Sommaire

n Naissance de la Dynastie: transformer un pouvoir religieux en puissance temporelle … ………………………………………………… 4 n Les premiers Alaouites face aux tribus … ………………………………… 6 n Le protocole meuble la légitimité… …………………………………… 10 n Bled makhzen-Bled siba, des controverses encore aujourd’hui… ……… 12 n Les conceptions militaires de Moulay Ismaïl… ………………………… 16 n Les armées des sultans, grosse réputation, petits moyens, mauvaise organisation … ……………………………………………… 18 n Les juifs protégés des sultans … ………………………………………… 20 n La science du désert, stabilité de l’Empire… …………………………… 22 n Le thé et le sucre, le médicament devint une marque marocaine… ……… 26 n Ben Aïcha, l’ambassadeur corsaire… …………………………………… 28 n Confisquer et punir, une méthode de gouvernement… ………………… 30 n Des péages bien avant l’autoroute… …………………………………… 32 n Famines et épidémies, longue stagnation démographique… …………… 34 n La poste, du rakkas au courrier hybride… ……………………………… 36 n Les monnaies alaouites de la mouzouna au dirham… …………………… 38 n Les protections, des abus qui créent des abus… ………………………… 44 n Les douanes, réserve financière … ……………………………………… 46 n Les souks, les plus vieux hypermarchés… ……………………………… 50 n Ce colonial qui appelait le Roi «Sidna»… ……………………………… 54 n Le Glaoui, porte étendard de la colonisation… ………………………… 55 n Comment le Maroc a été amputé de ses territoires… …………………… 56 n Les hommes de l’Indépendance … ……………………………………… 60 n La marche verte, inoubliable épopée et cas d’école … ………………… 63 n Droit des affaires, le socle des années 1990 … ………………………… 66 n L’eau, ce que les gens ignorent ou veulent oublier… …………………… 68 n Les nouveaux habits de la diplomatie… ………………………………… 70 n Les grandes réussites de la décennie … ………………………………… 74 n Tourisme, reprendre confiance en soi … ………………………………… 80 La couverture est composée avec le célèbre tableau n Religion, la reconstruction tranquille… ………………………………… 82 de Delacroix, «La sortie du sultan». Il a été ré-inter- prété façon Andy Warrol par Khalid Yassine. n Métiers nouveaux, régulations nouvelles … …………………………… 84 La frise en bas de chaque page est empruntée au n Paccard, ouvrage de référence en matière d’art dé- Là où ça n’a pas marché … ……………………………………………… 86 coratif marocain. n La mode avant la mode … ……………………………………………… 91 Lorsque les documents ne sont pas sourcés, c’est que nous n’avons pas de certitude quant à leur ori- n Remerciements… ……………………………………………………… 96 gine ou leur propriétaire effectif.

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Editorial

Mises en lumières

L’ INTÉRÊT des anniversaires, ce n’est pas de compter les ans, c’est d’ouvrir un espace dans le temps, pour regarder d’où l’on vient, ce qu’on est et où on a l’intention d’aller. Et quand il est question de l’anniversaire de l’accession au Trône de S.M. le Roi Mohammed VI, c’est bien sûr une fête d’aujourd’hui pour un Roi de maintenant. Mais la puissance des liens enntre Lui, plus largement sa famille, et les Marocains est telle qu’on ne peut pas résister au plaisir d’élargir l’intérêt de cet anniversaire. Dans l’actuelle célébration, il y a un règne, c’est évident, et il y a aussi une dynastie, la plus ancienne dynastie régnante, semble-t-il. Et quand on met les deux ensemble, c’est tout le Royaume qui apparaît une lumière nouvelle, sous des lumières nouvelles. On voit soudain les permanences et les ruptures, les handicaps et les aubaines ou les oppor- tunités, autant de phénomènes que la vitesse de la vie quotidienne ne permet pas de percevoir à leur juste valeur. Les questions fusent toutes seules. Les longues permanences de l’histoire ne sont-elles vraiment que des pesanteurs, ou bien sont- elles aussi des conforts de culture, de savoir-vivre, presque des protections? Cet Empire n’était pas si arriéré et rongé de dissidences qu’on le dit. Les documents qui le montrent restent largement à exploiter. Certes, le Maroc a été colonisé parce qu’il était colonisable, mais c’est aussi ce même Maroc, plus exactement la dynastie Alouite, qui ne s’est pas laissé faire facilement. Entre la «pa- cification» tenue pour achevée en 1930 et le plan des réformes marocaines, il y a à peine 4 ans. Ce n’est pas grand-chose dans la vie d’une nation. Quant au règne de S.M. le Roi Mohammed VI, il ne pèse que dix années dans la perspective dynastique, mais quels changements! C’est quand on prend le temps de les regarder que l’on voit l’évolution et qu’on a envie de la nommer «révolution», si le mot n’était pas aussi galvaudé qu’il l’est. S’il ne fallait retenir qu’un seul concept, se serait la reprise de confiance en soi que le Maroc a effectuée avec ce Souverain. Confiance en soi pour reconstruire son armement religieux, confiance pour s’organiser et avoir la croissance la plus rapide jamais connue, confiance pour entreprendre une lutte sérieuse contre la pauvreté, pour installer les valeurs universelles… et pourtant pas en- core assez confiance en soi pour reconstruire l’école, pour moderniser le monde politique, pour s’occuper systématiquement de la lutte contre la pollution.o Nadia SALAH

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Naissance de la dynastie Transformer un pouvoir religieux

Le Royaume du Maroc serait sur leur origine: Yanbo Annakhil. Une contrée du Hidjaz, aujourd’hui province le 2e plus vieux royaume d’Arabie saoudite. Quête de la bénédic- au monde, derrière celui du tion des chorfas ou recherche d’expertise dans le domaine de conduite et de soins Danemark. Une affirmation du palmier dattier? La chronique orale bien difficile à vérifier tant les abonde dans les deux sens. Certaines sources affirment toutefois que l’ancêtre disputes sur la formation des des Alaouites, Hassan Addakhil en l’oc- pays sont fréquentes. Il n’em- currence, est arrivé au Maroc avec la 2e vague des Arabes Maakils. Ce fut sous le pêche que la dynastie alaouite règne du second sultan mérinide (1286- a aujourd’hui 378 ou 373 ans, 1307) que l’ancêtre des Alaouites est ar- rivé dans le Tafilalet lequel devient le fief selon le point de départ que puis le berceau de la famille. l’on choisit. Luttes sanglantes LES thèses relatant l’arrivée des Alaouites au Maroc sont nombreuses Au début du XVIIe siècle, le grand mais toutes les sources s’accordent roi des Saâdiens Ahmed Al Mansour Ad-

Moulay Mohammed, fils de Moulay Chérif et frère ainé de Moulay Rachid, est resté dans l’histoire comme une force de la nature. Il a entre autres repris jusqu’à Tlemçen aux Turcs. Mais c’est dans un combat contre son frère cadet, qu’il meurt en 1664. L’année précédente, profitant de son absence (pour cause de guerre à Fez) et usant de la fortune pillée chez le juif Mechâal, Moulay Rachid s’était installé sur le Trône

Dahbi meurt. Faute de successeur digne sur Moulay Chérif qu’auréolait une image de ce nom, le Maroc plonge alors dans pieuse. une situation dramatique, caractérisée par Devinait-il qu’en répondant à leur une lutte sanglante pour le trône ou pour demande, il jetait les bases d’un Etat un pouvoir régional autonome. Menacés moderne? Assurément pas, affirment les par l’expansion de la zaouïa de Dilai au historiens. D’autant plus que transformer nord et celle d’Illigh à l’ouest (voir infra, un prestige religieux en pouvoir politique le rôle des tribus), les habitants du Tafila- était une tâche bien difficile. Vers 1660, voici comment se présentait la répartition territoriale des grandes puis- let décident de confier leur destinée à un Dans un premier temps, il engage une sances locales tribales et religieuses chef spirituel. Le choix se porte en 1631 action contre la zaouïa d’Illigh dans l’ob-

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Naissance de la dynastie en puissance temporelle… jectif d’écarter un succes- tir Tlemçen et le littoral mé- seur potentiel des Saâdiens diterranéen afin de contrôler mais aussi de s’assurer le de bout en bout le commerce contrôle des routes com- en provenance de l’Afrique merciales et stratégiques. subsaharienne. Après avoir En 1636, Moulay Ché- conquis Oujda et Tlemçen, abdique en faveur de il se replie face à l’armée son fils Moulay Moham- turque. med. C’est en fait ce der- Désormais, recentré sur nier qui pose réellement son fief, le Tafilalet, Moulay les bases de la dynastie Mohammed reprend son ex- alaouite. pansion, bien que modeste Homme d’une force en direction de la Moulouya physique légendaire, il et du Drâa. C’est son frère était toujours présent sur cadet, Moulay Rachid qui les champs de batailles là poursuivra les conquêtes. où les affrontements étaient En l’espace de 6 ans, de les plus décisifs. Car, la lé- 1666 à 1672, Moulay Rachid gitimation du pouvoir se réussit à imposer son autori- faisait certes via le savoir té à l’ensemble du territoire. et piété mais aussi par la Il commence par la prise de volonté du . Fin po- contrôle des routes commer- litique, il comprend qu’il ciales qui lui permettent de lui faut une assise terri- tirer les ressources néces- toriale à même de servir saires pour constituer et ar- de base pour le pouvoir. mer ses troupes. Auparavant, C’est pourquoi, il cherche il avait parcouru tout le pays à contrôler d’abord le Ta- et l’apport du trésor de Dar filalet en soumettant ses Mechâal fut aussi détermi- rivaux. Mais, les Délaites, nant. ses voisins immédiats, re- Résumant ses actions prennent l’initiative. En politiques et militaires, les 1646, ils prennent et pillent historiens s’accordent à dire Sijilmassa et sa région. que Moulay Rachid est le réel fondateur de la dynas- Contre les Turcs tie alaouite. A la tête d’une armée mobilisée avec un noyau structuré, il entre- Une paix est conclue prend de réunifier le pays, mais vite oubliée. Les de Marrakech à Oujda, en Alaouites contre-attaquent. éliminant ses adversaires Moulay Mohammed réus- qui s’étaient taillés des prin- sit à s’emparer des points cipautés autonomes. d’appui de ses adversaires Par la suite, il consacre et, poussant vers le nord, il ses efforts à la lutte contre se porte au secours de Fès- l’occupation étrangère. Bien Jdid qui vient de se soule- que son règne fût de courte ver contre le chef Dilaite. durée, il lègue à son suc- Par la suite, il tente une cesseur, Moulay Ismaïl, le action par l’est à partir du Troisième des chefs alaouites et réel fondateur de la dynastie, Moulay Rachid veille à prendre le contrôle des «Royaume du Maroc et de où il s’était retran- routes commerciales, en plus du contrôle des territoires des tribus Fès». o ché. L’objectif est d’inves- A. G.

Juillet-Ao t 2009 6 Les premiers Alaouites face à la puissance des tribus APRÈS le règne du sultan Salé après la mort sur le champ saâdien Ahmed El-Mansour, Oasis du Tafilalet: Qsur et tribus de bataille de leur opposant, surnommé «Dahbi», (l’aurique, le moujahid et mystique, Sidi le doré suite à la conquête de Mhammed Ayyachi. l’or du Soudan), le Maroc, La prépondérance des Di- vainqueur des Portugais à la laïtes ne pouvait qu’entrer en Bataille de Oued El-Makha- rivalité avec le non moins puis- zine et des velléités ottomanes sant Lakhdar Ghaylane. Né en à l’Est, est entré dans une lon- 1617 en pays Jbala, précisément gue période d’anarchie, sous le chez les Béni Gorfet au sein signe des luttes intestines entre d’une famille de renom considé- les derniers princes saâdiens et rée d’origine chérifienne, il est de la dislocation de l’empire. le fils du grand cheikh mystique et maître d’une zaouïa réputée L’empire disloqué au village Zerraq, Omar Ghay- lane, lui-même fils du Cheikh Moins de quarante ans après Ibrahim ben Ali Ghaylane dit la mort du sultan, emporté par Khider, fondateur d’une zaouïa la peste en 1603, le Maroc est au village de Dar El-Qarmoud en effet partagé en plusieurs chez les Beni Gorfet, vouée au émirats: les Dilaïtes basés au combat contre l’occupation por- Moyen Atlas, Ghaylane au tugaise. Nord-Ouest, les Chbanate à Marrakech, les Semlala dans le Les Dilaïtes Souss, tandis que les Alaouites surgissaient en tant que force perturbateurs politique dans leur berceau du Tafilalet... Dans ce contexte de féroce Commençons par les Di- Reconquista, Lakhdar Ghaylane laïtes Sanhajiens, maîtres de la s’illustre à l’instar des autres puissante Zaouia de Dila. Issus personnalités familiales comme initialement des bords de Oued Moujahid animé par un souffle Moulouya, ils rejoignent les mystique et d’aspirations non montagnes de Tadla à la fin du moins temporelles. XIVe siècle en la personne du Adepte de Sidi Mohamed Cheikh Omar Mejjati. Ayyachi, il dirige, à la mort de Deux siècles plus tard, un celui-ci, le nord-ouest du pays de ses descendants, le généreux comme une sorte d’émirat in- dévot Abi Bakr ben Mohamed dépendant, disputant le pouvoir Mejjati, fonde en ces lieux aux Dilaïtes et menant diffé- une zaouïa, vouée d’abord à rents raids contre les Portugais, l’enseignement religieux et les Espagnols et les Anglais qui aux œuvres de charité, avant occupaient alors Tanger. d’exercer un véritable ascen- A la même période, le Souss dant politique et économique à est sous la domination de Bou- partir de 1637. Hassoun Semlali, surnommé Son pouvoir s’étendait Bou-Demiâ, chef de la fameuse ainsi sur le Moyen Atlas, Fès, forteresse d’Illigh dont il fit sa Meknès, le Gharb, le Haut capitale. Son prestige politique, il Atlas et, bon gré mal gré, la La région de Tafilalet et l’imbrication des tribus, dans le berceau de la dynastie alaouite plaine atlantique Tamesna (ac- le doit incontestablement à la tuelle Chaouia) et le port de (Suite en page 8)

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1681-84-91 1681-1691 Ambassade de Mohamed Sept années de révoltes, souvent Libération des Mahdia, Guerres de libération Tamim auprès de Louis XIV organisées par des membres de la Tanger et Larache menées sous le règne de pour les échanges de prison- famille royale ; appauvrissement du Mly Ismaïl contre niers peuple ; les routes de Tombouctou l’Espagne, la Grande- et du Sénégal coupées jusqu’en Bretagne et le 1706. La moitié de la flotte corsaire passe sous le contrôle du Sultan

Juillet-Août 2009 8 Les premiers Alaouites face à la puissance des tribus (Suite de la page 6) figure spirituelle de son an- cêtre, Sidi Ahmed Ou Moussa L’année de Kerroum El-Hajj Semlali, natif vers 1450 de la tribu des Ida Ou Semlal Les Rois de la CAPITALE impériale, objet de toutes les convoitises avec la décadence dans l’Anti-Atlas. Prenant la saâdienne, Marrakech a vécu durant une dizaine d’années sous l’emprise de Abd- voie du mysticisme, l’ancêtre el-Krim ben Abi Bakr Chbani Hrizi, plus connu sous le nom de Kerroum El-Hajj. s’installe après une période dynastie alaouite C’était en 1069-1658, année qui coïncide avec une grande disette et qui marque d’errance et de formation spi- la mémoire populaire sous le nom de «l’année de Kerroum El-Hajj» (voir aussi rituelles dans le Tazerwalt au Son fondateur est Ali Cherif, l’article sur la disette). coeur de l’Anti-Atlas où il appelé aussi Moulay Ali Concernant son origine, elle est rattachée à la tribu d’origine arabe saharienne fonde sa célèbre zaouïa qui des Chbanate, issue du désert, remontée au milieu du XIIIe siècle dans le Souss, héberge en 1564 sa sépulture. Cherif avant de compter parmi les premiers adeptes des Mérinides, puis des Saâdiens. Eta- Auréolés par l’autorité re- n blis dans le Haouz de Marrakech en tant que Guich Ahl Sous, tribu guerrière, four- 1631-1635: Moulay Ali Cherif ligieuse de leur ancêtre, ses n nissant des contingents militaires en contrepartie d’avantages fonciers et fiscaux, 1635-1664: Mohammed Ier descendants en profitent pour n les Chbanate se sont alliés à travers des unions matrimoniales aux sultans saâdiens. 1664-1672: Rachid étendre leur pouvoir politique n C’est ainsi qu’ils ont tenté de prendre le pouvoir au moment de la faiblesse d’un 1672-1727: Ismaïl et économique dans la région n interrègne, faisant assassiner le dernier sultan saâdien Abbas ben Mohamed Cheikh 1727-1728: Ahmad (1er règne) et élargir le domaine familial, n dont ils étaient les oncles maternels. 1728-1728: El-Malik précisément sous le règne de n Dans la foulée, ils prennent le pouvoir à Marrakech en la personne du chef de 1728-1729: Ahmad (2e règne) Bou Hassoun Semlali, sur- n leur tribu, Abd-el-Krim Chbani Hrizi, dit Kerroum El-Hajj. A la mort de celui- 1729-1735: Abdallah II (1er règne) nommé Bou Dmiâ qui s’em- n ci dix ans plus tard, il est succédé par son fils Abi Bakr Chbani, proclamé roi de 1735-1736: Ali pare de Taroudant en 1613, n Marrakech. Un règne bien précaire qui dure exactement quarante jours jusqu’à son 1736-1736: Abdallah II (2e règne) avant de prendre le Drâa et n éviction par le sultan Alaouite Moulay Rachid.o Sijilmassa en 1631.o 1736-1738: Mohammed II n 1738-1740: Al-Mustadhi Mouna HACHIM n 1740-1745: Abdallah III n 1745-1745: Zin al-Abidin n 1745-1757: Abdallah IV n 1757-1790: Mohammed III n 1790-1792: Al-Yazid L’installation des chérifs filaliens n 1792-1822: Sulayman n 1822-1859: Abd ar-Rahman n EST en 1631, l’année de la tard, Moulay Cherif, le chef politique à se réfugier à Asilah, puis à Alger et à 1859-1873: Mohammed IV C n prise du Drâa par les Semlali, que Mou- des Filaliens. Tanger où celui-ci avait signé un traité 1873-1894: Hassan Ier n lay Cherif est proclamé chef politique Son fils aîné, Moulay Mhammed, de paix avec les Anglais, avant qu’il ne 1894-1908: Abd al-Aziz n par les Filaliens. Cette période est donc réputé par sa hardiesse au combat, est soit défait par Moulay Ismaïl et tué au 1908-1912: Abd al-Hafid n marquée par le morcellement du pays nommé en 1635-1636 chef de guerre combat en 1673 à Ksar Kebir. 1912-1927: Youssef n en plusieurs principautés dont certaines dans le Tafilalet. Vainqueur en 1664 de Se dirigeant vers le Sud, Moulay 1927-1953: Mohammed Ben Yous- menaçaient le Tafilalet, Bou Dmia à Sijilmassa dont il limite Rachid chasse en 1668 les Chbanate sef (sultan et futur roi Mohammed V) n Jouissant d’un prestige spirituel le pouvoir à Illigh, il trouve la mort la de Marrakech où ils se sont taillés une 1953-1955: Mohammed ben Ara- certain dans la région, sa famille d’ori- même année au combat. principauté éphémère. Quant à la for- fa (imposé par les autorités françaises gine arabe chérifienne, rattachée par la Le pouvoir échoit alors à son frère teresse d’Illigh, fief des Semlala, elle après le départ en exil de Mohammed Silsila au Prophète s’était installée, à cadet Moulay Rachid qui s’empresse est prise en 1670, tandis que les héri- V: il n’avait aucune légitimité pour les partir de son berceau de Yanbô sur la d’imposer son autorité en prenant aux tiers de Bou Hassoun sont poussés vers Marocains). côte d’Arabie, en un lieu dit El-Moslih Dilaïtes, la vallée de la Moulouya, puis le désert. Reconstruite en 1730, Illigh Le Maroc devient Royaume n à Sijilmassa, à la demande d’une délé- Taza, Fès, le Gharb et le Maroc central revient en force sur la scène politique 1955-1961: Mohammed V n gation de pèlerins. Elle le fit vers l’an avec la destruction de la Zaouia de Dila avec Hachem ben Ali qui tente de res- 1961-1999: Hassan II n 1266 en la personne de l’ancêtre Has- en 1668 et l’exil de ses membres pour taurer le pouvoir seigneurial d’antan, 1999: Mohammed VI san Dakhil, uni en cette terre du Sud un moment, à Fès puis à Tlemçen. et règne, comme après lui son fils, en Prince héritier: Moulay El Hassan ben o avec la fille d’Abou Ibrahim El-Omary, Au Raïss Ghaylan, Moulay Rachid totale indépendance vis-à-vis du Makh- Mohammed. chef de la caravane de pèlerinage. De impose un rude assaut à Ksar Kebir for- zen jusqu’aux expéditions du sultan leur descendance est issu, 4 siècles plus mé de 140.000 combattants, l’obligeant Moulay El-Hassan. o

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Le protocole meuble la légitimité

Chaque geste a son poids… dégage de ce cérémonial. L’historien phare de la dynastie des Saâdiins, en est niques d’histoire retiennent que la ba- Lotfi Bouchentouf évoque le concept le précurseur. bouche noire sera portée en signe de deuil politique. C’est qu’on ne badine «d’ameublement» du rituel «La légi- Plus emblématique. L’on clôture le jour où l’on a bradé Larache. C’était du pas avec le protocole royal. Du timité se meuble. Le protocole aussi». jusqu’à présent les causeries par «Sahih temps de Mohammed Cheikh Ben Man- La théâtralité est un ingrédient de la vie El Boukhari» pour souligner sa filiation sour. sacrifice de l’Aïd Lakbir, au publique. Chaque geste, chaque pièce a au Prophète… Quelques siècles plus tard, le proto- baisemain, en passant par les cole est toujours là mais le style change… leçons ramadanesques… tout d’un souverain à un est minutieusement régenté. autre. A «chaque temps ses hommes», Même les républiques laïques commente l’historien usent, à leur manière, du pou- Lotfi Bouchentouf. Hassan II s’est par- voir du protocole ticulièrement mon- tré attentif à certains MARS 1832. Eugène Delacroix détails lors des céré- accompagne l’ambassadeur de , monies religieuses. Charles de Mornay, dans son périple. Exemple. Lors de Aïd Ce peintre, précurseur de l’orientalisme, Al Moulid Anabaui relate dans ses carnets de voyage la ré- -fête de la naissance ception accordée par le sultan alaouite du Prophète- l’on Moulay Abderrahman Ibn Hicham «psalmodiait» le fa- (1822-1859) à la députation française. meux poème soufi Eugène Delacroix sera particulière- «Al Mounfarija». Un ment captivé par le protocole royal. Seul poème qui sera repris le caïd du sultan, dépêché pour ramener par le chanteur Abdel- la délégation diplomatique, enfourche hadi Belkhiyat. une mule. Les soldats qui l’accompa- Durant le règne de gnent sont à pied. Mohammed VI le pro- tocole royal prend une autre tournure. C’est Le sacré et le profane le cas lors de l’inau- guration des grands Nous sommes à Meknès. Visiteurs chantiers ou encore et accompagnateurs descendent de leurs lors de l’annonce des montures et marchent entre un rang de la réformes majeures. garde. Ils se dirigent au palais. Le code de la famille Arrivés à la grande place du Eugène Delacroix fait partie de ses peintres qui ont brossé des tableaux pour l’Histoire. L’artiste découvre à titre d’exemple. Il M’chouar, des soldats, coiffés de cha- en Afrique du Nord d’autres couleurs, d’autres visages, des ombres et des lumières… Durant son périple n’y a donc pas de fa- peau rouge et munis de lances, se tien- en Algérie et au Maroc, Delacroix fait des croquis sur son carnet de voyage qui seront des années plus talisme dans les actes. nent droit comme un «i». C’est le mo- tard repris sur toile. Sa touche doit beaucoup à ses voyages. En France comme au Maroc, le peintre va C’est surtout un pro- ment tant attendu. exploiter sa technique pour une thématique majeure, celle du pouvoir. C’est ce tableau de Delacroix, la longement d’une lé- Le sultan apparaît chevauchant son sortie du sultan Abderrahman, qui a été re-interprété façon Pop’-Art, sur la couverture gitimité… politique. cheval. Un parasol, doté d’un globe en Même les républiques cuivre, est déployé au-dessus de lui. En son poids religieux et politique. Du sa- La religion meuble la légitimité. Un laïques ré-exploitent la théâtralité des ri- recevant l’ambassadeur, du haut de son crifice de l’Aïd Lakbir, au baisemain, en cheval brun pour les cérémonies offi- tuels liturgiques: lors de sa visite aux In- cheval, le sultan souligne d’emblée la passant par les leçons ramadanesques… cielles. Une monture noire en temps de valides, début des années 80, l’ex-prési- supériorité de son rang. Le parasol et sa tout est minutieusement régenté. Un es- guerre. Sensible au couleur: Eugène De- dent français François Mitterrand en a usé boule cuivrée ont un symbole spirituel: clave n’embrasse la main de son maître lacroix relève que le sultan a un chapelet sans modération. Il n’est pas le seul. Car ils relient le ciel et la terre. Autrement que si celle-ci est couverte, notamment blanc au fil bleu à la main et porte une la légitimité puise aussi ses racines dans dit, le sacré et le profane. Le sultan est par les manches de son selham. Les cau- babouche jaune. l’imaginaire. o «l’ombre de Dieu sur terre». series religieuses remontent à bien avant La chaussure de Dar El Makhzen par Une forte charge symbolique se Hassan II. El Mansour Dahbi, sultan- excellence. Petite anecdote. Les chro- Faiçal FAQUIHI

1727 1728 1729 1730 Mort du Sultan My Ismaïl, à 81 ans, Début d’une période de famine et il était monté sur le Trône à 26 ans; de maladies qui dure jusqu’en 1760 le Trésor est vide, forte hausse des taxes et droits de passage, en consé- quence Triq Sultan est abandonnée 1728-1729 1729-1757 par les caravaniers et le commerce Mly Abdelmalek Ben Ismaïl, Mly Addellah Ben Ismaïl, investi périclite investi le 13 mars 1728. le 6 avril 1729. Décédé en 1757 Mort le 2 mars 1729

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Bled Makhzen et Bled Siba, des controverses encore aujourd’hui

Y avait-il un Etat au Maroc avant rité centrale délègue une bonne partie de ses prérogatives aux autorités locales». le protectorat, ou s’agissait-il Les «défis lancés au Makhzen» l’étaient d’un ensemble de tribus qui s’en- essentiellement par trois forces locales: les révoltes urbaines, rares mais significatives, trechoquaient, avec un Makhzen les frondes des chefs de «principautés ma- qui ramenait l’ordre par la vio- lence? La théorie du Bled Siba opposée au Bled Makhzen reste controversée à ce jour. Deux cou- rants de pensée se disputent la vérité historique LE premier est celui des chercheurs colonialistes (principalement français), re- layés par les Anglo-Saxons qui soutiennent qu’il n’y avait pas d’Etat au Maroc avant le protectorat, même s’il y avait un équilibre instable entre les tribus et un certain ordre maintenu par le Makhzen et gouverné par la loi islamique (Bled Makhzen). Pour ce groupe, Bled Siba regroupait les régions qui refusaient le système, dont la langue était principalement le berbère, dont la loi reposait sur les règles coutumières, et dont les populations étaient surtout établies dans les hauteurs du territoire, les montagnes et les plateaux. Quant au second courant, il était com- posé d’historiens marocains et d’Occiden- taux non colonialistes. Ce groupe n’exclut pas l’existence d’un système politique ma- Un soldat de Moulay Abdelazziz, photogra- rocain avant même l’avènement du pro- phié à Tanger en 1905 (In Archives du Maroc) tectorat. Ce système n’avait pas la confi- guration de l’Etat moderne, mais ce n’était raboutiques», et en dernier lieu, les révoltes pas uniquement une somme de tribus. Il y rurales, qui sont les plus nombreuses et avait une autorité centrale qui détenait le contre lesquelles se déploient les harkas pouvoir, dont la légitimation ne reposait du sultan. Ces dernières consistaient en pas uniquement sur la force. une mobilisation de l’armée, pour marcher Il y entrait une bonne dose d’adhésion. contre les tribus insoumises. Ce n’était pas Pour cette école de pensée, la Siba fait par- une armée de métier. Le noyau dur était tie du système, en ce sens qu’elle est révé- (Suite en page 14) latrice de ses dysfonctionnements, et indi- quait quand le Makhzen devait intervenir pour rétablir l’équilibre. Selon le célèbre Moulay Hassan Ier (1873-1894) crit au bacha Hammou Ben Jilani. Le document est dat de 1299 de l H gire, le texte originel a t r crit. Le Sultan vient de faire un voyage (avec une harka?) dans les r gions de Oued Noun et Sidi Ifni, chez les A t Ba Ahmarane et les Tekna, lesquels apparemment historien Abdallah Laroui, «le Makhzen s affrontaient depuis peut- tre une soixantaine d ann es. Moulay Hassan y nomme un ca d qui doit assurer la police, la remont e d informations et la renvoie à un système étatique centralisé, justice. Il est aussi charg de conduire un chantier de port pour am liorer le sort des tribus et mobiliser par la n gociation les lites autour de ce projet mais non hiérarchisé, dans lequel l’auto-

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Bled Makhzen et Bled Siba, des controverses encore aujourd’hui (Suite de la page 12) constitué de la Mehalla, sorte de cour économique étrangère, et sont un mobile qui suivait le sultan dans ses phénomène constant tout au long du déplacements. La harka avait deux siècle. «La Siba était donc une partie objectifs en général: soumettre les intégrante du système, elle en naissait tribus dissidentes, ou rappeler à presque naturellement. L’allégeance l’ordre celles qui ne voulaient pas au Makhzen n’ajoutait rien, sauf un payer les impôts. Mais la harka était supplément de charges, financières toujours précédée de négociations et autres. Comment s’étonner alors pacifiques. Laroui rappelle que cer- que les gens essaient de s’en dispen- taines révoltes étaient dirigées contre ser?» rappelle Laroui. Cependant, les gouverneurs et caïds. les harkas n’avaient pas forcément La révolte est ici un moyen nor- un caractère hostile. Selon l’historien mal d’exprimer son mécontentement, Germain Ayache, «très souvent, au non contre le sultan, mais contre un contraire, les tribus réservaient au gouvernement ayant la main lourde. sultan un chaleureux accueil, heu- Dans les conditions du XIXe siècle, reuses de recevoir celui qui, à leurs c’est pratiquement le cas général. yeux, était un personnage sacré». De La Siba n’interviendrait donc qu’à même, la fonction d’arbitrage, chère un moment donné pour révéler une à Ayache, était totalement occultée crise du système. Ces révoltes s’ex- par les tenants de la théorie Bled pliquent par l’appauvrissement géné- Makhzen contre Bled Siba.o ral, lui-même résultant de la pression A l ext rieur des murailles de F s vers 1820-1830, se pr pare une harka (Dessin Aymard) A. B.

Deux histoires dans la grande Histoire L A dynastie des Alaouites fourmille Lorsque le sultan Moulay Souley- coururent de toutes parts. Il se dit que pendantes qu’on définit par leur refus d’histoires dans l’Histoire, qui décrivent mane a voulu rappeler à l’ordre la tribu pendant trois jours, ce ne fut que fêtes d’obéir au Makhzen. Durant le conflit, une forme très particulière de ce qu’il dissidente des Bani Adrassen, celle-ci et réjouissances en l’honneur du sul- les fractions s’attaquaient d’un campe- faut bien appeler un Etat, dans le sens parvint même à se frayer un chemin tan, avant qu’il ne soit reconduit sain et ment à l’autre, et la lutte se poursuivit d’une autorité centrale, personnifiée pour parvenir jusqu’à lui. sauf à la caserne d’Agouraï, non loin de sans autre résultat que de ruiner et d’en- par le sultan. Deux d’entre ces petites Meknès. Le Makhzen avait également deuiller sans distinction tous les belli- histoires disent, l’une l’allégeance plus Trois jours de fête un rôle de médiateur. gérants. La fraction des Aït Messaoud puissante que la force armée et l’autre ou Ali décida d’implorer le secours du l’ultime recours pour l’arbitrage. Ces Mais lorsque l’un des combattants Ordre de négocier sultan. «Retournez chez vous et ne re- deux anecdotes ont chacune leurs échos berbères voulut s’en prendre au sultan, venez pas avant d’avoir vous-mêmes, dans l’époque contemporaine. Dans ce dernier révéla son identité. Son at- Ainsi, en 1871, un conflit éclata avec vos adversaires, décidé le principe l’issue de la révolte des Bani Adrassen taquant lui demanda de jurer de cette entre trois fractions de la tribu des Aït de la paix entre vous». contre Moulay Souleymane, comment identité, ce qu’il fit. Alors l’assaillant Youssi. Celle-ci occupait les deux ver- Puisque c’était le sultan lui-même ne pas penser au retournement de situa- descendit de sa monture, y fit monter sants de l’Atlas au sud de Fès et de qui souhaitait la paix, alors tout deve- tion lors de la tentative de coup d’Etat le sultan, et l’emmena jusqu’à ses quar- Sefrou. Il y avait chez les Aït Youssi, nait très simple dans l’esprit des bel- de Skhirat? Et dans l’arbitrage des Aït tiers. Sur la route, d’autres membres de un représentant du sultan avec titre de ligérants. Trois délégations furent for- Youssi, comment ne pas évoquer la so- la tribu lui demandèrent qui était son caïd. Éparpillés comme ils l’étaient sur mées, se mirent en chemin pour la cour, lution de SM Mohammed VI quand, au «passager». Il répondit que c’était son un immense territoire, ils ne pouvaient et l’on s’engagea à rétablir la fraternité début de son règne, l’opinion publique frère, blessé au combat. Aussitôt arrivé s’administrer eux-mêmes. Ils étaient de toujours, chacun réoccupant son ter- s’est divisée brutalement sur la question à sa tente, le ravisseur du sultan pré- donc organisés selon le modèle de ritoire tel qu’il était délimité jusqu’aux de la promotion de la femme? senta ce dernier, alors les femmes ac- ces tribus lointaines, farouches, indé- hostilités. o

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Les conceptions militaires La dynastie alaouite a-t-elle eu des armées dignes de ce nom? Si c’est oui pour l’époque contemporaine, ce n’est pas vrai pour les siècles précé- dents… à quelques exceptions près, spécialement celle de Moulay Rachid, le fondateur, et évidemment et surtout, celles du grand Moulay Ismaïl

LE Makhzen avait affaire à un en- vironnement tribal, ce qui est à la fois bon et mauvais pour asseoir son autorité. C’était bon, selon le vieux principe des Romains (Pax Romana équivaut à dire «diviser pour régner»); c’était mauvais,

La qasbah (ou plus exactement qasbat) de Moulay Ismaïl à Boulouan. Les murs enserrent aussi les ruines du palais de ce sultan. C’est lui qui organisa l’armée de la manière la plus moderne pour l’époque. Il parvint à la soustraire aux luttes et influences tri- bales. Mais cette politique se délita à sa disparition (Ph. Bouaziz)

On enrôlait plus ou moins de force au en comptant énormément sur les Hara- taient serment sur Sahih Al Boukhari, et sein des tribus ou bien l’autorité centrale tines. Ces derniers avaient un statut par- de ce fait, ils étaient devenus «Jaich-al- demandait des volontaires en cas d’appel ticulier. Ils n’étaient ni des esclaves, ni Boukhari». En créant une armée d’es- au Jihad, lequel était souvent l’habillage vraiment des hommes libres. La plupart claves, le sultan s’affranchissait des cli- religieux d’une tentative de conquête. d’entre eux, mais pas tous, venaient du vages tribaux. A l’époque, 5.000 hommes Des milices chrétiennes pouvaient être Tafilalet. Ils avaient le droit de travailler ont été réunis, soit de force, soit volontai- sollicitées en cas de conflit tribal. Il la terre, mais n’en étaient pas proprié- rement. Le groupe a été appelé «Abid al n’était pas rare que l’on fasse également taires. Certains d’entre eux étaient ache- Boukhari». Les esclaves étaient achetés, appel à des mercenaires de Turquie ou du tés aux caravanes de passage. ou enrôlés parmi les anciens Haratines. Soudan occidental. En 1726, l’armée comptait 150.000 C’est à partir du XVIe siècle que les hommes. Leurs enfants étaient élevés choses commencent à changer, sous les Les Boukharas dans l’obéissance au sultan. Saadiens. Ceux-ci ont instauré le pre- mier Etat chérifien, tirant leur légitimité de leur lignée, et non plus de l’apparte- Ce n’est qu’à partir du règne de Mou- Intégration des enfants nance tribale. Une tentative de constitu- lay Ismaïl (1672 à 1727) que l’on a pu Le terrible Moulay Ismaïl était le sultan tion d’une armée a bien eu lieu, durant assister à la création de la première armée le plus organisé de son époque. En le règne d’Ahmed Mansour dit Eddahbi. véritablement organisée. À partir de 5 ans, et jusqu’à l’âge dehors du Maroc contemporain, ce fut, Elle était en partie composée d’esclaves. Les esclaves du sultan en consti- de 10 ans, les enfants s’entraînaient à la de toute la dynastie alaouite, le souve- À la disparition de Mansour en 1603, re- tuaient le coeur. Ils étaient liés à la per- cavalerie, sur ânes et mulets. Ils appre- rain qui construisit le plus tour à l’anarchie civile avec une série de sonne du souverain régnant, et non pas naient aussi la maçonnerie et la menuise- conflits entre les tribus. à l’Etat. rie. A partir de 16 ans, ils commençaient car l’autorité centrale ne pouvait s’enra- Les tentatives de pacification du pays Leur engagement était plus spirituel leur service militaire, dans lequel ils ciner car elle pouvait et était sans cesse commencèrent à porter leurs fruits avec que matériel. On les appelait également s’entraînaient sur cheval, cette fois, mais contestée. Moulay Rachid, qui a réunifié le Maroc l’armée des Boukharas, vu qu’ils prê- sans selle. Inutile de dire que la cavalerie

1767 1777

Premières exportations de 1767-1770 1776-1782 Offre d’un traité de libre 1777-1783 céréales, disputes entre Traité avec la France; pour la première Période connue sous le navigation à Catherine II Nouvelle disette plus religieux pour savoir si fois le concept de «protégé» est nom de «grande famine». de Russie invasion de criquets, le l’exportation était licite employé. Reprise de la navigation de Criquets pèlerins et sultan ouvre ses silos à la course, bombardement de et de sécheresses successives population. 1/6e de la Larache. Persécutions contre les ont fini par décimer le population disparaît zaouïa, les saints et les moussem au 1/6 de la population nom de la pureté de type Wahabite

Juillet-Ao t 2009 17 de Moulay Ismaïl

était le corps noble de l’armée. L’idée restera vivace encore longtemps bien après qu’il eut fallu transformer l’armée. Aussi, les charges de cavalerie furent- elles décimées face aux canons et aux mitrailleuses des armées coloniales. Mais revenons à l’armée de Moulay Ismaïl. 80.000 soldats étaient répartis dans les casbahs du Royaume, placées aux endroits stratégiques. Ces casbahs qui se transformaient progressivement en villes. Une partie des soldats était affectée à la surveillance des routes… Le sultan les faisait marier à 18 ans. Les femmes qui avaient appris le métier de «maîtresses de maison» rejoignaient leurs hommes dans les casbahs. Les plus «douées» d’entre elles devenaient des courtisanes… Parallèlement à la montée en puissance d’une armée indépendante des luttes tribales, les tribus, elles, furent désarmées, sauf celles qui se trouvaient directement en face des comptoirs étran- gers et qui devaient donc résister aux en- vahisseurs, comme à Sebta.

Pour l’usufruit

De plus, Moulay Ismaïl avait une autre armée, «Jaïch Loudaya». Elle était constituée de Sahraouis. Ils avaient moins d’importance qu’Abid al Boukha- ri, mais cette tribu de guich causa bien des soucis aux successeurs de Moulay Ismaïl. Elle fait encore parler d’elle… aujourd’hui quand elle réclame ses droits Les Alaouites, en dehors de tenir les puissances étrangères à l’écart de l’Em- d’usufruit sur les terres devenant urbani- pire, apportaient un soin particulier à sécuriser les routes commerciales. sables, alors qu’il y a deux cents ans, elle Une partie de l’armée était réservée à cette tâche. Cette carte décrit les voies était en pleine campagne. empruntées par les grandes catégories de marchandises (le sens des flèches Le système d’armée d’esclaves avec indique s’il s’agit d’importations ou d’exportations) des guich en appoint a-t-il fonctionné? Oui, du moins sous Moulay Ismaïl. L’ar- Ces soldats et ces tribus étaient attachés lait suivre le plus offrant. Elle a fini par Las! Les temps étaient mauvais! mée des Abid a libéré successivement les à la personne du sultan et n’avaient au- instaurer Moulay Mohamed Ben Abdal- Des épidémies éclatèrent et la famine villes occupées de la Maâmora (1681), cunement prêté allégeance à un Etat, qui lah. Il entreprit alors de se débarrasser vint. Beaucoup de soldats périrent de Tanger (1684), et Larache (1689). Mais d’ailleurs n’existait pas vraiment. En de ceux-là mêmes qui l’avaient porté au maladies. Le coup de grâce fut le trem- après la mort de Moulay Ismaïl, il y a eu plus, il fallait la payer, cette armée… Or pouvoir. Il envoya donc ses hommes en blement de terre de 1755 à Meknès, la une crise de succession qui s’est prolon- l’Etat n’avait plus de ressources et on ne expédition contre des tribus berbères et plus grande ville de garnison, où de très gée sur 30 ans, jusqu’à 1757. savait plus exactement où il était, dans arabes, comme Zayane ou Bani Soufiane, nombreux soldats succombèrent.o L’un des acteurs les plus importants les conflits opposant les successeurs de Moulay Mohamed Ben Abdallah poussa A. B. de cette longue crise était justement l’ar- Moulay Ismaïl. même les Boukharas à la guerre contre mée des Boukharas et les Jaich Loudaya. Donc, à la mort du maître, l’armée al- l’armée des Oudayas. ➨➨➨

1786 1790 1790

A Tombouctou, la 1787-89 1788-89 Graves exactions contre les prière est dite au Traité avec les Etats-Unis, dont Le prince Mly Yazid pille la Juifs, commanditées par Mly nom du Sultan l’existence est sans cesse soulignée caravane organisée par son Yazid, dès son accession au encore aujourd’hui par les deux père vers La Mecque. De trône. Deux ans plus tard il parties. Escarmouches permanentes retour au Royaume, il fait meurt dans un affrontement avec les Ottomans (qui occupent alliance avec les esclaves 1790-1792 avec son frère Mly Hicham l’Algérie depuis 1518) et avec les révoltés contre le Sultan, qui Mly Al Yazid s’est fait proclamé dans Espagnols (qui cherchent à s’installer pardonne toujours le sanctuaire de Mly Abdessalam Ben M’Chiche au Sahara) Juillet-Ao t 2009 18

Forces armées des sultans Grosse réputation, petits moyens et mauvaise organisation ➨➨➨ dement de Tanger, dans laquelle le Ma- La Bataille des Trois Rois puis roc avait déployé entre 25.000 et 30.000 soldats. Mais ce n’était qu’une armée dé- la puissance de Moulay Ismaïl sorganisée, mal équipée et pas entraînée. ont créé une image de puissance Elle avait pris des habitudes de pillage et d’abus qui la faisait craindre des popula- invincible aux forces armées. tions qu’elle était censée défendre. Le retour à la réalité sera bru- En face, l’armée française était bien mieux préparée, en tant qu’héritière du tal: la défaite d’Isly génie militaire de Napoléon, et bien ex- périmentée sur ce terrain qu’elle occupait L’ ARMÉE marocaine a été mise depuis 1830, en Algérie. Que pouvait à rude épreuve lors de sa confrontation faire une cavalerie à l’ancienne, chargeant avec des forces étrangères. Pendant le courageusement mais dans le désordre, règne des Saadiens, le Maroc était sorti contre une artillerie moderne? Ce fut une victorieux de la Bataille des Trois Rois cuisante défaite pour le Maroc: même les (1578). «La nouvelle a eu l’effet d’un tentes princières furent perdues. coup de tonnerre dans le monde civilisé Le Maroc essuya une autre déconfi- (ndlr: l’Europe de la Renaissance qui par- ture en 1860, quand l’armée espagnole tait justement à la conquête de nouveaux envahit Tétouan, sans que le Makhzen ait territoires), et tout le monde s’est mis à pu réagir. L’occupation provoqua la fuite craindre le Royaume». Ajoutée aux ex- de la population, particulièrement celle de péditions contre les Turcs au début de la dynastie alaouite, la réputation de l’armée En dépit de la déliquescence, les comptes étaient tenus. chérifienne était telle qu’il ne fallait pas Ici la feuille de dépenses de l’armée en campagne s’y frotter… Et ceci dura jusqu’à la bataille d’Isly, l’active et très importante communauté en 1844 deux semaines après le bombar- juive qui s’y était établie deux siècles et demi plus tôt, déjà pour fuir les exactions espagnoles. Suite à ces déboires, une réforme fut entreprise par le Makhzen. A l’époque, Moulay Hassan Ier a alloué un budget spécifique pour reformer et équiper l’ar- mée, avec le recours à l’expertise étran- gère. En effet, des instructeurs militaires venaient entraîner l’armée marocaine, tout comme le sultan envoyait des militaires marocains en stage en Europe. Ce qui sus- cita moult résistances de la part des tradi- tionnalistes et des religieux… Avec le protectorat, l’armée maro- caine, ou ce qui en restait sur le papier, disparut. Elle devait écrire un nouveau chapitre après l’indépendance, sous le règne de Mohammed V et surtout sous la direction de Hassan II. L’armée, qui absorba sans beaucoup de difficultés les forces nationalistes comme les hommes qui s’étaient enrôlés sous les drapeaux français et espagnol, devint les Forces Ar- Départ de Harka sous Moulay Abderrahmane. Le courage des cavaliers pèsera de moins en moins face à l’équipement et à l’organi- mées Royales. o sation des adversaires A. B.

1792 1792 1815 Congrès de Vienne qui 1790-1800 Quand Mly Slimane monte 1792-1800 ouvre pour les Européens La peste tue la moitié de la sur le trône, l’empire n’est Arrêts des persécutions et la course vers la colonisa- population ; 65.000 morts plus que l’ombre de réhabilitation des zaouïa, tion uniquement à Fès ; les deux lui-même: Le bled Makh- saints et moussem. Les tiers des terres cultivables zen ne concerne plus que incursions de Napoléon en sont à l’abandon; la popula- 1792-1822 les deux tiers de la popula- Egypte inquiètent l’Empire tion, mais dans la partie la tion tombe, estime-t-on, à Mly Souleïman a été proclamé souverain chérifien, qui refuse de plus riche trois millions d’habitants, à Fès dans le sanctuaire de Mly Driss II participer au blocus contre comme deux siècles plus tôt la Grande-Bretagne

Juillet-Ao t 2009 20 Les juifs marocains, protégés des sultans • Sous les Alaouites, les commu- nombre de conditions qui facilitèrent l’es- sor des affaires de quelques familles israé- nautés juives étaient un élément lites: systématiser leur rôle d’intermédiaire important de l’équilibre du dans le commerce maritime pour limiter la présence de marchands européens dans le système. Outre les juifs installés pays, la protection particulière de princes bien avant l’arrivée des Arabes, et épouses qui leur confiaient de l’argent à faire fructifier. Sidi Mohamed Ben Abdal- l’Empire compte les communau- lah installe de nombreuses familles juives tés, actives, urbaines et cultivées, jouissant de dahirs spéciaux de protection royale. Cependant, les populations juives réfugiées d’Espagne deux siècles pâtissaient d’une fiscalité et d’amendes avant Moulay Rachid écrasantes. Les juifs payaient leur tribut, la jizya, au Trésor royal en plus de la hdiya LES sultans alaouites ont toujours as- et la sokhra. Il existait une entraide entre suré la sécurité des juifs et encouragé leur juifs et musulmans pour échapper aux activité économique par toutes sortes de sanctions. Le pouvoir central concédait un facilités. terrain pour le quartier juif, en assurait la A l’époque, les populations juives protection par des troupes. Au XIXe siècle, se concentraient dans les villes capitales la situation des juifs s’améliore. La venue comme Fès, Meknès, les ports (Safi, Es- des Européens donna aux juifs de nouvelles saouira…) et les centres régionaux secon- possibilités. Ils se virent engagés dans le daires (Sefrou, Taroudant…). Les juifs commerce avec les Européens et protégés étaient spécialisés dans certains secteurs: par le nouvel établissement de ours de jus- bijoutiers, banquiers mais aussi fabricants tice. C’est alors que les juifs marocains pu- de selles, tailleurs, cordonniers. Ils jouaient rent progresser en dehors du mellah. Mais un rôle important au niveau du commerce en 1880, la conférence de Madrid consacre

Une famille juive de Tanger, croquée vers 1830, par Aymard. Des impôts et axes spécifiques frappent les commerces juifs, et si le besoin s’en fait sentir, il sera inventé des amendes. Mais plusieurs sultans créent des domaines commerciaux ou financiers réservés, qui font la fortune de certaines familles domicile. Si les choses ne vont pas plus dent à la qualité de citoyen. Après la mort loin, c’est grâce à Mohammed V. Ce der- de Mohammed V, l’émigration des juifs est nier soutiendra la communauté juive à plu- légalisée. Mais les départs sont mal vus par sieurs reprises. Il protégera la communauté la population musulmane et la méfiance juive marocaine des vexations du régime s’installe. En 1960, on recensait 160.000 de Vichy. “Il n’y a pas de juifs au Maroc, il juifs. En 1967, il en restait entre 60.000 et y a seulement des sujets marocains”, avait 70.000. La guerre des Six jours et des com- Les juifs habitaient au Mellah, un quartier entouré de murs. Le premier mellah officiel fut établi à répondu le roi au représentant de Vichy, lui mentaires haineux dans la presse marocaine Fès en 1438. Ses portes étaient ouvertes aux musulmans. Et le soir on les fermait demandant de “prévoir 150 étoiles jaunes accélèrent les départs. Durant l’été, 20.000 supplémentaires pour les membres de la sont partis. Aujourd’hui, ils ne seraient plus international et le petit commerce rural. la pénétration des grandes puissances au famille royale”. En 1948, l’Etat d’Israël que 3.000… mais en Israël, des avenues Le Makhzen leur réservait une place Maroc, et en 1912, un traité de protectorat voit le jour. La même année, éclatent les portent le nom de Mohamed V. o importante, mettant à profit leur connais- est signé avec la France. La communauté sanglants évènements de Jerrada, où on dé- J. K. sance du commerce international et leur juive est secouée dans ses fondements plore des victimes juives. C’est le début de pratique de langues étrangères, mais sans par les changements d’ordre économique, l’émigration. Source: - Juifs et musulmans au Maroc, 1859-1948; leur donner le même statut que les Maro- politique. On assiste à la ruine de certains D’ailleurs, quand le Maroc recouvre sa Mohammed Kenbib, publications de la Faculté des cains musulmans. Néanmoins, ils étaient métiers, remplacés par les machines. Avec pleine indépendance en 1956, le premier lettres et des sciences humaines de Rabat, 1994. une valeur sûre, puisque politiquement le régime de Vichy, les juifs découvrent gouvernement formé pour négocier l’in- - Essais d’histoire et de civilisation judéo-ma- neutres. Sous Moulay Ismaïl, ils profitèrent l’antisémitisme des Nazis. Des juifs sont dépendance compte un ministre juif. Avec rocaines; Simon Levy, Edition Centre Tarik Ibn de la paix. Ce dernier avait posé un certain licenciés de leurs emplois, chassés de leur l’indépendance, les juifs marocains accè- Zyad, 2001.

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La science du désert, stabilité de l’Empire

Source de richesse et de stabi- lité, l’eau occupe une place cen- trale dans l’histoire du Maroc. D’ailleurs, c’est grâce à l’eau que les groupements qui se sont succédé sur les oasis ont pu bâtir une activité de culture importante. Si dans la préhistoire le ter- ritoire fut humides comme le montrent les peintures rupestres, quand la dynastie alaouite s’installe, il y a long- temps, le Maroc était un endroit sec. Le climat semi-aride impose donc des organisations et des usages bien déterminés.

Près de Figuig, la compétition pour la captation de l’eau est forte: on voit le grand nombre de foggaguir (Ph. Association Zouzfana) IL est remarquable qu’au Maroc, contrairement à l’Italie par exemple, le foggaguir à Figuig? C’est sans contrôle de l’eau n’ait pas donné nais- doute à cause de la compéti- sance à des organisations mafieuses. La tion pour le contrôle de l’eau force de l’, le pouvoir des sultans, entre les différents ksours et le la solidarité à l’intérieur des tribus ou fa- désir de chacun de maximiser milles ont sans doute empêché la forma- sa part que se sont multipliées tion de réseaux à la sicilienne exploitant les galeries. Quelques-unes la population. des rivalités inter-ksours sont En contrepartie, les règles régissant bien connues comme la com- l’eau sont aussi puissantes que consen- pétition Zenaga-Loudaghar suelles, avec un processus de décision depuis l’élimination des Joua- stable et prévisible, capable de traverser beur au VIIe siècle. les siècles. A l’intérieur d’un ksar, les La petite et moyenne hydraulique, droits d’eau sur la foggara ne (telle qu’on l’appellerait aujourd’hui) a se limitaient pas seulement toujours posé des problèmes institution- aux membres d’un linéage nels et juridiques notamment en raison de particulier à l’exclusion des son extension. autres. Celle de Figuig, compte tenu de son La meilleure preuve en système de mobilisation de l’eau autant est que l’institution sociale que de celui en vigueur dans sa distribu- qui avait la charge de veiller tion, est davantage comparable aux oasis directement sur l’organisa- irriguées sur la base du système des fog- tion de la répartition des parts Le système de distribution par canaux peut être très complexe comme dans ce cas. Quand il n’est gaguir. Ceux-ci sont directement obser- d’eau entre ayants droit est la vables au nord du Jorf. pas possible de le construire, on profitera du moindre détail topographique pour assurer la distri- bution (Ph. Association Zouzfana) Jema’a, l’assemblée des élus Cependant, pourquoi y a-t-il autant de locaux.

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La science du désert, stabilité de l’Empire

Ce système de conduite et de distri� des guerres meurtrières entre les tribus. bution des eaux traduit l’ingéniosité des Ce qui nécessitait l’intervention des sages populations locales. Elles utilisaient, à et chourfas pour trouver une solution. leurs avantages, les moindres petits dé� Aujourd’hui encore, la tension monte de tails de la topographie. temps à autre entre les tribus de la région.

Le tighirt, en général en cuivre et percé d’un petit trou, sert à compter le «temps d’eau», c’est-à-dire le temps pendant lequel vous aller recevoir l’eau de la foggara. Le temps de base était de 45 mn. On remplit le récipient et quand toute l’eau s’est écoulée, votre temps d’eau est fini (Ph. Association Zouzfana)

Dans les oasis, les parts d’eau étaient et un maximum de 16 jours selon les mesurées en temps d’écoulement de l’eau ksours ou selon les foggaguir. de la foggara. La plus simple part indi� Pour veiller à une distribution aussi viduelle est le débit de 45 minutes. On précise et équitable que possible, certains l’appellait kharrouba. Le tour d’eau qui ksours avaient recours à des aiguadiers marque la fréquence d’accès aux droits spécialisés qui étaient en même temps des des uns et des autres s’appelait Nouba. personnes de confiance et que l’on appel� Elle s’étale sur un minimum de 14 jours lait les sraifi.

Droits de l’eau

Il faut entendre par droits d’eau deux catégories différentes: le droit des prises sur les écoulements des rivières et le droit des particuliers sur les dériva� Les galeries d’adduction d’eau peuvent être importantes, comme on le voit ici. Il existait tions effectuées par ces prises. et existe toujours des rivalités entre les ksours pour la captation de sources souterraines (Ph. Association Zouzfana) Au fil de l’histoire, les collectivités occupaient les rivières et prenaient toute l’eau qu’elles pouvaient selon les moyens techniques dont elles disposaient, ou bien elles récupéraient, par toutes sortes de moyens, les sources et résurgences. Le même système, à quelques ex� Celui de Mhamid El Ghizlane est le dernier o Ces collectivités se sentaient légitimement propriétaires. ceptions près, était appliqué à l’oasis de en date. La gestion de l’eau est restée donc la même avant et pendant la dynastie Draâ. Cette dernière faisait l’objet de Tarik HARI alaouite. En 1914, un dahir résidentiel, tout en ayant déclaré le principe de la conflits tribaux fréquents. Car les oasis domanialité de toutes les eaux, reconnaît les droits d’usage acquis auparavant. se trouvant en haut, notamment Mzguita et Tinzouline, exploitaient une grande (1) La Foggara est une technique de caractère Aujourd’hui, le droit de l’eau et surtout dans ses conséquences pour le minier qui consiste à exploiter des nappes d’eau sou� traitement est complètement refondu. Mais l’application se fait au compte� partie des eaux de la rivière de Draâ. Ce terraines au moyen de galeries drainantes. gouttes.o qui amenait les tribus du Sud à détruire les akouakat des sakia. (2) �arrage terrier construit par les tribus pro� priétaires du canal pour booster le niveau de l’eau afin Souvent ces conflits provoquaient d’en attirer la plus grande quantité.

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Le thé et le sucre: Comment le médicament de Au début, le thé n’était consommé que par la famille royale, qui s’en servait comme médicament. La boisson devint l’enjeu de disputes religieuses, comme le sucre plus tard fut parfois regardé comme un ins- trument de pression politique. Aucune de ces attaques, cepen- dant, n’a réussi: le thé vert à la menthe est devenu, en deux siècles, la boisson nationale du Maroc

UNE tradition, c’est une innova- tion qui a réussi. L’expression s’ap- plique au mieux au thé vert à la menthe, au point qu’il est devenu denrée de base, que les finances publiques devai- ent subventionner! La consommation de thé au Maroc laisse penser que la richesse des tradi- tions liées à cet usage a des origines très anciennes, mais elle est en réalité assez récente. Il court beaucoup de lé- gendes sur le thé, les sultans, le sucre…

Un gouverneur recevant une délégation italienne. On remarquera que le thé est servi dans de toutes petites tasses. Elles sont en por- Sous Moulay Ismaïl, celaine. L’usage du verre ne viendra que bien plus tard. C’est le gouvernement lui-même qui sert le thé à ses invités (In «Mission Amicis») un médicament

Le sultan Moulay Ismaïl en au- Il se raconte que c’est la reine Eli- rait importé d’Angleterre, au début du sabeth 1re d’Angleterre qui serait res- XVIIIe siècle, en tant que médicament ponsable de l’arrivée du thé à la cour Mesdames, retirez-vous! pour soigner un de ses fils qui appré- marocaine, afin, dit-on, que les artisans ciait un peu trop le jus de la treille. En anglais puissent vendre au pays de la A la différence de la cuisine, faite par les femmes, le thé était tradition- remplacement du vin, le médecin an- vaisselle et d’autres ustensiles néces- nellement affaire d’hommes uniquement, avec tout un protocole, ses tabous et glais chargé de guérir le prince lui au- saires à la préparation du breuvage. Pas ses exclusions. Comme on le sait, la tradition est restée, avec, quand même, rait conseillé de boire du thé, considéré de preuve historique de cette origine. pas mal d’accrocs: si, au quotidien, les femmes font et servent le thé, la bonne comme une boisson aux vertus théra- Au début du XVIIIe siècle, le thé éducation veut qu’au cours des grandes cérémonies, ce soient les hommes, et peutiques. à la menthe était un produit tellement particulièrement le maître de maison, qui fassent ou fassent faire devant eux Il y a un siècle, la guerre de Crimée cher qu’il n’était consommé qu’au Pa- le thé de leurs invités. et le blocus de la mer Baltique ont forcé lais royal. Avec le sucre, le thé figurait Autrefois, c’était le sultan lui-même qui se chargeait de la préparation du les négociants anglais à se tourner vers d’ailleurs parmi les plus prestigieux ca- thé. Pas étonnant que sa préparation soit restée synonyme de prestige. d’autres marchés pour écouler leur thé. deaux qui étaient offerts aux sultans. Il Par contre, les femmes, les Noirs, les esclaves, les handicapés et les pauvres C’est à partir de Tanger et de Mogador resta aujourd’hui de cette tradition les n’avaient pas le droit de le préparer. On voit en passant qui était prestigieux et (Essaouira) que leurs stocks de thé vert cadeaux qu’on offre pour les mariages. qui ne l’était pas… o ont inondé le Maroc. Au cours du XVIIIe siècle, les

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Moulay Ismaïl devint une «marque marocaine» grandes familles bourgeoises l’ont adop- sultan Moulay Abderrahmane (1822- a toujours été liée à celle du sucre, car s’est poursuivie. A la fin du XIXe siècle, té aussi. Mais il a fallu près d’un siècle 1859) avait conseillé à ses sujets de ne ce dernier entre dans la préparation du les puissances impérialistes (la France, pour que sa consommation se répande à le consommer que les jeudis. Dans sa breuvage. l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne) toutes les couches de la population. biographie, un grand savant avouait en ont commencé à avoir des visées colo- La boisson du jeudi niales sur le Maroc. Certains Marocains pensaient alors que les puissances euro- Du temps de la dynastie des Saa- péennes utilisaient le commerce du thé et diens, le sucre était produit au Maroc du sucre pour ruiner l’économie du Ma- et il était même exporté à l’étranger, où roc et le coloniser. Un poète du Souss, il était apprécié pour sa finesse. Mais à Brahim Oulahcen Nait Ikhlef, dénonce la mort d’Ahmed El Mansour en 1603, alors l’excès de consommation de thé Assez rapidement, le thé devint boisson bourgeoise puis populaire. Avec les autres importations- Une bataille d’oulémas exportations, le thé et le sucre poussèrent à une BIZARREMENT, alors que le thé est déjà répandu, la boisson devient migration des pôles cara- un enjeu religieux. vaniers vers les ports, sur Tout au long du XIXe siècle, les oulémas se sont interrogés sur le côté les côtes. «haram» ou «halal» du thé. Ces deux denrées devin- Certains des oulémas réfractaires au thé pensaient qu’il pouvait donner lieu rent si consommées que à une accoutumance, ce qui pouvait être nuisible à la santé, au même titre que l’Etat dut les subvention- le vin par exemple. Ils dénonçaient aussi son côté excitant. ner à partir des années D’autres pensaient que le thé contenait du sucre à base de sang de porc 1970 (Source: Fondation Banque (sic!) et qu’il devait par conséquent être prohibé. Populaire) D’autres, enfin, dénonçaient le fait que les discussions autour d’un bon thé, et en particulier dans les cafés, pouvaient vite virer à la débauche ou aux disputes. A interdire donc! Puis un ensemble de oulémas ont fini par trancher définitivement, en écri- vant plusieurs ouvrages pour prouver que le thé sucré est halal, en s’appuyant sur la charia. Beaucoup ont commencé à y voir des vertus aphrodisiaques, thérapeutiques et digestives. o

tué comme beaucoup de ses sujets par par les pauvres, qui s’endettent et s’ap- la peste, ce fut la guerre civile, car pauvrissent encore davantage. Même ses enfants se sont disputés le trône chose pour Mohamed Abdelkébir Ket- jusqu’en 1672, date de l’avènement de tani, fakih et chef de la Zaouia kettania. la dynastie des Alaouites. En 1904, ce dernier a fait un voyage à la Mecque en bateau. Il a fait escale à Mar- Le sucre, outil politique seille pour mieux connaître la civilisa- tion européenne et a insisté pour visiter Pendant cette période, les fabriques une usine de sucre. De retour au Maroc, de sucre ont été détruites. Il a alors été il a conseillé aux Marocains le boycott importé de France pendant près de du thé et du sucre, car, pour lui, il s’agis- trois siècles, sous forme de pains de sait d’un moyen de pression des Français sucre, enveloppés dans du papier bleu, pour coloniser le Maroc. Selon lui, au lieu avec une fine ficelle et une marque d’acheter ces produits et de gaspiller son rouge. Le Makhzen a bien essayé de argent, le Makhzen devait plutôt équi- construire une usine de sucre au cours per l’armée marocaine afin de faire face de la deuxième moitié du XIXe siècle, à l’impérialisme étranger. Cela lui avait On restait le siroter dans les sa- 1855 servir du thé à ses étudiants pour en amenant de la main-d’œuvre et ensuite valu des querelles avec des per- lons et les cafés pendant des heures, les réveiller et leur donner du tonus pen- des machines d’Europe, mais le pro- sonnages très haut placés. o tout en devisant. Pour l’anecdote, le dant les cours. La consommation de thé jet a échoué et l’importation de sucre Nadia BELKHAYAT

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Ben Aïcha, un ambassadeur-corsaire en France L’émissaire de Moulay Ismaïl auprès de Louis XIV fut fort mal reçu. Il fit néanmoins forte impression auprès de la Cour du Roi-Soleil. Les marchands de Marseille lui avait taillé une image redoutable car ils redou- taient que les corsaires maro- cains ne devinssent des arma- teurs concurrents…

BREST, le 11 novembre 1698. Un navire se profile à l’horizon de la rade. La ville de Salé telle qu’elle se présentait cent ans après le voyage de Ben Aïcha à Brest et Paris. Salé, avec ou sans sa sœur jumelle Spectacle ordinaire pour le petit peuple Rabat, a longtemps jouit d’un statut particulier dans l’Empire, jusqu’à avoir une forme d’indépendance. Salé, comme Mehdia, de la cité du Ponant. Pourtant, ce jour-là, conduisait la course au nom du Jihad, les marins et leurs chefs étaient donc des moujahiddines. Ils se sentaient d’autant plus mouja- certains n’auront sans aucun doute pas été hidines que Salé a bâti sa croissance sur le retour des hornacheros sans remarquer l’inhabituelle agitation des gens d’arme et autres militaires de la avez (…) nous délivrerons en échange place forte. A bord de la frégate, se trou- La tartane, mot dérivé autant d’esclaves français». Malheu- vait l’ambassadeur du Sultan du Maroc, de l’arabe taridah, était reusement, du côté français, il n’y avait Abdallah ben Aïcha, porteur d’une pro- un des navires favoris absolument aucune intention de dégarnir des Rais salétins. Ce position de paix entre les deux royaumes. les galères royales. On mentit à Temim, Mais l’histoire faillit en rester là et même modèle correspond à ceux qui étaient utilisés en niant l’existence de galériens maures. se gâter car, dans un premier temps, Louis vers 1617, un demi Ce n’est qu’un mois après son arrivée XIV refusa de le recevoir et lui envoya siècle avant les exploits que Ben Aïcha pu se rendre à Versailles. pour négocier un gentilhomme, Cheva- de Ben Aïcha. Les Détail révélateur, dans l’hôtel des Ambas- lier de Saint-Olon, grand connaisseur du corsaires de l’Empire sadeurs où fut logé notre corsaire, le ba- utilisaient aussi des Maroc. ron de Breteuil fit «ôter les meubles trop Attitude étonnante quand on sait galères avec rameurs, et faible tirant d’eau magnifiques» et y mis «des meubles mé- qu’il y avait déjà eu des rencontres di- de manière à franchir diocres». Le séjour politique était mal en- plomatiques entre la France et le Maroc. la dangereuse barre gagé et se termina aussi mal puisque l’en- D’ailleurs, le même St-Olon avait été reçu sur le Bou Reggreg. voyé du sultan refusa de signer un traité par Moulay Ismaïl en 1693, rencontre La chiourne, c’est à de paix qui reprenait les mêmes termes et dire l’ensemble des dont Ben Aïcha fit son argument clé en les mêmes conditions que celles de 1682 «disant que les ambassadeurs de France rameurs, pouvait compter jusqu’à 200 au désavantage du Maroc. Le 25 mai, il qui avaient été envoyés en son pays hommes. était de retour à Brest où il embarqua sur avaient toujours été menés à Méquinez, la frégate «La Dauphine» à destination demeure de son empereur». L’une des tôt, n’avait-il pas humilié la marine pas envie de réitérer l’expérience mal- de son pays. raisons de la réaction du roi Louis XIV royale française en filant sous son nez? heureuse de l’ambassadeur Temim qui en Si du séjour de Ben Aïcha en France résidait-elle dans la personnalité même A Versailles, sa venue devait être perçue 1682 avait signé un traité de paix avec ce il ne sortit aucun fait politique, l’homme de l’ambassadeur? On serait en droit de comme un défi. Dans ce cas, pourquoi même Roi-Soleil, notamment pour échan- par contre marqua l’esprit de la popula- le penser. C’est que Ben Aïcha n’était est-ce que Moulay Ismaïl dont l’intelli- ger des captifs et galériens. Pour Moulay tion par son intelligence et son charisme. pas un émissaire ordinaire. C’était «amir gence politique n’est plus à démontrer Ismail, le sujet était d’importance. De Breteuil trouva même en lui «plus al bahr», et un sacré corsaire, redouté avait-il pris le risque d’envoyer un émis- Dans un message à Louis XIV, le sul- d’esprit et de politesse qu’on ne devait des nations navigantes. Il avait capturé saire aussi sulfureux? tan écrivit «Tout autant que vous nous attendre d’un corsaire né en Barbarie». o nombre de leurs bateaux. Six mois plu- Le sultan alaouite n’avait peut-être renvoyez des esclaves maures que vous Amine BENABID

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Confisquer et punir: Une méthode de gouvernement

Sexe, religion et pouvoir ne lay Abdelaziz, âgé châtiment, un moyen de gouverner, de laissent personne indifférent. à peine de 14 ans. préserver le pouvoir… Enrichissement Embastillés, leurs sans cause et abus de pouvoir ne sont Quand un notable ou un biens et ceux de sanctionnés que s’ils perturbent l’équi- homme du Makhzen fait un leurs belles familles libre politique.o seront confisqués. Faiçal FAQUIHI «faux pas», la foudre royale Le champ est s’abat sur lui. Ben Moussa, El libre. Bahmed mène avec une main de Père et fils, les Rifi Malki, Jamaï et les autres… en fer le Conseil de ré- ont mesuré la sévérité. Un sujet gence (1894-1900). Et en profite pour LA destinée du Bacha Ahmed Ibn n’a pas le droit de faire vaciller «placer ses frères Ali Ibn Abdellah Rifi est révélatrice. le Palais: l’art de gouverner comme chambellan, Cruel homme de pouvoir et notable vizir de guerre...», riche. Il gouverne d’une main de fer implique aussi la punition. selon le chroni- cent tribus, de Bab Taza à Bab Tanger. queur Ibn Zaïdan. Nous sommes au Pays du Rif. La pesanteur De 1727 à 1757, l’Empire ché- L’HISTOIRE n’est pas radine politique du Grand rifien traverse une période de turbu- d’anecdotes. Ne pas jeûner ou succomber vizir sera fatale à lence: conspiration, trahison, alliance… au plaisir charnel peuvent coûter cher! sa… postérité. Après le décès de Moulay Ismaïl en Hachmi Soufiani, caïd aux environs Après sa mort, 1727, c’est la course au pouvoir et des d’Ouazzane, en sait quelque chose. Sous le sultan ordonne de troubles, pendant trente ans. le règne de Mohammed ben Abdellah saisir, de recenser Le Bacha se retourne contre le sul- (1757-1790), ce notable et sa tribu seront puis de vendre la tan Abdellah Ibn Ismaïl. Une bataille accusés de débauche. Le sultan, scanda- fortune de Bahmed. se tient le 17 avril 1743 aux environs lisé, ordonne de l’exécuter et d’incendier Un détail à souli- du Kasr El Kebir. Battu puis tué, la tête Célèbre photographie, largement reproduite par les gazettes champs et récoltes de la tribu Soufian gner. Ni fatwa ni du Rifi sera coupée et expédiée dans un européennes pour démontrer l’obligation de «civiliser» l’Empire et Beni Malek. «12.000 têtes d’ovins, chérifien. Jilali Ben Driss, surnommé Bou Hmara, s’est révolté sentence. Ibn Zai- sac à Fès: on ne badine pas avec le sul- 12.000 têtes de bovins, 2.000 chameaux au tout début du XXe siècle, en 1902 dan fait en revanche tan. Rebelote. 23 ans plus tard, le fils de et 11 quintaux d’or… sont confisqués», allusion aux dahirs l’ex-Bacha, Abdesadek Rifi, subira le selon les historiens. L’un d’eux, Adoâif, Grand vizir omnipotent durant le règne liés à la liquidation et au versement des même sort. rapporte que le sultan a ordonné «d’en de Moulay Abdelaziz (1894-1908), est au bénéfices à Bayt Al Mal . Ce qui confère L’initiateur de cette «punition» n’est faire don aux terres sacrées et aux savants cœur des intrigues de la cour. Son ani- une apparence de légalité à la décision autre que Sidi Mohammed Ben Abdel- de l’Orient…». mosité notoire avec les deux frères Ja- du sultan. lah, héritier du trône. Durant la même époque, un autre maï, Haj El Maâti et Mohammed Sghir, Que révèlent ces épisodes? Exécution et confiscation des biens caïd, Habib El Malki El Hamadi, sera respectivement Grand vizir et vizir de la Les commis du Makhzen n’avaient vont de pair. «dénoncé pour hérésie». Motif, son goût guerre à l’époque de Moulay Hassan 1er pas de salaire mais le métier permet l’ac- Le châtiment s’applique aussi bien prononcé pour le sexe faible. Selon l’his- (1873-1894), va retentir sur le protocole cès à des richesses. Les titres se vendent aux notables qu’à leurs proches et al- torien Adoâif, il se serait lié «à 18 femmes royal lui-même. et s’achètent. Caïd ou vizir ne passaient liés. Ce n’est ni Abdelhak Ibn Abdelaziz et sans qu’elles aient eu droit à leur dot». Petite ou grande, chaque affaire doit pas nécessairement par une sélection Fénich, caïd de Salé, ni ses frères, qui Ce n’est pas fini. Propriétaire d’un douar passer par Bahmed, régent de fait. Ce sont (concours, entretien…). Hiérarchie et diront le contraire. Ce représentant du de jolies femmes, caïd El Malki était le les ordres du jeune sultan. Cette entorse contrôle sont des notions aléatoires. Cette Makhzen sera accusé «d’abus de pou- seul à y mettre les pieds. De quoi attiser protocolaire n’aurait jamais été permise réalité administrative est valable même voir» pour avoir assassiné un notable la farouche jalousie de ses rivaux. Ses du temps de Hassan 1er, père de Mou- pour les oumanas et les percepteurs. Ces influent. échos finissent par parvenir au sultan. lay Abdelaziz. Epoque où Bahmed devait derniers prélèvent donc leurs soldes sur le Bahmed et les autres sont-ils le gé- Mohammed ben Abdellah, encore lui, composer avec la puissance des Jamaï. produit des impôts, lesquels ont en prin- nome historique d’un certain général l’exécute, confisque ses biens et détruit Il se venge en intrigant à ce qu’ils cipe un barème et une assiette Oufkir, de Dlimi, de Basri…? L’opinion sa demeure… soient accusés de traîtrise. Ils auraient, Le garde-fou de l’affermage des re- publique est friande de caricatures. o Ahmed ben Moussa, alias Bahmed, paraît-il, critiqué la Beiâ du sultan Mou- cettes est donc la confiscation. C’est un

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Des péages bien avant l’autoroute… Jusqu’au XIXe siècle, les routes Des kasbahs militaires sont construites Hassan Ier (1873), les routes prennent une trouvait une Nzala. Les gens qui y habi- où les «abids» formant l’armée habitent grande importance. taient étaient nommés Ahl Nzail. sont classées par fonction: route en permanence: Kalaâ Sraghna, kasbah Une nouvelle institution économique, Les voyageurs s’arrêtent dans ces du Hajj qui part du Tafilalet Gnaoua, kasbah Tadla... sociale et sécuritaire «Nzail» voit le jour. relais aussi pour se protéger en cas d’in- Ce sont des postes de garde en réseau, tempéries et pour s’approvisionner (on y ou de Fès et route de la cara- C’est gratuit dont l’objectif unique est de sécuriser les trouvait œufs, poulet, foin pour les ani- vane commerciale du Sahara routes, faciliter le chemin des voyages, maux…). Les prix appliqués étaient cou- pour les diplomates faciliter les échanges commerciaux et rants. Les diplomates étaient, sur ordre du jusqu’aux ports. ce jour et nuit. Le Nzail se présentent sultan, approvisionnés gracieusement. En Les déplacements par voie Sous les règnes de Moulay Slimane comme des parcelles entourées d’une contrepartie, le voyageur payait un droit (1792), Moulay Abderrahmane (1822), clôture avec des maisons construites en (péage) qui revenait à la tribu. Ce droit maritime étaient rares. La route Sidi Mohamed Benabdelrahmane (1859), terre et pierre. Tous les 20 kilomètres, on était proportionnel aux têtes d’animaux n’était pas utilisée, les gens transportés. C’est le sultan qui indique les points où il doit y avoir des Nzail après voyageant à dos de chameaux. concertation avec les chefs et notables Existaient aussi les routes des des tribus. Un acte consigne par écrit cet accord. sultans et des «harkas» du Makhzen ou expédition mili- Pressions et corruption taire. Ahl Nzail remboursent aux gens les Il s’agit d’une route sécuri- vols et pertes, parfois à un prix supérieur sée. Toutes ces routes devaient à leur valeur. Quelques exemples de droits payés: répondre à un certain nombre pour un chameau, le droit coûte de 8 de conditions : sécurité, points mozouna en 1890 sur la route reliant Meknès à Rabat. Une vache est taxée à d’approvisionnement en ali- 4 mozouna. ments et en eau. Les problèmes naissent avec l’ouver- ture du Maroc sur l’extérieur. Les Maro- cains jouissant du statut de protégé consu- LE Maroc ne connaissait pas la laire bénéficient automatiquement d’une route pavée chère aux Romains. Ce n’est exonération, ce qui ouvre la voie à des qu’à l’époque coloniale qu’il y a eu les abus et à des tricheries: les cartes de pro- premières routes goudronnées, introduites tection se prêtent, se vendent, se louent... pour des raisons militaires et commer- D’autres conflits naissent. Les étrangers ciales. Autrefois, on distinguait outre les prétendent que Ahl Nzail augmentent routes empruntées par le Makhzen, les les droits. On lit même dans une lettre routes résultantes de l’activité des popula- émanant de l’assemblée des diplomates tions locales… dont certaines entraient de étrangers à Tanger que «le sultan touche temps à autre en dissidence, nécessitant une quote-part de cette perception». Sur une harka. Ces routes sont gérées par les les routes des tribus en siba, les chemins notables locaux. sont, semble-t-il, dangereuses. Les voya- Moulay Ismaïl s’attache à sécuriser la geurs louent alors les services d’un ztat, route du Makhzen. Il devait se charger dont la fonction est d’être guide et/ou La carte montre les principales routes qu’empruntaient les sultans dans leurs déplace- protecteur. Parce qu’il jouit de la protec- de son tracé et de son entretien. Cette der- ments. L’adage dit que «la capitale est là où se trouve le sultan»… ce qui à l’époque nière devait être praticable et facile d’ac- tion des zaouïas et des Chorfas, le ztat moderne donne une curiosité juridique: le dahir instituant la TVA a été promulgué à a un prestige particulier… dont il abuse cès. Ce sont des techniciens envoyés par Paris. le sultan qui réparaient les routes, ponts parfois: le ztat effraie ses clients pour les Les délégations diplomatiques étaient systématiquement accompagnées de soldats, pour rançonner. Ce qui explique l’évolution du et pistes. Ces routes n’étaient pas le mo- les protéger et aussi pour les surveiller. Les Marocains se montraient méfiants à l’en- nopole du sultan mais cela signifie que sens du mot: à la fin des années 50, ztat droit des voyageurs étrangers soupçonnés de venir espionner. A la décharge de cette est synonyme de corrompu! o le sultan empruntait ces routes et pas une suspicion systématique, il faut dire que le Maroc fut longtemps le seul à avoir échappé autre pour ses déplacements. à l’occupation (dessin Biseo, in Amicis) J. K.

Juillet-Ao t 2009 34 Famines et épidémies provoquent une Sécheresses, épidémies de peste et de choléra, criquets… en 300 en est fournie par «La Grande Fa- ans, 24 crises majeures déciment la population. Parfois, la situa- mine» qui frappe tion se dégrade au point que le sultan doit nommer des caïds spé- le pays durant 7 années (1776- cialisés dans le recensement des biens en déshérence du fait de la 1779-1782). Di- mort des propriétaires. Les bilans sont si lourds que l’épidémie sette et invasion acridienne, dans détermine la disette, laquelle entretient les maladie, et ainsi de le Souss, finissent suite sur des cycles de 7-8 ans. En conséquence, la population sta- par gagner l’en- semble du pays. gnera en dessus de 5 millions de personnes jusque dans les années Les sources ma- 1920. rocaines décrivent cette catastrophe avec des termes EN l’espace de trois siècles, le Ma- démie et criquets. Le tout était souvent apocalyptiques! roc a enduré pas moins de 24 situations vécu dans un contexte de siba (surtout La faim a tué de crise. Certaines ont été particulière- quand les révoltes étaient violentes, donc une personne sur ment dévastatrices. Car, outre leur durée, destructrices pour les récoltes) et harka six! Et pour sur- elles cumulaient en même temps tous les ou de défense de l’espace marocain qui vivre, les gens fléaux connus: sécheresse, famine, épi- aggravaient la situation. L’illustration ont mangé du sanglier, des cha- rognes et même, dit-on, de la chair Les terribles prisons de humaine. Pour- tant, le fléau in- tervenait après Moulay Ismaïl deux décennies exemptes de ré- MEKNÈS fut la capitale du Maroc durant le règne du sultan Moulay Ismaïl voltes et de cala- entre 1672 et 1727. L’histoire de cette cité remonte à la création d’une bourgade rurale mités naturelles. non fortifiée au VIIIe siècle. L’installation d’une tribu berbère originaire de l’Oriental Epoque durant appelée les Meknassa -les guerriers- donne naissance à la ville qui gardera le nom de laquelle l’essor sa tribu fondatrice, sauf au moment de la pénétration occidentale, où la ville devient économique avait bizarrement «Méquinas». été net. Moulay Isma l en fait sa capitale. Il y multiplie jardins, portes monu- Mais le be- mentales, remparts, de gigantesques murailles de plus de 40 kilom tres et soin de libérer des présides a Dans ses négociations avec les Anglais, Moulay Ismaïl se fait de nombreuses mosqu es. C est de l que Mekn s tire son nom de vi lle amené le sultan envoyer un chirurgien de Gibraltar, Lempriere, pour soigner un aux cents minarets . Durant la p riode coloniale au Maroc, les Fran ais Sidi Mohammed de ses fils, victime d’une infection oculaire (et de l’abus de bois- l appelent l e Versailles du Maroc, ou e ncore l e petit Paris. ben Abdallah à sons aussi). De simples mesures d’hygiène viendront à bout de l’infection. Le médecin est alors accusé d’ignorance par la cour, L’un des mystères les plus terribles de Meknès, est la prison souterraine de Kara. produire une fa- à cause de la trop grande simplicité de ses remèdes Ce monument construit à l’intérieur de la qasbah ismaïlienne, est formé de trois twa autorisant salles sous une série d’arcades. C’est un très long souterrain vaste et sombre donnant l’exportation des céréales. Officiel- rive par Tétouan en 1676 avant de ga- l’impression d’un labyrinthe. Son nom est celui de l’architecte portugais Kara qui lement, des ventes des grains pour se gner l’ensemble du pays provoquant l’a construit. Il fut prisonnier, lui aussi, de Moulay Ismaïl, ce dernier lui avait promis procurer armes et munitions existent des centaines de milliers de morts. Le la liberté s’il parvenait à bâtir une prison pouvant accueillir 40.000 personnes. Sur depuis 1776. Auparavant, le Makhzen même phénomène de mortalité massive les piliers, de profonds sillons dans la roche: les années et années de frottement des encadrait sévèrement le commerce ex- est observé durant les périodes 1721- chaînes des prisonniers… térieur des produits alimentaires et en 1724 et 1737-1738. Il est concomitant Ensuite, la prison sert pour un temps de silos et magasins. particulier, les céréales, huile, viandes à deux famines: les terres laissées à La superficie exacte de la prison est toujours inconnue, il n’y a toujours pas de et laine. Car, les famines tout comme l’abandon ne produisent plus… Deux carte la décrivant. Certains disent qu’il y avait un tunnel assez long pour qu’il relie les épidémies étaient récurrentes. Dans années après, retour de la peste (1742- Meknès à Fès. On dit aussi que la prison était tellement vaste et d’une architecture la mesure où l’économie de subsistance 1744). Venue d’Algérie, elle gagne Fès, si peu orthodoxe que des prisonniers, voulant l’explorer en quête d’une issue, s’y dominait avec un système archaïque de Meknès et Ksar El Kébir... Rien que perdirent à jamais. o production et de gestion des récoltes. dans cette cité, l’épidémie provoque B. A-I. La première épidémie de peste ar- la mort de 14.000 personnes. Dans les

Juillet-Ao t 2009 35 longue stagnation de la population autres villes, les décès se comptaient à Tanger. Dans par milliers. L’armée d’esclaves, les le même temps, Boukharas, est décimée. Et encore la la famine, qui a peste trois ans après, de 1747 à 1751. sévi entre 1825 C’est la logique de cette épidémie: les et 1826, est ca- retours récurrents. Ils résultent, certai- tastrophique. A nement, de l’incubation de quelques telle enseigne foyers laissés par la précédente. Pour que la popula- preuve, son point de départ est situé tion affamée cette fois au sud du pays contraire- se rabat sur les ment aux précédentes dont les foyers chiens et cha- se déclenchaient au nord. Au final, elle rogne. A Tanger, s’étend partout, avec des pics de 300 la race canine a morts par jour à Marrakech, de 1.500 été pratiquement morts par jour à Fès. exterminée, rap- portent les chro- L’année du bon niques. Et voilà qu’un nouvel Mais le pire est encore à venir: deux fléau, inconnu vagues de peste, coup sur coup, asso- jusqu’ici, fait ciées à la famine. La première épidé- son apparition. mie vient d’Algérie. 65.000 morts à Cette fois, il Fès et 50.000 à Marrakech, les deux s’agit du cho- grandes villes du Royaume Essaouira léra. Sa racine A la veille de la colonisation, on pense que la population marocaine tournait autour de 5 millions de personnes. et Safi perdent chacune 5.000 âmes. se trouvait loin Seulement une personne sur dix vivait en ville. On mesure les progrès de l’économie en général et de l’agriculture La seconde vague suit pas à pas un dans le delta du en particulier, lorsqu’on considère qu’elles sont aujourd’hui capables de nourrir, sans crise, 30 millions de per- sonnes lesquelles vivent presque trois fois plus longtemps (Ph. Terrasse 1925) cortège princier de pèlerins qui rentrent Gangue, au Ben- gale. Introduite à partir de l’Algérie, l’épidémie finit par décimer 8% de la population, en 1834. Depuis, d’autres famines jumelées à des épidémies comme la typhoïde, le choléra, la peste et la variole frappent le pays selon un cycle infernal. Car, point de répit même durant la période coloniale où la médecine de Pasteur au- rait dû, en principe, changer la donne. Or, la typhoïde, qui a sévi entre 1927 et 1928, a fait des milliers de morts y compris 11 médecins français. Et, durant la Deuxième Guerre mondiale, typhoïde, peste et famine n’ont pas fait de quartier parmi les populations de manière endémique. Des morts se comptent par centaines parmi les Européens et par dizaines de milliers parmi les Marocains. Et pour cause! Le corps médical s’occupe en priorité des armées sur les fronts euro- péens et dont le ravitaillement aggrave la disette. A tel point que le rationne- ment de l’alimentation fut la règle. Transport d’un malade vers 1870. Les conditions sanitaires dans l’Empire ne faisaient pas l’objet d’attentions particulières, et ce, bien D’où vient le qualificatif collé à cette que la médecine arabe, jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles, ait été une référence absolue. Les connaissances et la science s’étaient perdues, o remplacées, le plus souvent, par des actes empruntés à la magie (Dessin Biseo, in Amicis) dernière disette: «l’année du bon». A. G.

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La poste: Du Rakkas au courrier hybride! Etablissement moderne et français, anglais, espagnols puis allemands qui ont été ouverts au Maroc en 1852, 1857, organisé de nos jours, la poste 1865 et 1899. Ces bureaux ont utilisé suc- marocaine a d’abord été une cessivement les timbres de leur métropole, puis des timbres spéciaux obtenus par initiative privée. Et c’est grâce surcharge des figurines. Néanmoins, ces à un sursaut de fierté que Barid bureaux étrangers constituaient, théorique- ment, un démembrement de la souveraineté Al Maghrib est née. Retour sur de l’Etat d’accueil. Mais en réalité, comme une histoire mouvementée. il n’existait alors aucune poste nationale, organisée et ouverte au public, ces bureaux ont constitué un premier exemple de ce que HEUREUX sont les facteurs d’au- devrait être une poste nationale moderne. jourd’hui qui n’ont plus à sprinter toute la Parallèlement, les postes locales privées ont journée, à pied, pour faire parvenir le cour- également donné l’exemple à l’Etat. Celles- rier à ses destinataires. En effet, les Rakkas, ci, presque toutes organisées par des Ma- ancêtres des facteurs des temps modernes, rocains juifs, associés à des entrepreneurs étaient engagés par la poste du makhzen étrangers, s’étaient inspirées du modèle des pour acheminer le courrier deux fois par se- bureaux de poste européens. Ce fut en effet maine. Ils devaient parfois parcourir jusqu’à le succès de la poste locale Mazagan-Mar- 100 km/jour. rakech, fondée en 1891 par Isaac Brudo, qui A l’époque, avant que la poste ne de- a incité le sultan Moulay Hassan Ier à vou- vienne le système moderne que l’on loir la lui acheter en 1892. Et c’est parce que connaît, elle a d’abord été une initiative Brudo refusa que le sultan Moulay Hassan privée. Et c’est le désordre dans l’achemi- 1er réagit en fondant une poste chérifienne. nement des plis, entre les villes du Maroc et La ligne postale privée de Mazagan se ré- avec l’Europe, qui a nécessité une réorgani- véla ainsi fructueuse. Et le sultan Hassan sation du système. Les bureaux consulaires Ier envisagea de généraliser le système aux des pays européens installés au Maroc ont autres villes du Royaume. C’est ainsi qu’il avait alors décrété un da- hir organisant la poste du makhzen dans 13 villes du Royaume (El Jadida, Tétouan, Tanger, Ksar Ke- bir, Larache, Fès, Meknès, Rabat, , Azem- mour, Safi, Essaouira et Engagé par la poste chérifienne, le Rakkas devait parcourir de grandes distances à Marrakech). pied pour acheminer le courrier Par la suite, le système postal a fait progressive- les villes intérieures, 5% des taxes étaient fraient pas les mêmes garanties. C’est pour ment disparaître les postes prélevées sur les Moustafadates, qui sont les remédier à cette situation qu’en 1911, elles locales privées. Ce qui a propriétés de l’Etat comme les souks hebdo- ont été réorganisées, à la demande du sul- permis de déréglementer madaires et les abattoirs. tan, par un conseiller français, qui s’inspira le système postal en dou- Au début, les postes chérifiennes utili- du modèle des bureaux de poste européens. ceur sans entrer en conflit sèrent des cachets à inscriptions arabes, dits Elles émirent alors deux séries de timbres avec les puissances étran- «cachet makhzen» comportant le nom du mobiles qui servirent dans tout le Maroc gères. bureau et un appel à la protection de Dieu. jusqu’en 1915, et à Tanger jusqu’en 1919. Dans chacune des 13 Ces cachets étaient circulaires pour le ser- Plus tard, pour annuler ces timbres, des ca- Les bureaux de poste utilisaient des cachets comportant le villes, était nommé un vice officiel et octogonaux pour les plis des chets à date bilingue furent simultanément nom du bureau et un appel à la protection de Dieu Amine. De plus, chaque particuliers. Les encres de base utilisées introduits dans les bureaux des grandes alors servi d’ossature postale avant d’héber- ville avait son autonomie financière. Dans étaient obtenues à partir de poils de mouton villes. Et en 1920, la poste marocaine a pu ger les premiers bureaux de poste organisés les villes côtières, 5% des taxes douanières brulés pour le noir, de coquelicots pour le intégrer l’Union postale universelle. et dépendants de postes nationales étran- étaient prélevées au niveau des transactions rouge, de safran pour le jaune et de cobalt Après l’indépendance, la poste chéri- gères. commerciales qui s’effectuaient dans les pour le bleu. fienne devient Barid Al Maghrib. o L’apparition de la poste au Maroc est ports. Ce qui permettait d’assurer les ca- Cependant, les jeunes postes chéri- ainsi le fait des divers bureaux consulaires chets des Rakkas et des fonctionnaires. Pour fiennes, comparées aux postes privées, n’of- Mohamed Ali MRABI

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Les monnaies alaouites: De la Mouzouna au dirham Le sultan Ismaïl Ibn Echarif inau- gure la frappe de l’or en 1678. Durant la dynastie, la frappe monétaire est un enjeu de sou- veraineté. Malgré la présence et l’usage de monnaies étrangères, les pièces des sultans restent une référence.

L’ HISTOIRE des monnaies alaouites est pleine de péripéties. Tr s rares riffan , imprim s en Grande-Bretagne sur commande d Abdelkrim, en 1923. Il ne s agit pas exactement d une monnaie, mais plut t de bons Chaque règne peut être étudié, en fonc- qui taient cens s valoir un et cinq franc d or tion du type d’émission. La numisma- tique marocaine traduit, d’une part, des voir les diverses provinces de l’Empire. pa de relancer le commerce, cherchant lopper de façon considérable en si peu visées politiques étroitement liées au Ce n’est que dans le courant des trois à retrouver une certaine prospérité. de temps. Surtout que les dépenses de pouvoir. D’autre part, elle exprime des dernières années de règne qu’il s’occu- Mais, celui-ci ne pouvait pas se déve- l’Etat n’étaient pas en proportion avec nécessités objectives, notamment la dis- les rentrées d’argent, et les transactions ponibilité des minerais dans la région restaient faibles. et aussi, quand même, les besoins du commerce et de la thésaurisation. Trésors enterrés Au XVIIe siècle, les chérifs alaouites succèdent donc aux Saâdiins. Ainsi, à aucun moment de ce court Le sultan alaouite Moulay El Rachid règne, il ne fut besoin de frapper la mon- Ibn Echarif (1664-1672) s’installe pen- naie de l’or, la frappe de l’argent suffit. dant quelques temps à Marrakech, puis Deux pi ces d or frapp es Marrakech sous Moulay Isma l Ier et portant le nom de dinars. On peut D’ailleurs, à cette époque de relative fait transférer sa capitale à Fès. Il se les voir au Mus e de la monnaie, tenue par Bank Al-Maghrib, Rabat (in Corpus des Monnaies insécurité, l’or était rare. Il ne circulait consacre d’abord à réunir sous son pou- Alawites, tome 2, Banque du Maroc) plus normalement dans l’Empire et les

El gant billet de cinq francs, un des tout premiers qui furent mis par la Banque d Etat du Maroc. Ce billet ne porte pas de date mais les archives permettent de fixer son impression en 1924. A cette Ce billet de la Banque d Etat imprim en 1931 n aurait rien de particulier s il ne portait pas en gras p riode les autres monnaies, fr quentes dans les souks depuis deux si cles, cessent d tre utili- la mention payables vue au porteur , laquelle en principe renvoyait au franc or et donc l talon s es. N anmoins les gens conserveront longtemps l habitude de convertir mentalement les prix en or. Malgr la survivance juridique de l talonnage-or de toutes les monnaies (qui durera jusqu en anciennes unit s, pour mieux valuer le prix des choses. 1976!), il y avait d j bien longtemps que cette r f rence n avait plus de validit pratique (Suite en page 40)

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Les monnaies alaouites: De la Mouzouna au dirham (Suite de la page 38)

riches avaient souvent enfermé leurs et Moulay Abdelaziz Ibn El Has- trésors, constitués essentiellement de san (1894-1908), les souverains dinars et de petites monnaies d’argent ne frappent aucune monnaie d’or. saâdites, dans les poteries et les avaient Celles qui circulaient encore sous soigneusement cachés. On en retrouve leur règne étaient fort rares. encore aujourd’hui, dissimulés dans Parmi les principaux faits qui les murs, sous le carrelage des mai- ont marqué l’époque: le nouveau sons, dans la terre des jardins et des déclin qu’a connu la ville de Mar- champs et au fond des puits. L’étalon rakech. En effet, Moulay Abdelaziz de compte utilisé sous Moulay El Ra- y fit construire le palais de la Bahia, chid a été, non pas un Mithqal (poids) Deux pièces commémoratives achevé en 1900 et le palais Dar Si d’or, mais un Mithqal d’argent. frappées sous Hassan II, l’une de Saïd (actuellement musée des arts En 1669, le sultan inaugure la 150 DH et l’autre de 50 DH, en or traditionnels). massif (in Corpus des Monnaies frappe d’argent alaouite, en choisis- Alawites, tome 2, Banque du Moulay El Hassan Ier, s’il ne sant, comme monnaie courante, une Maroc) fait pas frapper des monnaies, en re- Mouzouna de 1,1724 g ou 6 q, soit le vanche reste au regard de l’Histoire, poids du quart du Mithqal d’or saâdite des dirhams et fractions frappés par les En 1678, il inaugure la frappe de l’or un réformateur monétaire, introdui- (4,6896 g ou 24 q). Ce sont, en effet, Saâdiins. alaouite à Fès. Il aurait alors disposé de sant le hassani pour combattre la péné- trois sortes de monnaies d’argent qui Quant au cuivre, il y avait deux métal précieux en quantité suffisante tration de diverses monnaies étrangères ont circulé à cette époque. sortes de monnaies d’appoint: le fels pour assurer des émissions régulières. sur le territoire chérifien. Un combat Dans le centre du pays et la partie carré de cuivre de 3,969 g (dans le Ainsi, et à l’époque de Moulay Ismaïl, qui, contrairement aux apparences, occidentale du nord (Fès, Meknès, Ri- centre et au nord) et des bronzes saâdites c’est le dinar qui s’était imposé. Plus n’était pas totalement perdu d’avance, bat Al Fath et Tétouan), on trouvait le de poids divers (4, 2, 1, ½ et ¼ fels) tard, et sous le règne du Sidi Moha- puisque le Hassani a effectivement li- «petit dirham» ou Mouzouna. On en dans le sud, à Marrakech, comme dans med Ben Abdellah (1757-1790), la ville mité l’usage des pésètes espagnoles,

Tiré en 1969, le billet de cinq dirhams porte le portrait de Mohammed V, pourtant disparu sept ans plus tôt. Dans le même temps, le billet de 50 DH tiré en 1968, est à l’effigie de Hassan II. Ces pratiques montrent le souci que les souverains ont de la continuité et de la fiabilité monétaire, par-delà les changements de règne, les péripéties économiques. Ce principe va si loin, qu’il fait reculer l’Etat et les rois devant l’idée de déva- luer la monnaie, même quand cette dévaluation aiderait bien la politique économique. En revanche, le système est intraitable: pas de circulation libératoire de monnaies étrangères sur le territoire

trouvait encore en circulation, comme le Souss, l’Anti-Atlas et le Tafilalet. de Marrakech redevint pour quelques des tallers allemands et des francs de monnaie de paiement, dans le sud algé- Les successeurs du sultan Moulay El temps la capitale du Royaume. Pendant France. Sitôt Moulay El Hassan Ier dis- rien en 1904. Rachid Ibn Echarif choisissent, comme cette période (au XVIIIe siècle), appa- paru, l’anarchie monétaire revint. Il y a Une autre petite pièce d’argent, capitales, Fès, Rabat ou Meknès. Mou- raît aussi le Mithqal, décuple de dirham, trente ans, il arrivait encore d’entendre identifiée avec un quart de dirham lay Ismaïl Ibn Echarif (1672-1727), dernier avatar de la frappe au marteau. de vieilles personnes convertir un prix de compte (0,73275 ou 3,75 q) circu- gouverneur de Meknès, de Sefrou et du A la fin du XIXe siècle, précisément en rial et parfois en hassani, pour se lait à Marrakech et dans sa province. Gharb et dépositaire du pouvoir dans le à l’époque des règnes de Moulay El rendre compte de la valeur d’un petit Partout ailleurs, on se servait encore nord, résidait à Fès El Jadid. Hassan Ibn Mohammed (1873-1894) objet. (Suite en page 42)

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Les monnaies alaouites: De la Mouzouna au dirham (Suite de la page 40)

Avec la colonisation, le Maroc Le régime monétaire instauré avait perdu son droit régalien de en 1920 au Maroc était donc de battre monnaie, puisque certaines cours forcé. Un franc marocain dénommées Mouzounas et rial métallique a été ainsi créé, avec furent frappées à Paris, Berlin ses divisions, analogue au franc et Birmingham. Ainsi, dépourvu français. de pouvoir sur la monnaie et de En 1960, après l’indépen- possibilité de battre des pièces à dance, feu Mohammed V (1927- l’effigie du sultan, le «Makhzen» 1961) crée le dirham marocain en a vu défiler bon nombre de mon- argent. Cette monnaie, divisée en naies alternatives et parallèles. Par 100 francs, était convertible en exemple, la Banque d’Etat de la or. Il aurait été émis en totalité République du Riff (State Bank 18.820.986 pièces de 1 dirham. of The Riff), créée par les rebelles Dans les premières années du Rif, a émis lors du soulèvement du règne de feu Hassan II Ibn d’Abdelkrim El Khattabi entre Mohammed (1961-1999), deux 1921 et 1926, deux billets uni- monnaies ont été frappées. Par faces, de 1 et 5 riffan. deux décrets (30 mars et 11 mai L’éphémère République du 1965), fut approuvée la mise en Rif avait réussi à battre monnaie, circulation de pièces de 5 dirhams plus exactement faire imprimer en argent et de 1 dirham en nickel Billet de 5.000 francs, créé en 1953, mais surchargé à l’impression, après l’Indépendance, «cinquante dirhams». Rabat à l’effigie du souverain. Quant monnaie. Abdelkrim El Khattabi avait trouvé ce système commode pour garder la continuité et la fiabilité des paiements, en attendant de dessiner les avait mis un point d’honneur à modèles spécifiques de dirhams. Signalons que les francs, billets comme pièces, seront retirés très progressivement de aux monnaies divisionnaires de doter son organisation des attri- manière à ne pas léser les populations et ne pas perturber le commerce frappes antérieures en aluminium buts de la souveraineté. A moins (1, 2 et 5 F) et en bronze d’alumi- que ce soit une reproduction de du protectorat français, apparaît le franc nir un échange au pair constant avec les nium (10, 20 et 50 F), elles conti- la tradition de bled Siba, qui veut que qui ne disparaît qu’en 1960. Pendant le monnaies française et algérienne suppo- nuaient de circuler. lorsque la tribu dissidente se sent assez règne de Moulay Youssef Ibn El Has- sait que la définition sous-entendue du Depuis 1987, «l’hôtel des Monnaies forte, elle marque sa puissance en bâ- san (1912-1927), le franc marocain était franc marocain était la même que celle de Bank Al-Maghrib», Dar Assikkah as-

Aviez-vous remarqué qu’il y a deux «mêmes billets différents» de 200 DH dans votre porte-monnaie? Ils sont différents: l’un avec Hassan II seul, l’autre avec Hassan II et Mohammed VI ensemble. Et pour- tant, ils sont les mêmes, tous les deux de 200 DH, acceptés comme tels partout. Il y a aussi deux mêmes billets différents de 50 DH et si vous avez de la chance vous pouvez aussi trouver trois mêmes billets différents de 100 DH! Toujours ce principe de fiabilité et de continuité de la monnaie marocaine, qui fait aussi que la lutte contre l’inflation est une contrainte majeure de toute politique économique tant monnaie. En tout état de cause, les uniquement matérialisé par des billets du franc français. sure intégralement, selon les procédés billets d’Abdelkrim fabriqués en Angle- de banque émis par la Banque d’Etat Les billets étant déclarés inconver- techniques de pointe, la fabrication de terre ont eu, pendant un certain temps, du Maroc. Ceux-ci avaient seuls cours tibles, aussi bien ceux de la Banque ses monnaies.o cours légal dans les territoires du Rif légal et force libératoire. L’intention de l’Etat du Maroc que de la Banque contrôlés par la résistance. A l’époque manifestée par le législateur de mainte- de France et de la Banque d’Algérie. Bouchra SABIB

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Les protections: Quand les Au début, c’était pour se mettre pectus publicitaires pour spiritueux com- derrahmane, son fils Sidi Mohammed et de repérage. Il n’était pas rare que ces der- mercialisés à Londres! son petit-fils Moulay Hassan, conscients niers établissent des cartes et rassemblent à l’abri des abus d’un Makhzen Ce qui va se transformer en véritable du danger que représentaient les protec- toutes les données possibles sur la popu- en crise. Cependant les protec- phénomène politique n’était au 18e siècle, tions accordées à outrance, avaient tenté lation. De plus, la protection consulaire, au temps de Sidi Mohammed Ben Ab- nombre de réformes en vue d’assainir accordée à outrance, conduisait aux pires tions consulaires ont vite dérivé, dellah, qu’une pratique fort limitée, régie et de moderniser le système marocain. dérives puisque, impunis, les protégés au point que le sultan en fait par des accords conclus, en bonne et due En vain! Puisqu’en ces temps où la cor- usaient et abusaient du privilège de pro- forme, avec des pays européens. ruption était monnaie courante, toute la tection qui leur était reconnu. Du coup, une critique qui ne surprendrait ils étaient considé- pas, aujourd’hui, à l’OMC. rés par ceux qui ne bénéficiaient pas de protection comme FACE à des lois aussi draconiennes des «traîtres à la et imprévisibles que celles qui perduraient Umma», qui «pac- au Maroc entre le 18e et jusqu’au début tisent avec l’en- du 20e siècle, certains Marocains, no- nemi mécréant». À tamment des notables locaux, n’avaient mesure que fleurit d’autre choix que de s’assurer la protec- le commerce ex- tion consulaire de l’une des puissances térieur vers le dé- étrangères présentes sur le territoire. but du XXe siècle En effet, en ces temps troubles, les (10 fois plus qu’en sanctions comme la décapitation, la tor- 1830), les plus ture ou la prison à vie étaient monnaie riches des Ma- courante. On les appliquait un peu à tout rocains perdent va pour des infractions pourtant mineures de plus en plus comme le non-paiement de dettes ou le confiance dans leur vol. État et sollicitent La protection consulaire était donc un le statut de proté- moyen de jouir de l’immunité contre les gés aux puissances abus perpétrés par les agents du Makh- étrangères, à tel zen et d’échapper également aux ponc- point qu’une bonne tions fiscales effectuées arbitrairement à partie des ministres l’époque. L’amine des douanes à Tanger. La photo ne porte pas de date ni d’auteur. Elle est sans doute du tout début du XXe et de l’entourage siècle. Les protections distribuées par les puissances occidentales à des sujets marocains rendaient impossibles les des sultans Moulay taxations et les taxations douanières. Chaque nation protectrice ou chaque titulaire avait son propre régime, plus… Abdelaziz et Mou- La meilleure, l’américaine le régime des exceptions. Les protections servaient aussi à ne pas payer les taxes du souk et aussi à se soustraire lay Abdelhafid aux obligations commerciales, y compris celle de payer les marchandises au prix convenu. C’est d’ailleurs l’objet de la plainte, pour «concurrence déloyale» en quelque sorte, dont nous reproduisons le document ci-contre jouissait de protec- Parmi les protections consulaires les tion diplomatique. plus prisées au début du XXe siècle, celle D’ailleurs, quelques mois après la bonne volonté des sultans ne pouvait suf- Le protectorat était déjà installé via le accordée par les Etats-Unis. Bien des ha- conférence de Madrid, en 1880 (et qui fire face à l’analphabétisme notoire et au traité d’Algésiras de 1906. En 1911, les bitants de l’empire chérifien la convoi- était censée donner un coup d’arrêt au mercantilisme des agents du Makhzen. soldats français bivouaquaient déjà à Fès. taient, moyennant une poignée de dollars phénomène), le développement du ré- En accordant une protection consulaire L’installation du protectorat au Maroc accordés en catimini à des agents ou des gime de la protection consulaire aida à aux autochtones et donc en les ralliant allait réduire fortement ce phénomène. représentants du consulat américain. l’installation des maisons de commerce d’une certaine façon à leur cause, les Les protégés ne jouant plus de fonctions Il n’était d’ailleurs pas rare que les étrangères et facilita leur action. Le traité puissances étrangères, au travers de leurs importantes dans le système du protec- autochtones se transforment en victimes anglo-marocain qui assura pour de lon- représentations diplomatiques au Maroc, torat, leur marginalisation se confirmait faciles à gruger, face à des étrangers peu gues années la suprématie du négoce bri- s’assuraient la mainmise sur le pays. Une de jour en jour. En réaction, certains, et scrupuleux qui n’hésitaient pas à tirer pro- tannique ouvrit de plus en plus l’empire stratégie de pénétration coloniale qui non des moindres, rejoignaient même le fit de leur illettrisme et de leur candeur. chérifien aux courants commerciaux ex- n’était pas ignorée par les sultans. jeune mouvement nationaliste né dans On raconte d’ailleurs qu’un Britannique térieurs. L’ouverture de ces brèches dans les années 1920! Le plus illustre d’entre réussit à amasser une fortune colossale en le traditionnel isolement makhzénien ne Protection à tout faire eux reste sans conteste l’Hadj Mekouar, escroquant nombre de Marocains friands manquera pas d’aboutir à de profonds grande personnalité du Majlis de Fès. de documents de protection. Celui-ci leur changements et à un ébranlement des D’ailleurs plusieurs étrangers se dé- Ainsi, la boucle est bouclée.o vendait d’illusoires attestations qui s’avé- structures traditionnelles du pays. plaçaient beaucoup à travers le pays en rèrent très vite n’être que de simples pros- Les trois monarques, Moulay Ab- s’attelant à des activités d’espionnage ou Mohamed MOUNADI

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Voici un document tout à fait exceptionnel. Cette remontrance adressée par Ben Nasser Ghanam, représentant du sultan aux délégués des puissances européennes, ne surprendrait pas dans les arcanes de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. En effet, elle décrit en détail les effets déstructurants et déstabili- sateurs des protections sur la marche normale du commerce. (Le document est ici présenté en deux morceaux. On ne sait pas com- ment se présentait l’original).

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Les douanes, réserve financière Initiée par les Idrissides, per- fectionnée par les Almoravides et les Almohades, la douane a constitué un point stratégique sous le règne des Alaouites. D’ailleurs, plusieurs princes furent chargés de la gestion douanière avant leur accession au trône. Et c’est par là autant que par les armes que s’imposa le Protectorat.

DÈS la fin du IXe siècle, les Idrissides instaurèrent les premières ébauches des structures douanières que les Almoravides puis les Almohades ont perfectionnées au fur et à mesure de l’élargissement du territoire doua- Les agents de la douane portaient des tenues sp ciales, comme ici, Bab El Kh mis Oujda nier marocain. le système original des oumanas des redynamiser l’activité douanière par la sainissement de leur gestion, il permit Les sultans alaouites vont lancer douanes. libéralisation des ports. En procédant à le développement des échanges avec le plusieurs réformes dont notamment Moulay Ismaïl a eu le mérite de la restructuration des douanes et à l’as- monde extérieur. En 1821, Moulay Slimane avait li- béralisé l’exportation de la laine pour augmenter les recettes douanières né- cessaires au budget du Makhzen. Une décision illustrant la nouvelle politique douanière qui rompait avec les prohibitions et les droits élevés des années précédentes pour établir une nouvelle orientation du commerce ex- térieur. La douane fut l’une des pre- mières administrations du Makhzen à bénéficier d’une autonomie de gestion et à appliquer des méthodes adminis- tratives déconcentrées. De même, les oumanas des douanes s’étaient tou- jours distingués de l’ensemble des agents du Makhzen par la nature spé- cifique des missions qui leur étaient confiées. L’acte d’Algésiras ouvre of- ficiellement le Maroc sur le commerce international. Cette convention avait introduit un nouveau règlement sur la douane et la répression de la fraude et Le double syst me: les oumanas du Makhzen et, c t d eux, les douaniers de la R sidence. Oter au sultan son pouvoir sur les finances sera un des tout premiers actes de Lyautey de la contrebande. En 1914, les ouma- (Suite en page 48)

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Les douanes, réserve financière (Suite de la page 46) quant le passage du système tradition- activer l’industrialisation… et surtout nel des oumanas au système moderne orienter toute l’économie vers la mé- de gestion du personnel douanier. tropole. En 1957, le Maroc recouvre Une nouvelle réglementation doua- sa liberté tarifaire. Mais aujourd’hui,

Le grand désordre des ports, au moment où le trafic augmente mais où les infrastructures d’accueil manquent nas qui géraient les services financiers est rattaché à la Direction générale des du makhzen disparaissent. finances. Le dahir du 5 août confie provi- La Résidence prend le contrôle de soirement les fonctions de l’amine al l’argent du Makhzen. Cette époque a oumanas au Grand vizir. Quatre an- connu la mise en place d’un nouveau nées plus tard, le service des douanes statut des agents des douanes, mar-

Convention conclue au nom du Sultan par l’Amine Benacer Ghanam au sujet des droits de magasi- nage perçus par la douane nière, inspirée de la loi sur les douanes avec les accords de libre-échange, la en France, fut adoptée en 1918. Sous douane perd de sa fonction stratégique le Protectorat, de nouveaux régimes pour alimenter le budget de l’Etat.o Les bureaux de douane étaient gérés par les oumanas, qui percevaient les recettes douanières néces- douaniers sont mis en place pour déve- saires à l’équilibre budgétaire du Makhzen lopper les transactions commerciales, Mohamed Ali MRABI

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Les souks: Les plus vieux des hypermarchés

Plus que des lieux d’échanges, les souks étaient l’endroit où on s’informait de tout, en particu- lier des événements politiques, où l’on trouvait les rares inno- vations, où l’on convenait des alliances, où l’on se faisait soi- gner, où l’on pouvait régler un conflit... Aujourd’hui, ils sont encore tout cela, outre les cam- pagnes électorales

OKAD. Le terme peut paraître insignifiant surtout parmi la jeunesse peu encline aujourd’hui et encore moins enthousiaste à plancher dans les manuels d’histoire. En fait, Okad est le plus grand souk que la nation arabe Vers 1880, un petit souk à l’extérieur des murs de Fès. Certains même à cette époque étaient fort grands. Assurer la bonne tenue des souks et la sécurité des échanges est une mission régalienne que les sultans prennent très au sérieux. Même les tribus en dissidence veillaient au maintien et à la bonne marche des souks

ait connu. Antérieur à ment la vie de tous les jours dans les l’avènement de l’Islam, vastes étendues du désert arabique. Okad était le grand ras- Au Maroc, certainement l’unique semblement annuel des pays du monde arabe où l’on en trouve tribus nomades arabes. encore d’aussi vivants, les souks pren- Rencontre saisonnière, nent leurs dimensions en fonction des il se tenait à La Mecque lieux et des besoins des populations à et était le point de ren- qui ils sont destinés. Par exemple, il y a contre tout autant des les souks des villes: de petites tailles, ils caravanes commer- sont réservés au commerce des fruits et ciales que des grands légumes. On y trouve parfois des nippes poètes qui venaient y d’occasion, des «médicaments» tradi- rivaliser d’imagination tionnels (ou présentés comme tels), des par rimes interposées. pièces de rechange... Mais, c’est loin tout Plus on s’éloigne des villes, plus le Les souks assuraient les cela. Le souk, de notre souk prend de l’importance. Leur uti- échanges entre les régions temps, a été réduit à lité, leur taille grandissent en même aux spécialités différentes. sa simple fonction temps. Certains, situés loin des agglo- Cette carte montre les commerciale. Point mérations, ont souvent l’allure des hy- grandes zones de productions de «duels» poétiques permarchés en plein air. On y trouve économiques telles qu’elles à qui décrit le mieux de tout. Des produits nécessaires à la existaient au XVIe siècle l’amour, la guerre, le vie quotidienne aux outils agricoles voyage ou tout simple- (Suite en page 52)

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Les souks: Les plus vieux des hypermarchés (Suite de la page 50) et toutes sortes de produits pour les mille. Grandes théières champs et l’élevage. Les municipalités et beignets gras pour s’attachent à leur construire des espaces tout le monde. en dur (souvent très laids), spécialement En attendant, les dédiés, même s’il faut les laisser vide marchands de légumes tout le reste de la semaine ou du mois. disposent au mieux leurs Dans les campagnes, le jour du produits sur de grandes souk c’est l’événement principal de bâches en plastique. Les la semaine. L’on s’y prépare la veille. bouchers, eux, s’activent Comme un rite, une procession que l’on à installer et à laver leurs ne doit nullement rater sous aucun pré- étals. Ils iront chercher texte. Les chefs de famille choisissent la leurs viandes aux abat- bête ou le produit qu’ils veulent vendre toirs de fortune dès le au souk pour faire leurs emplettes pour passage du vétérinaire la semaine. (il faudra un jour faire Les enfants et les femmes, eux, sor- une thèse se le réseau de tent leurs plus beaux habits et tout le santé public attaché aux monde se met très tôt au lit. C’est que souks!). l’on va au souk dès avant l’aube et au Les bouchers et leurs plus tard au lever du jour. Il ne faut pas apprentis découperont rater les éventuels acheteurs du mouton, les carcasses en gros de la poule ou tout simplement du quin- morceaux avant de les tal de céréales. Cela si l’on veut obtenir accrocher aux esses, à les meilleurs prix. Au-delà de 9 heures, l’air libre, pour «allé- les transactions commerciales cèdent cher» les clients. La ma- la place au «grand» petit déjeuner en tinée avance, les cris des Belle gravure dessinée aux alentours de 1870. L’achalandage de ce marchand de poteries aux décors famille, l’unique de la semaine auquel marchands et les sons typiques montre bien que les pots pouvaient venir de très loin, ce qui démontre l’efficacité des souks et participent tous les membres de la fa- des appareils acous- des routes commerciales tiques s’amplifient. Ce entre personnes du même douar, voire n’est pas pour rien que de la même tribu. Sorte d’édile commu- le mot a pris le sens de nal, il était le plus souvent un notable bruits et désordres! respecté par tous et qui disposait de la Mais le souk, n’a «confiance» des autorités coloniales. pas été seulement Cela évitait aux ruraux habitants dans les cet espace marchand contrées loin des agglomérations de se prisé par les ruraux. déplacer pour ester devant les tribunaux Le Protectorat, par modernes installés dans les villes, qu’ils exemple, avait laissé relèvent de la justice Makhzen ou de la sa fonction judiciaire justice coloniale. Cette pratique du «souk au souk. Il accueillait judiciaire» existait encore il n’y a pas si aussi le «tribunal» longtemps. ou un «hakam» tran- Au cours des trois dernières décen- chait dans les litiges nies, une autre fonction est également remplie par les souks: ils servent dé- A Fès, deux marchands de babouches. sormais d’espaces pour les campagnes En ville aussi, le commerce était électorales pour les législatives comme très encadré avec des commerçants pour les communales. Quoi de mieux très organisés, capables de refuser pour disposer du plus grand nombre de des taxes. En deux cents ans, les personnes, d’électeurs en même temps boutiques des médinas n’ont guère qu’un souk. Surtout que presque tous les changé. Dommage que les commer- usagers d’un souk relèvent de la même çants ne mettent plus de banquettes circonscription électorale!o devant chez eux… Jamal Eddine HERRADI

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Ce colonial qui appelait le Roi «sidna» Résident général au Maroc d’avril 1912 à octobre 1925, Louis est l’architecte du Protectorat au Maroc. Ce royaliste, que rien ne prédestinait à une carrière militaire, est un des premiers Français à donner le titre «sidna», pour respecter la souveraineté du Royaume: «poudre aux yeux» disent les uns; «volonté de rejeter le Maroc dans le passé», disent les autres. Le b timent de la R sidence Rabat, lieu g om trique de la colonisation fran aise au Maroc. Il servira ensuite de logement l Ambassade de France SUR Lyautey les opinions com- jusque dans les ann es 1980. Il y eut un projet d en faire un mus e, une acad mie, avec des jardins ouverts au public Mais Basri tait trop puissant, il mencent tout juste à s’apaiser, entre l annexa purement et simplement. M me les abords sont maintenant ferm s l’image idyllique du «pacificateur» ou au d’avril 1912 à octobre 1925, il avait dé- d’Indépendance. Après avoir «pacifié» Lyautey qui était en contact avec le contraire la vision guerrière de celui qui a marré sa carrière en Indochine où il a le Maroc central, transféré la capitale de monde financier n’avait pas de sympathie écrasé les tribus. Ce qui est sûr c’est que appris «l’occupation progressive», alter- Fès à Rabat et exilé Moulay Hafid qui lui pour «les petits colons» qu’il considérait Lyautey est une personnalité hors pair. nance d’opérations militaires et d’entente paraît «révolutionnaire» (alors qu’il était comme ayant une «mentalité de bêtes dé- Premier Résident général au Maroc avec les tribus. Son expérience algérienne conservateur), il choisit son frère, Moulay chaînées». est également déter- Youssef, plus docile. Dans les premières En fait, la France ne réussira son pou- minante dans sa car- années de l’indépendance, les «progres- voir sur tout le Maroc qu’en 1930. Les rière. Il y apprend le sistes» tiennent Lyautey pour responsable parties insoumises restent importantes désert, les tribus, d’avoir sauvé une monarchie agonisante. durant toute l’administration de Lyautey. l’Atlas, etc. Mais pour Lyautey, la souveraineté, incar- Il conduit alors la guerre psychologique Au Maroc, née par le sultan, doit être glorifiée et non entre Maroc soumis et insoumis. Une Lyautey met à exé- dénigrée. Il va entourer le Souverain de anecdote qui concerne une tribu de l’At- cution sa théorie tous les égards possibles, une discipline las rebelle ayant déposé les armes pour du Protectorat: la que ses Résidents suivants abandonne- qu’une de ses délégations puisse assister puissance étrangère ront, comme le montre la manière dont à la première foire-exposition de Casa- n’effectue «qu’un ils traiteront Mohammed ben Youssef, le blanca organisée en septembre 1915 par simple contrôle» futur Mohammed V. Mais, selon certains, Lyautey. C’était la période des grands par opposition à comme Charles-André Julien, il ne s’agit travaux. «une administra- que d’un leurre: «Lyautey se proposa Il mêle culture traditionnelle et culture tion directe», qu’est comme tâche essentielle de magnifier le moderne, écoles françaises et écoles tra- une colonie. Le sultan à proportion qu’il le réduirait à un ditionnelles, médina et ville européenne, Royaume garde rôle de figurant somptueux». Lyautey est économie moderne et artisanale, etc. ainsi ses institutions, un des premiers Français à donner le titre C’est la guerre du Rif qui précipite se gouverne et s’ad- «Sidna». «Il savait que la souveraineté et son départ. Le Maréchal Pétain vient en- ministre lui-même sa légitimité ne passaient pas par la coer- quêter puis retourne en France sans rien avec ses propres cition mais par une bonne dose d’adhé- communiquer à Lyautey. Le 10 octobre organes. Moins sion dans laquelle le sacré joue un rôle 1925 Lyautey quitte le Maroc définiti- Laissant les jardins de la R sidence Rabat, les cendres de Lyautey furent de trente ans plus important», explique l’historien Mostapha vement. Sa hiérarchie le trouvait un peu transf r es aux Invalides, avec les grands militaires fran ais. Un tard, ils seront au Bouaziz. Sa plus célèbre formule est: «un trop… indépendant!o marocain monte la garde, en tenue d apparat centre du processus chantier vaut mieux qu’un bon bataillon». Khadija MASMOUDI

Juillet-Ao t 2009 55 : Le pacha porte-étendard de la colonisation THAMI El Glaoui, pacha de Mar- rakech, se prosterne sous les flashs des photographes devant le sultan Moha- med V et appelle «la malédiction de Dieu sur ceux qui l’ont trompé». La scène, digne d’une tragédie clas- sique, se déroule en novembre 1955 aux châteaux de Saint-Germain en Laye, en France, lors des négociations de l’Indé- pendance. C’était là la dernière action politique. El Glaoui, né en 1879, allait mourir trois mois plus tard. C’est lors de la signature du Protec- torat français que El Glaoui se distingue. Il assure la protection des Français no- tamment le consul Maigret resté à Mar- rakech après la conquête de la ville par le chef saharien El Hiba. El Glaoui est ré-investi dans ses fonctions de pacha. Il sera désormais avec sa tribu Glaoua un grand appui à la politique française des grands caïds dont le Maréchal Lyautey Thami El Glaoui, aux côtés de Ben Arafa. Ce soutien sera souligné par les forces coloniales fera un principe essentiel de domination. comme le «signe du ralliement des tribus et des grands caïds», c’est-à-dire «le bon bled», qui El Glaoui prend, à la mort de son frère soutiendrait donc la colonisation. «Le bon bled» s’opposerait donc aux révoltes des villes qui Madani, les commandes de sa tribu. Ses réclament l’Indépendance. Derrière Ben Arafa, peut-être le profil de Kettani (In Benoist-Méchin) campagnes (harka) sont d’un grand appui pour les conquêtes militaires françaises. Il «intégriste» (dirait-on aujourd’hui) dont écrasera à deux reprises en 1919 et 1920 le frère a été mis à mort par Moulay Ha- la résistance des Aït Atta. fid. Ils complotent avec la Résidence et Ces expéditions lui permettent de ré- Paris, pour faire déposer le Sultan Moha- gner en maître sur la région. Il fait imma- med V en le présentant comme ennemi triculer en son nom propriétés et terrains. de l’islam. La manœuvre va contribuer La culture des terres des Glaoua se fait à amener le vieux Ben Arafa au trône et gratuitement par des corvées et le pacha Mohamed V sera exilé. défraie la chronique parisienne avec ses Sentant son échec et sa mort proche, il loisirs fastueux. On pense qu’il est mil- change ses alliances. Il se rend en 1955 à liardaire, ce qui à l’époque faisait beau- Rabat et déclare devant le Conseil de gou- coup d’argent… A partir de 1930, le Ma- vernement: «je m’identifie à la volonté du roc est «pacifié», se lance dans les affaires peuple marocain qui demande la restau- obtenant des concessions minières im- ration du Sultan légitime Mohamed Ben portantes. Il prend des participations dans Youssef et son retour immédiat de Mada- l’industrie et le commerce modernes. En gascar». Le 8 novembre 1955, El Glaoui, 1950, lors de l’Aïd Al Kébir, il prend à prend l’avion pour Paris pour demander partie Mohammed V, en raison du soutien pardon à Mohamed V, en se prosternant. de ce dernier à l’Istiqlal. Ce dernier dans un profond geste poli- En 1953, nouvelle escalade: El Glaoui tique accepte et lui dit: «Oublions le pas- réunit une vingtaine de caïds qui signèrent sé, nous avons besoin de vous, tant pour une pétition accusant le sultan de «mener notre personne que pour notre peuple. Ce Avant même que Mohammed V ne rentre au Maroc, le Glaoui lui a demandé pardon. La le Maroc à sa perte en s’inféodant aux qui importe ce n’est pas ce que vous avez cérémonie se déroule à Saint-Germain en Laye, près de Paris alors que se tiennent les toutes partis extrémistes illégaux, c’est-à-dire fait, c’est ce que vous ferez à l’avenir». o dernières négociations pour l’Indépendance (In Benoist-Méchin) l’Istiqlal».Il s’allie également à Cherif Kettani, chef d’une confrérie religieuse J. B.

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Comment le Maroc a été amputé de ses territoires

Peu de grandes batailles, sauf identitaire. La première ignore les valeurs Isly, mais de nombreuses traditionnelles, veut s’inféoder à l’Occi- dent, l’autre le rejette en bloc y compris guerres limitées pour la récu- sa science et ses techniques. D’un côté, on pération de petits territoires, défend, au nom du modernisme, des inté- rêts présents et futurs, de l’autre on tente, surtout des villes occupées. La au nom de la sauvegarde de l’identité, de pression précoloniale puis colo- maintenir d’anciens privilèges. Mais dans une conjoncture caractéri- niale sur l’empire chérifien est sée par une compétition farouche entre les plutôt passée par l’économie et forces coloniales, l’enjeu était la domina- tion du Maroc. Si bien que des pans entiers les finances. Sans jamais par- de sa souveraineté se trouvaient déjà hypo- théqués. Qui par des dispositions de trai- venir, c’est à noter, à détruire le tés, qui par le phénomène de la protection système politique du Makhzen diplomatique. D’ailleurs, les batailles de Chaouia (1907-1908), dont le point de dé- pour pouvoir le remplacer. Le part fut Casablanca, n’ont été justifiées que Maroc, avec la Turquie, est le par la sauvegarde des chantiers en cours de réalisation par la France. Celles menées seul pays du sud méditerranéen entre 1907 et 1934 à Marrakech, au nord qui parviendra à échapper à la du Sahara en Atlas et au Tafilalet, visaient à «mater les révoltes et à pacifier le pays»; colonisation directe. dans le dessein bien évident de renforcer la mainmise sur les richesses internes et le LES XVIIe et XXVIIIe siècles n’ont commerce y transitant. pas été marqués par de grandes batailles, au vrai sens du terme. L’histoire retient plutôt des petites guerres dont l’objectif Les héros demeure la récupération des poches et présides occupés par les puissances euro- Du côté marocain, c’étaient les guerres péennes. Il en est ainsi des guerres menées du mouvement du Jihad. Il en est ainsi de du temps de Moulay Ismail contre l’Es- ceux conduits par des héros comme El pagne, l’Angleterre et le Portugal. Hiba Maâ El Aynaine, Mouha Ou Ham- Entre 1681 et 1691, ces campagnes mou Zaïani, Mohammed Al Hajjami, ont permis la libération des villes de Al Samlali Al Angadi et Assou Baslam. Mehdia, Tanger, Larache et Asilah. Car, Cependant, la guerre du Rif, menée par outre la légitimation du pouvoir par la Mohammed Ben Abdelkrim Al Khattabi guerre sainte, le projet du Jihad était porté contre les armées française et espagnole, par tous les princes. Et même la confron- reste de loin l’épopée la plus retentissante. tation avec la France à Oued Isly (1844) Elle a été érigée en première école de la est à placer dans ce contexte, dans la me- guérilla dans le monde. L’épopée fut re- sure où la réaction du souverain marocain Cette carte d’état-major montre comment l’armée française a fait pression sur le prise, 30 années plus tard, par l’Armée de faisait suite à une allégeance de la popula- Maroc, entre 1903 et 1910, pour prendre le contrôle des territoires frontaliers, de Cap libération marocaine. Mais cette fois-ci, tion musulmane de Tlemcen. C’est le cas de l’Eau au nord, jusqu’au Tafilalet au sud dans le sud-ouest marocain. aussi de la bataille de Tétouan (1859-60). Conduite par Mohammed Bensaïd Aït Deux événements, aux retombées mili- le versement des dommages de guerre en mun accord entre la Grande-Bretagne et Idder, cette armée a obtenu la libération taires, économiques et politiques lourdes guise de prix à payer pour l’évacuation de l’Espagne. De fait, c’est le début d’accé- d’Aït Baâmrane et l’ouverture des négo- de conséquences pour l’avenir du pays. Si la ville. lération du processus de désorganisation ciations avec l’Espagne qui s’est déclarée la défaite militaire d’Isly a ouvert la voie Pour acquitter sa «dette», le Maroc économique et sociale. Processus accom- prête à céder le Sahara dit occidental à à un échange économique inégal, notam- s’est vu imposé un montage financier dont pagné de profondes mutations au niveau condition que le Maroc renonce aux pré- ment par le biais de l’accord maroco-bri- le dessein avéré visait l’organisation de des mentalités. sides de Ceuta et Melilia. Mais Aït Idder, tannique de 1856, l’issue désastreuse de son asphyxie financière. Au demeurant, Deux tendances contradictoires ont (Suite en page 58) la guerre de Tétouan a imposer au pays la manœuvre était orchestrée de com- ainsi émergé: l’une opportuniste, l’autre ➨➨➨

1972 1973 1975 1979 1985 1987

Attaque de l’avion Les FAR enregistrent Lancement de La Récupération de la Dépôt officiel de la royal de fortes pertes Marche Verte: province de Oued candidature du Maroc durant les batailles du 350.000 volontaires Ed-Dahab à la CEE Golan ont répondu à l'appel royal Visite du pape Jean-Paul II au Maroc

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Comment le Maroc a été amputé de ses territoires (Suite de la page 56) ➨➨➨ n’étant pas investi de la mission de négo- limitation des frontières imposé arbitraire- ciation, avait informé le gouvernement du ment par la France trouvera sa résolution dossier. Seulement, la question du Sahara après l’indépendance de l’Algérie». Mais était secondaire pour le pouvoir. Consé- d’autres guerres menées aux frontières du quence, dissolution de l’armée de libé- Maroc et loin au Moyen-Orient ont été ration et renvoi du gouvernement d’Ab- inscrites au registre des Forces armées dallah Ibrahim. La Guerre des Sables n’a royales. Quelles que soient leurs issues,

La lettre de Moulay Abderrahmane

LA décision de négocier avec les non-musulmans a été surtout imposée par la défaite d’Isly. La lettre ci-après du sultan Moulay Abderrahmane à son représentant diplomatique à Tanger illustre la mentalité régnante dans les cercles politiques de l’époque. Mais l’amertume qui s’en dégage face à la traîtrise du négociateur man- daté est encore plus révélatrice: «Notre serviteur béni, Bousalham Ben Ali, que Dieu guide tes pas et que Son salut te couvre. Sache que notre gouverneur sur Oujda, Hmida Ben Ali, accompa- gné du secrétaire Ahmed Lakhdar, ont été dupés par le représentant de l’ennemi de l’Islam. Nous les avons chargés de préciser avec lui les frontières, mais il les a corrompus, comme à son habitude, par ses tromperies et ses appâts. L’ennemi a manœuvré jusqu’à ce que Hmida paraphe son croquis, alors que nous lui avons accordé une délégation de suppléance en croyant qu’il allait sauvegarder les intérêts des musulmans, lui qui connaît la région et ses habitants. On lui a recom- Des soldats français viennent de prendre la mitrailleuse lourde qui les avait tenus à mandé, à maintes reprises, de confirmer la frontière qui existait entre notre Etat et distance de Dar El Kadi. L’équipement des armées chérifiennes est faible, disparate et celui des Turcs quand ils administraient l’Algérie. Nous l’avons sommé d’enquêter ancien: il n’y avait pas eu de conflits militaires importants depuis le début de la dynas- sur le sujet, d’interroger les anciens et les notables de la région, et de ne prendre tie alaouite. Les interventions armées se bornaient à des opérations de maintien de langue avec l’ennemi qu’après avoir assimilé toutes les données. Malgré cela, il l’ordre, dirait-on aujourd’hui a fait ce qu’il a fait, par bêtises ou par étourderie. Nous n’avalisons pas ce docu- (In Archives du Maroc, collection Archives des éditions Michèle Trinckvel-1995) ment, comme nous n’acceptons pas de céder les territoires de nos tribus qu’elles exploitent génération après génération. L’ennemi de l’Islam a profité de l’absence des notables des tribus pour corrompre Hmida. Ces derniers fêtaient l’Aïd en notre présence chérifienne. Quand nous les avons mis au courant du tracé, ils l’ont re- jeté. Ils sont maintenant en route pour délimiter les frontières de leurs pays qu’ils connaissent comme leurs enfants. Quand l’entente se fera sur la base des frontières turques connues, alors la question sera tranchée comme prévu dans la lettre de délégation. Informe le consul des Français pour qu’il cesse de croire que nous avalisons ce qui a été monté par ruse et tricherie. De plus, nos deux émissaires ont suivi les Français sur la question du commerce entre les deux pays, ce que nous n’avons ni autorisé ni même soulevé, car les musulmans n’en tireraient aucun avantage».o

pas apporté ce qu’elle devait. Le principe les retombées n’en demeurent pas moins d’intangibilité des frontières qui animait positives pour le pouvoir. Glorification de les Africains et Ben Barka, le leader de l’armée et sa légitimation ou encore raffer- la gauche marocaine, a fait perdre et le missement des liens avec les pays arabes Sahara oriental et le plateau de Tindouf. sont autant de points positifs. Et, au final, Pourtant, le protocole d’accord passé entre c’est l’image de marque du Souverain qui le Roi Hassan II et le gouvernement pro- se trouve fort rehaussée, y compris quand visoire de la république d’Algérie est on des fractions de cette armée se sont es- ne peut plus clair. Ce dernier, «reconnaît sayées aux coups d’Etat.o Distribution d’armes à la population des frontières lors de la Guerre des Sables que le problème territorial posé par la dé- A. G.

1990 1991 1993

En février, envoi d’un 1992-1993 Inauguration de la contingent marocain en - Référendum sur la révision grande mosquée Arabie saoudite sans de la Constitution de 1972 Hassan II prendre part aux opérations - Organisation tour à tour des contre l’armée irakienne élections communales et Hassan II annonce la création du Conseil législatives consultatif des droits de l'Homme Juillet-Ao t 2009 60

Les hommes de l’Indépendance

Comment choisir les hommes et les femmes qui devront figurer sur une page? D’abord, ils et elles sont nombreux, ensuite et surtout, nous sommes là dans la mémoire vivante, c’est-à-dire que cette période sert encore à alimenter les bagarres poli- tiques d’aujourd’hui. Que l’on sache bien que le choix ci-des- sous n’entre absolument pas dans ces bagarres…

• Allal Al Fassi, le géant historique Allal El Fassi c’est l’incontournable. Entré à la Qaraouiyine, en 1927, à 17 ans, il est arrêté une première fois quand il manifeste contre le Dahir Berbère, arres- En octobre 1956, le roi Mohammed V forme le premier gouvernement de l’Indépendance. De gauche à droite, Idriss M’Hammedi, D. tation assortie de l’interdiction du droit Faraj, Mohamed el Fassi, Redha Guedira, Bekkai Ben M’barek Lahbil (Premier ministre), Abdelkrim Benjelloun, le Roi Mohammed d’enseigner. Le mouvement se scinde. V, Ahmed Balafrej, Abderrahim Boubid, Omar Abdeljellil, Abdallah Ibrahim, Rachid Mouline, M’hamed Douiri, Mhamed Zeghari Allal El Fassi prend la tête du Parti na- (Ph. AFP) tional (Al Hizb Al Ouatani) doté de deux organes de presse, l’Action populaire en • Malika El Fassi, le souci de français et l’Atlas en arabe, alors que Mo- l’éducation des filles hamed Hassan Ouazzani crée l’Action na- Malika El Fassi est une personnalité tionale marocaine avec également deux oubliée, effacée par la stature de son frère, organes de presse (l’Action du peuple en Allal. Elle est née au début des années français et Al Difaâ en arabe). Après les 1920. Elle a fait des études très courtes émeutes de Fès et de Meknès de 1937, dans une école coranique pour filles, Allal El Fassi est banni au Gabon puis dar fquiha. Elle a été une des premières au Congo et son parti dissout. Il participe femmes à adhérer au mouvement natio- depuis le Gabon à la création du Parti de naliste en 1937. En tant que membre de l’Istiqlal. Il rentre à l’occasion d’une am- l’Association des femmes indépendantes, nistie en 1946, mais il est immédiatement elle s’est occupée de la sensibilisation exilé à nouveau, au Caire cette fois. et de la mobilisation des femmes de la Après l’Indépendance, il est de ceux bourgeoisie alors que d’autres femmes, qui se rangent avec Mohammed V, lors comme Touria Sekkat ou Zhor Zarqa, de la crise politique de 1957. Sa doctrine s’occupaient des milieux populaires. Elle a marqué et marque certes son parti au- a été la première femme à publier des jourd’hui dirigé par Abbas El Fassi, mais articles dans la revue Al pour aussi et surtout l’ensemble de la culture défendre le droit des femmes à l’ins- politique marocaine. C’est le cas de la truction. Elle a assuré la liaison entre théorie de «l’élite» distinguée de «la les nationalistes et le palais. C’est à elle masse». qu’incombait la tâche de la rédaction des Cette dernière devant être «organisée, documents que les nationalistes voulaient Mohammed V recevant Allal El Fassi en 1957 alors que le Maroc vit une crise politique. éduquée et mise sur une voie «correcte» faire parvenir au Roi Mohammed V. En Cette crise marque la division du mouvement nationaliste en deux grandes branches par la première».Allal El Fassi disparaît (Ph. AFP) 1944, elle a été l’unique femme à signer le 13 mai 1974 à Bucarest. le manifeste de l’Indépendance.

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Les hommes de l’Indépendance

• Abderrahmane Youssoufi, vers Mohammed VI. Les autres transi- ce qui lui vaudra d’être emprisonné et ment de décembre 1958 à mai 1960. Abdel- celui qui devint Premier tions sont l’arrivée au pouvoir des socia- assigné à résidence à plusieurs reprises. lah Ibrahim avait fait des études littéraires listes, dont certains avaient pris les armes En 1959, il participe à la création de à l’université traditionnelle Ben Youssef ministre contre le régime, la fin des années «de l’Union nationale des forces populaires, de Marrakech. Ses actions politiques l’ont Né le 8 mars 1924 à Tanger, Abder- plomb», la transformation de l’idéologie qui entre en opposition au palais et à mené à plusieurs reprises en prison. Il est rahmane Youssoufi adhère au Parti de socialiste… l’Istiqlal. Accusé de complot et condam- l’un des signataires du manifeste de l’In- l’Istiqlal en 1943. Après la répression né à mort par contumace, en 1963, il en- dépendance le 11 janvier 1944. Il a été tame une carrière politique internatio- membre du comité directeur de l’Istiqlal

Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre, reçoit, dès le début de son mandat, le plus gros chèque jamais signé en faveur du Trésor marocain. Clin d’œil de l’Histoire, le chef des socialistes encaisse l’argent des privatisations… (Ph. Cherkaoui) qui a suivi la publication du manifeste • Mehdi Ben Barka, des polé- de l’Indépendance en 1944, il est expulsé du lycée Moulay Yousssef de Rabat. Il miques encore virulentes La version française du Plan des réformes marocaines, préparé par le Comité d’Action marocaine, le s’implique alors dans le syndicalisme, Né en 1920 à Rabat, Mehdi Ben premier mouvement nationaliste. La version arabe fut imprimée au Caire, car «l’impression en arabe n’était pas libre au Maroc» écrit le CAM. Les rédacteurs sont Omar Abdeljalil, Abdelaziz Bendriss, puis part en France poursuivre des études Barka , licencié de la faculté des sciences d’Alger, se met en contact avec les parti- Ahmed Cherkaoui, Mohamed Douiri, Mohamed Allal El Fassi, Mohamed Ghazi, Boubker Kadiri, de droit, et s’impliquer dans les milieux Mohamed Lyazidi, Mohamed Mekki Naciri et Mohamed Hassan Ouazzani. de l’émigration marocaine, puis il de- sans de Messali Haj, à l’occasion de ses vient avocat à Tanger. études. Après le débarquement américain nale, qui s’arrête brutalement avec son dès sa fondation. Il est nommé en 1955 En 1959, il participe à la création à Casablanca en 1942, il rentre au Ma- enlèvement, le 29 octobre 1965, à Paris. secrétaire d’Etat à l’Information dans le de l’Union nationale des forces popu- roc pour devenir professeur de mathéma- premier gouvernement de négociations de laires avec Ben Barka, dont il assurera tiques au lycée Gouraud. Il est le profes- l’Indépendance. En octobre 1956, il devient la défense. Il vit en exil pendant 15 ans. seur des enfants de Mohammed V, dont • Moulay Abdellah Ibrahim, ministre du Travail et des Affaires sociales. En 1980, il rentre au Maroc et succède le prince Moulay Hassan, une éminente fonction qui sera très longtemps cachée Premier ministre de crise De décembre 1958 à 1960, il est Premier à Abderrahim Bouabid comme premier Né en 1918 à Marrakech, il était par ses partisans. En effet, l’évolution po- ministre, une fonction qu’il cumule avec secrétaire de l’USFP. membre du parti national puis du comité litique de leur courant les met en opposi- celle de ministre des Affaires étrangères, En février 1998, il est nommé Pre- directeur du Parti de l’Istiqlal, chargé tion avec le Souverain. alors que le monde politique vit une crise, mier ministre, par Hassan II, du gouver- des questions syndicales, notamment la En 1943, Mehdi Ben Barka participe débouchant sur la formation du mouvement nement dit de «l’alternance». En fait, création de l’UMT en 1955. Il a aussi à la création du parti de l’Indépendance, socialiste.o Youssoufi assure plusieurs transitions, été secrétaire d’Etat, puis ministre du et entre dans le mouvement nationaliste J. B. à commencer par celle de Feu Hassan II Travail en 1956 et chef du gouverne-

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La Marche verte: Une inoubliable

Evènement unique au monde dans sa philosophie, la Marche verte est désormais un fait ancré dans la mémoire collective de Carte de Allal El Fassi tous les Marocains. Cette grande épopée fait figure aujourd’hui de référence en matière de lutte pacifique, de logistique, de ges- tion des images et, évidemment, de stratégie politique.

AU début des années 1970, la dé- neté nationale sur les couverte des gisements de phosphate de parties encore sous Bou Craa avait fait entrevoir aux Espa- domination coloniale. gnols l’intérêt d’un micro-État, d’à peine D’abord la rétroces- quelques dizaines de milliers d’habi- sion de Tarfaya et Sidi tants, aux destinées économiques faciles Ifni, respectivement à contrôler. Mais, soulignant l’existence en 1958 et 1969, et des liens de la Beiâ entre le Maroc et les ensuite la récupéra- populations du Sahara, l’avis rendu par tion des provinces la Cour internationale de justice, le 16 sahariennes grâce à octobre 1975, a ouvert juridiquement au la Marche verte, en Maroc la voie pour récupérer ses terri- 1975. toires du Sud. Faut-il rappeler que dès En 1974-1975, 1956, le Royaume n’a cessé d’œuvrer le Maroc exerça de pour le parachèvement de sa souverai- fortes pressions sur

La carte dite «carte de Allal El Fassi», qui regroupe les territoires sur lesquels évoluaient les popu- lations ayant un lien d’allégeance avec le Trône chérifien. Elle est proche de la carte de l’Empire du temps des Saâdiens. La carte englobe l’actuelle Mauritanie, la plus grande partie du Mali, un gros morceau du sud-ouest algérien… C’est sur la base de l’allégeance qu’a été défendu devant la Cour internationale de La Haye le droit du Rio de Oro, occupé par l’Espagne, à rejoindre le Royaume du Maroc. Cette carte a fait l’objet de multiples et virulentes polémiques

l’Espagne afin qu’elle mette fin à la colo- nisation du Sahara et qu’elle lui rétrocède En 1904, l’officier Martin, interprète de l’armée coloniale française en Algérie, se livre à une étude très minutieuse des tribus son territoire spolié. Les Espagnols quit- sahariennes (sud de l’actuelle Algérie, nord du Mali, de la Mauritanie...) et des relations qu’elles entretiennent avec leur environ- teront effectivement la région en 1976 et nement. Il découvre leurs liens quadri-séculaires avec les sultans du Maroc. Ce n’était pas ce que souhaitaient l’armée et le gou- céderont ses deux tiers nord au Maroc et vernement français. L’officier Martin, refusant de changer ses conclusions, a été renvoyé le tiers sud à la Mauritanie. Celle-ci s’en retira en 1979 permettant ainsi au Maroc

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épopée et cas d’école de recouvrer la totalité de son territoire cette déferlante humaine. 16 octobre à 18 h 30 saharien. La Marche verte évoque au- Le 6 novembre 1975 à l’aube, une véri- lors du discours du jourd’hui le souvenir d’une journée mé- table mer de 350.000 Marocains s’ébranle Roi qui allait révé- morable. Un 6 novembre 1975, 350.000 dans le désert pour une marche qui durera ler au monde entier Marocains défient les troupes espagnoles plusieurs jours. «Ce nombre correspond son plan pour la li- et marchent sur le Sahara. Ils avaient été au nombre de naissances annuelles au bération du Sahara. plus de deux millions à s’être portés vo- Maroc», avait expliqué Hassan II. «J’ai Quelques heures lontaires. Mais logistiquement, il était pensé qu’il m’était permis d’engager la plus tôt, la Cour de très difficile de déplacer tout ce monde moisson solennelle que Dieu nous donne justice de La Haye en même temps. Camions, autocars, trains pour ramener à la Patrie une terre que nous s’était prononcée sur furent réquisitionnés pour transporter les n’avons jamais oubliée», avait-il dit. les arguments pré- marcheurs jusqu’aux limites du territoire sentés par Rabat. Le saharien imposées par l’Espagne. Ballet logistique tribunal international Des centaines de kilomètres de fils confirme l’existence barbelés. Armés seulement de corans, Auparavant, le 26 septembre, le Roi de liens unissant les les marcheurs, véritable marée humaine, avait informé les gouverneurs de son pro- tribus sahraouies au entrèrent dans le Sahara. Plusieurs mar- jet lors d’une réunion à huis clos. Près royaume avant la cheurs de nations amies étaient de la par- de 700 fonctionnaires avaient été en- conquête espagnole tie. Un seul mot d’ordre: ne pas répondre suite choisis pour suivre une formation de 1884. Des cen- à la provocation des soldats espagnols qui spéciale accélérée. Ils n’apprendront la taines de véhicules n’en croyaient pas leurs yeux à la vue de raison de cet entraînement secret que le roulent dès lors pour

Hassan II lance la Marche verte, une photographie très connue et qui est devenue une des illustrations favorites des études stratégiques sur l’opération

acheminer vers les provinces du Sud les tonnes de matériel et de vivres né- cessaires à l’opération. Trains, avions et navires participent au ballet logistique. Le 23 octobre, le premier convoi de marcheurs prend position à Tarfaya. Le 6 novembre au petit matin, la Marche verte est lancée. Les éléments de cette armée pacifique s’élancent dans le désert. Une démonstration qui durera jusqu’au milieu du mois. Des portraits du Souverain sont brandis par les mar- cheurs qui croisent en chemin les pre- mières garnisons espagnoles qui éva- cuaient la place. Le 14 novembre 1975, Madrid plie et signe les premiers accords avec le Maroc et la Mauritanie: l’Espagne aban- donne «ses possessions» sahariennes. o Ici une colonne de camions avec tout le matériel. La logistique de l’opération a fait figure de cas à étudier (Ph. AFP) J. E. HERRADI

Juillet-Ao t 2009 66 Droit des affaires: Le socle des années 90 Le plus gros du travail législatif pliée sur elle-même, loin des mouvements de normalisation et de mise à niveau. A est fait à marche forcée, mais le plusieurs reprises, experts nationaux et monde économique évolue très étrangers se sont penchés sur cette insti- tution malade, rongée par la corruption, le vite et des réajustements doi- clientélisme, les passe-droits, la lenteur… vent suivre, reste en retard la Au cœur de l’urgence, la formation des hommes de loi à qui il est demandé plus justice elle-même et tout l’ap- de compétences, de professionnalisme pareil judiciaire et de neutralité. Sont aussi réclamés des garde-fous et des mécanismes de contrôle pour éviter les dérapages. A son arrivée, le UNE majorité d’hommes d’affaires droit de l’entreprise a confié aux juges de s’en souvient encore aujourd’hui: le nou- nouveaux rôles. Il leur a été en effet de- veau droit des affaires est arrivé comme L Etat de droit n est pas le tas de droits . Les ann es 90 ont t une succession de r formes l gislatives mandé d’appliquer le droit économique, une tornade. La philosophie de l’époque pour le monde conomique. Mais l appareil judiciaire ne suit toujours pas (Ph. Cherkaoui) de jouer les arbitres du jeu concurrentiel, (toujours de mise aujourd’hui) était produire des textes pour résoudre les pro- prix et concurrence, code des douanes, de la loyauté des comportements et des «marche ou crève» et de toutes les façons, blèmes des entreprises. Et cela sans en maî- Groupements d’intérêt économique, pro- transactions ou encore de la transparence ils n’avaient pas le choix. Le Maroc non triser l’application sur le terrain. Bref, ne priété industrielle... tout a été reconstruit, de des opérations financières. Sur le terrain la plus. Face à des règles imposées par la glo- pas produire de textes juste pour «épater la même que la doctrine devant accompagner question reste profondément posée. Dou- balisation, le pays a pris conscience qu’il galerie» internationale… les nouveaux textes. Adopter de nouveaux loureux chemin vers la modernisation, car ne pouvait plus rester en marge et fonc- Dans tous les cas, l’histoire retiendra textes était vital, mais il fallait un système la machine semble encore bien grippée et tionner avec des textes archaïques, remon- 1996 comme point de départ de la «révo- judiciaire en mesure de leur donner toute toujours au banc des accusés car toujours tant pour la plupart au Protectorat. lution juridique», car c’est la date de nais- leur efficacité. Aussi le Maroc s’est-il atta- un des facteurs majeurs d’inquiétude des Malgré son potentiel et ses bonnes oc- sance d’une collection de lois: Code de qué à sa justice (voir encadré). Longtemps investisseurs. Le même discours entendu casions d’affaires, le Maroc voyait partir commerce, loi sur les sociétés anonymes décriée et écrasée par de graves crises depuis maintenant une décennie…o les uns après les autres les investisseurs et les autres formes de société, liberté des d’identité, cette institution est restée re- Meriem OUDGHIRI étrangers, apprenant à ses dépens que sa compétitivité ne se déclinait plus unique- ment en termes économiques, mais aussi juridiques. Le pays a donc été pris d’une Là où ça fait vraiment mal boulimie juridique produisant une cascade IL en avait fait son cheval de bataille magistrats. Omar Azziman a aussi à son de textes. L’objectif était de combler le et il fallait aussi beaucoup de courage pour actif d’avoir relancé le Conseil supérieur de vide juridico-économique et doter le pays le faire. Ministre de la Justice durant le la magistrature (CSM). Sous son mandat, d’instruments fiables et surtout pousser gouvernement d’Alternance, Omar Azzi- les tribunaux de commerce ont vu le jour, considérés comme une première en droit à la transparence dans les affaires. Bien man s’est attaqué de front à l’autre révolu- marocain. Au final, Azziman a amorcé tout des pratiques, innocentes ou non, et qui tion juridique, celle de réformer la justice. «J’ai trouvé une justice malade, mais in- le processus de mise à niveau de la justice. faisaient du Maroc une sorte de «terre sau- Aujourd’hui et 10 ans plus tard, l’un vage» aux yeux de l’investisseur étranger, vestie d’une responsabilité historique. Le défi est de la transformer en vecteur de la des plus gros paris est toujours et encore devaient disparaître… en principe. de recrédibiliser la justice aux yeux des Reste que si cette cure de jouvence a souveraineté de la loi», avait-il déclaré (cf. L’Economiste du 6 avril 1999). citoyens et des investisseurs. Et de nom- eu des impacts positifs à l’extérieur, amé- breux rapports internationaux continuent à liorant sensiblement l’image du Maroc, Cet homme était connu pour sa pru- dence et sa pondération. C’est de cette faire mal, avec cette impression que rien ne en interne la machine semble s’essouffler. manière qu’il a voulu mener tout ce chan- bouge, rien ne change. D’ailleurs, à l’occa- En effet, aujourd’hui, le plus gros du tra- tier. Un travail colossal dans un monde sion de la présentation par la Commission vail législatif est fait, mais même pour de judiciaire conservateur et qui résiste au Omar Azziman, ministre de la Justice du gouver- européenne (CE) du rapport de suivi sur les «nouvelles» lois, des réajustements sont changement. La réforme a été enclenchée nement d Alternance. Il est peut- tre le dernier progrès de mise en œuvre de la Politique nécessaires et tardent. Car l’urgence est de en 1997, alors que les esprits n’étaient pas titulaire de ce minist re qui a cess d tre de européenne de voisinage (PEV) en 2008, suivre l’évolution rapide d’un monde éco- encore préparés, que les moyens humains souverainet apr s lui (Ph. Cherkaoui) en avril dernier, le sujet est revenu en force. nomique de plus en plus mondialisé et qui et financiers faisaient largement défaut. un rôle central. Sans lui, la réforme a peu Sans oublier le scandaleux rapport de l’Ins- utilise des techniques de plus en plus so- Azziman n’a pas proposé de recette mi- de chances d’aboutir. A cette époque, une pection générale chargée de contrôler les phistiquées. Un premier ajustement vient racle. Il était conscient que la réforme al- campagne d’assainissement menée au sein instances judiciaires. D’abord ne serait-ce d’être effectué pour la société anonyme lait être lente mais sûre. Les trois grands du ministère a eu le mérite de «secouer le que parce qu’il rend les conclusions d’une (cf. www.leconomiste.com). Mais atten- piliers de la modernisation choisis ont été cocotier». Durant le passage de Azziman inspection qui a ciblé 40 juridictions en tion, s’exclament des juristes, «l’Etat de l’amélioration de la gestion, l’informati- au sein de ce département, plusieurs sanc- 2007 et 2008 (cf. L’Economiste du 21 mai droit n’est pas le tas de droits». Une for- sation et la formation des hommes. Dans tions ont été prononcées contre des juges. 2009).o mule assez féroce contre la propension à ce schéma, le magistrat doit jouer en effet Ce qui a créé un climat de tension avec les M. O.

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L’eau, tout ce que les gens ignorent ou veulent ignorer Le Maroc, c’est aussi une Feu le Roi Hassan II. Avec à la clé la 13 systèmes de transfert d’eau d’une lon- poursuivie par SM Mohammed VI. Entre mise en chantier de 6 grands ouvrages et gueur de 785 km. La capacité totale de 1999 et 2002, le Souverain a inauguré histoire d’eau, et le Maroc la définition d’un vaste plan d’irrigation l’ensemble des barrages dépasse les 15,7 quatre barrages et lancé les travaux d’un moderne c’est plus encore que ciblant un million d’hectares à l’horizon milliards de m³. Celle-ci assure la régula- ouvrage. Mais en dépit de l’ampleur des 2000. Au cours de cette même année, risation interannuelle de près de 68% des efforts fournis, la disponibilité des res- l’ancien. Sans le travail des la direction générale de l’hydraulique a eaux de surface mobilisables, soit près sources en eau reste soumise à l’effet de hommes, pas de Maroc. De l’irrégularité climatique interannuelle. Les barrages font l’objet de polé- la petite kettara à l’immense miques. Dans les années 70-80, l’oppo- Les grands barrages sition les accusait d’enrichir les paysans barrage M’Jaâra pour lequel OUED EL MAKHAZINE Région de Ksar Kebir déjà riches. Puis des écologistes prirent du Maroc Mis en serviceOuazzane en 1979 on a démonté des montagnes, d’une capacité de 773 Mm3 le relais, mais avec assez peu d’impact SIDI MED BEN ABDALLAH IDRISS 1ER sur l’opinion publique. Leurs critiques rien que du travail. Mais alors, Région de Rabat Région de Fès Mis en service en 1974 Mis en service en 1973 eurent néanmoins le mérite de systéma- d’une capacité de 1.186 Mm3 pourquoi les Marocains sont-ils d’une capacité de 486 Mm3 tiser les études d’impact préalables. Au- BINE EL OUIDANE AL MASSIRA Région d’Azilal jourd’hui, une nouvelle critique est en devenus si négligents de leur Région de Settat Mis en service en 1953 Mis en service en 1979 d’une capacité de 1.384 Mm3 train de naître: les trop grands barrages eau? d’une capacité de 2.760 Mm3 fragiliseraient l’écorce terrestre. MANSOUR EDDAHBI HASSAN ADDAKHIL Mais le bénéfice des barrages est Région de Région d’Errachidia Mis en service en 1972 Mis en service en 1971 trop rapide, trop visible pour que les d’une capacité de 529 Mm3 d’une capacité de 347 Mm3 LE Maroc fut l’un des rares pays critiques mobilisent sérieusement l’opi- à s’intéresser à la mobilisation des eaux YOUSSEF BEN TACHFINE Région de Tiznit nion publique. Ce sont les barrages qui de surface avec des barrages dès le début Mis en service en 1972 d’une capacité de 303 Mm3 ont réduit les inondations récurrentes et du siècle dernier: alimentation des villes, destructrices, ce sont encore eux qui ali- irrigation, production d’électricité et do- mentent les villes et ce sont eux aussi qui mestication des crues. Les efforts déployés en permettent à la population de traverser Les ouvrages construits entre 1925 et matière d’études et de réa- les périodes de sècheresse… Si bien que 1956 ont-ils été implantés dans des zones lisations d’infrastructures le Maroc a tendance à s’endormir sur ses à fortes potentialités. C’est ainsi que le hydrauliques, ont permis de certitudes. premier barrage à vocation énergétique réaliser 110 grands barrages. Or, les menaces reviennent. Les eaux La capacité de stockage de fut construit en 1925 à Sidi Saïd Maâchou souterraines sont mises à rude épreuve. ces barrages est passée de sur l’Oum Er Rbia pour être mis en eau La nappe phréatique a baissé de manière en 1929 et que le premier grand barrage 2,3 milliards de m3 en 1967 à près de 16 milliards de m3 significative, avec des pompages sau- à usage agricole, Kasba Tadla en l’oc- actuellement vages, pratiquement partout. currence, a été achevé en 1931. Jusqu’à Le secrétariat d’Etat chargé de l’Eau 1956, le bilan des équipements de grande s’inquiète: «Entre 1990 et l’an 2000, la hydraulique en général a été assez faible Source: Secrétariat d’Etat chargé de l’eau et de l’environnement ration d’eau par personne est tombée de eu égard aux potentialités. Car, en 30 an- 1.200 à 950 m3 (…). Le Maroc a atteint nées, il n’a été construit que 13 barrages le seuil de tension (…). Il descendra au au total, ce qui représente moins de 10% été créée pour piloter cet ambitieux pro- de 11 milliards de m³. Il resterait donc seuil de pénurie, 500 m3/hab, vers 2030». du volume des eaux régularisables estimé gramme. C’est ainsi qu’en 16 ans pas quelque 5 milliards de m3 à mobiliser. A Mais il prêche dans le vide: si les à 16 milliards de m³. Le plus grand bar- moins de 10 ouvrages ont été réalisés to- noter que le barrage Al Wahda, mis en eau grandes stations touristiques se mettent rage construit durant cette période, Bine talisant une capacité de retenue de plus de le 20 mars 1997 est le plus important ou- au recyclage de peur que leurs clients leur El Ouidane sur oued El Abid, fut mis en 6,8 milliards de m3. Deux géants, Idriss vrage du Maroc et le quatrième au monde, reprochent la dégradation de la planète, eau en 1953. 1er, mis en eau en 1973, et Al Massira derrière les Trois Gorges en Chine, Itaipu ailleurs, les municipalités ne voient pas Le Maroc indépendant commence concentrent près des 2/3 de cette capacité. en Amérique latine et Assouan en Egypte. où est la priorité. doucement. De 1956 à 1966, trois bar- Pour fixer cette politique, Feu Hassan II Avec une retenue de 3,8 milliards de m3, Peut-être faudra-t-il re-centraliser la rages sont construits: Mohammed V sur a décidé, à partir de 1986, la réalisation il assure l’irrigation de 100.000 ha et la politique de l’eau, une substance trop l’oued Moulouya, Nakhla au Nord et la d’un barrage par an jusqu’à l’an 2000. production électrique de 400 millions de rare, trop chère pour une gestion à court digue de Safi. Ainsi, en 2003, le Maroc dispose de kilowatt heures. Sans oublier la protection terme.o C’est à partir de 1967 que l’histoire 112 grands barrages dont 106 en exploi- de la plaine du Gharb contre les inonda- A.G. des barrages commence vraiment, avec tation, 6 en cours de construction, et de tions. Cette politique des barrages a été

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Les nouveaux habits de la diplomatie ZLE, statut avancé, Millennium Challenge… la diplomatie de S.M. Mohammed VI est avant tout économique. Un accent spécial est mis sur l’Afrique, continent abandon- né, où le savoir-faire et le savoir être marocains donnent des résultats

EN 10 ans de règne, la diplomatie est sortie de son obsession unique de défense de la question du Sahara pour embrasser le champ de l’économie et des finances. A chaque grand dépla- cement à l’étranger, à Washington, Pékin, Tokyo, Dakar…la délégation royale ne se limite plus à la seule cour et aux officiels du gouvernement. Le patronat et le monde des affaires sont du voyage. S.M. le Roi Mohammed VI a effectu plusieurs voyages en Asie, d une part pour y chercher des inspirations face un d veloppement bien plus rapide que Certes, la diplomatie reste le do- ceux du pourtour m diterran en, d autre part pour marquer des liens dont l utilit appara tra au fur et mesure du recentrage du monde vers l Asie maine réservé du chef de l’Etat. (Ph. AFP) Dès son accession au trône, le aux thèses d’Alger. Souverain lui a donné une impul- L’enjeu est d’engranger des sym- sion particulière. Tout au long de pathies et de les capitaliser comme le la décennie, il a fait preuve d’une prouve la décision de certaines capi- ligne de conduite qui privilégie tales de l’Amérique du Sud de geler les intérêts économiques du Ma- leur reconnaissance du Polisario. roc. Au cours de certains sommets A son actif également, la norma- internationaux sans impact décisif lisation des relations avec l’Espagne. sur le devenir du Maroc, le Souve- De la guerre presque déclarée lors du rain se fait remplacer par le Pre- conflit autour de l’îlot Leila/Perejil à mier ministre, donnant ainsi une la normalisation totale avec l’Espagne idée sur sa priorité qu’est le déve- socialiste de José Luis Rodriguez Za- loppement économique du pays. patero, il a fallu une bonne dose de Cela ne l’a pas empêché de faire volonté et une vision stratégique, pour des ouvertures sur de nouveaux ho- traverser les trous d’air précédents. rizons. Ainsi, l’action diplomatique Et c’est aussi sous l’impulsion du s’est distinguée par la conquête de Souverain que le Maroc s’était lancé l’Asie. Plusieurs visites royales ont dans les négociations et la signature été effectuées, notamment au Japon des accords de libre-échange. Pour et en Chine, là où sera dans 20, 30 l’accord avec les USA, c’est le Sou- ou 50 ans le centre du monde. verain qui a nommé le président et les Il a également réalisé une per- membres de la commission qui était Alli s traditionnels, les pays occidentaux sont typiquement des partenaires politiques et conomiques. Le cée en Amérique latine, en parti- chargée de mener les négociations Souverain leur a n anmoins donn un r le suppl mentaire: servir d talon pour pousser la modernisation culier au Brésil, et en direction de avec Washington. Dommage que dans marocaine travers des accords de libre- change et d l vations des normes (Ph. AFP) pays traditionnellement réceptifs (Suite en page 72)

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(Suite de la page 70) Les nouveaux habits de la diplomatie avancés africains et de leur accorder l’accès au marché marocain. «Plus que l’association Dans ce mouvement, moins que l’adhésion» le Maroc a augmenté ses investissements en direc- tion de plusieurs pays afri- MAIS les avancées les plus cains. C’est ainsi que des spectaculaires de la diplomatie au entreprises marocaines ont terme de ces dix ans de règne sont pu s’installer dans de nom- davantage visibles en Europe. breux pays et plusieurs Le Maroc n’est plus logé à la simple enseigne de l’Association. secteurs comme les mines, Le dossier phare de la relation Ma- les BTP, les télécoms, le roc Union européenne s’appelle transport ou la banque. «Statut Avancé». Là encore, c’est le Avec autant de présence, Souverain qui a demandé en 2000 le Maroc est de plus en un statut «un peu plus que l’asso- plus incontournable en ciation et moins que l’adhésion». Afrique. Il peut y jouer les Le Maroc l’a obtenu en 2008 messieurs bons offices et avec une feuille de route pour ar- un rôle décisif dans la coo- river à une convergence des réfé- pération triangulaire. rentiels et à terme un accès libre du Là aussi la présence marché européen fort de centaines accrue du Maroc sur un de millions de consommateurs. continent terre de compé- Cela suppose un renforcement de la coopération politique entre les deux L Afrique est un endroit o les chefs d Etat du monde ne vont plus gu re: trop de probl mes, trop de mis re et d insta- tition et de course au lea- bilit , pas grand-chose gagner... sauf le Souverain marocain qui ne laisse pas passer une ann e sans un voyage sur le dership entre Rabat et Al- partenaires. Pour l’UE, le statut continent noir. Les entreprises priv es et publiques sont pouss es vers l Afrique o elles trouvent employer leur savoir- ger a permis de maintenir avancé a pour ambition «d’accom- faire et leur savoir tre (Ph. AFP) les acquis et d’engranger pagner la dynamique endogène que connaît le Maroc et d’accélérer le la ligne des ALE, les 3 gouvernements le Souverain a renforcé la présence du de nouveaux bénéfices sur mouvement du partenariat». Dans (Youssoufi, Jettou et El Fassi) n’aient Maroc en Afrique où Rabat a fait la le dossier du Sahara. cette perspective, Rabat pourra bé- pas davantage développé les plans promotion du partenariat gagnant-ga- Sur le chapitre des relations avec néficier de fonds jugés importants Emergence. Dans le même sillage, gnant et solidaire en resserrant ses liens l’Algérie, rien n’a bougé en dépit des pour accompagner les efforts de le Maroc a pu bénéficier des fonds économiques avec les pays du conti- divers signes d’ouverture du Maroc modernisation du pays. Il est incon- du Millennium Challenge de près de testable que l’UE lui a accordé ce 7 milliards de DH. D’autres accords statut pour les avancées accomplies ont été signés avec notamment la Tur- Mohammed VI et la Palestine dans plusieurs dossiers comme la quie et les quatre pays arabes (Accord réforme du statut de la femme, d’). SI Rabat a perdu le statut de capitale incontournable dans les ballets l’amélioration de l’environnement Toujours sur le plan international, diplomatiques pour la recherche d’une solution au Moyen-Orient, il a gagné des affaires ou encore le règlement Rabat a surpris les pays membres du en crédibilité dans la présence effective et l’aide matérielle d’un peuple qui du passif des droits de l’Homme Conseil de sécurité en prenant des ini- souffre et dont le Souverain partage les malheurs. Dans ce dossier sensible, via la création de l’Instance équité tiatives courageuses. C’est le cas de la il a été très actif. et réconciliation. Ce statut s’ajoute à l’accord proposition d’autonomie pour le Sahara A chaque drame que vit le peuple palestinien, le Souverain a fait preuve d’association entré en vigueur en qui a été appréciée par la communauté de courage et de solidarité. A titre d’exemple, lors des bombardements de internationale comme une base sérieuse 2000 et à la Politique européenne Gaza, il a dépêché sur place des avions cargos pour transporter notamment de voisinage qui introduit une diffé- et crédible. des vivres, des médicaments et des équipes médicales. Cette solution, élaborée avec l’im- renciation dans sa relation avec les Rabat et Casablanca ont accueilli plusieurs dizaines de blessés pour les pays du Sud de la Méditerranée.o plication des partis politiques, de la po- soigner. Il est à rappeler que le Souverain est président du comité Al Qods et pulation sahraouie et les capitales qui multiplie les gestes en faveur de Bait Mal Al Qods.o comptent dans le monde, a permis de 18 voyages à Oujda pour faire de la ca- débloquer le dossier et d’engager les pitale de l’Oriental une porte tournante rounds de négociations entre le Maroc nent noir. D’ailleurs, c’est au cours pour la normalisation et la réouverture du Maghreb, et de l’Europe.o et le Polisario à Manhassat, près de de cette décennie que Rabat a décidé des frontières terrestres. Mais le Sou- New York. En relation avec ce dossier, d’annuler la dette des pays les moins verain n’insulte pas l’avenir. Il a fait Mohamed CHAOUI

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Les grandes réussites d’une décennie

Femmes, droits de l’Homme, s’en mêlent les références (justes ou fausses) de la foi lutte antiterrorisme, redresse- comme toute la gamme des ment religieux… certains succès émotions humaines. Le domaine social aussi de la politique du Souverain est un domaine lourd à faire sont devenus des références bouger. Le Souverain est l’un des rares chefs d’Etat arabes internationales à avoir exigé publiquement la carte de pauvreté de son pays, pour localiser les LES dix ans de règne ont été points noirs, les communes marqués par des succès reconnus. Au- rurales les plus pauvres et les jourd’hui l’ampleur de ces réussites quartiers périurbains les plus n’est pas encore complètement perçue. démunis. Cette démarche a Il faudra sans doute attendre des années eu pour objectif de traiter le pour mesurer la transformation en pro- mal à sa racine via notam- fondeur de la société qui est en train de ment l’Initiative nationale se produire. Une question de perception pour le développement hu- (on entend plus facilement les couacs main (INDH). Mais, le suc- que la mélodie); une question aussi de cès est encore en demi-teinte, temps, car les modifications de compor- l’évaluation difficile à faire tements et de mode de penser sont lon- de manière scientifique. gues à s’installer. C’est le cas de la réforme du statut de la famille qui ne verra ses effets que La fin du très progressivement: on ne change pas «Maroc inutile» du jour au lendemain les relations entre mari et femme, entre parents et enfants, Auparavant, le Souve- entre garçons et filles… quand il y a des rain avait distribué les sacs décennies d’usages à faire bouger et que de provisions et la soupe

Le Souverain, en multipliant les visites dans les zones reculées et pauvres dès le début de son règne, avait donné le ton. Réduire la pauvreté sera un axe majeur (Ph. Bziouat)

aux nécessiteux. D’où son surnom de dans les «coins» les plus reculés pour «Roi des pauvres» par la presse people, lancer un projet, inaugurer un ouvrage, Avec beaucoup de bonne volonté mais autant de naïveté, le gouvernement Youssoufi au début de son règne. Parallèlement, distribuer des clés d’appartement… a voulu regrouper toutes ses actions en faveur de la promotion de la femme. Résultat, apparaît la politique structurée avec Avec le Souverain en mouvement, c’est l’opinion se divise. Deux manifestations mesurent les forces en présence: deux fois de gros moyens, par exemple, le plan la fin du Maroc inutile. Tout doit s’arri- plus d’anti-réformes que de pro-changement! Le dossier est donc transmis à SM touristique, qui est un moyen essentiel mer au développement. Mohammed VI, dans la bonne tradition de la culture politique marocaine. Au Roi de de lutter contre le chômage et de servir sortir le pays de l’imbroglio… ce qu’il fait avec la réforme de la Moudawana, laquelle l’aménagement du territoire. Pression managériale s’établit doucement dans les comportements, entre les exceptions réclamées par les Dès le début de son règne, le ton est familles et la surveillance exercée par les ONG (Ph. Cherkaoui) donné. Le Souverain a commencé par D’abord le nord et le Rif, «zones sillonner le Maroc profond. Il est allé mal-aimées», ont recadré leurs senti- (Suite en page 76)

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Les grandes réussites d’une décennie (Suite de la page 74) ments à l’occasion des tournées royales nifra,…SM le Roi est partout au point sés. Il est à préciser que les tournées du calendrier. Et gare aux fauteurs de re- chaque année. L’Oriental, la région que des réunions stratégiques ou des royales ont l’avantage de s’accompa- tard! d’Errachidia, les montagnes de Khé- conseils de ministres sont décentrali- gner de projets et de mise à niveau Indirectement, c’est une pression qui Femmes AVEC ce règne, Les droits de l’homme en tête les femmes ont pris du galon. Le Souve- A peine arrivé aux commandes, le Souverain a pris des décisions symboles: rain avait ainsi placé retour d’Abraham Serfaty après 8 ans d’exil forcé en France et levée de l’assigna- des dames à la tête de tion à résidence du Cheikh Abdeslam Yassine, leader d’Al Adl Wal Ihssane qui grandes entreprises aura duré 10 ans. La suite s’inscrira dans la volonté royale de clore définitivement publiques et des mi- le dossier des manquements aux droits de l’Homme. nistères. Le summum Avec la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), c’est une nou- de cette attention velle période qui s’ouvre dans le règlement de ces affaires noires des années royale à l’égard des de plomb. La chance a voulu que le premier président soit une personnalité femmes sera la no- charismatique: il a évité que l’Instance dérive, notamment sous la pression des mination de Zoulikha «résistants de la 25e heure». Nasri, au poste de conseiller, officiel- lement, la première femme à ce poste. Mais c’est l’adop- tion de la nouvelle Moudawana qui sera la révolution tran- quille qui n’a pas en- core révélé toutes ses opportunités. o

des infrastructures. On l’a bien vu, s’exerce sur ceux chargés de la conduite le déplacement du Souverain génère des projets. Une nouveauté de taille à des investissements dans les régions. laquelle les Marocains, y compris l’Ad- S’il donne le coup d’envoi à un pro- ministration publique, n’étaient pas sen- jet dans une ville, il reviendra sur les sibles. C’est pour cela qu’on remet les

La question amazigh SI en Algérie, on écrase la contestation kabyle, au Maroc, l’approche est différente. Diffusées sur les chaînes de TV, les auditions publiques des victimes de la Le Souverain avait décidé la création d’un Institut royal de la culture ama- répression ont été des moments forts dans l’histoire du Maroc moderne. Cette zigh. Depuis, l’amazigh prend de l’ampleur. Une chaîne de télévision est en expérience, considérée internationalement comme une première dans le monde préparation. L’enseignement de cette langue a commencé mais peine à être arabo-musulman, avait suscité l’adhésion et l’enthousiasme de différentes com- généralisé. Certains partisans revendiquent l’introduction de l’amazigh dans posantes de la classe politique. A cela s’est ajouté le processus d’indemnisation la Constitution lors d’une prochaine révision. o des victimes… Plus subtil et plus structurant, la nouvelle politique des droits de l’Homme installe dans les esprits des références incontournables. Petit à petit, les livres lieux l’année suivante, pour s’enqué- clés d’appartements, on ouvre des tron- scolaires sont révisés, et surtout, le traitement des affaires de terrorisme et la rir de l’état d’avancement. Dans la çons d’autoroute, des centres de santé sanction des auteurs ou complices restera dans la limite acceptable des droits gestion des projets, le mode de gou- dans les campagnes… Alors que par le humains. Une performance dans un pays où une partie des gens voulait, il y a à vernance royale est basé sur le suivi passé, il n’était pas rare d’inaugurer des peine vingt ans, lapider en place publique un meurtrier d’enfants.o et l’évaluation, avec un respect strict projets qui ne voyaient jamais le jour. (Suite en page 78)

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Les grandes réussites d’une décennie (Suite de la page 76) Aujourd’hui, le Maroc est un chan- tier ouvert: tourisme, habitat, infras- tructures, complexe portuaire Tanger- Med, Nador West Med, aménagement de la vallée de Bouregreg…Sur tous ces projets structurants, c’est le Sou- verain qui donne l’impulsion.

sier et entamer des négociations entre Autre idée novatrice, le nouveau Le Maroc se croyait à l’abri de l’extré- le Maroc et le Polisario. concept d’autorité… dont les ratées ont misme religieux et soudain, cinq bombes explosent à Casablanca, armée par un groupuscule d’extrémistes. Les pho- tos comme les reportages de télévision Serfati et son retour sont les symboles Antiterrorisme: L’exception marocaine vont bouleverser l’opinion publique. Les d’une page tournée, mais aussi d’une Marocains découvrent aussi que ce n’est forme de «plus jamais ça» qui marque LA Maroc, comme d’autres pays, a été frappé par des attentats sanglants pas la pauvreté qui détermine l’extré- le règne de SM Le Roi Mohammed VI qui ont fait plus de 40 victimes, en un seul soir. Les Marocains découvraient misme. Il s’en suit un travail de fond sur (Ph. Bziouat) un phénomène dont ils se croyaient exemptés: les attaques ont été menées par la foi musulmane, sous la direction directe de jeunes kamikazes des bidonvilles de Casablanca. Par la suite, les réseaux du Commandeur des croyants L’option franche de l’ouverture éco- démantelés ont démontré que le terrorisme ne rimait pas uniquement avec (Ph . Cherkaoui) nomique et la signature de l’accord de pauvreté. libre-échange avec les Etats-Unis sont Des terroristes issus des couches moyennes, voire de la bourgeoisie, étaient plus été commentées que les réussites! autant de décisions ayant une dimen- impliqués. Mais une chose est sûre, dans sa lutte contre le terrorisme et le dé- Et pourtant, ça marche! sion politique. mantèlement de plusieurs cellules extrémistes, Rabat a fait preuve de respect Sa mise en œuvre avait commencé Cet accord a été conclu dans un des droits de l’Homme. A l’exception de quelques dérapages post-attentats par la nomination de nouveaux walis contexte régional des plus hostiles aux du 16 mai 2003, mentionnés par le Souverain, tout le monde s’accorde sur ce et gouverneurs ayant un nouveau pro- Américains. Aujourd’hui, le Maroc a fait. Avec comme prime, la coordination et l’échange d’informations entre les fil. Souvent des managers, rompus à commencé à récolter les premiers fruits services de sécurité avec plusieurs pays européens. la gestion moderne et tournés vers le du marché américain. Petit pays avec une mauvaise réputation dans ce domaine, le Maroc a développement. Désormais, l’action La proposition d’autonomie pour pourtant fait mieux que quelques vieilles démocraties, qui donnent des leçons. de ces agents d’autorité est mesurée à sortir le dossier du Sahara marocain Certains pays ont créé des centres de détention secrets, avec une répression l’aune du volume des investissements de l’impasse est considérée comme un brutale. L’Oncle Sam a construit Guantanamo.o mobilisés et des infrastructures réali- succès par la communauté internatio- sées dans leurs régions.o nale. Elle a permis de débloquer ce dos- Mohamed CHAOUI

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Tourisme: Reprendre confiance en soi

Directement suivie par le central dans la stratégie de développe- les multiples débats qui opposaient les délais et les concepts… Autant d’actions ment? Quand on regarde ce qui s’est pas- «mordus» à ceux qui n’y croyaient pas… dont le Maroc rêvait sans vraiment avoir Souverain, la politique touris- sé sur les dix dernières années, il faut bien ou pas encore! le souffle pour le faire et en plus le faire tique se déploie sur l’ensemble reconnaître que les choses ont été menées Parallèlement, le ministère des Fi- de manière coordonnée… de main de maître, avec une volonté de nances fait ses projections: «Oui, c’est Le résultat est difficile à croire, pour- du pays, touchant donc à la fois réussir inflexible mais enveloppée dans possible, ça peut marcher». Mais, il faut tant il est exact. Les recettes touristiques l’aménagement du territoire, une finesse stratégique. Cela saute aux bien reconnaître qu’il y aura des mon- se traînaient en dessous de 20 milliards yeux lorsqu’on refait le parcours. tagnes à soulever, les pires des montagnes de DH. Dix ans plus tard, elles franchis- l’emploi, le soutien de l’activité, les opportunités industrielles… Les résultats sont déjà tangibles alors que la première des sta- tions du plan Azur vient d’ou- vrir. Mais le plus important de cette stratégie est peut-être ailleurs: l’organisation et la confiance en soi.

«MAIS non! Vous verrez que la politique du tourisme, ce sera comme avant, c’est-à-dire rien du tout». Quand on a commencé à parler de Vision 2010, on aurait aussi bien pu parler de «Hal- lucination 2010» tant cela paraissait impossible. Encore plus impossible aux yeux des Marocains qu’aux yeux des étrangers. On enviait les Tunisiens, les Turcs et les Egyptiens; on admirait les Portugais; on s’extasiait même sur les barres bétonnées de la côte espagnole qui attirait les vacanciers du Maroc. Mais la cause paraissait entendue: ce n’était pas pour nous. On avait essayé, ça n’avait pas marché. Et puis il y avait les analyses plus so- ciologiques: le régime marocain ne veut Le feu d’artifice pour l’inauguration de la station de Saïdia, sur la Méditerranée. SM le Roi Mohammed VI a, dit-on, demandé de pas voir des étrangers se promener, en doubler les réjouissances. Il s’agissait d’une bataille images contre images. Quelques jours auparavant, en effet, un petit film avait maillot de bain, déstructurant la culture été diffusé en France, notre principal client, pour dénigrer cette destination. Les services de sécurité ont pensé que ce film avait été et les habitudes locales. commandité ou du moins fortement inspiré (Ph. Bziouat) Au total, quand SM Mohammed VI monte sur le trône, l’idée dominante chez Avant le lancement officiel, des «sher- puisque c’est celles qui sont dans la tête et sent la barre des 55 milliards. Et pourtant nous, c’était que le tourisme n’était pas pas» ont fait le tour des salons, journaux, dans le comportement des gens. le Maroc n’est qu’au seuil de sa politique une option raisonnable, même si on ne partis, associations professionnelles… Et dans un cas comme celui-ci, le Ma- touristique. Plus important que les re- voyait pas ce qui pourrait employer ces pour que l’opinion publique remonte roc sait très bien ce qu’il doit faire: tout re- cettes, que l’aménagement du territoire et vagues de jeunes qui arrivaient sur le la pente de ses a priori. Le plus intéres- mettre entre les mains du Roi, car lui saura plus important encore que les emplois, la marché du travail. sant, c’est que ces sherpas n’étaient pas faire converger les énergies… stratégie royale a construit quelque chose Comment, alors, la pente a-t-elle été en service commandé, ils faisaient juste Rendre les terrains disponibles, d’irremplaçable. Elle a redonné aux Maro- remontée? Comment en si peu d’années, partager, le plus sincèrement du monde, orienter le budget de l’Etat, trouver les cains confiance en eux-mêmes.o le tourisme est-il devenu un catalyseur leurs convictions les plus intimes. D’où «lièvres» pour l’exemple, respecter les N. S.

2007

Février 2007 Avril 2007 Un remake du plan Emer- Le Maroc présente le plan gence pour le commerce d’autonomie pour les provinces intérieur «Rawaj» Mars-Avril 2007 du Sud aux Nations unies Septembre 2007 Une grève des transports paralyse le pays pendant plusieurs jours. A l’origine, le projet du Code de la route contesté par Renault-Nissan: Investissement géant pour les professionnels. Le gouvernement finira par faire marche arrière un complexe automobile à TangerMed pour 1 milliards d’euros. En février 2009, Nissan suspend sa participation mais Renault continue

Juillet-Ao t 2009 82 Religion: La reconstruction tranquille

Les attentats terroristes du 16 nouvelle réglementation de la construc- tion et la gestion des mosquées. Selon mai, sur fond de montée de l’ex- la loi adoptée par le Parlement, l’autori- trémisme et du radicalisme, ont sation de construire sera délivrée par le poussé le Maroc à revoir de fond gouverneur au lieu du conseil commu- nal. En outre, toute collecte de fonds pour en comble son champ religieux. construire ou entretenir une mosquée est L’action s’est concentrée sur la conditionnée à l’obtention d’une autorisa- tion. Le dépôt des fonds collectés sur un mise à niveau des mosquées à tra- compte bancaire au nom de l’association vers une nouvelle réglementation est obligatoire. Après les mosquées, c’est au tour des de la construction et de la gestion. imams de focaliser les efforts des pou- Le Conseil Supérieur des oulémas voirs publics. Un programme de requa- est devenue la seule instance habi- lification des 45.000 imams que compte le pays devra démarrer en septembre pro- litée à émettre des fatwas. Pour chain. De même qu’une revalorisation sa- un relais de proximité auprès des lariale a été opérée à leur profit. Une opé- ration qui s’inscrit dans le cadre du projet femmes, une nouvelle fonction a de la Charte des Oulémas, annoncé par été créée, les mourchidates le Souverain en 2008 à Tétouan à l’occa- sion de la réunion du CSO. Auparavant, JAMAIS un domaine n’a connu au- La réforme du champ religieux a nécessité une véritable reprise en main des mosquées, avec le ministère aura lancé la formation des tant d’attention d’un seul coup. Depuis à la clé la fermeture de plusieurs d’entre elles considérées comme clandestines (Ph. Bziouat) jeunes prédicateurs et de mourchidates. les attentats tragiques du 16 mai, un toi- ni parti politique n’a le droit de se préva- faire preuve d’imagination. La riposte Ce sont généralement de jeunes femmes lettage de fond en comble s’est imposé loir de la religion. Le Souverain l’a mon- a consisté à lancer une télévision et une diplômées d’universités, qui suivent un pour le champ religieux dans un contexte tré tout au long de la décennie: dans ses radio exclusivement tournées sur le Co- stage de perfectionnement auprès des international marqué par la montée de déplacements à travers le pays, il accom- l’extrémisme et du radicalisme, toutes plit toujours la prière du vendredi dans la obédiences confondues. Brutalement, mosquée locale. le Maroc a pris conscience de l’urgence La construction d’une mosquée figure d’une refonte afin de contrecarrer les souvent parmi les projets économiques et idéologies extrémistes de tous bords. Un sociaux lancés. Il est à souligner que sur travail minutieux a été mené sur plusieurs les 42.000 lieux de culte recensés au Ma- fronts dont notamment la réorganisation roc, une grande partie était dans un état du Conseil supérieur des Oulémas (CSO). déplorable, parfois sans raccordement ni Il s’agit de le moderniser pour l’impliquer à l’eau ni à l’électricité. dans l’action sociale et le développement Pour remédier à ces aberrations, un humain. Cette structure, ajoutée à ses programme de mise à niveau a été lancé antennes régionales et provinciales, est par le ministère des Habous et des Af- une pièce maîtresse dans la politique de faires islamiques. De son côté, le prêche proximité voulue par le Souverain. La du vendredi a été canalisé. Dans la fou- priorité a été donc d’immuniser la so- lée, on a assisté à une véritable reprise en ciété contre l’interprétation erronée des main de ces lieux de culte, avec à la clé la préceptes de l’Islam tolérant. La fatwa fermeture de plusieurs d’entre eux consi- autorisant le mariage des petites filles dès dérés comme clandestins. Dans ces en- La première promotion des mourchidates, jeunes femmes diplômées d’universités, qui suivent un l’âge de 9 ans a été l’abominable preuve droits d’un autre âge, l’appel au Jihad et stage de perfectionnement auprès des Habous. Leur mission est d’encadrer les femmes dans les du danger des dérives. Cette affaire aux dogmes salafistes par des ayatollahs quartiers. Une manière de contrecarrer la montée du radicalisme et des mauvaises interpréta- montre l’ampleur de la pagaille qui règne (pro-wahabites et autres adeptes de l’ira- tions de l’islam lesquelles veulent marginaliser les femmes (Ph. Bziouat) dans ce domaine. Avec la volonté royale nisation de la société), autant d’interpréta- d’y mettre le holà: le Conseil est désor- tions tronquées de l’Islam, le disputait au ran. Cependant le concept ne semble pas Habous. Elles ont une mission de proxi- mais la seule instance habilitée à émettre rite malékite. Il ne fallait pas tolérer que prendre. Très rares sont les personnes qui mité et de formation auprès des femmes des fatwas. des mosquées se transforment en fiefs de suivent ces médias. Par contre, l’émission dans les quartiers. Une réponse qui vise à En tout cas, dans le champ religieux, l’extrémisme virulent. Pour faire face à réligieuse de 2M, avec un plateau jeune et contrecarrer les interprétations tronquées SM le Roi est le Commandeur des l’invasion des foyers marocains par des un décor moderne, a plus de succès. de l’islam tolérant. o croyants. A ce titre, aucune autre autorité télévisions satellitaires arabes, il fallait Le toilettage est aussi passé par une M. C.

Juillet-Ao t 2009 84 Métiers nouveaux, régulations nouvelles… et une vieille idée Cela paraissait impossible dans le coup de grâce au monopole. C’est l’une Mars 1962 la première chaîne publique des premières briques d’une architecture voit le jour. Le jeune prince Hassan II vient contexte marocain, et d’ailleurs le institutionnelle dédiée à la régulation. La à peine d’être intronisé. Durant son règne le concept a couru un grand danger réforme sera marquée par la création en secteur audiovisuel est relativement hermé- avec l’alternance, qui considérait février 1998 du régulateur télécoms. Cette tique aux investisseurs privés. Rabat tolère mutation coïncide avec deux grands évé- quelques exceptions qui ont l’allure d’une que l’on ne peut diviser l’autorité nements politiques: le gouvernement dit concession politique. C’est quasiment «une de l’Etat. L’ANRT reçoit alors un d’Alternance, mené par le socialiste Ab- entorse légale au dahir du 25 novembre derrahmane Youssoufi, est constitué. Plus 1924 qui consacre le monopole de l’Etat coup qui aurait pu la tuer, mais d’un an plus tard le Roi Mohammed VI est dans l’audiovisuel», diront les juristes. A elle survécue. Elle eu même des intronisé. Double transition dans le monde partir des années 80, une radio -Médi 1- politique et télécoms. Le marché verra trois et deux télés symbolisent le choix de cette enfants, à l’abri du parapluie opérateurs faire successivement leur entrée: «ouverture maîtrisée». Pour ces dernières royal… jusqu’à ce qu’on se sou- Maroc Telecom, Méditel et Wana. -2M Soread et Canal Plus- l’aventure libé- vienne que, finalement, l’idée Ce bouleversement sectoriel est chiffré. rale tourne cours. La chaîne d’Aïn Sebaâ Entre 1998 et 2008, le CA des télécoms lancée grâce à des capitaux privés bascule d’une autorité de régulation indé- passe de 8,5 milliards de DH à 30 milliards dans le giron étatique en 1996. Canal Plus pendante n’est peut-être pas si Jouissant de la confiance de feu Hassan II, Mohamed Berrada, dit Mao dans les milieux éloignée des très anciens amine des d’affaires casablancais, construit la réforme des marchands et des artisans… marchés financiers, dont l’organe régulateur est le Conseil déontologique des valeurs mobi- n lières. Mais, aujourd’hui encore le CDVM n’a Marché financier toujours pas l’autonomie des autres organes Le 7 novembre 1929. Première séance régulateurs. Il doit passer par le ministre des de la Bourse de Casablanca. L’histoire a ses Finances. La réforme promise n’est toujours mystères: cette ouverture coïncide avec la pas faite (Ph. Bziouat) crise mondiale qui provoque des ravages socio-économiques de New York à Paris. têtes ont sauté. S’ensuivra certainement une Une date après l’autre, la Bourse maro- ouverture du capital de la Bourse, plus d’in- caine se métamorphose. Après sa création dépendance du CDVM et une institution- Mustapha Terrab et Ahmed Ghazali. L’un est ingénieur, l’autre est juriste. Ses deux hommes res- en 1929, réformes juridiques, réglemen- nalisation du marché à termes. Ce sont les teront dans l’histoire économique du Maroc comme étant les premiers présidents d’une autorité de taires et techniques se succèdent. Fin des gros chantiers des années à venir. Loin des régulation… opérationnel. Terrab a piloté le régulateur télécoms (ANRT) dès sa création en 1998. années 40, la Bourse des valeurs acquiert finances, près des télécoms. Ghazali, quant à lui, préside depuis 2005 la Haute autorité de la communication audiovisuelle la personnalité morale. Dès 1967, une ré- forme lui confère un statut d’établissement de DH. Il y a deux ans, l’ANRT avait es- sera mis à genoux par le piratage et plie public. Vingt-sept ans plus tard, naissance n Marché télécoms timé que le «secteur participe à hauteur de bagage. Les années passent. La loi 77-03 du Conseil déontologique des valeurs mo- C’est un secteur où il y a un avant et 7% au PIB et emploie directement 37.000 relative à la communication audiovisuelle bilières (CDVM). Après la création du ré- un après-1998: le monopole public cède salariés…». Durant 2002-2007, les télé- consacre dans son préambule «le principe gulateur financier, les douze premières so- la place à la libéralisation. Un tournant coms s’adjugent la moitié des investisse- de la libéralisation». Chacun est donc libre ciétés de Bourse seront agréées en octobre cristallisé par le taux de pénétration des ments directs étrangers et sont le premier d’investir dans le secteur audiovisuel. Fé- 1994. Le règlement général de la Bourse télécoms… Il y a dix ans «moins de 5 Ma- contributeur fiscal… La note d’orientation vrier 2009, les sages de la Haca ont clô- sera publié en août 1998. Le feuilleton des rocains sur 100 disposaient du téléphone», télécoms 2009-2012 est attendue pour sep- turé leur mandat de cinq ans. A leur actif, réformes se poursuit: amendement de la loi d’après le rapport annuel 2007 de l’Agence tembre. La baisse des prix sera l’un de ses l’octroie notamment de six licences radios de 1993 et la création de nouveau marché nationale de la réglementation des télécoms axes phares. Espérons que l’ANRT tiendra en 2006 et quatre licences en 2008… mais en avril 2004… En une décennie 1996- (ANRT). Sa dernière enquête 2008 précise ses promesses! toujours pas de licences télés privées sauf 2006, la capitalisation boursière passe de 76 que «le téléphone fixe compte trois millions celles qui existaient avant la loi. Le régu- à 417 milliards de DH. 2006, l’année des de consommateurs, le parc mobile flirte n Secteur audiovisuel lateur justifie son choix par la «fragilité du records: dix sociétés introduites en Bourse avec les 23 millions d’abonnés et 750.000 Question à un million de dirhams. Que marché publicitaire» notamment. Les pré- contre six en 2008; des indices qui progres- ménages disposent d’un accès internet à vous rappelle le 31 août 2002? Réponse: tendants acceptent la décision de la Haca, sent de 70%; des volumes qui explosent et domicile». C’est un grand pas même si «les c’est la date du dahir portant création de dont le génie est de livrer un moule juri- une ruée sans précédent des investisseurs. appels et les abonnements internet restent la Haute autorité de la communication au- dique à un choix politique. Toujours est-il Les turbulences qu’à connues la Bourse chers». diovisuelle (Haca). Régulateur attitré du que la libéralisation audiovisuelle émane en 2008 en enclenché une réflexion auprès La loi n°24-96 relative à la Poste et aux champ audiovisuel. d’une profonde mutation.o des pouvoirs publics. Pour commencer, des télécommunications a fini par donner un Qui l’aurait cru il y a 39 ans. Faiçal FAQUIHI

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Là où ça n’a pas marché Le rôle des hommes et des femmes politiques ainsi que la place de leur parti, l’école, la justice, la corruption sont les quatre grands points noirs. Quant aux désordres urbanis- tiques, les retards énergétiques et l’arriération agricole, on voit poindre quelques lueurs d’es- poirs dans un tableau qui reste sombre

TOUT n’a pas été parfait pendant les 10 ans de règne qui ont enregistré quelques ratés qui font l’unanimité. Le premier loupé d’importance ca- pitale concerne l’échec de la réforme de l’enseignement. Malgré la refonte des textes et les moyens colossaux mis dans ce chantier stratégique pour le pays, rien de déterminant n’a changé. Pis, l’ensei- gnement public continue de dégringoler Un des plus grands ratés de ce règne mais aussi depuis l’indépendance du Maroc est sans conteste l’enseignement. Malgré de gros au point qu’il participe de très peu dans budgets et les différentes réformes, c’est un zéro pointé que le pays décroche. L’enseignement public continue de dégringoler au le renouvellement des élites et que sa point qu’il participe très peu au renouvellement des élites (Ph. Bziouat) faiblesse menace de coûter des points à chaque accélération de la croissance, par pagnole est à la mode tellement les éta- contrastés. Alors que la Charte, lancée le développement économique et social manque de personnel qualifié. Les hauts blissements français sont surbookés. La sous le règne de feu Hassan II, voulait du pays. Le Souverain avait insisté plus fonctionnaires et les hommes d’affaires classe moyenne, quant à elle, n’arrive pas qu’un enfant sur cinq puisse entrer dans d’une fois dans ses discours sur la né- préfèrent de loin mettre leurs enfants à y accéder ; elle se saigne pour finan- une école privée de bonne qualité, l’ad- cessité de réformer ce secteur vital pour dans les missions françaises et améri- cer la scolarité dans le secteur privé, qui ministration de l’enseignement s’ingénie la démocratie et la cohésion sociale. Si caines. Ces dernières années, l’école es- arrive à donner des résultats, mais très à multiplier les obstacles de manière à Omar Azziman, ex-ministre technocrate rendre l’option impossible. A l’intérieur de la Justice, avait démarré le chantier, il de ce bilan noir, il faut cependant rele- n’a pas pu aller plus loin face à l’opposi- Les RH de la croissance ver l’extension de l’alphabétisation et la tion des divers corps judiciaires. scolarisation des petites filles, laquelle va Face à cette résistance, le Souverain LES rendez-vous de la croissance ont été paradoxaux. Un taux qui traîne sous de pair avec la réduction du nombre des avait décidé de donner ce ministère de Youssoufi, une accélération incroyable sous Jettou et les deux premières années «petites bonnes». souveraineté qu’était de tout temps la d’El Fassi, puis le «oups» de la crise. Mais derrière cette versatilité (qui pour la Justice, à Bouzoubaâ (aujourd’hui dis- première fois n’est pas due à la pluie mais bien à la politique économique), il y a le paru) membre influent de l’USFP, un terrible frein de la qualité et du nombre des formations existantes. Mauvais classements parti qu’on croyait très implanté dans Le Maroc a fait le constat que les hommes pour accompagner la croissance ne ce secteur. Ce fut pire: même les pistes sont pas là, il n’y a que des plans pour se doter de 10.000 ingénieurs et d’autres Autre rendez-vous raté: la réforme ouvertes ont été promptement refermées. profils que l’université ne forment pas… des plans qui restent des plans. Certes de la justice. Le monde des affaires, les Les hauts fonctionnaires, les magistrats la formation professionnelle a multiplié les lauréats et diversifié les formations institutions internationales et les inves- et avocats qui s’étaient impliqués dans le en fonction des besoins des entreprises. Mais le déficit n’est pas encore épongé.o tisseurs étrangers ont, depuis des années, changement ont été blacklistés ou «priés recommandé ce chantier essentiel pour d’aller jouer ailleurs». C’est seulement

8 Juillet 2008 Le plan Energie est présenté au Souverain. 7 Juin 2008 Il privilégie l’efficacité 13 Juillet 2008 Sidi Ifni se réveille dans le désordre. énergétique et les L’acte de naissance de l’Union pour la Un sit-in de diplômés chômeurs se transforme Méditerranée est signé à Paris en émeutes violentes énergies renouvelables

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Là où ça n’a pas marché au printemps 2009 et sous la pression di- recte du programme de voisinage avec l’Union européenne que le ministère a enfin ressorti ce dossier des tiroirs, mais sans visibilité sur le calendrier d’exécu- tion ni d’avant-projet concret. Le ministre Radi, lui aussi usfpéiste, a visiblement opté pour une «démarche participative», une sorte de thérapie de groupe: écouter les propositions des organisations profes- sionnelles, avant de trancher. Il semble parier sur la capacité des corps à se réformer eux-mêmes. A ce rythme, le Maroc a encore de longues années de mauvaises notes, dans tous les classements internationaux; La mise à niveau du champ poli- tique a compté dans les préoccupations du Souverain qui l’a rappelée à chaque discours de la rentrée parlementaire, en octobre. Les états-majors des partis po- litiques n’ont pas été au rendez-vous. La plupart d’entre eux s’accrochent et refusent de passer le témoin à des plus jeunes. Résultat: des dirigeants actuels ont travaillé avec le grand-père et le père du Souverain.

Le flambeau de la démocratie

Ce n’est pas le seul mal dont souffre le monde politique, qui de ce fait peine à saisir le flambeau tendu de la démocrati- sation. La prolifération de partis favorise Peu d’enthousiasme dans l’Etat central et une volonté de fermer les yeux chez les responsables locaux, wilaya et municipalité: le l’émiettement de l’échiquier politique. Maroc n’a guère avancé au cours de ces dix ans en matière de traitement de la pollution. Rabat est capable d’entrer dans le jeu Ce sont pas moins de 30 formations qui mondial des MDP du protocole de Kyoto, mais incapable de mettre en tas proprement ses ordures (Ph. Bziouat) ont participé aux dernières élections communales. En effet, plusieurs partis sont consi- tique est très attendu, avec pour objec- dans le sens où 8 partis se sont partagés sont une composante parmi quatre ou dérés comme des fonds de commerce tif de faire émerger une nouvelle élite plus de 90% des voix exprimées. Même cinq autres. qui n’ouvrent boutique qu’à l’occasion de dirigeants, jeunes et dynamiques, en le système à la proportionnelle finit par des élections pour distribuer les accré- phase avec le rythme soutenu du nouveau avoir des limites… ditations, parfois à des candidats récu- règne. La création du Parti Authenticité et Le règne de SM Mohammed VI est La plaie de la corruption sés par leur formation d’origine. Le sys- Modernité (PAM), initié par Fouad Ali El celui où l’on a «compté les islamistes», tème électoral, la proportionnelle, est un Himma et ses amis, a secoué l’échiquier comme Juan Carlos d’Espagne tenait à pousse-au-crime: il faut être le chef d’un politique. Avec un nouveau discours très compter les communistes au moment de La corruption ronge en profondeur parti, quelle que soit sa taille, pour avoir critique, cette formation a cherché à re- la démocratisation. Avant de leur ouvrir la société sans que les gouvernements son siège et ce sont les petits partis qui donner confiance aux citoyens dans la la porte des compétitions électorales, les n’aient pu y faire quelque chose. Des ont le plus de pouvoir. pratique politique. En tout cas, ces élec- observateurs les tenaient pour dominant initiatives, timides avaient abouti à l’éla- Le renouvellement de la classe poli- tions ont rationalisé l’échiquier politique largement le paysage. La réalité est qu’ils ➨➨➨

Juillet 2008 Juillet 2008 Trois ans après son lancement en Le ministère de 2005, le plan Emergence est revu l’Enseignement dévoile un et corrigé. L’acte II de ce pacte plan d’urgence, Najah, avec 13 Octobre 2008 national, sous forme de contrat-pro- une série de mesures pour L’UE accorde au Maroc le Statut avancé réclamé gramme 2009-2015, sera signé le remédier (encore) aux maux depuis plusieurs années 13 février 2009 sous la présidence du secteur. Il porte sur la du Souverain période 2009-2012 Juillet-Ao t 2009 88

Là où ça n’a pas marché ➨➨➨ boration d’un plan d’action pour la lutte contre la corruption sous Youssoufi. Le projet n’était pas crédible. On s’est rabattu, sous Jettou et El Fas- si, sur la création d’une instance natio- nale pour la prévention de la corruption. La présidence de cet organe (uniquement consultatif) a été confiée à un homme dont la probité et l’intégrité font l’unani- mité, Abdeslam Aboudrar. Il a la crédibi- lité que n’avaient pas les essais antérieurs, mais chaque année le Maroc recule dans les classements internationaux. Concernant l’énergie, un secteur stra- tégique pour le Maroc de demain, les pouvoirs publics ne sont pas arrivés à mettre en œuvre une stratégie pour ac- compagner le développement du pays. Comme tous les gouvernements précé- dents depuis l’indépendance, le quin- quennat de Jettou a été marqué par un On pensait que le nouveau règne serait aussi celui du renouveau politique, de la montée en puissance de la démocratie, via des partis vide sidéral. Sous El Fassi, ça va un peu modernisés et efficaces. Espoirs déçus. Une question d’hommes, une question de système, une question de culture aussi… En tout mieux, mais à peine. Le cumul du retard état de cause, dix ans après, c’est un proche du Souverain, Fouad Ali El Himma qui se lance pour occuper le vide (Ph. Bziouat)

et la mésentente entre l’opérateur prin- cipal qu’est l’ONE ont bloqué le secteur de l’énergie qui a besoin d’une réforme en profondeur pour être au diapason des standards internationaux et des attentes des entreprises. L’environnement n’est pas en reste. L’anarchie dans laquelle sont plongées les périphéries de nos villes, comme le comportement des managers et des en- treprises est inquiétante. C’est la course au béton et des présidents de communes qui ne soucient guère des exigences d’harmonie architecturale et l’absence d’espaces verts. Si on organisait des concours de laideur, la compétition entre les villes serait particulièrement elevée.o M. C. Le Maroc touristique vend de mieux en mieux son ensoleillement, ce qui lui rapporte maintenant quelque 50-60 milliards de DH/an, mais il est bien incapable de se servir de ce même soleil pour chauffer l’eau des maisons… Dans ce domaine, les initiatives sont des choix privés qu’aucune incitation technique ou fiscale ne vient encourager. Ici, un des très rares équipements publics en panneaux solaires (Ph. ONE)

2009 Février 2009 Un plan anti-crise pour trois secteurs touchés (textile, cuir et équipements automobiles) est signé. Les mesures devront coûter Mars 2009 21 Mars 2009 La RAM demande le divorce avec Air Sénégal. Décés de Abdellatif Filali, l’homme des transitions 1,3 milliard de DH pour une durée Une issue sera trouvée avec la signature de l’accord marocaines, ancien ministre des Affaires étrangères, de Dakar le 29 mai 2009 ministre de l’Information et Premier ministre. d’une année Il s’est éteint à 81 ans à Paris Juillet-Ao t 2009 91

La mode avant la mode… pour faire mentir le Consul

Chénier, le Consul des marchands de Marseille (et père du poète français, guillotiné sous la Révolution française) ne voyait pas un grand avenir dans le commerce avec le Maroc: pas assez de pouvoir d’achat, dirait-on aujourd’hui. Les Marocains portent tous la même u La keswa djellaba de laine, celle du sultan est juste un peu plus blanche, écri- del mahsour vait-il au XVIIIe siècle. Avait-il tout vu? Sans doute non. C’est un ensemble formé de 4 pièces: un pantalon, le seroual, deux gilets et une Jean Besancenot, ethnographe et dessinateur, s’est attaché dans les veste. D’une façon générale, c’était la te- années 1920-30 à dresser le corpus des modes et styles vestimen- nue des commerçants et des gens aisés. C’est un costume d’intérieur toujours taires, dont une version de luxe fut éditée en 1942. Un des premiers recouvert au dehors de la djellaba, excep- souscripteurs, dit-on, fut Mohammed V lui-même. Il y a une ving- tion faite pour les marins. o taine d’années, Edit Sud et Kalam édition ont repris le travail dans un beau livre, que l’on trouve encore dans les bonnes librairies. Les planches sélectionnées ici sont tirées de cette publication. Elles sont bien éloignées de la description de Chénier…

u La djellaba, un vêtement d’homme

Pendant des siècles, la tenue de ville du Marocain était la djel- u Une citadine drapée laba. C’est un vêtement de dessus à manches courtes muni d’un capu- dans le haïk chon. La djellaba est légèrement fen- due dans le bas, sur le devant et les Jusqu’au milieu du XXe siècle, le costume côtés. Elle peut être en étoffe d’im- d’extérieur des citadines marocaines est le haïk, portation (drap ou flanelle) ou en vaste pièce de lainage d’environ 5 mètres sur un lainage du pays. La couleur blanche mètre soixante, qui voile les formes du corps et confère un caractère aristocratique à les traits du visage. Certaines femmes de l’aris- celui qui la porte. L’homme de la rue tocratie, les chérifates, ne sortaient d’ailleurs ja- porte plutôt une djellaba rayée. mais. Le haïk peut être de lainage fin, de lainage Le selham, également vêtement grenu, ou de laine et soie. d’extérieur, est une cape très ample La particularité du drapé de Rabat est de et sans manches, munie d’un capu- ne laisser voir qu’un œil. Tous les haïks des ci- chon orné d’un volumineux pompon tadines sont blancs, rarement traversés d’une de soie. Au début du XXe siècle, les bande bleue ou rouge. Seul le haïk noir de Ta- roudant, appelé tamelhaft, fait exception. A Ta- femmes aussi ont commencé à por- o ter la djellaba masculine, le capuchon roudant, il est fait de cotonnade noire. serré sur la tête par un bandeau.o

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Avril 2009 Le plan Azur est prolongé jusqu’à 2016 Avril 2009 Avril 2009 Céréales: Récolte record de 102 millions Deuxième gros mouvement de grève des routiers. de quintaux. Une moisson qui devrait faire Blocage de plusieurs secteurs. L’Etat laisse faire date dans les annales de l’agriculture nationale pour finalement sortir le bâton

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La mode avant la mode…

➨➨➨ u Le caftan u Costume u Costume Jusqu’au milieu du 19e siècle, les femmes portaient chez elles le caftan. Pendant de mariée longtemps, il était porté aussi par les hommes, en particulier les lettrés et les hauts du «Makhzen» fonctionnaires. Héritage de l’Orient, c’est une longue robe de drap, à manches larges, Dans chaque ville, le costume de sans col. la mariée prend des aspects différents. Ce costume, qui était d’usage chez Pour les femmes, il est souvent coupé dans de luxueux velours, des soieries et Généralement, elle est vêtue d’une les femmes de la maison du pacha, a des brocarts de grand prix. Sur le caftan, les femmes passent une légère «dfina», un tahtiya et d’un seroual blanc d’étoffe presque disparu de nos jours. La haute vêtement de mousseline transparente rehaussée de décors brodés. Les hommes, eux, neuve. A ceux-ci s’ajoute un caftan de ceinture de soie lamée d’or, hzam passent sur leur caftan la «fara- velours garni de galons d’or, qui ne se Sqelli, ceint la taille et peut être très jiya», d’étoffe légère et transpa- boutonne pas et dont les manches sont large. Elle joue quelquefois le rôle rente. Ces vêtements sont ser- très larges. L’«izar del hrir», grand d’un corset. rés à la taille par une ceinture, la «mdomma». Le caftan a subi dans sa forme des changements importants depuis un siècle. o

voile de soie aux extrémités lamées d’or, enveloppe entièrement la ma- Aujourd’hui, les habiles artisans riée. Sa tête est serrée dans une longue de Fès, qui tissaient ces ceintures écharpe de soie aux extrémités lamées magnifiques, ont dû abandonner leur d’or. La coiffure est haute et rigide. Un métier. On ne trouve plus aujourd’hui bandeau de velours, le «taj del sfifa» que chez les antiquaires marocains (ou diadème des mariées) est garni de quelques rares spécimens de ces tis- perles et rehaussé de cinq cabochons sages somptueux. o formés d’émeraudes et de rubis en- châssés. o

30 Avril 2009 Mai 2009 Une nouvelle stratégie de Le HCP donne une développement des définition de la classe exportations est dévoilée. moyenne qui va soulever Mai 2009 Un plan décliné sur les 10 de nombreux tollés et Après des batailles tumultueuses pour le fauteuil de présidence de la CGEM, c’est sans surprise que prochaines années critiques le tandem Mohamed Horani - Mohamed Tamerqui est élu

Juillet-Août 2009 93 pour faire mentir le Consul

u Costume de la u Femmes du Sud u L’ancien caftan femme berbère Dans tout le Sud marocain, le khent de Tétouan, en voie bleu est l’étoffe préférée des femmes. de disparition Les femmes berbères se drapent Elles mettent toute leur coquetterie dans dans «l’izar», longue pièce d’étoffe. la recherche de coiffures originales, diffé- De cotonnade, il mesure environ Ce caftan, aux manches larges et quatre mètres cinquante sur un mètre évasées, est celui de Tétouan. C’est quarante, enveloppe le corps, serré à la là où étaient fabriqués les caftans en taille par la ceinture, taggoust, et rete- velours somptueusement garnis de ga- nu devant les épaules par deux fibules lons et de soutaches d’or. La couleur d’argent, les tisernas. Les femmes ber- du velours était généralement le violet bères, merveilleuses tisserandes, ne savent pas coudre. Sur elles, rien n’est cousu, tout est drapé. Le manteau est une simple petite couverture que les femmes tissent. C’est une pièce capi- tale du vêtement berbère. Les dessins de cette couverture de laine changent d’une tribu à l’autre. Ils sont la marque d’une identité tribale. Un foulard de tête, takenboucht, enve- loppe deux nattes tombant de chaque côté du visage. Il est serré soit par un bandeau, soit par une cordelière. o

u Costume de fête de la femme berbère

Porté plus long, l’izar est de mousseline à larges manches, également de mousseline, sem- rentes dans chaque oasis. La coiffure des blable à la dfina de la ville. L’on hartaniat de la vallée du Ziz est une des distingue les fibules qui épinglent plus remarquables du Sud. Les cheveux le drapé devant les épaules. Ces sont divisés par moitié et de nombreuses bijoux sont en argent comme le petites nattes en soutiennent deux autres, sont en principe tous les bijoux énormes, les dmouj (cornes), qui pendent berbères. jusqu’aux reins, prolongées par deux pom- La femme porte plusieurs bra- pons de laine. Une garniture de petites ron- celets et bagues. Le large diadème delles d’argent imbriquées tombe en ruban qui couronne la tête est disposé sur la ligne médiane des nattes. Un orne- ment semblable mais plus petit s’enroule ou le rouge grenat, plus rarement le sur une coiffure enturbannée très o autour de la tête. De nombreux coquillages vert ou le bleu pâle. o en largeur. et grains de corail, des motifs d’argent et des amulettes complètent cette savante coiffure. o ➨➨➨

Juillet 2009 Juillet 2009 Présentation du projet Nador L’Institut royal des études West Med, un complexe stratégiques sort de son silence Juin 2009 portuaire, industriel et commer- et rend public un document sur Phase II de TangerMed avec une mise de près de 10 milliards de DH pour la construction. cial. Une première tranche sera les «enjeux et orientations de Le projet d’extension est lancé le 17 juin consacrée aux hydrocarbures politiques publiques face à la crise»

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La mode avant la mode… pour faire mentir le Consul

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u u Mariée juive Juives rurales u Djellaba Chez les juives rurales en pays ber- Les mariées juives portaient un des montagnards bère, on retrouve une pièce d’étoffe qui costume de coupe archaïque qui s’emploie de la même façon que l’izar permet bien des comparaisons avec du Rif berbère, on le nomme khelali. Souvent certains vêtements européens de de couleur rouge, elle est attachée devant Les montagnards du Rif por- l’époque médiévale. Il est entière- les épaules par deux fibules. Le khelali taient une djellaba de laine marron ment de velours, généralement vert est drapé sur une chemise de coupe spé- très foncé, finement rayée, rehaus- ou bleu pour les villes de l’intérieur sée de broderies. et rouge grenat pour les villes cô- tières et du Sud. La coiffure, comme dans tous les anciens costumes juifs, fait l’objet de soins spéciaux. Il faut savoir qu’une antique ordonnance talmudique interdisait autrefois aux juives de laisser voir leurs cheveux à partir du jour de leur mariage. Mais certains rabbins indulgents autorisèrent le port d’une perruque, à condition qu’elle ne soit pas faite de cheveux humains. C’est ainsi que naquirent une grande quantité de perruques extrêmement variées dans le monde israélite, en Europe et en Afrique. o

u Les grands nomades sahariens

Leur vêtement est très simple, sem- blable à celui des Mauritaniens. C’est pour tous, la grande chemise appelée «qchaba» ou encore «deréa». Elle est faite d’une grande pièce de cotonnade. Une ouverture, ménagée en son milieu, laisse passer la tête et elle tombe le long du corps. ciale nommée deréa. Celle-ci est égale- La coiffure des grands nomades sa- ment de cotonnade rouge et ses longues On la portait serrée à la taille par hariens est un volumineux turban bleu. manches, très largement évasées, sont une forte ceinture de cuir ornée de Tous portent au cou quelque amulette et retournées et épinglées sur les épaules motifs très colorés. o un petit portefeuille en cuir, objets im- de façon à ne pas dépasser le coude. portés de Tombouctou comme tous les La coiffure, très originale, est ob- cuirs décorés en usage dans la région.o tenue par les groune (les cornes). Pour sortir, elles disposaient sur leur coiffure un grand voile de mousseline blanche. o

27 Bulletins d'information par jour 6h30 12h00 15h30 Musique, Info, Eco 7h00 12h30 16h00 7h30 13h00 17h30 Casablanca 92.5 Rabat 106.9 El Jadida 97.3 8h00 13h30 18h00 Mohammédia - Témara 8h30 14h00 18h30 Settat - Salé - Kénitra 9h00 14h30 19h00 9h30 15h00 19h30 www.atlanticradio.ma 10h00 20h00 10h30 20h30 11h00 11h30

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Nos Remerciements

n Des historiens de référence n Bibliographie

Il est impossible de citer tous les livres, articles et documents dont se L’Economiste remercie pour leurs compétences et leur dévouement sont servis les journalistes. les professeurs Bouaziz, Achaabane, Biad et Bouchetouf. Certains de ces livres sont très rares et très anciens. Ils appartiennent à Ils se sont fait violence pour suivre avec nous les règles journalis- des collectionneurs privés. Qu’ils soient remerciés de nous les avoir confiés tiques, lesquelles ne sont pas celles des exposés universitaires, même si pour partager avec les lecteurs de L’Economiste leur passion de biblio- la matière est traitée avec une rigueur identique. philes. Un grand nombre d’illustrations vient des ces ouvrages. Inutile de L’équipe de L’Economiste mesure à sa juste valeur le chemin que ces dire que l’accès à ces images est un privilège. historiens de renom international ont fait vers elle. Que ces professeurs en soient ici publiquement remerciés. Signalons qu’ils ont dressé à partir de leurs recherches personnelles certaines des cartes figurant dans cette publication, et qui étaient donc inédites jusqu’ici.

• Le Pr. Mostapha Bouaziz, le chef d’équipe en quelque sorte, est un spécialiste de l’épistémologie historique et de la période analysée ici. Il est docteur en histoire et en outre diplômé en sciences sociales. n Parmi les autres ouvrages, Il a produit de nombreuses recherches et enseigne à l’université d’Aïn Chock de Casablanca. C’est aussi lui qui enseigne l’histoire aux futurs voici notre sélection: journalistes de l’école créée par L’Economiste. - Le «Abitbol», Histoire du Maroc, qui vient de sortir chez Perrin • a initié ou participé à la création Le Pr. Lotfi Bouchentouf est en tous points remarquable. Il constitue l’une des premières histoires de plusieurs associations et groupes d’études sur des sujets comme l’his- dépassionnées du Royaume. Il utilise des sources juives jusqu’ici négligées. toire religieuse, l’histoire de la femme marocaine, l’histoire des relations maroco-africaines… - Le «Benoist-Méchin», Histoire des Alaouites, est un Benoist-Mé- Il était chef du département d’histoire à la faculté d’Aïn Chock chin, c’est-à-dire un grand luxe de détail pour des faits qu’il a parfois vécus jusqu’au mois de mai dernier. lui-même, mais l’auteur, comme toujours, tombe amoureux de son sujet.

• C’est l’archéologue du groupe. Le Pr. Ahmed Achaabane - Le «Histoire de la dynastie régnante au Maroc» sous la prospecte les sites archéologiques du nord-ouest du pays et de la Chaouia plume de Issa Babana El Alaoui est plus classique dans sa forme, il suit l’ordre chronologique et cherche à magnifier son sujet. Ce qui est parfois et tout particulièrement Tamsna. un peu embarrassant. Il a publié de nombreux articles, mais son étude la plus attirante, l’his- toire du tabac à travers les pipes en terre, est encore sous presse. Et pour le plaisir de l’extrême érudition comme celui de la chasse à la rareté: • Tayeb Biad est docteur en histoire contemporaine, une branche Le Corpus des monnaies alaouites, en deux tomes, édité par Bank Al- de l’histoire particulièrement délicate. Maghrib, sous la plume, entre autres, de l’expert Lhalaoui. Il est pratique- En effet, parce qu’elle traite de faits proches, l’histoire contemporaine ment impossible de le trouver, sauf si vous êtes chanceux… Essayez les est soumise à toutes sortes de pression. bouquinistes. C’est un travail numismatique de très grande érudition, avec A l’historien de mettre l’Histoire à l’abri des détournements poli- en plus de minutieuses présentations des rois alaouites, un par un, avec tiques. Le Pr. Biad est enseignant universitaire. d’extraordinaires portraits reconstitués.

n … Et ceux qui ont rendu la publication possible

Il faut aussi remercier les journalistes qui ont travaillé directement sur Il faut aussi remarquer le travail des metteurs en page, qui ont eu à cette publication, ainsi que leurs collègues, lesquels, pendant les longues manipuler avec le plus grand soin des documents rares et à créer des de- semaines de préparation, ont pallié leur absence pour effectuer le travail signs spécifiques pour leur mise en valeur: Omar Jabre, Azziz Ouahid, quotidien. Saïd Fakhreddine, Salima Michmich, Mohcine Sorrane, Khalid Yassine et Il s’agit de Azziz Ghouibi, Jamal Eddine El Herradi, Fatim-Zahra Tohry, Mohamed El Ouadi Idrissi. Jihane Kabbaj, Mouna Hachim, Jallal Baazi, Faiçal Faquihi, Amin R’boub, Sans omettre les correcteurs, Bahija Rhouli, Mohamed El Bikri et Kha- Adam Berrada, Tarik Hari, Nadia Belkhayat, Amin Benabid, Mohamed Ali lid Bidari qui ont eu la tâche difficile d’unifier les graphies francophones et M’Rabi, Bouchra Sabib, Mohamed Mounadi, Khadija Masmoudi, Mériem faire la chasse aux imprécisions de dates. Et n’oublions pas les sélections Oudghiri, Mohamed Chaoui, sous la direction de Nadia Salah. photographiques contemporaines effectuées largement par Saïda Sellami.

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