HORS - SÉRIE 2013

Une publication de la Région HORS - SÉRIE de Bruxelles-Capitale 2013

LE PATRIMOINE ÉCRIT LE PATRIMOINE ÉCRIT NOTRE HISTOIRE LE PATRIMOINE ÉCRIT NOTRE HISTOIRE

Une publication de la Région de Bruxelles-Capitale BRUXELLESPATRIMOINES

25 €

ISBN : 978-2-930457-93-2

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BRUXELLES, MÉTROPOLE DELABOURGEOISIE TRIOMPHANTE CONSTRUCTION D’UNE CAPITALE   

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Les édifices publics au XIXe siècle

BENOÎT MIHAIL Conservateur du musée de la Police intégrée

« Je crois que notre siècle, à raison du caractère près quelques années d’in- dépendance, la Belgique même de notre civilisation éclectique et n’a toujours pas de capi- cosmopolite, est impuissant à créer un style qui tale digne de ce nom. Ni lesA monuments anciens, dont on com- lui soit propre, car ce style, pour refléter son mence à peine à apprécier la richesse, époque, devra être cosmopolite comme elle. Il ni les réalisations prestigieuses héritées manquera par conséquent de cette unité, de du régime précédent ne suffisent à faire de Bruxelles davantage qu’une ville de cette harmonie, de cet ensemble organique province fermée sur elle-même (il faut qui constitue le caractère des styles des belles payer pour y pénétrer avec des mar - chandises) et engoncée dans un réseau époques de l’art. Mais je pense que les tentatives inextricable de ruelles sombres. Cette individuelles pourraient réussir, en prenant les situation change à partir des années styles anciens pour point de départ, à créer 1840-1860 grâce à l’action conjuguée des partenaires en place†: l’État cen - 1 des œuvres ayant un caractère nouveau. » tral (avec son relais, la province du Bra- Charles Buls, 1874. bant), la Ville de Bruxelles et les entre- preneurs privés. Ces derniers jouent un rôle de moteur car ils possèdent les res- sources financières et ne sont pas frei- nés par des préoccupations adminis - tratives. À l’inverse, la Ville ne peut agir en dehors de ses frontières tandis que l’État rechigne à intervenir lorsqu’il s’agit de favoriser une commune, fût- Statue équestre de Léopold II, place du Trône, Bruxelles, elle la première du Royaume, au détri- Thomas Vinçotte, 1926 ment d’une autre. Il faudra la ténacité (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). d’une poignée de personnalités fortes pour mettre la machine en route, tant sur le plan de la voirie que des équi - pements nécessaires et des édifices de prestige.

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L’ÈRE DE LA PLANCHE À DESSIN (ANNÉES 1840-1860)

La capitale doit d’abord s’ouvrir au monde. La loi communale de 1836 per- met aux administrations de proposer le tracé des voies nouvelles, mais les vœux de la Ville de Bruxelles ne rejoi- gnent pas forcément ceux des fau - bourgs. D’où l’idée de tout simplement repousser les frontières de la première. Depuis 1837, un nouveau quartier chic se développe sur le territoire de Saint- Josse. Ses promoteurs font construire une belle église en style italien (Saint- Joseph,Tilman-François Suys, 1842) et espèrent même y installer une caserne ou un palais de justice2. Ce quartier dit «†Léopold†», aux rues en damier, souffre cependant de l’absence d’un accès direct au centre-ville. En échange des travaux de ce qui va devenir la , l’édilité bruxelloise demande au Parlement et obtient en 1853 l’annexion pure et simple. Dans la foulée, le bourg- mestre Charles De Brouckère tente de faire voter l’intégration de tous les fau- bourgs de la ville, mais il se heurte au refus des parlementaires de donner naissance à une entité qui déséquilibre- rait le fragile équilibre communal du pays3. Malgré de nouvelles annexions (l’avenue Louise en 1864, le quartier maritime en 1897), le dossier ne revien- dra plus sur la table†: l’essor de l’agglo- mération devra se faire en accord avec toutes les communes concernées. Or beaucoup d’entre elles demeurent très rurales, comme Schaerbeek, Etter - beek ou Saint-Gilles au-delà de la bar- rière (un péage établi sur la voie d’ac - cès vers la porte Louise). On y construit peu, sans réflexion d’ensemble, et sur- tout sans égard pour la ville qui pola- Fig. 1 rise l’activité des populations. Molen- Galeries royales Saint-Hubert, beek-Saint-Jean est déjà un faubourg Bruxelles, arch. J.P. Cluysenaar, industriel développé, mais isolé der - 1846. Vue d’ensemble avec le changement d’axe au milieu rière le canal. Saint-Josse-ten-Noode (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). ou Ixelles sont davantage intégrés, sans pour autant cautionner les grands pro- jets†; la seconde ne croit par exemple pas au succès de l’avenue Louise, lui préfé- rant le vieux sentier paysan qui longe le quartier des étangs4.

Face à cet immobilisme, l’État reprend la main en créant au niveau de la pro- vince, une fonction d’inspecteur-voyer

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chargé de rédiger les projets de nou - velles voies à soumettre aux com - munes concernées ainsi que de pla - nifier l’extension de l’agglomération toute entière. Le premier titulaire, l’in- génieur Charles Vanderstraeten, pro- pose un projet d’enceinte circulaire établie bien au-delà des limites de la ville, en y intégrant l’emplacement de futurs bâtiments publics à construire. Son successeur à partir de 1859, Victor Besme, repense ce plan d’alignement en essayant de concevoir la ville comme un centre administratif et culturel dont dépendent les faubourgs. Il importe par conséquent que ceux-ci soient davan- tage reliés au centre, bien sûr, mais aussi entre eux. D’où l’idée d’une deu- xième ceinture située autour des fau - bourgs immédiats et permettant de rejoindre Ganshoren, Berchem-Sainte- Agathe, Forest, Uccle et Anderlecht. Besme tâche par ailleurs d’a±ribuer une fonction aux nouveaux quartiers dont il voit ou pressent le développement††: villas pour celui de La Cambre à Ixelles, industrie à Anderlecht et Molenbeek- Saint-Jean, etc. Enfin, il désigne éga - lement les commodités à construire, y compris les ouvrages d’art (tunnels, ponts, …) puisque son plan inclut une réflexion sur les différences de ter - rain, avec par exemple de grands ronds- points sur les hauteurs –†Schuman, Alti- tude Cent, Chasse 5. Lui-même aura l’occasion de tracer les plans de certains édifices, dont l’église du parvis Saint- Gilles (1866), en style néo-roman poi- tevin.

DES PROGRÈS DE L’HYGIÈNE URBAINE À L’INVENTION D’UN STYLE Fig. 2 Église royale Sainte-Marie, Le plan d’ensemble soumis par Besme Schaerbeek, arch. L. Van vise donc aussi à mettre Bruxelles Overstraeten, 1844. Vue depuis l’axe de la rue Royale en phase avec la modernisation de la (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). société et à la nécessité de nouveaux équipements qui l’accompagne. Or les entrepreneurs privés, si actifs dans ce processus, se soucient d’abord de doter la ville d’infrastructures commerciales et culturelles de qualité. Un de leurs porte-parole est l’architecte Cluysenaar qui évoque dès 1837 «†l’attrait des édi - fices publics et particuliers†» pour a±i- rer les visiteurs de l’extérieur 6. Ceci

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l’amène à concevoir une rue couverte et de Jules Anspach, échevin des travaux, richement décorée en style néo-Renais- puis bourgmestre en 1863. Inspiré par sance italienne, afin d’a±irer des maga- l’exemple parisien du préfet Hausman, sins de luxe ainsi qu’un théâtre†: les il va accentuer le lien entre l’assainis - galeries royales Saint-Hubert (fig. 1). sement de la ville et la construction de Outre la beauté des façades et l’origi - nouveaux bâtiments destinés à me±re nalité de la structure métallique qui le centre en valeur. Les innombrables les couvre, l’œuvre brille par le refus de démolitions qu’entraîne ce chantier la ligne droite monotone puisqu’à mi- sont immortalisées fièrement dans de chemin, un angle brisé ferme la pers - grands albums photographiques. pective. Dans la foulée, Cluysenaar réalise un autre ensemble commer - En dehors du centre ancien, le manque cial, la galerie bortier, avec la salle de de moyens bloque les initiatives de ce la Madeleine qui la prolonge. Le projet genre et ce malgré une nouvelle loi sur des galeries royales est initié par deux l’expropriation (1858), de nouvelles banquiers mais reçoit rapidement le taxes et les aides du Crédit communal soutien de l’État (d’où le qualificatif) (créé en 1860). Seules les communes et de la Ville, parce qu’il répond éga - urbanisées entreprennent une planifi- lement à des impératifs d’hygiène, à cation d’ensemble, et encore à échelle savoir le remplacement d’un ensemble réduite. Un bon exemple est la place de de rues jugées malsaines. la Duchesse de Brabant à Molenbeek- Fig. 3 Saint-Jean, où l’hospice (devenu école Ancienne gare de Forest, arch. D’autres réalisations liant assainisse- n° 5, auteur inconnu, 1847) et l’église A. Payen, 1851 (M. Vanhulst, ment d’un quartier et installation de Sainte-Barbe (1869, architecte Van de 2012 © MRBC). nouveaux équipements se succèdent Wiele) s’inscrivent sagement dans l’ali- dans le centre-ville. Le bassin Sainte- gnement des maisons. En fait, les bâti- Catherine est comblé au profit de ments publics sont en général édifiés l’église du même nom, due à l’archi - avant que le quartier qui les entoure tecte de la ville Joseph Poelaert. Un nou- ne reçoive sa physionomie défini- veau bassin est creusé plus loin, le long tive. Outre les écoles et maisons com- beek de l’autre. Mais la commune, trop duquel sont construits successivement munales (Watermael-Boitsfort, 1845), pauvre, ne peut financer les travaux†; un immense entrepôt (Louis Spaak, il s’agit surtout d’églises, construites le percement de la rue des Palais sera 1843, démoli) et une caserne d’infan - ou reconstruites au prix parfois de un projet privé, tandis que c’est l’État, terie (Petit-Château, Mathieu-Bernard grands sacrifices de la fabrique qui doit encouragé par le roi lui-même, qui fera Meyers, 1848-1852). Autant le premier les financer. Saint-Jean-et-Nicolas de percer l’avenue de la Reine9. se distingue par la rigueur de son style, Schaerbeek (1849) se retrouve au bord autant la seconde brille par la fantai - des voies de chemin de fer parce qu’un L’action du pouvoir central devient la sie en adoptant un style médiéval. Au propriétaire avait des terrains à faire règle pour les programmes qui tom - cœur des Marolles est percé en 1854- valoir de ce côté8†; d’autres me±ront des bent directement sous sa responsabi- 1858 la rue Blaes, du nom d’un échevin décennies avant de voir le jour (Notre- lité. Depuis 1835, Bruxelles est reliée au hostile aux ruelles sinueuses si typique Dame immaculée à Anderlecht, 1856- chemin de fer, et si les concessions sont du Vieux-Bruxelles. Sur la place du Jeu 1900). privées, c’est le ministère des transports de Balle qui la sépare en deux sont qui se charge d’édifier les terminaux. construites face à face une église (Notre- Le projet de l’église royale Sainte-Marie Il est rapidement convenu d’établir les Dame immaculée, J. Appelmans, 1854) (1844) (fig. 2), au bout de la rue Royale, gares principales au nord et au sud de et une caserne de pompiers (Joseph sort du lot. D’abord, son architecte, Van la ville. La première est un palais italien Poelaert,1859-1863)†; non loin de là sont Overstraeten, développe une réflexion couvert de statues (François Coppens, établis le Mont de Piété (Alexis Par - inédite sur la notion de style moderne, 1841), au bout de la rue Neuve. Instal - toes, 1859-1862) ainsi que les premiers en suggérant de prendre dans le passé lée d’abord place Rouppe, la seconde bains publics, construits par l’architecte ce qui s’est fait de meilleur –†byzantin, est repoussée hors de la ville, sur Saint- Wynand Janssens dans un style pitto- romain, gothique (les étonnants arcs- Gilles. Cette gare du Midi, inaugurée resque mais sans aucun luxe… afin de boutants)†– et de l’adapter en fonction en 1869 seulement, illustre à merveille ne pas effrayer les pauvres qui doivent d’impératifs techniques nouveaux. le conflit entre tradition et moder - s’y rendre (1854, démoli)7†! Le plus gros Ensuite, elle est conçue en étroite nité†: côté voies, l’immense halle vitrée projet hygiéniste entrepris alors reste harmonie avec son environnement, repose sur de grêles colonnes métal - cependant le couvrement intégral de la sachant qu’elle doit servir de point de liques au milieu et des piliers massifs Senne, devenue un véritable dépotoir référence à l’extension de la ville vers en pierre sur les côtés†; à l’extérieur, à ciel ouvert. C’est le cheval de bataille le palais de Laeken d’un côté et Schaer- c’est une façade richement sculptée

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Fig. 4 Palais de Justice, Bruxelles, arch. J. Poelaert, 1866. Vue prise depuis les Marolles (coll. Belfius Banque © ARB-MRBC).

Fig. 5 Fig. 6 Colonne du Congrès, Église Saint-Boniface, Ixelles, Bruxelles, arch. J. Poelaert, arch. L. Dumont & L. de Curte, 1850. (M. Vanhulst, 2012 1846-1849 (A. de Ville de Goyet, © MRBC). 2012 © MRBC).

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Fig. 7 Le Concert Noble, Bruxelles, arch. H. Beyaert, 1873. Vue de la perspective des salons (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

aux airs d’arc de triomphe qui accueille n’a rien d’étonnant puisque le minis- toutes les polémiques, de tous les excès le voyageur pressé. D’autres gares plus tère l’a envoyé étudier sur place la pri- surtout (tant dans les proportions que modestes desservent les lignes secon- son de Pentonville, conçue selon la dans le coût), il fait figure de synthèse daires†; leur style néoclassique retenu double nécessité de l’isolement indivi- de l’approche éclectique si typique du est à l’image du nouveau quartier qui duel (prison cellulaire) et du contrôle XIXe siècle, en puisant largement dans se développe autour d’elles, comme à la permanent. La prison sera démolie le registre gréco-romain, mais avec tant gare du (Gustave Sainte- en 1895 mais les bâtiments de Joseph- de démesure et de créativité qu’il res- noy, 1855), mais aussi à Forest (Auguste Jonas Dumont (il y en aura d’autres, tera sans descendance. Payen, 1851) (fig. 3). dans toute la Belgique) seront entre- temps publiés par l’illustre savant Près d’un quart de siècle s’étale entre Le XIXe siècle connaît également l’ap- Édouard Ducpétiaux10. À l’autre bout de le concours du Palais de Justice (1860) parition de nouveaux programmes liés la rue aux Laines, des quartiers entiers et son inauguration officielle (1883), à l’appareil répressif hérité de la France sont aba±us quelques années plus tard suscitant des réactions mitigées. C’est révolutionnaire. Non loin du Sablon, pour accueillir «†la plus grande mer - qu’entre-temps les élites ont développé l’architecte Joseph-Jonas Dumont veille du monde†» selon un guide tou - une conception fort différente de la agrandit la prison des Petits Carmes en ristique de 191411†: le Palais de Justice forme à donner aux édifices publics. 1847, avec un édifice panoptique nova- (fig. 4). La rue de la Régence est prolon- Depuis 1830, livres, tableaux et monu- teur auquel il donne une façade en gée pour ménager la perspective entre ments publics célèbrent à l’envi l’his- style Tudor –†gothique anglais, ce qui l’édifice et la place Royale. Chantier de toire nationale. Les places ne man -

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quent pas pour y installer les statues des grands hommes présentés comme les défenseurs d’une Belgique en deve- nir†: Godefroid de Bouillon sur la place Royale (Eugène Simonis, 1848) est le premier d’une longue série. Ces projets adoptent d’abord les canons tradition- nels hérités du néoclassicisme, sans lien esthétique avec le sujet évoqué. De manière symptomatique, le monu- ment le plus ambitieux de l’époque, la colonne du Congrès de Poelaert (fig. 5), inaugurée en 1859, adopte le ton de l’al- légorie et de l’hommage intemporel aux héros de 1830.

Mais la connaissance des formes du passé national progresse et débouche bientôt sur l’aspiration d’un renouveau. Fig. 8 L’Académie le stimule en couronnant Square du Petit Sablon, les meilleurs ouvrages, dont une vaste Bruxelles, arch. H. Beyaert, étude de l’architecture gothique par 1879. (M. Vanhulst, 2012 l’archéologue Antoine Schayes en 1837. © MRBC). Une Commission royale des Monu - ments, créée en 1835 pour étudier et protéger le patrimoine, s’oriente peu à peu vers l’encouragement de projets inspirés par ce passé. En 1839 débute la restauration très libre de la cathédrale Sainte-Gudule, qui reçoit bientôt un escalier flambant neuf –†néogothique†– (François Coppens, 1856) qui tend un pont entre le passé et le présent. La Ville de Bruxelles va beaucoup plus loin avec le chantier de restauration de la porte de Hal, confié à Henri Beyaert en 1868. Conseillé par Alphonse Wauters, l’ar- chiviste communal, ce dernier fait d’une voie d’accès la synthèse minia - ture d’un château médiéval, en ajoutant par exemple une tourelle qui n’avait jamais existé. Le chantier reçoit l’hon- neur d’une visite de Viollet-le-Duc, le célèbre architecte-restaurateur français, qui a embelli le château de Pierrefonds pour l’empereur Napoléon III12.

En dehors des restaurations, ce néo - gothique se répand peu à peu dans le domaine religieux ou dans les pro - Fig. 9 grammes propices au pittoresque. Le Théâtre flamand (KVS), L’église Saint-Boniface (fig. 6) à Ixelles Bruxelles, arch. H. Baes, 1883. (Joseph-Jonas Dumont, 1847), est une (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). réelle curiosité, mêlant une approche néoclassique de la composition à un décor gothique très fantaisiste. Un nouveau mouvement se constitue, dont se réjouit, en 1848, la Revue de Bel-

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gique, creuset des idées progressistes de l’époque†: «†Il faut revenir sur nos pas, non pour suivre la marche des artistes du Moyen Âge, mais pour retrouver leur point de départ, le seul qui soit vrai, et chercher résolument des com- binaisons nouvelles en s’aidant des pro- grès de l’industrie, de la création et du perfectionnement des matériaux nou- veaux†»13. Les bâtisseurs les plus renom- més emboîtent le pas. Poelaert lui- même entreprend en style médiéval la nouvelle église de Laeken pour abriter la dépouille de la première reine des Belges†; commencée en 1854, elle ne sera achevée qu’en 1935.

La lu±e s’intensifie donc entre les clas- siques et les modernes –†entendez les défenseurs du néogothique. On doit aux Fig. 10 seconds l’église du Gesù (Louis Pavot, Salle du conseil de la maison 1860-65) ou le couvent Saint-Antoine communale d’Anderlecht, arch. de la rue d’Artois (Pierre Cuypers, «†le J.J. Van Ysendijck et Charle- Viollet-le-Duc hollandais†», 1868). Tou- Albert, 1870-1879 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). tefois, même dans le domaine reli - gieux, les réalisations néoclassiques restent monnaie courante, avec par exemple le couvent du parc Léopold (1857, Cels). Henri Beyaert se spécia- lise dans le médiéval pi±oresque, mais pour l’hôtel de la Banque Nationale (en la tournure politique qu’il prend dès et l’architecte Ernest Hendrickx. Ancien collaboration avec Wynand Janssens), il lorsque catholiques et libéraux se dis- élève de Viollet-le-Duc, celui-ci est la adopte encore un style classique, pour putent l’héritage du passé. C’est l’enjeu figure de proue du rationalisme en Bel- en faire «†l’expression symbolique du des années 1870-1880. gique††: l’inspiration du passé ne doit progrès et de l’industrie, de la richesse pas conduire au pastiche mais ressour- et de la prospérité publique†»14. L’archi- cer la création moderne. Il en a donné tecte courtraisien produira encore un LE TEMPS DES DISCOURS la preuve avec l’École Modèle du boule- chef d’œuvre de ce±e tendance en 1873 (ANNÉES 1870-1880) vard Lemonnier sur un programme éta- avec le Concert Noble, un ensemble bli par Buls en 1872, puis les agrandis- savamment agencé de salles d’apparat Ces années sont traversées par une crise sements successifs de l’Université libre au décor Louis XVI (fig. 7). Le débat va qui touche particulièrement le bâti - de Bruxelles à la rue des Sols (1884, pourtant prendre un tour nouveau sous ment15. Bruxelles étant de surcroît une démolie). On y retrouve la même créa- l’influence conjuguée de deux facteurs. ville de petites industries et d’artisanat, tivité que les maîtres de jadis, la même Le premier est l’intérêt pour le retour le contexte est mûr pour une récupé - virtuosité dans l’usage des matériaux, y au passé manifesté par ceux qui, dans ration de l’inspiration gothique, mais compris les plus modernes, mais aucun le sillon de l’Exposition universelle de aussi Renaissance après la publication pastiche16. Londres de 1851, souhaitent «†l’encou- d’études visant à démontrer le carac - ragement et le développement des arts tère national de l’art des XVI e et XVIIe Mis à part un certain une industriels en Belgique†», du nom d’une siècles. Aider à former des «†artistes- génération plus tard, Hendrickx ne sus- association fondée à Bruxelles en 1853. ouvriers†» dignes de Quentin Metsys est cite guère d’émules. La voie du retour Ils opposent le néoclassicisme, art de le leitmotiv d’une exposition impor- aux traditions s’exprime davantage par plafonneur, à un néogothique perçu tante tenue en 1874 dans les halles des références li±érales, en partie pour comme le faire-valoir des matériaux de fer et de verre flambant neuves des motifs idéologiques. Dans la capi- nationaux et de toutes les formes d’ar- construites sur les boulevards centraux. tale, le mouvement commence à la fin tisanat menacées par la modernisation Elle rassemble la plupart des hommes des années 1860 avec la restauration industrielle††: ferronniers d’art, tailleurs de métier qui construisent et déco - progressive des édifices de la Grand- de pierre, peintres décorateurs, etc. Le rent dans l’agglomération, mais aussi le Place, qui réunit plusieurs des prota - second facteur d’évolution du débat est jeune Charles Buls, futur bourgmestre, gonistes de l’exposition de 1874. La

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de la rue du Char commandé à Adolphe Samyn, l’architecte communal oblige ce dernier à enlever tous les détails pi±o- resques –†tourelle, pignon à encorbel- lement, pan coup醖 afin de «†s’en tenir en tout au strict nécessaire†»19. Du coup, les édifices publics à mettre au crédit du retour aux traditions ne sont pas légion. Adolphe Vanderheggen four- nit les plans du marché Saint-Géry (1880), halle revêtue d’une charpente en fer puddlé mais entourée de façades ornées de motifs inspirés de Vredeman de Vries. Plus original est le théâtre Fla- mand de Jean Baes (1884-87) (fig. 9), qui n’hésite pas à laisser apparents les escaliers métalliques de secours que la loi l’obligeait à installer. À l’intérieur, ses frères Henri et Charles, décorateurs, Fig. 11 rendent à leur manière leur hommage Casernes de Witte de Haelen, aux arts industriels d’autrefois. Etterbeek, arch. F. Pauwels, 1875. Perspective depuis le boulevard Général Jacques L’AGGLOMÉRATION EN QUÊTE (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). D’IDENTITÉ

Cette mode historiciste gagne les fau- bourgs, dont l’urbanisation s’intensi- fie†; dès les années 1870, les communes périphériques entourent entièrement salle gothique de l’hôtel de ville, repen- depuis la publication en 1867 de la le pentagone. En outre, suite à une sée par l’architecte Pierre-Victor Jamar, Légende d’Ulenspiegel de Charles De Cos- interprétation très large de la loi sur le devient une vitrine de la nouvelle ten- ter. L’expression la plus démonstrative régime urbain, des communes plus iso- dance mais aussi d’un discours insis - en est le square du Petit-Sablon, «†pan- lées comme Uccle et Evere se voient assi- tant sur l’indépendance communale et théon des gloires nationales du XVI e milées en zone urbaine. Victor Besme la défense de la liberté de conscience. siècle†» (statufiées) entouré d’une clô- en profite pour affiner son plan. Ses Jamar enchaîne en 1873 avec la recons- ture en fer forgé (fig. 8). Sur le plan artis- idées sont parfois mises en œuvre avec truction quasi totale de la Maison du tique, c’est un chef d’œuvre de virtuo- des adaptations et surtout une tendance Roi, selon les directives d’Alphonse sité et de créativité orchestré par Henri croissante à privilégier le respect de Wauters et de Buls, qui élabore lui- Beyaert avec la fine fleur des artisans l’environnement naturel, même si l’ins- même le programme décoratif pour les bruxellois. Imaginé dès 1878, il est inau- pecteur voyer reste hostile aux dénive- sculptures des façades –†exécutées par guré en 1890 seulement par des festivi- lés trop forts (place Morichar à Saint- la Compagnie des Bronzes, une fon - tés au caractère politique très affirmé, Gilles, rue de l’Ermitage à Ixelles)20. On derie située à Molenbeek-Saint-Jean. dont une cavalcade sur l’histoire de la en voit les résultats notamment le long L’hommage aux anciens métiers se révolte des Pays-Bas espagnols. de l’ancien cours du Maelbeek, avec le double d’une critique politique expli- quartier Nord-Est (Bordiau, 1875) et les cite†: «†Si, autour de la cathédrale de Dans les constructions nouvelles, la étangs d’Ixelles (Besme, 1873). Strasbourg, l’architecte a pu disposer un Ville cherche à conjuguer hommage chœur d’anges chantant les louanges à la tradition et discours idéologique, Toutes ces nouvelles voies ont besoin de du Seigneur, l’architecte de la Maison mais les budgets limitent souvent ses monuments (et de parcs) pour attirer du Roi peut aussi bien placer autour ambitions. Sur la place Anneessens, l’ar- les habitants. «†Ce quartier se couvrirait de son édifice des hérauts proclamant chitecte Émile Janlet édifie en 1878 une complètement de constructions si l’école la noblesse et la puissance de la Com - école dotée d’une magnifique façade en cours d’exécution était construite, si mune†»17. Pour propager ce type de dis- en style du XVIe siècle, «†pour complé- une église à façade monumentale y était cours, l’administration libérale délaisse ter le caractère monumental du boule- érigée†», entend-on au conseil communal bientôt le Moyen Âge au profit de la vard et non pour embellir l’école pro- d’Ixelles à propos du quartier de la rue Renaissance, associée à la lutte contre prement dite†», explique l’échevin 18. Par du Bailli21. Même son de cloche à Schaer- l’Espagne et l’obscurantisme religieux contre, dans le cas du jardin d’enfants beek lors de la discussion sur la future

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LÉOPOLD II APÔTRE DU GRAND BRUXELLES

a figure de Léopold II apparaît en filigrane dans de rain doive a± endre vingt ans avant le déblocage du projet†? Ou nombreux projets liés à l’essor de la capitale entre que les aménagements espérés ne verront jamais le jour†? En 1860 et sa mort en 1909 (voir fi g. p. 120). Jeune prince, fait, son autorité ne va pas au-delà de celle impartie au pou- L il manifeste déjà son souci de moderniser les infras- voir exécutif –†l’État†– qui peine souvent à imposer ses vues tructures de la capitale, notamment militaires, et d’accen- au niveau local. L’atout principal de Léopold II est son réseau tuer les projets somptuaires. «†Je voudrais voir, pour ma part, étendu d’alliés dans le monde des affaires, et son don pour le cachet de notre existence libre et prospère imprimé en le me± re à profi t. Il peut compter sur des entrepreneurs effi - quelque sorte sur chacun de nos édifices†», déclare-t-il au caces, comme Louis De Waele, un des artisans de l’essor éco- Sénat1. Au même moment, il encourage les discussions sur le nomique de Molenbeek, et Wouters-Dustin, à qui il promet désenclavement du centre-ville en proposant un prix pour le l’exclusivité des travaux qu’il prévoit à Ostende s’il parvient à meilleur projet d’extension. Lui-même publie anonymement construire à temps l’arcade du . une brochure sur l’avenue Louise en 1864. Il lit Alphand, le directeur des travaux d’Haussmann à Paris, et bien sûr, sou- On lui reproche également à ce± e époque «†les goûts gran- tient les projets d’embellissement du jeune Victor Besme. Son dioses, les concepts à la Louis XIV, inspirés de l’art pom- enthousiasme l’amène à acquérir lui-même des terrains, que peux des cours de l’ancien régime†» 4 . Son goût pour l’ar- ce soit pour encourager la spéculation ou simplement pour chitecture classique n’est pourtant pas exclusif. Sensible ménager de belles perspectives, comme dans le quartier Saint- comme ses contemporains à l’affirmation du sentiment Roch (Mont des Arts) ou au dessus des étangs d’Ixelles. Il sou- national (il rêve d’installer des statues des grands hommes met ses propres idées à Besme, comme le prolongement du le long de l’avenue Louise), il n’en estime pas moins que l’art boulevard d’Anvers jusqu’au plateau de Koekelberg, afin de n’a pas de frontières. Il s’adresse aux allemands Édouard désenclaver ce± e partie de la ville†; c’est l’origine du futur bou- Keilig pour le parc de Laeken (fi g. 1) et Hermann-Josef Stüb- levard Léopold II et de la basilique qui en achève la perspec- ben pour l’aménagement de l’avenue de Tervuren. Dans tive. Pour débloquer certains projets, il n’hésite pas à recourir le domaine de l’architecture, il se tourne vers les français à des pressions –†faisant par exemple obstacle aux travaux de Daumet puis Girault et Alexandre Marcel pour la tour japo- la rue de Roumanie à Saint-Gilles, dans l’espoir d’obtenir plus naise (fi g. 2) et le pavillon chinois (fi g. 3) –†qui relèvent de tard une voie d’un standing plus élevé2. la mode exotique typique des expositions universelles. Il n’en a pas pour autant fait l’impasse sur le néogothique, Son comportement lui rapporte bientôt une réputation d’in- comme en témoigne le monument à Léopold Ier (De Curte, terventionnisme, surtout dans le dossier de la Montagne de la 1878-1880), et il a fréquenté certains architectes du renou- Cour, lorsque le bourgmestre de la Ville Charles Buls justifi e veau néo-Renaissance flamande, que ce soit Jean Baes ou sa démission par «†l’immiscation [sic] constante du roi dans Van Ysendyck, qui lui dédie ses Documents classés sur l’archi- nos travaux publics†»3. Comment expliquer alors que le souve- tecture.

NOTES 1. RANIERI, L., Léopold II urba- 3. BOTS, M. (éd.), Het dagboek niste, Bruxelles, 1973, p. 12. van C Buls, Gand Liberaal Archief, 1987, p. 143. 2. ZITOUNI, B., Agglomérer. Une anatomie de l'exten- 4. CLOQUET, L., « Mélanges. sion bruxelloise (1828-1915), Le style néo-classique et le Bruxelles, Academic & nouveau Bruxelles », Revue de Scientifi c Press / VUB Press, l’art chrétien, 1904, p. 398. 2010, p. 222.

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Fig. 2 Tour japonaise dans le domaine royal de Laeken, arch. A. Marcel, 1901 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). Fig. 1 Monument à Léopold Ier, parc de Laeken, arch. L. Decurte, 1880 (A. de Ville de Goyet, 2012 © MRBC).

Fig. 3 Pavillon chinois, Laeken, arch. A. Marcel, 1901 (M. Vanhulst, 2012 © RBC).

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école de la rue Gallait†: il convient de lui Malgré l’avalanche de louanges et les domaine militaire, entre les façades très donner «†un aspect général convenable, appels répétés au nationalisme artis- françaises des casernes le long du bou- afin d’a±irer les bâtisseurs de ce côt醻22. tique dans la presse ou le monde poli- levard Général Jacques (fig. 11) (Félix Écoles et églises constituent donc un ter- tique, il serait erroné de penser que la Pauwels et Otto Geerlinck, 1875-1882) reau de prédilection pour une mise en construction d’édifices de prestige est et l’hôpital militaire d’Ixelles (du même œuvre généralisée du style national tant tout entière vouée au style flamand, Geerlinck, 1887, démoli) ou le Tir natio- souhaité par certains édiles. Les institu- qu’il soit gothique ou Renaissance. nal de Schaerbeek (Victor Besme, 1887, tions privées suivent souvent la mode D’une part, ces styles ne conviennent également démoli). néogothique. Le long de la chaussée de pas à tous les programmes architectu- Wavre, à Ixelles, les Pères du Saint-Sacre- raux et, d’autre part, tout le monde ne Lorsque vient s’ajouter un qualifica - ment font construire un couvent par s’y reconnaît pas. Ainsi, les hôtels com- tif de royal, le style retenu est toujours l’architecte provincial Gustave Han- munaux d’Uccle (1872-89) et de Molen- empreint de sobriété voire d’acadé - so±e sur un magnifique site boisé (1883- beek-Saint-Jean (1887), respectivement misme†: le Palais des Beaux-Arts –†futur 84), et un peu plus bas, l’Œuvre du Cal- néo-Renaissance française et néoclas- musée†– d’Alphonse Balat (1875) ou vaire fait édifier le sien en 1889 à côté sique, expriment une conception dif- l’Observatoire royal d’Uccle (1880- d’une ancienne maison de campagne. férente de l’indépendance commu - 1891, Octave Van Rysselberghe). Léo - Parmi les nombreux autres exemples de nale. Toujours à Molenbeek-Saint-Jean, pold II lui-même, à Laeken et au palais ce genre, l’institut des sourds et muets à Joachim Benoît rend hommage à son de Bruxelles, entreprend des travaux Woluwe-Saint-Lambert (H. Jaumot, 1878) maître Poelaert avec l’école de dessin de d’esprit classique, parfois très auda - et la délicate chapelle Julienne à Saint- la rue Mommaerts (1879-1880), dont la cieux cependant avec les fameuses Josse-ten-Noode, de l’ingénieur-archi- façade est ornée des noms des grands serres du même Balat (1875) (fig. 12). tecte Joris Hellepu±e (1886), ont la par- artistes nationaux mais le style pure - Le même cocktail de classicisme fran- ticularité d’être liés aux écoles Saint-Luc, ment éclectique. çais et d’audace technique caractérise l’équivalent catholique du mouvement enfin les palais construits par Gédion de retour aux traditions artisanales. L’État surtout peine à accepter l’assi - Bordiau pour abriter les festivités du milation entre art flamand et identité cinquantenaire de l’indépendance en Du côté de la néo-Renaissance fla - belge. Dans le quartier des ministères, 1880 (et agrandis en 1888). Pour être mande, les œuvres les plus abouties le Palais de la Nation est réaménagé au dessus des partis, au dessus des par- sont les maisons communales d’An- avec certaines concessions au nationa- ticularismes, la Belgique se doit d’être derlecht-Cureghem (1877) (fig. 10) et lisme artistique, notamment la série internationale†: tel est le message que de Schaerbeek (1884-87), dues l’une et de portraits de célébrités de l’histoire le souverain et, derrière lui l’État belge, l’autre au talent de Jules-Jacques Van nationale commandée au peintre Louis souhaitent faire passer. Ysendyck. Situées au cœur d’un nou- Gallait25. Mais aucun des bâtiments veau quartier (dans le premier cas, la construit ensuite ne jure avec l’ordon- La référence au passé local est éga - commune a d’ailleurs reçu le terrain nance héritée du XVIIIe siècle, si ce n’est lement mise à mal par son inadé - gratuitement23), elles se distinguent le ministère nouvellement créé des che- quation avec certains programmes. autant par le souci de créer de belles mins de fer, postes et télégraphes. En C’est le cas d’abord de ce qui touche à perspectives à travers la ville que par effet, à la demande du ministre Jules la spiritualité†: sanctuaires ou cime - la variété des façades et la qualité des Vandenpeereboom, c’est Henri Beyaert tières. Ainsi, malgré leur goût pour aménagements intérieurs. De propor- qui est chargé du projet auquel il la période des guerres de religion, tions modestes, la première est déco- donne un caractère pi±oresque affirmé. les libéraux francs-maçons préfèrent rée par l’artiste Charles-Albert, en col- Comme toujours avec lui, les références donner à leurs loges un style égypti- laboration avec une équipe d’artisans historiques sont nombreuses mais sant plus en phase avec leur message dont les noms sont rappelés sur le librement interprétées et associées universaliste†; c’est le cas du temple grand vitrail de l’escalier d’honneur. à des aménagements très modernes. de la rue du Persil d’Adolphe Samyn, La seconde est un véritable palais Le tiraillement entre ces deux ten - «†l’une des plus belles choses que pos- inauguré à grand fracas en présence dances contradictoires se retrouve sède Bruxelles†», écrit un journaliste du souverain et du prince héritier. En dans d’autres programmes relevant de en 187926. C’est le cas ensuite dans le façade, des reliefs signés Jaquet retra- l’État. À l’élégance raffinée de la gare domaine des loisirs et du commerce. cent l’histoire de la commune, magni- de Laeken (architecte inconnu, 1880) Les grands bâtiments construits le fiée pour les besoins de la cause. À succède la fantaisie historiciste de long des boulevards centraux en don- l’intérieur, on retrouve de nombreux celles de Jette (1886-1892) ou Schaer- nent l’illustration parfaite†: outre les artistes impliqués dans la rénovation beek (Frans J. Seulen, 1887)†; le pitto - halles déjà évoquées, la Bourse de de l’Hôtel de Ville de Bruxelles 24. Les resque du bureau de poste de la chaus- Commerce inaugurée en 1873 (fig. 13), deux édifices deviennent, y compris sée de Charleroi (J. Gody, 1884) tranche le palais du Midi (Wynand Janssens, à l’étranger, un symbole du refus d’un avec la solennité de la poste centrale, 1875) ou encore l’hôtel Continen - classicisme sans racine et du retour place de la Monnaie (Louis De Curte, tal (Eugène Carpentier, 1874) récom- aux traditions artisanales. 1885, démoli)†; même contraste dans le pensé à l’occasion d’un concours de

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Fig. 14 Fig. 12 Hôtel Métropole, Bruxelles, Serre d’hiver du domaine royal arch. A. Chambon, 1892. de Laeken, arch. A. Balat, 1875. Brasserie (M. Vanhulst, 2012 Gravure d’époque (© KBR). © MRBC).

Fig. 13 Bourse de Commerce, Bruxelles, arch. L. Suys, 1868 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

Fig. 15 Fig. 16 Abattoirs d’Anderlecht, arch. E. École vétérinaire de Tirou, 1890 (M. Vanhulst, 2012 Cureghem, Anderlecht, arch. F. © MRBC). Seroen, 1890 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

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façades lancé par la ville en 1872. Au niveau des intérieurs, l’hôtel Métro- pole, quoique tardif (Chambon 1882) témoigne encore du style acadé - mique dénué de références locales, si typiques de l’architecture des loisirs à la fin du XIXe siècle (fig. 14).

Enfin, c’est aussi le cas lorsque les exi- gences techniques prennent le des - sus sur les préoccupations esthé - tiques. Dans le nouveau quartier Notre-Dame-aux-Neiges, le Cirque royal (Wilhelm Kühnen, 1876, recons- truit en 1953) et le Bain royal (Adolphe Vanderheggen, 1879) attirent l’atten- tion avant tout pour leur audace tech- nique, notamment dans le premier Fig. 17 cas, l’audacieuse toiture métallique Viaduc de la chaussée conçue par l’ingénieur Arthur Vie - d’Haecht, Schaerbeek, 1910 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). rendeel. Dans les années 1880, alors que certains continuent de débattre sur l’option esthétique à donner à l’art national, d’autres font avancer à grand pas l’art de la construction tout court. Les aba±oirs d’Anderlecht par exemple (fig. 15), inaugurés en 1890, doivent leur cachet monumental à l’affirmation franche de la structure métallique et à la silhoue±e animée de la halle centrale. Aucun motif histo- rique ne vient appuyer cet éloge de la technique, signé Émile Tirou, même si les bâtiments annexes sont plus conventionnels. À nouveau, c’est tout un quartier qui se développe ensuite autour des halles, grâce aux aménage- ments entrepris par l’État sur ce site très marécageux. Une opération simi- laire sera menée un peu plus loin à partir de 1892 pour établir la nouvelle Fig. 18 École vétérinaire de l’État (fig. 16), Arcade du Cinquantenaire, Bruxelles, arch. Ch. Girault, chef-d’œuvre tardif d’éclectisme signé 1905 (M. Vanhulst, 2012 Frans Seroen (1900-1909). © MRBC). les ouvrages d’art se multiplient. Il achève l’avenue de la Couronne en L’AVÈNEMENT DE L’HOMME DE finançant le viaduc au dessus du che- CHANTIER (ANNÉES 1890-1900) min de fer (1888). D’autres ponts impressionnants font l’orgueil de Les développements urbains de ce Molenbeek-Saint-Jean (boulevard du genre donnent lieu à des tours de force Jubilé, 1904-1905) ou d’Anderlecht techniques de plus en plus considé - (pont du Charroi, 1910)†; sur l’avenue rables. Un peu partout, avec l’aide de de la Reine, l’architecte-décorateur partenaires privés –†Georges Brug - Alban Chambon pose un pont métal- mann à Uccle, Edmond Parmentier lique destiné à permettre de fran - à Woluwe-Saint-Pierre, etc.†– l’État chir à pied les voies de chemin de fer entreprend la réalisation de voies tou- (1911-1913). Citons enfin le viaduc de la jours plus majestueuses, sur lesquels chaussée de Haecht (1910) (fig. 17).

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De telles réussites nourrissent les orchestrés par Albert Dumont à la LES STYLES : VERS UNE idées de grandeur de ceux qui applau- Société centrale des architectes, qui ARCHITECTURE ORGANIQUE dissaient jadis au percement des bou- crée un Comité du Tracé des Villes en levards centraux. Déjà à l’époque, le 1910. Dans ce contexte, la notion de style sub- conseiller communal (et architecte) siste mais passe au second plan. On conti- Antoine Trappeniers assurait que «†si Sur le plan esthétique, Buls ne défend nue certes de construire en néogothique, l’on pouvait sans inconvénients rebâ- pas un style particulier, mais une ou en néo-Renaissance flamande, et d’en tir toute la ville de Bruxelles dans approche contextuelle, en phase avec débattre. Le premier connaît d’ailleurs le genre des nouveaux boulevards, les développements nouveaux de la une sorte d’âge d’or tardif grâce à l’explo- on n’hésiterait pas à le faire†» 27. Les capitale. Après plusieurs décennies sion de fondations catholiques en tous meilleurs techniciens de l’époque, de grands travaux, la ville tout entière genres. Elles sont si nombreuses à E±er- architectes ou ingénieurs, multi - est devenue un monument et les beek qu’elles changent la physionomie de plient par la suite les projets de trans- édiles n’estiment plus nécessaire de ce±e commune. La plus impressionnante formation radicale du paysage urbain, toujours prévoir un bâtiment public est le collège Saint-Michel (fig. 19), qui comme François Wellens, le direc - pour donner du cachet à un quar - évoque à grand renfort de détails déco- teur des travaux du Palais de Jus - tier. Il suffit parfois d’une bonne ges- ratifs stéréotypés un complexe conçu à tice, qui rêve d’un métro aérien entre tion de la construction privée et des différentes époques (Alphonse Gellé & la Grand-Place et la place Royale en aménagements de voierie†: l’archi - Joseph Prémont, 1902-12). Désormais 189028. Deux questions focalisent leur tecte Henri Maquet monumentalise bien implanté à Bruxelles, le mouvement a±ention†: d’une part, le raccord entre ainsi l’entrée de l’avenue Louise par Saint-Luc décroche plusieurs commande le haut et le bas de la ville, la rue de deux immeubles d’angle (démolis), d’églises paroissiales, comme Saint-Rémy la Montagne de la Cour étant consi- tandis que de nombreuses communes de Molenbeek-Saint-Jean (Chrétien dérée comme trop escarpée pour la embellissent les nouvelles places en Veraart, 1907) ou Saint-Henri à Woluwe- circulation moderne, d’autre part, la organisant un concours de façades. Saint-Lambert (Julien Walckiers, 1910). jonction ferroviaire entre les gares du Il est révélateur à cet égard que les Nord et du Midi. Après des décennies grandes festivités ne s’accompagnent Ses architectes n’hésitent cependant pas à de tergiversations, les deux dossiers pas de nouvelle construction solen- s’éloigner des canons définis à la généra- se débloquent au début du XX e siècle nelle, à part en 1905 (fig. 18), l’arcade tion précédente. L’institut Kufferath de la et des quartiers entiers disparaissent érigée pour commémorer les 75 ans rue de Linthout (clinique Saint-Michel) sous la pioche des démolisseurs29. de la Belgique par le Français Girault. est une belle variation sur la Renaissance Celle-ci fait, après l’amputation par- flamande, signée Hubert Marcq en 1895, Cette vision dirigiste et normative tielle de la halle construite pour l’Ex- tandis que le collège Saint-Michel de la attire la réaction de certains défen - position universelle de 1897, l’articu- rue des Ursulines (1910, futur collège seurs de la tradition et en particulier lation entre l’ancienne perspective Saint-Jean Berchmans) illustre la liberté du bourgmestre de la Ville, Charles rectiligne de la rue de la Loi et celle, que son architecte Georges Cochaux Buls. Lors du débat sur la Montagne tout en nuances, de l’avenue de Tervu- prend avec le gothique. L’institut privé de la Cour, il tente en vain de s’op - ren, le vrai morceau de gloire de ce±e des frères maristes à Auderghem, est une poser au projet retenu par l’État qu’il exposition. étonnante fantaisie néogothique tar- juge trop destructeur pour le vieux dive signé Veraart (1912). Les catholiques Bruxelles pittoresque. «†Les auteurs L’évolution des monuments commé- s’orientent ensuite vers une symbolique des plans grandioses ne songent moratifs complète le tableau. Ce n’est plus allusive, dont l’ensemble de bâti- jamais aux souffrances des petits et pas une statue mais une fontaine en ments édifié à Neerpede à partir de 1914 des humbles qu’ils écrasent sous les forme d’obélisque parfaitement inté- –†église, presbytère et deux écoles†– est un décombres de leurs demeures†», écrit- grée dans le contexte de la place de exemple précoce. il à ce propos dans un texte qui a un Brouckère qu’imagine, en 1897 tou - retentissement européen, L’Esthé- jours, l’architecte Janlet pour hono - De leur côté, les pouvoirs publics –†l’État tique des Villes 30. Faute de parvenir à rer, dit l’inscription, «†Jules Anspach, et les communes†– prennent-ils leurs imposer son point de vue, il démis - à qui l’art architectural doit son nou- distances avec la néo-Renaissance fla- sionne en 1899 et devient l’apôtre vel essor à Bruxelles†»31. À Schaerbeek, mande, vilipendée par la critique†? En désintéressé d’une pensée organique le monument de la place des Bien - 1900, le critique d’art Octave Maus solde de la ville, respectant tant le bâti faiteurs par Henri Jacobs et Gode - les comptes du XIXe siècle en se félici- ancien que la topographie. Il fonde froid Devreese (1903-07) fait vrai - tant de l’abandon des «†serviles pastiches en 1903 le Comité d’Étude du Vieux ment partie du projet urbanistique, des styles d’autrefois†» emmenés par Bruxelles, afin de sauvegarder les tout comme le vase monumental l’exemple de Beyaert. Force est cepen- restes d’un patrimoine meurtri. Res- des Bacchanales du même sculpteur dant de reconnaître que ce±e tradition a pect du passé et idées pour l’avenir Devreese se fond parfaitement dans encore la vie dure. Malgré leur fantaisie, se mêlent ainsi dans les nouveaux le paysage de l’avenue Louis Bertrand des édifices comme l’Hôpital de Schaer- débats sur l’urbanisme, ainsi ceux (1911). beek (Kühnen, 1894-1905), le long du

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Fig. 19 Chapelle du collège Saint- Michel, Etterbeek, arch. A. Gellée et J. Prémont, 1902 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

Fig. 20 Institut Fond ’Roy, Uccle, arch. G. Hobé, 1903 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

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nouveau boulevard de Lambermont, ou lisations publiques des années 1890- sement historiciste, de style Renaissance l’école normale Berkendael à Forest (De 1900 relèvent de ce±e tendance, qui se française ou mieux encore rococo. L’Ae- Rycker, 1899), restent très tributaires de décline en deux variantes†: celle qui met gidium à Saint-Gilles (Segers, 1905), un la référence au passé régional, à l’instar le programme technique en valeur et des derniers témoins des lieux de spec- des deux casernes de grenadiers de Lae- celle qui cherche à le dissimuler. tacle de la Belle Époque, possède même ken et de Bruxelles (Van Ysendyck), celle- une salle des fêtes mauresques (fig. 22). ci étant interprétée par Jules Brunfaut Ainsi, sans que l’on puisse vraiment par- On notera que, comme dans le cas de comme un «†dernier salut à la Renais - ler d’Art nouveau, de nombreux bâti - l’option rationaliste, l’Art nouveau n’est sance flamande s’assoupissant, nouvelle ments accentuent la tendance à recou- pas toujours très loin†; Léon Govaerts, Brunehilde, au milieu des ondulations rir aux matériaux modernes de manière qui l’a pratiqué, fait de la maison com- fulgurantes de l’Art nouveau†»32. visible et créative. Sur le site du parc Léo- munale de Saint-Josse-ten-Noode (1911) pold, deux vétérans de la néo-Renais- un petit chef d’œuvre de néo-Louis L’Art nouveau, ou l’invention d’un lan- sance flamande mettent à nu leur XVI. Dans un esprit plus sévère, Henri gage inédit en harmonie avec les innova- approche rationaliste de la construc- Maquet, un des architectes favoris du tions techniques … Il est à peine exagéré tion et du décor†: Janlet, avec l’extension souverain, multiplie les sujets de belles de dire que l’État ignore complètement du musée des Sciences Naturelles (1898- cartes postales avec le commissariat ce mouvement, malgré les appels du 1905) et Jules-Jacques Van Ysendyck, avec de police de la rue de la Régence (1894, pied de celui-ci†: Paul Hankar et Adolphe trois instituts médicaux pour l’univer- démoli), le pavillon principal de l’École Crespin présentent un projet de quartier sité (à partir de 1892). Ni historicistes, ni militaire (1900-1909), l’institut Latours moderne pour l’exposition de 1897, mais vraiment modernes, ces œuvres se rap- de Freins à Uccle (1903) et la nouvelle ils n’auront que l’aménagement de la prochent de l’ancienne école de Com- façade du Palais royal (1904-1907). Il section congolaise. Les administrations merce Solvay (fig. 21) construite au rivalise ainsi avec le Français Charles communales n’agissent pas autrement, même endroit par Constant Bosmans Girault, également très apprécié par Léo- si ce n’est à échelle très réduite (entrée et Henri Vandeveld (1903, actuellement pold II, qui semble voir dans la tradition du cimetière de Saint-Josse à Schaer- Bibliothèque Solvay). À l’autre bout de l’école des Beaux-Arts (l’académie beek par Léon Govaerts, 1902) ou dans le de la ville, l’aménagement du quartier d’architecture de Paris) la carte de visite domaine scolaire, avec le modeste jardin maritime entraîne la naissance du site dont Bruxelles a besoin pour entrer dans d’enfants de la rue Saint-Ghislain par de Tour & Taxis en 1902-1907, zone à la le cénacle des belles villes européennes. Horta (sur intervention de Buls) et bien fois ferroviaire et douanière dont tous sûr les splendides écoles d’Henri Jacobs. les bâtiments illustrent à merveille l’es- Style Beaux-Arts ne signifie cependant Les autres bâtiments monumentaux Art prit de la Belle Époque. Les mêmes Bos- pas reprise servile des modèles pari - nouveau relèvent de l’initiative privée, à mans et Vandeveld construisent la pre- siens. L’architecte Albert Dumont a l’instar de ceux des associations socia- mière gare bruxelloise qui ne masque certes pu admirer le projet de la mairie listes, soucieuses de donner une image plus la structure métallique de la halle de Dunkerque, chef d’œuvre de néo-fla- de modernit醆: la célèbre Maison du des voies. L’entrepôt des marchandises, mand académique du Français Louis- Peuple de Horta, ou le siège du journal signé Ernest Van Humbeek, innove Marie Cordonnier, présenté à l’Exposi- Le Peuple rue des Sables par son assistant par le recours au béton armé Henne - tion de 1897. Mais avec l’Hôtel de Ville Richard Pringiers (1905). On peut y ajou- bique. La succursale présente une char- de Saint-Gilles (1897-1904), il réussit ter quelques palais du commerce (Grand pente d’une portée très audacieuse pour lui-même la gageure de combiner tra- bazar du boulevard Anspach, Petit, 1897 l’époque. L’apparence néo-Renaissance dition flamande et esprit français, pit- et Horta, 1903, démoli) et établissements flamande ou simplement pittoresque toresque et classicisme, indépendance hospitaliers†: le sanatorium du Fort Jaco des façades est un aspect secondaire communale et centralisme régalien. La (actuel Institut Fond’Roy) (fig. 20), conçu dans cet ensemble qui célèbre la moder- décoration intérieure très riche s’appa- en 1902 par Georges Hobé dans l’esprit nité sans en tirer de leçons sociales par- rente à un véritable musée d’art éduca- cottage anglais, les cliniques de Jean- ticulières33. Bref, une sorte de manifeste tif†; le bourgmestre Van Meenen, qui se Baptiste Dewin, qui renouvelle complè- anti-Art nouveau. Un édifice public est lamentait en 1881 de ne pouvoir, comme tement le genre à partir de la très belle d’ailleurs bâti dans le même esprit juste à Anderlecht, bâtir «†un vrai monu - clinique du docteur Depage (1903) , en face de la Maison du Peuple††: l’école ment†» 34, peut se féliciter désormais Horta enfin, qui lui emboîte le pas avec de menuiserie de la rue Joseph Stevens, d’habiter le palais communal le plus son projet pour l’hôpital Brugmann financée grâce à la donation de Joseph somptueux de l’agglomération†! D’autres (1906), construit après 1911. Godefroy, ami de Beyaert et ancien pro- édifices perpétuent ce nouveau traditio- moteur du mouvement des arts indus- nalisme, comme la maison communale Si les innovations techniques consti- triels (Théo Serrure, 1895). de Laeken (Bonduelle, 1907) ou la Justice tuent un moteur de l’architecture Art de Paix d’Etterbeek, place Saint-Pierre nouveau, elles alimentent également Une autre tendance illustre tout autant (Stillemans, 1914). Ils constituent le pré- une autre forme de modernité, moins les paradoxes des années 1900†; elle lude de l’Art Déco en devenir, dans une révolutionnaire car encore marquée consiste à revêtir les programmes les version moins originale que les projets par l’historicisme. Les meilleures réa- plus modernes d’un vêtement outrageu- hospitaliers de Horta et Dewin.

-PB 006--BAT.indd 13 2/05/13 10:24 138 LE PATRIMOINE ÉCRIT NOTRE HISTOIRE 2013

Fig. 21 Ancienne bibliothèque de l’institut de Sociologie Solvay, Bruxelles, arch. C. Bosmans & H. Vandeveld, 1901 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

Fig. 22 Salle de l’ancien cinéma Aegidium, Saint-Gilles, arch. G. Segers, 1905 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC).

-PB 006--BAT.indd 138 2/05/13 10:24 CONSTRUCTION D’UNE CAPITALE 1860 - 1914 LES ÉDIFICES PUBLICS 139

NOTES 10. DUCPETIAUX, É., Réforme munal de Bruxelles, 1881, p. 414. Belgique de 1830 à nos jours, 1. AVB, papiers Buls IV-31/1, des prisons. Système cellulaire, 19. AVB, Instruction publique, Anvers, Fonds Mercator, 2003, lettre à Georges Verhaegen, Bruxelles, 1865, p. 4-5 (note 1). dossier n° 196, document non p. 601 ; WELLENS, F., Ville de vers mars 1874. Cette prison disparaît avec daté ni signé (vers 1882-1883). Bruxelles, Projet de chemin la construction de la caserne de fer funiculaire à construire 2. « Défense et illustration Prince Albert en 1901, mais 20. Voir ZITOUNI, op. cit., pour relier le bas et le haut de e siècle », de la façade du XIX Dumont est aussi l’auteur de la p 156 et suiv. & 210 et suiv. la ville. Bruxelles, construire et recons- prison de Saint-Gilles, édifiée 21. Intervention de Vincent: truire. Architecture et aména- 29. Pour une vue d’ensemble, après sa mort par son collabo- « Réédification du temple voir DEMEY, Th., Bruxelles. gement urbain. 1780-1914, CCB, rateur François Derre (1878). des Augustins au Quartier de 1979, p. 103. Chronique d’une capitale en 11. Guide de Bruxelles et de ses Tenbosch », Bulletin Communal chantier, Bruxelles, 1991. 3. LEBLICQ, Y., « L’évolution d’Ixelles, 03/08/1891, p. 718 environs. Souvenir de l’Hôtel de 30. BULS, Ch., Esthétique des de la physionomie de Bruxelles Belle Vue et de Flandre 1914, 22. Intervention de De Smedt: e villes, Bruxelles, Bruylant- au XIX siècle », Bruxelles, e s.l., s.d., 35 édition, p. 110. Bulletin du conseil communal Christophe et Cie, 1894, p 37. construire et reconstruire. de Schaerbeek, 1887, p. 531 Architecture et aménagement 12. L’architecture éclectique 31. Le monument a été dé- d’Henri Beyaert, Bruxelles, (elle sera finalement édifiée en urbain. 1780-1914, Bruxelles, 1895-98). monté en 1973 et partiellement Crédit communal de Belgique, Banque nationale, 1978, p. 16. remonté neuf ans plus tard 1979, p. 31. 13. « Architecture. MM. 23. JURION-DE WAHA, place Sainte-Catherine. Dumont, Deman et Meyers », Fr., La Mémoire des pierres. 4. JACQUEMYNS, G., Histoire Découvrez les Hôtels de Ville 32. BRUNFAUT, J., Notice sur contemporaine du Grand- Revue de Belgique, III, 1848/2, Jules-Jacques Van Ysendyck, p. 180. et les Maisons communales à Bruxelles, Bruxelles, Librairie Bruxelles, Bruxelles, Fondation Bruxelles, Académie, 1911, p 7. Vanderlinden, 1936, p. 80. 14. Lettre de Beyaert citée par Roi Baudouin, 1988, p. 24. 33. RADERMECKER, V., et VA- 5. ZITOUNI, B., Agglomérer. KAUCH, P., « Les bâtiments LENTE P., « Les aménagements de la banque à Bruxelles (III) », 24. Incendié en 1911, l’édifice Une anatomie de l'exten- sera reconstruit à peu près publics le long du canal », sion bruxelloise (1828-1915), Banque nationale de Belgique, Région de Bruxelles Capitale. 1993, 9, p. 38. à l’identique. Voir BOUVIER, Bruxelles, Academic & J., « L’Hôtel communal de Art et architecture publics, Scientific Press / VUB Press, 15. MAETER, P-P, « Quand le Schaerbeek. Une maison, une Mardaga, Liège, 1999, p. 135. 2010, p. 145. bâtiment va », Cahiers de la mémoire », Bulletin trimestriel 34. Bulletin communal de 6. ROUSSEAU, J., « Jean-Pierre Fonderie, 19, 1995 (Construire), du Crédit communal de Bel- Saint-Gilles, 09/04/1881, p Cluysenaar », Bulletin des p. 4. gique, n°161, 07/1987, p. 3-47. 378-379. Commissions royales d’Art et 16. HENNAUT, E., « Ernest 25. Commande de 1863, d’Archéologie, XX, 1881, p. 320. Hendrickx et l’influence de inachevée à la mort de l’artiste. 7. MEYFROOTS, G., « Les équi- Viollet-le-Duc », in : AUBRY, Voir OGONOVSZKY, J., La pements de santé et sportifs. Fr., HOOZEE, R., Bruxelles, Peinture monumentale d’his- Piscines et bains publics de carrefour de cultures, Fonds toire dans les édifices civils en Bruxelles », Région de Bruxelles Mercator, 2000, p. 26-31. Belgique (1830-1914), Bruxelles, Capitale. Art et architecture 17. Cité par PAULUS, G., « La Académie, 1999, p. 302. publics, Mardaga, Liège, 1999, restauration de la Maison du 26. Solvay, L., « Causerie p. 89. Roi (1873-1895) à la Grand-Place artistique », Revue artistique, 8. TIHON, A., « Les institutions de Bruxelles, par l’architecte 1878-9, p. 367. religieuses et le développe- Pierre Victor Jamaer (1825- 1902) », Bulletin de la Commis- 27. Bulletin du Conseil Commu- ment de l’agglomération », nal de Bruxelles, 1875, p. 550. La Région de Bruxelles. Des sion royale des Monuments et villages d’autrefois à la ville Sites, IX, 1980, p. 110. 28. VAN LOO, A. (dir.), Dic- d’aujourd’hui, Bruxelles, Crédit 18. Intervention de l’échevin tionnaire de l’architecture en communal, 1989, p. 192. Pilloy, Bulletin du conseil com- 9. JACQUEMYNS, G., op.cit., pp. 71-72.

-PB 006--BAT.indd 139 2/05/13 10:24 COMITÉ DE RÉDACTION GRAPHISME IMAGE DE COUVERTURE Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, supersimple.be Vue nocturne sur Bruxelles à partir de l’avenue Paula Dumont, Ode Goossens, Isabelle Leroy, Louise (M. Vanhulst, 2012 © MRBC) Muriel Muret, Cecilia Paredes et Brigitte IMPRESSION Vander Brugghen avec la collaboration de Dereume Printing Pascale Ingelaere et Anne-Sophie Walazyc pour LISTE DES ABRÉVIATIONS le cabinet de Charles Picqué, Ministre-Président REMERCIEMENTS ACPASB - Archives du Centre Public d’Aide chargé des Monuments et Sites. Sociale de Bruxelles Philippe Charlier, Julie Coppens, Alice Gerard AAM – Archives d’Architecture Moderne et Alfred de Ville de Goyet (Centre de Docu- AGR – Archives générales du Royaume SECRÉTARIAT mentation de l’Aménagement du Territoire et du Cindy De Brandt et Linda Evens ARB – Académie royale de Belgique Logement), Marcel Vanhulst (Direction Communi- AVB – Archives de la Ville de Bruxelles cation Externe). COORDINATION DE PRODUCTION DMS – Direction des Monuments et Sites Koen de Visscher KBR – Bibliothèque royale de Belgique ÉDITEUR RESPONSABLE KIK-IRPA – Institut royal du Patrimoine Artistique RÉDACTION Arlette Verkruyssen, Directeur général (Bruxelles) Françoise Aubry ,Claire Billen, Paulo Charruadas, de l’Administration de l’Aménagement du Terri- MRAH – Musées royaux d’Art et d’Histoire Odile De Bruyn, Quentin Demeure, Stéphane toire et du Logement de la Région de Bruxelles- (Bruxelles) Demeter, Michel de Waha, Daniel Geerinck, Capitale – Direction des Monuments et Sites, MRBC – Ministère de la Région de Bruxelles- Eric Hennaut Catherine Leclercq, Christophe CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles Capitale – Centre de Documentation de Loir, Marc Meganck, Benoit Mihaïl, Philippe Les articles sont publiés sous la responsabilité l’Administration du Territoire et du Logement Sosnowska, Sven Sterken, Christophe Vachaudez, de leur auteur. Tout droit de reproduction, MVB – Musée de le Ville de Bruxelles – Maison du Roi Linda Van Santvoort, Patrick Viaene, traduction et adaptation réservé. SIWE – Steunpunt industrieel en wetenschappelijk erfgoed TRADUCTION SRAB – Société royale d’Archéologie de Bruxelles CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES VIOE – Vlaams Instituut voor het Onroerend Erfgoed Gitracom Malgré tout le soin apporté à la recherche des ayants droit, les éventuels bénéficiaires ISSN RELECTURE n’ayant pas été contactés sont priés de se 2034-578X Elisabeth Cluzel, Michèle Herla manifester auprès de la Direction des Monuments et le comité de rédaction. et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale. Dit tijdschrift verschijnt ook in het Nederlands onder de titel « Erfgoed Brussel ».

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