » : — E gaita de pèrdre pas lo frairon, aviá dich la mamà en l’apegant contra la parabanda. La parabanda èra de fusta pintada de blanc e ponchuda. E mai riscavava pas res que lo perdèse son fraire l’Antòni. Li aviá clavat lo ponhet dis sa man e aquí : quicha que quicharàs. E quora lo pichon reguitnava, zo, un còp de pè, sus l’òs de la camba, sens dire ren, sens quitar de l’agach lo cortègi. E lo sorire als pòts. Per un còp que l’Antòni lo podiá satonar sens crentar de prene un carpan, per un còp que se podiá passar los nèrvis sens que sa maire escampèsse las mans, ne profiechava. (La Paciència, I.E.O., 1968, 53) 19 Las expressions d’Alienòr — « De qu’ai fach al bon Dieu per aver d’enfants tan penibles » son ben las de la mamà a prepaus de Danís qu’èra ieu, e mai se lo ton èra pas totjorn a l’ostal lo de la galejada (« Monsur Roqueta, vos escoti pas pus », fasiá amb l’accent setòri la vièlha Peroneta, la vesina de l’estatge en dessús, en fàcia de Rogièr Capèla, e dejost los sols cagadors de l’immòble, aquí ont mamà montava lo ferrat. Tot es vertat e tot es faus, dins « La Maleta ». Èra pas vertat qu’Ives foguèsse lo darrièr a l’escòla, mas Tatà Loïsa es plan Tatà Loïsa, emai se me cal imaginar Puget Tenièrs e Menton al Mans, qu’Ives a fach d’un sol viatge familial doas novèlas. Lo raconte m’es dedicat — Per Joan Larzac, en sovenir de Menton, del papà e de la mamà qu’al lièch parlavan òc e que los entendiam del nòstre. (I.E.O., 1968, 67)

20 Contunhàvem de passar las vacanças a la Sèrra — ont nos trufàvem de la tatà quand recitava las litanias dels sants e non pas del sant nom de Jèsus coma lo narrator de Lengadòc roge (202) crei d’o se rapelar — « pié pou nou », « pié pou nou ». Era lo temps qu’Ives, al colègi, fasiá ja a dotze ans lo professor d’occitan per remplaçar Robèrt Lafont, e a quatòrze, a la Savoyarde, lo monitor que ieu reguitnavi quand me comandava, e qu’en nos contant d’istòrias amb lo talent fòl qu’aviá pres de l’abat Beceda, lo director de la colonia, apreniá son art de contaire. Lo badavi, marronant de lo veire me daissar luònh en rèr, e m’escapar, coma a la barraqueta de Madama Delàs quand fasiam a nos amagar. 21 Mas lèu nòstras dralhas, parallèlas e entremescladas, enrègan una autra istòria, dins l’accion occitanista e la fe en Dieu totjorn retrobada dins la fe encara mai dificila dins l’òme, l’istòria dels fraires Roqueta e de Maria Roanet. Dins A cada jorn son mièg lum, Ives, me cita pel primièr còp retrospectivament, e pel darrièr còp dins son òbra, jos lo nom de Larzac :

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O de Larzac : ‘Doça memòria de ton Nom. Siás aquí invisible. Doça memòria de ton nom. I a pas qu’una ora dins lo monde’. (Letras d’òc, 2015, 27) 22 Es un adieu tanben a Max Roqueta, que li faguèt descobrir a Silvanés çò que sentissiá dempuèi longtemps, pregant amb las paraulas de Claudel o de Max, e, lo citi : Un temps per lo desir. L’autre es l’etèrne. E portam ta memòria. (« Sola Deitas », Òbra Poëtica, I.E.O., 1986, 31).

Fraires, e fraires dins la lucha coma en poësia

Del ventre e de la tèrra

23 Es de l’epòca que nos metèrem a parlar pas qu’en òc al papà e a la Mamà, Loïs e a Maria, que dati lo terminus a quo de nòstra novèla frairetat. S’èra cercada tot un temps, mas èrem venguts bessons. I aviá pas pus dos ans de decalatge entre lo calendari d’Ives e lo meune.

24 Los camins qu’aviam preses nos desseparavan pas pus. Un còp ieu, un còp el, nos relançàvem. Coma quand un jorn l’anèri quèrre pels camins de Sant Clar, qu’aviá quitat l’ostal sus una scena amb la familha e qu’aviái paur que tornèsse pas. O coma quand, apiejats a las pèiras del Mòl, fàcia a la mar, assolidèt ma vocacion, quand trastegèri a la darrièra virada. Èri estat enfant de còr abans el, a St Josèp de Seta, ont ma maire m’aviá ramenat de la montanha, a la fin de la guèrra. Ara me sarrava d’el, descobèrta que la li deviái, mon occitanitat. 25 En remembre d’Estòqui (1956) es la resurreccion d’un verd paradís perdut, vengut a l’estat d’Erbas baujas (1954) : « Mon enfància partissiá a bocins », e lo païs tanben. « Aquelas espingadas » son l’adieu a l’enfància. E la Barta floriguèt, per Molin. Mas per Ives ? E ieu ? Aviái 18 ans, el 20. Èra la guèrra d’Algeria. 26 Ives aviá Lo mal de la tèrra (1959), e lo del cèl. Qual sap s’èra a la capèla del pichon Licèu de Montpelhièr, o ja de Sant Bonet de Galaura ? Aviá interromputs sos estudis de letras classicas que menava cotria amb de cambaradas occitans (Crestian Laus) o africans (Malikité). Una experiéncia mistica, que tornarà viure dins la contemplacion carnala de Maria, sa femna : E ieu t’espii. E tot d’una / aquò’s coma se « lo gas èra baissat tot blu / se, d’escondons, del dormitòri èri sortit / e que tota la nuèch agèssi pregat / dins la capèla del collègi / lo Crist palle e vermelh, lo filh / de la maire de las dolors » (Lo Cant dels millenaris, Cap l’Òc, 2013, 25). 27 Dins del Grand Semenari d’as Ais, ont amaduravi ma vocacion de prèire, e ont aviái tornat fondar un « Rodelet Provençau » escantit dempuèi lo temps de l’abat Petit, seguissiái son caminament occitanista e amorós. Ives aviá represa e capitada sa licéncia, amb son professor genial de grèc, Rossèl, qu’èra tant anticlerical coma sa filha venguèt integrista. Es el que m’aviá fach passar l’oral al bac en 56 (reconeissiá que los escolans del canonge Pedrico del pichon semenari èran los pus fòrts). E me carpinhèri pus tard amb Elena, « la Rossèla », qu’aviá fondat Una voce.

28 En 58, partiguèri al grand semenari de St Sulpici… Pensi a çò que deguèt sentir lo papà, e qu’Ives ne farà un poèma : Quand son enfant prenguèt lo trin / de 21 oras 14 cap a París via Lion aquò’s el que donèt la via e passèt la despacha al pòste 1 de La Peirada per dire a Gaston / que tot èra normal… / ni pel mal / que li veniá pel ventre a causa de la bòria qu’aviá

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quitada tanben / per trapar de trabalh / a Seta a la companhiá / trenta ans aperabans (Los negres siam pas sols, 4 Vertats, 1972, 3). 29 Dins de París, servissiái tot còp de segretari a Ives, que sachèt pas jamai picar a la maquina, coma ieu sachèri pas jamai menar. De dècas que nos fasián tot còp dependre un de l’autre. Me soveni d’aver dactilografiat son diplòma d’Estudis Superiors sul Païsan de París, d’Aragon (1961), e son Josèp Sebastian Pons, per las edicions Seghers (1963).

30 Anava devenir en 62 cap-redactor d’Òc, que li aviá l’an d’abans refusat un article : « Comment vont les études occitaniennes ? - Très bien, c’est tout le reste qui va mal. » De mon band, en 61, dins una automobila que m’aviá pres en estòp entre Seta e Montpelhièr un jorn de vacàncias, aviái « encloscat » lo menaire, que se trapèt èsser un representant de las P.U.F, sus l’existéncia de la literatura d’oc, e m’aviá prepausat de n’escriure una per la colleccion Que Sais-je ? Foguèt lèu bataclada, entre los corses a l’Institut Catolic ont fasiá propedeutica e la caminada de N.D. de la Gara, dins lo XIIIen, ont animavi los joves de la parròquia (ten, me tòrna que ma sotana negra me valguèt croac sul camin del metrò !). Ne recebèri l’an d’apuèi un exemplar a Ghazir — e un de Sola Deitas, mon primièr recuèlh de poèmas, - « sans valeur », aviá marcat Ives a l’intencion de la dogana. 31 1962, es la fin de la guèrra d’Algeria, qu’aviái esperada per partir al Liban coma professor de pichon semenari. D’aqueles dos ans, quand recuperarai ma correspondéncia amb mamà que Maria Roanet ven de destoscar dins un tirador de la Sèrra, poirai sai que retrobar lo fial de ma recèrca espirituala, parallèla a la de mon fraire. L’èri anat veire amb Maria e Laurençon, a Ancenis, ont èra estat nommat professor e militava a l’Accion Catolica obrièra — una experiéncia que li valguèt d’escriure « Mèrda a Vauban » (editat en 65, dins Made in France. Tot legissent La Paciéncia, escrich en 61-62, poguèri comparar amb l’abat Ricard e l’abat Florent d’aquel primièr recuèlh de pròsas, los prèires qu’Ives e ieu aviam coneguts (e s’i mesclavan los amics pintres), coma èran, o transfigurats dins sa recèrca d’una Glèisa renovelada. La del Concili que Joan XXIII aviá convocat. 32 L’abat Dejean de nòstre temps d’enfants de còr e del temps de l’adolescéncia d’Ives coma « federal » del Movement Catolic de l’Enfància aviá celebrat en 59 a Besièrs son maridatge amb Maria Roanet. A fauta de veire Ives prene lo camin del semenari, i m’aviá mandat ieu. Planhi que mon fraire aja pas poscut coma ieu seguir son viratge d’una teologia pre-conciliària rigida a la de Vatican II. Sas relacions amb el se refriguèron quand las meunas se rescaufavan. Mai que mai quand, aumornièr del carmèl de Seta, se dobriguèt a la critica biblica e a la teologia de la liberacion. Quand fau lo compte, es de milions que donèt a « Offre-joie », per m’ajudar a faire jogar ensems los enfants musulmans e crestians, e, quand agèron grandit, a li faire rebastir las arroïnas del Liban. Un jorn, li ofrirai un calici que me cedèt Mossa, lo facteur-cheval del païs del Cèdre. 33 Mas tornem justament al Liban, en 1962. En agost, aviái entraïnat Pèire Emmanuel a l’estagi de Bedarrius. Èrem en plenas discutidas sus Occitania amb Domenach de la revista Esprit, e ne deviá venir parlar amb ieu al Liban. Es coma s’èra ièr. Daissi Ives cap a la crinca de la Sèrra, e davali de l’autre band, tot sol, cap a Dordon e al molin de Laur. A drecha lo camin escala cap a Confolèus. A esquèrra, la primièra veitura que passarà me menarà cap a Mediterranèa. Embarcarem a Genova, e lo batèu va mancar taular entre Caribda e Scylla.

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34 De Ghazir, escambiarai amb mon fraire tota una correspondéncia ont posèt aquela meditacion sus La mòrt del Crist que publiquèt dins Letras d’òc en 1966. Aviái totjorn dins ma cambra lo Crist marin, de Pèire Francés, coma una icòna que i cremava davant un pichon calelh. Quand li escriguèri tot destimborlat que somiavi la nuòch de rasigas indo-europencas, me rassegurèt, fòrt d’èstre passat per aquí : « As ton certif dins la pòcha ! ». 35 De son adolescéncia setòria e de sas aventuras bartassièras en defòra del mitan parroquial, aviái partejat amb el son que las partidas a la baraqueta de Masèl. Aracil, lo filh del roge espanhòl… “Albèrt e Pèire èran pintres…” (Lo Mal de la tèrra, 1959) Era tot un mond que veniá cap a ieu a travèrs l’amistat de Pèire e sa recèrca artistica que lo fasiá se sarrar, galòi e tragic, del sacrat. 36 Acabat nòstre temps de « destacats militars » al Liban, l’armada nos volguèt far far tres meses de classas en junh 64. Mon fraire m’aviá ensenhat lo biais qu’aviá trapat de se far passar capbord, coma Pèire, çò que faguèri al Val de Gràcia. Me marquèron en « congé libérable », e en esperant me deguèri presentar regularament a la casèrna de Seta, ont Pierrot Francés me menava dins sa 2 CV lo temps de signar sens saludar degun, que sabiái pas reconèisser un oficièr d’un segonda classa. Laurençon, el, que m’èran venguts presentar a mon arribada del Liban a la gara de Seta, sabiá ja reconóisser totas las marcas de veitura, e li aviái ensenhat a dire « Allah o akkbar » en passant lo chipelet a la mòda orientala. 37 1964 foguèt l’annada de la crisi a l’I.E.O. entre los “culturalistas” e los “politisaires”. Lafont aviá butat Ives contra Castan e Manciet, puèi s’èra desconflat, e Ives donèt sa demission. Lafont çai demorava en sota-man, en ieu prenent lo Sector Literari e Jaurion e Danisa Imbèrt fasent virar lo Sector Pedagogic. 38 L’I.E.O. anava èstre privat de sa revista, Òc, recuperada pels culturalistas. Aviam avut lo grand prèmi de las letras occitanas, Ives e ieu, en 62 : ieu per Sola Deitas (publicat en 63 amb revirada en francés d’Ives Roqueta), e el per La Paciéncia, que lo jury aviá preferit al Libre dels grands Jorns. Mas Ives abans de quitar Òc faguèt passar en primièr l’edicion del cap d’òbra de Bodon, e La Paciéncia deguèt pacientar fins a 64. Consacrèri de mon band dos importants articles, sus Bodon en 65 (Viure n° 1, 1965, reeditat a l’iniciativa d’Ives Roqueta dins J. Larzac, Bodon mai que jamai, C.I.D.O.-Gavaches, 1995), e sus Manciet. Ives e ieu escriviam desenant dins Letras d’òc. E dins Viure, qu’aviam fondat en 64 amb Lafont. Trabalhàvem dempuèi 62 al Comitat Occitan d’Estudis e d’Accion. Aviái dins l’ase de far tornar Ives a l’I.E.O., çò que capitarai en 68. 39 Encara un an de teologia a Sant Sulpici, e foguèri ordonat prèire en 65. Pèire aviá dessenhats mos imatges d’ordinacion. Ives aviá pas avuda de son Academia la permission de çai venir d’Ancenís, qu’auriá obtenguda s’al luòc de me far curat lo convidavi a mas nòças. Mas nos èrem poscuts trapar a l’entarrament de la « mameta de las cocòtas », coma disiá Laurençon, a La Folhada ont fasiá la cosina de l’escòla liura. Nòstre oncle Pèire, clèrgue de sant Viator, n’èra lo director. Me tòrna aquela certitud que m’èra venguda dins lo trin, pendent lo viatge dins de París : lo que me manjarà, aviá dich Jèsus, morirà pas per totjorn. E fasiái lo compte de quantes de còps aviá comuniat, e ieu a costat d’ela ! 40 1965 : Cal legir dins « Einfürung in di Florida » (Obradors, n° 2, 1969, 45-94) aquel afar del crime de Seta qu’Ives ne faguèt lo prelud al « desmainatjament del territòri ». Ives parlava de l’Occitania coma bronza-cuol d’Euròpa. « Tot es invencion pura. O juri, e mai

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ieu ». Tant val dire que tot èra testimoniatge ocular — e mai ieu, « un companh d’Ives que dison qu’es curat. » Encara una pròsa qu’auriái poscuda escriure, mas èri pas a sa plaça, amb son estilò dins quauqua circonvolucion de sa cervèla : « Perqué sas l’alemand ? demandèri. - Un briconèl aital. Es vengut indispensable de saber l’alemand se vòls saber far de teologia. — Cresiái, ditz Ferdin, qu’aquò se fasiá en latin. — De davant, mas ara es mai que mai en Alemanha que se fan las recèrcas, se fas pas d’alemand, siás cocut ». 41 Èrem ataulats sul bòrd del canal… Es que pensèri a aquel autre cafè, a La Sala, après la desbranda de l’I.E.O. ? « Paura femna, paure curat ! » fasiá Bodon. E de me contar que me metriá dins son novèl roman. Mas aqueste còp, i me deviái pas reconóisser, au mens dins lo curat de Fontcotut. Qual sap ? Lo Libre dels Grands Jorns (1965) es que seriá pas estat lo d’un sòmi avortat ? Dins Lo Poèta es una vaca (1967), lo notari finís qu’o manja tot de las bòrias a l’entorn de la Sèrra d’Ives. 42 Téner fins a 1968 ! « Lo Vietnam es luònh, disiá » (Roërgue, si, Letras d’òc, 2009, 57). E ieu en 1967 : « Ai pres lo drapèl roge a l’òme de la gara. Saupèri pas ont lo quilhar / al còr de mon enfància… V coma Vietnam, V coma Victòria ». (« Creacion a Tolosa », Òbra Poëtica, I.E.O., 83-84). Dins l’Òda a sant Afrodisi, Ives sòna totes los anticolonialistas a la rescorsa, de son amic Malikité a « aquel grand salòp de Damato que dempuèi mai de quatra ans m’a pas jamai escrich quand seriá qu’una sola letra » e totes los occitanistas de bric o de bròc, — « e Joan Larzac qu’es dos còps mon fraire ». Pas que dos còps ? Es vertat que siam maites fraires dins la lucha. I a Max Roqueta, tanben, e pensi a la visita que ieu li faguèri a son burèu de medecin de la securitat sociala per lo remetre en corsa. Una « occitanoterapia » del poèta, — mas Ives pensa benlèu a Lafont, lo teorician que me soveni pas aver vist pegar d’afichas amb nautres : « Un jorn siam montats dins sa cambra / l’avèm pres per la man, l’avèm fach davalar, pels escalièrs, coma los grands malautes / l’avèm fach sortir per la pòrta / e rescontrar un fum de gents / li avèm aprés a parlar clar… » (Los negres siam pas sols, 1972, 6). Dempuèi 68, Ives èra tornat a l’I.E.O. en pòste de responsabilitat, e ieu, dins Messatges e dins 4 Vertats, te’n sovenes, Miquèla ? recampavi tant los possibles poètas coma los biaisses de dire occitans dusca dins l’argòt en espèra de drech a la paraula. Ja ençabàs los flumes de Babilona los jovents son aiga la menan pels prats sens pas cap de respièch per nòstres cants d’exilh (Roërgue, si, 1969 ; reed. Letras d’òc, 2009, 80) : L’estrangièr del dedins (4 Vertats, 1968) s’escriviá a quatre mans. Prèga, frairòt, rapèla-ié lo temps qu’èrem per sa justícia, fa pas jamai qu’un an. (« Orate Fratres », Messa pels pòrcs, 1972 ; reed. Letras d’òc, 2009, 21) … es coma se disiá, ja : « … l’an que ven farà pas que cent ans… ». Lo temps aviá virat, e nautres amb el. 43 Lo Petit Livre de l’Occitanie, e mon article dels Temps Modernes, « décoloniser l’Histoire », avián pas paregut en 71 que ja s’amodavan de novèlas despartidas, entre los nacionalistas de l’I.E.O. e de Volèm Viure al Païs, — los fraires Roqueta tractats de populistas, e los regionalistas de Lucha Occitana, tractats de sucursalistas que volián impausar la rega de R. Lafònt a un I.E.O. d’intellectuals marxistas. Lafont s’excluïguèt de l’I.E.O. e despleguèt a partir de l’universitat de Montpelhièr en 1981 la telaranha de l’A.I.E.O (Associacion internacionala d’Estudis Occitans). Aviam totes fach la pre- campanha de Lafont per las presidencialas de 74. Ives aviá lançat en 77 la peticion per l’occitan lenga nacionala, e Maria Roanet aviá desrabada sa signatura a Mitterrand. En 81, faguèrem campanha per el. Ne foguèt pus jamai question. Lafònt se vesiá venir son

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ministre de las regions. Los occitanistas obtenguèron de pòstes, lo militantisme crompèt un chut. « Comment va d’èstre vestit de rebellion ». Ives nos vesiá « vestits de lusèrna, verds de colèra, en armas coma de « castanhièrs ». Vestits de lusèrna, per tornar nàisser ? Mas aquel poèma datava de Roërgue, si, del temps de mon « Refús d’entarrar ». Nàisser dos còps coma a Seta se morís dos còps… « del ventre e de la tèrra » ? O fumar las mauvas, coma Nèlli en 81 ?

Lo fuòc es al cementèri

44 Boti als cimèls de nòstra poësia aquel « entarrament a Carcassona », lo de Renat Nèlli : Lo Cementèri dels Inocents (1982), marca per Ives e per ieu lo començament d’una vida après la mòrt de nòstre occitanisme. Un Refús d’entarrar (Ardouane, 4 Vertats, 1970). – Es fach, diguèri. – Es pas jamai fach, cridèt Joan. […] – A supausar que li agèsson fach quauque monument de quicòm, ont estimatz que lo caldriá plaçar ? En vila ? A l’entrada del bòsc ? (« Lo cementèri dels Innocents », L’Escritura publica o pas, I.E.O., 1988, 273 et 281) Per ieu, « lo » bòsc pòt pas èstre que lo bòsc comunal, o lo de nòstra sèrra, al Pont. – Fàcia a la Glèisa, diguèt Jòrdi. El dedins. (Ibid., 281) 45 Siái ieu qu’aviái fach l’entarrament a la glèisa, coma tantes n’ai faches o ne farai d’occitanistas amics. De Còrdas, en 87. De Xavièr Azemà en 2011. E de de Ressaire, l’an de davant, a l’escapada, al cementèri, après los sermons dels francs-maçons, a la demanda de sa veusa, a Banhòus ont los aviái maridats.

46 Nèlli o aviá volgut aital. Nos èrem un pauc mai afrairats, dins lo temps qu’adobavi l’edicion a cò de Messatges de son Òbra Poëtica. E coma Ives, son disciple ben aimat, a travèrs la profession de fe catara, m’aviá desacaptat una fe crestiana que cercava son espandi. L’aviái acompanhat dins son encaminament, coma aviái acompanhat los darrièrs jorns sus la tèrra d’Enric Espieut en 1971. Enric que dins son deliri vesiá una granda fèsta en l’onor d’Ives, plena d’armonias angelicas… – Totes los poèmas dison la mèma causa : Es plan mòrt / Joan del pòrc. Mas me fa pas pus paur. – Non, entendèri dins mon esquina. Lo qu’aviá cridat èra un jove que veniá de passar just la pòrta… Non, diguèt, l’escotetz pas, los escotetz pas, cap ! O vos vau dire ieu çò que dison sos poèmas a totes, e sos poèmas d’el, e las sornetas dels vièlhs, e las cançons e las musicas sens paraulas de sas femnas. De poèma, aqueste a rason, n’i a pas qu’un. Lo que quauqu’un aviá escrich en letras grandas amb de cauç, sus la paret d’un autre cementèri, al ras de la rota granda. Teniá en doas paraulas !- Occitanie Libre. — Òc, en francés, coma se lo qu’o aviá escrich [Jaume Ressaire, justament] lo vos aviá volgut escriure a vautres mai que non pas als seus. Mas nos èra plan egal a nautres. Tant trapèrem aquel estiu de papièr, de murs, de quitran de rota, de plumas, d’estilòs a bilha, de gredons, de tencha, de cauç, de color, de sang, de pissa o de fotre… — Me soveni, diguèt l’òme — Tant de còps o calligrafièrem, dins nòstra lenga e dins la de l’autre… Lo jovent s’èra mes a tustar sus son pitre de sos punhs barrats — Escotatz : Occitanie libre. Occitania liura… L’idèia me venguèt que d’enlà de pels ostalses anava montar sul ritme donat pels joves, lo bruch dels pades entretustats de las pobèlas trucadas per de bacinas coma de caissas claras lo crit dels autres. Mas venguèt pas. (Ibid., 284-287) 47 En 82, justament, per quitar la plaça a de pus joves, Ives e ieu demissionèrem, Ives de President de l’I.E.O., e ieu de Vice-President del Sector literari. Per ieu foguèt l’entarrament dins l’oblit, la damnatio memoriae. Ieu qu’aviái publicat tant d’autors

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degun m’a pas encara ofèrt de publicar lo segond tòme de mon Òbra occitana, que s’es espessit de recuèlhs inediches, l’equivalent del primièr (1986). En 88, faguèri passar encara L’escritura, publica o pas, d’Ives, dins la metèissa colleccion. Lo C.I.D.O., qu’aviá fondat a Besièrs en 74, après l’exposicion Mila Ans de Literatura Occitana, l’ocupava desenant. I aviái presa ma part, e nos donava l’escasença de novèlas collaboracions, duscas a mon exposicion sus Mila ans d’Art Occitan en 89. Aital contunhavi de m’arrestar a son ostal a Besièrs coma dempuèi 1965 en montant de Montpelhièr per rejónher los joves de l’aumornariá a sant Ponç, qu’èran tanben lo grop de V.V.A.P. Mas tre 1988, marcat de tres viatges, al Brasil de Dòm Herder Camara, en Palestina annexada per Israël ont retrobèri mon companh de Sant Sulpici Elias Chacor, e al Liban en plena guèrra civila, mon orizont foguèt lo Mejan Orient : un darrièr camp amb los joves del Somalh, e tres colonias de vacanças pels enfants musulmans e crestians reünits, que finançarem gràcia a un apèl al ancians dels camps « Soleil et Joie ». Un jorn mon nebot Francés, testimòni del trabalh de reconstruccion operat per « Offre-joie », e i entraïnarà Ives a çai venir veire mas frèscas de Tripòli : « Es Mère Teresa ! », disiá en parlant de son oncle. Èra en 2005, l’annada de l’assassinat d’Hariri.

48 Aviam perdut lo papà en febrièr 85, al Pont de Camarés. O aviam pas dich a la mamà, qu’aviái plaçada a cò de las pichòtas sòrres, a dos passes del Centre sant Guilhèm, mon Q.G. occitanò-teologic del Clapàs, mentre que se sonhava son òme a l’espital vesin. Li aviái dich solament qu’aniriá pas plan luènh. « Ieu tanben », m’aviá fach, coma s’o aviá tot comprés. Era a la velha de Totsants 84. E Ives que l’aviá velhada aquel jorn me i èra vengut dire al pichon matin qu’aviá passat. Una sòrre vietnamiana s’extasièt a son entarrament, ausissent dins la capèla de l’ospici, « O Magali ma tant aimada » en guisa de Libera-me. La mòrt e l’entarrada del papà al Pont, en febrièr, Ives l’a contada dins Après lo paire (1985). I parla d’ieu, encara. Balha sa version. Tot es vertat, poëtizat a pena : Dins l’uèlh de mon fraire Joan passa coma una jòia : ‘Encara ièr mangèt, beguèt, parlèt / Se volguèt levar per tastar al pan e als evangèli, per reglar sos afars tanben. / Ara que çai siás (mon fraire ritz / lo rire li va plan) / l’agulhaire / sap que pòt donar la via.’ / Sul fuòc, grand bolh, la sopa de miègjorn / desparla tanben, per son compte […] El, del fons de las tubas / ont es dintrat, sul pic : ‘Fai-me pissar’, me tòrna. Mas res es pas vengut. / A li prene la man (pel bòsc passar) me siái sentit lo primièr de ma raça / amb pus fòrta que tot / l’enveja d’engendrar […] Te mentigas pas. Sos raufèls son l’anóncia per tu tanben / d’un desastre sens nom. […] E ieu, e ieu, e ieu ? A la glèisa, mon fraire ditz / las formulas del grand passatge. Sa paraula me mena en plen mitan de ieu / aquí ont mon paire / s’abança coma un rèc […] Ela es aquí. Siái mai dins l’òrt. Me’n vòli de tot çò / que nos siam pas dich / Te’n vòli de totes los saupre-fars que te gardères. E ieu cossí ! Siái ara lo pus vièlh de la raça. 49 E ieu dempuèi qu’Ives me quitèt tot sol, sens autra descendéncia que los que Dieu de mas paraulas a la vida eternala. L’òrt, es lo del matin de Pascas, amb Magdalena… Noli me tangere. Mas vai-te’n dire a mos fraires que monti cap a mon Paire e al vòstre de Paire. O me tòrni dire, ara que lo pus vièlh de la raça siái ieu.

50 Ai una autra version de la mòrt de nòstre papà. Mas es tròp tard. Daissi a la version d’Ives sa plaça de vertat poëtica, de version oficiala. La meuna es pus banala. Fasiái un cors de teologia quand mon paire me telefonèt (o me faguèt telefonar per tatà Joana, sa garda-malaut) que venguèssi, qu’èra al pus mal. « Non, pas sul pic. Deman matin. »

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Coma se caliá qu’Ives posquèsse li dire en camin, dins sa clòsca — pas que lo subre- lendeman, quand o aprendriá a son torn : « Garda ton buf, espèra-me. ». Un meune estudiant, Georges Thomàs, s’èra prepausat per me menar al Pont en veitura. Quand arribèri, papà me mandèt efectivament a cò del notari, a la Pòsta. « A quina ora vòls que digui la messa ? — A quatre oras. Vai-te’n o dire a « las vesinas ». Dinnèrem. Quand agèrem totes comuniat, declarèt : « Ara tot es reglat, al temporèl e a l’espirituèl ». E puèi : « Sòna Ives, diga-li que venga deman d’ora ». 51 Lo demai, Ives l’a escrich, es pas pus de faire. Mas çò que pòdi ajustar es que per ieu — o contèri cent còps quand l’amistat permet las confidéncias e que tomba sus la mòrt que nos espèra totes — « lo pus bèl jorn de ma vida foguèt lo de la mòrt de mon paire ». Desenant, coma la femna d’un meu amic occitanista en fasa finala, empetegat dins lo pauc que sabiá de catequisme, e que li demandava : « Cossí òm fa per morir ? » poiriái afortir : « As pas res a far, es tot simple, diguèt : i aurà tot lo comitat d’acuèlh ». Ieu sabi que i aurà papà. E Françon. E Ives. 52 M’aviá dedicada aquela pagina. Mas legiguèri totas las que me mandèt apuèi coma se m’èran dedicadas : un dialòg espiritual e dins lo sègle. Ives retrobava amb Nasreddin, e Armistici, lo ton que tant agradava a Nèlli, lo de « L’Antipetitserpentigraf » e de Lo peis de boès dins lo metrò e « La Maleta » (Made in France, 1970), mas aprigondissiá de mai en mai son « tan pauc de fe » que siaguèsse. Mina de res, tre 85, dins Lo Filh del Paire, nos ofrissiá una teologia ja pòst-catara. Coma s’aviá legit los pus modèrnes teologians de la mòrt de Dieu que questionavan ma pròpria poësia (Requiem per lo suicidi d’una idèia) e ma recèrca bíblica : « Dieu ne podiá pas mai : ‘Bogre d’angèl, espetèt. Bogre d’ase ! bogre de pur esperit ! comprendràs donc pas jamai ren ? Èsser juste dins, per e amb mon filh, aquò càmbia tot ! Aquò càmbia la fàcia del monde !’, tornant prene son alenada : ‘Aquò me cambia ieu, del tot al tot. Arrèsti pas de cambiar, e i ganhi !’« . 53 En 88 i agèt Dels dos principis. Et quibusdam aliis, ai ajustat alara en biais de responsa, dins un poèma meune, inedich. Mas citavi ja Cathares (1991) dins mon cors sus Le Christ, l’Esprit et les religions du monde, en 1998 : « Es que se pòt èstre quicòm mai que catar ? » demandava Josèp Delteil a Ives Roqueta. La question del mal tòrna en fòrça al s. XX, e òm se desbarrassa pas tan lèu de l’ipotèsi dualista que se poguèt faire al s. XIII en impausant per lo mal (l’inquisicion) la doctrina que lo mal existís pas realament, qu’es pas imputable qu’a la corrupcion de la volontat dins la creatura se desvirant del ben […] Òm saupriá pas pus s’acontentar de disculpar Dieu d’una creacion imperfacha se l’agach portava pas sus l’avenidor per un pus grand ben. […] Lo Paire anonciat per lo Crist es Autre que lo que presidís als jòcs estonants de la matèria. Es lo Paire dels esperits que son amor es tal que pòt pas qu’adoptar coma sos filhs totes los esperits embarrats dins un còrs, en exili. 54 Li mandèri mon cors de 2002, sul « Desliura-nos del mal ? » e lo de 2005, « Segon las Escrituras ». Dempuèi 1996, Ives e Maria s’èran fixats a la Sèrra. Nos vesiam mens sovent. Los enfants qu’aviam carrejats a las manifestacions sul Larzac avián grandit. Laurenç fasiá son torn del mond a la vèla quand papà moriguèt.

55 L’amistat del poèta francés Gil Jouannard nos val encara de nos anar passejar, Ives al Maghreb, e ieu pus tard a Baghdad en 2002, per far una conferéncia sul folklòr occitan e los mits babilonians, quauquas setmanas abans la segonda guèrra del Gòlf. Faguèri escala a Praga. Ai notat sus mon guida toristic aquela convèrsa amb un Israelian que parlava un francés quasi impecable : « Es que faretz la patz ? li disi. — Òc, a la fin. — Mas lo problèma de las colonias ? La tèrra es pas d’eles, es nòstra. — Volètz descaçar totes

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los Palestinians ? — Solid. — Auretz lo mond contra vosautres. — C’est nous qu’on domine le monde (verbatim), aquò’s pas vautres. O doblidetz pas ». 56 Aviái pas doblidat qu’Ives, el, dins Argerianas (1994), nos fasiá part tre 1993 de sos escambis entre berbèrs e occitan sus l’eime dels colonizats. E mai que mai de sa descobèrta de l’Islamisme radical, qu’èra pas incompatibla encara amb la tolerància pel crestianisme : Sètz pas coma los Josius qu’eles solhan la tèrra […] Mon fraire, mon fraire, mon fraire… Lo chèfe es tornat, me pren sus la terrassa. – Supausi que mon collaborator vos a dich que quand seriam un estat islamic, o abrasucarem tot. – Totes los signes del cristianisme, de la romanitat, de la paganitat, òc, òc, o m’a dich. — E ben, sabètz ara un pauc melhor ont ne siam, e quane trèrra-tremol nos risca d’arribar. (Gai Saber, 1994, 65 e 74) 57 En 1999 Ives actualiza tragicament son Òda a sant Afrodisi : aquò dòna Lo Cant dels Millenaris que tèni per lo poèma pus fòrt del sègle XX. I anticipa — e i despassa — Dieusses primièrs. Mas s’arrèsta davant l’entre-devoriment universal de l’amor que Deltelh lo paleolitic engolissiá amb delícia ferocitat : Alara, diga-me :/ del nom de quana fauta, del nom de quana lei violada / l’èrba, la fuòlha e lo ramèl / crussissián dejà jos la dent / dels dinosaures e la carn e los òsses / dels chapaires d’èrba cricavan / jols caissals dels manjaires de carn ? (Cap l’Òc, 2013, 11) 58 Lo despassa, remontant dins la regression fins en deçà dels sauts qualitatius entre la consciéncia malurosa, lo sang, la saba e lo mineral, dusca a la naissença de Dieu, sa rara co-eternala — l’origina es al cap del camin — amb lo futur, amb Jèsus. Anem, bota, Joaneta / sòrre de Lazara / fai la cosina, vai… per ton òme e tos tres filhs, aprèsta lo repais / son eles Lo de Nazaret / que per eles, sus la taula, vas metre / lo pan de la necessitat / lo vin que nos tòrna lo sovenir / dels bonurs que los aviam perduts. (Cap l’Òc, 2013, 23) ‘E me lèvi’, Ives ditz a Maria, ‘ambe / l’eternitat al ventre / qu’aquò’s per tu, amb tu e en tu / e a causa de tu, e a causa / d’aqueles dos, de filhs / per tu donats, que me fan paire / Mon bonur fa pas qu’agusar / mon talent d’un totjorn ont siam / onte siam totes emplonsats’. (Cap l’Òc, 2013, 27) 59 Aital transpausa la doxologia al nivèl de « l’amor / tant talament terrèstre » qu’es lo signe sacramental de l’autre… E pr’aquò çò pus dur / nos demòra de far / un puèi l’autre, un puèi l’autre / e duscas al darrièr : / Nos va caler aprene — escrich tres còps, en majusculas — / a desesperar pas nòstres filhs. (Cap l’Òc, 2013, 39) 60 Èra tanplan d’aquò que ieu tanben voliái parlar, quand escriviái, sus la fin del primièr tòme de mon Òbra poëtica : Tot faire per tu / e tot èsser dins tu / traversar l’invisible / te veire / e regretar / — ara pas alara — / pas qu’una causa / d’o poder pas dire / a mos frairons (I.E.O., 1984, 425)

Reires solelhs bessons

Esclòps despariats per esperar Nadal

61 Mon Occitania es lo mond serà lo titol del darrièr recuèlh de ma plèga d’inediches, escrich après la destruccion de la novèla torre de Babèl, a Manhattan, en 2001. Mon rèire-

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solelh. Per Ives, au mens, una entre-lusida. En 2005, m’expedia Lemosin’s Blues, dedicat a Jean Dubernard, amb aquel ajust manuscrit : « E a tu, Joan. Suspresa. Mandi lo poèma en traduccion francesa a La Pòrta. Publicat. E son edicion a Eygun… Me demanda lo tèxte en òc… Lo publica. Es que n’auriam finit tu e ieu amb l’ostracisme ? T’embraci. Ives ».

62 Faguèrem encara dos viatges ensemble, en Occitania italiana. Nos i espigolèron a totes dos, a el primièr, en 2010, puèi a ieu en 2013, la crotz de Tolosa, en aur, qu’onorava « una vida per l’Occitania » ; 2010, l’annada de la mòrt de Franceson ; 2013, l’annada de la parucion de ma revirada occitana de l’Ancian Testament, a cò d’Eygun. E de Dieusses primièrs, amb una citacion de ieu, la que Pèire Emmanuèl aviá presa tanben en exèrg de La Face Humaine : « I a pas que Dieu al mond e Dieu i es pas ». Es qu’agèt paur per ieu ? Es que li passèt pel cap, coma a Bodon, la temptacion de m’imaginar en vièlh canonge que serai pas jamai, l’exegèta en fin de recèrcas de l’Ordinari del monde e non pas de la messa ? 63 Al canton del fuòc, a la Sèrra, parlàvem sovent totes dos de Dieu, de mas recèrcas, coma parli totjorn amb Maria, sovent al telefon, de l’Evangèli, de la Glèisa de l’endrech, plan arreirada. Fins a l’arribada novèla d’un curat engatjat, del Pradò, practicavan a l’abadiá reviscolada pel Paire Andrieu Gozes. M’aviá avut demandat una revirada dels Psaumes de Laudas e de Vèspras, per la metre en musica. Aviá compausada una « Messa de Silvanés », e Ives faguèt los solòs dins lo disc. Es la que cantèt la corala, lo jorn de son entarrada. Ives Capòni — un setòri — la menava. Celebravi amb a mon costat Andrieu, qu’èra de Bruscas sus Sanctus. Nos escriviam dempuèi mon temps de semenari, son temps de noviciat a cò dels dominicans. Nòstra familha, costat mairal, èra sortida de Blanc sus Sanctus, pus en amont, cap a Confolèus. Èra pas de la banda revolucionària a Cardonèl, qu’aviái mes dins lo còp de « Realitat e Crestianisme » a Montpelhièr, del temps qu’Ives a Besièrs se fasiá dels francescans contestataris. Mas d’èstre vengut la cocolucha dels còrs liturgics l’aviá pas empachat desempuèi de butar dins la règa d’una concepcion declericalizada de la Glèisa. Es la qu’experimentavan tanben los nòstres amics de la Bòria nòbla, del temps que Chanterelle, la femna de Lanza del Vasto, que foguèt la primièra a enregistrar los trobadors, e que son òme, Lanza del Vasto aviá menat un june per sosténer los del Larzac. I avián montat en espectacle o puslèu en « mistèri » lo Filh del Paire. 64 Es a l’espital de Montpelhièr ont m’avián operat, qu’aviái mes Ives dins lo còp de mas ipotèsis sus sant Pau. Es al Pont que parlèrem e parlèrem de l’istòria de las sensibilitats qu’an fach la diversitat e malurosament las oposicions de las Glèisas. Apreciava mai que mai en bas de las paginas las nòtas de l’Ancian Testament ont la sensibilitat occitana, trucada per un imatge de Dieu, me fasiá marcar las distàncias que separàvan encara l’Ancian Testament e la revelacion del Dieu jove que meravilhava Deltelh. Quauquas setmanas a penas abans sa mòrt, a l’espital de Sant Africa, passèri tota una matinada a li explicar tot çò que sap ara melhor que ieu de las originas dels Evangèlis e dels corrents entremesclats de la Glèisa primitiva. 65 De Dieusses Primièrs, aviái ieu retengut de mon band que Dieu es non pas doble, mas coble, sus la rara de la consubstanciala sofrença… de per son l’Aligança matrimoniala amb l’Umanitat en formacion, dins lo comun emmòtle de l’Amor. 66 Ara Ives e ieu siam pas pus bessons. Ai ja dos ans de mai que mon ainat quand moriguèt. E se mesura pas en temps real l’eternitat ont la mar se voja dins la mar e s’emplís de la mar.

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67 Omelia de la Messa d’A Dieu a Ives Roqueta, al Pont de Camarès, lo dimècres 7 de genièr de 2015, lo jorn de l’atemptat de Charlie Hebdo (sus l’Evangèli de Marc, 5, 21, 24) Talithà, qom ! (Filhona, lèva-te !) 68 L’Evangèli se soven que Jèsus parlava patés, coma Maria a Bernadeta.

69 Tos enfants, Ives, doblidaràn pas jamai ta votz d’aicí, rocalhuda e tendra. Quand parlavas coma Jèsus — amor, colèra o revòlta — aviás pas besonh de quichar sus ta votz. E el tanben quitava pas d’anar d’esbleugiment en esbleugiment, davant aquel mond qu’es una meravilha, dins lo gelibre transfigurat de lum d’aubièira, e mai encara dins la dignitat dels umils e son atissament a viure de faire viure. 70 Sabi, Maria, qu’as causit aquel evangèli de la resurreccion de la filha de Jaïre a causa d’aquela frasa que la te siás poscuda dire coma per Franceson, l’autre an : « Ara servís pas pus a ren de desrengar lo Mèstre ». 71 Per ausir Jèsus te dire : « Crentes pas. Ajas fe solament ! »

72 Lo papà, la mamà, lo fraire, que totara disián : « Veni la prene per la man, per que moriga pas, per que visca ! » ausisson totas aquelas votzes a l’entorn : « Ara de qu’as a desrengar lo Mèstre. Es finit. » 73 « Sabi ben, me disiás, Maria, que seriá tròp demandar ». Mas tu aviás enveja de l’ausir te dire, a las aurelhas de ton còr : « Perqué tot aquel rambalh, aqueles plors ? Es pas mòrt, dormís » : Ò, cossí voldriái qu’Aqueste se siaguesse pas trompat, que nos agèsse pas mentit ! E tu, ma femna, mon amor… (Lo Cant dels millenaris, Cap l’Òc, 2013, 23) 74 L’espèras, e l’esperam, e el l’espèra, aquel Talithà qom ! N’i a tantes a nòstre entorn que se trufan de nòstra fe, o puslèu que l’envejan, dusca dins sa negacion… Jèsus los faguèt sortir, per que los que l’acompanhavan, Pèire, Jaume, Joan, lo papà e la mamà, siaguèsson dins lo secret del miracle e lo tengan secret dusca a sa pròpria Resurreccion. Mas, ara que Jèsus es ressuscitat, metèm pas pus degun defòra, lo Papa Francés i nos convida. E d’aicí a la Glèisa d’Hanòi ont Loïs es a la messa, a la periferia de la fe, que dintren, totes, los que aiman, e los que aiman fins a aborrir, car, coma Ives o sabiá, aborrir es encara aimar. « Los que aiman conoisson Dieu. » Lo sabon benlèu pas nommar. Pòdon pas dire coma Ives « Siái de sa banda. » Mas son de son costat. E sentisson Dieu quand davalan dins las caunhas pus amagadas del còr ont i a un briconèl d’amor per quauqu’un.

75 Es per aquela rason qu’Ives a refusat tot panegiric a la glèisa. Voliá l’Evangèli, « pas que l’Evangèli », e que son entarrada siaga « un moment d’evangelizacion », de « Bona Novèla » portada a los que quitèt pas de far se quilhar dreches : « Al païs d’Occitania, los òmes ont son ? » 76 Talithà, qom ! La filheta se podiá pas desrevelhar qu’en ausissent Jèsus li parlar dins sa lenga. Tu, Senhor Dieu de la patria que nasquères dins la pastrilha, enfuòca mas paraulas e dona-me d’alen !1 77 Al païs ont totes morisson, ont te se morís, ont tantes de negadisses veiràn pas la tèrra fèrma de Lampedusa mas la lachetat de los que los abandonan a la mar de l’egoïsme collectiu e assassin, tu disiás, Ives, « levatz-vos ! »

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78 Ont siatz, los òmes de la banda a Jèsus ? Ont siás, Ives ? Ont a ressontit per tu aquel Talithà qom ? 79 Son al cèl. « Prègui pas per eles. Los prègui coma prègui los sants de las litanias. Son de santons », los de l’Epifania de 2015, « de sants ordinaris qu’avèm pas saput veire sa lutz ». Sants tanben los que coma tu remaumiavem contra eles nòstras decepcions, sachent pas encara perdonar coma Jèsus perdonava. E n’aviam de còps contra tu, te’n voliam d’aquela teuna rason que desmontava talament las mecanicas del malur al luòc de nos’n tirar. Mas siás « d’aqueles que son venguts sants pel movement imperceptible de l’anma, los enfants prodigues de la fe, los cresents de la darrièra minuta. Pas solament perdonats, mas convidats, vestits d’una novèla rauba blanca, preses per la man e menats cap a la taula eternala ». 80 Dins d’amont, Ives, ò ! que sentigam que nos prenes per la man, totes, ta femna, tos enfants, tos pichons enfants, tos companhs de lucha e d’esperança. Vosautres, e ieu, cents còps ton fraire. « Cossí voler quicòm mai… que çò qu’aurai ? » Dieu èra barbalanc coma los mèstres de las escòlas d’un còp èra. – Tòrna dire après ieu : Cresi a la re-sur-reccion de la carn. – Cresi… – I siás, li diguèt Dieu. – Aquò’s luènh, ditz lo poèta. – Non pas cèrtas, grand colhon, diguèt Dieu. Espia un pauc. (Le bel aujourd’hui ? humeurs, chroniques de « La Dépêche du Midi », Castelnau-le-Lez, Climats, 2001, 25 amb en dedicàcia manuscrita « Ton besson », 122). Dieu s’èra retirat sus la poncha dels artelhs, e quora lo poëta tornèt levar los uòlhs, vegèt que tot èra coma èra abans. (Anthologie de la Poésie religieuse occitane, Toulouse, Privat 1972, 130)

NOTES

1. 3ena estròfa de Mirèio.

AUTEUR

JOAN LARZAC

Poèta e traductor

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Hommage à Yves Rouquette

Marie Rouanet

1 Ma mère était de l’Est. Je ne suis donc pas occitanophone de naissance. Je fus « éveillée » dans l’Enseignement secondaire et à la Faculté des Lettres de Montpellier. Élue à la « Corporation des Lettres », j’ai créé un « Cercle Occitan ». Les soirées se voulaient résolument modernes, loin d’un passéisme que je détestais. Alan Ward et Guy Broglia qui avait mis en musique les poèmes de Lafont, furent parmi mes premiers invités. Charles Camproux, le professeur d’occitan, me conseilla de demander une causerie à Yves Rouquette. Je le fis.

2 Un an après nous étions mariés.

3 En 1962 naquit notre premier fils Laurent. Nous fûmes nommés en Loire Atlantique cette année-là.

*

4 « J’ai eu deux passions dans ma vie : la langue d’oc et l’écriture » a écrit Yves Rouquette.

5 Passion de tout ce qui concernait l’occitan dans l’espace et le temps.

6 Passion d’écrire, sans limites de genres ou de sujets. Ces deux passions lui ont donné, souvent du bonheur, souvent de l’amertume. Mais n’en est-il pas ainsi de tout amour ? 7 J’ai été avec lui dans tous les combats et j’ai continué à écrire en langue française comme en langue d’oc (chansons : paroles et musiques).

*

8 Yves Rouquette est mort le 5 janvier 2015. Nous avions 55 ans de vie commune.

9 Nous avons été ensemble sans nous contrôler l’un l’autre, sans empiéter l’un sur l’autre. Un peu comme dans les assemblées fraternelles ou amicales. Il me savait assise à la même table, pas forcément près de lui. Mais dans la joie. Plusieurs films, plusieurs enregistrements existent de l’un et de l’autre. On nous y voit séparément. À toute curiosité dépassant ce qui était public, nous opposions le silence.

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10 Il y a eu trois temps dans nos vies… Béziers, Sète.

11 Et : « les bords de Loire : un autre ciel »

12 Aucune nostalgie en arrivant dans ce pays tout différent de ce qui nous était familier. La Serre où il retrouvait la langue d’oc. Il n’en était pas coupé à Sète où il était né, car ses parents se parlaient en occitan. Il parlait oc avec son frère1, avec tous les responsables de mouvements. 13 Vivre totalement dans un lieu différent, le prendre à bras-le-corps, le connaître et en reconnaître les riches nuances, fut une sorte de règle qui nous suivit jusqu’à sa mort, partout où nous avons vécu. 14 À Ancenis : un fleuve, plus que grand : grandiose, les petites pluies tenaces, la confrontation avec un autre accent, une autre végétation. Se faire neuf, face à la nouveauté, dans un coin de la vraie « France ». Se nourrir là où nous vivions, s’y enraciner profondément. Un temps.

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15 Les engagements. • Inscription à un Syndicat ouvrier. Participation active aux actions syndicales liées aux grandes usines et firmes d’Ancenis : « Brau-Faucheux » : gros matériel agricole ; « La Roche aux Fées », transformation de produits laitiers ; « Biscuiterie nantaise » et « Lu ». • Les voyages de cette période nous menèrent vers la Bretagne, la bretonnante et non la gallo. Calvaires, mer à marées, cathédrales somptueuses, chapelles modestes remplies de Saints naïfs. Les « Châteaux de la Loire » ? On peut dire jamais. Et la rencontre de vivants, qui se battaient pour une langue : Pierre-Jacques Hélias, Paol Keineg, Youenn Gwernig2.

16 Pour les grandes vacances : retour à la Serre.

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17 Temps de Béziers.

18 « Béziers » un chameau et un Saint Céphalophore. Vila, ma vila e ieu, lo cap sias pagada pr’aquò per saber qu’es pas fach per èsser portat sus d’espatlas (Òda a Sant Afrodisi) 19 Ma ville, dit-il. Par son immersion dans l’Histoire, la géographie, la topographie il l’a faite sienne, cette ville de ma naissance.

20 Le Canal des deux-mers, les neuf écluses, Le Pont Canal, Le Train à Béziers : grandeur et décadence. La rencontre avec Michel Roquebert, l’ami et le savant, le catharisme, la Croisade. J’ai beaucoup évoqué ces lieux et ces temps. Autrement que lui. 21 Avec Latins, l’élargissement à tous les peuples dont la langue est issue du latin, ce qui nous fait cousins germains de l’Amérique latine, avec les Portugais, les Italiens, les

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Espagnols des divers dialectes de la péninsule ibérique, les Catalans, bien sûr, à la fois indéfectiblement catalans et ouverts sur l’orient, cousins germains des occitans. Latins fut son œuvre personnelle. 22 Toujours dans l’action pratique, jamais dans la seule théorie, ou le seul souci de laisser une œuvre. C’est ainsi que nous avons avancé. 23 Le champ d’action d’Yves Rouquette n’a pas de bornes, de la tendre et moqueuse Géographie cordiale jusqu’au bout du monde… Et pour moi, la chanson, elle aussi variée de la douceur à la violence.

*

24 Les grandes heures des trente ans passés à Béziers. • La création du C.I.D.O. devenu aujourd’hui le C.I.R.D.O.C. Enfin, un lieu pour rassembler ce qui dormait dans des archives municipales éparpillées. Le C.I.R.D.O.C. est le contraire d’une réserve « formolisée ». • Mille ans de littérature occitane des origines à nos jours. Yves Rouquette réalisa cette exposition à l’initiative d’un érudit local, le Docteur Sirq et son épouse, avec les employés du C.I.D.O., le conservateur du Musé Fabregat, la Mairie, et avec moi-même élue à Béziers pendant 4 mandats !

25 A deux, nous avons soutenu activement : • Ventadorn, la maison de disques. Une S.A.R.L. qui en quinze ans vendit des milliers de disques. Deux représentants exclusifs, un gérant : pour faire courir la langue de bouche en bouche. • Calandrettes, manifestations contre l’usine atomique prévue à Sigean, à la lutte contre l’extension du Camp Militaire du Larzac, affichages et tagage des murs, des platanes et des maisons individuelles contre le bétonnage de la côte languedocienne. Avec toujours, l’usage de la langue comme marque de l’appartenance à une nation sans état. Nous y étions ensemble.

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26 L’écriture, « moins les murs ».

27 L’inauguration au mois de septembre 2017 de la Bibliothèque IVES ROQUETA et MARIE ROUANET (6 000 à 7 000 ouvrages) constitue un ensemble qu’Yves Rouquette ne voulait pas disperser car il nous représente – chacun nos goûts. 28 Elle contient une remarquable collection : • de poètes du monde entier aimés, gardés à portée de la main3, • de théâtre lui aussi dépassant les frontières de la langue d’oc (italien en particulier, voir Bibliographie), • d’inédits, nombreux, eux aussi ouverts à la consultation. • de livres d’art, • de dictionnaires relatifs à l’occitan mais aussi le Gafiot et un dictionnaire de grec, un dictionnaire d’italien, un d’espagnol, • de traductions en occitan de poètes ou de prosateurs qu’il aimait encore plus lorsqu’il pouvait se les réciter en occitan (voir la liste non exhaustive dans la Bibliographie), • quelques romans édités d’auteurs étrangers, traduits en occitan par Yves Rouquette.

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29 La parole : à la tribune, au spectacle.

30 Yves Rouquette a aimé « les scènes » comme moi. Celles des tribunes politiques, celles des théâtres. • Le conte populaire, au plus près du langage premier, celui recueilli à la source. Pour ses enfants, ses petits-enfants, des enfants en général. Mais très vite pour des adultes. Moi aussi. • Il a aimé réciter sur scène, avec des musiciens : Messa pels pòrcs, Les Dessous du Paradis comme auteur et acteur, Le Chant des Millénaires. Pour moi : un millier de concerts. • Spectacles qui ont beaucoup « tourné », avec Les Dessous du Paradis, 40 représentations. Pour lui : un one-man show.

31 La Célébration de l’Épicerie, plus de 60 spectacles jusqu’à la dernière année de sa vie. Jean Varela, Marie Rouanet, Yves Rouquette, 2009 à 2013.

32 Dieusses Primiers, un long poème lyrique sur les Statues-menhirs créé au Musée Fenaille. Yves et moi-même l’avions découpé et nous l’avons lu ensemble, pendant le Festival des Voix de Sète, aux chandelles, à minuit. Deux statues : un homme et une femme (des fac simile, bien-sûr !) ornaient la scène.

*

33 Le temps de La Serre.

34 « The last but not the least »

35 Trente ans, dans cette maison même où pendant deux ans, il avait vécu immergé dans un monde désormais disparu où tout ce qu’il y avait à dire – travail, politique, amour, foi, expériences – était dit en occitan. Il voyagea, partit à Rio, en Pologne, en Italie du sud, au Portugal, dans les vallées occitanes d’Italie. Sans moi. Moi je partis au Québec deux fois sans lui, en Suède, en Belgique. Ainsi vivions-nous. Séparés. Mais il était au bout de ma route quand je rentrais, j’étais au bout de la sienne, quand il arrivait… 36 Il a beaucoup écrit pendant ces trente ans. Beaucoup jeté aussi. Tout en continuant à répondre à des demandes, il paracheva traductions, poèmes, ébauches de romans. Mais on n’a jamais assez de temps. 37 Le 5 janvier 2015 entre l’aube et le repas de midi, il travailla à mettre au point quelques pièces de théâtre. 38 « J’ai fini mon théâtre » m’a-t-il dit. Il s’agissait de « Lo Diable a quatre » et de « Monsieur de Pourceaugnac » devenu « Monsur de la Cochonalha ». 39 A 16 h 30 il était mort.

40 Il a été enterré le jour du drame de Charlie Hebdo.

41 En 2015-2016, plus de 24 hommages lui ont été rendus que j’ai organisés avec ceux qui les ont demandés. 42 Sa présence est pour toujours, jusqu’à ma mort, une cuisante absence. Elle est remplie de tout ce que je tais.

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NOTES

1. Jean Larzac, prêtre. 2. Breitz Atao. Enric Espieut, Joan Larzac e Ives Roqueta, adaptacion bretona de Youenn Gwerniz, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1969. 3. D’autres ouvrages ont été donnés au C.I.R.D.O.C. qui a inauguré une Biblioteca Ives Roqueta.

AUTEUR

MARIE ROUANET

Écrivain

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 149

Yves Rouquette (1936-2015) : premier état bibliographique

Françoise Bancarel et Joëlle Ginestet

NOTE DE L’ÉDITEUR

La rédaction de la Revue des Langues Romane présente toutes ses excuses à Madame Marie Rouanet pour l’oubli impardonnable de son hommage à Yves Rouquette dans la version papier du tome CXXI N°2 de la revue. L’hommage de Mme Rouanet a été donc intégré à la version électronique de ce même numéro. D’autre part Mme Rouanet a souhaité que son nom ne figure pas parmi les noms des auteurs du troisième hommage Yves Rouquette (1936-2015) : premier état bibliographique.

Poésie

Recueils poétiques

1 L’Escriveire public. Poëmas d’Ives Roqueta, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1958.

2 Lo Mal de la tèrra. Poëmas 1937-1958. Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1959.

3 Òda a sant Afrodisi. Poëmas de l’Ives Roqueta, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1968.

4 Roèrgue, si, Ardouane, 4 Vertats, 1969.

5 Breitz Atao. Enric Espieut, Joan Larzac e Ives Roqueta, adaptacion bretona de Youenn Gwerniz, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1969. 6 Messa sens nom, sens Dieu, sens preire ni pòble sens ren, Ardouane, 4 Vertats, [1970 ?].

7 Joan sens tèrra, Villeneuve-sur-Lot, Forra-Borra, [1972, 1975 ?].

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8 Roèrgue, si, precedit de Òda a Sant Afrodisi, seguit de Messa pels pòrcs — Rouergue, si précédé de Òda a Sant Afrodisi, suivi de Messa pels pòrcs, traduction de l’occitan de Marie Rouanet, Paris, Pierre-Jean Oswald, 1972. 9 Los negres siam pas sols. Poèmas d’Ives Roqueta, Ardouane, 4 Vertats, 1972.

10 Quand lo sang es tirat, lo cal beure. Poèmas de 1972, Villeneuve-sur-Lot, Forra-Borra, 1972.

11 Vila duberta… Poèmas 1962-1966, Villeneuve-sur-Lot, Forra-Borra, 1973.

12 Lo fuòc es al cementèri. Poèmas, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1974.

13 Ponteses. Poèmas, Cronicas, Villeneuve-sur-Lot, Forra-Borra, 1976.

14 Lo Castèl dels cans, Montpellier, Centre d’Estudis Occitans-Obradors, 1977.

15 Misericòrdias, illustrations du peintre Pierre François, Narbonne, F. Gautier, 1986.

16 L’Escritura, publica o pas. Poèmas 1972-1987 — L’Écriture publique ou pas. Poèmes 1972-1987, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1988. 17 Dels dos principis, Narbonne, F. Gautier, 1988, Grand Prix de la ville de Béziers, 1989.

18 Cellula XIII, Hyères, Les Cahiers de Garlaban, 1992.

19 Lemosin’s blues, Laon, La Porte, 2005.

20 Lemosin’s blues, Toulouse, Letras d’òc, 2005.

21 Pas que la fam. Causida poëtica 1958-2004 — La faim, seule. Choix de poèmes 1958-2004, Toulouse, Letras d’òc, 2005, rééd. 2009. 22 El, Jòb, Toulouse, Letras d’òc, 2007.

23 Messa pels pòrcs seguida de Roèrgue, si — Messe pour les cochons suivie de Rouergue, si, Toulouse, Letras d’òc, 2009. 24 Òda a Sant Afrodisi — Ode à saint Aphrodise, Saint-Affrique, Cap l’Òc, 2009.

25 Lo Cant dels Millenaris seguit de Dieusses Primièrs, Sant-Africa, Cap l’Òc, 2013.

Ouvrages collectifs, anthologies poétiques

26 « Per una jova », Poësia 2000, Gai Saber, n° special, 2001, 21-36.

27 « L’Escriveire Public », « Lo Mal de la Tèrra », Die romanischen Sprachen, Eine vergleichende Einführung, Georg Bossong (dir.), Hamburg, Helmut Buske Verlag GmbH, 2008, 356-357. 28 « L’escriveire public » ; « Lo mal de la terra » ; « Diari III », Anthologie de la poésie occitane, Lafont Andrée-Paule (dir.), 1962, 396-405. 29 « En armas » ; « Quand parli… » ; « Messa sens ren pels pòrcs a vendre » ; « Florida » ; « Lo païs viu al present » ; Occitanie 70, les poètes de la décolonisation, Rouanet Marie (dir.), 1971, rééd. 1977, 28-31 ; 66-67 ; 76-81 ; 114-121 ; 158-159. 30 « Ara que ton absencia » ; « En armas » ; « Florida », Anthologie de la poésie occitane, René Nelli (dir.), Seghers, 1972, 308-315. 31 « Quantes de còps » ; « Tota lenga » ; « Pensant a Pons, Josèp Sebastià » ; « Quantus tremor est futurus ! » ; « La sagitària a l’esterbèl », Camins dubèrts : anthologie bilingue de la poésie occitane contemporaine, présentée par Jean Eygun, Toulouse, Letras d’òc, 2011, 280-289.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 151

Théâtre (créations, adaptations, éditions et inédits)

32 Pic Paradic, recueil sous la direction de Simone et Yves Roquette, mise en scène et réalisation, Béziers, [s. n.], 1965.

33 Lo Cant de la tèrra suspenduda, d’Angelo Savelli à partir d’extraits de pièces de Ruzante, adaptation en occitan d’Yves Rouquette, coproduction Teatre de la Carriera-Théâtre populaire occitan, Béziers, Centre International de Documentation Occitane, 1985. 34 Lo boçut que voliá faire lo torn de França (Teatre), illustracions de Pèire Francés, Institut d’Estudis Occitans-Seccion d’Aude, coll. « Farfadet », 1989. 35 Messa pels pòrcs, de et par Yves Rouquette, seul en scène avec trois musiciens jazz : René Nan, Francis Bazalmo et Jean-Michel Pellegrin, mise en espace Luc Morineau, production et édition Omnibus, 1990. 36 Tres a dos ou Plaisir, Ô contes, bilingue occitan français, pour deux acteurs, à partir de contes traditionnels occitans, production Teatre de la Carriera-Théâtre populaire occitan, Arles, 1990. 37 Los Contes del temps clar, spectacle de contes traditionnels dits par l’auteur Yves Roquette, accompagné par les musiciens de jazz René Nan, Francis Bazalmo et Jean- Michel Pellegrin, 1990. 38 Tres a tres, trois contes assemblés en une comédie dramatique pour trois acteurs et un nombre incalculable de rôles, à partir de la matière de Tres a dos, production Teatre de la Carriera-Théâtre populaire occitan, mise en scène Luc Morineau, 1991. 39 La ciutat negada, auteur, conteur et metteur en scène, Yves Rouquette, réalisé par la Calandreta de Béziers, éditions scolaires en nombre d’exemplaires limités, 1992. 40 Sa majesté, comédie de Vicenzo Cerami, adaptée à l’occitan et au français par Y. Rouquette, production Teatre de la Carriera-Théâtre populaire occitan, Arles, 1992. 41 Les Dessous du Paradis, texte et interprétation Yves Rouquette, mise en scène Gilbert Rouvière, coproduction Théâtre municipal et Zinc Théâtre Béziers, SLM éditeur, 1995. 42 Lo Diables a quatre, ou la Légende de saint Mén, à partir d’un conte populaire de Camarès, mise en scène Bernard Cauhapé, production Comedia dell’oc, 1999. 43 Chuc and Muc, ou les saveurs de l’Auvergne, spectacle de rue commandé par le cercle occitan d’Aurillac, mise en scène Bernard Cauhapé, Comedia dell’oc, 2001. 44 Las Non-Parelhas Colhonadas e Remirablas Senténcias de Nasr-Eddin, fòl de bon sens, douze saynètes à jouer dans trois langues, occitan, français, espagnol, écrites à partir de contes drolatiques et irrévérencieux de la Perse médiévale, production Comedia dell’oc, mise en scène Bernard Cauhapé, Toulouse, SCÉRÉN-Centre Régional de Documentation Pédagogique, 2003. 45 Lo Cant de la tèrra suspenduda, d’après Ruzante, adaptacion d’Angelo Savelli, Béziers, Centre International de Documentation Occitane, 1985 ; repris sous le titre de « Lo Cant de la tèrra dins l’entredòs — Le Chant de la terre en suspens », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 92-102. 46 Mistral : tout ou rien, production Théâtre de la Rampe — TIO, Montpellier, mise en scène Isabelle François, 2004. 47 Armistiça, o las non-parelhas recèptas de las femnas d’Atènas per far tornar la patz, adapt. d’Aristofanes, Toulouse, Letras d’òc, 2006.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 152

48 Los tres gendres del Paure Òme, conte, teatre, pòstfàcia de l’autor, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2008.

Oratorio

49 « Lo Cant dels Millenaris — Le Chant des millénaires », oratorio de et par Yves Rouquette, musique de Jean-Marc Padovani, avec un quintette de jazz et l’ensemble vocal de Montpellier, direction Jean Gouzes, Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 104-116.

Romans, nouvelles, récits

50 Lo Poèta es una vaca, racònte, Lavit-de-Lomagne, Lo Libre Occitan, 1967.

51 La Paciéncia, racòntes (1961-1962), Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, coll. « A Tots », 1968. 52 Made in France : « Einführung in die Florid (1968) », « La Maleta (1969) », « Mèrda a Vauban (1965) », Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, coll. « A Tots », 1970. 53 Lo Trabalh de las mans, divertiment en forma de roman, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, coll. « A Tots », 1977. 54 Lo Peis de boés dins lo metrò. Novèla, Valderiès, Vent Terral, 1977 ; Enèrgas, Vent Terral, 1979. 55 Lengadòc Roge : Los enfants de la bona (t. 1), Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, coll. « A Tots », 1984. 56 Lo Filh del paire [jol nom de Loís Puèch], illustr. de K. Guinness, [Toulouse ?], Institut d’Estudis Occitans, 1985. 57 Nòstre Sénher de las escobilhas, Béziers, Omnibus, 1990.

58 La Legenda de sant Mèn, illustr. de Joan-Claudi Pertuzé, Béziers, Omnibús — , Vendémias, 1993. 59 « Argerianas », Lo Gai Saber, n° spécial, 1994.

60 Lo Filh del paire, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 2007.

61 L’Ordinari del monde, Toulouse, Letras d’òc, 2009.

62 Argerianas, Saint-Affrique, Cap l’Òc, 2009.

63 Lo Poèta es una vaca, racònte ; seguit de Èrbas baujas, Saint-Affrique, Cap l’Òc, 2013.

64 A Cada jorn son mièg lum (L’Ordinari del monde II), Toulouse, Letras d’òc, 2015.

Essais, études littéraires, chroniques, éditions scientifiques

65 Josep-Sebastià Pons, Paris, Seghers, coll. « Poètes d’Aujourd’hui », 1963.

66 Sègle vint, Tèxtes occitans per nòstre temps, Montpellier, Centre d’Estudis Occitans, 1974.

67 Las Cronicas de « Viure » de 1965 a 1972, Valence d’Albigeois, Enèrgas, Vent Terral, 1975.

68 De la Vinha, del vin e dels òmes, ill. de Pierre François, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, coll. Descobèrtas, 1987.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 153

69 Josep-Sebastià Pons, poète d’aujourd’hui, [Béziers], Centre international de documentation occitane, 1997. 70 Elva, la Glèisa e Hans Clemer, Roccabruna, Chambra d’òc, 2003.

71 L’Atge de la pubertat o Lo Chincha-Merlincha [par] Loís-Bernart Roier, e dos autres poèmas calhòls de Pèire Cléric e August Rigaud, édicion bilingüa establida per Ives Roqueta, Cressé, éditions des Régionalismes, 2014.

Direction d’ouvrages, préfaces et postfaces

72 Istòria de Joan-l’An-Pres, suivi de L’ d’Aubais. Lo Tresaur de Substancion. [par] Joan-Batista-Castor Fabre, Avantdire d’Ives Roqueta, Montjòia-Lo libre occitan 1967.

73 Chroniques et croquis des villages verrouilles,́ suivi de Territoire de l’aube. Poemes-tracts̀ (bilingues) [par] Paol Keineg, prefacé par Yves Rouquette, Paris, P. J. Oswald, 1973. 74 Lo Libre dels Grands Jorns [par] Joan Bodon, presentacion d’Ives Roqueta, Montpellier, Centre d’estudis occitans, 1973. 75 Los Carbonièrs de La Sala. Textes de Joan Bodon, Andrieu Pradel, Sergi Mallet presentats per Ives Roqueta, Enèrgas, Vent Terral, 1975. 76 Dictionnaire occitan-français d’après les parlers languedociens [par] Louis Alibert, avertiment a la segonda edicion per Ives Roqueta, Toulouse, Institut d’Etudis Occitans, 1977. 77 Istòria de Joan-l’an-pres [par] Joan-Batista Fabre ; edicion alestida e presentada per Romièg Pach ; avantdire d’Ives Roqueta ; ill. d’Edoard Marsal, Òbras Complètas 1, Montpellier, Escòla dau Paratge — Cercle Occitan de Montpelhièr — Sector Literari de l’Institut d’Estudis Occitans, 1979. 78 Istòria de Joan-l’an-pres [par] Joan-Bastista Fabre ; edicion alestida e presentada per Romièg Pach ; avantdire d’Ives Roqueta ; ill. d’Edoard Marsal ; [pref. de J. Frêche], Òbras complètas 1, Montpellier, Escòla dau Paratge — Cercle Occitan de Montpelhièr, [Toulouse], Institut d’Estudis Occitans, 1983. 79 Oc, poésies [par] Daniel Biga, ill. de Ben, préf. d’Yves Rouquette, Hyères, Les Cahiers du Garlaban, 1989. 80 Introduction à Bernart de Ventadorn [par] Carl Appel, trad. de l’allemand par Luc de Goustine et de l’occitan par Miquèla Stenta ; postface d’Yves Rouquette, Limoges, L. Souny, 1990. 81 Pentecôte. Textes choisis de Bernard Lesfargues présentés par Yves Rouquette, Bergerac, Les amis de la Poésie, 1999. 82 Le bourgeois et le paysan, les contes du feu [par] Marcelle Delpastre, préface d’Yves Rouquette, Paris, Payot, 2000. 83 Contes dels Balssàs [par] Joan Bodon, postfaci d’Ives Roqueta, Puylaurens, Institut d’Estudis Occitans, 2003. 84 Lo Teatre de la Pastorèla, pèças de teatre [par] Adrien Vezinhet, prefaci d’Ives Roqueta, Puylaurens, Institut d’Estudis Occitans, 2014.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 154

Littérature jeunesse

Récits

85 Zantífalorda e companhía, Carcassonne, Viure a l’escòla, 1979.

86 Anem ambe Ricon al vilatge de papet e de mamet, Idèa de Francesa, ill. de Critini, Tèxte d’Ives Roqueta, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1981. 87 Marion dels arbres, ill. de Caròla Cadet, Carcassonne, Institut d’Estudis Occitans-Seccion d’Aude, coll. Farfadet, 1996. 88 Los Tres gendres del paure òme, texte improvisé et écrit par les élèves de l’école primaire bilingue Rochegude d’Albi, à partir d’un conte russe dit en occitan par Yves Rouquette, 2002.

Enseignement

89 En occitan dans le texte, manuel à l’usage des élèves languedociens du second cycle de l’enseignement du second degré, suivi d’Abrégé de grammaire occitane, Montpellier, Centre d’Estudis Occitans, 1973.

90 En occitan dans le texte, manuel à l’usage des élèves languedociens du second cycle de l’enseignement du second degré, suivi d’Abrégé de grammaire occitane, Montpellier, Centre d’Estudis Occitans, nouvelle édition corrigée, 1977 ; rééd. 1981, 1982. 91 Istòria dels países de lenga occitana — Histoire des pays de langue occitane, textes et diapositives, préface de Michel Roquebert, avant-propos de Guy Gauthier, documentation réunie par Odile Limousin et François Pic, Béziers, Centre International de Documentation Occitane-Ligue Française de l’enseignement, 1979.

Revues littéraires

Revues littéraires occitanes

92 Les Cahiers Max Rouquette

93 « Lectura de Max Roqueta = Lecture de Max Rouquette » [trad. Jean-Guilhem Rouquette], n° 2, 2008, 16-19 ; n° 3, 2009, 84-86 ; n° 4, 2010, 74-77 ; n° 5, 2011, 37-41. 94 « A l’intrada del temps clar »… per jòia recomençar ? », n° 7, 2013, 41-45.

95 Lo Gai Saber

96 « La tartuga totjorn tuga », n° 445, prima de 1992, 433-442.

97 « Ajuda », n° 470, estiu de 1998, 95.

98 « Aquí es nòstre onor ; De muralhas de rabuscalh… », n° 475, tardor de 1999, 329.

99 « Leon Còrdas », n° 476, ivèrn de 2000, 394-395.

100 « Per metre los relòtges a l’ora », n° 484, ivèrn de 2002, 231-234.

101 « Trobadors, trimestrial d’information de las culturas occitana e catalana », n° 486, estiu de 2002, 317-319. 102 « Fa dètz ans, Pau Gayraud », n° 495, tardor de 2004, 193-194.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 155

103 « Ariejés còr fidèl », n° 497, prima de 2005, 278-281.

104 « Letra d’Ives Roqueta », n° 500, ivèrn de 2006, 431-434.

105 « Sul sicut de la poësia, a tròces e bocins », n° 500bis, prima de 2006, 34-40.

106 « Per ieu, Nèlli : totjorn que mai », n° 502-503, tardor de 2006, 582-587.

107 « L’apelarem Loïc » (extrait de L’Ordinari del monde), n° 506, estiu de 2007, 110-111.

108 « Criticas literàrias », n° 508, ivèrn de 2008, 206-208.

109 « Patrimòni segon Patric », n° 509, prima de 2008, 261-262.

110 « Argòt e occitan », n° 512, ivèrn de 2009, 522-523.

111 « Robèrt Lafont », n° 514, estiu de 2009, 615-616.

112 « L’ora de Lesfargas », n° 515, tardor de 2009, 660-661.

113 « Capelada a Alan Roch », n° 517, prima de 2010, 79-80.

114 « Sergi Viaule, poèta », n° 525-526, prima-estiu de 2012, 470-471.

115 « Paure Neton, paure tesson… », n° 527, tardor de 2012, 517-518.

116 Lo Leberaubre

117 « Sens cap, ni coa », n° 3, 1977, 51-60.

118 « Supersticion » (signé Joan-Ives Rocheta), n° 4, 1977, 38-47.

119 « La brageta magica » (signé Joan-Ives Rocheta), n° 5, 1978, 45-52.

120 « Los uòus » (signé Joan-Ives Rocheta), n° 6, 1981, 43-47.

121 Obradors

122 « Einführung in die Florida », n° 2, 1969, 45-94.

123 Oc

124 « Vespre », n° 188, 1953, 22.

125 « Èrbas baujas », n° 198, 1955, 168-172.

126 « Los joves occitans », n° 198, 1955, 178-179.

127 « [Ara que ton abséncia] », n° 197, 1955, 117.

128 « Aicí siam », n° 199, 1956, 1-3.

129 « [Poëmas] », n° 199, 1956, 14-16.

130 « Planh per Loïs Avinhon », n° 201-202, 1956, 255-256.

131 « Défense de parler au chauffeur o Los tres carris de Chinchorla », n° 206, 1957, 185-190.

132 « Per presentar “Verd paradís” », n° 205, 1957, 115-119.

133 « La vertut de la poësia », n° 212-214, 1959, 63-68.

134 « Lo mal de la terra », n° 211, 1959, 1-20.

135 « Imne a la fuèlha blanca », n° 216, 1960, 24-25.

136 « Convèrsa sus la critica », Lafont Robèrt, Espieu Enric, Roanet Simona, Roqueta Joan e Ives n° 222, 1961, 1-12. 137 « Dins la vida… », n° 219, 1961, 27-31.

138 « En l’onor de Camelat », n° 226, 1962, 1.

139 « A tocar la muralha », n° 224, 1962, 24-28.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 156

140 « Espandi zero », n° 224, 1962, 29-30.

141 « Folklore e literatura d’oc », n° 223, 1962, 1-12.

142 « Vila duberta », n° 227-228, 1963, 36-41.

143 « De negra nuòch », Letras d’Òc, n° 26, 1964, 8-16.

144 « Lo cinc de junh », Letras d’Òc, n° 1, 1965, 2-6.

145 « Lectura de Max Roqueta », Letras d’Òc, n° 3, 1965, 6-11 ; n° 4, 1965, 10-13 ; n° 5, 1966, 12-14 ; n° 6, 1966, 14-17 ; n° 8, 1966, 4-13. 146 « Chapi, chapeau… », Letras d’Òc, n° 9, 1967, 1-11.

147 « Letra a Frederic Voilley », n° 20, 1991, 214-218.

148 « Robèrt Lafont, l’occitan, Oc et ieu », n° 92-93, 2009, 10-21.

149 Vida nòva

150 « Te dirai amor… », n° 6, 1956, 43.

151 « Terras meunas… », n° 8, 1956, 52.

152 « Loïson de Loïs », n° 15, 1958, 33-40.

153 Revues littéraires françaises

154 Action poétique

155 « Terras meunas… », n° 7, 1959, 20.

156 [De tant que lo jorn pòt durar que la plòja], n° 27, juin 1965, 20-21.

157 La Barbacane

158 « Urosa — Heureuse », n° 9, printemps 1970, 14-15.

159 « Tardièrs — Tard-venus », n° 75-76-77, 2003, 64-67.

160 Empan

161 « Carrefour des solitudes, n° 80, 2010, 137-141.

162 Entailles

163 « Le vers est bon et naturel », n° 4, mai-juin 1976, 12-15.

164 « Tant que Paris sera votre point de mire vous serez provinciaux… », n° 10, hiver 77/78, 14-19. 165 Entretiens sur les lettres et les arts

166 « Camins — Chemins », n° 14, 1958, 37-45.

167 « Lo futur anterior – Le futur antérieur », n° 21, 1962, 8-17.

168 Impressions du Sud

169 « Soupe aux choux, jangolina, osso bucco, canard laqué : tout fait ventre », supplément au n° 23, 1989, 36-38. 170 JIM. Journal intime du Massif Central

171 « Messe pour les cochons – Messa pels porcs », n° 4, 2003, 38-39.

172 Loess

173 « 1946 », n° 1, 1981, [1]

174 MicRomania

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 157

175 « Joan de l’ors – Jean de l’ours ; Prince, òc-ben – Un prince, oui », n° 92, mars 2015, 48-51. 176 Multiples

177 « Iberios e occitans – Ibériques et occitans », n° 11, 1973.

178 Souffles

179 « Pastorale, peut-être », n° 143, 1987, 13-15.

180 « La nuòch del ventre — La nuit du ventre », n° 248-249, 2015, 47-48.

181 « Vic, le Méjean, l’Or : Trois étangs pour une ville », n° 250-251, 2015, 329-333.

182 Supplément d’âme

183 « Le pain », n° 3, 1995, 73.

184 La Toison d’or

185 « Trop tard ? », n° 53, 2010, 4.

186 Vagabondages

187 « Los rats – Les rats ; Los amants – Les amants », n° 32-33, 1981, 112-115.

Autres publications

Revues et journaux occitans

188 Aici e ara

189 « Nacion dubèrta », n° 1, 1979, 3-13.

190 « Papà, mamà, Edipe, Eloïsa e sa mameta », n° 9, 1980, 37-42.

191 L’Ase negre (Movement de la Joventut Occitana)

192 « Pour un mouvement de la jeunesse occitane », 1958, 3-4.

193 « En remembre d’Estòqui », 1959, 14-18.

194 Occitania encuèi

195 « Una Occitania occitana, autonòma e socialista ! », 1978, n° 3-4, 3.

196 « Ausar esser autonomistas e per tota l’Occitania », 1979, n° 7-8, 5.

197 « Ives Roqueta a la Sanha », 1980, n° 12, 8-9.

198 Occitania nòva

199 « Occitania : dos meses… », du n° 9 (1972) au n° 16 (1974)

200 Occitans !

201 « Lo Chincha-Merlincha : una educacion sensuala dins la Provença del sègle XVIII », n° 1, 1981, 28. 202 « Retrospectiva Pèire Azemà… », n° 4, julh de 1982, 31.

203 « Lo Teatre de las Caritats èra la fèsta dins la fèsta… », n° 7, estiu de 1983, 19-21.

204 « Es que lo Nòrd o prendrà tot ? emai l’art populari del païs d’Oc al sègle vint… », n° 6, prima de 1983, 13-14. 205 « Placet als policiens : una òda burlèsca a la mèrda ? o un plaidejar per la salubritat publica ? o quicòm mai ? », n° 6, prima de 1983, 15-17.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 158

206 « Isolats, vertadièrs, amenaçats e combatius : los occitans d’Italia », n° 24, tardor de 1987, 7-9. 207 « Seta en cèrca de son futur », n° 27, 1988, 4-5.

208 « Prèstes per Euròpa ? pas gaire… », n° 30, 1989, 5-6.

209 « Per un front comun occitan », n° 31, 1989, 6-7.

210 « Dimenges ordinaris e extraordinaris », n° 37, 1990, 7-8.

211 « Mon pan de cada jorn », n° 39, 1990, 10-11.

212 « Lo pintre de la cara de Dieu », n° 40, 1990, 17.

213 « Pau Gayraud : 93 ans, chaval entièr e romancièr al purgatòri », n° 43, 1991, 12-13.

214 « Una bèla estrangièra en país d’òc : la corrida de muerte », n° 44, 1991, 12-13.

215 « Narbona ? òc, Narbona ! », n° 46, 1991, 6-7.

216 « La sortida de l’infèrn », n° 46, 1991, 12-13.

217 « Circuladas de l’an mil », n° 53, 1993, 4-5.

218 « Sant Josèp d’Occitania », Braç Mirelha, Roqueta Ives, n° 55, 1993, 13.

219 « Adrian Vesinhet : amator », n° 56, 1993, 18-19.

220 « Patrick Divaret : trabalhs d’utilitat publica », n° 58, 1993, 12-13.

221 « Las 4 vertats sul C.I.D.O., las vaquí », n° 60, 1994, 4-6.

222 « Letra a Lagarda lo grand », n° 61, 1994, 16.

223 « L’avenir del C.I.D.O. : la solucion institucionala es trobada », n° 64, 1994, 17.

224 « Reconeissença e fidelitat », n° 65, 1995, 17.

225 « Robèrt Allan, poèta viu », n° 87, 1998, 15.

226 « Valades ousitanas, videò sans peur et sans reproche », n° 83, 1998, 9.

227 « Faguetz-vos un cap e una lenga », n° 93, 1999, 15.

228 « La pacha del Fantàsti : bravo, bravo, bravissimo ! », n° 104, 2002, 15.

229 Plumalhon

230 « Tota una vesprada defòra : conte », n° 76, 2003, 22-30.

231 Prouvènço d’aro

232 « Grand Sud avès di ? Perqué pas ? », n° 4, 1987, 3.

233 « Au C.I.D.O., en 60 filmes, vaqui “Lou tèms retrouba” », n° 35, 1990, 8.

234 « Paraulo vivo, musico vivo. La messo pèr li pòrcs afrairo », n° 42, 1991, 14.

235 Volèm viure al païs

236 « Lo miliard de Giscard : la pròba que l’Estat, se voliá, poiriá industrialisar », 1978, n° 1, 5. 237 « Gauche et Occitanie : “Papa ! C’est loin le socialisme” », 1978, n° 2, 9-10.

238 « Afar “Terrin” : qual a paur de l’unitat populara ? », 1978, n° 5, 4.

239 « Amb lo teatre de la Carrièra e sa “filha d’Occitania” », 1978, n° 6, 7.

240 « L’arrachage de vignes : atencion ! Aquò’s sul banhat que va pòure », 1978, n° 6, 13.

241 « On n’est pas raciste au Nouvel Observateur mais c’est tout comme », 1978, n° 9, 3.

242 « Robèrt Lafònt a pres sas distàncias amb lo “regionalisme” », 1978, n° 9, 9.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 159

243 « Yves Rouquette, secrétaire général sortant de l’I.E.O. : « l’occitanisme de masse, priorité absolue », 1978, n° 10, 4. 244 « Le ciment de l’union de la gauche, ça s’appelle “Volèm Viure al Païs” », 1978, n° 11, 8.

245 « Eleccions “Europencas” : Caldriá pas colhonar coma en 1974 », 1979, n° 4, 4-7.

246 « Gérard Delfau : un pour cent du budget pour la culture d’Oc, Chiche ! », 1979, n° 12, 12.

247 « La radio, c’est un porte-voix. Chacun doit pouvoir s’en servir », Jean-Pierre Chabrol, Yves Rouquette 1979, n° 15, [16]. 248 « Los bosques brutlan… e apuei ? De que i far ? », 1979, n° 19, 8-9.

249 « Un “Plan de Constantine” absolument inacceptable », 1979, n° 21, 3-4.

250 « Pel “Païs escorjat” un enterrament de 3ena classa… », 1980, n° 23, 15.

251 « Cassagnoles en Minervois : sauvons l’école pour sauver le pays », 1980, n° 24, 5.

252 « L’occitan à la télévision : la campanha comença ! », 1980, n° 25, 3.

253 « Communistas e occitanisme : le rouleau compresseur », 1980, n° 27, 4-5.

254 « Les “Gallos” avec les nations interdites », 1980, n° 27, 13.

255 « Musique : ça prend de la hauteur », 1981, n° 30, 5.

256 « Régionalisation ? Oui ! Dépeçage de l’Occitanie ? Non ! », 1981, n° 34, 3.

257 « Decazeville 1962-1982, Union populaire et fédéralisme : les deux leviers de l’autonomie », 1982, n° 40, 10. 258 « Ich liebe deinen frühling », 1983, n° 51, 7.

259 « A Limoux-sur-Blanquette, l’ancien, le nouveau et les vieilles outres », 1984, n° 58, 7.

260 Occitània Volèm viure al païs

261 « Vivre vivants », n° 95, 1995, 7.

262 Revolum

263 « Face au pouvoir, en matière d’enseignement, il serait temps d’avoir les idées claires », n° 31 (1976) 264 Trobadors : trimestrial d’informacion de las culturas occitana e catalana

265 « Lo Felibrige a 150 ans », 1e trimestre 2003, 25.

266 « La Sauze : quatre CD, l’integrala d’un poèta coma cap pus », 2e trimestre 2003, 30.

267 « Andrieu Lagarda e sas tres palometas », 2e trimèstre 2003, 38.

268 « La Provença mistica revelada e ressuscitada per Anna Azema », 3e trimestre 2003, 24.

269 « L’avenir es a l’oliu », 1e trimestre 2004, 31-32.

270 « Per ana dins lo sens de Blenet, vòli far doas remarcas. », 2e trimestre 2004, 7.

Revues et journaux en français

271 Les Cahiers de l’Office

272 « Les bâtisseurs de l’imaginaire », n° 2, 1983, 6-12.

273 « Far cantar pus naut l’escritura », n° 2, 1983, 80-84.

274 « Grammont, complexe funéraire : Saint-Étienne : allez les vers ! », n° 3, 1984, 9-16.

275 « Louons nous-aussi nos grands hommes », n° 3, 1984, 83-89.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 160

276 « De la vigne, du vin et des hommes », n° 4, 1985, 34-100.

277 Chartreuse informations (Villeneuve-lez-)

278 « Un an plein, un an vide », 1984, [4].

279 Connaissance du Pays d’Oc

280 « Firmin Jany : les derniers des métiers », n° 29, 1978, 58-61.

281 « Pierre François : “avec ce qu’escampent les autres” », n° 30, 1978, 67-70.

282 « Misericòrdias a Vilafranca », n° 35, 1979, 22-29.

283 « Marcelle Delpastre, poète », n° 36, 1979, 50-55.

284 « Anne Brenon, aux archives du catharisme », n° 63, 1984, 60-65.

285 « Léon Cordes, homme de parole et d’action », n° 72, 1986, 52-57.

286 L’Esprit du Sud-Ouest

287 « Agneau de lait et soupe aux herbes », n° 1, 1998, 8.

288 Folklore

289 « Un écrivain occitan face à la culture populaire », n° 202-203-204, 1986, 73-85.

290 Heresis

291 « L’argent, Dieu, e los dos principis », n° 15, 1990, 51-61.

292 Lettre d’information trimestrielle de La Maison des écrivains (Paris)

293 « Nourri de sauterelles et de rêves démesurés… », n° 33, 2001, 12-13.

294 Passerelle : journal d’information de l’E.M.M. de Béziers

295 « Le Camel ? mais qu’es aquo ? », encart au n° 8, 1996.

296 Le Petit Biterrois

297 « Dieu n’a pas reconnu les siens », du n° 1, 1979 au n° 26, 1980.

298 Le Peuple breton

299 « La patrie, c’est la langue », n° 478, 2003.

300 Pierre d’angle (Aix-en-Provence)

301 « Mater Dei », n° 9, 2003, 192-196.

302 Reflets : revue des élèves du collège P.-Valéry (Sète)

303 « La poésie russe contemporaine », 1953, 19-25.

304 « Patz – Paix », 1953, 33.

305 « Paraulas pèr una drolla – Paroles pour une fille », 1954, 40-42.

306 Revue de l’Agenais

307 « Jasmin, délaissé et incontournable », n° 4, 2014, 645-656.

308 Revue du Rouergue

309 « Atot e ratatot : Pau Gayraud coma Enric Mouly, los romancièrs « incontornables », n° 26, 1991, 247-261. 310 Septimanie

311 « À sa lumière », n° 6, 2001, 33-34.

312 Sud : l’hebdomadaire du Languedoc

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313 « Nous voulons le droit à l’égalité des langues », n° 8, mars 1976, 5.

314 « Volem pas nos empoisonar al païs », n° 92, novembre 1977, 9.

315 « Lo cop del pàire Josèp », n° 95, décembre 1977, 14.

316 « Plus que jamais : la gauche unie, toute la gauche », n° 137, novembre 1978, 4.

317 « “Auzor” en occitan du XIe siècle ça voulait dire audace ! », n° 139, novembre 1978, 10.

318 « Mon reire-païs escorjat », n° 144, décembre 1978, 7.

319 « Une voix par-dessus les vaines querelles », n° 154, mars 1979, 14.

320 « Lafont s’en va-t-en guerre. Aura-t-il Rémi Pach ? Aura-t-il Rémi Pach ? », n° 172, juillet 1979, 17. 321 Terre de vins

322 « Maraussan, ces vignerons qui se voulaient libres », n° 10, 2001, 62-69.

323 « Vermouth, le goût du secret », n° 15, 2002, 68-73.

324 « Saint-Georges-d’Orques, un blason en or », n° 18, 2003, 90-95.

325 « Les frères vineux », n° 20, 2003, 102-109.

326 La Voix domitienne

327 « A Béziers depuis l’Antiquité on n’arrête pas de renaître », n° 21/22, 1994, 13-16.

Traductions

328 Sola Deitas : camin de crotz [par] Joan Larzac, version francesa d’Ives Roqueta, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1964.

329 L’Estrangièr del dedins e autres poëmas politics — L’étranger du dedans et autres poèmes politiques [par] Joan Larzac, traduction de l’occitan par Yves Rouquette, Paris, P.-J. Oswald, 1972. 330 Nòstre Sénher lo segond (Jésus II [par] Joseph Delteil), Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1973. 331 Bernat Deliciós : Franciscans contra Inquisicion (Bernard Délicieux [par] Bertrand Hauréau), Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1981. 332 Lo cementèri marin (Le cimetière marin [par] Paul Valéry), Béziers, Omnibus, 1991.

333 Colerà (Choléra [par] Joseph Delteil), Toulouse, IEO « Flor Enversa », 1993.

334 « De qu’és aquò, un Turc ? » [par] Dikmen Sinasi, traduction d’Yves Roquette, Les Cahiers Max Rouquette, n° 468, ivèrn de 1998, 11-15. 335 L’òme que plantava d’arbols (L’homme qui plantait des arbres [par] Jean Giono), Occitania viva, 2002. 336 « Conversacion en Sicília (Conversazione in Sicilia – Conversation en Sicile [par] Elio Vittorini) », Lo Gai Saber, N° spécial, 2003, 487-490. 337 Las trèvas d’Orador (Les fantômes d’Oradour [par] Alain Lerchet), Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 2003. 338 « A la recèrca del temps perdut — À la recherche du temps perdu » [par] Marcel Proust, Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 60-63. 339 « Lisistratè — Lysistrata » [par] Aristophane, Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 64-75.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 162

340 « Causas — Choses. Fach divèrs — Faits divers » [par] Guillevic, Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 76-78. 341 « La Cançon del Mal-Aimat — La Chanson du Mal-Aimé » [par] Guillaume Apollinaire, Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 79-82. 342 « Persecucion privada (Persecuzione privata [par] Aldo Franco) », Lo Gai Saber, N° spécial, mars 2010. 343 « L’òbra del jorn sièisen : conte » [par] Noël Marie, traduction de Roqueta Ives, Oc, n° 102-103, 2012, 48-49.

Œuvre (français)

Recueils et ouvrages

344 La nouvelle chanson occitane. Textes choisis et présentés par Yves Rouquette, Toulouse, Privat, 1972.

345 Mille ans de littérature occitane : juillet-août 1974, catalogue par Jacques Lugand et Yves Rouquette], Ville de Béziers, Musée des beaux-arts, 1974. 346 Pour l’Occitan et pour l’Occitanie, Toulouse, Institut d’Estudis Occitans, 1981.

347 Occitanie : Petit traité de géographie cordiale, Béziers, Centre International de Documentation Occitane, 1984. 348 Les Paillasses. Carnaval a Cournonterral, photos C. Camberoque, texte Y. Rouquette, Lagrasse, éditions Verdier, 1985. 349 Sète et son archipel, illus. de Pierre François, Portet-sur-Garonne, éditions Loubatières, 1991. 350 Occitanie, notre terre, Portet-sur-Garonne, éditions Loubatières. Collection « Terres Du Sud », n° 25, 1991. 351 Cathares, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 1991, rééd. 1992, 1996.

352 Midis, petite géographie cordiale, Portet-sur-Garonne, éditions Loubatières, 1992.

353 Le fils du père ou la très véridique histoire de la naissance de notre-seigneur Jésus-Christ, Portet-sur-Garonne, éditions Loubatières, 1993. 354 Sète, texte d’Yves Rouquette, dessins coloriés de Pierre François, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 1993, rééd. 1998. 355 Un autre Rouergue… celui de Paul Gayraud, [Rodez], [s.n.], 1994.

356 Les dessous du Paradis, conception Denis Declerck, Yves Rouquette, Gilbert Rouvière, Production Zinc Théâtre, Béziers, S.M.L., 1994. 357 Béziers, les rues racontent, Montpellier, Les presses du Languedoc, 1999.

358 Le bel aujourd’hui ? humeurs, chroniques de La Dépêche du Midi, Castelnau-le-Lez, Climats, 2001. 359 Vic, Le Méjan, l’Or, Étangs de Montpellier, illustrations de Raphaël Segura, Arles, Actes Sud, coll. « Guide Languedoc Roussillon », 2003. 360 Pinocchio à vue de nez, illust. du peintre René Biosca, Castelnau-Le-Lez, Climats, 2003.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 163

361 Latins, Terra marique, « sur terre et sur mer », textes d’Yves Rouquette, photos de Jean- Claude Martinez, [S.l.], [s.n.], 2003. 362 Latins, illustrations de Jean-Claude Martinez, Béziers, Suerte Éditions, 2006.

363 Saine et sauve mémoire, ancien collège Sadi Carnot, Auch, textes d’Yves Rouquette, photos de Jean-Claude Martinez, Béziers, Suerte Éditions, 2007. 364 Brèves de Blanc, [Peux-et-Couffouleux ?], Blanc Sauvegarde Réhabilitation Éditions, 2009.

365 Larzac. Photographies Eric Teissèdre, Texte Yves Rouquette, Saint Affrique, Fleurines Éditions, 2013. 366 En Occitan : une école buissonnière de la Littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013. 367 Le goût des jours : chroniques de La Dépêche du Midi, Préface de Laurent Rouquette, Perpignan, Mare Nostrum, 2015.

Théâtre (français)

368 Figaro ou les mésaventures d’un barbier napolitain, comédie bilingue, italien-français, d’Angelo Savelli, mise en scène d’Angelo Savelli, musique de Jean-Pierre Neel, dialogues français d’Yves Rouquette, coproduction compagnia di musica e teatro popolare Pupi e Fresedde (Florence) et Teatre de la Carriera-Théâtre populaire occitan, Arles, 1989.

369 La Nuit des fées, lecture-spectacle par Yves Rouquette et Pierre Astier d’un texte de Camille Bierens de Haan et du conte de Perrault, La Belle au bois dormant, suivi d’un goûter ou souper des fées pour huit acteurs-conteurs, mise en scène Gilbert Rouvière, Zinc Théâtre, Château Viennet, Béziers ; puis Yannick Orval, Compagnie de l’Étourdi, 2000, château de Fayet, Aveyron, 1995. 370 Célébration de l’épicerie, lecture-spectacle en français réalisé et interprété par Yves Rouquette, avec Marie Rouanet et Jean Varela, 1996.

Ouvrages en collaboration (français)

371 L’imagier et les poètes, photographies de Jean-Luc Teisseyre, textes de Monique Bourin, Michel Adgé, Yves Rouquette, Bernard Nayral… [Maquette de l’exposition par Patrick Divaret], Centre International de Documentation Occitane, Association de sauvegarde du patrimoine architectural et naturel du Capestanais, Association Promotion patrimoine du Biterrois, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 1991.

372 Canal des Deux Mers de Castets en Dorthe à Séte, en coll. avec Jacques Abeille, Cedric Demangeot, Pierre Le Coz, Alem Surre-Garcia, avec poèmes de Corneille, Charles Gros, et des textes en Occitan de Clarac et Henri Dayde, photographies de Jean-Louis Burc, Pessac, La Part des Anges, 2002. 373 « Le pailler », Mon Royaume pour un livre : 16 écrivains racontent, avant-propos de Guy Rouquet, Bègles, Le Castor astral, 2013, 137-146. 374 Préfaces, postfaces (français)

375 L’invention du Massif central [par] François Graveline ; préface de Yves Rouquette, dessins de Hélène Hibou, typographie de Xavier Zwiller, cartographie de Franck Watel, Clermont-Ferrand, Éditions du Miroir, 2003.

Revue des langues romanes, Tome CXXI N°2 | 2017 164

376 700 ans de révoltes occitanes [par] Gérard de Sède, Préfaces de José Bové et d’Yves Rouquette, Villeveyrac, Le Papillon Rouge Éditeur, 2013.

Expositions : création, collaboration

377 Mille ans de littérature occitane, juillet-août 1974, Catalogue par Jacques Lugand et contribution d’Yves Rouquette, Ville de Béziers, Musée des beaux-arts, 1974.

378 1945-1985, Occitanie, quoi de neuf ?, maquette de Patrick Divaret, Béziers, Centre Inter- Regional de Desvolopament de l’Occitan, 1986. 379 De la natura de quauquas bèstias, pichòt bestiari fantasierós escrich en lenga d’òc al sègle XIII e transcrich en lengatge d’ara per Ives Roqueta e Pierre François, conçue par le Centre International de Documentation Occitane, Béziers, Centre Inter-Regional de Desvolopament de l’Occitan, 1990. 380 L’Imagier et les poètes, maquette de Patrick Divaret [avec ouvrage collectif publié chez l’éditeur Loubatières], Béziers, Centre Inter-Regional de Desvolopament de l’Occitan, 1991. 381 Lo dire amorós, poètes et écrivains du XIe siècle au XXe siècle et textes romantiques choisis par Yves Rouquette et illustrés par des peintures et dessins originaux de Patrick Divaret, Béziers, Centre Inter-Regional de Desvolopament de l’Occitan, 1996. 382 Circulades, villes et villages du Languedoc, d’après les travaux de F. Pawlowski, réalisation Limitrophe, Centre Inter-Regional de Desvolopament de l’Occitan, 1996. 383 Pierre François : rétrospective d’une vie d’artiste, textes d’Yves Rouquette, Béziers, Espace Riquet, 26 juin-29 novembre 2009.

Enregistrements (auteur, voix)

Disques, CD

384 « Lo Païs viu al present », co-auteurs Claudi Marti e Ives Roqueta, musique Joan Jornot, Lo Païs viu al present [par] Claudi Marti, Ventadorn, 1969.

385 « Lo Païs viu al present », co-auteurs Claudi Marti e Ives Roqueta, Montsegur [par] Claudi Marti, Ventadorn, 1972. 386 Messa pels pòrcs, tèxte occitan d’Ives Roqueta dich per l’autor, Musica originala de Joan-Enric Signoret, orgue, e de Miquèl Soulier, trombone ; ill. Pierre François, Béziers, Ventadorn, [1970-1972 ?] 387 « Quand parli amor », Ives Roqueta, Daniel Grosbard, guitare, A l’Intrada del temps clar [par] Marie Rouanet, Ventadorn, 1975. 388 « Perqué Tolosa la nuèit », « Autant de dreites », « Los maçons », Volèm viure al païs [par] Mans de Breish, Ventadorn, 1975. 389 « Cecila », « En Armas », Ives Roqueta e Daniel Grosbard, guitare, Contra corrent la trocha nada [par] Marie Rouanet, Ventadorn, 1976. 390 Poèmas occitans per uèi, André Neyton (dir.), Sergi Bec, Robèrt Lafont, Pèire Lagarda, Joan Larzac, Renat Merle, Rotland Pecot, Alan Pelhon, Crestian Rapin, Jòrgi Rebol, Ives

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Roqueta ; Serge Madie, Marc Archippe, Philippe Pianelli […], accompagnement musical, Béziers, Ventadorn, [1976] 391 M’ausissi caminar cap al jorn, Ives Roqueta acompanhat per Clemencic Consort, ensemble instrumental, Béziers, Ventadorn, 1977. 392 Troubadours 1, Bernart de Ventadorn, Raimbaut de Vaqueiras, Peirol, Pèire Vidal, Clemencic Consort, ensemble vocal et instrumental ; René Clemencic, direction, orgue portatif, flûte ; Yves Rouquette, récitant ; Pilar Figueras, Frederick Urrey, chant ; René Zosso, chant et vielle à roue ; Michael Ditrich, Andras Keckskes, Anne Osnowyz […], Saint- Michel-de-Provence, Harmonia Mundi, 1977. 393 Troubadours 2, Comtessa de Dia, Azalaïs de Porcairagues, Bernart de Ventadorn, Folquet de Marselha, Guilhem de Cabestanh, Clemencic Consort, ensemble vocal et instrumental ; René Clemencic, direction, orgue portatif, flûte ; Yves Rouquette, récitant ; Pilar Figueras, Frederick Urrey, chant ; René Zosso, chant et vielle à roue ; Michael Ditrich, Andras Keckskes, Anne Osnowyz […], Saint-Michel-de-Provence, Harmonia Mundi, 1977. 394 Troubadours 3, Marcabrun, anonyme, Raimon de Miraval, Jaufre Rudel, Clemencic Consort, ensemble vocal et instrumental ; René Clemencic (dir.), orgue portatif, flûte ; Yves Rouquette, récitant ; Pilar Figueras, Frederick Urrey, chant ; René Zosso, chant et vielle à roue ; Michael Ditrich, Andras Keckskes, Anne Osnowyz […], Saint-Michel-de- Provence, Harmonia Mundi, 1978. 395 Nativitat, En Occitania e endacòm mai, Boston Camerata, ensemble vocal et instrumental ; Joël Cohen, direction, luth, percussions ; Ives Roqueta, recitant ; Nancy Armstrong […] ; Ken Fitch […] ; Bruce Fithian […] ; Charles Stephens, David Rockefeller, Béziers, Ventadorn, 1980. 396 Troubadours, Peirol, Peire Vidal, Bernart de Ventadorn […] Alfonso el Sabio, Clemencic Consort, ensemble vocal et instrumental ; René Clemencic, direction, flûte à bec, orgue, percussions, Arles, Harmonia mundi France, 1994. 397 Mescladissa, Isabelle François, auteur compositeur ; Yves Rouquette, co-auteur, Mescladissa, groupe vocal et instrumental, Mescladissa, 1997. 398 Salve Regina des bergers du Rouergue dit « des moines d’Estaing », Choeur d’hommes de l’Abbaye de Sylvanès, André Gouzes, direction ; Yves Rouquette, récitant ; Georges Ramondenc, chant du berger, Sylvanès, Éditions de Sylvanès, 2001. 399 Messa de Silvanés. En lenga d’òc, Musique, André Gouzes, direction, voix ; Yves Rouquette, traduction des textes en occitan, lecteur ; chœur d’hommes de l’Abbaye de Sylvanès, Camarès, Éditions de l’Abbaye de Sylvanès, 2001. 400 De Còr et d’Òc, Ives Roqueta, Beaumont-sur-Lèze, Dominique Blanchard, 2007.

401 « Cecila », Yves Rouquette, Avètz Ausit ? Nadalenca, chœur polyphonique occitan de Montpellier, Chef de cœur, Hugues Brunet, Montpellier, Nadalenca, 2008. 402 Messa pels pòrcs, Messa sens nom, sens Dieu, sens prèire, sens pòble, sens ren, pels pòrcs a vendre, texte d’Ives Roqueta dich per l’autor ; Musica originala de Joan-Enric Signoret, orgue et Miquèl Solier, trombone, Beaumont-sur-Lèze, Domenja Blanchard, 2008. 403 Yves Rouquette. Trésors d’Occitanie, n° 15, Aura Productions, 2008.

404 Yves Rouquette : morceaux choisis dits par l’auteur, Yves Rouquette, auteur, narrateur, Vendargues, Occitània Productions, 2008.

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405 M’ausissi caminar cap al jorn, Ives Roqueta acompanhat per Clemencic Consort, ensemble instrumental, Beaumont-sur-Lèze, Domenja Blanchard, 2008.

Images

406 Les Miséricordes du Rouergue, images illustrées par des poèmes d’Yves Rouquette, réalisation Jacques Cambon, [s.l.], Jacques Cambon, producteur, Centre Culturel Occitan du Rouergue, 28’, [s.d.]

Manuscrits C.I.R.D.O.C

407 14.1. Los jardinièrs del cada jorn ; Dossier “Théâtre chantant” ; Dossier “Fenouillèdes” ; Lo solelh, lo rai de luna e lo grand Corpatàs ; Lo filh del paire [par] J. Savary ; Dossier « Bernard de Ventadorn » ; Dieu n’a pas reconnu les siens ; Le chemin du troubadour ; Conférence « Lengadòc Roge » ; Vieux comme un chemin ; Espace occitan, horizon 2000 ; Leccionari dominical occitan.

408 14.2. La culture occitane dans le département de l’Hérault ; Lo peis de boés dans le metrò ; Kalendarium ; Mistral et l’Occitanie ; Lèu o tard, la tartuga tua ; Collectiu occitan ; Arnaut de Carcassés ; Figaro ; Guy Clavel ; Opération “Ville occitane” ; Question de Roland Pécout pour Impressions du Sud ; Dels dos principis ; Le pays des deux mers, Pre o pòstfàcia per « Colèra » ; Place de la Madeleine : 28 mai 1988 ; Pézenas en Languedoc, film d’Yves Peron ; Clovis Hugues ; Ville de Béziers, SI automne 1980 ; Roman… jamai contunhat ; Les causes du réveil des ethnies dans l’Hexagone ; Occitans sans honte ni vertige ; La chanson occitane a 10 ans ; Governem nos ! ; Pour une carte d’Occitanie ; Henri Mouly ; Chantons les plaisirs de l’histoire ; Vanderspelden ; Lo fol et autres poèmes ; Amassada IEO janv. 1978 ; Questionnaire Frencesa Joana ; Firmin Jany : les derniers des métiers ; Pour une encyclopédie ; F.-J. Temple ; T’ausissi caminar : poèmes. 409 14.3. L’espace zéro ; Vila dubèrta ; Lo trabalh de las mans ; Êtes-vous cathare ? Joseph Delteil ; La poésie d’Oc ; Quauquas remarcas sus lo vocubulari poëtic dels « poueto prouvençau de vuei » ; Xavier Benguerel ; Cercle occitan narbonne. 410 14.4. Occitanie quoi de neuf ; L’occitan lenga de familha ; À peine en France ; Albert Gastal ; Felip Cosinier ; Michel Minussi ; Coupure de presse 1996 ; Serge Granier ; Dame Carcàs, Pyrène, Pertuzé, Loubatières ; Lo cant de la tèrra ; Lou cementèri marin ; Paul Gayraud ; François Cassignol ; Bélibaste ; La ville comme une personne ; Routes du Sud ; Maffre Ermengau ; Un siècle d’écrivains ; Las fèstas de primtemps ; Publicité rimée en Oc sur Béziers ; Richarme ; Durand de Gros par J.-M. Cosson. 411 14.5. Entre eles dos ; Rene Nelli ; Mariène Gatineau ; Henri Le Mero ; Serge Bec ; Carbonnel ; Lettres d’enfants à Marie Rouanet ; Jean Claude Forêt ; René Duran ; Le Consulat à Belmont France ; I.E.O. statuts 1974-1976 ; Fernand Birot ; Crounico de Tourrelat de Prouvenço, Serge Bec ; Roger Payrot ; Les paillasses ; Doc. 1994-1995. 412 14.6. Jòrdi Blanc ; Publications littéraires occitanes dans la presse ; Bugadas et lessives ; Le génie Latin / Vanières par Henri Barthès ; Leon Còrdas : òbra poëtica. 413 14.7. Georges Mounin ; Plans de Béziers 1952 ; Cléric ; Caritats (pour G. Rodriguez) ; Delteil ; La legenda de St Afrodisi ; Occitanie.

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414 14.8. Guillevic : Terraiga ; Lo Libre dels grands jorns de Jean Boudou : traduction française ; Nòstre sénher lo segond ; Los Carbonièrs de la sala ; Ville ouverte : poèmes ; Bernat Delicios : los franciscans contra l’inquisicion. 415 14.9. Les dessous du Paradis : Béziers 1944 : théâtre ; Aquò’s aquò ; Chroniques : la Dépêche du Midi 1974 ; Lettre à Loubatières ; Plaisir o contes ; Argerianas ; Aquò’s aquò 1984 ; Ruzante ; Diaporama Occitanie Heidelberg 1983 ; La ciutat negada ; La cathare et l’Inquisiteur ; La veille de sa mort ; Le dernier sermon de Belibaste ; Remarques de Nicolas Bruntz. 416 14.10. Lemosin’s blues ; L’argent Dieu e los dos principis ; Qui immigre démigre 1989 ; La légende de Saint Mèn 1991 ; A Yves Pietrasanta ; Belibaste ; Plaisir aux contes ; Foulard islamique, Serge Granier ; De galis 1991 ; Cant de la tèrra suspenduda ; Occitanie notre terre ; Le Toulousain ; Cellule XIII ; Propositions Yves Rouquette Économie 1989 ; Juli Coupier. 417 14.11. Interdit à Béziers ; Grammont ; El Job ; Occitanie petit traité ; Lo jorn que Monsur Vidal se perdèt ; Ferroul en paradis ; A l’escolo. 418 14.12. Joan lo piòt ; Occitanie ; Les vieux se mettent en route ; Paul Valéry, Lo cementèri marin ; La Ciutat negada 1992 ; Enric Mouly ; Cementèri dels inocents ; Chronique Radio France 1984 ; 27 mars 1986 ; Projet revista IEO “Occitans” ; Juli Plancada ; Languedoc- Roussillon : 8 villes pour une histoire ; Essai d’Office des Ténèbres ; Collectiu Occitan ; Colloque d’Albi ; Lo Chincha merlincha ; Languedoc rouge ; Traduction de contes ; 3 à 3 : plaisir aux contes. 419 14.13. Mir Baleste ; Lexique comparé des notions essentielles communes à la poésie dialectale libanaise et à la poésie occitane (XIXXX) ; Reflets ; Sur la grève de la Littorale ; novembre 1985 ; Cant de la tèrra suspenduda ; Yves Berger ; Aux grands hommes nos cités reconnaissantes ou pas ; Païs de la Domiciana ; Los Tres gendres del paure òme. 420 14.14. Les rues de Béziers ont des choses à vous dire… ; À propos de Béziers ; Béziers : les rues racontent. 421 14.15. Charles Senegas ; la ville, comme une personne ; Yakouba ; Celebracion del primtemps a Sant Africa ; Pour une cuisine et une gastronomie de printemps ; NasrEddin ; Occitanie : petit traité de géographie cordiale. 422 14.16. Textes del concors idèa d’oc 1988 ; Sa majesté : théâtre de la carrièra.

423 14.17. Les contes de l’Homme à tout faire : Jean le bête, le bossu, la grande bête à tête d’homme ; Or, Méjan et Vic : les étangs de Montpellier ; Chuc e muc ; Chuc and muc : delicis occitans ; Frédéric Mistral : tout ou rien ; La glèisa d’Elva (valadas occitanas d’Itàlia). 424 14.18. Sur la page chaque jour, Daniel Biga ; Saint Johnny ; des garrigues, Pierre Aussanaire ; Le manuscrit de l’autopsie d’un groupe de musique pop, René Duran ; Le repapieur indiscret, Raymond Guilhem ; Le français chassé des sciences, Pierre Bourdieu ; Le malade et l’infirmière devant la mort, Colette Estaque. 425 14.19-23. Tapuscrits d’autres auteurs ; Sète et l’archipel Sétois, les chèvres et le loup, le roi des corbeaux, la soupe aux châtaignes 1985, juin 1982 : article de Guilhèm de Cabestanh. 426 14.24. Photos Yves Rouquette ; Épreuves de l’Òda a Sant Afrodisi ; Poème En fòrça ; La legenda de Sant Afrodisi ; Aphrodise en trois temps et trois langages ; Dels dos

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principis, poèmas, 1984 ; Agamemnon ; Ruzzante ; Juli Cesar ; Lo songe d’una nuèch d’estiu ; Lo boçut ; Causas sus Béziers ; Libre d’istòria per la lenga de l’ensenhament ; La merde en ville au siècle des lumières : un jésuite témoigne ; Occitania : brèu d’istòria ; Itinéraire historique de la ville de Millau. 427 14.25-26. Jean giono : L’òme que plantava d’aubres.

428 14.27. Montpellier étrangle Béziers ; Los jorns pichons : lo Chincha-Merlincha ; Lo diable a quatre o la legenda de Sant Mèn : théâtre. 429 14.28. L’occitan : lenga nacionala ; Que lire ? ; Siái pas content, jamai : poèmas ; Occitanie, XIe-XIIIe siècles : le printemps de l’europe ; Lo cantic dels cantics ; Article : Robert Lafont ; Honneur et gloire à Camille Vidal, bétonneur, poète et poilu ! ; Sur la grève de la littorale ; Pratiquement inconnu injustement méprisé : le « Chincha- Merlincha » de L.-B. Royer Grammont ; Es que lo nòrd o prendrà tot ? e mai l’art populari del païs d’òc al sègle vint… ; L’occitan : la langue de 13 millions de français ; Non a la destruction des Halles. 430 14.29. Letra dubèrta a Cristian Laus a prepaus de Bodon.

431 14.30. Caricature d’Yves Rouquette par Marijolet ? ; Zòna poème de Guillaume Apollinaire trad. par Yves Rouquette ; La cançon del Mal Aimat poème de Guillaume Apollinaire trad. par Yves Rouquette ; 25 ans après… Jean BOUDOU, projet de film documentaire 432 14.31. Archives Y. Rouquette : Jean Follain / Existir et divers poèmes ; Dossier Jean Jaurès ; Dossier “Larzac” ; “Dossier vert 2013” : coupures de presse, correspondance avec Denis Mallet, on avance chargé de ses morts (tapuscrits) ; Articles pour “Occitans” 09-11-94 : l’avenir du CIDO ; photocopie “À Béziers depuis l’Antiquité on n’arrête pas de renaître in Via Domitia, 1994, “tout fait ventre” ; texte 1 page, Article sur la mort de Max Allier ; 1 lettre de Cantalausa ; 1 lettre de Charles Galtier ; Texte “A Constanţa, ouidi, texte de Jaume Carbonnel.

Traductions d’ouvrages d’Yves Roquette

433 La Mallette, (La Maleta), traduction en français de François Riciardi, Castelnau-le-Lez- Micro-Climats, 1994.

434 Le Poisson de bois dans le métro, nouvelle, (Lo Peis de boès dins lo metrò), traduction en français de François Riciardi, Castelnau-le-Lez, Climats, 1995. 435 Msza dia Swin (La Messa pels pòrcs), traduction en polonais de Nina Pluta, Trialog, villa Decius, 1997. 436 El Hijo del padre o la muy verídica historia del nacimiento de Jesucristo (Lo Filh del paire), traduction en espagnol de Manuel Serrat, Barcelona, Planeta, 1998.

Études (en complément de la bibliographie proposée par les auteurs des articles)

Articles

437 Alranq Claude, « Genèse du “boçut”, la tradition orale occitane », entrevue pour Euroconte, Littérature orale et théâtre méridional contemporain, 1996. [en ligne : http://

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www.larampe-tio.org/wp-content/uploads/2013/03/bocut_dossier_pedagogique- Copie.pdf]

438 Anatole Christian, Lafont Robert, Nouvelle Histoire de la Littérature Occitane, Presses universitaires de France, 1970, t. 2, 819-824. 439 Bonafé Marie-Hélène, « Propos de Yves Rouquette recueillis par Marie-Hélène Bonafé », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 9-16. 440 Brenon Anne, « Ives lo Catar », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 30-32.

441 Brun Joan-Frederic, « A prepaus de Lo Filh del paire d’Ives Roqueta », Oc n° 85, auton 2007, 44. 442 Chambon, Jean-Pierre, 2014. « La “nòva poësia occitana”, le “front comun dels joves poëtas” et la conjoncture politico-littéraire en 1968-1969 vue par Yves Rouquette et Robert Lafont », Revue des langues romanes 118, 239-287. 443 Chambon, Jean-Pierre / Raguin, Marjolaine, en prép. « Sièm Occitans en primièr o […] sièm pas ren du tot : une allocution d’Yves Rouquette (2009). Édition d’extraits, avec une introduction, des notes et un relevé des diatopismes remarquables » [en cours]. 444 François Isabelle, « La force est dans les mots », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 33.

445 François Pierre, « Les portraits de Pierre François », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 35-38. 446 Graveline François, « Portrait du poète en statue-menhir », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 34. 447 Gardy Philippe, « Le poète, la vache, les cochons et l’écriture », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 54-56. 448 Larzac Joan, « Rirem d’èsser tan baugs – Et nous rirons d’être si fous », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 39-50. 449 Martel Philippe, « Révolutionnaire ou nationaliste ? La poésie occitane après 1968 », Terrain anthropologie et Sciences Humaines 41 : Poésie et Politique, septembre 2003, 91,102. 450 Martel Philippe, « Un peu d’histoire : bref historique de la revendication occitane, 1978-1988 », Amiras 20 : Mort et résurrection de Monsieur Occitanisme, 11-23. 451 Pey Serge, « À Yves Rouquette mon ami », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 26-28.

452 Rouanet Marie, « L’éternitat — L’éternité », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 52-53.

453 Roubaud Marie-Louise, « Yves Roquette à vue de nez », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 29. 454 Savelli Angelo, « Le texte en fête », Auteurs en scène n° 6, juin 2004, 51.

455 Torreilles Claire, « Les premières anthologies occitanes et l’ouverture d’un champ littéraire », Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane, Philippe Gardy et Marie- Jeanne Verny (dir.), Presses Universitaires de la Méditerranée, 2009, 311-327. 456 Venzac Pierre, « A prepaus d’El, Jòb d’Ives Roqueta », Oc n° 87-88-89, prima-estiu-auton 2008, 201-202. 457 Zerby-Cros Annie, « Ventadorn ou l’aventure d’une maison de disques occitans à Béziers », Lengas : Chanson occitane et chansons en occitan dans la seconde moitié du vingtième siècle, n° 67, 2010.

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Expositions

458 Six artistes en Chartreuse : Jean-Jacques Condom, Charles Giai-Gischia, Louise Guay, Rauda Jamis, Yves Rouquette, Gilles Roussi, avec la collaboration de Bernard Tournois, Exposition, Villeneuve-lès-Avignon, CIRCA-La Chartreuse, 1985.

459 Ives Roqueta : 60 ans de creacion occitana — Yves Rouquette : 60 ans de création occitane, conçue par Cap l’Òc, Saint-Affrique, Cap l’Òc, [s.d.]. 460 A dos de longa : hommage à Marie Rouanet et Yves Rouquette, Béziers, Musée des Beaux Arts, 28 mai-15 septembre 2013, Béziers, Les Musées de la Ville de Béziers, 2013.

AUTEURS

FRANÇOISE BANCAREL

C.I.R.D.O.C.

JOËLLE GINESTET

Université Toulouse Jean Jaurès, ELH-PLH

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Varia

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Le type occitan médiéval Uc(h)afol en toponymie

Jean-Pierre Chambon et Philippe Olivier

1 Brunel (1954, 243 et n. 68) a rangé un nom de lieu « Uchafol » (non localisé), « cité en 1150 sous la forme Uxafol [Porée 1919, 484] », dans une liste de « noms de lieu et de personne » en -fol ayant l’allure de composés verbaux et pouvant être rapprochés à ce titre du nom du troubadour gévaudanais Torcafol. À notre connaissance, l’analyse en est restée là. Nous nous proposons, dans les lignes qu’on va lire, de reprendre et d’approfondir l’étude de ce dossier toponymique entrouvert par le grand chartiste.

Inventaire des représentants du type Uc(h)afol

2 Selon nos relevés, complétés et contrôlés par les données d’Anon. (s. d.) — basées sur la nomenclature de la carte de l’IGN au 1 :25 000 —, on a affaire à un type très rare dans la toponymie de la France et assez étroitement localisé à l’intérieur du domaine occitan : Rouergue, sud de l’Auvergne, peut-être nord du Gévaudan.

3 1.1. Dans le département de l’Aveyron, on relève les trois exemplaires suivants.

4 (1) Aocc. Ucafoll ca 1166 (orig.) « et el capmas de Rinnac . VI. d. per alo, el capmas de Bell Anar .VI. d. per alo, el mas d’Ucafoll .XII. d. per alo » (Brunel 1926, n° 110, 8), nom d’un manse ayant disparu de la toponymie majeure et dont le référent devait être situé, d’après le contexte, vers ou à Rignac (Brunel 1926, 441). 5 (2) Frm. Huquefol, nom d’un hameau (Dardé 1868, 173) ou plutôt d’une ferme isolée, accrochée, à 600 m d’altitude, presque au sommet des pentes abruptes des gorges de l’Alrance (dénivelé de 247 m), dans la commune de Lestrade-et-Thouels, au sud de Peyralbe (IGN 1 :25 000, 2441 O). Ce toponyme apparaît sous la forme aocc. Ucafol en 1232 (orig.), dans une énumération de manses : « […] la meitat del mas de Bannoyda, la meitat d’Ucafol, Fornols, lo mas de Ginestos […] » (Verlaguet 1918-1925, n° 211)1. On le trouve antérieurement dans la désignation d’un ruisseau, « affluent de l’Alrance, vers Huquefol » (Ourliac/Magnou 1985, 400), dès 1227 « e de la via en aval te entro en Alransa, e del riu d’Ucafol te entro el riu de Peiralba » (op. cit., n° 52, 12) et en 1228 « e la

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fazenda tota daus lo riu d’Ucafol entro el riu de Peiralba » (op. cit., n° 82, 12). La voyelle intertonique a été adaptée en schwa par le français. Second trait de francisation, H- initial est peut-être dû à un rapprochement avec fr. hucher. 6 Il paraît très probable que Ucafol > Huquefol est à la base du nom de famille frm. Hucafol, dont la distribution était, vers 1900, centrée sur Albi (Fordant 1999, 470). Le nom de lieu éponyme est en effet situé à proximité du département du Tarn et l’Alrance est un affluent du Tarn, la rivière qui arrose Albi. Le nom de famille a pu se diffuser, selon l’expression de Camproux (1949), « au fil de l’eau ». 7 On trouve encore Ucafol comme second constituant de frm. Puech Ucafol, commune de Ségur, nom d’une hauteur de 818 m, qui domine à peine le chef-lieu, à l’ouest, et la vallée du Viaur, à l’est, tous deux à 750 m d’altitude (IGN 1 :25 000, 2439 E). En se fiant à la syntaxe (juxtaposition typique des noms de personne en fonction de complément adnominal), on considérera, jusqu’à plus ample informé, que Hucafol représente ici le nom de personne que nous venons d’évoquer (à un stade antérieur à la francisation de l’intertonique et à l’introduction d’un H- adventice) ; la hauteur voisine se nomme d’ailleurs Puech Arnal, avec un second terme clairement anthroponymique construit en asyndète. 8 (3) Frm. Ucafol, nom d’un hameau, commune de Laguiole, à 4 km à l’ouest-nord-ouest de ce chef-lieu (IGN 1 :25 000, 2437 E), id. en 1868 (Dardé 1868, 364), Ucafol en 1782-1783 (Cassini, feuille n° 15). Ucafol est situé à 930 m d’altitude, sur le versant ouest du Puech d’Ucafol (966 m) et domine la vallée du ruisseau d’Auriac située à 860 m (d’après le cadastre actuel [www.cadastre.gouv.fr] et le site Géoportail consultés en 2017). La voyelle intertonique n’a pas fait l’objet d’adaptation. 9 1.2. Plusieurs autres exemplaires se rencontrent dans le département du Cantal.

10 (4) Frm. Huguefons, nom d’un village de la commune de Nieudan, situé à l’ouest-nord- ouest du chef-lieu à une altitude de 615 m à l’extrémité d’une petite butte qui domine du côté sud un ruisseau temporaire situé à 580 m d’altitude (Amé 1907, 252, s. v. Huquefont ; IGN 1 :25 000, 2336 O) est Huquefons en 1782-1783 ( Cassini, feuille n° 15). Les formes les plus anciennes (toutes les deux Amé 1907, 252), aocc. Ucafol en 1322 (en contexte latin) « mansus hospitalis d’Ucafol », et Ucasol en 1406 (sic ; faute de lecture pour Ucafol), assurent cependant le rattachement au type qui nous intéresse. 11 Amé (op. cit., l. c.) mentionne encore, pour ce toponyme, frm. Ucquefos en 1624, mais mfr. Hucafon dès 1510, et, à partir de 1626, seulement des formes en -on (-ont, -ons, -ond) et d’abord frm. Ucquefon en 1626, Hucque-Fon en 1654, Ucofon en 1661, Ucquefon en 1672 (encore Quefon 1785, avec aphérèse). Cette série d’attestations, et notamment les mentions de 1510 et 1661 qui calquent encore des formes occitanes sans les adapter (a, puis o à l’intertonique), montre que le toponyme a subi en occitan une réanalyse partielle qui en a fait un péjoratif valant “crie (la) faim”, avec pour second terme occ. rég. [’fõ(n)] s. f. “faim” (cf. ALF 527 p 719 ; ALMC 1333, p 14, 15, 16, 18, 43 ; Ronjat 1930-1941, I, 191-192). À partir de 1770, Amé (op. cit., l. c.) ne cite plus que des formes en -font (1770, 1782, Cassini, 1856) ou en -fons (1787), avec des consonnes finales adventices manifestant l’influence de frm. font “source, fontaine”, fréquent comme formant de toponymes. Enfin, Huquefont (qui est encore la forme-vedette d’Amé en 1907) s’est mué en Huguesfond en 1824 (Déribier 1824, 231), Huguesfont en 1856 ( Amé, op. cit., l. c.) et aujourd’hui Huguefons (carte IGN au 1 :25 000, consultée en 2017 sur Géoportail), très probablement du fait d’une attraction paronymique exercée par le prénom frm. Hugues.

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12 (5) Frm. le Chafol, hameau et montagne à burons (Amé 1907, 109), est aujourd’hui Chaffol (INSEE 1977) ou les Chaffols, ferme isolée, commune de Menet ; cf. à 500 m de là, Buron de Chaffols (commune de Valette), près du col de la Besseyre (1050 m). La ferme se trouve à 970 m d’altitude et le buron à 1050 m. Tous deux sur un versant nord dominent de quelques dizaines de mètres la vallée du Violon (IGN 1 :25 000, 2434 OT). La forme occitane actuelle, relevée en 2011 auprès d’un témoin arvernophone natif de la commune voisine de Trizac est [ɛ saˈfɔːu◌̯] ; en français, le même témoin dit [le ʃaˈfɔl]). Les formes anciennes assurent le rattachement de ce toponyme au type qui nous intéresse : mfr. Uchefol en 1518, frm. Uschafol et Uchafols en 1607 ( Amé 1907, 109). L’aphérèse ne se manifeste que depuis le début du XVIIIe siècle : frm. Chaffol 1717, Le Chaffol en 1777 (op. cit., l. c.). L’article est récent (depuis 1777), mais n’a pas été définitivement acquis, semble-t-il ; la pluralisation est plus récente encore. La voyelle intertonique de l’occitan a été adaptée en schwa, mais de manière seulement passagère (1518). 13 (6) Frm. le Chaffol, nom d’un écart, commune de Neuvéglise, a subi, lui aussi, l’aphérèse. Amé (1907, 109) consigne d’abord mfr. Uchofol au XVIe s. (attestation mal classée dans l’ordre chronologique), frm. Uchafol en 1633, Uchaffol en 1645, puis Chaffol 1786 (Chabrol 1786, 695 « un village appelé de Chaffol » ; Amé, op. cit., l. c., donne Le Chaffol, en renvoyant au même t. IV de Chabrol, qu’il date de 1784). On note encore frm. Uchafol en 1824 (Déribier 1824, 230) et 1856 (Déribier 1852-1857, IV, 559), puis Le Shaffol en 1886 (Amé 1907, 109). Nous n’avons retrouvé ce nom ni sur la carte IGN 1 :25 000, 2536 O, ni dans INSEE 1977. Le cadastre actuel (consulté sur Géoportail en 2017) ne connaît pas non plus le nom simple, mais représente une grande parcelle nommée La Cote Duchafol, à une altitude de 850 m, à environ 400 m à l’est-sud-est du hameau de la Taillade, et une autre grande parcelle nommée La Cote d’Uchafol, à une altitude de 700 m, peu au-dessus de la vallée de la Truyère, à environ 1 km au sud-est de la Taillade. Or Déribier (1852-1857, IV, 559) précise : « hameau sur la Truyère » : la localité a peut-être disparu du fait de l’implantation de barrages sur cette rivière ; son finage devait être en tout cas exigu, puisque, dans le Cantal, la Truyère « est resserrée presque partout par des rochers granitiques » et qu’« on ne trouve sur ses bords, et de loin en loin, que quelques moulins de peu d’importance, et que quelques parcelles de prairies » (Déribier 1852-1857, V, 483). L’acquisition de l’article est très récente (depuis 1886). La voyelle intertonique n’a pas été adaptée par le français (la fixation de l’emprunt en -a- est par conséquent antérieure au stade Uchofol XVIe s.).

14 Le même Amé (1907, 109) enregistre aussi le Chaffol, nom d’une ferme, commune de Chaudes-Aigues, sans formes anciennes. Ce nom est inconnu de Déribier (1824, 92 ; 1852-1857, III, 173-176 et V, in fine, 10, 40), d’INSEE 1977, d’IGN 1 :25 000 (2536 O et 2537 O) et du cadastre actuel (consulté sur le site Géoportail en 2017). Comme la commune de Chaudes-Aigues jouxte celle de Neuvéglise au sud, la Truyère servant de limite, il est assez probable qu’une confusion se soit produite avec le Chaffol à Neuvéglise. Cet exemplaire est donc à considérer, jusqu’à plus ample informé, comme douteux. 15 (7) Amé (1907, 502) présente les deux articles suivants : (i) « UCHAFOL, vill. détruit, cne de Cezens. — Mansus d’Uchefol, 1511 (terr. de Maurs) » ; (ii) « UCHAFOL, bois défriché, cne de Tanavelle. — Nemus Huchafont (sic), 1510 (terr. de Maurs) ». 16 En ce qui concerne Uchafol1, on a probablement affaire à une vedette fictive due à Amé : celui-ci est familier de ce procédé de restauration lorsqu’il s’agit de localités disparues

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dont le nom a également disparu. La seule attestation à retenir est par conséquent mfr. Uchefol (1511), avec adaptation par le français de la voyelle intertonique. 17 En ce qui concerne Uchafol2, il nous semble que la formule « bois défriché » possède dans le métalangage d’Amé la même valeur que « vill. détruit » : elle désigne un référent boisé disparu dont le nom a également disparu. Uchafol étant introuvable à Tanavelle dans les nomenclatures et les cartes de l’époque contemporaine, on considérera que Uchafol2 a des chances d’être, lui aussi, une vedette fictive et l’on ne retiendra que mfr. Huchafont (1510). 18 La source employée par Amé étant la même (« terr. de Maurs », sans référence) dans les deux cas, les communes de Cézens et de Tanavelle étant proches l’une de l’autre (elles ne sont séparées que par la commune de Paulhac), les localisations d’Amé étant, de surcroît, souvent approximatives et les doublets étant nombreux dans son ouvrage2, on peut penser que la désignation du manse et celle du bois recourent au même toponyme. Si c’est le cas, la forme traditionnelle Uchefol aurait été, en 1510-1511, en voie de subir une réanalyse en Huchafont identique à celle qui a affecté l’exemplaire (4) ci-dessus (Ucafol en 1406, passé à Hucafon en 1510). 19 (8) Sous « Hôpital (L’), vill., c ne du Vigean », Amé (1907, 251) a enregistré la première mention suivante : « Domus Hospital-Uchafol, 1220 (arch. mun. de Mauriac) ». C’est à coup sûr le même toponyme qui apparaît (à côté de l’Hospital tout court) sous la forme d’aocc. l’Hospital d’Uchafol, dans la liève de Gorssaldet, document (non daté) de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle, concernant la zone de Trizac : « Item el Hospital d’Uchafol, .IIII. d. e Ia carta combla de fromen e .IIII. st. de sivada e Ia galina. E plus, a l’Hospital, el Prat dal Celier, .II. s. a la S. Andreu » (A. D. du Cantal, 125 J 20, pièce 5, f. 19r) ; l’item suivant concerne Anglars, c’est-à-dire la commune voisine Anglards-de- Salers. 20 Déribier (1852-1861, V, 594) écrit : « Hôpital autrefois hôpital de Uchafol et du Chafou » ; il mentionne, sans référence, « un acte de l’an 1220, passé à l’hôpital de Uchafol » (cf. encore op. cit., III, 154), acte qui est probablement la pièce citée par Amé ; il n’indique pas d’où il tire le Chafou (probablement mauvaise lecture pour le Chafon). 21 L’Hôpital est situé sur le rebord d’un plateau, à une altitude relativement élevée (750 m), près d’un quasi à-pic de 250 m correspondant au versant sud-ouest de la vallée du Falgoux ; le site n’est pas abrité des vents et notamment de l’écir. 22 Un terrier, semble-t-il original, de 1620, avec compléments de 1694, 1695, 1696 (?) et 1735, pour le commandeur des Hospitaliers de Carlat (A. D. du Cantal, 59 H, art. 2), que Mme Christiane Balthazar (Aurillac) a eu l’amabilité de nous communiquer en photographie, montre le riche polymorphisme qui affectait alors la désignation de ce lieu. On y relève en effet pour l’année 1620. 23 (i) une large palette de formes simples, qui montrent unanimement que, tout comme Huguefons (4) depuis 1510 et Huchafont (7) en 1510, Uchafol avait été réanalysé en un composé verbal Ucha-fon “crie (la) faim” : • Uchafon (six occurrences), Uschafon (une occurrence) ; • Uchefon (deux occurrences), Uschefon (une occurrence), variantes montrant la francisation de l’intertonique ; • Chefon (une occurrence), variante avec francisation de l’ancienne intertonique et aphérèse ; • Duchafon (une occurrence), variante avec accrétion de la préposition d(e) dans l’Hospital d’Uchafon (voir ci-dessous).

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24 (ii) En outre, la plupart des variantes du simple servent de déterminant à l’Hospital dans un toponyme complexe : • l’Hospital d’Uchafon (vingt-huit occurrences) ; • l’Hospital d’Uchefon (deux occurrences) ; • l’Hospital du Chafon (trois occurrences) ; • l’Hospital du Chefon (une occurrence).

25 (iii) On trouve enfin l’Hospital tout court (onze occurrences), nom seul appelé à survivre.

26 Dans le même document, on trouve, à la date de 1694, les simples Uschafon (une occurrence) et Ueschafon (une occurrence) et le composé l’Hospital d’Uchafon (une occurrence). En 1695, on relève Uschafon (une occurrence), l’Hospital d’Uchafon (une occurrence), l’Hospital (trois occurrences) et l’Hopital (trois occurrences). En 1696 (noté 1690 par erreur ?) on a Uschafon (deux occurrences), Uchafon (une occurrence) et l’Hopital Uschafon (une occurrence). Enfin, en 1735 on n’a plus que l’Hopital (trois occurrences). 27 Au cadastre napoléonien du Vigean (1833), on ne trouve plus aucun toponyme issu de Uchafol, mais seulement un village nommé l’Hopital (A. D. du Cantal, 3P 718/3) 3. Tout porte donc à croire que la substitution définitive de l’Hospital d’Uchafon/Uchafon par l’Hopital a eu lieu au début du XVIIIe siècle.

28 1.3. Il reste à tenter d’identifier, si possible, la forme Uxafol mentionnée par Brunel (1954, 253 n. 68). 29 1.3.1. Aocc. Uxafol se trouve dans un hommage d’Astorge de Peyre à Raimond Béranger, comte de Barcelone, prince d’Aragon et marquis de Provence, en 1150 (copie XIIIe s.) : « illum meum castrum de Peira […] et Brezons et Neirabroza et Uxafol » (Porée 1919, 484)4. Porée (1919, 484 n. 8) a proposé d’identifier Uxafol à « Le Chafol, écart, commune de Neuvéglise, canton de Saint-Flour (?) », soit notre exemplaire (6). 30 1.3.2. Le document mentionne plusieurs localités situées dans l’actuel département du Cantal, dans l’ordre suivant : Xaldas Aigas = Chaudes-Aigues (Porée 1919, 484 n. 5) ; Brezons = Brezons (op. cit., l. c., n. 6) ; Neirabroza = Neirebrousse, commune de Cézens (op. cit., l. c., n. 7) ; Uxafol ; Mainil = le Meynial, commune de Paulhenc, attesté en 1299 sous la forme Maynil (Boudartchouk 1998, III, 280) ou mieux le Meynial, commune de Paulhac (Amé 1897, 312) ; Xambo = probablement le Chambon, commune de Paulhac, attesté depuis 1232 (Amé 1907, 112) ; Batpalmas = ancien château et chapelle, non localisés (cf. Boudet 1910, 19 et n. 4)5 ; Xastlar = le Chaylar, château détruit, commune de Chalinargues, ou le Chaylat, château détruit, commune de Rézentières (Porée 1919, 484, n. 11) ; Rocha Maur = Roche-Maure, château détruit, commune de Paulhenc (op. cit., l. c., n. 12). L’ensemble du contexte toponymique recommande plutôt d’identifier Uxafol avec la mention Uchefol (1511) localisée à Cézens, c’est-à-dire avec notre exemplaire (7)6. 31 1.3.3. Cette localisation est confirmée et précisée par un passage d’un hommage fait par Pierre et Armand de Brezons à Aymar de Cros, évêque de Clermont, en 1287 (orig.), où l’on a certainement affaire à notre exemplaire (7)7 : item mansum de la Fagha, item mansum de Chalvel, item mansum d’Arzilos, sitos in parrochia d’Assezens, cum dictorum mansorum juribus et pertinentiis universis, que contiguantur cum castro dicto de Neyra Brossa et cum manso dicto la Chazeta et cum quodam alio castro dicto d’Uchafol et cum ripperia de Bertalt ; item mansum de la Chazeta cum suis juribus et pertinentiis universis ; item quoddam castrum dictum d’Uchafol cum suis juribus et pertinentiis universis ; item ripperiam de

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Bertalt cum suis juribus et pertinentiis universis ; item mansos citos in parrochia de Brezons, videlicet […]. (A. D. du Puy-de-Dôme, 1 G 26/65.) 32 Comme nous l’écrit Emmanuel Grélois, le contexte topographique indique que le castrum d’Uchafol était « assurément [situé] dans la paroisse de Cézens, en bordure de la paroisse de Brezons »8.

33 1.4. La Lozère fournit peut-être un ou deux exemplaires supplémentaires, malheureusement sans formes véritablement anciennes. 34 1.4.1. On rencontre d’abord (9) frm. Chaffols, nom d’un hameau, commune de Noalhac (IGN 1 :25 000, 2537 E), au bas des pentes du Bois de Chaffols, à plus de 1000 m d’altitude, Chafol en 1852 (Bouret 1852, 79)9. Nous ne connaissons pas de mention plus ancienne. Néanmoins, étant donné, d’une part, la proximité géographique avec les exemplaires du Sanflorain (6) et (7), et le fait que, d’autre part, le rattachement des formes aphérésées du Cantal (5, 6, 8) au type qui nous intéresse est assuré, il semble probable qu’on a affaire à un nouvel exemple d’aphérèse (sans adaptation de la voyelle intertonique). 35 Le nom de famille rare frm. Chaffol, centré sur Mende au début du XXe siècle (Fordant 1999, 1031), est assez probablement d’origine détoponymique. L’anthroponymisation, si elle était avérée, permettrait de supposer que l’aphérèse est relativement ancienne. 36 1.4.2. Il est difficile, en l’absence de formes anciennes, de se prononcer sur (10) frm. le Crouset Chafol, nom d’un hameau, commune de Saint- Sauveur-de-Ginestoux (IGN 1 : 25 000, 2737 O ; Bouret 1852, 117), à plus de 1200 m d’altitude. En 1862, le « nom patois » était Lou Crouzet (Chabanon 1862, 1). Flutre (1957, 108), qui écrit le Crouzet-Chaffol, ne dit rien du second terme. Le site qu’occupe le village, dans une dépression caractéristique, justifie le premier terme du toponyme (diminutif *crozet d’aocc. cros s. m. “creux, trou”, DAO, n° 187, 3-1 ; Pfister 1981, 462). Le second terme pourrait être ou bien le nom de famille Chaffol (ci-dessus § 1.4.1.), construit en asyndète comme complément adnominal, ou bien l’ancien nom du village ou encore le nom d’un ancien habitat voisin (cf. Vincent 1937, 20, 21).

Essai d’interprétation du type

37 Si la datation et l’identification des constituants de Uc(h)afol s’avèrent claires, l’agencement syntaxique et la motivation de ce type toponymique sont plus difficiles à reconnaître.

38 2.1. On peut considérer sans crainte d’erreur que la série s’est formée dès le Moyen Âge. La plupart des exemplaires relevés ci-dessus sont en effet attestés aux XIIe (1, 7), XIIIe (2, 8), XIVe (4) et XVe siècles (5, 6).

39 2.2. Il ne fait pas de doute non plus qu’on a affaire à un composé verbal10 dont le premier terme est le thème ou la forme non marquée (présent de l’indicatif P3), voire l’impératif, d’aocc. uchar/ucar v. tr. et intr. “crier, appeler, huer (le sujet désigne une personne ; en binôme synonymique avec cridar) ; crier, faire annoncer par le crieur public, vendre aux enchères dans un lieu public” (depuis 1100/1110, Rn V, 443 ; Lv VIII, 525 ; LvP, 375 ; FEW IV, 504a, * HUCCARE). Les attestations toponymiques permettent de compléter la distribution géographique médiévale de ce lexème telle que la livrent les textes dépouillés jusqu’ici en ajoutant à coup sûr le Rouergue et la Haute Auvergne (probablement aussi le nord du Gévaudan).

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40 2.3. Le second terme de Uc(h)afol est aocc. fol adj. et s. m. “(personne) qui manque de jugement, qui se comporte de manière déraisonnable ; (personne) qui oublie son devoir religieux ou courtois, qui transgresse les valeurs morales” (Rn III, 348-349 ; Appel 1902, 256 ; LvP, 192 ; FEW III, 688b, FOLLIS ; Cropp 1975, 133-137, dont nous nous sommes inspirés pour la définition). Dans les noms de lieux que nous examinons, fol est très probablement en emploi substantival. On ne peut cependant exclure tout à fait la possibilité d’un emploi adverbial de l’adjectif (“d’une manière contraire à la raison, follement”, Lv III, 517). 41 2.4. Dans les exemplaires (4), (7) et (8) du Cantal, les réanalyses du second terme supposent que uc(h)ar était encore compris au moment des réanalyses. Si l’on se fie à la documentation écrite, l’exemplaire (4) permet de situer la réanalyse au XVe siècle (entre 1406 et 1510). Dans l’exemplaire (7) la forme réanalysée n’avait pas encore fait oublier la forme traditionnelle en 1510-1511. 42 2.5. Les rapports qu’entretiennent les deux constituants dans la microsyntaxe du composé Uc(h)afol sont difficiles à discerner. Parmi les différentes solutions envisageables, la plus vraisemblable consiste à voir dans fol un substantif occupant la fonction sujet dans la ‘phrase de grammaire’ sous-jacente au composé. Cela est en effet le cas dans la seule autre formation toponymique occitane qui contienne, à notre connaissance, le verbe uc(h)ar (+ aocc. lop s. m. “loup”, sujet, plus vraisemblablement que COD) : frm. Hucaloup, nom d’un village, commune de Laval-Roquecezière, Aveyron (IGN 1 :25 000, 2442 O ; Dardé 1868, 173). De plus, un second parallèle utile est fourni par Bramefol, nom de deux lieux-dits sis dans deux communes du sud-est du Lot : Cremps et Saillac (IGN 1 :25 000, 2139 O et site Géoportail), les seuls de ce type selon Anon. (s. d.). Le premier terme est ici tiré d’aocc. bramar v. intr. “crier (personnes)”, occ. mod. bramá/bromá “crier ; pleurer en criant fort, pleurer” (FEW XV/1, 240a, *BRAMMÔN). Ici, le verbe bramar étant intransitif, fol est ici nécessairement un substantif en fonction de sujet. Nous proposons donc d’interpréter aocc. *uc(h)a fol(l) par “(le) fou (y) crie” ou “(le) fou (y) appelle”. 43 Quant à la motivation, on peut imaginer que le fol est jugé tel parce qu’il exploite de manière insensée, dans des conditions défavorables dues à la pente, à l’altitude, à l’exposition, à l’exiguïté ou à l’isolement, une terre difficile et qu’il est supposé, de ce fait, gémir ou appeler à l’aide en vain11. Les sites des exemplaires (2), (3), (5), (6), (8), (9) et, si le toponyme se rattache bien à la série, celui de (10), paraissent assez caractéristiques pour qu’on puisse soutenir une telle interprétation.

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VAYSSIER Aimé. 1879. Dictionnaire français-patois du département de l’Aveyron, Rodez (réimpression, Genève : Slatkine Reprints, 1971).

VERLAGUET Pierre-Aloïs. 1918-1925. Cartulaire de l’abbaye de Bonnecombe, t. I. Rodez : Carrère.

VINCENT Auguste. 1937. Toponymie de la France, Bruxelles, Librairie générale (réimpression, Brionne : Gérard Montfort, 1981).

NOTES

1. L’identification de Ucafol est rendue certaine par celle des toponymes apparaissant dans le contexte immédiat : respectivement Bonneguide, commune d’Alrance (voir Chambon 1987, 194-195 et n. 1) ; Fournols, commune de Durenque (voir Chambon 1980, 457) ; Ginestous, commune de Lestrade-et-Thouels (voir Chambon 1980, 458). 2. Sur le Dictionnaire topographique d’Amé, voir ce jugement de P.-F. Fournier : l’ouvrage n’est pas « un des meilleurs de la collection. Les identifications y sont souvent boiteuses » (Fournier/Sève 1965, 233). 3. Nous remercions Mme Christiane Balthazar d’avoir bien voulu consulter pour nous ce cadastre. 4. Dans ce document, l’affriquée chuintante occitane est notée à l’aide du graphème catalan . 5. Boudet a tort de rechercher ce lieu dans le Pas-de-Calais ou en Haute-Loire. — Notre Batpalmas figure aussi dans le nom d’un lignage lié à celui des Brezons (Artmannus de Batpalmas, Bertrannus de Batpalmas) dans le cartulaire de Sauxillanges (Doniol 1864, nos 618 et 654). 6. Quant à « Uchafol » mentionné par Brunel (1954, 253), cette forme reste en l’air, faute d’identification ou de référence (serait-ce, de la part du savant professeur, une normalisation graphique tacite pour Uxafol ?).

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7. Nous remercions Emmanuel Grélois de nous avoir communiqué son édition de ce document inédit. 8. Voici les identifications des autres noms de lieux du passage (tous situés, sauf Brezons, dans l’actuelle commune de Cézens, département du Cantal), identifications dues à Emmanuel Grélois : la Fagha = la Fage ; Chalvel = Chauvel ; Arzilos = Arjaloux ; Assezens = Cézens (chef-lieu de commune) ; Neyra Brossa = Neirebrousse ; la Chazeta = les Chazettes ; Brezons = Brezons (chef-lieu de commune). 9. Le Répertoire topographique du département de la Lozère de Pierre Dufort n’enregistre aucune forme ancienne. Nous remercions M. Benoît Laiguede, directeur des Archives départementales de la Lozère, où est conservé ce tapuscrit, de nous avoir procuré une photocopie de la page concernée. Dufort écrit en vedette « CHAFFOLS ou CHAFOL ». 10. Un composé N-Adj avec aocc. (h)uc(h)a “crieur, héraut ; proclamation” ne peut être envisagé, ce substantif étant féminin (Rn V, 444 ; Lv 8, 524 ; LvP, 375 ; FEW IV, 505a, * HUCCARE ; Jensen 1976, 81, 82). Astor (2002, 228) considère que « l’ancien français chaafalt, chafaud » est représenté en toponymie par Chafol et le Crouzet-Chaffol : il est inutile de discuter cette opinion. 11. La motivation objective de ces toponymes serait alors comparable à celle de la Grange Folle, nom d’un hameau, commune de Crain (Yonne), ou des très nombreux la Folle Emprise, la Folle Entreprise (ANON. s. d. ; Vincent 1937, p. 190).

AUTEURS

JEAN-PIERRE CHAMBON

Université de Paris-Sorbonne

PHILIPPE OLIVIER

Toulouse

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Un Catalan à Rodez : la contribution du troubadour Cerverí aux débats ruthénois

Miriam Cabré

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article s’inscrit dans le cadre des projets Mecenazgo y creación literaria en la corte catalano-aragonesa (s. XIII-XV) : evolución, contexto y biblioteca digital de referencia (MEC FFI2014-53050-C5-5-P) et El llegat trobadoresc en la construcció de la identitat europea : l’aportació de les corts catalanoaragoneses medievals (Recercaixa 2015 ACUP 00127). Nous tenions à remercier Anna Maria Corredor, Sadurní Martí, Marina Navàs et Albert Reixach pour leurs remarques.

Rodez et Catalogne, deux cénacles troubadouresques tardifs

1 Au cours de la décennie 1270, le comte Henri II de Rodez réunit autour de lui ce qui est souvent censé être le dernier cénacle troubadouresque : c’est ainsi qu’il a été défini dans les grandes études du XIXe siècle aussi bien que dans le panorama actuel sur la littérature des troubadours1.

2 Sans vouloir nier les mérites de l’activité ruthénoise, nous nous permettons de croire qu’il s’agissait d’une affaire assez confidentielle, réduite, en ce qui concerne les débats poétiques, à des personnages étroitement liés au comte (tels que son beau-frère, son conseiller, un vassal très proche d’Henri, et le comte lui-même), avec l’aide de deux professionnels des lettres. 3 Les chansonniers nous renseignent aussi au sujet d’une poignée de poèmes mentionnant le comte ou la comtesse dans la littérature des troubadours, tandis que

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d’autres troubadours sont attestés chez le comte, bien que leur œuvre ne l’explicite pas2. Même si nous considérons comme problématique le titre « dernier cénacle », il est en revanche incontestable qu’il s’agit d’un centre littéraire très représentatif de la culture des troubadours tardifs : la littérature associée à ce milieu se caractérise par les traits les plus distinctifs de la poétique contemporaine, tels que le goût pour la casuistique amoureuse et la compétition poétique, l’expérimentation de genres nouveaux, la compilation manuscrite, les réflexions sur le métier poétique ou l’intérêt scholastique3. Comme nous le démontrerons dans notre article, tout cela ne se fait pas sans une bonne dose d’humour où abondent les sous-entendus, qui sont précisément le fait de l’ambiance confidentielle de la cour. 4 D’autre part, les histoires de la littérature occitane oublient trop souvent que la cour royale catalane était aussi un centre troubadouresque d’envergure, tout à fait contemporain, et que, bien que géographiquement éloignée, elle restait, depuis un siècle, encore complétement intégrée à la culture troubadouresque. Dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, notamment dans les années 1260-1280, il y a justement une renaissance de la littérature d’oc au sein de la cour catalane grâce au mécénat de l’infant Pierre, fils du roi Jacques Ier, qui deviendra le roi Pierre le Grand en 12764. C’est lui qui, à la suite de ses aïeuls, reprend la protection des troubadours que son père avait négligée, avec l’intention manifeste de s’identifier à cet héritage culturel prestigieux et d’en tirer des profits politiques. Si le roi Jacques son père, n’avait pas du tout montré d’intérêt pour les troubadours, qui l’avaient incité en vain à se positionner contre la France, l’infant Pierre convoque autour de lui une cour qui se veut courtoise et qui penche aussi vers l’image d’une chevalerie anti-angevine, caractéristique du milieu sicilien, c’est-à-dire gibelin, avec lequel il était lié depuis son mariage avec Constance, fille du roi Manfred5. Le succès et la réception précoce de cette image sont témoignés par l’œuvre de Guiraut Riquier, qui fait référence à la cour catalane en des termes très élogieux dans le refrain de « Pos astres no m’es donatz » (PC 248.65), daté de 1262 dans son libre : « En Cataluenha la gaya, / entre·ls catalans valens / e las donas avinens »6. 5 Toutefois, ce qu’il est intéressant de souligner ici, ce n’est pas le caractère de la cour catalane ni son importance intrinsèque, mais la nécessité d’en tenir compte pour bien interpréter la littérature occitane de l’époque, y compris celle de Rodez. Ce n’est pas une comparaison arbitraire, puisque la cour catalane partage des traits similaires à ceux qui ont été précédemment énoncés. De nombreux indices attestent par ailleurs un mouvement tout à fait naturel des troubadours entre Rodez et la Catalogne, comme par exemple, les parcours de ou, peut-être, de Guiraut d’Espanha : les bonnes relations entre les comtes de Rodez et les monarques catalano-aragonais avaient sans doute facilité ces échanges. Le lien entre les deux cours et l’attention aux données connues sur la cour catalane sont essentiels pour comprendre certains aspects fondamentaux de l’étude des troubadours tardifs : le rapport entre Guiraut Riquier et Cerverí (presque tout à fait inexploré7) à la chronologie de l’œuvre de Folquet de Lunel, en passant par les voies de réception des troubadours dans l’Occitanie et la Catalogne du XIVe siècle.

6 Il s’agit là du cadre dans lequel s’inscrit aussi notre article, où le poème de Cerverí de Gérone Lo vers del comte de Rodes (PC 434.13) acquiert un sens plus précis, puisque l’effet de miroir entre les deux cours est bien au centre de cette pièce.

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7 C’est cette attention à la cour catalane qui nous pousse à offrir une lecture de la pièce qui renouvelle partiellement l’interprétation de Maurizio Perugi, par ailleurs bien riche et suggestive8.

La présence de Cerverí de Gérone au cénacle de Rodez

8 Aux côtés de Pierre le Grand d’Aragon, prince et roi, on trouve pendant une vingtaine d’années Cerverí de Gérone, dont l’œuvre nous offre un panorama privilégié sur l’ambiance culturelle et politique de ce milieu. L’attention continue portée à son milieu le plus proche fit basculer considérablement le Catalan vers l’autoréférentialité : son œuvre présente bien des portraits de la cour et du troubadour lui-même, en même temps qu’il bâtit, petit à petit, l’image de son mécène comme un prince courtois et un gouvernant idéal ; de nombreux éléments externes à la tradition troubadouresque sont utilisés pour cet édifice poétique, importés de la culture contemporaine, mais on trouve, en revanche, peu de références en dehors de la cour. Les alliés ou les ennemis de Pierre le Grand sont évoqués seulement à des moments précis. Pourtant, parmi les rares mentions d’autres troubadours et cénacles poétiques dans ses poèmes, Cerverí évoque le comte Henri II de Rodez au moins à deux reprises. La première occasion correspond à son Testament en alexandrins à rimes plates, où Cerverí fait une énumération parodique des dons qu’il laisse aux personnages de la cour, parmi lesquels il cite Henri comme le « cousin » de l’infant Pierre, en soulignant ainsi leur proximité. Ensuite, la pièce la plus intéressante en ce qui concerne le rapport littéraire entre les deux cours, Lo vers del comte de Rodes, contient un éloge du comte ainsi que des références explicites aux activités littéraires du milieu ruthénois.

9 Ces références à Rodez ont bien entendu attiré l’attention des chercheurs. Depuis l’hypothèse de Jaume Massó i Torrents (1932), la possibilité d’un voyage de Cerverí à Rodez a été envisagée, bien que ses fondements soient problématiques9. Du point de vue historique, la date d’une telle visite de Cerverí à Rodez est difficile à préciser, puisqu’on n’en a conservé aucune trace, littéraire ou documentaire, évidente. Le Testament pourrait être cependant la preuve d’un rapport direct entre Henri de Rodez et Cerverí : on dirait un poème fait pour être représenté devant les personnages cités, à l’occasion, selon Carlos Alvar, de la fête de Noël de 127410. Le lien entre la couronne catalano-aragonaise et les comtes ruthénois aurait sans doute favorisé une relation de proximité entre l’infant Pierre et le comte, dont témoigne le poème. L’évocation d’un rapport avec Henri devient beaucoup plus claire dans Lo vers del comte de Rodes, où Cerverí manifeste l’intention de rendre visite au comte, faisant allusion à un don précieux dont il avait été le destinataire. S’agit-il d’une référence à une visite du troubadour à Rodez ou d’une récompense obtenue lors d’un séjour du comte ruthénois en Catalogne ? 10 À en croire la documentation conservée, les voyages de Cerverí, sont, d’un côté, une affaire très ponctuelle, puisque le troubadour se trouve toujours aux alentours de Gérone11 et il affirme, dans son Testament (une donnée confirmée par son Oracio de tot dia), qu’il y réside, probablement depuis les années 1260 (peut-être vers 1264). Loin de l’image du jongleur itinérant qu’il affiche parfois, Cerverí semble être un personnage remarquablement sédentaire : peu de voyages, pas de passage de cour en cour et surtout pas de changement fréquent de mécène. La seule exception consiste en un voyage en Castille, en 1269, avec l’entourage de l’infant Pierre. Cerverí, ainsi que

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Folquet de Lunel et un Dalfinet, a accompagné Pierre, comme on peut le reconstituer grâce à des documents très détaillés sur la progression du voyage.12 Deux poèmes de Cerverí en rapport direct avec ce même voyage nous sont aussi parvenus : la Viadeyra (PC 434a.34), une pièce inspirée des lyriques galégo-portugaises à la mode dans la cour castillane et une chanson en hommage au roi Alphonse, la Canso de madona Santa Maria (PC 434a.54). Le Castillan est présenté surtout comme le pieux chantre de la Vierge, une image qu’il appréciait et qui servait l’objectif diplomatique du voyage de Pierre, mais qui transfère l’éloge sur le plan de la poésie dont Cerverí affiche l’expertise. Deux aspects de ce voyage en Castille sont particulièrement remarquables, en vue, peut-être, de les appliquer au cas de Rodez : il s’agit d’un voyage au service de l’infant, qui a eu comme résultat une composition poétique dédiée à leur hôte, flatteuse, bien sûr, mais tenant toujours compte des intérêts du mécène de Cerverí.13 11 Selon cette logique, si Cerverí est allé à Rodez, il est plus probable qu’il ait accompagné l’infant Pierre plutôt que le roi Jacques Ier14. Jusqu’à présent, la date d’une telle visite n’a malheureusement pas été révélée par la documentation sur les voyages de l’infant (ou plus tard roi) Pierre. Pour l’instant, au-delà d’une mention fugace dans Testament, on ne peut se fonder que sur Lo vers del comte de Rodes afin d’explorer le rapport de Cerverí avec la cour de Rodez.

Lo vers del comte de Rodes et les débats ruthénois

12 Venons-en donc à Lo vers del comte de Rodes. Les deux éditeurs de Cerverí, Martí de Riquer et Joan Coromines, ont souligné dans la pièce la réaction du troubadour face à la censure poétique contre les Catalans, avec plusieurs discordances concernant l’interprétation de quelques passages fondamentaux15. Maurizio Perugi est le seul à offrir une lecture d’ensemble : Cerverí aurait réagi à la négation des habilités poétiques des Catalans, tout en se démontrant à la hauteur du raffinement dont la cour de Rodez avait l’habitude16. Il faudra lire la pièce, d’abord, strophe après strophe17 : I. Dans l’exorde, Cerverí se présente selon le topos du troubadour extraordinaire, qui n’est pas sujet aux contraintes de la nature ni au changement des saisons comme les autres et qui ne recule nullement devant la pression des puissants immoraux : tout cela grâce au pouvoir d’amour. II. La strophe suivante fait l’éloge des vertus du comte, nommé explicitement, tout en évoquant son rôle de mécène généreux et peut-être, aussi, de la visite de Cerverí. III. Ensuite, Cerverí fait indirectement l’éloge de Marques de Canilhac, noble puissant proche du comte (il faisait partie de sa famille), en qualité de troubadour expert et amoureux parfait qui aurait même pu corriger le poème du Catalan si quelques fautes s’y étaient d’aventure glissées. Il mentionne aussi l’existence de quelques récepteurs déloyaux de son œuvre : il prie le noble Marques de le protéger contre ses derniers. IV. La strophe subséquente rappelle une querelle poétique, peut-être entre Catalans et Ruthénois, au sujet de l’habilité poétique et l’originalité des Catalans. Ces derniers ont été censurés parce qu’ils ne savent pas faire de discours raffiné, ni du point de vue conceptuel ni formel et ils ont même été accusés de plagier ses discours (c’est plutôt l’inverse selon Cerverí). V. Cerverí cite les tre corone catalanes. Il affirme que les trois meilleurs troubadours du monde, c’est-à-dire les plus « prim », sont trois Catalans décédés (peut-être) récemment18. VI. Les tornadas font référence, comme d’habitude, à la dame Sobrepretz et aux protecteurs de Cerverí, Pierre le Grand et les vicomtes de Cardona19. Mais, le type d’éloge tout à fait

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exceptionnel du roi Pierre semble se justifier davantage dans le cadre d’une aventure héroïque que pour la célébration de ses vertus courtoises.

13 Récapitulons maintenant les aspects du poème qu’il est intéressant de souligner, en y ajoutant, cette fois, notre propre lecture. Depuis l’établissement de Cerverí comme chantre de l’amour dans l’exorde, la pièce, dans sa première partie, penche clairement vers l’éloge du comte de Rodez et de l’un des troubadours de son cénacle, censés être des exceptions évidentes à la méchanceté des puissants évoquée dans la première strophe (comme le signale Perugi). En ce qui concerne le comte, décrit comme un noble de grand mérite aux côtés duquel le troubadour voudrait se trouver, le Catalan mentionne surtout les cadeaux qu’il a lui-même reçus comme troubadour, qui sont des preuves de sa valeur poétique (obtenus sans doute en concurrence avec d’autres possibles destinataires de la largesse du comte). Il faut également rappeler que la largesse était l’aspect central de l’image poétique du comte : la poursuite de la libéralité était le parti choisi par Henri (contre le savoir et les armes) dans le tornejamen poétique « Senh·N Enric, a vos don avantatje » (248,75 = 140.1 = 296.4 = 42a.1), tandis que le débat « Guiraut Riquier, segon vostr’essien » (PC 226.8 = 248.42) entre Guiraut Riquier et Guilhem de Mur, dont Henri est l’arbitre, a toujours pour sujet la générosité20. Cerverí proclame qu’il va argumenter cela de son mieux, ce que Perugi interprète comme l’intention d’exhiber des artifices rhétoriques à la hauteur du mérite du comte. À notre avis, le poème commence en revanche à prendre ici un ton moqueur : les cadeaux, comme celui que Cerverí a reçu, littéralement « rendent riche le coût de l’honneur du comte ». Cependant, le troubadour soutient l’honneur d’Henri de Rodez (« argumente son honneur », dit Cerverí, avec un terme, razonar qui rappelle la terminologie des débats, comme on le verra) en employant toute son habilité rhétorique afin de témoigner de sa gratitude. Par ailleurs, on peut se demander où se trouve cette argumentation, puisque le comte n’est plus nommé dans les strophes suivantes. En tout cas, un ton moqueur est sans doute présent dans les débats mentionnés, par exemple, dans le tornejamen quand, en défendant son choix, Enric met sur un pied d’égalité la dépense et l’honneur (« Mas ieu que fas de mans paures manen / vieurai onratz… », vv. 38-39), ainsi que libéralité et pouvoir (« Guiraut, vos dos auray per mon argent », v. 53).

14 Ce n’est pas par hasard, à notre avis, si Cerverí ne choisit aucun des troubadours professionnels de la cour de Rodez comme modèle poétique à suivre, dans la troisième strophe. Il choisit plutôt celui de l’activité poétique de Marques de Canilhac, un noble proche du comte, en lui conférant ainsi une position d’autorité flatteuse par rapport aux professionnels avec lesquels Marques débattait de temps à autre. C’est une attitude qui concorde avec celle de Marques dans le tornejamen : après qu’Henri a choisi la libéralité, Marques favorise le savoir (tout en laissant les armes à Guiraut, ce qui pourrait mettre en évidence le caractère ludique du débat et l’autodérision de Marques). En lui demandant la protection poétique, Cerverí traite Marques en quelque sorte comme un mécène (comme un « juge poétique », selon Perugi), mais nous soupçonnons qu’il s’agit là encore d’une plaisanterie. Coromines se doute que l’appellatif « lo Marques » soit moqueur ; voulant aller davantage dans le sens de ce que nous venons de proposer, nous pouvons nous demander si Cerverí se moque dans la troisième strophe d’un quelque commentaire poétique de Marques, par exemple dans le débat avec Guiraut Riquier (« Guiraut Riquier a sela que amatz » PC 296.2 = 248.39). Ou bien, par l’intermédiaire de Marques, Guiraut se fait-il attaquer même sans être

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nommé ? Il faut en effet remarquer que Marques affirme dans leur partimen que le choix de Guiraut vient de le définir comme jongleur, puisque ce n’est pas l’amour qui l’inspire (‘car no·n parlatz mas cant per joglaria / e laissas la a nos enamoratz, v. 43-44), tandis que c’est précisément cette haute considération du chant inspiré par l’amour qui lui fait mériter l’admiration de Cerverí. 15 En tout cas, les autres troubadours du cénacle du comte de Rodez ne sont nullement cités dans Lo vers del comte de Rodes, sauf sous la mention des « vila savay » qui vont critiquer le poème de Cerverí. En effet, dans les débats ruthénois, ce sont les professionnels (traités parfois de jongleurs) qui sont à l’origine des commentaires les plus incisifs, voire insultants. Ainsi, Guiraut Riquier conclut une cobla contre Folquet de Lunel avec un verdict injurieux, « Mal razonatz e pieitz saupes partir » (v. 32), tandis que Folquet considère que son rival va passer pour un idiot, « si c’om vo·n ten per fat » (v. 40)21. Ce sont donc de bons candidats à être les « vila savay » redoutés par Cerverí et ils ne sont nullement les seuls. 16 La nuance de l’exorde de Lo vers del comte de Rodes était de ce fait importante parce que la condition d’ « amoureux » que Cerverí s’attribue explicitement (au lieu, par exemple, de la condition de « sage ») est parfois utilisée dans les débats pour caractériser les vrais troubadours, en les distinguant de ceux qui sont accusés d’être jongleurs, c’est-à- dire mercenaires sans principes ni finesse (on l’a vu dans le débat entre Marques et Guiraut). C’est pourquoi Paulet de Marselha se vexe dans le tornejamen « Senhe·n Jorda, sie·us manda Livernos » (PC 248.77 = 272.1 = 403.1 = 319.7a) : Guiraut Riquier (toujours querelleur, « picos », selon ce qu’affirme Marques dans « De so don yeu soy doptos », PC 226.1 = 248.25 = 140.1a = 296.1, v. 25), lui demande qui est le meilleur mécène au lieu de l’interroger au sujet de la dame la meilleure. Paulet rétorque qu’il n’est pas un jongleur, comme son exclusion du thème de l’amour le laisse entendre. C’est aussi pour cela que l’affirmation « Senher coms, lo sagel / d’amor senes biais / ay legit tot entier » dans la bouche de Guilhem de Mur (« Guilhem, d’un plag novel », PC 140.1c = 226.6a, vv. 16-18) peut se lire comme de l’autojustification, voire même de l’autodérision. Cette dynamique d’accusations moqueuses, de défenses faussement enflammées, de plaisanteries contre les professionnels, de déférence, même si facétieuse, envers les troubadours nobles, voire vers les mécènes, de discussions pas très sérieuses sur la casuistique et l’étiquette amoureuse, où les troubadours professionnels sont parfois exclus, est remarquablement illustrée par « De so don yeu soy doptos » (PC 226.1 = 248.25 = 140.1a = 296.1). 17 C’est dans ce contexte que nous proposons de lire le vers de Cerverí. Plus qu’une querelle réelle qui aurait vexé Cerverí et que l’on pourrait interpréter comme une vengeance qu’il peut prendre en tant que troubadour préféré du roi d’Aragon, ou comme une revendication de l’honneur poétique national, le poème du catalan porte bien les traces de la suite d’une polémique vivace, et relève du même humour provocateur qu’animait certains débats ruthénois. Bien que le ton ne soit pas d’habitude aussi virulent que dans certains débats du milieu castillan, par exemple, l’intention de gêner le rival n’est pas inconnue à Rodez, comme on vient de le rappeler. Encore plus explicitement, le comte l’avoue dans le début d’un partimen avec Guilhem de Mur en lui proposant « un enujos novel partimen » (« Guilhem de Mur un enujos », PC 140.1b = 226.5, vv. 1-2). Des éloges sarcastiques et des accusations moqueuses sont bien présentes dans « Senhe·N Austorc d’Alboy, lo coms plazens » (PC 248.74 = 38.1 = 140.1d), autour de la discussion in absentia de la figure poétique de

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Guilhem de Mur, tandis que l’activité poétique et professionnelle, du même Guilhem de Mur et de Guiraut Riquer fait aussi l’objet de son échange « Guilhem de Mur, chauzets d’esta partida » (PC 248.36 = 226.3). 18 Le panégyrique de Cerverí devient, dans la seconde partie du poème, une défense ironique des catalans : sa méthode est impeccable, combinant théorie et pratique, accompagnée et soutenue par les autorités. Le discours de Cerverí fait état d’une double accusation portée contre les Catalans : en premier lieu, ils ne savent pas bien rimer ni combiner les mots avec esprit et sophistication ; en deuxième lieu, ils manquent d’originalité. Dans la quatrième strophe, Cerverí rétorque que les Catalans ont bien le droit d’emprunter les vers des autres puisqu’ils ont eux-mêmes déjà été copieusement imités. Mais surtout, tout son poème est une réfutation de la première accusation, avant même qu’elle ne soit posée, puisqu’il est saturé de rimas caras, de jeux verbaux et phonétiques, bien mis en évidence par Perugi et Coromines22. Il convient de remarquer, par exemple, la rima trencada, utilisée dans la deuxième strophe, comme il l’avait déjà fait dans d’autres poèmes23. Quand il prie Marques de Canilhac de corriger le poème, il sait bien qu’il n’en aura pas besoin ! D’ailleurs, Perugi relève aussi un parallélisme entre l’usage des termes filar et afinar (considérés dans son analyse des « technicismes » à la mode dans la cour de Rodez) et un poème de Folquet de Lunel (PC 154.7), lui aussi bien relié au milieu ruthénois24. 19 Notre interprétation a le but d’éclairer en particulier la cinquième strophe, qui a donné bien du fil à retordre aux chercheurs pour l’identification des trois troubadours témoins de l’excellence catalane. Sans nous attarder à présent sur l’identification précise des trois noms25, nous croyons que Cerverí n’a pas mentionné les trois troubadours catalans les plus célébres et que d’autre part il n’a pas vraiment voulu les rendre identifiables. Ce qu’il affirme c’est que parmi ses voisins (Cerverí de Gérone et son lieu de résidence sont les éléments vraiment importants ici) on peut trouver trois troubadours bien meilleurs que n’importe quel autre troubadour mentionné par ses adversaires. Face à des autorités tout à fait confidentielles, il devient facile de présenter un canon excellent (il n’y a pas à chercher bien loin…). L’identité de ces trois troubadours peut se prouver élusive et, cela tout à fait délibérément : on peut penser à des troubadours vraiment célèbres à l’époque ou à de vrais inconnus (et pourtant meilleurs que d’autres qui n’appartiennent pas à l’évêché de Gérone), ou à un mélange des deux cas de figure. Le but moqueur (qui peut avoir, on l’a vu dans les débats ruthénois, un aspect d’autodérision) peut-être nous permet-il même de penser à un troubadour ancien, que Cerverí n’a pas vu mourir, tel que Berenguer de Palaol. 20 Les tornadas réintroduisent la pièce dans le milieu catalan, le vrai centre de toutes les compositions poétiques de Cerverí. La deuxième semble porter sur un sujet d’actualité qui, selon les habitudes du troubadour, serait une affaire de portée internationale ou extérieur à la cour. Nous pensons à la campagne de Tunisie de Pierre d’Aragon, ce qui situerait cette pièce avant 1282, mais c’est n’est qu’une hypothèse. Il faudrait que l’hypothèse soit confirmée avant de se demander si cette allusion politique au roi Pierre donne un quelconque sens ou objectif supplémentaire au poème. 21 En tout cas, il est évident que malgré l’ « argumentation » de l’honneur du comte de Rodez, en offrant en échange de son cadeau une contribution à son cénacle littéraire, celui qui est vraiment honoré par Cerverí n’est personne d’autre que son mécène, qui règne sur une cour aussi lettrée et courtoise que celle de Rodez et qui va de surcroît entreprendre une geste aussi rare qu’héroïque.

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22 D’une certaine manière, donc, le poème de Cerverí s’insère dans le corpus de jeux partis qui ont attiré l’attention sur la cour littéraire de Rodez et qui ont fait du milieu du comte Henri un cénacle célèbre et plein d’éclat. Les références polémiques, la reprise des attitudes des tensons, les allusions au genre « débat » dans ce poème de Cerverí sont un reflet de la compétitivité poétique ruthénoise, tandis que, si on arrivait à confirmer les références politiques de ce poème, la production du cercle Rodez s’enrichirait d’un nouvel aspect, absent par tout ailleurs. Cependant, la pièce de Cerverí montre sa familiarité avec les modes et les mœurs ruthénois, suivant la même logique polémique, dialectique et satirique. Même s’il s’agit d’un débat à distance, la vivacité de la réplique et la connaissance du milieu ruthénois représentent, selon nous, l’indice le plus solide de la présence de Cerverí dans le cénacle de Henri de Rodez, tout en maintenant son adhésion au milieu catalan. Si une posture un peu différente est à relever pour Cerverí à Rodez, comme le signale Perugi, elle vient sans doute du service dû à Pierre d’Aragon. 23 La transmission manuscrite de Lo vers del comte de Rodes invite encore à quelques réflexions sur le rapport entre Catalogne et Rodez, puisqu’il s’agit de l’un des 16 poèmes de Cerverí copiés dans les chansonniers languedociens C (Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 856) et R (Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22543), témoins aussi de l’œuvre de Berenguer de Palou, peut-être identifiable avec l’un des « plus grands troubadours du monde » dans la pièce que nous venons d’analyser. Depuis l’édition de Maria Picchio Simonelli de la lyrique de Bernart de Venzac, on a remarqué l’intérêt du compilateur du chansonnier narbonnais C pour des troubadours situés dans le triangle géographique Narbonne-Toulouse-Rodez et il y a eu plusieurs tentatives pas totalement probantes de rapprocher le milieu de rédaction de C ou R à la cour de Rodez26. Par contre, François Zufferey a proposé l’existence d’une composante catalane chez C, qui serait plutôt à interpréter selon Lino Leonardi comme l’origine catalane du modèle du chansonnier languedocien27. Dans ce cadre, il faudrait réévaluer la présence de Cerverí dans ce chansonnier, bien moindre par rapport à son corpus gigantesque mais non infime dans l’absolu : on peut se demander quelles sont les voies par lesquelles il arriva à y être présent ainsi que les conclusions que l’on peut tirer de la diffusion languedocienne de son œuvre. 24 Bien que la notice d’un « libre » du conte de Rodez que donne Folquet de Lunel dans son Roman de mondana vida soit sûrement à l’origine des hypothèses sur le rôle de la cour de Rodez dans la transmission manuscrite des troubadours, il y a certainement des indices de circulation lyrique entre Catalogne et Rodez qu’il vaudrait la peine d’explorer plus systématiquement, à côté de leurs traces manuscrites28. Par exemple, Anna Radaelli souligne le rôle de médiatrice joué par la cour de Rodez dans l’introduction de la et peut-être dans d’autres formes de danse en Catalogne, telles qu’on les trouve dans l’œuvre de Paulet de Marselha, Cerverí et Folquet de Lunel29. Elle signale aussi certains traits communs à ces troubadours, comme la prédilection pour les rimes trencadas et derivativas, que l’on retrouve dans une dansa anonyme dédiée au comte de Rodez. Ces sont bien des tendances déjà distinctives chez Cerverí, dans des pièces plus anciennes, qu’il tient à exhiber dans Lo vers del comte de Rodez en se mesurant aux troubadours ruthénois. Ces liens poétiques invitent encore à la recherche sur le rapport entre Rodez et Catalogne et sur le rôle possible de la présence de Cerverí dans les chansonniers C et R, ainsi que du groupe de Catalans copiés dans C30. C’est une voie suggérée au fond par le même Cerverí, comme on vient de le lire, quand il indique que les Catalans ont été

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imités par des troubadours ruthénois et, qu’ils ont éventuellement à leur tour emprunté à leurs collègues du nord.

ANNEXES

Appendice

Manuscrits : Sg (Barcelone, Biblioteca de Catalunya, 146), ff. 16r-v ; C (Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 856), f. 315va-b ; R (Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22543), f. 80 va. Nous indiquons avec un t les leçons des tables des manuscrits C (tC 1, tC 2) et R (tR), puisqu’elles reportent le premier vers du poème avec des variantes. Éditions consultées : Riquer 1947, 173-77 ; Perugi 1985, 178-187 ; Coromines 1988, I, 275-83. Métrique : a7 b7 b7 a7 c4 d6 c4 d6 (612 :13). BEdT propose aussi comme schéma alternatif a7 b7 b7 a7 c10 c10. 5 coblas unissonans + 3 tornadas. Rima trencada dans le v. 13. Les rimes ricas entre les vv. 1/4, 2/3 et 6/8, déjà signalées par Coromines, sont indiquées en gras. D’une strophe à la suivante, seule la séquence rimique à partir de la voyelle tonique est reprise, pas toute la rime riche. Voir aussi la description de Perugi, p. 183, qui considère le premier couple comme rime equivoca (vv. 1/4), le deuxième comme derivativa (2/3) et le troisième comme un segment de lemme (6/8). Il s’agit pourtant d’une tendance qui ne se déploie pas avec la même rigueur dans toutes les strophes.

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Corrections — 22 vers motz vas vay] uers vas si vay Sg uers motz uax uay C uers motz uaycx uay R — 46 cor] cors CRSg — 48 c’a meracde retray] comerac derecray Sg qua maracde retray C ca maragde retrai R Variantes substantielles — 2 durs de] dus durs C — 9 don] comte C com R — 12 l’onor gran c’a] lonor que te CR — no·m des] no mi des R — 13 menbre·l gen] soue logen CR — 15-16 es razonatz / per me] es per me razonatz C es per me coronatz R — 19 no] nol C — 20 volc] uol CR — amar] amar bes C — 20-21 qu’es / gays faitz] quilh fai faitz C quil fay gays faitz R — 28 s’il] fil C — 33 pus prim] melhor CR — 34 el mon de xanz] nier de chans C el ni ho(m)z de chans R — 35 III ay] dos nai C iii nay R — 40 Palaol] parazol C pararols R — 42 e·ls] el CR — 45 Peyr] pretz CR — 49-50 om. CR Variantes linguistiques et graphiques 1 l’ayrs] laers RTR layers TC 1 layre TC 2 — 2 no·m vuyll] nom uuelh C no(m)z uuelh R — 5 que xanz] de chans C — glatz] glayz R — 6 no] non C — ne] ni CR — esmay] esmays R — 7 malvatz] maluais R — 8 enanz] enans CR — chan] chant R — meylls] mielhs CR — may] mays R — 11 li fay] lai fai C — molt] mot CR –14 çay] say CR — 16 meylls que say] mielhs q(ue) say C mielhs q(ui)eu say R — 18 gen] gent C — 19 c’amor] quamors CR — 23 cel] sel R — platz] play R — 24 vila] uilan CR — 25 catala] catalan CR — 27 ne] ni CR — 28 d’autres] dautre CR — 29-30 dictatz / gays] gays dictatz C — 30 gençar] gensar e C ; gensar R -- 32 ses] sens CR — 36 Gerones] girones CR — 37 Bernatz] en bernatz C ; B. R — 38 Vidals] uidal R — 44 decay] dechay CR — 46 tals] tal CR — obra·us] obrans C Apparat paléographique 8 chan{s}

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Traduction

I. Bien que le temps soit mauvais et le mois rude, je ne veux pas me priver de chanter, car je ferais une inconvenance, puisqu’amour m’a habitué de telle sorte que ni la glace ni la crainte des riches méchants ne me font abandonner mes chants, mais au contraire je chante plus et mieux. II. Le vaillant seigneur de Rodez je voudrais approcher, là, où le mérite rend cher le coût de son grand honneur, mais je n’oublie pas le don qu’il m’a gentiment offert, et c’est pour cela que son honneur sera ici argumenté de la meilleure manière que je sais. III. Je désire le noble chant de Marques de Canillac, qui ne veut pas mettre aux enchères l’amour, mais qui a toujours voulu aimer, car il est joyeux et plein de mérite, et, s’il y a dans mon vers quelque mot vain, qu’il le cache, s’il lui plaît, à tout vilain misérable. IV. C’est pourquoi on blâme les Catalans, qui ne savent pas filer subtilement les mots ni aiguiser les rimes et, s’ils ont emprunté quelques choses aux autres pour agencer leurs belles compositions, cela ne me déplaît point, car les autres leur ont certainement déjà beaucoup emprunté. V. Il n’existe pas au monde de troubadour plus doué pour affiner les chants que les trois que j’ai vu mourir dans l’évêché de Gérone : l’un fut Bernat Vidal, le frère qui vécut dans la joie et l’honnête Palaol qui gît dans sa tombe. VI. Sobrepretz, il sied que je vous sache gré, à vous et aux Chardons, car vous aimez le mérite qui ailleurs déchoit, VII. Roi Pierre, plein d’honneur, puisqu’il vous attire une telle œuvre, qui est un exploit considérable, ressemblant à un éméraude, VIII. je prie Dieu que vous voyiez ce qui vous plaît le plus dans votre cœur.

Notes à l’édition

V.2 Riquer corrige « d’us durs xan » selon la leçon de C ; il traduit ‘no quiero abstenirme de un duro canto’. Perugi n’est pas d’accord avec cette traduction et observe qu’ « a norma strettamente lachmanniana » il faudrait suivre la leçon de SgR, qu’il interprète ‘a secco di canti’. Coromines maintient la leçon de SgR, tout en rattachant, correctement à notre avis, durs à mes. V.3 Riquer conserve « mal estar » et Coromines corrige « malestar », avec le sens ‘inconvenance, mauvaise action’ (PD). V.6 Riquer traduit ‘ni por hielo ni por la desidia de los ricos malvados’, Perugi ‘né per latrati né per decadimento dei potenti da poco’, Coromines ‘ni pel descoratjament (que infonen) els poderosos malvats’. À notre avis, desmai fait référence plutôt à l’effroi que les malvatz ont failli inspirer au troubadour (voir le sens ‘desmai’ DCVB, s.v. esmai). V.9 Perugi (n. 36) se demande si com R pourrait être une leçon valide puisqu’il s’agit d’un hyper-occitanisme, tenant compte de la leçon comte C. V.11 Riquer traduit ‘el merito avalora el valor que posee’. Comme nous venons de l’argumenter dans notre commentaire, la libéralité du comte, enracinée dans son

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mérite, est une source d’honneur, qui lui fait aussi dépenser de l’argent : l’honneur donc lui coute très cher. V.15 Riquer corrige « er », contre l’avis de Perugi et Coromines. Sur razonats, Perugi rappelle la Pistola (PC 434a, 2, v. 8). V.18 Riquer édite « dezir e » et traduit ‘Me place Marques de Canilhac y su cantar gentil’, Perugi suggère « dezire » et Coromines corrige « dezir e » et traduit ‘D’en Canillac el Marquès, desitjo cantar bellament’. Nous suivons Perugi pour le mot dezire, attesté comme 1e personne du présent de l’indicatif dans PC 9.20 ; PC 16.7a ; PC 16.18 etc. V.19 Riquer traduit ‘a quien amor no quiere embaucar y él [en cambio] siempre quiso amar’. Coromines traduit ‘perquè no vol fadar l’amor’. Perugi suggère le sens ‘vendre a l’encant‘ (DCVB), qui est à notre avis le sens préférable. V.21 Riquer traduit ‘el cual es apreciado por sus alegres acciones’. Perugi traduit ‘ciò che denota il raffinato intenditore di poesia ‘, tout identifiant gays comme un « ben noto tecnicismo in voga a Rodez ». Coromines traduit ‘perquè és fet (=creat) gai i preat’. V.22 Riquer conserve « vers vas si vay » selon Sg. Perugi préfère la leçon de CR ; également Coromines édite selon CR, tout en corrigeant « s’e·l ». Riquer traduit ‘y si el verso se encamina hacia él, cállelo, si le place, a todo villano malvado’; Perugi ‘e se nel vers c’è qualche parola semanticamente incongrua, per favore la faccia sparire alla vista di ogni villano incompetente’, mais il avoue (p. 183) si vay : savay comme le meilleur couple en rime ; Coromines traduit ‘i si en el (meu) vers hi ha un mot va, amagui’l, si li plau, a tot vil pervers’. Nous suivons Coromines, même si la rime obtenue est imparfaite par rapport à celles des strophes I, II, IV (mais de richesse équivalente à la strophe V). v.25 Riquer édite « don catalan » et traduit ‘los senyores catalanes’. Perugi traduit toute la strophe : ‘Quanto al fatto che i catalani sono oggetto di critica perché non hanno sottigliezza lessicale né capacità di comporre in rimas caras ; e, al contrario, innestano nel loro ordito parole riprese da altri per abbellire le loro poesie d’amore : io non posso trovare niente da ridire, perché altri hanno già attinto in notevole misura al loro modo di far poesia, senza che perciò che vi fosse luogo a contestazione di sorta’. Coromines souligne le lien entre cette strophe et l’antérieure. V.26 Coromines édite « primfilar ». Perugi propose un lieu parallèle dans Folquet de Lunel par analogie avec l’usage de filar et afinar. V.28 Riquer édite « repres ». V.32 Riquer édite « j’apres ». Perugi (qui préfère les leçons de CR dans toute la strophe) propose « ja pres », qui est aussi l’avis de Coromines. Ses play « certainement » (PD). V.33 Coromines corrige « prims » et signale (à différence de Riquer et Perugi) que la leçon commune SgR garantis le nombre de trois troubadours. V.35 Coromines édite « n’ay » et interprète « ay vist » comme ‘sé que’. V.38 Coromines considère impossible interpréter fraire comme titre de civilité ; il préfère le sens ‘frère de sang’ (qu’il identifie avec un Bernat Vidal, auteur du Castiagilos et le frère de Ramon Vidal de Besalú).

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V.46 Tous les éditeurs corrigent « cor » et nous suivions sa correction en absence d’attestation d’une variante cors (conjonction). La convergence des leçons de CRSg reste quand-même surprenante. V.47 Granat ‘pourvu de graines’ et ‘grand’ (PD), a acquis aussi des sens figurés en catalan, tel que ‘important’, ‘fort’ (DCVB), quoiqu’avec des exemples plus modernes. Il y a sans doute un jeu d’homonymie, par rapport au nom de la gemme (PD granat ‘grenat).

NOTES

1. Voir notamment l’étude monographique de Saverio GUIDA, « Jocs » poetici alla corte di Enrico II di Rodez, Modena, Mucchi, 1983. Sous le sous-titre « ultimo cenacolo trobadorico », Lucia Lazzerini, Letteratura medievale in lingua d’oc, Modena, Mucchi, 2001, p. 165-68, consacre à Rodez un bon nombre de paragraphes. Pourtant, l’activité ruthénoise a aussi fait l’objet du mépris dont peut être victime la poésie des troubadours tardifs : par exemple dans Alfred Jeanroy, « La poésie provençale dans le Sud-Ouest de la France et en Catalogne du début au milieu du XIVe siècle », Histoire littéraire de la France, 38 (1949), 1-138 (1), la cour de Rodez est définie parmi celles, « éloignées et médiocrement brillantes » qui se contentent de perpétuer la protection des troubadours jusqu’à la fin du XIIIe siècle. 2. S. GUIDA (« Jocs » poetici, déjà cité) cite une liste de troubadours et nobles « che hanno respirato l’aria colta e raffinata dell’aula di Enrico de Rodez », mais s’occupe seulement des participants aux débats poétiques qui comptent, avec le concours direct du comte, c’est-à-dire Guiraut Riquier, Guilhem de Mur, Marques de Canilhac, Peire d’Estanh, Peire d’Alest et Austorc d’Alboy. Sur le milieu poétique d’Henri de Rodez, voir aussi Maurizio PERUGI, Trovatori a Valchiusa. Un frammento della cultura provenzale del Petrarca, Padova, Antenore, 1985, p. 161-73 et Folquet de Lunel, Le poesie e il Romanzo della vita mondana, éd. Giuseppe TAVANI, Roma, Edizioni dell’Orso, 2004, p. 5-15. Sur le corpus de débats retenus en lien avec le milieu ruthénois, avec une certitude plus ou moins grande, voir HARVEY Ruth et PATERSON Linda, The Troubadour and Partimens, London, D. S. Brewer, 3 vols., 2010. 3. Voir, par exemple, ROUTLEDGE, Michael, « The later troubadours, noels digz de nova maestria ? », The Troubadours : An Introduction, éd. Simon GAUNT et Sarah KAY, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, 99-112, ainsi que Miriam CABRÉ, Cerverí de Girona : un trobador al servei de Pere el Gran, Barcelona — Palma, Universitat de Barcelona — Universitat de les Illes Balears, 2011, et Miriam CABRÉ et Marina NAVÀS, « “Que·l rey franses nos ha dezeretatz” : la poètica occitana després de Muret », dans 800 anys després de Muret. Els trobadors i les relacions catalanooccitanes, éd. Vicenç BELTRAN, Tomàs MARTÍNEZ et Irene CAPDEVILA, Barcelona, Universitat de Barcelona, 2014, p. 101-122. 4. Voir Mariona VIÑOLAS, « Els trobadors de Pere el Gran », Occitània en Catalonha : de tempses novèls, de novèlas perspectivas. Actes de l’XIen Congrès de l’Associacion Internacionala d’Estudis Occitans, éd. Aitor CARRERAS et Isabel GRIFOLL, Barcelona, Lhèida, Generalitat de Catalonha ; Institut d’Estudis Ilerdencs, 2017, p. 661-675, sur les troubadours autour de Pierre le Grand (sans inclure Cerverí ou les troubadours qui font référence de loin au souverain, comme Guiraut Riquier, mentionné plus haut). 5. Sur la figure de Pierre le Grand comme protecteur des troubadours, voir Martín DE RIQUER, « Un trovador valenciano : Pedro el Grande de Aragón », Revista valenciana de filología, 1 (1951), 273-311, et dernièrement Miriam CABRÉ, Un trobador, déjà cité, qui porte aussi sur l’image de Pierre dessinée par les poèmes de Cerverí.

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6. Texte cité selon Los trovadores, éd. Martín de Riquer, Barcelona, Planeta, 1975, p. 1615-17, qui suit l’édition de Cavaliere. 7. Voir une exception notable dans Stefano ASPERTI, « Generi poetici di Cerveri de Girona », in Trobadors a la Península Ibèrica, éd. Vicenç BELTRAN, Meritxell SIMÓ et Elena ROIG, Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2006, p. 29-72. 8. PERUGI, Trovatori a Valchiusa, déjà cité, p. 178-187. 9. L’argument principal qui soutient l’hypothèse du voyage de Cerverí à Rodez provient de la lecture de la Pistola (PC 434a.2). À la suite de Jaume MASSÓ I TORRENTS, Repertori de l’antiga literatura catalana, I : La poesia, Barcelona, Institut d’Estudis Catalans — Alpha, 1932, p. 182, tous les chercheurs qui se sont occupés de cette pièce ont identifié le noble dont la lettre fait l’éloge avec Henri II de Rodez. Pourtant, si on y réfléchit bien, les « doctors e joglars » à qui Cerverí envoie son enseignement, clairement en référence aux catégories de Guiraut Riquier (et peut-être à Guiraut même), sont en Provence et le magnat dont parle le troubadour est un prince, associé avec eux, vraisemblablement par proximité ou affinité géographique. Ce n’est pas le cas du comte de Rodez. À présent, nous ne pouvons formuler aucune hypothèse d’identification alternative pour le prince concerné par cette pièce aussi chargée de problèmes interprétatifs, sur laquelle nous espérons pouvoir revenir dans l’avenir. 10. Carlos ALVAR, La poesía trovadoresca en España y Portugal, Madrid, CUPSA, 1977, 274-275, confirme ainsi la datation de Gabriel Llabrés, Estudi histórich y literari sobre’l Cançoner dels contes d’Urgell, Barcelona, Societat catalana de bibliòfils, 1907. 11. Les premiers documents font référence à un « Cervera » documenté à Gérone et Peratallada aux côtés de l’infant Pierre, selon l’identification de Riquer, « Un trovador valenciano » déjà cité, tandis que les mentions restantes, excepté le voyage en Castille, attestent sa relation avec Caldes et Llagostera : tous ces toponymes appartenant aux alentours de Gérone. Mais la géographie de ses poèmes couvre parfois un terrain un peu plus éloigné, arrivant jusqu’à Lérida et Aragon. 12. Voir à cet égard, Ferran SOLDEVILA, Pere el Gran, éd. M. T. Ferrer Mallol, Barcelona, Institut d’Estudis Catalans, 2 vols, 1995, qui cite et analyse des documents retraçant le voyage jour par jour. 13. Voir Miriam CABRÉ, « La Vierge, la dévotion et la politique dans les poésies de Cerverí de Gérone », La Vierge dans les arts et les littératures du Moyen Âge, París, Honoré Champion (“Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge”), 2017. 14. Martín DE RIQUER, « Para la cronología del trovador Cerverí », in Estudios dedicados a Menéndez Pidal, Madrid, Centro Superior de Investigaciones Científicas, 1952, III, 361-412, avait proposé un détour vers Rodez dans la route vers du roi Jacques en 1274. 15. Obras completas del trovador Cerverí de Girona, éd. Martín DE RIQUER, Barcelona, Instituto Español de Estudios Mediterráneos, 1947, p. 173-77, et Cerverí de Girona, Lírica, éd. Joan COROMINES, Barcelona, Curial, 1988, I, p. 275-83. 16. PERUGI, Trovatori a Valchiusa, déja cité, 178-187 (186) attribue la réponse de Cerverí à une « improvvisa impennata d’orgoglio (giustificata del resto dalle mutate condizioni storiche) ». 17. Voir l’édition du poème en annexe. 18. La coïncidence de la lecture des chansonniers Sg et R, contre celle de C, suggérant qu’il s’agit de trois troubadours au lieu de deux, comme l’indique déjà Coromines (Cerverí de Girona, Lírica, déjà cité, I, 281). 19. Les Cardona sont les protecteurs de Cerverí dans la partie initiale de sa carrière poétique et le troubadour continue à les mentionner dans ses poèmes du moins jusqu’à la mort du vicomte. 20. Les références au corpus de tensos suivent l’édition de HARVEY et PATERSON, The Troubadour tensos, déjà cité. 21. Tout cela apparaît dans « Guiraut, pus em ab senhor cuy agensa » (PC 154.2a = 248.38).

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22. Voir l’analyse de PERUGI, Trovatori a Valchiusa, déjà cité, p. 182-183, qui considère la composition ayant un « tasso d’artificiosità … straordinariamente elevato … piuttosto a livello di struttura rimatica » (p. 178). 23. Sur le « rims trencatz e sillabicats », voir Joseph ANGLADE, Las Leys d’amors : manuscrit de l’Académie des jeux floraux, Toulouse, Privat, 4 vols, 1919-20, II, p .118. Il s’agit d’un artifice qui ne plaît pas à Pierre le Grand, selon ce que nous confie le troubadour dans Lo vers del serv (PC 434.15) et Lo vers de la lengua (PC 434a.16). Il faudrait bien analyser les implications de cette affirmation. 24. Si Tavani (Folquet de Lunel, Le poesie, déjà cité, 12-15), a raison de dater ce poème dans une deuxième étape « dedicata alle lodi della Vergine e il Suo Figlio) », située dans les années 1282-84, le poème aurait été composé à peu près à la même époque ou quelques années après de celui de Cerverí. 25. Pour la discussion des identifications proposées, voir les éditions Obras completas, déjà cité, éd. Riquer, et Lírica éd. Coromines, déjà cité. 26. Notamment voir PERUGI, Trovatori a Valchiusa, déjà cité, p. 190, et sur l’origine dans ce milieu géographique de plusieurs unica compilés dans les chansonniers de C, Maria PICCHIO SIMONELLI, Lirica moralistica del secolo XII : Bernart de Venzac, Modena, Mucchi, 1974, p. 19, et Massimiliano DE CONCA, « Studio e classificazione degli unica del ms. C (B. N. Paris. fr. 856) : coordinate storiche, letterarie e linguistiche », in Scène, évolution, sort de la langue et de la littérature d’oc. Actes du Septième Congrès Internacional de l’Association Internationale d’Études Occitanes (Reggio Calabria- Messina, 7-13 juillet 2002), éd. Rossana CASTANO, Saverio GUIDA et Fortunata LATELLA, 2003, I, p. 283-297. Valeria BERTOLUCCI PIZZORUSSO, « Il canzoniere di un trovatore : il libro di Guiraut Riquier », Medioevo Romanzo, 5 (1978), p. 216-259 (245) avait aussi suggéré un rapport entre C et Rodés, lié à la transmission du libre de Guiraut RIQUIER. En ce qui concerne la connexion de C avec Rodez, voir aussi Magdalena LEÓN, El cançoner C (París, Bibliothèque Nationale de France, fr., 856), Firenze, Il Galluzzo – Fondazione Ezio Franceschini, 2012, p. 57-59. 27. François ZUFFEREY, Recherches linguistiques sur les chansonniers provençaux, Genève, Droz, 1987 et Lino LEONARDI, « Problemi di stratigrafia occitanica. A proposito delle Recherches di François Zufferey », Romania, 108 (1987), p. 354-386. 28. C’est bien l’un des parcours de recherche de Perugi, Trovatori a Valchiusa déjà cité, voir surtout le ch. 7. 29. Anna Radaelli, « La dansa en llengua d’oc : un gènere d’èxit entre Occitània i Catalunya », Mot so razo, 6 (2007), p. 49-60. 30. Sur les Catalans copiés dans le chansonnier C, Anna RADAELLI, Paris, Bibliothèque nationale de France, C (fr. 856) : Intavulare. Tavole di canzonieri romanzi, I. Canzonieri provenzali, 7, dir. Anna FERRARI, Modena, Mucchi, 2005, p. 49-50, Magdalena LEÓN, « Los trovadores catalanes de C (París, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 856) », in Els trobadors a la Península Ibèrica, éd. Vicenç BELTRAN, Meritxell SIMÓ et Elena ROIG, Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2006, p. 241-270 et LEÓN, El cançoner C déjà cité .

AUTEUR

MIRIAM CABRÉ

Institut de Llengua i Cultura Catalanes, Universitat de Girona

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Joan de Castellnou revisité Notes biographiques

Sadurní Martí

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est une version corrigée, augmentée et mise à jour de deux communications présentées, respectivement, au congrès international en hommage à Linda Paterson La diaspora occitane au Moyen âge : la culture occitane en Occitanie et ailleurs (King’s College, Londres, 5-7 juin 2008) et au congrès international The End of the Troubadours? The Occitano Catalan Space in the 13th and 14th centuries : Old Questions and New Interpretations (Girona, 25-26 novembre 2010). Ce travail s’inscrit dans le cadre des projets de recherche Mecenatge i creació literària a la cort catalano-aragonesa (segles XIII-XV): evolució, context i biblioteca digital de referència (MEC FFI2014-53050-C5-5-P) et Troubadours and European Identity: The Role of Catalan Courts (Recercaixa 2015 ACUP 00127) de l’Institut de Llengua i Cultura Catalanes de l’Université de Gérone. Je voudrais remercier pour leurs précieux conseils, leurs contributions bibliographiques et leur disponibilité Anna Alberni, Stefano Asperti, Alexandra Beauchamp, Stefano M. Cingolani, Beatrice Fedi, Maricarmen Gómez Muntané, Carlos Mata, Pere Ortí, Anna Radaelli, Albert Reixach, Rodrigue Tréton, et, tout particulièrement, Miriam Cabré et Marina Navàs.

1 Bien que Joan de Castellnou, avec Ramon de Cornet, soit l’un des auteurs les plus remarquables du corpus de la lyrique occitano-catalane de la première moitié du XIVe siècle, il n’en est pas pour autant le troubadour le mieux connu. Son œuvre lyrique, abondante et variée, est copiée dans un codex emblématique de la tradition catalane, le chansonnier Sg, qui témoigne de son succès en Catalogne. Il est aussi l’auteur de traités théoriques sur la composition poétique, qui reflètent sa formation académique et sa relation avec les cénacles culturels les plus importants. Malgré ces éléments d’envergure, nous manquons encore d’une étude approfondie sur l’œuvre des poètes de cette période qui puisse en révéler la relation avec les tendances contemporaines et l’influence sur la postérité littéraire. Dans cet article nous nous occuperons d’un aspect qui s’avère tout à fait prioritaire par rapport à toute autre analyse, à savoir l’identité de

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Joan de Castellnou. On dispose à présent d’un bon nombre de données, y compris des documents archivistiques, qui permettront de reconstruire sur des bases solides un profil à la fois biographique et professionnel.

L’époque de Joan de Castellnou : appréciations anciennes et nouvelles

2 Afin de revisiter la figure de Joan de Castellnou, son œuvre et son rapport avec la poésie et les milieux culturels contemporains, il est indispensable de reconsidérer, dans un premier temps, les idées reçues qui pèsent encore sur l’étude de cette période historique. L’espace lyrique de l’Occitanie et de la Catalogne de la première moitié du XIVe siècle a été présenté traditionnellement comme presque vide et tout à fait restreint au domaine étroit du Consistori de Toulouse. 1 D’après cette interprétation, les poètes occitans n’offriraient pas de production remarquable après la fin des troubadours et le corpus des Catalans ne mériterait aucune attention particulière avant le dernier quart du XIVe siècle ; il s’agirait pourtant d’un corpus composé d’une langue hybride, entre l’occitan et le catalan, qui hérite du modèle des troubadours, auquel s’ajoutent des influences nouvelles issues de la culture littéraire en langue d’oïl et del sì. 2 La nouvelle école, déjà définie comme tout à fait catalane, contrairement aux poèmes des troubadours composés en Catalogne avant la fin du XIIIe siècle, a été conçue comme le fruit d’un renouveau culturel promu par l’entourage de la famille royale. Toutefois, selon nous, l’intérêt tout particulier de ces poètes pour les cansos du XIIe siècle, même s’il est digne d’attention, n’empêche ni une certaine continuité dans l’usage d’autres sources troubadouresques, anciennes ou récentes, ni l’existence d’une production lyrique dans le milieu courtois pendant la première moitié du XIVe siècle. Lors de ces dernières années, avec Miriam Cabré et Marina Navàs, nous avons tenté d’interroger l’état de la question, en étudiant les preuves matérielles et historiques présentes dans les manuscrits, et en réunissant et interprétant les données qui proviennent du contexte historique et littéraire de cette lyrique.3 Suite à cette révision, nous avons notamment constaté que, pour une grande partie du XIVe siècle, un espace de production et de circulation existait encore de chaque côté des Corbières ; dès lors, il s’avère absurde d’étudier ces auteurs en ayant érigé une frontière linguistique et politique qui est totalement fausse.

3 Les poètes qui écrivaient en occitan tout au long du XIVe et qui avaient des rapports, assez souples, avec les deux milieux, sont restés dans l’ombre lors de la parution du catalogue des troubadours de Pillet-Carstens (fondé sur le travail de Bartsch, aujourd’hui recueilli dans la Biblioteca Elettronica dei Trovatori) 4. Le P.C. a établi une frontière mentale solide, mais en partie artificielle, les seuls poètes accueillis étant ceux qui appartenaient aux chansonniers troubadouresques connus lorsqu’il a été rédigé (1933) : des poètes du XIVe siècle ont été intégrés au sein du corpus des troubadours, tandis que d’autres (copiés dans des sources alors inconnues) en sont restés exclus. Cette étrange circonstance a fini par consolider une frontière infranchissable pour les romanistes, devenue encore plus marquée lorsque, à la fin du XXe siècle, François Zufferey a rédigé un index complémentaire du P.C. avec les auteurs poétiques en occitan connus des XIVe et XVe siècles.5

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4 Parmi les sources consultées par Zufferey, on trouve en particulier trois chansonniers qui ont transmis le corpus principal de ces poètes : le chansonner t ou Registre Cornet (Bibliothèque Municipale de Toulouse, ms. 2885, c. 1350-55), occitan, ainsi que les chansonniers Sg (Barcelone, Biblioteca de Catalunya, ms. 146, c. 1360) et VeAg (Barcelone, Biblioteca de Catalunya, ms. 7-8, c. 1420), cette fois-ci catalans6. La liste des auteurs du XIVe siècle que l’on connaît arrive à la quarantaine, avec plus d’une centaine de pièces, dont une trentaine couronnées lors du Consistori de Toulouse7, ce qui dément la pauvreté poétique postulée par la vision traditionnelle sur cette période. Parmi tous ces poètes, trois sont particulièrement intéressants, et ce, en raison du nombre de pièces conservées et de leur position dans la transmission manuscrite : Ramon de Cornet, Joan de Castellnou et Peire de Ladils.8 5 Ramon de Cornet est sans doute le poète le plus étudié du groupe. À la différence de l’œuvre de Cornet, celle de Castellnou et de Ladils, présente des multiples attestations, dont un témoin particulièrement intéressant : le Registre Cornet (t), compilation monographique qui copie cinquante et une pièces de cet auteur.9 Dans son état actuel, datable des années cinquante du XIVe siècle, il s’agit d’un codex composé du manuscrit original et d’un petit ajout suivant la même mise en page, qui compile les œuvres de « onze poètes […] tous de la même génération et de la même aire géographique ».10 Suivant Noulet et Chabaneau, Navàs a proposé de diviser ce manuscrit en trois parties : dans t 1, on trouve une première section monographique de Cornet, par genres, une seconde, constituée de quatre pièces d’autres auteurs (Arnaut Vidal, Ramon d’Alairac, le père de Ramon de Cornet et Pèire Duran) et, finalement, une dernière section qui affiche des pièces de Cornet et de Ladils.11 La section t 2 se présenterait comme un complément de la dernière section de t 1. La liste des personnages aristocratiques ou religieux des envois de Cornet est remarquable et confirme le vaste réseau de circulation de cette génération de poètes. 6 L’autre grande source qui alimente cette génération de poètes est le chansonnier troubadouresque Sg, placé au carrefour de la tradition manuscrite entre les lyriques occitane et catalane. Datable du troisième quart du XIVe siècle, c’est un chansonnier tardif par rapport à ses équivalents occitans et italiens qui copient les troubadours, tout en étant l’un des manuscrits lyriques les plus anciens produits dans l’aire catalane.12 Son compilateur a groupé, au sein du même recueil, la tradition troubadouresque classique et la lyrique occitane du XIVe siècle, un ensemble peu commun, tant dans les chansonniers qui transmettent les troubadours (le manuscrit occitan f étant l’exception la plus significative)13 que dans la plupart des chansonniers catalans, qui en abandonnent progressivement la copie. Sg est aussi bien connu comme un trésor d’unica : il constitue le seul témoin d’une grande partie du corpus, important, de Cerverí de Girona (dont il copie 104 pièces) ; on y trouve aussi 126 pièces d’autres troubadours classiques (Raimbaut de Vaqueiras, Bertran de Born, Guillem de Berguedà, Arnaut Daniel, Guillem de Saint Leidier, Bernart de Ventadorn, Giraut de Bornell et Jaufre Rudel) et 47 pièces appartenant à des poètes occitano-catalans de la première moitié du XIVe siècle (Ramon de Cornet, Joan de Castellnou, Ramon At de Montaut, Tomás Peris de Foces, Bernat de Penassach, Jacme de Tolosa, Gaston de Foix, Guilhem Borzats, Bernat de Sant Rosca, Joan Blanc, Bertran del Falgar, Guilhem Vetzinas et Bertran d’Espanya). 7 Comme nous l’avons montré ailleurs, Sg est un projet unitaire et fermé, organisé en sections d’auteurs séparées par un espace blanc de longueur variable, qui à leur tour commencent par une initiale principale (prévue, mais jamais réalisée). Ces balises

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structurales servent aussi à diviser les poètes contemporains en cinq sections : la première est consacrée à Joan de Castellnou ; puis, deux autres sont dédiées à Ramon de Cornet et à Ramon At de Montaut (elles sont acéphales à cause de lacunes) ; finalement, il y a deux sections anthologiques, commençant par Bertran de Sant Rosca et par Tomàs Peris de Foces respectivement. La mise en page des trois premiers poètes (Castellnou, Cornet et Montaut) montre, d’un point de vue structural, qu’ils étaient jugés par le compilateur comme ayant la même importance que les troubadours classiques. C’est l’un des indices qui nous ont poussés à nous interroger sur une continuité, qui, à vrai dire, convient assez peu à la description habituelle de la poésie écrite aux alentours du Consistori de Toulouse, ce concours ayant souvent été considéré comme une sorte de rupture par rapport à la tradition précédente. Les trois premières sections, comme on l’a déjà fait remarquer, présentent une mise en page équivalente à celle des troubadours ; les deux premières correspondent aussi en poids matériel aux sections des troubadours classiques, un nombre substantiel de pièces y étant copié (11 et 17 respectivement — Ramon At de Montaut, en une section lacunaire comme celle de Cornet, seulement 3), tandis que les poètes des sous-sections collectives n’ont qu’une ou deux pièces. On peut donc en déduire que Castellnou, Cornet et peut-être Montaut, occupent ici une position d’autorité, par le nombre de pièces attestées, formant une section équivalente à celles des troubadours, mais aussi par leur position intermédiaire, entre les troubadours plus anciens et les anthologies des pièces laurées.14 8 Bien que la poésie occitane présente dans ces trois recueils — et d’autres petits fragments conservés dans d’autres sources — ait été intégralement éditée il y a plus de cent ans, elle reste encore, à bien des d’égards, un territoire inexploré. Cette centaine de pièces attend une relecture d’ensemble et une comparaison avec la tradition poétique des troubadours du XIIIe siècle ; elles constituent les éléments d’un espace politique et culturel qui, existait encore des deux côtés des Corbières malgré les prétendus cataclysmes du XIIIe siècle et dont l’influence allait se prolonger, en Catalogne, jusqu’à la moitié du XVe siècle.15

9 À défaut de cette relecture sans états d’âme, les poèmes et les poètes du XIVe siècle subissent encore les conséquences d’une double erreur d’interprétation historique : le mépris envers les adhérents à ladite ‘école de Toulouse’ et l’interprétation qui en découle, à savoir des auteurs aux thèmes et styles bien trop homogènes. Or, d’une part, leurs œuvres ne sont pas toujours en rapport avec le Consistori, et, de l’autre, les formes et genres qu’elles offrent sont en revanche remarquables pour leur diversité. De fait, seulement un tiers de la production totale conservée a été couronné au Consistori et ce qui reste ne semble présenter aucune relation directe avec ce dernier se révélant tout à fait indépendant de la poétique concistoriale. D’autre part, si l’on observe les jeux rhétoriques et les genres de tous ces textes, l’existence d’une grande diversité est bien manifeste (Registre Cornet : 18 cansos, 12 vers, 8 sirventes, 3 , 3 letras, 3 partimen, 3 tensos, 1 versa, , corona, glosa, prose latine, compte de la lune neuve, comput latin, taula, planh, trufa, pregaria ; Sg : 5 vers, 2 dansa, 20 canso, 1 consell, 2 sirventes).16 10 D’autre part, la nature, le domaine d’influence et l’évolution historique du Consistori méritent une analyse plus approfondie que celle que nous pouvons offrir ici. 11 D’une façon générale, on peut affirmer que, sur les quatre-vingts poésies de la liste conservées du XIVe siècle, seulement une quinzaine ont un rapport direct avec le Consistori. Les contenus des œuvres restantes sont bien variés et sont issus, en grande partie, de la tradition des troubadours du XIIIe siècle.

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Par ailleurs, il y a des indices de l’influence de ces poètes sur les générations suivantes, même si l’ampleur et les détails particuliers de leur résonance auprès des auteurs contemporains et plus tardifs restent encore à établir.17 En tout cas, la transmission d’un nombre considérable de pièces de Cornet et de Castellnou dans le chansonnier Sg nous donne une idée claire de l’importance que ces poètes avaient au sein des réseaux de la haute noblesse entourant la maison de Barcelone, dans les milieux catalans de la moitié du XIVe siècle.

L’œuvre de Joan de Castellnou : traces littéraires d’un réseau poétique

12 L’œuvre conservée de Castellnou présente une double facette : d’un côté, une douzaine de pièces lyriques et, de l’autre, deux traités rhétoriques (le Compendi de la coneixença dels vicis en els dictats del gai saber et le Glosari, un commentaire critique du Doctrinal de trobar écrit par Ramon de Cornet). Les pièces poétiques ont été conservées uniquement par le chansonnier Sg et présentent un intérêt évident étant donné la variété des genres, le choix des thèmes, les ressources formelles et les rapports avec des poètes contemporains et des mécènes — et au vu aussi de leur transmission manuscrite. Cette collection de onze pièces rassemble cinq cansos18, trois vers, une dansa, un conselh et un sirventes, accompagnés parfois d’une sorte de rubrique discursive typique d’autres sections de Sg, comme celles de Cerverí de Girona et de Ramon de Cornet. La collection débute par la rubrique Vers lo primer que feu en Johan de Castellnou, qui semble suggérer une collection copiée à partir d’un modèle antérieur et éventuellement suivant un ordre chronologique. On y trouve ensuite d’autres rubriques avec des informations intéressantes : un Conseyll qu’En Joan de castell nou demandech al gay coven de Tolosa, une Canço retrogradada per dictios e per bordos e per coblas, e quant hom la lig tot dretg ditz be, e retrogradan las dictios ditz mal, la qual fetz en Johan de castell nou, et un Vers de Johan de Castellnou que feu al rey d’Arago.19 Comme nous le verrons tout de suite, le répertoire de genres et les personnages évoqués dans les poésies assurent un double rapport, avec la noblesse, surtout catalane, mais aussi avec le Consistoire de Toulouse.20

13 Les études classiques, faute de documents disponibles sur la biographie de Castellnou, ont suivi deux directions interprétatives opposées.21 Certains le considérait comme occitan, mais en contact avec le milieu catalan (Massó) ; d’autres (Milà, Jeanroy, Pagès, Rubió, Riquer, Casas Homs, Perugi, Olivella, Maninchedda), et c’était l’hypothèse la plus répandue, le pensaient catalan, vassal des rois d’Aragon, peut-être de façon indirecte, d’origine roussillonnaise. Manuel Milà i Fontanals a été le premier à l’identifier comme catalan à partir de deux petits passages de son Compendi 22 ; cinquante ans plus tard ; Jaume Massó i Torrents, auteur de la première édition complète des lyriques de Castellnou (1914), a fait de lui un compatriote de Cornet. 14 L’identification la plus évidente, à première vue, comme l’a soutenu une partie de la critique, serait de le considérer comme un membre du lignage des vicomtes de Castellnou, dans les montagnes roussillonnaises des Aspres, à quinze kilomètres au sud- ouest de Perpignan.23 Après la mort du vicomte Jaspert V, la vicomté fut convertie en 1321 en baronnie par Sanç de Majorque et livrée à une branche secondaire du lignage, et, en 1373, Berenguer de Castellnou vendit le titre au lignage des Fenollet, titulaires de la vicomté voisine d’Illa. Cependant, aucune des études sur cette vicomté, ni dans sa lignée principale ni dans celles secondaires, n’a permis de trouver de Joan. En outre, il

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faut finalement prendre en compte une autre question : le comté du Roussillon, auquel appartient la vicomté de Castellnou, relève de la couronne de Majorque après 1276 et jusqu’en 1343. Il faut garder à l’esprit, bien que cet aspect ne soit pas déterminant, que le chansonnier Sg ne présente jamais le nom de Joan de Castellnou accompagné du titre de civilité mossen (comme cela arrive dans le cas de Ramon At, Gastó de Foix, Bertran de Sant Roscha, Bertran del Falgar et Bertran d’Espanya).24 15 Comme le signalait Jeanroy, 1341, date d’envoi de la glose critique sur Ramon de Cornet, est « la seule qui se rencontre explicitement dans ses œuvres » (p. 89). Cependant tout au long de son corpus, des données sont identifiables qui permettent d’établir des hypothèses sur son origine et sa situation historique. La qualité de ces preuves s’avère inégale. Il y a deux faits qui sont toutefois indubitables : la date du 31 octobre 1341 se trouve dans une lettre adressée à l’infant Pierre d’Aragon, comte de Ribagorça et d’Empúries ; il s’agit d’une lettre d’envoi de la glose en prose que Castellnou rédigea sur le Doctrinal de Trobar de Ramon de Cornet, écrit en 1324 et dédié aussi à l’infant.25 Cette missive présente le texte suivant26 : Molt aut senyor, fas vos saber ab aquella major reverentia que puesch ni se, que yo viu .j. doctrinal a vos trames per frare Ramon de Cornet, ladoncs capella e ara monge blanch, en lo qual eran contengudas moltas errors e moltas escuretatz, e yo requiri lo que ab altre scrit degues revocar so que mal havia dit e declarar ço qui era escur ; car obra on eran contengudas errors non era trametedora a fill de rey ni a deguna persona notabla, ni encara a altra ; e ell respos que qant ell o feu no sabia gayre sciencia, mas que nol revocaria, que vergonya li seria ; e yo dix li que abans li seria cosa lauzable e bona, que sant Agosti revoca alcuns libres o alcunas obras que feytes avia, don es mes ara loat. E axi, senyor, finalment, com nou volgues revocar ni declarar, yo fiu aquesta scriptura, appellada Glozari, laqual vos tramet, senyor, closa e sagellada ab mon sagell, protestan, senyor, ab reverentia que de tot cant yo he dit vuel estar a correctio e a esmena vostra, senyor, e de las Leys del Gay Saber nostre. [Monseigneur, je vous communique, avec toute la révérence dont je suis capable, que j’ai vu un livre de doctrine qui vous a été transmis par frère Ramon de Cornet, à l’époque prêtre et maintenant moine blanc, où celui-ci écrivit nombre d’erreurs et d’affirmations peu claires. Je lui ai demandé de corriger par un autre écrit ce qu’il avait déclaré erronément et de manière obscure : une œuvre où l’on peut trouver des erreurs n’est en effet pas appropriée au fils d’un roi ni à aucune personne d’importance, ni à aucune autre. Il répondit que, lorsqu’il avait écrit cet ouvrage, il ne connaissait pas trop la science mais qu’il ne le corrigerait cependant pas, parce que ce serait une honte. Je lui ai dit que ce serait au contraire chose juste et louable de le corriger, car saint Augustin est revenu sur les divers livres et œuvres qu’il a écrits, ce dont il est encore plus loué que s’il les avait laissé tels quels. Ainsi, seigneur, finalement, puisqu’il n’a voulu ni corriger ni laisser de déclaration, j’ai rédigé cette œuvre, appelée Glossaire, que je vous remets, seigneur, close et scellée de mon sceau, en vous demandant, seigneur, avec révérence, de soumettre tout ce que j’ai dit à votre correction et à celle des Lois de notre Gay Savoir.]27 16 Après avoir vu et lu une pièce versifiée avec des conseils rhétoriques très fautifs que Cornet adresse à l’infant Pierre, Castellnou affirme qu’il a demandé des rectifications au poète de Saint Antonin, mais que, face à son refus, il a décidé de composer une glose pour en montrer les erreurs et les corriger. Notons que la date de composition de cette glose n’est pas explicite et que nous disposons seulement de la lettre d’envoi dans laquelle Castellnou offre une copie à l’infant Pierre, dix-sept ans après la rédaction du Doctrinal. Le fil chronologique semble peu convaincant, sauf si nous considérons que la rédaction de cette glose est antérieure à 1341. Notons aussi que la lettre présente

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Castellnou comme pourvu d’une certaine formation — voir la référence à Augustin — et comme quelqu’un faisant preuve d’une certaine familiarité avec l’infant (la lettre est transmise « close et scellée »).

17 Les contacts avec la maison de Barcelone deviennent manifestes dans le sirventes « Tant es lo mons ples d’amor descorteza » (IX ; BPP 518,9), dernière pièce lyrique de sa section dans Sg. Une quarantaine de personnages historiques, pour la plupart catalans, sont convoqués par le poète à la cour du seigneur de Biscaye. La date correspondrait à la Toussaint (Martror) et le motif de cette convocation est la participation à un tournoi des fidèles serviteurs d’Amour contre les faux amants. La liste des nobles, très impressionnante, a permis à Amedée Pagès de dater approximativement la pièce entre 1339 et 1343. Castellnou affirme que la réunion se fait à la cour du seigneur de Biscaye « car Fin’Amors en lui fa son estatge » [Car Fin’Amor fait sa demeure en lui] (v. 17, p. 469),28 mais il n’offre aucune clé permettant d’expliquer la convocation d’une si grande liste de personnages à cette cour, qui était vraisemblablement celle de Juan Núñez III de Lara (1313-1350).29 Dans le poème, ces sont les monarques de Castille, d’Aragon, d’Angleterre, de Majorque, du Portugal et de Navarre qui sont d’abord convoqués — le roi de France, lui, ne l’étant pas « …car es en esperança | de far adonchs, ço crey, lo sant passatge » [car il attend de passer, à ce moment-là, je crois, en terre sainte].30 Suivent tous les infants d’Aragon, l’infant de Majorque et une longue liste de nobles sujets du roi aragonais : les vicomtes de Canet, Ille, Bernat II de Cabrera, Bernat Hug ( ?), Hug II de Cardona, Ot de Montcada, Père de Montcada (l’Almirall), Joan Eiximèn d’Urrea, Ramon Cornell, Gombau de Ribelles ( ?), Jofre V de Rocabertí, Père de Queralt, Ramon I d’Anglesola, Miquel Peris Sabata, Llop de Luna, Père Cornel, Llop d’Urrea ( ?), Arnau II d’Erill, Arnau d’Orcau, Tomàs Peris de Foces, Guillem de Bellera, Simó de Mur ( ?), Bernat de So, Arnau Roger II de Pallars, Roger Bernat I de Castellbó, Berenguer VI d’Anglesola, Nicolau de Janvilla (comte de Terranova), Ato i Artal de Foces, Père Galceran de Pinós, Felip de Castre i de Peralta ( ?), Blasco III d’Alagon, Blasco Maça, el senyor de Montagut, Père III d’Arborea, Père d’Eixerica, un Carroç non identifié, Guerau de Cervelló ( ?) et Gilabert V de Cruïlles. Le sirventés a deux envois successifs : le second adressé à la dame du poète, Mos Fins Dezirs ; le premier, à Tomás Peris de Foces, seigneur aragonais, auteur aussi de deux pièces poétiques en langue occitane qui se trouvent dans le chansonnier Sg et personnage-clé pour comprendre l’histoire du codex. Il permet d’établir une relation directe entre cette compilation et Jaume, comte d’Urgel, décédé en décembre 1348, qui devait être à l’origine des pièces contemporaines du chansonnier. Ces matériaux ont fini par parvenir, à la demande de son fils et successeur Pierre II, dans le chansonnier Sg tel que nous le connaissons. 31 La datation de la pièce par Pagès, entre 1339 et 1343, est très probable (fondée d’un coté sur la présence de l’Amiral de Montcada, de l’autre sur le début de la guerre contre Majorque).32 18 Deux autres pièces font référence au roi d’Aragon. La canso « Pus midons val tant, si Deus m’enantischa » (VIII ; BPP 518, 4), difficile à éditer à cause de ses rimas caras. Le poète réclame l’intervention du roi pour reconnaître et sanctionner « mon dret » [mon droit] (v. 14-16, p. 445), qu’il réclame sans perdre espoir parce que sinon il serait mort il y a treize ans (v. 11-12). Au v. 14, on y lit « que·l rey N’Anfos [jay] huy en sala foscha », ce qui veut donc dire que la pièce est adressée au roi Pierre III d’Aragon après la mort de son père et donc après 1336. Hypométrie à part, le problème se pose véritablement au vers suivant, qui se trouve transcrit dans le manuscrit de la façon suivante e quem

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desplatz sira tro reconoscha et qui a été interprété de différentes façons. Les vers qui forment une unité de sens sont les suivants : Mal fay qui·m tol que de ley no·m jausischa que·l rey N’Anfos [jay] huy en sala foscha e que·m desplatz Sira tro reconoscha li sieus bels fylls mon dretg e me·n sayzischa. (vv. 9-16) [Il agit mal celui qui m’empêche de jouir d’elle, car le roi Alphonse demeure dans une salle obscure et Sira me déplaît jusqu’à ce que son beau-fils ne reconnaisse mon droit et me permette de m’en saisir.] 19 Quel est le sens de desplatz sira tro ? Les solutions proposées consistent à modifier sira dans deux directions : ou bien s’ira ‘sa ire’ ou ‘enragea’ ou bien Sira comme toponyme. La seconde option propose une identification avec le priorat roussillonnais de Sant Salvador de Cirà, qui serait la propriété pour laquelle Joan de Castellnou réclame l’intercession du roi Pierre. Cette interprétation présente toutefois une difficulté. Le priorat de Cirà, avec la seigneurie d’Orla, fut acheté en 1273 par les templiers roussillonnais de Masdéu. Après la dissolution de l’ordre, les biens des templiers de Masdéu passent alors à l’ordre de l’Hôpital. Toutes ces données historiques ne s’accordent donc pas avec l’interprétation donnée à cet amendement.33

20 Il y a une autre référence au roi aragonais au vers « Qui de complir tot son plazer assaya » (X ; BPP 518,5). La poésie est dédiée au roi d’Aragon (« senyor mieus ») qui la comprendra facilement (« vos etz tals | que l’entendretz ses glos e ses lectura » [que vous êtes tel que vous le comprendrez sans glose et sans commentaire] vv. 52-53, p. 462), et « Ramaç » est chargé de lui transmettre (v. 54). Le roi doit être Pierre III et la pièce postérieure à 1336 ; quant au jongleur Ramaç (Salvador Ramaç, alias Ramasset), il s’agit du père d’une famille de jongleurs connue. En 3 avril 1327, lors du sacre du roi Alphonse, il aurait chanté des pièces composées par l’infant Pierre, le frère du roi, selon ce que raconte le chroniqueur Ramon Muntaner.34 La production extraordinaire et variée de l’infant Pierre, complètement perdue, était remarquable si l’on en juge le témoignage de Muntaner ; l’affirmation que ses pièces étaient chantées, par divers jongleurs spécialistes, s’avère aussi intéressante ; enfin, mentionnons également le contenu moral et allégorique des pièces de l’infant, qui évoquent une même voie poétique allant de Cerverí de Girona à Jaume et Pere March, tout en passant par Castellnou et Cornet.35 21 D’autre part, la relation de Castellnou avec le Consistori — la production rhétorique mise à part — est révélée par deux pièces. Au v. 11 de la canso « Tan soi leyals envas ma bel’aymia » (V ; BPP 518,8, p. 422) on lit qu’il écrira « seguen a ponx las leys del gay saber » [en suivant point par point les lois du gay savoir] et plus loin : Doncs ben es fols e malvatz e enics, et es razos que·l aja per falsari le Gays Covens, cel qui sidons costreyh am fals semblan, c’amors ans no receysh feyns aymadors, car fan pretz dexaser e fis aymans venir en desesper. (vv. 28-33 ; p. 423) [Il est donc bien fou, mauvais, injuste et il convient que le Gay Couvent le considère comme faussaire, celui qui par son apparence trompe sa dame car Amour n’accueille pas les amants menteurs, parce qu’ils font baisser la valeur et font désespérer les vrais amants.]

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22 Mais ce lien est très clair dans le conseyl « Al Gay Coven vuyl far aquest deman » (VI ; BPP 581,1) ; Castellnou y dialogue avec le Consistori sur des aspects de problématique amoureuse et la pièce reproduit ses questions et les réponses données.36

23 La critique se démande si Castellnou fut mantenidor du concours toulousain. Le seul indice pour soutenir cette affirmation c’est la rubrique du Compendi : « lo qual Compendi ha feyt mossen Joan de Castellnou, uns dels VII mantenedors de Consistori de Tholosa de la Gaya Sciencia de trobar » [ce Compendi a été rédigé par Joan de Castellnou, un des sept mainteneurs du Consistoire de la Gaie Science du trobar de Toulouse] (éd. Maninchedda, p. 41).37 Il n’existe, à présent, aucun autre document historique qui prouve ce fait. Cependant, comme affirme Cura Curà « non disponendo della serie continua delle liste dei mantenedors, non abbiamo elementi certi per poter escludere che Joan ne avesse fatto effettivamente parte » [ne disposant pas de la liste complète des mainteneurs, nous n’avons pas d’éléments sûrs pour pouvoir exclure que Joan n’en aurait pas fait partie], et encore plus si, suivant Olivella, « tenim present, per exemple, que enlloc no consta que algú tan relacionat amb el cercle de Tolosa com Guilhem Molinier hi pertangués de forma oficial » [il faut reconnaître, par exemple, qu’il n’est pas possible de constater que quelqu’un qui avait tant de relations avec le cercle de Toulouse comme Guilhem Molinier en ait fait partie officiellement].38 D’autre part, il faut tenir compte des ressemblances littérales entre certaines parties du Compendi et la rédaction versifiée des Flors del Gay Sabers, qui font penser plus à une éventuelle participation de Castellnou à l’élaboration de ces matériaux qu’à une simple copie littérale et sans interruption des Leys. Devant ces indices, il est bien possible que Castellnou ait été mantenidor ou, au moins, l’un des collaborateurs des rédactions successives des Leys.39 24 Finalement, le vers « Tot claramen vol e mostra natura » (I ; BPP 518,10), le premier qui apparaît dans la section de Castellnou de Sg, est en réalité une chanson de croisade écrite à l’occasion du projet de croisade du roi de France Philippe VI, qui avait obtenu du pape Jean XXII le titre de chef suprême des forces croisées le 11 novembre 1333 (vv. 74-75). Alors que les préparatifs suivaient leur cours, le pape Benoît XII clôtura officiellement la croisade le 13 mars 1336 et Philippe VI déplaça son armée de Marseille jusqu’au à la Manche, un bouleversement stratégique qui allait marquer le début de la Guerre de Cent Ans.40 Cette pièce aurait donc été écrite entre 1333 et 1336, puisque Castellnou harangue la noblesse chrétienne pour prendre la croix sous le commandement du roi français. De façon parallèle, dans « Per tot lo mon vay la gens murmuran » (XLI ; BPP 558,31), Ramon de Cornet en appelle à la participation à cette même croisade, tandis qu’il déplore dans « Anc no cugie vezer » (VI ; BPP 558,4) que le roi français ait abandonné ses obligations, un regret identique à celui que l’on trouve chez Peire Lunel de Montech « Totz hom que vol en si governamen » (BPP 544,3).41 En tout cas, cette pièce, qui semble la plus ancienne de Castellnou, ne présente aucun indice de relation avec la Couronne d’Aragon. 25 Il n’existe pas de chronologie plus exacte pour les deux œuvres rhétoriques. Castellnou envoya une copie de la glose critique au Doctrinal de Trobar (1324) de Ramon de Cornet à l’infant Pierre d’Aragon le 1er octobre 1341 (voir plus haut). Nous ne connaissons pas la date de la rédaction de cette glose, qui peut donc avoir été écrite en 1341 ou avant. L’autre traité, le Compendi de la conexença dels vicis que·s podon esdevenir en los dictats del Gay Saber ne semble identifier aucune piste historique.42 Mais dans l’Escusacio de l’actor, à la fin du traité, on peut lire : « E nos disem que·ls cresem haver esquivats en los

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exemples que havem pausats per rims en l’autre proces que havem faytz » [Et nous affirmons croire les avoir évités dans les exemples rimés dans le cadre de l’autre œuvre que nous avons rédigée].43 Si cet autre proces est le Glosari, ce commentaire précède le Compendi. Mais il est difficile de comprendre quels sont « los exemples que havem pausats per rims » [les exemples que nous avons rimés] dans le Glosari, et peut-être que Castellnou fait allusion à un autre traité.44 26 Le Compendi est dédié, selon la rubrique du manuscrit Bu, à Dalmau de Rocabertí, fils d’un vicomte appelé aussi Dalmau (« al noble e discret en Dalmau de Rochaberti, fill que fou del molt noble en Dalmau de bona memoria, vezcomte de Rochaberti » [Au noble et discret Sire Dalmau de Rocabertí, fils du noble Dalmau, de bonne mémoire, vicomte de Rocabertí]), mais la reconstruction du lignage des vicomtes de Rocabertí n’est pas évidente.45 Milà i Fonatanals avait proposé Felip Dalmau I de Rocabertí (vicomte 1342-1390), qui avait participé à un débat poétique avec Jaume March en 1370-80, alors que Casas Homs penchait pour Dalmau de Rocabertí (abbé de Vilabertran 1347-1348).46 Pourtant deux autres candidats seraient possibles : Dalmau, fils du vicomte Dalmau VI de Rocabertí, qui était seigneur de Sant Llorenç de la Muga (ville qui se trouve à côté de Peralada), déjà décédé en 1340, ou bien un frère homonyme de ce dernier, issu du troisième mariage de Dalmau VI, qui était membre de l’Ordre du Temple et qui serait mort vers 1324 (mais ce décès prématuré semble l’exclure).47 27 Le Compendi a une tradition manuscrite d’envergure et a été heureusement édité deux fois. Le dernier éditeur, Maninchedda, affirme que « la tradizione manoscritta restituisce due o tre fasi distinte della redazione del testo » [la tradition manuscrite révèle deux ou trois phases différentes dans la rédaction du texte] étant donné le rapport complexe avec les rédactions successives des Leys et la variante alcuns grans senyors vs. Dalmau de Rocaberti à [51] : « fom request ab gran instancia per alguns grans seyors que deguessem dir e declarar la diffininicio e·ls mandaments de trobar, e la causa per que que fon atrobada la Gaya Sciencia » [Il m’a été demandé avec grande insistance par de grands seigneurs de dire et exposer la définition et les règles du trobar et la raison pour laquelle fut créée la Gaïe Science] p. 132. En tout cas, l’observation de divers phénomènes concernant les phases de rédaction des Leys d’amors, selon ce qu’a expliqué récemment Beatrice Fedi48, permet d’établir un rapport entre le Compendi et le Torsimany de Lluís d’Averçó (c. 1385-90) : l’exposition de la replicacio de ces deux œuvres a une source commune, par ailleurs inconnue, avec très peu de variantes. On peut dès lors penser à cette possibilité : que Castellnou et Averçó avaient accès ou bien à une esquisse qui se situerait entre les versions longues des Leys (entre la plus conservatrice [B13] et la plus avancée [T1]), ou bien à deux sources différentes qui étaient parallèles à chacune des versions antérieures. En tout cas, la fourchette entre ces deux versions nous situe entre 1341 et 1356. 28 À l’exception d’Alfred Jeanroy, les philologues n’ont presque jamais tenté une lecture d’ensemble de l’œuvre poétique de Castellnou et des traités rhétoriques mis côte à côte. La révision parallèle des deux ensembles — que nous essayerons de réaliser prochainement — peut nous réserver encore bien des surprises. Un petit exemple : au chapitre [7] du Compendi, qui parle d’escusacio de replicacio, on peut lire les deux vers suivants : « Mos Fins Desirs, tots jorns me fier us darts / de Ver’Amor que poyn vers totes pars » [Mon Désir Parfait, je suis tout le temps frappé par le dard de l’Amour Vrai qui m’attaque par toutes parts]. Mos Fins Desirs est le senhal unique auquel Castellnou adresse toutes ses pièces. Il est fort probable que cet exemple puisse être le fragment

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d’une pièce perdue de Castellnou lui-même. Cette opinion devient plus solide si l’on pense à l’attitude critique de Castellnou face aux exemples qu’il commente, toujours pleins d’erreurs à corriger ; cependant, dans ces deux vers, son commentaire est positif : « Nota que la fis del precedent bordo no engendre neguna maneyra de replicacio ab lo començamen del siguen bordo no collizio, ne hiat, ni fre ni metatisme* » [fait attention que la fin du vers antérieur ne provoque aucune forme de réplique avec le début d’un vers suivant, ni collision, ni hiatus, ni frein, ni metatisme*]). On retrouve des cas semblables tout au long du Compendi.

Joan de Castellnou et la documentation d’archive : une trajectoire professionnelle

29 Comme cela a été annoncé au début de cet article, les données que l’on a extrait de l’œuvre de Castellnou peuvent être confirmées et complétées par des documents de la chancellerie royale de la Couronne d’Aragon. Joan de Castellnou a subi un grave préjudice à cause du manque de communication entre domaines disciplinaires différents. En effet, en 1979, la musicologue Maricarmen Gómez Muntané publia une étude pionnière sur l’histoire de la musique à la maison royale d’Aragon, dans laquelle elle dresse une liste importante de musiciens.49 Parmi les premiers professionnels documentés, on peut trouver, en 1345, un « Johan de Castellnou » et un « Finet » comme chanteurs (cantores) de la chapelle du roi Pierre III. Voici ce que Gómez Muntané affirma alors sur ces deux musiciens : « se desconoce casi todo » [on sait presque rien d’eux], mais « el primero de ellos permaneció al servicio de Pedro IV hasta 1349, mientras que el segundo tan sólo lo estuvo hasta 1347 » [le premier (Castellnou) demeura au service de Pierre IV jusqu’en 1349, tandis que le deuxième (Finet) y resta seulement jusqu’en 1347] et fut alors remplacé par « Arnau Guniguen » (p. 84). Cette même année, la chapelle a vu doubler son effectif, avec l’incorporation de « Guillot Boyer » et d’« Uguet de Xampanyach ».

30 Ajoutons qu’en 1975 le musicologue italien Alberto Gallo avait déjà identifié le poète et le musicien.50 En suivant cette hypothèse, Giampaolo Mele apporta en 1986 une bibliographie complémentaire sur la relation entre le chantre Joan de Castellnou et le roi Pierre III, en rapport avec le sanctuaire de Bonaire, à Cagliari, en Sardaigne ; Mele se basa surtout sur une collection documentaire publiée par Maria Mercè Costa, dont neuf documents citent un « Johan de Castellnou » que le roi veut nommer en 1348 recteur du sanctuaire, une fondation royale créée en 1334.51 Le procès se prolongea deux ans à cause du conflit d’intérêts entre le roi et l’archevêque de Cagliari à propos du sanctuaire ; pendant ce procès, Joan n’était sans doute pas en Sardaigne, étant donné qu’il agissait toujours par l’intermédiaire d’un procurateur et que d’autres documents le situaient à la cour catalane. Finalement, en 1351, la documentation nous apprend que le recteur nommé s’appelait Romeu Mascaró. Il est probable que la perte de ce bénéfice — probablement un acte de générosité du roi envers un serviteur, peut être âgé — puisse avoir comporté un dédommagement de la part du monarque, puisque Gómez Muntané rapporte que « hasta 1350 su sueldo fue de 2 sueldos barceloneses diarios, pasando a cobrar 3 à partir de aquel año » [jusqu’au 1350 il avait reçu deux sous barcelonais par jour mais à partir de cette année an il en obtint trois].52 En avril 1354, Joan exerce ses fonctions à la chapelle de la reine Éléonore de Sicile et il est attesté

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pour la dernière fois dans les annotations des archives royales du mois de novembre, étant peut-être décédé à ce moment là.53 31 Le poète Joan de Castellnou et le chantre au service du roi Pierre seraient-ils donc une seule et même personne ? Cela semble plus que probable. Les fonctions d’un chantre de la chapelle royale, en particulier s’il était, comme le dit la documentation, cabiscol, ont été bien délimitées par la tradition : parmi ses fonctions principales, il y avait l’éducation des enfants qui faisait partie de la scholania de la chapelle. Le chantre Castellnou aurait été donc, aussi bien musicien qu’enseignant. En ce sens, un document fait à Perpignan et daté du 18 janvier 1344 (qui a été publié il y a cent trente ans par Antoni Rubió i Lluch) s’avère d’une très grande importance : le roi Pierre III y ordonne qu’une certaine somme soit donnée à « maestre Girart Bru, an Johan Clacart, an Finet e an Johan de Castellnou, de la capella de casa sua, los quals lus mana donar en satisfacció e esmena de un libre de dret qui fo d’en Jacme de Mallorques, que·ls havia donat per comprar libres de gramàtica ».54 En d’autres mots, Jacques III, roi de Majorque, avait donné aux membres de la chapelle royale un livre de droit (que l’on doit supposer d’une certaine valeur) pour le vendre et pouvoir acheter des livres de grammaire, un fait qui est bien compréhensible si l’on pense aux responsabilités des chantres. 32 Gómez Muntané identifiait Castellnou comme « francés », mais deux des documents du recueil de Maria Mercè Roca déclarent que ce Johan « cantori nostre capelle » était en fait « Carpentolacensis civitatis » et « Carpetonlacensis diocesis ». Selon cette identification, le musicien Johan de Castellnou était donc originaire de Carpentras, là où était son évêché, c’est-à-dire qu’il était occitan, comme beaucoup des musiciens de la cour catalane (ce que Gómez Muntané confirme « eran casi todos franceses » [ils étaient presque tous français]).55 33 Joan de Castellnou fait donc son apparition à la chapelle de Pierre III en 1344 et y est documenté continûment jusqu’en 1354. Si l’identification du poète avec le musicien s’avère bien correcte — car il s’agit de l’hypothèse la plus économique —, cela nous permettrait d’élargir la liste des poètes d’origine occitane du XIVe siècle et de doter d’une biographie documentée l’un des poètes ayant joué un rôle majeur dans la culture catalane de l’époque. Selon cette reconstitution convainquante, la production des poètes occitans n’aurait donc pas du tout disparu après le XIIIe siècle, comme le montre aussi Cornet ; il faudra bien sûr mettre en rapport Joan de Castellnou avec l’œuvre de Ramon de Cornet, dont on a conservé une cinquantaine de pièces qui nous renvoient aussi à un nombre considérable de maisons de paratge de l’Occitanie du XIVe siècle. Finalement, cette identification de Castellnou ouvrirait une nouvelle perspective sur les relations entre musique et poésie, très peu documentées encore dans le contexte catalan et permettrait de réaffirmer une fois de plus la circulation de professionnels de la poésie tout au long du XIVe siècle dans cet espace culturel que l’on appelle occitano- catalan.56 34 Les données historiques relevées jusqu’ici, qu’elles soient connues ou nouvelles, semblent indiquer que Joan de Castellnou était un poète ayant une certaine formation et une relation évidente à la fois avec le Consistori de Toulouse et la Maison de Barcelone. Les données chronologiques assez pauvres que l’on peut extraire de son œuvre poétique nous amènent à situer sa production entre 1336 et 1342 et à la mettre en rapport surtout avec le milieu du roi Pierre III et de son oncle le comte de Ribagorça et Empúries et peut-être, indirectement, grâce au témoignage du chansonnier Sg, de Tomás Peris de Foces et du comte Jaume d’Urgel. En ce qui concerne l’œuvre

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rhétorique, on peut seulement s’en tenir à la date de 1341, cohérente avec celle des pièces lyriques. Cependant, il existe une importante documentation d’archive pour le chantre Joan de Castellnou, d’abord à la chapelle du roi Pierre III (1341-1350), après à la chapelle de sa femme Éléonore de Sicile (1350-1354). Il est très probable que le poète et le chantre soient la même personne à savoir un clerc musicien d’origine occitane, qui avait une bonne formation scholastique, qui s’intéressait aussi aux questions rhétoriques et qui composait des pièces : un professionnel apprécié par la maison royale d’Aragon pour laquelle il travailla sans interruption pendant presque quinze ans.

ANNEXES

Documents sur Joan de Castellnou, musicien

Ndla : Cette liste présente tous les documents connus sur Joan de Castellnou. Une partie était déjà publiée et l’autre, qui contient principalement des pièces comptables, a été élaborée par Stefano M. Cingolani et sera publiée parmi les résultats du projet dirigé par Anna Alberni à l’Université de Barcelone The Last Song of the Troubadours : Linguistic Codification and Construction of a Literary Canon in the Crown of Aragon (14th-15th centuries). Une version numérique, dont nous citons le numéro d’identification des documents entre crochets, sera accessible en ligne sur le site http://www.lastsongtroubadours.eu : les indications VI, 1 correspondent à des registres du roi Pierre ; les indications VI, 2 sont des registres de la reine Éléonore. Nous les remercions de nous avoir autorisé à publier dans cet article les références à de parties inédites de leur liste. 1341 31 octobre (Cossan, Ariège ?) – Castellnou adresse à l’infant Pierre d’Aragon la glose qu’il a écrite sur le Doctrinal de Ramon de Cornet (Notes de Gian Vincenzo Pinelli, s. XVI, Biblioteca Ambrosiane de Milan, ms. D465 inf., n. 28). 1344 [VI, 1 84] ACA, Reial Patrimoni [RP], Mestre Racional [MR], reg. 867, f. 61v (Rubió i Lluch, Documents, op. cit., v. II, doc. 71) ; [VI, 1 95] ACA, RP, MR, reg. 322, f. 195v : cantor (Baiges 2009, doc. 37) 18 janvier (Perpignan) — Pierre III ordonne la livraison d’une quantité de soldes pour acheter des livres de grammaire : « … mana lo dit senyor rey que donets a maestre Girart Bru, an Johan Clacart, an Finet e an Johan de Castellnou, de la capella de casa sua, los quals lurs manà donar en satisfacció e esmena de un llibre de dret qui fo d’en Jacme de Mallorques, que·ls havia donat per comprar libres de gramàtica, lo qual ha donat a vós, ducentos solidos barchinonensis… » 1345 [VI, 1 113] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 145v : cantor ; [VI, 1 115] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 2v : cantor (Andrés Descalzo, « Comentarios sobre algunos trovadores al servicio de Pedro IV o de paso por su corte », Recerca musicològica, 9-10, 1989-90, p. 297) 1346 [VI, 1 125] ACA, RP, MR, reg. 863, f. 36r : cantor ; [VI, 1 130] ACA, RP, MR, reg. 850, f. 17r : cantor ; [VI, 1 148] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 27r : cantor (Baiges 2009, doc. 47) ; [VI,

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1 151] ACA, RP, MR, reg. 863, f. 49r : cantor ; [VI, 1 157] ACA, RP, MR, reg. 868, f. 43v : cantor (Gómez Muntané 1979, doc. 219 ; Baiges 2009, doc. 50) ; [VI, 1 162] ACA, RP, MR, reg. 863, f. 66r : cantor ; [VI, 1 167] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 37r : cantor (Baiges 2009, doc. 51). 12 septembre — Pierre III ordonne à Jacme Roig de livrer à Jean de Castellnou quarante sous « jaquesos » pour acheter un orgue destiné à la chapelle royale (Goméz 1979, doc. 219) : « cantor de la capella del dit senyor rei » 1347 [VI, 1 175] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 156r : cantor ; [VI, 1 190] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 46v : cantor ; [VI, 1 206] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 59r : cantor ; [VI, 1 214] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 65v : cantor 1348 [VI, 1 223] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 161v : cantor ; [VI, 1 248] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 90r : cantor ; [VI, 1 254] ACA, Cancelleria [C], reg. 1017, f. 220r : cantori (Costa 1975, doc. 41) ; [254 nota doc a] ACA, C, reg. 1017, f. 220r-v (Costa 1975, doc. 42) ; [254 nota doc b] ACA, C, reg. 1018, f. 25r-v (Costa 1975, doc. 43) ; [254 nota doc c] ACA, C, reg. 1132, f. 34 (Costa 1975, doc. 44) ; [254 nota doc d] ACA, C, reg. 1132, f. 34v (Costa 1975, doc. 45) ; [254 nota doc e] ACA, C, reg. 1018, f. 74v (Costa 1975, doc. 48) ; [254 nota doc f] ACA, C, reg. 1018, f. 79v (Costa 1975, doc. 49) ; [254 nota doc g] ACA, C, reg. 1019, f. 115v (Costa 1975, doc. 50) ; [254 nota doc h] ACA, C, reg. 1019, f. 116r (Costa 1975, doc. 51) ; [254 nota doc i] ACA, C, reg. 1019, f. 115v (Costa 1975, doc. 52) 18 décembre (Valence) — Pierre III nomme Joan de Castellnou recteur de l’église de Bonaire, en Sardaigne (Costa doc. 41, p. 66) : « … idcirco vobis, Johanni de Castronovo, cartoni nostre capelle, Carpetolacensis civitatis, de cuius vite puritate et conversacione honeste laudabile testimonium perhibetur… » 18 décembre (Valence) — Pierre III présente Joan de Castellnou à l’archevêque de Cagliari pour sa confirmation comme recteur de l’église de Bonaire (Costa doc. 42, p. 67) : « … Johanni de Castronovo, cantori nostre capelle, diocesis Carpetolacensis, duximus conferendam, idcirco dictum Johannem tanquam bene meritum et satis sufficientem et idoneum ad dictam rectoriam obtinendam vobis auctoriate presencium ducimus presentandum… » 1349 cantor : [VI, 1 258] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 136v ; [VI, 1 267] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 106r-v ; [VI, 1 273] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 118v ; [VI, 1 278] ACA, RP, MR, reg. 816, f. 125r. 3 juin (Xàtiva) — Pierre III commande au douanier de Cagliari de donner à Joan de Castellnou les droits et les rentes du bénéfice de l’église de Cagliari (Costa doc. 44, p. 68-9) : « … dilecto nostro Johanni de Castronovo, de capella nostra… » 3 juin (Xàtiva) — Pierre III initie un conflit de deux ans avec l’archevêché de Cagliari, portant sur la juridiction de l’église de Bonaire (Costa doc. 43, p. 66-7) : « … Johannem de Castronovo, de capella nostra… » 5 juin (Xàtiva) — Pierre III ordonne au gouverneur de Sardaigne d’obliger les vicaires de l’archevêché à donner l’église de Bonaire à Joan de Castellnou, qu’il a nommé comme recteur (Costa doc. 45, p. 69) : « … fideli de capella nostra Johanni de Castronovo… » 20 novembre (Valence) — Pierre III donne l’ordre au gouverneur de Sardaigne de soutenir Joan de Cos, chapelain royal, responsable de l’administration des rentes de l’église de Bonaire, en tant que procureur du recteur Joan de Castellnou (Costa doc. 48, p. 72) : « … religiosus frater Johannes de Cos, tercie regule ordinis Minorum, capellanus noster procuratorque fidelis de capella nostra Johannis de Castronovo, rectoris ecclesie Bonayre… » 27 novembre (Valence) — Pierre III ordonne au douanier de Cagliari de payer l’assignation annuelle qui correspond à Joan de Castellnou, cantor de la chapelle royale, nouveau recteur de l’église de Bonaire nommé le 18.12.1348 après la mort de

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Guillem Jordà (Costa doc. 49, p. 73-9) : « … dilecto cantori de capella nostra Johanni de Castronovo duxerimus conferendam… » 1350 cabiscol : [VI, 2 : 12] ACA, RP, MR, reg. 459, f. 49r ; [VI, 2 : 13] ACA, RP, MR, reg. 459, f. 85r ; [VI, 2 : 17] ACA, RP, MR, reg. 459, f. 93r ; [VI, 2 : 18] ACA, RP, MR, reg. 900, f. 127v (Descalzo 1990 : 118) ; [VI, 2 : 19] ACA, RP, MR, reg. 900, f. 136v (Descalzo 1990 : 118) — cantor : [VI, 1 301] ACA, RP, MR, reg. 817, f. 2v — : cantor de la reina : [VI, 1 323] ACA, RP, MR, reg. 817, f. 217v. 27 avril (Saragosse) — Pierre III demande à l’archevêché de Cagliari de retirer de l’église de Bonaire le recteur qu’il avait imposé sans tenir compte du droit royal et d’admettre Joan de Castellnou (Costa doc. 51, p. 74-6) : « … Johanni de Castronovo, clerico de domo nostra… » 27 avril (Saragosse) — Pierre III ordonne au douanier de Cagliari de payer annuellement les trois mille sous assignés à Joan de Castellnou comme recteur de l’église de Bonaire, ainsi que toutes les dettes et toutes les soldes qu’on lui doit déjà (Costa doc. 50, p. 74) : « … Johanni de Castronovo, de capella nostra… » 1351 cantor : [VI, 1 395] ACA, RP, MR, reg. 332, f. 101r — cabiscol : [VI, 2 : 24] ACA, RP, MR, reg. 460, f. 58r. 1353 cantor : [VI, 1 470] ACA, Reial Patrimoni, MR, reg. 460, f. 58r. — ambassade : ACA, RC, Curie de Pierre III, reg. 1142, ff. 77v-78r. 1354 cabiscol de la reina : [VI, 2 : 36] ACA, RP, MR, reg. 464, f. 58v ; [VI, 2 : 42] ACA, RP, MR, reg. 464, f. 88r ; [VI, 2 : 45] ACA, RP, MR, reg. 466, f. 27v ; [VI, 2 : 50] ACA, RP, MR, reg. 466, f. 32r ; [VI, 2 : 51] ACA, RP, MR, reg. 466, f. 37r (Descalzo 1989-90 : p. 297) ; [VI, 2 : 52] ACA, RP, MR, reg. 466, f. 47r — capella et xantre : [VI, 1 : 45] ACA, RP, MR, reg. 466, f. 27v. Avril — Castellnou est transféré à la chapelle de la reine Éléonore de Sicile (RP, reg. 900, fols. 127v-128, 136-136v, reg. 817 fol. 217) Novembre — Dernier payement connu à Joan de Castellnou (ACA, RP, reg. 466 f. 37).

NOTES

1. Pour n’en donner que deux exemples, les opinions d’Alfred Jeanroy et de Martí de Riquer ont fixé l’orientation générale des études jusqu’à des dates très récentes. Voici ce que Jeanroy, dans son étude sur la poésie de cette période, écrivait : « si les traditions de l’art s’y étaient maintenues, au moins dans une certaine mesure, les conditions dans lesquelles il était pratiqué avaient beaucoup changé. Les métiers de jongleur et de poète de cour, ne nourrissant plus leur homme, disparaissent : le poète n’est plus un professionnel, vivant de sa profession, c’est un dilettante n’exerçant aucun métier ou cherchant dans un autre domaine ses moyens d’existence […]. La médiocrité de culture ou le défaut de culture que supposent ces professions [de mainteneurs et de premiers couronnés] expliquent, et au-delà, les imperfections de tout genre qui nous frapperont dans les œuvres que nous allons étudier » (« La Poésie provençale dans le Sud-Ouest de la France et en Catalogne du début au milieu du XIVe siècle », Histoire littéraire de la France, Paris, 1941, v. XXXVIII, p. 2-3) ; Riquer, vingt ans après, affirmait que le « defecte essencial i gairebé general de les poesies presentades al Consistori de Tolosa és llur aclaparadora monotonia i l’absència de la mes petita vibració. Aquest defecte es deu, en gran part, a les temences de mantenidors i poetes d’ésser titllats d’heretges o d’immorals per part dels inquisidors […] Però al meu parer el defecte més gran de l’escola de Tolosa és el seu aïllament.

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Durant gran part del segle XIV i gairebé tot el XV aquests rimadors escriuen milers i milers de versos vinculats només d’una manera molt parcial i vaga a la tradició dels trobadors del XII i del XIII, sense adonar-se del que s’ha esdevingut i s’està esdevenint a Itàlia […], que en llengua d’oïl apareix la meravella de Villon i, cosa encara més sorprenent, sense veure que a Catalunya hi ha Ausiàs March » [Le défaut essentiel et presque général des pièces présentées au Consistoire de Toulouse est leur écrasante monotonie et l’absence de la moindre vibration. Ce défaut est dû, en grande partie, à la peur de mainteneurs et poètes d’être accusés d’hérésie ou d’immoralité par les inquisiteurs […] Mais, à mon avis, le défaut plus grand de l’école de Toulouse est son isolement. Pendant la plus grande partie du XIVe siècle et presque tout le XVe, ces rimeurs écrivent des milliers et milliers de vers rattachés très partiellement et vaguement à la tradition des troubadours des siècles XIIe et XIIIe, sans se rendre compte de ce qui s’est passé et se passe en Italie […], que dans la langue d’oïl faisait surface le merveilleux Villon et, chose encore plus surprenante, sans comprendre qu’en Catalogne il y a Ausiàs March] (Història de la literatura catalana, Barcelona : Ariel, [1964] 1980, 23). 2. Une récente interprétation sur l’importance et l’impact de ces nouvelles influences dans Lluís CABRÉ et Jaume TORRÓ, « La poesia d’Andreu Febrer : el trobar ric i el Dante líric », Medioevo Romanzo, XXXIX (2015), p. 162-175 et, dans Jaume TORRÓ et Lluís CABRÉ, « Signes d’innovation dans la poésie catalane du XIVe siècle », La Réception des troubadours en Catalogne (s. XII-XX), éd. M. Cabré, S. Martí et A. Rossich, Turnhout, Brepols (« Publications de l’AIEO »), sous presse. 3. Cf. Sadurní MARTÍ et Miriam C ABRÉ, « Per a una base de dades dels cançoners catalans medievals. L’exemple de Sg », Actes del 13è colloqui internacional de l’AILLC (Girona, 2003), ed. S. Martí et al., Barcelona : Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2007, v. III, pp. 171-186 ; Miriam CABRÉ et Sadurní MARTÍ, « Le chansonnier Sg au carrefour occitano-catalan », Romania, 128, 2009, pp. 92-134 ; Miriam CABRÉ, Sadurní MARTÍ et Marina NAVÀS, « Geografia i història de la poesia occitanocatalana del segle XIV », Translatar i transferir. La transmissió dels textos i el saber (1200-1500), ed. L. BADIA, L. CABRÉ i A. ALBERNI, Santa Coloma de Queralt : Obrador Edèndum, 2010, p. 349-376 ; Marina NAVÀS, « La figura literària del clergue en la poesia de Ramon de Cornet », Mot So Razo, 9, 2010, p. 75-93 ; Miriam CABRÉ, « La lírica d’arrel trobadoresca », Dels orígens al segle XIV, À. BROCH i L. BADIA (dirs.), Història de la literatura catalana, 1. Literatura medieval (1), Barcelona : Enciclopèdia Catalana-Barcino-Ajuntament de Barcelona, 2013, p. 219-296 ; Marina NAVÀS, « Saber, sen i trobar : Ramon de Cornet i el Consistori de la Gaia Ciència », SVMMA. Revista de Cultures Medievals, 3, 2014, p. 54-72 ; Sadurní MARTÍ, « Cançoners DB : A New Research Tool for the Study of Medieval Catalan Songbooks », Digital Philology. A Journal of Medieval Cultures, 3.1, 2014, p. 24-42 ; Marina NAVÀS, « Poètica i literatura trobadoresca a la cort de l’infant Pere », L’infant Pere d’Aragó i d’Anjou : « molt graciós e savi senyor », ed. A. Conejo da Pena, Vandellós i l’Hospitalet de l’Infant/Valls : Ajuntament de Vandellós i l’Hospitalet de l’Infant/Cossetaina Edicions, 2015, p. 87-110 ; Marina NAVÀS, « Les chansons, les jeux-partis et la poésie didactiques de Ramon de Cornet : édition critique », Thèse de l’École Nationale de Chartes dirigée par Frédéric Duval et Fabio Zinelli, 2017. 4. Voir maintenant A. PILLET et H. CARSTENS, Bibliographie der Troubadours, Halle (Saale) : Max Niemeyer Verlag, 1933 [reéd. facsimile par P. BORSA et R. TAGLIANI, présentation de M. L. MENEGHETTI et mise au jour du corpus des témoins par S. RESCONI, Milano, Ledizioni, 2013]. La fondamentale Bibliografia Elettronica dei Trovatori, dirigée per Stefano ASPERTI à l’Université de Roma « La Sapienza », est accessible à l’adresse http://www.bedt.it. Voir Stefano Asperti, « I trovatori e la corona d’Aragona. Riflessioni per una cronologia di riferimento », Mot so razo, I, 1999, p. 12-31 (version révisée http://www.rialc.unina.it/bolletino/base/corona.htm). 5. François ZUFFEREY, Bibliographie des poètes provençaux des XIVe et XVe siècles, Genève : Droz, 1981. Sur le problème de l’élaboration des catalogues, p. xi-xiii. La BPP est déjà incorporée aux divers instruments de recherche, comme le site Les troubadours http://http://troubadours.byu.edu et la

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base de données sur les chansonniers catalans Cançoners DB http://candb.narpan.net, où l’on donne notice des nouvelles sources découvertes après la publication de la BPP. 6. Des chansonniers t et Sg on parlera tout de suite ; pour le chansonnier catalan VeAg, voir Anna ALBERNI, « Intavulare », Tavole di canzonieri romanzi, I. Canzonieri provenzali, 8. Biblioteca de Catalunya : VeAg (mss. 7 e 8), Modène : Mucchi, 2006 [2008] et « El Cançoner Vega-Aguiló (BC, mss. 7-8) : estructura i contingut », thèse de doctorat dirigée par Lola BADIA et Vicenç BELTRAN, Universitat de Barcelona, 2005 [éd. numerique : http://www.tdx.cat/handle/10803/1679]. Les poètes du XIVe siècle ont été aussi transmis éventuellement par d’autres manuscrits : le grand chansonnier R (Paris, Bibliothèque Nationale, ms. français 22543), le chansonnier catalan M (Barcelone, Biblioteca de Catalunya, ms. 11), le chansonnier catalan G (Biblioteca de Catalunya, ms. 1744), le manuscrit 894 de la Bibliothèque Municipale de Toulouse, le recueil de traités poétiques du manuscrit 239 de la Biblioteca de Catalunya, le manuscrit D 465 inf. de la Biblioteca Ambrosienne de Milan, et les diverses citations dans les traités littéraires (Leys d’amors, etc). Zufferey incorpore aussi quatre autres manuscrits « n’intéressant pas l’école toulousaine » (xxxviii) : Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, B 421 (Joan Nicolas de Pignans), Marseille, Archives municipales, registre de Michel Raoul (Joan Pellenc de Marselha), BNP français 1049 (Planh Robert d’Anjou), Roma BAV, Barb. lat. 1862 (Piccolomini). Maintenant, on peut ajouter le manuscrit 646 du fonds Torroella à l’Arxiu del Regne de Mallorca, cf. Sadurní MARTÍ et Marina NAVÀS, « Un nouveau témoin de la tradition manuscrite de Ramon de Cornet et Joan de Castellnou », La Réception des troubadours en Catalogne, éd. M. CABRÉ, S. MARTÍ et A. ROSSICH, Turnhout : Brepols, sous presse. 7. Selon A. JEANROY (Les Joies du Gai Savoir : Recueil de poésies couronnées par le consistori de la gaie science (1324-1484), Toulouse, Privat, 1914, p. xiii, n. 2), de l’ensemble de pièces couronnés aux siècles XIVe et XVe, « 26 ont obtenu la violette, 19 l’églantine, 15 le souci, 2 des “joies extraordinaires’” . 8. On pourrait y ajouter aussi, entre d’autres poètes documentés au XIVe siècle dans des sources catalanes exclues lors de la compilation du BPP, le Capellà de Bolquera, dont le Cançoneret de Ripoll (Barcelone, Arxiu de la Corona d’Aragó [ACA], ms. Ripoll 129, c.1320-30) a préservé six pièces très intéressantes, voir Lola BADIA, Poesia catalana del segle XIV. Edició i estudi del Cançoneret de Ripoll, Barcelone : Quaderns Crema, 1983. 9. L’étude la plus récente et complète sur ce manuscrit est celle de Marina NAVÀS, « Le Registre Cornet : structure, strates et première diffusion », Revue des Langues Romanes, 117.1, p. 161-191, où elle propose l’attribution du sigle t pour ce recueil (t. 1 et t. 2 avaient été déjà proposés par István Frank pour identifier leur deux unités codicologiques). Sur l’œuvre de Cornet, voir les travaux de Navàs cités à la n. 4 et naturellement aussi Jean-Baptiste NOULET et Camille CHABANEAU, Deux ms. provençaux XIVe siècle contenant des poésies de Raimon de Cornet, de Peire Ladils et d’autres poètes de l’École Toulousaine, Montpellier-Paris, 1888 (Genève : Slatkine reprints-Marseille : Laffitte reprints, 1973) et Pilar OLIVELLA, « La poesia occitana de la primera meitat del segle XIV : L’exemple de Raimon de Cornet », thèse doctorale inédite, Universitat de Barcelona, 1997, dirigée par Lola BADIA. Nous n’avons pas vu la tesi di laurea de Giulio CURA CURÀ, « Raimon de Cornet. Poesie » 1999, à l’Università degli Studi di Pavia. 10. Navàs, « Le Registre …», déjà cité, p. 166-167. Le codex semble avoir été assemblé dans un couvent. 11. Les dix pièces connues de Peire de Ladils ont été conservées uniquement par t. Une fausse attribution est présente aussi au sein du chansonnier Sg, comme nous verrons tout de suite. L’œuvre de Peire de Ladils a été éditée par Maurice ROMIEU (« L’œuvre poétique de Pèir de Ladils », Les Cahiers du Bazadais, 42 138-139, 2002, p. 26-30) et mise en contexte historique par Jean-Bertrand MARQUETTE (« Bazas aux temps de Pèir de Ladils (première moitié du XIVe siècle »,

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ib., p. 73-99). Voir aussi Giulio CURA CURÀ, « Seguen a ponx las leys del Gay Saber ». I trovatori del XIV secolo, Roma : Bagatto Libri, 2012, p. 151-260. 12. Sur les chansonniers catalans, voir les synthèses de Stefano ASPERTI (« La tradizione occitanica », Lo spazio letterario nel Medioevo,. 2. Il Medioevo volgare, dir. Piero BOITANI, Mario MANCINI, Alberto VÀRVARO, Roma, Salerno, vol. II, 2002, p. 521-254) et Miriam CABRÉ (« La circolazione della lirica nella Catalogna medievale », La tradizione della lirica nel Medioevo romanzo. Problemi di filologia formale, ed. Lino Leonardi, Firenze, Edizioni dell Galluzzo/Fondazione Ezio Franceschini, 2011, p. 363-407). Deux nouveautés ont été découvertes lors de ces dernières années : d’une part, le chansonnier perdu de Gérone, qui aurait compilé au XVe siècle des troubadours classiques (Giraut de Bornelh, Bertran de Born, Peire Catala), des traités littéraires (Ramon Vidal de Besalú, Jofre de Foixà, Ramon de Cornet, Joan de Castellnou, Diccionari de rims, Flors del Gay Saber) et des poètes contemporains (Ramon At de Montaut, Joan Flamenc, Guilhem Alaman, Bernat Palmarola ?, Antoni Çaplana ?, Lleonart de Vallseca ?, Joan Çaplana ?, Gabriel d’Arques ?, Miquel Llopis ? et Bartomeu Castelló), voir Vicenç BELTRAN, « El cançoner perdut de Girona : els Mayans i l’occitanisme il·lustrat », Trobadors a la Península Ibèrica : Homenatge al Dr. Martí de Riquer, ed. V. BELTRAN, M. SIMÓ et E. ROIG, Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2006, p. 91-120 ; et d’autre part, voir la nouvelle lecture du fragment troubadouresque de Madrid (Mh), de la fin du XIIIe siècle, dans Miriam CABRÉ et Sònia BOADAS, « El fragment de cançoner trobadoresc català de Madrid », Cultura neolatina, sous presse. 13. Pour le chansonnier troubadouresque f, cf. Stefano ASPERTI, Carlo I d’Angiò e i trovatori. Componenti « provenzali » e angioine nella tradizione manoscritta della lirica trobadorica, Ravenna : Longo Editore, 1995, p. 19-42 et, maintenant, Fabio BARBERINI, « Intavulare » : tavole di canzonieri romanzi. I. Canzonieri provenzali. 12. Paris, Bibliothèque nationale de France, f (fr. 12472), Modena, Mucchi, 2012, p. 40-64. 14. D’autre part, le recueil le plus tardif de poètes occitans médiévaux est le Registre Galhac (Bibliothèque Municipale de Toulouse, ms. 2886). Rédigé après 1458 et sur l’initiative de Guilhem de Galhac, il est conçu comme un registre pour les pièces qui ont gagné le concours toulousain entre 1345 et 1384 et est compilé en trois sections, une pour chaque prix du concours. Le manuscrit offre une liste de quarante poètes et un ensemble de cinquante-neuf pièces. Cf. J.-B. NOULET, Las Joyas del Gay Saber (Les Joies du Gai Savoir) : Recueil de poésies en langue romane couronnées par le Consistoire de la Gaie-Science de Toulouse, depuis l’an 1324 jusques en l’an 1498, Paris et Toulouse, s.d. [1849], et, surtout, la nouvelle édition révisée par Alfred JEANROY, Les Joies… déjà cité. Voir aussi, Beatrice FEDI, « Le Leys d’Amors ed il Registre de Galhac : frammenti di una tradizione ‘extravagante’ ?», Medioevo e Rinascimento, 12, n.s. 9, 1998, p. 183-204. 15. Pour un premier aperçu du rapport entre la lyrique du XIVe siècle et celle des troubadours tardifs, voir Miriam CABRÉ et Marina NAVÀS, « “Que·l rey franses nos ha dezeretatz…” : la poètica occitana després de Muret », 800 anys de Muret. Els trobadors i les relacions catalano-occitanes, ed. V. BELTRAN, T. MARTÍNEZ ROMERO et I. CAPDEVILA, Barcelona : Universitat de Barcelona, 2014, p. 102-122. 16. Au Registre Galhac : 20 vers, 11 cansos, 14 dansas et 1 cobla, planh, letra et . 17. Voir Sadurní MARTÍ et Marina NAVÀS, « Ramon de Cornet i Joan de Castellnou com a models literaris : preceptives i pràctica poètica entre els segles XIV i XV », en préparation. 18. Dans la section dédiée à Castellnou, le compilateur lui a aussi attribué fautivement une canso de Pèire Ladils de Bazas (« Aras l’ivern que s’alongan las nuegz » BPP 543,2). Cf. Maurice ROMIEU, « L’œuvre poétique », déjà cité, p. 26-30 et CURA CURÀ, Seguen…, déjà cité, p. 212-221. La complexité métrique de ce poème peut être la cause principale de sa fausse attribution à Castellnou. 19. Sur les rubriques de Sg, voir Miriam CABRÉ « Un cançoner de Cerverí de Girona ? », Atti del colloquio internazionale « Canzonieri iberici » (Padova/Venezia), A Coruña : Universidade-Università di Padova-Toxosoutos, v. I, p. 283-299 et son Cerverí de Girona : un trobador al servei de Pere el Gran, Barcelona-Palma : Universitat de Barcelona-Universitat de les Illes Balears, 2011, p. 354-357.

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20. Voir CABRÉ, MARTÍ et NAVÀS, « Geografia », déjà cité, p. 355-363 et CURA CURÀ, Seguen…, déjà cité, p. 374-376. 21. Pour les esquisses sur sa biographie : Jaume MASSÓ I TORRENTS, « Poésies en partie inédites de Johan de Castellnou et de Raimon de Cornet d’après le manuscrit de Barcelone », Annales du Midi, 24, 1914, p. 449-457 ; ibidem, « L’antiga escola poètica de Barcelona », Quaderns d’estudi, 14, 1922, p. 51-58 ; ibidem, « La cançó provençal en la poesia catalana », Miscel·lània Prat de la Riba, Barcelona, IEC, 1932, v. I, p. 341-461 (voir maintenant Meritxell SIMÓ, Jaume Massó i Torrents : la cançó provençal en la literatura catalana cent anys després, Florence : Edizioni del Galluzzo per la Fondazione Ezio Franceschini, 2012, p. 146-147) ; Alfred JEANROY, La Póesie lyrique des troubadours, Toulouse-Paris, Privat-Didier, v. I, p. 302 ; ibidem, « La Poésie », déjà cité, p. 85-86 ; Higini ANGLÈS, La música a Catalunya fins al segle XIII, Barcelona : Institut d’Estudis Catalans i Biblioteca de Catalunya, 1935, p. 336-338 (« pròpiament tampoc no era català » p. 336) ; Jordi Rubió BALAGUER, Història de la literatura Catalana, Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1980, vol. I, p. 157-158 ; Martí DE RIQUER, « Contribución al estudio de los poetas catalanes que concurrieron a las justas de Tolosa », BSCC, 26, 1950, p. 280-310 ; Martí DE RIQUER, Història de la literatura catalana. Part Antiga, Ariel, Barcelona, 1984, v. II p. 23-26 ; Josep M. CASAS HOMS éd. Joan de Castellnou (Segle XIV). Obres en prosa, Barcelona : Fundació Salvador Vives Casajuana, 1969, p. 29-33 ; Maurizio PERUGI, Trovatori a Valchiusa : Un frammento della cultura provenzale del Petrarca, Padova, Antenore, 1985, p. 94-95, 137-139 ; Pilar OLIVELLA, « À propos de l’œuvre de Raimon de Cornet copiée en Catalogne », Butlletin de l’AIEO, 14, 1998, p. 51-61 ; « Raimon de Cornet, una mostra de poesia tolosana a Catalunya », Actes du Ve Congrès International de l’AIEO, Toulouse, I, 167-177 ; « La poesia occitana », déjà cité, p. 87-95 ; « El joc acrobàtic d’Austorc de Galhac i Joan de Castellnou », Literatura i cultura a la Corona d’Aragó, ed. L. BADIA, M. CABRÉ et S. MARTÍ, Barcelona, Curial-PAM, 2002, p. 385-407 ; Paolo MANINCHEDDA (éd.), Joan de Castellnou, Compendis de la conexença dels vicis que·s podon esdevenir en los dictats del Gay Saber, Cagliari : Cooperativa Universitaria Editrice Cagliaritana, 2003, 2a éd. révisée, p. 9-13 ; CURA CURÀ, Seguen…, déjà cité, p. 372-376 ; Miriam CABRÉ, « La lírica d’arrel », déjà cité, p. 281-291. 22. Les exemples sont : « Voler, poder, saber | a le reys aragones, | verays, gays e cortes | e ric de terra e d’haver » [le roi Aragonais possède vouloir, pouvoir, savoir ; il est proche de la vérité, joyeux et courtois et riche de terres et de possessions] (§12) — citation qui offre cependant certains parallèles avec les Leys d’amor (III, 166) — et « N’Amfos fo bos reys » [Alphonse fut un bon roi] (§3). 23. Cf. Pere PONSICH, « Castellnou dels Aspres : Castell de Castellnou », Catalunya Romànica, vol. 14 : El Rosselló, Barcelona : Enciclopèdia Catalana, 1993, p. 185-189 (arbre généalogique à p. 186). 24. Voir aussi note 37. 25. Le Doctrinal de trobar est conservé seulement aux f. 65-82 du manuscrit 239 de Biblioteca de Catalunya, à Barcelone. Il contient aussi : Berenguer d’Anoia, Mirall de trobar (f. 1-11) ; Jofre de Foixà, Regles de trobar, f. 12-23) ; Ramon Vidal de Besalú, Razós de trobar (f. 24-29) ; Doctrina de compondre dictats (f. 29-31) ; Joan de Castellnou, Compendi de la conexença dels vicis que’s pòdon esdevenir en los dictats del Gay Saber (f. 32-57) ; Terramagnino de Pisa, Doctrina d’acort (f. 57v-64v) ; Ramon de Cornet, « Doctrinal de trobar am la glosa o correcció e declaració sua » (f. 65-82) ; Guilhem Molinier, Les flors del Gay Saber (ff. 83-158) ; et Jaume March, Libre de concordances (ff. 161-185). Pour ce manuscrit, voir Simone VENTURA, « Poesia, grammatica, testo : il Mirall de Trobar di Berenguer d’Anoia e il ms. 239 della Biblioteca de Catalunya », Cobles e lays, danses e bon saber. L’última cançó dels trobadors a Catalunya : llengua, forma, edició, ed. A. ALBERNI et S. VENTURA, Roma, Viella, 2016, p. 159-186. 26. Cette lettre, aujourd’hui dans le fonds de la Biblioteca Ambrosiana de Milan (ms. D 465 inf.), a été retrouvée parmi les notes de Gian Vincenzo Pinelli (1535-1601), mais le modèle de copie était

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très probablement les papiers de l’intellectuel protestant catalan Pere Galès (1537-1549), connu aussi comme Petrus Galesius. La lettre s’accompagne d’un bref extrait du Glosari. 27. La lettre est rubriquée à Chosan et transmise à travers un certain Jachme de Chosan. Noulet et Chabaneau l’ont interprété comme l’actuelle Couiza, dans la région de l’Aude mais la forme latine médiévale habituelle au XIVe siècle (Cuizanum) ne s’adapte pas facilement aux formes Chosan et Choan présentes dans le document. Pourtant, la seconde suggestion des deux savants, Cossan (occ. Coçan < Cossanum), en Ariège, près de Pamiers — à mi-chemin entre Toulouse et Foix — semble plus acceptable. Cf. Noulet et Chabaneau, Deux ms., déjà cité, p. 238-239, qui éditent pour la première fois cette lettre. L’identification du toponyme avec l’Aude est aussi acceptée par CASAS HOMS, Compendi, déjà cité, p. 203. 28. Nous citons toujours les lyriques par l’édition CURA CURÀ, dans Seguen…, déjà cité. 29. La seigneurie de Biscaye a une longue relation avec la poésie : cf. Joseph ANGLADE, « Les troubadours provençaux en Biscaye », Revista de Filología Española, 15, 1928, p. 343-353 et aussi une contextualisation historique mise à jour par Carlos Estepa, « Doña Juana Núñez y el señorío de los Lara », e-Spania, 1, juin 2006 http://e-spania.revues.org/315. 30. Voir l’édition d’Amedée PAGÈS, aux p. 119-139 de son La « Vesio » de Bernat de So et le « Debat entre honor e delit » de Jacme March. Poèmes provenço-catalans du XIVe siècle. Suivis du « sirventes » de Joan de Castellnou, Toulouse-Paris, 1945. Les rois convoqués sont Alphonse XI de Castille (roi de 1312-1350), Pierre III d’Aragon (1336-1387), Edouard III d’Angleterre (1327-1377), Jacques II de Majorque (1324-1349), Alphonse IV de Portugal (1325-1357), Philippe d’Evreux de Navarre (1328-1349) et Philippe VI de Valois (1328-1350). 31. CABRÉ et MARTÍ, « La chansonnier Sg », déjà cité, p. 131-132. 32. Peut-être pouvons-nous maintenant le placer entre 1340 et 1342. L’indice-clé, c’est la référence au beguinatge de Bernat de Cabrera. Alejandro MARTÍNEZ GIRALT, « L’agitat retir monàstic del vescomte Bernat II de Cabrera », Quaderns de la Selva, 20, 2008, p. 43-59, montre comment la cession des droits vicomtaux de Bernat, qui devait supposer le premier pas vers son refus du monde et la pratique du béguinage, n’entre en vigueur qu’en 1347, alors qu’elle était prévue en 1341. En réalité en 1343, Bernat II était en Castille, pour défendre ses intérêts familiaux et pour participer au siège d’Algésiras. Bernat, imitant son père, avait donc l’intention de se retirer et il l’a peut-être fait pendant une période courte et intermittente mais en 1343 il avait déjà abandonné sa retraite. Voir aussi Santiago SOBREQUÉS, Els barons catalans, Barcelona : Vicens Vives, 1957, p. 46. 33. Voir Rodrigue TRÉTON, Diplomatari del Masdéu, Barcelona, Fundació Noguera, 2010, v. I, pp. 69 et 73-75, et Pere PONSICH, Catalunya Romànica, XIV : Rosselló, Barcelona, Enciclopèdia Catalana, 1993, pp. 68 et 430-433. 34. Pour Salvador Ramaç, cf. NAVAS, « Poètica i literatura… », déjà cité, p. 95-98. Voici ce texte, rempli d’informations parfois peu valorisées sur la poésie de cette période : Crònica de Ramon Muntaner (1325-28) : chap. 398 : « E com foren tuit asseguts en Remaset joglar cantà altes veus un serventesc davant lo senyor rei novell, que·l senyor infant en Pere hac feit a honor del dit senyor rei. E la sentència del dit serventesc era aital : que·l dit senyor infant li dix en aquell què significava la corona e el pom e la verga, e segons la significança lo senyor rei què devia fer, e per ço que ho sapiats, vull-us-ho dir en summa … E aprés com lo dit Romaset hac dit lo sirventesc, en Comí dix una cançó novella que hac feita lo dit senyor infant en Pere. E per ço com en Comí canta mills que null hom de Catalunya, donà-la a ell que la cantàs. E com la hac cantada, callà ; e llevà’s en Novellet joglar e dix en parlant DCC versos rimats que·l dit senyor infant en Pere havia novellament feits … sobre el regiment que el dit senyor rei deu fer a l’ordonació de la sua cort e de tots los seus oficials ». [Et lorsque nous fûmes tous assis, En Romaset, jongleur, chanta à haute voix devant monseigneur le nouveau roi un sirventés que le seigneur infant Pierre avait composé en l’honneur dudit seigneur roi et le sens de ce sirventés était que ledit seigneur infant expliquait

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dans cette pièce ce que signifiaient la couronne, le globe et le sceptre ; d’après ladite signification, il disait ce que le roi devait faire afin que vous le sachiez, je vais vous le dire en somme … Quand ledit En Romaset eut dit ce sirventés, En Comi chanta une chanson nouvelle, qu’avait faite aussi ledit seigneur infant En Pierre ; il la lui avait donnée à chanter parce qu’En Comi était l’homme de Catalogne qui chantait le mieux. Quand En Comi l’eut chantée, il se tut ; et En Novellet, jongleur, se leva et récita sept cents vers rimés que ledit seigneur infant En Pierre avait composés tout nouvellement … [sur] l’établissement de la cour et de tous ses officiers (Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le XIIIe siècle, par J.A.C. BUCHON, Paris, Abel Pilon, 1875, cc. 562-563)]. Voir ainsi le commentaire de Navas, ib. 35. C’est l’une des voies soulignées dans l’analyse de Cabré et Navàs, « Que·l rey », déjà cité. L’importance culturelle de l’infant Pierre était bien connue dès les premiers historiens de la culture catalane, mais ce n’est que depuis peu que celui-ci a commencé à être étudié d’une façon plus ambitieuse. Voir les divers travaux d’A. BEAUCHAMP, dont nous signalons la thèse doctorale inédite « Gouverner la Couronne d’Aragon en absence du roi : la lieutenance générale de l’infant Pierre d’Aragon (1354-1355) », , Univ. de Bordeaux III, 2005, et Lluís CABRÉ, « L’infant Pere d’Empúries i la tradició familiar : estampes en el setè centenari del seu naixement », Mot so razo, 4, 2006, p. 69-83. À consulter aussi le volume L’infant Pere d’Aragó i d’Anjou : “molt graciós e savi senyor”, ed. A. Conejo da Pena, Vandellós i l’Hospitalet de l’Infant/Valls : Ajuntament de Vandellós i l’Hospitalet de l’Infant/Cossetaina Edicions, 2015, 351 p., et, en particulier les p. 87-110, correspondantes à Marina Navàs, « Poètica i literatura », déjà cité. 36. Pour le contenu littéraire de la poésie de Castellnou et son contexte, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à Sadurní MARTÍ, « Joan de Castellnou revisité (2) : contexte littéraire », en préparation. 37. La qualification de mossen se trouve uniquement au manuscrit Bc. Pour le problème de Castellnou comme mantenidor, voir A. JEANROY, La Poésie, déjà cité, v. I, p. 302 et 390 et « La Poésie », déjà cité, p. 88-89, et CURA CURÀ, Seguen, déjà cité, p. 374-376. 38. G. CURA CURÀ, Seguen, déjà cité, p. 375 et P. OLIVELLA, « El joc acrobàtic », déjà cité, p. 396. 39. Pour ce problème épineux, voir P. MANINCHEDDA, Compendi, pp. 16 et 22, et Beatrice FEDI, « Per un’edizione critica della prima redazione in prosa delle Leys d’Amors », Studi Medievali, s.t., 40, 1999, p. 43-118 et « Les « Leys d’Amors » et l’école de Toulouse : théorie et pratique de l’écriture au XIVe siècle, L’Occitanie invitée de l’Euregio. Liège 1981-Aix la-Chapelle 2008 : Bilan et perspectives, éd. A. RIEGER et D. SUMIEN, Aachen : Shaker Verlag, 2011, p. 365-378. 40. Sur cette poésie, voir notre édition pour le projet Troubadours, trouvères and the Crusades, dirigé par Linda PATERSON à l’Université de Warwick : http://www.rialto.unina.it/JnCas/ 518.10(Mart%C3%AD).htm et CURA CURÀ, Seguen, déjà cité, p. 393-403. 41. Pour les deux pièces de Cornet, voir maintenant l’édition de Marina Navàs sur le site Troubadours, trouvères and the Crusades : http://www.rialto.unina.it/RmCorn/558.4(Navas).htm et http://www.rialto.unina.it/RmCorn/558.31(Navas).htm. Pour Lunel, voir : http:// www.rialto.unina.it/PLun/289.1(Ricketts).htm et Cura Curà, Seguen, déjà cité, p. 329-336. 42. Les manuscrits connus du Compendi sont : Bc (Barcelona, Biblioteca de Catalunya, 239), dont on conserve une copie du XVIIe siècle (Madrid, Biblioteca Nacional de España, 13405) ; Bu (Barcelona, Biblioteca de Reserva de la Universitat de Barcelona, 150) et Mm (Palma, Societat Arqueològica Lul·liana, 5 — le chansonnier Aguiló). On connait maintenant un nouveau manuscrit complet du XVIIe (Palma, Arxiu del Regne de Mallorca, Fons Torroella, 646), qui est une copie indépendante. Pour plus de détails, cf. Martí, Sadurní et Marina Navàs, « Un nouveau témoin de la tradition manuscrite de Ramon de Cornet et Joan de Castellnou », La Réception des troubadours en Catalogne (s. XII-XX), éd. M. Cabré, S. Martí et A. Rossich, Turnhout, Brepols (« Publications de l’AIEO »), sous presse. Bu est un manuscrit exclusif, signé par Francesc Roig, avec une écriture de la fin du XIVe (même datation possible pour Bc) et avec de nombreuses corrections. Le manuscrit

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Mm est un chansonnier narratif catalan, conservé à Majorque. Il s’agit de copies avec une grande diversité dans la réalisation. Selon l’opinion de Casas Homs, on pourrait affirmer que « Bc té tot l’aspecte de llibre de consulta, pertanyent potser originàriament a una entitat literària » [Bc semble bien être un livre de consultation peut être appartenant originairement à une société littéraire] , et selon Massó i Torrents « podia haver pertangut a la biblioteca del Consistori del Gai Saber barceloní » [il appartenait peut être à la bibliothèque du Consistoire du Gay Savoir de Barcelone] ; « Bu és llibre particular de lectura de bibliòfil. Mm en canvi té tota l’aparença de llibre escolar, utilitari, de consulta freqüent » [Bu est un livre privé appartenant à un bibliophile. Mn semble par contre un livre d’école, un usuel, fréquemment consulté], p. 38-39. En tout cas, toute la transmission manuscrite des œuvres normatives de Castellnou se trouve, comme on l’a vu, dans des manuscrits d’origine catalane. 43. Voir éd. MANINCHEDDA, p. 165, qui interprète plausiblement proces comme ‘trattato, saggio’, suivant le « Schriftstück » de Levy, Provenzalisches Supplement Wörterbuch. 44. « Sempre che non si voglia identificare nell’autre proces la versione in versi delle Leys, nel qual caso sarebbe ben singolare che nessuno, neanche la seconda redazione in prosa, cosí prodiga di dettagli sulla storia del Consistori, abbia ricordato una cosí importante fatica del nostro autore » [a condition qu’on ne veuille pas identifier l’autre proces à la version en vers des Leys : dans ce cas il serait bien étrange que personne, même pas l’auteur de la deuxième rédaction en prose si riche de détails sur l’histoire du Consistori, n’ait pas rappelé le dur labeur de notre auteur], éd. MANINCHEDDA, p. 16. 45. L’édition de Maninchedda du Compendi (p. 41) suit pour ce passage la variante de Bc, qui ne contient cette référence aux Rocabertí. Le manuscrit Mn étant acéphale nous ne pouvons pas savoir — malgré la similarité générale avec Bu — quelle variante il contenait. Pourtant le nouveau manuscrit T lit (f. 18r) : « le quals Compendi ha fayt Johan de Castellnou, un dels visemantenidors del Consistori de Tolosa de la Gaya Sciença, a el noble e discret baró en Dalmas de Rochaberti, fill del noble en Dalmas de Rochaberti, vescomte de Rochaberti » (cf. Martí et Navàs, « Un nouveau », déjà cité). Dans un travail récent, Victor FARIAS (« Privilegiamus et enfranchimus et libertatem perpetuo concedimus. Los judíos de una villa catalana y sus privilegios : el caso de Peralada hacia 1300 », Inversors, banquers i jueus. Les xarxes financeres a la Corona d’Aragó (s. XIV-XV), Palma : Edicions Documenta Balear, 2015, p. 109-120) a remarqué, à la note 7, p. 112, que l’« historia del linaje vizcondal está por escribir » et que les études existantes « requieren una revisión a fondo a partir de las fuentes disponibles ». 46. Pour Felip Dalmau, voir M. MILÀ I FONTANALS, Obras completas, III : Estudios sobre Historia, Lengua y Literatura de Cataluña, Barcelona : Libreria de Álvaro Verdaguer, 1890, v. III, p. 316-317 ; A. PAGÈS, Auzias March et ses prédécesseurs : Essai sur la poésie amoureuse et philosophique en Catalogne aux XIVe et XVe siècles, Paris, Champion, 1912, p. 342 ; A. JEANROY, « La Póésie », déjà cité, p. 103-104, A. PAGÈS, La « Vesió », déjà cité, p. 133 ; pour Dalmau, voir CASAS HOMS, voir Joan de Castellnou, déjà cité, p. 49. Sur le lignage des Rocabertí et les lettres, voir Josep ROMEU I FIGUERAS, « Guerau de Maçanet, entre la realitat lírica i la identificació hipotètica », Homenatge Josep M. de Casacuberta, Barcelona : Abadia de Montserrat, 1981, vol. II, pp. 145-183 (spécialement les p. 180-181). 47. Pour le premier, cf. Barcelona, ACA, Cancelleria [C], reg. 197, f. 74r, 1299, et ACA, C, reg. 211, f. 210rv, 1314. Pour le second, Arxiu Diocesà de Girona [ADG], G-4, f. 104v-105r, 1324/04/02 ; ADG, G-4, f. 105v, 1324/04/06 ; ADG, G-4, f. 114v, 1324/01/05 ; ADG, G-4, f. 119v, 1324/05/23 ; ADG, G-4, f. 120v, 1324/05/29 ; ADG, G-7, f. 9r, 1329/12/04. Nous remercions Albert Reixach pour les données documentaires sur la vicomté de Rocabertí. 48. B. FEDI « Considérations sur la réception des Leys d’Amors/Flors del gay saber en Catalogne : de Jaume March à Lluís d’Averçó », La Réception des troubadours en Catalogne (siècles XIII-XX), ed. M. Cabré, S. Martí, A. Rossich, Turnhout, Brepols, 2017, sous presse.

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49. M. GÓMEZ MUNTANÉ, La música en la casa real catalano-aragonesa durante los años 1336-1432, Barcelona, Bosch, 1979, 2 vols. 50. F. A. GALLO, « Musica, poetica e retorica nel Quattrocento : L’Illuminator di Giacomo Borbo », Rivista Italiana di Musicologia, 10, 1975, p. 74-75. 51. G. MELE, « I cantori della cappella di Giovanni I il Cacciatore, re d’Aragona (anni 1379-1396) », Anuario musical, 41, 1986, 63-104 ; Maria Mercè Costa, El santuari de Santa Maria de Bonaire a la ciutat de Càller, Cagliari, 1973, p. 97. 52. Communication personnelle (25.10.2005). Voir aussi M. GÓMEZ MUNTANÉ, La música medieval en España, Kassel, Reichenberger, 2002, p. 231-237. 53. Heureusement, la documentation sur la vie de la chapelle royale aux temps de Pierre III et Éléonore de Sicile est abondante. Pour le cas de la reine Éléonore, nous pouvons compter maintenant sur Alexandra BEAUCHAMP, « La chapelle d’Éléonore de Sicile, reine d’Aragon de 1349 à 1375 », La dame de cœur. Patronage et mécénat religieux des femmes de pouvoir dans l’Europe des XIVe- XVIIe siècles, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 23-36. Elle décrit d’abord les fonctions et les origines des membres de la chapelle religieuse et de la chapelle musicale durant presque trente ans, ainsi que le trésor appartenant à la chapelle de la reine. Tandis que la chapelle musicale de Pierre III avait entre deux et six musiciens, celle de la reine n’en avait que deux à partir de 1350, dont un cabiscol ou chef de chœur (scholania). Au service de la reine se succèdent Joan de Castellnou (juin 1350-octobre 1354), Jean Cossart (juin 1357-décembre 1363), Boniface de Chartres (1359-1362) et Assensi Bataller (1366-1375). La documentation ne donne pas de détails spécifiques sur les fonctions des musiciens, mais on peut établir des parallèles avec d’autres cours européennes et supposer qu’ils participaient aussi à d’autres évènements de la vie de la cour, comme cela se faisait à la cour de Bourgogne (cf. David FIALA, « La cour de Bourgogne et l’histoire de la musique », La cour de Bourgogne et l’Europe. Le rayonnement et les limites d’un modèle culturel, Ostfildem, Thorbecke, 2013, p. 375-399). Dans le cas bourguignon, la « chapelle domestique est un corps autonome de l’hôtel, dont la fonction consiste à chanter quotidiennement la messe, les vêpres et complies » ; à la fin du XIVe, elle était composée de quatre groupes de professionnels : les membres de la chapelle domestique (« tous avec des compétences musicales, minimales pour les officiers chargés de célébrer les services religieux à l’autel, plus abouties, voire exceptionnelles, pour les chantres qui chantent au pupitre »), les trompettes (officiaux laïques qui annonçaient la présence des ducs), les ménestrels hauts et bas et les valets de chambre (p. 393). 54. Antoni RUBIÓ I LLUCH, Documents per a l’historia de la cultura catalana mig-eval, Barcelona : Institut d’Estudis Catalans, v. II, document LXXI, p. 71. 55. D’une façon parallèle, on a pu relever que Castellnou, dans quelques passages de ses œuvres, montre une certaine familiarité envers les terres occitanes : « No me·m partray, enans, per ço que nascha | entr’ambedos gaug e fin’amos crescha, | say en Tolssa, qui que·m ronçe la flescha, | ne xantaray e dins la terra guascha » [Je ne m’en partirai pas, mais, pour que joy et fin’amor puissent naître entre nous, ici à Toulouse, je chanterai, qui que me lance la flèche] (« Pus midons val tant, si Deus m’enantischa », VIII vv. 38-41 ; BPP 518,4). D’autre part, on a remarqué que dans le Glosari, on peut trouver des indications dialectologiques qui semblent indiquer aussi une identification occitane : lorsque Cornet écrit « Nominatius vol le | mas femes lhi la te » [le nominatif demande le / mais au féminin présente « lhi » et « la »], Castellnou réplique : « Vertat es de la, fals es de lhi o de li (am h o ses h), qar si en Alvernha hom dits li dons o li res, ges per ço no se sec que sia legut dire li dona o li mayzo entre nos, car tug li vocable del Limosi ni d’Alvernha no son abte ni convenable a far dictatz » [La forme correcte est la ; lhi et li (avec h ou sans h) sont des formes erronées, car tandis que en Alvergne l’on dit li dons ou li res, cependant on ne peut pas accepter qu’il soit correct de dire li dona ou li mayzo entre nous, parce que tous les mots du Limousin ni d’Auvergne ne sont pas acceptables pour écrire de la poésie] (ed. Casas Homs, p. 170).

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56. Nous y ajouterions une dernière donnée. Dans une lettre datée du 20.6.1353 [ACA, Curia de Pere III, reg. 1142 ff. 77v-78r], Pierre III donne des instructions à Joan pour intervenir en tant qu’ambassadeur devant le cardinal du Périgord (Hélie de Talleyrand-Périgord, 1301-1364) sur l’affaire du mariage de l’infante Isabelle de Majorque (1337-c.1404-1406), sœur de Jacques IV de Majorque, emprisonnée à Xàtiva avec sa mère après la défaite de 1349. Le roi Pierre y suggère un mariage de préférence avec Roger de Durazzo, neveu du cardinal, mais n’exclut pas d’autres arrangements. En 1358, Isabelle, après avoir renoncé aux prétentions successorales, épousa Jean II de Montferrat (1321-1372), marquis de Montferrat dès 1338, fils de Théodore I [Commenos Paleologue] de Montferrat et de Yolande de Montferrat. Sur les caractéristiques de la diplomatie catalane, cf. la liste et les attributions des ambassadeurs de l’époque de Jacques II dans Stéphane Péquignot, Au nom du roi : pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d’Aragon (1291-1327), Madrid : Casa de Velázquez, 2009, appendice I.

AUTEUR

SADURNÍ MARTÍ

Institut de Llengua i Cultura Catalanes, Universitat de Girona

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Trois Histoires drôles en occitan du bas Limousin (Sainte-Fortunade, Corrèze) : édition philologique et glossaire

Lucette Ludier-Soleilhavoup

NOTE DE L’ÉDITEUR

Version électronique corrigée (février 2018)

Nous remercions Monsieur Jean-Pierre Chambon de l’aide qu’il nous a apportée pendant l’élaboration de cet article.

1 Les trois textes oraux publiés ci-dessous sont de brèves histoires drôles appelées localement niorles. Nous les avons enregistrés le 14 août 2014, dans une atmosphère chaleureuse et détendue, à Sainte-Fortunade, une commune rurale de 1 781 habitants, constituée d’un village (le bourg) et de 140 hameaux. Cette commune est située dans le département de la Corrèze, en Limousin, à 10 km au sud de Tulle. La langue qui y est traditionnellement pratiquée est une variété de l’occitan-langue d’oc. Cependant les informateurs refusent le terme d’occitan et préfèrent nommer leur langue « le patois de Sainte-Fortunade ». Ils revendiquent fièrement et fortement cette appellation. Le nombre de locuteurs qui s’expriment en occitan décroît rapidement dans la commune. Lorsque les habitants sont interrogés, la réponse est pratiquement toujours la même : « Mes parents parlaient patois entre eux ou avec leurs amis mais ils s’adressaient toujours en français à leurs enfants ». Dans les foyers, désormais, le dialogue s’établit exclusivement en français.

2 Les deux premiers textes, [Ce n’était pas la faute du cochon] et [Le père de mon frère était mort aussi], ont été contés dans cette commune, par Jean Vieillefond (dit Jeannot). Notre informateur était âgé de 81 ans au moment de l’enregistrement. Né à Sainte-

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Fortunade, il a fait des études au collège technique d’Égletons (Corrèze) où il a obtenu le brevet industriel d’ajusteur. Il a vécu dans son village natal jusqu’à 19 ans. Il a travaillé ensuite pendant huit ans en qualité d’agent technique au bureau de fabrication de Panhard, à Paris, de 1952 à 1960. Il est revenu en Corrèze en 1961 à Tulle où il a exploité de 1961 à 1993, avec sa femme, une épicerie au Trech, un quartier de Tulle jaloux de son originalité, élisant son maire et ayant des activités de cabaret. Il habite actuellement dans son village natal où il est revenu, en 1993, à sa retraite. De 1984 à 2009, il a fait partie du groupe qui animait le cabaret du Trech. Il improvisait des sketches et racontait des niorles en patois de Sainte-Fortunade. Dans son enfance et son adolescence Jeannot Vieillefond écoutait beaucoup parler sa grand-mère et conversait avec elle en occitan de Sainte-Fortunade. 3 La troisième niorle [D’où venait l’odeur du fromage de Roquefort ?] a été contée par Robert Faurie. Celui-ci était âgé de 78 ans au moment de l’enregistrement. Il a toujours vécu à Sainte-Fortunade, sa commune natale, au hameau des Places. À l’issue de la classe de troisième il a réussi le concours d’entrée à l’école de formation technique de la manufacture d’armes de Tulle. Il a effectué toute sa carrière dans cet établissement où il a terminé avec le grade d’ingénieur technique d’études et de fabrication. Depuis sa retraite, en 1994, il joue dans des pièces de théâtre locales. À l’école primaire de Sainte- Fortunade, beaucoup d’enfants s’exprimaient en patois. Lorsqu’il était adolescent il éprouvait un grand plaisir à converser en patois avec l’un de ses oncles qui ne savait, dit-il, ni lire, ni écrire, ni parler le français. Après son mariage, en 1960, il conversait naturellement en occitan avec sa belle-mère, mais surtout avec son beau-père. 4 Les trois textes recueillis sont notés au moyen des symboles de l’A.P.I. Nous en donnons également deux transcriptions en graphies conventionnelles. Il existe en effet, dans la commune de Sainte-Fortunade une graphie conventionnelle locale ‘spontanée’ due à André Lagarde. Celui-ci a bien voulu transcrire ces trois textes dans sa graphie1. La transcription en graphie classique (alibertine), graphie la plus employée en Limousin, a été faite par Claude Chabrerie 2. Nous remercions André Lagarde et Claude Chabrerie de leurs transcriptions. 5 Les textes sont suivis d’un glossaire exhaustif. Pour élaborer ce glossaire nous nous sommes efforcés de suivre les recommandations de Chambon (2015). Nous indiquons le point le plus proche de l’ALAL (Le Chastang, point 41) et nous renvoyons systématiquement au FEW. Les entrées du glossaire, pour les formes verbales, sont à l’infinitif. Elles ont été données par Robert Faurie et André Lagarde. Quand l’infinitif n’est pas présent dans les textes, nous le plaçons entre parenthèses.

Textes

I. [Ce n’était pas la faute du cochon…]

[ 1 la maˈʁiː / ˈɟi a ʃu ̃ fɛʁˈna ̃ / 2 «ˈd j izaˈmi fɛʁˈnãː / aˈneː / ˈk ɛi ̯ tun anivɛʁˈʃɐːre / 3 e ʃi faˈʒjã œm̃ ˈpau̯ de ˈfɛɧtə ? » ◌̶ 4 ˈa ːːː / puˈdɛ̃mˈbiː / maˈʁiː / bjɛ̃ ʃiˈɡyːʁ / 5puˈdɛ̃ˈ fa la ˈfɛːɧta / ◌̶ 6ˈʃabi ̆ ˈpa ? / fɛʁˈnãː ? / 7 ! / 8 ˈduja ̃ ˈcɥa lə ɡaˈ nju / eː / iṽ jitaˈjã / tu lu vjiˈʒiː / pɛʁ ˈfa la ˈfɛɧtɐ / ◌̶ 9 ˈă͡ɔːː ˈmɛ i̭ / jɔˈvɔləˈbjɛ̃ᵑ / 10mɛː / djizaˈmi maˈʁiː / ˈk ɛɪ̭̆ ka ˈmɛma ˈpa də ɧa ˈfauta̯ dei̯ ɡaˈju /] (Rires.)

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1 [la ma’ʁiː] le prénom Marie, de même que tous les prénoms utilisés en fonction de sujet, sont précédés de l’article. 3 [œm̃ ˈpau̯ de ˈfɛɧtə] : litt. “un peu de fête”. 7 [!] note un clic alvéolaire. 8 [ˈduja]̃ déplacement de l’accent tonique sur la première syllabe, après une longue pause.

Transcription en graphie locale par André Lagarde

1La Marie dyi a choun Fernand̀ : ◌̶ 2Dyiza mi, Fernand,̀ ané queï toun anyivèrcharé ! 3E chi fajians ün paou dé feshtà ? ◌̶ 4A, poudins bi, Marie, bien chigur ; 5poudins fa la feshta.̀ ◌̶ 6chabish pas, Fèrnand ? 8Douyans tyua lé ganiou, é ïnvyitayans tous lous vijis pèr fa la feshta.̀ ◌̶ 9A, mé ! Yeoù voli bien. 10Mè dyiza mi, Marie : queï quant memà pas dé cha faouta, deï ganiou ! ?

Transcription en graphie classique par Claude Chabrerie

1La Mari ditz a son Fernand : ◌̶ 2 Dija-me, Fernand, anuech qu’es ton anniversari. 3e si fasiam un pauc de festa. ◌̶ 4A, podem be, Mari, bien segur, 5podem far la festa. ◌̶ 6Sabes pas, Fernand, 8deuriam tuar lo ganhon, e invitariam tots los vesins per far la festa. ◌̶ 9A mas ieu volè bien. 10Mas, dija-me, qu’es pertant pas de sa fauta al ganhon.

Traduction française

1La Marie dit à son (mari) Fernand : ◌̶ 2Dis-moi, Fernand, aujourd’hui, c’est ton anniversaire. 3Et si nous faisions une petite fête ? ◌̶ 4Ah, nous pouvons bien, Marie, bien sûr. 5Nous pouvons faire la fête. ◌̶ 6 Tu ne sais pas, Fernand ? 7(clic) 8Nous devrions tuer le cochon, et nous inviterions tous les voisins pour faire la fête. ◌̶ 9Oh, mais ! Moi je veux bien. 10Mais dis-moi, Marie : ce n’est quand même pas de sa faute, au cochon ! ? (Rires.)

II. [Le père de mon frère était mort aussi]

[1 ɪ̃ ˈ zuːʁ / lɨ ˈpjɛʁ / daˈmad̃ / a ʃũ kɔˈpɛ̃ / ◌̶ 2 ɟizaˈmiː / ˈʃɛ bjɛ̃ ˈtʁiçtə / aˈneː / ◌̶ 3 o : : : / m ɛ̃m ˈpaːʁli ˈpaː / 4ˈmũm ˈpaɪ̯ːʁə / ve de muˈʁiː / ˈmu ̃ ˈpau̯ːrᶦ / 5ˈmeː ˈk ɛj paɧ ˈtuː / ◌̶ 6e ki ˈk ɛj ki jaː ɪ̃ˈkɛʁɐ ? / – 7e ˈbi : / ˈɧabɨ ˈpaː / mu ̃ ˈfʁaɪ̯ːrə / ˈve de me teleˈfunaː / ˈpɛʁ mi ˈɟiʁə / kə ˈɧũ m ˈpaɪ̯ːʁ ɛˈʁa ˈmɔʁ] (Rires.) 3 [muˈʁi] la consonne [ʁ] est particulièrement énergique.

Transcription en graphie locale par André Lagarde

1 Ün zour, li Pierre damand’a choun copin :

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2Dyiza mi, chès bien trishté ané, 3O, m’ïn parlish pas, 4moun païré vé dé mouri, moun paouré, 5mé queï pash tout ! ◌̶ 6E qui queï qui i a ïnquèra ? ◌̶ 7E bi, chabish pas, moun fraïré vé dé mé téléfouna pèr mi dyiré qui choun païré éra mort !

Transcription en graphie classique par Claude Chabrerie

1Un jorn, lo Peire damanda a son còpen3, ◌̶ 2 Dija-me, ses bien triste anuech, ◌̶ 3 Ò me’n parles pas, 4 mon paire ven de morir mon paubre, 5 mas qu’es pas tot… ◌̶ 6 E que qu’es que i a enquera ? ◌̶ 7 E be, sabes pas, mon fraire ven de me telefonar per me dire que son paire era mort.̀

Traduction française

1 Un jour, Pierre demande à son copain ◌̶ 2Dis-moi, tu es bien triste aujourd’hui. ◌̶ 3Oh ! Ne m’en parle pas, 4 Mon père vient de mourir, mon pauvre ! 5 Mais ce n’est pas tout !… ◌̶ 6Et qu’y a-t-il encore ? ◌̶ 7Eh bien, tu ne sais pas ? Mon frère vient de me téléphoner pour me dire que son père était mort. (Rires.)

III. [D’où venait l’odeur du fromage de Roquefort ?]

[1le fruˈmaːze də ʁɔkəˈfɔʁ. 2ˈʁɔʒaː / e ɧu ̃ ˈn ɔmə piʧ jo ˈzãː / 3 ˈdu ˈvjɛu̯ː d e ʃjɛjˈɧatã ːduˈz a ̃ / 4ki n aˈvjiu ̯ zaˈmaj aɡy de faˈmijaː / 5viˈvjiu̯ː de /… / ˈjuʁ kuˈmɛʁɧɪ d epiˈʃ je / a l ˈub̃ ʁ ɐ de ˈjyʁ vjɛʁ ˈkluʧi / 6l au’t̯ ʁɪ ˈzuʁ / ˈpʁi d ɪna feˈblɛɧ a / tu d ɪ̃ ˈko / piʧjo ˈza ̃ ɧ afɛˈɧ a / 7e ˈtɔ̃ba ˈʁɛjdə avɪnɪ ˈʒjiː / 8ˈkuma ˈfaj ũ kaˈkaʁ muˈʒi / 9ˈʁɔʒa / ᶴə ʁaˈpʁɔs a ˈde ˈjiʁ / ɡaˈlɔp a la mɛʲˈzuː viˈʒ jina ɛ̃ deˈmɔʁ ɑ lᵉ mᵉdiˈʃiː / ˈkᵉ ɟystaˈmɪ̃ ɛˈʁaː sa ˈɧiː / 10ˈlɛu̯ aʁiˈbaː / lə ɡaʁiˈɧajʁə / aˈtʁapa ˈla ˈmo də piʧjo ˈzã / e ˈɟiː / ◌̶ 11n a ˈpa ʒaˈɡy dᵉ ko d e ˈɧa ̃ / 12ˈk ɛj ˈʃu ̃ diˈɟynaː k a ˈmau ̯ paˈɧa / e ˈʃ jiʁaː ˈlɛu̯ ʁavjiɧkuˈlaː / 13n aˈvɛ ˈpa y ̃ ˈpau ̯ d ˈajɡᵄ de kolɔˈn jɔ / da ˈkil ˈajɡᵄ kᵉ ˈn a ̃ ʃᵉ ˈkɔn jə ˈʃyʁ lə ˈsaːj pɛʁ ʃɪ̃ˈtʁə ˈbu / u ˈbe lə ˈfũ d ỹ baʁiˈko ki ʃɪ̃ˈtaː l ˈaɡʁɪ ?/ ◌̶ 14ɛj ˈbe muˈʃyʁ ˈdə ˈbu ̃ vj i ˈnaːɡʁɪ / 15ˈme ʃi ˈsɔu̯ː ˈkᵉ ka ʃɪ̃tɐ ˈfɔʁ / ɛj ˈdɛj fruːˈmaːzə / ki / de ʁɔkəˈfɔʁ ˈki j pwiˈʁi / e ˈkiː pɛʁ mũˈn aʁmə jaː ˈkaː di ˈbɔtə dɪ zɪ̃ˈdaːʁmə ki ˈpydə maj ki ˈjiʁ / 16 lə midiˈʃjɪ prĩ dᵉ fruˈmaːzə / nɪ̃ ˈkɔpɐ ˈɡro ˈkum ỹ kaˈkaːʁ / 17 ɪ̃ ʃũ ˈdɪ ki ˈvaj vjiʁuˈna ˈkuma ky maˈɧuna / jɪː ʁãˈpɪː lᵉ ˈkʁøː de ʃũ ˈnaː / 18 e piˈʧjo zã ki /…/ ka piˈkava ˈtu duɧaˈmɪ̃ ʁavjiɧkuˈlava / ɪ̃ maʁmuˈnɪ̃ ˈɪ̃tʁə ɧaː ˈdɪ̃ / ◌̶ 19 ˈʁɔʒɐː ˈʁɔʒɐː ˈʧiʁə tũ ˈcuʁ d aːʧɪ u ˈjɛu mə ˈtɔʁn avinɪˈʒjɪ] (Rires.) 4 [zaˈmaj] la première syllabe est particulièrement énergique. 4 [ˈki n avjiu̯ ˈzamaj aɡy de faˈmijaː ] : litt. “qui n’avaient jamais eu de famille”. 5 […] : le conteur hésite.

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13 [da ˈkil ajˈɡᵄ kᵉ ˈn a ̃ ʃᵉ ˈkɔn jə ˈʃyʁ lə ˈsaːj] : litt. “de cette eau que l’on se cogne sur la tête”. 15 [ jaː ˈkaː di ˈbɔtə dɪ zɪ̃ˈdaːʁmə ki ˈpydə maj ki ˈjiʁ ] : litt. “il n’y a aucune botte de gendarme qui pue plus que lui ”. 15 [ˈke ka] “que cela” [ka]s’entend à peine. 15 [ki] erreur du conteur qui oublie de nommer de quel fromage il s’agit. Il se reprend immédiatement après. 17 [lᵉ ˈkʁøː] : le conteur ralentit son débit en appuyant sur la dernièrè syllabe. 18 […] : ici, le conteur commet une erreur ; il dit [ki kapiˈtavə] au lieu de [ki kapiˈkavə]. Il ponctue son erreur en prononçant un juron en français puis continue le récit en occitan.

Transcription en graphie locale par André Lagarde

1Lé froumazé dé Roquefort. 2Roja é choun omé, pitiot Zan, 3 dous vièous dé chièchanta douz’ans 4qué n’avïou zamaï agu dé famiya 5vivyïou dé your coumèrchi d’ishpichié, a l’oumbra dé your vièr cloutyé, 6L’aoutré zour, pris d’ïna féblècha, tout d’ïn co pitiot Zan ch’afècha 7 é tomba ridé aviniji, 8 couma faï ün cacar mouji. 9Roja qu’éra prossa dé yir, galop’a la mèïzou vijina ïn démora lé médichi, qué dyushtamïn èra sa chi. 10Lèou ariba, le garichaïra atrapa la mo dé pitiot Zan é dji : ◌̶ 11N’a pas agu dé co dé chan, 12 queï choun didjuna qu’a maou pacha é chira lèou ravyishcoula. 13 N’avèsh pas ün paou d’aïga dé colonia, d’aquil ’aïga qué n’en ché conia chur lé saï pèr chïntré bou, ou bé lé foun d’ün barico qui chïnta l’agri ? ◌̶ 14Aï bé, mouchur dé boun vyinagri, 15mé chi soou qué qua chïnta fort, aï deï froumazé dé Roquefort qu’ish pouiri é qué, pèr moun arma, y a qua dé bota dé zïndarma qui puda maï qui yir. » 16 Lé médichi prïn lé froumazé, n’in copa gro coum’ün cacar. 17 Ïn choun di qui vaï, vyirouna couma cu machouna, yï rempi lé creu dé choun na, 18 E pitiot Zan qué qua pyicava, tout douchamïn ravyishcoulava é marmouné ïntré chas dïns : – 19Roja, Roja, tyira toun tyour d’atyi ou yèou mé torn’avéniji.

Transcription en graphie classique par Claude Chabrerie

1Le fromatge de Rocafort.̀ 2Rosà e son omè pitiot̀ Jan, 3dos vielhs de seissanta-dotze ans 4que n’aviań jamai agut de familha 5viviań de lor comerci d’espiciers a l’ombra de lor vielh clochier. 6 L’autre jorn, pres d’una feblessa, tot d’un cop̀ pitiot̀ Jan s’afaissa 7e tomba regde, esvenesit4, 8coma fai un cacal mosit. 9Rosà se rapròpcha de ilh, galòpa a la maison vesina ente demorà le medecin que justament era chas se. 10 Leu arribat, lo garissaire atrapa la man de pitiot̀ Jan e ditz : – 11 N’a pas agut de cop̀ de sang, 12qu’es son dejunar qu’a mau passat e sera ̀ leu reviscolat. 13 N’avetz pas un pauc d’aiga de Colonha, d’aquela aiga que l’òm se conha sus lo chais per sentre bon o be lo fons d’un barricot̀ qui senta l’agre ? – 14Ai be, mossur, del bon vinagre, 15mas si chau que quo ̀ senta fort̀ ai del fromatge de Ròcafort qu’es poirit e que per mon arma, i a cap de botà de gendarma que puda mai que ilh.16 Le medecin pren lo fromatge, ne’n còpa gros̀ coma un cacal. 17 Emb son det, que vai, virona, coma qu’un maçona, li remplís le cròs de son nas. 18 E pitiot̀ Jan que quò picava tot doçament reviscolava e marmonet entre sas dents : – 19 Rosa,̀ Rosa,̀ tira ton cuol d’aquí o ieu me tòrne esvenesir.5

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Traduction française

1Le fromage de Roquefort. 2Rose et son mari, Petit Jean,3deux vieux de soixante-douze ans, 4qui n’avaient jamais eu d’enfants,5vivaient de leur commerce d’épiciers, à l’ombre de leur vieux clocher. 6L’autre jour, pris d’une faiblesse, tout à coup, Petit Jean s’affaisse 7et tombe, raide, évanoui, 8comme le fait une noix moisie. 9Rose, se rapproche de lui, court à la maison voisine où habite le médecin, qui, justement était chez lui. 10Aussitôt arrivé, le guérisseur, prend la main de petit Jean et dit : ◌̶ 11Il n’a pas eu de congestion, 12c’est son déjeuner qu’il a mal digéré, et il sera bientôt rétabli. ◌̶ 13N’avez-vous pas un peu d’eau de Cologne, de cette eau que l’on se met sur la tête pour sentir bon ? Ou bien le fond d’une petite barrique qui sente l’aigre. ◌̶ 14j’ai bien, Monsieur, du bon vinaigre, 15mais s’il faut que cela sente fort, j’ai du fromage de Roquefort, qui est pourri et par ma foi, aucune botte de gendarme sent plus mauvais que lui. 16Le médecin prend du fromage, il en coupe un morceau de la grosseur d’une noix. 17Avec son doigt, qui va, qui tourne, comme s’il maçonnait, il en remplit le creux de son nez.18 Petit Jean qui ressentait l’effet du fromage, tout doucement, reprenait conscience, en murmurant entre ses dents : ◌̶ 19Rose, Rose, éloigne ton derrière de là, ou je vais m’évanouir de nouveau. (Rires)

BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

Glossaire

D’une façon générale, les voyelles finales inaccentuées peuvent être réalisées, dans la même commune et même dans une même famille, selon les personnes, soit [-e], soit [- ə], soit [-ɪ]. On note la même variation libre entre [-a] et [-ɔ] inaccentués. [ɧ aˈfɛjɧaː] v. pron. “tomber en pliant sur les jambes, s’affaisser” ind. pr. 3e pers. sg. [ɧ afɛˈɧɐ] III, 6. ― À aj. à FEW 3, 429b FASCIS. [ˈajɡɐ de kolɔˈnʲɔ] s. f. “préparation parfumée à base d’alcool où entrent plusieurs essences, eau de Cologne” III, 13. ― À aj. à FEW 25, 65b AQUA.

[ˈagʁᶦ] s. m. “odeur aigre” III, 13. ― À aj. à FEW 24, 95a ACER (seulement Chav. âgre, périg. ágre).

[aˈneː] adv. “en ce jour même, au jour où l’on est, aujourd’hui” I, 2. ― FEW 7, 216b NOX (seulement lim. anueg, aneit, blim. oné) ; ALAL 138 (Le Chastang [aˈne]).

[anivɛʁˈʃɐːre] s. m. “jour de la naissance de qn (donnant lieu généralement à une fête), anniversaire” I, 2. ― À aj. à FEW 24, 609b, ANNIVERSARIUS (seulement hlim. oniversari,́ aniversarí , périg. anniversári). Probablement emprunté à (ou influencé par) frm. anniversaire (dp. 1798), comme le suggère [-e] final vs [-i].

([aʁiˈba]) v. intr. “parvenir à destination, arriver” part. passé [aʁiˈbaː] III, 10. ― FEW 25, 324b *ARRIPARE.

[ˈarmə] s. f. ds [pɛʁ mũˈn aʁmə] loc. phrast. “(renforce une affirmation), par mon âme” III, 15. — FEW 24, 582a ANIMA.

[aˈtʃɪ] adv. “dans ce lieu, là” III, 19. ― FEW 4, 424a HIC.

([atʁaˈpaː]) v. tr. “prendre dans sa main, prendre” ind. pr. 3e pers. sg. [ᵃˈtʁapa] III, 10. ― À aj. à FEW 17, 355b TRAPPA (seulement Dord. t r ǫ p á).

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([aˈvi]) v. tr. “être en possession, en jouissance de (qch), avoir” (1) ind. pr. 1re pers. sg. [ˈɛj] III, 14, 15 ; (2) ind. pr. 2e pers. pl. [aˈvɛ] III, 13 ; (3) ind. imp. 3e pers. pl. [aˈvjiu]̯ III, 4 ; (4) part. passé [aˈɡy] III, 4. ― À aj. à FEW 4, 362a HABERE (seulement Lastic a v i). ([ʃ avinɪˈʒji]) v. pron. “perdre connaissance, s’évanouir” ind. pr. 1re pers. du sg., [avinɪ ˈʒjiː] III, 19. ― À aj. à FEW 3, 251a. EVANESCERE. (seulement lim. s’esvanezir, blim. s’ovonusi) ; ALAL 780 (Le Chastang [ʃ ivanyˈʒi]).

[avɪnɪˈʒʲi] adj. “sans connaissance, en syncope” III, 7. ― À aj. à FEW 3, 251a EVANESCERE (seulement blim. ovonusi).

[baʁiˈko] s. m. “petite barrique” III, 13. ― FEW 22/2, 115a BARIL (blim. borricot) ; ALAL = THESOC 2057 (Le Chastang [baʀiˈkɔ]).

[ˈbiː] adv. “(pour renforcer une affirmation) bien” I, 4 ; [ˈbe] “id.” III, 13, 14, synon. [ˈbjɛ̃] ― À aj. à FEW 1, 323a BENE (seulement Vinz. bə).

[ˈbjɛ̃] adv. “(pour renforcer une affirmation), bien” II, 2 ; synon. [ˈbiː], [ˈbe]. ― FEW 1, 322b BENE ; empr. à fr. bien.

[ˈbɔtə] s. f. “chaussure de cuir, le plus souvent de caoutchouc, qui enferme le pied, la jambe et parfois la cuisse, botte” III, 15. ― À aj. à FEW 15/2 43a BUTT ; empr. à fr. botte.

[ˈbu]̃ adj. “qui a les qualités utiles qu’on en attend, bon” III, 14. ― FEW 1, 433b BONUS ; ALAL 1093 (Le Chastang [ˈbũ]).

[ˈcɥa] v. tr. “faire mourir volontairement (un animal) afin d’en consommer la viande, le sang et les abats, tuer” inf. I, 8. — FEW 13/2, 447A, TUTARI ; ALAL = THESOC 1999 (Le Chastang [ˈtɥɔ]).

[ˈcuʁ] s. m. “partie postérieure chez l’homme, cul” III, 19. ― À aj. à FEW 2, 1505b CULUS (seulement Chav. cuôou) ; ALAL 677 (Le Chastang [ˈcul]). ([damãˈda]) v. tr. “essayer de savoir, de connaître (en interrogeant qn), demander” ind. pr. 3e pers. sg. (devant voyelle) [daˈmad]̃ II, 1. ― À aj. à FEW 3, 36a DEMANDARE (seulement Vinz. d å m ã d ɑ́). ([deˈmuʁa]) v. intr. “avoir sa résidence habituelle, habiter, demeurer” ind. pr. 3e pers. sg. [demɔˈʁa] III, 9. ― FEW 3, 38b DEMORARI. [ˈdɪ] s. m. “chacun des cinq prolongements qui terminent la main de l’homme, doigt” III, 17. ― À aj. à FEW 3, 76b DIGITUS (seulement auv. d i) ; ALAL 699 (Le Chastang [ˈdi]). [ˈdɪ̃] s. f. “un des orɡanes de la bouche, de couleur blanchâtre, durs et calcaires” III, 18. ― À aj. à FEW 3, 40b DENS (seulement Vinz. d e).̃

[diˈɟynaː] s. m. “repas du milieu du jour, déjeuner” III, 12. ― À aj.à FEW 3, 95a DISJEJUNARE.

([ˈdiu̯ʁə]) v. tr. “avoir l’intention de, devoir” cond. pr. 1re pers. pl. [ˈduja]̃ (+ inf. compl.) I, 8. ― FEW 3, 21a DEBERE.

[ˈdu] adj. num. card. “un plus un, deux” III, 3. ― FEW 3, 181a DUO ; ALAL 118 (Le Chastang [ˈdu]).

[duɧaˈmɪ̃] adv. “lentement et progressivement” III, 18. ― À aj. à FEW 3, 174b DULCIS.

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[ˈɟiʁə] v. tr. “exprimer, communiquer (les intentions) par la parole, dire” (1) inf. II, 7 ; (2) ind. pr. 3e pers. sg. [ˈɟi] I, 1 ; (3) impér. 2e pers. sg. [ˈdʲiza] I, 2, 10. ― À aj. à FEW 3, 67b DICERE (seulement Mons-la-T. d y i r) ; ALAL 612 (Le Chastang [ˈɟiri).

[ɟystaˈmɪ̃] adv. “(marque l’exacte concordance de deux faits), justement” III, 9. ― À aj. à FEW 5, 88b JUSTUS.

[ɛpiˈʃje] s. m. “personne qui tient un commerce d’épicerie, épicier” ― À aj. à FEW 12, 155a SPECIES (seulement apérig. especiey).

([ˈɛʃə]) v. intr. “(verbe copulatif, reliant l’attribut au sujet), être” (1) ind. pr. 2e pers. sg. [ˈʃɛ] II, 2 ; (2) ind. pr. 3e pers. sg. [ˈɛj] II, 5, 6, III, 12 ; [ˈɛi]̯ I, 2 ; [ˈɛɪ̭̆] I, 10 ; (3) ind. imp. 3e pers. sg. [ˈɛʁa] I, 7 ; (4) ind. fut. 3e pers. sg. [ˈʃjiʁaː] III, 12. ― FEW 3, 246a, ESSE. [ˈfa] v. tr. “organiser (une fête), faire” (1) inf. I, 5, 8 ; (2) ind. imp. 1ʳᵉ pers. pl. [faˈʒja]̃ I, 3. ― FEW 3, 346b, FACERE ; ALAL 12 (Le Chastang [ˈfɔ]).

[ˈfauta]̯ s. f. “responsabilité d’une action, faute” I, 10. ― À aj. à FEW 3, 389b FALLERE ; empr. à fr. faute.

[feblɛˈɧa] s. f. “manque de force, de vigueur physique, faiblesse” III, 6. ― À aj. à FEW 3, 616a FLEBILIS (seulement Chav. feblesso) ; empr. à fr. faiblesse.

[fɛʁˈnãː] n. pr. de pers. “(prénom d’homme traditionnel), Fernand” [en fonction de vocatif] I, 1 ; [en fonction de sujet précédé de l’adj. poss. m. sg. [ʃu]̃ I, 2, 6. ― Empr. à fr. Fernand. [ˈfɛɧtə] s. f. “réjouissance annuelle pour l’anniversaire de la naissance de quelquˈun, fête ” I, 3, 5, 8. — À aj. à FEW 3, 482b FESTA.

[ˈfʁaɪ̯ːʁə] s. m. “celui qui est né des mêmes parents que celui qui parle, frère” II, 7. ― À aj. à FEW 3, 764a, FRATER (seulement Chav. fraï) ; ALAL 1029 (Le Chastang [fʀɛi̯ʀi]). [fʁuˈmaːze] s. m. “aliment obtenu par la coagulation du lait suivie de fermentation, fromaɡe” III, 1, 15, 16. ― FEW 3, 717b FORMATICUM ; ALAL = THESOC 1994 (Le Chastang [fʀu ˈmazi]).

[ˈfu]̃ s. m. “ contenu qui est en bas d’un récipient, fond” III, 13. ―

À aj. à FEW 3, 870a FUNDUS.

([ɡaluˈpa]) v. intr. “courir rapidement (le sujet désigne une personne), galoper” ind. pr. 3e pers. sg. (devant voyelle) [gaˈlɔp] III, 9. ― À aj. à FEW 17, 484a *WALA HLAUPAN (seulement Dord. g ǫ l ǫ p á, Chav. goloupá) ; ALAL = THESOC 1825 (Le Chastang [galu ˈpɔ]). [ɡaˈⁿju] s. m. “animal domestique, le plus souvent châtré, élevé pour l’alimentation, cochon” I, 8, 10. ― FEW 4, 193b GON- ; ALAL = THESOC 1861 (Le Chastang [ɡaˈɲu]).

[ɡaʁiˈɧajʁə] s. m. “personne qui guérit, ɡuérisseur” III, 10. ― À aj. à FEW 17, 527b *WARJAN (seulement St-Pierre garissaire).

[ɪ̃ˈkɛʁɐ] adv. “(marquant une idée de supplément), encore” II, 6. ― FEW 4, 474a HORA ; ALAL 170 (Le Chastang [ĩˈkɛi̯ʀɔ]).

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[ˈɪ̃tʁə] prép. “dans l’espace qui sépare deux choses, entre” III, 18. ― À aj. à FEW 4, 748a INTER (seulement Mauriac intra).

([ɪ̃vʲiˈta]) v. tr. “prier (qn) d’assister à qch., inviter” cond. pr. 1ʳᵉ pers. pl. [ɪ̃vʲitaˈja]̃ I, 8. ― À aj. à FEW 4, 802a INVITARE. [ˈjɛu]̯ pron. pers. “(sujet accentué de la première personne du singulier des deux genres), je” III, 19. ― À aj. à FEW 3, 207a EGO ; ALAL 453 (Le Chastang [ˈjeo]).̯

[ˈjuʁ] adj. poss. 3e pers. pl. “qui est à eux, leur” III, 5. ― À aj. à FEW 4, 551b ILLE (seulement Chav. gliur).

[ˈjyʁ] adj. poss. 3e pers. sɡ. “qui est à eux, leur” III, 5. ― FEW 4, 551b ILLE

[ka] pron. dém. neutre “cela, ça” III, 15. — FEW 4, 443a HOC (seulement lim. aco) ; cf. Creuse, H.Vienne [ka] ALAL 46.

[ˈkaː] adv. de nég. (employé seul) “pas une, aucune” III, 15, ― FEW 2, 336b CAPUT.

[kaˈkaʁ] s. m. s. “fruit du noyer, noix” III, 8, 16. ― À aj. à FEW 2, 824a COCCUM.

[kaˈmɛma] loc. adv. “pourtant, quand même” I, 10. ― À aj. à FEW 2, 1416b QUANDO ; empr. à fr. quand même.

[kluˈʧi] s. m. PAR MÉTON. “commune où se trouve le bâtiment élevé d’une église dans lequel on place les cloches, clocher” III, 5. ― À aj. à FEW 2, 790b CLOCCA (seulement lim. clhuchè DD, Limoges cluchès, périg. k l ü t s y e, Chav. cluchié) ; ALAL 1117 (Le Chastang [kluˈce]).̆ [ko de ˈɧa]̃ loc. nom. “afflux excessif accidentel du sang dans les vaisseaux d’un organe, coup de sanɡ” III, 11. ― À aj. à FEW 2, 866a COLAPHUS (seulement Ytrac k w ǫ t d e s ǫ n).

[kɔˈpɛ̃] s. m. FAM. “personne avec qui on entretient des relations familières et amicales, copain” II, 1. ― À aj. à FEW 2, 967b COMPANIO ; empr. à fr. copain.

[ˈkʁø] s m, “vide intérieur dans un corps, creux” III 17. ― FEW 2, 1362b *KROSU- (blim. cro)̄ ; empr. à fr. creux.

[ˈkuma] adv. “de la même manière que, comme” III, 8, 16. ― FEW 2, 1543a QUOMODO. [kuˈmɛʁɧɪ] s. m. “opération qui a pour objet l’achat d’une marchandise pour la revendre, commerce” III, 5. ― À aj. à FEW 2, 952a COMMERCIUM. ([ʃe kuˈnja]) v. pron. “mettre (un parfum) sur soi” ind. pr. 3e pers. sg. III, 13 [ʃᵉ ˈkɔnʲə]. — Cf. Savignac (Dordogne) couniâ “fourrer quelque part” (FEW 2, 1535a CUNEUS) ou certains emplois argotiques de frm. se cogner (Esnault 1965, 174 ; Cellard/Rey 1991, 215 ; Caradec/Pouy 2009, 85). ([ˈkupa]) v. tr. “diviser un corps solide avec un instrument tranchant, couper” ind. pr. 3e pers. sg. [ˈkɔpɐ] II, 16. ― À aj. à FEW 2, 869a COLAPHUS.

[lə] art. déf. m. s. III, 10, 13 ; [le] III, 1 ; [le] III, 9 ; III, 17 ; [lɨ] II,1. ― À aj. à FEW 4, 551b ILLE.

[ˈlɛu]̯ adv. “au même instant, aussitôt” III, 10. ― FEW 5, 290a LEVIS.

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[ˈmaj] adv. “(mot servant à la formation du comparatif de supériorité), plus” III, 15. ― FEW 6/1, 28b MAGIS. ([maɧuˈnaː]) v. tr. “[dans une comparaison] boucher (une ouverture) avec de la maçonnerie, maçonner” ind. pr. 3e pers. sg. [maˈɧuna] III, 17. ― FEW 16, 506b *MAKJO. [maˈʁiː] n. pr. de pers. “(prénom de femme traditionnel), Marie”, [en fonction de vocatif] I, 4,10 ; [en fonction de sujet, précédé de l’art. déf. f. sg.] I, 1. ― Empr. à fr. Marie. ([maʁmuˈna]) v. tr. “dire, murmurer entre ses dents, d’une façon confuse, marmonner” part. pr. [marmuˈnɪ̃] III, 18. ― À aj. à FEW 6/1, 358b MARM- ; empr. à fr. marmonner. [ˈmau]̯ adv. “d’une manière contraire à l’intérêt de qn, mal” III, 12. — FEW 6/1, 126a MALUS.

[mediˈʃi :] s. m. “personne habilitée à exercer la médecine, médecin” III, 9. — FEW 6/1, 601a MEDICINA ; ALAL 758 (Le Chastang [mediˈʃi]).

[mɛʲˈzu] s. f. “bâtiment d’habitation, maison” III, 9. ― FEW 6/1, 235b MANSIO ; ALAL 1166 (Le Chastanɡ [mei̯ˈzu]).

[ˈmo] s. f. “partie du corps humain située à l’extrémité du bras, main” III, 10. ― FEW 6/1, 285a MANUS ; ALAL 692 (Le Chastang [ˈmo]).

[ˈmɔʁ] adj. m. “qui a cessé de vivre, mort” II, 7. — À aj. à FEW 6/3, 134a MORI.

[muˈʁɪ] v. intr. “cesser de vivre, mort” inf. II, 4. — FEW 6/3, 131b MORI.

[muˈʒi] adj. “gâté, sous l’effet de l’humidité, moisi” III, 8. — À aj. à FEW 6/3, 182a MUCERE (seulement MonsT. m ẹ ž i).

[muˈʃyʁ] s. m. “(titre donné aux hommes de toute condition), monsieur” III, 14. — FEW 11, 456b SENIOR ; empr. à fr. monsieur.

[n] adv. de nég. “ne (…pas)” III, 11 (devant voyelle) — À aj. à FEW 7, 85b *NE GENTEM.

[ˈna] s. m. “partie saillante du visage, située entre le front et la lèvre, nez” III, 17. — FEW 7, 30b NASUS.

[ˈɔmə] s. m. “homme uni à une femme par le mariage, mari” III, 2 — FEW 4, 453b HOMO ; ALAL 1025 (Le Chastang [ˈome]). [ˈpa] adv. de nég. “ne…pas, pas” ; (1) III, 11, 13 ; (2) (employé seul) I, 6, II, 3 — À aj. à FEW 9, 593a PUNCTUM.

[ˈpaɪ̯ːʁə] s. m. “homme qui a engendré un ou plusieurs enfants, père” II, 4, 7. — FEW 8, 8a PATER.

([paːʁˈla]) v. tr. ind. “prononcer des paroles relatives à qch, parler de (qn), parler” subj. pr. 3e pers. du sg. (employé comme imp. négatif) [ˈpaːʁli] II, 3. — À aj. à FEW 7, 606a PARABOLARE (seulement Chav. porlá) ; ALAL 648 (Le Chastang, [paʀˈlɔ]).

([paˈɧa]) v. tr. FAM. “être digéré (en parlant des aliments), passer” part. passé [paˈɧa] III, 12. — FEW 7, 707a *PASSARE.

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[ˈpau]̯ adv. ds [œm̃ ˈpau]̯ loc. adv. “en petite quantité, un peu” I, 3 ; [ỹ ˈpau]̯ “id.” III, 13. — FEW 8, 51b PAUCUS.

[ˈpau̯ːrɪ] adj. “qui inspire la pitié, malheureux, pauvre” II, 4. — FEW 8, 56b PAUPER ; ALAL 1015 (Le Chastang [ˈpao̯ʀi]).

[ˈpɛʁ] prép. “afin de faire savoir, pour” II, 7. — À aj. à FEW 9, 399b PRO ; ALAL 816 (Le Chastang [ˈpɛʀ]). [piˈʧjɔ ˈza]̃ [ˈza]̃ n. pr. de pers. “(prénom traditionnel d’homme) Jean” ds [piˈʧjɔ ˈza]̃ “(surnom d’un homme), Petit Jean” III, 2, 6, 18. — [ˈza]̃ est emprunté à fr. Jean. [ˈpjɛʁ] n. pr. de pers. “(prénom d’homme traditionnel), Pierre” [en fonction de sujet, précédé de l’art. déf. m. sg] II, 1. — Empr. à fr. Pierre. ([pjiˈka :]) v. tr. “donner la sensation d’entamer avec une pointe, piquer” ind. imp. 3e pers. sg. [pjiˈkava] III, 18. — FEW 8, 450a *PIKKARE.

([ˈpʁine])̃ v. tr. “subir l’effet de qch., prendre” part. passé [ˈpʁi] III, 6. — À aj. à FEW 9, 340a PREHENDERE (seulement lim. prenei DD, Chav. preindre).

([puˈdi]) v. tr. “avoir la possibilité de faire quelque chose, pouvoir” ind. pr. 1re pers. pl. [puˈdɛ̃] I, 4, 5. — FEW 9, 232a POSSE.

([ˈpydʁə]) v. intr. “exhaler une odeur infecte, puer” subj. pr. 3e pers. sg. [ˈpydə] III, 15. — FEW 9, 623a PUTESCERE.

([pwiˈʁiː]) v. intr. “se décomposer, en parlant d’une matière organique, pourrir” part. passé [pwiˈʁi] III, 15. — FEW 9, 640a PUTRESCERE.

([ʃə ʁaˈpʁɔsaː]) v. pron. “venir plus près, se rapprocher” ind. pr. 3e pers. sg. [ʃə ʁa ˈpʁɔsɐ] III, 9. — À aj. à FEW 25, 54b APPROPIARE ; empr. à fr. se rapprocher.

([ʁãˈpi]) v. tr. “rendre un espace disponible, plein d’une substance quelconque, remplir” ind. pr. 3e pers. sg. [ʁa’pĩ ː] III 17. ― À aj. à FEW 4, 592a IMPLERE ; empr. à fr. remplir.

([ʁavjiɧkuˈla]) v. tr. “revenir à la vie, ranimer” (1) part. passé [ʁavjiɧkuˈlaː] III, 12 ; (2) ind. imp. 3e pers. sg. [ʁavjiɧkuˈlava] III, 18. — FEW 10, 363a REVIVISCERE.

[ˈʁɛjdə] adv. “brusquement, raide” III, 7. — FEW 10, 402b RIGIDUS.

[ʁɔkəˈfɔʁ] s. m. PAR MÉTON. “fromage à pâte pressée et persillée fait de lait de brebis et ensemencé d’une moisissure spéciale (produit à Roquefort-sur-Soulzon, Aveyron), Roquefort” III, 1, 15. — FEW 10, 473a ROQUEFORT.

[ˈʁɔʒaː] n. pr. de pers. “(prénom de femme), Rose” [en fonction de sujet] [ˈʁɔʒᵃ] III, 2, 9 ; [en fonction de vocatif] [ˈʁɔʒɐː] III, 19. — Empr. à fr. Rose.

[ˈsaːj] s. m. “tête de l’homme, visage” III, 13. — À aj. à FEW 2, 316b CAPSUS (où l’on ramènera blim. tsai, mal classé FEW 2, 334a CAPUT).

[saˈɧiː] s. m. “domicile personnel, chez soi” III, 9. — À aj. à FEW 2, 450b CASA.

([ʃaˈbĭ]) v. tr. “avoir présent à l’esprit (un objet de pensée qu’on identifie et qu’on tient pour réel), savoir” (1) ind. pr. 2e pers. sg. [ˈʃabi] I, 6 ; (2) ind. pr. 2e pers. sg. [ˈɧabi] II, 7. — FEW 11, 194a SAPERE ; ALAL 977 (Le Chastang [ʃaˈbɛ]).

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[ʃiˈɡyːʁ] adj. ds [bjɛ̃ ʃiˈɡyːʁ] loc. adv. “certes, bien sûr” I, 4. ― FEW 11, 389a SECURUS (seulement Tulle sigur̆ ). ([ˈʃɪ̃tʁə]]) v. intr. “dégager une odeur, sentir” (1) inf. ds [ʃɪ̃tʁə ˈbu] loc. verb. “avoir une odeur agréable” III, 13 ; (2) subj. pr. 3e pers. sg. [ˈʃɪ̃tɐ] III, 15. — FEW 11, 467b SENTIRE.

[ʃjɛjɧatã ːˈduz] adj. num. card. “six fois dix, plus douze, soixante- douze” III, 3. — FEW 11, 557a SEXAGINTA .

[teleˈfunaː] v. pr. “se parler par téléphone, téléphoner” inf. II, 7. — À aj. à FEW 13/1, 163b TELE ; empr. à fr. téléphoner.

([ˈʧiʁaː]) v. tr. “ôter, tirer” impér. [ˈʧiʁə] III, 19. — FEW 6/1, 413a MARTYRIUM.

[ˈtʁiçtə] adj. “qui est dans un état de tristesse, triste” II, 2. — FEW 13/2, 302a TRISTIS.

[ˈtu] adj. indéf. m. pl. (1) “ la totalité (ou le plus grand nombre), tous” I, 8. (2) pron. neutre ds [ˈk ɛj paɧ ˈtu] loc. phrast. “il reste encore qch, ce n’est pas tout” II 5. — (1) à aj. à FEW 13/2, 124a TOTUS. (2) à aj. à FEW 13/2, 124b TOTUS.

[tu d ɪ̃ ˈko] loc. adv. “soudainement, tout d’un coup” III, 6. — FEW 2, 867b COLAPHUS,

([tuʁˈna]) v. semi-auxil. + inf. “(exprime la répétition du procès décrit par le verbe à l’infinitif), accomplir (une action) de nouveau” ind. pr. 1re pers. sg. (devant voyelle) [ˈtɔʁn] III, 19. — FEW 13/2, 49a TORNARE ; Ronjat 1930-1941, 3, 558 ; ALAL 542 (Le Chastang [ˈtɔrnɔ]).

[ˈtu]̃ adj. poss. m. 2e pers. sg. “qui est à toi, ton” III, 19. À aj. à FEW 13/2 452a TUUS.

([tũˈba]) v. intr. “être entraîné à terre en perdant son assiette, tomber” ind. pr. 3e pers. sg. [ˈtob̃ ɐ] III, 7. — FEW 13/2, 403a TUMB-.

[ˈub̃ ʁɐ] s. f. ds [a l ˈumb̃ ʁᵄ dᵉ] loc. prép. “sous la protection de” III, 5 — À aj. à FEW 14, 21b UMBRA ; tour littéraire emprunté à frm. à l’ombre de.

([viˈnji]) v. semi-auxil. + [de] + inf. “(exprime la situation dans le passé récent du procès décrit par le verbe à l’infinitif), venir de” ind. pr. 3e pers. sɡ. [ˈve] II, 4. — À aj. à FEW 14, 241ab VENIRE ; Ronjat 1930-1941, 3, 204.

([vuˈli]) v. tr. “consentir à la volonté d’un autre, vouloir” ind. pr. 1re pers. sg. [ˈvɔlə] I, 9. — À aj. à FEW 14, 216b VELLE.

[ˈvjɛʁ] adj. “existence ancienne d’un bâtiment” III, 5. — À aj. à FEW 14, 360b VETULUS.

[ˈvjɛu]̯ s. m. “homme d’un âge avancé, vieux” III, 3. — À aj. à FEW 14, 360b VETULUS.

[vʲiˈʒiː] s. m. “personne qui habite le plus près, voisin” I, 8. — FEW 14, 414b VICINUS ; ALAL 1172 (Le Chastang [viˈʒi]). [vjiˈnaːɡʁə] s. m. “liquide provenant d’une solution alcoolisée modifié par la fermentation acétique, vinaigre” III, 14. — À aj. à FEW 14, 481a VINUM (seulement lim. vinagre) ; ALAL = THESOC 2114 (Le Chastang [viˈnaɡʀi]). ([vjiʁuˈnaː]) v. intr. “faire de petits mouvements circulaires” ind. pr. 3e pers. sg. [vji ˈʁunɐ] III, 17. — À aj. à FEW 14, 388a VIBRARE.

([ˈvjiu̯ʁə]) v. intr. + [de] “se procurer les moyens de vivre par” ind. imp. 3e pers. pl. [vi ˈvjiu]̯ III, 5. — FEW 14, 578a VIVERE.

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[zaˈmaj] adv. “en nul temps, à aucun moment, jamais” III, 4. — À aj. à FEW 5, 26b JAM (seulement Cantal jiomaï, Mauriac dzamai) ; ALAL 153 (Le Chastang [zaˈmɛi̯ ]). [zɪ̃ˈdaːʁmə] s. m. “militaire appartenant à un corps spécialement chargé du maintien de l’ordre à la campagne, gendarme” III, 15. — À aj. à FEW 4, 108a GENS (seulement Ytrac z̆ i n d a r m o) ; ALAL 1159 (Le Chastang [zĩ ˈdaʀmɔ]) ; empr. à français gendarme. [ˈzu :ʁ] (1) s. m. “espace de temps entre le lever et le coucher du soleil, jour” II 1 ; (2) [l au̯ˈtʁɪ ˈzuʁ] loc. adv. “un des derniers jours” III, 6. ― À aj. à FEW 3, 102b DIURNUM ; la locution est à aj. à FEW 24, 354b ALTER (sans attestation occitane moderne ou contemporaine) ; ALAL 155 (Le Chastang [ˈzuʀ]).

NOTES

1. Depuis sa retraite, en 1992, André Lagarde vit à Sainte-Fortunade, berceau de sa famille mais où il n’avait jamais résidé auparavant. C’est grâce à son voisin et ami Jean Vieillefond, l’un de nos informateurs, qu’il s’intéresse au patois local qu’il comprend bien mais parle peu. Il devient alors amoureux de cette langue et l’idée de créer une graphie locale s’impose à lui, afin de conserver une trace substantielle du patois de Saine-Fortunade. 2. Claude Chabrerie est né en 1967. Il a passé son enfance et son adolescence dans un village et une famille paysanne. Ses parents, sa grand-mère, les voisins ne lui parlaient que français mais, entre eux, ils parlaient très souvent en occitan de Corrèze (Corrèze). Il a très vite appris cette langue à leur contact. Il est professeur agrégé d’histoire depuis 1990 et enseigne l’histoire et la géographie au collège Clémenceau de Tulle depuis 1997. Il enseigne également l’occitan au collège de Seilhac (Corrèze) depuis 2014 et au collège Clémenceau depuis 2015. 3. « Gallicisme : collega serait plus correct ». Note du transcripteur. 4. « Erreur de prononciation : esvanesit ». Note du transcripteur. 5. « esvanesir ». Note du transcripteur.

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Critique

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Jean-François Courouau (dir.), La Langue partagée. Écrits et paroles d’oc 1700-1789 Genève, Droz, coll. « Bibliothèque des Lumières », 2015, 553 p.

Bénédicte Louvat-Molozay

RÉFÉRENCE

Jean-François Courouau (dir.), La Langue partagée. Écrits et paroles d’oc 1700-1789. Genève, Droz, coll. « Bibliothèque des Lumières », 2015, 553 p.

1 Pris en tenailles entre le « baroque occitan » d’une part, la naissance du félibrige et la « renaissance » de la littérature occitane de l’autre, la production occitane du XVIIIe siècle avait jusqu’à présent suscité peu de travaux, à tout le moins de synthèses. Outre le livre, ancien, de Jean-Baptiste Noulet (1877), il n’existait guère qu’une brève étude d’Andrée-Paule Lafont (1953). C’est donc peu de dire que cet ouvrage comble un manque, d’autant qu’il est aujourd’hui complété par un ensemble d’articles (« Aspects du XVIIIe siècle occitan », Revue des langues romanes, 2015, T. 119-2) et une anthologie (Le Rococo d’Oc. Une anthologie poétique (1690-1789), Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2017), tous deux réunis par Jean-François Courouau. Il le comble de manière d’autant plus remarquable qu’il se donne pour ambition de cartographier l’ensemble des « écrits et paroles » composés en occitan et qui portent sur l’occitan, au cours d’une période qui commence en 1700 et s’achève en 1789 (avec un appendice consacrée à la période révolutionnaire), même si l’exhaustivité est, en la matière, un idéal impossible à atteindre. Au regard de la bibliographie, et notamment du recensement des manuscrits répertoriés par lieux de conservation, on peut penser que l’objectif est quasiment atteint. Cette ambition quantitative s’accompagne d’un refus de distribuer des bons points et d’évaluer la qualité littéraire, encore moins la « valeur » des textes examinés. Ainsi les deux œuvres les mieux connues du siècle, Daphnis et Alcimadure de Mondonville et l’Histoira de Jean l’an pres de Jean-Baptiste Fabre jouissent-elles d’un

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statut à peine plus privilégié que les autres, pièces manuscrites ou imprimées, avec ou le plus souvent sans nom d’auteur, de longueur et de facture extraordinairement variables : la perspective adoptée est très régulièrement une approche sociale des auteurs, destinataires et usages de ces textes que leurs auteurs ont choisi d’écrire en occitan, alors que la pénétration du français est considérable sur l’ensemble du territoire géographique — et au-delà même des frontières nationales — et dans la quasi- totalité des couches sociales.

2 L’introduction s’ouvre, précisément, sur une synthèse conduite avec beaucoup de prudence, relative aux pratiques et représentations de l’occitan dans le contexte de bilinguisme et de diglossie propre au dernier siècle de l’Ancien Régime. En s’appuyant sur différents documents, parmi lesquels les réponses que les correspondants de l’abbé Grégoire lui renvoyèrent en 1790, Jean-François Courouau montre que l’on ne saurait opposer de manière binaire des élites urbaines exclusivement francophones et des locuteurs occitanophones appartenant exclusivement au monde rural et aux strates les plus basses de la population. Au terme de l’enquête qui nourrit les sept chapitres de l’ouvrage, la conclusion pose quant à elle la question, délicate autant que passionnante, du statut des textes collectés et présentés : forment-ils, tout d’abord, un ensemble homogène, sur le plan diachronique autant que géographique ? Relèvent-ils, ensuite, de la littérature et si oui, de quelle manière et selon quelles conditions ? En termes diachroniques, la production est « plus dense dans la seconde moitié du siècle que dans la première », avec une accélération dans les années 1770-1780 (p. 462) ; en termes géographiques, la « structuration par foyers » « continue à prévaloir » (p. 463), avec deux grands ensembles relativement autonomes de part et d’autre du Rhône, la Provence et le Languedoc, les centres de production et de diffusion de la littérature occitane étant presque exclusivement urbains. Par ailleurs, si l’on peut bien parler de « littérature occitane », ce n’est pas en tant qu’institution mais comme une « production culturelle » qui « assure sa permanence sur la base de ses propres structures empiriques, auctoriales et économiques » (p. 471). 3 Entre ces riches développements d’ouverture et de clôture, sept chapitres particulièrement érudits, rédigés par différents collaborateurs, permettent d’ordonner la matière recensée, mettant au jour des découvertes et faisant place, localement, à des réhabilitations. La première concerne la poésie, genre longtemps considéré comme le parent pauvre de la littérature du XVIIIe siècle, en occitan autant qu’en français. Jean- François Courouau montre que le XVIIIe siècle est « un grand siècle de poésie », qui se caractérise par la multiplicité de ses types et sous-genres autant que de ses auteurs, leur recrutement social étant particulièrement large. Ce développement de la poésie ne signifie pas disparition ou absence de la prose, contrairement à une idée reçue elle aussi, et justifiée jusqu’à présent non seulement par la faible proportion de textes occitans rédigés en prose (les choix formels et linguistiques en matière de paratextes sont à cet égard instructifs, puisque l’alternative semble être entre prose française et vers occitans) mais par le prestige moindre attaché à la prose. Jean-François Courouau présente des exemples de prose administrative ou religieuse ainsi que les essais de prose narrative, isolant bien sûr la pépite que constitue l’Histoire de Jean l’an près de l’abbé Fabre. Philippe Gardy se livre à un recensement très précis des textes dramatiques disponibles et distingue, de manière particulièrement convaincante, le « théâtre d’occasions » (qu’il s’agisse des productions carnavalesques, des formes théâtrales inscrites dans un cadre religieux ou des œuvres de circonstance) des pièces

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qui s’inscrivent dans un projet littéraire ambitieux, isolant la figure et l’œuvre de Jean de Cabanes. Deux chapitres complémentaires sont consacrés aux textes destinés à être mis en musique : d’une part ces « éclats de voix » que sont les « cantiques, noëls et chansons » (Xavier Bach et Pierre-Joan Bernard), d’autre part les livrets d’œuvres relevant de l’art lyrique (Jean-Christophe Maillard). Le nombre des premiers est extrêmement élevé, et difficile à arrêter dans la mesure où la chanson est un art particulièrement volatile ; le chant apparaît, à l’issue de ce chapitre, comme le support d’un usage régulier, probablement quotidien même, de la langue occitane, dans tous les milieux socio-professionnels. Avec le livret de Daphnis et Alcimadure, l’occitan entre à la Cour et le succès de cet opéra de Mondonville rejaillit sur la production occitane dans son ensemble, à laquelle il donne une nouvelle vitalité en même temps qu’une forme de légitimité. Enfin La Langue partagée fait place à un chapitre passionnant consacré au développement tout à fait nouveau des dictionnaires et des grammaires, en l’occurrence plus de cinquante ouvrages composés ou édités pour la première fois au XVIIIe siècle. Après avoir classé et décrit ces différents textes, David Fabié s’interroge sur l’ambition qui préside à ces entreprises lexicographiques, ambitions variées et parfois même contradictoires : bon nombre des ouvrages sont des dictionnaires bilingues occitan-français qui ont pour objectif de diffuser la langue française et de corriger les occitanophones ; mais la dimension encyclopédique de certains, autant que l’attention aux variantes dialectales permet de penser que les « "patois" sont alors perçus comme des conservatoires linguistiques » (p. 392), qu’il faut recueillir et noter, avant qu’ils ne disparaissent, puisque telle est la destinée que leur réserve l’abbé Grégoire et une partie au moins de la Révolution. 4 On peut, sans trop de risques, pronostiquer que La Langue partagée s’imposera bien vite — si ce n’est déjà fait — comme un ouvrage majeur consacré à une période fort mal connue de l’histoire de la littérature occitane, dont elle fait découvrir des pans entiers et qu’elle réhabilite au sein d’une histoire plus large, celle de la vie culturelle et des usages linguistiques qui la régissent.

AUTEURS

BÉNÉDICTE LOUVAT-MOLOZAY

Université de Toulouse — Jean Jaurès

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